N° 3127 - rapport d'information de M. Jean Launay et de Mme Henriette Martinez au nom de la Délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire, sur l'action culturelle diffuse, instrument de développement des territoires




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N° 3127

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 7 juin 2006.

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

AU NOM DE LA DÉLÉGATION À L'AMÉNAGEMENT ET AU DÉVELOPPEMENT
DURABLE DU TERRITOIRE (1), SUR L'ACTION CULTURELLE DIFFUSE,
INSTRUMENT DE DÉVELOPPEMENT DES TERRITOIRES

PAR M. JEAN LAUNAY ET MME HENRIETTE MARTINEZ

Députés

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(1) La composition de cette Délégation figure au verso de la présente page.

La Délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire est composée de : M. Emile Blessig, président ; MM. Jean Launay, Serge Poignant, Max Roustan, vice-présidents ; MM. André Chassaigne, Philippe Folliot, secrétaires ; MM. Joël Beaugendre, Jérôme Bignon, Jean Diébold, Jean-Pierre Dufau, Louis Giscard d'Estaing, Jacques Le Nay, Patrick Lemasle, Mmes Henriette Martinez, Marie-Françoise Pérol-Dumont.

INTRODUCTION 7

PREMIÈRE PARTIE : LA VIE CULTURELLE, FACTEUR D'ATTRACTIVITÉ ET DE DÉVELOPPEMENT DES TERRITOIRES 11

I - UNE RÉALITÉ CLAIREMENT ÉTABLIE 11

A. UNE INFLUENCE DÉMONTRÉE MALGRÉ DES CONDITIONS DE MESURE COMPLEXES 11

1. Des conditions de mesure difficiles 11

a) Des instruments de mesure insuffisants 11

b) Des travaux nouveaux 12

2. La solidité des nouvelles approches 13

a) La reformulation du champ d'influence de l'action culturelle 13

b) L'impossible décorrélation entre développement et action culturelle 14

B. DES MODES D'ACTION IDENTIFIÉS 16

1. La création de lien social et de référentiels culturels 16

a) La vie culturelle des territoires ruraux 16

b) L'action culturelle et la restauration des quartiers urbains dégradés 18

c) La création de référentiels culturels nouveaux 18

2. Territoires culturels et création d'emploi 19

a) La création d'emploi culturel 19

b) La qualité de la vie culturelle d'un territoire, facteur de développement économique 20

3. Conclusion : l'exemple de la ville de Commercy 22

II - QUELLE ACTION LOCALE POUR LA VIE CULTURELLE DES TERRITOIRES ? 24

A. LE SPECTACLE VIVANT 25

1. Quel appui pour les troupes amateurs ? 26

a) L'équipement du territoire en salles 26

b) Le financement de formations pour les amateurs 27

2. L'appui financier aux salles de spectacles 28

a) Appui aux cinémas et théâtres : une démarche répandue 28

b) Des versements déterminants pour des coûts élevés 30

3. L'engagement dans des politiques de programmation 31

a) Les communes 31

b) Les départements 32

c) Les régions 32

d) Des politiques à replacer dans des projets de territoire 33

B. L'ENSEIGNEMENT DE LA DANSE 34

1. L'absence de politique de l'État envers les territoires 34

2. Une charge faible pour les collectivités locales 35

C. L'ENSEIGNEMENT DE LA MUSIQUE 36

1. Une demande très forte, mais un dispositif en difficulté 36

a) Une politique de l'État affirmée 36

b) La réponse des collectivités territoriales et les difficultés du dispositif 37

c) Un modèle inadapté ? 39

2. Comment améliorer l'accès à l'apprentissage de la musique ? 40

a) Charges de centralité, contraintes d'extériorité 40

b) L'intercommunalité, un pas vers la solution 41

3. La création de réseaux territoriaux hors de l'influence de l'État : faut-il suivre l'exemple du département du Lot ? 42

a) Le parti pris d'harmoniser l'existant 42

b) Un bilan positif et des perspectives ouvertes 43

c) Une démarche qui a anticipé le désengagement de l'Etat 45

DEUXIÈME PARTIE : L'ÉCONOMIE CULTURELLE AU SERVICE DU DÉVELOPPEMENT DES TERRITOIRES 47

I - PATRIMOINE ET TOURISME CULTUREL,OUTILS DE DÉVELOPPEMENT DES TERRITOIRES 47

A. LE TOURISME CULTUREL ET PATRIMONIAL : UN OUTIL PERTINENT, DES CONDITIONS D'UTILISATION RIGOUREUSES 47

1. Un levier de développement reconnu 47

a) Des instruments de mesure fonctionnels 47

b) Des retombées qui peuvent être considérables 48

2. Un univers régi par le marché 50

a) Un univers concurrentiel 50

b) Des règles du métier 51

c) Le déterminisme du territoire 52

B. QUELLES ORIENTATIONS POUR LE TOURISME PATRIMONIAL ? 53

1. La valorisation traditionnelle du patrimoine : une situation en porte-à-faux 53

a) L'État : une gestion déphasée par rapport à la demande 53

b) Les difficultés des petits sites 55

2. Une prise de conscience progressive de l'État 56

a) La prise en compte de la dimension d'usage et le développement de partenariats 56

b) La création d'un outil d'expertise : ODIT-France 57

3. Un instrument de synergie et de valorisation, le label des villes et pays d'art et d'histoire 58

a) Un instrument de développement et de valorisation des politiques patrimoniales locales 59

b) Un instrument de synergie pour l'action culturelle de l'État et des collectivités 60

c) Un instrument souple qui laisse leur liberté d'action ultérieure aux collectivités 61

d) Une attractivité réelle et un bilan provisoire positif 62

4. Quelles politiques de valorisation du patrimoine pour les collectivités locales ? 64

a) Des situations très différentes 64

b) La mise en place de structures adaptées 65

c) Valoriser les musées par leur mise en réseau 66

d) Associer les habitants à la mise en valeur du patrimoine 67

e) Une préoccupation nouvelle : la mise en valeur des paysages 69

f) Développer le recours au mécénat 70

C. LES FESTIVALS, FACTEURS DE DÉVELOPPEMENT LOCAL 71

1. La multiplication des festivals 71

a) Des événements séduisants 71

b) L'implication progressive des collectivités locales 72

2. Un outil pertinent ? 73

a) Des effets mitigés 73

b) Des conditions précises 74

c) Sur quelles bases définir une politique de financement des festivals ? 76

II - LES MÉTIERS D'ART, UNE SOURCE DE DÉVELOPPEMENT POUR LES TERRITOIRES 78

A. UNE PROBLÉMATIQUE SPÉCIFIQUE 78

1. L'artisanat d'art, facteur d'activité et de qualification pour les territoires ruraux 78

a) Des métiers de qualité pour le développement des territoires 78

b) Un potentiel reconnu 79

2. Des difficultés désormais identifiées 80

a) Des caractéristiques bien particulières 80

b) Des métiers mal représentés 81

B. AGIR POUR LE DÉVELOPPEMENT DES MÉTIERS D'ART 82

1. Améliorer les conditions de réussite 82

a) Identifier les métiers 82

b) Développer l'aide à la gestion et à la commercialisation 83

c) D'autres modes de soutien 84

2. Assurer la relève 85

a) Organiser la formation pour le développement des carrières 85

b) Développer l'attractivité 86

3. Clarifier les structures d'intervention 87

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION 89

I. - AUDITIONS 89

● M. XAVIER GREFFE, PROFESSEUR À L'UNIVERSITÉ DE PARIS I 89

● M. JEAN-PIERRE SAEZ, DIRECTEUR DE L'OBSERVATOIRE DES POLITIQUES CULTURELLES 96

● M. JACQUES RIGAUD, PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION POUR LE DÉVELOPPEMENT DU MÉCÉNAT INDUSTRIEL ET COMMERCIAL (ADMICAL) 102

● M. RENAUD DONNEDIEU DE VABRES, MINISTRE DE LA CULTURE ET DE LA COMMUNICATION 109

II. - EXAMEN DU RAPPORT 119

CONCLUSIONS ADOPTÉES PAR LA DÉLÉGATION 128

ANNEXES 133

1. AUDITIONS DES RAPPORTEURS 133

2. DÉPLACEMENT À COMMERCY (MEUSE) 134

3. DÉPLACEMENT À CAHORS (LOT) 136

4. DÉPLACEMENT À SAVERNE (BAS-RHIN) 138

5. DÉPLACEMENT À SÉLESTAT (BAS-RHIN) 139

6. DÉPLACEMENT À LARAGNE-MONTÉGLIN (HAUTES-ALPES) 140

7. LOI N° 2004-809 DU 13 AOÛT 2004 RELATIVE AUX LIBERTÉS ET RESPONSABILITÉS LOCALES (extraits) 141

8. LISTE OFFICIELLE DES MÉTIERS D'ART 143

9. DÉCRET N° 2006-595 DU 23 MAI 2006 RELATIF À L'ATTRIBUTION DU LABEL « ENTREPRISE DU PATRIMOINE VIVANT » 146

mesdames, messieurs,

Les territoires, et notamment les territoires ruraux, sont assez facilement traités comme les objets d'une action que devraient mener les pouvoirs centraux. Pour éviter leur désindustrialisation, leur désertification, il revient à l'État de mener une politique active. Cette politique doit être une politique d'équipement : il faut désenclaver, amener les réseaux de communication. Ce doit être une politique d'emplois industriels : il faut aider les entreprises à s'installer dans ces territoires, prévoir des primes, compenser les handicaps.

La Délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire de l'Assemblée nationale assure en permanence un suivi de cette action de l'État. Sa préoccupation première est bien de repérer les fractures territoriales, et de travailler autant qu'elle le peut à ce qu'elles se réduisent ou à ce qu'elles ne se creusent pas. C'est ainsi qu'elle a publié plusieurs rapports d'information sur les fonds structurels européens ou encore sur l'évolution des contrats de plan État - régions, et qu'elle continue à suivre ces dossiers. De même, elle suit en permanence l'évolution de l'équipement numérique du territoire et elle rapporte régulièrement sur cette question.

Pour autant, un territoire, c'est aussi une population locale, et une organisation et une action des acteurs territoriaux, publics et privés. Et la vie d'un territoire, ce n'est pas seulement sa capacité de production industrielle ou la localisation des services de l'État.

Les collectivités territoriales mènent donc elles-mêmes des politiques et des actions de développement qui leur sont propres. Et l'environnement dans lequel vit la population d'un territoire, c'est bien sûr un environnement de liaisons et de services, mais c'est aussi un environnement culturel.

C'est un fait, les collectivités locales développent des politiques culturelles. Elles y affectent des budgets importants, qui peuvent atteindre 15 % de leurs dépenses totales. Elles construisent des cinémas, elles rénovent des théâtres, elles restaurent des églises ou des châteaux ; et, pour les mettre en valeur, elles promeuvent même des festivals.

Les premiers financeurs de cette action culturelle sont les communes. La dernière étude du département des études et de la prospective du ministère de la culture et de la communication remontait à 1996 ; ses résultats sont consultables dans le périodique Développement culturel de l'année 2000. Lors de son audition par la Délégation, M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication, lui a présenté les chiffres de la dernière enquête, qui a été faite en 2002 et dont les chiffres seront prochainement publiés. Il en ressort que « les communes de plus de 10 000 habitants ont consacré à la culture 4,1 milliards d'euros, soit une dépense moyenne de 143 euros par habitant et plus de 9 % de leur budget global. » Il s'agit là d'un effort comparable à celui des années 1990, « qui résultait d'une forte montée en puissance de l'engagement des communes dans le financement culturel ».

Pour récents qu'ils soient, ces chiffres, comme ceux des enquêtes précédentes, ne prennent en compte que la moitié de la population des communes de France : en effet, c'est une autre moitié qui vit dans des communes de moins de 10 000 habitants. Certes, le budget de ces communes par habitant est de l'ordre de la moitié de celles de 10 000 à 80 000 habitants, et parfois moins encore. Pour autant, des exemples le montreront au fil du présent rapport, nombre de ces communes consacrent une part significative de ce budget à l'action culturelle. Des communes de 6 000 ou 8 000 habitants, sous-préfectures ou chefs-lieux de cantons, assument des charges de centralité ; l'action culturelle peut y représenter 15 % de leur budget. Considérer que, sur les communes de moins de 10 000 habitants, au moins celles de 3 500 à 10 000 habitants assument des charges culturelles, et que celles-ci représentent par habitant la moitié de celles qu'assument les communes de 10 000 à 80 000 habitants paraît une estimation, raisonnable, voire particulièrement prudente aux rapporteurs. Pour avoir une image plus juste de leur montant, il faut ainsi ajouter au moins 1 milliard d'euros aux dépenses culturelles des communes. Sur ces bases, les dépenses culturelles des communes se montent clairement à plus de 5 milliards d'euros par an.

S'agissant des départements et des régions, les calculs sont plus faciles. La direction générale des collectivités locales du ministère de l'intérieur fournit des chiffres annuels. Le ministre de la culture et de la communication les a présentés à la Délégation. « Les départements financent la culture à hauteur de 20 euros par habitant, soit 1,1 milliard d'euros et près de 3 % de leur budget. L'effort culturel des régions est de 2,4 % de leur budget (360 millions d'euros et 6 euros par habitant). »

Dans ces conditions, les montants consacrés à l'action culturelle par les collectivités locales seraient de plus de 6,5 milliards d'euros, soit deux fois et demie le budget du ministère de la culture : en 2005, la mission « culture » de ce ministère était dotée de 2 612,5 millions d'euros (42,3 € par habitant). Autrement dit, l'État n'assure qu'un peu plus du quart du financement public de l'action culturelle.

La Délégation a donc voulu s'intéresser au contenu des politiques culturelles des territoires et à leurs répercussions sur les territoires. Les politiques de développement culturel ont-elles un effet sur le développement du territoire ? Si oui, comment ? Ce développement est-il mesurable ? Certaines politiques ont-elles plus d'effet que d'autres ?

Cette question a été peu travaillée jusqu'ici. Pour autant, des travaux de recherche ont été conduits et leurs conclusions publiées. Leurs auteurs arrivent, dans certains domaines, à des résultats précis. Dans d'autres domaines, les réponses sont plus empiriques mais l'ensemble reste convaincant. Enfin, les résultats de certaines actions sont plus controversés. Au cours de leurs travaux, menés de la fin du mois d'octobre 2005 au début du mois de juin 2006, les rapporteurs ont cherché à comprendre l'ensemble de ces éléments, de façon à fournir à la Délégation, et au-delà, à l'Assemblée nationale et aux élus de terrain qui voudront bien lire leur rapport, une synthèse pratique et utilisable de l'état des connaissances sur cette question.

Dès lors qu'on peut dire que l'action culturelle conduite par les acteurs publics locaux peut avoir une action sur le développement des territoires, la question est celle de la détermination des types d'actions précises qui auront un effet positif et de l'identification des conditions qui permettront leur succès. Pour présenter des solutions possibles, les rapporteurs ont procédé à plusieurs auditions ; ils se sont aussi beaucoup déplacés, afin de recueillir des exemples de solutions mises en œuvre dans les territoires, et de pouvoir en apprécier l'efficacité.

Le rapport présente ainsi, domaine après domaine, la synthèse de leurs enquêtes et réflexions sur la détermination d'actions dans le domaine de la culture qui soient efficaces pour le développement local.

Enfin, les rapporteurs se devaient, à l'issue de leurs travaux, de formuler des propositions d'action, tant pour l'État que pour les échelons locaux. C'est ce qu'ils ont fait, en insistant sur une réalité nouvelle qui s'est dessinée sous leurs yeux : non seulement l'action culturelle diffuse est bien un instrument de développement économique, social, culturel, des territoires, mais les pouvoirs locaux sont légitimes à revendiquer le droit de conduire des politiques culturelles dans l'intérêt de leurs territoires ; il leur revient donc, quels que soient par ailleurs les orientations et les desseins de l'État, non seulement de formaliser de telles politiques, mais aussi de les coordonner entre échelons territoriaux, pour le plus grand bien des territoires qu'ils ont mandat d'administrer.

PREMIÈRE PARTIE :

LA VIE CULTURELLE, FACTEUR D'ATTRACTIVITÉ
ET DE DÉVELOPPEMENT DES TERRITOIRES

I - UNE RÉALITÉ CLAIREMENT ÉTABLIE

A. UNE INFLUENCE DÉMONTRÉE MALGRÉ DES CONDITIONS DE MESURE COMPLEXES

1. Des conditions de mesure difficiles

a) Des instruments de mesure insuffisants

La première tâche qui s'imposait aux rapporteurs était de vérifier que le travail qu'ils avaient entrepris pouvait clairement déboucher. Pour pouvoir conclure, à un moment ou à un autre à l'utilité, ou éventuellement à la non-utilité d'une politique culturelle locale, il faut que des dispositifs de mesure de celle-ci aient été élaborés.

La difficulté principale vient de ce qu'on ne sait pas mesurer précisément les effets de la qualité de la vie culturelle d'un territoire sur le potentiel et l'activité économique de celui-ci, et donc sur son développement. Il n'existe pas de dispositif de mesure qui permettrait par exemple de conclure que l'existence de telle forme de vie culturelle, la présence de tel équipement, accroîtrait de tel pourcentage l'attractivité d'un territoire ou le volume des investissements directs qui y sont faits. On n'a même jamais prouvé de façon scientifique que l'action en faveur du développement culturel était une condition pour le développement d'un territoire.

Le directeur de l'architecture et du patrimoine du ministère de la culture, M. Michel Clément, a déploré pour son propre compte devant les rapporteurs ce manque d'instruments. Alors qu'on sait, a-t-il exposé, que la politique du patrimoine a un effet sur l'activité en général, puisqu'elle fait vivre des entreprises du bâtiment ou spécialisées dans la restauration, et sur l'aménagement du territoire, puisqu'une bonne part de ces entreprises sont situées en milieu rural et qu'on peut espérer que le monument restauré fera venir quelques visiteurs, on ne sait pas mesurer précisément ces effets. On ne les connaît que sur le tout premier cercle des répercussions, l'activité créée pour les entreprises de restauration, par exemple, et pas au-delà. Ainsi, on ne sait pas mesurer les effets de la restauration d'une église dans une zone rurale sur l'emploi artisanal, mais aussi touristique et donc sur les emplois induits et enfin sur l'attractivité de ce territoire, ainsi mieux équipé. Et le directeur d'ajouter que cette lacune privait le ministère de la culture d'un outil d'argumentation qui lui serait bien utile auprès du ministère des finances.

En réalité, sauf dans le domaine touristique, sur lequel on reviendra, les seules études dont on dispose sont des études de cas. Sur l'intérêt des projets culturels, sur leurs retombées bénéfiques, il existe nombre d'études, de rapports, d'actes de colloques. Cependant, on trouve alors deux difficultés. La première est que ces études de cas ne permettent souvent de conclure que pour le territoire étudié ; chaque territoire a ses spécificités. Ensuite, comme l'a dit l'un des interlocuteurs de la Délégation, la méthodologie de ces études n'est pas toujours claire et les retombées des actions ont tendance à y être surestimées.

b) Des travaux nouveaux

Pour autant, des travaux nouveaux, exploitant avec finesse l'ensemble des données ou des études publiées, permettent d'explorer avec profit le champ des relations entre qualité culturelle et capacité de développement d'un territoire. À partir de là, il est possible d'offrir un champ de référence pour l'action locale.

Avant tout début d'investigation spécifique des rapporteurs, la Délégation a donc tenu à construire un cadre pour celles-ci, à travers l'audition de personnalités reconnues pour leurs travaux ou leur expérience dans le domaine de l'action culturelle.

M. Xavier Greffe est professeur d'économie (économie des arts et des médias) à l'université de Paris I. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages de référence sur les relations entre culture et développement. On citera La Valorisation économique du patrimoine (La Documentation française, 2003), et L'Emploi culturel à l'âge du numérique (Anthropos-Economica.

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1999). Expert auprès de l'OCDE, du ministère de la culture et de la communication, et de la commission européenne sur les problèmes de développement local et d'emploi dans le champ culturel, il a récemment coordonné un rapport de l'OCDE sur La Culture et le développement local, paru aux éditions de l'OCDE en 2005 et contribué à une étude de l'Agence régionale du patrimoine Provence-Alpes-Côte d'Azur sur L'Impact économique et social du patrimoine en région Provence-Alpes-Côte d'Azur, parue en novembre 2005.

M. Jean-Pierre Saez est le directeur de l'Observatoire des politiques culturelles. Installé à Grenoble, cet observatoire joue un rôle d'interface entre les services de l'État, ceux des collectivités locales, les réseaux d'artistes professionnels, le monde de l'université et de la recherche. Il réalise des actions de formation à destination des personnels ou des élus des collectivités locales, produit des études, des recherches, des publications, et a également une action de conseil. Parmi ses sujets d'études récents figurent les pratiques d'éducation artistique ou encore l'évaluation des volets culturels de la politique de la ville. Il a entrepris une étude sur la place de la culture dans l'action des intercommunalités.

L'expérience de M. Jacques Rigaud dans le domaine de l'action culturelle est sans égale. Aujourd'hui président de l'Association pour le développement du mécénat industriel et commercial (ADMICAL), M. Jacques Rigaud fut aussi le directeur du cabinet du ministre des affaires culturelles de 1969 à 1973, le président-directeur général de RTL de 1980 à 2000, ou encore le président de la commission d'études de la politique culturelle de l'État en 1996-1997. Il est encore aujourd'hui administrateur de l'Institut national de l'audiovisuel (INA), de l'Établissement public du Musée du Louvre, et aussi, et depuis fort longtemps (1976), président de la Chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon.

2. La solidité des nouvelles approches

a) La reformulation du champ d'influence de l'action culturelle

MM. Saez et Greffe ont dans un premier temps considéré qu'il fallait aborder avec une certaine prudence le discours selon lequel la culture est un nouveau levier de développement et crée des emplois. M. Jean-Pierre Saez a fait remarquer que les études d'impact économique avaient tendance à enjoliver la réalité. M. Xavier Greffe a exposé que statistiquement, « dans les domaines traditionnels, en particulier celui du spectacle vivant, le nombre des emplois a plutôt baissé. Dans le domaine du patrimoine, entendu au sens étroit du terme - musées, monuments ou archives -, il s'est maintenu. Dans le domaine de l'audiovisuel, une augmentation assez lente est perceptible. » Ainsi, les répercussions directes d'une politique de développement culturel sur l'emploi peuvent apparaître au premier abord incertaines. La question des festivals notamment demandera une analyse spécifique.

Les interlocuteurs de la Délégation ont cependant exposé que l'analyse différait dès lors qu'on redéfinissait le champ d'observation. « Pour évaluer les effets de la culture sur le développement local, expose M. Xavier Greffe, il faut prendre en compte ses effets sur les autres secteurs d'activité, hors de sa sphère traditionnelle d'évaluation ».

Ainsi, « dans les entreprises non culturelles, on observe une utilisation croissante de compétences culturelles». La conséquence en est que « l'effet positif de la culture n'est pas nécessairement là où on va le chercher le plus fréquemment, et c'est l'économie en général qui tend à se `culturaliser' ». M. Xavier Greffe cite comme exemple le design, « à l'interface de la culture et de l'économie », et qui est considéré en Allemagne ou en Italie « comme un facteur majeur de la compétitivité des économies. »

Cependant, les effets de l'action culturelle hors de son domaine de mesures traditionnelles ne s'arrêtent pas aux entreprises ou au design. Aux États-Unis la Rand Corporation a récemment publié un rapport sur les « valeurs extrinsèques de la culture ». Ce rapport traite notamment de l'influence de la culture sur le monde des hôpitaux ou des prisons, et en montre les effets tangibles.

b) L'impossible décorrélation entre développement et action culturelle

L'étude de la corrélation entre vie culturelle et développement est également instructive. Des comparaisons permettent tout d'abord de faire apparaître que les territoires qui ne conduisent pas d'actions relatives à leur identité, à la qualité de leur image et à l'amélioration de leur cadre de vie subissent, plus que d'autres, une perte de substance et une accentuation des phénomènes d'exode ; lors de son audition, M. Xavier Greffe a exposé à la Délégation que cette affirmation était confirmée par « les données recueillies en vue d'un rapport en préparation pour le ministère de la culture sur l'attractivité culturelle de la France » ; ce rapport vient d'être publié (Les Documents du DEPS, n° 1270, mai 2006).

On constate aussi qu'un certain nombre de politiques volontaristes de développement culturel se traduisent par des succès en termes de développement général. L'exemple aujourd'hui le plus cité est celui de la ville de Bilbao. On a constaté que, depuis l'implantation à Bilbao, alors ville industrielle sinistrée, dans une friche industrielle, de la fondation Guggenheim et de ses collections tournantes, décidée par le gouvernement basque pour changer l'image du Pays Basque, et la construction tout autour d'un quartier moderne à l'urbanisme novateur, se sont développés dans cette ville un marché de l'art contemporain, un secteur musical et une activité touristique internationale.

On peut aussi citer le cas de la ville de Glasgow. Le renouveau de la ville de Glasgow dans les années 1980 a commencé par être culturel : en réussissant à être désignée « capitale européenne de la culture », Glasgow a alors donné d'elle-même une image désormais radicalement différente de celle de la ville du chômage et des friches industrielles qui était devenue la sienne. Les autres villes de Grande-Bretagne les plus durement touchées par la fin des activités de la première révolution industrielle, comme Birmingham ou Manchester, ont alors également toutes entrepris de restaurer leur patrimoine industriel, gares ou docks.

En France, ce type de stratégie a également été utilisé par certains territoires, notamment du Nord et de l'Est de la France. La région Lorraine a entrepris, en association avec la Sarre et le Luxembourg, de « reconstruire » son image, trop fortement associée jusqu'ici à une industrie déclinante. La ville de Lille a eu la même démarche ; comme Glasgow, Lille a mené une politique de reconquête urbaine et de développement culturel, avant de réussir à être désignée « capitale européenne de la culture » pour l'année 2004. Le projet de décentralisation à Lens d'une partie des collections du Louvre a également, au moins dans un premier temps, non pas un objectif de développement touristique, eu égard notamment aux limites des capacités hôtelières de cette agglomération, mais un objectif d'image de la ville.

L'élément culturel a même été utilisé pour promouvoir la croissance d'une agglomération indépendamment de tout besoin de reconversion ; qu'on pense à l'expansion de Montpellier au cours des vingt dernières années.

Ainsi, certes, on n'arrive pas à établir scientifiquement le lien de cause à effet entre culture et développement. Cependant, il s'avère réciproquement qu'il est impossible de découpler développement d'un territoire et qualité de son maillage culturel. Les exemples sont nombreux d'une part de corrélation entre la faiblesse de la prise en compte de l'identité du territoire, de son image et du cadre de vie qu'il offre, et l'accentuation des pertes de substance par rapport aux territoires qui prennent en compte cette dimension, et d'autre part de développement corrélé avec une action culturelle. Le ministre de la culture et de la communication a été très clair sur ce point lors de son audition par la Délégation : « Comme le montrent plusieurs études réalisées par le ministère, le lien entre développement culturel, vitalité économique et attractivité culturelle est très dense. Si l'on met en relation les indicateurs de développement économique et les indicateurs de développement culturel par région, on constate de multiples corrélations : les indicateurs de richesse (PIB par habitant, emploi, qualifications, dépenses des collectivités territoriale... ) et les indicateurs d'attractivité (variables démographiques, nombre d'étudiants... ) sont liés aux indicateurs de développement culturel (emploi culturel, dépenses culturelles... ). C'est bien sûr vrai pour les grandes collectivités territoriales, mais cette logique se diffuse ». Il faut donc en conclure, avec le ministre, que « le développement culturel est un facteur de richesse pour l'ensemble des territoires ».

Du reste les autres personnalités auditionnées par la Délégation, faisant référence à leur expérience et à leurs travaux, aux travaux universitaires ou scientifiques dont elles ont pu avoir connaissance ou qu'elles ont pu avoir à utiliser pour l'élaboration d'ouvrages ou de rapports, ont conclu de la même façon : on peut établir avec des éléments solides que l'action culturelle a une influence positive sur le développement local. « La culture est non seulement un élément d'identification, mais aussi un facteur de prospérité », conclut M. Jacques Rigaud. M. Jean-Pierre Saez conclut finalement que : « La culture est bien un élément du développement durable des territoires. C'en est même un élément fondamental, car c'est à la fois un élément d'attractivité, de rayonnement, d'identité et de lien social. C'est aussi un élément de développement économique, même s'il faut prendre garde à ne pas nourrir de faux espoirs : les effets sont difficiles à mesurer, et les interactions parfois très complexes. » Quant à M. Xavier Greffe, il précise clairement que l'action culturelle comme outil de développement se décline sous trois aspects distincts. « Le premier est lié à l'identité des territoires, à la qualité de leur image et à l'amélioration de leur cadre de vie. (...) Le deuxième aspect est celui du tourisme culturel. (...) Enfin, un troisième aspect est lié aux métiers d'art et à l'exportation de produits culturels. »

Des actions en faveur de l'identité du territoire, de sa stabilité, de son image, de la qualité de la vie culturelle qu'on peut y mener ont donc bien des conséquences positives sur le développement global de celui-ci. Il y a donc dans l'action culturelle un champ d'action en faveur du développement pour les pouvoirs locaux. La culture est bien, pour reprendre l'expression du ministre, « un élément essentiel de l'attractivité du pays ».

B. DES MODES D'ACTION IDENTIFIÉS

Dès lors qu'on considère comme acquis que la culture est une source de développement pour un territoire, il faut comprendre comment. Les auditions auxquelles ont procédé les rapporteurs, notamment lors de leurs déplacements, font apparaître un certain nombre d'éléments pour en rendre compte. Il semble que la qualité de la vie culturelle d'un territoire agisse sur son développement à travers quatre modes d'action : la création de lien social, la création de référentiels nouveaux, la création d'emplois culturels, ces trois éléments bénéfiques étant à la source d'un quatrième, le développement d'une attractivité qui peut elle-même susciter le développement d'emplois nouveaux de tous secteurs.

1. La création de lien social et de référentiels culturels

a) La vie culturelle des territoires ruraux

La création de lien social est l'une des conséquences les plus facilement observables de la vie culturelle dans un territoire.

Les entretiens menés par les rapporteurs lors de leur déplacement à Cahors leur fournissent de bons exemples pour présenter le phénomène. Dans le Lot, le lien social culturel est, à la base, fondé sur l'action de petites associations composées de bénévoles. Le nord du département comporte toute une série d'associations de ce type, qui organisent au long de l'année, dans les villages, rencontres et petits événements culturels. Les rapporteurs peuvent citer, pour les avoir rencontrées, l'association Arzimuth, qui organise des rencontres culturelles transversales sur le canton de Bretenoux, l'association Evidance, petite association qui donne des cours de danse, l'association Lectures et lecteurs, qui a pour activité la lecture de théâtre en milieu rural (il n'y a dans le Lot rural qu'une seule salle où l'on peut jouer du théâtre ; ailleurs, le théâtre ne peut qu'être lu), la Fédération départementale des foyers ruraux du Lot, association d'éducation populaire traditionnelle qui a essentiellement aujourd'hui une activité de programmation de cinéma dans les villages, et encore, bien sûr, les harmonies-fanfares du département. Toutes ces associations créent du lien social, d'abord entre membres de l'association, qui s'investissent à l'année ensemble sur le projet culturel qu'ils ont défini, et ensuite avec le reste de la population, qui vient participer aux activités proposées ou écouter le spectacle produit. La pratique culturelle proposée n'a, du reste, aucune raison d'être de bas niveau.

Le lien social peut aussi s'ancrer sur un équipement culturel particulier. Lors de son audition, M. Jean-Pierre Saez a décrit assez bien le rôle que peut avoir un cinéma en zone rurale : « On observe par exemple qu'un nombre croissant de petites villes s'attachent à disposer d'un équipement tel qu'un cinéma. Les grands réseaux ne veulent pas prendre le risque de s'installer si les perspectives de rentabilité sont trop faibles ; cependant, un cinéma est non seulement un équipement culturel, mais aussi un lieu de vie et de sociabilité ».

Le phénomène des festivals trouve aussi à s'inscrire dans ce processus de création par ses habitants et pour eux-mêmes d'un territoire de vie culturelle. M. Jean-Pierre Saez a fourni à la Délégation des éléments dans ce sens, concernant de petits festivals, en zone rurale : « Dans certains cas, on observe que la population s'approprie assez vite le projet, et ce aussi bien dans de grandes que dans de petites villes : on peut notamment citer le festival de jazz de Marciac, le festival Est-Ouest de littérature de Die, le festival de l'Arpenteur dans la vallée du Grésivaudan, où la population joue un rôle crucial dans l'accueil du public comme des participants, mais aussi la Biennale de la danse à Lyon, pour laquelle les communes environnantes et les relais socioculturels mobilisent un grand nombre de jeunes, y compris ceux vivant dans les quartiers dits « sensibles ».

Là aussi, les rapporteurs peuvent confirmer cette interprétation à partir des rencontres qu'ils ont eux-mêmes faites lors de leurs déplacements. Ainsi, dans le Lot toujours, l'association Arzimuth, déjà citée, organise chaque été, pendant une semaine, le festival Arzimuth. C'est un ensemble de stages éparpillés sur le canton de Bretenoux et concernant aussi bien la fanfare que des sports orientaux par exemple. L'ensemble de ses animateurs et organisateurs est bénévole. Le festival s'autofinance à hauteur de 70 %. Oeuvrant sur le même territoire, l'association Arcade, également fondée sur le bénévolat, organise, depuis six ans, un festival du conte pendant une semaine. Les artistes sont hébergés par les membres de l'association ; cela crée du lien. L'association a obtenu sur ce thème une reconnaissance départementale. Pendant l'année, Arcade travaille également avec les écoles.

Le Festival d'Assier, festival musical, est lui aussi organisé depuis vingt ans, par une association de bénévoles, l'Association pour la rénovation du château d'Assier. Ses organisateurs exposent eux-mêmes que cette situation est porteuse de lien social : le festival permet l'intégration des milieux ruraux et la rencontre d'artistes de tous horizons avec le milieu local : les artistes sont en effet hébergés chez l'habitant.

Enfin, pour citer un dernier exemple, l'association Africajarc, qui a maintenant huit ans d'existence, et dont l'objectif est la diffusion de l'art africain dans tous les domaines, organise à Cajarc un festival annuel d'une semaine. Ce festival est autofinancé à hauteur de 85 %. Le festival repose sur le travail, à l'année, de 130 bénévoles. Il y a une réunion par semaine. À cela s'ajoutent trois semaines de travail à temps plein pour 90 bénévoles. Le festival réunit 20 000 spectateurs. On est du reste sans doute là à la limite des possibilités de l'animation culturelle d'un territoire sur la base du bénévolat associatif : lors du dernier festival, une simple journée de pluie a gravement mis en danger l'équilibre des comptes et l'existence de l'association ; seule une subvention du conseil général a permis de la sauver.

b) L'action culturelle et la restauration des quartiers urbains dégradés

Cette capacité de la culture à créer du lien social et de la fierté d'appartenir à un territoire est désormais si bien reconnue qu'elle est même utilisée pour la restauration d'un territoire dégradé.

On peut ici citer l'expérience, présentée dans le rapport de l'OCDE ci-dessus évoqué, menée à Cork, en Irlande, où de jeunes chômeurs, chômeurs de troisième génération qui rejetaient leur milieu de vie, ont modifié leur regard lorsqu'on leur a donné des caméras et demandé de filmer à leur gré ; ils ont cherché des éléments de valorisation dans leur environnement. Or, ce type d'action, lorsqu'elle est réussie, porte aussi des changements plus profonds : en cherchant des éléments de valorisation dans l'univers familier qui les entourait, les jeunes de Cork ont effectué en même temps un travail de reconstruction de leur identité personnelle et d'une identité collective.

En France, un certain nombre de villes tentent d'utiliser le volet culturel de la politique de la ville pour rétablir des circulations entre périphérie et centre. Certaines villes organisent en leur centre des activités associant des jeunes des quartiers sensibles et en périphérie d'autres manifestations susceptibles d'intéresser toute la population : la ville de Valence a ainsi installé une école d'art en zone périphérique. L'objectif est ensuite d'aller plus loin en tentant de faire accéder un certain nombre de jeunes des quartiers concernés à une certaine professionnalisation. L'Observatoire des politiques culturelles a été chargé de conduire des études d'évolution de ces politiques, notamment par la Délégation interministérielle à la ville.

Un autre exemple où la culture est utilisée pour recréer du lien dans un territoire socialement déstructuré a été présenté à la Délégation. Ainsi, l'an dernier, à Bayonne, la mairie a organisé avec le Fonds régional d'aide contemporain (FRAC), dans un appartement vacant d'une barre HLM, une exposition de photographies de la collection du fonds ; les photographies ont été choisies par de jeunes habitants de la barre - pour la plupart issus de l'immigration - et chacune disposée selon une thématique choisie par l'un d'entre eux ; la réflexion et l'expression qu'ils ont pu développer à cette occasion a signé la réussite de l'opération.

c) La création de référentiels culturels nouveaux

Au-delà de la création de lien social, mais dans la continuité de cette action, le développement de la vie culturelle dans un territoire peut aussi aboutir à y faire naître et croître des référentiels culturels nouveaux.

Poursuivant sur le rôle des cinémas en zone rurale, M. Jean-Pierre Saez a aussi exposé que : « si la structure bénéficie d'un vrai soutien des élus, des associations, des militants du cinéma, elle peut devenir, même sur un territoire restreint, un outil d'éducation artistique. »

C'est cependant là s'arrêter au milieu de l'analyse. M. Marc Philipon, directeur de l'Association départementale pour le développement des arts (ADDA) du Lot a ainsi exposé aux rapporteurs comment la politique de développement d'écoles de musique sur l'ensemble du territoire par le département avait transformé d'une certaine façon la sociabilité artistique du Lot. Cette politique a fait venir dans le département des musiciens, qui s'y sont installés, et ont donné, par leurs activités artistiques non seulement professionnelles mais aussi personnelles, une nouvelle tonalité à la vie musicale amateur du département. Cette nouvelle tonalité a du reste modifié les pratiques associatives, puisque les harmonies-fanfares n'ont jusqu'ici guère pu profiter de ce développement musical.

M. Jacques Rigaud a présenté les répercussions de la restauration de la chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon sur la population de cette ville. Villeneuve-lez-Avignon est une petite ville de 15 000 habitants. A la Révolution, sa chartreuse avait été vendue par lots. Après la guerre, elle a été progressivement reconstituée et restaurée par l'État, et un centre culturel de rencontre y a été installé. M. Jacques Rigaud, qui en est le président, a indiqué comment cette opération avait été créatrice de lien social et d'évolution des référentiels culturels. Il a exposé que le centre avait tenu à associer la population à la vie culturelle de la chartreuse : « Par exemple, en échange de la mise à disposition des locaux pour réaliser des enregistrements, il a demandé à tel grand chanteur d'opéra de présenter, pour chaque disque ainsi enregistré, l'un de ses films dans une séance réservée à la population de la ville et des communes voisines : le succès a été considérable. Il a aussi organisé le recueil de l`histoire locale de la chartreuse : il a enregistré des témoignages sur la chartreuse avant-guerre, avant le début de sa reconstitution, et pendant la guerre (elle a hébergé de nombreux résistants) ».

Et M. Jacques Rigaud de conclure : « L'ensemble de ces actions a un effet qui dépasse l'impact économique, direct ou indirect. La population peut voir le patrimoine comme autre chose qu'une charge et l'art et la culture comme un domaine qui n'est plus étranger et inaccessible. Elle est aussi amenée à porter un autre regard sur son cadre de vie et les opportunités qu'il lui offre. »

2. Territoires culturels et création d'emploi

a) La création d'emploi culturel

Le développement de la vie culturelle crée aussi par lui-même de l'emploi culturel. On l'a vu, la politique musicale du département du Lot a créé des emplois de professeurs de musique. Des troupes de théâtre, qui iront se produire à l'étranger, peuvent, dès lors que l'environnement culturel local, fût-il rural, leur est favorable, être basées en zone rurale. M. Jacques Rigaud a cité l'exemple de la troupe théâtrale de la Tour de Babel, installée à Confolens et dont les spectacles voyagent jusqu'en Amérique latine. L'exemple du théâtre du Marché aux Grains, installé à Bouxwiller, près de Saverne, peut aussi être mentionné. Dans le Lot, la petite troupe de théâtre Carré Brune a trouvé sur le territoire de l'emploi, en assurant notamment des enseignements de théâtre, et les conditions qui lui conviennent pour créer des spectacles et aller ensuite les présenter hors du département. Dans les Hautes-Alpes, il en est de même des compagnies de théâtre Les Ondes contiguës ou Pile ou Versa.

M. Jacques Rigaud a exposé que l'aménagement de la chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon en centre culturel de rencontres avait créé trente emplois permanents. De plus, son impact économique dépasse ceux-ci. « Par ses manifestations, la chartreuse a permis de maintenir le secteur de l'hôtellerie et nombre de magasins. Sa restauration et son entretien font aussi vivre un artisanat local et ont contribué à maintenir vivants des métiers et des techniques traditionnels qui, autrement, se seraient perdus. »

Le directeur de l'architecture et du patrimoine au ministère de la culture, M. Michel Clément, a lui aussi évoqué les répercussions directes sur l'emploi de l'action de restauration du patrimoine. Permettant de traiter les territoires ruraux, a-t-il exposé, le patrimoine est un outil remarquable pour l'aménagement du territoire. Il y a des zones où c'est même le seul outil pour conserver les habitants. L'architecture et le patrimoine doivent donc être utilisés comme des leviers pour l'aménagement du territoire. En outre, a-t-il fait remarquer, les entreprises qui travaillent pour les monuments historiques sont souvent installées en milieu rural.

b) La qualité de la vie culturelle d'un territoire, facteur de développement économique

La qualité de la vie culturelle d'un territoire peut enfin avoir des conséquences sur le développement général de l'emploi. Il ne s'agit plus là que de quelques emplois culturels mais bien de l'insertion du territoire dans l'économie générale.

En effet, les entreprises tiennent compte de la qualité de la vie culturelle d'un territoire dans leurs décisions d'implantation. M. Jacques Rigaud, dont on a rappelé plus haut la carrière et les fonctions passées, a tenu des propos tout à fait limpides devant la Délégation : «La culture est aussi un élément de l'attractivité d'un territoire. Lorsqu'une entreprise hésite sur le choix d'une nouvelle implantation, les trois éléments discriminants, pour ses dirigeants, sont, dans l'ordre, la qualité du réseau des transports et des communications, les conditions de scolarisation des enfants, et enfin la vie culturelle et la qualité de vie. A égalité sur les deux premiers critères, le territoire le mieux placé sur le troisième emportera la décision. »

On retrouve le critère de l'environnement culturel dans les motivations des étrangers qui choisissent de s'installer en France, y compris lorsqu'il s'agit non pas de seniors ou des vacanciers, mais de résidents des quatre saisons. Comme l'expose M. Jacques Rigaud, « si l'on entend souvent dire qu'il n'y a jamais eu autant d'Anglais en Aquitaine depuis la guerre de Cent Ans, les nouvelles liaisons avec la Grande-Bretagne, d'une part, la bonne chère, le climat et les paysages de l'autre y sont naturellement pour beaucoup, mais aussi la qualité du patrimoine et le dynamisme culturel du territoire, avec les nombreux festivals et activités de toute sorte qui irriguent la Guyenne, le Quercy ou le Périgord. »

Ainsi, la qualité de la vie culturelle crée un dynamisme du territoire. Il faut ici rappeler que la création d'un emploi a en effet des répercussions en chaîne. Quand une entreprise, culturelle ou non, crée de l'emploi, elle crée d'abord de l'emploi direct : ce sont les emplois qu'elle crée sur le territoire. Elle crée ensuite de l'emploi indirect : ce sont les commandes qu'elle passe à des fournisseurs ou à des sous-traitants implantés sur le territoire. Elle crée enfin de l'emploi induit : ce sont les emplois liés à la satisfaction des besoins des employés de l'entreprise et des titulaires des emplois indirects à l'origine desquelles elle se trouve.

Par ailleurs, et c'est un élément important, si les conditions sont favorables à l'implantation d'entreprises extérieures, elles le sont aussi à la création d'emploi sur place. On peut donc penser qu'un environnement culturel amélioré est un facteur de dynamisme plus grand de l'emploi local. Une entreprise qui se créera sur place trouvera un plus grand choix de compétences pour se développer dans un territoire qui dispose d'un fort maillage d'équipements et de pratiques culturelles que dans un territoire qui n'en dispose pas.

Il faut aussi rappeler les propos de M. Xavier Greffe sur ce qu'il appelle la « culturalisation » de l'économie, le fait que « dans les entreprises non culturelles, on observe une utilisation croissante de compétences culturelles. » Pour maintenir leur potentialité, les territoires doivent préserver la capacité de leur jeunesse à s'insérer dans une économie culturalisée.

La conscience de cet enjeu a été présentée avec une grande acuité aux rapporteurs lors de leur déplacement dans les Hautes-Alpes, à Laragne-Montéglin. D'une part, des gérants de scènes de musique et plus précisément du Live Café de Gap, ont pu exposer qu'ils constataient qu'il n'y avait pas ou plus de différence entre aspirations artistiques du public des villes et des campagnes C'est peut-être là un élément majeur de l'évolution récente des territoires.

D'autre part, et à partir des mêmes bases de raisonnement, les élus du conseil général, plus précisément son président, M. Auguste Truphème, et son vice-président chargé des affaires culturelles, M. Richard Siri, ont exposé les raisons d'une nécessaire amplification de l'action culturelle du département. Une mégalopole est en cours de constitution sur les rives de la Méditerranée, de Marseille à Nice ; elle se développe sur la base de l'excellence technologique, elle comporte des références culturelles fortes et elle crée de l'emploi. Si l'arrière-pays alpin n'offre pas de services culturels et de possibilités de vie culturelle dotés d'un minimum de cohérence avec ceux de la mégalopole, ce territoire perdra non seulement son potentiel interne de développement, mais même toute possibilité de faire valoir aux yeux des résidents de la mégalopole ses propres atouts d'espace, de tranquillité, de beauté des paysages, d'ensoleillement et de neige. Compte tenu de la demande, s'il n'offre pas aussi la culture, il ne pourra présenter une offre alternative de confort de vie.

