N° 3260 - Proposition de loi de Mme Christiane Taubira visant à appliquer le principe de continuité territoriale à l'intérieur du territoire guyanais




 

N° 3260

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 6 juillet 2006.

PROPOSITION DE LOI

visant à appliquer le principe de continuité territoriale
à l'intérieur du
territoire guyanais,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration
générale de la République, à défaut de constitution d'une commission spéciale dans les délais
prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

par Mme Christiane TAUBIRA

Députée.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le principe de la continuité territoriale relève de l'égalité des citoyens devant la liberté de déplacement. À ce titre, il s'agit d'un attribut de citoyenneté. L'enclavement du territoire guyanais rend onéreuse la circulation des résidents des communes de l'Intérieur, en même temps qu'elle limite l'accès à l'arrière-pays pour les résidents des villes et communes du Littoral. Les citoyens ne sauraient assumer la rupture d'égalité que provoque cet état de fait. Toute personne doit pouvoir, sans frais exorbitants, se rendre auprès des administrations, atteindre les organismes de formation, les lieux de décision et tout autre service. La libre circulation sur l'ensemble du territoire est une condition de cohésion sociale par le sentiment d'appartenance. Elle doit être assurée aussi bien pour les Amérindiens, les Bushinengues et les Créoles ruraux vers le Littoral que pour les habitants du Littoral vers l'Hinterland.

Or, la Guyane présente la particularité d'une densité démographique profondément inégale mais surtout ternaire. En effet, pour une densité statistique de 0,5 soit une moyenne de cinq habitants au kilomètre carré, elle connaît en réalité une surdensité urbaine sur le Littoral, une grande répartition de petits groupes de population à l'intérieur dans des villages dispersés cumulant une forte densité le long du fleuve Maroni, et une en progression le long du fleuve Oyapock.

Ainsi, alors que 90 % de la population se trouvent regroupés sur le Littoral, 90 % de la superficie du territoire et l'essentiel des ressources naturelles (hors pétrole offshore) sont hors de portée économique. Cette inaccessibilité relative facilite le pillage des ressources, les trafics en tous genres et l'insécurité des personnes. Des milliers d'orpailleurs clandestins « aménagent » le territoire, constituent des villages hors de tout contrôle où prospèrent souvent la prostitution, le trafic de médicaments contre le paludisme, divers commerces interlopes (transactions d'or, de carburant...), une forte criminalité, des pratiques dramatiquement préjudiciables à la santé publique (rejet du mercure dans les criques), etc.

L'enclavement du territoire qui limite fortement l'implantation d'activités légales et facilite la propagation d'activités illégales ou clandestines résulte à la fois d'un processus historique ponctué par des dispositions législatives et réglementaires (Décret-loi sur l'Inini de 1930 ; abrogation de 1969 ; arrêté préfectoral sur la ligne Waki-Camopi de 1970) et de l'absence de plan d'aménagement portant sur des infrastructures de pénétration et des équipements collectifs structurants.

L'accès aux zones intérieures est donc à la fois un enjeu de développement et un enjeu de souveraineté. Il revient aux Pouvoirs publics de veiller à l'égalité des citoyens. Le plein exercice du droit de circuler suppose des conditions matérielles et logistiques. Le territoire étant, depuis les ordonnances royales de 1825 (confirmées par les décrets de 1898, 1908, 1932 et 1948) propriété de l'État, en domaine public ou privé, sa surveillance incombe aux organismes (ONF...) et institutions (Forces armées...) habilités. Son aménagement relève à la fois de la responsabilité de l'État et de la compétence du Conseil Régional.

Forcées par la nécessité et la pression des résidents notamment des communes de l'Intérieur, les collectivités départementale et régionale de la Guyane ont été conduites à mettre en œuvre des dispositifs de desserte aérienne en équivalent service public.

Le conseil général a pris en charge jusqu'en 1997, le coût d'un dispositif dit de compensation tarifaire conclu avec la compagnie Air Guyane qui permettait aux résidents de bénéficier d'une réduction significative sur les tarifs passagers et frets pour les dessertes entre Cayenne et Saint Georges, Cayenne et Saül, Cayenne et Maripasoula. Les dotations budgétaires affectées à ce dispositif s'élevaient en année pleine à 3,5 millions de francs.

