N° 0459 - Rapport d'information sur la sécurité intérieure (Mme Marie-Jo Zimmermann)




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N° 459

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 5 décembre 2002.

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

AU NOM DE LA DÉLÉGATION AUX DROITS DES FEMMES ET A L'ÉGALITÉ DES CHANCES ENTRE LES HOMMES ET LES FEMMES (1) SUR LE PROJET DE LOI ADOPTÉ PAR LE SÉNAT APRÈS DÉCLARATION D'URGENCE (n° 381), pour la sécurité intérieure.

PAR Mme Marie-Jo ZIMMERMANN
Députée.

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Rapport - Annexe : Auditions

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(1) La composition de cette Délégation figure ci-dessous.

Ordre public.

La Délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes est composée de : Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente ; Mme Anne-Marie Comparini, M. Edouard Courtial, Mmes Geneviève Levy, Hélène Mignon, vice-présidents ; Mmes Brigitte Bareges, Muguette Jacquaint, secrétaires ; Mme Patricia Adam, M. Pierre-Christophe Baguet, Mmes Chantal Bourragué, Danielle Bousquet, M. Philippe Briand, Mmes Chantal Brunel, Martine Carrillon-Couvreur, M. Richard Cazenave, Mme Marie-Françoise Clergeau, M. Patrick Delnatte, Mmes Catherine Génisson, Claude Greff, Arlette Grosskost, M. Laurent Hénart, Mmes Conchita Lacuey, Marguerite Lamour, Martine Lignières-Cassou, Françoise de Panafieu, Béatrice Pavy, Valérie Pecresse, Bérengère Poletti, Josette Pons, Marcelle Ramonet, MM. Jacques Remiller, Bernard Roman, Jean-Marc Roubaud, Martial Saddier, Mmes Michèle Tabarot, Béatrice Vernaudon.

INTRODUCTION 5

I - UNE PRIORITÉ ABSOLUE : LA LUTTE CONTRE LE PROXÉNÉTISME 7

A. LA DIMENSION INTERNATIONALE DU PROXÉNÉTISME 7

1. L'internationalisation de la prostitution n'épargne pas la France. 7

2. Une répression accrue, mais insuffisante 10

B. LA CRÉATION D'UNE INCRIMINATION SPÉCIFIQUE DE TRAITE DES ÊTRES HUMAINS 10

1. Répondre aux engagements internationaux 10

2. Mieux lutter contre les réseaux internationaux 11

II - LA RÉPRESSION AGGRAVÉE DU RACOLAGE 14

A. LA NOTION DE RACOLAGE DANS LE NOUVEAU CODE PÉNAL 14

1. Une évolution vers moins de sévérité. 14

2. Son application 15

B. UNE RÉPRESSION AGGRAVÉE DU RACOLAGE 17

1. Les objectifs 17

2. Un risque d'insécurité pour les personnes prostituées 17

III - POUR UNE PROTECTION DES VICTIMES DE LA PROSTITUTION ET UNE MEILLEURE APPROCHE SOCIALE 19

A. UNE PROTECTION DES PERSONNES PROSTITUÉES S'IMPOSE QUANT À LEURS CONDITIONS DE SÉJOUR. 19

1. La délivrance d'un titre de séjour 19

2. Mieux assurer la sécurité des personnes prostituées qui veulent échapper aux réseaux 21

B. UNE MEILLEURE APPROCHE SOCIALE 22

1. Le rôle des associations 22

2. Un réengagement de l'Etat 24

IV - LA DEMANDE DE SERVICES SEXUELS : LE PROBLÈME DU CLIENT ET LA NÉCESSITÉ D'UNE POLITIQUE D'INFORMATION SUR LA PROSTITUTION 26

A. LE PROBLÈME DU CLIENT 26

1. La situation actuelle du client 26

2. Une pénalisation accrue du client dans le projet de loi 27

B. QUELLE ATTITUDE ADOPTER VIS-À-VIS DU CLIENT ? 28

TRAVAUX DE LA DÉL&Ea (fichier distinct)

MESDAMES, MESSIEURS,

En 2000, la Délégation aux droits des femmes du Sénat (1) avait décidé de faire de la prostitution son premier thème d'étude, estimant qu'elle "touche directement au rapport hommes/femmes dans nos sociétés, au problème de l'égalité ou plutôt de l'inégalité des sexes. Certes les femmes ne sont pas les seules à se prostituer et les hommes entrent même de plus en plus nombreux dans la prostitution. Mais, les femmes y restent largement majoritaires, tandis que clients, proxénètes et trafiquants appartiennent à l'univers masculin dans une écrasante proportion."

A l'Assemblée nationale, sous la précédente législature, Mme Christine Lazerges (2), à l'issue de la mission d'information commune élargissant le problème de la prostitution à celui de l'esclavage et de la traite des êtres humains, a déposé une proposition de loi, renforçant la lutte contre les différentes formes de l'esclavage aujourd'hui. Ce texte a été adopté à l'unanimité par l'Assemblée nationale le 24 janvier 2002.

D'autres initiatives parlementaires (propositions de loi ou questions, notamment celles de MM. Pierre-Christophe Baguet, Patrick Beaudouin, Claude Goasguen, Michel Herbillon et de Mme Françoise de Panafieu) ont également contribué au débat et attiré l'attention des pouvoirs publics.

La France a ratifié en 1960 la convention de l'ONU de 1949 pour la répression de la traite des êtres humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui, dont il convient de rappeler les principes.

"La traite des êtres humains en vue de la prostitution est incompatible avec la dignité et la valeur de la personne humaine." La convention ne juge ni ne pénalise les victimes de la traite et de la prostitution. Les femmes dans la prostitution ne sont pas considérées comme des criminelles qu'il faudrait poursuivre ou punir, mais comme des victimes qu'il faut protéger. La convention prône la répression de celui qui "embauche, entraîne ou détourne" autrui pour la prostitution, même si la personne est consentante.

La convention pour l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'encontre des femmes (CEDAW), signée en 1979 et ratifiée également par la France, s'inscrit dans la même ligne.

Elargissant les moyens d'action des pays, la convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée a été signée à Palerme en décembre 2000. Son protocole additionnel sur la traite des personnes vise à prévenir, réprimer et punir la traite des êtres humains et notamment la prostitution transnationale. La mondialisation de l'économie, de l'information et de la technologie fait, en effet, de la traite une industrie qui ignore les frontières. La loi autorisant la ratification du texte a été adoptée le 6 août dernier.

