N° 3353 - Rapport d'information de M. Pierre Morange sur l'interdiction du tabac dans les lieux publics




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N° 3353

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 4 octobre 2006

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA MISSION D'INFORMATION (1)

SUR L'INTERDICTION DU TABAC DANS LES LIEUX PUBLICS

Président

M. Claude EVIN,

Rapporteur

M. Pierre MORANGE,

Députés.

--

(1) La composition de cette mission figure au verso de la présente page.

La mission d'information sur l'interdiction du tabac dans les lieux publics est composée de :

M. Claude Evin, Président ; MM. Yves Bur, Gérard Bapt, Vice-Présidents ; MM. Philippe Vitel, Jacques Desallangre, Secrétaires ; M. Pierre Morange, Rapporteur ; Mme  Martine Aurillac, MM. Patrick Beaudouin, Pierre Bourguignon, Mme Josiane Boyce, MM. Jacques Briat, Jean-Paul Chanteguet, Gérard Cherpion, Edouard Courtial, Bernard Depierre, Laurent Fabius, Francis Falala, Mmes Paulette Guinchard, Muguette Jacquaint, MM. Olivier JardÉ, Jean-Marie Le Guen, Jean-Claude Lemoine, Lionnel Luca, Georges Mothron, Jean-Marc Nesme, Axel Poniatowski, Frédéric Reiss, André Santini, Pascal Terrasse, Michel Zumkeller.

AVANT-PROPOS 9

INTRODUCTION 13

PREMIÈRE PARTIE - LA NÉCESSITÉ DE RÉFORMER LE RÉGIME JURIDIQUE ACTUEL DE L'INTERDICTION DE FUMER APPARAÎT DÉSORMAIS COMME UNE ÉVIDENCE 17

I.- LE RÉGIME JURIDIQUE ACTUEL D'INTERDICTION DE FUMER EST DÉPASSÉ 17

A. LE DISPOSITIF JURIDIQUE EN VIGUEUR 17

1. La loi du 10 janvier 1991 17

2. Le décret du 29 mai 1992 18

B. LA LOI DU 10 JANVIER 1991 ET SON DÉCRET D'APPLICATION SONT GLOBALEMENT MAL APPLIQUÉS 22

C. LA LOI DE 1991, ET SURTOUT SON DÉCRET D'APPLICATION, COMPORTENT DES FAIBLESSES INTRINSÈQUES 23

1. Les séparations des zones fumeurs et non-fumeurs sont souvent purement virtuelles 23

2. Les normes de ventilation prévues par le décret de mai 1992 sont insuffisantes. 23

3. La logique de répartition des espaces fait l'impasse sur la protection des salariés et sur celle des fumeurs 24

4. La rédaction des dispositions applicables à certains lieux est peu lisible 24

5. Les responsables des infractions ne sont pas clairement identifiés 25

6. Les moyens de contrôle sont insuffisants 25

II.- DES ÉVOLUTIONS SCIENTIFIQUES, JURIDIQUES ET SOCIÉTALES APPELLENT UN NOUVEAU DISPOSITIF 26

A. LA CONNAISSANCE SCIENTIFIQUE SUR LA NOCIVITÉ DU TABAGISME PASSIF A PROGRESSÉ 26

1. La toxicité du tabagisme passif, de mieux en mieux établie, n'est plus niée 26

2. Des associations causales avec plusieurs cancers et avec d'autres pathologies non cancéreuses sont désormais certaines 29

a) Les cancers 29

b) Le risque cardio-vasculaire 30

c) Le risque respiratoire 32

d) La morbidité et la mortalité infantile 32

3. Les chiffres de la mortalité liée au tabagisme passif sont désormais mieux connus, même s'ils doivent être encore affinés. 35

4. Il n'y a pas de niveau d'exposition au tabagisme passif sans risque 36

B. L'ÉVOLUTION DU CADRE JURIDIQUE CRÉE DE NOMBREUX RISQUES 38

1. Les évolutions sont à la fois constitutionnelles, conventionnelles et jurisprudentielles 38

a) Les évolutions constitutionnelles 38

b) Les évolutions en droit européen et droit international 39

c) Les évolutions jurisprudentielles 41

2. Ces évolutions juridiques, en l'absence d'une modification du dispositif national actuel, sont source d'insécurité juridique 43

a) L'insécurité juridique pour les employeurs 43

b) L'insécurité juridique pour les employés 47

c) L'insécurité juridique pour l'État 48

C. DE NOMBREUX PAYS SE SONT DOTÉS RÉCEMMENT DE LÉGISLATIONS PLUS PROTECTRICES EN MATIÈRE D'EXPOSITION AU TABAGISME PASSIF. 48

1. Certains pays interdisent totalement de fumer sans autoriser les fumoirs 48

2. D'autres pays ont préservé la possibilité d'espaces fumeurs 49

3. Ces évolutions créent un mouvement favorable à l'interdiction 50

D. L'OPINION PUBLIQUE FRANÇAISE A CONSIDÉRABLEMENT ÉVOLUÉ 50

DEUXIÈME PARTIE - LES PRINCIPES DIRECTEURS DE LA RÉFORME 55

I.- LES POINTS D'ACCORD 55

A. IL N'EST PAS QUESTION D'INTERDIRE LE TABAC 55

B. IL NE S'AGIT PAS NON PLUS DE STIGMATISER LES FUMEURS 56

C. IL N'EST PLUS POSSIBLE D'EXPOSER LES SALARIÉS AU TABAGISME PASSIF 58

1. L'évolution des acteurs économiques lors des tables rondes 58

2. Les conséquences pratiques de l'impossibilité d'exposer des salariés au tabagisme passif 59

a) Aucun salarié du secteur CHRD ne devrait plus être amené à pénétrer dans des fumoirs 59

b) Faut-il laisser au chef d'entreprise sans salarié la possibilité de décider que son entreprise sera ou  non « fumeur » ? 59

D - DES DÉROGATIONS SECTORIELLES PERMANENTES NE SONT PAS POSSIBLES 60

E. LA QUESTION DES LIEUX OUVERTS 61

F. LA NÉCESSITÉ DE BANNIR TOTALEMENT LE TABAC DANS TOUS LES LOCAUX DES ÉTABLISSEMENTS D'ENSEIGNEMENT 63

II.- CERTAINS POINTS RESTENT PLUS DISPUTÉS 64

A. LA QUESTION DES FUMOIRS 64

1. Les systèmes de ventilation sont inefficaces 64

2. Sous de strictes conditions, les systèmes hermétiquement clos avec filtration apparaissent plus adaptés 65

a) Les systèmes de filtration par cabines ouvertes ne semblent pas suffisamment fiables 65

b) D'autres systèmes hermétiquement clos apparaissent plus appropriés 65

B. LES CONTROVERSES AUTOUR DE LA SPÉCIFICITÉ DE CERTAINS ÉTABLISSEMENTS : LE CAS DES « SUBSTITUTS DE DOMICILE » 67

1. Les établissements de soins 68

a) Les soins aigus de médecine, chirurgie et obstétrique (MCO) 68

b) Les soins de suite et de réadaptation 68

c) Les activités de soins de longue durée 68

d) La psychiatrie 69

2. Les établissements médico-sociaux 70

3. Les établissements pénitentiaires 71

C. LA QUESTION DES AMÉNAGEMENTS DANS LE TEMPS POUR LES PROFESSIONS LIÉES AU TABAC ET AUX LOISIRS 72

D. L'URGENCE D'UNE RÉFORME OPÉRATIONNELLE : LE CHOIX DE LA LOI OU DU RÉGLEMENT 73

1. La voie logique mais aléatoire du recours à la loi 73

a) Il serait logique de recourir à la loi 73

b) La réussite de la voie législative est aléatoire 75

2. Malgré ses limites, la voie réglementaire présente l'avantage de la rapidité et de l'efficacité. 76

a) La voie réglementaire limite les marges de manœuvre... 76

b) ... mais offre, en l'occurrence, des garanties d'efficacité. 77

TROISIÈME PARTIE - LES CONDITIONS DE RÉUSSITE DE LA RÉFORME 79

I.- LES MESURES D'ACCOMPAGNEMENT 79

A. L'INFORMATION, LA SENSIBILISATION ET LA MOBILISATION DE L'OPINION PUBLIQUE 79

1. L'utilité des campagnes de communication 79

2. Les actions les plus récentes 80

3. Les nouvelles orientations des campagnes d'information 80

Une nouvelle dialectique 81

Des supports plus modernes 81

4. Les modes de communication à retenir 81

B. LES MESURES D'ACCOMPAGNEMENT DES PROFESSIONS LES PLUS CONCERNÉES PAR UN RENFORCEMENT DE L'INTERDICTION 83

1. L'impact économique des mesures d'interdiction de fumer 84

a) Les effets économiques positifs des mesures d'interdiction 84

b) Le coût économique des mesures d'interdiction 85

2. Les perspectives pour les débitants de tabac et les professionnels des cafés, hôtels, restaurants, discothèques (CHRD) 86

a) La situation des débitants de tabac 86

Le « contrat d'avenir » du 18 décembre 2003 86

Des activités à diversifier pour consolider les revenus et l'avenir de la profession des buralistes 87

b) La situation dans le secteur des CHRD 93

3. La question des délais à accorder aux débitants de tabac et aux professionnels des CHRD 94

a) La position des représentants des secteurs des tabacs et des CHRD 94

b) La position des députés membres de la mission sur les délais de mise en œuvre du nouveau dispositif 95

II.- LA MISE EN PLACE D'UN DISPOSITIF RENFORCÉ DE CONTRÔLE ET DE SANCTIONS 96

A. AMÉLIORER LE CONTRÔLE DU RESPECT DE L'INTERDICTION 96

1. Préciser le rôle de l'employeur 97

2. Prévoir des contrôles nombreux et immédiats. 98

B. ENVISAGER D'AUTRES TYPES DE SANCTIONS 99

1. Instaurer des amendes forfaitaires 99

2. Mettre au point des peines complémentaires ? 100

III.- UN DÉFI DE SANTÉ PUBLIQUE À RELEVER 101

A. L'AIDE AU SEVRAGE TABAGIQUE 101

1. Le remboursement des substituts nicotiniques 101

a) Les mutuelles proposent d'ores et déjà une prise en charge des substituts nicotiniques 102

b) La prise en charge des substituts nicotiniques par l'assurance maladie obligatoire est à l'étude 102

2. L'information sur l'offre de prise en charge et sa coordination 103

B. MOYENS À CONSENTIR POUR LA POURSUITE DE LA LUTTE CONTRE LE TABAGISME 105

PROPOSITIONS DE LA MISSION 109

EXPLICATIONS DE VOTE ET CONTRIBUTIONS 115

AUDITIONS 133

AVANT-PROPOS DU PRÉSIDENT

Quinze ans après le vote d'une loi à laquelle on a bien voulu donner mon nom, et qui, à l'époque avait fait œuvre pionnière, en Europe, pour la lutte contre le tabagisme, le tabac reste la première cause de mort évitable en France. On compte encore plus de 60 000 décès par an parmi les fumeurs, et entre 3 000 et 5 000 non-fumeurs décèdent chaque année des effets du tabagisme passif dans notre pays.

L'initiative de cette mission répondait donc à un double constat : la loi de 1991 et son décret de 1992 sont mal appliqués et le dispositif, sans doute trop complexe, n'a pas permis de répondre au fléau que représente le tabac, malgré le progrès qu'il représentait à l'époque.

Sur un sujet aussi sensible, nous avons souhaité un débat ouvert permettant une réelle confrontation des idées. Plutôt que de procéder aux habituelles auditions, nous avons innové en organisant des tables rondes thématiques, chacune d'elles réunissant les mêmes participants : représentants des administrations publiques, des associations de lutte contre le tabagisme, des industriels, des secteurs des cafés, hôtels, restaurants et des débitants de tabacs. Un « noyau dur » d'experts a ainsi été constitué regroupant tous les acteurs concernés qui a suivi les travaux de la mission pendant cinq mois.

Nous avons également souhaité que nos travaux soient transparents : les six tables rondes que nous avons organisées étaient publiques et le compte rendu de l'ensemble des débats - qui figure en annexe du rapport de la mission - témoignera du sérieux avec lequel chacun des thèmes de réflexion a été traité. Il témoignera également de l'atmosphère d'écoute réciproque et de la parfaite courtoisie qui a présidé aux échanges. Grâce à la qualité des débats qui a permis une réelle prise de conscience des enjeux, les positions de chacun ont pu évoluer au cours des réunions.

Il était d'autant plus nécessaire de rouvrir le dossier du tabac que le contexte a considérablement changé. Sur le plan scientifique, la nocivité du tabagisme passif est désormais avérée. Sur le plan juridique, la jurisprudence de la Cour de cassation a créé pour l'employeur une obligation de résultat en matière de sécurité des salariés. Sur le plan social, l'ensemble des sondages a mis en relief une attente très forte de la population en faveur d'un durcissement des règles d'interdiction du tabac dans les lieux publics. Les exemples étrangers montrent, par ailleurs, que le dispositif - novateur au début des années quatre-vingt-dix - est maintenant incontestablement dépassé.

Ce qui n'était à l'époque qu'un problème social - la gêne occasionnée par la fumée et le souci d'assurer la cohabitation entre fumeurs et non-fumeurs - constitue désormais un enjeu de santé publique. Aujourd'hui, la nocivité du tabagisme passif impose au contraire que l'on mette fin à la cohabitation forcée entre non-fumeurs et fumeurs.

À partir du constat unanime de la nécessité d'une réforme, la question s'est posée de l'efficacité des aménagements à introduire : interdire davantage mais jusqu'où et comment ?

Les conclusions de la mission témoignent du double souci qui a été le sien de ne pas stigmatiser les fumeurs tout en affirmant clairement le caractère prioritaire de l'objectif de santé publique. Ainsi, la nécessité de protéger les employés des méfaits du tabac excluait d'accepter toute exception concernant un secteur d'activité ou un lieu donné. De même, la nécessité de protéger le public particulièrement exposé des jeunes a conduit la mission à préconiser une interdiction absolue dans les établissements scolaires, où il est proposé d'interdire l'installation de pièces réservées aux fumeurs. La même solution a été prise pour les établissements de soins et les établissements médico-sociaux pour des raisons évidentes.

Les intérêts économiques se sont bien entendu exprimés lors des tables rondes et les conclusions de la mission en tiennent compte à travers les mesures d'accompagnement qu'elle préconise. Mais les préoccupations économiques appelant des réponses économiques, et les questions de santé publique exigeant des réponses de santé publique, la mission n'a pas souhaité prévoir un délai supplémentaire pour les secteurs des cafés, hôtels, restaurants, discothèques et tabacs. Elle a estimé que le souci de rapidité et de clarté devait prévaloir et que les aides qui devront, le cas échéant, être accordées doivent être indépendantes des décisions à prendre sur l'interdiction du tabac dans les lieux à usage collectif.

Pour autant, une telle réforme, même attendue, voire souhaitée, doit être expliquée. C'est pourquoi, la mission a proposé le respect d'un délai - unique - permettant d'assurer l'information et les adaptations nécessaires. Il a été symboliquement fixé à la rentrée scolaire 2007, afin de souligner l'importance de la lutte contre le tabagisme auprès de la jeunesse.

Dans le même esprit, et parce que la protection doit concerner à la fois les non-fumeurs et les fumeurs, au sein de la politique globale de santé publique, la mission demande que les crédits de prévention soient significativement augmentés.

Sur le support de la réforme - loi ou décret - la mission a finalement préconisé le recours au décret pour des raisons d'efficacité liées à l'encombrement de l'ordre du jour parlementaire. Mais, en tant que président de cette mission - et également à titre personnel -, je dois souligner que cette question a fait débat et que la majorité des députés membres de la mission se sont individuellement exprimés en faveur de la loi, ce qui peut aisément se concevoir de la part des parlementaires. En effet la loi, bien davantage que le décret, aurait conféré toute la solennité qui sied à une réforme que chacun s'accorde à reconnaître indispensable. La loi aurait également permis d'aller encore plus loin en établissant une interdiction absolue. Car le maintien des « espaces réservés aux fumeurs » - même facultatifs, parfois interdits et toujours subordonnés à des règles de sécurité extrêmement rigoureuses - présente l'inconvénient de brouiller le message de santé publique.

Reste à espérer que le Gouvernement accordera aux conclusions de la mission l'attention qu'elles méritent. Le ministre de la santé et des solidarités s'y est engagé lors de son audition. À cet égard, il faut tout particulièrement insister sur l'importance des moyens qui seront mis en œuvre pour assurer l'application de la réforme. On a beaucoup insisté sur le fait qu'une des raisons de l'inapplication de la loi de 1991 tenait à l'insuffisance des contrôles. La mission insiste sur leur indispensable renforcement. Il ne servira à rien de durcir le dispositif d'interdiction si, à côté des campagnes d'information, le Gouvernement ne mobilise pas les moyens de contrôle indispensables à sa réussite.

À l'issue de cette mission, je veux encore insister sur le climat positif et fructueux qui a présidé à nos travaux. Je tiens à remercier les membres de la mission pour leur implication ainsi que les partenaires extérieurs de nos tables rondes pour leur précieuse contribution.

Claude EVIN

INTRODUCTION

« La question de l'interdiction de fumer dans les lieux publics se pose actuellement. Un débat et une concertation approfondie doivent avoir lieu. C'est la clé pour qu'une telle évolution soit acceptée et puisse devenir effective. Le Gouvernement et le Premier ministre ont engagé ce débat. Une mission parlementaire va être constituée. C'est sur ces bases que les décisions seront prises, avant la fin de l'année ».

M. Jacques CHIRAC, Palais de l'Élysée, 27 avril 2006

Le tabac tue. Avec 66 000 morts en France chaque année, dont 3 000 à 5 000 victimes du tabagisme passif, le tabagisme est même, d'après l'organisation mondiale de la santé (OMS), la première cause de mortalité évitable.

Face à ce constat et à l'évolution de la jurisprudence, il est plus que jamais nécessaire de prendre des mesures directement opérationnelles pour lutter contre ce fléau. L'enjeu est de faire respecter un objectif de santé publique : protéger la santé des non-fumeurs et réduire la consommation de tabac des fumeurs mais aussi, d'inscrire cet objectif dans l'entreprise comme objectif de santé au travail.

Créée par la conférence des Présidents de l'Assemblée nationale le 2 mai 2006, la mission d'information sur « l'interdiction du tabac dans les lieux publics »1 s'est donné pour objectif d'étudier le contenu et les modalités d'un durcissement des règles relatives à l'usage du tabac dans les lieux de travail et les lieux affectés à un usage collectif.

Elle a associé, tout au long de ses travaux, un même « noyau dur » de participants réunissant toutes les parties prenantes au débat public :

-  les organismes d'expertise nationaux et l'administration (Inspection générale des affaires sociales (IGAS), mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT), Institut national du cancer (INCa), Direction générale de la santé) ;

-  les principales associations de lutte contre le tabac (l'Alliance contre le tabac, l'association Droits des non-fumeurs (DNF), le comité national contre le tabagisme (CNCT) et la Ligue nationale contre le cancer) ;

-  quatre des cinq membres de la Fédération des industries du tabac, représentés par le Président de Japan Tobacco International ;

-  les principales professions intéressées (le syndicat national des hôteliers restaurateurs cafetiers et traiteurs (SYNHORCAT), l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH) et la Confédération national des débitants de tabac).

La mission a travaillé pendant cinq mois en procédant à six grandes tables rondes, ouvertes à la presse, articulées autour de trois thèmes principaux destinés à examiner les grandes questions soulevées par ce véritable défi de santé publique.

· En premier lieu, la mission a abordé la question de la nécessité de réformer le régime juridique actuel de l'interdiction de fumer au regard des difficultés d'application, des insuffisances intrinsèques du dispositif actuel et de l'évolution du contexte. La loi du 10 janvier 1991 est-elle vraiment dépassée ? S'agit-il d'un problème d'application de la norme ou celle-ci ne comporte t-elle pas aussi des faiblesses intrinsèques ? Certaines évolutions scientifiques, juridiques et sociétales ne justifient-elles pas un nouveau cadre juridique ?

· En second lieu, la mission s'est interrogée sur les contours de la réforme. Quel doit être l'objectif de la réforme : protéger les seuls non-fumeurs ou protéger l'ensemble de la population, fumeurs compris ? Quels doivent être les lieux concernés ? Peut-il y avoir des exceptions ? Des fumoirs doivent-ils subsister ? Faut-il recourir à la loi ou vaut t-il mieux préférer dans un souci d'efficacité et de pragmatisme la voie réglementaire ?

· Enfin, la mission s'est attachée à définir les conditions concrètes de réussite de la réforme, qu'il s'agisse des contrôles et des sanctions mais aussi des mesures d'accompagnement que devra nécessairement prévoir le nouveau dispositif. Qui doit exercer le contrôle du respect de l'interdiction ? Quels types de sanctions conserver ou ajouter ? Comment bien préparer l'interdiction par des campagnes de sensibilisation ? Comment atténuer les éventuels effets collatéraux de l'interdiction sur les activités commerciales de certaines professions ? Comment aider au sevrage tabagique ?

Pour répondre à ces multiples interrogations essentielles, la mission n'a pas hésité à faire appel ponctuellement aux meilleurs spécialistes et elle a procédé au cours de l'été à un certain nombre d'auditions complémentaires à huis clos.

L'objectif de toutes ces tables rondes et auditions était de permettre, en toute transparence, une réelle confrontation des divers points de vue sur la nécessité de faire évoluer les règles juridiques d'usage du tabac dans les lieux publics. Il a été pleinement atteint.

La construction du rapport reprend la méthodologie qui a structuré le travail de la mission :

Plus que jamais, l'urgente nécessité de réformer le régime juridique actuel de l'interdiction de fumer apparaît comme une évidence (première partie).

C'est à cet objectif que souhaite contribuer le rapport en définissant tant les principes directeurs d'une future réforme (deuxième partie) que les conditions de sa réussite (troisième partie).

S'il a pu être souligné au cours des travaux que le droit n'est pas l'alpha et l'oméga de la régulation sociale et que tant l'évolution des mœurs que l'action renforcée des forces sociales avaient déjà permis des évolutions très nettes en matière de sensibilisation des fumeurs aux problèmes des non-fumeurs, le fait est que le régime juridique actuel, comme les simples règles de respect d'autrui et de courtoisie, ne suffisent plus à assurer convenablement la protection des non-fumeurs.

PREMIÈRE PARTIE - LA NÉCESSITÉ DE RÉFORMER LE RÉGIME JURIDIQUE ACTUEL DE L'INTERDICTION DE FUMER APPARAÎT DÉSORMAIS COMME UNE ÉVIDENCE

I.- LE RÉGIME JURIDIQUE ACTUEL D'INTERDICTION DE FUMER EST DÉPASSÉ

Si la France a fait à une époque œuvre pionnière, notamment grâce à la loi n° 91-32 du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme, dite « loi Évin », le régime juridique actuel d'interdiction de fumer dans les « lieux affectés à un usage collectif » apparaît aujourd'hui dépassé.

A. LE DISPOSITIF JURIDIQUE EN VIGUEUR

La loi n° 76-616 du 9 juillet 1976 relative à la lutte contre le tabagisme, dite « loi Veil », marque une première étape dans la protection des non-fumeurs en renvoyant à un décret en Conseil d'État la définition d'interdictions de fumer dans certains lieux à usage collectif (principalement les établissements scolaires, les établissements de santé et les moyens de transport).

Mais c'est surtout la loi n° 91-32 du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme - dont la protection des non-fumeurs n'est d'ailleurs qu'un des volets - qui a véritablement bouleversé le régime juridique d'interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif. Cette loi, reconnaît en effet la primauté du droit des non-fumeurs : désormais, ce sont les espaces fumeurs qui deviennent l'exception à la règle.

Par ailleurs, certaines dispositions concernant des interdictions de fumer plus spécifiques, inspirées par des considérations d'hygiène et de sécurité, figurent également dans le code du travail (au titre de la protection contre les risques d'incendie et d'explosion ou en raison du risque d'aggravation de pathologies professionnelles) et dans le code de la construction et de l'habitation, au titre de la sécurité des établissements recevant du public (ERP).

1. La loi du 10 janvier 1991

L'article 16 de la loi Évin pose explicitement le principe de l'interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif sauf dans les emplacements réservés expressément aux fumeurs. Cette disposition a depuis été codifiée à l'article L.  3511-7 du code de la santé publique. Les obligations qu'elle édicte s'appliquent de la même façon qu'il s'agisse de lieux relevant du secteur public ou du secteur privé.

Article L. 3511-7 du code de la santé publique

(Ordonnance nº 2006-596 du 23 mai 2006, art. 5,
Journal Officiel du 25 mai 2006)

Il est interdit de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif, notamment scolaire, et dans les moyens de transport collectif, sauf dans les emplacements expressément réservés aux fumeurs.

Un décret en Conseil d'État fixe les conditions d'application de l'alinéa précédent.

Ces dispositions visent en premier lieu à protéger les non-fumeurs au sein d'un espace public ou d'un lieu de vie collectif, mais il est clair qu'elles contribuent également à créer un environnement favorable à l'arrêt de la consommation de tabac.

2. Le décret du 29 mai 1992

Le décret d'application n° 92-478 du 29 mai 1992 fixant « les conditions d'application de l'interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif » a précisé l'étendue de l'interdiction de fumer dans lesdits lieux, ainsi que les dérogations qui peuvent y être apportées par la mise à disposition d'espaces pour les fumeurs (Art. 3511-1 à 13 du code de la santé publique).

CODE DE LA SANTÉ PUBLIQUE

Section 1 : Interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif

Article R 3511-1

L'interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif prévue à l'article L. 3511-7 s'applique :

1º Dans tous les lieux fermés et couverts accueillant du public ou qui constituent des lieux de travail ;

2º Dans les moyens de transport collectif ;

3º Dans les lieux non couverts fréquentés par les élèves des écoles, collèges et lycées publics et privés, pendant la durée de cette fréquentation.

Article R 3511-2

L'interdiction de fumer ne s'applique pas dans les emplacements qui sont mis à la disposition des fumeurs, au sein des lieux mentionnés à l'article R. 3511-1.

Ces emplacements sont déterminés par la personne ou l'organisme responsable de ces lieux, en tenant compte de leur volume, disposition, condition d'utilisation, d'aération et de ventilation et de la nécessité d'assurer la protection des non-fumeurs.

Article R 3511-3

En dehors des cas régis par les articles R. 3511-9 à R. 3511-13 et de l'article
74-1 du décret du 22 mars 1942 sur la police, la sûreté et l'exploitation des voies ferrées d'intérêt général et d'intérêt local, les emplacements mis à disposition des fumeurs sont soit des locaux spécifiques, soit des espaces délimités qui doivent respecter les normes suivantes :

a) Débit minimal de ventilation de 7 litres par seconde et par occupant, pour les locaux dont la ventilation est assurée de façon mécanique ou naturelle par conduits,

b) Volume minimal de 7 mètres cubes par occupant, pour les locaux dont la ventilation est assurée par des ouvrants extérieurs.

Un arrêté pris par le ministre chargé de la santé et, s'il y a lieu, par le ministre compétent, peut établir des normes plus élevées pour certains locaux en fonction de leurs conditions d'utilisation.

Article R 3511-4

Sous réserve de l'application de l'article R. 3511-5, dans les établissements mentionnés aux articles L. 231-1 et L. 231-1-1 du code du travail, il est interdit de fumer dans les locaux clos et couverts, affectés à l'ensemble des salariés, tels que les locaux d'accueil et de réception, les locaux affectés à la restauration collective, les salles de réunion et de formation, les salles et espaces de repos, les locaux réservés aux loisirs, à la culture et au sport, les locaux sanitaires et médico-sanitaires.

Article R 3511-5

Dans les établissements mentionnés aux articles L. 231-1 et L. 231-1-1 du code du travail, l'employeur établit, après consultation du médecin du travail, du comité d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail ou, à défaut, des délégués du personnel :

- pour les locaux mentionnés à l'article R. 3511-4, un plan d'aménagement des espaces qui peuvent être, le cas échéant, spécialement réservés aux fumeurs ;

- pour les locaux de travail autres que ceux prévus à l'article R. 3511-4, un plan d'organisation ou d'aménagement destiné à assurer la protection des non-fumeurs. Ce plan est actualisé en tant que de besoin tous les deux ans.

Article R 3511-6

La décision de mettre des emplacements à la disposition des fumeurs est soumise à la consultation du comité d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail ou, à défaut, des délégués du personnel, ainsi que du médecin du travail.

Cette consultation est renouvelée au moins tous les deux ans.

Article R 3511-7

Une signalisation apparente rappelle le principe de l'interdiction de fumer dans les lieux mentionnés à l'article R. 3511-1 et indique les emplacements mis à la disposition des fumeurs.

Article R 3511-8

Les dispositions de la présente section s'appliquent sans préjudice des dispositions législatives et réglementaires concernant l'hygiène et la sécurité, notamment celle du titre III du livre II du code du travail.

Article R 3511-9

Dans l'enceinte des établissements d'enseignement publics et privés, ainsi que dans tous les locaux utilisés pour l'enseignement, des salles spécifiques, distinctes des salles réservées aux enseignants, peuvent être mises à la disposition des enseignants et des personnels fumeurs.

En outre, dans l'enceinte des lycées, lorsque les locaux sont distincts de ceux des collèges, et dans les établissements publics et privés dans lesquels sont dispensés l'enseignement supérieur et la formation professionnelle, des salles, à l'exclusion des salles d'enseignement, de travail et de réunion, peuvent être mises à la disposition des usagers fumeurs.

Article R 3511-10

Dans les locaux à usage collectif utilisés pour l'accueil et l'hébergement des mineurs de moins de seize ans, ceux-ci n'ont pas accès aux emplacements mis à la disposition des fumeurs.

Article R 3511-11

Dans les aéronefs commerciaux français ou exploités conformément à la réglementation française, à l'exception des vols intérieurs d'une durée inférieure à deux heures, des places peuvent être réservées aux fumeurs à condition que la disposition des places permette d'assurer la protection des non-fumeurs.

Article R 3511-12

À bord des navires de commerce et à bord des bateaux de transports fluviaux, y compris les bateaux stationnaires recevant du public, exploités conformément à la réglementation française, une organisation des espaces, éventuellement modulable, peut être prévue pour mettre des places à la disposition des fumeurs, dans la limite de 30 % de la surface des salles à usage de bar, de loisirs et de repos et de celle des cabines collectives.

Article R 3511-13

Dans les locaux commerciaux, où sont consommés sur place des denrées alimentaires et des boissons, à l'exception des voitures-bars des trains, une organisation des lieux, éventuellement modulable, peut être prévue pour mettre des espaces à la disposition des usagers fumeurs.

Comme l'a rappelé2 M. Marc Dandelot, conseiller d'État, l'existence de ces emplacements mis à disposition des fumeurs n'est pas un droit. Ceux-ci peuvent être soit des espaces spécifiques, soit des espaces délimités respectant des normes précises de ventilation et de volume.

Le non respect des dispositions réglementaires expose la personne qui fume hors d'un emplacement réservé à une amende de 3ème classe3 et la personne ou l'organisme responsable d'un lieu où la loi n'est pas où est mal appliquée à une amende de 5ème classe4.

CODE DE LA SANTÉ PUBLIQUE

Article R 3512-1

Le fait de fumer dans l'un des lieux mentionnés à l'article R. 3511-1, hors d'un emplacement mis à la disposition des fumeurs, est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la 3e classe.

Article R 3512-2

Est puni de l'amende prévue pour les contraventions de la 5e classe le fait de :

1º Réserver aux fumeurs des emplacements non conformes aux dispositions de la section I du chapitre Ier du présent titre ;

2º Ne pas respecter les normes de ventilation prévues à l'article R. 3511-3 ;

3º Ne pas mettre en place la signalisation prévue à l'article R. 3511-7.

Comme l'a rappelé récemment M.  Claude Évin5, « le principe est donc clairement celui de l'interdiction de fumer et non, contrairement à l'idée généralement répandue, qu'il est obligatoire de prévoir des espaces non-fumeurs. Un récent sondage montre en effet que les propriétaires de cafés et restaurants, notamment, considèrent, dans leur grande majorité, que le principe est qu'il est permis de fumer mais qu'ils doivent mettre des espaces à disposition des non-fumeurs6. En réalité, l'espace public est, selon la loi, non-fumeur ; la présence de fumeurs n'est qu'une tolérance».

B. LA LOI DU 10 JANVIER 1991 ET SON DÉCRET D'APPLICATION SONT GLOBALEMENT MAL APPLIQUÉS

Comme l'a rappelé M. Gérard Dubois, président d'« Alliance contre le tabac », qui regroupe une trentaine d'organisations, « la très mauvaise application de la loi Évin est chose connue »7.

Le rapport d'évaluation de la loi de 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme, élaboré en 1999 par le Conseil scientifique de l'évaluation présidé par M.  Guy Berger, a montré que si le décret du 29 mai 1992 est globalement bien respecté dans les transports, des difficultés d'application sont fréquemment relevées dans les bars et restaurants.

L'évaluation de la loi a également montré que c'est souvent dans les établissements publics que la loi a été le plus mal appliquée, notamment dans les hôpitaux et dans les établissements scolaires, où la circulaire d'application du ministère de l'éducation nationale n'a d'ailleurs été édictée qu'en 2002, donc plus de dix ans après la promulgation de la loi.

Les établissements scolaires offrent un exemple topique de la mauvaise application de la loi de 1991 et de son décret d'application. En effet, comme l'a rappelé Mme Bernadette Roussille, membre de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS)8, « l'article R. 3511-9 introduit une grande confusion. Il autorise la création d'espaces fumeurs pour les professeurs, à condition que ce ne soit pas dans les salles des professeurs, et pour les usagers fumeurs - dont, éventuellement, les lycéens. À l'exclusion des salles d'enseignement, de travail et de réunion, on peut donc mettre à la disposition des lycéens des lieux fumeurs. Dans la réalité, les lieux fumeurs des lycées sont les salles des professeurs, où il est théoriquement interdit de fumer, pour les professeurs ; et les cours de récréation pour les lycéens, où il est également interdit de fumer. La loi ne s'applique donc pas du tout et on ne saurait en rester là ».

Enfin, la loi est également mal appliquée dans les lieux de travail.

Le récent rapport de l'IGAS relatif à l'interdiction de fumer dans les lieux accueillant du public en France, présenté en décembre 2005 par Mme Bernadette Roussille, a estimé que le décret du 29 mai 1992 est « appliqué au maximum à 60 % dans les lieux de travail du secteur privé et peut-être encore moins dans le secteur public ».

C. LA LOI DE 1991, ET SURTOUT SON DÉCRET D'APPLICATION, COMPORTENT DES FAIBLESSES INTRINSÈQUES

Même bien appliqués, la loi et le décret ne satisfont plus aux exigences accrues de protection de la santé des personnes.

Ce sont surtout les faiblesses du décret d'application qui fragilisent l'ensemble du dispositif juridique.

1. Les séparations des zones fumeurs et non-fumeurs sont souvent purement virtuelles

M.  Gérard Dubois, président d'« Alliance contre le tabac », a mis en évidence, au titre des faiblesses du dispositif, « la notion de délimitation qui a donné lieu à des excès. On a vu des tables de non-fumeurs au milieu de tables de fumeurs. L'absence de séparation physique a été à juste titre critiquée »9.

Au lieu de définir précisément le terme d' « emplacement » utilisé par le législateur, le décret fait indistinctement référence à des « locaux » ou des « emplacements » réservés aux fumeurs, sans que soit à aucun moment énoncée la nécessité de mettre obligatoirement en place des locaux hermétiquement clos.

M.  Marc Dandelot, conseiller d'État, a ainsi pu souligner le caractère paradoxal des textes10 : « la finalité du texte étant d'assurer la protection des non-fumeurs, les emplacements non-fumeurs ne sont possibles que s'ils l'assurent - ce dont on n'a pas tenu compte, puisque l'on s'assure de la place des fumeurs, mais pas de celle de la fumée ! ».

Il est vrai qu'en 1991, on se préoccupait encore davantage de la gêne occasionnée par le tabac que du danger sanitaire qu'on lui supposait.

2. Les normes de ventilation prévues par le décret de mai 1992 sont insuffisantes.

Le débit minimal de ventilation de 7 litres par seconde et par occupant, pour les locaux dont la ventilation est assurée de façon mécanique ou naturelle par conduits, comme le volume minimal de 7 mètres cubes par occupant, pour les locaux dont la ventilation est assurée par des ouvrants extérieurs, apparaissent aujourd'hui nettement insuffisants au regard des connaissances scientifiques pour assurer une protection optimale de la santé des occupants de ces locaux.

M.  Philippe Mourouga, directeur du département « prévention et dépistage » de l'Institut national du cancer (INCa), a ainsi fait valoir que « plusieurs rapports ont permis de démontrer que les systèmes de ventilation ne peuvent en aucun cas nettoyer l'air ambiant des cancérogènes qui y sont présents » et que c'est pourquoi « la conférence des Parties de la convention-cadre de l'OMS a rejeté l'idée d'une ventilation dans les espaces fermés ». En particulier, « une étude de 2003 du Joint Research Center a montré que les moyens de ventilation ne permettaient pas de diminuer le taux de cancérigènes présents dans l'air en le ramenant à un niveau acceptable par rapport aux normes de pollution environnementale » 11.

De plus, ces normes de ventilation suggèrent l'existence d'un seuil d'exposition sans danger, alors que les dernières connaissances scientifiques concluent nettement en sens inverse.

3. La logique de répartition des espaces fait l'impasse sur la protection des salariés et sur celle des fumeurs

C'est tout spécialement en ce qui concerne la protection des salariés que le dispositif juridique relatif à la protection des non-fumeurs se révèle insuffisant.

En effet, la loi répartit les espaces affectés à l'usage du public entre des zones fumeurs et des zones non-fumeurs « en faisant l'impasse sur la présence, dans ces lieux, d'employés, de travailleurs » 12 qui sont pourtant exposés au premier chef au tabagisme passif.

Plusieurs études démontrent d'ailleurs sans ambiguïté que les employés du secteur CHRD (cafés, hôtels, restaurants, discothèques) sont particulièrement exposés13.

De plus, la loi Évin vise uniquement la protection des non-fumeurs et ignore totalement le fait que les fumeurs exposés au tabagisme passif cumulent les effets du tabagisme actif et passif.

4. La rédaction des dispositions applicables à certains lieux est peu lisible

Ceci est particulièrement vrai pour les établissements d'enseignement (écoles, collèges, lycées, publics et privés, ainsi que dans les universités et lieux d'enseignement professionnel).

En effet, dans ces lieux, des salles spécifiques - mais qui doivent être distinctes des salles d'enseignement, de travail et de réunion et des salles réservées aux enseignants - peuvent être mises à la disposition des enseignants et des personnels fumeurs. Au lycée, il est même possible de mettre en place des espaces fumeurs ouverts à tous les usagers fumeurs, dès lors que les locaux concernés sont distincts de ceux des collèges (dans ce cas, les mineurs de moins de seize ans n'ont pas accès à ces emplacements). Enfin, par dérogation au principe général qui limite l'interdiction de fumer aux lieux fermés et couverts, il est expressément interdit de fumer dans les lieux non couverts (c'est-à-dire les cours) des écoles, collèges, et lycées.

La complexité de ces règles rend bien souvent la situation confuse dans ces établissements d'enseignement.

5. Les responsables des infractions ne sont pas clairement identifiés

Comme on l'a vu, le fait de réserver aux fumeurs des emplacements non conformes, de ne pas respecter les normes de ventilation ou de ne pas mettre en place une signalisation apparente est puni d'une contravention de 1 500 euros maximum (contravention de 5ème classe). Toutefois, l'article R. 3512-2 du code de la santé publique ne précise pas qui sont les responsables des locaux concernés devant être sanctionnés en cas de manquement aux prescriptions réglementaires.

6. Les moyens de contrôle sont insuffisants

Dans son avis du 18 juillet 1997 sur l'évaluation de la loi de 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme, le Conseil scientifique de l'évaluation a estimé que l'applicabilité de la loi « ne peut se limiter à une étude de ses aspects juridiques » et qu'il convient également de se pencher sur la façon dont les services de l'État (police, justice, répression des fraudes, travail...) contrôlent l'application de ses dispositions. Sur ce point, l'instance d'évaluation présidée par M. Guy Berger a souligné en 1999 l'absence d'autorité spécifique désignée pour veiller au respect de l'application de la loi.

Cette faiblesse des moyens consacrés au pouvoir de rechercher les infractions à la loi Évin a été largement corrigée par la loi du 9 août 2004 relative à la santé publique qui étend ce pouvoir aux inspecteurs du travail, aux médecins inspecteurs de la santé publique, aux inspecteurs de l'action sanitaire et sociale et aux inspecteurs du génie sanitaire. Toutefois, Mme Véronique Bony, chef adjointe du bureau des pratiques addictives à la Direction générale de la Santé (DGS), a fait remarquer que l'application de ces mesures suppose une procédure d'habilitation et d'assermentation par décret de ces agents qui n'a pas encore été mise en œuvre. De ce fait « ils ne peuvent dresser des procès-verbaux faisant foi et permettant aux procureurs de poursuivre les infractions »14.