En conséquence, le département souhaite mettre en place des pôles culturels, les relier en réseaux et allouer à ceux-ci des moyens humains pour les faire fonctionner et les coordonner dans la durée. L'action continue est pour lui indispensable, l'événementiel ne crée pas à lui seul de tissu culturel durable.

Cette analyse entraîne deux conséquences. D'une part, le vice-président du conseil général chargé des affaires culturelles milite pour une augmentation des moyens consacrés à la culture, de 2,26 % aujourd'hui à 3 % du budget du département. D'autre part, le département en appelle à la péréquation en sa faveur, à un soutien permanent. Alors qu'il n'est guère armé en terme de ressources, montagne et ruralité ajoutent aux difficultés de l'action : la faible densité, les difficultés d'un relief de montagne font exploser le budget transports des activités culturelles continues : apprentissage de la musique, lecture publique, visites des écomusées... Un soutien permanent de l'action culturelle du territoire est, selon ses animateurs, indispensable pour assurer la pérennité de ses potentialités. Comme l'a aussi déclaré le ministre de la culture et de la communication devant la Délégation : « Il faut insister sur la dimension stratégique de la culture pour le développement et sur la nécessaire égalité dans son accès ».

3. Conclusion : l'exemple de la ville de Commercy

Pour conclure sur ce point, les rapporteurs voudraient donner un exemple concret des effets que peut avoir une politique culturelle locale suivie à travers la présentation de l'évolution de la ville de Commercy, où ils se sont rendus pour la préparation de leur rapport. Commercy est une petite ville de 7200 habitants située dans la Meuse, à quasi-équidistance de Nancy et de Bar-le-Duc. Elle est aussi le centre d'un canton rural qui, elle-même comprise, compte 12 000 habitants. La ville est enfin la sous-préfecture d'un arrondissement qui compte 40 000 habitants et dont elle abrite l'unique lycée.

La municipalité de Commercy conduit depuis près de trente ans une politique qui n'oublie aucune des facettes de l'action culturelle. Cette politique comporte un volet monumental, à travers la restauration du château de Commercy, élégant édifice construit au XVIIIème siècle pour Stanislas Leszczynski, et qui ferme la ville à l'ouest, ainsi que du prieuré du Breuil. Elle inclut un volet urbanistique, avec l'arrêt, dès la fin des années 1970, de la construction de barres HLM au profit d'une rénovation et d'une restauration systématique du tissu urbain existant ; c'est ainsi que nombre de petites maisons du centre du bourg ont été transformées en HLM. Elle comporte un volet de pratiques culturelles : une composante lecture publique, avec la mise en place de deux bibliothèques publiques, l'une pour les adultes et l'autre pour les enfants ; une composante pratique artistique, avec la mise en place d'une école municipale de musique. S'agissant des événements culturels, la ville accueille chaque année un festival de jazz ; une dizaine d'expositions y sont également organisées chaque année. 10 % de son budget est ainsi consacré à la culture et à l'animation culturelle. Au-delà de la politique culturelle, la mairie de Commercy a également développé un important volet sports et loisirs avec par exemple la construction d'une piscine.

Ces volets se combinent : les services centraux de la municipalité, ainsi que les deux bibliothèques publiques, ont été installés dans le château restauré. La grande salle monumentale du château est disponible pour la tenue de manifestations importantes : un championnat international de billard a pu y être organisé ; sans cette restauration la ville n'aurait pas disposé d'un espace suffisant pour la tenue d'une telle manifestation.

Il apparaît aujourd'hui que cette politique, d'abord conçue pour les habitants de la ville, a donné une attractivité à la petite ville de Commercy. Commercy et les villages alentour gagnent des habitants. Ceux-ci viennent s'installer spontanément, de Toul ou de Nancy. Cette politique a aussi permis à la ville de garder son régiment, le huitième régiment d'artillerie, qui y était installé. Lorsque les armées ont été professionnalisées, l'armée de terre a été très attentive, pour le choix des implantations à conserver, aux conditions de vie proposées pour les familles. Commercy avec son cadre agréable, son urbanisme traditionnel, l'offre de services culturels développée par la municipalité, a pu malgré ses petites dimensions remplir les conditions du cahier des charges et donc conserver son régiment. C'est 350 emplois d'officiers, sous-officiers et militaires engagés qui ont été conservés, mais aussi 650 emplois d'appelés qui ont été transformés en emplois d'engagés. Commercy a ainsi pu se peupler de nouvelles familles disposant d'un pouvoir d'achat sans commune mesure avec celui des appelés d'autrefois.

On voit ainsi comment le développement, pour le confort et la qualité de vie de ses habitants, d'une politique municipale de patrimoine et de services culturels a pu non seulement enrayer le déclin de la population d'un territoire mais aussi développer son attractivité résidentielle et finalement, en répondant aux conditions souhaitées par un grand employeur, créer de l'activité économique, du fait des emplois, directs et induits, à l'origine desquels celui-ci se trouve.

II - QUELLE ACTION LOCALE POUR LA VIE CULTURELLE DES TERRITOIRES ?

Une fois établi le caractère positif pour le développement des territoires d'une action dans le domaine de la culture, se pose la question de la forme sous laquelle l'action locale peut intervenir et des effets précis qu'on peut en attendre.

Le premier champ d'action des collectivités concerne les services aux habitants.

Pour une vie culturelle dense, il faut d'abord des équipements : réseau de bibliothèques publiques, écoles de musique ou de danse, cinémas, salles de théâtre ou de concert. Ce réseau d'équipements est indispensable.

L'appui financier de l'État pour la vie culturelle du territoire est modeste. Les financements qu'il accorde sont pour de grands théâtres prestigieux, pour des établissements d'enseignement qui auront pour ambition de former les professionnels, même si n'y passeront pas que de futurs professionnels : on peut évoquer ici les conservatoires nationaux de musique, les écoles nationales de danse.

Lors de son audition par la Délégation, le ministre de la culture et de la communication a assumé cette situation : « L'Etat a la responsabilité des lieux phares. Pour les autres il lui revient de déclencher les initiatives territoriales et de les soutenir. Il ne s'agit pas de récuser ici le rôle de l'État en zone rurale. Il est vrai que l'Etat n'y intervient pas. C'est plutôt les conseils généraux qui assument cette tâche. (...) Il est vrai aussi que l'État se concentre sur les festivals les plus lourds. Les régions et les départements ont néanmoins un rôle à jouer sur leurs territoires ». Pour autant, il n'a pas fait de cette répartition une question de principe, mais plutôt de moyens : « dès lors qu'on lui en donnerait les moyens, le ministère de la culture et de la communication est tout à fait prêt à faire plus. »

Quoi qu'il en soit, la question est ainsi celle des services qui peuvent être fournis à tous ceux qui n'iront pas dans ces établissements de renom national, aux exigences grandes, aux localisations particulièrement urbaines, et aux coûts importants pour les collectivités elles-mêmes, l'apport de l'État, même si c'est lui qui fixe les normes, restant tout à fait minoritaire, de l'ordre de 15 % à 20 % de leur fonctionnement.

Les collectivités se trouvent donc confrontées à l'organisation et au financement du maillage culturel de leur territoire. La question est double. Il y a d'abord celle de la mise en place du réseau d'équipements lui-même. Il y a ensuite celle de son fonctionnement. Faut-il subventionner ? Que subventionner ? Dans quelles conditions ? Enfin, dès lors que le subventionnement du fonctionnement est décidé, se pose inévitablement la question du droit de la collectivité à contrôler l'organisme : contrôle de la qualité des spectacles produits, de l'enseignement dispensé, défini de façon soit autonome, soit par rapport à des critères développés par l'État.

Les rapporteurs évoqueront ces questions à partir des problèmes qui ont été soulevés devant eux lors de leurs déplacements. Il y a des domaines, comme la lecture publique, où tout semble bien huilé : la répartition des compétences semble fonctionnelle ; en zone rurale, les bibliobus passent ; les relations avec les écoles s'exercent sans heurts. Cela est apparu même dans les endroits où le service est le plus difficile à organiser, les zones rurales de montagne. La directrice de la bibliothèque départementale de prêt des Hautes-Alpes a exposé aux rapporteurs comment celle-ci arrivait à desservir 135 communes sur 177, sachant que 22 communes ont moins de 100 habitants ; elle a certes renoncé à desservir les communes où il n'y a aucune demande, ou encore un seul emprunteur. Pour le reste, elle arrive toujours à utiliser un local pour en faire une succursale de la bibliothèque : un bistrot, une bergerie (dans le Queyras), voire le presbytère du village (à Abriès) servent ainsi de relais à la bibliothèque. L'informatisation du catalogue et sa fusion avec ceux du musée départemental et du fonds de livres des archives départementales est en cours.

Il y a d'autres domaines où les difficultés sont plus durement ressenties : la musique, le théâtre amateur, le spectacle vivant. C'est tout particulièrement dans ces domaines que les rapporteurs voudraient faire état des difficultés qui leur ont été soumises, des solutions qu'on leur a présentées, et enfin de celles qu'ils pourraient proposer.

A. LE SPECTACLE VIVANT

Un premier champ d'intervention pour les collectivités locales est celui du spectacle vivant.

C'est bien sûr un champ où l'État conduit sa propre action. Cependant, comme dans les autres domaines, les collectivités locales ne peuvent guère compter sur son appui. L'action de l'État, comme M. Jérôme Bouët, directeur de la musique, de la danse, du théâtre et des spectacles au ministère de la culture et de la communication, l'a exposé aux rapporteurs, est limitée à de grandes scènes et très inégalement répartie entre les territoires. Les disparités restent considérables. Ainsi, il y a 60 scènes nationales ; autrement dit 40 départements en sont dépourvus. De même, il y a 30 centres dramatiques nationaux, ce qui signifie que 70 départements n'en disposent pas. Dans beaucoup de départements ruraux, la présence du spectacle vivant est très faible.

Il y a donc bien des populations qui se trouvent éloignées de tout bénéfice de cette action publique. Par ailleurs, le ministère de la culture expose lui-même que son impécuniosité est durable et que ce n'est pas de lui que viendra le financement d'un meilleur maillage du spectacle vivant sur le territoire.

Le champ est donc laissé aux collectivités locales pour promouvoir le spectacle. Inévitablement, il leur revient de définir des stratégies d'intervention. Or, les entretiens auxquels ont procédé les rapporteurs lors de leurs déplacements l'ont montré, le spectre des interventions possibles est d'une ampleur considérable.

1. Quel appui pour les troupes amateurs ?

Le spectacle vivant, dans son acception la plus simple, c'est d'abord des troupes amateurs qui jouent pour leur propre plaisir. Un bon exemple de ce type de troupes a été présenté aux rapporteurs à Saverne par le principal du collège de Bouxwiller. Celui-ci anime une troupe de théâtre amateur d'expression française ; celle-ci, nous a-t-il dit, s'est spécialisée dans des pièces légères mais avec un souci de qualité. Elle comprend une troupe adulte et une troupe de jeunes. Il y a un véritable souci de formation : les jeunes sont donc encadrés par un comédien professionnel ; celui-ci est rémunéré par les gains issus des représentations données par la troupe d'adultes.

a) L'équipement du territoire en salles

Les modalités de l'appui à ce type de structures, importantes pour un maillage culturel du territoire, sont assez faciles à définir. Il s'agit d'abord de les aider à se produire. Pour cela il faut un maillage de salles adaptées. Celui-ci n'existe pas toujours : on a bien vu que si l'objet de l'association Lecture et lecteurs, dans le Lot, est de lire du théâtre, c'est aussi parce que la campagne lotoise ne dispose pas des équipements nécessaires à la représentation de théâtre joué.

Lors de la réunion tenue par les rapporteurs à Cahors, la présidente du Comité départemental du théâtre et des arts vivants a souligné les problèmes de logistique en milieu rural pour permettre une vie culturelle associative satisfaisante : les salles des fêtes sont trop petites pour les représentations théâtrales ; ou alors les cours y ont lieu ; ou encore elles ne sont pas équipées pour des représentations.

Dans ces conditions, les moyens de promotion de la pratique théâtrale amateur sont bien d'abord l'appui à la mise en place de lieux de représentation : financement de salles, mise aux normes de celles qui existent, mais aussi achat et mise à disposition, contre rémunération ou non, des équipements qui permettent de transformer une salle des fêtes en salle de représentation.

Ayant constaté que, aux quatre coins du département du Lot, les problèmes étaient partout les mêmes, le Comité départemental du théâtre et des arts vivants achète désormais du matériel : spots, gradins, sonorisation... qu'il prête ou loue aux associations.

Cette question est résolue de façon assez similaire en Alsace. Là cependant, ce n'est pas le département, mais la région qui s'est chargée du problème. La région Alsace a créé une agence, l'Agence culturelle d'Alsace. Celle-ci a acheté du matériel permettant de transformer les salles des fêtes non équipées en salles susceptibles de recevoir des manifestations théâtrales, des spectacles, des projections de cinéma. Elle loue ainsi à petit prix spots, gradins et scènes aux associations qui présentent des spectacles ou qui les reçoivent dans des salles non équipées.

Enfin, les rapporteurs ont constaté qu'une solution similaire allait être mise en place dans les Hautes-Alpes. Le vice-président du conseil général chargé des affaires culturelles a annoncé la mise en place imminente d'une agence culturelle qui aura parmi ses objectifs celui du lien social culturel.

b) Le financement de formations pour les amateurs

Une autre forme d'appui peut être la rémunération ou les aides à la rémunération de professionnels assurant la formation des amateurs. Cela peut concerner les activités en milieu scolaire ou encore en milieu extrascolaire. En Alsace encore, les deux cas ont été rencontrés. Dans le Lot, les membres d'une petite compagnie, la compagnie Carré Brune, mènent ainsi une double activité. La première est une activité de création et de représentation artistique ; elle leur donne, lorsqu'ils remplissent les conditions minimales d'activité, accès au régime des intermittents du spectacle et leur garantit une base de revenus. La deuxième est une activité de formation, qu'ils dispensent dans les écoles ou encore dans les entreprises, dans le cadre des activités du comité d'entreprise par exemple.

Une telle situation de rémunération au moins partielle de professionnels par le biais de la formation est tout à fait importante pour le maillage culturel du territoire. Comme dans le cas de la musique, ces professionnels peuvent en effet gagner leur vie sur le territoire et influer sur les pratiques culturelles du simple fait qu'ils s'y sont installés.

Lors du déplacement des rapporteurs à Saverne, le directeur du théâtre du Marché-aux-Grains a ainsi déclaré qu'aujourd'hui, si le théâtre qu'il dirige avait une action de production « dans des formes qui se déclarent contemporaines », il a aussi une mission de formation, et est en relation avec six lycées et trois collèges ; pour chaque lycée il y a un professeur correspondant et les projets se terminent toujours par un spectacle ; il a aussi des relations avec les troupes amateur. Enfin il a noué un partenariat durable avec les scènes alsaciennes, allant jusqu'à l'accueil en résidence d'équipes qui préparent leur travail, celles-ci n'ayant pas toujours un local en ville.

Des organisations du même type ont pu être observées par les rapporteurs dans les Hautes-Alpes. L'association Pile ou Versa est ainsi une troupe de six permanents et quatre occasionnels. Ses membres vivent d'abord de création de spectacles que l'association produit elle-même et d'organisation d'évènements de deux semaines environ où elle monte ses propres spectacles et fait venir des compagnies partenaires. Celles-ci peuvent venir du monde entier, comme les Tréteaux du Niger qui ont offert un superbe spectacle. Réciproquement, Pile et Versa se produit sur le territoire de ses partenaires et donc notamment à l'étranger. Cependant, Pile et Versa vit aussi d'une activité continue de cours de théâtre dans les établissements scolaires. La compagnie de théâtre Les ondes contiguës fonctionne sur un principe proche.

Ce type de fonctionnement sera d'autant plus facile que l'Éducation nationale sera réceptive à l'organisation de telles formations pour les élèves. Le principal du collège de Bouxwiller a ainsi exposé que l'ouverture culturelle était un élément de son projet d'établissement. L'activité culturelle dans le temps scolaire n'est limitée que par l'obligation qui s'impose aux chefs d'établissement qu'elle soit gratuite pour les élèves. Le déplacement à Commercy a également révélé des démarches similaires de la part des responsables de l'Éducation nationale, dans le cadre d'un plan local d'éducation artistique (PLEA).

Là encore cependant, l'appui que peut donner le ministère de la culture aux collectivités est très faible. Les PLEA sont une forme de convention de développement culturel, c'est-à-dire de convention passée entre un territoire, l'Éducation nationale et le ministère de la culture pour former les enfants d'âge scolaire aux disciplines artistiques, dans le cadre du temps scolaire. En échange d'un contrôle par la direction régionale des affaires culturelles (DRAC) de la qualité des actions menées, le ministère de la culture et le ministère de l'Éducation nationale abondent le financement des opérations. En pratique, le caractère limité des enveloppes budgétaires dont disposent les ministères à cette fin aboutit à ce que des projets soient refusés non pas pour des raisons de qualité mais parce que les financements ne sont pas là. Dans le département de la Meuse par exemple, le nombre de classes à PAC (projet d'action culturelle) est passé en quelques années de 80 à 22. Et comme l'Éducation nationale veut assurer un maillage du territoire, elle ne va pas réserver ses crédits aux collectivités qui mettent en place un PLEA. L'outil créé par l'État est ainsi inopérant et l'action qu'il est supposé permettre, laissée à la seule charge des collectivités locales. On verra que les PLEA ne sont pas le seul exemple de cette situation.

2. L'appui financier aux salles de spectacles

a) Appui aux cinémas et théâtres : une démarche répandue

Une deuxième forme d'action possible est le financement d'équipements pour la représentation des spectacles. C'est une politique traditionnelle et parfois ancienne des municipalités et, aujourd'hui, des intercommunalités. Ce type de politique concerne d'une part les cinémas, et de l'autre les théâtres, sachant qu'une même structure gère parfois les deux types de salles ou qu'une même salle sert aux deux types de représentations.

Le financement d'un cinéma, là où aucun grand réseau ne souhaite en ouvrir, par les collectivités locales, est devenu un grand classique des zones rurales. Les formules sont diverses. La collectivité peut être une municipalité, ou une intercommunalité. La collectivité peut louer les murs à un exploitant, ou en réalité piloter la programmation à travers une association. La programmation, qu'elle soit organisée à travers l'association ou par contrat avec l'exploitant, combine en général programmation grand public et programmation d'art et d'essai. Si cette double démarche est respectée, le succès est assez facilement au rendez-vous. Ainsi, le cinéma intercommunal de Bretenoux-Biars-sur-Cère, dans le Lot, géré par la communauté de communes et exploité par elle avec l'appui d'une association, Grand Angle, enregistre entre 20 000 et 25 000 entrées par an. La salle de cinéma de Laragne, l'une des deux seules subsistant dans la vallée du Buëch, est une salle communale mise gracieusement à la disposition d'un gérant.

Les municipalités peuvent financer également des théâtres. Ceux-ci sont parfois anciens, et peuvent faire partie du patrimoine immobilier de la ville. L'Alsace du Nord est particulièrement riche en établissements de ce type. Elle comprend ainsi, parfois seulement à quelques kilomètres de distance l'un de l'autre, le relais culturel d'Haguenau, la deuxième ville du département après Strasbourg, celui de Saverne, celui de Reichshoffen, la MAC de Bischwiller, le centre culturel de Niederbronn-les-Bains, le relais culturel de Wissembourg, et enfin celui d'Obernai.

Chacune de ces salles assure une programmation de spectacle vivant, avec de la danse, de la musique et du théâtre. Certaines disposent également d'une salle de cinéma, qu'elles gèrent généralement en associant cinéma grand public et cinéma d'art et d'essai. Chacune dispose d'une équipe permanente d'environ huit personnes. Certaines organisent les festivals. À Reichshoffen, le festival Augenblick, avec 300 projections sur trois semaines, est un festival de films allemands non sortis dans les salles françaises. Wissembourg organise trois festivals dans l'année, l'un en langue alsacienne qui connaît beaucoup de succès, un deuxième de théâtre amateur, le festival Winterspiel, où pendant trois jours se produisent 12 troupes, dont trois allemandes, et qui comporte une forte dimension festive, et enfin un festival international du film d'animation, festival biennal où, pendant six jours, sont présentés 300 films, et qui attire 2 600 spectateurs.

On peut présenter plus particulièrement le Relais culturel régional de Saverne, baptisé Espace Rohan. Ouvert en septembre 1994, il avait pour objet de répondre à une carence en lieux d'accueil et de diffusion culturelle sur le secteur. Il s'agissait aussi de former et de fidéliser un public, jeune en particulier - les spectacles de théâtre par exemple rassemblaient alors une trentaine de spectateurs en moyenne - mais aussi d'irriguer l'arrière-pays savernois à travers une programmation de spectacles vivants donnés dans l'ancien château des Rohan, dans une salle de 500 places. Le succès a été au rendez-vous. L'Espace Rohan compte aujourd'hui plus de 1 300 abonnés. La grande majorité des spectacles qui y sont donnés affichent désormais complet. Plus de 27 000 spectateurs sont ainsi attendus cette saison-ci, pour une cinquantaine de spectacles et quelque 90 représentations. Ces abonnés proviennent de 145 communes différentes, dont 85 % du Bas-Rhin et 15 % de la Moselle. Le nombre d'abonnés de Saverne représente environ 37% du public ; 20 % des abonnés sont issus des autres communes de la communauté de communes de Saverne ; les autres viennent de communes plus éloignées.

Les spectacles jeune public font l'objet d'une demande plus forte que la capacité d'accueil possible : pour 6 200 places offertes cette saison, il y a eu 8 660 demandes émanant de 65 écoles, soit plusieurs centaines de classes. 54 établissements ont pu être satisfaits, avec au moins un spectacle par classe ; 40 % des élèves acceptés viennent de Saverne, 28 % sont originaires d'autres communes de la communauté de communes, et 6 % de Moselle.

b) Des versements déterminants pour des coûts élevés

Les coûts sont cependant en rapport avec le succès. Le budget de l'Espace Rohan est de 750 000 €. L'autofinancement n'est que de 30 % ; le budget de fonctionnement est assuré par des subventions des collectivités locales, au premier rang desquelles la commune : la commune de Saverne assure 69 % du solde, la région 15 %, le département 12 % ; l'État, par l'intermédiaire de la DRAC, concourt à hauteur de 3000 €, c'est-à-dire de 0,8 %.

La comparaison entre la structure du public et celle des subventions pose la question des charges de centralité, c'est-à-dire des charges de la commune centre, qui finance l'essentiel de l'équipement, par rapport à celles de communes périphériques, dont les habitants profitent de l'équipement sans que leur commune ait à le financer. La ville de Saverne subventionne sa salle à 70 %, alors que ses habitants représentent 35 % à 40 % de sa fréquentation.

Dans le cas particulier de l'Alsace du Nord, on peut considérer cependant que la compensation se fait par une sorte de réciprocité, eu égard à la diversité des salles. En effet, les structures budgétaires des autres salles sont du même modèle que celles de l'Espace Rohan. Le budget du Relais culturel de Wissembourg est de 1 à 1,5 million d'euros. Les Tanzmatten de Sélestat fonctionnent avec un budget de 900 000 € ; les deux tiers de ce budget, soit 600 000 €, sont fournis par une subvention d'équilibre. Le budget du théâtre du Marché-aux-Grains de Bouxwiller est de 300 000 € ; son statut lui permet de recevoir une subvention de l'État, au titre de l'aide à la création ; elle se monte à 75 000 € ; la région verse 35 000 €, le département 25 000 € ; la commune verse seulement 4 500 €, mais c'est elle qui prête la salle. C'est ainsi la moitié du budget de fonctionnement qui est assuré par des subventions.

En tout état de cause, les montants en jeu et l'importance des subventions dans l'équilibre financier des salles ont conduit à lancer des rationalisations bénéfiques aux finances des collectivités locales. La proximité de ces villes amène les directeurs à faire des efforts de cohérence. Un réseau a été créé de façon à optimiser le fonctionnement des salles. En 1993 ont été ainsi fondées les Scènes du Nord Alsace. Ce réseau se concerte pour la programmation, les échanges de matériel, l'emploi du personnel. Il a aussi organisé des systèmes de plaquettes de présentation communes et d'abonnements communs. Les salles ont aussi mis en commun leurs tarifications réduites et ont mutualisé un festival par an de façon à pouvoir disposer chaque saison d'une tête d'affiche ; il se tient à Bischwiller, qui dispose de la salle la plus importante (900 places). En revanche, le réseau n'a pas recours à l'Agence culturelle d'Alsace dans la mesure où ses salles sont équipées.

3. L'engagement dans des politiques de programmation

La situation de dépendance budgétaire des théâtres amène de plus en plus les instances qui les subventionnent à vouloir définir et faire appliquer une politique culturelle.

a) Les communes

Cette question est ancienne pour les communes. Les municipalités interviennent à travers la nomination des directeurs de salles. De ce fait, l'orientation de la programmation d'une salle municipale, ou fortement subventionnée par la municipalité, ne peut d'ores et déjà se faire sans un aval, d'une façon ou d'une autre, de celle-ci.

Les directeurs de salles que les rapporteurs ont rencontrés sont conscients que c'est toujours les mêmes 10 % de la population qui sont intéressés. Cependant ils estiment faire de la permanence artistique. Ils ont à coeur de favoriser la rencontre du public avec les artistes. Ils ont aussi exposé que le développement d'une programmation à l'attention du jeune public avait pour objectif d'élargir la population de spectateurs avec le temps. L'objectif est que le jeune public, venu avec sa classe, continue plus tard à venir au théâtre alors qu'il ne fait pas forcément sociologiquement partie de la population aujourd'hui spectatrice. C'est ainsi que, dans le réseau des Scènes du Nord-Alsace, une action a abouti à ce que une classe par site puisse écrire un texte et composer la musique d'un spectacle avec un auteur en résidence ; au mois de juin les 200 élèves de ces classes se sont retrouvés sur une scène pour présenter ces 12 textes devant une salle pleine.

Par ailleurs, ces salles n'oublient pas de prévoir un certain nombre de programmations, qu'elles qualifient de plus commerciales. À Reichshoffen, huit représentations de théâtre alsacien ont attiré 4 500 spectateurs sur un mois. Ce sont, nous a-t-on dit, des spectateurs qu'on ne voit pas autrement dans la programmation.

Les rapporteurs ont cependant pu constater que, au-delà des municipalités équipées de salles, régions et départements formalisent eux aussi progressivement des politiques de programmation, alors même que leurs débours sont infiniment moins importants que ceux des municipalités. Leurs représentants ont été diserts sur ce point. C'est sans doute la traduction d'une prise de conscience nouvelle qu'une action dans ce domaine est pour eux possible. En même temps, ces institutions disposent d'un effet de levier que n'ont pas les communes, qui ne peuvent agir que sur leur propre salle.

b) Les départements

Bien que la loi n'attribue que fort peu de compétences aux départements en matière culturelle, leur seul domaine d'intervention obligatoire étant la lecture publique dans les communes de moins de 10 000 habitants, certains départements se sont engagés dans des politiques en matière de spectacle vivant. C'est le cas du département du Bas-Rhin. Le budget global de la culture du département est de 30 millions d'euros.

Le vice-président du conseil général chargé de la culture, M. Jean-Laurent Vonau, a exposé qu'il était logique que chaque département ait sa propre politique. Car chacun d'eux a sa propre configuration culturelle. Ainsi, la présence du TNS à Strasbourg fait que le département du Bas-Rhin comporte 60 troupes professionnelles et 250 intermittents. Pendant l'année 2000, il y a eu 4 000 spectacles à Strasbourg. Le conseil général considère qu'il faut faire vivre ces troupes et ces acteurs. Il considère aussi que toute la population doit avoir accès à la culture. En conséquence, l'un de ses objectifs est d'accompagner le maillage territorial de la vie culturelle. Bien que celui-ci se soit considérablement resserré en vingt ans, le département considère qu'il va continuer à se développer.

Pour satisfaire ces deux objectifs, le département s'est lancé dans une politique de conventionnement fondé sur un certain nombre de conditions. Il considère que, quand une structure est soutenue, elle doit rayonner ; que toutes les troupes ont vocation à accéder à l'ensemble des salles ; et enfin que le département doit penser aux 250 intermittents qui ont besoin de se produire. Dans les cantons ruraux, le conseil général a fait venir le théâtre jeune public de Strasbourg. Dans deux bourgs ruraux, les spectacles subventionnés par le conseil général ont très bien marché ; le département demande maintenant aux bourgs centres de prendre le relais pour pouvoir développer l'opération dans deux autres cantons.

Le département offre aussi un soutien logistique pour permettre aux troupes de percer. Il a financé la production d'une troupe à Avignon ; aujourd'hui il apporte un soutien logistique à des groupes qui souhaitent se produire au printemps de Bourges. C'est donc une politique évolutive en fonction des besoins.

c) Les régions

Les régions ont elles aussi entrepris d'investir le domaine du spectacle vivant. C'est ainsi que le conseil régional d'Alsace ne se contente pas, à travers l'Agence culturelle d'Alsace, d'offrir un appui matériel aux petites salles et aux petites formations par l'achat d'équipements techniques loués à faible prix ou une participation aux frais de confection des plaquettes des diffuseurs.

L'Agence propose en effet à 40 villes d'Alsace (hors Strasbourg et Mulhouse) une sélection de 18 spectacles par saison pour trois types de lieux : des structures professionnelles avec équipe technique et administrative permanente et salles équipées (salles A), des belles salles mais sans équipes techniques (salles B), et enfin des salles des fêtes et des salles polyvalentes. (salles C). Elle propose un accompagnement technique, une aide financière pour l'achat des spectacles, des actions de sensibilisation du public et la prise en charge des transports pour le déplacement de celui-ci.

Les compagnies qui souhaitent être programmées dans la tournée des « Régionales » déposent un dossier de candidature à l'Agence culturelle d'Alsace. Une commission de programmation sélectionne ensuite les spectacles en fonction de nombreux paramètres, notamment en veillant à proposer aussi des « petites formes » susceptibles de tourner, grâce à l'aide technique de l'Agence, dans des lieux peu équipés. Cette année, environ 100 dossiers ont été déposés ; la tournée compte 170 représentations.

En dehors de ce soutien à la diffusion, l'Agence culturelle propose aussi aux compagnies des résidences au service de la création grâce à son espace « Scènes d'Alsace ». Chaque année une douzaine de compagnies ou formations musicales en bénéficient. Ces résidences doivent durer au moins trois semaines et se conclure par un spectacle.

Le Conseil régional dispose d'autres dispositifs de soutien de la création dans le domaine du spectacle vivant. Il a notamment élaboré un dispositif dénommé CHIC. Il s'agit d'une aide spécifique apportée aux acteurs culturels qui ont réussi à monter et présenter des projets communs et à travailler ensemble. L'initiative doit venir du terrain. L'aide apportée est programmée non pas annuellement mais sur trois ans. Sur les 35 000 € de subventions apportées au théâtre du Marché aux Grains par la région, 10 000 € le sont au titre du CHIC. La région a même demandé aux acteurs qu'elle a l'habitude de financer d'aller aussi sur le dispositif CHIC ; dans ce cas ils retrouvent leurs subventions mais sur trois ans et non de façon annuelle.

d) Des politiques à replacer dans des projets de territoire

Les choix du conseil régional et du conseil général suscitent chez les artistes professionnels des réactions parfois contrastées. Ceux-ci soulignent l'intérêt de l'engagement sur trois ans pour caler les projets, les évaluer et acter leur financement : l'absence de renégociation tous les ans crée une confiance pour l'artiste, qui a l'impression de travailler en partenariat et non pas d'aller pleurnicher des crédits.

En revanche, du fait de l'affirmation de politiques tranchées, ils se plaignent d'avoir parfois du mal à se retrouver entre les orientations qu'impose chacun des financeurs ; celles-ci ne sont pas toujours convergentes. La situation est d'autant plus difficile que le désengagement de l'État fait disparaître un traditionnel pilote de référence.

On peut donc penser que, s'ils veulent continuer à développer des politiques en matière de culture, les territoires ne pourront pas faire l'économie d'une réflexion sur l'interaction de celles-ci, et sur l'élaboration d'éléments de référence, de préférence communs, à partir desquels ils pourront déployer leurs financements. L'élargissement des publics culturels pourrait constituer l'un de ces éléments. Il paraît par ailleurs difficile que les communes, qui financent l'essentiel des équipements, acceptent de rester en dehors des débats conduits par les départements et les régions.

Il faut enfin noter que ces démarches de diffusion peuvent être déclinées sous d'autres formes institutionnelles, où les pouvoirs publics locaux ne sont pas forcément les sources d'impulsion. Ainsi, à Gap La Passerelle, scène nationale et bénéficiant de financements de l'État, de la région et de la ville de Gap, produit depuis 1993 des spectacles dénommés « Les Excentrés ». Il s'agit de spectacles adaptés au format des salles des bourgs-centres, chefs-lieux de canton, du département des Hautes-Alpes. Les Excentrés se produisent aujourd'hui dans 7 communes (Embrun, Guillestre, l'Argentière-La Bessée, Chabottes, La Saulce, Veynes-Tallard). Ces spectacles donnent lieu à des conventions particulières de partenariat avec ces communes ; elles payent une participation, inférieure bien sûr au coût réel du spectacle. Dans ces conditions, La Passerelle leur propose 3 spectacles par an.

B. L'ENSEIGNEMENT DE LA DANSE

La musique et la danse forment les deux loisirs artistiques les plus demandés par les Français, notamment pour leurs enfants. Ce sont aussi, avec la peinture ou le dessin, ceux où la pratique amateur ne peut se passer d'un apprentissage assuré par des professionnels. Ces deux caractéristiques font que les collectivités sont obligées de s'intéresser à l'enseignement de ces deux arts et de veiller à ce qu'ils soient proposés à la partie la plus large possible de la population, et notamment de la jeune population, la population d'âge scolaire.

1. L'absence de politique de l'État envers les territoires

Au ministère de la culture et de la communication, M. Jérôme Bouët, se félicite du succès que rencontre la danse. Le secteur de la danse s'est développé depuis une vingtaine d'années. La danse a rencontré son public même lorsque la chorégraphie est exigeante ou a priori difficile. La danse française s'exporte.

Il reconnaît néanmoins que la présence de la danse dans les territoires est extrêmement inégale et sans doute insuffisante. Il y a 20 centres nationaux seulement ; il y a aussi environ 200 compagnies aidées ; mais leur répartition sur le territoire est très inégale : elle concerne les régions Île-de-France, Provence-Alpes-Côte d'Azur, Nord-Pas-de-Calais, Rhône-Alpes ; surtout, elles ne forment pas un réseau national. Le ministère expose que, pour pallier cette situation, il essaie de favoriser la circulation des artistes et veille à ce que la danse prenne plus de place dans la programmation des scènes nationales, notamment en nommant des directeurs qui viennent de la danse ou de la musique, et non pas seulement du seul théâtre.

Il faut bien en conclure néanmoins que non seulement il n'y a pas un réseau national en matière de danse, mais aussi que le ministère de la culture limite le champ de son action à la formation de professionnels et à la promotion des spectacles les plus exigeants. Au cours de leurs déplacements, les rapporteurs ont du reste pu entendre quelques propos sonores sur la survalorisation, par les commissions de financement du ministère, des projets prétendant à une diffusion nationale ou à une sophistication de bon aloi, aux dépens de projets locaux, quelle que soit leur qualité, ou de projets plus populaires, qui peuvent attirer un large public.

Quant à l'enseignement, M. Jérôme Bouët le reconnaît lui-même, l'enseignement public est de bonne qualité, mais il est insuffisant et lui aussi mal réparti, avec deux conservatoires nationaux, et quelques écoles nationales. Le reste, ajoute-t-il, est assuré par un enseignement privé, que l'État essaie de contrôler, ne serait-ce que pour des raisons de santé. De fait, il existe un certain nombre de conditions de formation pour être professeur de danse, qui incluent notamment des notions d'anatomie et de physiologie, de façon à ce que les professeurs sachent éviter le risque de forcer, en quelque sorte, les capacités physiques de leurs jeunes élèves, et de leur causer d'éventuelles lésions aux conséquences durables.

2. Une charge faible pour les collectivités locales

L'État laissant ainsi le développement de l'enseignement de la danse amateur aux professeurs privés et aux associations, quelle charge cela laisse-t-il aux collectivités locales qui voudraient s'assurer que ce loisir artistique est bien mis à la disposition de la population de leur territoire ?

Les entretiens conduits par les rapporteurs au cours de leurs déplacements montrent qu'à peu près aucune charge ne leur est laissée. Ainsi, les responsables de l'association départementale pour le développement des arts (ADDA) du Lot, laquelle dépend étroitement du conseil général, leur ont exposé que le conseil général du Lot ne finançait pas du tout l'enseignement de la danse. La danse y est enseignée dans un cadre associatif et privé. Ils ont même ajouté qu'il avait bien été envisagé d'élargir à la danse les programmes de l'école de musique municipale agréée de Cahors, mais que cela avait été abandonné.

La raison de cette situation, ont-ils exposé, est que la danse s'enseigne en cours collectifs. Les tarifs demandés au public sont de ce fait limités. Les professeurs et les écoles de danse, qui sont en général des associations, arrivent ainsi à vivre et à trouver une clientèle sans avoir besoin d'un soutien de la puissance publique. Les responsables de l'ADDA du Lot ont même ajouté que la raison principale pour laquelle on avait renoncé à introduire la danse à l'école municipale de Cahors était la peur véritable exprimée par les associations que l'organisation d'un enseignement de la danse par le secteur public aboutisse à leur enlever des élèves et donc à les mettre, elles et leurs professeurs, en difficulté. Développer un enseignement de la danse dans un cadre par exemple municipal semble ainsi relever beaucoup plus d'une option de politique sociale, et parfois de l'héritage de l'histoire, que d'une politique de développement des territoires, pour laquelle cela ne semble pas nécessaire. Présentes lors d'une autre réunion, des associations donnant des cours de danse n'ont pas soulevé de problème particulier.

Les entretiens conduits par les rapporteurs à Saverne ont permis de confirmer cette situation de grande autonomie de l'enseignement de la danse. L'interlocuteur n'était plus là une petite association rurale. Le directeur de la compagnie de danse Le Grand Jeu a exposé aux rapporteurs comment il faisait vivre sa compagnie. Celle-ci est installée dans la petite ville de Bouxwiller. Elle dispose de l'usage d'une salle professionnelle équipée, de 100 places, qui est donc un lieu de création et non pas de diffusion. Cette salle a d'abord été prêtée et est aujourd'hui louée par la mairie. La compagnie en partage les frais d'administration et d'entretien avec la compagnie théâtrale en quelque sorte titulaire de la structure, sur la base de leur utilisation respective des capacités et des équipements de celle-ci. Les 10 danseurs que comporte la compagnie sont tous des intermittents du spectacle. Être danseur permanent est, selon son directeur, impossible hors des centres dramatiques nationaux, les quelques centres que l'État finance. La compagnie monte des spectacles à l'attention d'un public non averti. Mais elle vit aussi d'un travail de formation, mené avec les enseignants dans le cadre d'une ouverture culturelle du temps scolaire, à partir de la maternelle. Son directeur artistique est également vacataire à l'université Marc-Bloch pour le développement d'un nouveau cursus de licence dans lequel il donne des cours de danse théorique.

On le voit ainsi, l'enseignement de la danse dans les territoires s'organise par lui-même. A vrai dire, il apparaît même comme un sous-produit du spectacle vivant, les danseurs combinant l'enseignement avec le statut d'intermittent et la représentation de spectacles, fonction qui concerne elle aussi les territoires et qui sera examinée un peu plus loin.

C. L'ENSEIGNEMENT DE LA MUSIQUE

1. Une demande très forte, mais un dispositif en difficulté

a) Une politique de l'État affirmée

La situation de la musique est radicalement différente. Comme M. Jérôme Bouët l'a exposé aux rapporteurs, en France la demande sociale pour l'enseignement musical est forte. Pour citer des chiffres de la direction régionale des affaires culturelles (DRAC) du Bas-Rhin, dans ce département, il y a au Conservatoire national de région 1 460 élèves musiciens pour 104 élèves danseurs, et dans les deux écoles nationales de musique 1 634 élèves musiciens pour 73 élèves danseurs. Il y aurait en France plus de 750 000 élèves musiciens. Ensuite, comme l'expose aussi M. Jérôme Bouët, cet enseignement est de très haut niveau. Enfin, cet enseignement, qui est dispensé individuellement aux élèves et requiert la disposition pour chacun d'un instrument, est coûteux.

Eu égard à la force de la demande, contrairement à ce qui se passe pour la danse, l'État a organisé les conditions d'un maillage national de l'enseignement musical. D'une part, le ministère de la culture contrôle 32 conservatoires nationaux de région (CNR) et 104 écoles nationales de musique (ENM). La direction de la musique et de la danse en définit les programmes. Les études sont réparties en trois cycles, d'une durée totale de onze ans. L'âge d'entrée y est de 11 ans. Ces établissements délivrent des diplômes nationaux. Ils ont vocation à former les professionnels de l'enseignement musical. Ce qui différencie CNR et ENM n'est pas le niveau d'exigence, qui est dans les deux cas très élevé, mais le nombre de disciplines enseignées.

D'autre part, le ministère de la culture a entrepris d'étoffer ce réseau par un dispositif d'agrément de certaines écoles relevant de collectivités territoriales, et notamment des communes. Pour être agréée, une école municipale doit être en conformité avec divers critères (locaux, qualification des enseignants...) définis par la direction de la musique et de la danse. Surtout, les écoles agréées doivent appliquer le schéma directeur d'organisation pédagogique, celui qui organise les études dans les CNR et les ENM. En revanche, elles ne peuvent délivrer de diplômes nationaux. Les écoles agréées peuvent bénéficier de subventions d'État. À vrai dire, il faut plutôt parler de cette possibilité au passé, car, de l'aveu même du directeur de la musique de la danse, les capacités budgétaires d'intervention de l'État pour le fonctionnement ont fondu. Il existe 232 écoles municipales de musique agréées.

Pour couronner le tout, outre les diplômes de pure pratique instrumentale délivrés par les CNR et ENM, trois diplômes d'enseignement ont été institués, le certificat d'aptitude (CA), le diplôme d'État (DE) et le diplôme universitaire de musicien intervenant (DUMI) qui est un diplôme de premier cycle. Ces diplômes sont requis pour accéder aux statuts de la filière artistique de la fonction publique territoriale.

La politique de l'État tend ainsi clairement à organiser, ou plutôt à faire organiser par les collectivités locales, un maillage territorial de l'enseignement musical sur la base d'une déclinaison des standards en vigueur pour la formation des professionnels de la musique.

b) La réponse des collectivités territoriales et les difficultés du dispositif

La question est alors celle du positionnement des collectivités territoriales par rapport d'une part à la demande sociale en matière de musique, et de l'autre au modèle plutôt coûteux et exigeant proposé par l'État pour la mise en place de cet enseignement.

Au cours de leurs déplacements, les rapporteurs n'ont pu trouver de territoires où l'enseignement de la musique n'était pas, d'une façon ou d'une autre, pris en charge par les collectivités.

Il s'avère en revanche que, si les communes sont particulièrement soucieuses de satisfaire la demande d'enseignement de la musique, la solution adoptée n'est pas toujours celle préconisée par l'État. Ainsi, si à Commercy l'école de musique est agréée, à Saverne la municipalité n'a pas souhaité qu'elle le soit, alors même qu'elle répondait à toutes les conditions pour l'être.

Ensuite, il semble que le mode de fonctionnement des écoles municipales agréées ne suscite pas toujours la satisfaction de la municipalité elle-même. À Commercy, le maire se plaint du coût et de la rigidité de fonctionnement de l'école de musique agréée. Les règles d'emploi font que les professeurs, qui, on le rappelle, assurent un enseignement individuel, sont embauchés pour un certain nombre d'heures fixe ; si, pour des raisons qui tiennent aux professeurs eux-mêmes, ce nombre d'heures ne peut être atteint, la ville est néanmoins obligée de continuer à les payer sur le nombre d'heures pour lesquelles ils ont été embauchés.

Il semble aussi que la municipalité ait le plus grand mal à faire cohabiter dans les mêmes locaux enseignement et pratique musicale traditionnels, relevant des cursus agréés par le ministère de la culture, et enseignement et pratique de musiques modernes, qui ont dû déménager dans un autre bâtiment, situé dans un autre quartier de la ville.

Par ailleurs, il semble que le cursus qu'ont suivi les enseignants de l'école de musique agréée et les diplômes dont ils sont titulaires n'en fassent pas forcément des pédagogues. Cela entraîne une difficulté supplémentaire. En effet, au-delà du financement de l'école de musique agréée, la ville de Commercy est engagée dans un programme de sensibilisation, d'éveil et de formation des enfants et adolescents d'âge scolaire aux disciplines artistiques. Cette action se fait dans le cadre d'un PLEA. Il y a 2 PLEA dans le département de la Meuse et 9 en Lorraine.

Or, l'Éducation nationale, notamment au niveau de l'enseignement primaire, semble modérément satisfaite du mode de fonctionnement des professeurs de l'école de musique lorsqu'ils interviennent dans les écoles. Elle réclame donc que les interventions au titre de la musique financées par la municipalité dans les écoles soient assurées par des titulaires du DUMI, qui est le moins qualifiant des diplômes musicaux nationaux patronnés par le ministère de la culture, mais qui, il faut bien dire, est aussi le seul à être délivré par l'université. Or le DUMI est peu valorisé dans les écoles contrôlées ou agréées par le ministère de la culture.