Enfin, la convention-cadre de l'Union européenne relative à la lutte contre la face="Arial" size="2">C'est cette politique globale que la Délégation aux droits des femmes souhaiterait voir l'Etat engager, au-delà des mesures dissuasives. Il faut en effet prendre en compte l'accompagnement judiciaire et social des personnes prostituées, par les mesures de protection du témoin et de mise en place d'hébergements sécurisés et des mesures de réinsertion permettant aux personnes de sortir de la prostitution, lorsqu'elles l'ont décidé. Le travail accompli par les associations avec un grand dévouement doit être mieux reconnu et soutenu par l'Etat.

I - UNE PRIORITÉ ABSOLUE : LA LUTTE CONTRE LE PROXÉNÉTISME

L'unanimité s'est faite sur la priorité absolue de la lutte à conduire contre le proxénétisme. La création dans le code pénal d'une nouvelle incrimination de la traite des êtres humains, ainsi que les mesures d'éloignement de l'étranger coupable de faits de proxénétisme apporteront des moyens juridiques pour mieux combattre l'internationalisation du phénomène.

A. LA DIMENSION INTERNATIONALE DU PROXÉNÉTISME

1. L'internationalisation de la prostitution n'épargne pas la France.

_ Mme Claudine Legardinier, journaliste, entendue par la Délégation, dans le cadre du travail qu'elle mène avec le Mouvement du Nid, met en lumière dans son ouvrage sur "Les trafics du sexe" (3) la mondialisation de la prostitution, phénomène de plus en plus incontrôlable. "Le trafic constitue la plus traditionnelle des formes d'approvisionnement du système prostitutionnel. L'ONU avance le chiffre de 500 000 personnes trafiquées vers l'Europe, l'Asie et l'Amérique chaque année. Parmi elles, 95 % sont des femmes et des enfants. Les routes de la traite des femmes se confondent avec celles des mouvements migratoires. Elles sont largement contrôlées par les mafias... 50 000 femmes originaires de Russie et des pays de la CEI partent chaque année travailler à l'étranger et se retrouvent dans des réseaux de prostitution, selon l'ONU et Interpol".

En France, les réseaux étrangers se partagent désormais le trottoir de nos villes. Selon les chiffres donnés par l'Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH), 15 000 prostituées environ en 2000 opéraient en France, dont 7 000 à Paris. La part des étrangères est en augmentation constante. Elles représentent 69,45 % du total des victimes en 2001, selon le dernier rapport de l'Office.

M. Daniel Rigourd, commissaire divisionnaire, chef de la brigade de répression du proxénétisme, a décrit devant la Délégation la diminution de la prostitution franco-française ou francophone à partir de 1997 (2000 prostituées rue Saint-Denis, il y a dix ans ; 350 actuellement) avec l'arrivée de jeunes filles de l'Est - Polonaises, Russes, Lituaniennes - ou des Balkans, et à partir de 2000, des Africaines.

Les femmes originaires des pays d'Europe de l'Est et des Balkans représentent 70 % des étrangères et les femmes africaines, 22 %. A Paris, les étrangères représentent 70 % des prostituées en 2001. Elles étaient 60 % en 2000, contre 50 % en 1999 et 30 % en 1998. Dans certaines villes frontalières, la proportion d'étrangères atteint des proportions considérables : 89 % à Strasbourg, 86 % à Nice, dont une grande majorité de femmes originaires des pays d'Europe de l'Est et des Balkans.

Une difficulté apparue récemment tient au fait que les chefs de réseaux ne sont pas là où l'infraction se commet, mais dans leur pays d'origine ou dans un pays voisin, dont la législation est différente. C'est ainsi que M. Francis Jaecki, directeur général délégué à la sécurité et à la prévention à la mairie de Strasbourg, entendu par la Délégation, a témoigné du fait que la prostitution à Strasbourg, est "pilotée" par des proxénètes depuis l'Allemagne. Les réseaux prennent appui sur de petits proxénètes locaux ou d'autres prostituées plus âgées, qui servent de relais entre proxénétisme international et local.

_ Les profits générés par ces activités sont considérables. Les Nations Unies évaluent à sept milliards de dollars les profits réalisés chaque année en moyenne par le trafic des êtres humains.

Interpol considère pour sa part que le revenu moyen d'un proxénète en Europe provenant d'une seule prostituée peut être chiffré à 110 000 euros par an. Selon M. Daniel Rigourd, la prostitution génère entre 60 et 80 000 francs de gain par mois, c'est-à-dire 3 000 à 4 000 francs par soirée pour une jeune femme, sachant que les filles de l'Est ne gardent qu'à peine 10 % pour elles.

Une analyse des flux financiers, à partir des mandats postaux expédiés vers la Moldavie et l'Albanie, par la Western Union, montre que le montant des transferts a augmenté en 2001, respectivement de 306 % et de 176 %. Bien que l'ensemble de ces transferts ne corresponde pas en totalité à une activité criminelle, la majeure partie de ces sommes trouve son origine dans divers trafics : stupéfiants, véhicules volés, êtres humains, commerce des armes. En ce qui concerne la Moldavie, on estime que 80 % des envois postaux sont le fruit de l'activité prostitutionnelle.

L'ampleur de ces flux issus de la traite des êtres humains en fait une des principales sources de profit du crime organisé, après le trafic des stupéfiants.

_ Une attention particulière doit être apportée à la lutte contre les réseaux albanais : on assiste à la montée en puissance, depuis quelques années de la mafia albanaise, dont la criminalité a atteint un haut degré d'organisation et de sophistication, selon M. Xavier Raufer, professeur à l'Institut de criminologie de l'Université de Paris II, entendu par la Délégation.

Ces réseaux sont basés sur une activité polycriminelle : trafic de stupéfiants, de migrants illégaux, d'armes, de véhicules volés, de cigarettes et d'alcool de contrebande. Ils pratiquent le proxénétisme et le cambriolage à grande échelle, des enlèvements contre rançons, des assassinats sur contrats, la falsification de documents officiels, le blanchiment...

Une des spécialités de la criminalité albanaise est le trafic d'êtres humains, en particulier la prostitution, à partir de jeunes files enlevées ou achetées à leurs parents, transportées à travers l'Italie, "formées" dans des centres spécialisés, puis vendues pour aller travailler à Paris, Londres ou Hambourg. La cruauté des mafieux albanais est sans limites : violences, tabassages, représailles sur les familles, meurtres.

Dirigés à partir d'un fief dans le pays d'origine, les réseaux, s'appuyant sur une vaste diaspora, étendent leurs tentacules sur toute l'Europe, la France, après l'Italie et la Belgique, étant un nouvel ancrage géographique de leurs activités.

2. Une répression accrue, mais insuffisante

L'OCRTEH donne, pour l'année 2001, une liste des affaires marquantes concernant les réseaux internationaux liés à la criminalité organisée qui nécessitent les investigations les plus longues et les plus difficiles : huit réseaux originaires des pays d'Europe de l'Est et des Balkans, cinq filières africaines, deux filières asiatiques et neuf autres types de réseaux ("call-girls", filières utilisant internet, prostitution masculine, prostitution dans des établissements de nuit).

