N° 152 - Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement la France et la République d'Estonie relatif à l'indemnisation de la République d'Estonie pour l'immeuble de son ancienne légation à Paris




Document
mis en distribution
le 1er août 2002
No  152
ASSEMBLÉE  NATIONALE
CONSTITUTION  DU  4  OCTOBRE  1958
DOUZIÈME  LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 24 juillet 2002.
P R O J E T   D E   L O I

autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d'Estonie relatif à l'indemnisation de la République d'Estonie pour l'immeuble de son ancienne légation à Paris,

présenté
au nom de M. Jean-Pierre RAFFARIN,
Premier ministre,
par M. Dominique de VILLEPIN,
ministre des affaires étrangères.
(Renvoyé à la commission des affaires étrangères, à défaut de constitution
d'une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

            Traités et conventions.

EXPOSÉ  DES  MOTIFS

                    Mesdames, Messieurs,
        La France et l'Estonie ont signé le 13 décembre 2001 un accord relatif au statut de l'immeuble de l'ancienne légation de ce pays, qui en avait été dépossédé du fait de sa disparition en tant qu'Etat indépendant en 1940.

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        Ce pays balte a rarement pu jouir de son indépendance : l'ancienne Livonie, qui couvrait au Moyen Age les territoires actuels de l'Estonie et de la Lettonie, a été placée sous la domination de l'ordre Teutonique, puis de la Suède. Par le traité de Nystad de 1721, Pierre le Grand prit le contrôle de cette région stratégiquement essentielle pour son empire qui souhaitait disposer d'une « fenêtre sur l'Europe » ainsi que d'un accès libre de glace pour sa marine naissante.
        Les Estoniens sont donc restés sous contrôle étranger quasi permanent depuis le xiiie siècle et l'affirmation identitaire de cette nation n'a pu se faire qu'à la fin de la Première Guerre mondiale, grâce aux bouleversements entraînés par la révolution russe de 1917 et la défaite militaire allemande de 1918. A la suite de la paix séparée de Brest-Litovsk de mars 1918, outre la Russie et les empires centraux, l'Estonie alors occupée par les troupes allemandes fut soustraite à la souveraineté russe. Le 11 novembre 1918, saisissant l'occasion de la défaite allemande, un gouvernement estonien indépendant s'installa à Tallinn. Le 20 août 1919, les Alliés occidentaux, dont la France, reconnurent l'Estonie indépendante sous réserve d'une décision définitive de la Société des Nations, qui n'était pas encore entrée en fonctions, mais qui devait confirmer cette décision. Le 2 février 1920, Moscou, par un traité signé à Tartu, reconnut l'indépendance de l'Estonie.
        Par la suite, le protocole secret annexé au « traité de non-agression entre l'Allemagne et l'Union soviétique » du 23 août 1939 (communément appelé pacte Molotov-Ribbentrop), partageant les territoires situés entre l'Allemagne et l'Union soviétique en zones d'influence attribuées à l'une et à l'autre, plaça l'Estonie dans la zone soviétique. S'appuyant sur cet accord de partage, le gouvernement soviétique imposa en juin 1940 l'occupation du pays.
        Après l'invasion nazie, l'Estonie fut réintégrée de force dans l'URSS en 1945, qui modifia le tracé des frontières à son avantage. Dans l'immédiat après-guerre, en incluant les fuites vers l'Ouest et les pertes de guerre, les pays Baltes ont vu leur population diminuer d'environ 20 %.
        La République d'Estonie recouvrit son indépendance, le 20 août 1991, après le coup d'Etat à Moscou du 19 août et l'URSS reconnut son indépendance le 6 septembre 1991.