Mettant à profit la création du FPTA (Fonds de Péréquation pour les Transports Aériens), le Conseil Régional et le Conseil Général ont conclu un accord institutionnel pour la mise en place d'un dispositif de Délégation de Service Public. Ce dispositif, encadré par des OSP fixés par l'État et exécuté par la société de transport intérieur AIR GUYANE (devenue AIR GUYANE SP) a permis une amélioration incontestable de l'exploitation aérienne de la desserte des communes susmentionnées. Il a dix ans d'âge. Pour autant, il n'a pas induit une amélioration notable des infrastructures au sol. Le nombre de personnes transportées est ainsi passé de 20 000 à 50 000 passagers. Il s'est mis à décroître pour atteindre environ 27 000 passagers dès que l'ouverture de la route reliant la ville de Cayenne aux communes de Régina et Saint Georges a offert une option terrestre à la circulation.

Les liaisons de service public représentent aujourd'hui près de 6 millions d'euros de charges d'exploitation, co-financées a hauteur de 4,2 millions d'euros par l'État (1,9 m€) et par la Région (3,3 M€).

La loi n° 2002-92 du 22 janvier 2002 portant mesures particulières en faveur de la Corse a défini le cadre juridique dans lequel diverses dispositions compensatoires à la discontinuité géographique doivent permettre l'application réelle du principe de continuité territoriale. L'Union Européenne a par ailleurs, dans sa Directive relative au Développement Durable et au Transport, prévu des possibilités d'intervention des États membres en faveur du transport lorsque celui-ci s'avère une condition déterminante du développement. L'article 60 de la loi n° 2003-660 du 13 juillet 2003 dite Loi de Programmation pour l'Outre-Mer, a instauré une dotation de continuité territoriale indexée sur la Dotation Globale de Fonctionnement, afin de « faciliter les déplacements des résidents des collectivités d'outre-mer entre celles-ci et le territoire métropolitain ». C'est sans préjudice de ce dispositif que la présente proposition de loi établit une aide à la circulation à l'intérieur du territoire guyanais.

Cette proposition de loi vise à engager une action publique à effets durables et viables, par un partenariat entre l'État et les collectivités territoriales. Elle contient des dispositions d'application immédiate dans le cadre des délégations de service public permettant de stabiliser les interventions de l'État et de la Région, notamment sur les tarifs, les fréquences et les capacités. C'est l'objet du premier alinéa. Considérant cependant que des solutions pérennes sont indispensables, il est également prévu dans ce texte que des liaisons multimodales puissent être assurées en permettant le choix entre les voies terrestres, aériennes, maritimes et fluviales. C'est l'objet de l'alinéa deux. La question du transport scolaire d'enfants par voie fluviale le long du Maroni et de l'Oyapock doit également trouver un mode de règlement conforme au Droit et respectueux de la sécurité des passagers. De même que la circulation de passagers et de marchandises entre les communes du Littoral doit être fluidifiée et diversifiée. Les autres alinéas précisent les conditions institutionnelles et financières d'application de ces objectifs par l'État et les Collectivités habilitées.

La proposition de loi vise à sortir de l'essoufflement du dispositif tarifaire actuellement en cours sous la responsabilité du Conseil régional, et se fixe pour objectif non pas simplement d'atténuer les effets du désenclavement mais d'engager le désenclavement réel du territoire.

Ce sujet est d'une interférence récurrente dans les débats relatifs au Budget de l'Outre-Mer, au Transport, à l'Éducation et aux dispositions diverses concernant l'Outre-mer. Le Gouvernement ayant déposé au Sénat en mai dernier un projet de loi organique relatif à l'Outre-Mer, les débats programmés pour la rentrée parlementaire offriront l'opportunité de fixer les conditions d'application de ce principe de la continuité territoriale.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Après le titre V de la loi n° 2003-660 du 21 juillet 2003 de programme pour l'outre-mer, il est inséré un titre V bis ainsi rédigé :

« TITRE V BIS

« DISPOSITIONS PARTICULIÈRES
RELATIVES À LA CONTINUITÉ TERRITORIALE
POUR LA DESSERTE INTÉRIEURE DE LA GUYANE

« Art. 60 bis. - La desserte intérieure de la Guyane doit satisfaire au principe de continuité territoriale. Elle vise à atténuer les contraintes liées à l'enclavement. Elle concourt à une meilleure circulation des personnes, des marchandises et autres biens sur l'ensemble du territoire guyanais. Elle contribue à une occupation continue et équilibrée de l'ensemble du territoire.