Un effort accru dans la répression a été conduit depuis le début de l'année 2002. Ainsi, Mme Françoise de Panafieu, lors de son audition par la Délégation, a fait état du démantèlement de treize réseaux mafieux depuis le mois de janvier, principalement roumains, dont dépendaient quarante victimes, certains abusant de mineurs et l'un de femmes sourdes-muettes !

Cependant, l'insuffisance des moyens en personnel des différents services - l'OCRTEH, comme la police judiciaire - a été soulignée par les interlocuteurs de la Délégation. Un doublement des effectifs de police spécialisés dans la lutte contre les réseaux a été annoncé par le ministre de l'Intérieur, lors du débat été signataire à Palerme en décembre 2000 du protocole additionnel à la convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée (CTO), visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants. Il apporte une définition des actes qui concourent à la traite et demande aux Etats Parties d'adopter les mesures législatives nécessaires pour conférer à ces actes le caractère d'infraction pénale.

Le protocole, comme l'a fait remarquer, Mme Françoise de Panafieu, lors de son audition, n'a été ratifié que par vingt-six pays, alors que ce texte doit l'être par quarante pays avant de devenir un instrument de droit international. Il serait nécessaire que tous les pays de l'Union européenne le ratifient et que les pays candidats à l'Union européenne - dont certains sont concernés par la traite des personnes - s'engagent à le faire.

Par ailleurs, le Conseil de l'Union européenne a adopté, le 19 juillet 2002, une décision-cadre relative à la lutte contre la traite des êtres humains, qui reprend des dispositions analogues. Les Etats membres devront transposer dans leur droit national les obligations prescrites avant le 1er août 2004.

Il était donc nécessaire que la France, sans tarder, intègre dans son droit cette nouvelle infraction de traite des personnes ainsi que la définition des peines qui la sanctionnent.

2. Mieux lutter contre les réseaux internationaux

Selon M. Xavier Raufer, l'insertion d'instruments juridiques spécifiques dans le droit positif devrait permettre d'améliorer les moyens de lutte contre les réseaux, ainsi :

- l'incrimination de la traite des êtres humains ;

- la confiscation des biens des personnes coupables de traite des êtres humains ou de proxénétisme ;

- le renversement de la charge de la preuve concernant l'origine des revenus des personnes incriminées.

_ S'agissant de l'inversion de la charge de la preuve, elle est d'ores et déjà prévue au 3°) de l'article 225-6 du code pénal. Il appartient à la personne de justifier des ressources correspondant à son train de vie, lorsqu'elle vit avec une prostituée, ou lorsqu'elle est en relations habituelles avec une ou plusieurs personnes se livrant à la prostitution. Cette disposition, prévue également en matière de lutte contre le trafic de stupéfiants (article 222-39-1 du code pénal), contraint la personne mise en cause, et non l'accusation, à justifier l'origine de ses revenus.

_ S'agissant des dispositions sur l'incrimination de la traite et la confiscation des biens, le Sénat a proposé de les introduire dans le code pénal.

Le code pénal qui réprime sévèrement le proxénétisme dans le cadre des atteintes à la dignité de la personne (art. 225-5 à 225-12), ne permet pas actuellement d'incriminer certaines activités du proxénétisme intern de la transporter, de la transférer, de l'héberger ou de l'accueillir, pour la mettre à la disposition d'un tiers, même non identifié, afin, soit de permettre la commission contre cette personne, que celle-ci soit consentante ou non, des infractions de proxénétisme, d'agression ou d'atteinte sexuelles, de conditions de travail ou d'hébergement contraires à sa dignité, soit de contraindre cette personne à commettre tout crime ou délit.

"La traite des êtres humains est punie de sept ans d'emprisonnement et de 150 000 € d'amende."

- Une amélioration a été apportée par le Sénat, à l'initiative du Gouvernement, dans la rédaction de ce nouvel article 225-4-1, en précisant que l'incrimination a lieu, que la personne soit consentante ou non. Cette disposition met le texte en conformité avec le protocole additionnel à la convention des Nations Unies contre la CTO, prévoyant dans son article 3 que le consentement d'une victime de la traite des personnes aux fins d'exploitation est indifférent.

- Les pénalités sont accrues en cas de circonstances aggravantes, en particulier lorsqu'elles sont commises avec l'emploi de contraintes, de violences ou de manoeuvres dolosives, visant l'intéressé ou sa famille.

Cette précision adoptée par le Sénat n'est pas inutile, lorsque l'on sait les méthodes barbares des proxénètes - menaces, représailles, souvent mises à exécution -, comme l'a relaté M. Pierre-Christophe Baguet, député des Hauts-de-Seine, lors de son audition.

- Les peines correctionnelles prévues par les articles 225-4-1 et 225-4-2 deviennent des peines criminelles lorsque l'infraction est commise en bande organisée (vingt ans de réclusion criminelle et 3 000 000 € d'amende) et lorsqu'elle est commise en recourant à des tortures ou à des actes de barbarie (réclusion criminelle à perpétuité et 4 500 000 € d'amende).

- L'article 225-25 nouveau, adopté par le Sénat, crée une peine complémentaire de confiscation des biens des personnes physiques et morales reconnues coupables de crimes ou délits de traite des êtres humains et de proxénétisme, qui renforcera l'efficacité de l'action répressive.

Cette confiscation des biens, quelle qu'en soit la nature, meubles ou immeubles, divis ou indivis, reprend des dispositions analogues applicables en matière de trafic de stupéfiants. Elle est complétée par la saisie conservatoire des biens des personnes mises en examen en matière de proxénétisme (article 706-36-1 nouveau du code de procédure pénale).

_ D'autres dispositions du projet de loi concernant les titres de séjour permettront plus facilement aux autorités administratives de prendre des mesures d'éloignement vis-à-vis d'étrangers dont l'attitude porte atteinte à l'ordre public, sans pour autant justifier le prononcé d'une mesure d'expulsion.

Il s'agit selon l'exposé des motifs "de donner à l'autorité de police les moyens juridiques de lutter contre le développement, souvent dans le cadre de réseaux mafieux internationaux, d'agissements de la part d'étrangers séjournant en France sous couvert d'un document de voyage, et commettant des faits relevant notamment du proxénétisme, de l'exploitation de la mendicité, ou de la demande de fonds sous contrainte".

- L'étranger coupable de proxénétisme ou de troubles à l'ordre public pourra faire l'objet de mesures d'éloignement (art. 28 du projet de loi). La carte de séjour temporaire pourra lui être retirée par l'autorité administrative lorsqu'il aura commis des faits relevant du proxénétisme.