Dans ces conditions, on arrive à ce paradoxe que le fait que l'école de musique soit agréée est plutôt facteur de difficultés pour la diffusion de la sensibilité musicale et pour l'éducation artistique dans la ville et dans ses environs.

À Saverne, l'école municipale de musique a reçu en 1982, l'agrément du ministère de la culture. Cet agrément a néanmoins été refusé par la commune, notamment pour des raisons budgétaires. En revanche, au contraire de Commercy, il semble que l'école ait parfaitement trouvé sa place au-delà de l'enseignement selon les canons qui pourraient lui valoir son agrément. Elle comporte beaucoup de pratique collective, des harmonies, des orchestres de chambre. Elle conduit des projets avec les écoles, dont un projet d'éveil musical. Il y a dix ans ce projet, nous a-t-on dit, concernait 400 enfants ; aujourd'hui il en concerne 2 400. L'école se produit également en saison, avec des mardis musicaux à l'Espace Rohan, des représentations au sein des collèges, et un parcours littéraire, critique et musical.

c) Un modèle inadapté ?

En tout état de cause, il semble que, de façon générale, le dispositif des écoles municipales agréées n'arrive plus à se développer. Le fait que le ministère de la culture ne contribue plus à leur fonctionnement en est sans doute l'une des raisons. On peut cependant aussi se demander s'il est bien adapté à la demande. Seuls 2 % des élèves musiciens français vivront de la musique. Nombre d'élèves musiciens, qui souhaitent rester amateurs, ne comprennent pas les exigences imposées par les standards élaborés par le ministère de la culture.

Selon la direction régionale des affaires culturelles du Bas-Rhin, il y a dans ce département, outre le conservatoire national de région et deux écoles nationales de musique, seulement deux écoles municipales de musique agréées et une dizaine d'écoles municipales ou intercommunales non agréées ; un annuaire professionnel local mentionne en outre une cinquantaine de professionnels, associations ou professeurs indépendants. Le vice-président du conseil général chargé de la culture, M. Jean-Laurent Vonau, a exposé aux rapporteurs que le département du Bas-Rhin, « l'un des départements les plus musicaux de France » comportait 94 écoles agréées par l'ADIAM (Association départementale d'information et d'action musicale et chorégraphique) et 14 000 élèves musiciens. À elle seule, l'école municipale de Saverne compte 1 500 élèves environ, c'est-à-dire autant que le CNR ou les ENM.

Une étude de l'ADDIM (Association départementale pour la danse et l'initiative musicale) de l'Ain indique que dans ce département, l'enseignement de la musique se répartit, outre le niveau national, qui représente 17 % des élèves, 14 % des enseignants et 25 % des heures enseignées, entre 2 écoles territoriales agréées, 9 écoles territoriales non agréées et 36 écoles associatives. Les écoles municipales agréées représentent 13 % des élèves, 10 % des enseignants et 13% des heures ; les écoles municipales non agréées et les écoles associatives 70 % des élèves, 76 % des enseignants et 62 % des heures.

Sur les 443 enseignants, seuls 29, soit 6,55 % disposent du CA ; sur ces 29, 23 enseignent dans l'une des deux écoles nationales ; 79, soit 17,83 % disposent du diplôme d'État (DE) ; 20 seulement de ces diplômés enseignent dans des structures associatives ; 35 disposent du DUMI. Les autres disposent de diplôme divers, notamment délivrés par les conservatoires et écoles agréées, ou encore, pour 150 d'entre eux, de diplômes ou titres non clairement identifiés ; la quasi-totalité de ces 150 professeurs enseignent dans des écoles associatives, qui assurent un enseignement à 47 % des élèves musiciens du département.

Selon des chiffres du centre régional de documentation pédagogique d'Ile-de-France, dans le département du Val-d'Oise, il y a, en plus du conservatoire national de région et de l'école nationale de musique, 9 écoles municipales agréées, 21 non agréées et 21 écoles associatives déclarées ; autrement dit, sur 51 établissements formant des amateurs, 9, soit moins de 20 %, sont agréés.

Il faut conclure de ces exemples que le dispositif proposé par le ministère n'a pas réussi à s'implanter. L'essentiel de la formation amateur reste assuré par un enseignement qui n'est pas aux normes préconisées par le ministère de la culture, et ce qu'il soit assuré par des écoles municipales ou associatives. Et encore ne parle-t-on pas ici des professeurs libéraux. Entendu par les rapporteurs, M. Jérôme Bouët a convenu que le système élaboré par le ministère de la culture devra évoluer. Il est trop complexe et paralysant. L'État affirme une volonté de leadership dont il n'a pas les moyens.

2. Comment améliorer l'accès à l'apprentissage de la musique ?

a) Charges de centralité, contraintes d'extériorité

La question d'un nouveau mode d'organisation se pose d'autant plus que le dispositif des écoles municipales, agréées ou non, bute également sur le problème des charges de centralité.

Pour reprendre des exemples tirés des déplacements des rapporteurs, à Saverne, les élèves de l'école de musique viennent pour 60 % de la ville et pour 40 % des 40 communes environnantes. La ville finance 55 % du fonctionnement de l'école. À Commercy, les proportions entre élèves habitant Commercy et élèves habitant les autres communes du canton sont les mêmes. À Gap, le budget de l'école nationale de musique, la seule du département, est financé à 80 % par la municipalité.

Par rapport à cette situation, le caractère municipal de l'école n'est satisfaisant ni pour la commune centre, ni pour les populations du territoire.

En effet, pour s'y retrouver, la commune-centre est amenée à pratiquer des tarifs plus élevés pour les élèves ressortissant des communes environnantes que pour ses propres élèves. À Saverne, le tarif pour les élèves non originaires de Saverne est de 40 % plus élevé que le tarif pour les Savernois. À Cahors, les prix payés par les parents pour une année d'enseignement vont de 90 € à 400 € selon la commune dont ils sont originaires.

Or, les élèves ainsi pénalisés par les tarifs sont aussi ceux qui ont le plus de difficultés à accéder à l'enseignement. Ce sont les élèves originaires des petites communes rurales, celles dont les maires ne veulent pas participer aux frais de l'école de la commune centre ; ce sont aussi ceux qui sont le plus loin de l'école. En pratique, il faut que les parents emmènent les enfants jusqu'à la commune où se trouve l'école.

Du coup, les parents des élèves originaires du monde rural se trouvent à la fois devoir consacrer beaucoup plus de temps pour emmener les enfants à l'école de musique, et payer beaucoup plus cher. L'ensemble n'est pas favorable au développement de l'enseignement de la musique.

b) L'intercommunalité, un pas vers la solution

Un début de solution se trouve donc dans la mise en réseau intercommunal des écoles, qu'elles soient agréées ou non. On peut espérer que le fait que, de plus en plus, les communautés de communes soient parties prenantes dans les écoles de musique permettra de lever une partie de ces difficultés.

A Saverne, il y a un souhait de mise en place d'une école intercommunale. À Commercy, l'école est en train de passer sous la responsabilité de la communauté de communes. La ville voudrait du reste en faire autant pour le PLEA, qu'elle souhaiterait élargir en PTEA (plan territorial d'éducation artistique). En effet, elle scolarise beaucoup d'enfants issus des communes voisines, qui ne participent pas à ce dispositif.

Dans les Hautes-Alpes, les cinq communautés de communes de la vallée du Buëch se sont associées pour pouvoir disposer, malgré leurs faibles ressources individuelles, d'une école de musique susceptible d'offrir aux élèves un choix minimum d'instruments et un enseignement reconnu par le milieu musical, de façon à permettre à ceux-ci, une fois au collège ou au lycée, de poursuivre à l'école de musique de Gap. L'école dispose de trois lieux d'enseignement, ce qui réduit aussi les distances pour les élèves. Elle comporte 150 élèves musiciens et touche 400 élèves en tout : elle dispose en effet d'un enseignant titulaire du DUMI, qui enseigne dans le cadre scolaire, et d'un autre qui intervient dans les centres de loisirs et les centres sociaux. La création de l'école intercommunale a permis aux élèves d'avoir plus de choix et aux professeurs d'avoir plus d'heures, ce qui est important pour la professionnalisation et la qualité de l'enseignement. Les communautés de communes financent environ la moitié des coûts, le conseil général 35 % et les élèves 15 %. La solution de l'intercommunalité apparaît ainsi comme une réussite, les difficultés (coûts des transports notamment) étant d'abord imputables au relief et aux conditions difficiles.

Certes, l'organisme communautaire peut ne pas avoir la même politique qu'avait la municipalité siège de l'équipement. Ainsi, à Commercy la communauté de communes a décidé qu'elle ne subventionnerait plus les cours de musique qu'à hauteur de 30 %, alors que la ville ne faisait parfois payer que le quart du prix à certains des élèves. Dans ce cas, rien n'empêche cependant une commune membre de prévoir un financement supplémentaire pour que ses habitants retrouvent le dispositif dont ils avaient l'habitude.

3. La création de réseaux territoriaux hors de l'influence de l'État : faut-il suivre l'exemple du département du Lot ?

a) Le parti pris d'harmoniser l'existant

La situation actuelle pose aussi le problème de la cohérence sur le territoire de l'enseignement de la musique. L'échec de la politique du ministère de la culture s'accompagne d'une extrême hétérogénéité de l'offre d'enseignement musical. L'intercommunalisation de la gestion d'une école de musique municipale n'est évidemment pas une réponse à cette situation.

En revanche, il semble qu'un début de réponse puisse commencer à être trouvé dans le cadre de territoires plus étendus. M. Jérôme Bouët a exposé aux rapporteurs que si, au début de la mise en place par le ministère du réseau des écoles agréées, ce sont les communes qui étaient venues en soutien à l'enseignement musical, aujourd'hui ce sont plutôt les départements. Le phénomène est d'autant plus intéressant que la loi n'attribue que très peu de compétences au département en matière de culture. Il semble aussi que cette évolution soit tout particulièrement sensible en zone rurale. Le directeur de la musique et de la danse a présenté l'exemple de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur : tous les départements s'y sont engagés dans une politique de soutien à l'enseignement musical, à l'exception d'un seul, le département des Bouches-du-Rhône ; dans ce département plus dense et plus urbain, ce sont toujours les villes qui gèrent la question. En revanche, il semble que l'échelon régional n'intervienne pas dans ce domaine.

Les rapporteurs ont pu se faire présenter le développement d'une telle politique de l'enseignement musical par un département, le département du Lot.

En matière de musique, il n'y avait souvent dans les départements ruraux que des harmonies et fanfares. Ce sont du reste elles qui assuraient l'enseignement musical. Soucieux de fournir une offre plus diversifiée et plus proche des standards d'enseignement et de pratiques demandés par des populations désireuses d'une ruralité moins traditionnelle, un conseil général comme celui du Lot a voulu faire de la musique une priorité culturelle. Aujourd'hui, il y a dans le département 2 400 élèves musiciens, dont des adultes, répartis en 12 écoles de musique.

Comment le conseil général, ou plutôt l'Association départementale pour le développement des arts (ADDA), a-t-elle conduit son action ? Le département s'est interrogé sur la forme juridique des écoles de musique qu'il voulait mettre en place. On s'y est cependant rapidement aperçu que le concept d'école agréée coûtait très cher. De plus, il y avait au départ une incitation de l'État, qui prenait de 15 % à 20 % de ces coûts majorés ; or, cette participation diminue, laissant progressivement la quasi-totalité du surplus à la charge de la collectivité publique dont dépend l'école. De plus, les qualifications exigées des enseignants auraient obligé à abandonner environ la moitié des enseignants actuels des écoles de musique du département.

Le département a donc renoncé à la création d'un réseau d'écoles agréées. Sur les 12 écoles de musique du département, une seule est une école municipale agréée, celle de Cahors ; il y a 2 écoles publiques non agréées, l'une purement municipale, l'autre dépendant d'une communauté de communes ; enfin les 9 autres écoles sont des structures associatives.

Pour autant, il n'a pas renoncé à la création d'un réseau. Pour cela, le conseil général a d'abord travaillé sur le statut des personnels enseignants et sur leur professionnalisation. Il a veillé à ce que progressivement la convention collective de l'animation soit appliquée par l'ensemble des associations. Il a aussi organisé des formations qualifiantes.

Cette action a été d'autant plus facilitée que le conseil général finance 35 % du coût salarial des enseignants. Pour la détermination et l'affectation de ses subventions, il tient compte de l'application de la convention collective, et des qualifications acquises par les enseignants ; la bonne application de la convention collective et l'augmentation des qualifications donnent droit à des bonus de subventions. Un professeur à temps plein sous convention collective effectue 24 heures d'enseignement par semaine et est payé, sur l'année, (les élèves ne prennent pas de cours pendant les vacances scolaires) le SMIC. Les professeurs plus qualifiés, disposant du DE ou du CA, effectuent respectivement 20 heures et 16 heures. Le conseil général essaie autant que possible que les enseignants puissent être à temps plein, sans trop de déplacements.

Le coût de la politique du conseil général représente une dépense annuelle de 500 000 €, soit entre 900 € et 1 300 € par élève. Le réseau des écoles de musique compte environ 80 enseignants, pas tous à temps plein. Les écoles prennent les enfants à partir de l'âge de 5 ans.

b) Un bilan positif et des perspectives ouvertes

Les effets de cette politique ont correspondu aux souhaits qu'on avait en la lançant. Les enseignants, voyant la possibilité d'avoir un certain nombre d'élèves, se sont installés durablement dans le département, et y ont développé un niveau d'activité culturel qui n'y existait pas auparavant. Le développement de ce réseau d'écoles a ainsi créé une vie locale, avec par exemple des concerts.

Le dispositif s'est avéré également positif pour l'enseignement et le développement de la pratique de la musique traditionnelle.

En revanche, il y a deux difficultés, l'une avec les musiques actuelles et l'autre pour toucher le public des collégiens ; ces deux difficultés sont du reste liées. Les relations avec les harmonies ne sont pas non plus très bonnes. Les harmonies ont tendance à n'accepter les écoles que dans la mesure où elles peuvent ensuite leur donner des élèves. Les harmonies ne sont plus non plus le seul endroit musical où l'on crée du lien social à travers la musique.

Le conseil général n'a donc pas l'intention de s'arrêter là. Son premier axe de travail est l'amélioration de l'offre d'enseignement et le développement des publics.

Le premier obstacle est constitué par le problème des transports. Il présente deux volets. Le premier concerne les enfants des zones rurales. Ils sont loin de l'école et paient souvent plus cher. Cela gêne la poursuite de la diffusion de l'enseignement musical. L'autre est constitué par les dépenses de déplacements des enseignants. Aujourd'hui, bien souvent, ils se déplacent à leurs frais. Cela limite l'offre qu'on peut leur demander d'apporter. Le conseil général travaille donc à une mutualisation sur le département.

On réfléchit aussi à l'évolution de la pédagogie. L'enseignement musical est traditionnellement individuel. On réfléchit à la possibilité d'enseigner la musique de façon plus collective, en petits groupes de trois ou quatre ; il y a un intérêt pédagogique à cela, et aussi un intérêt financier. Le succès n'est pas au rendez-vous dans l'ensemble des instruments.

L'ADDA va aussi tenter d'accroître l'intrication de l'enseignement des écoles de musique du département avec les autres formes de pratiques artistiques amateur, les festivals ou les harmonies.

Elle va travailler à l'encouragement des musiques actuelles et essayer de proposer une esthétique différente pour les collèges. En effet, les collégiens eux-mêmes n'ont pas l'idée d'aller à l'école de musique, et en tout état de cause ils sont rebutés par l'obligation d'apprendre le solfège. En même temps les enseignants ne sont pas non plus demandeurs d'un enseignement amateur des musiques actuelles.

S'agissant des harmonies, on essaie de faire des commandes où l'on fera jouer en même temps musiciens d'harmonies et d'écoles de musique. À Cahors l'harmonie fait partie de l'école de musique.

Enfin, le conseil général travaille aussi à un développement de l'action vers l'Education nationale. Celle-ci reste cependant un partenaire exigeant : dès lors que le projet relève du temps scolaire, elle pose des conditions de diplôme pour les intervenants musicaux, le DUMI, elle impose le schéma de présence des animateurs musiciens et enfin le programme de travail.

Pour la formalisation de ces projets, une meilleure harmonisation et une meilleure structuration du réseau, trois outils ont été formalisés. Le premier est la création d'une union des écoles de musique du département. Cette union des écoles de musique est aujourd'hui constituée. Le deuxième est une charte des écoles de musique. Cette charte est à l'étude. Le troisième est un schéma départemental d'éducation artistique. Le conseil général et l'ADDA y travaillent, avec le soutien de la DRAC.

c) Une démarche qui a anticipé le désengagement de l'Etat

A vrai dire, cette situation n'a fait qu'anticiper le renoncement de l'État. L'État est tellement conscient de son absence d'emprise sur l'enseignement culturel amateur qu'il a, par les articles 101 et 102 de la loi n° 2004-908 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, organisé son propre dessaisissement dans ce domaine.

D'une part, une définition des «établissements d'enseignement public de la musique, de la danse et de l'art dramatique » est proposée. Ces établissements « dispensent un enseignement initial, sanctionné par des certificats d'études, qui assure l'éveil, l'initiation, puis l'acquisition des savoirs fondamentaux nécessaires à une pratique artistique autonome. Ils participent également à l'éducation artistique des enfants d'âge scolaire ». Certains établissements « peuvent proposer un cycle d'enseignement professionnel initial, sanctionné par un diplôme national ».

Qui gère ces établissements ? « Les communes et leurs groupements organisent et financent les missions d'enseignement initial et d'éducation artistique de ces établissements », expose le texte. Quant aux enseignements plus pointus : « les autres collectivités territoriales ou les établissements publics qui gèrent de tels établissements (...) peuvent poursuivre cette mission. »

Un réseau est-il organisé ? Oui. Il est même confié aux départements : « le département adopte, dans un délai de deux ans à compter de l'entrée en vigueur de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, un schéma départemental de développement des enseignements artistiques dans les domaines de la musique, de la danse et de l'art dramatique ». Ce schéma, qui doit être élaboré « en concertation avec les communes concernées » a pour objet « de définir les principes d'organisation des enseignements artistiques en vue d'améliorer l'offre de formation et les conditions d'accès à l'enseignement ».

Autrement dit, il revient désormais au département de coordonner l'offre de formation en matière artistique et notamment musicale et de travailler au développement des conditions d'accès à l'enseignement.

Comment va-t-il le faire ? D'abord, grâce à des financements. Les départements sont invités à financer l'enseignement artistique amateur. « Le département fixe au travers de ce schéma les conditions de sa participation au financement des établissements d'enseignement artistique au titre de l'enseignement initial. »

C'est bien l'intégralité de l'enseignement des pratiques amateurs qui est ainsi concerné. En effet, « l'enseignement initial » couvre l'ensemble des savoirs « nécessaires à une pratique artistique autonome ».

Avec quoi le département va-t-il constituer son réseau et travailler au développement de l'enseignement artistique ? Il faut noter que la loi ne ferme nulle part la porte à l'intégration dans le réseau d'écoles associatives ou privées. La loi expose en effet que les établissements d'enseignement public artistique sont « intégrés » au schéma départemental. Ils ne le constituent donc pas à eux seuls ! De même, elle ne prévoit aucunement que le financement du conseil général serait réservé aux établissements publics.

Il faut donc constater que cet article prend acte du renoncement de l'État à organiser l'enseignement amateur et à lui fixer des normes. Il laisse ce soin aux départements, avec, on le voit, une liberté complète pour la fixation de ses schémas, le montant de ses participations, la détermination de ses politiques. La démarche initiée par l'ADDA du Lot s'insère ainsi parfaitement dans les nouveaux plans de l'État.

A l'État, il reste juste une mission de classification, permettant de caractériser les établissements. « L'État procède au classement des établissements en catégories correspondant à leurs missions et à leur rayonnement régional, départemental, intercommunal ou communal. Il définit les qualifications exigées du personnel enseignant de ces établissements et assure l'évaluation de leurs activités ainsi que de leur fonctionnement pédagogique. »

Enfin, l'enseignement professionnel initial - organisation et financement - est confié aux régions. L'État ne conserve ainsi la responsabilité que de l'enseignement professionnel national.

Cette évolution devrait avoir aussi des conséquences administratives. L'existence d'ADDA, d'ADDIM ou encore d'ADIAM est en effet la conséquence de l'absence de compétence des départements dans le domaine artistique. Lorsque, dans les années 1970, le ministère de la culture a voulu développer la qualité de l'enseignement musical amateur, il a pensé aux départements. Ceux qui ont accepté ont créé des associations à cette fin ; ce sont ces ADDA et autres ADIAM ou encore CDMDT (centre départemental musique, danse, théâtre, appellation adoptée dans un département comme les Hautes-Alpes). La nouvelle législation devrait cependant conduire à une clarification des structures départementales.

DEUXIÈME PARTIE :

L'ÉCONOMIE CULTURELLE AU SERVICE
DU DÉVELOPPEMENT DES TERRITOIRES

I - PATRIMOINE ET TOURISME CULTUREL,OUTILS DE DÉVELOPPEMENT DES TERRITOIRES

A. LE TOURISME CULTUREL ET PATRIMONIAL : UN OUTIL PERTINENT,
DES CONDITIONS D'UTILISATION RIGOUREUSES

1. Un levier de développement reconnu

Les rapporteurs ont essayé, jusqu'ici, d'analyser les répercussions d'une politique culturelle locale hors effets liés au développement du tourisme culturel. Il est maintenant temps d'aborder cette question. On voit en effet qu'il arrive un moment où l'effort général finit par susciter un intérêt touristique. Le montrent l'exemple de la chartreuse de Villeneuve-lez-Avignon, mais aussi celui de Commercy, puisqu'est en cours d'installation, dans une aile du château de Stanislas, un office du tourisme et enfin celui de la vie culturelle lotoise, puisque, en se développant d'année en année, de petits événements festifs, gérés par des associations bénévoles, finissent par devenir d'importantes manifestations, qui attirent du monde de loin.

a) Des instruments de mesure fonctionnels

En matière de répercussions du tourisme sur le développement, le raisonnement économique s'est doté de véritables outils scientifiques. On a su modéliser l'effet d'une politique de promotion touristique sur un territoire. Ces études, qui portent surtout sur des sites emblématiques et très fréquentés comme le Mont-Saint-Michel, font apparaître que la qualité des répercussions est liée est à deux facteurs, le coefficient d'autonomie du territoire, d'une part, le poids des activités culturelles et patrimoniales au sein du territoire, de l'autre. On en trouve une présentation détaillée dans le rapport élaboré pour l'OCDE par M. Xavier Greffe, déjà cité et intitulé « La culture et le développement local ». Les achats réalisés par les touristes entraînent des achats indirects, puis induits par ceux à qui les sommes sont versées. Plus le territoire est autonome, moins il y a de déperdition ; en effet, les sommes dépensées par les touristes seront recyclées sur le territoire. En revanche, si le territoire est peu autonome, les sommes dépensées serviront à importer des biens et donc quitteront le territoire. On a calculé des multiplicateurs au niveau national et au niveau local. C'est ainsi que des études font apparaître que le multiplicateur touristique au niveau national est de 1,73 au Royaume-Uni, de 1,23 en Égypte et de 0,97 à l'île Maurice, ce qui signifie que dans ce cas la présence touristique affaiblit la balance commerciale de l'île. Des études ont aussi été faites au niveau local. Elles font apparaître que le multiplicateur est d'autant plus élevé que la densité de la population est forte (ce qui a pour corollaire le fait que les services demandés sont plus facilement satisfaits par l'offre locale), le territoire étendu (plus le territoire est important, moins il y a de fuites en dehors du territoire), et les activités variées (plus la part de l'emploi local dans la fonction de production est élevée, plus les effets indirects et induits sont importants). Dans ces conditions, on considère que le multiplicateur de l'implantation d'un musée ou d'un théâtre est de l'ordre de 1,40 en zone très peuplée, de 1,27 en zone moyennement peuplée, et de 1,25 en zone moins peuplée.

Il existe d'autres systèmes de mesure : le multiplicateur intrant-extrant analyse l'effet des dépenses culturelles sur le développement d'un territoire à partir des relations techniques associant les diverses productions du territoire : si ces dépenses provoquent l'achat de produits dont on sait qu'ils ne peuvent être fabriqués sur le territoire, l'effet sera moins fort que s'ils peuvent l'être. Il s'agit d'un système de mesure précis, adapté à chaque réalité locale.

Les études d'impact, qui utilisent les multiplicateurs ou procèdent par estimation directe, analysent l'impact financier d'un projet culturel sur un territoire. Ainsi, les retombées de l'élection de Salamanque comme capitale européenne de la culture en 2002 ont pu être calculées. L'événement a été analysé comme un macro-festival. Les calculs ont abouti à faire apparaître que la région de Castille et Leon a bénéficié de 69,23 % des retombées économiques globales et le reste de l'Espagne de 30,77 %.

Il existe aussi des études de branche. Elles consistent à mesurer l'importance des activités culturelles en y intégrant successivement les activités qu'elles suscitent en amont et en aval. Une étude sur la ville de Manchester par exemple fait apparaître que la part de la population active employée dans le secteur de la culture était de 3,56 % (soit près de 18 000 emplois), et que, avec les emplois indirects et induits, ce pourcentage s'élevait à 6,41 %.

b) Des retombées qui peuvent être considérables

Après cette présentation théorique, on précisera l'impact du tourisme et du loisir culturel par quelques exemples plus sectoriels. Il y a en pratique deux supports. Le premier est le spectacle vivant : théâtre, spectacles de tous genres ; il s'exprime notamment à travers l'organisation de festivals. Le deuxième est le tourisme muséal, la visite de monuments.

Une étude monographique a été faite sur l'impact financier des théâtres du West-End sur l'économie de Londres et du Royaume-Uni. Elle part des recettes des théâtres de Londres et des dépenses associées des spectateurs en restauration et hébergement. Utilisant ensuite un multiplicateur de dépenses de près de 1,5, elle conclut au fait que les activités théâtrales concernées ont créé un revenu de 1 milliard de livres sterling, suscitant des rentrées fiscales de 200 millions et un surplus d'exportation de 225 millions. Elle évalue à près de 41 000 le nombre d'emplois associés (27 000 emplois directs ou indirects et 14 000 emplois induits). Ces chiffres impressionnants sont présentés comme supérieurs à ceux de Broadway.

S'agissant du tourisme muséal, on estime, selon M. Xavier Greffe, à 80 000 le nombre des emplois qui, à Paris, en dépendent.

L'agence régionale du patrimoine Provence-Alpes-Côte-d'Azur a publié récemment un rapport sur les retombées économiques du patrimoine de la région. La comparaison entre coûts d'entretien et d'ouverture au public et recettes directes n'apparaît de prime abord pas très favorable : le coût s'élève en effet à 100 millions d'euros, dont 27 millions d'euros pour les édifices protégés, 15 millions d'euros pour les autres et le reste en salaires, tandis que les ressources directes ne s'élèvent qu'à 19,2 millions d'euros, dont 13,6 millions d'euros pour la billetterie et 2,1 millions d'euros pour les recettes des boutiques rattachées aux monuments.

En revanche, les calculs effectués selon les méthodes ci-dessus décrites, et prenant donc en compte les conséquences indirectes et induites de la fréquentation patrimoniale présentent des résultats infiniment plus intéressants et spectaculaires. Ils font apparaître que le nombre des emplois générés par le patrimoine en région Provence-Alpes-Côte-d'Azur serait de près de 50 000. Ils se répartissent entre 3 000 emplois directs (fonctionnaires, guides, gardiens), 28 000 emplois indirects (dont 1 750 dans la restauration des monuments et 27 000 dans les emplois touristiques liés au patrimoine), et 18 000 emplois induits (communication, édition, etc.).

Des enquêtes de l'INSEE font apparaître qu'il y a chaque année 34 millions de visiteurs en Provence-Alpes-Côte-d'Azur. Sur ce total, 17 % déclarent être attirés par les monuments et 37 % faire du tourisme culturel. Le nombre annuel de visiteurs payants des sites et monuments est estimé entre 2 et 2,5 millions. 50 % des visiteurs sont étrangers. Dans ces conditions, le tourisme patrimonial représenterait, selon l'agence régionale du patrimoine Provence-Alpes-Côte d'Azur, 1,28 milliard d'euros de recettes pour l'économie régionale (sur un total de 7,5 milliards d'euros de recettes touristiques). Ce total se décompose entre 510 millions d'euros au titre de la nourriture, 319 millions d'euros au titre de l'hébergement, 166 millions d'euros au titre des loisirs, et 280 millions d'euros au titre de l'achat de biens durables et des déplacements S'y ajoute le chiffre d'affaires (hors taxes) des adhérents au groupement français des entreprises de restauration de monuments historiques, qui est de 37,6 millions d'euros. Les recettes de taxe de séjour attribuables au tourisme patrimonial seraient de 4 millions d'euros.

Pour certaines localités, l'impact du tourisme culturel est essentiel. Le tourisme culturel est la principale activité économique d'Arles : les monuments attirent 400 000 visiteurs payants (dont 60 % sont des étrangers) et son festival de photographie accueille 35 000 festivaliers payants. Selon le président de l'agence régionale, M. Bernard Millet, une ville comme Vaison-la-Romaine, qui compte 5 000 habitants, n'en compterait pas plus de 1 500 sans les 85 000 visiteurs qu'elle reçoit chaque année.

Par ailleurs, le tourisme culturel est moins saisonnier que le tourisme balnéaire. M. Xavier Greffe a ainsi tout particulièrement attiré l'attention de la Délégation sur les transformations de l'économie touristique induites par le tourisme des seniors. L'une de ses conséquences les plus importantes est que la saison ne se limite plus à quelques mois de l'année : en Andalousie par exemple, l'activité touristique, autrefois inexistante d'octobre à mai, est désormais également soutenue pendant cette période.

Lors de son audition par la Délégation, M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication, a souligné l'importance du tourisme culturel pour le développement économique et l'intérêt que l'Etat y portait : « Le dynamisme des relations entre culture et tourisme en milieu rural est aussi majeur au plan économique et territorial. Le développement culturel local joue un rôle économique très important à travers le tourisme culturel. Les « pôles d'excellence rurale » dont les dossiers, souvent de grande qualité, sont en voie de finalisation à la Délégation interministérielle à l'aménagement et à la compétitivité des territoires (DIACT) font d'ores et déjà apparaître un très large intérêt pour le tourisme culturel et patrimonial ».

2. Un univers régi par le marché

a) Un univers concurrentiel

L'existence d'une économie touristique, le fait qu'on constate effectivement que l'exploitation d'un patrimoine monumental peut contribuer à l'activité économique d'un territoire, a suscité auprès de certaines collectivités la tentation de conduire, à travers la mise en oeuvre de leurs atouts patrimoniaux et culturels, une politique de développement touristique.

Il faut alors savoir que dans ce domaine il y a des règles. La première est que le tourisme patrimonial et culturel relève des loisirs. Or, le domaine des loisirs est un domaine où s'exerce la concurrence. Cette concurrence est nombreuse. Il y a vingt ans, environ 150 destinations communiquaient ; aujourd'hui, c'est plus de 600. Cette concurrence est aussi extrêmement vive. Pour fournir une offre séduisante, elle n'hésite pas à recourir aux méthodes de marketing les plus modernes. Ainsi, la ville de Londres a pu recourir à celle du laboratoire marketing, par exemple, où l'on réunit un panel et on demande aux gens ce qui leur paraît manquer dans cette ville où ils font du tourisme. Enfin, les goûts du public évoluent. Comme l'a dit M. Xavier Greffe devant la Délégation : « il y a des cycles de vie des sites touristiques ». L'offre doit donc sans cesse être adaptée à la demande pour suivre les goûts changeants du public.

De plus, le champ de la concurrence ne se limite pas au champ du tourisme culturel. Il est beaucoup plus vaste. Ainsi, M. Christian Mantei, directeur général d'ODIT-France, a exposé aux rapporteurs qu'il ne fallait pas compartimenter par exemple culture et parcs de loisirs. Ces deux types de divertissement, expose-t-il, vont puiser dans le même type de motivations et dans les mêmes marchés. En France, les 80 parcs de loisirs qui attirent 100 000 visiteurs chacun au moins forment, avec les DVD et les jeux vidéo, une concurrence considérable et redoutable pour le tourisme de visite culturelle.

b) Des règles du métier

Cette situation de concurrence doit être une des clés pour la formulation des orientations d'une politique de tourisme culturel. En regardant ce que la clientèle des parcs de loisirs demande, on comprend ce qu'elle demanderait à la culture. C'est ainsi que toutes les études montrent désormais que même pour la culture le mot le plus important est le mot divertissement.

Par ailleurs, qu'il s'agisse de culture ou de tourisme, il y a un modèle économique : la clientèle d'un équipement est d'abord de proximité, pour 80 %. Ces 80 % permettent d'assurer le fonctionnement de base de l'équipement, et de son environnement. La rentabilité profitable est alors atteinte avec une clientèle plus lointaine, 20 % de clients qui viennent de plus loin, de l'extérieur de la région, voire de l'étranger.

Les parcs de loisirs qui ont échoué, a-t-il été exposé aux rapporteurs, sont ceux qui ont méconnu les règles du modèle du marché : c'est le cas lorsque la rentabilité prévisionnelle de l'équipement reposait sur des fréquentations venant majoritairement de l'extérieur de la zone de proximité ; c'est encore le cas lorsqu'à été méconnue cette règle que, dès que l'attraction devient un peu spectaculaire, c'est 40 % seulement des visiteurs qui la pratiquent, tandis que les autres ne la pratiquent pas mais au contraire la regardent comme un spectacle ; si le parc est ainsi conçu qu'il est cloisonné et que le non-pratiquant ne peut pas assister à la pratique des activités les plus spectaculaires, c'est l'assurance d'un déséquilibre majeur.

Enfin, il y a des règles de segmentation de l'approche du marché. En matière de culture, le marché offre deux approches. La première est l'approche spécialisée : on s'adressera aux amateurs de concerts, et on travaillera de façon plus spécialisée encore : concerts de jazz, de musique classique, de telle époque, de tel style...

La deuxième est l'approche générique. Elle reste très forte et est assez identifiée : c'est une demande d'art de vivre. C'est la démarche où le client va choisir une destination où il souhaitera pouvoir bien manger s'il en a envie, voir du beau, qu'il s'agisse de paysage ou d'architecture, et pouvoir profiter d'événements culturels de bon niveau. C'est cette approche qui rend compte du développement actuel du tourisme urbain. Aujourd'hui, en France, les grandes villes s'organisent pour répondre à cette demande, y compris à l'international : Paris, mais aussi Marseille, Toulouse, Bordeaux, Nantes, Lille. Cependant, cette approche peut aussi créer des opportunités pour les zones rurales.

c) Le déterminisme du territoire

Cela étant posé, l'élaboration d'une offre devra passer par un travail spécifique sur les problèmes, les atouts, les caractéristiques du territoire. L'économie touristique n'est pas abstraite, elle se construit sur un territoire habité. Les territoires n'offrent pas les mêmes ouvertures, les mêmes compétences...

Il y a ainsi un calibrage du projet à opérer par rapport aux conditions de son équilibre. Le potentiel de fréquentation, calculé selon les méthodes ci-dessus exposées, en est le premier élément. Lors de son audition par la Délégation, M. Xavier Greffe a évoqué les sources d'échec des projets d'équipements de tourisme culturel. « Il peut d'abord s'agir de projets mal calibrés, ou reposant sur des estimations de fréquentation biaisées ; le poids considérable des subventions nécessaires pour faire fonctionner l'équipement aboutit rapidement à la diminution des unes et à l'arrêt de l'autre ; c'est ainsi qu'en France même plusieurs musées ont été fermés au public quelques années seulement après leur ouverture. »

L'environnement logistique du projet est le second élément. M. Jean-Pierre Saez a fait valoir devant la Délégation que, pour que la mise en valeur du patrimoine soit un moyen privilégié de redynamisation, il fallait qu'elle comporte aussi « non seulement une animation permanente, mais aussi, et surtout, un travail prospectif préalable, envisageant la question sous tous les aspects, y compris celui de la capacité d'accueil de l'hôtellerie locale, et celui de l'implication des habitants ». Il n'y a pas de développement d'une offre touristique sans développement d'une offre hôtelière.

Ainsi, le pays de la Dordogne lotoise, qui souhaite enrichir sa fréquentation estivale par une fréquentation de tourisme culturel des quatre saisons, ne dispose pas, sauf à Souillac, d'hôtels capables d'accueillir l'ensemble des passagers d'un autocar à l'année, dans des conditions de standards qui soient celles posées par les voyagistes. Une étape indispensable du projet est donc de trouver les investisseurs et les entrepreneurs qui voudront prendre le risque d'aménager et d'exploiter de tels équipements.

M. Xavier Greffe a exposé que l'échec de certains projets pouvait « s'expliquer aussi par un mauvais contrôle de l'offre touristique, notamment de la qualité des services d'hôtellerie et de restauration, » par exemple lorsque « l'ensemble des établissements alignent leurs prix sur les meilleurs, sans fournir les mêmes prestations, provoquant la désaffection du public. » Ainsi, la question de l'environnement économique doit être traitée dans son ensemble.

Enfin, la primauté du divertissement a aussi pour conséquence que la valorisation touristique du patrimoine ne peut se faire, hors des grandes agglomérations qui disposent en général spontanément de tout l'accompagnement nécessaire, sans le développement d'activités de loisirs, et notamment d'activités culturelles.

Là aussi cependant, l'activité de loisirs qui devra être développée doit être cohérente avec le type de fréquentation qu'il est raisonnable d'envisager dans le projet. La question peut du reste être à la fois bien identifiée sans pouvoir être résolue pour autant. C'est ainsi, a-t-il été exposé aux rapporteurs, que les petites villes ont du mal à tirer profit de la tendance actuelle au tourisme de l'art de vivre ; cela vaut même lorsqu'elles ont un beau patrimoine. La raison est que le touriste n'y trouve rien à faire le dimanche : les commerçants, les équipements à visiter sont fermés. Pour amorcer un cercle vertueux de développement, il faut un effort initial ; cependant il est très difficile aux élus de trouver et de persuader celui qui va commencer ; telle est par exemple la situation à Chinon. Dans ce cas, une piste serait sans doute d'imaginer des produits culturels du dimanche matin.

Le développement touristique n'est donc pas un exercice facile. En matière de tourisme, il faut à la fois toujours chercher à comprendre le client car pour la réussite, il faut un marché, et il est constitué par le client, et l'habitant et développer une offre d'hébergement, une offre de loisirs et une offre d'activité culturelle. Enfin, les trois offres doivent être performantes et adaptées, faute de quoi celle qui ne l'est pas obère le développement des deux autres, quelles que soient leurs qualités.

B. QUELLES ORIENTATIONS POUR LE TOURISME PATRIMONIAL ?

1. La valorisation traditionnelle du patrimoine : une situation en porte-à-faux

a) L'État : une gestion déphasée par rapport à la demande

Il apparaît que l'offre patrimoniale traditionnelle française n'est pas en phase avec les nouvelles tendances des loisirs culturels. Les données recueillies sur la fréquentation touristique de la France, à travers les recettes de billetterie, montrent, au-delà des grands équipements culturels dont la fréquentation se maintient, voire augmente, comme Versailles, un affaiblissement de la fréquentation. Cette réflexion vaut même pour des monuments considérés comme des fleurons du patrimoine français.

Beaucoup de sites culturels sont dans une situation d'anxiété : leurs gestionnaires savent qu'ils sont sur une pente douce de descente. En revanche, ils n'arrivent pas à des remises en question qui leur permettraient de redresser la barre. Il a été exposé aux rapporteurs que c'était là un blocage psychologique professionnel et institutionnel. Pour les gestionnaires de l'État, gérer les monuments, c'est les entretenir, les rapprocher au mieux de leur état d'origine, les offrir ensuite à l'admiration des visiteurs. En rationaliser les coûts, c'est tenter de dépenser moins pour le même résultat ; ce n'est pas développer des usages des monuments différents de ceux de la visite studieuse. Ainsi, les gestionnaires de beaucoup de monuments travaillent beaucoup plus à la réduction des dépenses, dans une perspective de gestion économe des deniers de l'État, qu'à l'élaboration de plans de développement susceptibles d'augmenter substantiellement le potentiel de recettes.

Dans son rapport déjà cité, le directeur de l'Agence régionale du Patrimoine Provence-Alpes-Côte d'Azur, M. Bernard Millet, s'inquiète de l'inadaptation de l'offre en matière de patrimoine et de ses conséquences sur le développement de la fréquentation touristique. Il note la sous-utilisation du Palais des papes d'Avignon. C'est l'un des plus grands monuments d'Europe, mais la moitié en est fermée au public ; il reçoit 600 000 visiteurs par an, mais ne dispose pas d'une vraie cafétéria. M. Bernard Millet note aussi la confusion qui préside à la mise en valeur du patrimoine médiéval de la ville, le plus beau du monde selon lui, avec « les remparts, le palais des Papes, le pont Saint-Bénézet, la tour Philippe-le-Bel, la Chartreuse, le fort Saint-André, la cathédrale des Doms et l'évêché ». Il pointe le Musée antique d'Arles, qui, mal relié à la ville, ne reçoit que 70 000 visiteurs, alors que l'amphithéâtre en reçoit nettement plus de 100 000. Il déplore aussi l'absence quasi systématique d'audioguides, alors que 60 % des visiteurs de la région sont des étrangers qui réclament des explications.

Dans un entretien au Monde du 18 février 2006, il ajoute : « On est resté à la logique de Mérimée, quand il fallait sauver les monuments historiques. Aujourd'hui, nous devons les faire vivre » ; et encore : « Si aujourd'hui le patrimoine rapporte pas ou peu à celui qui le gère, c'est qu'on est toujours dans une logique d'«objet, alors qu'il faut être dans une logique de «route», c'est-à-dire d'aménagement du territoire. »

D'autres éléments montrent que des améliorations importantes de la rentabilité du patrimoine sont possibles. Ainsi, seuls 10 % des monuments de la région Provence-Alpes-Côte d'Azur disposent d'une librairie ou d'une boutique. Or, la recette globale de cette activité est déjà de 2,1 millions d'euros. Pour les monuments qui en disposent, c'est la deuxième source de recettes après la billetterie.

La situation semble mal engagée également dans le domaine d'un tourisme beaucoup plus sélectif et par ailleurs très rentable, le tourisme d'affaires. Il a été dit aux rapporteurs que MONUM, le Centre des monuments nationaux, ex-Caisse nationale des monuments historiques, considérait être positionné sur le créneau du tourisme d'affaires ; mais celui-ci est très technique ; les cahiers des charges sont extrêmement précis, et le moindre manquement disqualifie l'équipement. Dans ces conditions, il se serait avéré que, sur les 12 critères généraux du tourisme d'affaires, MONUM ne répondait qu'à 2. C'est dommage, précisait notre interlocuteur : en effet, l'expérience montre la rentabilité de ce type d'activité, dès lors qu'elle répond effectivement aux cahiers des charges.

Enfin, il apparaît que la gestion d'un site exclusivement en termes de restauration exacte à l'attention de visiteurs respectueux et émerveillés comporte, à l'heure où le tourisme culturel fait lui aussi partie des déclinaisons du divertissement, ses limites : ainsi, comme M. Xavier Greffe l'a exposé à la Délégation, si les grands sites d'Île-de-France attirent de plus en plus de visiteurs, ils sont de moins en moins fréquentés par les Franciliens.

b) Les difficultés des petits sites

La question des objectifs de gestion et du mode d'exploitation des sites se pose encore plus pour des sites qui ne sont pas de premier rang. Le traitement sur le modèle des grands équipements de renommée internationale de nombre de sites, très jolis mais de moindre ampleur, aboutit à une exploitation insuffisante. Le public ne vient pas forcément admirer un petit site comme il vient admirer le château de Versailles. Dès lors, la restauration de ces sites aux seules fins de leur conservation n'aboutit pas forcément en termes de fréquentation. Or, ces sites insuffisamment exploités pourraient être ouverts pour du tourisme d'affaires, des fêtes d'entreprises annuelles. Dans la mesure où ce n'est pas le cas, une partie de la valorisation de leur restauration est perdue.

Cette insuffisance de valorisation a des répercussions négatives sur le développement et le rayonnement des territoires dans lesquels ils sont implantés. Ainsi, pour rester dans le domaine du développement touristique, alors même qu'il fut très difficile d'obtenir chaque année l'installation d'une partie du festival de Saint-Céré (Lot), dans l'enceinte du château de Castelnau-Bretenoux, c'est cette partie du festival qui fait le plus venir les touristes. Le festival aurait moins de succès s'il ne pouvait utiliser l'enceinte du château. C'est aussi vrai de façon plus générale : car, comme on l'a vu dans le cas du château de Commercy ou de l'Espace Rohan à Saverne, aussi bien la seule infrastructure qui permettra de servir de support à une fête d'entreprise, à des journées d'études, à une manifestation exceptionnelle pour la petite ville qui va l'accueillir est le monument historique : son non-équipement à cette fin a pour conséquence l'impossibilité de développer ce type de manifestation ; son équipement permet au contraire non seulement l'organisation de la manifestation par les acteurs locaux, mais aussi d'attirer des acteurs plus éloignés, le caractère historique du lieu étant un atout par rapport aux salles banalisées d'installations fonctionnelles urbaines.

Une autre difficulté de l'approche traditionnelle est que les collectivités locales n'ont pas forcément toutes les moyens, notamment humains, d'animer les monuments restaurés. Or, si la dimension de divertissement, présente dans le domaine du tourisme culturel, est à l'origine d'un désintérêt pour la fréquentation des monuments autres que ceux de premier rang, que dire des possibilités de vouloir animer un territoire à partir d'un monument restauré par la direction de l'architecture et du patrimoine, mais qui reste fermé ?