II.- DES ÉVOLUTIONS SCIENTIFIQUES, JURIDIQUES ET SOCIÉTALES APPELLENT UN NOUVEAU DISPOSITIF

Mal appliqués et recélant des faiblesses intrinsèques, la loi du 10 janvier 1991 et son décret d'application doivent également s'adapter aux évolutions scientifiques, juridiques et sociétales.

A. LA CONNAISSANCE SCIENTIFIQUE SUR LA NOCIVITÉ DU TABAGISME PASSIF A PROGRESSÉ

L'inadaptation du régime juridique actuel est d'autant plus regrettable que la toxicité du tabagisme passif, défini comme « le fait d'inhaler involontairement la fumée dégagée par un ou plusieurs fumeurs », est aujourd'hui scientifiquement avérée.

La rapport du groupe de travail « Tabagisme passif » de la direction générale de la santé (DGS) présidé par le Professeur Bertrand Dautzenberg soulignait dès 2000 que « lors de la préparation de la loi Évin, les données scientifiques disponibles sur les effets du tabagisme passif étaient peu nombreuses et encore sujettes à des critiques. Les premiers rapports publiés en 1988 aux États-Unis laissaient encore beaucoup de points d'ombre ».

Aujourd'hui, le tabagisme - y compris le tabagisme passif - est devenu un problème réel et reconnu de santé publique. Des objectifs de lutte contre le tabagisme ont d'ailleurs été inscrits dans la loi du 9 août 2004 relative à la santé publique.

1. La toxicité du tabagisme passif, de mieux en mieux établie, n'est plus niée

Le Professeur Bertrand Dautzenberg a confirmé devant la mission que « si à la fin des années 1980, les connaissances sur le tabagisme passif étaient encore relativement incomplètes, elles sont désormais parfaitement établies »15. L'évidence de la grande nocivité du tabagisme passif est donc désormais scientifiquement acquise.

Alors même que les fabricants de tabac l'ont pourtant longtemps niée, plus personne ne conteste aujourd'hui la nocivité du tabagisme passif.

On sait ainsi de façon certaine que la fumée de tabac contient quelque 4 000 substances chimiques sous forme de particules ou à l'état gazeux. On sait aussi que 60 de ces substances sont connues ou suspectées de provoquer le développement de cancers et de nombreuses autres substances sont également toxiques.

La concentration de certaines de ces substances est même plus élevée dans la fumée secondaire - également appelée « fumée de tabac environnementale » (FTE) ou « fumée de tabac ambiante » (FTA), c'est-à-dire la fumée produite par la fumée de cigarette - que dans la fumée inhalée par le fumeur. « Entre deux bouffées, quand le feu couve et la combustion est moins bonne, la fumée devient encore plus toxique » et « cette fumée contient, du fait de la mauvaise combustion, dix fois plus de monoxyde de carbone, douze fois plus de benzopyrène et cinquante fois plus d'arséniures que le courant principal inhalé par le fumeur ! »16.

De plus, les particules de la fumée du courant secondaire sont plus petites que celles contenues dans la fumée expirée par le fumeur. Elles sont si petites qu'elles se comportent comme des gaz et peuvent pénétrer dans les voies respiratoires inférieures et être absorbées par le système sanguin. Or, plus les particules sont petites, plus elles restent longtemps suspendues dans l'atmosphère. « Il faut compter trois heures pour que le taux de particules revienne à la normale et l'imprégnation des tentures et tissus crée un effet de « relargage » très prolongé - mais sur lequel nous n'avons pour l'heure aucune donnée sanitaire précise »1.

Le centre international de recherche sur le cancer (CIRC) a classé en 2002 la fumée secondaire en cancérogène de catégorie 1. De plus, le tabac est « également une substance mutagène et reprotoxique, y compris pour les deuxièmes générations »1.

Depuis l'entrée en vigueur de la loi Évin, de nombreux rapports scientifiques ont eu l'occasion de préciser les risques sanitaires liés à l'exposition à la fumée du tabac.

Conclusions des principaux rapports publiés depuis la loi du 10 janvier 1991 (source : Institut national du Cancer)

1992

L'agence américaine de protection de l'environnement (US Environmental Protection Agency) classe la fumée secondaire comme un cancérogène humain connu et conclut que le tabagisme passif provoque le cancer.17

1997

Le rapport du conseil australien pour la recherche médicale et en santé (Australian National Health and Medical Research Council) conclut que le tabagisme passif entraîne des affections des voies respiratoires inférieures chez les enfants et le cancer du poumon chez les adultes.18

1997

Le rapport de l'Académie de Médecine (France) conclut que « la fumée du tabac constitue la source la plus dangereuse de pollution de l'air, en raison de sa concentration élevée en produits toxiques mais aussi parce qu'on y est exposé à tout âge et pendant des périodes beaucoup plus longues que celles pendant lesquelles on subit une pollution atmosphérique extérieure ».19

1997

Le rapport de l'Agence californienne de protection de l'environnement (California US Environmental Protection Agency) présente l'état de la connaissance sur la relation causale et probable entre l'exposition à la fumée de tabac et différentes pathologies.20

1999

La consultation d'experts de l'Organisation mondiale de la santé, sur « la tabagie environnementale et la santé des enfants » conclut que le tabagisme passif provoque des maladies respiratoires et des infections de l'oreille moyenne; il réduit par ailleurs le développement et la fonction pulmonaires chez l'enfant.21

2000

Le rapport de l'OMS, sur les règles concernant la qualité de l'air pour l'Europe de 2000 (Air quality guidelines for Europe 2000) conclut qu'«il n'existe pas de preuve permettant un niveau d'exposition sans danger ».

2001

Le rapport remis au Directeur général de la santé (France) sur Le tabagisme passif, présente l'état de la connaissance en 2001 et établit que « les données scientifiques récentes ... apportent en 2001 des preuves scientifiques ne laissant plus de doute sur les effets de la fumée du tabac sur la santé de l'entourage des fumeurs qu'il s'agisse d'enfants ou d'adultes ».22

2005

LE RAPPORT DE L'AGENCE CALIFORNIENNE DE PROTECTION DE L'ENVIRONNEMENT (CALIFORNIA ENVIRONMENTAL PROTECTION AGENCY) INTITULÉ « TENTATIVE D'IDENTIFICATION DE LA FUMÉE DE TABAC À UN ÉLÉMENT POLLUANT » (« PROPOSED IDENTIFICATION OF ENVIRONMENTAL TOBACCO SMOKE AS A TOXIC AIR CONTAMINANT »)23 PROCÈDE À UNE MISE À JOUR DE SON RAPPORT DE 1997 ET DE L'ÉVOLUTION DES CONNAISSANCES DES EFFETS SUR LA SANTÉ.

2. Des associations causales avec plusieurs cancers et avec d'autres pathologies non cancéreuses sont désormais certaines

Depuis la loi du 10 janvier 1991, de nombreuses études scientifiques ont permis de faire progresser la connaissance sur la causalité certaine et la causalité probable de la fumée de tabac secondaire pour différents types de pathologies.

Comme l'a résumé M. Philippe Mourouga, directeur du département
« prévention et dépistage » de l'Institut national du cancer (INca), « l'évidence n'a fait que croître au fil des études et la probabilité d'association a été établie pour de multiples localisations »
24.

Désormais, des associations causales certaines sont établies en ce qui concerne plusieurs cancers mais aussi pour beaucoup d'autres pathologies non cancéreuses (maladies cardio-vasculaires, maladies respiratoires et mortalité et morbidité périnatales).

a) Les cancers

Pendant de nombreuses années, la thèse selon laquelle le tabac était un facteur de risque pour le cancer était contestée. Elle fait aujourd'hui l'objet d'un consensus.

Depuis les années 1990, la relation entre le tabac et le cancer du poumon est, par exemple, certaine et largement diffusée dans le milieu scientifique. D'après le rapport de l'Académie de médecine de 1997, « environ 150 décès consécutifs à un cancer du poumon sont dus chaque année au tabagisme passif. Ces décès sont totalement évitables, et touchent des personnes qui ont été exposées à un risque qu'elles n'ont pas choisi de subir »25.

Des associations causales certaines ou probables ont, par ailleurs, été établies pour d'autres cancers.

Tableaux récapitulatifs des études avant et après 1997 - causes certaines et causes probables pour les cancers26

Types de cancers

Nombre d'études en ou avant 1997

Nombre d'études depuis 1997

Résultats de 1997 état de la preuve quant à l'association causale

Résultat depuis 1997 état de la preuve quant à l'association causale

Tous les cancers :

(chez l'adulte)

5

1

Probable

Probable

Chez l'enfant

Mère fumeuse

Père fumeur

7

1

6

6

Non démontrée

Non démontrée

Non démontrée

Probable

Poumon

19

22

Certaine

Certaine (accentuée)

Sein

4

22

Non démontrée

Certaine

Tête et cou

0

2

Non étudié

Non démontrée

Sinus nasaux

3

0

Certaine

Certaine

Nasopharyngés

0

4

Aucune étude

Probable

Col

4

2

Probable

Probable

Lymphomes

(enfant)

6

6

Non démontrée

Probable

Cerveau (enfant)

10

12

Non démontrée

Probable

Cerveau (adulte)

3

0

Non démontrée

Non démontrée

Vessie

2

1

Non démontrée

Non démontrée

Estomac

1

3

Non démontrée

Non démontrée

Leucémie (enfant)

8

10

Non démontrée

Non démontrée

Source : Tableau 7.0A du rapport de la calEPA (2005)

b) Le risque cardio-vasculaire

M. le Professeur Bertrand Dautzenberg a rappelé que « beaucoup de gens croient que le tabagisme tue une quinzaine d'années plus tard ; ce n'est pas la vérité. Pour le fumeur, la mortalité est pour moitié liée au cancer ; mais l'essentiel de la mortalité liée au tabagisme passif est d'origine cardio-vasculaire et donc immédiate »27.

Le risque quantitativement le plus important est donc bien le risque cardio-vasculaire. Or, l'impact du tabac sur les maladies cardio-vasculaires n'a été compris que dans le courant des années 1990, voire dans les années 2000, notamment après la publication, en 1997, du rapport de Maurice Tubiana pour l'Académie de médecine. Il résulte de ces études que le risque cardio-vasculaire n'est pas un risque de long terme.

La fumée a en effet des effets immédiats sur la tension artérielle et sur le rythme cardiaque, comme l'ont illustré les études réalisées dans le canton d'Helena (Montana) aux États-Unis. Le Professeur Yves Martinet, président du Comité national contre le tabagisme (CNCT), a indiqué que l'expérience d'Helena « a été confirmée par une deuxième étude réalisée à Pueblo, dans le Colorado »28 : « à Helena, on a pu noter une chute de 40 % des admissions aux urgences pour infarctus du myocarde lors des 6 mois de l'interdiction de fumer dans les lieux publics, puis une reprise de la valeur initiale quand cette mesure fut rapportée29 » ; « à Pueblo, la baisse des infarctus a été de 30 %30. »

L'effet est également immédiat pour la thrombose des vaisseaux.

L'exposition, même brève, à la fumée secondaire peut donc avoir un effet immédiat sur le système cardio-vasculaire.

Tableaux récapitulatifs des études avant et après 1997 - causes certaines et causes probables pour les maladies cardio-vasculaires31

Pathologie

Nombre d'études en ou avant 1997

Nombre d'études depuis 1997

Résultats de 1997 : état de la preuve quant à l'association causale

Résultat depuis 1997 : état de la preuve quant à l'association causale

Maladies coronariennes

18

6a

Certaine

Certaine

Altération des propriétés vasculaire

6

10b

Probable

Certaine

Tolérance à l'exercice

4

0

Probable

Probable

AVC

0

1

Non évaluée

Probable

Source : Tableau 8.01 du rapport de la CalEPA (2005)

a Inclut trois études épidémiologique et trois méta- analyses ;

b Inclut huit études épidémiologiques et deux études animales.

c) Le risque respiratoire

S'agissant des maladies respiratoires, des associations causales certaines sont établies pour ce qui concerne l'asthme et pour les infections des voies aériennes supérieures (otites et rhinopharyngites) et inférieures (bronchites et pneumonies).

Tableaux récapitulatifs des études avant et après 1997 - causes certaines et causes probables pour les maladies respiratoires32

Maladies Respiratoires

Nombre d'études avant 1997

Nombre d'études depuis 1997

Résultats de 1997 : état de la preuve quant à une association causale

Résultats depuis 1997 : état de la preuve quant à une association causale

Asthme (enfant) - aggravation

8

14

Certaine

Certaine

Asthme (adulte) - aggravation

4

7

Probable

Certaine

Maladies respiratoires

0

9

Certaine

Certaine

Otite moyenne ± effusion

22

7

Certaine

Certaine

Irritation des yeux et du nez

18

14

Certaine

Certaine

Asthme (enfant) - induction

37

37

Certaine

Certaine

Asthme (adulte) - induction

2

15

Probable

Certaine

Développement poumon (enfant)

8

7

Probable

Probable (accentuée)

Symptômes respiratoires (enfant)

6

4

Certaine

Certaine

Symptômes respiratoires (adulte)

20

5

Probable

Probable (accentuée)

Source : Tableau 6 du rapport de la CalEPA (2005).

d) La morbidité et la mortalité infantile

M.  le Professeur Bertrand Dautzenberg a précisé que « chez les enfants, le tabagisme passif est responsable d'un doublement de la mort subite du nourrisson, d'une augmentation du nombre des infections respiratoires - un quart de plus si un parent fume, 50 % avec deux fumeurs à la maison, 75 % s'il y en a trois - et des crises d'asthme »33.

Dans la déclaration des 7es rencontres nationales d'Angers34 « Femme et tabac » de mai 2006, il a par ailleurs été rappelé que le tabagisme parental pénalise gravement les soins périnataux avec une « forte augmentation des risques de fausse couche précoce, de grossesse extra-utérine, de prématurité et de grande prématurité, de retard pondéral à la naissance, de mort fœtale pendant le troisième trimestre, et aussi de mort subite du nourrisson ou de troubles respiratoires parfois très graves pendant la première enfance ».

Tableaux récapitulatifs des études avant et après 1997 - causes certaines et causes probables pour la morbidité et la mortalité périnatale35

Condition Sanitaires

Nombre d'études avant 1997

Nombre d'études depuis 1997

Résultats de 1997 : état de la preuve quant à l'association causale

Résultats depuis 1997 : état de la preuve quant à l'association causale

Diminution du poids de naissance

24

18

Certaine

Certaine (Accentuée)

Faible poids à la naissance

13

9

Certaine

Certaine

(Accentuée)

Syndrome de mort subite du nourrisson

10

9

Certaine

Certaine

(Accentuée)

Accouchement prématuré

6

7

Probable

Certaine

Retard de croissance intra-utérin

5

8

Probable

Probable

(accentuée)

Avortement spontané

5

4

Probable*

Probable*

Malformations

5

6

Non démontrée

Non démontrée

Source : Tableau 3 (chap.3) et tableau 4 (chap.4) du rapport de la CalEPA (2005)

*L'interprétation est équivoque compte tenu de l'effet confondant possible du tabagisme paternel.

La connaissance des effets sur la santé du tabagisme passif a donc considérablement progressé depuis l'entrée en vigueur de la loi Évin et peut être résumée comme suit.

Résumé des effets sur la santé
(Source INCa, à partir de l'étude de CalEPA, 2005)
36

Effets cancérogènes

Association causale certaine

Association causale probable

Cancer du poumon

Cancer du col de l'utérus

Cancer des sinus de la face

Cancer nasopharyngé

Cancer du sein chez les femmes préménopausées

Cancer du cerveau et lymphomes chez les enfants

Tous les sites de cancer chez les enfants et les adultes

Effets cardiovasculaires de la fumée de tabac secondaire

Association causale certaine

Association causale probable

Mortalité par pathologie cardiaque

Risque plus élevé d'accident vasculaire cérébral chez les adultes

Morbidité coronarienne aiguë et chronique

Altération des propriétés vasculaires

Effets sur le système respiratoire

Association causale certaine

Association causale probable

Infections des voies respiratoires inférieures aiguës chez l'enfant (Exemple : bronchite et pneumonie)

Symptômes respiratoires chroniques chez

l'adulte

Infections de l'oreille moyenne chez les enfants

Exacerbation de la fibrose kystique

Symptômes respiratoires chroniques chez les enfants

Irritation des yeux et du nez chez les adultes

Induction et aggravation de l'asthme chez les enfants et les adultes

Effets sur le développement du foetus et sur le système de reproduction

Association causale certaine

Association causale probable

Diminution de poids à la naissance

Avortement spontané

Syndrome de mort subite du nourrisson

Impact défavorable sur le développement cognitif et comportemental

Accouchement prématuré

Sensibilisation allergique

Faible poids à la naissance

Diminution de la fonction pulmonaire

Effets dommageables sur la fertilité

Troubles du cycle menstruel

3. Les chiffres de la mortalité liée au tabagisme passif sont désormais mieux connus, même s'ils doivent être encore affinés.

Si les fumeurs eux-mêmes sont de très loin les premières victimes du tabac (plus de 66 000 morts par an en France), une étude parue dans le « British Medical Journal » en avril 2004 a montré que le risque de mortalité était augmenté de 15 % chez les adultes abstinents vivant quotidiennement dans une atmosphère enfumée.

On dispose maintenant d'estimations relatives à la mortalité due au tabagisme passif. Ainsi, l'Académie de médecine37, extrapolant les chiffres des États-Unis, a estimé en 1997 que cette mortalité concernait de 2 500 à 3 000 décès par an en France, tandis qu'un récent rapport européen38 avance le chiffre de 5 840 morts de tabagisme passif dans notre pays.

Comme l'a fait remarquer M.  Philippe Mourouga, directeur du département « prévention et dépistage » de l'Institut national du cancer, « dans ces estimations, on tient compte du tabagisme passif subi par les non-fumeurs mais aussi par les fumeurs, car un certain nombre de morts sont dus à la fumée du tabac secondaire »39.

Il convient de souligner qu'un rapport publié au printemps 2006 et émanant de plusieurs organismes ou ONG européens regroupés au sein de Smoke Free Partnership (European Respiratory Society, Cancer research UK, Institut national du cancer/France et European Hearth Network) a indiqué que le tabagisme passif coûte la vie, chaque année, à 79 000 habitants des 25 pays de l'Union européenne. 72 000, soit plus de 90 %, le subissent à leur domicile et 7 000 dans leur entreprise. D'après la même étude, le bilan au sein de l'Union européenne chez les personnes qui travaillent dans les bars, les restaurants et les discothèques s'élève à 352 tués, soit près d'un décès par jour.

Même si les études sur la mortalité liée au tabagisme passif doivent encore être affinées par des enquêtes épidémiologiques, car les chiffres disponibles paraissent encore parfois assez approximatifs, il n'est évidemment pas acceptable de laisser mourir des milliers de personnes chaque année du fait du tabagisme passif.

Le Professeur Bertrand Dautzenberg a ainsi fait remarquer que « depuis le moment où Yves Bur a présenté sa proposition de loi40, 2 300 personnes sont mortes du tabagisme passif, cependant que la consommation a baissé de 8 à 10  % dans les pays où l'on a interdit de fumer dans les lieux publics. Au total, 7 000 morts grosso modo auraient été évités ».

4. Il n'y a pas de niveau d'exposition au tabagisme passif sans risque

Le rapport du Centre international de recherche contre le cancer (CIRC) de 1987, comme celui de l'OMS de 2000 ou celui du Surgeon General du ministère américain de la santé de 2006 ont par ailleurs établi qu'il n'y a pas de niveau d'exposition sans risque, ni de seuil pour un risque que l'on pourrait considérer comme « acceptable ».

Il ne s'agit pas ici de rechercher à tout prix un « risque zéro », tout à fait illusoire et qui supposerait d'ailleurs une prohibition totale du tabac. Il s'agit bien de comprendre qu'il n'est pas possible d'affirmer scientifiquement que la fumée de tabac inhalée à petite dose ne comporte pas de danger.

Les connaissances scientifiques les plus récentes relatives aux conséquences sur la santé du tabagisme passif ont été synthétiquement exposées dans le rapport de juin 2006 du « Surgeon General » des États-Unis. Elles confirment les études précédentes et insistent sur la nocivité de toute exposition, même brève.

Résumé des plus récentes connaissances relatives aux conséquences sur la santé de l'exposition involontaire à la fumée du tabac : le rapport41 de juin 2006 du « Surgeon General » des États-Unis.

(Traduit par le Pr. Gérard Dubois, président de l'Alliance Contre le Tabac)

1. Le Surgeon General des États-Unis conclut que le fait de respirer même une petite quantité de fumée secondaire crée un risque pour la santé. Les preuves scientifiques établissent qu'il n'y a pas de niveau d'exposition sans risque.

2. Le tabagisme passif est une cause de cancer du poumon.

a. La fumée secondaire est un carcinogène connu pour l'homme et contient plus de 50 substances cancérogènes.

b. Les concentrations de nombre des substances cancérogènes ou toxiques sont potentiellement plus élevées dans la fumée secondaire que dans la fumée inhalée par les fumeurs.

3. Le tabagisme passif est une cause de maladie cardiaque.

a. Respirer de la fumée de tabac, même sur une courte période de temps, peut avoir immédiatement des conséquences néfastes sur le système cardiovasculaire, interférant avec le fonctionnement normal du cœur, du sang et des vaisseaux de telle manière que le risque de crise cardiaque augmente.

b. Même une courte exposition dans une salle enfumée peut modifier les plaquettes sanguines, endommager l'épithélium vasculaire, abaisser les réserves coronaires, réduire la variabilité du rythme cardiaque.

c. Les personnes déjà atteintes d'une affection cardiaque sont particulièrement à haut risque d'effets néfastes en respirant de la fumée secondaire et elles devraient prendre des précautions spéciales pour éviter toute exposition, même brève.

4. Le tabagisme passif cause des effets respiratoires aigus.

a. La fumée secondaire contient de nombreuses substances chimiques qui peuvent rapidement irriter et endommager l'épithélium respiratoire.

b. Même une brève exposition peut déclencher des symptômes respiratoires dont la toux, l'expectoration, des sibilances et de l'essoufflement.

c. Une brève exposition à la fumée secondaire peut déclencher une crise d'asthme chez les enfants asthmatiques.

d. Les personnes déjà asthmatiques ou porteuses d'une autre affection respiratoire sont à risque particulièrement élevé et devraient prendre des précautions pour éviter d'être exposées au tabagisme passif.

5. Le tabagisme passif peut causer la mort subite du nourrisson et d'autres conséquences chez le nouveau-né et l'enfant.

a. Le tabagisme maternel pendant la grossesse est connu depuis un certain temps pour causer la mort subite du nourrisson.

b. Les nouveaux-nés exposés à la fumée secondaire après leur naissance sont aussi à plus grand risque de mort subite du nourrisson.

c. Les enfants exposés au tabagisme passif sont aussi à plus grand risque d'infection respiratoire aiguë, d'otites, d'asthme plus sévère. Le tabagisme des parents est une cause de symptômes respiratoires et ralentit la croissance des poumons de leurs enfants.

6. Séparer les fumeurs des non-fumeurs, filtrer l'air et ventiler les bâtiments ne peut éliminer la fumée secondaire.

a. L'American Society of Heating, Refrigerating and Air-Conditioning Engineers (ASHRAE), corps prééminent d'ingénieurs chargés de l'établissement de standards sur la ventilation aux États-Unis, conclut qu'on ne peut s'appuyer sur la ventilation pour contrôler totalement les risques sanitaires de l'exposition au tabagisme passif.

b. Les moyens conventionnels de filtration peuvent supprimer les grosses particules mais pas les plus petites et les gaz présents dans la fumée secondaire.

c. L'utilisation des moyens de chauffage, de ventilation et de climatisation peut propager la fumée secondaire dans l'ensemble d'un bâtiment.

Ces connaissances scientifiques s'enrichissent d'ailleurs constamment.

Lors de la dernière table ronde de la mission 42, M. Gérard Dubois a ainsi informé la mission qu'il avait été officiellement annoncé lors du dernier Congrès mondial de la santé qui s'est tenu à Washington en juillet 2006, qu'au moment où le rapport de l'Agence californienne de protection de l'environnement serait rendu public, fin septembre ou octobre 2006, l'OMS retiendrait officiellement l'existence d'un lien avéré entre le cancer du sein et le tabagisme passif, ajoutant ainsi cette maladie à la liste des pathologies dues au tabagisme passif.

Il convient de souligner qu'aucun des participants aux tables rondes de la mission n'a, à aucun moment, contesté les évidences scientifiques exposées au cours des débats.

La mission a ainsi permis un grand pas en avant en faisant acter par tous que le tabagisme passif expose effectivement à des risques avérés.

B. L'ÉVOLUTION DU CADRE JURIDIQUE CRÉE DE NOMBREUX RISQUES

1. Les évolutions sont à la fois constitutionnelles, conventionnelles et jurisprudentielles

a) Les évolutions constitutionnelles

La protection de la santé publique, qui trouve notamment sa source dans le onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 selon lequel la Nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé », est depuis longtemps un principe constitutionnel sur lequel peut se fonder une action de lutte contre le tabagisme passif.

Plus récemment, l'adossement, en 2005, de la Charte de l'environnement à la Constitution du 4 octobre 1958 a introduit dans notre bloc de constitutionnalité le « principe de précaution » (article 5) et le « droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » (article 1) qui sont susceptibles de s'appliquer en matière de tabagisme passif.

M.  Guy Carcassonne, professeur de droit, a toutefois fait remarquer43 que « personne (...) n'est en mesure de dire avec certitude la portée de ce texte désormais adossé à la Constitution, mais sur lequel le Conseil n'a pas encore eu l'occasion de s'exprimer. Parmi les multiples interprétations possibles, on peut arguer que ce texte est d'abord et avant tout une charte de l'environnement et non une charte de santé publique, quand bien même on parle d'environnement propice à la santé publique ».

b) Les évolutions en droit européen et droit international

● Le droit européen

En Europe, c'est le Conseil de l'Europe qui a longtemps été pionnier en la matière. En 1973, une recommandation44 incitait les États membres à se doter d'une législation visant à interdire la consommation du tabac dans les transports publics ainsi que dans les administrations. Plus récemment, en 2002, une résolution45 a proposé aux États de se doter d'une législation visant à protéger les non-fumeurs (espaces sans fumée pour tous les lieux fermés accessibles au public).

En revanche, il n'existe encore aucune législation spécifique et contraignante de l'Union européenne en matière d'interdiction de fumer.

Mme Théa Emmerling, responsable des mesures législatives en préparation à la Direction générale de la santé de la Commission européenne, a en revanche indiqué46 qu'« il existe un cadre non obligatoire dit de soft law », avec notamment une recommandation47 du Conseil sur la prévention du tabagisme. Les États sont incités à prendre des dispositions législatives de manière à assurer une protection appropriée contre le tabagisme passif sur les lieux de travail, dans les lieux publics clos et dans les transports en commun. En particulier, cette recommandation demande d'accorder une attention prioritaire aux établissements d'enseignement, aux établissements dispensant des soins de santé et à ceux qui fournissent des services aux enfants.

Par ailleurs, Mme Théa Emmerling a également informé la mission que la Commission a « l'intention de lancer, dès cet automne, un débat sur l'Europe sans fumée de cigarette. Une consultation informelle est d'ores et déjà en cours. Il est prévu de rédiger un livre vert durant l'été, afin de pouvoir l'adopter à l'automne. La préparation du livre vert ouvrira une période de consultation de deux ou trois mois pendant laquelle chacun pourra apporter sa contribution. Les résultats de cette consultation feront l'objet d'un rapport l'année prochaine et une communication pourra, le cas échéant, être adoptée sur le chemin à suivre »3.

Plusieurs directives sont susceptibles de servir de supports à une future législation européenne relative au tabagisme passif, parmi lesquelles la directive cadre 89-391 du Conseil du 12 juin 1989 concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail, la directive 89/654/CEE du Conseil, du 30 novembre 1989 concernant les prescriptions minimales de sécurité et de santé pour les lieux de travail, ou encore la directive 2004/37/CE sur les agents cancérigènes ou mutagènes.

Par ailleurs, depuis la décision du Conseil 2004/513/CE, l'Union européenne est partie prenante à la convention cadre de l'OMS pour la lutte anti-tabac et s'est engagée, aux côtés des États membres, à la faire respecter.

 La convention cadre de l'OMS pour la lutte anti-tabac

Le 23 mai 2003, lors de la 56ème Assemblée mondiale de la Santé, les 192 États membres de l'OMS ont adopté à l'unanimité une Convention cadre pour la lutte anti-tabac.

Premier traité international de santé publique, conçu pour faire diminuer la mortalité due au tabac dans le monde, ce traité a été signé par la France le 16 juin 2003 et ratifié le 19 octobre 2004, après une autorisation parlementaire donnée par la loi relative à la santé publique du 4 août 2004. La mise en œuvre de ce traité, désormais en vigueur depuis le 27 février 2005, a été confiée en mai 2005 à l'Institut national du Cancer (INCa).

Deux articles de cette convention engagent plus particulièrement la France à protéger efficacement tout individu contre les risques liés à l'exposition à la fumée de tabac.

Il s'agit en premier lieu de l'article 4 qui stipule, au titre des principes directeurs que doivent suivre les Parties, que « des mesures législatives, exécutives, administratives ou autres mesures efficaces doivent être envisagées au niveau gouvernemental approprié pour protéger tous les individus contre l'exposition à la fumée de tabac ».

Par ailleurs, l'article 8, relatif à la protection contre l'exposition à la fumée du tabac, stipule que « chaque Partie adopte et applique, dans le domaine relevant de la compétence de l'État en vertu de la législation nationale, et encourage activement, dans les domaines où une autre compétence s'exerce, l'adoption et l'application des mesures législatives, exécutives, administratives et/ou autres mesures efficaces prévoyant une protection contre l'exposition à la fumée du tabac dans les lieux de travail intérieurs, les transports publics, les lieux publics intérieurs et, le cas échéant, d'autres lieux publics ».

Comme l'a rappelé M. Philippe Mourouga, directeur du département « prévention et dépistage » de l'Institut national du cancer, « En ratifiant cette convention, la France s'est engagée à respecter les principes qu'elle énonce et à mettre en œuvre ses recommandations »48.

De la même façon, Mme Théa Emmerling a tenu à rappeler49 que « la convention cadre de l'OMS enjoint toutes les Parties à prendre des mesures de protection » et « qu'il ne s'agit pas d'un choix, mais bien d'une obligation d'agir ».

Lors de la première conférence des Parties qui s'est tenue en février 2006, les 110 pays présents se sont entendus pour l'élaboration de lignes directrices concernant la mise en œuvre de l'article 8 en soulignant que, du point de vue de la santé publique, aucun niveau d'exposition à la fumée secondaire n'était sans danger et que des éléments concluants attestaient que les solutions techniques ne protégeaient pas contre l'exposition à la fumée du tabac.

c) Les évolutions jurisprudentielles

Les évolutions jurisprudentielles, en grande partie influencées par le droit communautaire, créent une dynamique extrêmement forte, à laquelle le dispositif juridique actuel ne peut échapper à terme.

C'est surtout l'arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation en date du 29 juin 2005 qui est fondamental mais d'autres jurisprudences récentes sont également susceptibles d'emporter des conséquences importantes sur le régime juridique de l'interdiction de fumer.

● L'arrêt fondamental de la chambre sociale de la Cour de cassation du 29 juin 2005

Par cet arrêt du 29 juin 2005, la chambre sociale de la Cour de Cassation met à la charge de l'employeur une obligation de sécurité de résultat concernant la protection des salariés contre le tabagisme sur les lieux de travail.

M. Jean-Emmanuel Ray, professeur de droit à l'Université Paris I (Panthéon-Sorbonne) a résumé la portée de cet arrêt et les changements qu'il introduit en soulignant qu'« auparavant la question centrale était : l'employeur a-t-il respecté les textes ? S'il les avait respectés, il n'était pas fautif. Aujourd'hui, on entre dans une autre logique, extrêmement contraignante pour les entreprises, dont le principe directeur est l'obligation de sécurité de résultat»50.

Plutôt que de se fonder sur les seules insuffisances de l'employeur au regard des dispositions du code de la santé publique, la chambre sociale de la Cour de Cassation a souhaité mettre l'accent sur l'obligation de sécurité de résultat de l'employeur, en adoptant une approche dynamique et préventive de cette obligation destinée à assurer l'effectivité du droit des travailleurs à la sécurité et à la santé sur leurs lieux de travail.

Concrètement, le passage sur le terrain de l'obligation de sécurité de résultat « signifie que les dispositions particulières qui permettent, actuellement, d'aménager des lieux où l'on peut fumer dans les entreprises, doivent être appliquées de telle façon qu'il n'y ait pas un microgramme d'émanation de tabac pour indisposer les salariés, à l'extérieur de ces endroits »51.

Cet arrêt emporte des conséquences juridiques d'autant plus importantes qu'il présente tous les caractères d'un arrêt de principe.

Un revirement de jurisprudence apparaît en effet peu probable tant les décisions de la chambre sociale de la Cour de cassation sont fortement influencées par la dynamique communautaire.

M. Pierre Sargos, Président de la Chambre sociale de la Cour de cassation a en effet indiqué52 que c'est la directive cadre 89-391 du Conseil du 12 juin 1989 concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail, elle-même transposée en droit français par l'article L.230-2 du code du travail, qui « fait peser sur l'employeur ce qui pourrait être analysé comme une obligation de sécurité de résultat. Une de ses dispositions stipule que les États membres ne peuvent prévoir l'exclusion de la responsabilité de l'employeur que pour des faits dus à des circonstances étrangères, anormales et imprévisibles ou à des évènements exceptionnels dont les conséquences n'auraient pu être évitées. La jurisprudence française décide que, lorsqu'on est sur le terrain de l'obligation de sécurité de résultat, on ne peut s'en exonérer qu'en prouvant le cas fortuit ou la force majeure ».

Si la loi nationale peut en théorie toujours modifier une jurisprudence, elle demeure en tout état de cause soumise aux normes européennes de valeur supra législative.

● Les autres évolutions jurisprudentielles récentes

Il s'agit en premier lieu d'un arrêt du 21 juin 2006 de la Chambre sociale de la Cour de cassation portant sur une affaire de harcèlement moral qui étend encore l'obligation de sécurité de résultat et énonce de façon tout à fait novatrice que le principe du code civil selon lequel quiconque cause un dommage à autrui doit réparation (article 1382 du code civil) s'applique également en matière de droit du travail.

Il s'agit en second lieu de plusieurs jurisprudences récentes rendues par la Cour de cassation et par le Conseil d'État dans le domaine du risque lié à l'amiante.

Par une série d'arrêts rendus le 28 février 2002 dans des litiges concernant des victimes de maladies professionnelles liées à l'exposition aux poussières d'amiante, la chambre sociale de la Cour de cassation, transformant la définition traditionnelle de la faute inexcusable - qui exigeait notamment la preuve d'une faute de l'employeur d'une exceptionnelle gravité -, a jugé que la faute inexcusable était désormais constituée par le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat, lorsqu'il avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'avait pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver. Cette jurisprudence a été consacrée par l'assemblée plénière de la Cour de cassation le 24 juin 2005.

Toujours dans le domaine du risque lié à l'amiante, le Conseil d'État a confirmé, le 3 mars 2004, l'arrêt du tribunal administratif de Marseille qui avait relevé « le retard fautif mis par l'État pour édicter des normes plus sévères quant à l'inhalation de fibres d'amiante en milieu professionnel » et condamné l'État pour carence dans le respect des ses obligations générales en matière de prévention des risques professionnels et de surveillance sanitaire des salariés et défaut de contrôle de la réglementation en place. Selon le Conseil d'État, « il incombe aux autorités publiques chargées de la prévention des risques professionnels de se tenir informées des dangers que peuvent courir les travailleurs dans le cadre de leur activité professionnelle, compte tenu notamment des produits et substances qu'ils manipulent ou avec lesquels ils sont en contact, et d'arrêter, en l'état des connaissances scientifiques, au besoin à l'aide d'études ou d'enquêtes complémentaires, les mesures les plus appropriées pour limiter et si possible éliminer ces dangers »53.

Enfin, on peut également mentionner au titre des évolutions jurisprudentielles récentes intéressant le domaine du tabagisme passif un arrêt du 16 mars 2004 de la Cour d'Appel de Rennes qui estime que le droit de retrait d'une situation dangereuse (article L.  231-8-1 du code du travail) peut s'exercer en matière de tabagisme passif et un arrêt du Tribunal administratif de Paris de 2006 qui condamne l'État-employeur au versement de dommages et intérêts du fait de carences dans l'application de la législation et de la réglementation relatives à la lutte contre le tabagisme.

2. Ces évolutions juridiques, en l'absence d'une modification du dispositif national actuel, sont source d'insécurité juridique

a) L'insécurité juridique pour les employeurs

L'insécurité juridique concerne au premier plan les employeurs, tant du secteur privé que du secteur public, et ce à plusieurs titres.

● Le risque de prise d'acte par le salarié de la rupture de son contrat de travail

La jurisprudence du 29 juin 200554 signifie que tout salarié qui est exposé à la fumée du tabac dans un établissement peut, à tout moment, prendre acte de la rupture de son contrat de travail du seul fait que son droit à la santé n'est pas assuré, ce qui équivaut à un licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur cette base, le salarié peut engager la responsabilité de son employeur, ce qui entraîne la reconnaissance des droits prévus par les articles L. 122-6 à
L. 122-9 du code du travail (indemnité de licenciement et de préavis) et les articles
L. 122-14-4 et L. 122-14-5 du même code (indemnité octroyée au salarié et remboursement par l'employeur des indemnités de chômage payées au salarié).

M. Franck Trouet, directeur du service juridique et social du Syndicat national des hôteliers restaurateurs cafetiers et traiteurs (SYNHORCAT), a fait état des difficultés que cette jurisprudence risquait de créer dans sa branche d'activité : « un salarié peut, à tout moment, exposer l'un de nos professionnels à cette procédure et au paiement de lourdes réparations qui lui seraient automatiquement accordées ». Selon lui, « il est évident qu'il faut une intervention législative pour nous permettre d'obliger nos salariés, et surtout nos clients, à ne plus fumer et pour que nous ne soyons plus dans la situation précaire que nous connaissons aujourd'hui »55. Il en a conclu que « plus vite une loi sera adoptée, plus vite nous aurons le sentiment d'être en sécurité »56.

Cette nouvelle jurisprudence du 29 juin 200557 oblige donc l'employeur à garantir ses salariés contre toute exposition au tabagisme passif, y compris celle occasionnée par des clients fumeurs. Au-delà du seul respect des obligations légales, l'objectif du juge est bien désormais d'assurer « l'effectivité » du droit applicable à la protection des salariés. Ainsi, l'employeur ne peut plus s'exonérer en prouvant qu'il n'a pas commis de faute. Il faut que le résultat soit atteint, et s'il ne l'est pas, c'est-à-dire s'il y a exposition, quelles que soient les précautions, sa responsabilité est engagée.

L'opportunité d'une révision du dispositif légal n'est pas pour autant remise en question car, pour obtenir le respect de sa santé au travail, le non-fumeur est obligé, en l'état actuel du droit, de prendre acte de la rupture de son contrat de travail, ce qui est quand même un prix lourd à payer. Par ailleurs, le résultat d'une telle action reste aléatoire et risqué car la juridiction prud'hommale peut toujours déclarer le non-fumeur démissionnaire.

Pour éviter de prendre un tel risque, M. Jean-Emmanuel Ray, professeur de droit à l'Université Paris I (Panthéon-Sorbonne), a indiqué que le non-fumeur qui reproche à son employeur de n'avoir pas prescrit d'interdiction générale et absolue de fumer dans le bureau à usage collectif qu'il occupe peut « tout en continuant à travailler, saisir les prud'hommes en résolution judiciaire du contrat »58. Dans ce cas, si les prud'hommes lui donnent raison, il y a licenciement sans cause réelle et sérieuse. À défaut, l'employé ne perd pas pour autant son emploi.

● Le risque lié au droit de retrait

La cour d'appel de Rennes a estimé, dans un arrêt du 16 mars 2004, qu'en raison de « la nocivité des fumées du tabac (...) produit dangereux et mortel en raison de ses effets cancérigènes sur les fumeurs mais aussi sur les personnes passives » l'employeur « ne peut contraindre un salarié (...) de travailler dans des atmosphères polluées par ces fumées » et qu'« on ne saurait reprocher à ce salarié d'avoir refusé de travailler dans ces conditions, alors qu'il n'a pas à être sanctionné pour avoir demandé l'application d'une loi de santé publique ».

En matière de tabagisme passif, le droit de retrait du salarié, qui s'exerce habituellement dans une situation présentant un danger grave et imminent, est ainsi justifié.