- L'étranger dont le comportement a constitué une menace pour l'ordre public pourra être reconduit à la frontière, par arrêté du préfet, durant la validité de son visa, ou pendant la période de trois mois, s'il n'est pas soumis à l'obligation de visa. Les ressortissants de certains pays, souvent concernés par les trafics, comme la Roumanie ou la Bulgarie, peuvent en effet entrer en France sans visa et y séjourner trois mois.

II - LA RÉPRESSION AGGRAVÉE DU RACOLAGE

Les tribunaux toutefois ont été peu enclins à prononcer des condamnations à l'encontre de prostituées, dont le comportement n'avait rien de particulièrement choquant ou provocant.

_ Aussi une ordonnance de 1958 a-t-elle substitué à ce délit unique deux types de contraventions :

- l'une pour racolage actif tel que défini par la loi de 1946 ;

- l'autre pour racolage passif concernant "ceux dont l'attitude sur la voie publique est de nature à provoquer la débauche".

Cette distinction a été reprise par un décret de 1960, qui en aggrave les sanctions.

La preuve du racolage passif s'étant avérée difficile à établir, la notion de provocation à la débauche par la seule attitude a été supprimée dans le nouveau code pénal de 1994.

_ La situation actuelle résulte de l'article R. 625-8 du nouveau code pénal qui punit "le fait, par tout moyen, de procéder publiquement au racolage d'autrui en vue de l'inciter à des relations sexuelles".

Le racolage est passible d'une contravention de cinquième classe (10 000 F, soit 1 500 €, montant qui peut être doublé en cas de récidive). Des peines complémentaires sont encourues par les contrevenants, notamment des peines d'intérêt général.

2. Son application

_ L'acte de racolage, qui a pour but d'inciter à des relations sexuelles, est en fait peu poursuivi.

Etant donné l'imprécision de la notion de racolage de l'article R.625-8, c'est la jurisprudence qui a fixé les éléments constitutifs de l'infraction.

Le racolage peut être accompli par tout moyen ; il est un fait volontaire et ne peut être seulement intentionnel ; seul, le racolage actif peut être incriminé ; il ne doit y avoir aucune ambiguïté dans le but poursuivi ; la personne qui racole doit le faire pour elle-même.

Il peut se manifester par un geste expressif, un comportement provocateur ou une attitude exhibitionniste. Le juge exige que le comportement et l'attitude répréhensible soient décrits avec précision.

En ce qui concerne la tenue vestimentaire, elle peut entrer en compte dans l'appréciation du juge.

D'après un arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation de 1996, dès lors que la tenue vestimentaire de la prévenue apparaissait normale, que les agents verbalisateurs n'avaient retenu aucune parole de nature à inciter quiconque à des relations sexuelles, et que le seul fait de déambuler sur la chaussée et de s'adresser à des automobilistes ou à des piétons qui s'étaient arrêtés spontanément à sa hauteur sans y être invités, ne pouvait constituer l'infraction de racolage acti bon ordre ou à la moralité publique par le racolage public, que les maires et les préfets, en vertu de leurs pouvoirs de police, peuvent prendre des arrêtés pour interdire aux prostituées l'accès de certaines rues, ou à certaines heures, en particulier à proximité des écoles. La police municipale est alors habilitée à dresser des contraventions de première classe, d'un montant peu élevé.

De nombreux arrêtés en ce sens ont été pris ces deux dernières années par des maires de grandes villes et de villes moyennes (Strasbourg, Lyon, Bordeaux...), sous la pression des riverains gênés par les nuisances de la prostitution.

Ainsi, Mme Françoise de Panafieu, députée-maire du XVIIème arrondissement de Paris, a apporté, devant la Délégation, son témoignage : "Il n'est plus supportable d'être un habitant des quartiers où elle (la prostitution) s'exerce. On ne peut supporter d'être parent et de devoir demander à ses enfants, parce que l'on rentre dans le parking de son immeuble, de se glisser au fond de la voiture et de baisser les yeux pour qu'ils ne voient pas ce qui se passe à l'intérieur du parking. On ne peut supporter l'idée, quand on est à son travail, de savoir que son enfant va rentrer seul et peut-être se retrouver face à une prostituée en train d'exercer son activité sur le palier de l'immeuble où l'on habite ; un enfant qui va revenir seul et qui, par conséquent, intériorisera ce qu'il a vu parce qu'il n'aura peut-être pas la possibilité d'avoir la discussion qu'il faut avoir dans ces cas là avec un adulte. ... Ce n'est pas non plus très agréable pour des adultes qui sortent de chez eux et se trouvent agressés par un spectacle qui ne devrait pas avoir lieu dans la rue".

La ville de Strasbourg a été l'une des premières en France à prendre, en novembre 2001, puis en mai 2002, des arrêtés municipaux, visant à interdire l'exercice de la prostitution dans certains quartiers.

M. Francis Jaecki, directeur général délégué à la sécurité et à la prévention à la mairie de Strasbourg, entendu par la Délégation, a souligné que, devant le développement de la prostitution à Strasbourg et l'immobilisme de la police, la ville avait estimé nécessaire d'intervenir, pour l'interdire, d'abord à proximité d'un collège, puis le long de certains quais.

Des arrêtés municipaux ont été pris, en concertation avec les parties concernées, préfet, police nationale, inspection d'académie, puis avec les riverains et des associations, comme le Nid, qui s'occupent des prostituées.

L'efficacité des procès-verbaux dressés par la municipalité est toute relative. Aussi, a-t-on eu recours à la verbalisation de clients pour infractions routières et à un meilleur aménagement des quartiers.

M. Francis Jaecki a cependant conclu : "La réponse ne peut venir d'un simple arrêté municipal, car il s'agit d'un problème international". Les arrêtés municipaux ne font que déplacer géographiquement la prostitution du ce mois d'emprisonnement et de 3 750 € d'amende."

- Le racolage devient un délit (infraction punie par la loi d'une peine d'emprisonnement ou d'une peine d'amende supérieure ou égale à 3 750 €).

- La distinction entre racolage actif et passif est supprimée.

- Le délit de racolage est puni de six mois d'emprisonnement et de 3 750 € d'amende.

2. Un risque d'insécurité pour les personnes prostituées

Les moyens envisagés pour parvenir aux objectifs recherchés ne manquent pas de soulever un certain nombre de problèmes quant à l'insécurité accrue qui risque d'en résulter pour les personnes prostituées.

_ La définition du délit de racolage, telle qu'elle a été modifiée par le Sénat, même si la notion "de tenue vestimentaire" a disparu, demeure imprécise. Sur quels critères, la police pourra-t-elle apprécier l'"attitude même passive" qui conduit à procéder publiquement au racolage d'autrui ? Le champ de l'incrimination est très large et, à cet égard, le code de déontologie des fonctionnaires de police devrait être rigoureusement observé.

