N° 2955 - Proposition de loi de Mme Valérie Pecresse visant à encourager et moraliser le recours aux stages par les entreprises




 

N° 2955

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 14 mars 2006.

PROPOSITION DE LOI

visant à encourager et moraliser
le recours aux
stages par les entreprises,

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles, familiales et sociales,
à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais
prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par Mme Valérie PECRESSE, MM. Jean-Claude ABRIOUX, René ANDRÉ, Mme Martine AURILLAC, MM. Patrick BEAUDOUIN, Jean-Claude BEAULIEU, Jean-Louis BERNARD, Marc BERNIER, Jérôme BIGNON, Émile BLESSIG, Mmes Chantal BOURRAGUÉ, Christine BOUTIN, MM. Loïc BOUVARD, Michel BOUVARD, Ghislain BRAY, Mmes Maryvonne BRIOT, Chantal BRUNEL, MM. Yves BUR, Roland CHASSAIN, Luc CHATEL, Dino CINIERI, Philippe COCHET, Mme Geneviève COLOT, MM. Alain CORTADE, Jean-Yves COUSIN, Yves COUSSAIN, Charles COVA, Marc-Philippe DAUBRESSE, Jean-Pierre DECOOL, Lucien DEGAUCHY, Francis DELATTRE, Patrick DELNATTE, Léonce DEPREZ, Michel DIEFENBACHER, Jean-Pierre DOOR, Dominique DORD, Philippe DUBOURG, Yannick FAVENNEC, Philippe FENEUIL, Daniel FIDELIN, André FLAJOLET, Marc FRANCINA, Mme Arlette FRANCO, MM. René GALY-DEJEAN, Jean de GAULLE, Jean-Pierre GIRAN, Claude GOASGUEN, Jean-Pierre GRAND, François GROSDIDIER, Louis GUÉDON, Jean-Claude GUIBAL, Jean-Jacques GUILLET, Gérard HAMEL, Joël HART, Michel HEINRICH, Pierre HELLIER, Michel HERBILLON, Sébastien HUYGHE, Denis JACQUAT, Édouard JACQUE, Marc JOULAUD, Didier JULIA, Christian KERT,
Mme Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET, MM. Patrick LABAUNE, Pierre LASBORDES, Thierry LAZARO, Mme Brigitte LE BRETHON, MM. Jean-Marc LEFRANC, Marc LE FUR, Dominique LE MÈNER, Jean-Pierre LE RIDANT, Mme Geneviève LEVY, MM. Lionnel LUCA, Daniel MACH, Richard MALLIÉ, Thierry MARIANI, Hervé MARITON, Mme Muriel MARLAND-MILITELLO, M. Alain MARSAUD, Mme Henriette MARTINEZ, MM. Patrice MARTIN-LALANDE, Jacques MASDEU-ARUS, Pascal MÉNAGE, Gérard MENUEL, Alain MERLY, Denis MERVILLE, Mme Nadine MORANO, MM. Pierre MOREL-A-L'HUISSIER, Jean-Marie MORISSET, Jacques MYARD, Jean-Marc NESME, Jean-Pierre NICOLAS, Jean-Marc NUDANT, Mme Bernadette PAÏX, MM. Jacques PÉLISSARD, Pierre-André PÉRISSOL, Bernard PERRUT, Christian PHILIP, Étienne PINTE, Axel PONIATOWSKI,
Mme Josette PONS, MM. Daniel POULOU, Daniel PRÉVOST, Jean PRORIOL, Didier QUENTIN, Éric RAOULT, Jean-François RÉGÈRE, Frédéric REISS, Jean-Luc REITZER, Jacques REMILLER, Dominique RICHARD, Jean-Marie ROLLAND, Jean-Marc ROUBAUD, Martial SADDIER, Francis SAINT-LÉGER, Daniel SPAGNOU, Mme Hélène TANGUY,
MM. Guy TEISSIER, Michel TERROT, Mme Irène THARIN, M. Dominique TIAN,
Mme Liliane VAGINAY, MM. Gérard VOISIN, Laurent WAUQUIEZ, Gérard WEBER et Éric WOERTH

Députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En France, le taux de chômage des jeunes atteint 23 % : c'est 6 points de plus que dans le reste de l'Europe. Ce taux grimpe même à 40 % pour les non qualifiés. Le diplôme n'est même plus une protection suffisante puisque 21 % des jeunes de niveau bac + 4 sont encore au chômage neuf mois après la sortie de leurs études. Ces statistiques en disent long sur les difficultés grandissantes qui guettent les jeunes au moment de leur entrée dans la vie professionnelle.

On connaît également l'engrenage dans lequel ils sont souvent placés avant de décrocher un emploi stable au sein d'une entreprise : celui de la succession des périodes de CDD et de contrats d'intérim avant l'accès à un contrat à durée indéterminée, qui sont autant de périodes d'incertitude et de précarité pour les jeunes.

Mais avec la persistance d'un chômage de masse, ce phénomène s'est encore accentué ces cinq dernières années, certaines entreprises substituant abusivement à de vrais contrats de travail un recours systématique à des stages. Ainsi est apparue une main d'œuvre hyperflexible qui occupe parfois, sans rémunération, de vrais postes de travail.

Ces « abus de stages » sont dénoncés, avec force, depuis plusieurs mois, par le collectif « Génération précaire » qui rassemble de jeunes diplômés « bradés », et condamnés, faute de mieux, faute d'emploi stable, à enchaîner les stages, souvent non indemnisés, au sein de certaines entreprises qui profitent de leurs compétences à bas prix.

Le stage est en effet devenu aujourd'hui le lot de dizaine de milliers de jeunes diplômés, victimes d'un marché du travail dans lequel il est de plus en plus difficile de pénétrer.

Or, le stage, dans sa philosophie initiale, ce n'est pas cela. Le stage, le vrai, est un élément essentiel d'un parcours de formation : il permet aux jeunes d'acquérir une première expérience professionnelle, de choisir, en connaissance de cause, leur futur domaine d'activité et de bénéficier d'un tremplin vers l'emploi. Il faut encourager son développement et lui reconnaître une place importante dans les parcours de formation.

Les dérives se multiplient et justifient désormais que la pratique des stages soit encadrée par un dispositif législatif propre, sans pour autant que ce dispositif ne vienne dissuader les entreprises de prendre des stagiaires en cours de formation. En effet, le code du travail ne contient, à l'exception des articles relatifs aux stagiaires de la formation professionnelle continue (Livre neuvième du code du travail) et des règles encadrant les stages effectués par des mineurs de moins de seize ans (article L. 211-1 du même code), aucune disposition spécifique relative au déroulement des stages en entreprises. Les conventions de stage ne sont, par exemple, pas obligatoires, le versement d'une gratification ou d'une indemnisation aux stagiaires n'est que facultatif.

Le Premier ministre a pris conscience de la situation puisqu'il a souhaité enrichir le projet de loi pour l'égalité des chances de plusieurs mesures visant à encadrer les stages en entreprise. Ce texte, qui a été adopté en première lecture, le 10 février 2006, par l'Assemblée nationale, prévoit quatre bonnes mesures : la réalisation d'une charte des stages pour définir les bonnes pratiques, la mise en place d'une indemnité obligatoire pour les stages de plus de trois mois, la reconnaissance de tous les stages longs comme un élément de cursus universitaire et la prise en compte des stages dans l'ancienneté professionnelle.

Mais ce n'est qu'un premier pas. Il faut aller encore plus loin et mettre en place un dispositif législatif complet qui réponde à un double objectif : encourager le « bon » stage - celui qui fait partie intégrante de la formation d'un étudiant et qui sert de porte d'entrée vers la vie professionnelle - mais aussi empêcher toutes les formes d'abus qui pénalisent les jeunes diplômés qui ont achevé leur cursus de formation et qui devraient se voir proposer par les entreprises un emploi stable.

