Présidé en droit par le Premier ministre mais dirigé, en pratique, par son Vice-président, le Conseil d’État, héritier d’une tradition ancienne, présente un double visage : il est à la fois une instance administrative qui conseille le Gouvernement et la juridiction suprême de l’ordre administratif. Le Conseil d’État est composé de trois cents membres (conseillers d’État, maîtres des requêtes, auditeurs) dont les deux tiers sont en activité en son sein, les autres membres étant, pour l’essentiel, en position dans d’autres administrations à des niveaux de responsabilité élevés.
I. – Le Conseil d’État, héritier d’une tradition ancienne
L’origine du Conseil d’État est ancienne. On peut voir dans cette institution l’une des héritières de la Curia regis qui, constituée de grands personnages proches du Roi, assistait celui-ci dans le gouvernement du royaume au Moyen-Âge. C’est cependant avec la Révolution française que le Conseil d’État revêt son aspect actuel. En 1790, l’Assemblée constituante décide que l’administration ne doit plus être soumise à l’autorité judiciaire. Les affaires impliquant la puissance publique doivent, dès lors, être examinées par une juridiction particulière. C’est le Consulat qui, avec l’article 52 de la Constitution du 22 frimaire an VIII (13 décembre 1799), institue le Conseil d’État proprement dit. Sa mission est double : instance administrative, le Conseil participe à la rédaction des textes juridiques les plus importants ; en tant que juridiction, il connaît des litiges auxquels l’administration est partie.
C’est enfin la loi du 24 mai 1872 qui donne au Conseil d’État l’organisation qui est encore la sienne aujourd’hui. C’est également à partir de cette époque que le Conseil d’État fixe les grands principes du droit administratif français contribuant à la construction de l’État de droit en France.
Depuis lors, le Conseil d’État s’est affirmé comme le garant des libertés et du fonctionnement régulier de l’administration, conciliant les intérêts de l’État et ceux des justiciables. Le décret n° 2008-225 du 6 mars 2008 relatif à l’organisation et au fonctionnement du Conseil d’État a parachevé l’affirmation de ce rôle en établissant une stricte séparation entre les formations consultatives et les formations juridictionnelles du Conseil.
D’une part, le décret consacre le principe en vertu duquel « les membres du Conseil d’État ne peuvent participer au jugement des recours dirigés contre les actes pris après avis du Conseil d’État s’ils ont pris part à la délibération de cet avis ». Les justiciables peuvent s’assurer du respect de cette obligation en obtenant la communication de la liste des membres des formations consultatives ayant pris part à l’avis rendu sur l’acte qu’ils attaquent. D’autre part, les représentants des sections administratives ne peuvent plus siéger dans la formation ordinaire de neuf membres, les sous-sections réunies et la section du contentieux siégeant en formation de jugement. Enfin, l’effectif de l’assemblée du contentieux est porté à 17 membres (dont une nette majorité appartient au contentieux) et le président de la section administrative qui a eu à délibérer ne siège pas alors même qu’il n’aurait pas siégé le jour où l’affaire a été examinée par sa section administrative.
Le décret n° 2009-14 du 7 janvier 2009 permet aux parties à l’instance de connaître le sens des conclusions du rapporteur public sur l’affaire qui les concerne et d’y répondre par de brèves observations orales avant que les conseillers ne se retirent pour délibérer. Le décret consacre le principe suivant lequel la décision est délibérée hors de la présence des parties et du rapporteur public.
Dernièrement, les obligations déontologiques applicables aux membres de la juridiction administrative ont été précisées. Le Conseil d’État a publié, en 2012, une charte destinée notamment à prévenir les conflits d'intérêts dans l'exercice des fonctions. La loi n° 2016-483 du 20 avril 2016 a étendu aux membres des juridictions administratives et financières l’obligation de déclarations d’intérêts et de situation patrimoniale.
II. – Le conseiller du Gouvernement
Le Conseil d’État joue le rôle de conseiller du Gouvernement en examinant les projets de loi – comme l’impose l’article 39 de la Constitution – et les projets d’ordonnance ( article 38 de la Constitution), avant qu’ils ne soient soumis au Conseil des ministres. Il connaît également des projets de décret les plus importants, qualifiés de « décrets en Conseil d’État ». Son avis porte sur la régularité juridique des textes, leur forme et leur opportunité non politique mais administrative.
Le Conseil d’État peut également être consulté par le Gouvernement sur toute question d’ordre juridique ou administratif. Ce fut récemment le cas lorsqu’en février 2017 le Premier ministre saisit la haute juridiction de plusieurs questions relatives aux prêts ou avances consentis par des personnes physiques ou morales en faveur des candidats aux élections politiques. Lorsque le Conseil d’État est saisi pour avis, la question est renvoyée à l’une des cinq sections administratives : intérieur, finances, sociale, travaux publics et administration (dernière créée, par le décret du 6 mars 2008).
La section de l’intérieur est compétente pour les affaires dépendant du Premier ministre et des ministres de la justice, de l’intérieur, de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, de la culture et de la communication, des relations avec le Parlement, de la jeunesse, des sports et de l’outre-mer.
La section des finances connaît des affaires dépendant des ministres de l’économie et des finances, des affaires étrangères et de la coopération.
La section des travaux publics est saisie des affaires relevant des ministres chargés de l’agriculture, de la pêche, de l’équipement, des transports, du logement, du tourisme, de l’industrie et des postes et télécommunications.
La section sociale est chargée des affaires relevant des ministres chargés de l’emploi, de la solidarité, de la santé et des anciens combattants.