_ Comment les personnes prostituées, si elles sont condamnées à de lourdes peines d'amendes, pourront-elles s'acquitter désormais de sommes aussi élevées ? La prison ne va-t-elle pas les rejeter dans leur abandon et leur misère ?

Il est regrettable que le seul moyen de dissuader ces personnes d'occuper certains quartiers des villes et de les soustraire - temporairement - aux réseaux mafieux soit de prévoir des peines d'emprisonnement.

_ Préoccupant paraît être le danger d'une clandestination de ces activités.

Plusieurs interlocuteurs de la Délégation ont souligné le risque d'une clandestination des activités de la prostitution dans des lieux, où elle se pratique déjà actuellement, mais de façon plus ou moins cachée : bars à hôtesses, salons de relaxation ou de massage, sous-locations de studios ; la diffusion de messages sur internet, bien qu'illicite, support de plus en plus utilisé par l'offre de prostitution, mais difficilement contrôlable, ne manquera pas de se développer.

III - POUR UNE PROTECTION DES VICTIMES DE LA PROSTITUTION ET UNE MEILLEURE APPROCHE SOCIALE

A. UNE PROTECTION DES PERSONNES PROSTITUÉES S'IMPOSE QUANT À LEURS CONDITIONS DE SÉJOUR.

1. La délivrance d'un titre de séjour

a) La précarité du séjour des personnes prostituées étrangères

"Quand nous effectuons les contrôles de ces jeunes femmes, elles sont toutes en situation régulière... Une grande partie d'entre elles sont présentes grâce aux demandes d'asile politique. Il y a là un détournement manifeste du droit d'asile." Se disant originaires du Kosovo ou de Sierra Leone et persécutées, certaines d'entre elles obtiennent des récépissés de l'OFPRA, la demande servant de titre de séjour pendant la durée de la procédure, mais interdisant de travailler. Pendant ce temps, elles demeurent sous la coupe des proxénètes.

M. Daniel Rigourd a souligné par ailleurs les difficultés de la mise en oeuvre de la procédure de reconduite à la frontière et d'expulsion, très réglementée sur le plan administratif et sur le plan judiciaire. De plus, le pays d'origine doit reconnaître son ressortissant, alors que, dans certains pays africains, il n'y a plus de registres d'état civil.

Pour parer aux contrôles policiers, les réseaux organisent une rotation des prostituées, qui séjournent d'abord un mois en France, avant de passer en Italie, puis en Espagne...

b) Une autorisation de séjour provisoire, sous réserve de dénonciation

_ Exemple a été pris sur l'expérience menée depuis quelques années par la Belgique, pays qui a mis au point un système d'autorisation de séjour en faveur des victimes acceptant de témoigner. Depuis 1994, le nombre de permis de séjour délivrés est d'environ une centaine de permis de séjour par an, ce qui est relativement peu et démontre qu'il n'y a pas eu d'abus en matière d'immigration. La réticence à la dénonciation cependant demeure forte.

_ L'article 29 du projet de loi permet la délivrance d'une autorisation provisoire de séjour à l'étranger, qui dénonce des faits de proxénétisme, commis à son encontre. La dénonciation peut faire l'objet d'un dépôt de plainte ou d'un témoignage. Cette disposition qui facilitera le travail de renseignements et d'information de la police, apporte aussi une protection indispensable à la personne prostituée acceptant de collaborer avec la police et la justice.

_ Le Sénat a complété ces dispositions initiales en prévoyant la délivrance d'une carte de résident à l'étranger, dont la plainte ou le témoignage contribuerait à la condamnation de la personne mise en cause, afin de prolonger la protection à l'issue du séjour provisoire, si la personne souhaite rester en France. En effet, à l'expiration du séjour provisoire, l'étranger n'aurait alors eu d'autre choix qu'un retour dans le pays d'origine, dans des conditions difficiles, ou un retour à la clandestinité.

La Délégation approuve cette disposition qui reprend, en partie, les propositions faites sur ce sujet par l'Assemblée nationale.

_ Le texte adopté par l'Assemblée en janvier dernier allait cependant plus loin. Il prévoyait que la carte de séjour temporaire donnerait droit à une activité professionnelle et, si la procédure n'aboutissait pas à une condamnation, que la carte temporaire serait renouvelable, à condition que l'étranger justifie d'efforts d'insertion, notamment professionnelle. Une carte de résident était envisagée dans les mêmes conditions, s'il justifiait d'une résidence ininterrompue d'au mois trois années en France.

L'Assemblée, cependant, n'avait pas envisagé de délivrer systématiquement, à titre humanitaire, comme l'a fait l'Italie, des titres de séjour aux personnes prostituées victimes, par crainte d'une dérive de la procédure.

_ Toutefois, la Délégation a souhaité que soit élargie la pos proches.

L'article 57 de la loi du 15 novembre 2001 permet en effet au juge des libertés et de la détention, saisi par le Procureur de la République ou le juge d'instruction, d'autoriser que, ni l'identité de cette personne, ni sa signature, n'apparaissent dans le dossier de la procédure. La révélation de l'identité ou de l'adresse du témoin protégée est sévèrement punie.

Etant donné la difficulté de recueillir des témoignages par crainte de représailles, cette disposition permettra dans certains cas de faciliter les dénonciations.

b) Une protection physique

L'anonymat du témoignage, assorti d'une autorisation provisoire de séjour, devra être accompagné, pour être efficace, par la possibilité de mettre la personne prostituée étrangère en sécurité.

Ainsi, un dispositif d'accueil d'urgence sécurisé devrait être mis en place. Les centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) devraient pouvoir offrir un certain nombre de places à ces victimes, afin de les soustraire pendant quelques semaines ou quelques mois à l'emprise des réseaux mafieux et leur permettre de se reconstruire physiquement et psychologiquement.

Actuellement, les associations, dans la mesure de leurs moyens, s'efforcent de procurer à ces personnes des hébergements, qui devraient être pris en charge par les pouvoirs publics.

Aussi le Sénat, par un article 29 bis, a-t-il proposé de compléter l'article L. 345-1 du code de l'action sociale et des familles relatif aux CHRS, par une disposition prévoyant que "certains établissements sont réservés et sécurisés afin d'accueillir les victimes de la traite des êtres humains."

c) Le retour dans le pays d'origine

Il s'agira ensuite d'assurer, dans les meilleures conditions, le retour dans le pays d'origine, s'il est souhaité. Il devra être sécurisé par les autorités du pays, accompagné par les associations et offrir des possibilités de réinsertion, dans le cadre d'accords bilatéraux avec les pays les plus concernés.

L'accord récemment passé avec la Roumanie concernant le rapatriement d'enfants aux mains de réseaux, pourrait servir d'exemple, comme l'a suggéré Mme Françoise de Panafieu, lors de son audition.