M. Michel Clément a aussi fait remarquer qu'on ne pourrait pas multiplier les fonctionnaires préposés à l'ouverture ou à la présentation de ces monuments. L'avenir est donc à l'implication forte des habitants.

Dans des régions rurales, on se trouve confronté à une difficulté nouvelle, encore plus radicale : même s'il y a un patrimoine, et que celui-ci est restauré par les monuments historiques, il n'y a plus personne pour le gérer ; ce sont des chapelles sans officiant, sans gardien, sans paroissiens, sans habitants. Dans ce cas, le patrimoine n'aura aucun effet d'entraînement. Ainsi, en Limousin, à Vassivières, on a restauré ; mais le territoire est vide ; les visiteurs ne trouvent dans cette zone reculée non seulement pas d'hôtels, mais même pas de restaurants. Le patrimoine ne fait donc venir personne : il est impossible de valoriser le patrimoine d'un territoire sans habitants.

2. Une prise de conscience progressive de l'État

a) La prise en compte de la dimension d'usage et le développement
de partenariats

L'attitude de l'État concernant le mode de valorisation des monuments historiques semble cependant évoluer. Entendu par les rapporteurs, M. Michel Clément, directeur de l'architecture et du patrimoine au ministère de la culture et de la communication a convenu qu'il y avait, dans les principaux monuments historiques, un gros travail d'amélioration de l'accueil à fournir, qu'il s'agisse des boutiques, des horaires ou des guides. Quant au ministre de la culture et de la communication, il a exposé à la Délégation que la France avait un capital entre les mains et qu'il n'était « pas raisonnable de ne pas le valoriser : il n'est pas raisonnable de construire une salle moderne polyvalente pour des manifestations qui pourraient parfaitement être régulièrement organisées dans une salle parfois sous-utilisée du musée local. Le film Da Vinci Code a déjà enregistré 70 millions d'entrées ; c'est une base de valorisation fantastique pour le patrimoine où il a été tourné. »

Eu égard à l'ampleur du patrimoine restauré ou à restaurer, des limites criantes des ressources financières de l'État, des modes d'action nouveaux commencent ainsi à être explorés par le ministère de la culture. Cela vaut d'abord, bien sûr, pour le « petit patrimoine » ; le ministère est conscient des difficultés de le mettre en valeur sur les mêmes bases que les monuments les plus importants. Mais cette approche vaut aussi pour des monuments plus importants.

Il en est ainsi pour les monuments antiques d'Arles. Le financement de leur restauration est assuré par un partenariat entre l'État (50 %), la région, le département et la ville d'Arles. La restauration prévoit une dimension d'usage des monuments. Ainsi, pour l'amphithéâtre romain, il a été décidé de remonter à l'identique les arcades dégradées et de rétablir les dalles du promenoir. Lorsque la pièce originale manque, il est prévu de la remplacer par une structure creuse réalisée en béton. Outre l'allègement du poids, l'évidement a pour objet de permettre le passage d'installations diverses, destinées notamment à l'animation scénique. Les gradins antiques de l'amphithéâtre seront doublés d'une structure en métal, destinée à la fois à les protéger et à permettre de continuer l'exploitation de l'amphithéâtre pour des spectacles. Il sert notamment, depuis 1830, à l'organisation des courses de taureaux qui ont lieu pendant les férias (féria de Pâques et féria du riz en automne).

De même, la rénovation du théâtre antique prévoit, outre sa mise en valeur, la création de nouvelles loges, la réfection de la régie et un nouvel aménagement scénique (scène mobile, écran, mâts lumineux démontables), adapté spécifiquement au monument.

Le directeur de l'architecture et du patrimoine, M. Michel Clément, a aussi relevé devant les rapporteurs que l'outil des contrats État-régions ou encore celui des fonds structurels européens n'était sans doute pas suffisamment utilisé dans le domaine de la valorisation du patrimoine, et que le ministère devrait sans doute y avoir recours de façon plus approfondie à l'avenir.

b) La création d'un outil d'expertise : ODIT-France

On l'a vu, dans le domaine du soutien à la vie culturelle des territoires, l'État n'offre guère d'instruments utilisables par les collectivités. Ceux-ci apparaissent soit inexistants, soit inadaptés.

Tel n'est pas le cas dans le domaine du tourisme culturel et du patrimoine. Si beaucoup est encore à faire, des instruments ont été créés par l'État et mis à la disposition des territoires. Eu égard au réel succès qu'ils remportent, il faut croire qu'ils répondent aux attentes.

Pour permettre l'élaboration par les gestionnaires des territoires, de projets valides et aussi adaptés que possible à la fois aux règles du marché et au potentiel du territoire, l'État a récemment créé un instrument spécifique : ODIT-France.

ODIT-France (Observation, développement et ingénierie touristique-France) est un groupement d'intérêt public (GIP), issu de la réunion des ex-AFIT (Agence française d'ingénierie touristique), ONT (Observatoire national du tourisme) et SEATM (Service d'étude et d'aménagement touristique de la montagne). Il est placé sous l'autorité du ministre chargé du tourisme.

Le rapprochement des trois structures est très bénéfique. Le SEATM par exemple dispose d'équipes reconnues comme de grande qualité et d'une technicité très pointue. En montagne, ODIT-France est donc en situation d'instruire des procédures en matière de développement touristique et de donner aux préfets des éléments techniques pour trancher.

Le développement, c'est non seulement des projets d'équipements nouveaux, mais aussi des projets de réhabilitation ou de rénovation d'équipements ou de territoires : ODIT-France est associé à de nombreux projets de ce type en cours de réalisation sur le littoral ou en montagne. De nombreuses stations de sports d'hiver doivent être reprofilées ou réaménagées. Il y a également de nombreux projets dans des espaces ruraux.

De façon générale, ODIT-France fait de l'assistance à commanditaire ou à maître d'ouvrage. Le GIP travaille avec les collectivités. Aujourd'hui il suit une trentaine de projets environ, incluant des projets de développement d'un territoire à partir du tourisme culturel. En Aquitaine il travaille sur le parc de loisirs de Pessac, en collaboration avec la région ; en Alsace, il travaille sur un projet de résidences de tourisme avec une communauté de communes ; en Ardèche il travaille sur un projet relatif à la grotte Chauvet et il y a un consensus des politiques et des préfets pour le retour d'ODIT-France sur ce projet, afin de permettre aux collectivités locales d'arbitrer.

ODIT-France est aussi au cœur des nouvelles doctrines d'usage des monuments restaurés. Ainsi, l'État ayant restauré la forteresse de Sedan, la ville s'est trouvée pourvue d'un superbe monument vide, mais qu'elle ne voyait pas comment faire vivre. ODIT-France a alors proposé un partenariat public-privé, permettant l'installation dans la forteresse d'un restaurant, entre autres ; ce partenariat a regroupé 300 Sedanais, enracinant ainsi localement le projet.

ODIT-France a également été impliqué dans la mise aux normes des cahiers des charges du tourisme d'affaires du salon d'honneur du musée de l'Armée. L'exploitation de celui-ci est tout à fait rentable.

ODIT-France a aussi à cœur de faire connaître les conclusions de ces expériences. Ainsi, le G.I.P. a publié dans sa collection Développement touristique un document de 212 pages intitulé : « Carnet de route de la campagne et de la moyenne montagne : la demande, l'offre et les recommandations marketing ». Ce document, qui s'adresse aux décideurs locaux, consiste en une analyse de la demande touristique et la formulation des règles pour la construction de réponses locales à cette demande. Le document est émaillé de nombreux exemples.

3. Un instrument de synergie et de valorisation, le label des villes
et pays d'art et d'histoire

Au-delà des grands monuments, pour lesquels des partenariats spécifiques sont logiques, il y a l'ensemble du patrimoine local. Pour mettre en valeur ce patrimoine les collectivités développent des politiques autonomes. La question est donc pour l'État impécunieux d'élaborer des outils qui permettent au meilleur prix, à la fois de contribuer à la qualité de ces politiques, d'introduire une certaine cohérence entre elles et d'améliorer leur visibilité.

Pour travailler en ce sens, le ministère de la culture promeut actuellement un outil de liaison entre l'État et les collectivités, le label des villes et pays d'art et d'histoire. Ce réseau se développe sous son égide, et plus précisément celle de la direction de l'architecture et du patrimoine, qui en assure le secrétariat.

a) Un instrument de développement et de valorisation
des politiques patrimoniales locales

Le label des villes et pays d'art et d'histoire a pour origine un réseau des villes d'art qui était purement touristique. Le nouveau label comporte une plus grande exigence culturelle.

L'objectif fixé à ce dispositif est de contribuer à la valorisation du patrimoine des territoires qui en sont membres (villes ou ensembles plus larges), en améliorant la qualité scientifique, pédagogique et culturelle des présentations, en réalisant des synergies entre patrimoine de responsabilité locale et patrimoine de responsabilité étatique, en organisant la reconnaissance de la qualité de la valorisation à travers l'attribution d'un label et en créant un réseau d'échanges entre collectivités.

Pour être éligible, le projet de valorisation doit comporter une implication des habitants : il peut prévoir par exemple des stages pour les chauffeurs de taxi ou les personnels touristiques, de façon à ce qu'ils connaissent mieux le patrimoine de leur ville et puissent aider les touristes à s'orienter ou leur donner des conseils.

Les porteurs de projets doivent s'engager à traiter aussi les sites dans le respect d'une démarche de qualité de gestion du patrimoine, et d'abord du patrimoine visuel général.

Le label est décerné par le ministère de la culture après avis du Conseil national des villes et pays d'art et d'histoire. Il se traduit par une convention entre l'État et la ville ou le pays, assortie ou non de crédits.

La convention comporte des exigences en matière de personnel. Elle implique le recrutement d'un animateur de l'architecture et du patrimoine, ainsi que de guides-conférenciers ; elle impose aussi la mise en place d'un centre d'interprétation d'architecture du patrimoine, c'est-à-dire de présentation de la ville ou du pays sur un plan architectural et historique, ainsi que l'organisation d'activité en milieu scolaire. Le centre d'interprétation a pour objectif de présenter le patrimoine de la ville dans une logique d'histoire et de développement, avec une maquette ou des cartes, et non dans une logique de collections comme le ferait la direction des musées de France.

En contrepartie de la mise en place de ce dispositif, la convention prévoit une aide initiale au pays ou à la commune pouvant aller jusqu'à cinq ans, après quoi, selon une démarche habituelle au ministère de la culture, cette aide deviendra plus ponctuelle, en fonction des projets.

Cette aide a en effet d'abord pour objet le soutien de la mise en place du nouveau dispositif. Les activités soutenues sont la création de postes - l'animateur de l'architecture et du patrimoine est souvent rémunéré par ce biais pendant les trois ou cinq premières années -, la formation des guides-conférenciers, l'équipement pour le centre d'interprétation. Ces crédits sont en progression lente ; l'argent se recycle de projets en projets au fur et à mesure de la progression du réseau.

En 2004, le total des crédits déconcentrés affectés à ce réseau par les DRAC a été de 1 572 000 € ; l'administration centrale y affecte elle-même 100 000 €. On considère que la participation des DRAC représente le quart environ du budget d'un service dédié au patrimoine dans une collectivité membre. Mais il n'y a pas d'obligation pour l'État de financer une structure. L'État constate que les communes consacrent de plus en plus d'argent à ce service ; il prend de plus en plus d'importance ; c'est un service à forte visibilité, que le maire connaît.

b) Un instrument de synergie pour l'action culturelle de l'État
et des collectivités

S'agissant des synergies, elles sont recherchées tant au niveau local qu'au niveau de l'organisation de l'État. Ainsi, le ministère de la culture et de la communication essaie de rationaliser son dispositif en faisant converger des projets comme les projets de sites sauvegardés et la démarche de ville ou pays d'art et d'histoire. On essaie aussi de renégocier des conventions anciennes pour les élargir à un espace plus large. En effet, pour que la démarche soit fonctionnelle et que l'effort présente des résultats opérationnels visibles, il faut une masse critique de budget et de personnel. Il faut cependant noter que la notion de pays se conçoit au sens large : il ne s'agit pas forcément de pays au sens de la loi Voynet, même si cela peut être le cas, ainsi pour le pays d'art et d'histoire de la vallée de la Dordogne lotoise, mais de regroupements au sein d'un bassin : il peut s'agir d'une intercommunalité, ou d'une structure plus légère entre communes.

Au niveau local, une question est aussi celle de l'articulation entre le réseau des animateurs du patrimoine et les offices du tourisme ; il y a toujours un peu de flottement ; mais il est important que l'animateur du patrimoine puisse être à un niveau stratégique.

Le ministère utilise aussi le dispositif des villes et pays d'art et d'histoire pour effectuer des rapprochements entre politique de la direction de l'architecture et du patrimoine et politique de la direction des musées. Ainsi, le secrétariat du label s'est rapproché de la direction des musées de France pour que les centres d'interprétation puissent être installés de façon fonctionnelle et synergique, par exemple pour qu'ils puissent être installés dans une salle du musée d'histoire locale, plutôt que dans une construction nouvelle spécifique. La logique de la présentation en trois langues a aussi été adoptée. Certains grands monuments dépendent aussi à la fois de la direction de l'architecture et du patrimoine et de la direction des musées. Enfin, un label Musée de France a été créé ; attribué de droit aux musées nationaux, qui relèvent de la direction des musées de France, il peut être également attribué à des musées territoriaux, y compris dans le cadre d'un projet de constitution d'une ville d'art et d'histoire.

c) Un instrument souple qui laisse leur liberté d'action ultérieure
aux collectivités

Au-delà des outils de base instaurée par la convention, le principe est de laisser aux collectivités une grande liberté. Au-delà du label, il s'agit bien d'offrir aussi aux collectivités qui veulent développer une politique d'histoire du patrimoine un réseau. L'aspect réseau est essentiel ; il est matérialisé par une association, l'Association des villes et pays d'art et d'histoire et des villes à secteurs sauvegardés. Son président est membre de droit du Conseil national des villes et pays d'art et d'histoire.

Une fois la collectivité insérée dans le réseau, elle a donc toute liberté pour développer ses actions, y compris en matière de produits dérivés. Le ministère n'est pas tatillon, il y a simplement un bureau de la direction de l'architecture et du patrimoine qui suit. Ainsi, par exemple, on réunit régulièrement les animateurs de l'architecture et du patrimoine. 

De plus, le bureau des villes et pays d'art et d'histoire anime aussi un site Internet, où les villes membres présentent leurs réalisations.

Une ville ou un pays d'art et d'histoire peut ainsi mener les actions de son choix : c'est ainsi que le pays d'art et d'histoire de la vallée de la Dordogne lotoise a monté une opération « églises ouvertes » ; celles-ci étant tout à fait dispersées, l'opération a été menée par le service animation du patrimoine, qui a réalisé des fiches sur chaque bâtiment, lesquelles ont été posées à l'extérieur de celui-ci, et relayée par les associations et les desservants, qui assurent l'accueil ; l'opération était en effet inenvisageable s'il avait fallu confier celui-ci à chaque fois à un fonctionnaire territorial. Il est important que les opérations de valorisation se basent sur le sentiment d'appartenance au pays de ses propres habitants.

Certains partenaires ont construit des opérations sur l'architecture du XXème siècle. La ville de Nantes a par exemple conçu un circuit de visite du patrimoine du XXéme siècle à partir d'un parcours en tramway. A Laval, il y a un travail à l'intention des habitants d'un quartier HLM, sur l'historique de ce quartier, depuis les champs sur lesquels il a été bâti jusqu'à aujourd'hui, de façon à permettre aux habitants de se réapproprier le lieu où ils vivent.

De même, l'appartenance au réseau n'interdit par le développement d'actions à travers des financements qui ne soient ni ceux de la DRAC, ni ceux des collectivités membres du réseau des villes et pays d'art et d'histoire ; rien n'interdit aux conseils généraux ou aux conseils régionaux d'aider les membres du réseau qui relèvent de leur ressort. C'est ainsi que le Pays d'art et d'histoire de la vallée de la Dordogne lotoise réunit dans un partenariat quadripartite non seulement l'Association de développement de la Dordogne et le ministère de la culture et de la communication, mais aussi le conseil général du Lot et le conseil régional Midi-Pyrénées.

La liberté dont jouissent les membres du réseau est un facteur attractif pour celui-ci. Des pays ou des villes peuvent ainsi être candidats pour valoriser et faire reconnaître, par leur admission dans le réseau, un travail déjà fait en interne, et de même qualité.

Le fait de faire partie d'un réseau national reconnu peut aussi être un facteur déclenchant pour un développement à partir de la culture.

d) Une attractivité réelle et un bilan provisoire positif

La formule attire. Le label regroupe 113 membres dont 82 villes et 31 pays. Du fait du succès de la formule, le ministère peut se montrer assez exigeant ; les dossiers qui sont déposés sont en général très bien préparés. On valide au maximum 10 dossiers par an.

Le dispositif des villes et pays d'art et d'histoire a généré des emplois. Un bilan provisoire (il ne recense pas l'ensemble des régions) a été fourni aux rapporteurs.

EMPLOIS CRÉÉS PAR LES VILLES ET PAYS D'ART ET D'HISTOIRE

Région

Animateurs

Animateurs adjoints

Personnel administratif

Guides-conf. permanents

Total

Bretagne

9

2

12

6

29

Poitou-Charentes

7

3

14

4

28

Rhône-Alpes

9

9

8

-

26

Prov-Alpes-C d'Azur

7

5

11

-

23

Pays de Loire

7

5

7

-

19

Languedoc-Roussillon

6

1

5

2

14

Picardie

4

-

3

-

7

Franche-Comté

3

2

5

Guadeloupe

2

2

4

Total

54

25

64

12

155

(Réponses de 9 DRAC ; source : ministère de la culture et de la communication)

Le souci de développer l'effet de valorisation du réseau lui-même amène son secrétariat a essayé d'en rééquilibrer le déploiement sur le territoire en suscitant des candidatures dans des régions où il ne comporte à l'heure actuelle que peu de membres, comme en Alsace.

On est donc amené à se féliciter de la démarche de création du label et du réseau des villes et pays d'art et d'histoire, qui semble aujourd'hui bien correspondre au rôle nouveau que laisse à l'État la poursuite de la décentralisation, en matière culturelle notamment, et son impécuniosité.

Le ministre de la culture et de la communication a indiqué à la Délégation qu'il comptait bien développer ce travail de labellisation et de mise en réseaux. D'une part, a-t-il exposé, « Il y a sans doute encore un autre label à inventer pour des lieux plus petits et plus précis » ; d'autre part « le ministère travaille assidûment à la création d'un label européen du patrimoine. Le label patrimoine mondial attribué par l'UNESCO ne sera pas étendu continûment. Un label européen doit pouvoir distinguer du patrimoine de très grande qualité qui ne répondrait pas aux critères d'exception du label de l'UNESCO. »

Enfin, il envisage de travailler à la création d'autres labels et réseaux autour de concepts spécifiques, qui doivent pouvoir être soit nationaux soit même européens. On pourrait, a-t-il dit, « envisager aussi des labels européens thématiques, pour distinguer par exemple les places de villages authentiques, les marchés remarquables, labels qui seraient accompagnés de subventions. »

Il reste qu'il faut attirer l'attention sur deux points. Le premier est lié à cette impécuniosité. Elle a pour conséquence que les subventions accordées pendant les trois ou cinq premières années n'ont pas vocation à être renouvelées. Une ville ou un pays d'art et d'histoire doit savoir qu'une fois les investissements faits, et le dispositif mis en place, il devra très probablement financer l'intégralité du fonctionnement de celui-ci, et notamment le poste d'animateur de l'architecture et du patrimoine. La démarche de création d'un territoire d'art et d'histoire ne peut pas être une démarche d'aubaine. Cela est d'autant plus vrai que l'augmentation du nombre de territoires membres du réseau réduit le volume des fonds attribuables à chaque territoire. Le ministre de la culture et de la communication a du reste reconnu que l'augmentation du nombre des membres de ce réseau « implique donc tôt ou tard une hausse des crédits qui lui sont consacrés ». Par ailleurs, l'attribution du label est réversible.

Le second concerne l'engagement des services régionaux de l'État. Les entretiens auxquels ont procédé les rapporteurs semblent indiquer que le comportement des DRAC peut être tout à fait mécanique. Il semble que certaines DRAC répartissent les fonds tout simplement en divisant les montants disponibles par le nombre de territoires d'art et d'histoire de la région. Cette attitude n'apparaît pas de bonne politique aux rapporteurs. Un tel territoire est un projet qui se construit dans la durée. Il y a des moments dans la vie du projet où un appui reste nécessaire, d'autres où il faut au contraire qu'il s'organise et se finance de façon autonome. Enfin, les projets ne sont pas forcément de même nature, ni de même ambition. La constitution en Ville d'art et d'histoire d'une ville qui exploite déjà son patrimoine culturel ne comporte pas les mêmes difficultés, pour les porteurs du projet, en l'occurrence l'équipe municipale, que la création d'un pays d'art et d'histoire dans une zone rurale où le patrimoine culturel n'a jamais été considéré comme un élément de valorisation économique, et où les porteurs de projets devront convaincre de nombreux partenaires, notamment l'ensemble des municipalités des communes rurales vouées à constituer le futur pays. Chaque DRAC se doit donc d'avoir une connaissance fine des projets pour formuler, auprès de Paris, ses demandes de crédits à attribuer et pour procéder ensuite à leur répartition. Il semble du reste que les rapporteurs ne fassent ici que reprendre la position du ministre : « Les DRAC sont incitées à développer la concertation entre collectivités, mais aussi entre DRAC de régions limitrophes. L'État doit à la fois penser local et penser global, et ce non pas seul, mais en liaison avec l'ensemble des collectivités territoriales. Il lui revient, à travers les contrats de projets État-régions, de développer une véritable stratégie territoriale, à l'interface de l'Union européenne et de l'ensemble des responsables territoriaux » a-t-il exposé à la Délégation.

4. Quelles politiques de valorisation du patrimoine pour les collectivités locales ?

a) Des situations très différentes

Au-delà des politiques conduites ou orientées par l'État, quelles politiques patrimoniales autonomes les territoires pourraient conduire au profit de leur développement ? Et en conduisent-ils ?

Il faut d'abord préciser que l'importance et la qualité du patrimoine varient beaucoup d'une région à l'autre, d'un département à l'autre. Dans certains cas, les conditions historiques ou naturelles ne sont pas forcément favorables au développement de politiques régionales ou départementales de tourisme culturel, ni même de tourisme tout court. Selon ODIT-France, il n'y a guère que 22 départements et 6 régions en France où l'activité touristique est une composante réelle de l'économie. On comprend que l'attention portée aux projets de développement de tourisme culturel ne soit pas la même partout.

Par ailleurs, le besoin d'un développement de tourisme patrimonial n'est pas non plus identique. Ainsi, comment le territoire d'un département tel que la Seine-et-Marne, département de plus d'un million d'habitants, dont la moitié de la surface est une zone d'expansion de l'agglomération parisienne, qui est un département d'où l'on part en vacances, et où l'on vient à Disneyland Paris, pourrait comporter les mêmes structures de valorisation, les mêmes projets de valorisation, qu'un département comme ceux du sud-ouest du Massif central, départements ruraux, peu denses, peu industrialisés, peuplés de 150 000 habitants et qui cherchent à faire de leurs atouts naturels et culturels des éléments de valorisation touristique ?

Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que les politiques soient extrêmement diverses. Entendu par la Délégation, M. Jean-Pierre Saez a exposé que « la politique des départements en matière de mise en valeur du patrimoine est extrêmement variable : certains font très peu, d'autres énormément. »

Il reste que, quelles que soient les dimensions de la collectivité, l'importance relative de la mise en valeur de son patrimoine pour son développement et le rôle qu'on veut faire jouer à cette mise en valeur, il semble qu'une collectivité peut toujours travailler selon deux axes : la valorisation de son patrimoine d'une part, notamment à travers sa restauration, et la professionnalisation des acteurs locaux, cela valant d'abord bien sûr pour les des équipes d'accueil, mais aussi pour les associations et les simples particuliers. Cette démarche est très clairement exposée par l'un des auteurs du rapport de l'agence du patrimoine Provence-Alpes-Côte-d'Azur déjà cité, M. Hervé Passamar, dans un entretien au « Figaro » du 31 décembre 2005 : « Il faut changer le regard qu'on porte sur le patrimoine qui n'est pas un objet mais un moyen de développement du territoire. Notre démarche d'analyse économique s'inscrit dans la double nécessité d'améliorer l'action publique et de professionnaliser les acteurs intervenant dans le champ du patrimoine. »

Au cours de leurs auditions ou de leurs déplacements, les rapporteurs ont donc pu repérer ici ou là des initiatives qui peuvent paraître intéressantes.

b) La mise en place de structures adaptées

On examinera d'abord les initiatives relatives aux structures. On vient d'évoquer la qualité et le caractère novateur du travail effectué par l'Agence régionale du patrimoine Provence-Alpes-Côte-d'Azur, qui est du reste l'évolution de l'agence du patrimoine artistique. Cette agence semble correspondre à un outil fonctionnel puisqu'elle fait des émules : la Picardie est en train de se doter du même outil et les régions Midi-Pyrénées et Bretagne ont un projet à l'étude. L'agence, qui a donc entrepris d'estimer la rentabilité du patrimoine de la région, rentabilité actuelle et potentielle, a bien pour objectif de promouvoir une nouvelle démarche de travail sur le patrimoine, sa mise en valeur au profit de la valorisation du territoire lui-même.

Dans ce même esprit de valorisation globale du patrimoine, on peut citer l'action du département du Lot. Considérant que les paysages et le patrimoine sont les éléments qui font venir non seulement des touristes (le tourisme est la deuxième ressource du département), mais aussi des habitants dans le Lot, et qui les y font revenir ou rester, le conseil général a entrepris de développer non pas une action touristique directe, mais une action de soutien à la valorisation du patrimoine : musées locaux, architecture locale, travaux menés en matière de patrimoine par les associations locales.

Afin de déployer au mieux cette action, et de lui donner les meilleures retombées possibles, le conseil général a récemment décidé de placer sous la même délégation les affaires culturelles et le patrimoine. Le champ de cette délégation est donc vaste : patrimoine rural, mais aussi ethnologie et enfin mise en valeur du patrimoine. Le conseil général considère que le fait que le patrimoine va relever du même service que l'aménagement est une force pour sa prise en compte dans la démarche d'aménagement du territoire.

Il faut noter que le développement de ce type de structures aux fins de conduire des politiques d'actions spécifiques semble porteur d'expérience. Comme le note également M. Jean-Pierre Saez : « On observe toutefois qu'une dynamique s'enclenche généralement dans les départements lorsqu'ils ont commencé à intervenir davantage, en raison de l'expertise qu'acquièrent progressivement leurs services. » Et de citer le département de l'Isère « de longue date, particulièrement avancé dans le domaine de la conservation et de la mise en valeur, à telle enseigne que sa politique fait école à l'étranger. »

Ce type de réflexion semble corroboré par des propos entendus lors du déplacement des rapporteurs à Laragne-Montéglin. Des interlocuteurs, fonctionnaires, ont regretté que, malgré le foisonnement des initiatives en matière culturelle, le conseil général des Hautes-Alpes ne se soit pas doté d'une direction des affaires culturelles, propre selon eux à introduire une meilleure rationalisation de la dépense et donc une meilleure utilisation des fonds publics dans ce domaine.

c) Valoriser les musées par leur mise en réseau

Les rapporteurs ont aussi pu constater que les structures mises en place déployaient, pour atteindre l'objectif de développement du territoire au nom duquel elles sont créées, des politiques novatrices.

L'action du département du Lot concernant les musées a consisté à les insérer dans un dispositif intégré. Le département comporte trois musées départementaux : le musée Lurçat, le musée Zadkine, aux Arques, et le musée Rignault à Saint-Cirq-Lapopie. L'ensemble a été doté d'un même réseau de conservation ; il est dirigé par un conservateur unique. Aux trois musées départementaux, s'ajoutent une trentaine de musées locaux. La qualité de leurs collections leur vaut d'être labellisés musées de France. En revanche seuls cinq d'entre eux ont un personnel permanent. Le souci du département est de conserver le label à ces structures sans moyens. Pour cela, le conseil général a mis en place à Cuzals un centre départemental de conservation labellisé. Celui-ci abritera une sorte de service scientifique central, qui assurera l'inventaire, l'étude et la bonne conservation des objets. Ceux-ci seront ensuite redistribués dans les associations pour exposition. Le centre de Cuzals disposera du personnel, et éventuellement des relais, compétents pour l'ensemble des opérations, ce qui est inaccessible aux petites structures.

La démarche du département produit du reste elle-même un effet réseau : le projet de création du centre de Cuzals a permis par exemple de fédérer les associations archéologiques du Lot.

Le département des Hautes-Alpes tente également d'élargir le rayonnement de son unique musée, en sortant de son principal rôle actuel d'accueil des scolaires : développement de la fréquentation adulte, présentation de ses travaux sur tout le territoire, ouverture aux chercheurs de son laboratoire de restauration d'animaux naturalisés, développement de l'exploitation de son remarquable fonds archéologique, aide au montage de dossiers de mécénat.

Mais c'est le projet Quasar, désormais porté par le conseil général, qui est à ce jour le grand projet de mise en réseau. Il s'agit d'un site de promotion de tourisme scientifique. Il vise à faire accéder le grand public à des connaissances scientifiques à la fois complexes, stupéfiantes et mal connues, telles que la relativité et l'espace temps, à travers des mises en scènes et des manipulations aussi spectaculaires que possibles. Considérant que le déficit d'engagement vers les sciences est handicapant pour la recherche, le projet veut montrer au public, et notamment aux jeunes, que la science n'est pas achevée et qu'elle peut poser des questions très émouvantes au plan humain.

Les premières démarches ont été engagées avec une exposition itinérante dénommée « Grains de lumière » en 2005. Elle a eu un très grand succès.

Le projet, qui dispose d'un comité scientifique prestigieux, sera centré sur la lumière. Ce choix vise aussi à déboucher sur une mise en réseau des grands sites scientifiques du Sud-Est en rapport avec ce thème, dans le cadre d'une route de la lumière : l'observatoire de Nice, Antarès à Marseille, le laboratoire d'astrophysique, l'observatoire de Haute-Provence, le radio observatoire de Bure, et enfin la plate-forme de Grenoble avec le synchrotron.

Il faut noter qu'il fait l'objet, entre autres partenariats, d'un partenariat entre l'État, la région et le département.

Le ministre de la culture et de la communication a quant à lui exposé à la Délégation sa détermination à aider les territoires à améliorer leur attractivité muséale et à participer à cette mise en réseau. Après avoir souligné que : « Un musée sur quatre est situé dans une zone rurale ou dans une unité urbaine de moins de 5 000 habitants. Le développement des musées de société et des écomusées dans les années 1970 a contribué à cette situation. Ces musées rassemblent 14 % de la fréquentation totale », il a exposé que : « De façon générale, les musées nationaux doivent ouvrir leurs coffres, et pas seulement pour des expositions temporaires. Leurs réserves doivent servir à enrichir, par des prêts à long terme, des musées en région, de façon à accroître leur attractivité et celle des territoires où ils sont implantés. Il faut mieux répartir le patrimoine de l'État sur le territoire ». Et de citer l'exemple du Louvre II, à Lens.

d) Associer les habitants à la mise en valeur du patrimoine

S'agissant des monuments, le directeur de l'architecture et du patrimoine, M. Michel Clément, a rappelé aux rapporteurs que L'État ne possède qu'une centaine des 44 000 monuments inscrits ou classés. Un champ important reste donc ouvert aux collectivités locales pour développer l'animation d'un territoire à partir de la mise en valeur d'un monument.

Après la publication du rapport de la commission présidée par l'historien René Rémond, qui identifiait 178 monuments transférables aux collectivités locales, il y a eu une cinquantaine de demandes. Les châteaux de Chaumont, du Haut-Königsberg, de Bussy-Rabutin ou de Châteauneuf seront sans doute transférés. La procédure est la suivante : si une collectivité demande un transfert, le préfet transmet cette demande aux autres collectivités susceptibles de demander également le transfert, qui doivent répondre dans les trois mois ; ensuite, le transfert peut s'engager. La collectivité peut ainsi développer des politiques innovantes d'utilisation de ce patrimoine pour la valorisation du territoire, à l'exemple de la ville d'Arles déjà citée, à qui appartiennent tant les arènes que le théâtre antique.

En matière de patrimoine architectural, le département du Lot est intervenu d'abord en appui aux monuments historiques. Il dispose d'un fonds de restauration de l'habitat rural. Le taux d'intervention est modulable et va de 15 % jusqu'à 50 % du prix des travaux, en fonction de leur intérêt. L'enveloppe annuelle est de 450 000 € auxquels il faut ajouter une enveloppe spécifique de 60 000 € pour les édifices non protégés ; en moyenne 50 demandes sont examinées chaque année et 20 dossiers sélectionnés.

Cependant, le département a aussi entrepris de mener un véritable inventaire scientifique en matière d'architecture locale. Il a passé une convention avec l'État et la région. Il est maître d'oeuvre d'un inventaire du patrimoine médiéval du Lot, patrimoine qui n'est pas toujours classé monument historique. Il a aussi passé une convention avec le pays d'art et d'histoire de la Dordogne lotoise.

Outre l'inventaire proprement dit, des conférences sont menées ville après ville par les responsables de l'inventaire, afin de sensibiliser les gens à la qualité du patrimoine ancien de leurs lieux d'habitation, et aussi d'améliorer l'inventaire ; c'est un travail de longue haleine. Enfin, un site Internet de référence a été développé (www.patrimoine-lot.com ).

Ainsi, dans ce domaine aussi, la démarche du département consiste en un soutien à la restauration du patrimoine, grand et petit, et à l'action des associations qui acceptent de passer avec lui des contrats d'objectifs.

Il est clair que cette action suscite l'intérêt de la population lotoise. C'est d'ailleurs l'un des objectifs de la démarche, et cela est nécessaire, on l'a vu, pour la valorisation du petit patrimoine et du patrimoine isolé. Cet intérêt ressort d'un questionnaire du conseil général dénommé Lot 2020. Pour un département qui compte 73 000 foyers, il y a eu 13 000 réponses. L'implication se voit aussi à travers la récupération des petits panneaux de signalement sur les chantiers de restauration d'églises par les services de l'État : après la restauration, les maires récupèrent les panneaux pour en faire une information pérenne. Par ailleurs les réponses au questionnaire montrent que l'action du conseil général en matière de patrimoine a changé l'image du département du Lot.

e) Une préoccupation nouvelle : la mise en valeur des paysages

La démarche peut être plus affirmée encore. « Nous sommes là dans une logique de développement durable », expose clairement M. Passamar lors de l'entretien déjà cité. De fait, dans cet objectif, l'agence du patrimoine développe aussi de nouveaux axes de valorisation patrimoniale. Ainsi, afin de montrer les dégâts de l'urbanisation sauvage, l'agence vient de lancer une grande campagne photo sur le thème « monument-paysage ».

Son action met ainsi en œuvre une démarche qui se développe de plus en plus. Il s'avère que le paysage fait désormais l'objet d'une réflexion sociologique sur sa valeur culturelle, et économique sur sa valeur d'usage. Lors de son audition, M. Xavier Greffe a attiré l'attention de la Délégation sur ce point. Citant notamment le Japon et le Portugal, il a exposé que, « en enquêtant sur ce que les gens - aussi bien les touristes que les habitants du lieu - étaient prêts à payer pour la conservation de ces paysages, naturels ou culturels, on s'est aperçu qu'ils faisaient l'objet d'un attachement très fort ». Il a ajouté que ces paysages pourraient alors être mis en valeur par « un mode de visite qui ne soit pas celui des tour operators traditionnels, mais un tourisme au rythme plus lent, amenant les visiteurs à passer au moins une nuit sur place. »

Citant le cas d'églises québécoises ou ontariennes, ou encore celui du site de la gare centrale de New York, il a même exposé que les États Unis, la Grande-Bretagne, le Canada ont adopté, pour sauvegarder des paysages, un système de « droits de densité » ou « droits de développement ». « Il s'agit, lorsque le propriétaire d'un site considéré comme important pour la mémoire collective risque de le défigurer, en utilisant les droits à construire qui y sont attachés, de le lui interdire, mais de lui donner en contrepartie des droits équivalents sur un autre site, qui n'a pas la même sensibilité. Ainsi, la société propriétaire de la gare centrale de New York, qui voulait ériger une tour au-dessus du bâtiment pour mieux rentabiliser celui-ci, s'est vu interdire une telle extension, mais a pu faire construire la tour en question quelques kilomètres plus loin, dans un autre quartier de la ville où les contraintes de paysage n'étaient pas les mêmes.»

La mise en valeur des paysages peut aussi se faire dans le cadre de l'organisation de festivals. Dans les Hautes-Alpes, le festival de Chaillol, dont c'est la 10e édition en 2006, est un festival de musique qui utilise l'écrin même du territoire et de l'environnement physique, paysager, humain. Le cadre paysager de Chaillol offre un panorama exceptionnel sur les vallées du Champsaur et du Valgaudemar. Le festival se tient dans le village de Chaillol et les villages environnants. Il comporte aussi une balade musicale associant la musique et le panorama. Il a produit un savoir-faire qui s'est diffusé jusqu'au Japon, où son concept a été installé sur le même type de territoire, un parc national, celui de Kirishima, sur l'île de Kyushu. Cette diffusion s'est accompagnée d'échanges culturels musicaux, ce qui fait que le festival de Chaillol comporte une programmation de musique japonaise, et celui de Kirishima de musique française.

Les paysages peuvent même créer de la valeur économique directe. Dans les Hautes-Alpes et les Alpes-de-Haute-Provence, c'est même, depuis sa création en 2003, le travail d'une association, la Commission du film des Alpes du sud.

Cette commission fait partie d'un réseau national, avec un maillage régional et local, celui de la Commission nationale film France, créée en 1995. L'objet du réseau est de favoriser et accueillir des tournages sur le territoire et de valoriser les acteurs culturels, comme les intermittents, mais aussi économiques, avec l'hôtellerie par exemple.

La Commission du film des Alpes du Sud est donc un acteur du développement du territoire alpin. Les services qu'elle propose sont la recherche et l'accueil de tournages de film dans les deux départements, l'assistance gratuite aux équipes cinématographiques pour le repérage des lieux (certains sont à la fois superbes, très isolés et ne sont jamais apparus dans des films) et l'obtention des autorisations de tournages, la tenue d'un fichier de professionnels du cinéma et de prestataires de services, et enfin la tenue d'un fichier d'athlètes de haut niveau dans la pratique des sports extrêmes pour les prises de vue dans ce domaine. Le film du sport extrême est une spécificité de la Commission du film des Alpes du Sud.

Grâce au réseau dont elle est membre, la commission reçoit par Internet demandes de décors, d'hébergement, de lieux d'accueil, de techniciens. Enfin pour répondre aux demandes, elle s'appuie sur les réseaux de professionnels du tourisme, de l'économie de la culture et du cinéma.

Travaillant en partenariat avec les conseils généraux et le conseil régional, elle dispose d'une directrice permanente, embauchée grâce à un contrat du conseil régional.

Son action a pour conséquence le développement de l'emploi local, par le recrutement d'artistes et de techniciens locaux, des retombées économiques dans le domaine de l'hébergement, de la restauration et des commerces, la promotion du tourisme et de l'image des Alpes du Sud par la mise en valeur des sites naturels, du patrimoine, de la culture et des savoir-faire, par les films qui sont tournés. Sa directrice estime à 2 millions d'euros le produit généré en 2005, où l'action de la commission a généré 86 jours de tournage, pour lesquels des équipes de production ont été accueillies sur place, y ont été payées et y ont dépensé.

f) Développer le recours au mécénat

Enfin, il faut souligner ici que, de façon générale, ces projets d'initiative locale sont les plus propices à recevoir l'appui du mécénat d'entreprise.

On n'exposera pas ici les éléments qui différencient, pour une entreprise, le mécénat du sponsoring, ni à quelles conditions le développement d'une action de mécénat peut être profitable à celle-ci et ce qu'elle peut en attendre. Les rapporteurs renvoient sur ce point au contenu même de l'audition de M. Jacques Rigaud, insérée au présent rapport.

En revanche, lors de son audition, M. Jacques Rigaud a insisté sur « le mécénat culturel de proximité », qui « est très important pour les territoires culturellement moins bien dotés : il peut soutenir un musée ou une activité théâtrale, par exemple. Réciproquement le thème de l'attractivité du territoire est sûrement l'un de ceux qui peuvent le mieux susciter l'intervention d'une entreprise. »

Il a tout particulièrement cité l'action de la Fondation du Crédit Agricole. « Elle intervient principalement en milieu rural, finance exclusivement des dépenses d'investissement ou d'équipement, et jamais de fonctionnement, et ne soutient que des projets déjà retenus et soutenus financièrement par une caisse régionale, dont la Fondation double alors la participation. » «Parmi les projets financés en 2004, on peut citer, entre autres exemples, l'extension du Musée protestant du Vivarais, la création de sentiers de découverte en Gironde, l'installation d'aménagements pédagogiques à Pouilly... (...) Quant aux retombées, elles vont au-delà de ce qui est mesurable et chiffrable, dans la mesure où il s'agit d'un investissement qui contribue à l'embellissement, au développement culturel des territoires et donc à leur qualité de vie et à leur attractivité. »

Et M. Rigaud d'exposer, à propos du mécénat, que « là où son rôle est irremplaçable, c'est pour soutenir, par goût du risque et de l'innovation, des initiatives si originales qu'elles ne peuvent pas répondre aux critères habituels d'octroi de subventions publiques. »

C. LES FESTIVALS, FACTEURS DE DÉVELOPPEMENT LOCAL

1. La multiplication des festivals

a) Des événements séduisants

Dans un but de développement économique, une collectivité peut développer une politique de festivals. La démarche n'est pas la même que celle de l'aide au spectacle vivant exposée dans la première partie du présent rapport : il ne s'agit pas seulement d'un service rendu aux habitants, mais d'une politique tendant à faire venir de l'extérieur des usagers du festival. Cette dimension prend d'autant plus d'importance que le festival est lui-même important.

Le festival d'Avignon, le plus important de France, a commencé avec un seul metteur en scène, Jean Vilar, et c'est progressivement qu'il est devenu l'événement international que l'on sait. L'histoire du festival de Cannes est un peu différente. Ses premières éditions ont eu pour cause le rejet par les démocraties des palmarès des festivals de Berlin ou de Venise dans les années 1930. Il reste que ces deux festivals-phares rappellent qu'un petit festival peut progressivement se développer jusqu'à devenir une entreprise économique et culturelle considérable.

Aujourd'hui, l'été français est parsemé de festivals. Cela vaut non seulement pour des grandes villes, comme Aix-en-Provence, dont le festival lyrique est célèbre, mais aussi pour des petites villes, voire des zones rurales. Ils concernent toutes les thématiques : la musique classique, le jazz (Marciac), les musiques celtiques (Lorient), le théâtre de rue (Aurillac)... Il s'en organise aussi en dehors de la saison touristique : le Printemps de Bourges en est notamment l'exemple. Ces festivals provoquent dans la ville qui les organise une affluence inhabituelle, donnant l'impression d'un dynamisme, d'une réussite remarquables. Les hôtels sont pleins, les rues débordent de festivaliers, les événements se multiplient. Cette remarque est valable aussi bien pour de grands événements d'échelle nationale que pour d'autres plus spécialisés (la dernière féria d'Arles aurait attiré de l'ordre de 400 000 personnes (dans une ville de 50 000 habitants), ou de petits événements : lors du déplacement des rapporteurs dans les Hautes-Alpes, le maire de Saint-Julien en Beauchêne, village de 120 habitants a ainsi exposé que, en 2005, pour la première fois, le village avait accueilli trois jours d'un festival musical, qui avait fait revivre le village, et que le village va donc essayer de monter un tel événement tous les ans.

Il est donc tentant pour une collectivité, et d'abord une municipalité, de patronner, voire d'organiser un festival.

b) L'implication progressive des collectivités locales

Il y a cependant une histoire-type de ces festivals. En général, ils ont pour origine l'action d'une association composée de bénévoles, qui prolonge son activité culturelle annuelle par l'organisation d'un petit festival. Avec le succès, avec aussi la maîtrise de plus en plus grande de l'organisation de l'événement qu'acquièrent les membres les plus actifs de l'association et l'accroissement de leur carnet d'adresses, le festival se développe : il est de plus en plus nourri, il comporte des noms de plus en plus attractifs, il attire de plus en plus de monde.

À un moment ou à un autre, l'association n'arrive plus à porter seule le festival. Deux exemples particulièrement significatifs de cette situation ont été présentés aux rapporteurs lors de leur déplacement à Cahors, avec le festival du château d'Assier et le festival Africajarc. Africajarc notamment demande désormais plusieurs semaines de travail continu à ses bénévoles ; s'il s'autofinance à 85 %, l'équilibre de ses comptes est désormais menacé par le moindre aléa ; en 2005, il a failli ne pas se remettre d'une seule journée de pluie. Sa responsable elle-même a reconnu que la persistance de l'association au-delà de l'année 2005 avait pour origine unique le fait que le conseil général ait consenti une subvention exceptionnelle pour éponger la moins-value par rapport au gain attendu, due à cette journée de pluie et exposé que l'organisation d'un festival de cette importance par le seul bénévolat devenait de plus en plus problématique.

Le mode de développement de ces festivals a donc progressivement amené les collectivités dans lesquelles ils se déroulent à entrer dans une logique de participation à leur financement.