● Le risque lié à une éventuelle reconnaissance de la faute inexcusable

Il existe également pour l'employeur un risque de prolongement judiciaire sur le terrain de la réparation pour maladie professionnelle auprès des tribunaux de la sécurité sociale (TASS).

Comme cela a déjà été souligné, et en raison des évolutions jurisprudentielles, il n'est pas exclu que la «faute inexcusable» de l'employeur puisse s'appliquer à l'avenir en matière de tabagisme passif comme dans le cas de l'amiante.

Il n'existe certes pas de tableau de maladie professionnelle concernant l'exposition au tabagisme passif, mais un salarié pourrait toujours soutenir, en s'appuyant sur les dispositions du paragraphe 3 de l'article L. 461-1 du code de la sécurité sociale59 que c'est une exposition au tabagisme passif qui a entraîné chez lui une maladie causant une invalidité partielle permanente d'au moins 25 %. Ainsi, M. Pierre Sargos, président de la Chambre sociale de la Cour de cassation, a estimé60 que « si un salarié soutenait que c'est l'exposition au tabagisme qui a entraîné sa maladie et s'il prouvait que sa pathologie est consécutive à l'inhalation de tabac, la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur serait très probable », voire « pratiquement automatique ».

Dans le même sens, M. Jean-Emmanuel Ray, professeur de droit à l'Université Paris I (Panthéon-Sorbonne) a fait valoir qu'« en cas de maladie déclarée, le salarié peut mettre en cause la responsabilité de l'employeur, avec de fortes chances pour que la faute inexcusable soit reconnue »61.

Les travaux de la mission ont montré qu'un tel cas n'est pas purement d'école, et pourrait très bien être celui du « salarié non-fumeur d'une discothèque ou d'un débit de boisson qui serait atteint d'un cancer ou qui mourrait jeune d'une affection cardio-vasculaire »62.

Dans ce cas, les conséquences financières seraient loin d'être neutres pour l'employeur qui devrait alors rembourser à la sécurité sociale les indemnités journalières de maladie et les frais de santé.

● Le risque d'insécurité assurantielle

Dans l'hypothèse où la «faute inexcusable» de l'employeur trouverait à s'appliquer dans un futur proche en matière de tabagisme passif comme dans le cas de l'amiante, l'insécurité juridique se doublerait, pour l'employeur, d'une insécurité assurantielle.

En effet, à la suite des arrêts du 28 février 2002 de la Cour de cassation établissant que le manquement à l'obligation de sécurité de résultat avait le caractère de faute inexcusable, les assureurs ont exclu les maladies liées à l'amiante de la garantie «faute inexcusable» contenue dans la plupart des contrats de responsabilité civile proposés.

M. Stéphane Penet, directeur de la Fédération française des sociétés d'assurance (FFSA), a indiqué63 à la mission que « l'arrêt de juin 2005 nous fait craindre un parallélisme entre le tabagisme passif et l'amiante, ce qui aboutirait à rendre inassurables les conséquences pécuniaires de la mise en cause de la responsabilité d'un employeur vis-à-vis de ses salariés en matière de tabagisme passif ».

Il convient toutefois de noter qu'il n'existe pas encore de jurisprudence établissant le lien entre le tabagisme passif et la faute inexcusable et que le lien de causalité entre l'exposition d'un salarié à la fumée du tabac sur son lieu de travail et une maladie cardio-vasculaire ou un cancer dont il serait victime serait sans doute moins évident à établir que dans le cas de l'amiante.

Toutefois, M. Stéphane Penet a clairement indiqué que « si la jurisprudence mettait en cause de manière systématique, comme dans le cas de l'amiante, la responsabilité de l'employeur quelles que soient les mesures qu'il ait prises, il est évident qu'il n'y aurait plus d'aléa et que les assureurs seraient amenés à exclure le tabagisme passif de leurs contrats faute inexcusable. En effet, parmi les raisons de l'inassurabilité d'un risque, il y a notamment le fait que la prime devienne inabordable ».

Il a résumé la situation en indiquant que « si la jurisprudence va dans le sens d'une mise en cause systématique des employeurs, le risque n'est pas une augmentation de la prime mais une absence d'assurabilité».

● L'insécurité juridique pour les employeurs du secteur public

L'insécurité juridique de l'employeur pourrait également s'étendre à terme à la sphère publique.

Il existe peu de jurisprudence sur le sujet mais M. Gérard Audureau, président de l'association « Droits des non-fumeurs », a indiqué à la mission l'existence d'un arrêt du Tribunal administratif de Paris (audience du 18 mai 2006, lecture du 15 juin 2006) qui a déjà jugé que des carences dans l'application de la législation et de la réglementation relatives à la lutte contre le tabagisme avaient causé à un non-fumeur des troubles dans ses conditions d'existence et un préjudice moral justifiant la condamnation de l'État à lui payer la somme de 1 000 euros.

b) L'insécurité juridique pour les employés

L'insécurité juridique concerne également les employés. Comme déjà souligné, un arrêt du 21 juin 2006 de la Chambre sociale de la Cour de cassation a énoncé de façon tout à fait novatrice que le principe du code civil selon lequel quiconque cause un dommage à autrui doit réparation s'applique également en matière de droit du travail.

M. Jean-Emmanuel Ray, professeur de droit à l'Université Paris I (Panthéon-Sorbonne), a appelé l'attention de la mission sur le fait que « cet arrêt aura des conséquences sur la protection contre le tabagisme. À terme, le procès sortira du champ habituel opposant l'employeur au salarié, le fumeur au non-fumeur. Le non-fumeur pourra assigner ses collègues et dire : « Si tu allumes ta clope, je te poursuis. » ». Il estime ainsi que « l'arrêt du 21 juin 2006 introduit une grande nouveauté en ceci qu'un cadre qui fumerait ou laisserait fumer est à présent susceptible d'être mis en cause non pas sur le plan disciplinaire mais au civil, et de devoir rembourser aux victimes éventuelles les dommages causés. C'est une nouveauté absolument redoutable pour les entreprises » 64.

En permettant à des non-fumeurs d'assigner non plus seulement l'employeur mais également leurs collègues, cette jurisprudence représente un risque pour la paix sociale dans les entreprises.

c) L'insécurité juridique pour l'État

Les débats de la mission ont également évoqué la possibilité que, par parallélisme avec la jurisprudence administrative relative à la responsabilité de l'État en matière d'amiante, une faute soit invoquée à l'encontre de l'État du fait de sa relative carence à faire appliquer ou contrôler la réglementation relative à la protection contre les effets du tabagisme passif.

Sur ce point, M. Pierre Sargos, président de la Chambre sociale de la Cour de cassation, a estimé qu'« en matière de responsabilité, s'agissant de la protection des salariés dans l'entreprise, les dispositions actuelles permettent de considérer que l'État a satisfait à ses obligations». Mais il a néanmoins noté que bien que raisonnable, le dispositif « le serait encore plus si l'on avait visé une prohibition générale de l'usage du tabac dans les lieux recevant du public »65.

D'autres observateurs, comme le Professeur Bertrand Dautzenberg, ont au contraire fait remarquer que l'évolution de la société allant vers toujours plus de sécurité, les choses pouvaient évoluer et que ce qui semble raisonnable aujourd'hui pourra justifier l'engagement de la responsabilité administrative de l'État sur le terrain de la faute dans quelques années.

C. DE NOMBREUX PAYS SE SONT DOTÉS RÉCEMMENT DE LÉGISLATIONS PLUS PROTECTRICES EN MATIÈRE D'EXPOSITION AU TABAGISME PASSIF.

Beaucoup de pays ont adopté récemment des législations tendant à interdire l'usage du tabac dans les lieux publics. Toutefois, le degré de l'interdiction reste variable suivant les pays.

1. Certains pays interdisent totalement de fumer sans autoriser les fumoirs

L'Irlande a été le premier pays de l'Union européenne à imposer une interdiction totale. La loi de 2002 sur le tabac et la santé publique, entrée en vigueur le 29 mars 2004, dispose qu'il est interdit de fumer dans tous les lieux fermés qui constituent des lieux de travail, avec quelques rares exceptions pour ce qu'il est convenu d'appeler des « substituts de domicile », notamment les prisons et les hôpitaux psychiatriques. Le non-respect de cette interdiction expose le contrevenant, ainsi que le gérant de l'établissement dans lequel l'infraction est constatée, au paiement d'une amende de 3 000 euros.

L'interdiction est également totale en Norvège, dans plusieurs États des États-Unis d'Amérique (dont New-York et la Californie), au Canada, en Australie et en Nouvelle-Zélande.

Au Royaume-Uni, le Health Bill voté le 14 février 2006 prévoit une interdiction totale du tabac dans tous les lieux publics (pubs, restaurants, bureaux et usines) à compter du second semestre 2007. L'Irlande du Nord s'est également dotée d'une loi similaire qui s'appliquera en avril 2007. En Écosse, la loi est entrée en vigueur fin mars 2006.

2. D'autres pays ont préservé la possibilité d'espaces fumeurs

En Italie, l'interdiction de fumer dans tous les lieux de travail et affectés à l'usage du public (cafés, restaurants, hôtels, entreprises, etc.) résulte de la loi du
16 janvier 2003, entrée en vigueur le 10 janvier 2005. Cette loi vient renforcer une loi de 1975 qui avait déjà exclu le tabac des hôpitaux et des transports publics. La loi laisse la possibilité de créer des espaces fumeurs mais avec des normes tellement strictes qu'à peine 2 % des établissements en sont dotés. Les contrevenants s'exposent à des amendes allant de 27 euros à 275 euros qui sont même doublées lorsque la personne fume en présence d'un enfant ou d'une femme enceinte. Les gérants s'exposent à des amendes comprises entre 220 et 2 200 euros ainsi qu'à une suspension, voire à un retrait, de leur licence.

La Suède s'était dotée depuis 1993 d'une réglementation sur le tabac interdisant de fumer dans les lieux publics, à l'exception des restaurants et bars. Une nouvelle loi, adoptée en mai 2004 et entrée en vigueur le 1er juin 2005, interdit désormais totalement de fumer dans les restaurants et les cafés, à moins que l'établissement ne dispose de salles fermées et ventilées spécialement réservées aux fumeurs qui se voient toutefois interdire d'y consommer.

En Espagne, une loi du 15 décembre 2005, entrée en vigueur le 1er janvier 2006, pose le principe de l'interdiction totale pour les lieux de travail ainsi que pour les bars, restaurants et lieux de loisirs d'une superficie supérieure à 100 m2 qui n'auraient pas de zones non-fumeurs. Les établissements de moins de 100m2 pourront choisir entre être fumeur ou non mais devront en informer le consommateur. De fait, la majorité des établissements qui en avaient la possibilité ont choisi de rester fumeurs.

En Finlande, si la cigarette doit être bannie en juin 2007, des espaces fumeurs hermétiques pourront être aménagés.

Au Danemark, les lieux de plus de 100 m2 seront non-fumeurs à compter du 1er avril 2007, mais il sera possible d'y établir des sections séparées, de même qu'en Estonie.

À Malte et dans certains cantons suisses, l'interdiction va également de pair avec la création de zones fumeurs séparées. La Lithuanie envisage de faire de même en 2007.

3. Ces évolutions créent un mouvement favorable à l'interdiction

Ces législations restrictives, dont les sondages montrent qu'elles sont plutôt bien acceptées dans les pays qui les ont mises en place, sont souvent données en exemple par les partisans d'un durcissement des règles relatives à l'usage du tabac dans les lieux affectés à un usage collectif.

M. Didier Jayle, président de la mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT), a ainsi déclaré que « l'évolution des législations étrangères - notamment européennes - conforte les tenants de l'interdiction »66.

Face à cette évolution internationale, Mme Bernadette Roussille, membre de l'Inspection des affaires sociales (IGAS) a indiqué67 avoir « appelé l'attention du ministre sur le risque de baisse de la fréquentation touristique de notre pays par les visiteurs étrangers qui n'aiment pas les lieux enfumés ».

Dans le même sens, la mission a eu communication d'une lettre signée par un certain nombre de scientifiques étrangers à l'occasion du Congrès de juillet 2006 de l'Union internationale contre le cancer à Washington, insistant sur le fait que la France risquait ne pas rester la première destination touristique du monde si l'on continuait à y exposer à la fumée des touristes dorénavant protégés dans leur pays d'origine.

D. L'OPINION PUBLIQUE FRANÇAISE A CONSIDÉRABLEMENT ÉVOLUÉ

Divers sondages ont révélé au cours des dernières années que le tabagisme passif est socialement de moins en moins accepté et qu'il semble exister une attente dans l'opinion pour une interdiction totale de fumer.

Parallèlement, une certaine adhésion au maintien de salles fumeurs séparées physiquement semble progressivement se dessiner.

Alors que le décret d'application de la loi Évin avait reçu un accueil très favorable du public68 en 1992, l'ensemble des sondages d'opinion converge aujourd'hui pour mettre en relief une attente de la population française en faveur d'un durcissement des règles d'interdiction de fumer dans les lieux publics.

Plusieurs sondages témoignent de cette forte adhésion des Français en faveur d'une interdiction totale de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif.

Un sondage TNS/Sofres réalisé en octobre 2004 pour l'association « Alliance contre le tabac » indique ainsi que les Français sont majoritairement en faveur d'une interdiction totale de fumer. Le pourcentage des Français en faveur d'une interdiction totale s'élève à 74 % lorsqu'il s'agit des entreprises, à 72 % lorsqu'il s'agit des restaurants, à 64 % pour les cafés et à 60 % pour les discothèques.

Un sondage IFOP pour le Journal du Dimanche, publié le 9 octobre 2005, confirme largement ces grandes tendances, puisque 80 % des personnes interrogées se prononcent pour une interdiction totale de fumer dans les lieux publics. Les non-fumeurs (88 %) mais aussi les fumeurs (56 %) se prononcent en faveur d'une interdiction totale. Lorsqu'on interroge les Français sur les différents lieux concernés, les résultats restent globalement identiques à ceux du sondage TNS/Sofres d'octobre 2004. 74 % sont en faveur d'une interdiction totale dans les entreprises (55 % parmi les fumeurs, 81 % parmi les non-fumeurs), 73% sont en faveur d'une interdiction totale dans les restaurants et les brasseries (48 % parmi les fumeurs, 82 % parmi les non-fumeurs), 60 % sont en faveur d'une interdiction totale dans les discothèques et les bars d'ambiance (26 % parmi les fumeurs, 73 % parmi les non-fumeurs) et 59 % sont en faveur d'une interdiction totale dans les cafés et les bars-tabacs (28 % parmi les fumeurs, 70 % parmi les non-fumeurs).

Un sondage réalisé par l'IFOP pour l'UMIH - l'Union des métiers et des Industries de l'Hôtellerie - le 6 mars 2006 semble introduire une première nuance dans l'unanimité constatée en faveur de l'interdiction totale de fumer dans les lieux affectés à l'usage du public : 87 % des personnes interrogées (83  % des fumeurs et 88 % des non-fumeurs) se déclarent favorables à ce qu'une salle fumeurs, physiquement séparée de la salle non-fumeurs, soit installée dans les cafés, brasseries ou restaurants. 86  % des clients des brasseries, 87 % des clients des restaurants et 87 % des clients des cafés-bars manifestent leur adhésion à l'installation d'une salle fumeurs séparée physiquement, tandis que 68 % des sondés se montrent favorables (62 % des fumeurs et 69 % des non-fumeurs) à ce que les exploitants de cafés, brasseries ou restaurants de moins de 100 m2 puissent afficher sur leur porte d'entrée que leur établissement est totalement non-fumeur ou totalement fumeur.

Un sondage TNS/Sofres d'août 2006, réalisé pour le compte de la Confédération des buralistes, nuance encore cette unanimité, puisqu'il indique qu'une majorité de Français est défavorable à une interdiction totale de fumer dans les cafés, les bars-tabacs et sur les terrasses des restaurants et cafés. Plus précisément, 58 % des sondés n'estiment pas nécessaire d'interdire totalement de fumer dans les cafés, la proportion montant à 66 % pour les bars-tabacs et 75 % pour les terrasses des restaurants et des cafés. En revanche, une majorité des personnes interrogées reste toutefois favorable à une interdiction totale de fumer dans les gares et aéroports (54 %), dans les restaurants (61 %), ainsi que dans les hôpitaux et établissements scolaires (91 %).

Un tout récent sondage IFOP diffusé le 19 septembre 2006 pour la « Revue des comptoirs » semble confirmer qu'au-delà de l'adhésion générale à une interdiction totale de fumer, un courant se dessine en faveur de la préservation d'espaces fumeur hermétiquement clos du type de ceux qui existent en Espagne : 86 % des sondés sont plutôt favorables à une séparation hermétique pour les locaux de plus de 100 m2 et 68 % pour le libre choix pour les surfaces de moins de 100 m2. Au-delà de cette souplesse, la tendance à une interdiction totale de fumer se confirme : 77 % dans les restaurants (58 % pour les fumeurs et 84 % pour les non-fumeurs), 66 % dans les cafés, bars brasseries (36 % les fumeurs et 76 % pour les non-fumeurs), 61 % dans les discothèques et bars de nuits (33 % pour les fumeurs et 72 % pour les non-fumeurs).

Publié en janvier 2006, un autre sondage Eurobaromètre spécial commandité par la Direction générale Santé et protection des consommateurs de la Commission européenne sur « l'attitude des Européens à l'égard du tabac » est plus particulièrement riche d'enseignements sur la spécificité de l'opinion française par rapport aux autres pays de l'Union européenne.

Ce sondage révèle que 60 % des Français sont «  totalement en faveur » et 22 % « plutôt en faveur » - donc, au total, 82 % en faveur - de l'interdiction de fumer dans les bureaux et dans les lieux publics, ce qui est supérieur à la moyenne européenne.

S'agissant de l'interdiction de fumer dans les restaurants, le pourcentage est de 78 % en France, ce qui est encore supérieur à la moyenne européenne.

Pour les bars et restaurants, la France se situe à 59 % en faveur de l'interdiction, soit un peu en dessous de la moyenne européenne.

Enfin, s'agissant des lieux publics couverts, tels que le métro, les aéroports, les magasins, 88 % des Français sont en faveur d'une interdiction, ce qui est au-dessus de la moyenne européenne.

Sur la base du constat établi par les tables rondes, un accord s'est progressivement dessiné au cours des travaux de la mission pour durcir le régime juridique actuel, y compris de la part d'acteurs économiques initialement réservés.

Il convient d'ailleurs de remarquer que cette volonté de faire évoluer le régime juridique vers une plus grande fermeté s'est concrètement traduite dans la période récente par le dépôt de plusieurs propositions de loi, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat.

Récentes propositions de loi relatives au tabagisme passif

Proposition de loi N° 2591, présentée par M.  Yves Bur et enregistrée à la Présidence de l'Assemblée nationale le 13 octobre 2005, relative à la protection contre les dangers du tabagisme passif.

Proposition de loi N° 195, présentée par M. Robert del Picchia et annexée au procès-verbal de la séance du 7 février 2006, relative à la protection contre les dangers du tabagisme passif.

Proposition de loi N° 2911, présentée par M.  Claude Évin et enregistrée à la Présidence de l'Assemblée nationale le 28 février 2006, relative à la protection des travailleurs et du public.

Proposition de loi N° 2913, présentée par M.  Michel Zumkeller et enregistrée à la Présidence de l'Assemblée nationale le 28 février 2006, relative à la protection contre les dangers du tabagisme passif et à l'interdiction de la vente de tabac aux mineurs.

Toutes les conditions semblent donc être réunies pour une modification du droit dans notre pays.

DEUXIÈME PARTIE - LES PRINCIPES DIRECTEURS DE LA RÉFORME

I.- LES POINTS D'ACCORD

La mission réaffirme le caractère prioritaire de l'objectif de santé publique qui vise à lutter contre les méfaits du tabagisme, en particulier passif, et à mettre en œuvre de façon certaine les mesures rigoureuses s'inscrivant dans un projet global de prévention vis-à-vis du tabac.

A. IL N'EST PAS QUESTION D'INTERDIRE LE TABAC

Comme l'a déclaré, à plusieurs reprises M.  Gérard Dubois, président de « l'Alliance pour le tabac », un parallèle a été tracé entre le tabagisme passif et l'amiante, produit interdit en France depuis le 1er janvier 1997 : « remplacez les mots « exposition à la fumée de tabac » par les mots « exposition à l'amiante », et vous mesurerez immédiatement l'enjeu du débat »69.

En toute logique, la reconnaissance de la forte nocivité du tabac pourrait en effet justifier qu'on en vienne à exiger son interdiction. Il a par exemple été rapporté70 par Mme Théa Emmerling, responsable des mesures législatives en préparation à la Direction générale de la santé de la Commission européenne, à propos des négociations sur la convention cadre pour la lutte anti-tabac, « qu'au début, au sein de l'OMS, on disait que le tabac était un produit tellement dangereux qu'il fallait l'interdire ».

À l'étranger, le petit royaume himalayen du Bhoutan est, par exemple, devenu en décembre 2004 le premier pays au monde à prohiber totalement la vente de tabac avec les encouragements de l'OMS. Les fumeurs peuvent toujours entrer dans le pays avec des cigarettes achetées à l'étranger mais ils doivent désormais payer une taxe de 100 % sur le prix de vente, ainsi que 100 % de droits de douane71 sur les produits du tabac.

À l'encontre de cette expérience insolite, l'ensemble des participants à la mission a refusé unanimement toute prohibition totale du tabac qui serait d'ailleurs politiquement impraticable. En effet, « on ne peut pas interdire un produit que 30 % des Français consomment régulièrement »1.

Il ne s'agit donc pas de bannir le tabac dont on peut dire qu'il a accompagné l'homme depuis des milliers d'années et qu'il a trouvé sa place dans le patrimoine culturel occidental depuis son introduction en Europe par Jean Nicot, il y a plus de cinq siècles. On ne peut pas non plus, à moins de transformer une action de santé publique en combat idéologique, oublier le goût particulier qu'il a donné à d'innombrables chefs d'œuvres littéraires et cinématographiques, dont des générations entières ont été nourries. Pour beaucoup, il a donc été un vecteur exceptionnel de partage et de convivialité dans toutes les circonstances de la vie.

Cela nous rappelle que les consommateurs de tabac ne sont en fait que des héritiers - et souvent des victimes - d'un certain mode de vie, mais en aucun cas des délinquants, et que s'il doit être ferme, le discours public doit aussi rester respectueux des choix de chacun.

La mission entend clairement affirmer que le tabac n'est pas un produit interdit et que ses consommateurs ne sont pas des délinquants.

B. IL NE S'AGIT PAS NON PLUS DE STIGMATISER LES FUMEURS

Comme cela a déjà été souligné, le droit des non-fumeurs à ne pas être exposés contre leur gré à la fumée a été unanimement reconnu au sein de la mission, comme ailleurs, non plus seulement à cause de la gêne occasionnée mais bien en raison des risques avérés pour leur santé.

En ce qui concerne la protection des fumeurs, la question est davantage disputée.

Pour une minorité de participants aux tables rondes, il ne saurait être question de protéger contre lui-même un adulte consentant et désormais informé. Les fumeurs ont des droits que le cadre juridique applicable aux interdictions de fumer doit respecter. À cet égard, M. Guy Carcassonne, professeur de droit public, a rappelé devant la mission que sur le plan constitutionnel, le principe de liberté individuelle n'était pas de moindre valeur que celui du droit à la protection de la santé72.

Néanmoins, selon le principe énoncé par l'article 4 de la Déclaration des droits de l'Homme et du citoyen de 1789, la liberté des uns (en l'occurrence fumer en toute connaissance de cause) consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui (imposer une nuisance mettant sa santé ou sa vie en danger). En matière de respect de la liberté d'autrui, la découverte des effets nocifs du tabagisme passif impose donc de reconsidérer les limites de cette liberté. Elle devrait conduire les fumeurs à accepter que le champ réel de leur liberté soit moins vaste que celui qui jusqu'à présent leur était accordé.

Pour un plus grand nombre de participants, les fumeurs sont eux-mêmes victimes du tabagisme passif et l'objectif de toute réforme ambitieuse doit aussi être de les aider en protégeant la santé de tous, et donc également celle des fumeurs.

Comme on l'a vu, il est désormais médicalement avéré que les effets spécifiques du tabagisme passif s'ajoutent à ceux du tabagisme actif et que les fumeurs exposés au tabagisme passif présentent plus de pathologies que les fumeurs uniquement exposés à leur propre tabagisme. Plusieurs participants aux tables rondes ayant, par ailleurs, soulevé la question de l'autonomie de la volonté des fumeurs adultes, il a été rappelé que ceux-ci sont victimes d'une réelle dépendance entretenue par l'industrie du tabac. Enfin, beaucoup de fumeurs ne souhaitent pas être exposés au tabagisme passif, comme l'a illustré l'épisode de la suppression des « places fumeurs » dans les trains de la SNCF.

Au-delà des divergences d'appréciation, il paraît donc possible de s'entendre sur le fait que la réforme envisagée ne vise nullement à stigmatiser les fumeurs mais d'aider ceux qu le souhaitent.

M. Philippe Lamoureux, directeur général de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES) a ainsi indiqué73 que son institut était « très attentif à éviter la stigmatisation des fumeurs car il n'y a rien de pire que de montrer des gens du doigt en les accusant d'être responsables des problèmes des autres ».

En tout état de cause, même si la diminution du nombre global des fumeurs n'est pas l'objectif direct de la réforme ses effets prévisibles sur la diminution de la consommation de tabac ne doivent pas être négligés et répondent à un souci de santé publique. Il résulte d'une étude transmise par l'Observatoire français des drogues et toxicomanies (OFDT) réalisée en 2004 sur l'effet des mesures de contrôle de l'utilisation du tabac dans 28 pays européens74qu'une interdiction de fumer dans les lieux de travail entraîne une baisse de la consommation de tabac de 3,8 %. Le British medical journal indiquait le 19 novembre 2005 que l'interdiction de fumer dans les lieux publics en Italie a conduit à une chute de 8 % de la consommation de cigarettes.

Dans cette optique, qui consiste non à stigmatiser mais à accompagner les fumeurs qui souhaitent profiter du renforcement des règles d'utilisation du tabac dans les lieux affectés à un usage public pour s'arrêter de fumer, la mise en place de mesures telles que l'aide au sevrage sont essentielles, comme on le verra dans la troisième partie du rapport consacrée aux conditions de réussite de la réforme.

LA MODIFICATION DU DISPOSITIF ACTUEL N'A PAS POUR OBJET DE STIGMATISER LES FUMEURS MAIS RÉPOND À UNE PRÉOCCUPATION ESSENTIELLE DE SANTÉ PUBLIQUE.

C. IL N'EST PLUS POSSIBLE D'EXPOSER LES SALARIÉS AU TABAGISME PASSIF

L'arrêt fondamental de la chambre sociale de la Cour de cassation du 29 juin 2005, en imposant à l'employeur une obligation de résultat en matière de sécurité au travail, oblige désormais l'employeur à éviter que des salariés soient exposés au tabagisme passif.

Par ailleurs, contrairement à ce qui aurait pu être déduit d'un considérant de l'arrêt du 16 mars 2004 de la Cour d'appel de Rennes, selon lequel  « la nocivité des fumées de tabac (...) impose à tout employeur de ne pas contraindre un salarié sans son consentement de travailler dans des atmosphères polluées par ces fumées », M. Jean-Emmanuel Ray75 a rappelé devant la mission que le droit français ne connaît pas le concept de « l'opting out », ou clause d'exemption, auquel les Britanniques ont parfois recours pour déroger par exemple à l'application de règles sur la durée du travail.

En droit français, un salarié ne peut donc pas accepter de refuser la protection de sa santé et de sa sécurité. Concrètement, un serveur de restaurant, un barman dans une discothèque ou un croupier dans un casino ne peuvent pas renoncer volontairement dans leur contrat de travail à cette protection.

1. L'évolution des acteurs économiques lors des tables rondes

Les implications de la récente jurisprudence de la Cour de cassation - qui n'étaient pas initialement toujours présentes à l'esprit de tous les participants aux tables rondes de la mission -, ont conduit certains acteurs économiques à évoluer dans leurs positions au cours des travaux.

● Si le Syndicat national des hôteliers restaurateurs cafetiers et traiteurs (SYNHORCAT) préconisait initialement de laisser aux employeurs la possibilité d'installer des fumoirs hermétiquement clos et interdits aux salariés76, il a ensuite estimé inéluctable l'interdiction absolue sans possibilité de fumoirs, justifiant cette évolution par l'impossibilité dans laquelle il se trouvait d'affirmer avec certitude aux professionnels qu'il représente que les fumoirs n'exposent pas, ne serait-ce que marginalement, les salariés qui les côtoient.

● L'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH) a de son côté affirmé d'entrée de jeu son opposition à une interdiction totale de fumer dans les établissements relevant de son secteur d'activité.

Lors de la table ronde du 5 juillet 2006 consacrée aux conditions de réussite de la réforme, M. André Daguin, président de UMIH, a pourtant semblé évoluer sur ce point en reconnaissant que : « l'évolution qui a conduit de la loi Évin à l'arrêt de la Cour de cassation est formidable. Nous ne pouvons plus exposer nos salariés au tabagisme passif. Si un salarié fait un procès, il gagne. Le problème est donc résolu. On ne peut fumer dans aucun lieu où travaillent des salariés ».

● Enfin, si la Confédération nationale des débitants de tabac s'opposait initialement à une interdiction totale de fumer dans les établissements relevant de son secteur d'activité et revendiquait une dérogation permanente à l'interdiction de fumer, elle a tempéré ses revendications en réclamant une dérogation temporaire d'une durée de cinq ans, prenant acte du caractère inéluctable de la nécessité de cesser d'exposer des salariés au tabagisme passif. M.  René Le Pape a ainsi déclaré77 : « la loi Évin doit évoluer. J'ai évoqué une dérogation pour les bars-tabacs. J'ai évolué sur ce point, car la jurisprudence de la Cour de cassation étant ce qu'elle est, les employeurs risquent d'avoir des problèmes avec les salariés. Je demande aujourd'hui une dérogation dans le temps, afin de permettre à notre profession de s'adapter progressivement. Je rappelle en effet que 62 % des débitants de tabac sont des bars. Il nous faut du temps, des moyens, de la lisibilité ».

Les travaux de la mission ont donc permis de sensibiliser l'ensemble des professionnels au fait qu'il n'est désormais plus possible d'exposer des salariés au tabagisme passif.

2. Les conséquences pratiques de l'impossibilité d'exposer des salariés au tabagisme passif

a) Aucun salarié du secteur CHRD ne devrait plus être amené à pénétrer dans des fumoirs

L'arrêt du 29 juin 2005 de la Cour de Cassation conduit logiquement à ce qu'aucun salarié du secteur CHRD ne puisse se voir exposé au tabagisme passif en étant amené à travailler, même brièvement, dans un fumoir. Cette conséquence indiscutable sur le plan juridique, est assez largement consensuelle.

Seuls l'UMIH et Japan tobacco international (JTI) contestent cette conséquence en estimant que l'on devrait conserver la possibilité pour les salariés de pénétrer dans des « espaces fumeurs, clos et ventilés » pour JTI ou bien, dans des « zones bien délimitées et ventilées » pour l'UMIH, dès lors que les salariés n'y séjournent que de façon temporaire.

b) Faut-il laisser au chef d'entreprise sans salarié la possibilité de décider que son entreprise sera ou  non « fumeur » ?

D'après la direction du commerce, de l'artisanat, des services et des professions libérales (DCASPL) qui a fourni à la mission les données disponibles sur les effectifs salariés des débits de tabac (commerces de détail) et des cafés tabacs78, on compte 2 412 commerces de tabac sans salarié sur 4 582 entreprises et 4 754 cafés tabacs sans salarié sur 9 859 entreprises.

Pour ces entreprises sans salarié, la jurisprudence de la Cour de cassation de 2005 ne peut évidemment pas être invoquée.

Néanmoins, il parait difficile d'accepter que ces chefs d'entreprise renoncent à la protection de leur propre santé, d'autant plus que l'adoption d'un tel principe reviendrait à revenir sur l'avancée réalisé par la loi Évin et comporterait également le « risque que des entreprises licencient leurs salariés afin de pouvoir être des établissements fumeurs »79.

La mission s'oppose à ce qu'un chef d'entreprise sans salarié puisse décider du caractère fumeur ou non de son entreprise.

D- DES DÉROGATIONS SECTORIELLES PERMANENTES NE SONT PAS POSSIBLES

Dans le débat public sur l'opportunité de durcir les règles relatives à l'usage du tabac dans les lieux de travail ou affectés à un usage collectif, il a été, à plusieurs reprises, question d'exclure définitivement du futur dispositif tel ou tel lieu, qu'il s'agisse des bars-tabacs, des discothèques ou des casinos.

Ces revendications de dérogations permanentes ont parfois été directement formulées devant la mission par les représentants de certains secteurs d'activité comme les bars-tabacs80.

Or il semble bien qu'il n'est pas juridiquement possible d'écarter de façon définitive certains lieux du principe général de l'interdiction de fumer.

En effet, selon la jurisprudence administrative du Conseil d'État comme selon celle du Conseil constitutionnel, il n'est permis de déroger au principe constitutionnel d'égalité que dans deux cas : lorsque les situations ne sont pas identiques au regard de l'objet de la loi ou lorsqu'un motif d'intérêt général est invoqué, et à condition que dans ces deux cas, la différence de traitement qui en résulte soit en rapport avec l'objet de la norme qui l'établit et ne soit pas manifestement disproportionnée au regard des différences de situation susceptibles de la justifier.

À partir du moment où l'objet de la réforme est de protéger les salariés et les non-fumeurs contre les effets du tabagisme passif, on ne voit pas en quoi la situation de tel ou tel secteur pourrait différer de la norme. La protection de la santé publique doit s'appliquer partout de la même façon. Il convient d'ailleurs de remarquer qu'à aucun moment des débats devant la mission n'a été invoqué un argument selon lequel tel ou tel secteur se situerait dans une situation différente des autres au regard de l'impératif de protection de la santé publique.

De la même façon, aucun argument invoquant une raison d'intérêt général pour déroger au principe constitutionnel d'égalité n'a été invoqué pour justifier une dérogation sectorielle permanente.

Tout au plus peut-on constater que les seuls arguments qui ont été avancés pour soustraire certains secteurs du futur régime de droit commun ont été des arguments économiques liés à la survie d'un domaine d'activité particulier. À cet égard, il convient de souligner que la directive cadre 89/391 du Conseil du 12 juin 1989 précitée pose dans son préambule le principe de l'interdiction de ne considérer la santé et la sécurité qu'en termes économiques. Il dispose en effet que « l'amélioration de la sécurité, de l'hygiène et de la santé des travailleurs au travail représente un objectif qui ne saurait être subordonné à des considérations de caractère purement économique ».

Il est d'ailleurs pour le moins paradoxal de constater que, dans le débat public, des revendications d'exceptions permanentes se sont exprimées dans le sens d'une dérogation pour les discothèques, alors même que les principaux responsables de ce secteur81 ont clairement fait état devant la mission de leur détermination à collaborer pleinement à une interdiction totale de fumer dans leurs établissements.

Si la question de ménager, de façon temporaire, la possibilité de délais permettant à certains secteurs de préparer dans les meilleures conditions l'entrée en vigueur d'une réglementation plus restrictive peut légitimement se poser, il ne saurait être question de soustraire définitivement certains secteurs du régime de droit commun.

La mission estime que le respect du principe constitutionnel d'égalité empêche que tel ou tel secteur d'activité soit définitivement tenu en dehors du champ d'application de la réforme durcissant les règles d'usage du tabac dans les lieux affectés à un usage collectif, notamment dans les lieux de travail.

E. LA QUESTION DES LIEUX OUVERTS

Actuellement, la réglementation en vigueur ne prévoit que deux cas dans lesquels il est interdit de fumer dans des lieux ouverts affectés à un usage collectif : les cours de lycées, collèges et écoles82 ainsi que les quais de gare83.

Les interrogations sur un éventuel élargissement du périmètre des lieux ouverts concernés par une interdiction de fumer ont principalement porté sur les espaces ouverts où plusieurs personnes peuvent se côtoyer d'assez près.

Ainsi, l'opportunité de l'instauration d'une interdiction a été évoquée pour des lieux non couverts d'établissements collectifs très spécifiques, comme le jardin de l'hôpital psychiatrique, la cour de l'établissement pour handicapés adultes très perturbés ou la cour de prison. La mission a toutefois estimé que ces lieux ouverts, qui restent souvent la seule soupape de sécurité de ceux de ces populations fragilisées qui sont fumeurs, ne devaient pas être concernés par une extension de l'interdiction de fumer.

La question a également été posée pour d'autres lieux extérieurs où des fumeurs et des non-fumeurs peuvent pendant une durée indéterminée, ou vécue comme interminable, être proches les uns des autres, par exemple dans une file d'attente, à un arrêt de bus ou dans les tribunes d'un stade84.

Sur ce point, l'interrogation concernant l'opportunité d'étendre l'interdiction de fumer à certains lieux dits ouverts a pu être renforcée par la position de l'association « l'Alliance contre le tabac ». Celle-ci s'est en effet prononcée pour « une interdiction générale de fumer dans les lieux publics et les lieux de travail clos ou couverts », alors que l'article R. 3511-1 du code de la santé publique dispose que l'interdiction légale de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif s'applique actuellement « dans tous les lieux fermés et couverts accueillant du public ou qui constituent des lieux de travail ». La position de « l'Alliance contre le tabac », si elle était traduite dans le nouveau dispositif, constituerait sans aucun doute une extension notable du périmètre de l'interdiction puisqu'elle pourrait par exemple concerner l'ensemble des jardins publics, certes non couverts mais néanmoins fermés.

Il semble, au contraire, que les lieux totalement ou partiellement à découvert, du type terrasse avec auvent, parasol, cour, ou jardin intérieur, peuvent être considérés comme naturellement ventilés, même si une certaine gêne pour les voisins immédiats n'est parfois pas à exclure. Il semble possible d'admettre que l'aération naturelle du lieu réduit presque à néant la possibilité d'un effet nocif.

Malgré ces quelques interrogations sur l'opportunité d'étendre l'interdiction de fumer à d'autres lieux ouverts, une certaine unanimité s'est finalement dégagée pour ne faire figurer parmi les lieux ouverts dans lesquels il est interdit de fumer que les deux seuls endroits déjà visés.

La mission estime que le principe de réalité et la nécessaire préservation d'espaces de liberté pour les fumeurs conduisent à ne pas étendre l'interdiction de fumer dans les lieux dits ouverts au-delà des deux cas précis - cours d'écoles, de collèges et de lycées, quais de gare - qui sont déjà visés par la réglementation actuelle.

F. LA NÉCESSITÉ DE BANNIR TOTALEMENT LE TABAC DANS TOUS LES LOCAUX DES ÉTABLISSEMENTS D'ENSEIGNEMENT

S'agissant des locaux des établissements d'enseignement (écoles, collèges, lycées, établissements dans lesquels sont dispensés l'enseignement supérieur et professionnel), qu'ils soient publics ou privés, il a été rappelé à plusieurs reprises qu'il faut disposer d'une règle claire et simple, à l'opposé des dispositions actuelles de l'article R. 3511-9 du code de la santé publique dont les difficultés d'application ont déjà été soulignées.

Parallèlement au besoin de clarté de la règle, les objectifs de prévention et de protection de la santé de la jeunesse, ainsi que l'exemplarité que doit donner en la matière le corps enseignant ont également été évoqués pour justifier une modification de la règlementation.

La plupart des participants aux tables rondes de la mission se sont ainsi clairement prononcés en faveur d'une interdiction totale du tabac dans les établissements scolaires. M. Vassilis Vovos, lui-même, président de Japan Tobacco International (JTI), a déclaré85 soutenir « l'interdiction totale de fumer dans les écoles et dans tous les établissements susceptibles de recevoir des mineurs ». Mme Nadine Teulat, chef du bureau de l'action sanitaire et sociale et de la prévention à la Direction générale de l'enseignement scolaire s'est clairement prononcée en faveur d'une interdiction totale en ajoutant que « Ce serait une grande aide pour les chefs d'établissement et éviterait les erreurs d'interprétation de la loi de 1991 et du décret de 1992 »1.

S'appuyant sur les sondages d'opinion, M.  Gérard Dubois, Président d'Alliance contre le tabac, a d'ailleurs fait remarquer1 de son côté que « s'il y a des lieux où les Français désirent une interdiction complète, totale, absolue, de fumer, ce sont donc les lieux d'enseignement ».

La mission prend acte de l'accord qui s'est dégagé pour clarifier les règles d'usage du tabac dans tous les locaux des établissements d'enseignement. Concrètement, la mission propose :

- que le tabac soit totalement interdit tant pour les enseignants que pour les élèves, mineurs ou majeurs, dans l'enceinte (y compris les lieux ouverts) des écoles, des collèges et des lycées et sans possibilité d'y aménager des pièces pour fumeurs. Cette interdiction se justifie par le fait que la population de ces établissements est essentiellement composée de mineurs,

- que, dans les établissements d'enseignement supérieur, le tabac soit interdit dans les locaux tant pour les enseignants que pour les élèves, mineurs ou majeurs, sans possibilité d'y aménager des pièces pour fumeurs. Il ne serait plus possible de fumer que dans les lieux ouverts.