B. UNE MEILLEURE APPROCHE SOCIALE

1. Le rôle des associations

a) Accompagnement sanitaire et social

Dans ce patient travail de suivi des personnes prostituées, que les pouvoirs publics ont négligé depuis longtemps, les associations sont au premier plan. Disposant de peu de moyens, elles accomplissent néan associations ont pris le relais de la prévention sanitaire contre les maladies qui les touchent particulièrement : sida, MTS, syphilis, qui se propagerait à nouveau.

Des associations, notamment des associations de santé communautaire, comme celle des "Amis du Bus des femmes", vont au devant des prostituées leur apportant réconfort, informations, distribution de préservatifs (que ne leur donnent pas les proxénètes) et s'efforçant de leur faciliter l'accès aux soins, en particulier l'accès à la couverture maladie universelle (CMU).

_ La souffrance psychique des personnes prostituées doit être prise en compte. De multiples facteurs - violences physiques et morales, sentiment d'insécurité dû au déracinement, précarité sociale, crainte de la répression -, les mettent dans un état de vulnérabilité et de faiblesse.

Comme l'a dit Mme Claude Boucher, directrice de l'association "Les Amis du Bus des Femmes" devant la Délégation, "C'est le corps et la tête de ces femmes qu'ont détruits les trafiquants. Psychologiquement, elles sont déjà mortes et ce sera très difficile de les aider à se reconstruire."

_ La réinsertion, c'est-à-dire quitter la prostitution, est le souhait d'une grande majorité de personnes prostituées. S'il est facile de "tomber" dans la prostitution, il est extrêmement difficile d'en sortir, pour des raisons psychologiques, sociales, matérielles. Il s'agit d'abord de retrouver confiance en soi, d'éliminer l'angoisse, rompre avec les habitudes de l'ancien milieu. Cette étape demande beaucoup de temps, de patience et d'écoute et s'accompagne souvent de découragement et de rechutes.

Dans la région lilloise, le Mouvement du Nid accompagne actuellement 126 personnes en démarche de réinsertion. "Il faut vraiment y croire, dit M. Bernard Lemettre, président de ce Mouvement, pour épauler des personnes qui vont commencer à murmurer qu'elles ont envie de s'en sortir".

b) Réinsertion et problèmes financiers

_ Concrètement, la personne prostituée doit affronter les problèmes de logement, de l'accès au RMI, de formation professionnelle et d'emploi. Le problème financier est un facteur important. Pour une prostituée habituée à des gains élevés, il faudra beaucoup de courage et de motivation pour accepter de se retrouver au niveau du RMI ou du SMIC.

Comme l'a souligné Mme Elisabeth Badinter, lors de son audition, "Si l'on proposait à ces jeunes femmes de rester en France pour recevoir une formation, il faudrait être utopique pour penser qu'elles accepteraient toutes une formation qui fasse d'elles des femmes payées au SMIC. Je suis convaincue que nombre d'entre elles se diraient qu'elles gagnent bien mieux leur vie sur le trottoir, surtout sans proxénète. Arriver à les convaincre toutes d'arrêter la prostitution me semble assez irréaliste. Un certain nombre d'entre elles voudra rentrer, mais un nombre plus important encore voudra rester pour gagner de l'argent et l'envoyer au pays."

_ Pour les personnes prostituées, qui déclarent ou non leurs revenus, la crainte de poursuites fiscales ou d'avoir à régler d'importants arriérés est un obstacle à la démarche de réinsertion, comme l'ont souligné, notamment M. Bernard Lemettre, président du Mouvement du Nid, et M. Pierre-Christophe Baguet, député des Hauts-de-Seine, lors de leurs auditions.

La Délégation estime, sur ce point, que toute démarche de réinsertion d'une personne prostituée devrait systématiquement faire l'objet d'un t l'Etat

_ Les pouvoirs publics se devraient de prendre en compte les dispositions du protocole additionnel à la convention CTO sur la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants. Bien que n'ayant pas de caractère contraignant, les mesures proposées pourraient servir de référence à une politique globale d'assistance et de protection de ces personnes. Ainsi :

"Chaque Etat Partie envisage de mettre en oeuvre des mesures en vue d'assurer le rétablissement physique, psychologique et social des victimes de la traite des personnes, y compris, s'il y a lieu, en coopération avec les organisations non gouvernementales, d'autres organisations compétentes et d'autres éléments de la société civile et, en particulier, de leur fournir :

a) un logement convenable ;

b) des conseils et des informations, concernant notamment les droits que la loi leur reconnaît, dans une langue qu'elles peuvent comprendre ;

c) une assistance médicale, psychologique et matérielle ;

d) et des possibilités d'emploi, d'éducation et de formation."

Une réflexion est actuellement conduite au niveau gouvernemental sur les modalités d'une politique de prévention de la prostitution et de réinsertion, dont Mme Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle, auprès du ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, a dressé les grandes lignes devant la Délégation. "Le projet de loi a souligné, Mme Nicole Ameline, a vocation non pas de régler l'ensemble du problème de la prostitution, mais de donner un signal fort à l'adresse des réseaux. Nous avons, depuis plusieurs semaines, en lien avec divers ministères, dont celui de l'Intérieur, engagé une réflexion pour mettre en place un plan d'accompagnement social."

_ La prévention passe par l'information et la sensibilisation. Une campagne de communication nationale grand public est envisagée sur les notions du respect des droits et de la dignité de la femme, d'égalité et de parité entre hommes et femmes, et de considération de l'autre. "La population française doit prendre conscience que l'on ne peut accepter, dans une démocratie moderne, tant d'indignité et tant d'inhumanité" a déclaré Mme Nicole Ameline devant la Délégation.

Tous les réseaux, les relais - en particulier les Centres d'information sur les droits des femmes -, les associations devront être mobilisés, ainsi que les ministères concernés - Jeunesse et sports, Education nationale et recherche - en direction des publics scolaires.

L'accent sera mis sur la formation à ces questions des personnels sociaux et de santé, sur la création d'un numéro vert sécurisé, sur la mise en place de dispositifs d'accueil et de logement d'urgence.

_ La réinsertion passe en premier lieu par l'hébergement. La priorité est de pouvoir offrir immédiatement à la personne qui veut quitter la prostitution un lieu d'hébergement.