La présente proposition poursuit donc ce double objectif d'encourager et de moraliser le recours aux stages.

Elle repose sur quatre principes :

- permettre le suivi des stages dans la transparence ;

- donner au stagiaire une rémunération équitable ;

- définir clairement les abus de stage ;

- inscrire le stage dans le parcours professionnel du jeune.

La présente proposition de loi vise donc à :

I. - Permettre le suivi des stages dans la transparence

Il s'agit ainsi de :

- généraliser l'obligation de la signature de conventions de stage, que ce dernier soit obligatoire ou non (11) dans le cursus de formation du stagiaire, et quel que soit l'âge du bénéficiaire. Cette obligation permettra de clarifier la situation du stagiaire et de son employeur en formalisant la présence du stagiaire dans l'entreprise, en définissant la nature du stage, en prévenant les difficultés qui pourraient surgir dans son exécution et en facilitant le contrôle de son bon déroulement.

- imposer aux entreprises la tenue d'un registre des stages du même type que le registre du personnel afin de recenser les jeunes stagiaires et de contrôler d'éventuels abus.

II. - Donner au stagiaire une rémunération équitable

Pour cela, il est proposé de :

- prévoir le versement d'une indemnisation pour les stages de longue durée fixée au minimum à la moitié du SMIC. L'entreprise qui accueille aujourd'hui un stagiaire n'est pas légalement tenue de lui verser une rémunération - celui-ci n'étant pas salarié de l'entreprise. Le versement d'une gratification ou d'une indemnisation n'est donc que facultatif. Pourtant, après avoir passé trois mois au sein d'une même entreprise, et avoir été pris en charge et formés par des personnes compétentes, les stagiaires sont susceptibles d'accomplir un travail réellement productif. Ce labeur mérite une indemnisation qu'il est proposé de fixer à au moins 50 % du SMIC.

- exonérer de charges sociales l'indemnisation des stages à hauteur de 50 % du SMIC, afin d'encourager le recours aux stagiaires et de permettre leur meilleure rémunération. Pour cela, il est prévu de s'appuyer sur la loi 2002-459 du 22 août 2002 qui propose déjà une prise en charge, par l'État, de l'ensemble des cotisations patronales pour favoriser l'insertion professionnelle des jeunes sans qualification dans les entreprises. Il est proposé d'étendre cet allègement de charges sociales aux rémunérations des stagiaires. Cette disposition est le corollaire de la précédente.

III. - Définir clairement la notion d'abus de stage

Il s'agit ainsi :

- d'interdire aux entreprises de prendre en stage, sur des emplois de l'entreprise, des jeunes qui ont achevé le cursus de formation nécessaire pour occuper ces fonctions et qu'elles pourraient embaucher sous un véritable contrat. Cette pratique est en effet courante. Les entreprises incitent ainsi les jeunes à reprendre des inscriptions fictives dans des cycles universitaires afin de pouvoir bénéficier des exonérations de charges sociales afférentes aux stages. Le stagiaire est donc un sous-salarié, peu ou parfois même pas rémunéré pour occuper un véritable emploi dans l'entreprise. Il s'agit d'un abus de stage que reconnaît la jurisprudence, mais qui devrait, à des fins pédagogiques, être clairement posé par la loi.

Pour cela il est proposé de se référer aux critères d'appréciation actuellement retenus par le juge lorsqu'il est saisi de la question de la requalification d'un contrat de stage en contrat de travail. Le juge opère cette requalification s'il constate l'absence de formation assurée par l'entreprise et l'affectation exclusive du stagiaire aux tâches normales d'un emploi.