On découvre ainsi que les festivals les plus importants peuvent être financés jusqu'à 70 % par la ou les collectivités d'accueil. Ainsi, pour ne parler que du département du Lot, le coût d'organisation de 500 000 € du festival et des résidences Chaînon manquant à Figeac en 2004 a été couvert à hauteur de 160 000 €, soit 32 % par des recettes propres, le reste de la couverture, soit 68 %, étant composée de subventions. Celles-ci sont de 130 000 € pour les collectivités locales, soit 26 % ; 67 000 € pour l'État, soit 13 % ; 68 000 €, soit 14 %, provient de subventions d'organismes professionnels ; enfin 75 000 €, soit 15 %, sont constitués de crédits européens du FEDER.

La réforme du régime des intermittents du spectacle et la fin du dispositif des emplois jeunes ont eu des répercussions sur le fonctionnement des associations les plus importantes. Ainsi, la même association Chaînon manquant est passée de ce fait de 6 postes de permanents à 4,5 ; l'association gestionnaire du centre culturel de Figeac est passée de 14 salariés permanents à 9 ; 3 seulement des 14 n'étaient pas passés par le stade des emplois aidés ; parmi les gens qu'elle n'a pas pu garder, il y a des personnes qui s'étaient effectivement professionnalisées.

On voit aussi concrètement les conséquences des réductions des attributions de fonds du FEDER à la France à partir de 2006.

Les associations se tournent donc plus que jamais vers les collectivités locales pour faire face à cette évolution. Celles-ci sont donc mises au pied du mur pour le financement des festivals. Dans ces conditions, la question de la définition d'une politique des festivals se pose aujourd'hui clairement pour elles. Il faut qu'elles sachent quelles sont les perspectives de rentabilité d'un festival, quelles sont, à défaut de bénéfice financier, ses retombées en termes d'attractivité et d'activité pour le territoire. Elles sont également amenées à définir le sens de leur participation dans ce domaine, ainsi que les limites de celle-ci.

2. Un outil pertinent ?

a) Des effets mitigés

Les études montrent que les politiques de festivals ont des effets complexes. Si les effets sur la notoriété et l'image de la collectivité qui organise le festival sont toujours positifs, les effets sur l'activité du territoire sont plus compliqués à cerner.

S'interrogeant devant la Délégation sur l'intérêt pour une ville de développer un festival, M. Jean-Pierre Saez a d'abord exposé que les études d'impact, dans ce domaine, étaient souvent parcellaires et qu'elles reposaient rarement « sur des analyses scientifiques à proprement parler ». Il a néanmoins fait observer que, en tout état de cause « si le budget de la manifestation est, par exemple, de l'ordre de 750 000 €, la ville n'apportera elle-même qu'une partie du financement, entre 15 et 20 %, le reste étant apporté par d'autres collectivités publiques, par des sociétés civiles, par des coproductions, par le mécénat - sans oublier, bien sûr, les recettes de billetterie. En revanche, elle bénéficiera de l'ensemble des retombées : emplois permanents créés sur place, surcroît d'activité dans l'hôtellerie et la restauration, activités liées aux spectacles et aux publications... » Le bilan financier pour la ville a ainsi toutes les chances d'être positif.

En revanche, le bilan en termes de développement peut être plus mitigé. D'abord, dans un festival important, les artistes viennent d'ailleurs. Mis à part l'hôtellerie et la restauration, l'activité créée par le festival sert donc assez facilement à induire de la dépense ailleurs que dans le lieu où il se tient. M. Xavier Greffe a ainsi fait observer devant la Délégation que « les entreprises culturelles se constituant et disparaissant au rythme des projets, les artistes ont un fort intérêt pratique à s'installer à proximité des donneurs d'ordre, et les producteurs à proximité des artistes, reproduisant à plus petite échelle un modèle bien connu, le modèle hollywoodien. C'est ainsi que les grands sites touristiques concentrent artistes, entreprises et techniciens, si bien que lorsque s'organise une manifestation ailleurs, dans une ville plus petite ou même un village, l'essentiel de la main-d'œuvre vient en fait de ces grands centres. Cela explique que les festivals soient très coûteux à organiser ; cela explique aussi que, l'année où le festival d'Avignon a été annulé, la ville n'en a que peu souffert, la plupart des artistes mais aussi des techniciens venant de Paris, de Lyon ou de Marseille. »

Plusieurs études ont été faites sur le festival d'Avignon. Elles sont présentées dans l'ouvrage précité de l'OCDE « La culture et le développement local ». En présentant la synthèse, M. Xavier Greffe fait apparaître des retombées directes, qui sont des dépenses liées à la mise en oeuvre du festival, de 8 millions d'euros, et des retombées indirectes (dépenses des festivaliers) de 5,8 millions d'euros. Le total des recettes pour Avignon est ainsi de 13,8 millions d'euros à comparer aux 4,9 millions d'euros de subventions. En termes financiers, le bilan est donc très intéressant.

En termes d'emplois, le bilan est plus mitigé. En effet, si un nombre important d'emplois est créé par le festival, entre 700 et 1 000 selon les études, 96 % de ce total correspond à des emplois saisonniers. L'effet durable sur le développement local paraît donc limité.

b) Des conditions précises

En revanche, d'autres exemples indiquent que deux facteurs peuvent faire des festivals les sources d'un développement local durable. Le premier est la création de structures de formation, d'archivage et d'animation. Le second est l'organisation de marchés, dérivés du festival, dont la taille et la répétition chaque année deviennent des sources de développement.

Ce dernier cas peut être illustré de façon emblématique avec le festival de Cannes. Les 100 000 personnes qui y sont accueillies chaque année engendrent des retombées estimées à plus de 110 millions d'euros pour le bassin cannois. Ces retombées concernent bien entendu d'abord les secteurs de l'hôtellerie, de la restauration et du commerce de luxe. Cependant, elles s'accompagnent désormais d'effets plus larges. Lié au festival de Cannes et bénéficiant des mêmes infrastructures, le MIDEM (marché international du disque et des enregistrements multimédias) a réuni, en 2004, 2 120 exposants et 8 800 participants. De façon plus permanente encore, le festival de Cannes comme le MIDEM ont été à l'origine de l'installation de nombreuses entreprises du secteur de l'image et du multimédia dans le parc technologique de Sophia Antipolis. Une part du succès de ce parc est donc directement liée au festival et à son développement.

Un autre exemple peut être fourni par le festival international du film d'animation d'Annecy. À ses débuts, en 1960, c'était une rencontre professionnelle. Les pouvoirs publics ont entrepris de favoriser sa pérennisation en créant une cité des techniques de l'image de l'animation (CITI). Cela a permis à la dimension marché de ce festival de se développer : on pouvait désormais y bénéficier d'une infrastructure croissante en termes de laboratoires de projection et de traitement d'images. En 2002 les retombées économiques du festival étaient estimées à 3 millions d'euros pour la ville d'Annecy, sans parler des retombées touristiques et médiatiques, la présence des principaux médias concourant à la promotion de la ville au niveau national et international. Se sont aussi greffés sur ce festival un diplôme de concepteur-réalisateur multimédias et l'accueil de créateurs d'entreprises du secteur de l'image et du multimédia. Ces activités permanentes sont aussi d'éventuelles sources de développement d'entreprises nouvelles sur ce site.

En Arles, ville déjà mentionnée à propos de son patrimoine, sont organisées chaque année des Rencontres internationales de la photographie, pendant une semaine, et un Festival lyrique. De l'avis des observateurs locaux, les Rencontres internationales de la photographie n'ont pas changé grand-chose aux flux touristiques en Arles. En revanche, la répétition annuelle de ces rencontres a conduit à la création d'un cycle de formation, qui s'étend sur tout l'été, à l'installation d'une école nationale de la photographie, qui regroupe 40 emplois permanents, et enfin à la mise en place d'un très important fonds qui donne lieu à une série d'expositions temporaires tout au long de l'année ; le festival lyrique a quant à lui, été à l'origine de l'installation permanente d'ateliers de costumes et de décor, lesquels travaillent désormais à l'année non seulement pour le festival arlésien, mais aussi pour différents marchés régionaux, nationaux ou internationaux.

Le Festival de la bande dessinée d'Angoulême a progressivement été la cause du développement de véritables activités d'industries culturelles : un centre national de la bande dessinée et de l'image développe aujourd'hui des activités de création et de communication en matière de bande dessinée, d'image numérique et de production multimédia. Il comporte non seulement un musée et une bibliothèque, mais aussi un laboratoire d'images numériques et un centre d'appui à la production multimédia. L'ensemble représente 200 emplois directs. Il a été prolongé par la création d'un lycée de l'image et du son, qui permet aux jeunes de s'investir dans ces nouveaux métiers.

Le phénomène n'est pas spécifique à la France : à Spolète, en Italie, la municipalité, après avoir accepté de subventionner un festival sous la pression médiatique, a su donner à celui-ci une dimension structurante en créant parallèlement une école, des studios de théâtre, et en soutenant le développement des métiers d'art sollicités à l'occasion de la manifestation.

Pour conclure, il s'avère qu'au delà de la promotion de l'image du territoire qu'ils organisent, les festivals n'ont pas par eux-mêmes d'effet durable sur le développement local. Cet effet n'est qu'indirect. Il se concrétise quand, du fait de la présence du festival se créent autour de lui des activités industrielles, commerciales ou de recherche pérennes.

c) Sur quelles bases définir une politique de financement des festivals ?

Dès lors se pose de ce fait la question des éléments de raisonnement à partir desquels une collectivité pourra financer une politique de festivals et la faire accepter.

C'est ainsi que, lors de la réunion tenue à Cahors, le vice-président du conseil général chargé de la culture a exposé que le département passait d'une politique de soutien culturel à une véritable politique culturelle. Dans ces conditions, il a annoncé d'une part que le département allait essayer de développer les synergies, et de l'autre que, les festivals étant la vitrine du département, celui-ci allait essayer de les soutenir, mais qu'il n'allait plus pouvoir continuer comme avant et donc que des choses allaient disparaître.

S'agissant du département du Bas-Rhin, M. Jean Laurent Vonau a exposé que chaque année 55 festivals y avaient lieu, dont 39 sont subventionnés par le conseil général. Pour lui, ce chiffre de 39 était beaucoup trop élevé. Il a insisté sur la nécessité pour le conseil général de se fixer des critères beaucoup plus précis qu'aujourd'hui pour décider d'un subventionnement. Il considère qu'à travers la politique de subventionnement on devrait pouvoir lire une politique culturelle. Aujourd'hui, a-t-il dit, on ne sait pas si le but de l'action du conseil général est touristique ou de politique culturelle. Selon lui, la politique du conseil général doit donc être formalisée et des décisions prises en conséquence.

Outre la rationalisation des moyens, la création d'une sorte d'agence centrale de location de matériel, à l'exemple de l'Agence culturelle d'Alsace, quels peuvent être les éléments d'une politique festivalière locale ?

Les indications données ci-dessus montrent qu'il y a des conditions pour qu'un festival soit un véritable outil de développement économique. Il faut que ce festival puisse être susceptible de susciter de l'activité à l'année sur le territoire. Dès lors, chaque politique est singulière. Lorsqu'un festival existe déjà, il faut procéder d'abord à l'analyse du rôle qu'a déjà ce festival sur le territoire. Ainsi, on ne crée pas d'offre de tourisme culturel sans offre de divertissement culturel, donc sans événements.

Mais elle devra aussi procéder à l'analyse des ressources susceptibles d'être mobilisées à l'année et qui pourront éventuellement être exportées du territoire. Enfin, dans cette logique, elle devra tenter de repérer des possibilités de création d'activités contiguës, susceptibles elles-mêmes de générer une activité qui ne sera plus, un moment, dépendante de la tenue du festival lui-même.

C'est ainsi que les promoteurs du festival de Chaillol ont entrepris de le rationaliser, avec la rémunération des artistes, mais aussi la limitation de leur nombre (31), ainsi que de celui des concerts (17, outre la balade musicale) et de développer une politique de stages de musique qui accompagnent le festival. 140 stagiaires sont ainsi accueillis avant le festival, pendant une durée de dix jours. Ce sont ces stages qui ont permis le lancement du festival. Il y a une demande d'inscription très supérieure à la capacité actuelle d'accueil : en 2007 il est donc envisagé le dédoublement de ce stage d'été et la création d'autres modules au printemps.

Certains acteurs se positionnent déjà par rapport à ce nouveau type de demande. L'association Chaînon manquant, dont le budget est d'un million d'euros, a un partenariat avec les villes de Figeac et Capdenac. Son directeur a insisté, lors du déplacement des rapporteurs à Cahors, sur les apports du festival au territoire sur lequel il est ancré. Outre les quelques emplois permanents qu'il fournit, le festival crée du lien social : une centaine de bénévoles contribuent à sa préparation et à son bon déroulement, parmi lesquels des familles hébergeantes pour les artistes ; employant environ 400 professionnels, dont 60 étrangers, le festival, expose son directeur, a un rôle pour faire découvrir la région. Chaînon manquant n'organise pas seulement un grand événement à Figeac, mais aussi des événements locaux tout au long de l'année. L'association développe aussi des résidences d'artistes. Enfin, elle organise la diffusion, dans les villes adhérentes à son réseau, d'artistes qui se produisent au festival de Figeac.

II - LES MÉTIERS D'ART, UNE SOURCE DE DÉVELOPPEMENT POUR LES TERRITOIRES

A. UNE PROBLÉMATIQUE SPÉCIFIQUE

1. L'artisanat d'art, facteur d'activité et de qualification pour les territoires ruraux

a) Des métiers de qualité pour le développement des territoires

Un autre facteur de développement des territoires, et notamment des territoires ruraux, par la culture apparaît être constitué par les métiers d'art.

Entendu par les rapporteurs, M. Jean-Christophe Martin, directeur du commerce, de l'artisanat, des services et des professions libérales au ministère des PME, du commerce, de l'artisanat et des professions libérales, leur a fait une présentation tout à fait instructive.

On considère qu'en France entre 18 000 et 19 000 entreprises constituent le noyau central des métiers d'art. Les quatre cinquièmes exercent un métier d'art à titre principal, les autres ont un volet qui relève des métiers d'art. Quant au nombre de professionnels des métiers d'art, photographes inclus, il serait compris entre 110 000 et 130 000 personnes.

M. Jean-Christophe Martin a souligné l'intérêt de ces métiers à la fois pour ceux qui les exercent et pour les territoires concernés. S'agissant des premiers, il a souligné que les métiers d'art, et au-delà les métiers « de tradition », ne sont pas des métiers déqualifiés. Métiers s'épanouissant mieux dans le cadre de l'artisanat que du salariat, ils offrent aussi l'opportunité de permettre à leurs professionnels non seulement de construire leur savoir-faire, mais ensuite de progresser professionnellement, en gérant leur entreprise puis en la développant. Ce sont des métiers qui permettent des projets de vie et des carrières intéressantes et ouvertes.

Pour les territoires, et tout particulièrement les territoires ruraux, les métiers d'art présentent l'avantage d'être des métiers de localisation. Les gens qui les pratiquent peuvent développer leur activité en restant chez eux dans le territoire qu'ils habitent au moment où ils s'y engagent. Ce ne sont pas des métiers qui imposent une disponibilité territoriale à leur main-d'œuvre ; or, il n'y a pas tant de types d'emplois qui peuvent se situer dans des zones fragiles. Enfin, comme les autres activités, ils ont aussi des effets d'entraînement : lorsqu'une entreprise d'artisanat d'art se développe, elle crée aussi de l'emploi non seulement d'ouvriers mais aussi de chercheurs et de commerciaux, puis de l'emploi indirect et induit.

Un exemple très concret de cette capacité d'entraînement a été présenté aux rapporteurs lors de leur déplacement dans les Hautes-Alpes. La place-forte de Mont-Dauphin y a été construite par Vauban pour contrôler l'accès à la vallée de la Durance depuis l'Italie. C'est une construction remarquable, un concentré de pièges militaires, dans un site superbe, au confluent de la Durance et du Guil.

Le caractère strictement militaire du lieu a longtemps empêché le développement du village ; avec la déprise rurale, Mont-Dauphin, en 1980 ne comptait plus que 29 habitants. Le déclassement du site comme ouvrage relevant de la défense et son classement comme monument historique ont modifié les perspectives. L'actuel maire de Mont-Dauphin a exposé aux rapporteurs que, en 1980, faisant valoir les qualités exceptionnelles du site et aussi sa position centrale au sein du département, la municipalité de l'époque a réussi à attirer quelques artisans d'art, qu'elle a installés dans l'une des casernes désaffectées. Cela a été le début du renouveau de Mont-Dauphin. Une fois installés, les artisans d'art ont développé des manifestations mêlant l'artistique, le culturel et le commercial, afin de présenter leurs productions. Un développement plus touristique a suivi, avec la mise en valeur de la place-forte, et des animations et spectacles autour de celle-ci, les manifestations étant organisées de façon à allonger la saison touristique. Aujourd'hui, Mont-Dauphin compte 120 habitants et est membre du Réseau des sites majeurs de Vauban, association qui regroupe 15 sites postulant à ce titre au classement au patrimoine mondial de l'UNESCO.

Le développement à partir des métiers d'art peut aussi aboutir, dans des dossiers d'une autre échelle que celle du village de Mont-Dauphin, à la constitution de véritables réseaux de production d'objets artistiques. M. Xavier Greffe l'a exposé à la Délégation. « Il se dessine en Europe, plutôt au niveau régional, par exemple dans le Piémont, le Pays Basque ou la Catalogne, des politiques de soutien à la production, par des entreprises de type culturel, de produits qui ne sont pas forcément consommés sur place ; l'expression, pour désigner ces concentrations, de « district culturel » est maintenant consacrée. En France, le phénomène est observable à Limoges, Baccarat, ou même à Montreuil-sous-Bois, qui accueille maintenant une industrie audiovisuelle très importante. L'intérêt à investir dans ce type de développement est évident, même si des problèmes de transmission des savoir-faire et de force de vente à l'exportation peuvent se poser. »

b) Un potentiel reconnu

On ne saurait analyser cette situation sans faire référence au marché de l'artisanat d'art. Celui-ci est favorable. Il y a en effet dans ces métiers, a-t-il été exposé de façon récurrente, des besoins non satisfaits. Ainsi, à une époque où les maisons rurales sont non seulement rachetées par les urbains, y compris étrangers, mais aussi restaurées par eux, avec un souci de s'inscrire dans le respect des traditions et des métiers, il n'y a souvent plus d'offre pour répondre à cette demande.

L'existence d'une demande non satisfaite en artisanat d'art a été confirmée à plusieurs reprises par les interlocuteurs de la Délégation. M. Dominique Lacourt, ébéniste et membre du Bureau de la FREMAA, a exposé aux rapporteurs que pour un artisan d'art l'avenir se présentait plutôt bien. Lors de son audition par la Délégation, M. Xavier Greffe a exposé que l'étude qu'il a consacrée aux métiers d'art dans le Grand Massif Central, en liaison avec la Société d'encouragement aux métiers d'art (SEMA) et l'Association pour le développement industriel et économique du Massif central (ADIMAC) permettait de conclure que : « le soutien aux métiers d'art est bien un facteur de développement. Bon nombre des artisans interrogés lors de l'enquête ont en effet dit avoir des projets de développement. »

Autrement dit, il existe un potentiel de développement de l'artisanat d'art. Ce potentiel concerne des métiers qualifiés, permettant aussi des parcours au-delà de la simple technicité. Les emplois ainsi créés ne sont pas des emplois fragiles en termes de localisation.

Dans le monde rural l'appui aux métiers d'art et aussi aux métiers de soutien de la vie locale est donc sans doute l'une des pistes les plus importantes pour maintenir et développer l'emploi.

2. Des difficultés désormais identifiées

a) Des caractéristiques bien particulières

Or, malgré ces éléments, en France, les métiers d'art disparaissent. Ainsi, avant-guerre, il y avait encore dans le département de l'Eure non pas seulement des couvreurs en chaume (il y en a toujours) mais aussi des monteurs de murs en argile. De nombreux savoir-faire locaux ou régionaux ont ainsi disparu, et continuent à disparaître. Il existe aussi des métiers d'art où il n'y a plus que quelques professionnels, alors que le marché est mondial. Tel est le cas des luthiers, ou encore des facteurs d'orgue. Il reste en France deux et seulement deux professeurs de facture d'orgue.

Il faut noter au passage que cette problématique dépasse celle des métiers d'art pour toucher l'ensemble des métiers dits de tradition. M. Jean-Christophe Martin a exposé que le métier de boucher traditionnel était en train de prendre, par les pénuries de personnel et l'insuffisante ouverture des parcours professionnels, toutes les caractéristiques d'un métier d'art.

Quelle est la cause de ce paradoxe ? Les métiers d'art présentent plusieurs caractéristiques qui gênent à la fois leur développement spontané et rendent plus difficile l'action publique au service de ce développement, qu'elle soit locale ou nationale.

La première cause de la pénurie d'artisans d'art vient de ce que les métiers d'art sont des métiers unipersonnels, artisanaux, pour l'exercice desquels les formations sont longues, et qui travaillent des matériaux coûteux. La formation à ces métiers s'insère mal dans les dispositifs de formation actuels, y compris par la filière de l'apprentissage. Il a été fait observer aux rapporteurs que cette difficulté avait pour origine le fait que la pratique des métiers d'art n'avait pas pu être pliée à la séparation historique entre travail de conception et travail d'exécution qui s'est faite au XIXe siècle. Par ailleurs, pour les plus rares des métiers d'art, il n'y a même plus de filières de formation.

La seconde cause est que la voie de l'installation dans ces métiers n'est pas forcément celle de l'emploi salarié. C'est plutôt celle de l'artisanat ; la réussite est très liée aux talents individuels des gens. On a là une nouvelle clé du non-développement du potentiel. Toujours en s'appuyant sur les résultats de l'enquête effectuée avec l'ADIMAC, M. Xavier Greffe a exposé que : « ces mêmes artisans ont répondu par la négative quand on leur a demandé s'ils allaient créer des emplois : autrement dit, il y a un potentiel de développement, qui n'est pas du tout mobilisé ». Il a alors pointé l'une des causes de cette situation : « Une des causes en est que ces petites entreprises, qui ont des compétences techniques très fortes, ont en revanche très peu de compétences commerciales, voire de gestion. » On ne peut pas demander à un artisan d'art de savoir spontanément tout faire.

Ce problème d'organisation est encore aggravé par la nature du marché de l'artisanat d'art. Ce n'est pas forcément un marché de proximité. Ce n'est même pas toujours un marché national. La clientèle d'un artisan d'art producteur de produits de grand prestige a vocation à être mondiale. En Alsace, le cas d'une éventailliste, qui après quelques années d'installation, emploie désormais trois personnes et exporte ses éventails partout dans le monde, a été signalé aux rapporteurs. Le cas d'une gantière du Massif central qui vend la quasi-totalité de son exceptionnelle production à Moscou leur a aussi été cité. On peut se souvenir aussi que le marché de la dentelle de Calais ne se situe plus qu'à 40 % en Europe.

Il y a ainsi une contradiction totale entre le marché du produit et les moyens de commercialisation extraordinairement limités de l'artisan isolé qui va l'élaborer.

b) Des métiers mal représentés

Or, la situation spécifique de l'artisanat d'art devrait avoir pour corollaire des structures professionnelles spécifiques, et des interlocuteurs étatiques dédiés.

En ce qui concerne l'État et les structures, le double caractère artisanal et artistique de ces métiers fait qu'ils relèvent à la fois des institutions culturelles et des institutions artisanales. Au niveau national, l'action réglementaire et les politiques d'actions relatives aux métiers d'art relèvent à la fois du ministère des petites et moyennes entreprises, qui dépend du ministère de l'économie, des finances, et de l'industrie, et du ministère de la culture de la communication. Cette situation ne favorise pas la prise en compte de leur spécificité. Cette ambivalence se traduit même dans la fiscalité : une partie du travail peut être assimilée à du travail artisanal pour lequel la TVA est de 19,6 % ; en revanche une autre partie est parfaitement assimilable au travail relevant de la maison des artistes.

Au niveau des instances consulaires, ils relèvent plutôt des chambres de métiers. Mais ils y tiennent une place relativement marginale. De façon logique, certains professionnels des métiers d'art ne sont pas même à la chambre des métiers, mais à la maison des artistes.

De ce fait, des structures spécifiques, qui s'ajoutent aux structures existantes, ont été créées. C'est notamment le cas de la Société d'encouragement aux métiers d'art (SEMA), qui est une association professionnelle elle-même soutenue par le ministère des PME et par qui, complexité supplémentaire, passe l'essentiel du soutien public à l'artisanat d'art. Dans certaines régions, des structures consulaires spécifiques aux métiers d'art ont été créées. Ainsi en Alsace, une Fédération régionale des métiers d'art d'Alsace (FREMAA) a été créée par les pouvoirs publics et les chambres des métiers locaux. L'adhésion à la FREMAA est volontaire. Cependant, un dossier peut être refusé ; il existe en effet des critères à l'adhésion : d'abord, le candidat doit être effectivement un professionnel qui vit de son métier, la fédération ne concernant pas les loisirs créatifs. Ensuite, les éléments fabriqués peuvent être des pièces uniques, ou de petites séries, avec une plus-value culturelle. Il y a une charte déontologique interne. La FREMAA fédère 140 professionnels alsaciens, soit de l'ordre des deux cinquième des entreprises ayant des activités d'artisanat d'art.

Cependant, ce dispositif n'est pas satisfaisant : ses structures se surajoutent aux autres plus qu'elles ne s'articulent avec elles. Au bout du compte, de l'aveu même du ministère des PME, cela forme un ensemble finalement mal connu, avec des intervenants multiples qui ne sont pas toujours très puissants, et des professionnels sans doute moins bien soutenus qu'il ne faudrait. « Il existe un enchevêtrement bureaucratique de compétences au niveau local, entre le représentant de la SEMA, celui de la chambre de commerce, celui de la chambre des métiers... qui est peu propice au développement d'actions de bonne portée », a exposé M. Xavier Greffe. Des actions nouvelles déterminées doivent donc être conduites.

B. AGIR POUR LE DÉVELOPPEMENT DES MÉTIERS D'ART

1. Améliorer les conditions de réussite

a) Identifier les métiers

« La France, contrairement à d'autres pays comme l'Italie, fait peu pour le développement des métiers d'art », a exposé M. Xavier Greffe à la Délégation. Quelle politique conduire pour mieux soutenir ces métiers et y développer l'emploi ?

La première action à conduire est sans doute de recenser ces métiers et d'en connaître la situation.

Il existe une nomenclature des métiers d'art. Celle-ci, qui figure en annexe au présent rapport, est commune au ministère de la culture et au ministère des PME. Elle est tenue par le ministère de la culture, qui, de l'aveu de celui des PME, le fait bien.

Cependant, cette nomenclature est d'un intérêt opérationnel limité. En effet, être classé en métier d'art ne présente aucun intérêt et n'est cause d'aucun inconvénient. Une entreprise peut donc exercer un métier d'art sans le faire savoir, et même sans le savoir. Pour remédier à cette situation, la loi n° 2005-882 du 2 août 2005 en faveur des petites et moyennes entreprises a créé un label « Entreprise du patrimoine vivant » ; et le ministère des PME a entrepris de faire recenser ledit patrimoine vivant, c'est-à-dire les entreprises maintenant des métiers rares et de tradition. Une fois ces entreprises repérées, il sera alors possible d'envisager de les appuyer.

b) Développer l'aide à la gestion et à la commercialisation

Eu égard au caractère artisanal et souvent unipersonnel des entreprises d'artisanat d'art, l'appui à ces activités passe d'abord par le soutien logistique à la gestion comme à la commercialisation des objets, notamment à l'exportation.

Des progrès ont été faits en matière d'outils de gestion pour les entreprises artisanales. Et sur ce point l'artisanat d'art ne présente pas de différence vis-à-vis de l'artisanat en général. La politique de simplification des actions de gestion menée en faveur de l'artisanat vaut donc pour les métiers d'art. Parmi les mesures récentes, il faut citer la création du chèque emploi spécifique pour les très petites entreprises (chèque emploi TPE). Celui-ci leur permet de traiter très facilement les déclarations nécessaires pour la gestion de leur personnel, qu'il s'agisse du droit du travail ou de la gestion sociale, et de tenir très facilement par exemple leur comptabilité dans ces domaines.

S'agissant de la commercialisation, des axes de développement du marché doivent pouvoir être trouvés. Les organismes d'État ou professionnels peuvent travailler sur cette question. Ainsi, les représentants de la FREMAA ont-ils exposé aux rapporteurs que la FREMAA avait pour fonction de servir de vitrine aux métiers d'art, de les faire connaître du public. La FREMAA organise des manifestations et des expositions destinées à permettre aux professionnels des métiers d'art de montrer leur savoir-faire, de rencontrer les professionnels du patrimoine et de rencontrer les élus locaux. Dans ces expositions, elle essaie d'attirer non pas le chaland, mais les prescripteurs. Dans des domaines plus centrés sur la création, elle travaille avec d'autres réseaux. C'est un service qu'elle assure de façon quasi gratuite aux artisans d'art : elle dispose, en revanche, du soutien des collectivités locales.

Selon la FREMAA, il y a aussi très certainement un produit métiers d'art touristique à monter. Une exposition organisée par la FREMAA à Andlau a attiré 7 000 visiteurs en trois jours ; l'attractivité des produits est donc là. Cette situation est logique. L'une des clés de l'artisanat d'art, telle qu'elle a été exposée par un professionnel aux rapporteurs, ce n'est pas seulement le produit, mais la relation. En cette époque où tout peut être obtenu par la voie industrielle, quelqu'un qui fait la démarche d'aller chez un artisan d'art est forcément intéressé aussi par un produit élaboré dans le cadre d'un rapport humain. Le rapport avec la clientèle est ainsi très personnel. Ces métiers doivent donc pouvoir se développer à travers une production vendue à des touristes. Mais cela demande une approche solide et balisée, et donc lente. Cela ne se fait pas en un jour.

L'État maître d'ouvrage doit aussi être conscient de ses responsabilités. On a évoqué plus haut la question de l'évolution préoccupante du nombre des facteurs d'orgues. En regard, il faut aussi noter que les appels d'offres de l'État, qui représentent 80 % du chiffre d'affaires de la profession, sont passés de 20 en 2003 à 8 et 10 en 2004 et 2005. Du côté du ministère de la culture, il y a sans doute un effort de lissage à faire.

Eu égard même à ces variations, le développement d'une politique spécifique d'appui à l'exportation est aussi sans doute indispensable. Lors de son audition, M. Xavier Greffe a évoqué cette question : « Le potentiel à développer en priorité, s'agissant des artisans d'art, se situe en effet moins dans le domaine du tourisme que dans celui de l'exportation, à l'exemple de ces papiers spéciaux, fabriqués en Auvergne, qui ont été embarqués à bord des navettes spatiales. »

Le ministère des PME a exposé être conscient des enjeux. Il essaie de développer des structures relais. Il a aussi engagé des actions de valorisation à l'exportation, par exemple en ouvrant un show-room à New York.

Le décret n° 2006-595 du 23 mai 2006 relatif à l'attribution du label «entreprise du patrimoine vivant », annexé au présent rapport, reflète ces préoccupations ; il crée à l'attention des entreprises ainsi labellisées deux crédits d'impôts, l'un pour les dépenses dites de création, l'autre majorant le crédit d'impôt « apprentissage ». Le ministère des PME envisage aussi de mettre à la disposition de ces entreprises des outils de communication, notamment un site internet international afin de déployer la visibilité des entreprises labellisées et de leurs produits sur le marché mondial, ainsi que d'autres actions d'accompagnement.

c) D'autres modes de soutien

D'autres types d'actions de soutien sont en effet possibles. On peut notamment envisager que l'État développe des moyens d'expertise pour aider ces professions à s'orienter en fonction des enjeux. Ainsi, alors que la porcelaine est un secteur où la concurrence et le marché sont mondiaux, un débat est aujourd'hui en cours pour savoir si une entreprise installée à 10 kilomètres de Limoges doit avoir le droit à l'appellation « Porcelaine de Limoges ». Ce débat n'est que modérément raisonnable.

M. Xavier Greffe a aussi évoqué une piste, celle du réseau québécois des « économusées », qu'il ne faut pas confondre avec les écomusées : « il s'agit de très petites entreprises, doublées d'une structure muséale locale très simple, un peu comme le moulin Richard-de-Bas d'Ambert. Le ministère de la culture n'a cependant jusqu'ici pas souhaité développer ce type de filière. » Il a souligné cependant que, dans ce cas, il faudrait des structures de développement, « car les artisans eux-mêmes n'en prendraient pas l'initiative, n'ayant pas forcément l'envie ni les moyens d'accueillir des touristes. »

Il y a aussi une action juridique internationale à mener. Le ministère des PME travaille ainsi à faciliter la tâche de certains métiers menacés par les conventions internationales : le travail de l'écailler, qui utilise la carapace de la tortue luth, est menacé par la convention de Washington sur les espèces protégées. Le ministère s'est donc battu pour que les écaillers conservent le droit de continuer à travailler l'écaille en obtenant que certaines entreprises nommément désignées conservent le droit de se procurer des carapaces de tortue. Le métier de fourreur lui aussi est actuellement menacé par les conventions internationales : il ne reste guère aux fourreurs comme matière première que le lapin.

L'État ou les collectivités peuvent aussi travailler en termes d'aménagement ou de micro-aménagement du territoire. M. Xavier Greffe a ainsi développé devant la Délégation les éléments d'une politique de soutien aux « districts culturels » : « On a pu déterminer que, si l'on observe un effet de concurrence lorsque ce sont des entreprises culturelles du même secteur qui se trouvent au voisinage les unes des autres, la synergie est en revanche forte lorsque ces entreprises appartiennent à des secteurs culturels différents - ce sera le cas, par exemple, d'un éditeur de livres implanté dans la même ville qu'un festival, une compagnie dramatique ou un musée. »

Des regroupements d'ateliers peuvent aussi être une démarche intéressante, si on les regroupe par thèmes. Ainsi à Guebwiller, il y a un pôle sur les arts du feu : la céramique y est travaillée pour produire des briques, mais aussi des pièces artistiques, ou encore de grosses pièces, éventuellement purement industrielles, comme des fours.

2. Assurer la relève

a) Organiser la formation pour le développement des carrières

Il faut aussi organiser le soutien à la formation et à la qualification. Celle-ci concerne, bien sûr, dans un premier temps la formation technique au métier : dans ces métiers, il y a une telle technicité manuelle que la formation classique ne suffit pas à assurer la formation de professionnels.

Mais la formation doit permettre aussi aux artisans de développer progressivement leur autonomie et leur statut dans leur métier. Des actions ont déjà été conduites. Il existe un certain nombre d'organismes de qualification. Le Centre technique de l'artisanat (CTAI) propose des formations pour permettre aux artisans de construire progressivement une autonomie d'entreprise. Il forme ainsi les artisans à Internet et les aide à constituer leur site : cela a des conséquences favorables et visibles sur leur activité. Un autre instrument est l'Institut supérieur des métiers.

De bons résultats sont aussi obtenus avec les pôles d'innovation. Le ministère y consacre de 1 à 2 millions d'euros par an. Leur rôle est d'enseigner les meilleures pratiques de chaque métier. Quatre de ces pôles travaillent avec les métiers d'art : il s'agit de celui de Vannes-le-Châtel, en Haute-Marne (travail du verre), de Rodez (pierre), du Mans (facture instrumentale), de Gruchet-le-Valasse (métaux). Ils délivrent notamment de la formation continue.

Cependant d'autres démarches peuvent aussi être organisées. Il y a de la marge pour l'innovation. Dans le Nord-Pas-de-Calais, un cursus a été développé pour gérer les carrières d'un métier qui n'est pas un métier d'art, mais qui est un métier de tradition, le métier de boucher. A la sortie du CFA, les jeunes bouchers sont orientés, pour une première expérience, vers la grande distribution. Les postes que celle-ci offre restant basiques, le suivi ne s'arrête pas là : après quelques années, une fois qu'ils arrivent aux limites de l'exercice, une nouvelle étape a été organisée : en mutualisant l'offre et la demande, on peut leur proposer des postes dans des boucheries artisanales, où ils peuvent continuer à progresser, tant en termes de technicité que de statut, jusqu'à reprendre l'affaire. Ce dispositif a permis de diviser par trois le nombre de fermetures annuelles de boucheries artisanales.

En Alsace, pour remédier à la disparition de certains métiers, la FREMAA a entrepris de constituer des binômes entre un artisan d'art ancien et un stagiaire disposant déjà d'une formation initiale, cela en liaison avec la chambre des métiers de Strasbourg. Sur les 10 binômes qu'elle a constitués, 3 sont déjà porteurs d'un emploi durable, soit par reprise de l'activité de l'ancien, soit par embauche.

b) Développer l'attractivité

Enfin, pour assurer le renouvellement de ces métiers, il faut aussi en développer l'attractivité pour les jeunes générations.

Dans l'absolu, il y a une forte demande des jeunes pour les métiers d'art. Ces métiers sont vus comme des métiers passions. Tel ébéniste a dit à la Délégation recevoir une demande d'embauche par semaine.

En revanche, il n'y a pas dans le système enseignant, d'une part, la conscience de l'intérêt global de ces métiers et, d'autre part, de dispositif permettant de les présenter aux jeunes.

Aujourd'hui, même d'excellents professionnels peuvent expliquer qu'ils sont devenus artisans d'art par hasard. Un sculpteur sur bois aujourd'hui à la tête d'une petite entreprise est entré dans ce métier parce qu'il n'y avait pas de place au CFA dans le métier qu'il avait préalablement envisagé.

Une autre difficulté vient de ce que les professionnels qui aujourd'hui sont dans les instances représentatives reconnaissent qu'ils posent aux jeunes un problème d'image : ils n'ont pas les qualifications nécessaires pour bien réussir aujourd'hui dans ces métiers. Ils possèdent des CAP, alors que pour aller au-delà des tâches de base, devenir autonome puis créer son entreprise, il faut les connaissances d'un BEP ou d'un bac pro. Ils ne correspondent donc pas à l'image qu'ils veulent donner de leur métier, et des potentiels qu'il recèle.

En novembre 1997 a été créé le Fonds national de promotion et de communication de l'artisanat (FNPCA). Le FNPCA est un établissement public administratif cogéré par six représentants des artisans et trois de l'État. Son budget est financé par une taxe annuelle de 10 € (10% du droit fixe pour le fonctionnement des chambres de métiers) acquittée par chaque entreprise artisanale. Il a pour mission de contribuer au développement du secteur économique de l'artisanat, en valorisant son image auprès de tous les publics.

Le FNPCA a entrepris de sensibiliser les gens au caractère positif de ces métiers. Le FNPCA est un vecteur à utiliser : les fonds dont il dispose doivent servir à valoriser les métiers artisanaux localement. Ce fonds a lancé plusieurs initiatives comme le Festival de l'image des métiers de Pézenas, où sont présentés des films sur les métiers d'art, et des échanges avec le Québec, où des savoir-faire venus de France existent toujours alors qu'ils ont disparu chez nous. Il est aussi à l'origine de la campagne « L'artisanat, première entreprise de France ».

3. Clarifier les structures d'intervention

On le voit, pour se développer, les métiers d'art ont besoin d'un environnement d'appui spécifique. La question de l'organisation du dispositif d'appui est alors la clé de voûte d'un développement réussi de ces métiers.

La question prioritaire n'est sans doute pas celle des professionnels eux-mêmes : sur le territoire, a-t-il été dit aux rapporteurs, les représentants des associations, fédérations, pôles de métiers d'art forment un véritable réseau, informel, mais qui se connaît bien, et fait circuler l'information. On nous a cité comme instrument de rencontre les séminaires du réseau villes et métiers d'art, et comme chefs de files les artisans de Poitou-Charentes ou encore du pôle de métiers d'art de Pézenas. Pour information sur l'international, la FREMAA, quant à elle, se concentre sur l'espace rhénan, à partir duquel elle essaie aussi d'analyser les expériences des uns pour en informer les autres.

Les difficultés proviennent, pour des effectifs aussi modestes à l'échelon national, de l'enchevêtrement des compétences réglementaires et des dispositifs de représentation. La FREMAA a exposé les difficultés, symptomatiques aux yeux des rapporteurs qu'elle affronte. Ainsi, un projet d'association d'un jeune professionnel avec un ancien pour faire perdurer les ateliers, évoqué ci-dessus, est actuellement, malgré ses perspectives de réussite, bloqué pour des raisons d'ordre administratif. En effet pour constituer le dossier de prise en charge d'un stagiaire, un dossier doit être constitué par l'organisme de formation ; cet organisme doit aussi effectuer un suivi, avec des renseignements sur des indicateurs de réalisation, auprès de la direction régionale du travail et de la formation professionnelle. Or, d'une part la FREMAA n'est pas considérée comme un organisme de formation ; d'autre part, c'est un tout petit organisme ; pour satisfaire aux obligations de suivi administratif des stagiaires, pour acquérir les compétences d'un tel organisme, elle devrait quasiment doubler son effectif. Ainsi, pour ce type de raisons, elle ne peut avancer dans des projets pourtant opérationnels.

Les rapporteurs en reviennent donc à une conclusion essentielle. Au-delà de l'organisation des professionnels, qui peut se faire selon des cadres variables, il faut un dispositif d'interlocuteurs national clair et accessible pour les professionnels. Comme l'a exposé M. Xavier Greffe, « au-delà du soutien que les collectivités territoriales à vocation touristique peuvent apporter, et qui est précieux, une organisation nationale du soutien est nécessaire. C'est l'échelon national qui peut créer des structures de vente à l'étranger, assurer la présence française dans des expositions commerciales à Moscou ou à New York. » C'est aussi, en termes de gestion, une telle organisation qui pourra débloquer les situations spécifiques, élaborer les protocoles d'apprentissage adaptés, gérer la réglementation fiscale...

Le dispositif actuel doit donc être élagué et clarifié. On ne voit pas pourquoi ces métiers aux effectifs limités ne disposeraient pas, dans l'administration de l'État, d'un correspondant unique. Il pourrait y avoir, au sein de la direction di commerce, de l'artisanat, des services et des professions libérales du ministère des PME, par exemple un bureau clairement identifié, exclusivement consacré aux métiers d'art et qui serait l'interlocuteur de ceux-ci pour l'ensemble des problèmes administratifs qu'ils ont à affronter, l'ensemble de leurs difficultés, juridiques, logistiques voire commerciales. Ce bureau serait ainsi l'interlocuteur des réseaux des artisans d'art, associations locales ou régionales spécifiques des métiers d'art, ou encore sous-parties des chambres des métiers réunissant les métiers d'art. Eu égard aux enjeux, d'une part, aux perspectives de réussite et de développement de ces métiers, de l'autre, il y a là une simplification qui doit absolument être mise en place.

TRAVAUX DE LA DÉLÉGATION

I. - AUDITIONS

 M. XAVIER GREFFE, PROFESSEUR À L'UNIVERSITÉ DE PARIS I (mercredi 26 octobre 2005)

Le président Emile Blessig s'est réjoui de recevoir, pour l'audition inaugurale des travaux sur le rapport d'information relatif à « l'action culturelle diffuse, instrument de développement du territoire », M. Xavier Greffe, professeur à l'Université de Paris-I et spécialiste reconnu de ces questions, sur lesquelles il a publié plusieurs rapports et ouvrages, notamment pour le compte de la DATAR et de l'OCDE.

M. Jean Launay, rapporteur, a exposé qu'on observait, sur le terrain, une multiplication des initiatives de développement local axées sur la culture ; la Délégation a donc décidé d'étudier comment ces politiques avaient pu constituer en elles-mêmes des outils de développement, de stabilité, voire de reconquête des territoires. Dans le département du Lot, par exemple, les festivals et les animations ponctuelles de l'été tendent ainsi non seulement à perdurer et mais aussi à engendrer d'autres phénomènes, comme la réalisation de résidences d'artistes ou l'installation de compagnies, à demeure et à l'année.

M. Xavier Greffe a indiqué qu'il travaillait depuis une quinzaine d'années sur ces thèmes, essentiellement à partir de préoccupations liées à l'emploi, et qu'il avait ainsi pu suivre leur montée en charge, mais aussi les désillusions qu'ils avaient pu ensuite causer.

Il a estimé qu'il fallait aborder avec prudence le discours selon lequel la culture est un nouveau levier de développement et crée des emplois. Statistiquement, en effet, dans les domaines traditionnels, en particulier celui du spectacle vivant, le nombre des emplois a plutôt baissé. Dans le domaine du patrimoine, entendu au sens étroit du terme - musées, monuments ou archives -, il s'est maintenu. Dans le domaine de l'audiovisuel, une augmentation assez lente est perceptible.

En revanche, il est vrai que, dans les entreprises non culturelles, on observe une utilisation croissante de compétences culturelles. Il en résulte une sorte de paradoxe : l'effet positif de la culture n'est pas nécessairement là où on va le chercher le plus fréquemment, et c'est l'économie en général qui tend à se « culturaliser ». Ainsi le design, qui se trouve à l'interface de la culture et de l'économie, est considéré en Allemagne ou en Italie, à la différence de la France, comme un facteur majeur de la compétitivité des économies. Eu égard à la force des soutiens publics, la France n'est cependant pas le pays qui souffre le plus de la difficulté à stabiliser l'emploi culturel traditionnel.

M. Xavier Greffe a alors considéré que l'action culturelle comme outil de développement se présentait sous trois aspects distincts. Le premier est lié à l'identité des territoires, à la qualité de leur image et à l'amélioration de leur cadre de vie. On n'a jamais prouvé de façon incontestable que l'action en faveur du développement culturel était une condition du développement ; cependant, force est de reconnaître que les territoires qui n'assument pas cette dimension subissent, plus que d'autres, une perte de substance et une accentuation des phénomènes d'exode ; les données recueillies en vue d'un rapport en préparation pour le ministère de la culture sur l'attractivité culturelle de la France le confirment.