« La desserte intérieure de la Guyane tend à faciliter les échanges humains et économiques. Elle contribue au développement et à l'aménagement du territoire par un accès aux ressources naturelles et aux zones de potentiel économique en maintenant l'attractivité des zones éloignées grâce à un réseau multimodal de liaisons terrestres, aériennes, maritimes et fluviales. Ces liaisons doivent être assurées dans des conditions d'accès, de qualité, de régularité et de prix comparables à la moyenne de l'ensemble du territoire de la République.

« Des obligations de service public sont imposées sur certaines liaisons internes aériennes, fluviales et maritimes pour garantir l'application du principe de continuité territoriale, conformément aux objectifs définis aux premier et deuxième alinéas. Ces obligations obéissent aux nécessités de fournir, dans le cadre adapté à ces modes de transport, des services passagers ou fret suffisants en termes de régularité, de fréquence, de qualité, de tarif et de capacité pour alléger selon le premier alinéa et supprimer selon le deuxième alinéa les contraintes liées à l'enclavement. Elles doivent servir le développement économique en permettant de meilleures conditions de circulation et d'échanges.

« Lorsque l'État et le conseil régional ou toute autre collectivité habilitée décident de soumettre des liaisons intérieures de desserte aérienne, fluviale ou maritime à des obligations de service public, ils peuvent, dans le respect des procédures de publicité applicables, désigner pour l'exploitation de ces liaisons des personnes morales de droit public, mixte ou privé titulaires d'une licence d'exploitation ad hoc délivrée par un État membre de l'Union européenne ou partie à l'Espace Économique Européen.

« Art. 60 ter. - Un programme exceptionnel d'investissement d'une durée de dix ans associant en partenariat l'État et les collectivités départementale et régionale permettra à la Guyane de surmonter ses handicaps structurels liés à l'étendue du territoire, à son relief, à l'enclavement de zones importantes et à son éloignement, ainsi que de faire face aux besoins d'équipements et de services collectifs.

« Les modalités de mise en œuvre du programme exceptionnel d'investissement font l'objet d'une convention conclue entre l'État, la région et le département de la Guyane. La contribution de l'État au coût total du programme est plafonnée au regard des critères communautaires permanents ou des éventuelles dérogations obtenues.

« Une convention-cadre portnt sur la totalité de la durée du programme et une première convention d'application seront signées entre l'État et les maîtres d'ouvrage publics concernés dans un délai de trois mois à compter de la publication de la présente loi.

« Un compte rendu biennal d'exécution de ce programme d'investissement sera présenté au Parlement.

« Le programme exceptionnel d'investissements est établi en coordination avec les objectifs du contrat de projets État-Région et ceux de la programmation des fonds structurels européens. »

Article 2

I. - Les charges éventuelles qui résulteraient pour les collectivités territoriales de l'application des dispositions du présent article sont compensées à due concurrence par une augmentation de la dotation globale de fonctionnement et de la dotation générale de décentralisation. La contribution du conseil régional de Guyane peut également être imputée à la dotation instituée par l'article 60 de la loi n° 2003-660 du 21 juillet 2003 de programme pour l'outre-mer.

II. - Les charges éventuelles qui résulteraient pour l'État de l'application des dispositions
du présent article sont compensées à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle
aux tarifs visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

Composé et imprimé pour l'Assemblée nationale par JOUVE
11, bd de Sébastopol, 75001 PARIS

Prix de vente : 0,75 €
ISBN : 2-11-121393-4
ISSN : 1240 - 8468

En vente à la Boutique de l'Assemblée nationale
4, rue Aristide Briand - 75007 Paris - Tél : 01 40 63 61 21

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N° 3260 - Proposition de loi visant à appliquer le principe de continuité territoriale à l'intérieur du territoire guyanais (Mme Christiane Taubira)


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