Des structures existantes peuvent être mises à contribution, en particulier les centres d'hébergement et de réinsertion sociale qui accueillent les personnes et les familles en situation de graves difficultés, notamment économiques, familiales, de logement, de santé ou d'insertion. Des CHRS spécialisés accueillent déjà des personnes prostituées. Le nombre de places disponibles cep 160;:

- dans le cas d'atteinte sexuelle sur la personne d'un mineur de quinze ans (art. 227-25 du code pénal), et depuis la loi du 4 mars 2002 (art. 225-12-1 et 225-12-2) en cas de recours à la prostitution d'un mineur (pénalités de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 € d'amende) avec répression accrue en cas de circonstances aggravantes ;

- dans le cas où les mêmes délits sont commis à l'étranger (infraction de tourisme sexuel) (art. 225-12-3).

Des condamnations récentes ont été prononcées en application de l'article 225-12-1, des clients ayant été pris en flagrant délit de relations sexuelles avec un mineur d'origine roumaine.

_ Il est rarement poursuivi pour exhibition sexuelle (art. 222-32).

L'article 222-32 du code pénal ("L'exhibition sexuelle imposée à la vue d'autrui dans un lieu accessible aux regards du public est punie d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende") reprend l'ancien article relatif à l'outrage à la pudeur. L'infraction toutefois ne nécessite pas qu'un tiers ait été effectivement témoin de l'exhibition. Il suffit qu'elle soit réalisée en un lieu accessible aux regards du public et où une personne non consentante est susceptible de l'apercevoir.

Au demeurant, souligne la circulaire du 14 mai 1993, l'infraction ne peut en pratique être poursuivie que si elle a été constatée par un agent verbalisateur, à la vue duquel l'exhibition a été imposée.

Cette incrimination est peu appliquée en matière de prostitution. Cependant, en octobre dernier, quatre clients et quatre prostituées ont été condamnés par le tribunal correctionnel de Bordeaux au motif d'exhibition sexuelle, les juges ayant considéré que la négligence était suffisante pour que le délit soit constitué. Les peines requises, toutefois, (1 000 € d'amende pour chacun, dont 750 € avec sursis) ont été davantage de principe, le but recherché par les autorités étant de décourager les clients de recourir aux nouveaux réseaux de prostitution et de dissuader la demande.

_ En revanche, un client de prostituée, poursuivi pour racolage actif (il avait été surpris en train de demander des tarifs) - une première judiciaire - a été relaxé par le tribunal de police de Bordeaux, considérant que le simple fait de demander le prix ne rendait pas le client complice du racolage.

2. Une pénalisation accrue du client dans le projet de loi

L'article 18 (III) du projet de loi propose de nouveaux moyens d'incriminer le client, en cas de recours à la prostitution de personnes particulièrement vulnérables. L'article 225-12-1 du code pénal (incrimination du client de mineur) est complété par l'alinéa suivant :

"Est puni des mêmes peines (3 ans d'emprisonnement et 45 000 € d'amende) le fait de solliciter, d'accepter ou d prostituées venues de l'Est, en grande situation de faiblesse et de vulnérabilité. Elle risque cependant de poser des problèmes d'appréciation, d'interprétation et aussi d'application, étant donné la lourdeur des peines encourues.

On peut, par ailleurs, à ce sujet faire état de la réflexion de Mme Claude Boucher, directrice de l'association "Les Amis du Bus des Femmes", devant la Délégation, s'inquiétant de ce que, "au lieu de soigner les personnes vulnérables, on a préféré les pénaliser. La personne vulnérable reste sur le trottoir, on ne va pas à sa rencontre, on ne fait rien pour elle malgré son état de faiblesse. On pénalise le client qui racole, mais on ne se préoccupe pas de la soigner."

B. QUELLE ATTITUDE ADOPTER VIS-À-VIS DU CLIENT ?

Un débat de société s'est ouvert sur cette question. Au préalable, il convient de s'interroger sur le client lui-même, source de la demande. Peu d'études lui ont été jusqu'ici consacrées. L'enquête entreprise par le Mouvement du Nid auprès de cinq cents clients ne manquera pas d'apporter des éléments d'analyse sur ses motivations et ses comportements.

L'attitude à adopter vis-à-vis du client de la personne prostituée a été longuement évoquée lors des auditions devant la Délégation, notamment à la lumière de l'expérience suédoise.

La loi sur "la paix des femmes", en vigueur en Suède depuis janvier 1999, interdit l'achat de services sexuels et les clients des prostituées peuvent être condamnés au paiement d'une amende ou d'une peine d'emprisonnement de six mois. Par contre, la prostitution et le racolage ne constituent pas une infraction. Le proxénétisme est sanctionné de peines de prison de quatre ans, ou six ans en cas de circonstances aggravantes.

Le recul manque pour porter un jugement sur les effets de cette législation. Certains sont positifs : la prostitution visible dans la rue a pratiquement disparu des centres urbains et le nombre de nouvelles prostituées aurait diminué, les réseaux mafieux s'éloignant d'un marché désormais moins "rentable".

Toutefois, des effets plus contestables sont à relever. Pour M. Pierre-Christophe Baguet qui s'est rendu en Suède dans le cadre de la mission sur l'esclavage moderne, à la clandestination de la prostitution, s'ajoutent maintenant des situations de violence. "Le client, prenant des risques personnels, devient d'une violence inouïe...".

Mme Elisabeth Badinter a dénoncé les inconvénients du système, qui engendre une clandestinité désastreuse pour la sécurité et la santé des personnes prostituées, et le développement sans contrôle d'une prostitution cachée, en salons, par internet et téléphone rose.

L'approche suédoise se situe dans un contexte culturel différent de celui de la France. Une politique de prévention est menée, depuis longtemps, très en amont par une éducation sexuelle dès l'&ea oeuvre rigoureuse des sanctions visant le recours à la prostitution de mineurs et les dispositions nouvelles du projet de loi sur le recours à la prostitution de personnes vulnérables devraient constituer une première dissuasion. Des campagnes d'information devraient également appeler à une réflexion sur la violence que constitue l'achat des services sexuels et au-delà le soutien aux réseaux mafieux qu'il implique.

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

La Délégation aux droits des femmes s'est réunie, le mardi 3 décembre, sous la présidence de Mme Marie-Jo Zimmermann, pour examiner le présent rapport d'information.

Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a présenté l'ensemble des recommandations.

Mme Danielle Bousquet et M. Bernard Roman ont insisté sur la sécurité qui doit être assurée à la personne prostituée lorsqu'elle a accepté de porter plainte ou de témoigner, en s'inspirant notamment du "witness protection program" américain qui assure une protection très efficace des témoins. Ils ont souligné la nécessité de cette protection, aussi bien pour la personne prostituée, en France, par un hébergement adapté, que pour ses proches, dans le pays d'origine et proposé en ce sens une modification de la huitième recommandation. Ils ont souhaité compléter, ce qui a été accepté par la Délégation, la recommandation approuvant la délivrance d'une carte de résident à la personne prostituée, en cas de condamnation définitive du proxénète, de façon à élargir les possibilités d'octroi de cette carte.

