N° 1787 - Proposition de loi organique de M. Alain Suguenot visant à limiter le recours aux dispositions fiscales rétroactives




 

N° 1787

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 6 septembre 2004.

PROPOSITION DE LOI
ORGANIQUE

visant à limiter le recours aux dispositions fiscales rétroactives,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration
générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais
prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par MM. Alain SUGUENOT et Louis GISCARD D'ESTAING

Additions de signatures :
MM. Michel Raison, Jean-Luc Reitzer et Max Roustan
Mmes et MM. Loïc Bouvard, Bernard Carayon, Olivier Dassault, François Grosdidier, Jean-Louis Léonard, Christian Ménard, Nathalie Kosciusko-Morizet, Michèle Tabarot, Richard Cazenave, Lucien Degauchy, Jean-Marc Lefranc, Philippe-Armand Martin, Francis Saint-Léger, Jacques Pélissard, Jean-Michel Ferrand , Claude Gatignol, Martine Aurillac, Jean Bardet, Gabriel Biancheri, Roland Chassain, Patrick Delnatte, Jean-Jacques Descamps, Pierre-Louis Fagniez, Maurice Giro, Thierry Lazaro, Lionnel Luca, Christian Ménard, Jean-Marc Nudant, Daniel Prévost, Michel Roumegoux, Daniel Spagnou et Jean-Pierre Decool
Mmes et MM. Patrick Balkany, Jean-Claude Beaulieu, Pierre Cardo, Philippe Cochet, Bernard Depierre, Joël Hart, Sébastien Huygue, Maryse Joissains-Masini, Hervé Mariton, Didier Quentin, et Dominique Richard
MM. Jacques Bobe, Jean-Michel Fourgous, Mme Pascale Gruny, MM. Jacques Houssin, Jean-François Régère et Gérard Weber
MM. Alain Marleix et Jacques Remiller
Mmes et MM. Manuel Aeschlimann, Michel Bouvard, Jean-François Chossy, Louis Cosyns, Yves Coussain, Michel Diefenbacher, Guy Drut, Marie-Hélène des Esgaulx, Bruno Gilles, Jacques Godfrain, Michel Gonnot, Jacques Kossowski, Patrice Martin-Lalande, Robert Lamy, Denis Merville, Pierre Morel-A-l'Huissier, Marcelle Ramonet, Marie-Jo Zimmermann, Jacques Briat, Dominique Caillaud, Edouard Courtial, Jean-Michel Couve, Bernard Deflesselles, Jean-Pierre Dord, Nicolas Dupont-Aignan, Jean-Paul Garraud, Franck Gilard, Jean-Pierre Giran, Claude Goasguen, François-Michel Gonnot, Jean-Jacques Guillet, Emmanuel Hamelin, Pierre Hellier, Pierre Hériaud, Jean-Yves Hugon, Edouard Jacque, Olivier Jardé, Pierre Lequiller, Thierry Mariani, Henriette Martinez, Denis Merville, Alain Moyne-Bressand, Hervé Novelli, Bernadette Païx, Robert Pandraud, Béatrice Pavy, Bernard Perrut, André Santini, Christian Vanneste, Jean-Sébastien Vialatte, René-Paul Victoria, Philippe Vitel, Gérard Voisin et Michel Voisin
Additions de signatures :
Dino Cinieri, Christian Estrosi, Alain Ferry, Philippe Houillon, Jacques Lafleur, Jacques Le Nay, Jacques Masdeu-Arus, Frédéric Saint-Léger et Michel Terrot
Additions de signatures :
MM. Jean-Paul Garraud, Michel Herbillon, Jean-Claude Lemoine, Daniel Mach, Jean-Marie Morisset, Mmes Marcelle Ramonet, Hélène Tanguy et Marie-Jo Zimmermann
MM. Michel Hunault et Michel Terrot

 Députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La sécurité juridique est une condition essentielle au bon fonctionnement et au développement de l'économie d'un pays et au bon fonctionnement des sociétés. Elle repose sur la confiance dans les lois et le respect de la parole de l'Etat. Elle implique que les contribuables individuels et les opérateurs économiques puissent, à l'avance, connaître les avantages et les inconvénients de leurs actes, ainsi que leurs droits et obligations.

En droit français, la sécurité juridique n'est pas garantie. Or, ce principe garantit la stabilité des situations juridiques, notamment en s'opposant à leur remise en cause par des normes rétroactives.