II.- CERTAINS POINTS RESTENT PLUS DISPUTÉS

A. LA QUESTION DES FUMOIRS

Les travaux de la mission ont mis en évidence que si les systèmes de ventilation sont sans conteste inefficaces, des pièces réservées aux fumeurs, fermées hermétiquement et dotées de système d'extraction, peuvent parfois constituer une réponse adaptée au tabagisme passif dans les lieux de travail ou affectés à un usage collectif, sous réserve de respecter de conditions techniques extrêmement strictes.

1. Les systèmes de ventilation sont inefficaces

Le décret du 29 mai 1992 impose déjà des conditions « d'aération et de ventilation » pour les emplacements réservés aux fumeurs mais, comme cela a déjà été précisé, les normes techniques relatives à la ventilation prévues par ce décret sont désormais obsolètes.

De plus, sur le plan scientifique, plusieurs rapports, communiqués à la mission par l'Institut national du cancer (INCa) attestent que les systèmes de ventilation ne permettent pas de diminuer le taux de cancérigènes présents dans l'air en le ramenant à un niveau comparable avec les normes de pollution environnementale.

Ainsi, un rapport de l'OMS86 de 2000 indique que « bien qu'une bonne ventilation puisse réduire l'effet irritant de la fumée, elle n'élimine pas ses éléments toxiques. Si les zones fumeurs partagent un système de ventilation avec les zones non-fumeurs, la fumée sera dispersée à travers les deux zones. Des sections fumeurs contribuent à la protection des non-fumeurs uniquement lorsqu'elles sont complètement isolées, qu'elles possèdent un système de ventilation distinct débouchant directement sur l'extérieur sans refaire circuler l'air dans le bâtiment, et que les salariés ne sont pas obligés de les traverser ».

Selon un rapport du Health and safety irlandais87 en 2002 « la recherche montre que la gamme actuelle de technologies de ventilation, les systèmes de climatisation classiques notamment, ne peuvent adéquatement maîtriser l'exposition des salariés à la fumée du tabac ambiante (FTA). Alors qu'il est possible, avec certaines nouvelles technologies, de réduire de 90 % les niveaux de FTA, les niveaux d'exposition n'en restent pas moins de 1 500 à 2 500 fois le niveau de risque acceptable pour les polluants atmosphériques. L'utilisation de la ventilation pour éliminer la FTA constitue pour les techniciens du secteur une tâche considérable sinon impossible».

2. Sous de strictes conditions, les systèmes hermétiquement clos avec filtration apparaissent plus adaptés

Si le système de filtration par cabines ouvertes présenté à la mission ne semble pas offrir toutes les garanties requises, notamment au regard de la jurisprudence de la Cour de cassation de 2005, des systèmes hermétiquement clos avec filtration peuvent constituer, sous réserve de respecter des normes sanitaires très strictes, une réponse au tabagisme dans les lieux de travail ou affectés à un usage collectif.

a) Les systèmes de filtration par cabines ouvertes ne semblent pas suffisamment fiables

Certains systèmes présentés à la mission88 consistent en la mise en place non pas d'un système de ventilation mais de cabines ouvertes dotées d'un système de filtration des particules et des gaz.

Toutefois il semblerait que, si les filtres arrêtent les grosses particules, les microparticules cancérogènes de 0,1 micron parviennent à passer, de même que les gaz toxiques.

D'après les experts qui ont travaillé avec l'ASHRAE - société américaine des ingénieurs du chauffage, de la ventilation, de la climatisation et de la réfrigération - les systèmes en cause ne sont pas suffisamment fiables car ils ne permettent pas de contrôler le risque couru par les personnes qui les utilisent.

b) D'autres systèmes hermétiquement clos apparaissent plus appropriés

Certains pays comme l'Italie, l'Espagne, la Suède, la Belgique ou les Pays-Bas autorisent, dans certains lieux, une séparation physique entre espaces fumeurs et non-fumeurs. Cette possibilité est également déjà expressément prévue en France par le décret du 29 mai 1992, mais avec les limites déjà mentionnées en termes de normes techniques.

Des fumoirs hermétiquement clos avec extraction constitueraient indéniablement un progrès par rapport au simple emplacement sans fermeture hermétique. Ils ne peuvent toutefois constituer une réponse adaptée au problème du tabagisme passif que sous de très strictes conditions techniques.

Il faut en effet que ces pièces soient totalement fermées, disposent d'un système permettant l'évacuation vers l'extérieur, d'un système de pression négative entre le fumoir et les pièces « non-fumeurs » adjacentes, et même d'un système de sas avec extraction pour éviter que des fuites ne se produisent lors de l'ouverture et de la fermeture des portes.

Au regard des risques sanitaires inhérents aux fumoirs, la difficile question de la fixation de leur cahier des charges, c'est-à-dire la détermination des seuils techniques exigés, ne peut être éludée. M. Franck Trouet, directeur du service juridique et social du Syndicat national des hôteliers restaurateurs cafetiers et traiteurs (SYNHORCAT) a ainsi résumé les enjeux de la fixation de normes en déclarant89 que « le droit à la santé est un principe constitutionnel, la loi oblige l'employeur à prévenir les risques professionnels, et la jurisprudence de juin 2005 pose une obligation de sécurité de résultat. Ne serons-nous pas obligés, dans ce contexte, de définir un seuil d'exposition tolérable à la fumée ? En effet, même si les fumoirs sont hermétiquement clos, il faut bien les ouvrir pour y entrer, ce qui laissera passer l'air, alors même que les employeurs ont une obligation de sécurité de résultat. Et si le principe d'un seuil de tolérance est accepté, qui se permettra de le fixer ? ».

Si de tels fumoirs hermétiquement clos devaient être préconisés en France, il serait, comme déjà indiqué, bien entendu exclu, au regard de la protection des salariés découlant de l'exigence de sécurité de résultat, que ceux-ci soient contraints d'y exercer leur service pendant que des personnes y fument. Dans cette logique, et avant d'évoluer sur ce point, le Syndicat national des hôteliers restaurateurs cafetiers et traiteurs (SYNHORCAT) préconisait d'ailleurs, pour les hôtels et les restaurants, la mise en place de fumoirs hermétiquement clos auxquels les salariés n'auraient pas accès.

De la même façon, les risques sanitaires posés par l'entretien de ces fumoirs, en dehors de leur utilisation par des fumeurs, devraient être pris en compte au regard des exigences jurisprudentielles d'obligation de sécurité de résultat. En effet, il faut compter trois heures pour que le taux de particules présentes dans un local revienne à la normale. En tout état de cause, le personnel d'entretien ne devrait donc pas être autorisé à pénétrer dans des fumoirs avant l'expiration d'un délai de trois heures après la sortie du dernier fumeur.

Toutefois, même dans l'hypothèse d'une séparation physique entre des espaces fumeurs et des espaces non-fumeurs où ne peuvent pas pénétrer les salariés, plusieurs participants se sont montrés réservés sur la possibilité d'y respecter l'obligation de sécurité de résultat. M. le professeur Jean-Emmanuel Ray a ainsi fait valoir90 que « la seule question qui se pose est toujours la même, c'est celle du respect de l'obligation de sécurité de résultat. Il ne s'agit plus de garantir les salariés, mais de garantir l'employeur contre d'éventuels recours ultérieurs. Est-ce qu'une séparation physique vous permet d'affirmer, devant un juge, que vous avez respecté votre obligation de résultat ? Je suis sceptique ».

Le principe selon lequel l'espace peut faire l'objet d'une division entre des lieux réservés aux fumeurs et d'autres où il est interdit de fumer engendre en effet des incertitudes permanentes sur l'efficacité réelle des dispositifs. M. Pierre Sargos, président de la chambre sociale de la Cour de Cassation a ainsi fait remarquer que « les dispositions particulières qui permettent, actuellement, d'aménager des lieux où l'on peut fumer dans les entreprises, doivent être appliquées de telle façon qu'il n'y ait pas un microgramme d'émanation de tabac pour indisposer les salariés à l'extérieur de ces endroits ». Il va de soi que la même interprétation devrait également prévaloir pour des fumoirs hermétiquement clos.

Au cours des débats, il a également été indiqué que le coût de ces fumoirs est relativement élevé. En Italie où ils sont autorisés, seulement 1,5 % des propriétaires de restaurants ou de bars s'en sont équipés. M. Francis Attrazic, vice-président confédéral de l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH), a toutefois tenu à préciser que « c'est aux chefs d'entreprises de se préoccuper du coût des investissements nécessaires à la création des fumoirs »91.

L'argument de la distorsion de concurrence que les fumoirs pourraient introduire entre les grands établissements, seuls à disposer à la fois de la place et des ressources financières pour s'en doter, et les petits établissements a aussi été avancé.

Quoi qu'il en soit, il convient de garder à l'esprit que la possibilité, le cas échéant, laissée à certains lieux de travail ou affectés à un usage collectif de s'équiper de fumoirs hermétiquement clos, ne supprimerait en aucune façon le caractère facultatif reconnu aujourd'hui aux emplacements réservés aux fumeurs. Il ne saurait en aucun cas être question d'en faire un droit.

La mission, tout en rappelant le caractère facultatif des emplacements réservés aux fumeurs, estime que le recours éventuel à des fumoirs, dans certains lieux de travail ou affectés à un usage collectif, doit être subordonné au respect de normes techniques extrêmement rigoureuses. Elle rappelle également qu'aucune activité exposant des salariés ne doit être prévue dans ces fumoirs.

B. LES CONTROVERSES AUTOUR DE LA SPÉCIFICITÉ DE CERTAINS ÉTABLISSEMENTS : LE CAS DES « SUBSTITUTS DE DOMICILE »

Il est apparu au cours des débats de la mission que certains lieux fermés spécifiques pouvaient poser problème. Il s'agit essentiellement de lieux accueillant des publics atteints de certaines pathologies, des malades mentaux, des handicapés ou encore des détenus.

Dans tous ces lieux dits de « séjour contraint », qu'il s'agisse d'hôpitaux psychiatriques, d'établissements médico-sociaux ou de prisons, le lieu de vie est considéré comme un local privatif et c'est la raison pour laquelle on utilise parfois pour les désigner le vocable de « substituts de domicile ».

Il n'en reste pas moins que le personnel de ces établissements est amené à entrer régulièrement dans ces locaux et se trouve donc soumis, le cas échéant, à un tabagisme passif.

Cette problématique spécifique aux substituts de domicile a donné lieu à des exceptions à l'interdiction totale de fumer dans certains pays comme l'Irlande.

1. Les établissements de soins

Le secteur des établissements de santé couvre, quel que soit leur statut public ou privé, des champs d'activité très divers, qu'il s'agisse des soins aigus de médecine, chirurgie et obstétrique (MCO) mais aussi des soins de suite et de réadaptation (SSR), des soins de longue durée ou des soins psychiatriques.

Les problématiques relatives à l'interdiction de fumer varient selon les secteurs concernés.

a) Les soins aigus de médecine, chirurgie et obstétrique (MCO)

M. Philippe Pinton, adjoint à la sous-direction de l'organisation du système des soins du ministère de la santé et des solidarités, a ainsi exprimé la position de la Direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (DHOS)92 « s'agissant des soins aigus, il n'y a pas de débat. Nous considérons que la mesure d'interdiction doit s'appliquer dans son intégralité ».

En revanche, il a souligné que « s'agissant des autres activités, il peut y avoir débat en raison de la longueur plus importante des séjours ».

b) Les soins de suite et de réadaptation

Pour ces soins, la longueur plus importante des séjours en établissement de santé justifie que l'on s'interroge sur l'autorisation pour le patient de fumer dans sa chambre.

L'évolution qui est toutefois intervenue récemment en matière de soins de suite et de réadaptation caractérisée par des durées de séjour raccourcies, des entrées précoces dans ces structures après la phase aiguë, une accentuation de la médicalisation et un adossement de plus en plus étroit aux structures et aux activités aiguës semble toutefois démonter qu'une distinction du régime juridique d'interdiction de fumer entre les soins de suite et de réadaptation et les soins aigus ne se justifie pas.

c) Les activités de soins de longue durée

Pour ce qui est des activités de soins de longue durée, qui concernent principalement des personnes âgées dépendantes ayant souvent pour vocation de rester dans ces structures jusqu'à la fin de leur vie, la question de la possibilité de fumer dans ce qui constituent pour elles de véritables substituts de domicile peut également se poser.

M. Philippe Pinton a toutefois souligné qu'« une tendance se dessine très fortement et va sans doute se concrétiser par des modifications réglementaires : le recentrage de ces activités sur des prises en charge plus lourdes et plus médicalisées. On se rapproche donc des activités de soins ».

Il serait logique de tirer la conclusion de cette évolution en ne traitant pas les activités de soins de longue durée différemment des autres activités de l'hôpital.

d) La psychiatrie

C'est surtout dans le secteur de la psychiatrie que le problème se pose de façon vraiment particulière, dans la mesure où le rôle positif du tabac dans la participation au traitement psychiatrique est parfois mis en avant par certains médecins.

Ce point a toutefois été contesté devant la mission par M.  Gérard Dubois, président d'« Alliance contre le tabac »93 « On dit aussi parfois que le tabagisme pourrait participer au traitement psychiatrique. C'est une erreur fondamentale sur laquelle on est d'ailleurs en train de revenir : 90 % des schizophrènes sont fumeurs, et lorsqu'on parvient à les faire arrêter, leur traitement médicamenteux s'en trouve allégé ».

Par ailleurs, M. Philippe Pinton a fait remarquer qu'« en psychiatrie, la notion juridique de « substitut de domicile » est contradictoire avec l'évolution de la pratique hospitalière qui fait des hôpitaux psychiatriques des lieux de soins où doit s'exercer la prise en charge du patient dans toutes ses dimensions » et qu'en conséquence « on ne saurait donc réserver un traitement particulier aux structures de santé mentale et de psychiatrie ».

S'agissant des établissements de soins, la mission partage la position de la Direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (DHOS), selon laquelle il n'y a pas lieu, pour l'ensemble des activités du champ sanitaire, de prendre des dispositions dérogatoires plus favorables. Au contraire, compte tenu de leur lien direct avec la protection de la santé publique, la mission se prononce pour la suppression de la possibilité d'installer des fumoirs dans ces établissements. Concrètement, les fumeurs ne devraient être autorisés à fumer qu'en dehors des locaux.

2. Les établissements médico-sociaux

Les établissements médico-sociaux accueillent un public très varié, dont la caractéristique principale est d'être soumis à la fois à des difficultés sanitaires importantes et à un cumul de difficultés de tous ordres en matière d'hébergement, d'emploi ou de relations sociales et familiales.

Ces établissements ont vocation à accueillir, parfois dans l'urgence, des personnes de tous âges qui subissent déjà des séquelles d'échecs précédents. Ils s'adressent ainsi aux enfants et adolescents de l'aide sociale à l'enfance, aux enfants, jeunes et adultes très «désinsérés» qui bénéficient d'hébergements d'urgence ou de centres d'hébergement et de réadaptation sociale (CHRS), aux porteurs de handicaps physiques ou mentaux - en Centres d'aide par le travail (CAT) ou Instituts médico-éducatifs (IME) - et aux personnes âgées plus ou moins dépendantes, hébergées dans des maisons de retraite médicalisées ou non, ou qui utilisent des structures d'accueil de jour.

Pour M. Pierre Larcher, chargé de mission à la Direction générale de l'action sociale au ministère de la santé et des solidarités, l'interdiction de fumer dans ces lieux est tout à fait légitime s'agissant des enfants et des adolescents.

Il a fait valoir en revanche que pour les adultes concernés, des modulations restent nécessaires, notamment pour les handicapés, car « il est très difficile de supprimer les dernières soupapes de sécurité à des personnes qui n'en ont déjà presque plus »94. Il a toutefois reconnu que « dans tous ces établissements, le personnel doit être protégé, alors que jusqu'à présent, on ne s'était même pas posé la question, en se préoccupant seulement de la question du public. Dès l'instant où il n'y a pas d'interdiction totale, le personnel est évidemment exposé ».

Dans ce secteur, comme pour l'ensemble des substituts de domicile, la problématique de l'exposition du personnel au tabagisme passif ne doit donc pas être oubliée.

Le souci de ne pas exposer le personnel des établissements médico-sociaux conduit à ne pas prendre, pour ces établissements, des dispositions dérogatoires plus favorables. Au contraire, compte tenu de leur lien direct avec la protection de la santé publique, la mission se prononce pour la suppression de la possibilité d'installer des fumoirs dans ces établissements. Concrètement, les fumeurs ne devraient être autorisés à fumer qu'en dehors des locaux.

3. Les établissements pénitentiaires

Dans ces établissements, la vente de tabac est autorisée et le pourcentage de fumeurs est globalement supérieur à celui de la population générale.

Une enquête menée en 2005 au sein de l'administration pénitentiaire a indiqué que si les interdictions de fumer sont majoritairement respectées dans les parloirs, les salles d'attente du public, les salles de spectacles, les locaux sanitaires et médicaux, les salles d'enseignement et les bibliothèques, elles sont, en revanche, assez mal respectées dans les ateliers et les lieux de circulation.

Cette enquête a par ailleurs montré qu'il existe des cellules non-fumeurs dans seulement 30 % des établissements et que seuls 5 % des établissements disposent de cellules réservées aux non-fumeurs.

Au regard de cette situation, Mme Mireille Fontaine, du bureau des politiques sociales et d'insertion à la Direction de l'administration pénitentiaire du ministère de la justice, a indiqué95 que le service juridique de son ministère avait déjà répertorié deux cas de contentieux avec l'administration pénitentiaire.

Dans le premier cas, un détenu avait saisi en 2003 le tribunal administratif en vue d'être indemnisé de son préjudice parce qu'il avait été placé dans une cellule de fumeurs, alors que lui-même était non-fumeur. Le tribunal a estimé qu'en l'absence d'attestation médicale, aucune preuve ne pouvait être retenue à l'encontre des services pénitentiaires dont l'intention malveillante n'était, par ailleurs, nullement établie.

Dans le second cas, l'avocat d'un détenu avait demandé, en 2005, au juge des référés d'ordonner la suspension du placement de son client dans une cellule avec des fumeurs parce que celui-ci avait cessé de fumer. Le juge des référés a enjoint le ministre de la justice de mettre en œuvre les mesures appropriées pour soustraire ce détenu du tabagisme passif. L'administration pénitentiaire a fait appel, au motif que le détenu n'avait pas demandé à être dans une cellule non-fumeurs, et qu'en outre il avait souhaité rester avec les mêmes codétenus, dont l'un était fumeur. Le Conseil d'État a annulé le jugement rendu en référé, rappelant, au sujet des cellules collectives, que les personnes détenues sont tributaires des sujétions inhérentes à leur détention, et relevant, par ailleurs, que les efforts fournis en l'espèce par l'administration pénitentiaire pour réduire à son minimum l'exposition du détenu au tabagisme passif suffisaient à ne pas engager sa responsabilité.

Expliquant peut-être cette jurisprudence relativement clémente en matière de tabagisme passif dans les établissements pénitentiaires, Mme Mireille Fontaine a déclaré qu'« il est couramment admis en détention que le tabac aurait un rôle pacificateur ».

Sans nier le rôle pacificateur du tabac dans les prisons, la mission estime que son usage doit être concrètement limité aux lieux ouverts que constituent les cours de prisons et, le cas échéant, aux fumoirs hermétiquement clos respectant des normes techniques extrêmement rigoureuses.

C. LA QUESTION DES AMÉNAGEMENTS DANS LE TEMPS POUR LES PROFESSIONS LIÉES AU TABAC ET AUX LOISIRS

La mission, qui a souligné que le principe constitutionnel d'égalité empêchait de prévoir l'exclusion définitive d'un secteur d'activité du dispositif d'encadrement de l'usage du tabac, s'est interrogée sur la possibilité de prévoir des aménagement temporaires pour les professions susceptibles d'être le plus affectées par un durcissement de la réglementation.

À l'inverse des dérogations sectorielles permanentes, de tels aménagements temporaires - qui reviennent à étaler dans le temps, principalement pour les professions liées au tabac et celles du secteur CHRD, l'entrée en vigueur de la réforme - seraient juridiquement possibles.

Il a ainsi souvent été défendu qu'une entrée en vigueur différée permettrait aux acteurs économiques de prendre les dispositions nécessaires à l'égard de leurs clients et de leurs salariés et permettrait également aux pouvoirs publics de mettre en œuvre les indispensables campagnes d'information et de sensibilisation de la population.

Au cours de son audition par la mission du 27 septembre 2006, M.  Xavier Bertrand a proposé deux dates distinctes d'entrée en vigueur de la réforme : « Je pense qu'une interdiction de fumer dès le début de l'année prochaine est tout à la fois envisageable et souhaitable, mais qu'une progressivité peut s'imposer dans certains secteurs d'activité »

Pour d'autres, l'urgence qu'il y a à protéger le plus vite possible l'ensemble de la population contre les effets nocifs de la fumée pourrait, au contraire, militer pour une entrée en vigueur unique et sans délai de la réforme pour tous les acteurs, sans distinction. M. Franck Trouet, directeur du service juridique et social du SYNHORCAT, a ainsi déclaré96 que « quand une mesure est bonne, elle doit être mise en œuvre rapidement, et il n'est pas forcément nécessaire de l'assortir de délais ».

Entre ces positions - entrée en vigueur différenciée avec fixation de deux délais selon les secteurs ; entrée en vigueur unique et immédiate - la mission s'est prononcée pour une solution intermédiaire. Elle estime en effet qu'il est à la fois indispensable de ménager un délai avant l'entrée en vigueur de la réforme mais que la fixation d'une seule date, valable pour l'ensemble des secteurs, contribuera, par sa simplicité, à la clarté et à la cohérence de la réforme.

La mission se prononce en faveur d'un délai unique pour l'ensemble des secteurs avant l'entrée en vigueur du durcissement du dispositif relatif à l'interdiction de fumer.

D. L'URGENCE D'UNE RÉFORME OPÉRATIONNELLE : LE CHOIX DE LA LOI OU DU RÉGLEMENT

Le choix entre la loi ou le décret comme support de la réforme reste assez disputé à l'issue des travaux de la mission.

1. La voie logique mais aléatoire du recours à la loi

a) Il serait logique de recourir à la loi

● Une latitude d'action importante

Sur le plan constitutionnel, il semble n'y avoir aucun risque à renforcer la législation anti-tabac. M. Didier Maus, conseiller d'État et constitutionnaliste, a ainsi indiqué97 avoir la « certitude qu'il n'y a aucun risque d'inconstitutionnalité à renforcer la législation anti-tabac. La décision du 8 janvier 1991 du Conseil constitutionnel est claire : la protection de la santé publique est un principe constitutionnel. Il doit être concilié avec les autres principes constitutionnels mais, dans sa relation avec eux, on peut aller extrêmement loin dans la limitation, exigée par l'intérêt général, de la liberté d'entreprendre ».

Le droit international ne pose pas davantage de difficultés. En effet, on a déjà noté que le Conseil constitutionnel n'a pas encore eu l'occasion de s'exprimer sur la portée de la Charte de l'environnement qui semble ne pas concerner la santé publique, tandis que du côté du droit international, tant la convention cadre de l'OMS sur la lutte anti-tabac - qui reste relativement floue - que le droit européen - qui demeure encore en gestation - laissent également une grande marge de manœuvre.

M. Didier Maus a ainsi souligné1 que le législateur avait « la chance qu'en ce domaine le droit français soit encore autonome, ce qui devient rare ».

Un dispositif législatif relativement simple à aménager

Pour assurer une protection générale contre le tabagisme passif, il est inutile de bouleverser la loi. La modification à apporter pour assurer une protection optimale des non-fumeurs serait assez simple.

M. Didier Maus a ainsi déclaré98 que « certaines propositions de loi tendent à mieux définir la notion de « lieu affecté à un usage collectif ». J'ai peur que toute définition trop précise soit trop limitative. Dans sa rédaction actuelle, le texte est extrêmement large, et c'est l'une des bonnes lois votée par le Parlement ».

D'après lui, il serait de plus possible de modifier la loi, « de manière telle qu'il n'y ait plus besoin de rien d'autre ». En effet, « en supprimant le membre de phrase « sauf dans les emplacements expressément réservés aux fumeurs », on supprime de facto le deuxième alinéa de l'article qui renvoie à un décret en Conseil d'État, puisque les restrictions à l'interdiction de fumer sont supprimées, et qu'il n'y a pas lieu de maintenir la mention, inutile, des établissements scolaires ».

M. Albert Hirsch, vice Président de la Ligue contre le cancer partage ce point de vue : « une loi doit se suffire à elle-même ».

Seule la loi permettrait une interdiction absolue

Les conclusions des tables rondes et auditions auxquelles la mission a procédé se sont révélées plutôt favorables à une interdiction absolue du tabac dans les lieux de travail et affectés à l'usage du public.

Or, le dispositif législatif actuel se réfère à des « emplacements expressément réservés aux fumeurs ». Si ce membre de phrase demeure dans l'article L. 3511-7 du code de la santé publique, aucun décret ne pourra interdire complètement de fumer dans les lieux publics.

Dès lors, ces conclusions aboutissent en toute logique à privilégier le recours à la loi, seule en mesure de supprimer juridiquement la possibilité de laisser subsister des emplacements réservés aux fumeurs.

Certaines propositions imposeraient le recours à la voie législative

Mme Nadège Larochette, chargée du dossier « tabac et alcool » à la direction générale de la santé (DGS) du ministère de la santé et des solidarités a ainsi fait valoir1 que « si nous voulons élargir les corps de contrôle chargés de faire appliquer la réglementation, ou permettre la vente de substituts nicotiniques dans les bars-tabacs, nous aurons besoin d'une disposition législative » M. Pascal Melihan-Cheinin, chef du bureau des pratiques addictives à la Direction générale de la santé (DGS) du ministère de la santé et des solidarités, a confirmé que « l'autorisation de la vente de substituts nicotiniques hors pharmacie suppose une base légale »1. Il faudrait en effet prévoir une dérogation au monopole pharmaceutique.

De la même façon, un durcissement significatif du dispositif répressif supposerait l'adoption de mesures législatives.

Des considérations extra-juridiques militent également en faveur du recours à la loi

Il a souvent été souligné qu'à côté des arguments juridiques, le choix entre loi et règlement relève aussi d'autres considérations.

La loi, véritable « signal politique »99 apporterait une plus grande solennité qui favoriserait un changement des comportements dans une optique de protection accrue de la santé publique. En effet, le débat parlementaire, en s'appuyant sur les travaux de la mission d'information, pourrait participer à la maturation de l'opinion publique.

Longtemps neutre quant au choix des moyens juridiques à employer, « l'Alliance contre le tabac » qui regroupe un grand nombre d'associations de lutte contre le tabagisme passif a d'ailleurs récemment opté pour la voie législative.

Votre Rapporteur estime, en plein accord avec les conclusions qui se sont dégagées des tables rondes et auditions, que l'idéal serait de recourir à la voie législative tant l'interdiction absolue de fumer dans tous les lieux de travail ou affectés à un usage collectif est, à terme, inéluctable.

Le large accord recueilli en faveur de la loi démontre que le débat transcende les clivages politiques. Ce constat a d'ailleurs conduit certains parlementaires membres de la mission à suggérer que les conclusions de la mission fassent l'objet d'une proposition de loi.

La logique qui ressort des travaux de la mission invite à privilégier la voie législative qui, seule, permettrait de mettre fin à la possibilité d'emplacements expressément réservés aux fumeurs dans les lieux de travail et les lieux affectés à un usage collectif.

b) La réussite de la voie législative est aléatoire

Pourtant, si la logique plaide pour la loi, votre Rapporteur estime que le souci d'efficacité impose de tenir compte des obstacles auxquels ce choix se heurterait. La réussite du processus législatif nécessite en effet de surmonter un certain nombre de difficultés qui ne doivent pas être sous-estimées.

En premier lieu, l'extrême encombrement de l'ordre du jour parlementaire des prochains mois, - parmi lesquels le projet de loi de finances, le projet de loi de financement de la sécurité sociale, le projet de loi pour le développement de la participation et de l'actionnariat salarié, le projet de loi relatif à la fonction publique territoriale... -, doit absolument être pris en compte.

En second lieu, la voie législative peut susciter des débats dans les deux assemblées pour lesquels la réflexion de l'ensemble des parlementaires ne sera pas nécessairement arrivée au même point de maturité que celle des membres de la mission et qui risquent de faire perdre un temps précieux.

Cet encombrement est d'autant plus manifeste que les prochaines échéances électorales vont considérablement raccourcir le temps législatif disponible : il est peu probable que le Parlement siège au-delà du 22 février 2007.

Au regard de ces difficultés, votre rapporteur estime qu'il est hautement improbable qu'un texte de loi portant interdiction de fumer dans les lieux de travail et les lieux à usage collectif puisse être définitivement voté avant la fin de la législature actuelle, alors que des impératifs de santé publique exigent d'intervenir le plus rapidement possible.

Cette situation incontournable impose, par souci d'efficacité, de recourir à un autre support juridique.

Sensible à l'urgence et au principe de réalisme, et préoccupé par le souci de l'efficacité opérationnelle d'une réforme que chacun s'accorde à juger indispensable, votre rapporteur propose de choisir la voie du décret.

2. Malgré ses limites, la voie réglementaire présente l'avantage de la rapidité et de l'efficacité.

a) La voie réglementaire limite les marges de manœuvre...

● Il n'est pas possible de prendre par décret une mesure de police générale

La Constitution du 4 octobre 1958 n'a certes pas mis fin à la possibilité reconnue à l'exécutif par l'arrêt Labonne du Conseil d'État du 8 août 1919 de déterminer en vertu de ses pouvoirs propres les mesures de police qui doivent être appliquées sur l'ensemble du territoire national. Tant le Conseil d'État100 que le Conseil constitutionnel101 ont réaffirmé les pouvoirs de police générale que le chef de gouvernement peut exercer en dehors de toute habilitation législative. Ce pouvoir de police générale reconnu est destiné à la protection de l'ordre public, dont la santé publique est sans nul doute une des composantes.

Cependant, la loi Évin institue en matière de lutte contre le tabagisme une police spéciale qui interdit en conséquence au Gouvernement d'exercer dans ce même domaine d'autres attributions que celles qu'il détient sur le fondement de l'habilitation contenue dans la loi du 10 janvier 1991, désormais codifiée dans le code de la santé publique.

Au terme d'une note juridique102 transmise à la mission, le professeur de droit public Frédéric Rolin (Université Paris X Nanterre), conclut que « le pouvoir réglementaire ne peut agir que dans le cadre de l'habilitation législative qui lui a été conférée. Un décret qui interdirait complètement le fait de fumer dans les lieux publics serait regardé comme pris par une autorité incompétente s'il excédait les termes de cette habilitation ».

Le décret ne peut excéder l'habilitation législative

Si la voie réglementaire était choisie, les décrets d'application ne pourraient être rédigés que sur la base de la loi actuelle qui permet d'aménager des endroits où la liberté de fumer peut s'exercer. En conservant le membre de phrase « sauf dans les emplacements expressément réservés aux fumeurs » dans le code de la santé publique, aucun décret ne pourrait interdire complètement de fumer dans les lieux publics.

Selon M. Marc Dandelot, conseiller d'État, il est en effet possible de « faire beaucoup par décret, sauf prendre une mesure d'interdiction totale de fumer »103.

Le professeur de droit public Frédéric Rolin conclut dans le même sens en affirmant qu'il n'est pas possible au Gouvernement de supprimer tous les emplacements expressément réservés aux fumeurs car « il excéderait de toute évidence l'habilitation législative qui lui impose de préciser les conditions d'application de cette notion et non de la supprimer »1.

Il n'en reste pas moins que dans le cadre de cette limite, l'aménagement de la réglementation actuelle pourrait permettre d'élargir considérablement le champ d'application de l'interdiction législative.

b) ... mais offre, en l'occurrence, des garanties d'efficacité.

● Le décret ouvre de réelles possibilités de restrictions

La rédaction de la base législative actuelle - article L. 3511-7 du code de la santé publique - est extrêmement large, la notion de « lieux affectés à un usage collectif » pouvant même, dans une interprétation extensive, englober des lieux indifféremment ouverts ou fermés, voire la rue.

M.  Didier Maus a ainsi considéré2 qu'il est possible d'« aller beaucoup plus loin dans la restriction, la limitation et l'encadrement, sans remettre la loi en cause mais en modifiant le décret, dont les rédacteurs ont adopté une interprétation minimaliste de l'article de base ».

● La voie réglementaire offre toutes les garanties juridiques

À partir du moment où la base législative, c'est-à-dire l'article L. 3511-7 du code de la santé publique disposant qu'« un décret en Conseil d'État fixe les conditions d'application » du principe d'interdiction, reste inchangée, l'intervention obligatoire du Conseil d'État offre les meilleures garanties de sécurité juridique.

Les conclusions de la mission devront constituer une « lettre de cadrage » pour le Gouvernement

Dans l'esprit de votre rapporteur, l'option de la voie réglementaire n'est acceptable que sous réserve que les mesures qui seront prises respectent les conclusions relativement consensuelles des travaux de la mission parlementaire, lesquelles s'appuient sur un travail de fond de plusieurs mois ayant réuni l'essentiel des acteurs intéressés.

Il convient de souligner à cet égard que lors de son audition publique par la mission le 27 septembre, M.  Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités, à plusieurs reprises, s'est engagé à tenir compte des résultats des travaux de la mission : « si nous attendons le résultat de votre mission d'information, c'est bien parce que nous prendrons en compte votre travail. Et nous sommes prêts à associer au maximum les parlementaires à ce qui suivra ».

L'objectif est bien de mieux protéger la santé publique et de lutter contre le tabagisme passif en améliorant dans les meilleurs délais les dispositions réglementaires applicables à l'interdiction de fumer dans les lieux de travail et les lieux à usage collectif.

TROISIÈME PARTIE - LES CONDITIONS DE RÉUSSITE DE LA RÉFORME

I.- LES MESURES D'ACCOMPAGNEMENT

La mission insiste pour que le renforcement des mesures d'interdiction de fumer dans les lieux à usage collectif s'inscrive dans une démarche globale et ambitieuse de lutte contre le fléau du tabagisme. Dans ce domaine, la volonté des autorités politiques est déterminante. Elle peut s'appuyer sur le large consensus que recueille la nécessité d'agir contre le tabac, tout en tenant compte du fait que les mesures d'interdiction touchent directement une fraction importante de la population consommatrice du produit et affectent certains secteurs économiques.

Les mesures doivent donc être expliquées : c'est le rôle des campagnes d'information et de communication. Elles doivent par ailleurs être accompagnées d'aménagements en direction des secteurs du tabac, de la restauration, de l'hôtellerie, des discothèques et des casinos affectés par des variations de recettes et des changements dans le mode de consommation de la clientèle et les services à proposer. Elles doivent enfin se voir consentir des efforts budgétaires accrus de la part des pouvoirs publics, notamment pour financer les indispensables actions de prévention.

A. L'INFORMATION, LA SENSIBILISATION ET LA MOBILISATION DE L'OPINION PUBLIQUE 

La réussite de toute nouvelle mesure dépendra des réactions de l'opinion face au renforcement de l'interdiction de fumer. Or si les résultats des sondages peuvent fluctuer, ils indiquent toujours que l'opinion est favorable à un environnement sans fumée.

1. L'utilité des campagnes de communication

L'exemple de l'Irlande, où la période d'adaptation a été d'un an entre l'annonce et l'application des mesures d'interdiction, et celui de l'Italie, où six mois ont été consacrés à une campagne de communication massive, témoignent de l'utilité de la communication parmi les facteurs de réussite du changement de législation.

En France, la première campagne médiatique nationale organisée sur la question spécifique du tabagisme passif date d'octobre 2004. Elle a en quelque sorte préparé le terrain pour un durcissement du dispositif actuel d'interdiction de fumer dans les lieux publics. En outre, le sujet a fait l'objet de nombreux écrits et déclarations au cours des dix-huit derniers mois, si bien que l'on peut presque considérer que la campagne d'information a déjà commencé.

Au cours de chacune des tables rondes tenues par la mission, il a été unanimement souligné que plus les dispositions adoptées seraient simples, plus il serait facile de les réduire à un message clair, et donc plus l'efficacité de la campagne serait grande.

La complexité du dispositif actuel figure en effet parmi les reproches les plus fréquents et explique en grande partie la mauvaise application des règles en vigueur.

2. Les actions les plus récentes

Dans le cadre de la lutte contre le tabagisme en général, de nombreux acteurs institutionnels et associatifs ont entrepris des actions ponctuelles de communication utilisant les supports traditionnels de la publicité (cartes, dépliants, plaquettes, affichage public, encarts dans la presse, spots télévisuels et actions événementielles).

En octobre 2004, l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES) a réalisé la première campagne médiatique nationale contre le tabagisme passif. L'objectif était de faire prendre conscience de la nocivité du tabagisme passif, sans pour autant opposer les fumeurs et les non-fumeurs. La campagne comportait deux spots télévisuels, l'un concernant le domicile, l'autre le lieu de travail, et consistait à visualiser la quantité effective de cigarettes correspondant à la fumée inhalée par un non-fumeur en présence d'un fumeur.

Selon M. Philippe Lamoureux, directeur général de l'INPES104, cette campagne a obtenu un excellent taux de reconnaissance, de mémorisation et d'implication. Elle a été diffusée sur 41 000 panneaux d'affichage ainsi que dans la presse quotidienne nationale et régionale. Elle a, par ailleurs, été exportée à la suite de demandes exprimées par la Suisse, l'Espagne et le Luxembourg.

3. Les nouvelles orientations des campagnes d'information

L'Alliance contre le tabac et l'INPES diffusent depuis l'été 2006 une campagne à destination des jeunes.

Une cible plus précise

L'INPES et l'Alliance contre le tabac ont choisi de mener en partenariat, sur un ton décalé et volontairement cynique, une fausse campagne de conquête d'une clientèle particulière : « les jeunes nouveaux fumeurs ». Cette campagne met en scène une entreprise imaginaire Toxic-Corp chargée de recruter de jeunes fumeurs destinés à remplacer les fumeurs décédés.

Une nouvelle dialectique

Cette campagne rompt avec les usages dans le domaine de la prévention du tabac qui consistent habituellement à provoquer chez les jeunes un choc effrayant, dramatisant et parfois culpabilisant.  Il est à présent proposé une toute autre dialectique, fondée sur la responsabilisation et la prise de conscience. Délaissant l'émotion, le discours s'adresse à l'intelligence et à l'humour du public, en évitant l'écueil de la moralisation. Le film fait appel au sens critique, à l'instinct de défiance et à l'agilité des jeunes pour décoder le second degré. La campagne reprend sur un mode parodique les codes de communication des campagnes d'adhésion aux valeurs d'une entreprise, en l'occurrence Toxic-Corp, et son produit, la cigarette.

Des supports plus modernes

La campagne s'appuie sur le site internet de l'entreprise imaginaire, www.toxic-corp.fr. L'internaute visite l'entreprise Toxic-Corp, son usine de fabrication, le service marketing ou encore le bureau du PDG.

Le site est la clef de voûte du dispositif de prévention : les jeunes sont invités à découvrir, par eux-mêmes, les stratégies de l'industrie du tabac à travers d'authentiques documents des industriels du tabac. Ce n'est qu'en navigant sur le site internet qu'ils pourront identifier les émetteurs de cette campagne : l'Alliance contre le tabac et l'INPES.

La stratégie media a été élaborée afin que les jeunes puissent s'approprier la campagne et devenir, eux-mêmes, vecteurs de sa diffusion. Elle comprend la diffusion du film sur Internet (bannières vidéo sur le site de Toxic-Corp et sur des sites liés), et également une diffusion sur une sélection restreinte de chaînes de télévision.

Le directeur général de l'INPES a indiqué à la mission que 500 000 euros avaient déjà été consacrés à l'ensemble du dispositif relatif à la création du site internet Toxic-Corp, achats d'espaces inclus.

On peut toutefois regretter que l'accès au site ne soit pas plus simple : en effet, les internautes doivent faire preuve d'une vraie persévérance pour arriver à pénétrer les arcanes de la société Toxic-Corp et surmonter les difficultés
- quasiment des obstacles - auxquelles ils se heurtent s'ils ne remplissent pas toutes les caractéristiques exigées. Il leur faut, en outre, remplir un long formulaire d'identification, choisir un « pseudo », un mot de passe et enfin disposer d'une adresse électronique.

4. Les modes de communication à retenir

Au regard de ces dernières expériences, il conviendrait, selon le directeur général de l'INPES, de continuer à dénoncer les risques du tabagisme passif
- surtout pour les jeunes et les salariés exposés durablement - dès avant et pendant la mise en œuvre du renforcement des mesures d'interdiction.