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        L'Estonie avait installé sa légation à Paris en 1936, dans un immeuble au 4 de la rue du Général-Appert, dans le 16e arrondissement.
        A la suite de l'annexion des Etats baltes par l'Union soviétique en août 1940, et bien que la France n'ait pas reconnu cette annexion, la remise des clés de l'immeuble de la légation estonienne aux Soviétiques en 1940, puis de nouveau en septembre 1944 (les immeubles furent réquisitionnés par l'occupant allemand entre les deux dates), s'est faite par l'intermédiaire des autorités françaises. Ayant recouvré son indépendance en 1991, l'Estonie a entamé, en vain, diverses démarches auprès de la Russie pour obtenir la restitution de son immeuble.
        D'un point de vue juridique, la situation est simple. L'Estonie n'a jamais cessé d'être propriétaire de son immeuble. Les mentions figurant au registre des hypothèques ne laissent aucun doute sur ce point. Après la Seconde Guerre mondiale, la France a toujours affirmé que l'Union soviétique n'était pas propriétaire des légations baltes et cette position a été constamment reprise par les gouvernements successifs dans les réponses aux questions parlementaires.
        Toutefois, la France a cherché à régler le dossier dès le retour de l'Estonie à l'indépendance. Elle a décidé d'assumer, à partir de 1991, la charge de l'installation provisoire de la nouvelle ambassade de cet Etat à Paris, dans des locaux loués à cet effet au 14, boulevard Montmartre, dans le 9e arrondissement. La France a pris en charge les loyers, les charges locatives, les contrats de télésurveillance et la location d'une partie du matériel de bureautique. Cependant, l'Estonie décida de ne pas demeurer dans cet immeuble et procéda en 1999 au déménagement de son ambassade au 46, rue Pierre-Charron, dans le 8e arrondissement de Paris. Depuis lors, l'Estonie assume la prise en charge de son implantation immobilière à Paris, mais le déménagement de son ambassade provisoire ne signifie nullement que cet Etat a renoncé à récupérer ses biens.
        Bien qu'elle n'ait pas été directement partie à ce différend, la France a souhaité apporter sa contribution dans la recherche d'une solution pour résoudre cette question concernant trois futurs membres de l'Union européenne. En effet, depuis le retour des trois Etats baltes à l'indépendance en 1990 et 1991, le dossier des légations baltes à Paris a constitué un problème lancinant dans les relations entre la France et ces trois Etats.
        Le secrétaire général du Quai d'Orsay a proposé, lors d'un entretien le 11 avril 2001 avec l'ambassadeur de Russie et ses trois collègues baltes, un schéma permettant la résolution définitive de ce dossier. Il a été convenu que chacune des parties consentirait à des efforts substantiels dans les domaines juridique, financier et budgétaire pour aider à la solution de ce dossier.
        La proposition française « d'opération triangulaire » a été inspirée du précédent suisse (achat par Berne à la Lettonie en 1994 du titre de propriété de son ancienne légation auprès de la SDN à Genève, occupée par la Russie, puis échange de ce titre de propriété avec la Russie contre celui de la résidence helvétique à Moscou).
        Sur ce modèle, la France s'est engagée à verser aux Etats baltes une indemnité, pour solde de tout compte, en échange d'un transfert de propriété de leurs bâtiments.
        Le deuxième volet de cette « opération triangulaire » consisterait pour la France, comme la proposition en a été faite, de négocier avec la Russie afin de procéder à un échange de baux emphytéotiques à coût nul ou symbolique entre ces trois immeubles parisiens et celui de la résidence de France à Moscou (Maison Igoumnov).
        A l'occasion de la visite d'Etat du Président de la République le 28 juillet 2001 en Estonie, les autorités françaises et estoniennes sont parvenues à un accord sur le montant de la contrepartie qui sera versée par la France à cet Etat en échange des droits de propriété du bâtiment de sa légation.
        La ratification des accords conclus le 13 décembre 2001 avec les Etats baltes, puis l'échange des instruments de ratification, rendront la France propriétaire des trois bâtiments des anciennes légations baltes à Paris, que la Russie occupe sans titre.

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        Les négociations entre la France et l'Estonie ont porté essentiellement sur le titre de l'accord, les modalités de remise du droit de propriété et sur l'échéancier du versement des indemnités.
        A la demande de la Partie estonienne, qui souhaitait souligner qu'il s'agissait de son immeuble et d'une indemnisation, le titre de l'accord diffère de ceux passés avec les deux autres Républiques baltes en ne parlant pas du statut de l'immeuble, mais uniquement de l'indemnisation de la République d'Estonie. Cette formulation visait à éviter toute ambiguïté sur la question de savoir qui est le légitime propriétaire de la légation.
        L'article 1ercomporte l'engagement de l'Etat français de racheter l'immeuble de la légation de la République d'Estonie dans un délai de six mois après la date d'entrée en vigueur de l'accord. Le montant de la contrepartie financière versée par la France à l'Estonie a été fixé par l'article 2 à 3 917 939 Euro.
        Concernant l'échéancier du versement des indemnités, il est prévu qu'un premier versement d'un montant de 1 524 490 Euro est effectué dès la conclusion du contrat de vente, c'est-à-dire dans un délai de six mois à compter de la date d'entrée en vigueur de l'accord. Le solde, d'un montant de 2 393 449 Euro, sera acquitté dans un délai d'un an à compter du premier jour de l'année civile suivant le jour d'entrée en vigueur du présent accord.
        A la demande de la Partie estonienne, l'article 3 précise que le Gouvernement de la République française prend en charge les éventuels frais d'actes, droits et taxes liés au transfert de propriété de l'immeuble, à l'exclusion de tout autre.
        Enfin, l'article 4 concerne les dispositions finales et prévoit une entrée en vigueur le premier jour du deuxième mois suivant le jour de réception de la seconde notification de l'accomplissement des procédures constitutionnelles.
        Telles sont les principales observations qu'appelle l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d'Estonie relatif à l'indemnisation de la République d'Estonie pour l'immeuble de son ancienne légation à Paris qui, comportant des dispositions engageant les finances de l'Etat, est soumis au Parlement en vertu de l'article 53 de la Constitution.