Dans notre système fiscal, le caractère rétroactif d'une disposition présente différents aspects :

- la rétroactivité liée à la validation législative des conséquences de contentieux fiscaux ;

- la rétroactivité liée au mode de détermination de certains impôts, à titre d'exemple le barème de l'impôt sur le revenu est fixé dans la loi de finances de l'année N (promulguée en décembre de l'année N - 1) et porte sur les revenus de l'année N - 1 ;

- la rétroactivité consistant à remettre en cause, avant le terme prévu, un avantage fiscal consenti à l'origine pour une période déterminée.

Le premier et le dernier aspect sont incontestablement choquants. La seule mention de la réduction de la durée d'exonération de taxe foncière pour les immeubles construits avant le 1er janvier de 25 à 15 ans par le gouvernement Mauroy suffit à faire prendre conscience de l'inéquité des dispositions fiscales rétroactives.

La rétroactivité de la loi fiscale a deux conséquences préjudiciables pour notre système économique.

D'une part, elle décourage les initiatives des contribuables. L'instabilité de l'environnement juridique de l'entreprise ou du patrimoine rend délicate toute prévision rationnelle, et n'incite pas au développement de l'activité, ou à l'implantations d'entreprises étrangères en France.

D'autre part, la crédibilité et l'efficacité de la politique fiscale sont affaiblies par la multiplication des dispositions rétroactives ou interprétatives. Les contribuables individuels et les opérateurs économiques sont moins réceptifs à des incitations fiscales susceptibles d'être remises en cause dans le temps.

Lors de la précédente législature la proposition de loi no 1151 de MM. Nicolas Sarkozy, Jean-Louis Debré, Philippe Douste-Blazy et José Rossi visant à garantir les avantages fiscaux pluriannuels avait été discutée en Commission des lois, avant d'être rejetée en raison des risques d'inconstitutionnalité qu'elle présentait. D'autres parlementaires ont déposé des propositions tenant compte des objections de la Commission des lois avant 2002. Elles n'ont pas été couronnées de succès et lors des débats parlementaires préalables au vote de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances, aucun débat n'a porté sur la rétroactivité fiscale.

Afin de lever l'ensemble des obstacles constitutionnels et législatifs s'opposant à la limitation de dispositions fiscales rétroactives, une proposition de loi constitutionnelle et une proposition de loi organique doivent être déposées au Parlement et discutées par les Assemblées. C'est ainsi que nous avons déposé une proposition de loi constitutionnelle limitant le recours aux dispositions fiscales rétroactives.

Au moment où notre économie traverse une période de croissance molle, il est plus que jamais nécessaire d'adopter un environnement juridique propice au développement de l'activité économique. Au-delà du débat sur les 35 heures, l'amnistie fiscale ou la réforme de l'Impôt de Solidarité sur la Fortune, la garantie d'une certaine stabilité juridique et fiscale est indispensable au rétablissement de la compétitivité et de l'attractivité de notre pays.

Cette proposition de loi organique vise à limiter, en droit, les cas où le recours à une loi rétroactive est admissible en tenant compte à la fois de notre tradition juridique et de la spécificité de la technique fiscale. Les dispositions contenues dans cette proposition de loi ont vocation à s'appliquer aux lois ordinaires, aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale.

L'article premier propose de poser le principe de la non-rétroactivité des dispositions relatives aux prélèvements obligatoires, afin de renforcer la sécurité juridique dont bénéficient les contribuables. Il est assorti d'exceptions afin de respecter la tradition républicaine et les caractéristiques inhérentes à certains impôts.

C'est pourquoi, il est impossible d'éviter la rétroactivité des dispositions relatives à l'impôt sur le revenu et à l'impôt des sociétés contenues dans les lois de finances, puisqu'elles s'appliquent naturellement à des bases représentatives des périodes passées. Seule la mise en place d'une imposition sur le revenu mensualisé à la source, qui n'est pas d'actualité, permettrait d'éviter la rétroactivité de l'impôt sur le revenu.

En outre, conformément à la jurisprudence du Conseil Constitutionnel, la rétroactivité fiscale est justifiée lorsqu'elle est motivée par des raisons d'intérêt général.