À côté d'une campagne générale sur le modèle de celles utilisées pour la vaccination obligatoire des nouveaux-nés ou pour le port de la ceinture de sécurité, une information spécifique en direction des entreprises, des établissements scolaires et de santé est par ailleurs indispensable.

Il est possible de s'inspirer des expériences étrangères mais il faut néanmoins savoir qu'il est difficile de transposer une campagne d'un pays à l'autre, les effets pouvant être différents. Ainsi, il a été montré qu'aux Pays-Bas, un marquage sur les paquets de cigarettes comportant un renvoi à une ligne téléphonique de type « tabac info service » pouvait multiplier par quatre les appels, tandis qu'en France les appels ne feraient que doubler105.

Des propositions ont été présentées par l'INPES dans le cadre des travaux précités de l'IGAS sur l'interdiction de fumer dans les lieux accueillant du public en France. Elles précisent le contenu de la campagne media envisagée.

Il s'agirait de présenter la loi comme un progrès pour la société et de créer dans l'opinion la confiance de pouvoir « y arriver »

* Une campagne en direction des leaders d'opinion de la presse quotidienne nationale pour dire aujourd'hui que la loi change et que c'est pour le bien de tous.

* Une campagne grand public (TV ou radio, par exemple) permettant de montrer que l'interdiction de fumer totale ou absolue est un progrès de santé publique, en l'inscrivant dans la lignée de la vaccination obligatoire des nouveaux nés ou encore le port de la ceinture de sécurité.

* Une campagne grand public (TV ou radio par exemple) permettant de valoriser l'interdiction totale ou absolue, mais aussi les autres mesures, telles que la hausse des prix, comme autant de facteurs de motivations pour arrêter de fumer. Il s'agirait d'opposer les contraintes aujourd'hui permanentes du fumeur (fumer à l'extérieur par tous les temps, regard de l'entourage, prix...) à la multitude d'aides (professionnels de santé, ligne téléphonique, site Internet, médicaments...) que l'on peut proposer aux fumeurs pour s'arrêter.

L'objectif serait de passer de la « dénormalisation » du comportement tabagique à la normalisation du statut de non-fumeur.

* Une campagne hors media pour accompagner l'évolution de la loi sur le terrain qui s'effectuerait par :

- l'envoi à l'ensemble des entreprises (y compris aux hôpitaux et aux établissements scolaires) d'une information sur la loi contenant une lettre, une brochure, le guide « entreprise sans tabac » actualisé et des affiches sur le thème « Aujourd'hui pour le bien de tous ce lieu devient non-fumeur ». La signalétique AFNOR pourrait également être envoyée.

- un relais Internet sur www.tabac-info-service.fr : une partie spécifique consacrée aux entreprises pour rendre accessible à la lecture et au téléchargement toute l'information sur la loi, et exposer des conseils pratiques pour son application.

* Enfin, un accompagnement en relations presse devrait être assuré, tout au long de l'année.

(Source IGAS)

De façon permanente, il convient d'accompagner ce type de mesure d'une stratégie médiatique suivie et régulièrement mise à jour en fonction des données nouvelles.

La campagne de communication devrait également concerner les procédures de contrôle, les sanctions et les procédures de plainte. L'objectif est avant tout que les textes introduits soient appliqués et respectés dès leur entrée en vigueur, il est donc aussi de limiter les éventuelles infractions.

L'adoption de règles claires accompagnées d'une campagne de sensibilisation est aussi un moyen de réduire les coûts de leur mise en application. L'adhésion du public aux nouvelles mesures induira en effet une autodiscipline qui en garantira le respect.

LA RÉUSSITE DE LA RÉFORME SUPPOSE L'ORGANISATION DE CAMPAGNES D'INFORMATION ET DE SENSIBILISATION VISANT À :

- INSISTER SUR LES RISQUES DU TABAGISME ACTIF ET PASSIF EN TERMES DE CANCERS ET DE MALADIES CARDIO-VASCULAIRES,

- ENCOURAGER ET AIDER LES FUMEURS À ARRÊTER DE FUMER PAR DES CONSEILS PRATIQUES SUR LES PROCESSUS DE SEVRAGE,

- EXPLIQUER LE CONTENU DES NOUVELLES DISPOSITIONS.

B. LES MESURES D'ACCOMPAGNEMENT DES PROFESSIONS LES PLUS CONCERNÉES PAR UN RENFORCEMENT DE L'INTERDICTION

Les acteurs économiques les plus concernés par un durcissement du dispositif d'interdiction de fumer sont les producteurs de tabac, les fabricants, les débitants, le secteur des CHRD (cafés, hôtels, restaurants, discothèques), ainsi que la filière du tourisme. Les mesures de renforcement de l'interdiction pourraient en effet provoquer une variation des revenus du secteur de la restauration, de l'hôtellerie, et du tabac. Mais sur ce point, la mission a entendu des propos contradictoires : il est ainsi rapporté soit que certains clients peuvent ne pas vouloir fréquenter les lieux de loisirs où il est interdit de fumer, soit, inversement, que d'autres y retournent plus souvent ou viennent plus nombreux dans ces établissements en raison de la meilleure qualité de l'air.

1. L'impact économique des mesures d'interdiction de fumer

a) Les effets économiques positifs des mesures d'interdiction

La Ligue nationale contre le cancer, en association avec des partenaires européens, a développé un certain nombre d'arguments sur les avantages économiques des mesures d'interdiction de fumer106.

Outre la réduction des dépenses de santé pour la collectivité, le renforcement de l'interdiction devrait être source d'économies multiples, telles que l'augmentation de la productivité des salariés qui arrêtent de fumer et des non-fumeurs qui ne sont plus exposés au tabagisme passif (du fait de la réduction de l'absentéisme), la diminution des frais d'entretien des locaux, la réduction des coûts d'assurance (car les primes d'assurance - santé, assurance incendie, assurance- accident et assurance-vie - sont plus élevées pour les fumeurs).

Ces arguments sont également confirmés par l'association Droit des non-fumeurs (DNF) qui a participé aux tables rondes organisées par la mission.

DNF soutient que les entreprises qui ont mis en place les dispositions prévues dans la loi de 1991 en retirent de nombreux bénéfices qui s'ajoutent à la préservation de la santé de leurs salariés.

Toutes les études indiquent, en effet, que les entreprises qui prennent en compte la protection des non-fumeurs et aident leurs salariés à modifier les habitudes liées au tabagisme en tirent des avantages financiers.

Elles constatent en premier lieu une baisse de l'absentéisme. Selon Santé Canada, le ministère fédéral chargé d'aider les Canadiens à maintenir et à améliorer leur état de santé, les fumeurs prennent 1,8 fois plus de congés pour maladie que les non-fumeurs.  Selon l'OMS, les salariés fumeurs et non-fumeurs exposés à la fumée de tabac dans leur espace de travail ont deux fois plus de risques de s'arrêter de travailler pour maladie.

Les entreprises observent également une réduction de leurs frais de nettoyage et d'entretien, ainsi qu'une diminution des risques d'incendie. Le tabagisme est par ailleurs la première cause d'incendie dans les hôpitaux107et il est également responsable d'environ la moitié des incendies sur les lieux de travail108. On estime aussi que la durée de vie des matériels de l'entreprise serait prolongée car les particules de fumée endommagent les ordinateurs et les systèmes de ventilation.

Enfin, les effectifs seraient stabilisés: plusieurs sondages ont permis de mettre en relief que les entreprises limitant le tabac sont plus attractives et conservent davantage leurs personnels.

Par ailleurs, la protection des travailleurs contre la fumée du tabac peut constituer un élément d'appréciation de l'intérêt de l'employeur pour la santé et le bien-être de ses employés. Cet engagement permet de soigner l'image de marque de l'entreprise auprès de ses salariés mais aussi auprès de ses clients et transmet par conséquent une image positive à la collectivité.

De leur côté, les fumeurs reconnaissent que ces mesures permettent de diminuer leur consommation de tabac et sont très souvent demandeurs d'espaces fumeurs, afin de ne pas gêner leurs collègues.

Une politique de protection affichée et respectée serait, selon ces études, la meilleure garantie contre les conflits entre employés et les confrontations entre employeurs et salariés.

b) Le coût économique des mesures d'interdiction

Alors que les gains pour la collectivité de l'instauration de mesures d'interdiction se font sentir à moyen et plus long terme, les coûts liés aux pertes de revenus et d'emplois de la filière tabac ainsi qu'à la nécessité d'effectuer plus de contrôles - donc, en cas de procès, une augmentation du coût social des litiges -seront plus immédiatement ressentis, comme M. Christian Ben Lakhdar, docteur en économie, chargé de mission à l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), l'a exposé à la mission lors de son audition le
19 juillet 2006.

Si la mise en place de fumoirs est autorisée, elle engendre des coûts d'installation mais se traduit par ailleurs en bénéfices, les restrictions de l'usage du tabac sur le lieu de travail induisant une diminution du nombre d'incendies, des frais d'entretien et de l'absentéisme.

S'agissant du secteur des CHRD, il a été avancé l'argument selon lequel une interdiction totale de fumer provoquerait une chute de fréquentation de la clientèle et une diminution de l'activité. Or, selon un rapport récent, les études réalisées dans les pays ayant adopté une législation restrictive du droit de fumer concluent que l'interdiction n'a aucun impact négatif. (109)

En tout état de cause, les coûts économiques de l'introduction et de l'application des politiques d'interdiction de fumer pourraient certainement être limités par le respect - si possible volontaire - des mesures restrictives par une population consciente des dangers de la fumée du tabac. C'est en tout cas un pari indispensable.

2. Les perspectives pour les débitants de tabac et les professionnels des cafés, hôtels, restaurants, discothèques (CHRD)

a) La situation des débitants de tabac

Il n'est pas contesté que le durcissement du dispositif d'interdiction aura des répercussions économiques sur le réseau des buralistes en raison d'une part de l'interdiction de fumer dans les tabacs et bars-tabacs et d'autre part de la baisse de la consommation de tabac qui est devenue un objectif de santé publique.

C'est pourquoi, pour la Confédération nationale des débitants de tabac, la réussite de la mutation économique du secteur est essentielle à sa survie.

Un plan d'aide aux buralistes - le « contrat d'avenir », qui comporte à la fois un soutien financier et une aide à la diversification de l'activité - a été lancé le 1er janvier 2004 et court jusqu'au 31 décembre 2007.

Il convient de le compléter par l'attribution de nouvelles missions de service public, conformément à une promesse du contrat d'avenir qui semble n'avoir pas été suffisamment tenue. À ce sujet, la mission a entendu M. Richard Mallié, député des Bouches-du-Rhône, qui, dans le cadre des dispositions de l'article LO 144 du code électoral, a été chargé, le 16 juin 2006, par le Premier ministre d'une mission temporaire auprès du ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et des professions libérales et du ministre délégué au budget et à la réforme de l'État, pour analyser la situation économique du réseau des buralistes, l'adéquation des aides aux difficultés financières des débitants et élaborer des scénarii d'évolution du « contrat d'avenir » à l'horizon de 2008.

Le « contrat d'avenir » du 18 décembre 2003

Deux mesures significatives sont inscrites dans le contrat d'avenir du 18 décembre 2003 destiné aux buralistes, afin d'aider financièrement les débitants.

La première - la remise compensatoire - consiste à financer une partie de la perte de revenus. Ainsi, le Gouvernement compense la perte de rémunération à hauteur de :

- 50 % pour les débits dont le chiffre d'affaires a baissé de 5 à 10 %,

- de 70 % pour ceux dont le chiffre d'affaires a baissé de 10 à 25 %,

- et de 80 % pour ceux dont le chiffre d'affaires a baissé de plus de 25 % (90 % pour les débits situés dans les départements frontaliers, les Landes, les Vosges, le Pas-de-Calais et l'Aude).

La deuxième mesure consiste à accorder une remise additionnelle à tous les débitants sur une part de leur chiffre d'affaires. Cette remise représente 2 % des 152 500 premiers euros de chiffre d'affaires, puis 0,7 % pour la part de chiffre d'affaires comprise entre 152 500 et 300 000 euros. Pour les trois premiers trimestres de 2004, 96 millions d'euros ont été versés au titre de la remise additionnelle.

Le contrat d'avenir prévoit également un moratoire d'une durée de quatre ans sur la fiscalité. Le niveau des taxes et accises sur le tabac est donc gelé jusqu'au 1er janvier 2008.

Par ailleurs, un développement des activités commerciales et de nouvelles missions de service public sont prévus pour les buralistes. Les mesures suivantes sont en cours de développement :

- l'implantation de points Poste : une convention a été signée entre la Confédération des débitants de tabac de France et La Poste le 16 mars 2004 ;

- l'installation de bornes Internet pour faciliter l'accès des citoyens aux administrations et aux formulaires administratifs ;

- le renforcement du rôle de guichet d'intérêt public, par l'expérimentation en 2005 de la dématérialisation du timbre fiscal et du timbre amende.

Des activités à diversifier pour consolider les revenus et l'avenir de la profession des buralistes

- La structure des prix des tabacs

On rappellera d'abord les données fournies par les services de la Direction générale des douanes et droits indirects sur la structure des prix des tabacs et sur les charges fiscales pesant sur les différents produits.

Les informations, datées de 2004, n'ont pas changé depuis, en raison du moratoire de quatre ans sur la fiscalité à compter du 1er janvier 2004.

Droits de consommation pesant sur les différents produits

PRODUITS

TAUX

MODALITÉS D'APPLICATION

CIGARETTE

64  %

EN PRATIQUE, CE DROIT SE DÉCOMPOSE EN UNE PART PROPORTIONNELLE AU PRIX DE VENTE AU DÉTAIL ET UNE PART SPÉCIFIQUE QUI EST FONCTION DU NOMBRE DE CIGARETTES.

CIGARES

27,57  %

TAUX APPLICABLE AU PRIX DE VENTE AU DÉTAIL

TABACS FINE COUPE DESTINÉS À ROULER LES CIGARETTES

58,57  %

TAUX APPLICABLE AU PRIX DE VENTE AU DÉTAIL

AUTRES TABACS À FUMER

52,42  %

TAUX APPLICABLE AU PRIX DE VENTE AU DÉTAIL

TABACS À PRISER

45,57  %

TAUX APPLICABLE AU PRIX DE VENTE AU DÉTAIL

TABACS À MÂCHER

32,17  %

TAUX APPLICABLE AU PRIX DE VENTE AU DÉTAIL

Décomposition du prix de vente d'un paquet de 20 cigarettes,
à 5 euros et 4,50 euros au 5 janvier 2004.

STRUCTURE DE PRIX

TAUX

EXEMPLE EN €

EXEMPLE EN €

PRIX DE VENTE AU DÉTAIL

(POUR UN PAQUET DE 20 CIGARETTES)

5,00

4,50

REMISE BRUTE ALLOUÉE AU DÉBITANT

8  % DU PRIX DE VENTE AU DÉTAIL

0,40

0,36

DROIT DE CONSOMMATION

64  %

3,20

2,91

TVA

16,3856 % DU PRIX DE VENTE AU DÉTAIL

0,82

0,74

PRIX HORS TAXE ET REMISE

-

0,58

0,49

CHARGE FISCALE TOTALE

-

4,02

3,65

...SOIT PAR RAPPORT AU PRIX DE VENTE AU DÉTAIL

-

80,39 %

81,06 %

Décomposition du prix d'un paquet de cigarettes vendu à 5 € à partir du 5 janvier 2004

TVA

16,39 %

DROIT DE CONSOMMATION

64 %

PART FOURNISSEUR

11,61 %

REMISE DÉBITANT

8  %

On constate ainsi que la fiscalité (TVA et droit de consommation) s'élève à plus de 80 % du prix d'une cigarette payé par l'acheteur, que la part du fournisseur représente moins de 12 % du prix, et que celle de la remise brute allouée aux débitants représente 8 % du prix.

Depuis le 1er octobre 2003, la rémunération nette du débitant est de 8 %, contre 6 % auparavant pour les premiers 152 500 euros de chiffres d'affaires. Au-delà et jusqu'à 300 000 euros de chiffre d'affaires annuel, la rémunération nette a été portée à 6,7 %.

- Les effectifs, revenus et activités du réseau des débitants de tabac

Les débits de tabac constituent le premier réseau de commerces de proximité en France. La plupart sont exploités par des commerçants indépendants mais certains sont exploités par un établissement public, tel un établissement pénitentiaire, ou par des groupes de distribution, tels les « Relais H ».

Sur les quelques 31 000 points de vente de tabac, la Direction du commerce de l'artisanat des services et des professions libérales (DCASPL) précise que 9 939 sont des cafés-tabacs employant au total 12 115 salariés110.

Les données économiques structurelles transmises par la DCASPL à la mission reposent sur les « Enquêtes annuelles d'entreprises » (EAE) élaborées tous les deux ans par l'INSEE. Ces enquêtes contiennent notamment des données relatives à l'activité des secteurs du commerce de tabac et des cafés-tabacs.

Il convient de préciser que les chiffres publiés en 2004 par l'INSEE sont présentés hors taxes. D'une part, les évaluations relatives à l'ensemble du secteur ne sont ici obtenues qu'en agrégeant les données issues de deux enquêtes différentes (même si la méthodologie d'ensemble est la même). D'autre part, l'INSEE ne prend en compte, au titre du tabac, comme au titre des autres prestations de services (jeux, diffusion de presse), que les rémunérations directement associées aux prestations concernées, c'est-à-dire les remises sur les ventes de tabac et les commissions d'intermédiaires pour les jeux et la presse.

En effet, les activités de ventes de tabac dans le cadre du monopole d'État, de diffusion de la presse et de commercialisation des produits du PMU et de la Française des Jeux sont considérées par l'INSEE comme étant effectuées pour « le compte de tiers ». Dès lors, pour cet ensemble d'activités, ce n'est pas la valeur des produits diffusés qui est prise en compte mais la seule rémunération du détaillant. En revanche, les évaluations des ventes au détail autres que de tabacs et des prestations de débits de boissons représentent bien un chiffre d'affaires hors taxes.

À la lumière de ces données, et comme l'indique le tableau ci-dessous, l'activité « tabacs » reste, certes dominante, mais elle représente moins du quart des recettes du secteur (24,2 % pour l'ensemble du secteur et 30,7 % pour les débits secs).

Les jeux représentent 6,5 % des recettes.

En revanche, le poids des autres produits est plus élevé. Ainsi, la téléphonie et la presse représentent respectivement près de 20 % et 8 % des recettes des débits « secs » (10 % et 3,7 % pour l'ensemble du secteur). Les activités liées aux services publics (principalement La Poste) représentent près de 5 % des recettes du secteur.

Le poids réel des autres produits est donc sensiblement plus important que ce que laisse penser la présentation en chiffre d'affaires « toutes taxes comprises ».

On constate par ailleurs que les prestations « d'hôtels-cafés-restaurants » représentent, selon l'INSEE, plus de la moitié des recettes des cafés-tabacs et le tiers des recettes de l'ensemble du secteur. La papeterie et les ventes au détail non alimentaires représentent enfin presque le quart des recettes des débits « secs ».

Structure des recettes (hors taxes) des débitants de tabac relevant du monopole d'État et des cafés-tabacs, selon les enquêtes annuelles d'entreprises (EAE).

(EN  %, SAUF DERNIÈRE LIGNE)

ENSEMBLE

DÉBITS SECS

CAFÉS TABAC

REMISES SUR TABAC

24,2

30,7

21,0

FRANÇAISE DES JEUX ET PMU

6,5

7,6

6,0

PRESSE

3,7

7,9

1,7

TÉLÉCARTES

10,0

19,4

5,3

AUTRES VENTES AU DÉTAIL

16,6

32,2

8,9

- DONT : PAPETERIE

0,9

1,8

0,4

- DONT : AUTRES PRODUITS NON ALIMENTAIRES

10,7

22,2

5,1

- DONT : CONFISERIE ET AUTRES PRODUITS ALIMENTAIRES

4,9

8,1

3,4

PRODUITS DE LA POSTE, TIMBRES FISCAUX, TITRES DE TRANSPORTS

4,8

2,2

6,1

ACTIVITÉS « CAFÉ-HÔTEL-RESTAURANT »

34,2

0,0

51,1

RECETTES TOTALES (EN MILLIONS D'EUROS)

2 915

964

1 951

Source : INSEE

La DCASPL a également transmis à la mission des données relatives aux chiffres d'affaires rassemblées par le cabinet-consultant en marketing Raffour-interactive qui a constitué un panel représentatif des 17 0000 premiers débits. L'approche ici retenue est représentative des flux monétaires gérés par les débitants et, à ce titre, des contraintes de trésorerie. Dans cette étude, le tabac représente directement 48,8 % de l'activité du secteur, pourcentage qui correspond aux chiffres indiqués par la Confédération nationale des débitants de tabac111.

Structure des activités des débitants de tabac (en % du chiffre d'affaires).

Ensemble

Débits secs

Cafés tabac

Vente de tabacs

48,8

54,3

42,7

Produits à rouler, briquets

0,5

0,6

0,4

Jeux (La Française des Jeux)

16,9

18,8

14,7

PMU

8,3

2,0

15,4

Presse (NMPP/MLP)

5,5

7,2

3,6

Téléphonie

5,8

7,1

4,4

Papeterie, cadeaux

6,6

8,1

5,0

Confiserie

0,4

0,5

0,3

Produits de La Poste

1,2

1,4

0,9

Activités « café-hôtel-restaurant »

6,0

0,0

12,7

Chiffre d'affaires total (million d'euros)

29 528

15 644

13 884

Source : Raffour interactif.

Les différences entre les deux sources correspondraient, au-delà des divergences d'évaluation, aux écarts existant entre les flux monétaires gérés par les débitants (chiffre d'affaires fourni par Raffour-interactive) et les flux déterminant en réalité les revenus (recettes totales fournies par l'INSEE).

Comme cela a déjà été souligné, la mise en œuvre des contrats d'avenir devrait s'accompagner de l'attribution de nouvelles missions de service public, promesse qui n'a pas encore été suffisamment tenue.

Sur ce point, il convient de souligner que le partenariat des buralistes avec l'administration va de pair avec l'essor de l'administration électronique. S'agissant de simplifier la vie des citoyens et des entreprises, les buralistes sont porteurs d'une relation de proximité et peuvent apporter une médiation efficace entre le service public et le public. Cependant, les services fournis doivent non seulement répondre aux attentes et aux besoins des usagers mais également être rémunérateurs pour les débitants. Ils impliquent en outre pour ces derniers une motivation réelle et une bonne formation.

S'agissant des commerces multiservices associant les activités de cafés-tabacs-alimentation-presse-loto-PMU qui sont installés dans les zones rurales et en faveur desquels plusieurs membres de la mission se sont exprimés, il faut rappeler l'existence des crédits du Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (FISAC), instrument privilégié de l'État pour la sauvegarde des services de proximité.

Ce fonds, qui est avant tout un outil d'accompagnement des évolutions des secteurs du commerce, de l'artisanat et des services, vise en priorité à préserver et à développer un tissu d'entreprises de proximité, principalement de très petites entreprises dont le chiffre d'affaires annuel hors taxes n'excède pas 0,8 million d'euros.

Sa réforme, intervenue en 2003 a permis de renforcer son impact en milieu rural. Ainsi, les investissements de modernisation sont aujourd'hui mieux pris en compte et les investissements de sécurité sont désormais subventionnés, ces différentes mesures ne pouvant que renforcer la contribution du FISAC à la politique menée en faveur du développement rural.

Dans les communes de moins de 2 000 habitants, le taux d'intervention a été porté à 30 % pour les opérations individuelles conduites par des collectivités territoriales. Les dépenses d'investissement portant sur la sécurisation des entreprises et des locaux d'activité sont désormais éligibles, quel que soit le maître d'ouvrage, commune ou exploitant, et sont subventionnées à hauteur de 40 % de leur coût hors taxes.

Par ailleurs, les opérations collectives de modernisation en milieu rural s'attachent à consolider les entreprises commerciales, artisanales et de services par la mise en œuvre coordonnée d'aides indirectes collectives et d'aides directes individuelles. En outre, les opérations d'aménagement dans les communes rurales visent à inciter les communes de moins de 2 000 habitants à réhabiliter leur centre-bourg de manière à créer un environnement favorable à l'exercice des activités commerciales, artisanales et de services.

Au total, ces mesures contribuent à renforcer le commerce de proximité dans les zones rurales en aidant efficacement les collectivités locales et les exploitants dans leurs investissements. Il faut donc encourager ce type d'aide pour accompagner les pertes de revenus qui pourraient résulter d'un durcissement du dispositif d'interdiction du tabac.

M. René Le Pape, président de la Confédération nationale des débitants de tabac a par ailleurs proposé que la rémunération des débitants sur le tabac puisse être ajustée automatiquement en fonction de la baisse des ventes. Il convient d'avoir conscience du coût d'une telle mesure. Ainsi, la Direction générale des douanes et droits indirects  a estimé qu'une augmentation de la marge d'un point (passant de 8 à 9 %) entraînerait, compte tenu de la structure de la fiscalité applicable aux tabacs, une augmentation de 10 % du prix d'un paquet de cigarettes.

M. Richard Maillé a, quant à lui, communiqué à la mission, lors de son audition le 14 septembre 2006, un certain nombre d'éléments d'information et de réflexion qui seront repris dans le rapport de mission qu'il remettra en décembre 2006.

- Les perspectives de diversification des activités commerciales des buralistes lui semblent limitées, même si la vente de cartes téléphoniques atteint désormais, d'après ses chiffres, 30,5 % des revenus des tabacs « secs ».

- Les nouvelles dispositions des articles 575 G et 575 H du code général des impôts relatifs à la détention et à la circulation des tabacs manufacturés introduites par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 a produit des effets bénéfiques, notamment pour les débitants frontaliers de l'Espagne. Il convient de rappeler que depuis le 1er janvier 2006 un particulier ne peut acheter librement qu'une à cinq cartouches de cigarettes (soit 1 kilogramme de tabac) dans un autre État membre de l'Union européenne. Entre cinq et dix cartouches de cigarettes achetées dans un autre État membre, il doit se rendre dans un bureau de douane, à son entrée en France, pour se faire délivrer un document simplifié d'accompagnement et acquitter les droits d'accises français. Au-delà de dix cartouches de cigarettes (soit 2 kilogrammes de tabacs), la détention est interdite.

- L'indemnité forfaitaire d'activité (IFA) accordée aux seuls frontaliers, a concerné 120 cessations d'activité en 2004, 140 en 2005 et 160 débitants en 2006, d'après les informations de la Direction générale des douanes et droits indirects. On rappellera que cette indemnité d'un montant moyen de 75 000 euros, soit environ trois fois le revenu annuel perçu au titre du tabac en 2002, est attribuée lorsque le débitant cesse son activité liée au tabac, le commerçant pouvant bien sûr continuer son commerce hors du champ de cette activité. Un certain nombre de buralistes entendus par M. Richard Mallié ont tenu à lui préciser que lors de l'établissement du montant de l'indemnité forfaitaire de fin d'activité, il n'était pas tenu compte du prix des fonds de commerce et qu'il conviendrait peut-être que l'État consente à les racheter.

Sur ce point, outre qu'il n'appartient pas à l'État de racheter les fonds de commerce concernés, on peut considérer que la profession pourrait peut-être s'organiser pour mettre en place une solidarité interne. En effet, il a été constaté qu'en 2005, le chiffre d'affaires TTC total du tabac divisé par le nombre de buralistes en activité était en progression de 1,86 % par rapport à l'année précédente112.

En tout état de cause, il convient de ne pas négliger les répercussions économiques que pourrait entraîner le durcissement du dispositif d'interdiction du tabac dans ce secteur. Indépendamment des conclusions du rapport de M. Mallié qui feront le point précis de la situation de ce secteur et permettront de mettre en place les mesures techniques appropriées, il convient de mettre en place une « clause de revoyure » pour vérifier concrètement la pertinence du dispositif d'aide et d'accompagnement.

b) La situation dans le secteur des CHRD

Selon une note transmise par le Synhorcat, une interdiction totale de fumer n'est pas nécessairement synonyme de perte de chiffre d'affaires. Les premières études menées sur les conséquences économiques de l'interdiction totale de fumer démontrent l'absence d'effet majeur sur le chiffre d'affaires des CHRD, une reprise de l'emploi et une très nette amélioration des conditions d'accueil des consommateurs.

Exemples :

- Aux États-Unis: dans l'état de New-York, un an après l'interdiction totale de fumer dans les cafés-hôtels-restaurants, les recettes des bars/restaurants ont augmenté de 8,7 %. Le secteur des cafés hôtels restaurants a créé 10 600 emplois en 2004. Dans l'état de Californie, les bars ont augmenté leurs ventes de 17 %, les restaurants de 27 %113.

- En Irlande : le secteur des cafés hôtels restaurants, qui avait connu une baisse de 4,2 % en 2003, a enregistré une baisse du même ordre pour 2004
(- 4,4 %). L'emploi a progressé de 0,6 % en 2 ans114.

Cependant, le Synhorcat estime que les bars-tabacs, les bars d'ambiance et discothèques devraient bénéficier d'une aide financière en cas de besoin. À cette fin, il suggère l'institution d'une commission chargée d'évaluer et de définir les mesures d'accompagnement (aides financières, délais de paiement ou allègements de charges sociales et fiscales). En effet, dans ces établissements ainsi que dans les casinos, la transition vers l'interdiction de fumer risque d'être plus délicate.

La mission préconise que la situation financière des secteurs des tabacs et des CHRD fassent l'objet, sur la base d'une « clause de revoyure », d'un réexamen global et régulier afin d'éviter que les éventuelles répercussions économiques du durcissement du dispositif d'interdiction du tabac ne leur soient préjudiciables.

3. La question des délais à accorder aux débitants de tabac et aux professionnels des CHRD 

Cette question, très sensible, a été fortement débattue au cours des travaux de la mission. Il est en effet prévisible que le renforcement de l'interdiction de fumer produira des changements dans le mode de consommation de la clientèle du secteur des CHRD. Les professionnels seront conduits à adapter leurs prestations et leurs services en conséquence et cette adaptation pourra prendre quelque temps. C'est pourquoi une entrée en vigueur différée des nouvelles mesures a été proposée.

a) La position des représentants des secteurs des tabacs et des CHRD

Les représentants du secteur des CHRD favorables à une interdiction de fumer dans leurs établissements, bien entendu, ne préconisent pas une entrée en vigueur différée des nouvelles dispositions mais sont plus sensibles à des mesures d'accompagnement financier. Les organisations défavorables à une interdiction de fumer (UMIH et le Syndicat des Casinos de France) ne suggèrent aucun délai d'adaptation à l'exception de la Confédération des débitants de tabac qui ne s'opposerait pas à une interdiction totale si elle était différée dans le temps.

· Dans la contribution écrite remise à la mission, le Syndicat national des Hôteliers Restaurateurs Cafetiers et Traiteurs (SYNHORCAT) ne préconise pas l'instauration d'un délai avant la mise en place de l'interdiction totale à laquelle il est favorable.

· Le Syndicat national des discothèques et lieux de loisirs (SNDLL) entendu par le bureau de la mission est également favorable à l'interdiction totale de l'usage du tabac. Il se déclare prêt à collaborer à sa mise en place mais insiste sur les pouvoirs dont l'exploitant d'un établissement doit être doté et les moyens sur lesquels compter : exclure une personne en infraction, faire intervenir la police ou tout autre autorité spécifique...

· La Confédération des débitants de tabac a pris la mesure des conséquences de la jurisprudence de la Cour de Cassation en ce qui concerne l'obligation de résultat de l'employeur en matière de protection des salariés à l'exposition au tabagisme passif. Elle ne s'oppose pas à l'interdiction totale, mais avec une exception pour les bars-tabacs « quitte à ce que cette exception soit définie dans le temps ». Cet aménagement temporaire, d'une durée de cinq ans, pourrait être révisé en fonction d'une « observation objective sur le comportement des fumeurs ».

· Pour sa part, l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH) a confirmé en fin de mission son opposition à l'interdiction totale. Son vice-président, M. Francis Attrazik, s'est prononcé en faveur d'une dérogation générale pour l'ensemble des CHRD, permettant l'installation de fumoirs accessibles non seulement à toute leur clientèle, mais également aux salariés, sous réserve d'observer des règles strictes de ventilation.

· Enfin, il faut signaler que le Syndicat des Casinos de France, auditionné par le bureau de la mission, a pris position contre une interdiction totale. Il a précisé que cette mesure se traduirait par une baisse de la fréquentation d'au moins 15 % (comme cela a été le cas en Italie) et de 50 % du résultat d'exploitation, condamnant alors le secteur. La profession estime que des améliorations techniques efficaces pourraient être apportées dans la ventilation des locaux et propose d'engager une réflexion sur le partage des surfaces de jeux entre zones fumeurs et non-fumeurs pour les établissements de plus de 300 m2. Les établissements plus petits disposeraient du choix d'être ouverts ou non aux fumeurs.

b) La position des députés membres de la mission sur les délais de mise en œuvre du nouveau dispositif

La grande majorité des membres de la mission qui se sont exprimés sur ce point au cours des travaux estime que l'instauration d'un délai doit être envisagée en cas de mise en place d'une mesure d'interdiction totale de fumer.

Ce délai permettrait non seulement de faire oeuvre de pédagogie mais de laisser aux professionnels une période de transition pour mettre en place les nouvelles mesures.

Sa durée a fait l'objet de plusieurs propositions. En tout état de cause, elle n'excèderait pas deux ans.

Au total, l'arbitrage entre la prise en compte des difficultés concrètes qui seront rencontrées par les établissements où salariés et public fumeur se côtoient, le caractère urgent de toute mesure relative à la protection de la santé publique et la clarté qui doit présider aux modalités d'application de la réforme, conduisent la mission à proposer une date unique d'application qui pourrait être fixée au plus tard à la prochaine rentrée scolaire, c'est-à-dire au 1er septembre 2007.

La mission préconise la mise en place, au plus tard le 1er septembre 2007, des nouvelles dispositions renforçant l'interdiction, cette date limite pouvant bien entendu être anticipée par l'ensemble des structures concernées.

II.- LA MISE EN PLACE D'UN DISPOSITIF RENFORCÉ DE CONTRÔLE ET DE SANCTIONS

Votre rapporteur a déjà souligné que, parmi les problèmes d'application de la loi Évin dans les entreprises et les lieux publics, figuraient les difficultés de contrôle et le caractère peu dissuasif des sanctions encourues.

Sur ce point, on constate d'ailleurs un paradoxe : en effet, le dispositif a bien prévu des sanctions pénales à l'encontre du responsable qui mettrait à la disposition des fumeurs un local pour fumeurs non-conforme, alors qu'aucune sanction pénale n'est prévue pour le même responsable qui n'exercerait pas son pouvoir disciplinaire sur son personnel et ne ferait pas respecter l'interdiction posée par l'article L. 3511-7 du code de la santé publique.

Toutes les tables rondes ont mis en relief la nécessité de disposer de textes clairs sur l'interdiction de fumer mais aussi sur la désignation des personnes chargées de leur mise en œuvre et sur les sanctions encourues en cas d'infraction.

Le respect d'un renforcement de l'interdiction est en effet largement subordonné à la nature et à la qualité des contrôles, ainsi qu'à l'effectivité des sanctions.

A. AMÉLIORER LE CONTRÔLE DU RESPECT DE L'INTERDICTION 

Comme cela a déjà été souligné, la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique a renforcé le contrôle de l'application de l'interdiction de fumer dans les lieux à usage collectif, principe posé par l'article L. 3511-7 du code de la santé publique en l'étendant à d'autres corps de contrôle.

Cette mesure - certainement nécessaire - n'a cependant pas encore eu l'occasion de s'appliquer car, en l'absence du décret d'application relatif à leur habilitation et leur assermentation - toujours pas signé -  les nouveaux agents chargés du contrôle n'ont pas la possibilité de dresser des procès-verbaux faisant foi et permettant aux procureurs de poursuivre les infractions.

Sous réserve de la signature de ce décret - annoncée par M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités lors de son audition du 27 septembre 2006 avant la fin de l'année 2006 - le dispositif actuel prévoit un corps de contrôle très étoffé. Sont en effet chargés du respect de l'interdiction de fumer : les officiers et agents de police judiciaire, les fonctionnaires et agents du ministère de la santé ou des collectivités territoriales habilités à constater les infractions aux dispositions du code la santé publique et assermentés, les médecins inspecteurs de la santé publique, les ingénieurs du génie sanitaire, les inspecteurs de l'action sanitaire et sociale et les inspecteurs du travail.

Il ne semble donc pas utile d'y substituer un corps de contrôle spécifique exclusivement chargé de contrôler les infractions aux règles d'usage de tabac - même à titre temporaire, comme cela a pu être envisagé.

La participation de la police municipale ne semble pas non plus appropriée. Bien que les dispositions de l'article 21 du code de procédure pénale attribuent à la police municipale la mission de seconder les agents de police judiciaire, la mission estime préférable de réserver le contrôle de l'application de l'interdiction de fumer - mesure fondamentale de santé publique - à des corps nationaux.

1. Préciser le rôle de l'employeur

La décision de la Cour de cassation du 29 juin 2005, selon laquelle l'employeur est tenu d'assurer la protection effective des non-fumeurs, en application de l'obligation de sécurité vis-à-vis de ses salariés, devrait inciter les employeurs à un meilleur respect de la réglementation en vigueur, sous réserve cependant de disposer d'un cadre juridique plus clair et sécurisant115.

Poser en principe l'obligation de résultat de l'employeur en matière de protection contre le tabagisme passif implique en effet que celui-ci dispose des moyens, y compris disciplinaires, de faire respecter cette interdiction116.

Sur ce point, les représentants du Mouvement des entreprises de France (MEDEF), entendus par la mission, après avoir indiqué que leur organisation était favorable à une interdiction générale et absolue de fumer sur les lieux de travail, ont précisé que le MEDEF n'était pas chargé d'apprécier l'opportunité des sanctions qu'un employeur peut prévoir au sein du règlement intérieur de son entreprise au titre du pouvoir disciplinaire et que cette question relevait de la négociation sociale. Selon le MEDEF, dans ce domaine qui concerne la santé, le rôle des comités d'hygiène, de sécurité et de conditions de travail est important et il vaudrait mieux que l'application des obligations relatives à l'usage du tabac dans l'entreprise passent par le consensus social, plutôt que par la sanction :
«
Nous comptons sur le consensus social pour faire appliquer la réglementation de manière que les sanctions ne pénalisent pas les parties concernées. Nous souhaitons que l'interdiction soit appliquée avec le maximum de consensus social »117.

Sur le plan pénal, il conviendrait de déterminer plus précisément le contrevenant à sanctionner. Mme Roussille de l'IGAS118 a souligné que dans les textes réglementaires actuels, seuls « les faits » (laisser des emplacements non-conformes, ne pas respecter les normes de ventilation ou ne pas mettre en place la signalisation prévue...) sont visés par l'article R. 3512-2 du code de la santé publique et non pas « la personne » responsable de l'acte incriminé.

Il faudrait, au contraire, désigner expressément dans les textes les responsables de l'infraction consistant à laisser des lieux avec des emplacements réservés aux fumeurs non conformes, non ventilés ou sans signalétique. Mme Bernadette Roussille de l'IGAS propose, à juste titre, que le chef d'établissement soit le responsable du lieu et que son nom soit mentionné sur la signalisation rappelant l'interdiction de fumer.

Une telle disposition répondrait au souci, souvent exprimé, de responsabiliser les employeurs. Ainsi, la Direction générale de la santé (DGS), qui estime inutile d'aggraver les sanctions actuelles à l'encontre des professionnels, souhaite cependant qu'ils aient davantage conscience des sanctions qu'ils encourent.

2. Prévoir des contrôles nombreux et immédiats.

Afin d'améliorer le contrôle des mesures d'interdiction du tabac, il est nécessaire de sensibiliser les divers corps de contrôle compétents aux enjeux de santé publique ayant inspiré la mise en place des nouvelles mesures par des circulaires de leurs ministères respectifs préconisant, par ailleurs, des contrôles massifs et immédiats.

L'attente des professionnels est certainement importante, comme en témoignent les propos de M. Patrick Malvaës, président du syndicat des discothèques et lieux de loisirs (SNDLL), selon lequel les autorités chargées du contrôle devraient être disponibles de jour comme de nuit, pour pouvoir intervenir dès qu'elles sont appelées. Il propose même qu'éventuellement - au moins pendant les premiers mois qui suivront l'entrée en vigueur de l'interdiction -  elles soient déployées sur place, prêtes à aider le responsable de l'établissement.

Dans le même esprit, et afin d'assurer plus d'efficacité à l'ensemble du dispositif et de motiver chacune des administrations concernées, la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et les toxicomanies (MILDT) suggère une mesure intéressante consistant à répartir la charge des actions de contrôle en fonction des sphères d'activité naturelles. Ainsi, les contrôles effectués par les agents du ministère de la santé s'exerceraient prioritairement dans les hôpitaux et les établissements sociaux et médico-sociaux. Les contrôles de l'Inspection du travail auraient lieu dans les entreprises pour la protection des employés. Les forces de police et de gendarmerie s'assureraient du respect de l'interdiction dans les bars, tabacs, restaurants, discothèques et casinos.