IV. - Inscrire le stage dans le parcours professionnel du jeune

Ainsi, il est proposé :

- d'imputer sur la période de consolidation des droits de tout contrat nouvelle embauche les stages effectués dans l'entreprise. La période où le salarié peut être licencié sans motif doit en effet être réduite de la durée des périodes de stage dans l'entreprise qui permettent à l'employeur d'apprécier la valeur du salarié.

Tels sont les motifs pour lesquels il vous est demandé de bien vouloir adopter les dispositions suivantes :

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Après le titre VIII du livre VII du code du travail, il est inséré un titre VIII bis ainsi rédigé :

« Titre viii bis

« Dispositions relatives aux stagiaires

« Art. L. 78-1-1. - Sans préjudice des dispositions de l'article L. 211-1, les stages effectués en milieu professionnel qui ne relèvent pas de la formation professionnelle continue doivent obligatoirement faire l'objet d'une convention de stage. Les modalités de conclusion de cette convention ainsi que son contenu sont déterminés par décret.

« Art. L. 78-1-2. - Les stages d'une durée de plus de trois mois donnent lieu au versement d'une indemnité mensuelle au moins égale à 50 % du salaire minimum de croissance.

« Cette indemnité n'a pas le caractère d'un salaire au sens de l'article L. 140-2.

« Cette disposition s'applique également en cas de renouvellement d'un stage au-delà de la durée de trois mois.

« Art. L. 78-1-3. - Constitue un abus de stage, le recours à un stagiaire pour assurer les tâches normales d'un emploi de l'entreprise, dès lors que ledit stagiaire a achevé le cursus de formation nécessaire pour être embauché pour occuper ce type d'emploi. »

Article 2

Après l'article L. 322-4-6 du code du travail, il est inséré un article L. 322-4-6 bis ainsi rédigé :

« Art. L. 322-4-6 bis. - Le soutien mentionné à article L. 322-4-6 est également applicable aux cotisations et contributions sociales patronales obligatoires de toute nature dues pour l'emploi de personnes qui effectuent des stages n'entrant pas dans le cadre de la formation permanente.

« Les modalités d'application du présent article peuvent être précisées par décret. »

Article 3

Après l'article L. 620-3 du code du travail, il est inséré un article L. 620-3-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 620-3-1. - Un registre des stagiaires est obligatoirement annexé au registre du personnel prévu par l'article L. 620-3 du code du travail. Les indications devant figurer sur ce registre sont fixées par voie réglementaire. »

Article 4

Après le deuxième alinéa de l'article 2 de l'ordonnance n° 2005-893 du 2 août 2005 relative au contrat de travail nouvelles embauches, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« La durée des contrats de travail, précédemment conclus par le salarié avec l'entreprise ainsi que la durée des missions de travail temporaire effectuées par le salarié au sein de l'entreprise dans les deux années précédant la signature d'un contrat dénommé "contrat nouvelle embauche", de même que la durée des stages réalisés au sein de l'entreprise sont prises en compte dans le calcul de la période prévue à l'alinéa précédent ».

Article 5

Les charges éventuelles qui résulteraient pour l'État de l'application de la présente loi sont compensées à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux tarifs visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

Composé et imprimé pour l'Assemblée nationale par JOUVE
11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS

Prix de vente : 0,75 €
ISBN : 2-11-121024-2
ISSN : 1240 - 8468

En vente à la Boutique de l'Assemblée nationale
4, rue Aristide Briand - 75007 Paris - Tél : 01 40 63 61 21

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N° 2955 - Proposition de loi visant à encourager et moraliser le recours aux stages par les entreprises (Mme Valérie Pecresse)

1 () Sont considérés comme obligatoires les stages prévus par le règlement de l'établissement d'enseignement et inscrits dans la scolarité, notamment ceux nécessaires à l'obtention du diplôme ; sont a contrario réputés non obligatoires les stages non intégrés dans une scolarité, effectués après l'obtention du diplôme ou de façon volontaire par l'élève ou l'étudiant.


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