La section de l’administration examine les projets de loi et les décrets portant sur l’ensemble des questions relatives à la fonction publique ainsi que des questions touchant aux relations entre les administrations et les usagers, à la réforme de l’État et des services publics, à la procédure administrative non contentieuse, à la défense nationale (hormis les questions relatives aux anciens combattants et victimes de guerre et aux pensions), à la commande et aux propriétés publiques.
Pour les questions les plus importantes (projets de loi ou d’ordonnance, par exemple), l’assemblée générale du Conseil d’État statue après que la section compétente s’est prononcée. Toutefois, en cas d’urgence et sur décision du Premier ministre, la commission permanente du Conseil, formation plus restreinte, peut être directement saisie sans examen préalable en section. Depuis la publication du décret du 6 mars 2008, chaque président de section administrative peut décider de confier les affaires les moins complexes à une formation dite « ordinaire » (par opposition à la formation plénière) dont il fixe la composition.
Par ailleurs, le Conseil d’État a exprimé la volonté d’associer davantage aux travaux de ses diverses formations consultatives des personnes susceptibles d’enrichir sa réflexion en raison de leurs connaissances ou de leurs expériences.
Le Conseil d’État adresse, enfin, chaque année au Président de la République un rapport public qui dresse le bilan de l’activité de la juridiction administrative et qui peut contenir des propositions de réformes destinées à améliorer l’organisation ou le fonctionnement de l’administration ou les lois et règlements en vigueur. La section du rapport et des études prépare ce rapport annuel ainsi que d’autres études. Elle intervient également dans l’exécution par l’administration des décisions des juridictions administratives.
III. – Le conseiller du Parlement
Depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, le Conseil d’État peut être saisi pour avis par le Président de l’Assemblée nationale ou du Sénat de toute proposition de loi déposée sur le bureau de l’une des deux assemblées avant son examen en commission. L’auteur de la proposition de loi peut produire des observations et éventuellement prendre part, avec voix consultative, à la séance au cours de laquelle la section compétente délibère sur l’avis que le Conseil rendra. Il est informé de l’avis rendu par le Conseil d’État.
Au cours dela XIVe législature, le Conseil d’État a rendu huit avis sur des propositions de loi transmises par le Président de l’Assemblée nationale.
Les propositions de loi dont peut être saisi pour avis le Conseil d’État sont examinées par la section compétente ou une commission spéciale formée de représentants des différentes sections intéressées par l’objet de la proposition de la loi. Elles sont ensuite soumises à l’assemblée générale du Conseil d’État.
IV. – La juridiction suprême de l’ordre administratif
Le Conseil d’État est l’échelon suprême de la juridiction administrative, qui juge les litiges entre les particuliers et l’administration au sens large (État, collectivités territoriales, établissements publics, personnes privées chargées d’une mission de service public comme les ordres professionnels ou les fédérations sportives).
À ce titre, il est juge de cassation des arrêts des cours administratives d’appel et des juridictions administratives spécialisées comme la Commission de recours des réfugiés. En outre, il juge également en premier et dernier ressort les recours dirigés notamment contre les décrets, les actes des organismes collégiaux à compétence nationale (par exemple, le jury d’un concours national ou un organisme comme le Conseil supérieur de l’audiovisuel) ainsi que le contentieux des élections régionales et de l’élection des représentants français au Parlement européen. Il est compétent en appel pour les contentieux des élections municipales et cantonales.
Le Conseil d’État, comme la Cour de cassation dans l’ordre judiciaire, assure l’unité de la jurisprudence au plan national. Les décisions rendues par le Conseil d’État statuant au contentieux sont souveraines et ne sont susceptibles d’aucun recours, hormis le recours en révision ou en rectification d’erreur matérielle.
C’est la section du contentieux qui assume cette fonction juridictionnelle. Elle est composée de dix sous-sections spécialisées dans différents types de contentieux (droit des étrangers, marchés publics, fiscalité...).
Le Conseil d’État est également chargé, depuis 1990, d’assurer la gestion des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, cette responsabilité incombant auparavant au ministère de l’intérieur. Il est responsable de la gestion du corps des magistrats administratifs, assisté pour cela par un organe consultatif indépendant créé en 1986, le Conseil supérieur des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel.
V. – Un rôle accru dans la protection des droits et libertés garantis par la Constitution
En application de l' article 61-1 de la Constitution, issu de la révision du 23 juillet 2008, tout justiciable peut contester, au cours d’une instance devant une juridiction de l’ordre administratif, l’application d’une disposition législative dont il estime qu’elle porte atteinte aux droits et libertés garantis par la Constitution.
Dans le cadre de cette procédure – qui peut entraîner un sursis sur le rendu de tout ou partie des points de la décision au fond –, il appartient au Conseil d’État de statuer sur la nécessité de transmettre au Conseil constitutionnel la question de constitutionnalité soulevée devant la juridiction placée sous son autorité, y compris pour la première fois en appel ou en cassation, en tant que juge de premier et dernier ressort. Pour ce faire, le Conseil d’État dispose d’un délai de trois mois.
Lorsqu’une question prioritaire de constitutionnalité lui est soumise, le Conseil d’État doit s’assurer, avant de la transmettre au Conseil constitutionnel, que la disposition contestée est applicable au litige ou à la procédure, ou constitue le fondement des poursuites ; qu’elle n’a pas déjà été déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d’une décision du Conseil constitutionnel, sauf changement des circonstances, et qu’elle est nouvelle ou présente un caractère sérieux.