PROJET  DE  LOI

        Le Premier ministre,
        Sur le rapport du ministre des affaires étrangères,
        Vu l'article 39 de la Constitution,
                    Décrète :
        Le présent projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d'Estonie relatif à l'indemnisation de la République d'Estonie pour l'immeuble de son ancienne légation à Paris, délibéré en conseil des ministres après avis du Conseil d'Etat, sera présenté à l'Assemblée nationale par le ministre des affaires étrangères qui est chargé d'en exposer les motifs et d'en soutenir la discussion.

Article  unique

        Est autorisée l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d'Estonie relatif à l'indemnisation de la République d'Estonie pour l'immeuble de son ancienne légation à Paris, signé à Paris le 13 décembre 2001, et dont le texte est annexé à la présente loi.
        Fait à Paris, le 24 juillet 2002.

Signé :  Jean-Pierre  Raffarin  

            Par le Premier ministre :

Le ministre des affaires étrangères,
Signé :
  Dominique de  Villepin

    

A C C O R D
entre le Gouvernement de la République française
et le Gouvernement de la République d'Estonie
relatif à l'indemnisation de la République d'Estonie
pour l'immeuble de son ancienne légation à Paris

    Le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d'Estonie,
    -  reconnaissant à la République d'Estonie la propriété de l'immeuble, sis 4, rue du Général-Appert, à Paris (16e), ancien siège de la légation estonienne à Paris ;
    -  constatant l'occupation sans titre de cet immeuble par le représentant diplomatique d'un Etat tiers ;
    -  désirant apporter une solution à la privation de jouissance de cet immeuble par son légitime propriétaire,
sont convenus des dispositions suivantes :

Article ler

    Le Gouvernement de la République française s'engage à acquérir, dans les conditions financières énoncées à l'article 2, la propriété de l'immeuble de la légation de la République d'Estonie, sis 4, rue du Général-Appert, à Paris (16e), dans un délai de six mois à compter de la date d'entrée en vigueur du présent accord.

Article 2

    Le Gouvernement de la République d'Estonie s'engage à céder au Gouvernement de la République française, dans un délai de six mois à compter de la date d'entrée en vigueur du présent accord, la propriété de l'immeuble visé à l'article ler, moyennant une contrepartie financière d'un montant de 25 700 000 FF, soit 3 917 939 euros.
    Un premier versement d'un montant de 10 millions de francs français, soit 1 524 490 euros, est effectué dès la conclusion du contrat de vente. Le solde de 15 700 000 FF, soit 2 393 449 euros, est acquitté dans un délai d'un an à compter du premier jour de l'année civile suivant le jour d'entrée en vigueur du présent accord.

Article 3

    Le Gouvernement de la République française s'engage à prendre en charge les éventuels frais d'actes, droits et taxes liés au transfert de propriété de l'immeuble, à l'exclusion de tout autre.

Article 4

    Chacun des Gouvernements notifie à l'autre l'accomplissement des procédures constitutionnelles requises en ce qui le concerne pour l'entrée en vigueur du présent accord, qui prend effet le premier jour du deuxième mois suivant le jour de réception de la seconde notification.
    En foi de quoi, les représentants des deux gouvernements, dûment autorisés à cet effet, ont signé le présent accord et y ont apposé leur sceau.
    Fait à Paris, le 13 décembre 2001, en deux exemplaires en langues française et estonienne, les deux textes faisant également foi.

Pour le Gouvernement
de la République française :
Hubert  Védrine,
Ministre
des affaires étrangères

Pour le Gouvernement
de la République d'Estonie :
Toomas Hendrik  Ilves,
Ministre
des affaires étrangères

N° 152 - Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement la France et la République d'Estonie relatif à l'indemnisation de la République d'Estonie pour l'immeuble de son ancienne légation à Paris


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