Par ailleurs, l'annonce d'allégements de certains prélèvements indirects peut provoquer des reports d'opérations susceptibles d'avoir des conséquences dommageables sur l'économie. Afin d'éviter ce risque, il est prévu d'autoriser la rétroactivité des mesures d'allégement en matière d'impôts indirects. Le législateur l'a, dans la passé, bien compris. C'est ainsi que la réduction de la Taxe à la Valeur Ajoutée pour les secteurs à forte intensité de main-d'œuvre avait fait l'objet d'une application rétroactive.

Enfin, les dispositions rétroactives intervenant en matière de procédure sont admises.

L'article 2 vise à interdire toute rétroactivité dans le cours d'une procédure litigieuse en cours. Cette disposition, en mettant un terme aux validations législatives, contribuera à la fois à réduire le sentiment d'injustice ressenti par les contribuables et à responsabiliser l'administration.

L'article 3 prévoit de permettre à une opération engagée sous un régime fiscal déterminé de se poursuivre sous ce régime, quelles que soient les modifications législatives introduites postérieurement. Cependant, le pouvoir du législateur de modifier la législation fiscale ne pouvant être restreint du seul fait de l'existence de droits nés sous le régime de la loi ancienne, cette disposition ne s'appliquerait qu'en cas de bouleversement de l'équilibre financier des contrats dont l'exécution s'étend sur plus d'un an et sur moins de quinze ans.

L'article 4 propose que, si le Parlement décide la mise en œuvre d'incitations fiscales pendant une certaine durée ou jusqu'à une certaine date, aucun texte législatif ultérieur ne puisse remettre en cause ce dispositif avant la date prévue initialement.

Le dernier article prévoit le renforcement de l'information du Parlement en exigeant que toute disposition à caractère rétroactif, susceptible d'être discutée à l'Assemblée Nationale ou au Sénat, soit accompagnée d'un exposé des motifs justifiant la rétroactivité de la mesure et évaluant ses conséquences financières.

Tel est l'objet de la présente proposition de loi organique.

PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE

Article 1er

Les dispositions législatives et réglementaires relatives à l'assiette et aux taux des impositions de toute nature ne s'appliquent que pour l'avenir.

Ont une portée rétroactive les dispositions qui s'appliquent en matière d'impôt direct à des périodes d'impositions déjà closes et en matière de droits d'enregistrement à des opérations déjà réalisées.

En matière de règles d'assiette, des dispositions peuvent, à titre exceptionnel, avoir une portée rétroactive lorsque l'intérêt général l'exige.

Les dispositions visant à diminuer l'assiette ou le taux d'impôts indirects peuvent s'appliquer rétroactivement.

Les dispositions en matière de règles de procédure d'imposition peuvent toujours avoir une portée rétroactive.

Article 2

Aucune disposition législative ou réglementaire rétroactive ne peut s'appliquer aux litiges en cours sauf lorsqu'elle est moins sévère que les dispositions anciennes.

Article 3

Les dispositions législatives et réglementaires modifiant l'assiette ou le taux d'une imposition de toute nature et qui bouleversent l'équilibre financier des contrats dont l'exécution s'étend sur plus d'une année et sur moins de quinze ans, ne s'appliquent pas aux contrats antérieurement conclus, lesquels se poursuivent sous le régime en vigueur à la date de ce contrat.

Article 4

Les dispositions législatives et réglementaires à caractère incitatif instituées pour une durée déterminée ou jusqu'à une date déterminée, ne peuvent ultérieurement être modifiées, sauf à les rendre plus favorables aux contribuables, avant le terme prévu.

Article 5

L'adoption de dispositions fiscales rétroactives dans les conditions prévues à l'article 1er doit être motivée par un exposé des motifs justifiant leur caractère rétroactif et par une évaluation des conséquences financières pour les contribuables. Ces dispositions doivent être assorties de mesures transitoires, d'accompagnement ou de compensation, lorsqu'elles ont pour effet d'empêcher l'exercice d'une activité professionnelle ou d'une liberté publique.

Composé et imprimé pour l'Assemblée nationale par JOUVE
11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS

Prix de vente : 0,75 €
ISBN : 2-11-118512-4
ISSN : 1240 - 8468

En vente au Kiosque de l'Assemblée nationale
4, rue Aristide Briand - 75007 Paris - Tél : 01 40 63 61 21

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N° 1787 - Proposition de loi organique visant à limiter le recours aux dispositions fiscales rétroactives (Alain Suguenot)


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