Le deuxième aspect est celui du tourisme culturel. Si la création ex nihilo de festivals ou de spectacles vivants crée parfois, dans l'immédiat, des difficultés et des charges parfois importantes pour les gestionnaires des territoires, les retombées sont très positives dès lors que ces activités s'installent dans la durée et que des liens se créent entre elles. Ainsi, des manifestations comme le salon de la bande dessinée à Angoulême, ou les rencontres de la photographie à Arles, ont eu de vrais effets de développement, en donnant naissance à des activités connexes tout au long de l'année - lieux d'exposition, établissements de création de décors ou de matériels pour les manifestations, formations, animations scolaires, artisanat d'art. Le phénomène n'est d'ailleurs pas spécifique à la France : à Spolète, en Italie, la municipalité, après avoir accepté de subventionner un festival sous la pression médiatique, a su donner à celui-ci une dimension structurante en créant parallèlement une école, des studios de théâtre, et en soutenant le développement des métiers d'art sollicités à l'occasion de la manifestation.

Le troisième aspect est lié aux métiers d'art et à l'exportation de produits culturels. Il se dessine en Europe, plutôt au niveau régional, par exemple dans le Piémont, le Pays Basque ou la Catalogne, des politiques de soutien à la production, par des entreprises de type culturel, de produits qui ne sont pas forcément consommés sur place ; l'expression, pour désigner ces concentrations, de « district culturel » est maintenant consacrée. En France, le phénomène est observable à Limoges, Baccarat, ou même à Montreuil-sous-Bois, qui accueille maintenant une industrie audiovisuelle très importante. L'intérêt à investir dans ce type de développement est évident, même si des problèmes de transmission des savoir faire et de force de vente à l'exportation peuvent se poser. De plus, on a pu déterminer que si l'on observe un effet de concurrence lorsque ce sont des entreprises culturelles du même secteur qui se trouvent au voisinage les unes des autres, la synergie est en revanche forte lorsque ces entreprises appartiennent à des secteurs culturels différents - ce sera le cas, par exemple, d'un éditeur de livres implanté dans la même ville qu'un festival, une compagnie dramatique ou un musée.

De façon générale, pour évaluer les effets de la culture sur le développement local, il faut prendre en compte ses effets sur les autres secteurs d'activités, hors de sa sphère traditionnelle d'évaluation ; faute d'adopter une telle démarche, on maintient l'action culturelle dans un système fragile, tributaire de subventions et à la merci de difficultés de gestion souvent difficiles à résoudre. La Rand Corporation vient ainsi de publier un rapport sur les « valeurs extrinsèques de la culture », traitant notamment de l'influence de la culture sur le monde des hôpitaux, des prisons et les écoles, et en montrant les effets tangibles. En France, cet aspect n'est cependant pas mis en avant de la même façon qu'aux Etats-Unis ou au Royaume-Uni, le ministère de la culture se considérant principalement comme le ministère des artistes.

On constate aussi, dans tous les pays, une tendance à la métropolisation des activités culturelles, qu'il s'agisse de la production ou de la consommation, et à leur concentration dans les grandes villes - à partir de 500 000 habitants. La raison en est que c'est là où se trouve, de fait, le marché de l'emploi artistique. Les entreprises culturelles se constituant et disparaissant au rythme des projets, les artistes ont un fort intérêt pratique à s'installer à proximité des donneurs d'ordre, et les producteurs à proximité des artistes, reproduisant à plus petite échelle un modèle bien connu, le modèle hollywoodien. C'est ainsi que les grands sites touristiques concentrent artistes, entreprises et techniciens, si bien que lorsque s'organise une manifestation ailleurs, dans une ville plus petite ou même un village, l'essentiel de la main-d'œuvre vient en fait de ces grands centres. Cela explique que les festivals soient très coûteux à organiser ; cela explique aussi que, l'année où le festival d'Avignon a été annulé, la ville n'en a que peu souffert, la plupart des artistes mais aussi des techniciens venant de Paris, de Lyon ou de Marseille.

La même observation vaut pour les pratiques culturelles, qui ne progressent qu'en milieu urbain. Certes, en 2001, la dernière édition de l'enquête pluriannuelle du département des études et de la prospective du ministère de la culture sur les « pratiques culturelles des Français » faisait ressortir que, pour la première fois depuis vingt ans, les pratiques culturelles progressaient aussi en milieu rural ; cependant la raison en est liée aux progrès des transports : les gens se déplacent plus loin pour visiter un musée ou voir un spectacle.

Un autre thème, généralement abordé en France sous l'angle de l'environnement, intéresse aussi la culture : il s'agit des paysages. Deux pays s'y intéressent depuis longtemps : le Japon, où l'urbanisation tend à les détruire, et le Portugal, où l'on a constaté la disparition de certains paysages traditionnels. En enquêtant sur ce que les gens - aussi bien les touristes que les habitants du lieu - étaient prêts à payer pour la conservation de ces paysages, naturels ou culturels, on s'est aperçu qu'ils faisaient l'objet d'un attachement très fort. La France, avec ses secteurs sauvegardés, pourrait être considérée comme très en avance ; cependant la notion de « paysage culturel » est plus large, en ce qu'elle englobe un périmètre plus large que les abords immédiats d'un monument ou d'un site emblématique, et fait appel à un mode de visite qui ne soit pas celui des tour operators traditionnels, mais un tourisme au rythme plus lent, amenant les visiteurs à passer au moins une nuit sur place.

Les États-Unis, la Grande-Bretagne, le Canada ont adopté, pour sauvegarder des paysages, un système de « droits de densité » ou « droits de développement ». Il s'agit, lorsque le propriétaire d'un site considéré comme important pour la mémoire collective risque de le défigurer, en utilisant les droits à construire qui y sont attachés, de le lui interdire, mais de lui donner en contrepartie des droits équivalents sur un autre site, qui n'a pas la même sensibilité. Ainsi, la société propriétaire de la gare centrale de New York, qui voulait ériger une tour au-dessus du bâtiment pour mieux rentabiliser celui-ci, s'est vu interdire une telle extension, mais a pu faire construire la tour en question quelques kilomètres plus loin, dans un autre quartier de la ville où les contraintes de paysage n'étaient pas les mêmes ; au Québec - et l'Ontario est en train de suivre cet exemple - l'épiscopat se voit offrir de tels droits en contrepartie des interdictions qui lui sont régulièrement faites de vendre des églises considérées comme faisant partie du paysage et de l'identité de la province.

M. Léonce Deprez a insisté sur l'intérêt de l'action touristique culturelle des collectivités pour mettre en valeur les attraits des territoires, qu'ils soient naturels, culturels, voire religieux, et créer ainsi une activité économique source de richesse. Les jeunes générations ont une soif grandissante de savoir et de culture, cela lui est apparu dans toute sa vigueur cet été, à l'occasion de l'exposition Dubuffet au Touquet ; les seniors actifs et les jeunes retraités manifestent une volonté croissante de pratiquer un tourisme cultuellement enrichissant, même dans des voyages en groupe. Il y a là des dispositions d'esprit dont la politique d'aménagement du territoire et de développement touristique doit tirer parti.

M. Xavier Greffe a convenu que le tourisme était bien le premier canal de réalisation de l'action culturelle, et que ses retombées en terme d'emploi étaient indéniables : on estime à 80 000 le nombre des emplois qui, à Paris, dépendent du tourisme muséal. Cependant, ces retombées ne sont pas uniquement favorables. Il y a des cycles de vie des sites touristiques. L'organisation des conditions de visite de certains sites pour répondre à l'afflux des touristes visiteurs finit par décourager les habitants de les visiter ; c'est le cas du Louvre ou du musée d'Orsay, qui reçoivent de moins en moins de Franciliens. Tout le problème est de savoir comment enclencher un cycle vertueux entre tourisme et culture ; la logique des tour operators ne va pas toujours, notamment en zone rurale, dans le sens du développement local.

Il a ensuite confirmé l'évolution des pratiques des seniors, et souligné que l'une de ses conséquences les plus importantes, pour l'économie touristique, était que la saison ne se limite plus à quelques mois de l'année : en Andalousie, l'activité touristique, autrefois inexistante d'octobre à mai, est désormais également soutenue pendant cette période.

Reconnaissant ensuite que si, lorsque les musées font un effort de « mise en scène », les jeunes sont en effet très séduits, il a souligné néanmoins que l'on fait de plus en plus appel, désormais, aux valeurs « extrinsèques » de la culture. Il a cité l'expérience menée à Cork, en Irlande, où de jeunes chômeurs, chômeurs de troisième génération qui rejetaient leur milieu, ont changé du tout au tout leur regard lorsqu'on leur a donné des caméras et demandé de filmer à leur gré ; ils ont cherché des éléments de valorisation dans leur environnement, effectuant là un travail de reconstruction de leur identité personnelle et d'une identité collective.

Le président Emile Blessig, rappelant que l'action culturelle pouvait prendre trois formes pour faire levier sur le développement d'un territoire, l'action touristique et ses retombées, l'action en faveur de l'image du territoire et enfin l'action en faveur de l'attractivité, par l'amélioration de la qualité de vie, a demandé si des méthodes avaient été élaborées pour analyser de façon objective les effets respectifs de ces trois leviers.

M. Xavier Greffe a répondu que de nombreuses études avaient été consacrées aux répercussions de l'activité touristique sur un territoire, y compris en France. Elles portent cependant surtout sur des sites emblématiques et très fréquentés comme le mont Sainte-Odile ou le Mont-Saint-Michel, alors qu'elles seraient tout aussi utiles sur des sites plus modestes. Elles font apparaître que la qualité des répercussions est liée est à deux facteurs, le coefficient d'autonomie du territoire, d'une part, le poids des activités culturelles et patrimoniales au sein du territoire de l'autre, un poids trop important entraînant du reste des répercussions négatives, telles que des tendances inflationnistes.

S'agissant des répercussions de l'action culturelle sur l'image et la qualité de vie sur le territoire, les études sont plus approximatives, ponctuelles et descriptives. Il n'a pas été élaboré de méthodes qui permettraient par exemple de conclure que telle action accroîtrait de tel pourcentage l'attractivité du territoire ou le volume des investissements directs. On a des études de cas. Elles peuvent faire apparaître des réussites. Ainsi, depuis l'implantation à Bilbao du musée Guggenheim, décidée par le Gouvernement basque pour changer l'image du Pays Basque, on peut constater que s'est développé dans cette ville un marché de l'art contemporain, un secteur musical. Cependant, la grande difficulté est d'établir le lien de cause à effet ; il est d'autant plus difficile à mesurer que l'agglomération est importante. Cependant, on voit bien qu'il y a des liens : au plus fort de la crise des années 1980 en Grande-Bretagne, les municipalités des villes les plus durement touchées, Birmingham, Manchester, ont toutes entrepris de restaurer leur patrimoine industriel, gares ou docks.

M· Jean Launay, rapporteur, a souhaité savoir si l'on pouvait mesurer, s'agissant de la mise en valeur du patrimoine, de la diffusion culturelle et du soutien à la création, la part respective des politiques publiques et des initiatives émanant d'associations à caractère culturel.

M. Xavier Greffe a répondu qu'une étude du ministère de la culture, intitulée « Les associations dans la vie culturelle » et parue il y a trois ou quatre ans, comportait une typologie des associations, ainsi que leur répartition par région et par secteur. Elle montre bien les secteurs de la culture où les associations interviennent le plus, et fait ressortir que les inégalités entre régions sont, dans le secteur associatif, un peu moins fortes sur le plan culturel que sur d'autres.

Soulignant que le soutien aux métiers d'art constituait en effet un moyen de créer de l'emploi et de maintenir une activité permanente, M. Jean Launay, rapporteur, a demandé comment dans ces conditions expliquer la relative distance observée par le ministère de la culture vis-à-vis des métiers d'art, et s'il n'y avait pas là un champ pour une action de soutien des collectivités locales, avec l'objectif de renforcer l'identité et la cohérence du territoire autour de métiers et de savoir-faire emblématiques, comme le fait le département du Lot.

M. Xavier Greffe s'est dit tout à fait d'accord avec l'analyse du rapporteur, qui rejoint l'étude qu'il a consacrée aux métiers d'art dans le Grand Massif Central, en liaison avec la Société d'encouragement aux métiers d'art (SEMA) et l'Association pour le développement industriel et économique du Massif central (ADIMAC) : le soutien aux métiers d'art est bien un facteur de développement. Bon nombre des artisans interrogés lors de l'enquête ont en effet dit avoir des projets de développement ; cependant, ces mêmes artisans ont répondu par la négative quand on leur a demandé s'ils allaient créer des emplois : autrement dit, il y a un potentiel de développement, qui n'est pas du tout mobilisé. Une des causes en est que ces petites entreprises, qui ont des compétences techniques très fortes, ont en revanche très peu de compétences commerciales, voire de gestion.

Malheureusement, la France, contrairement à d'autres pays comme l'Italie, fait peu pour le développement des métiers d'art. Ceux-ci, qui regroupent pourtant, photographes compris, 110 000 ou 130 000 professionnels, ne sont pas la priorité du ministère chargé de l'artisanat, même si le précédent ministre avait envisagé la création d'un label « entreprises patrimoine vivant ». De plus, il existe un enchevêtrement bureaucratique de compétences au niveau local, entre le représentant de la SEMA, celui de la chambre de commerce, celui de la chambre des métiers... qui est peu propice au développement d'actions de bonne portée.

Or, au-delà du soutien que les collectivités territoriales à vocation touristique peuvent apporter, et qui est précieux, une organisation nationale du soutien est nécessaire. C'est l'échelon national qui peut créer des structures de vente à l'étranger, assurer la présence française dans des expositions commerciales à Moscou ou à New York. Le potentiel à développer en priorité, s'agissant des artisans d'art, se situe en effet moins dans le domaine du tourisme que dans celui de l'exportation, à l'exemple de ces papiers spéciaux, fabriqués en Auvergne, qui ont été embarqués à bord des navettes spatiales.

Il y a cependant aussi des actions à conduire dans le domaine du tourisme : une piste à suivre pourrait être celle du réseau québécois des « économusées », qu'il ne faut pas confondre avec les écomusées : il s'agit de très petites entreprises, doublées d'une structure muséale locale très simple, un peu comme le moulin Richard-de-Bas d'Ambert. Le ministère de la culture n'a cependant jusqu'ici pas souhaité développer ce type de filière.

M. Jean Launay, rapporteur, a observé que certaines entreprises importantes, même en rase campagne, sont dépositaires de savoir-faire, voire d'outils et d'équipements anciens qui peuvent constituer la base d'une muséographie spécifique.

M. Xavier Greffe a confirmé qu'il y avait là une vraie piste d'action, mais a observé qu'il fallait des structures de développement car les artisans eux-mêmes n'en prendraient pas l'initiative, n'ayant pas forcément l'envie ni les moyens d'accueillir des touristes.

M. Jean Launay, rapporteur, a demandé à M. Xavier Greffe s'il avait eu l'occasion de recenser et d'étudier des erreurs de conception expliquant l'échec de projets paraissant a priori voués au succès.

M. Xavier Greffe a répondu que ces erreurs étaient de deux ordres. Il peut d'abord s'agir de projets mal calibrés, ou reposant sur des estimations de fréquentation biaisées ; le poids considérable des subventions nécessaires pour faire fonctionner l'équipement aboutit rapidement à la diminution des unes et à l'arrêt de l'autre ; c'est ainsi qu'en France même, plusieurs musées ont été fermés au public quelques années seulement après leur ouverture. Mais l'échec peut s'expliquer aussi par un mauvais contrôle de l'offre touristique, notamment de la qualité des services d'hôtellerie et de restauration, par exemple lorsque l'ensemble des établissements alignent leurs prix sur les meilleurs, sans fournir les mêmes prestations, provoquant la désaffection du public.

M. Léonce Deprez a demandé si la réussite du projet de décentralisation à Lens d'une partie des collections du Louvre ne risquait pas d'être victime des limites des capacités hôtelières de cette agglomération.

M. Xavier Greffe a répondu que cette implantation avait d'abord un objectif identitaire fort. Nombre de monuments, comme la tour de Pise ou la mosquée de Cordoue ne génèrent que de faibles développements hôteliers, les visiteurs ne passant pas forcément la nuit sur place.

Il a fait observer au passage le faible rôle des boutiques de musées en France pour la diffusion d'objets culturels : les produits y sont rares, chers et comportent peu de fantaisie ; il a souligné en revanche l'intérêt culturel d'établissements comme le musée d'Auvers-sur-Oise, consacré aux impressionnistes, où l'on ne voit aucun tableau mais seulement des reproductions, des photos et des installations, et qui est cependant une source d'attraction touristique culturelle.

M. Léonce Deprez s'est interrogé sur l'expression « action culturelle diffuse » et s'est demandé si les pôles de compétitivité ne pourraient pas intégrer une dimension culturelle.

M. Jean Launay, rapporteur, a jugé l'expression plutôt claire, et rappelé que les pôles de compétitivité étaient axés sur la recherche scientifique et l'emploi. Sans doute les pôles d'excellence ruraux seraient-ils plus à même de servir le développement culturel.

M. Xavier Greffe a souligné l'intérêt des structures en réseau, telle celle en Languedoc-Roussillon ; M. Léonce Deprez ayant fait part de sa préférence pour un cadre géographiquement cohérent, comme le pays, M. Xavier Greffe a estimé que la notion de « district culturel », évoquée au début de son propos, permettait de concilier cet aspect avec la nécessité d'une mise en réseau.

 M. JEAN-PIERRE SAEZ, DIRECTEUR DE L'OBSERVATOIRE DES POLITIQUES CULTURELLES (mardi 8 novembre 2005)

M. Jean-Pierre Saez a d'abord présenté l'Observatoire des politiques culturelles. Installé dès l'origine à Grenoble, l'Observatoire, qui a désormais une certaine notoriété, joue un rôle d'interface entre les services de l'État, ceux des collectivités locales, les réseaux d'artistes professionnels, le monde de l'université et de la recherche. Il réalise des actions de formation à destination des personnels ou des élus, produit des études, des recherches, des publications, et a également une action de conseil. Parmi ses sujets d'études récents figurent les pratiques d'éducation artistique, l'évaluation des volets culturels de la politique de la ville, ou encore l'action culturelle à La Réunion. Il va prochainement entreprendre une étude sur la place de la culture dans l'action des intercommunalités.

La culture est bien un élément du développement durable des territoires. C'en est même un élément fondamental, car c'est à la fois un élément d'attractivité, de rayonnement, d'identité et de lien social. C'est aussi un élément de développement économique, même s'il faut prendre garde à ne pas nourrir de faux espoirs : les effets sont difficiles à mesurer, et les interactions parfois très complexes.

La culture exerce d'abord un effet sur les habitants des territoires eux-mêmes : ceux-ci en tirent un motif de fierté, d'identification positive, qu'ils fréquentent ou non les institutions ou manifestations, qu'ils participent ou non aux actions.

Ensuite, le dynamisme culturel d'un territoire participe du dynamisme général de celui-ci et de la « mise en mouvement » de la population : plus celle-ci est associée aux projets, plus le « vivre-ensemble » et le sentiment de bien-être collectif se renforcent.

Dans certains cas, on observe que la population s'approprie assez vite le projet, et ce aussi bien dans de grandes que dans de petites villes : on peut notamment citer le festival de jazz de Marciac, le festival Est-Ouest de littérature de Die, le festival de l'Arpenteur dans la vallée du Grésivaudan, où la population joue un rôle crucial dans l'accueil du public comme des participants, mais aussi la Biennale de la danse à Lyon, pour laquelle les communes environnantes et les relais socio-culturels mobilisent un grand nombre de jeunes, y compris ceux vivant dans les quartiers dits « sensibles ». Parfois, le sentiment que le projet culturel contribue au développement local vient plus progressivement. Ainsi, l'annulation du festival d'Avignon en 2003 a suscité chez les Avignonnais une prise de conscience assez nette que le festival, ce n'était pas seulement « du bruit dans la rue », mais aussi des retombées économiques.

L'action culturelle peut également être un élément de réparation et de revalorisation symbolique d'un territoire. Le montrent les exemples de Bilbao, qui a conçu son développement urbain et sa modernisation autour du musée Guggenheim, ou de Glasgow, qui a fait dans les années 1980 un pari réussi en obtenant d'être désignée « capitale européenne de la culture » pour sortir de l'ornière. En France, l'élément culturel a été très présent dans l'expansion de Montpellier au cours des vingt dernières années ; la région Lorraine a entrepris, en association avec la Sarre et le Luxembourg, de « reconstruire » son image, trop fortement associée jusqu'ici à une industrie déclinante ; on peut aussi évoquer la politique de la ville de Lille.

Certaines villes, on peut le constater, ont aussi repensé leur urbanisme à partir d'un équipement culturel structurant, tel qu'une bibliothèque ou une médiathèque. Il ne s'agit pas forcément de reconstruire ou de réaménager toute la ville, mais cela peut concerner des parties ou des quartiers importants, comme à Rennes, à Clermont-Ferrand, voire tout le centre-ville, comme à Turin.

Le président Emile Blessig a demandé si l'Observatoire avait travaillé sur des exemples de développement culturel en milieu rural, si la difficulté de mesurer les retombées économiques n'avait pas pour corollaire celle de convaincre les élus du bien-fondé de la démarche, et s'il existait des contre-exemples à ne pas suivre.

M. Jean-Pierre Saez a d'abord répondu que rares étaient les études commandées sur les échecs.

Ensuite, en matière de développement culturel, les problématiques ne sont pas de nature différente entre milieu rural et urbain : il s'agit, dans tous les cas, d'enclencher une dynamique entre patrimoine et création. On observe par exemple qu'un nombre croissant de petites villes s'attachent à disposer d'un équipement tel qu'un cinéma. Les grands réseaux ne veulent pas prendre le risque de s'installer si les perspectives de rentabilité sont trop faibles ; cependant, un cinéma est non seulement un équipement culturel, mais aussi un lieu de vie et de sociabilité ; et si la structure bénéficie d'un vrai soutien des élus, des associations, des militants du cinéma, elle peut devenir, même sur un territoire restreint, un outil d'éducation artistique.

Les grandes villes sont certes prêtes à mettre plus d'argent dans la culture, y compris en pourcentage de leur budget : en 1996, date de la dernière enquête réalisée, elles y consacraient, en moyenne, 14 % de leurs dépenses. Il arrive cependant, que des entreprises culturelles choisissent des territoires moins peuplés, mais ayant des stratégies d'accueil. On voit ainsi se développer, dans certaines régions, des projets culturels de territoire, autour d'un pays, d'une communauté de communes, ou même d'une commune. Cela peut engendrer des processus de professionnalisation des acteurs, ce qui était beaucoup moins vrai il y a quelques années. Des études ont pu conclure valablement : il est plus facile de mesurer les retombées économiques d'un projet sur un territoire réduit et isolé que dans une grande ville, où les interactions sont infiniment plus complexes.

Une ville a-t-elle intérêt à investir dans une manifestation telles qu'un festival ? Les études d'impact, dans ce domaine, sont souvent parcellaires et reposent rarement sur des analyses scientifiques à proprement parler. Cependant, même si les retombées économiques ne sont pas précisément mesurables, il faut souligner que si le budget de la manifestation est, par exemple, de l'ordre de 750 000 euros, la ville n'apportera elle-même qu'une partie du financement, entre 15 et 20 %, le reste étant apporté par d'autres collectivités publiques, par des sociétés civiles, par des coproductions, par le mécénat - sans oublier, bien sûr, les recettes de billetterie. En revanche, elle bénéficiera de l'ensemble des retombées : emplois permanents créés sur place, surcroît d'activité dans l'hôtellerie et la restauration, activités liées aux spectacles et aux publications...

Les études d'impact économique ont toutefois tendance à enjoliver la réalité. D'une façon générale, les recherches comparatives manquent, et l'on dispose surtout de monographies, alors qu'il serait intéressant d'aborder les problématiques de façon globale, en mobilisant les outils méthodologiques de l'ethnosociologie, de la science politique ou de l'économie. Il serait aussi instructif de commander la même étude, avec le même cahier des charges et le même questionnaire portant sur le même territoire, à des bureaux d'études différents.

En résumé, l'apport de la culture est de plusieurs ordres. Elle contribue au « vivre-ensemble », à la construction de la communauté citoyenne et à celle de l'identité territoriale. Si son impact est difficile à quantifier, il est néanmoins incontestable, et il est possible de l'expliciter en recourant à des éléments objectifs. La Délégation interministérielle à la ville souhaite d'ailleurs que les travaux de l'Observatoire sur le volet culturel de la politique de la ville trouvent un prolongement au titre de l'évaluation des performances exigée par la LOLF, grâce à l'élaboration d'indicateurs permettant de mesurer les effets de l'action culturelle sur les quartiers périphériques paupérisés ; il sera plus délicat, en revanche, de mesurer l'apport de la culture dans les processus de reconnaissance des individus en situation d'échec, d'exclusion ou de désocialisation.

Le volet culturel de la politique de la ville permet en effet de rétablir, dans les deux sens, des circulations entre périphérie et centre. Certaines villes organisent en leur centre des activités associant des jeunes des quartiers sensibles et en périphérie d'autres manifestations susceptibles d'intéresser toute la population. Ensuite, l'action culturelle permet de faire accéder un certain nombre de jeunes des quartiers concernés à une certaine professionnalisation, on l'a vu à un moment où elle était plus développée ; ce moyen d'action a en effet été quelque peu délaissé ces derniers temps.

S'agissant de l'éducation artistique, les stratégies novatrices en sont toujours au stade de l'expérimentation. Il n'y a que dans quelques exceptions locales, qu'on est passé à la généralisation, comme Annecy, seule ville aujourd'hui où la totalité des enfants scolarisés à l'école primaire bénéficie d'un véritable enseignement artistique, leur offrant des cheminements intéressants, sans les aléas et les ruptures que l'on constate presque partout ailleurs. L'éducation artistique a besoin d'être redynamisée au niveau national. Le ministère de la culture a fait, dans une circulaire de 2005, un effort conceptuel intéressant ; mais le vrai problème est celui de l'articulation avec le monde de l'Education nationale, où l'effort n'est pas prioritaire ni suivi de façon continue.

M. Jean Launay, rapporteur, a demandé quand l'étude sur la place de la culture dans les intercommunalités serait publiée, le sujet lui semblant être au cœur de la problématique. Il apparaît que des territoires font de leurs politiques culturelles des stratégies de développement. S'il n'est pas facile de mesurer les retombées économiques, tout effort, même empirique, en ce sens, est donc utile. De fait, il semble que lorsque des évènements réussissent à s'inscrire dans la durée - comme certains festivals de jazz, d'art lyrique ou de théâtre qui, dans le Lot, existent depuis vingt-cinq ans - ils peuvent avoir un effet de levier important au niveau des pays.

Il a ensuite demandé si l'Observatoire avait travaillé avec l'Association des départements de France, notamment sur la lecture publique et l'enseignement de la musique.

M. Jean-Pierre Saez a répondu que l'intercommunalité constituait une réponse à géométrie très variable. Parfois elle prend simplement en charge la gestion d'un équipement, ce qui ne suffit pas à définir une politique culturelle ; parfois, elle développe une politique sectorielle, mais conçue globalement, par exemple dans le domaine de la lecture publique ou de l'éducation artistique. Plus rarement, elle se voit transférer des politiques plus globales : Amiens, Annecy, Montpellier ou La Rochelle font ainsi plutôt figure d'exceptions.

L'étude en cours est la première qui couvrira à la fois toutes les communautés urbaines ou d'agglomération et un échantillon important des deux milles communautés de communes. L'envoi et le traitement des questionnaires sont d'ores et déjà financés ; il restera, ensuite, à aller sur le terrain pour observer de façon plus fine comment l'action culturelle a transformé ou non le territoire, comment les artistes ont travaillé sur les projets, comment ceux-ci s'inscrivent dans des projets globaux de développement. Sans doute en ressortira-t-il que les situations sont très contrastées... En 2001, près des deux tiers des communautés d'agglomération avaient pris la compétence en matière de « culture », mais ce chiffre recouvre, comme on vient de le voir, des réalités très différentes. Il sera intéressant, d'observer ce qui se passe là où le transfert est très large : il peut en effet y avoir des effets pervers, notamment si une commune se sent dépossédée de la maîtrise de son propre projet culturel.

L'Observatoire a travaillé seulement avec certains départements, comme l'Hérault ou le Lot-et-Garonne, et sur des sujets articulant culture et développement local ; de plus, les études réalisées dans ce cadre commencent à être un peu anciennes. Une étude va prochainement être engagée, dans les Pyrénées-Atlantiques, sur la politique du spectacle vivant. En revanche, l'Observatoire travaille régulièrement avec l'association Culture et Départements, sur l'enseignement artistique ou sur l'art contemporain.

Mme Henriette Martinez, rapporteur, a demandé s'il existait des exemples significatifs d'actions menées en direction des populations vivant à l'année dans de petites communes ou des territoires isolés du réseau urbain. Dans sa propre commune, Laragne-Montéglin, qui compte 3 000 habitants - et 5 500 pour la communauté de communes -, ce ne sont pas les idées qui manquent, mais les moyens. Les communes du département sont petites et pauvres ; le conseil général fait ce qu'il peut pour apporter son aide, mais il n'est pas riche. Le résultat est que beaucoup de gens viennent voir les maires pour leur présenter des projets, mais que ceux-ci ne se réalisent pas.

M. Jean-Pierre Saez a reconnu que l'inégalité était forte entre le milieu urbain et le milieu rural, mais que, à défaut de se doter de l'ensemble de la panoplie des équipements culturels, de petites communes pouvaient, en s'associant au sein d'une communauté ou d'un pays, monter une bibliothèque, une école de musique, voire un théâtre. Il faut cependant d'une part, qu'il y ait un projet, une stratégie concertée, et que celle-ci puisse emporter la conviction de professionnels capables de conduire et de coordonner le développement du projet. Aujourd'hui, de nombreux jeunes suivent des formations à la direction de projets culturels, et sortent de l'université avec une très grande motivation, il a lui-même pu le constater notamment dans la région Midi-Pyrénées.

Mme Henriette Martinez, rapporteur, a objecté l'exemple de l'école de musique créée par les cinq communautés de communes de la vallée du Buech, dans le cadre d'un syndicat mixte. Une première difficulté est de trouver des professeurs diplômés d'État et, surtout, de les garder : ils doivent parcourir 150 kilomètres dans une journée pour aller d'un lieu d'enseignement à l'autre, et ont donc tendance à saisir la première occasion qui se présente d'aller travailler dans une école ou un conservatoire en ville. C'est un exemple parmi d'autres de l'instabilité structurelle qui pèse sur les politiques culturelles locales, et que l'Etat ne compense pas. De plus, les coûts fixes sont très élevés, du fait notamment des frais de déplacement, ce qui oblige aussi l'école de musique à refuser les enfants des communes qui n'ont pas adhéré au syndicat mixte. Il est pourtant important que les enfants qui, à l'âge du collège, devront aller étudier à Gap aient un niveau musical suffisant pour intégrer aussi le conservatoire municipal.

M. Jean Launay, rapporteur, a indiqué que le conseil général du Lot décerne un label aux écoles de musique, et leur accorde une aide financière à condition que l'intercommunalité verse aussi son écot. Cela permet d'assurer la continuité de l'action dans le temps.

M. Jean-Pierre Saez a estimé que l'enseignement de la musique gagnerait à faire l'objet de schémas départementaux, mais que au-delà de la contribution des conseils généraux notamment dans le cas de certains territoires particulièrement isolés, les régions devraient compléter cette contribution : leur effort reste, sauf exception, très inférieur à celui des départements et des communes, ainsi qu'à celui de leurs homologues européennes.

M. Jean Launay, rapporteur, s'est interrogé sur l'idée de doter les pôles d'excellence ruraux d'un volet culturel. Il a ensuite demandé si l'Observatoire avait conduit des études sur l'accueil d'artistes en résidence par les communes.

M. Jean-Pierre Saez a répondu que des études, dues à d'autres institutions que l'Observatoire, existaient sur ce sujet. Ce type d'action s'inscrit généralement dans une politique culturelle plus globale. On peut citer les exemples de petites villes comme Chinon ou Cluny, ville qui consacre 16 % de son budget à la culture ; la présence en résidence d'artistes, du domaine des arts plastiques ou de celui du spectacle vivant, permet le développement de politiques plus ambitieuses, articulant par exemple patrimoine ancien et création.

Mme Henriette Martinez, rapporteur, après avoir souligné que la mise en valeur du patrimoine ancien était un élément important de la politique culturelle des territoires ruraux, s'est inquiétée des difficultés et des coûts pour faire vivre ce patrimoine toute l'année, au-delà de manifestations saisonnières.

M. Jean-Pierre Saez a fait valoir que la mise en valeur de ce patrimoine était un moyen privilégié de redynamisation, mais qu'il ne se suffisait pas à soi-même. Il faut en outre non seulement une animation permanente, mais aussi, et surtout, un travail prospectif préalable, envisageant la question sous tous les aspects, y compris celui de la capacité d'accueil de l'hôtellerie locale, et celui de l'implication des habitants. Un exemple de réussite est le château d'Oiron, dans les Deux-Sèvres, transformé en cabinet de curiosités d'art contemporain ; les collections attirent un public régulier ; mais de plus, on a eu l'idée d'y créer un service de table dont chaque assiette est marquée du nom d'un des habitants du village ; tous les ans, un banquet les réunit, et chacun mange dans « son » assiette, laquelle sera exposée, après sa mort, dans une vitrine des salles d'exposition du château. Ainsi, un lien fort a été établi entre l'équipement et les habitants. Cela dit, il ne faut pas se cacher que la réalisation de ce projet a requis de ses concepteurs constance et persévérance.

La rentabilité des projets doit être étudiée non seulement du point de vue économique, mais aussi social, c'est-à-dire en fonction des perspectives d'action culturelle, artistique, pédagogique qu'il peut offrir. Reste que les frais de restauration, de remise aux normes, d'entretien sont souvent considérables, et souvent sous-estimés.

La politique des départements en matière de mise en valeur du patrimoine est extrêmement variable : certains font très peu, d'autres énormément. On observe toutefois qu'une dynamique s'enclenche généralement dans les départements lorsqu'ils ont commencé à intervenir davantage, en raison de l'expertise qu'acquièrent progressivement leurs services. L'Isère est, ainsi de longue date, particulièrement avancée dans le domaine de la conservation et de la mise en valeur, à telle enseigne que sa politique fait école à l'étranger.

Les habitants tirent toujours fierté de la mise en valeur du patrimoine culturel de leur territoire, même s'il s'agit d'un patrimoine du XXe siècle, et même s'ils ne fréquentent pas ou guère les lieux ainsi rénovés. Toutefois, pour que cette politique patrimoniale ne tourne pas au repli identitaire, il faut veiller à ce qu'elle s'accompagne toujours d'une ouverture culturelle sur l'extérieur. Cela vaut aussi pour la relation entre les centres historiques et leurs périphéries. Certaines villes, comme Valence, ont fait le choix d'installer un équipement important, une école d'art en l'occurrence, dans un quartier périphérique ; là aussi, cette stratégie pertinente doit s'accompagner d'un important travail préparatoire, conduit avec la population dans son ensemble ; autrement elle peut conduire à créer des distances symboliques. Il ne faut pas ajouter à la fracture sociale une fracture esthétique.

 M. JACQUES RIGAUD, PRÉSIDENT DE L'ASSOCIATION POUR LE DÉVELOPPEMENT DU MÉCÉNAT INDUSTRIEL ET COMMERCIAL (ADMICAL) (mercredi 23 novembre 2005)

M. Serge Poignant, président, accueillant M. Jacques Rigaud, président de l'Association pour le développement du mécénat industriel et commercial (ADMICAL), a rappelé la longue expérience qu'il avait acquise dans le domaine de l'action culturelle, en tant que directeur du cabinet du ministre des affaires culturelles de 1969 à 1973, de président-directeur général de RTL de 1980 à 2000, ou encore de président de la commission d'études de la politique culturelle de l'Etat en 1996-1997 ; M. Rigaud est aujourd'hui encore administrateur de l'Institut national de l'audiovisuel (INA) et de l'établissement public du Musée du Louvre.

M. Jacques Rigaud a remercié la Délégation de l'avoir invité à témoigner devant elle de son expérience. La situation a radicalement changé en quelque trente ans. Dans les années 1970, les élus s'impliquaient fort peu dans l'activité culturelle, et ne prêtaient guère attention lorsqu'on leur disait que la culture pouvait être un atout pour le développement local. Aujourd'hui, ils ont tous repris cette démarche à leur compte, toutes tendances politiques et tous profils humains confondus.

La culture est non seulement un élément d'identification, mais aussi un facteur de prospérité, ainsi que l'a montré, a contrario, la crise des intermittents à l'été 2003. Elle crée des emplois nouveaux, parfois précaires mais toujours originaux, dans lesquels on ne fait pas une carrière balisée pendant l'ensemble de son activité professionnelle, mais où l'on rebondit de projet en projet, avec des temps intermédiaires de latence ; en ce sens, le statut des intermittents, plutôt qu'une survivance ou le produit d'un corporatisme, apparaît comme une forme d'adaptation à l'avenir.

La culture est aussi un élément de l'attractivité d'un territoire. Lorsqu'une entreprise hésite sur le choix d'une nouvelle implantation, les trois éléments discriminants, pour ses dirigeants, sont, dans l'ordre, la qualité du réseau des transports et des communications, les conditions de scolarisation des enfants, et enfin la vie culturelle et la qualité de vie. A égalité sur les deux premiers critères, le territoire le mieux placé sur le troisième emportera la décision. La culture ne peut donc plus, quand bien même il y a des priorités politiques plus urgentes, échapper au champ de vision des élus.

On retrouve ce critère dans les motivations des étrangers qui choisissent de s'installer en France, et dont un grand nombre ne sont ni des seniors ou des vacanciers, mais des résidents des quatre saisons. Si l'on entend souvent dire qu'il n'y a jamais eu autant d'Anglais en Aquitaine depuis la guerre de Cent Ans, les nouvelles liaisons avec la Grande-Bretagne, d'une part, la bonne chère, le climat et les paysages de l'autre y sont naturellement pour beaucoup, mais aussi la qualité du patrimoine et le dynamisme culturel du territoire, avec les nombreux festivals et activités de toute sorte qui irriguent la Guyenne, le Quercy ou le Périgord. Et ce facteur est appelé à devenir de plus en plus important.

M. Jacques Rigaud a alors abordé la question du mécénat d'entreprise. Celui-ci n'existait pas en France lorsqu'a été fondée, en 1979, ADMICAL. A l'époque où Jacques Duhamel était ministre des affaires culturelles, au début des années 1970, le patronat considérait que soutenir la culture était l'affaire de l'Etat et de lui seul. Le modeste ouvrage publié en 1975 par son ancien directeur de cabinet ici présent, La Culture pour vivre, expliquait cependant que la politique culturelle de l'Etat créait des attentes et des besoins que les fonds publics ne seraient jamais à même de satisfaire en totalité - ce qui ne serait au demeurant pas souhaitable. C'est à partir de ces réflexions que des jeunes gens ont décidé de créer ADMICAL, entraînant l'auteur de l'ouvrage dans l'aventure. Le climat de l'époque était aussi peu favorable que possible : le monde de l'entreprise se tenait éloigné de la culture, le monde de la culture n'avait que méfiance pour le « grand capital », et les médias considéraient que les entreprises qui voulaient faire parler d'elles n'avaient qu'à acheter des espaces publicitaires... Le mécénat s'est néanmoins développé peu à peu, a acquis progressivement droit de cité et est devenu un sujet de consensus, si bien que la loi du 1er août 2003, qui en a simplifié le régime et doublé les avantages fiscaux, a été votée sans difficulté et sans opposition par le Parlement.

Le mécénat d'entreprise n'est pas, ne peut pas relever, du pur désintéressement ou de la philanthropie ; contrairement à un particulier, qui a le libre emploi de son argent, un mandataire social doit justifier devant ses mandants qu'il a utilisé les fonds de l'entreprise dans l'intérêt bien compris de cette dernière. Celui-ci peut cependant inclure des retombées qui ne soient ni directes, ni chiffrables. La manifestation d'un certain civisme, qu'il soit culturel, social ou humanitaire, peut ainsi en faire partie ; mais on ne saurait s'affranchir de cette règle de base.

Quels sont donc, pour l'entreprise, les éléments qui justifient qu'elle se livre au mécénat ? Le mécénat lui offre d'abord une magnifique occasion de réfléchir sur elle-même, sur son identité, sur l'image qu'elle veut donner, sans laisser ce soin à une agence de publicité ou de relations publiques. Il lui permet en outre de nouer des partenariats avec des artistes, des créateurs, des chercheurs, qui ont un autre langage, d'autres méthodes, d'autres références qu'elle, et qui vont ainsi l'enrichir de démarches autres que celles de sa propre rationalité, et créer un choc culturel stimulant pour sa créativité. Enfin, pour peu que le personnel soit associé d'une façon ou d'une autre aux projets soutenus, le mécénat est de nature à renforcer le sentiment d'appartenance à l'entreprise.

Dans ces conditions, le mécénat n'est pas et n'a pas à être l'apanage des grands groupes, tels que LVMH, Pinault-Printemps-Redoute ou la Caisse des dépôts et consignations. Il peut aussi être le fait d'entreprises de taille moyenne, se regroupant éventuellement pour soutenir un projet ou une institution : l'Ensemble baroque de Limoges, par exemple, est aidé par un club d'entreprises de la région. Le mécénat culturel de proximité est très important pour les territoires culturellement moins bien dotés : il peut soutenir un musée ou une activité théâtrale, par exemple. Réciproquement le thème de l'attractivité du territoire est sûrement l'un de ceux qui peuvent le mieux susciter l'intervention d'une entreprise. Enfin, et certaines déclarations du ministre de la culture et de la communication pourraient susciter quelque inquiétude sur ce point, le mécénat ne saurait avoir vocation à assurer les fins de mois d'un Etat nécessiteux. S'il a apporté un concours utile, par exemple, à la rénovation de la galerie d'Apollon du château de Versailles ou à l'organisation de telle ou telle grande exposition, là où son rôle est irremplaçable, c'est pour soutenir, par goût du risque et de l'innovation, des initiatives si originales qu'elles ne peuvent pas répondre aux critères habituels d'octroi de subventions publiques.

Parmi les exemples que l'on peut citer, la Fondation du Crédit Agricole, reconnue d'utilité publique, a ceci de particulier qu'elle intervient principalement en milieu rural, finance exclusivement des dépenses d'investissement ou d'équipement, et jamais de fonctionnement, et ne soutient que des projets déjà retenus et soutenus financièrement par une caisse régionale, dont la Fondation double alors la participation. Depuis sa création en 1979, la Fondation a engagé quelque 19 millions d'euros dans des domaines aussi divers que le patrimoine bâti ancien, les musées et écomusées, la mise en valeur de sites naturels, les métiers de tradition ou l'animation locale. Parmi les projets financés en 2004, on peut citer, entre autres exemples, l'extension du musée protestant du Vivarais, la création de sentiers de découverte en Gironde, l'installation d'aménagements pédagogiques à Pouilly, ainsi que de nombreuses restaurations d'églises, de fresques, de châteaux, de fermes dans toute la France.

Une autre expérience remarquable est celle des centres culturels de rencontres, création empirique, qui remonte à Jacques Duhamel et à Michel Guy, et qui n'a jamais été institutionnalisée, n'est régie par aucune loi ni aucun règlement - tout au plus une charte a-t-elle été signée lorsque M. Jack Lang était ministre. Ces centres sont de hauts lieux du patrimoine français, généralement - mais pas toujours - des abbayes ou des monastères : la chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon, dont il est président, les abbayes de Royaumont et de Fontevrault, la corderie royale de Rochefort, l'abbaye d'Ambronay dans l'Ain, ou encore le domaine de Kerguéhennec dans le Morbihan. Chaque centre a une activité permanente en faveur de la création contemporaine ; ils accueillent notamment des artistes en résidence, organisent des colloques, montent des spectacles. La formule, qui séduit un nombre croissant d'élus locaux et a également fait école au plan européen, est une façon privilégiée d'installer en milieu rural des activités exigeantes, de haute tenue ; ce serait en effet une grave erreur que de croire que seules des productions banales sont susceptibles d'y trouver leur public : l'exemple de la troupe théâtrale de la Tour de Babel, installée à Confolens et dont les spectacles voyagent jusqu'en Amérique latine, prouve, entre autres, le contraire.

Les fonds régionaux d'art contemporain (FRAC), créés en 1982, sont également un acteur important de la politique culturelle décentralisée. Associant l'Etat et la région, ils acquièrent des œuvres d'art contemporain afin de les mettre à disposition d'un large public, en les exposant et en les faisant circuler, et soutiennent des initiatives originales. Le FRAC d'Aquitaine a ainsi noué un partenariat avec une association, pour accueillir à Monflanquin, bastide du Lot-et-Garonne, chez l'habitant ou dans des locaux prêtés à l'association, pour une durée de quelques mois, des artistes en résidence, qui apportent à ces lieux historiques leur regard qui de peintre, qui de sculpteur, qui de photographe. Une expérience différente a lieu à Morcenx, dans les Landes, où l'on réussit à sensibiliser les parents à l'art contemporain à travers leurs enfants d'âge scolaire. En Aquitaine toujours, le directeur du fonds a eu cette année l'idée, dans le cadre des manifestations estivales de Bayonne, de proposer aux commerçants du centre-ville de leur prêter des œuvres afin qu'ils les exposent dans leur boutique ; alors qu'il avait tablé sur vingt acceptations, il y en a eu trente-cinq. D'autres œuvres appartenant au fonds ont été prêtées quelques semaines à des particuliers, ceux-ci prêtant en retour au Musée basque de la ville une œuvre d'art leur appartenant et choisie par eux, afin qu'elle y soit exposée pendant la même durée. Autre initiative couronnée de succès, à Bayonne encore, la mairie a organisé avec le FRAC, dans un appartement vacant d'une barre HLM, une exposition de photographies de la collection du fonds ; les photographies ont été choisies par de jeunes habitants de la barre - pour la plupart issus de l'immigration - et chacune disposée selon une thématique choisie par l'un d'entre eux ; la réflexion et l'expression qu'ils ont pu développer à cette occasion a signé la réussite de l'opération.