La mission propose, dans un souci d'efficacité, que la charge des actions de contrôle soit répartie entre les différents corps de contrôle en fonction de leur sphère naturelle d'activité.

Par ailleurs, pour compléter les dispositions relatives aux modalités de contrôle, la MILDT propose également l'instauration d'une ligne téléphonique de type « numéro vert » permettant à chacun de signaler à des associations susceptibles de la conseiller les violations de la règle de l'interdiction dont il a été victime. Cette mesure est également intéressante.

B. ENVISAGER D'AUTRES TYPES DE SANCTIONS

Plutôt que de proposer une augmentation du montant des sanctions, il paraît à votre Rapporteur plus utile de prévoir un système efficace de sanctions pouvant être acquittées rapidement.

1. Instaurer des amendes forfaitaires

Actuellement, les sanctions à l'égard des personnes qui fument dans un lieu interdit relèvent des contraventions de troisième classe, en application de l'article R. 3512-1 du code de la santé publique (amende d'un montant maximum de 450 euros). La non-conformité des emplacements fumeurs aux normes réglementaires, notamment en termes de ventilation ou de signalisation, constitue une infraction de cinquième classe (article R. 3511-2), dont la sanction est une amende pouvant aller jusqu'à 1 500 euros. Ces sanctions ne sont mises en oeuvre qu'à la suite d'une procédure devant le tribunal de police.

Il est proposé que, par la voie du décret, elles soient intégrées aux dispositions de l'article R. 48-1 du code de procédure pénale relatif aux contraventions « pour lesquelles l'action publique est éteinte par le paiement d'une amende forfaitaire ». Comme pour les contraventions de voirie, le contrevenant verbalisé par la police ou la gendarmerie pourrait, dans un délai de trente jours, soit payer par timbre-amende, soit demander à être exonéré du paiement. On éviterait ainsi la lourdeur de la procédure actuelle.

Cette proposition intéressante a reçu l'appui de l'ensemble des participants aux tables rondes de la mission, parmi lesquels l'IGAS, les différentes associations (Alliance contre le tabac, CNCT, DNF), ainsi que de la direction des affaires criminelles et des grâces du ministère de la justice.

Elle suppose toutefois que les infractions prévues par l'article R. 3512-2 du code de la santé publique soient déclassées. En effet, ces infractions relèvent des contraventions de cinquième classe, d'un montant maximum de 1 500 euros, lesquelles ne peuvent pas être forfaitisées. C'est pourquoi, conformément à la proposition de l'association Droits des non-fumeurs (DNF), la mission propose de les déclasser, par décret, de la cinquième à la quatrième classe - même si leur montant maximum doit passer de 1 500 à 750 euros - afin de les intégrer à la liste des amendes forfaitaires et pour qu'elles puissent être acquittées plus facilement.

LA MISSION PRÉCONISE QUE L'ENSEMBLE DES INFRACTIONS À L'INTERDICTION DE FUMER DANS LES LIEUX AFFECTÉS À UN USAGE COLLECTIF SOIT SANCTIONNÉ PAR DES AMENDES À CARACTÈRE FORFAITAIRE.

2. Mettre au point des peines complémentaires ?

À la différence de la Direction générale de la santé (DGS), la MILDT propose d'impliquer davantage les responsables des lieux, y compris sur le plan pénal en introduisant des peines complémentaires.

Ainsi, elle propose que dans le secteur des CHRD, le responsable de l'établissement ait l'obligation de veiller au respect de la loi par ses clients, et de signaler les infractions aux forces de l'ordre si son intervention s'avère inefficace. Le manquement à cette obligation pourrait faire l'objet de contraventions de 5°classe et pourrait de surcroît entraîner temporairement la fermeture judiciaire de l'établissement, voire, comme en matière d'infraction à la législation sur les débits de boissons, la fermeture administrative.

La mission s'est interrogée sur l'opportunité d'une mesure de fermeture judiciaire qui risque de cristalliser les réticences des professionnels, alors qu'il faudrait, au contraire, les associer à l'objectif de santé publique en les convaincant.

En revanche, à titre pédagogique et en cas de récidive, on pourrait prévoir d'accompagner la sanction financière d'une infraction par l'obligation de visiter un service de soins consacré aux pathologies liées au tabagisme.

S'agissant des fabricants de cigarettes, la mission retient la proposition de la MILDT prévoyant d'imposer, sur l'emballage de leurs produits, mention de l'interdiction d'utiliser le tabac dans les lieux prévus par les nouvelles mesures et des sanctions encourues.

En tout état de cause, si le dispositif visant au respect de l'interdiction mérite effectivement d'être complété et affiné, la mission est convaincue que l'adhésion de la population aux nouvelles mesures induira un changement des comportements sociaux qui limitera d'autant les sanctions.

La mission propose donc :

- d'accompagner, en cas de récidive, la sanction financière d'une infraction par l'obligation de visiter un service de soins consacré aux pathologies liées au tabagisme ;

- d'imposer sur l'emballage des cigarettes mention de l'interdiction d'utiliser le tabac dans les lieux prévus par les nouvelles mesures et des sanctions encourues.

III.- UN DÉFI DE SANTÉ PUBLIQUE À RELEVER

S'il importe, par un effort de communication, de sensibiliser et de former le public, d'accompagner les acteurs économiques au cours de la période de transition vers l'interdiction de fumer et d'améliorer l'effectivité du dispositif juridique, la mission insiste sur la mobilisation de l'action publique pour régler ce problème majeur de santé qu'est la consommation de tabac. La poursuite et l'amplification d'une prévention globale contre le tabagisme sont indispensables et urgentes.

Cette préoccupation de la mission est partagée par M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités, qui a exprimé, lors de son audition le
27 septembre 2006, son souci de développer les actions de prévention : « Nous sommes bien décidés à augmenter les moyens consacrés à la prévention, à l'éducation à la santé, à la sensibilisation.(...) C'est tout l'enjeu de décisions davantage pensées, appliquées et accompagnées de tout un arsenal de mesures de sensibilisation, d'information et de prévention adaptées ».

A. L'AIDE AU SEVRAGE TABAGIQUE

L'un des principaux axes de la politique de lutte contre le tabagisme consiste à convaincre les fumeurs de s'arrêter de fumer et à les aider par tous les moyens disponibles.

Il devrait être admis que le fumeur n'est pas une personne qui s'adonne à un vice, mais une personne qu'il est nécessaire d'informer et, la plupart du temps, de prendre en charge lorsqu'elle souhaite s'arrêter. Toutes les études soulignent qu'une démarche volontaire et un appui approprié font partie des éléments essentiels du sevrage.

À cet effet, ont été publiées, en 2003, des recommandations de bonne pratique du sevrage élaborées par un groupe d'experts de l'Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSPS) à destination des professionnels de santé. De nouvelles consultations anti-tabac ont été créées de façon à couvrir l'ensemble des départements. Le comité de lutte contre le tabagisme (CNCT) estime que 750 000 fumeurs s'arrêtent chaque année de fumer, malgré l'absence de remboursement des thérapies.

1. Le remboursement des substituts nicotiniques

À ce jour, les études ne permettent pas de déterminer si le remboursement par l'assurance maladie aurait une influence sur les chances de succès d'un sevrage tabagique. En théorie, les fumeurs qui décident d'arrêter de fumer grâce aux substituts nicotiniques réaliseraient dès le premier mois une économie substantielle. En effet, le coût moyen d'un mois de traitement de patch à la nicotine est deux fois moins élevé que le coût représenté par la consommation quotidienne d'un paquet de cigarettes au prix de cinq euros. Le coût des thérapies (patchs, médicaments, gommes, etc.) reste donc très inférieur au coût des cigarettes pour un fumeur moyen.

a) Les mutuelles proposent d'ores et déjà une prise en charge des substituts nicotiniques

Dans le cadre des auditions que la mission a menées en complément de la réunion de tables rondes, les représentants de la Mutualité française ont présenté les actions menées par les services de promotion de la santé des unions régionales et départementales et les services de soin et d'accompagnement mutualistes.

En règle générale, les mutuelles assurant des prestations de remboursement de santé remboursent les substituts nicotiniques, les patchs plus que les gommes, et cela souvent sous réserve d'une prescription, afin d'inciter les adhérents à un accompagnement et un suivi médical. Dans la quasi totalité des cas, ce remboursement s'effectue dans le cadre d'un forfait maximum annuel dont les montants varient en moyenne entre 50 et 80 euros, selon les mutuelles et les garanties.

À titre d'exemple, on peut citer que la mutuelle d'étudiants de la Mutualité française propose, dans le cadre d'un forfait annuel de 90 euros, le remboursement des substituts nicotiniques, sur prescription médicale. La mutuelle nationale, en partenariat avec la ligue contre le cancer, rembourse aux moins de vingt-cinq ans, 53 euros par mois trois fois par an.

Ces actions s'inscrivent le plus souvent dans le cadre d'une politique générale d'accompagnement associant l'accès à des conférences-débats, la remise de carnets de suivi et la fourniture de listes de consultations spécialisées. Les publics prioritaires retenus sont les jeunes, les femmes enceintes et les salariés.

b) La prise en charge des substituts nicotiniques par l'assurance maladie obligatoire est à l'étude

Afin d'éclairer la mission sur l'opportunité de prévoir une prise en charge des substituts nicotiniques par l'assurance maladie obligatoire, M. Jean- Philippe Vinquant, sous-directeur à la Direction de la sécurité sociale (DSS) au ministère de la santé et des solidarités, a présenté aux membres de la mission les résultats d'une opération de fourniture gratuite de substituts nicotiniques mise en oeuvre au premier semestre 2005, dans le cadre du Plan cancer.

Cette expérience s'adressait à des personnes majeures bénéficiant de la couverture maladie universelle complémentaire dans trois régions pilotes
- Alsace, Basse-Normandie et Languedoc-Roussillon -. L'expérience répondait à un protocole établi par des représentants de l'administration, des caisses et des spécialistes du sevrage tabagique. Les substituts nicotiniques proposés aux participants étaient pris en charge par l'assurance maladie pour une période limitée. Au terme de l'expérience, il s'agissait d'analyser l'incidence de la prise en charge sur l'initialisation du sevrage tabagique.

Il a été constaté, qu'un an après, le pourcentage de personnes s'étant remis à fumer était le même dans le groupe des fumeurs ayant obtenu une prise en charge des substituts, que dans celui des fumeurs ayant financé eux-mêmes leur traitement. Par ailleurs, la réussite de l'arrêt semble dépendre davantage de la motivation du fumeur que de la prise de substituts.

En l'état actuel des connaissances, l'effet du remboursement des substituts nicotiniques sur la diminution de la consommation de tabac demeure donc difficile à évaluer précisément et doit être distingué des thérapies médicamenteuses administrées par voie orale.

Selon M. Jean-Philippe Vinquant, les travaux, ainsi que les expériences menées sur le sujet ne permettent pas d'affirmer qu'un remboursement par l'assurance maladie du traitement de sevrage par substituts nicotiniques aurait un effet de levier significatif sur la décision d'arrêter de fumer. Par ailleurs, la Direction de la sécurité sociale (DSS) estime que si 25 % des fumeurs - soit environ 3,5 millions de personnes - venaient à bénéficier d'une prise en charge, au taux de remboursement de 65 %, pour trois mois de traitement par substituts nicotiniques,  il en coûterait de 375 à 455 millions d'euros par an à la sécurité sociale. Elle a également évoqué le risque de détournements (revente des produits par les bénéficiaires du remboursement), risque néanmoins difficilement mesurable. Enfin, il ne faut pas oublier que les laboratoires fabricants de substituts verraient leurs produits interdits de publicité s'ils venaient à faire l'objet d'un remboursement par l'assurance maladie.

En conclusion des échanges entre le représentant de la Direction de la sécurité sociale et les membres de la mission, il résulte que la généralisation d'un remboursement des substituts nicotiniques serait moins incitative et moins efficace qu'une politique de sensibilisation renforcée.

2. L'information sur l'offre de prise en charge et sa coordination

Le sevrage tabagique peut se faire seul ou en groupe, ou encore avec un conjoint, un ami, un médecin généraliste ou spécialiste au sein d'une consultation d'aide au sevrage tabagique.

Les consultations d'aide au sevrage tabagique fonctionnent toujours sur la base d'une prise en charge individualisée avec association de plusieurs méthodes. Certaines de ces techniques ont une efficacité établie, d'autres sont plus discutables. En tout état de cause, l'inventaire de toutes les offres et de toutes les stratégies proposées aux fumeurs pour arrêter le tabac est tel qu'il serait nécessaire de les aider à faire leur choix, en diffusant des informations complémentaires aux documents édités par l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES).

En plus de l'amélioration de la couverture territoriale en consultations hospitalières de tabacologie et d'aide à l'arrêt du tabac, des centres de bilan implantés hors du cadre hospitalier, animés par des professionnels de santé pourraient permettre à tous les fumeurs d'obtenir un bilan précis de leur dépendance au tabagisme. Ce bilan pourrait évaluer l'opportunité d'utiliser ou non des substituts nicotiniques et, le cas échéant, envisager leur remboursement, à titre exceptionnel.

Par ailleurs, si les consultations d'aide au sevrage ne peuvent être développées avec la même intensité dans toutes les régions, des interventions plus souples, comme la consultation sur Internet (courrier électronique, sites de discussions, etc.) ou la consultation par téléphone pourrait être préconisées afin d'aider les fumeurs à s'arrêter sur le long terme.

Enfin, les entreprises pourraient jouer un rôle plus important dans l'aide susceptible d'être apportée aux salariés souhaitant arrêter de fumer.

Une enquête réalisée par Ipsos pour le compte du laboratoire Pfizer en 2006 montre qu'à peine un tiers des entreprises ont interdit le tabac sur le lieu de travail. Par ailleurs, 77 % des chefs d'entreprises considèrent que la législation est mal ou pas appliquée. Enfin, l'aide au sevrage pour les volontaires est encore une pratique embryonnaire : seuls 4 % des dirigeants auraient mis en place une action de ce type, et 5 % seulement envisageraient de le faire.

Les représentants du MEDEF ont insisté devant la mission sur le rôle que pourrait jouer dans ce domaine le médecin du travail. L'Union professionnelle artisanale (UPA) a, quant à elle, souligné l'importance des campagnes réalisées par le Centre interservices de santé et de médecine du travail en entreprise (CISME). La CFDT préconise de renforcer les pouvoirs des comités d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).

Les trois organisations syndicales représentatives des salariés qui ont répondu aux questions adressées par la mission ont exprimé leurs positions quant à la nécessité de renforcer l'interdiction de fumer dans les entreprises.

La CGT-FO n'est pas favorable à une interdiction totale de fumer sur les lieux de travail dans la mesure où des salariés dépendants du tabac pourraient faire l'objet de pressions excessives de la part de l'employeur. Elle privilégie, dans le cadre de la loi de 1991, une amplification des actions de prévention et d'aide au sevrage des fumeurs souhaitant arrêter l'usage du tabac.

L'Union professionnelle artisanale (UPA) redoute également qu'un dispositif renforçant l'interdiction n'instaure une « chasse aux sorcières » et tente, de façon pragmatique, de faire concilier la bonne exécution du travail, la sécurité, la santé, le bien-être psychosocial des employés et leurs libertés individuelles.

La CFDT soutient l'interdiction du tabac dans les lieux de travail qui comporterait l'obligation pour les entreprises d'engager, sur ce sujet, un débat avec les salariés, leurs représentants et les services de santé au travail. Elle affirme également le caractère prioritaire que la prévention et la pédagogie doivent revêtir dans le cadre d'une amélioration générale des conditions de travail.

Les organisations s'accordent pour considérer que les employeurs et les caisses d'assurance maladie devraient organiser davantage d'actions de prévention afin de protéger la santé et la sécurité des salariés. Soulignant que les salariés fumeurs sont victimes d'une dépendance et se déclarant très attachée à la prévention, la CGT-FO suggère d'encourager le partenariat avec les relais médicaux et associatifs pour accompagner les salariés qui désirent arrêter de fumer.

Au total, il apparaît très clairement que l'arrêt du tabac serait facilité par un dispositif d'accompagnement global associé à une prise en charge individuelle adaptée à chaque cas, en complément des campagnes de sensibilisation.

LA MISSION ESTIME QU'EN COMPLÉMENT D'UNE POLITIQUE D'INFORMATION DU PUBLIC - À AMÉLIORER -, LA PRISE EN CHARGE DE L'ARRÊT DU TABAC, POUR ÊTRE EFFICACE, DOIT COMPRENDRE UNE GAMME DE TRAITEMENTS ALLANT DU SIMPLE CONSEIL AU SOUTIEN PLUS INTENSIF INCORPORANT DES INTERVENTIONS À LA FOIS COMPORTEMENTALES ET PHARMACOLOGIQUES, ADAPTÉS À CHAQUE CAS.

FACE À LA DIVERSITÉ DES SOLUTIONS DISPONIBLES POUR ARRÊTER DE FUMER, LA MISSION CONSIDÈRE QU'IL EST INDISPENSABLE DE RENFORCER ET D'OPTIMISER LES MOYENS AFFECTÉS À LA PRISE EN CHARGE DU SEVRAGE DANS LE CADRE D'UNE POLITIQUE GLOBALE DE PRÉVENTION. UNE TELLE DÉMARCHE PRÉSENTERAIT LE DOUBLE INTÉRÊT D'AMÉLIORER LA PERTINENCE GÉNÉRALE DE L'AIDE OFFERTE AUX FUMEURS ET D'ACCROÎTRE SON EFFICACITÉ.

B. MOYENS À CONSENTIR POUR LA POURSUITE DE LA LUTTE CONTRE LE TABAGISME

Les grands programmes de prévention du tabagisme ont pour la majorité d'entre eux débuté dans les années soixante-dix. La politique des années quatre-vingt-dix a également été marquée par des initiatives importantes de lutte contre la consommation de tabac, parallèlement à la mise en œuvre de la loi Évin. Ainsi, un plan sur trois ans (1997-1999) de prévention du tabagisme, principalement axé sur l'aide à l'arrêt du tabac, a été soutenu et mis en place par la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAMTS) en partenariat avec le Comité Français d'Éducation pour la Santé (CFES). Durant la même période, la conférence de consensus (1997) ainsi que l'annonce d'un plan gouvernemental (1999) sont venues consolider et amplifier ces orientations.

On rappellera également que depuis 2003, le tabac est devenu moins accessible pour les jeunes en raison de l'augmentation de son prix et de l'interdiction d'en vendre aux personnes de moins de seize ans, ou à prix promotionnel.

À cet égard, votre rapporteur se félicite que le dernier plan gouvernemental de lutte contre les drogues illicites, le tabac et l'alcool
(2004-2008) ait donné une nouvelle dynamique aux actions de prévention, à partir de trois objectifs concernant le tabac : empêcher la première cigarette ou retarder l'âge de la première cigarette chez les jeunes de 14 à 16 ans, inciter les fumeurs au sevrage tabagique plus précocement et réduire le tabagisme passif.

Par ailleurs, les actions de communication sont quasi-constantes et une journée sans tabac a été instituée et fixée au 31 mai.

La Caisse nationale d'assurance maladie (CNAMTS) prend une part active dans la mise en œuvre de la politique de santé publique et de prévention. Elle dispose d'un fonds national destiné au financement de programmes nationaux et régionaux de prévention (vaccinations, dépistages, prise en charge du diabète, prévention des conduites à risques en matière de tabagisme, alcoolisme, accidents de la vie courante, suicides) - le Fonds national de prévention, d'éducation et d'informations sanitaires (FNPEIS) - dont le budget de 360 millions en 2006, en constante augmentation depuis 2000, n'isole pas les dépenses de prévention affectées au tabagisme.119

Des moyens supplémentaires sont consacrés à la lutte contre le tabagisme dans le cadre du Plan cancer auquel le projet de loi de finances pour 2007 ne réserve cependant - sur un total de 5,8 millions d'euros - que 3,39 millions aux actions de lutte contre l'alcool et le tabac. Sur ce point, votre rapporteur souligne que la politique de lutte contre le tabagisme ne saurait se limiter à un volet de la lutte contre le cancer, dès lors que le tabac engendre bien d'autres maladies, parmi lesquelles les maladies cardiovasculaires dont les risques sont plus rapides et les victimes plus nombreuses.

Malgré ces actions et en termes de résultats, tous les experts réunis autour des tables rondes de la mission s'accordent pour estimer que le niveau de protection contre la fumée du tabac est encore insuffisant dans notre pays. Ce constat est confirmé par le très médiocre classement de la France120 du point de vue de la qualité de l'air dans les lieux publics.

Les ressources publiques, documentaires et humaines, mises en œuvre dans la lutte contre le tabagisme sont pourtant importantes, comme la mission a pu le vérifier en associant à ses tables rondes des services et des organismes tels que la Direction générale de la santé (DGS), l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES), l'Institut national du cancer (INCa) ou la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et les toxicomanies (MILDT).

Les montants consacrés à la lutte contre le tabagisme sont estimés par la Direction générale de la santé (DGS) entre 20 et 25 millions d'euros, étant précisé que ce chiffre n'inclut ni le coût des consultations en tabacologie, ni les coûts de fonctionnement des centres de tabacologie hospitaliers et des établissements pris en charge par les collectivités locales.

Au titre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, le montant des crédits demandés par la Direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (DHOS)121 pour renforcer les consultations hospitalières de tabacologie s'élève à 21 millions d'euros.

Les actions d'aide au sevrage des femmes enceintes et des malades hospitalisés fumeurs bénéficient de l'aide financière de l'Institut national du cancer à hauteur de 2,5 millions d'euros.

Dans le projet de loi de finances pour 2007, les crédits destinés aux actions relatives aux déterminants de santé s'élèvent à 31 millions d'euros dont moins d'un million (907 004 euros ) est consacré au « Tabac » et doit servir pour 60 % à la mise en place d'actions locales. L'ensemble de ces actions à caractère sanitaire participe à la mise en œuvre du dernier plan gouvernemental de lutte contre les drogues illicites, le tabac et l'alcool (2004-2008).

Tous ces chiffres sont à mettre en parallèle avec le coût social du tabac estimé à 0,8 % du PIB, soit près de 10 milliards d'euros, dont trois milliards environ en dépenses médicales directes (hospitalisations et soins ambulatoires)122.

Bien que les programmes de prévention aient renouvelé leurs approches aussi bien en matière d'information, que de communication, d'éducation et de prise en charge du sevrage, le dispositif de santé publique contre le tabagisme est encore insuffisant. Il doit au contraire rester un axe prioritaire pour les pouvoirs publics et, à ce titre, bénéficier d'un effort financier soutenu.

C'est pourquoi l'État doit consentir dans son budget une augmentation substantielle des crédits dévolus à la lutte contre le tabagisme, élément essentiel de la prévention de très nombreuses pathologies.

PARCE QUE LE TABAGISME CONSTITUE LA PREMIÈRE CAUSE DE MORTALITÉ ÉVITABLE, LA MISSION DEMANDE UNE AUGMENTATION TRÈS SIGNIFICATIVE DES CRÉDITS AFFECTÉS AUX ACTIONS DE PRÉVENTION CONTRE LE TABAGISME DANS LES PROGRAMMES DE PROTECTION DE LA SANTÉ PUBLIQUE.

PROPOSITIONS DE LA MISSION

La France a fait œuvre pionnière au début des années quatre-vingt-dix en matière de lutte contre le tabagisme, mais elle apparaît aujourd'hui plutôt en retard par rapport à l'évolution des dispositifs mis en place à l'étranger. Il lui appartient donc de reprendre la main sur un sujet majeur de santé publique.

Les 25 propositions adoptées par la mission après cinq mois de travail approfondi répondent au souci d'efficacité qu'exigent le renforcement de la lutte contre le tabagisme et la protection des non-fumeurs dans notre pays.

Elles constituent une « lettre de cadrage » pour l'action gouvernementale des prochains mois sur ce dossier qui constitue un véritable enjeu de santé publique.

Les objectifs

1 - La mission réaffirme le caractère prioritaire de l'objectif de santé publique qui vise à lutter contre les méfaits du tabagisme, en particulier passif, et à mettre en œuvre de façon certaine les mesures rigoureuses s'inscrivant dans un projet global de prévention vis-à-vis du tabac.

2 - La mission ne veut en aucune manière prohiber l'usage du tabac. Elle affirme clairement que le tabac n'est pas un produit interdit et que ses consommateurs ne sont pas des délinquants.

3 - La proposition de modification du dispositif juridique relatif à l'usage du tabac dans les lieux de travail et les lieux affectés à un usage collectif n'a pas non plus pour objet de stigmatiser les fumeurs. Elle répond à une modification des enjeux - on est passé, depuis la loi Évin, de la problématique de la gêne des non-fumeurs à celle de la mise en danger de leur santé - et à une prise de conscience du caractère dramatique des effets du tabagisme passif responsable de 3 000 à 5 000 morts par an.

Le constat

4 - Les conclusions des nombreuses tables rondes et auditions auxquelles a procédé la mission ont permis de dégager un large accord, y compris de la part d'acteurs économiques initialement réservés, pour constater que le statu quo n'est pas acceptable. La jurisprudence de la chambre sociale de la Cour de cassation du 29 juin 2005 illustre en particulier le fait qu'il n'est plus possible d'exposer des salariés au tabagisme passif. Dès lors, le durcissement du régime juridique actuel est une urgente nécessité.

Le support juridique de la réforme

5 - La logique qui ressort de l'ensemble des travaux de la mission invite à privilégier la voie législative qui, seule, permet avec la solennité nécessaire une interdiction absolue de fumer dans les lieux de travail et les lieux affectés à un usage collectif, c'est-à-dire sans qu'il subsiste la possibilité d'aménager des emplacements réservés aux fumeurs, quels qu'ils soient.

6 - Toutefois, la voie législative risque de se heurter à un certain nombre de difficultés que l'on ne peut nier : l'extrême encombrement de l'ordre du jour parlementaire pour les prochains mois, la fin des travaux parlementaires prévue pour la deuxième ou troisième semaine de février 2007 et le temps de la navette parlementaire. C'est pourquoi, dans le seul souci de l'efficacité opérationnelle d'une réforme que chacun s'accorde à juger indispensable et urgente, la voie du décret doit être en définitive privilégiée, d'autant qu'elle est certaine d'aboutir et qu'elle offre de réelles possibilités de restriction à l'usage du tabac dans les lieux de travail et les lieux affectés à un usage collectif.

7 - La mission souhaite que ses conclusions constituent une « lettre de cadrage » pour la rédaction par le Gouvernement d'un décret qui présentera, en outre, toutes les garanties de sécurité juridique puisqu'il s'agira d'un décret en Conseil d'État.

Le périmètre de la réforme

8 - La réforme proposée ne s'écarte pas de la philosophie de la loi Évin, qui pose le principe d'interdiction de fumer, tempéré par la possibilité d'aménager des emplacements expressément réservés aux fumeurs. Mais elle remédie aux faiblesses du dispositif réglementaire actuel en durcissant considérablement les conditions que doivent remplir ces emplacements afin de garantir une protection optimale des non-fumeurs, et notamment des salariés.

9 - Le parti pris de maintenir ce principe de l'interdiction de fumer dans les lieux de travail et les lieux affectés à un usage collectif justifie que la mission refuse que des chefs d'entreprise sans salarié puissent décider du caractère fumeur ou non de leur entreprise : ce serait un recul par rapport au principe général de l'interdiction et menacerait en outre sérieusement l'emploi.

10 - L'apport principal de la proposition de réforme consiste à imposer que les emplacements réservés aux fumeurs soient désormais obligatoirement des espaces hermétiquement clos, dotés de systèmes d'extraction et soumis à des normes sanitaires extrêmement rigoureuses. Aucune activité exposant des salariés ne doit y être prévue. Ces fumoirs restent facultatifs. En leur absence, les lieux de travail et les lieux affectés à un usage collectif clos et couverts sont automatiquement non-fumeurs.

11 - Dans le cadre de la réforme proposée, la mission refuse toute possibilité d'assouplissement qui ferait bénéficier certains secteurs comme les tabacs ou le secteur des CHRD (cafés, hôtels, restaurants, discothèques) de dérogation permanente. Elle estime en effet que le respect du principe constitutionnel d'égalité empêche que tel ou tel secteur d'activité soit définitivement tenu en dehors du champ d'application de la réforme.

12 - La mission prend acte de l'accord qui s'est dégagé pour clarifier les règles d'usage du tabac dans tous les locaux des établissements d'enseignement. Concrètement, la mission propose :

- que le tabac soit totalement interdit dans l'enceinte (y compris les lieux ouverts) des écoles, des collèges et des lycées et sans possibilité d'y aménager des pièces pour fumeurs. Cette interdiction se justifie par le fait que la population de ces établissements est essentiellement composée de mineurs ;

- que, dans les établissements d'enseignement supérieur, le tabac soit interdit dans les locaux sans possibilité d'y aménager des pièces pour fumeurs. Il ne serait plus possible de fumer que dans les lieux ouverts.

13 - Le durcissement des règles d'usage du tabac dans les lieux de travail et les lieux affectés à un usage collectif vaut également pour les « substituts de domicile ». Sans mésestimer les problèmes spécifiques qui se posent pour les lieux de « séjour contraint » (établissements de soins, établissements médico-sociaux et prisons), la mission estime que tant l'objectif de préservation de la santé des personnes accueillies que la nécessité de protéger les personnels qui y travaillent justifient que l'on n'introduise pas pour eux un régime dérogatoire plus favorable. Au contraire, compte tenu de leur lien direct avec la protection de la santé publique, la mission se prononce pour la suppression de la possibilité d'installer des fumoirs dans tous les établissements de soins et tous les établissements médico-sociaux. Concrètement, il ne devrait plus être possible de fumer dans l'enceinte de ces établissements en dehors des lieux ouverts.

14 - La mission estime que la nécessaire préservation d'espaces de liberté pour les fumeurs conduit à ne pas étendre l'interdiction de fumer dans les lieux ouverts au-delà des deux cas précis - cours d'écoles, de collèges et de lycées et quais de gare - déjà visés par la réglementation actuelle.

Le délai de mise en œuvre

15 - Dans une optique de clarté, la mission se prononce en faveur d'un délai unique pour l'ensemble des secteurs, y compris celui des CHRD et des tabacs, précédant l'entrée en vigueur de la réforme.

16 - La mission préconise la mise en place, au plus tard pour la rentrée scolaire 2007, c'est-à-dire le 1er septembre 2007, des nouvelles dispositions renforçant l'interdiction de fumer dans les lieux de travail et les lieux affectés à un usage collectif. Cette date limite pourrait bien entendu être utilement anticipée par l'ensemble des structures concernées.

17 - La mission préconise que la situation financière des secteurs des tabacs et des CHRD fassent l'objet, sur la base d'une « clause de revoyure », d'un réexamen global et régulier afin d'éviter que les éventuelles répercussions économiques du durcissement du dispositif d'interdiction du tabac ne leur soient préjudiciables.

Les contrôles et les sanctions

18 - La mission propose, dans un souci d'efficacité, que la charge des actions de contrôle soit répartie entre les différents corps de contrôle compétents en fonction de leur sphère naturelle d'activité. Les polices municipales ne seraient pas chargées du contrôle.

19 - La mission ne préconise pas de nouvelles sanctions mais suggère que l'ensemble des infractions relatives à l'interdiction de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif soit sanctionné par des amendes à caractère forfaitaire.

20 - Dans une optique pédagogique, la mission propose, en cas de récidive, d'accompagner, la sanction financière par l'obligation de visiter un service de soins consacré aux pathologies liées au tabagisme.

21 - La mission propose également d'imposer sur l'emballage des paquets de cigarettes le rappel du dispositif durcissant l'interdiction d'utiliser le tabac et les sanctions encourues.

L'information et la prévention

22 - La mission estime que la réussite de la réforme passe par l'organisation de campagnes d'information et de sensibilisation visant à insister sur les risques du tabagisme, à encourager et aider les fumeurs à arrêter de fumer par des conseils pratiques sur les processus de sevrage et à expliquer le contenu de la réforme.

23 - La mission est convaincue qu'en complément d'une politique d'information du public, la prise en charge de l'arrêt du tabac, pour être efficace, doit comprendre une gamme de traitements adaptés à chaque cas allant du simple conseil au soutien plus intensif incorporant des interventions à la fois comportementales et pharmacologiques.

24 - La mission considère qu'il est indispensable de renforcer et d'optimiser les moyens affectés à la prise en charge du sevrage dans le cadre d'une politique globale de prévention.

25 - Parce que le tabagisme, dont le tabagisme passif n'est qu'un des éléments, constitue la première cause de mortalité évitable (66 000 morts en France chaque année), la mission sollicite une augmentation très significative des crédits affectés aux actions de prévention contre le tabagisme dans les programmes de protection de la santé publique.

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La mission a examiné le présent rapport au cours de sa séance du mardi 3 octobre 2006 et l'a adopté.

Elle a ensuite autorisé sa publication conformément à l'article 145 du Règlement de l'Assemblée nationale.

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EXPLICATIONS DE VOTE ET CONTRIBUTIONS

Contribution des députés membres du groupe socialiste

Première cause de décès évitable, le bilan du tabagisme en France est très lourd, avec 66 000 décès prématurés par an chez les fumeurs et 5 000 décès de non-fumeurs liés au tabagisme passif.

Avant 1991, la législation avait limité la publicité et le parrainage des manifestations sportives. L'interdiction de fumer ne concernait que certains lieux publics où cette pratique pouvait avoir des conséquences dangereuses pour la santé.

La loi n° 91-32 du 10 janvier 1991, dite « loi Évin », a véritablement montré la voie en Europe en matière de politique de prévention. Elle a strictement interdit toute publicité directe ou indirecte. Elle a créé les conditions d'une augmentation des prix du tabac en sortant ce produit de l'indice des prix. Elle a posé l'interdiction de fumer dans tous les lieux affectés à un usage collectif, « sauf dans les emplacements expressément réservés aux fumeurs ».

Alors qu'en 1991, la France faisait office de modèle dans ce domaine, elle apparaît désormais en retard au regard des préconisations de l'Organisation mondiale de la santé et en comparaison avec les législations de nombre de ses voisins européens tels que l'Irlande, la Norvège, la Belgique, l'Italie, l'Espagne et dernièrement l'Angleterre qui a voté une interdiction totale y compris dans les pubs, restaurants et clubs privés.

Alors qu'en 1991, on considérait qu'il s'agissait de préserver les non-fumeurs de la gène que pouvait leur provoquer la fumée de tabac, la connaissance scientifique que nous avons aujourd'hui des conséquences du tabagisme passif sur l'apparition des maladies du cancer ou des pathologies cardiovasculaires en fait l'une des priorités de santé publique.

Loin de vouloir stigmatiser les fumeurs, la protection des non-fumeurs des effets du tabagisme passif est aujourd'hui une impérieuse nécessité de santé publique, d'autant que de nombreux salariés (notamment dans le secteur des CHRD) sont particulièrement exposés à un risque réel sur leur santé.

Cet impératif de santé publique ne peut se concrétiser que par une interdiction générale et absolue de fumer dans tous les lieux de travail et tous les lieux affectés à un usage collectif. Toute dérogation quant aux lieux concernés ou toute forme de progressivité dans la mise en œuvre de la mesure n'aurait aucune cohérence avec l'objectif affirmé.

Pour que la mesure d'interdiction puisse se révéler efficace, il est nécessaire qu'elle soit claire et simple dans la perception que l'opinion en aura et qu'elle soit mise en œuvre à la même date dans tous les lieux concernés. Un contrôle déterminé des conditions de cette mise en œuvre sera un des autres facteurs de réussite de cette politique. Des actions d'éducation sanitaire sur les effets du tabagisme passif et d'explications de la mesure à destination du grand public devraient par ailleurs accompagner la préparation de la mise en œuvre de la décision. Si quelques mois sont nécessaires pour conduire ces actions avant l'entrée en vigueur de la mesure, cette entrée en vigueur ne saurait être repoussée au-delà du 1er septembre 2007.

Si les effets économiques d'une politique volontariste en matière de lutte contre le tabagisme sur le secteur de la distribution du tabac ne sauraient être ignorés, ils nécessitent qu'y soient apportées des réponses économiques. Mais on ne saurait traiter ces conséquences économiques en biaisant avec la santé publique.

Au regard de cette analyse les députés socialistes membres de la mission d'information sur l'interdiction de fumer dans les lieux publics considèrent que seule une modification de la législation actuelle permettra de protéger efficacement des conséquences du tabagisme passif. Le retrait des mots « sauf dans les emplacements expressément réservés aux fumeurs » dans l'article L. 3511-7 du code de la santé publique suffirait à répondre à l'objectif d'interdiction absolue de fumer dans les lieux de travail et les lieux affectés à un usage collectif.

Une telle modification de la loi est tout à fait possible avant la fin de cette législature. Alors que Monsieur le Président de la République a fait de la lutte contre le cancer l'une des grandes causes de son mandat, l'adoption d'une telle modification législative n'est qu'une affaire de volonté politique.

À défaut d'une affirmation dans la loi de l'interdiction absolue de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif, tout compromis tendant à accepter que puissent être installés des fumoirs même entourés de contraintes strictes risque de ne pas se révéler à terme comme répondant à l'objectif affiché de protection des non-fumeurs.

Compte tenu du choix fait par le rapporteur de préconiser la publication d'un décret et non la saisine du Parlement d'une modification de la loi actuelle, le groupe socialiste s'est abstenu sur les conclusions proposées par le rapporteur.

Contribution du Groupe des député(e)s communistes et républicains

Une nouvelle réglementation concernant la lutte contre le tabagisme sera bientôt édictée, applicable à partir du 1er janvier 2007. Il est à prévoir que celle-ci étendra un peu plus l'interdiction de fumer dans les lieux publics fermés et couverts. Ce projet nous paraît opportun dans la mesure où la consommation de tabac pose un problème immense de santé publique notamment pour les non-fumeurs. Suivant un sondage d'octobre 2004, 70 % des Français soutiennent d'ailleurs le projet d'étendre l'interdiction. Pour son adoption, le gouvernement a d'ores et déjà choisi la voie réglementaire plutôt que la voie législative. Or ce choix risque d'avoir pour effet de limiter ce projet à la seule extension de l'interdiction, laissant de côté les mesures complémentaires mais tout aussi essentielles que sont les volets préventif et curatif. La mission parlementaire mise en place le 2 mai dernier a d'ailleurs limité son champ d'étude à la seule interdiction, organisant six tables rondes sur le sujet. Enfin, la loi Évin incluait la lutte contre l'alcoolisme lequel fait d'avantage de victimes (22 000 décès par an) que la consommation de tabac. On peut donc regretter que le problème général des dépendances ne soit pas pris en compte. Plus largement il manque une grande loi traitant les atteintes graves à la santé publique mais aujourd'hui négligées telles que les effets de l'amiante et des éthers de glycol.

1. La législation existante

La loi Évin n° 91-32 du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme a interdit de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif, à savoir les lieux fermés accueillant du public, les lieux de travail, les moyens de transport collectifs et les établissements accueillant des élèves du primaire et du secondaire. En revanche, cette loi prévoit que des emplacements séparés et ventilés soient réservés pour les fumeurs, assurant ainsi la protection des non-fumeurs.

Dans les établissements industriels et commerciaux publics ou privés, il est interdit de fumer dans les locaux clos et couverts affectés à l'ensemble du personnel (accueils, salles de réunion, espaces de repos et de loisirs, locaux médico-sanitaires...). Mais des espaces fumeurs sont aménagés après consultation du médecin du travail, du comité d'hygiène et de sécurité et à défaut des délégués du personnel. D'après un arrêt de la Cour de cassation du 29 juin 2005, l'employeur est tenu à une obligation de résultat en matière de tabagisme.

Dans les établissements d'enseignement publics et privés, des salles sont réservées à la consommation de tabac pour les enseignants et autres personnels fumeurs. En outre, dans les lycées, universités et les lieux de formation professionnelle, des salles peuvent être mises à la disposition des usagers du tabac. Pour le reste comme l'usage de la cigarette dans les cours de récréation, le règlement intérieur de chaque établissement définit les éventuelles limitations.

2. Les conséquences sur la santé publique

Suivant les chiffres fournis par le réseau FRANCIM, le nombre de nouveaux cas de cancer a augmenté de 60 % de 1980 à 2000, passant de 170 000 nouveaux cas à 278 000. Trois cancers sont à cet égard liés à la consommation de tabac : poumon, lèvres - bouche - pharynx, vessie. Or les cas de cancer du poumon, qui est le premier cas de cancer chez l'homme et le troisième chez la femme, ne sont pas en recul. En effet, sur vingt ans, on note chez l'homme la stagnation du nombre de cancers liés au tabac et l'augmentation du nombre de ces mêmes cancers chez les femmes nées après la deuxième guerre mondiale. La consommation de tabac produit également des maladies cardio-vasculaires. Quant au tabagisme passif, également considéré comme cancérigène par le Centre international de recherche sur le tabac, il cause suivant l'Académie de médecine le décès d'environ 3 000 personnes par an, une étude anglaise allant jusqu'au nombre de 5 000 décès.