Mme Danielle Bousquet a estimé très contestable la possibilité de garde à vue de la personne prostituée instituée par l'article 18 du projet de loi.

Mme Muguette Jacquaint, rappelant que tous les pays européens se trouvent confrontés aux mêmes difficultés, s'est également déclarée opposée à la garde à vue comme aux mesures répressives visant la personne prostituée.

Après que Mme Danielle Bousquet ait souligné la nécessité d'une réflexion globale sur ce sujet, Mme Marie-Jo Zimmermann, présidente, a indiqué que la Délégation s'engagera à assurer un suivi de l'application du projet de loi pour la sécurité intérieure ainsi que de l'ensemble des problèmes de la prostitution.

La Délégation, tenant compte des observations ainsi exprimées et des modifications acceptées, a adopté l'ensemble des recommandations, les groupes socialiste et communiste exprimant une réserve à l'égard de la quatrième recommandation qui, tout en regrettant que le seul moyen de protéger les prostituées des violences des réseaux mafieux soit de prévoir des peines d'emprisonnement, approuve les objectifs du projet de loi.

RECOMMANDATIONS ADOPTÉES

3) Etant donné la rotation rapide des personnes prostituées à l'intérieur de l'espace européen et la mobilité des réseaux, le démantèlement de ces derniers requiert une coopération renforcée avec les pays européens et la négociation d'accords bilatéraux avec les pays concernés par ce trafic, dans le domaine de la police et de la justice.

4) Ne mésestimant pas les nuisances engendrées par la prostitution dans certains quartiers des grandes villes et l'urgence d'un signal à donner aux acteurs de la prostitution, la Délégation approuve les objectifs du Gouvernement visant l'ordre public, qui l'ont conduit à proposer des mesures dissuasives vis-à-vis du racolage sur la voie publique.

Elle regrette toutefois que le seul moyen de protéger les prostituées des violences des réseaux mafieux soit de prévoir des peines d'emprisonnement. Il est paradoxal que la protection des victimes de ces réseaux passe par la garde à vue qui, seule, permettrait à la prostituée de dénoncer les violences dont elle est victime sans craindre des représailles de son proxénète.

5) La Délégation recommande, dans l'application des mesures incriminant le racolage, la stricte observation par les fonctionnaires de police du code de déontologie qui impose "le respect absolu des personnes, quelle que soit leur nationalité ou leur origine", afin d'éviter l'arbitraire dans l'appréciation des faits de racolage passif, dont la définition imprécise leur laisse une large marge d'action.

6) Vis-à-vis du client, la Délégation recommande l'application des dispositions déjà existantes, en particulier sa pénalisation en cas de recours à la prostitution de mineurs, introduite par la loi du 4 mars 2002, ou pour exhibition sexuelle et se félicite des mesures renforçant les sanctions en cas de recours à la prostitution des handicapés et des femmes enceintes.

7) La Délégation recommande des mesures d'accompagnement social visant l'ensemble des personnes prostituées et un réengagement de l'Etat dans la politique de prévention, d'accueil et de réinsertion de ces personnes, par des mesures apportant plus de facilités dans l'accès aux soins, au logement, à une formation professionnelle.

8) La Délégation insiste sur la nécessité d'assurer l'anonymat et la sécurité des personnes prostituées, lorsqu'elles acceptent de porter plainte ou de témoigner contre leurs proxénètes. Cela implique que des dispositions soient prises par l'Etat pour assurer leur protection en France par un hébergement adapté et celle de leurs proches dans le pays d'origine.

9) En cas de retour dans le pays d'origin

12) Des actions d'information devront être menées sur la réalité de la prostitution, l'atteinte qu'elle porte aux droits des femmes et à leur dignité, à l'égalité entre hommes et femmes, au respect de l'autre, par des campagnes de sensibilisation grand public, complétées notamment :

- par une information pédagogique dans les établissements scolaires, dans le cadre des horaires consacrés à l'éducation sexuelle ;

- par une approche des questions de la prostitution dans le cadre de la formation des personnels sociaux et de police en contact avec les personnes prostituées.

13) Un financement des mesures de prévention, d'accueil et de réinsertion des personnes prostituées devra être inscrit dans le cadre du budget, ainsi qu'un accroissement du soutien financier des associations qui assurent aujourd'hui l'essentiel de l'accompagnement sanitaire, social et juridique de ces personnes.

14) La Délégation préconise la création d'une structure nationale spécifique qui pourrait être une mission interministérielle, ayant compétence pour l'ensemble des problèmes de prostitution et de traite des êtres humains.

15) La Délégation assurera un suivi de l'application des mesures du projet de loi, relatives à la prostitution, notamment des pratiques administratives, policières et judiciaires concernant la prostitution et la lutte contre le proxénétisme et la traite des êtres humains. Elle suivra avec une particulière attention, la mise en oeuvre de mesures assurant la prévention, l'accueil et la réinsertion.

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ANNEXE : LISTE DES PERSONNALITÉS ENTENDUES PAR LA DÉLÉGATION ET COMPTES RENDUS DES AUDITIONS

Personnalités entendues par la Délégation

 

 

Pages

8 octobre

Mme Malka Marcovich, présidente du Mouvement pour l'abolition de la prostitution et de la pornographie et toutes formes de violences sexuelles et discriminations sexistes (MAPP)

41

15 octobre

Mme Claude Boucher, directrice de l'Association "Les Amis du Bus des Femmes"

M. Francis Jaecki, directeur général délégué à la sécurité et à la prévention à la mairie de Strasbourg

57

65

23 octobre

M. Bernard Lemettre, président du Mouvement du Nid, et Mme Claudine Legardinier, journaliste

M. Pierre-Christophe Baguet, député des Hauts-de-Seine

75

93

29 octobre

Mme Nicole Ameline, ministre déléguée à la parité et à l'égalité professionnelle, auprès du ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité

105

12 novembre

Mme Elisabeth Badinter, écrivain et philosophe

Mme Françoise de Panafieu, députée, maire du 17ème arrondissement de Paris

115

129

13 novembre

M. Daniel Rigourd, commissaire divisionnaire, chef de la brigade de répression du proxénétisme de la direction de la police judiciaire

139

3 décembre

M. Xavier Raufer, professeur à l'Institut de criminologie de l'Université de Paris II

155

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 N° 0459 - Rapport d'information sur la sécurité intérieure (Mme Marie-Jo Zimmermann)

1 () Rapport d'activité 2000. Les politiques publiques et la prostitution par Mme Dinah Derycke. n° 209 2000-2001.

2 () Rapport d'information déposé par la mission d'information commune sur les diverses formes de l'esclavage moderne n° 3459. Décembre 2001.

3 () "Les trafics du sexe - Femmes et enfants marchandises" (Les essentiels Milan - Octobre 2002).