M. Jean Launay, rapporteur, a remercié M. Jacques Rigaud pour son témoignage vivant et passionnant. Exposant ensuite que le sud-ouest de la France accueillait depuis longtemps un assez grand nombre de manifestations culturelles saisonnières, comme, dans le département du Lot, le festival d'art lyrique de Saint-Céré ou le festival de jazz de Souillac, il a jugé que l'exposé introductif semblait confirmer l'intuition que peut avoir tout élu local, à savoir que ces manifestations ponctuelles sont un levier de développement, non pas seulement par leurs retombées immédiates, mais encore à plus long terme, en constituant alors un point d'appui pour des politiques plus ambitieuses. Il a ajouté qu'un élément de développement pour celles-ci était qu'elles pouvaient s'inscrire dans le cadre d'organisations en réseaux, départementaux, nationaux, voire européens ; ainsi les villes-bastides comme Monflanquin ou Bretenoux, dans le Lot, dont il est le maire, ont leur équivalent en Espagne et dans d'autres pays d'Europe. L'accueil d'artistes en résidence aussi peut être une façon de dépasser le caractère saisonnier d'un festival ou d'une manifestation, pour faire naître quelque chose de plus durable, de plus structurel. Quant aux prêts et échanges d'œuvres, c'est une formule qui n'est pas réservée aux FRAC : le département du Lot a créé une « artothèque », à partir du musée de Cajarc, qui prête notamment des lithographies à des collectivités, voire à des particuliers.

M. Jacques Rigaud, s'appuyant sur l'exemple des bastides, sortes de « villes nouvelles » avant la lettre, et dont on trouve en effet l'équivalent dans de nombreux pays d'Europe, a souligné l'importance de la notion de réseau évoquée par le rapporteur : l'Europe de la culture se développe non pas à partir de l'action des institutions européennes, à Bruxelles, mais entre gens faisant le même métier, que ce soit dans le domaine de l'opéra, des musées ou de la danse : ils ont entre eux une relation directe, et ce sont eux qui font la réalité des échanges culturels d'un bout à l'autre de l'Europe, et qui développent les réalisations. Quant au passage de l'événementiel au durable, c'est souvent l'occasion qui fait le larron : l'abbaye d'Ambronay a commencé par accueillir un simple festival.

M. Jean Launay, rapporteur, a indiqué que l'association des villes-bastides du Lot cherchait précisément à se constituer en réseau européen, avec des localités d'Espagne, du Portugal, d'Angleterre, d'Italie, voire de Pologne ou de République Tchèque.

Il a ensuite demandé si les 19 millions d'euros dépensés depuis vingt-cinq ans par la Fondation du Crédit Agricole avaient bénéficié à tous les territoires, et si les effets sur le développement local en avaient été mesurés.

M. Jacques Rigaud a répondu que la répartition, sur la longue durée, était à peu près équilibrée entre les différentes régions, avec naturellement quelques variations dues à l'inégale richesse du patrimoine culturel des unes et des autres, mais aussi à l'inégale capacité d'initiative et d'accueil des caisses régionales. Quant aux retombées, elles vont au-delà de ce qui est mesurable et chiffrable, dans la mesure où il s'agit d'un investissement qui contribue à l'embellissement, au développement culturel des territoires et donc à leur qualité de vie et à leur attractivité. L'exemple de Bilbao, ville industrielle sinistrée qui a redécollé en accueillant la fondation Guggenheim et ses collections tournantes, et en bâtissant tout autour de ce qui était alors une friche industrielle un quartier moderne à l'urbanisme novateur, est dans tous les esprits : on ne peut qu'être frappé par le nombre de gens qui viennent désormais visiter la ville, y compris en hiver !

A une autre échelle, le cas de Villeneuve-lès-Avignon, petite ville de 15 000 habitants, est également significatif. A la Révolution, sa chartreuse avait été vendue par lots. Après la guerre, elle a été progressivement reconstituée et restaurée par l'Etat. L'aménagement de la chartreuse en centre culturel de rencontres a créé trente emplois permanents ; mais son impact économique dépasse ceux-ci. Par ses manifestations, la chartreuse a permis de maintenir le secteur de l'hôtellerie et nombre de magasins. Sa restauration et son entretien font aussi vivre un artisanat local et ont contribué à maintenir vivants des métiers et des techniques traditionnels qui, autrement, se seraient perdus.

Le centre culturel de rencontre a aussi tenu à associer la population à la vie culturelle de la chartreuse : par exemple, en échange de la mise à disposition des locaux pour réaliser des enregistrements, il a demandé à tel grand chanteur d'opéra de présenter, pour chaque disque ainsi enregistré, l'un de ses films dans une séance réservée à la population de la ville et des communes voisines : le succès a été considérable. Il a aussi organisé le recueil de l`histoire locale de la chartreuse : il a enregistré des témoignages sur la chartreuse avant-guerre, avant le début de sa reconstitution, et pendant la guerre (elle a hébergé de nombreux résistants).

L'ensemble de ces actions a un effet qui dépasse l'impact économique, direct ou indirect. La population peut voir le patrimoine comme autre chose qu'une charge et l'art et la culture comme un domaine qui n'est plus étranger et inaccessible. Elle est aussi amenée à porter un autre regard sur son cadre de vie et les opportunités qu'il lui offre.

M. Jean Launay, rapporteur, a demandé si ADMICAL avait repéré des erreurs à ne pas commettre dans l'action de mécénat.

M. Jacques Rigaud a répondu qu'ADMICAL ne faisait pas de collecte directe de fonds, mais formait une sorte de club qui apportait son aide et ses conseils aux entreprises désireuses de se lancer dans le mécénat culturel, celui-ci étant considéré comme un élément de la liberté d'entreprendre. L'expérience montre que l'échec est souvent au rendez-vous quand l'action de mécénat n'a pas fait l'objet d'une réflexion collective préalable au sein de l'entreprise : le risque est grand, alors, qu'elle soit considérée comme le caprice, la « danseuse » du PDG et abandonnée lorsque celui-ci quitte ses fonctions, son successeur pouvant facilement se distinguer en remettant en cause cet élément. De même, lorsque l'entreprise connaît des difficultés économiques, qu'elle doit procéder à des compressions de personnel, sa politique de mécénat sera naturellement d'autant plus fragilisée, d'autant plus contestée qu'elle n'aura pas été bien expliquée au personnel ; inversement, s'il y a adhésion de celui-ci au projet, ce ne sera pas le cas, comme le montre l'exemple d'Air France, où M. Jean-Cyril Spinetta, lorsqu'il a été nommé président, a été dissuadé de le remettre en cause par les représentants du personnel eux-mêmes.

Une autre cause d'échec possible est la confusion entre le mécénat et le « sponsoring », c'est-à-dire, en français, le parrainage, qui est une opération commerciale, d'ailleurs soumise à la TVA, visant à obtenir des contreparties tangibles : lorsque RTL parrainait, par exemple, une tournée de tel ou tel chanteur, le logo de la station était présent dans la salle, dans le hall, sur les billets. On peut résumer la différence par la formule suivante : le parrainage est un affichage, le mécénat est une signature.

Les expériences les plus réussies sont celles où l'entreprise a saisi l'occasion du mécénat pour réfléchir sur elle-même et sur son identité. Lorsque la direction générale des télécommunications est devenue France Télécom, la nouvelle entreprise publique a mûrement réfléchi à l'image de marque qu'elle voulait donner. Hésitant entre celle d'une entreprise de haute technologie et celle d'une entreprise « qui relie les hommes », elle a choisi la seconde, et ce choix a orienté celui de ses domaines de mécénat culturel et sportif, à savoir la gymnastique et la musique vocale. Et quand, quelques années plus tard, elle a voulu étendre son champ d'action au domaine social, elle a choisi de s'attaquer à l'autisme, au point de devenir un partenaire incontournable de la lutte contre cette maladie de la non-communication absolue. Aucun des successeurs du président de l'époque n'a d'ailleurs remis en cause la politique de mécénat de France Télécom ou ses orientations.

Un problème peut cependant se poser lorsque deux grandes entreprises fusionnent. De trois choses l'une, en effet : ou bien aucune des deux ne faisait de mécénat, et la nouvelle entité n'en fera sans doute pas non plus ; ou bien l'une en faisait et l'autre pas ; ou bien toutes les deux en faisaient, et il peut y avoir concurrence. Mais l'exemple de la BNP et de Paribas, dont les fondations respectives ont fini par fusionner, montre que, même dans ce cas, les forces peuvent s'additionner.

 M. RENAUD DONNEDIEU DE VABRES, MINISTRE DE LA CULTURE
ET DE LA COMMUNICATION (mardi 30 mai 2006)

Le président Emile Blessig a exposé que l'audition par la Délégation du ministre de la culture et de la communication venait en conclusion d'un cycle de travaux sur l'action culturelle diffuse, instrument de développement des territoires, qui allait prochainement donner lieu au dépôt d'un rapport d'information. Il a demandé quel était, après l'entrée en vigueur de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, qui décentralise l'action culturelle, le positionnement du ministère de la culture et de la communication pour l'animation et le développement de la vie culturelle des territoires. Le ministère considère-t-il qu'il a une responsabilité dans le maillage culturel du territoire ? Envisage-t-il de développer une action de mise en cohérence de l'action désormais confiée aux départements ? Envisage-t-il aussi, notamment en matière de patrimoine, de développer plus et mieux qu'aujourd'hui les actions contractuelles, soit à travers les contrats de projet-Etat-régions, et notamment leurs volets territoriaux, soit à travers des conventionnements spécifiques ?

M.  Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication, s'est déclaré honoré et heureux de clôturer le cycle de réflexion de la Délégation sur l'action culturelle diffuse, instrument de développement des territoires. Quand on s'intéresse à l'aménagement et au développement du territoire, on ne pense pas d'emblée à la culture ; on évoque plutôt les infrastructures, l'économie, l'industrie. En mettant la culture au coeur de sa réflexion, la Délégation a ouvert deux chantiers particulièrement importants ; l'action culturelle comme levier de développement des territoires est au coeur de l'action actuelle du ministère en faveur de l'attractivité de la France ; ensuite, le développement culturel des territoires et leur couverture numérique, thème cher à la Délégation, sont aussi deux enjeux qui vont de pair : ils sont au coeur d'une stratégie non seulement culturelle, mais aussi économique, sociale, politique, pour la France et l'ensemble de ses territoires.

Le ministre de la culture et de la communication a ensuite exposé que l'action culturelle diffuse était le poumon des politiques culturelles. L'action culturelle diffuse est celle qui est conduite spontanément dans les territoires par leurs habitants, en général dans un cadre associatif ou par des collectivités locales de petite taille. Elle peut paraître éloignée des grandes institutions nationales à réputation internationale, grands musées, scènes, monuments, festivals, bibliothèques, qui s'identifient trop souvent à la politique culturelle de l'État. Pourtant, on est sans doute là au coeur de la question de la pertinence des politiques culturelles, qu'elles soient nationales, territoriales, ou encore issues des initiatives de la société civile.

En effet, la vitalité de la politique culturelle n'est pas seulement le fait des grandes institutions. Élus locaux, acteurs et observateurs de la politique culturelle ont tous constaté le développement exponentiel de l'activité des associations culturelles, et aussi des enseignements de la danse, de la musique, du théâtre, sur l'ensemble du territoire. Ces développements s'appuient sur un mouvement très profond d'amateurs qui, depuis le milieu des années 1980, irrigue la vie des institutions locales, notamment dans les communes les plus petites, et constitue les nouveaux publics de la culture, plus éclairés, plus exigeants, plus impliqués, plus actifs, qui deviennent partenaires à part entière de la vie culturelle. Ils deviennent aussi les relais des politiques culturelles nationales, régionales, départementales et communales. Et ils sont les vecteurs de l'animation culturelle, du développement de l'éducation artistique, de la diffusion de nouvelles créations.

Ainsi, au premier abord, les musées de France sont constitués par quelques institutions phares. Pour autant, il faut constater une importance très réelle des musées ruraux, des musées des petites communes. Un musée sur quatre est situé dans une zone rurale ou dans une unité urbaine de moins de 5 000 habitants. Le développement des musées de société et des écomusées dans les années 1970 a contribué à cette situation. Ces musées rassemblent 14 % de la fréquentation totale ; leur fréquentation moyenne est plus élevée que celle des musées situés dans les villes de moins de 50 000 habitants. Le développement culturel en France est donc très largement dépendant des équipements répartis sur l'ensemble des territoires. Le dynamisme qui entoure ces équipements doit beaucoup à l'engagement des élus et de la population. Il est le fruit d'une participation forte des habitants, du bénévolat. Il faut ainsi rendre hommage à toutes celles et à tous ceux qui, en consacrant leur temps sans compter à ces établissements culturels, animent la vitalité culturelle des territoires.

Les écoles municipales jouent aussi un rôle considérable pour l'enracinement durable de la culture. Ainsi, les 3 700 écoles de musique, de danse et d'art dramatique publiques, c'est-à-dire soit municipales, soit associatives avec financement public, accueillaient 870 000 élèves, jeunes ou adultes, en 2002-2003. De jeunes Français peuvent ainsi s'initier à une pratique musicale diversifiée, individuelle et collective, et même envisager un avenir professionnel dans ce secteur, grâce notamment aux formations diplômantes mises en place dans la plupart des établissements qui relèvent d'un contrôle pédagogique du ministère. Ces écoles s'ouvrent de plus en plus, en cursus ou hors cursus, à la demande de pratiques émergentes. Elles sont l'un des emblèmes du nécessaire partenariat État-collectivités en faveur de l'accès de tous à la culture, qui demeure un objectif politique essentiel.

Le dynamisme des relations entre culture et tourisme en milieu rural est aussi majeur au plan économique et territorial. Le développement culturel local joue un rôle économique très important à travers le tourisme culturel. Les « pôles d'excellence rurale » dont les dossiers, souvent de grande qualité, sont en voie de finalisation à la Délégation interministérielle à l'aménagement et à la compétitivité des territoires (DIACT) font d'ores et déjà apparaître un très large intérêt pour le tourisme culturel et patrimonial, mais aussi pour les médiathèques.

M. Renaud Donnedieu de Vabres a ensuite évoqué la question de la contractualisation. C'est une méthode pertinente. La décentralisation culturelle ne cesse de s'approfondir et l'engagement des collectivités territoriales dans la vie culturelle de se développer. Les collectivités territoriales participent budgétairement à l'offre culturelle et à l'accompagnement des initiatives sociales, citoyennes, culturelles. La dernière enquête sur leurs dépenses, dont les résultats seront bientôt publiés et qui porte sur l'année 2002, montre que leur effort financier en faveur de la culture se maintient à un niveau assez élevé. Ainsi, les communes de plus de 10 000 habitants ont consacré à la culture 4,1 milliards d'euros, soit une dépense moyenne de 143 euros par habitant et plus de 9 % de leur budget global. C'est un effort comparable à celui des années 1990, qui résultait d'une forte montée en puissance de l'engagement des communes dans le financement culturel. Les départements financent la culture à hauteur de 20 euros par habitant, soit 1,1 milliard d'euros et près de 3 % de leur budget. L'effort culturel des régions est de 2,4 % de leur budget (360 millions d'euros et 6 euros par habitant). Enfin le récent développement de l'intercommunalité peut se traduire par le développement de compétences culturelles qui ont pour effet parfois de redistribuer, mais aussi d'accroître l'engagement des collectivités en faveur de la culture. Ainsi, l'État et les collectivités participent conjointement au développement culturel.

La politique culturelle doit être le fruit de l'addition des énergies et non un objet de concurrence ou de rivalité. Dans la République française, à l'organisation décentralisée prévaut le principe de libre administration et de libre action des collectivités territoriales. C'est pourquoi la politique culturelle commune, partagée, se déploie dans le cadre de la contractualisation, du partenariat. Pour autant, que des régions, des départements, des communes, seules ou dans une logique intercommunale, développent des politiques culturelles territoriales autonomes est légitime. Celles-ci n'entrent pas en concurrence avec l'action de l'État, mais la complètent pour développer les modes d'accès à la culture, soutenir la création ou valoriser le patrimoine.

On peut cependant s'interroger sur l'inscription de ces politiques dans le temps, dans les dispositifs d'aménagement du territoire, et sur leur caractère durable. L'essentiel de la réponse réside dans le choix de la contractualisation. Avec les contrats de développement culturel, avec les labels, comme celui des villes et pays d'art et d'histoire, avec l'engagement de l'État dans les établissements publics de coopération culturelle (EPCC),  pour lesquels le Sénat a adopté le 28 mars 2006 une proposition de loi maintenant déposée devant l'Assemblée nationale, avec les réseaux d'enseignement artistique, avec les festivals et le subventionnement des compagnies et des lieux de spectacle vivant, avec la valorisation du patrimoine, la contractualisation permet d'inscrire l'action culturelle dans le temps et dans l'espace territorial, national et européen.

La déconcentration des crédits du ministère pourrait avoir pour effet de rendre peu lisible la cohérence de l'aménagement culturel du territoire national. C'est pourquoi la proximité de l'intervention territoriale réalisée par les directions régionales des affaires culturelles (DRAC) est indispensable pour prendre en compte la réalité du terrain, les évolutions de la création, l'émergence de nouveaux territoires de l'art. Elle s'organise au plan national à travers l'élaboration de directives nationales d'orientation, qui fixent le cadre de leurs interventions, leurs priorités annuelles, en réalité souvent pluriannuelles, pour conforter la continuité de l'action publique de l'État. Les DRAC sont notamment appelées au financement de l'émergence des initiatives et des créations nouvelles qui nourrissent notre vitalité artistique. On peut citer le soutien apporté à la friche de la Belle-de-Mai à Marseille, à la casa musicale à Perpignan, à des projets à Bourges, Saint-Ouen, Meisenthal en Lorraine, Loos-en-Gohelle, Vieux-Condé, Sotteville-lès-Rouen... Ces exemples illustrent un seul et même message, qui est que l'État ne se désengage pas. Il ne cesse de s'engager pour que de nouveaux ferments de vie culturelle irriguent les territoires, dans leur diversité, agglomérations, communes moyennes, territoires ruraux. Au sein de l'administration centrale du ministère de la culture et de la communication, il appartient à la mission « nouveaux territoires de l'art » d'observer et d'être à l'écoute de ces démarches.

C'est la même stratégie et le même esprit de partenariat qui inspire l'ensemble des relations entre l'État et les collectivités territoriales, en particulier les régions, à travers la montée en puissance des pôles « culture» placés auprès des préfets de région. Les DRAC sont incitées à développer la concertation entre collectivités, mais aussi entre DRAC de régions limitrophes. L'État doit à la fois penser local et penser global, et ce non pas seul, mais en liaison avec l'ensemble des collectivités territoriales. Il lui revient, à travers les contrats de projets État-régions, de développer une véritable stratégie territoriale, à l'interface de l'Union européenne et de l'ensemble des responsables territoriaux. Ce grand chantier, que le ministre a à mener à bien, peut bien sûr impliquer un renouvellement de la contractualisation, une modification des missions assignées aux structures culturelles, une évolution de la charte de service public des établissements culturels.

Le ministre de la culture et de la communication a enfin évoqué la question de l'attractivité culturelle. Il s'agit d'une nouvelle stratégie à construire. La question de l'attractivité de la France est centrale. Avec la culture, qu'on ne peut séparer de la vie culturelle des Français, avec la force de l'alliance du patrimoine et de la création, la France dispose collectivement de ce que les économistes désignent comme un avantage absolu. Dans la compétition internationale pour la croissance économique et pour l'emploi, cet avantage, qui n'est pas exclusif, est essentiel. Reconnaître les atouts culturels de la France, ce n'est pas seulement favoriser les grands établissements culturels nationaux, le plus souvent parisiens par effet de centralisme historique, et donc concentrer les crédits. L'attractivité culturelle est globale, avant d'être locale. Elle n'implique donc pas nécessairement la concurrence des territoires, même si elle stimule une véritable émulation des différentes offres culturelles, induisant ainsi du développement culturel. Au total, ce mouvement bénéficie à l'ouverture de l'accès à la culture au plus grand nombre et à l'attractivité de l'ensemble des territoires de notre pays.

Comme le montrent plusieurs études réalisées par le ministère, le lien entre développement culturel, vitalité économique et attractivité culturelle est très dense. Si l'on met en relation les indicateurs de développement économique et les indicateurs de développement culturel par région, on constate de multiples corrélations : les indicateurs de richesse (PIB par habitant, emploi, qualifications, dépenses des collectivités territoriale... ) et les indicateurs d'attractivité (variables démographiques, nombre d'étudiants... ) sont liés aux indicateurs de développement culturel (emploi culturel, dépenses culturelles... ). C'est bien sûr vrai pour les grandes collectivités territoriales, mais cette logique se diffuse, en sorte que le développement culturel est un facteur de richesse pour l'ensemble des territoires. Et cette liaison vertueuse repose largement sur la culture « diffuse » et sur le dynamisme associatif. Celui-ci est réel, puisqu'un Français sur deux de 15 ans et plus appartient à une association et que les associations culturelles sont parmi les plus fréquentées. Ce mouvement d'adhésion associative est amplifié par la sociabilité, par les «affinités électives», qui reposent sur la culture, le territoire, le goût, les pratiques culturelles et artistiques.

M. Renaud Donnedieu de Vabres a enfin évoqué la couverture numérique du territoire. Renforcer le développement culturel, c'est aussi s'assurer que, sur l'ensemble du territoire, l'accès y est garanti. La couverture numérique est donc une exigence légitime. Le lancement de la TNT a été un immense succès : 50% de la population y a accès et deux millions et demi de foyers se sont équipés. Il faut maintenant réussir le basculement de l'analogique vers le numérique et ouvrir ainsi la voie aux services de l'avenir. En étroite liaison, le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), les administrations et les acteurs privés se mobilisent pour accélérer ce calendrier de déploiement. L'objectif est que 85 % des Français aient accès à cette offre dès le printemps prochain, grâce à un maillage de 110 émetteurs. D'ici 2010 c'est l'ensemble du territoire qui devra bénéficier de cette couverture. L'année suivante, la migration de la télévision analogique vers la télévision numérique devra permettre de libérer les ressources pour que chacun puisse aussi accéder à la télévision en mobilité et pour que la télévision à haute définition puisse se développer. Tel est l'objet du projet de loi actuellement en préparation et qui devrait être présenté en conseil des ministres avant la fin du mois de juillet. La TNT est aussi une chance formidable pour les télévisions locales.

La diffusion des techniques numériques, dont d'abord l'internet, transforme profondément l'accès à la culture et, au-delà, à la création culturelle numérique. On estime que près de la moitié des jeunes créent des contenus. Dans le monde numérique, on retrouve évidemment cette tendance à l'expansion des pratiques et des publics amateurs, décuplée par les moyens utilisés. Atteindre les objectifs de couverture, c'est permettre le déploiement sur ces techniques d'une vitalité de création et d'accès qui ne peut être fonction de l'éloignement, de la géographie. Le numérique est une chance de renouvellement, de développement et d'égalité d'accès à la culture pour tous. À une échelle nouvelle plus large, la couverture numérique est de nature sans doute à prolonger l'expérience qu'on a connue avec la radio. Les radios associatives, les radios locales jouent depuis près d'un quart de siècle un rôle essentiel pour le pluralisme et la diversité culturelle, pour l'expression culturelle locale. Le développement de ces radios s'est appuyé sur une articulation régulière entre l'action nationale - celle du CSA qui autorise plus d'un demi-millier de radios de cette nature sur tous les territoires, celle de l'État qui les soutient grâce au Fonds de soutien à l'expression radiophonique, dont les crédits ont presque doublé en quinze ans - et celle des collectivités locales. Il faut tirer parti de ces partenariats, de cette complémentarité pour le développement culturel des territoires.

Mme Henriette Martinez, rapporteure, faisant valoir que les rapporteurs avaient rencontré les élus locaux et les acteurs bénévoles dont le ministre avait salué les initiatives, a souligné que tous constataient, pour le regretter, que l'attractivité des territoires ruraux se construisait exclusivement avec les moyens  de ces territoires ; les DRAC sont loin ; les acteurs locaux, même publics, se sentent bien seuls. De plus, les efforts des collectivités, aussi importants qu'ils soient, sont limités par la modestie des ressources dont elles disposent. Autrement dit, les départements les plus pauvres sont aussi les plus défavorisés dans le domaine de la culture.

Or, cela ressort des déplacements des rapporteurs, les exigences des populations sont les mêmes à la campagne et en ville. Les néo-ruraux ne comprennent par qu'ils ne puissent pas accéder aux mêmes services qu'en ville. En même temps, ce ne sont pas des services élitistes qu'ils demandent : ce sont des écoles de musique, un soutien aux festivals organisés par eux-mêmes, la restauration du petit patrimoine... Cependant, ce n'est pas ce que subventionnent les DRAC.

Il est donc apparu aux rapporteurs que l'État devrait compenser les handicaps de ces territoires. En effet, non seulement ils sont pauvres, mais leur configuration est cause de charges spécifiquement élevées. Le coût des transports par exemple est considérable ; pour une école de musique rurale de montagne, les frais de déplacement des professeurs peuvent constituer un poste supérieur à celui du paiement des heures de cours ; les collectivités locales s'épuisent à lutter contre ces contraintes. De même, les coûts de transport pour les festivals éteignent rapidement les initiatives. Il y a ainsi une disparité des conditions d'aménagement du territoire qui paraît devoir être compensée. On a évoqué, pour y remédier, la procédure des contrats de projet Etat-régions. Cependant, les régions refusent de financer les dépenses de transport. Si l'État le faisait, on progresserait plus vite vers un aménagement du territoire plus harmonieux.

M. Jean Launay, rapporteur, a d'abord indiqué que les rapporteurs avaient eu l'intuition que le projet de travail qu'il avait proposé à la Délégation avait un lien fort avec l'aménagement du territoire, et son analyse sous l'angle du développement durable ; le ministre a du reste évoqué ce point. Les rapporteurs ont eu également l'intuition que le dynamisme associatif et le volontarisme des autorités publiques locales, communautés de communes et départements, étaient tels qu'il y avait là sans doute un véritable de levier de développement économique. Ainsi, les rapporteurs ne se sont pas situés sous l'angle du misérabilisme rural : c'est parce qu'ils ont constaté cet activisme et ce volontarisme dans le domaine culturel qu'ils ont pensé qu'il pouvait contribuer au désenclavement des territoires et à leur dynamisme.

Les rapporteurs ont aussi constaté qu'il existe peu d'instruments statistiques pour mesurer ce mouvement et rendre compte de ses effets ; les statistiques citées par le ministre ne prennent pas en compte les villes de moins de 10 000 habitants, alors que la moitié de la population y vit, et qu'il s'y mène des activités et des investissements culturels. Les rapporteurs espèrent que leur travail permettra de sensibiliser l'État sur le fait qu'il y a des besoins et des réalisations importants à prendre en compte.

Le message concernant la péréquation en matière de transport a été formulé de façon récurrente auprès des rapporteurs. Ceux-ci l'ont bien reçu. Il faut regretter qu'on se contente de parler régulièrement de péréquation ; il faut commencer à l'organiser. Même déconcentré et délocalisé, un État fort et respecté doit la prendre en charge.

Les rapporteurs se sont aussi attachés à la notion de réseau. Ils ont constaté à quel point associations et collectivités faisaient preuve d'une ingéniosité fantastique pour pallier à la faiblesse de leurs moyens, en organisant la cogestion de projets, ou la mutualisation de frais de fonctionnement. Les acteurs locaux manifestent un besoin énorme de reconnaissance de ces efforts. Ces réseaux spontanés doivent être doublés par une capacité, au niveau national, à les soutenir et à les organiser ; l'exemple des villes et pays d'art et d'histoire montre que cela peut être fait. En revanche, on peut avoir une inquiétude sur l'ambiguïté qu'il pourrait y avoir à continuer à labelliser avec une enveloppe budgétaire bloquée.

La troisième notion à laquelle les rapporteurs se sont attachés est celle de contrat. La question est d'une part de savoir comment les impulser, mais aussi d'autre part de savoir les faire vivre dans la durée : il y a besoins d'une lisibilité à moyen terme des contrats proposés.

S'agissant du transfert du patrimoine monumental de l'Etat, la difficulté est que la décentralisation n'a pas toujours été très bien vécue par les collectivités locales, même si chaque fois, l'État a exposé qu'il compensait à l'euro près le transfert par des ressources. La question du transfert des châteaux sera sans doute plus facile à traiter lorsque la nouvelle étape de décentralisation sera intégrée, et au fur et à mesure de la prise de conscience qu'il y a des possibilités, grâce à ces transferts, de synergies entre petit et grand patrimoine, et de dynamisme sur les territoires. Par ailleurs les explications sur les moyens devraient être clarifiées. Si l'Etat expose que les moyens manquent pour ouvrir tel musée, c'est une difficulté décourageante : si l'on considère que l'ouverture du patrimoine crée du développement général, il faut assumer les coûts de cette ouverture. Aujourd'hui les responsables des actions sur le terrain y réfléchissent.

M. Serge Poignant a salué la qualité, pour le développement des territoires, de l'instrument constitué par le réseau et le label des villes et pays d'art et d'histoire. Il permet en effet de s'engager à la fois dans l'espace et le temps, ce qui est nouveau. Le développement dynamique de ce réseau pose cependant désormais la question des moyens. Les contrats de projet Etat-régions n'y suffiront pas. Il a donc demandé au ministre comment celui-ci pensait pouvoir soutenir financièrement ce développement.

M. Philippe Folliot, se félicitant des propos de ses collègues, a insisté sur l'intérêt du tourisme culturel pour le développement des territoires. Il a aussi exposé que des exemples existaient, à l'étranger, d'utilisation de grands sites pour le développement et la valorisation d'autres secteurs moins mis en valeur. Saluant l'exemple de l'implantation de collections du Louvre, le Louvre II, à Lens, il a demandé s'il était prévu de réaliser d'autres implantations de façon à fournir des bases solides pour le développement des territoires.

Le président Émile Blessig, citant le partenariat de la Cité des sciences avec la ville de Metz, a demandé si, dans ce domaine, il était aussi prévu de créer d'autres implantations.

Le ministre de la culture et de la communication a répondu qu'il se félicitait de l'émergence de la visibilité des besoins des territoires en matière culturelle. Cela fait clairement apparaître que la culture, ce n'est pas un domaine marginal et sympathique, et ainsi que le ministère de la culture est bien en charge d'un élément essentiel de l'attractivité du pays.

Les pays qui disposent de l'ensemble des éléments d'une telle attractivité sur leur territoire, vie culturelle dense, richesse du patrimoine, capacités de création reconnues, ne sont pas nombreux. C'est donc un objectif que de travailler à la valorisation de cette attractivité.

Les rapporteurs ajoutent un objectif d'égalité, avec la péréquation. Cela pose la question des rôles de chacun. L'Etat a la responsabilité des lieux phares. Pour les autres il lui revient de déclencher les initiatives territoriales et de les soutenir. Il ne s'agit pas de récuser ici le rôle de l'État en zone rurale. Il est vrai que l'Etat n'y intervient pas. C'est plutôt les conseils généraux qui assument cette tâche. Pour autant, dès lors qu'on lui en donnerait les moyens, le ministère de la culture et de la communication est tout à fait prêt à faire plus. Il faut insister sur la dimension stratégique de la culture pour le développement et sur la nécessaire égalité dans son accès. Il est vrai qu'il y a des zones où les jeunes ne peuvent accéder à la culture de façon satisfaisante, même s'il y a, en zone rurale notamment, des dispositifs pour remédier, au moins partiellement, à cette difficulté.

Il est vrai aussi que l'État se concentre sur les festivals les plus lourds. Les régions et les départements ont néanmoins un rôle à jouer sur leurs territoires.

L'accroissement de la labellisation des villes et pays d'art est d'histoire est lié à la qualité de l'offre. L'augmentation du nombre des membres de ce réseau implique donc tôt ou tard une hausse des crédits qui lui sont consacrés. La labellisation ne s'arrête cependant pas à ce seul réseau. Loin d'être attribué aux seuls musées nationaux, le label Musée de France l'est aussi à de petits musées sur le territoire. Il y a sans doute encore un autre label à inventer pour des lieux plus petits et plus précis.

Le concept de réseau est essentiel. Il faut en multiplier le nombre. Il faut essayer de créer des circuits autour d'un concept, circuits qui doivent pouvoir être soit nationaux soit même européens. Sur ce point le ministère travaille assidûment à la création d'un label européen du patrimoine. Le label patrimoine mondial attribué par l'UNESCO ne sera pas étendu continûment. Un label européen doit pouvoir distinguer du patrimoine de très grande qualité qui ne répondrait pas aux critères d'exception du label de l'UNESCO. On pourrait envisager aussi des labels européens thématiques, pour distinguer par exemple les places de villages authentiques, les marchés remarquables, labels qui seraient accompagnés de subventions.

Le ministre a ensuite exprimé sa fierté pour la réalisation d'une présentation permanente d'une partie des collections du Louvre à Lens. L'affaire n'a pas été facile, mais le symbole est de poids : c'est le premier musée mondial implanté dans une ville d'anciennes industries.

De façon générale, les musées nationaux doivent ouvrir leurs coffres, et pas seulement pour des expositions temporaires. Leurs réserves doivent servir à enrichir, par des prêts à long terme, des musées en région, de façon à accroître leur attractivité et celle des territoires où ils sont implantés. Il faut mieux répartir le patrimoine de l'État sur le territoire. Cependant il n'y a pas encore de plan pour créer un Louvre III ou un Louvre IV en région.

Le ministre de la culture et de la communication a conclu ses propos en exposant que la France avait un capital entre les mains et qu'il n'était pas raisonnable de ne pas le valoriser : il n'est pas raisonnable de construire une salle moderne polyvalente pour des manifestations qui pourraient parfaitement être régulièrement organisées dans une salle parfois sous-utilisée du musée local. Le film Da Vinci Code a déjà enregistré 70 millions d'entrées ; c'est une base de valorisation fantastique pour le patrimoine où il a été tourné.

Le président Émile Blessig a alors exposé les préoccupations de la Délégation quant à l'apparition d'une fracture en matière de couverture du territoire en télévision numérique de terre (TNT). Les quatre premières phases, celles qui conduisent à l'équipement de 66 % de la population en octobre 2006, ne suscitent pas d'inquiétude. En revanche la cinquième phase, qui conduit à l'équipement de 85 % de la population, et la façon dont les 15 % restants seront desservis suscitent plusieurs interrogations.

La cinquième phase concerne en effet des territoires frontaliers, de la Belgique à la Méditerranée. Sur ces territoires, l'encombrement de l'espace hertzien, du fait qu'y cohabitent plusieurs faisceaux nationaux, empêche de faire coexister diffusion analogique et diffusion numérique. Au contraire de ce qui se passe dans le reste du territoire national, pour ouvrir le numérique, il faut fermer l'analogique. De plus, le calendrier dépend aussi de celui des Etats voisins : lorsqu'ils éteindront l'analogique, leurs chaînes ne seront plus disponibles pour les téléspectateurs français recevant la télévision selon cette définition. Se posent donc les questions des futures conclusions de l'actuelle conférence régionale des radiocommunications, du calendrier du basculement de l'analogique au numérique, et enfin de la production des adaptateurs destinés à permettre à la population de recevoir la télévision numérique.

Quant aux 15 % de téléspectateurs restants, il semble que la mise à leur disposition d'un bouquet satellitaire gratuit regroupant les chaînes gratuites de TNT suppose de prévoir par la loi une obligation d'antenne pour les transporteurs du signal ; le projet de loi annoncé prévoit-il une telle disposition ? De plus, il n'y a pas dans ces 15 % que des téléspectateurs isolés : on y trouve des villes entières, comme Gap ou Briançon.

Enfin, dans ce domaine on se heurte à une pluralité d'intervenants qui rend la compréhension du plan d'équipement extrêmement difficile.

Le ministre de la culture et de la communication a répondu que le principe retenu pour le basculement était un basculement région par région. L'opération est particulièrement compliquée à organiser dans les régions frontalières, marquée par l'encombrement de l'espace hertzien. Sur ce point, des notes techniques précises, concernant notamment l'Alsace, seront fournies à la Délégation.

L'objet du projet de loi en préparation est le développement de la très haute définition et de la télévision numérique personnelle, qui inclut notamment la télévision numérique sur portable. La mise en oeuvre de ces avancées suppose le passage au numérique de l'intégralité de l'espace hertzien terrestre et l'arrêt de la diffusion analogique. Le projet de loi a également pour objet de fixer les critères destinés à orienter les choix du Conseil supérieur de l'audiovisuel au cas ou la totalité des demandes des éditeurs de programmes ne pourrait être satisfaite.

Eu égard aux enjeux, veiller à l'égalité des territoires est essentiel. C'est la raison pour laquelle est envisagée l'utilisation de la technologie du satellite. Il ne faut pas que le progrès technologique permettant l'augmentation du nombre de chaînes apparaisse comme une privation de la liberté de recevoir gratuitement des programmes.

II. - EXAMEN DU RAPPORT

Lors de sa réunion du mercredi 7 juin 2006, la Délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire a examiné le rapport d'information de M. Jean Launay et Mme Henriette Martinez sur l'action culturelle diffuse, instrument de développement des territoires.

Le président Émile Blessig a indiqué que l'idée des rapporteurs avait trouvé tout au long des travaux de la Délégation un accueil extrêmement positif et favorable. En effet, si les thèmes du contenu des politiques culturelles territoriales et de leurs effets sur le terrain, ainsi que de la capacité de la vie culturelle à créer de l'attractivité, sont des thèmes récurrents, ils ont jusqu'ici peu fait l'objet de travaux parlementaires. Ce rapport se situe aussi dans le droit fil des préoccupations de la Délégation : l'angle sous lequel les rapporteurs ont décidé d'analyser les questions d'action culturelle dans les territoires relève en effet pleinement du développement de ceux-ci, et même de leur développement durable.

M. Jean Launay, rapporteur, a exposé qu'en proposant cette question à la réflexion de la Délégation, les rapporteurs avaient bien l'intuition de l'existence d'un lien entre développement culturel et attractivité d'un territoire. En effectuant, dans le cadre du présent rapport d'information, nombre de déplacements, notamment dans des départements ruraux, ils ont pu conforter ces intuitions par des constats et conclure à la réalité de ce lien. Il ne s'agissait pas pour eux, en effet, de souligner les difficiles conditions de la conduite d'actions de développement culturel dans ces territoires, mais bien mais bien, au vu du travail qui y est fait en matière culturelle, de voir comment ce travail contribuait à développer leur dynamisme et leur attractivité.

Nombre de collectivités locales, communes, communautés de communes, départements et régions, ont fait de la culture un des axes de leur action, pouvant représenter jusqu'à 15 % de leur budget. Il s'agit de services aux populations (financement d'écoles de musique, de danse, d'équipements culturels), mais aussi de réalisations destinées aux loisirs culturels de populations extérieures au territoire monuments, musées, festivals d'été. La question est donc de savoir quel est l'effet de ces dépenses, et si elles produisent de l'activité et du développement pour les territoires où elles sont conduites.

Les rapporteurs ont mené de larges consultations : auprès d'universitaires, spécialistes de l'économie de la culture, auprès de responsables des ministères. Ils ont également fait plusieurs déplacements, au cours desquels ils ont entendu élus locaux, responsables d'équipements culturels, militants associatifs ; ceux-ci leur ont exposé leur action et les résultats qu'ils obtiennent. La Délégation a enfin auditionné le ministre de la culture.

M. Jean Launay a alors exposé les conclusions des rapporteurs. La première est que pour les territoires, la culture est un outil de développement. Le présent rapport permet d'affirmer clairement que les atouts culturels d'un territoire font partie de ses éléments de développement. Les pratiques culturelles créent du lien social et de l'emploi culturel. Elles font évoluer aussi les référentiels culturels. A une époque où l'économie intègre de plus en plus de culture, où, dans le domaine culturel les demandes sont les mêmes quel que soit le territoire, une vie culturelle dynamique crée de l'attractivité pour un territoire. La valorisation du patrimoine culturel d'un territoire, monuments, musées, festivals, peut aussi créer de l'activité économique pour celui-ci, notamment en termes de tourisme culturel. Certes, il y a des règles pour le succès de cette valorisation, qu'il s'agisse de tourisme monumental ou de festivals. Le rapport les présente longuement. L'action culturelle dans un territoire est cependant clairement un facteur de développement pour celui-ci. S'inscrivant comme un support continu de son potentiel, elle en est même un facteur de développement durable. De ce fait, pour le développement des territoires, de même qu'il existe une fracture numérique, il peut exister une fracture culturelle.

L'engagement important des collectivités locales, et notamment des communes, dans le domaine de l'action culturelle est donc légitime. Il est fondé pour elles de mener des politiques culturelles et d'y consacrer des budgets conséquents.

La deuxième conclusion est que l'absence de mesure de l'effort culturel des territoires est incompréhensible. Le caractère incontournable, stratégique même selon les propos du ministre de la culture et de la communication devant la Délégation, de l'attractivité culturelle d'un territoire pour son développement rend particulièrement incompréhensible l'absence d'instruments de mesure fonctionnels de l'effort fait et des résultats obtenus en ce domaine par les acteurs publics, et tout particulièrement les collectivités locales Aujourd'hui, en 2006, pour se faire une idée approximative de la dépense publique en matière culturelle, il faut exploiter des données recueillies en 1996. Certes, la publication d'une étude plus récente est imminente, le ministre de la culture et de la communication en a même donné la primeur à la Délégation. Cependant les données analysées continuent à ne concerner que les communes de plus de 10 000 habitants. Il n'y a pas de données disponibles pour celles de moins de 10 000 habitants, où vit pourtant la moitié de la population française. De l'avis des rapporteurs, il ne s'agit pas d'une lacune mineure. Elle rend invisible une part considérable de la demande sociale et des efforts du pays en matière culturelle. Les rapporteurs considèrent aussi qu'il y a là une forme de négation ou d'absence de reconnaissance du fait associatif.

La troisième conclusion des rapporteurs est que l'action des pouvoirs publics est mal coordonnée et parfois disparate. L'organisation de l'action publique pour la culture dans les territoires laisse à désirer. Il arrive que des collectivités de niveau différent mènent, dans le même domaine, chacune sa politique ; un département et la région dont il relève peuvent ainsi avoir chacun une politique envers les festivals, sans que ces politiques soient coordonnées.

Toutes les collectivités locales n'ont pas non plus les compétences pour comprendre l'intérêt, pour un territoire, de disposer d'un réseau de pratiques culturelles, ou de valoriser un patrimoine. Elles n'ont pas forcément non plus l'ingénierie humaine nécessaire à la mise en oeuvre de tels projets ou dispositifs ; or ceux-ci, les projets de tourisme culturel notamment, peuvent comporter des risques qu'il faut connaître et maîtriser.

La quatrième conclusion est que l'Etat est largement absent de 1'aménagement culturel du territoire. Eu égard aux enjeux, cette absence paraît étrange. De ce fait, la politique culturelle de l'Etat n'est aucunement, aujourd'hui, une politique d'aménagement du territoire. Les conservatoires et écoles nationales de musique forment au mieux un maillage urbain ; un tel maillage n'existe même pas en matière de spectacle vivant ou de danse. L'Etat est inexistant ou presque pour tout ce qui relève des pratiques amateurs. Quant à son action en matière de patrimoine, elle va d'abord là où est le prestigieux patrimoine qui lui appartient et est donc indifférente à l'aménagement du territoire.

Cette situation est corrélée avec les graves insuffisances statistiques relevée ci- dessus. Tant que l'Etat ne pourra pas avoir une vision à peu près complète de la répartition de l'effort culturel sur le territoire, le ministère de la culture ne pourra pas sortir du statut d'une sorte d'agence culturelle nationale, et ne pourra pas envisager de devenir le ministère de l'aménagement culturel du territoire, alors qu'il y a là pour lui un champ d'action légitime, nécessaire et attendu.

Ainsi, l'Etat, dans le domaine de la culture, n'est absolument pas, pour le développement de l'attractivité et des réussites des territoires, un Etat stratège, alors qu'il pourrait fixer des orientations, dynamiser les actions locales, améliorer leur cohérence, valoriser leurs résultats. Il y a là une situation insatisfaisante.

Enfin, cinquième conclusion, les rapporteurs considèrent que cette situation a des conséquences dommageables pour les territoires. En effet le maillage culturel et le professionnalisme des acteurs, culturels ou institutionnels, peuvent ainsi être extrêmement disparate selon les territoires, sans qu'il y ait, de plus, d'éléments pour en rendre compte. Ensuite, le positionnement de l'Etat introduit des ruptures permanentes au sein des territoires, et empêche une gestion culturelle harmonieuse.

Cela vaut aussi bien pour les pratiques culturelles que pour la mise en valeur du patrimoine. Il y a un monde entre les exigences des écoles nationales de musique et l'enseignement auquel peuvent accéder les enfants du monde rural. Il n'y a même pas de système de repères pour situer l'enseignement amateur par rapport aux exigences des écoles d'Etat. Dans chaque territoire, le grand patrimoine est géré par l'Etat comme un trésor à restaurer et à admirer, tandis que le patrimoine local, plus petit, est laissé aux collectivités, qui ont parfois du mal à le valoriser malgré leurs efforts, alors même qu'on peut trouver au fond des réserves des musées nationaux des pièces que des musées départementaux auraient profit à exposer.

Mme Henriette Martinez, rapporteure, a alors présenté huit axes d'action pour valoriser l'action culturelle au profit du développement du territoire. Un premier remède à la situation constatée, notamment aux disparités, est de travailler en réseau. Les échanges d'information, les comparaisons d'actions, doivent être systématiquement organisées, au niveau des acteurs culturels, mais aussi des collectivités. Un réseau des associations départementales de développement des arts fonctionne ainsi spontanément; il en est de même des artisans d'art; un réseau européen des villes neuves médiévales est en cours de constitution. Il s'avère aussi que dès qu'un réseau se constitue, il se crée une dynamique.