3. La position des députés communistes et républicains

a) Pour l'interdiction de fumer dans les lieux publics

La distinction entre lieux privatifs et lieux publics

L'interdiction de fumer dans les lieux publics ne doit pas aboutir à stigmatiser et rejeter les fumeurs lesquels sont presque tous dépendants. C'est pour cette raison que la simple prohibition contrevient au principe du respect de la vie privée. Malgré ses effets néfastes, fumer reste en effet une liberté et doit donc être autorisé dans les lieux privatifs comme le domicile. Pour cette même raison, fumer doit être autorisé dans les substituts de domicile, des emplacements devant au moins y être aménagés pour permettre la consommation de tabac.

L'objectif principal du décret à venir doit être de supprimer la gêne et les atteintes à la santé occasionnées aux non-fumeurs du fait de la présence de fumée de cigarettes, phénomène dénommé tabagisme passif. Mais ces mesures auront aussi des conséquences positives sur le tabagisme actif : dans tous les pays où l'interdiction totale de fumer dans les lieux publics a été décidée, la consommation de tabac a diminué.

Il apparaît par conséquent nécessaire d'étendre l'interdiction de fumer aux lieux fermés ou couverts qui accueillent du public, cette interdiction n'incluant donc pas les clubs privés. Une terrasse de café ou un stade sont des lieux suffisamment aérés pour qu'il y soit autorisé de fumer. À l'inverse, l'interdiction de fumer doit par exemple être étendue aux discothèques, haut lieu du tabagisme passif.

- Les cas d'évidente interdiction

Le tabac dans l'entreprise

Tout lieu de travail peut être considéré comme accueillant du public. Aujourd'hui même le bureau individuel est concerné puisqu'un arrêt en Conseil d'État de 1993 dispose qu'il doit figurer dans le champ de l'interdiction. Faut-il alors confirmer par le décret cette jurisprudence mal appliquée en considérant que des tiers peuvent occuper irrégulièrement ces bureaux ou au contraire faut-il y autoriser la consommation de tabac dans la mesure où il s'agit d'un espace quasi-privatif ? En tout état de cause l'interdiction doit être respectée dans les restaurants et salles communes d'entreprise. Idéalement, un emplacement véritablement hermétique devrait pouvoir être aménagé pour la consommation de tabac du personnel.

Le tabac dans les établissements scolaires

Dans les lycées, comme dans les écoles et les collèges, la consommation de tabac devrait être totalement interdite et ne plus faire l'objet comme aujourd'hui de limitations plus ou moins étendues suivant le règlement intérieur des établissements. Pour les mineurs que sont pour la plupart les élèves, l'interdiction de fumer dans certains lieux ne répond pas en effet au souci d'empêcher le tabagisme passif mais relève d'une mesure éducative touchant la jeunesse. Dans cet esprit, la possibilité de créer un espace fumeurs pour les élèves doit être supprimée de la réglementation. A l'inverse, sur les campus universitaires, les étudiants étant des adultes doivent pouvoir fumer dans les lieux publics non couverts et non fermés.

Le tabac dans les transports en commun

Pour leur plus grande part, les usagers respectent l'interdiction de fumer dans les transports ferroviaires, à l'exception notable des TER. À l'inverse, les quais de gare, les abribus et les quais de métro aérien sont le plus souvent des lieux ouverts et il paraît légitime de déroger à la règle de l'interdiction en ce qui les concerne.

- La situation des cafés et restaurants

Globalement, les droits des non-fumeurs ne sont pas respectés dans les cafés et restaurants parfois tout simplement faute de places pour aménager deux zones. Et quand deux zones sont effectivement aménagées, une enquête montre que neuf fois sur dix les deux espaces ne sont pas isolés. C'est pourquoi il doit être proposé la disparition pure et simple de la zone fumeurs dans ces établissements, l'aménagement de fumoirs étant par ailleurs impossible dans la plupart des cas.

b) Étendre l'interdiction de fumer ne suffit pas

- Pour une meilleure application de la loi

De meilleurs moyens de contrôle

Si elle est bien appliquée dans les moyens de transport, les magasins et les cinémas, la loi Évin est mal appliquée dans les administrations, à l'Éducation nationale, dans les hôpitaux, dans les cafés, hôtels, restaurants. Certes les zones d'interdiction doivent être étendues, mais pour que cette extension produise un effet encore faut-il que la réglementation en vigueur fasse l'objet d'une réelle application.

Les premiers concernés par le contrôle sont les personnes ayant des lieux accueillant du public sous leur responsabilité. Les restaurateurs doivent par exemple mieux faire respecter la loi dans leur établissement. Leur responsabilité doit donc être clairement affirmée pour que les salariés et usagers puissent solliciter l'intervention des corps de contrôle et éventuellement évoquer cette responsabilité devant la justice.

Mais encore faut-il que ces mêmes corps de contrôle soient bien définis par le décret pour clarifier leurs responsabilités respectives et que des moyens importants soient déployés pour que ce contrôle soit effectif. La loi relative à la politique de santé publique d'août 2004 a certes donné compétence en matière de respect des interdictions de fumer à l'inspection du travail, aux inspecteurs de la DASS et aux ingénieurs du génie sanitaire. Mais il apparaît essentiel que les agents de corps de contrôle soient rapidement habilités et assermentés sinon la réglementation demeurera une coque vide. Enfin, l'interdiction de fumer dans les lieux à usage collectif relève également de l'ordre public. C'est pourquoi il faut réaffirmer que son contrôle doit être également le fait de la police judiciaire mais aussi le cas échéant des polices municipales.

Un élargissement des voies de recours

Si la réglementation n'est pas appliquée dans les entreprises ou les administrations, les salariés et les usagers doivent pouvoir évoquer la responsabilité directe de l'employeur, du propriétaire du local ou de l'État. Cela passe par la possibilité pour les syndicats et les associations à qui on confie souvent le respect de la loi d'exercer les droits reconnus à la partie civile. Un nouveau recours pourrait également prendre la forme d'une « action de groupe » (en anglais « class action ») permettant à un certain nombre de victimes d'intenter une action en justice au nom de toutes les victimes subissant le même préjudice. Enfin, les indemnités versées en dédommagement ne doivent plus être d'un montant symbolique comme aujourd'hui.

- Pour un renforcement des volets préventifs et curatifs

La prévention

La tentation est grande pour le gouvernement de se contenter de la solution peu onéreuse de l'interdiction plutôt que de s'engager financièrement dans un vaste plan de prévention. En effet, l'interdiction de fumer dans les lieux publics ne résout pas l'intégralité du problème. Les enfants sont ainsi atteints dans leur santé par la consommation de tabac de leurs parents au domicile familial. Bien des parents cherchent à cet égard à arrêter de fumer moins pour leur propre bénéfice que pour celui de leurs enfants. C'est pourquoi une vaste campagne médiatique de prévention devrait insister sur les conséquences du tabagisme passif sur les non-fumeurs à la fois dans les lieux publics et privés. En tant que fournisseurs de tabac, les cafetiers-buralistes devraient être associés à ces campagnes. Enfin, les partenaires sociaux devraient également être sensibilisés à cette question.

Les soins

Fumer coûte cher mais arrêter de fumer coûte tout autant. Or la dépendance vis-à-vis du tabac est particulièrement forte dans les couches les plus défavorisées de la société, chômage et précarité augmentant le stress. C'est pourquoi, il conviendrait de permettre le remboursement par la sécurité sociale sur prescription des substituts à la nicotine, ce qui permettrait suivant une étude anglaise de doubler l'usage de ces substituts. Cela entraînerait dans un premier temps une forte dépense pour l'assurance-maladie. Mais le coût pour la collectivité de la prise en charge des maladies liées à la consommation de tabac est tout aussi élevé. Il pourrait également être prévu que les entreprises contribuent, dans une proportion à définir, au remboursement de ces mêmes substituts nicotiniques, les entreprises étant également responsables de la bonne santé de leurs salariés dont le stress est le plus souvent directement issu des conditions de travail. Ensuite, les jeunes devraient pouvoir se fournir directement et gratuitement en substituts nicotiniques auprès des infirmeries de leur établissement qui en assureraient le suivi. Enfin, il devrait être adopté un véritable plan national de développement des services de tabacologie en milieu hospitalier ou en médecine de ville.

Contribution de M. Patrick BEAUDOUIN,
député membre du groupe U.M.P.

J'approuve et vote sans ambiguïté le rapport de la mission proposé par M. le rapporteur Pierre Morange.

Le résultat des tables rondes a montré l'évolution profonde des esprits, en particulier des professionnels, qui pouvaient souffrir d'une telle interdiction. Chacun a pris conscience des dangers provoqués par le tabagisme passif.

En conséquence, agir de façon pragmatique, rapide et sans équivoque, est la seule garantie efficace d'un succès de la lutte contre les dangers du tabagisme passif, et ce dans un cadre de santé publique comprise par tous.

Je voudrais souligner, qu'à titre personnel, je considère comme nécessaire que les mesures dérogatoires soient inexistantes, voire limitée drastiquement dans le temps et dans leur contenu.

La seule dérogation qui pourrait exiger éventuellement plus de temps et d'attention que d'autres, est celle concernant les buralistes à activité unique pour lesquels des mesures d'accompagnement économique ou de substitution doivent être bien préparées.

La mission parlementaire doit, à l'instar des contrôles de l'application des lois votées par l'Assemblée nationale, être étroitement associée à la rédaction et au contrôle du décret qui mettra en œuvre l'interdiction totale. C'est le prolongement logique de cette mission parlementaire dont les recommandations ne doivent pas rester lettre morte.

Enfin, cette politique de « dénormalisation » du tabac, qui s'inscrit dans un cadre général de santé publique, ne doit pas, pour être crédible, donner l'impression que l'État baisse la garde dans la lutte contre l'usage abusif d'autres substances addictives, licites ou non, en particulier l'alcool et le cannabis, qui font beaucoup de ravage. Le Gouvernement doit, donc, intégrer cette lutte contre les dangers de l'excès de tabagisme dans une grande politique sanitaire à destination
- avant tout - des jeunes générations, socle du succès d'une véritable politique de prévention.

Contribution de M. Jacques BRIAT,
député membre du groupe U.M.P.

Dans le cadre du rapport de la mission d'information du tabac dans les lieux publics dont je partage globalement les grandes orientations, je souhaite que soit noté ma proposition d'augmenter de façon sensible la marge des buralistes sur la vente des cigarettes et du tabac.

Si en effet les considérations de santé publique corroborant des orientations déjà prises dans un certain nombre de pays sont indispensables voire inéluctables compte tenu des connaissances précises des effets sur la santé de la consommation de tabac, il y a lieu de prendre en compte également les conséquences négatives sur l'activité économique des buralistes.

Des mesures ont déjà été prises en leur faveur lors des dernières augmentations importantes des taxes sur le tabac, mais les conclusions du rapport si elles sont suivies d'effets, doivent provoquer une nouvelle diminution de l'activité des buralistes. Afin de prendre en compte la situation future de cette profession il conviendrait de faire passer la marge sur la vente au détail des cigarettes ou du tabac de 8 % à 10 % afin de redonner une espérance à cette profession.

Certes, le Gouvernement s'était engagé lors des dernières hausses des taxes sur le tabac à ne plus augmenter le prix des cigarettes jusqu'à la fin de la législature. Mais il faut tenir compte de la nouvelle donne économique qui résultera des futures mesures relatives aux interdictions de fumer dans les lieux publics.

Les non-fumeurs comprendront bien sûr cette mesure dans l'intérêt des buralistes. Les fumeurs sauront que ce surcoût des cigarettes n'ira pas dans la poche de l'État mais dans celle d'une profession en difficulté. Et cela contribuera à l'objectif de santé public par une dissuasion financière supplémentaire.

Contribution de M. Yves BUR,
député membre du groupe U.M.P.

Les travaux menés par la mission ont été de grande qualité. À cet égard, le président, Claude Évin, le rapporteur, Pierre Morange, les parlementaires, les membres du « noyau dur », les experts auditionnés et le personnel de l'Assemblée ont tous concouru à cette réussite et doivent en être remerciés.

En premier lieu, il est important de remettre en perspective l'activité de la mission. Au point de départ, au printemps de cette année, la question portait sur l'opportunité d'une réforme du droit en matière de protection contre les dangers du tabagisme. Chacun pourra se reporter aux articles de presse de l'époque pour constater que le débat était loin de faire l'unanimité, tant sur l'opportunité de la question, que sur son utilité. La lecture des conclusions et des dernières prises de position qu'elles suscitent montrent le chemin parcouru par de nombreux esprits. Quel que soit le chiffre du nombre de morts causés par le tabagisme passif, le danger est maintenant unanimement reconnu, tout comme la nécessité d'y apporter une réponse. Rien que sur ce bilan, la mission est un grand succès.

Les échanges de le mission ont permis la constitution d'un socle fondateur : les activités économiques et les pratiques sociales peuvent être organisées pour que la santé de tous puisse être protégée et, dans cet objectif, l'intervention des pouvoirs publics est légitime sans que cela ne constitue une remis en cause la liberté de chacun.

Appliqué à notre sujet, personne n'a contesté la liberté de fumer, mais dans le même temps tous ont reconnu les dangers du tabagisme passif et le droit de chacun à ne pas y être exposé. Unanimement, il a été établi que la meilleure protection contre le tabagisme passif est de ne pas être mis en présence de la fumée du tabac et que, pour ce faire, le moyen le plus efficace est l'interdiction faite à un fumeur de fumer en présence d'un non-fumeur. Enfin, il a été établi que le droit actuel n'est pas appliqué et son application ne permettrait pas de répondre de façon satisfaisante aux règles fixées par la jurisprudence récente en matière de droit du travail.

Les études et les analyses que nous avons menés nous ont conduit a retenir, dans nos conclusions, deux principes que je considère comme essentiels : pas d'exception permanente quant à l'interdiction de fumer dans les lieux publics et une date unique d'entrée en vigueur de tout nouveau dispositif. Sur le premier point, il s'agit d'un élément très important de l'affirmation de la valeur des raisons de santé publique et de la valeur humaine. Les motifs économiques, tout à fait légitimes au regard de l'activité d'une profession, ne doivent pas prévaloir sur la protection de la vie des personnes ou aboutir à la création de salariés de seconde zone, dès lors que l'élimination du risque à l'origine du danger est possible sans que soit remise en cause de façon insurmontable la liberté de chacun. Sur le deuxième point, la conclusion proposée par notre rapporteur constitue un gage de réussite de la réforme car l'expérience nous montre que la complexité est largement exploitée par la filière du tabac pour faire échouer les mesures de protection contre les dangers du tabagisme. Parallèlement, le succès de cette action repose sur un temps de préparation de manière à permettre la mobilisation de tous les acteurs chargés de l'appliquer. Pour leur part, les services de l'État doivent assurer une bonne information, tant auprès des professionnels que du grand public, de la signification concrète du dispositif qui sera retenu. Ils doivent aussi être préparés, en terme de connaissances et de moyen au contrôle de l'effectivité du droit. Il conviendra de ne pas orienter uniquement ce contrôle dans un sens répressif, mais également pédagogique et incitatif. Pour renforcer le succès de cette réforme, il faudra prévoir des campagnes de promotion destinées à attirer de nouveaux clients dans les restaurants, hôtels et cafés en valorisant la qualité du service accru du fait de ce changement des pratiques. Ces différents moyens constitueront par ailleurs le témoignage que la volonté publique est toute entière dirigée vers le succès de cette amélioration de la santé des français

Si je comprends les motifs qui conduit notre rapporteur à proposer, et notre mission à accepter, que la voie du décret soit privilégiée pour l'application d'une réforme, je tiens néanmoins à réaffirmer ma préférence pour la voie législative qui permettrait l'adoption d'un dispositif répondant à l'esprit de la proposition de loi que j'ai déposée sur ce sujet il y a maintenant près d'un an. En effet, notamment, tous les juristes nous ont bien indiqué que la voie réglementaire laisse subsister l'existence « d'emplacements expressément réservés aux fumeurs ». Or, outre que ceci revient à laisser exister le danger de tabagisme passif, cette possibilité est à l'origine de l'échec partiel de la loi de 1991. La valeur de la loi, le débat que suppose son adoption et la clarté de son dispositif sont autant d'atouts pour le succès de la mesure. Je ne vois pas une personne qui puisse défendre publiquement le chiffre d'affaire face à la vie.

Si l'hypothèse de la voie réglementaire est finalement retenue par le Gouvernement, ce qui laisse la possibilité d'emplacement fumeur dans un lieu fermé et couvert, j'appelle le pouvoir exécutif à suivre, de la façon la plus stricte et restrictive, les points des conclusions de la mission qui concernent le « périmètre de la réforme » car au-delà, ce n'est plus l'objectif de santé publique qui est poursuivi, mais des intérêts économiques qui sont préservés.

Tout d'abord, les spécificités techniques des emplacements doivent garantir que la fumée y est contenue sans possibilité de circuler vers les autres espaces.

Ensuite, le droit des salariés doit être assuré ce qui signifie qu'aucun salarié ne doit avoir à pénétrer dans ces lieux pour assurer une quelconque tâche.

Enfin, les médias ayant relayé les premières réactions aux conclusions de ce rapport, je souhaite poser quelques bornes destinées à baliser l'action que pourrait prévoir les pouvoirs publics pour accompagner les conséquences de la réforme. Premièrement, il me semble que la loi des affaires implique une prise de risque sur l'évolution d'un marché et que sur ce point la volonté de l'État, depuis les lois Veil (1976) et Évin (1991), est constante et connu de tous. Sans nier les difficultés réelles et sérieuses que connaissent un certain nombre de commerces liés à la baisse significative de la vente de cigarettes (une baisse d'environ 30 %) et plus particulièrement dans les zones frontalières dont je suis élu, mon expérience, acquise lors de la mission parlementaire que j'ai menée avec mon collègue Lionnel Luca sur l'avenir des buralistes, me conduit à une certaine prudence dans les réponses à apporter à ces difficultés. Ainsi, l'augmentation de la fiscalité, combiné aux avantages accordés dans le cadre du contrat d'avenir, signé par la profession avec l'État, ont permis, d'une part, d'accroître le chiffre d'affaires (en moyenne plus 7 % par buraliste), et, d'autre part, une hausse des revenus (en moyenne plus 19 % par buraliste). Aussi, il convient d'être prudent à l'égard de la demande des aides supplémentaires demandées par la Confédération, qui se montent actuellement à 150 millions d'euros. Je crois important de bien cibler les mesures de soutien que nous pourrions engager et je crois nécessaire de rester prudent tant à l'égard des chiffres qui sont avancés par les professions, qu'à l'égard des mesures trop générales qui sont réclamées. Je retiens d'une enquête de mars 2006 menée par l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie que plus de 64 % des français vont moins d'une fois par mois dans un café ou un bar (ils sont 43 % à ne jamais y aller). Dès lors, je crois que le vrai défi n'est pas d'aider ces professions à réaliser des fumoirs, mais de convaincre ces 64 % de français que ces lieux sont redevenus des lieux de plaisirs de vivre.

Contribution de M. Gérard CHERPION,
député membre du groupe U.M.P.

L'interdiction de la consommation de tabac dans tous les lieux publics, sans exception, est une nouvelle avancée en terme de santé publique dont on ne peut que se féliciter. Elle traduit dans une large mesure l'évolution positive des comportements déjà constatée dans les transports en commun par exemple. Elle prend acte également de l'évolution de la jurisprudence comme de l'état des connaissances scientifiques en matière de tabagisme passif.

Il convient cependant de ne pas se leurrer sur l'impact réel d'une telle mesure, les décès liés au tabagisme passif étant très majoritairement le fait d'une consommation de tabac dans des espaces restreints et peu ventilés comme les domiciles privés ou les véhicules particuliers. Il convient par ailleurs de se donner les moyens de faire respecter l'interdiction, faute de quoi la loi pourrait rester une nouvelle fois lettre morte, ce que personne ne souhaite aujourd'hui. Cela implique de mettre en œuvre de gros efforts d'information et de pédagogie auprès des Français, mais aussi de prévoir des moyens de contrôle adéquats assortis de sanctions crédibles et réellement applicables.

Il convient enfin de ne pas sous-estimer les conséquences qu'une telle décision pourrait avoir sur certaines professions, et notamment sur le réseau des bureaux de tabac, si important en milieu rural, où ils constituent souvent l'un des derniers commerces de proximité. Il est utile de rappeler à cette occasion que la profession de buraliste est liée à l'État par un contrat de gérance, qui engage les deux parties. Dans ce contexte, le rapport de M. Richard Mallié sur la situation économique des buralistes est très attendu, et peut-être serait-il opportun d'en recueillir les conclusions avant que le Gouvernement ne prenne sa décision. En tout état de cause, un véritable suivi parlementaire devra se mettre en place au cours des prochains mois afin d'évaluer l'impact de l'interdiction sur cette profession et envisager le cas échéant les mesures de compensation nécessaires, en élargissant par exemple les perspectives ouvertes par le Contrat d'avenir. L'introduction d'une clause de revoyure, inscrite dans la loi, serait peut-être de nature à rassurer les buralistes en témoignant du souci de l'État de les accompagner dans les inévitables mutations qui s'annoncent.

Contribution de M. Lionnel LUCA,
député membre du groupe U.M.P.

Au-delà de la qualité du rapport qui est une excellente synthèse des travaux de la mission, je regrette l'ambiguïté des conclusions face au corps du rapport, en particulier le point 16 qui concerne la date de l'interdiction de fumer.

Le fait de décider en conclusion, d'un délai unique pour l'ensemble des secteurs, y compris celui des CHRD et des tabacs, alors qu'on évoque dans le corps du rapport la possibilité pour l'exécutif de prévoir un délai particulier pour les secteurs susnommés qui ne devrait pas dépasser le 30 juin 2008123, entretient l'ambiguïté.

De même, je regrette qu'après avoir déclaré qu'il était logique de privilégier la voie législative (point 5), on considère que la voie du décret doit être en définitive préférée (point 6). Le législateur ne devait envisager que la loi, laissant le Gouvernement prendre ses responsabilités.

Enfin, je regrette qu'on écarte les polices municipales de la vérification de l'application de la loi et des sanctions (même s'il faut une disposition spécifique pour celle-ci), et je m'inquiète de l'application effective de la future interdiction, le précédent créé par l'inapplication de la loi Évin n'est guère rassurant.

Pour ces trois raisons, je m'abstiendrai.

Contribution de M. Frédéric REISS,
député membre du groupe U.M.P.

Le travail de la mission d'information a été fructueux et utile. Le rapport reflète l'intensité des débats où tous les intervenants ont, souvent passionnément, pu défendre leur point de vue. Bravo au rapporteur pour la synthèse réalisée.

Les méfaits du tabagisme passif, avec environ 5 000 morts par an, sont incontestables. Le drame de l'amiante doit nous servir de leçon pour prendre une décision courageuse consistant à protéger la santé de nos concitoyens dans les entreprises et dans les lieux publics fermés. Cela évitera dans l'avenir de nombreux ennuis judiciaires.

Il n'est pas facile de voter une loi d'interdiction stricte et pourtant le dispositif que nous préconisons ne doit pas souffrir d'exception.

J'estime que, malgré des réticences, l'interdiction de fumer doit aussi s'appliquer dans les CHR, les casinos et autres discothèques.

Il faut se donner du temps suffisant pour que les mesures, certes coercitives, soient appliquées et le délai du 1er septembre 2007 me semble raisonnable.

J'avais une préférence pour le vote d'une nouvelle loi dont la force me semblait plus pertinente ! Mais si le gouvernement fait le choix d'un décret, je me rangerai à son avis, car ce qui compte c'est l'efficacité et l'applicabilité sur le terrain.

L'opinion publique est prête, d'autant plus que cette mesure d'interdiction s'inscrit dans un mouvement général qui voit d'autres pays européens apporter des réponses similaires.

Je crois beaucoup à la pédagogie par l'exemple, notamment dans les écoles, collèges et lycées et aussi à l'Assemblée nationale ! Concernant la mesure 13 du rapport, il faudra être vigilant dans les lycées ayant des sections d'enseignement supérieur avec des élèves majeurs qui côtoient des élèves mineurs. Je pense que l'interdiction de fumer dans les établissements scolaires du 1er et du 2ème degré pourrait donner lieu à des dérives si on ne prévoit pas de lieux ouverts, accessibles aux adultes et interdits aux élèves.

Enfin, concernant la mesure 22, l'information sur les méfaits du tabac, à destination des adolescents, doit se faire régulièrement au collège et au lycée. Une bonne pédagogie en matière de santé publique se fait aussi à base de répétition.

AUDITIONS

Les auditions faisant l'objet d'un compte rendu sont présentées dans l'ordre chronologique des séances par la mission.

- Audition de Mme Bernadette Roussille, membre de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) (séance du 7 juin 2006) 135

- Table ronde n° 1, ouverte à la presse, sur le thème : « La loi du 10 janvier 1991, dite « loi Evin », est-elle dépassée ? » (séance du 14 juin 2006) 143

- Table ronde n° 2, ouverte à la presse, sur le thème : « Certaines évolutions scientifiques, juridiques et sociétales ne justifient-elles pas un nouveau cadre juridique ? » (séance du 21 juin 2006) 163

- Table ronde n° 3, ouverte à la presse, sur le thème: « Quel périmètre pour la réforme » (séance du 28 juin 2005) 187

- Table ronde n° 4, ouverte à la presse, sur le thème : « Quel périmètre pour la réforme ? » (suite) (séance du 5 juillet 2006) 211

- Table ronde n° 5, ouverte à la presse, sur le thème : « A quelles conditions la réforme peut-elle réussir ? : quelles mesures d'accompagnement ? » (séance du 5 juillet 2006) 229

- Table ronde n° 6, ouverte à la presse, sur le thème : « À quelles conditions la réforme peut-elle réussir (suite) ? : quels types de contrôles et de sanctions ? » (séance du 12 juillet 2006) 251

- Table ronde réunissant les experts extérieurs de la mission (séance du 13 septembre 2006) 269

- Audition de M. Richard Mallié, député des Bouches-du-Rhône, chargé d'une mission temporaire auprès de M. Renaud Dutreil, ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et des professions libérales, et de M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l'État, sur la situation économique du réseau des buralistes (séance du 14 septembre 2006) 281

- Audition de Mme Véronique Cazals, directrice de la protection sociale du MEDEF, accompagnée de Mme Nathalie Buet, chargée de mission « santé au travail, accidents du travail et maladies professionnelles » et de M. Guillaume Ressot, directeur adjoint aux affaires publiques (séance du 20 septembre) 287

- Audition de M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités (séance du 27 septembre 2006) 295

La mission a également entendu :

-  Mercredi 12 juillet 2006

_ M. Joël Mingasson, président du Syndicat des casinos de France

_ M. Patrick Malvaes, président du Syndicat national des discothèques et lieux de loisirs (SNDLL)

-  Mercredi 19 juillet 2006

_ M. Jean-Philippe Vinquant, sous-directeur de la sous-direction « Financement des soins » à la Direction de la sécurité sociale

_ Mutualité française : M. Jean-Martin Cohen-Solal, directeur général adjoint, Mme Laure Lerchertier, responsable du département politique du médicament, et M. Julien Faure, attaché au département prévention et promotion de la santé

_ M. Christian Ben Lakdhar, docteur en économie, chargé d'études à l'Observatoire français des drogues et toxicomanie (OFDT)

Audition de Mme Bernadette Roussille,
membre de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS)


(extrait du procès-verbal de la séance du 7 juin 2006)

Présidence de M. Claude ÉVIN, président, puis de M. Philippe VITEL

M. le Président : Nous avons le plaisir de recevoir Mme Bernadette Roussille, membre de l'IGAS, auteur d'un rapport relatif à l'interdiction de fumer dans les lieux accueillant du public en France. L'Assemblée nationale a créé une mission d'information à ce sujet, qui compte rendre ses conclusions dans un délai assez bref. Il nous sera utile de vous entendre présenter les grandes lignes de votre rapport, nous dire quel bilan vous avez tiré de la loi de 1991 et des textes réglementaires qui l'ont suivie, nous donner l'état des connaissances scientifiques sur les effets du tabagisme passif et nous décrire les réactions des partisans du renforcement de l'interdiction de fumer dans les lieux ouverts au public et de ceux qui s'y opposent.

Mme Bernadette ROUSSILLE : La protection des non-fumeurs, victimes du tabagisme passif dans les lieux publics, est relativement mal assurée. Certes, la France a fait œuvre pionnière en ce domaine et la situation y est plutôt meilleure que dans les pays voisins, exception faite de ceux qui ont récemment pris des mesures radicales, mais les rapports d'évaluation prévus par la loi et les différents sondages montrent que la situation n'est satisfaisante que dans un tiers des lieux publics. La réglementation est très bien appliquée dans les moyens de transports et là où se trouve une grande concentration de gens - magasins, cinémas... Elle l'est aussi sur les lieux de travail en raison d'un contrôle social renforcé qui fait que l'on ne fume plus en réunion, même dans les administrations. Cependant, j'ai été frappée de constater, en élaborant ce rapport, que la loi est globalement mal appliquée dans les administrations. Les ministères expliquent qu'ils ne disposent ni des emplacements nécessaires ni de la signalétique adéquate, si bien que l'on fume un peu partout, et les conflits s'aiguisent. L'Éducation nationale est particulièrement résistante à l'application de la loi. La situation est également insatisfaisante dans les hôpitaux, où le stress conduit à fumer dans les lieux collectifs. Enfin, l'association du tabagisme à la convivialité fait que la loi est mal appliquée dans le secteur des cafés, hôtels, restaurants et discothèques.

La résistance à l'application de la loi tient pour partie à la passivité des non-fumeurs, qui s'expriment encore timidement et qui, par souci de paix sociale, ne défendent pas toujours leurs droits. De plus, la rédaction des textes est imprécise pour ce qui concerne les emplacements réservés aux fumeurs qui ne sont ni chiffrés, ni fermés. Leur application est peu contrôlée, sauf dans les transports publics, où les procès-verbaux d'infraction pleuvent. On pourrait imaginer des recours en justice, mais cela semble une arme atomique d'aller jusqu'au contentieux pour quelque chose qui se joue au quotidien.

La situation actuelle est difficilement tenable en raison de l'évolution de l'opinion publique mais aussi parce qu'il existe des raisons structurelles de changer les choses. Ainsi, l'évidence de la grande nocivité du tabagisme passif est scientifiquement acquise depuis plusieurs années. En particulier, on a établi la rapidité et la gravité de ses effets cardio-vasculaires, notamment à partir d'une étude réalisée dans une petite ville américaine qui, après avoir interdit de fumer dans les lieux publics, avait rétabli l'autorisation. Mais il est surprenant de constater que l'évaluation de la mortalité due au tabagisme passif est assez approximative. L'Académie de médecine l'estime à 3 000 décès par an, mais une étude anglaise extrapolée à la France à 5 000 morts. Ces études doivent être affinées. Enfin, le tabagisme débutant par imitation, il est très important d'agir sur les comportements.

Outre que les connaissances scientifiques ont évolué, une évolution juridique s'est produite, qu'il s'agisse de l'arrêt de la Cour de cassation du 29 juin 2005 précisant que l'employeur est tenu à une obligation de sécurité de résultat en matière de tabagisme, ou de la Convention cadre de l'OMS pour la lutte anti-tabac, qui nous lie. D'autre part, l'évolution de l'opinion crée des possibilités nouvelles. Les sondages sont d'autant plus révélateurs qu'ils sont convergents, et il est assez frappant de constater que les fumeurs eux-mêmes sont favorables à l'interdiction totale de fumer dans les lieux publics. D'ailleurs, les pratiques ont évolué ; ainsi, l'interdiction de fumer est totale dans un quart des entreprises, de nombreuses initiatives visent à instituer des lieux sans tabac, les contentieux se multiplient... J'ai relevé que le ministère de la santé et des solidarités a ouvert un forum à ce sujet sur son site; je ne doute pas que les opinions qui s'y exprimeront seront instructives.

Une autre occasion d'agir tient à l'évolution internationale. Plusieurs pays européens dont l'Irlande, la Norvège, et bientôt l'Angleterre, ont pris des mesures d'interdiction absolue, sans même parler de plusieurs États américains et du Canada. L'Italie, la Suède et l'Espagne ont prévu la création d'emplacements fermés. J'ai appelé l'attention du ministre sur le risque de baisse de la fréquentation touristique de notre pays par les visiteurs étrangers qui n'aiment pas les lieux enfumés ; il y a là un argument économique qui mérite d'être pris en considération. Enfin, l'existence de substituts tabagiques permet d'aider les fumeurs à s'arrêter de fumer, ne serait-ce que temporairement.

Il y a donc une évolution scientifique et juridique et des possibilités nouvelles, mais aussi des obstacles et des résistances. Le problème principal est celui des fumeurs, qui sont presque tous dépendants. Il ne faut ni les stigmatiser, ni les rejeter, au risque de les pousser à des comportements plus nocifs ou à la dépression. Ce problème renvoie à la question du tabagisme en général. Or, on n'interdira pas le produit lui-même puisque, dans toute société, il existe une quantité incompressible de fumeurs. Nous devons donc faire face à une contradiction structurelle qui fait que l'on tend à interdire la pollution tabagique dans les lieux publics mais non le tabagisme lui-même. L'expérience de la prohibition aux États-unis montre que l'on n'ira pas jusque-là.

Certains jouent peut-être de cette contradiction, ce qui explique les résistances qui se manifestent dans certains secteurs socio-économiques. Elles s'expriment chez les fabricants de tabac mais, curieusement, je les ai trouvés beaucoup moins vindicatifs que je ne l'imaginais. Ils savent que le produit est toxique et ne nient plus la nocivité du tabagisme passif. La résistance à l'interdiction vient aussi du secteur des bars-tabac, pour des considérations financières et parce qu'ils ont le sentiment que leur activité est menacée. Le secteur de l'hôtellerie résiste également, particulièrement un syndicat professionnel que nous avons convoqué plusieurs fois et qui n'est jamais venu. Il y a, là aussi, un enjeu financier, mais également des considérations idéologiques relatives à la convivialité et à la liberté. Enfin, le patronat est contre l'idée de l'interdiction dans les lieux publics car il considère crouler sous les lois et les règlements, et fait par ailleurs observer, à juste titre, que si l'interdiction est prononcée, il faudra donner le droit aux entreprises de sanctionner les fumeurs qui ne la respecteraient pas.

Ces résistances existent ; il faut donc en tenir compte. Le meilleur moyen consiste à préparer le terrain et à se donner du temps. J'expliquerai plus tard ma position sur les alternatives à l'interdiction : dérogations, ou bien emplacements réservés aux fumeurs.

J'ajoute qu'il existe une incertitude relative à l'article L. 230-2 du code du travail relatif aux risques professionnels. J'ai eu très peu de temps pour préparer le rapport, ce qui m'a empêché de rassembler la jurisprudence permettant de définir si le tabagisme en entreprise peut être considéré comme un risque professionnel. Si tel est le cas, il faut mettre au point une procédure de prévention des risques et s'attendre à voir invoquer la faute inexcusable. Mais cela supposerait que le tabagisme passif, déjà dit cancérogène par le centre international de recherche sur le tabac, soit classé comme un risque professionnel, ce qui n'est pas évident car le risque ne serait pas lié à l'activité elle-même mais aux conditions de travail. On pourrait toutefois soutenir qu'il s'agit bien d'un risque professionnel dans le secteur de la restauration.

Plusieurs scénarios sont possibles. Le premier est le statu quo, qui n'est pas crédible. La deuxième option est celle du décret. Parce qu'elle est relativement discrète, cette procédure susciterait moins de controverses qu'une nouvelle loi, mais c'est aussi ce qui fait son inconvénient. Un décret permettrait, certes, de forfaitiser les amendes, mais il n'aurait pas un grand effet d'entraînement et ne permettrait pas d'abolir la disposition de la loi en vigueur relative aux emplacements réservés aux fumeurs, sauf à dire qu'ils sont « à l'extérieur », ce qui n'est pas la définition d'un « emplacement ». Il ne permettrait pas davantage de définir les responsables des infractions, qui ne sont pas clairement identifiés dans la loi de 1991.

Lors du dernier comité de pilotage que j'ai réuni, tout le monde m'a demandé d'insister sur l'intérêt que présenterait un nouveau texte. Certes, la loi n'est pas la panacée, mais elle permet un débat public et constitue un acte solennel. En réalité, le plus important, c'est la volonté de la préparer, de l'appliquer, de la contrôler, et d'accompagner les fumeurs. Il serait déplorable de se limiter à adopter une loi de principe, sans s'assurer de son application, et ce n'est pas ce que nous préconisons.

Si loi il y a, quel devra être son contenu ? Le nouveau texte doit être très clair. Comme nous ne sommes pas maximalistes, nous recommandons l'utilisation des termes : « les lieux accueillant du public ou les lieux de travail ». On pourrait ainsi continuer de fumer dans les clubs privés. Nous recommanderons également que l'interdiction s'applique dans les lieux fermés et couverts ; nous n'allons donc pas jusqu'à suggérer l'interdiction de fumer aux terrasses des cafés. Nous ne recommandons pas non plus l'interdiction dans les hôpitaux, mais il y a discussion sur ce point. L'interdiction ne vaudra pas non plus pour les stades, qui sont fermés mais non couverts. Quoi qu'il en soit, ce serait déjà extraordinaire d'en arriver à un dispositif tel qu'il n'y aurait pas d'exceptions autres que celles fondées sur des principes constitutionnels ou juridiques égaux à celui de la protection des salariés, à savoir le respect de la propriété et de la vie privée. L'exception, ce serait donc l'autorisation de fumer dans les résidences privées et dans les substituts de domicile. Cette seconde exception passe mal auprès des associations anti-tabac, mais elle participe de la logique que nous défendons, qui est de laisser la possibilité de fumer en privé. Pour respecter le principe de l'égalité de traitement et par souci de réalisme il faut prévoir de laisser les gens fumer dans les substituts de domicile - prisons et établissements médico-sociaux -, comme cela a été décidé en Irlande. La difficulté tient à ce que si un appartement n'est pas un lieu de travail par destination, il en va autrement des substituts de résidence. Il faudra donc circonscrire les lieux - chambres ou fumoirs - où, dans ces établissements, il est permis de fumer. Pour autant, les établissements considérés peuvent prendre des réglementations plus restrictives au titre de la lutte contre l'incendie. S'agissant des établissements de soin, j'ai été frappée d'entendre un responsable d'hôpital psychiatrique expliquer que fumer était presque une nécessité physiologique pour certains patients soumis à un traitement anti-schizophrénique.

M. le Président : Il y a, en effet, débat sur ce point.

Mme Bernadette ROUSSILLE : En tout cas, il ne saurait être question de dérogations en faveur de certains secteurs économiques, car on ne peut déroger au principe de la protection des salariés. Il faut donc se pencher sur la situation des bars-tabac, lesquels, incidemment, ne sont pas véritablement une spécificité française - on en trouve aussi en Italie - et définir quelles mesures adopter pour ce qui les concerne. Peu d'études ont porté sur les discothèques, mais chacun sait que ces lieux sont enfumés au point que l'on ne devrait pas y rester plus d'un quart d'heure... Même la société Philip Morris est favorable à l'interdiction de fumer dans les discothèques !

L'hypothèse de problèmes économiques liés à l'interdiction de fumer dans les lieux publics ne m'inquiète pas particulièrement, car la documentation internationale et les sondages donnent à penser qu'une telle interdiction n'aurait pas d'impact économique substantiel. On peut penser qu'elle aurait au contraire un effet positif, certains malades chroniques tels les asthmatiques pouvant enfin retourner au restaurant. Nous avons copieusement documenté le volet économique de la question, qui est un élément fondamental, et nous estimons qu'il ne faut pas avoir de craintes à ce sujet. D'ailleurs, l'argument a été très peu avancé au cours des auditions par les fabricants. Ce sont les représentants des bars-tabac qui l'avancent le plus fréquemment ; les restaurateurs sont davantage gênés à l'idée de devoir faire la police dans leur établissement.

Pour conclure, l'interdiction de fumer dans les établissements accueillant le public est un projet de société. Tout le monde doit y participer. La loi contribuera à sa réussite et peut faire plus que ne ferait un décret. Surtout, la volonté réelle de faire appliquer un nouveau texte doit se manifester.

M. le Président : Je vous remercie, Madame. Je retiens de vos propos la nécessité absolue d'un accompagnement et d'un suivi de la loi, si la décision est prise qu'un nouveau texte est nécessaire. Je précise également que nous comptons organiser plusieurs tables rondes, auxquelles il serait très utile que vous participiez.

Mme Bernadette ROUSSILLE : Je le ferai volontiers.