Les collectivités publiques devraient donc mieux échanger sur leurs actions, les tenants et aboutissants de celles-ci, leurs objectifs, leurs difficultés et leurs résultats. L'action culturelle n'est pas encore suffisamment identifiée comme un élément important et structurant des politiques locales. Trop souvent, faute d'identification de son importance, elle est l'élément secondaire des politiques publiques locales.

Le deuxième axe d'action est de traiter l'action culturelle dans le cadre de projets de territoires. La concertation doit aussi se développer territoire par territoire. L'action culturelle devrait être formulée par les acteurs publics dans le cadre de projets de territoire, Sur un territoire, que veulent obtenir les communes, le département, la région ? Quels seraient les souhaits de l'Etat? Comment ensemble arriver au résultat souhaité ? Il y a pour les territoires, la nécessité de s'accorder dans ce domaine sur des objectifs et des ambitions. La concertation est indispensable. Compte tenu de la situation actuelle, elle peut du reste avoir aussi des effets de rationalisation.

La question des charges de centralité est un problème récurrent, et d'autant plus difficile qu'il touche de petites communes centres, tandis que les bourgs ruraux qui les entourent mettent en avant les équipements qu'elles offrent et en même temps les faibles charges fiscales qu'eux-mêmes imposent. Les bourgs centres s'épuisent à financer des équipements pour les mettre à la disposition de tous. Il y a donc des organisations territoriales à trouver. Des dispositifs d'aides non coordonnées pourraient aussi être rationalisés.

A ces fins, la création par l'État de la notion de schéma de développement culturel, dont l'élaboration est confiée au département, est certainement un outil qui mérite d'être exploité par ceux-ci. Certains ont même anticipé la démarche.

Un troisième axe d'action est de mieux prendre en compte la valeur d'usage. L'approche en termes de projet de territoire vaut aussi pour les monuments historiques. Les monuments les plus importants créent par eux-mêmes du développement. Les autres doivent donc être abordés aussi de façon à en produire. La notion de valeur d'usage doit prendre sa place dans les projets de restauration des monuments. Le château de Versailles a une valeur d'usage : il est occupé à l'année par 3 millions de touristes, qui y forment une présence continue. Le patrimoine plus petit ne peut avoir le même contenu de valeur d'usage. Il faut donc que les projets lui en affectent une, de façon inventive. De ce point de vue, la restauration des arènes d'Arles est un bon exemple, celle du château de Stanislas à Commercy ou de l'Espace Rohan à Saverne aussi.

Un quatrième axe d'action consiste à intégrer l'action culturelle dans des outils de contractualisation. Outil de développement des territoires, la culture doit pouvoir s'insérer dans les outils traditionnels de la contractualisation. Des projets culturels doivent pouvoir figurer dans les volets territoriaux des contrats de projets Etat-régions et, que ce soient des équipements destinés à la population ou des projets touristiques, figurer dans des demandes de crédits européens. Cela existe mais le ministère de la culture aurait intérêt à développer ces procédures.

L'intégration de certains projets fondés sur du tourisme culturel ou de l'artisanat d'art au sein des « pôles d'excellence rurale » est un premier pas. Mais ces pôles forment simplement aujourd'hui une opportunité. Il faut que la contractualisation puisse être un mode de développement pérenne en matière de culturel. Le plan Patrimoine antique conclu entre l'État, la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, les conseils généraux et les communes propriétaires, sur 10 ans (1999-2009) et pour 110 millions d'euros, est un bon exemple de ce qui peut être fait.

Mettre en oeuvre la péréquation constitue le cinquième axe d'action préconisé par les rapporteurs. L'intégration de l'action culturelle dans l'aménagement du territoire doit amener à y introduire aussi la logique de la péréquation. Les territoires défavorisés doivent pouvoir en bénéficier aussi dans ce domaine. Leur pauvreté n'est pas une pauvreté culturelle ; c'est une pauvreté de moyens. Par ailleurs les suppléments de coûts ne concernent pas les événements ou les équipements eux-mêmes ; en zone de montagne, ce sont les coûts de transport qui grèvent les projets. Il ne faut pas que rien ne soit possible parce que l'importance du budget des transports rend un projet inaccessible à une commune au regard de sa taille.

Le sixième axe d'action consiste à développer les dispositifs de repères. Même impécunieux, l'Etat peut être utile en élaborant des instruments de repère et de classification. La loi n° 2004-908 qui prévoit ainsi une classification des écoles de musique, hors de tout dispositif de critères de reconnaissance excluant les établissements qui ne les remplissent pas, va ainsi dans le bon sens. Le dispositif des villes et pays d'art et d'histoire élaboré par la direction de l'architecture et du patrimoine est aussi un utile instrument de labellisation.

Il faut également élaborer un dispositif statistique fonctionnel. Parmi les outils de repères que l'Etat doit pouvoir mettre en place figure un dispositif statistique national précis et régulièrement remis à jour. L'élaboration d'un tel dispositif est indispensable. Son absence a des conséquences trop dommageables à la fois sur la connaissance de l'effort national en matière culturelle, la reconnaissance de celui des communes de moins de 10 000 habitants, c'est-à-dire de la moitié de la population, et les capacités de déploiement et d'orientation du ministère de la culture. Alors que l'Etat dispose, avec l'INSEE, d'un instrument performant et reconnu, cette situation est incompréhensible.

Enfin, huitième axe d'action, il faut agir en faveur de l'artisanat d'art. Les métiers d'art constituent un potentiel de grand intérêt. Ce sont des métiers pour lesquels on peut se passionner, gagner sa vie et construire des carrières professionnelles et humaines. Pour les territoires, ils offrent aussi le grand intérêt d'être des métiers qui n'imposent pas une localisation à ceux qui les exercent. Il y a des territoires, comme la commune de Mont-Dauphin, qui ont pu revivre grâce à l'implantation d'artisans d'art. Or, les métiers d'art sont mal connus ; leur potentiel aussi ; les formations ne sont pas toujours identifiées ; enfin, leur statut administratif est souvent confus et leur activité mal soutenue. Il y a donc, de la part de l'Etat et des collectivités locales, un effort de rationalisation à fournir. Cet effort a été entamé. Il faut le poursuivre. Il faut mieux présenter aux jeunes les potentiels de ces métiers. Il faut flécher les formations. Il faut soutenir les réseaux professionnels, leur fournir des guichets administratifs clairement identifiables et efficaces, et un appui à l'exportation.

En conclusion Mme Henriette Martinez a exposé que l'aide demandée par les territoires ruraux n'était pas d'abord composée de subventions, mais d'aides à l'organisation, de dispositifs d'évaluation, bref de mesures et d'instruments qui puissent leur servir de levier pour permettre à leurs populations d'avoir accès à la culture dans les mêmes conditions que les citadins.

Un débat a suivi l'exposé des rapporteurs.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont s'est félicitée du rapport présenté, qu'elle a trouvé très travaillé et très fouillé. L'intégralité des problématiques de la culture sur les territoires s'y trouve prise en compte. On ne peut qu'être d'accord avec les questions posées et les pistes proposées. Ce rapport sera un élément de référence pour la conduite des politiques culturelles du conseil général qu'elle préside.

Le caractère dommageable de l'absence, de longue date, de l'Etat dans les politiques culturelles des territoires devait être souligné. La conjoncture financière des collectivités locales est tendue, et ce sans doute durablement. Or, une enquête le montre, c'est aujourd'hui l'action culturelle qui en pâtit le plus. Les ressources pour faire face sont souvent recherchées dans le budget consacré à la culture. Il est indispensable que l'Etat retrouve une place centrale dans ce domaine non seulement pour contribuer au financement des actions, mais aussi pour rationaliser les interventions des collectivités locales.

Le domaine de l'action culturelle doit aussi entrer dans la contractualisation. La disparition du volet touristique au sein des contrats de projets Etat-régions est regrettable. Il faudrait le rétablir et y allier un volet consacré au développement culturel. Investir dans le développement culturel des territoires ruraux est important pour l'attractivité de ces territoires et pour contrer la déprise démographique. Par ailleurs, cela crée un impact corrélatif sur l'économie locale.

Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont a enfin jugé que, en élaborant un tel rapport, la Délégation était au coeur de la mission pour laquelle elle avait été créée.

M. André Chassaigne s'est déclaré particulièrement satisfait de l'élaboration d'un tel rapport. A sa lecture, on voit reprises les problématiques que les élus rencontrent tous sur le terrain. Indiscutablement, le rapport répond à ces questions.

Le développement culturel diffus en milieu rural répond à une exigence grandissante. En deux décennies on est passé dans les territoires ruraux d'un demande d'animation culturelle à une demande de développement culturel. Cette évolution est certes liée à l'installation dans ces territoires de nouveaux habitants, les néo-ruraux, niais aussi à la conviction que la qualité de vie sur les territoires ruraux inclut désormais la culture, et ce non seulement en ternies de diffusion, en possibilité d'assister à des spectacles par exemple, mais également en termes de pratique ; les questions relatives aux écoles de musique le prouvent.

La culture est un élément essentiel pour l'aménagement du territoire. Souvent la recherche d'un développement culturel est la clé d'entrée du développement. Il est arrivé souvent que des chartes de territoires soient élaborées à partir de préoccupations de développement culturel. Ainsi dans le cas du parc naturel régional du Livradois-Forez, le projet de développement culturel, par la mise en place de réseaux dans les domaines du théâtre, de la musique, de la lecture, a été presque le point d'ancrage, le point de l'identification de la population au territoire.

Il faut insister sur la nécessité, dans ce domaine, de travailler en réseau. Sur ce point il faut rappeler l'existence d'un réseau de collectivités locales, la Fédération nationale des collectivités locales pour la culture (FNCC) ; la FNCC réunit des communes, des conseils généraux et des conseils régionaux de toute sensibilité politique ; elle fonctionne bien, mais demande à être mieux connue.

La place de l'Etat dans l'affirmation et le développement des politiques culturelles locales est très insuffisante. L'Etat doit pouvoir intervenir non seulement à travers des subventions, mais aussi à travers la fourniture de capacités d'ingénierie aux projets mis en place par les acteurs locaux. Les conditions actuelles d'intervention produisent des effets dramatiques. Des dispositifs sont mis en place avec des aides incitatives de l'Etat. Celles-ci, après quelques années, disparaissent. Or, bien souvent, le milieu rural n'a pas les moyens de faire fonctionner le dispositif une fois les aides disparues. En conséquence, soit celui-ci s'arrête, soit les communes se tournent vers les conseils généraux et les conseils régionaux ; cependant, l'intervention de ceux-ci n'est pas plus que celle de l'Etat une intervention au long cours ; ils offrent des aides au lancement de projets, aides qui disparaissent ensuite ; ils financent des événements ; ils laissent en déshérence l'action diffuse continue.

Enfin, la méconnaissance de la réalité induite par le dispositif de recueil statistique, est tout à fait regrettable. Le milieu rural mène effectivement une action culturelle, notamment, mais pas seulement, par le moyen des intercommunalités et des parcs naturels régionaux. Cette action devrait être reconnue et mesurée.

Le président Émile Blessig s'est d'abord félicité que ce travail parlementaire ait été élaboré dans le cadre de la Délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire. La Délégation dispose d'une légitimité à mettre en perspective, compte tenu de la décentralisation, un certain nombre de facteurs de développement qui doivent s'inscrire collectivement dans le sens d'un progrès pour les territoires.

Il a ensuite fait observer que la culture était marquée d'une part par une très grande hétérogénéité des actions conduites, et ensuite par le fait qu'elle était facilement la variable d'ajustement des budgets des collectivités territoriales. La raison en est sans doute qu'il n'y a pas suffisamment de réflexion, en amont des actions, sur la place de la culture dans la société. Sur ce point, la structure du rapport est très intéressante : le rapport distingue bien d'une part ce qui tient à la vie culturelle des territoires, et de l'autre ce qui relève de l'économie culturelle comme facteur de développement d'un territoire. Or, l'action culturelle mélange sans cesse ces deux domaines. Ainsi, les festivals relèvent non pas de la vie culturelle des territoires, mais bien de l'économie culturelle. Ce qui relève de la vie culturelle, c'est l'offre de spectacles, l'animation culturelle, le soutien à la créativité, à l'année. Relèvent en revanche de l'économie culturelle non seulement les festivals, qui sont des événements ponctuels, mais l'ensemble du tourisme culturel et enfin également les métiers d'art. Les métiers d'art constituent toute une suite de niches de marché à promouvoir ; cette richesse est présente sur tous les territoires.

Dans ce contexte, le travail en réseau est nécessaire d'une part entre collectivités mais aussi entre collectivités et acteurs. Quant à l'Etat, son rôle devrait être celui d'un État stratège, améliorant les conditions de travail en réseau, voire imposant des critères aboutissant de fait à obliger ceux qui ne veulent pas travailler en réseau à le faire.

Par ailleurs la question de l'action culturelle décentralisée est peu abordée dans les travaux parlementaires, du fait sans doute que c'est une matière difficile à saisir, car dispersée et complexe. Les rapporteurs ont ainsi fait un travail de clarification extrêmement important. Ce rapport pourra servir aux élus, nationaux et locaux, de fil conducteur pour leur action culturelle.

Remerciant les intervenants, M. Jean Launay, rapporteur, a souligné l'importance, pour la vitalité culturelle des territoires, du tissu associatif et donc du bénévolat. La professionnalisation est très marginale par rapport à la capacité d'implication personnelle de beaucoup. La dynamique culturelle sur les territoires, dont les rapporteurs ont mesuré qu'elle se met en réseau, ne doit pas masquer la fragilité financière des actions ainsi menées. En mettant leur travail en exergue, on rend justice à l'action des associations et des bénévoles. Mais il est aussi nécessaire de les accompagner.

Mme Henriette Martinez, rapporteure, a rappelé que le rapport citait un très grand nombre d'exemples concrets, et que ceux-ci se recoupent quels que soient les territoires. La dynamique culturelle a pour point de départ l'action d'associations composées de bénévoles soutenue par des collectivités locales. Cependant, il y a un moment où cette dynamique s'essouffle : quand le projet prend de l'ampleur, le bénévolat n'arrive plus à l'assumer et le dispositif s'effondre. Quel que soit l'immense travail fourni par les bénévoles et sa qualité, le bénévolat est trop fragile pour permettre le développement des projets culturels dans la durée. Il y a donc une organisation à trouver. Les intercommunalités permettent déjà d'assurer un maillage important pour organiser des stratégies de développement culturel. Mais il faut aller plus loin. Elles doivent pouvoir s'appuyer sur les collectivités plus importantes, départements et régions. La question des transports a déjà été évoquée. Elle est insoluble au seul niveau intercommunal.

Enfin, il est vrai que les rapporteurs auraient pu chercher, plus qu'ils ne l'ont fait, à rencontrer des réseaux. La FNCC fournit un travail d'excellente qualité. Cependant, les rapporteurs, pour ce rapport, ont voulu d'abord aller au plus près des acteurs, et voir sur chaque terrain comment se passaient concrètement les choses en matière d'action culturelle. Ils ont d'abord voulu se donner les moyens de dégager eux-mêmes une vision d'ensemble et d'en faire une synthèse de première main à l'attention de leurs collègues députés et des élus locaux.

La Délégation a alors adopté, à l'unanimité, les conclusions présentées par les rapporteurs sur l'action culturelle diffuse, instrument de développement des territoires.

CONCLUSIONS ADOPTÉES PAR LA DÉLÉGATION

1. Pour les territoires, la culture est un outil de développement

Le présent rapport permet de l'affirmer clairement, les atouts culturels d'un territoire font partie de ses éléments de développement.

Les pratiques culturelles créent du lien social et de l'emploi culturel. Elles font évoluer aussi les référentiels culturels. A une époque où l'économie intègre de plus en plus de culture, où, dans le domaine culturel les demandes sont les mêmes quel que soit le territoire, une vie culturelle dynamique crée de l'attractivité pour un territoire. La valorisation du patrimoine culturel d'un territoire, monuments, musées, festivals, peut aussi créer de l'activité économique pour celui-ci, notamment en termes de tourisme culturel. Certes, il y a des règles pour le succès de cette valorisation, qu'il s'agisse de tourisme monumental ou de festivals. L'action culturelle dans un territoire est cependant clairement un facteur de développement pour celui-ci. S'inscrivant comme un support continu de son potentiel, elle en est même un facteur de développement durable.

En ce sens, pour le développement des territoires, de même qu'il existe une fracture numérique, il peut exister une fracture culturelle.

L'engagement des collectivités locales, et notamment des communes, dans le domaine de l'action culturelle est donc légitime. Il est fondé pour elles de mener des politiques culturelles et d'y consacrer des budgets importants.

2. L'absence de mesure de l'effort culturel des territoires est incompréhensible

Le caractère incontournable, stratégique même selon les propos du ministre de la culture et de la communication devant la Délégation, de l'attractivité culturelle d'un territoire pour son développement rend particulièrement incompréhensible l'absence d'instrument de mesure fonctionnel de l'effort fait par les acteurs publics, et tout particulièrement les collectivités locales, en faveur du développement culturel, et de ses résultats. Aujourd'hui, en 2006, pour se faire une idée approximative de la dépense publique en matière culturelle, il faut exploiter des données recueillies en 1996. Certes, la publication d'une étude plus récente est imminente ; le ministre de la culture et de la communication en a même donné la primeur à la Délégation. Cependant les données analysées continuent à ne concerner que les communes de plus de 10 000 habitants. Il n'y a pas de données disponibles pour celles de moins de 10 000 habitants, où vit pourtant la moitié de la population française. De l'avis des rapporteurs, il ne s'agit pas d'une lacune mineure. Elle rend invisible une part considérable des besoins et des efforts du pays en matière culturelle. Il y a aussi là une forme d'absence de reconnaissance du fait associatif.

3. L'action des pouvoirs publics est mal coordonnée et parfois disparate

L'organisation de l'action publique pour la culture dans les territoires laisse aussi à désirer. Il arrive que des collectivités de niveau différent mènent dans le même domaine, chacune sa politique ; un département et la région dont il relève peuvent ainsi avoir chacun une politique envers les festivals, sans que ces politiques soient coordonnées.

Toutes les collectivités locales n'ont pas non plus les compétences pour comprendre l'intérêt, pour un territoire, de disposer d'un réseau de pratiques culturelles, ou de valoriser un patrimoine. Elles n'ont pas forcément non plus l'ingénierie humaine nécessaire à la mise en œuvre de tels projets ou dispositifs ; or ceux-ci, les projets de tourisme culturel notamment, peuvent comporter des risques qu'il faut connaître et maîtriser.

4. L'Etat est largement absent de l'aménagement culturel du territoire

Eu égard aux enjeux, on note aussi une étrange absence, celle de l'État. La politique culturelle de l'État n'est aucunement, aujourd'hui, une politique d'aménagement du territoire. Les conservatoires et écoles nationales de musique forment au mieux un maillage urbain ; un tel maillage n'existe même pas en matière de spectacle vivant ou de danse. L'État est inexistant ou presque pour tout ce qui relève des pratiques amateurs. Quant à son action en matière de patrimoine, elle va là où est le patrimoine qui lui appartient et est donc indifférente à l'aménagement du territoire.

Cette situation est corrélée avec les graves insuffisances statistiques relevée ci-dessus. Tant que l'Etat ne pourra pas avoir une vision à peu près complète de la répartition de l'effort culturel sur le territoire, le ministère de la culture ne pourra pas sortir du statut d'une sorte d'agence culturelle nationale, et ne pourra pas envisager de devenir le ministère de l'aménagement culturel du territoire, alors qu'il y a là pour lui un champ d'action légitime, nécessaire et attendu.

Ainsi, l'État, dans le domaine de la culture, n'est absolument pas, pour le développement de l'attractivité et des réussites des territoires, un État stratège, alors qu'il pourrait fixer des orientations, dynamiser les actions locales, améliorer leur cohérence, valoriser leurs résultats. Il y a là une situation insatisfaisante.

5. Cette situation a des conséquences dommageables pour les territoires

Cette situation a de graves inconvénients. Le maillage culturel et le professionnalisme des acteurs, culturels ou institutionnels, peuvent être extrêmement disparate selon les territoires, sans qu'il y ait, de plus, d'éléments pour en rendre compte. Ensuite, le positionnement de l'État introduit des ruptures permanentes au sein des territoires, et empêche une gestion culturelle harmonieuse.

Cela vaut aussi bien pour les pratiques culturelles que pour la mise en valeur du patrimoine. Il y a un monde entre les exigences des écoles nationales de musique et l'enseignement auquel peuvent accéder les enfants du monde rural. Il n'y a même pas de système de repères pour situer l'enseignement amateur par rapport aux exigences des écoles d'État. Dans chaque territoire, le grand patrimoine est géré par l'État, comme un trésor à restaurer et à admirer, tandis que le patrimoine local, plus petit, est laissé aux collectivités, qui ont parfois du mal à le valoriser alors même qu'on peut trouver au fond des réserves des musées nationaux des pièces que des musées départementaux auraient profit à exposer.

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Une fois ces constatations faites, quelles actions préconiser pour valoriser l'action culturelle au profit du développement du territoire ? La Délégation propose huit axes d'action.

1. Travailler en réseau

Un premier remède à cette situation est de travailler en réseau. Les échanges d'information, les comparaisons d'actions, doivent être systématiquement organisées, au niveau des acteurs culturels, mais aussi des collectivités. Un réseau des associations départementales de développement des arts fonctionne ainsi spontanément ; il en est de même des artisans d'art ; un réseau européen des villes neuves médiévales set en cours de constitution. Il s'avère aussi que dès qu'un réseau se constitue, il se crée une dynamique.

Les collectivités publiques devraient ainsi mieux échanger sur leurs actions, les tenants et aboutissants de celles-ci, leurs objectifs, leurs difficultés et leurs résultats. L'action culturelle n'est pas encore suffisamment identifiée comme un élément important des politiques locales.

2. Traiter l'action culturelle dans le cadre de projets de territoires

La concertation doit aussi se développer territoire par territoire. L'action culturelle devrait être formulée par ses acteurs publics dans le cadre de projets de territoire. Sur un territoire, que veulent obtenir les communes, le département, la région ? Quels seraient les souhaits de l'État ? Comment ensemble arriver au résultat souhaité ?

Il y a pour les territoires, la nécessité de s'accorder dans ce domaine sur des objectifs et des ambitions. La concertation est indispensable. Compte tenu de la situation actuelle, elle peut du reste avoir aussi des effets de rationalisation.

La question des charges de centralité notamment est un problème récurrent, et d'autant plus difficile qu'il touche de petites communes centres, tandis que les bourgs ruraux qui les entourent mettent en avant les équipements qu'elles offrent et, en même temps, les faibles charges fiscales qu'eux mêmes imposent. Les bourgs centres s'épuisent à financer des équipements pour les mettre à la disposition de tous. Il y a des organisations territoriales à trouver. Des dispositifs d'aides non coordonnées pourraient être rationalisés.

A ces fins, la création par l'État de la notion de schéma de développement culturel, dont l'élaboration est confiée au département, est certainement un outil qui mérite d'être exploité par ceux-ci. Certains, on l'a vu, ont même anticipé la démarche.

3. Mieux prendre en compte la valeur d'usage

L'approche en termes de projet de territoire vaut aussi pour les monuments historiques. Les monuments les plus importants créent par eux-mêmes du développement. Les autres doivent donc être abordés aussi de façon à en produire. La notion de valeur d'usage doit prendre sa place dans les projets de restauration des monuments. Le château de Versailles a une valeur d'usage : il est occupé à l'année par 3 millions de touristes, qui y forment une présence continue. Le patrimoine plus petit ne peut avoir le même contenu de valeur d'usage. Il faut donc que les projets lui en affectent une, de façon inventive. De ce point de vue, la restauration des arènes d'Arles est un bon exemple, celle du château de Stanislas à Commercy ou de l'Espace Rohan à Saverne aussi.

4. Intégrer l'action culturelle dans des outils de contractualisation

Outil de développement des territoires, la culture doit pouvoir s'insérer dans les outils traditionnels de la contractualisation. Des projets culturels doivent pouvoir figurer dans les volets territoriaux des contrats de projets État-régions et, que ce soient des équipements destinés à la population ou des projets touristiques, figurer dans des demandes de crédits européens. Cela existe déjà, mais le ministère de la culture aurait intérêt à développer ces procédures.

L'intégration de certains projets fondés sur du tourisme culturel ou de l'artisanat d'art au sein des « pôles d'excellence rurale » est un premier pas. Mais ces pôles forment simplement aujourd'hui une opportunité. Il faut que la contractualisation puisse être un mode de développement pérenne en matière de culturel. Le plan Patrimoine antique conclu entre l'État, la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, les conseils généraux et les communes propriétaires, sur 10 ans (1999-2009) et pour 110 millions d'euros, est un bon exemple de ce qui peut être fait.

5. Mettre en œuvre la péréquation

L'intégration de l'action culturelle dans l'aménagement du territoire doit amener à y introduire aussi la logique de la péréquation. Les territoires défavorisés doivent pouvoir en bénéficier aussi dans ce domaine. Leur pauvreté n'est pas une pauvreté culturelle ; c'est une pauvreté de moyens. Et les suppléments de coûts ne concernent pas les événements ou les équipements eux-mêmes ; en zone de montagne, ce sont les coûts de transport qui grèvent les projets. Il ne faut pas que rien ne soit possible parce que l'importance du budget des transports rend un projet inaccessible à une commune au regard de sa taille.

6. Développer les dispositifs de repères

Enfin, même impécunieux, l'État peut être utile en élaborant des instruments de repère et de classification.

La loi n° 2004-908 qui prévoit ainsi une classification des écoles de musique, hors de tout dispositif de critères de reconnaissance excluant les établissements qui ne les remplissent pas, va ainsi dans le bon sens.

Le dispositif des villes et pays d'art et d'histoire élaboré par la direction de l'architecture et du patrimoine est aussi un utile instrument de labellisation.

7. Elaborer un dispositif statistique fonctionnel

Parmi les outils de repères que l'Etat doit pouvoir mettre en place figure un dispositif statistique national précis et régulièrement remis à jour. L'élaboration d'un tel dispositif est indispensable. Son absence a des conséquences trop dommageables à la fois sur la connaissance de l'effort national en matière culturelle, la reconnaissance de celui des communes de moins de 10 000 habitants, c'est-à-dire de la moitié de la population, et les capacités de déploiement et d'orientation du ministère de la culture. Alors que l'Etat dispose, avec l'INSEE, d'un instrument performant et reconnu, cette situation est incompréhensible.

8. Agir en faveur de l'artisanat d'art

Les métiers d'art constituent un potentiel de grand intérêt pour les territoires. Ce sont des métiers pour lesquels on peut se passionner, gagner sa vie et construire des carrières professionnelles et humaines.

Pour les territoires, ils offrent aussi le grand intérêt d'être des métiers qui n'imposent pas une localisation à ceux qui les exercent.

Les métiers d'art sont mal connus ; leur potentiel aussi ; les formations ne sont pas toujours identifiées ; enfin, leur statut administratif est souvent confus et leur activité mal soutenue. Il y a donc, de la part de l'État et des collectivités locales, un effort de rationalisation à fournir. Cet effort a été entamé. Mais il doit être poursuivi. Il faut mieux présenter aux jeunes les potentiels de ces métiers. Il faut flécher les formations ; il faut soutenir les réseaux professionnels, leur fournir des guichets administratifs clairement identifiables et efficaces, et un appui à l'exportation.

ANNEXES

1. AUDITIONS DES RAPPORTEURS

Le 6 décembre 2005

- M. Jean-Christophe Martin, directeur du commerce, de l'artisanat, des services et des professions libérales au ministère des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et des professions libérales

Le 20 décembre 2005

- M. Christian Mantei directeur général d'ODIT-France (Observation, Développement et Ingénierie touristique-France)

Le 21 décembre 2005

- M. Jérôme Bouët, directeur de la musique, de la danse, du théâtre et des spectacles au ministère de la culture et de la communication.

- M. Michel Clément, directeur de l'architecture et du patrimoine au ministère de la culture et de la communication.

2. DÉPLACEMENT À COMMERCY (MEUSE)

(jeudi 19 janvier 2006)

● Accueil et visite des lieux culturels aménagés par la municipalité : Château, Bibliothèque Municipale, Maison de la musique (Ecole Municipale de Musique Agréée), Prieuré de Breuil.

- M. François Dosé, maire de Commercy, député de la Meuse

- Mme Anne-Laure Arondel, première adjointe au maire, en charge de la vie scolaire et associative

- Mme Antoinette Parente, adjointe au maire, en charge de la vie culturelle

● Rencontre avec Mme Claudie Ricci, inspectrice de l'Education Nationale (Circonscription de Commercy) et plusieurs directeurs d'école et instituteurs, sur la mise en œuvre du plan local d'éducation artistique (PLEA).

● Déjeuner de travail

§ Les membres du groupe de pilotage du plan local d'éducation artistique

Ville de Commercy

- M. François Dosé, maire de Commercy, député de la Meuse

- Mme Anne-Laure Arondel, première adjointe au maire

- Mme Antoinette Parente, adjointe au maire

- M. Louis-Alexis Gauroy, Directeur du service culturel, sportif, scolaire de la ville de Commercy

- Mme Francine Quinot,  chargée du suivi du PLEA, service culturel

- M. Jean-Louis Pirlot, président de l'Office Municipal d'Animations - structure financièrement porteuse du PLEA

Services de l'Etat

- Mme Claudie Ricci, Inspectrice de l'Education nationale - circonscription de Commercy

- M. Claude Woimbée, délégué académique à l'action culturelle du rectorat

- M. Mario Kempf, proviseur du Lycée Henri Vogt

- M. Daniel Arnould, principal du Collège des Tilleuls

- Mme Monique Cherrier, Chargée de l'éducation artistique à la Direction Régionale des Affaires culturelles de Lorraine

Services du Conseil général

- M. Jean- Pierre Hélas, Chargé des affaires culturelles et sportives du Conseil Général de la Meuse

- Mme Elisabeth Pirlot, coordinatrice du PLEA de Commercy.

§ Les maires de la communauté de communes qui participent à un PLEA « élargi »

- M. Jacques Dodo, maire de Lérouville

- M. Alain Ferioli, Maire d'Euville

- M. Guy Panard, Maire de Boncourt sur Meuse

- Mme Danièle Combe, Maire de Vignot

● Rencontre-bilan avec les principaux acteurs du PLEA présents au déjeuner de travail.

3. DÉPLACEMENT À CAHORS (LOT)

(lundi 23 janvier 2006)

● Déjeuner de travail avec M. Paul Jardillier, directeur général des services du Conseil général du Lot.

● Réunion sur la politique culturelle du Conseil général

- M. André Bargues conseiller général du Lot, président de l'Association départementale pour le développement des arts (ADDA) ;

- M. Marc Philipon, directeur de l'ADDA ;

- M. Nicolas Bru, chargé de mission « patrimoine » au Conseil général.

● Réunion avec les représentants du Conseil général et les associations culturelles lotoises

- M. Gérard Amigues, vice-président du Conseil général du Lot, chargé de la culture et du patrimoine ;

- M. André Bargues, conseiller général du Lot, président de l'Association départementale pour le développement des arts (ADDA) ;

- Mme Annie Besserve, chef du service culture au Conseil général

- M. Marc Philipon, directeur de l'ADDA.

- Mme Denise Bargues, présidente de l'association Arcade ;

- M. Jean-Louis Barrial, Fédération musicale du Lot ;

- M. Dominique Bex, association « Arzimuth » ;

- M. Cédric Brossard, compagnie « Carré Brune » ;

- M. Etienne Charasson, association « Lectures et Lecteurs » ;

- M. Germinal Climent, directeur du Centre culturel intercommunal de Figeac ;

- M. Frédéric Collin, festival « Assier dans tous ses états ».

- M. Bruno Graziana, réseau Chaînon ;

- Mme Michèle Griffault, présidente du Comité départemental de théâtre et des arts vivants ;

- Mme Christiane Guiochet, association « Evidance » ;

- Mme Régine Lacan, présidente du festival « Africajarc » ;

- M. Edmond Puech, chef de musique de l'harmonie de Puy l'Evêque ;

- M. Jean-Bernard Solignac, président de la Fédération des sociétés musicales et artistiques du Lot ;

- Mme Maguy Vayssouze, présidente de la Fédération départementale des foyers ruraux.

● Rencontre sur les métiers d'art

- M. Bertrand Cattiaux, facteur d'orgues.

4. DÉPLACEMENT À SAVERNE (BAS-RHIN)

(jeudi 9 février 2006)

(M.  Emile Blessig, Président de la Délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire, député et conseiller général du Bas-Rhin, a participé à l'ensemble des entretiens).

● Réunion avec les représentants du Conseil général et du Conseil régional
et les associations culturelles de Saverne.

- M.  Jean-Laurent Vonau, vice-président du Conseil général du Bas-Rhin, chargé de la culture ;

- Mme  Véronique Kimmel, directrice du service culture et sports du Conseil général du Bas-Rhin ;

- Mme  Christiane Steiner, responsable du pôle « développement culturel » au Conseil régional d'Alsace ;

- Mme  Florence Hugodot, présidente de l'Espace Rohan à Saverne ;

- M.  Claude Forst, directeur de l'Espace Rohan à Saverne ;

- M.  Gilbert Huttler, principal du collège de Bouxwiller et membre du Bureau de l'Espace Rohan ;

- Mme  Danielle Archen, directrice de l'Ecole municipale de musique de Saverne ;

- M.  Pierre Diependaële, directeur du Théâtre du Marché aux Grains de Bouxwiller ;

- M. Louis Ziegler, Compagnie de danse « Le Grand Jeu » ;

● Réunion avec les responsables des Scènes du Nord-Alsace

- Mme  Florence Hugodot, présidente, et M. Claude Forst, directeur de l'Espace Rohan de Saverne ;

- M. Philippe Prost, directeur du Relais culturel de Wissembourg ;

- M.  Tarcisse Schmitt, directeur du Relais culturel de Niederbronn-les-Bains ;

- M. Christian Winterhager, directeur de la MAC-Bischwiller (Maison des associations et de la culture - Bischwiller) ;

- M.  Pascal Hachard, directeur de la Castine de Reichshoffen ;

- M.  Daniel Chapelle, directeur du Relais culturel de Haguenau ;

- M.  Alain Sandoval, directeur de l'Espace Athic d'Obernai ;

● Réunion avec la Fédération régionale des métiers d'art d'Alsace (FREMAA)

- M.  Damien Lecourt, ébéniste, membre du Bureau de la FREMAA ;

- Mme  Isabelle Bossert, chargée de mission ;

- Mme  Ninon de Rienzo, chargée de projet.

5. DÉPLACEMENT À SÉLESTAT (BAS-RHIN)

(jeudi 9 février 2006)

- M.  Jean-Paul Humbert, directeur des Tanzmatten de Sélestat et président du festival « Décibulles » ;

- Mme  Rachel Graeber, chargée du développement culturel territorial à l'Agence culturelle d'Alsace.

6. DÉPLACEMENT À LARAGNE-MONTÉGLIN (HAUTES-ALPES)

(lundi 3 avril 2006)

● Réunion avec des représentants du Conseil général, des municipalités et des associations culturelles du département.

- M. Auguste Truphème, président du Conseil général,

- M. Richard Siri, vice-président du Conseil général chargé des affaires culturelles,

- M. Alexandre Girardin, directeur du CDMDT 05 (Centre départemental musique, danse, théâtre 05),

- Mme Claire Lamy de Bonnault, directrice de la bibliothèque départementale de prêt,

- Melle Anastasia Iline, directrice des Archives départementales,

- Mme  Frédérique Verlinden, conservatrice du Musée départemental,

- M. Gérard Calvisi, conseiller municipal de Gap délégué à la culture,

- M. Jean-Louis Dangauthier, directeur du service des affaires culturelles de la ville de Gap,

- M. Gilbert Fiorletta, maire de Mont-Dauphin, membre du Réseau des sites majeurs de Vauban,

- M.  Jean-Claude Gast, maire de St. Julien en Beauchêne, président de l'Association de sauvegarde du patrimoine des pays du Buëch,

- M. Eric Ranger, président de l'École de musique du Buëch,

- Mme Christine Michel, directrice de l'École de musique du Buëch,

- Melle Nathalie Nicolas, chargée de mission Écomusée du Buëch,

- M. Marc Lourdaux, président du Festival de musique de Chaillol,

- M. Bruno Faure, président du QUASAR,

- M. Serge Cagnard, directeur du Live Café,

- M. Jean-Pierre Janco, président de la Commission du film des Alpes du sud,

- Mme  Valérie Rossi, directrice de la Commission du film des Alpes du sud,

- M. Robin Vargoz, président de Pile ou Versa,

- M. Pierre Lefeuvre, Compagnie de théâtre des Ondes contiguës.

7. LOI N° 2004-809 DU 13 AOÛT 2004 RELATIVE AUX LIBERTÉS
ET RESPONSABILITÉS LOCALES (extraits)

(...)

TITRE IV

L'ÉDUCATION, LA CULTURE ET LE SPORT

(...)

CHAPITRE III

Les enseignements artistiques du spectacle

Article 101

I. - L'article L. 216-2 du code de l'éducation est ainsi rédigé :

« Art L 216-2. - Les établissements d'enseignement public de la musique, de la danse et de l'art dramatique dispensent un enseignement initial, sanctionné par des certificats d'études, qui assure l'éveil, l'initiation, puis l'acquisition des savoirs fondamentaux nécessaires â une pratique artistique autonome., Ils participent également â l'éducation artistique des enfants d'âge scolaire. Ils peuvent proposer un cycle d'enseignement professionnel initial, sanctionné par un diplôme national.

« Ces établissements relèvent de l'initiative et de la responsabilité des collectivités territoriales dans les conditions définies au présent article.

« Les communes et leurs groupements organisent et financent les missions d'enseignement initial et d'éducation artistique de ces établissements. Les autres collectivités territoriales ou les établissements publics qui gèrent de tels établissements, â la date de publication de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, peuvent poursuivre cette mission ; ces établissements sont intégrés dans le schéma départemental.

« Le département adopte, dans un délai de deux ans à compter de l'entrée en vigueur de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, un schéma départemental de développement des enseignements artistiques dans les domaines de la musique, de la danse et de l'art dramatique. Ce schéma, élaboré en concertation avec les communes concernées, a pour objet de définir les principes d'organisation des enseignements artistiques, en vue d'améliorer l'offre de fbrmation et les conditions d'accès â l'enseignement. Le département fixe au travers de ce schéma les conditions de sa participation au financement des établissements d'enseignement artistique au titre de l'enseignement initial.

« La région organise et finance, dans le cadre du plan visé â l'article L. 214-13, le cycle d'enseignement profèssionnel initial.

« L'État procède au classement des établissements en catégories correspondant â leurs missions et â leur rayonnement régional, départemental, intercommunal ou communal. Il définit les qualifications exigées du personnel enseignant de ces établissements et assure l'évaluation de leurs activités ainsi que de leur fonctionnement pédagogique. Il apporte une aide technique à l'élaboration du plan mentionné à l'article L. 214-13 et du schéma prévu au présent article.

« Des décrets en Conseil d'État fixent les conditions d'application du présent article. »

II.. - Après l'article L. 2 16-2 du même code, il est inséré un article L.. 2 16-2-1 ainsi rédigé:

« Art L. 216-2-1. - L'État, au vu des plans prévus â l'article L. 214-13 et des schémas prévus à l'article L 216-2, transfère par convention aux départements et aux régions les concours financiers qu'il accorde aux communes pour le fonctionnement des écoles nationales de musique, de danse et d'art dramatique et des conservatoires nationaux de région. Ces concours sont déterminés sur la base de la moyenne des dépenses de l'État à ce titre dans les départements et les régions sur les trois dernières années. »

Article 102

Le titre V du live VII du code de l'éducation est complété par un chapitre IX ainsi rédigé:

« Chapitre IX

« Les établissements d'enseignement supérieur de la musique,

« de la danse, du théâtre et des arts du cirque

« Art. L. 759-1. - Les établissements d'enseignement supérieur dans les domaines de la musique, de la danse, du théâtre et des arts du cirque assurent la formation aux métiers du spectacle, notamment celle des interprètes, des enseignants et des techniciens. Ils relèvent de la responsabilité de l'État et sont habilités par le ministre chargé de la culture à délivrer des diplômes nationaux dans des conditions fixées par décret. »

(...)

TITRE VI

COMPENSATION DES TRANSFERTS DE COMPÉTENCES

(...)

Article 121

(...)

II. - Les ressources précédemment consacrées par l'État à l'exercice des compétences transférées aux collectivités territoriales par le XI de l'article 82 et par les articles 97 et 101 de la présente loi sont intégrées dans la dotation générale de décentralisation et réparties entre les collectivités territoriales désormais compétentes ou leurs groupements désormais compétents dans des conditions déterminées par décret en Conseil d'État.

8. LISTE OFFICIELLE DES MÉTIERS D'ART

(Journal officiel du 27 décembre 2003)

Métiers liés à la création, Métiers liés à la restauration du patrimoine, Métiers de tradition

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9. DÉCRET N° 2006-595 DU 23 MAI 2006 RELATIF À
L'ATTRIBUTION DU LABEL « ENTREPRISE DU PATRIMOINE VIVANT »

Article 1

Le label « entreprise du patrimoine vivant » est attribué à une entreprise immatriculée au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers ou, dans les départements de la Moselle, du Haut-Rhin et du Bas-Rhin, au registre des entreprises et qui exerce une activité de production, de transformation, de réparation ou de restauration. L'entreprise doit être à jour de ses obligations fiscales et sociales.

Les entreprises du secteur agricole et alimentaire qui bénéficie d'un dispositif de signe de qualité prévu par les articles L. 642-1, L. 643-2, L. 644-2 ou L. 645-1 du code rural ne peuvent pas se voir attribuer le label « entreprise du patrimoine vivant ».

Article 2

Le label « entreprise du patrimoine vivant » est attribué par l'autorité compétente aux entreprises qui répondent au moins à un critère dans chacune des catégories de critères 1°, 2° et 3° définies ci-dessous :

1° Critères relatifs à la détention d'un patrimoine économique spécifique :

a) L'entreprise possède des équipements, outillages, machines, modèles, documentations techniques rares ;

b) L'entreprise détient des droits de propriété intellectuelle liés à ses produits, à ses services ou à ses équipements de production ;

c) L'entreprise est titulaire d'un nom ou une marque notoire au moins au plan régional qui peut se traduire par un réseau de clientèle spécifique.

2° Critères relatifs à la détention d'un savoir-faire rare reposant sur la maîtrise de techniques traditionnelles ou de haute technicité :

a) L'entreprise détient exclusivement ou avec un petit nombre d'entreprises un savoir-faire indiscutable et notoire au plan local, national ou international ;

b) L'entreprise détient un savoir-faire qui n'est pas accessible par les voies de formation normales mais par celles dispensées par l'entreprise elle-même ;

c) L'entreprise emploie un ou des salariés détenant un savoir-faire exigeant une très longue formation, difficiles à recruter ou à former.

3° Critères relatifs à la notoriété ou l'ancienneté de l'implantation géographique de l'entreprise :

a) La renommée de l'entreprise tient à une dimension culturelle ou ancestrale, locale, nationale ou internationale qui peut aussi être liée à la valeur historique ou architecturale de ses locaux, de ses équipements de production ou à la nature des produits ou des services qu'elle propose à la vente ;

b) Les produits sont fabriqués ou restaurés à raison de procédés de fabrication spéciaux, loyaux et constants, consacrés par les usages locaux, ou à partir d'un outillage ou de machines conçus spécifiquement dans la zone de notoriété.

Article 3

Les ministres chargés des petites et moyennes entreprises, du commerce et de l'artisanat sont l'autorité compétente mentionnée à l'article 2.

Article 4

La Commission nationale des entreprises du patrimoine vivant est chargée de donner un avis préalable aux ministres sur les demandes d'attribution du label « entreprise du patrimoine vivant ». Un arrêté des ministres mentionnés à l'article 3 en définit la composition et les modalités de fonctionnement.

Article 5

Le secrétariat de la commission est assuré dans les conditions fixées par arrêté des ministres mentionnés à l'article 3. La demande d'attribution du label est adressée au secrétariat de la commission, accompagnée d'un dossier. Un arrêté des ministres mentionnés à l'article 3 définit les éléments que comporte le dossier et qui doivent permettre de vérifier que les conditions mentionnées à l'article 2 sont remplies. Le secrétariat instruit les demandes d'attribution du label et délivre un accusé de réception de la demande d'attribution du label.

Article 6

Le label est délivré pour une durée de cinq ans. La décision des ministres chargés des petites et moyennes entreprises, du commerce et de l'artisanat d'attribution ou de refus du label est notifiée au demandeur.

Le silence gardé pendant quatre mois par le ministre sur une demande d'attribution du label vaut décision de rejet.

Article 7

Les dispositions du présent décret, à l'exclusion de celles de l'article 3, peuvent être modifiées par décret en Conseil d'Etat.

Article 8

A l'annexe du décret du 19 décembre 1997 susvisé, titre II, dans la liste des « décisions administratives individuelles prises par le ministre » et sous la rubrique des « décisions entrant dans le champ des compétences de la direction de l'artisanat », il est ajouté la mention suivante :« Décret n° 2006-595 du 23 mai 2006 relatif à l'attribution du label « entreprise du patrimoine vivant ».

Article 9

Le Premier ministre, le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, le ministre de la culture et la communication et le ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et des professions libérales sont responsables, chacun en ce qui le concerne, de l'application du présent décret, qui sera publié au Journal officiel de la République française.

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N° 3127 - rapport d'information de M. Jean Launay et de Mme Henriette Martinez au nom de la Délégation à l'aménagement et au développement durable du territoire, sur l'action culturelle diffuse, instrument de développement des territoires