M. Pierre MORANGE, rapporteur : Je vous félicite de la qualité de ce rapport. Vous nous avez expliqué que, quinze ans après son adoption, la loi en vigueur est malheureusement mal appliquée, notamment dans les administrations, et que les décrets qui l'accompagnent sont permissifs. Pourquoi considérez-vous que le nouveau texte que vous appelez de vos vœux serait mieux appliqué ? Pensez-vous que les lieux qui, tels les prisons ou les établissements médico-sociaux, sont considérés comme des substituts de domicile, pourront appliquer la nouvelle législation ? S'agissant de l'incertitude financière, vous fondez votre analyse sur le chiffre d'affaires que générerait une nouvelle clientèle, mais le secteur de la restauration ne risque-t-il pas de voir le montant de ses primes d'assurance s'envoler en conséquence de la décision de la Cour de cassation ?

M. le Président : Je précise que la loi de 1991 a eu ceci de novateur qu'auparavant on pouvait fumer partout, sauf dans les lieux réservés aux non-fumeurs, et qu'à dater de l'adoption du texte, le tabagisme a été interdit dans les lieux à usage collectif, « sauf dans les emplacements expressément réservés aux fumeurs ». Telle est la rédaction de l'article 16 de la loi, qu'il faudrait modifier.

Mme Bernadette ROUSSILLE : Interdire le tabagisme dans les lieux publics fera chuter les coûts collectifs liés au tabagisme passif et pourra aussi faire baisser le coût des primes d'assurance incendie. S'agissant du risque de multiplication des procès intentés par les non-fumeurs atteints d'un cancer du poumon invoquant la responsabilité éventuelle de l'employeur, la question reste à clarifier mais, selon moi, le tabac n'a pas le même statut que l'amiante, car ce n'est pas un produit industriel. Pour autant, la responsabilité directe de l'employeur et la responsabilité éventuelle de l'État d'autoriser le tabac pourraient être évoquées si une loi n'est pas adoptée, appliquée et contrôlée. En ce sens, l'adoption d'un nouveau texte serait bienfaisante pour l'État, qui prendrait ses responsabilités en interdisant le tabagisme là où il le peut, c'est-à-dire dans les lieux publics, et pour les employeurs. De plus, une loi éviterait des distorsions de concurrence et, si elle est bien faite, donnerait à l'employeur les moyens disciplinaires d'empêcher les fumeurs de fumer. Une loi serait donc utile à la sécurité juridique de l'État et à celle des employeurs.

M. le Rapporteur : Dans le domaine sanitaire, l'arrêt Perruche a eu pour conséquence l'augmentation exponentielle des primes d'assurance demandées aux professionnels de santé concernés pour couvrir d'éventuels contentieux. Avez-vous observé une telle évolution à l'étranger ?

Mme Bernadette ROUSSILLE : Je n'ai pas étudié cette question.

S'agissant de l'accompagnement, l'éducation du public est à parfaire, car le tabagisme n'est pas perçu comme aussi dangereux qu'il l'est en réalité. Il faut donc en rappeler les méfaits, et singulièrement ceux du tabagisme passif. Il faut aussi souligner que les mesures prises par l'État pour lutter contre le tabagisme ne sont pas prises contre les fumeurs, et préciser que ceux-ci seront aidés. La loi ne doit susciter aucun malentendu. La sensibilisation du public a déjà commencé, mais il faut poursuivre par des campagnes médiatiques et sensibiliser les professionnels, auxquels des outils devront être donnés avant même que la loi ne soit adoptée. Il faut encore sensibiliser les partenaires sociaux, laisser le temps du débat, discuter de l'aménagement des pauses, donner le temps d'aménager des fumoirs. Les savoir-faire existent, de telles actions sont déjà financées et la loi n'entraînerait donc pas de surcoûts importants, à condition d'utiliser les compétences des associations spécialisées, de diffuser des outils existants et de faire vivre le texte. Mais, j'y insiste, du temps est nécessaire : si l'on souhaite installer des fumoirs, c'est assez long et il faut investir. Quant à l'Education nationale, elle a besoin d'un cycle scolaire complet pour obtenir des résultats. En Irlande, il a fallu quatorze mois à dater de l'annonce de l'interdiction pour obtenir des résultats tangibles.

En matière de contrôle, une révolution culturelle est nécessaire. Une formation spécifique et un outillage adéquats sont indispensables. Si l'on développe les corps de contrôle habilités à signaler ces infractions, il faudra les former. Cela ne signifie pas qu'il faille déresponsabiliser la police judiciaire, mais il sera important d'impliquer les polices municipales dans les contrôles nécessaires. Tout cela demande du temps. Quant à la direction de la répression des fraudes, elle oppose une franche résistance à l'idée de procéder à de tels contrôles.

En Irlande, une dérogation à l'interdiction de fumer a été instituée pour les substituts de domicile, mais elle n'est que provisoire. Là encore, le problème est de protéger les salariés, mais je ne suis pas un ayatollah de l'anti-tabagisme : quand on m'explique qu'une pièce où l'on a fumé demeure enfumée une journée et que c'est nocif pour la femme de ménage, je pense que c'est un peu exagéré. En revanche, il faut interdire de fumer dans les lieux où les salariés sont en permanence, tels que les restaurants ou les salles communes.

M. Philippe Vitel prend la présidence.

Mme Paulette GUINCHARD : Il faudra, selon moi, travailler attentivement la question des substituts de domicile. Je retiens en effet de la lecture de la page 23 de votre rapport que, selon une étude européenne, « les restrictions dans les lieux de travail privé réduisent les taux de consommation et la prévalence tabagique de 5 à 15 % dans la population », mais que « cette baisse est plus réduite chez les fumeurs jeunes et pauvres parce qu'ils travaillent plus à l'extérieur, à domicile ou parce qu'ils ne travaillent pas ». Comment faire pour que ces personnes très fragiles ne soient pas victimes du tabagisme passif ? Qu'a-t-on fait à ce sujet en Irlande ? C'est une question de fond, car le dispositif envisagé ne doit pas ignorer les plus pauvres ni les stigmatiser. Par ailleurs, comment régler la question des trafics de cigarettes aux frontières ? Enfin, a-t-on constaté à l'étranger un déplacement de la source de dépendance, l'interdiction de fumer ayant, par exemple, pour corollaire la montée de l'alcoolisme ?

Mme Bernadette ROUSSILLE : Les facteurs socio-économiques du tabagisme ont été bien identifiés en Angleterre, et l'on sait que la précarité accroît le stress et la dépendance. De plus, les substituts nicotiniques ne sont pas remboursés. Or, selon les études anglaises, le remboursement double le recours à ces substituts. Certains utilisent l'argument selon lequel ceux qui dépensent de l'argent pour acheter du tabac peuvent le dépenser pour acheter des substituts. Je ne partage pas ce point de vue. Certaines entreprises donnent des substituts nicotiniques à leurs salariés, et je sais que des opérations semblables ont eu lieu dans certains hôpitaux. Je suis d'avis d'étudier cette piste. Certes, le coût des substituts nicotiniques serait très élevé pour l'assurance maladie, mais ne dit-on pas que ce sont des médicaments, et qu'ils doivent être vendus en pharmacie ? Il y a manifestement là un très grand chantier.

La question des différences de taxation du tabac selon les pays ressortit de la politique communautaire. Il appartient à l'Union européenne de la résoudre.

Enfin, l'homme est un être plastique qui peut affecter ses pulsions à différents objets. Mais si report de dépendance il y a, ce sera moins vers l'alcool que vers des médicaments. Il faut en effet prendre garde à de tels phénomènes. C'est pourquoi le temps de préparation de la loi doit aussi être celui de l'accompagnement des fumeurs.

M. Frédéric REISS : Qu'en est-il du respect de l'interdiction de fumer dans les transports publics ? Par ailleurs, comment se satisfaire de voir des préadolescents fumer sur la voie publique aux abords des établissements d'enseignement ?

Mme Bernadette ROUSSILLE : Il faut se faire une raison : si l'on interdit de fumer dans les lieux ouverts au public, on verra de plus en plus de fumeurs sur la voie publique. Le véritable enjeu, c'est la prévention du tabagisme chez les jeunes, et l'on connaît des exemples d'universités et d'écoles sans tabac qui ont réussi à ce qu'il n'y ait plus de fumeurs, même aux alentours des établissements. Mais, pour cela, il faut un accompagnement collectif et individuel.

S'agissant des transports publics ferroviaires, il n'y a plus guère que dans les TER que l'on fume encore. Ceux qui le souhaitent fument sur les quais - et encore serait-il possible de le leur interdire, en vertu d'un décret datant de 1942. Mais si l'on suit les recommandations de notre rapport, il ne sera pas interdit de fumer sur les quais de gare puisque ces lieux ne sont ni couverts ni fermés, non plus que dans les « abribus », alors que les revendications les concernant sont nombreuses. Dans les aérogares, où les voyageurs fument beaucoup, la difficulté tient à l'absence d'emplacements fermés, et les représentants des travailleurs estiment courir les mêmes risques que les barmen car les aérogares sont des lieux très enfumés.

M. Philippe VITEL, président : On constate toutefois une évolution positive. Ainsi, l'aéroport d'Orly devient rapidement « non-fumeur ».

M. Jean-Marc NESME : Quelle est votre position sur les fumoirs ? Je ne pense pas que l'on puisse faire la réforme contre les cafetiers-buralistes. Certains, dans ma circonscription, font signer des pétitions anti-interdiction. Il ne faut ignorer ni leurs craintes ni leurs demandes, mais faire d'eux des acteurs de la réforme. Ne pourrait-on imaginer qu'ils participent à une sorte de service public d'accompagnement ? Le maintien des cafés-tabacs est une nécessité dans les campagnes qui se désertifient.

Mme Bernadette ROUSSILLE : Vous aurez constaté à la lecture du rapport que j'ai clairement pris position contre les fumoirs. On peut, certes, décider d'en créer dans le souci de ne pas stigmatiser ou de ne pas brimer les fumeurs, mais ce serait aller contre la protection des salariés et, s'ils ne sont pas complètement fermés, ils prêteront à controverse, puisqu'il en existe que l'on dit hermétiques et dont les associations anti-tabac disent qu'ils ne sont jamais d'une efficacité totale. Ce n'est pas mon avis, mais je considère qu'instituer des fumoirs, outre que cela coûte très cher, serait un alibi. Je comprends que, juridiquement et politiquement, on puisse être amené à faire cette concession, mais cela nuirait à la clarté des dispositions que l'on entend prendre, d'autant qu'il est difficile de contrôler ce qui se fait réellement, et je ne suis même pas certaine que les restaurateurs seraient très intéressés par l'installation de fumoirs.

M. Philippe VITEL, président : Faites-vous une distinction entre les fumoirs dans les lieux publics et les fumoirs sur les lieux de travail ?

Mme Bernadette ROUSSILLE : Non, puisque le principe de base est la protection des salariés.

Il faut être attentif à la situation des buralistes. Ce sont eux qui s'opposent à l'interdiction avec la plus grande virulence, car ils redoutent à la fois une perte de chiffre d'affaires sur la vente de tabac et une baisse de fréquentation de leurs établissements. Pourtant, il me semble que la vente de tabac ne représente déjà qu'une très faible partie de leur chiffre d'affaires. L'enjeu, c'est la conversion de ce secteur, qui a déjà engagé sa diversification. Il serait en effet judicieux de faire participer les cafetiers-buralistes à des campagnes d'éducation à la santé. Ce secteur se sent fragilisé. Je ne pense pas, pour ma part, qu'un nouveau texte les menacerait de disparition.

M. Laurent FABIUS : Bien que notre mission porte sur le tabagisme passif, nous ne pouvons nous désintéresser des liens entre tabagisme passif et tabagisme actif et, à ce sujet, deux approches sont possibles. On peut considérer que chacun est libre de détruire sa santé s'il le souhaite et que les deux questions n'ont rien à voir. On peut aussi dire que nous nous devons d'intervenir pour éviter de 3 000 à 5 000 morts scandaleuses chaque année, et que l'interdiction de fumer dans les lieux publics aura une incidence sur le tabagisme actif. Si l'on adopte ce point de vue, les arguments changent, car on admet que l'interdiction de fumer dans les lieux ouverts au public peut avoir des conséquences économiques, y compris pour les débits de tabac. Qu'en est-il à ce sujet dans les pays où l'interdiction de fumer dans les lieux publics est ancienne ? Selon la réponse à cette question, la réaction des fabricants de tabac ne sera pas la même. Or, ils représentent une puissance économique considérable - et je suis certain que lorsqu'on finira par établir ce qu'ils ont véritablement fait pendant des décennies, le bilan sera accablant. Si ces groupes très puissants considèrent que l'interdiction de fumer dans les lieux publics aura un effet sur le tabagisme actif, ils ne resteront pas les bras croisés.

Mme Bernadette ROUSSILLE : Il y a bien un lien entre tabagisme passif et tabagisme actif. Notre travail a porté sur le tabagisme passif, mais bien des fumeurs nous ont dit être favorables à l'interdiction dans les lieux ouverts au public car ils considèrent qu'elle les aidera à arrêter de fumer. On estime généralement que de telles interdictions ont pour effet de diminuer de 8 % la prévalence du tabagisme. L'interdiction de fumer dans les lieux ouverts au public est donc une aide à l'arrêt, mais c'est aussi, à terme, une aide à la non-initiation, puisque l'on commence à fumer par mimétisme. Enfin, l'interdiction contribuerait à la dénormalisation du tabagisme : la norme serait de ne pas fumer.

Comme on le sait, les fabricants se sont déchaînés lorsqu'on a commencé d'évoquer les effets du tabagisme passif, qu'ils ont niés, finançant pour cela, sans scrupules, études et colloques. Comme je vous l'ai dit, j'ai été surprise de constater qu'ils ne les nient plus.

Mme Paulette GUINCHARD : Comment l'expliquez-vous ?

Mme Bernadette ROUSSILLE : Il y a eu des procès, notamment en Suisse.

Mme Paulette GUINCHARD : C'est aussi qu'ils vendent ailleurs.

Mme Bernadette ROUSSILLE : De fait, c'est une industrie florissante, qui écoule ses produits en Afrique et en Chine, où la consommation ne cesse d'augmenter. J'ai le sentiment que les fabricants cherchent à préserver leur image auprès de la jeunesse européenne, et qu'ils ont renoncé à ce marché.

M. Philippe VITEL, président : Madame, je vous remercie.

Table ronde n° 1, ouverte à la presse :
la loi du 10 janvier 1991, dite « loi Évin », est-elle dépassée ?,
réunissant :

M. Vassilis Vovos, président de Japan Tobacco International ;
M. Didier Chenet, président
du Syndicat national des hôteliers restaurateurs cafetiers et traiteurs (SYNHORCAT) ;
M. Philippe Pouthé, directeur juridique
de la Confédération nationale des débitants de tabac
M. Francis Attrazic, vice-président confédéral
de l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH) ;
M. Gérard Dubois, président de l'Alliance contre le tabac ;
Professeur Albert Hirsch, vice-président de la Ligue contre le cancer ;
M. Gérard Audureau, président de l'association Droits des non-fumeurs ;
M. Pascal Diethelm, membre du conseil d'administration
du Comité national contre le tabagisme (CNCT) ;
Mme Véronique Bony, chef-adjointe du bureau des pratiques addictives
à la Direction générale de la santé (DGS) ;
M. Didier Jayle, président de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT) ;
Docteur Philippe Mourouga, directeur du département
« prévention et dépistage » de l'Institut national du cancer ;
M. Guy Berger, président de chambre honoraire à la Cour des comptes, président de l'instance d'évaluation de la loi du 10 janvier 1991, président du conseil d'administration
du comité de Paris de la Ligue contre le cancer


(extrait du procès-verbal de la séance du 14 juin 2006)

Présidence de M. Claude ÉVIN, président

M. le Président : Mesdames, Messieurs, je vous souhaite la bienvenue devant la mission d'information sur l'interdiction du tabac dans les lieux publics, mission créée, je vous le rappelle, pour réfléchir aux moyens de renforcer le dispositif actuel. Il peut certes y avoir débat, tant au sein de la mission que de l'Assemblée elle-même, sur l'ampleur et sur les modalités de ce renforcement, ainsi que sur les mesures d'accompagnement à prendre dans le domaine économique ou dans celui de la politique de santé publique et d'éducation sanitaire, mais je crois pouvoir dire, au vu des premiers échanges qui ont eu lieu, que la très grande majorité d'entre nous, par-delà les clivages politiques, souhaite renforcer un dispositif qui, pour différentes raisons que nous allons examiner ensemble aujourd'hui, n'est pas satisfaisant.

Nous avons commencé nos travaux par l'audition de Mme Bernadette Roussille, que la plupart d'entre vous ont donc été amenés à rencontrer lorsqu'elle a dirigé les travaux de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) sur le sujet. Ces travaux constituent un bilan intéressant de la problématique, et notre mission n'a pas souhaité reprendre l'ensemble des auditions, ni redire ce que tout le monde sait déjà très bien, mais organiser un échange, une confrontation des différents acteurs, des différents points de vue, des différents intérêts, entre lesquels, à moins que nous ne parvenions à un consensus, il appartiendra à la représentation nationale de trancher.

Nous avons choisi d'organiser six tables rondes, dont la dernière aura lieu en principe le 12 juillet. Afin de progresser ensemble dans l'échange, nous avons souhaité réunir, pour chacune de ces tables rondes, les mêmes interlocuteurs, en associant ponctuellement les experts ou les personnalités dont le témoignage nous paraît utile. C'est ainsi que nous allons, dans un instant, entendre M. Guy Berger, qui a conduit la mission d'évaluation de la loi de 1991 et pourra nous exposer les faiblesses de celle-ci - faiblesses que je reconnais bien volontiers, même si elles sont en grande partie imputables au décret de 1992.

Notre objectif est d'aboutir, en tout état de cause, à des conclusions au plus tard à la rentrée d'octobre. Si tel n'était pas le cas, il serait en effet illusoire, compte tenu du calendrier électoral de 2007, d'espérer que des dispositions soient prises, que ce soit par la voie législative ou par la voie réglementaire.

Les six tables rondes s'articuleront autour de trois thèmes : le bilan du dispositif actuel, ses insuffisances, ses difficultés d'application, l'évolution constatée depuis 1991 ; le contenu des nouvelles dispositions à prendre et le choix, qui en découle, entre la loi et le décret ; les mesures d'accompagnement indispensables à la réussite de cette réforme.

Je précise à l'intention des journalistes, puisque ces auditions seront ouvertes à la presse écrite et audiovisuelle, que nos tables rondes regrouperont à chaque fois des représentants d'organismes ou d'associations - notamment de lutte contre le tabagisme - qui souhaitent le renforcement du dispositif actuel ; des représentants d'acteurs économiques « réservés », voire davantage, vis-à-vis d'une telle évolution ; des représentants des administrations concernées.

Nous allons, comme je l'ai dit, entendre d'abord M. Guy Berger, président de chambre honoraire à la Cour des comptes, qui va dresser pour nous le bilan de l'application de la loi de 1991, après quoi chacun de nos invités présentera, en cinq minutes maximum, sa propre analyse du sujet - qui ne recouvre pas, j'y insiste, l'ensemble de la problématique, mais la question de savoir si le dispositif actuel est dépassé et, si oui, en quoi.

M. Guy BERGER : Je suis en effet président de chambre honoraire à la Cour des comptes, à la retraite depuis quelques mois. Je dois avouer que lorsque j'ai trié mes papiers lors de mon départ, je n'ai pas retrouvé le rapport en question, mais je l'ai suffisamment en mémoire pour vous en retracer la teneur, de façon sans doute plus vivante, au demeurant, que si j'avais devant moi un document écrit...

Le texte de loi que vous avez proposé au Parlement et qui porte votre nom, monsieur le président, prévoyait, dans l'une de ses dispositions, une évaluation du dispositif. Celle-ci a été entreprise, avec deux ans de retard, à l'initiative d'un de vos successeurs, et sous l'égide du Commissariat général du Plan. La mission d'évaluation comprenait des représentants des administrations concernées - santé, économie et finances... - ainsi que des personnalités qualifiées, dont le médecin-chef du
Val-de-Grâce et un médecin du travail. Nous avons travaillé assez longuement, avec un petit budget nous permettant de financer des études, certes insuffisantes, mais qui ont eu le mérite d'éclairer notre réflexion sur divers points. J'ai tenu à rédiger moi-même les conclusions pour qu'elles puissent se lire de façon autonome, et je les ai discutées ligne à ligne avec tous les membres de la mission, qui représentaient des intérêts très divers, y compris économiques. Nous avons, je le souligne, auditionné toutes les personnes qui avaient demandé à l'être.

Nous avons passé en revue, article par article, l'ensemble du texte de loi, afin d'analyser leur caractère plus ou moins novateur et la façon, plus ou moins satisfaisante, dont chaque disposition était appliquée. Notre conclusion générale a été - même si nous sommes là un peu en dehors du sujet qui vous occupe - que le dispositif était assez bien appliqué et préservé en ce qui concerne le tabac, mais qu'il n'en était pas de même pour l'alcool, notamment à la suite de certains amendements votés ultérieurement par l'Assemblée nationale et sur lesquels je m'abstiendrai de porter un jugement...

Parmi les différentes dispositions de la loi, l'une consistait à exclure de l'indice
INSEE les prix du tabac, ce qui a permis de les augmenter assez fortement par le biais de la taxation. C'était un point important, car je me souviens, pour avoir été, quelques années plus tôt, directeur du cabinet de Mme Michèle Barzach, ministre de la santé, que nous souhaitions augmenter les prix du tabac, alors inférieurs à la moyenne européenne, mais que le ministère des finances nous objectait régulièrement que cela ferait monter l'indice des prix. Étant donné la forte élasticité constatée entre le prix du tabac et sa consommation, cette disposition est, de loin, celle dont la portée a été la plus grande.

Si le verrouillage de la publicité en faveur du tabac a été assez bien respecté et appliqué dans l'ensemble, nous avons en revanche constaté des faiblesses sur d'autres points.

Nous nous étions prononcés, après de longues discussions, pour l'interdiction de la vente de tabac aux moins de seize ans. Nous l'avons obtenue, mais il a fallu un certain délai. On nous a objecté que l'application en serait difficile ; l'argument ne tient pas, car même imparfaitement respectée, une telle disposition constitue tout de même un progrès. L'industrie du tabac, d'ailleurs, ne s'y est pas opposée, et l'a même défendue, il faut lui rendre cette justice.

S'agissant du fait de fumer dans les lieux publics, qui est votre principal sujet de questionnement, la conclusion à laquelle nous étions parvenus était que, sur le plan législatif, l'essentiel était acquis, fût-ce au prix de certaines ambiguïtés, mais qu'il restait à décliner cette interdiction selon les lieux où le problème se posait. L'une des difficultés concernait le lieu de travail, et il ressortait de nos auditions de fonctionnaires du ministère du travail et de médecins du travail que ce point ne faisait pas vraiment partie du droit du travail, tel que l'appliquent, dans les entreprises, les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail.

La justification essentielle de l'interdiction était à nos yeux la protection des droits des non-fumeurs. J'indique au passage que nous nous sommes interrogés sur le fondement de cette distinction ambiguë. Notre préoccupation était en effet une préoccupation de santé publique. Or, s'il est reconnu que la consommation de tabac est nocive dès la première cigarette, de même que celle d'alcool au-delà d'une quantité modérée, ni l'alcool ni le tabac ne sont des produits interdits, et leurs consommateurs ne sont pas des délinquants. Si interdiction il devait y avoir, il fallait donc qu'elle soit motivée par un intérêt autre que la santé publique largo sensu, et cet intérêt est celui des personnes qui ne fument pas, ne veulent pas respirer la fumée des autres et entendent voir leurs droits respectés. Mais il est vrai que la déclinaison de ce droit varie d'un endroit à l'autre.

Sur les lieux de travail, des progrès certains ont été accomplis. Je me souviens qu'au début de ma vie professionnelle, dans les années 1960, beaucoup de collègues fumaient, et que les non-fumeurs ne se seraient pas sentis autorisés à exiger d'eux qu'ils cessent de le faire. Par contre, plus tard, alors que j'étais président de chambre à la Cour des comptes, il était devenu évident que la personne désireuse de fumer devait le faire en dehors du lieu de travail. L'évolution des mœurs est donc très nette. Mais il y a encore des progrès à conduire pour faire respecter les droits des non-fumeurs, notamment en intégrant ces droits dans le droit du travail. Les syndicats, au moins à une certaine époque, n'étaient pas très sensibles à un problème qui leur semblait mineur, et ne souhaitaient pas mécontenter une partie de leurs adhérents.

Dans des lieux ouverts au public tels que les débits de tabac, les hôtels et les restaurants, des progrès importants ont également été réalisés.

Dans notre rapport, nous avons beaucoup insisté sur la nécessité absolue, du point de vue de la santé publique, de maintenir cette particularité française qu'est le monopole de la vente de tabac par les débitants. Il ne faudrait pas que, sous prétexte d'harmonisation européenne, il soit possible d'acheter du tabac dans un supermarché ou dans un hôtel, comme c'est le cas en Allemagne ou au Royaume-Uni, où des distributeurs automatiques sont à la disposition des clients à toute heure du jour ou de la nuit.

M. Gérard DUBOIS : Je rappelle d'abord que l'Alliance contre le tabac a été créée après l'adoption de la loi Évin et qu'elle regroupe 33 organisations et organismes.

Les mesures qui suivent immédiatement l'adoption d'une loi sont extrêmement importantes. Cela s'est avéré essentiel en Irlande et en Italie. Or, l'application de la loi du 10 janvier 1991 a été marquée d'emblée, après un changement de ministre, par une mauvaise volonté ministérielle. Le ministre qui a succédé à M. Évin l'avait d'ailleurs publiquement exprimée, ce qu'il a regretté lorsqu'il est revenu à la tête du ministère quelques années plus tard.

Le ministère du travail lui-même s'est opposé à ce que l'interdiction de fumer figure dans son règlement intérieur. Il a fallu une décision du Conseil d'État pour vaincre cette mauvaise volonté. Quant au ministère de l'éducation nationale, il lui a fallu dix ans pour rédiger une circulaire d'application de la loi du 10 janvier 1991. Le Parquet a été d'une totale inertie depuis l'entrée en vigueur de cette loi, et n'a jamais pris l'initiative de la moindre action en justice. De sorte que la responsabilité de faire appliquer la loi a été finalement laissée, d'abord au Comité national contre le tabagisme, auquel s'est jointe l'association Les Droits des Non-Fumeurs, puis d'autres associations, qui ont agi sur le plan judiciaire. Leurs responsables vous décriront mieux que moi les difficultés auxquelles ils se sont heurtés pour agir en ce sens. Le problème s'est posé de manière très différente pour l'interdiction de la publicité, même s'il a fallu plus de dix ans d'actions intensives et constantes, et près de 150 actions en justice pour contraindre l'industrie du tabac à respecter cette interdiction.

La très mauvaise application de la loi Évin est chose connue. Elle est évidente, pour les Français comme pour les étrangers, dont nous sommes la risée.

En 2003, le Président de la République a parlé d'une « déclaration de guerre » au tabac. Elle a malheureusement été suivie, après quelques mois, d'un armistice fiscal. L'augmentation des prix, qui est un élément essentiel de la lutte contre le tabagisme, est une voie qui a été fermée pour quatre ans. Pourtant, les esprits avaient mûri, ce que les pouvoirs publics auraient pu mettre à profit. Un sondage réalisé en octobre 2004 a montré qu'environ 70 % des Français sont favorables à une interdiction totale de fumer dans tous les lieux publics et les lieux de travail clos ou couverts. C'est une découverte pour certains, mais c'est une évidence pour beaucoup.

La loi du 10 janvier 1991 a été votée à une époque où l'état des connaissances scientifiques et la situation sociale n'étaient pas ce qu'ils sont aujourd'hui. Les choses ont beaucoup évolué. S'agissant de la relation entre le tabac et le cancer du poumon, la première étude date de 1981. Il faut attendre les années 1990 pour que cette relation soit certaine et largement diffusée dans le milieu scientifique. L'impact du tabac sur les maladies cardio-vasculaires n'est compris que dans le courant des années 1990, voire, pour beaucoup de personnes, dans les années 2000, notamment après la publication en 1997 du rapport de Maurice Tubiana à l'Académie de médecine.

L'Alliance contre le tabac a pris très clairement position pour une protection totale des non-fumeurs par une interdiction générale de fumer dans les lieux publics et les lieux de travail clos ou couverts. C'est là une position intangible.

Je regrette la participation à cette table ronde de l'industrie du tabac, une industrie cynique et meurtrière, qui ne ressemble à aucune autre, même pas à l'industrie de l'alcool. La directrice générale de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) avait refusé catégoriquement que cette industrie participe aux travaux qui ont abouti à la rédaction d'une convention-cadre, que la France a d'ailleurs été le premier pays européen à ratifier. Faire participer l'industrie du tabac à notre débat aura pour effet de donner l'impression qu'il existe deux positions entre lesquelles un moyen terme est possible. Or, il n'y a pas de moyen terme possible. On voit très bien de quel côté est l'argent et de quel côté sont les morts.

La France détient le record mondial des scandales de santé publique. Elle a été condamnée pour sa gestion de l'amiante. Elle a été le seul pays qui ait tenté de « gérer » l'exposition à l'amiante, avant de comprendre qu'il fallait interdire complètement ce produit. Nous ne voulons pas, pour notre part, l'interdiction du tabac. Nous voulons mettre un terme à l'exposition à la fumée de tabac. Remplacez les mots « exposition à la fumée de tabac » par les mots « exposition à l'amiante », et vous mesurerez immédiatement l'enjeu du débat.

M. Vassilis VOVOS : Dès le début, nous avons souhaité contribuer au débat, en y apportant notre connaissance du marché français, mais aussi notre expérience internationale. Japan Tobacco International, troisième fabricant mondial, est présent dans 120 pays.

On a pu constater dans d'autres pays des évolutions de la réglementation sur le sujet qui nous occupe aujourd'hui. On a aussi pu constater l'évolution de la société. Notre position est claire : la priorité est que la réglementation évite aux non-fumeurs d'être exposés à la fumée ambiante. Les non-fumeurs ont des droits, et la réglementation doit les respecter.

Cela dit, l'expérience passée montre que, pour être appliquée, une réglementation doit être claire, pragmatique et proportionnée au but recherché. J'ai bien noté les déclarations des personnes qui sont autour de cette table, mais aussi à l'extérieur, y compris le ministre de la santé, qui disent que l'objectif d'une réglementation interdisant de fumer dans les lieux publics n'est pas de stigmatiser les fumeurs ni de leur faire la guerre, mais de garantir aux non-fumeurs un environnement sans fumée ambiante.

Nous avons consulté la Fédération des industries du tabac, qui regroupe les cinq fabricants les plus présents sur le marché français. Ce que je vais vous dire est en phase avec les positions de quatre des cinq principaux fabricants, même si quelques nuances nous séparent.

La loi Évin, et surtout ses décrets d'application, sont-ils en phase avec la réalité d'aujourd'hui ? Non, et pour plusieurs raisons. La société a évolué. Par exemple, les décrets de 1992 contenaient des dispositions concernant les avions ou les trains, qui sont, de fait, devenues inutiles.

L'une des faiblesses des décrets était l'absence de proportionnalité. Mis à part les navires et les trains, où il était prévu une proportion maximale de 30 % d'espace réservé aux fumeurs, aucune proportion n'était indiquée dans les autres cas, de sorte qu'il était possible pour un établissement de prévoir 80 % pour les fumeurs et 20 % pour les non-fumeurs.

Autre faiblesse : la notion de délimitation, qui a donné lieu à des excès. On a vu des tables de non-fumeurs au milieu de tables de fumeurs. L'absence de séparation physique a été à juste titre critiquée.

Dans les quinze dernières années, les mentalités ont évolué, et l'on trouve beaucoup d'exemples d'une bonne application de la loi. En outre, les fumeurs sont sensibilisés aux problèmes des non-fumeurs. Mais cela ne suffira pas. La réglementation doit évoluer pour mieux protéger les non-fumeurs dans les lieux publics.

Mme Véronique BONY : Mon intervention portera principalement sur les modalités de contrôle du respect de l'interdiction de fumer dans les lieux publics. On constate que, de fait, elle n'est pas respectée, et l'on peut regretter la faiblesse des contrôles. Afin d'y remédier, plusieurs actions ont été proposées. L'une des particularités de la France est que le respect de l'application des textes relatifs à l'interdiction de fumée est en grande partie confié aux associations. Le ministère les subventionne à cette fin. Dans le cadre de la loi relative à la santé publique, la liste des associations habilitées à ester en justice a été élargie aux associations familiales et aux associations de consommateurs. Mais ce sont principalement les associations de protection des non-fumeurs qui agissent en la matière.

La loi relative à la politique de santé publique d'août 2004 a étendu le pouvoir de rechercher des infractions à la loi Évin, d'une part, aux inspecteurs du travail, et d'autre part, aux médecins inspecteurs de la santé publique, aux inspecteurs de l'action sanitaire et sociale, et aux ingénieurs du génie sanitaire. L'application de cette disposition suppose cependant une procédure d'habilitation et d'assermentation de ces agents, laquelle n'a pas encore été mise en œuvre. Cela ne les empêche pas de procéder à des contrôles, mais ils ne peuvent dresser des procès-verbaux faisant foi et permettant aux procureurs de poursuivre les infractions.

Depuis 2004, le ministère de la santé a demandé à ses services déconcentrés de mettre en place des missions d'inspection, chargées de vérifier le respect de la réglementation dans les établissements du secteur des cafés-hôtels-restaurants (CHR). Un questionnaire d'enquête et de vérification leur a été transmis. Seuls seize départements ont fait remonter les informations, et 111 questionnaires ont été exploités. Cette enquête n'est donc pas représentative, mais, à ce jour, elle est la seule dont nous disposons pour connaître la réalité de l'application de la loi Évin dans ce secteur.

On constate que, d'une manière générale, les conditions matérielles ne sont pas réunies pour que puissent être strictement respectés les droits des non-fumeurs. Il n'y a pas assez de place dans les établissements pour qu'il puisse y avoir une salle fumeurs et une salle non-fumeurs. Dans 30 % des 111 établissements interrogés, il n'y a aucun espace réservé aux non-fumeurs, alors que le principe, je le rappelle, est que tous les établissements sont non-fumeurs et que des emplacements peuvent être réservés aux fumeurs.

Dans la majorité des établissements qui réservent un espace aux fumeurs et aux non-fumeurs, le nombre de places réservées aux fumeurs est supérieur à celui des places pour non-fumeurs. Dans neuf cas sur dix, les deux espaces ne sont pas isolés l'un de l'autre.

M. Albert HIRSCH : Quand Edmond Hervé m'a demandé de lui remettre un rapport sur le tabac et la santé, j'étais chef du service de pneumologie à l'hôpital Saint-Louis. J'ai passé mon existence professionnelle à être témoin de visu des dégâts du tabagisme, et notamment du tabagisme passif. J'ai en tête le cas de Mme C., une femme de 45 ans, décédée d'un accident vasculaire cérébral. La Ligue contre le cancer, association fondatrice de l'Alliance contre le tabac, a pris très clairement position en adressant aux Français 2 millions de cartes postales, dont 365 000 sont revenues signées, et ont été transmises aux députés, demandant l'interdiction totale de fumer dans les lieux publics, afin de protéger la santé, et notamment celle des travailleurs.

La loi est-elle aujourd'hui correctement appliquée ? Non, car la réglementation, du décret de 1992, est compliquée. Elle tente de concilier deux objectifs contradictoires, la protection des non-fumeurs et la « liberté des fumeurs ». Par ailleurs, l'application de cette loi doit être l'objet d'un contrôle - à cet égard, le dispositif est faible - et être assortie d'amendes dissuasives et engageant la responsabilité pénale des contrevenants.

L'industrie du tabac met en avant la proportionnalité. Mais l'objectif doit être de protéger la population, les non-fumeurs comme les fumeurs, ces derniers étant eux aussi victimes du tabagisme passif. Le rapport des Communautés européennes estime à 5 000 le nombre de morts dues au tabagisme passif, en tenant du compte du fait que l'exposition à la fumée des autres aggrave le risque que courent les fumeurs. Il n'y a donc pas lieu de faire le départ entre telle ou telle fraction de la population. L'objectif est de protéger la santé de tous.

Je vous sais gré, monsieur le président, d'avoir prévu un calendrier serré et réaliste et je me félicite également que cette table ronde soit ouverte à la presse, comme le seront les autres tables rondes organisées par la mission d'information.

M. Didier CHENET : Le Syndicat national des hôteliers, restaurateurs, cafetiers et traiteurs représente environ 10 000 entreprises et 100 000 salariés. Il regroupe aussi bien des très petites entreprises que de grands groupes.

Je rappelle que le SYNHORCAT a mené, conjointement avec la Mairie de Paris, une opération « Ici, c'est 100 % sans tabac ». Cette opération était fondée sur le volontariat. Et son appellation même visait à souligner que nous n'excluons personne, que nous attendons une clientèle composée aussi bien de non-fumeurs que de fumeurs, ceux-ci étant simplement priés de s'abstenir de fumer. Il ne s'agissait ni d'un rejet, ni d'une exclusion. Nous sommes conscients du problème du tabagisme passif et il faut effectivement faire attention à ce que le tabac ne soit pas, dans nos établissements, l'amiante de demain.

Mais la loi Évin semble inadaptée à nos établissements.

Premièrement, elle ne garantit pas la sécurité physique de nos salariés, ni celle de nos clients. Elle n'impose pas une obligation de résultat en matière de sécurité. À cet égard, la situation a été clarifiée par un arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 29 juin 2005, qui met à la charge des employeurs une obligation de sécurité de résultat en matière de protection des salariés contre le tabagisme dans les entreprises. Il nous faut bien, dans cette situation, tenter de trouver une solution.

La loi Évin est inapplicable pour certains, et coûteuse pour tous. Inapplicable pour certains, car un petit établissement n'est évidemment pas dans la même situation qu'un grand, qui pourra, parce que sa surface ou ses installations techniques le permettent, installer de véritables zones fumeurs et non-fumeurs. De ce point de vue, on peut dire que la loi a des effets discriminatoires, les petits et les grands n'ayant pas les mêmes moyens de l'appliquer.

Deuxièmement, la sécurité juridique n'est pas ce qu'elle devrait être pour nos établissements, dont la pérennité est en jeu. Nous souhaitons qu'une garantie de conditions d'exploitation soit applicable à tous, sans discrimination, à égalité de concurrence. À cet égard, à l'occasion de l'expérience que nous avons conduite avec la mairie de Paris, on a pu constater la différence entre un établissement qui se crée et un établissement déjà existant. Le premier peut avoir du succès en affichant dès le départ qu'il est non-fumeur, alors que le second, s'il décide de basculer dans le « 100 % sans tabac », se heurtera à des problèmes concurrentiels, car les esprits ne sont pas encore mûrs.

Le SYNHORCAT ne souhaite ni les exclusions, ni les interdits. Nous préconisons, pour les hôtels et les restaurants - car nous n'avons pas trouvé de solution pour les bars-tabac - la mise en place de fumoirs, qui seraient des endroits hermétiquement clos, et non pas de simples zones fumeurs. Les salariés n'y auraient pas accès. Comme dans les clubs anglais, ces fumoirs seraient des lieux où l'on irait fumer en emportant soi-même sa consommation. Nous serions ainsi en mesure de respecter l'obligation de sécurité de résultat en matière de protection des salariés.

M. Philippe MOUROUGA : Comme l'a dit M. le professeur Hirsch, plusieurs rapports ont été publiés sur les effets du tabac sur la santé. Le rapport européen, le dernier en date, fait état de 5 000 morts par an dues au tabagisme passif.

Dans ces estimations, on tient compte du tabagisme passif subi par les non-fumeurs mais aussi par les fumeurs, car un certain nombre de morts sont dues à la fumée du tabac secondaire. Ce risque sanitaire est totalement avéré.

Plusieurs rapports ont permis de démontrer que les systèmes de ventilation ne peuvent en aucun cas nettoyer l'air ambiant des cancérogènes qui y sont présents. C'est pourquoi la conférence des parties de la convention-cadre de l'OMS a rejeté l'idée d'une ventilation dans les espaces fermés.

Par ailleurs, il existe un risque pour les professionnels exposés sur leur lieu de travail au tabagisme passif et travaillant pendant 35 heures ou plus. Or, même si les clients fumeurs sont regroupés dans un espace fumeur, ils devront être servis. Les professionnels seraient donc soumis à un risque de façon continue.

La discussion devrait à mon sens partir du risque sanitaire, qui est avéré, pour faire apparaître un vrai risque juridique, pour l'employeur et pour l'État. Les travaux scientifiques ne laissent place à aucun doute : toute action en justice menée par un travailleur peut se fonder sur des données factuelles.

M. Gérard AUDUREAU : L'association Le Droit des Non-fumeurs (DNF) existe depuis 33 ans. Son objectif essentiel est de faire en sorte que nul ne puisse être confronté à la fumée du tabac contre son gré. Cet objectif figure d'ailleurs dans le préambule de la loi Évin.

La partie législative du dispositif actuel est très claire : « Il est interdit de fumer dans tous les lieux affectés à un usage collectif, (...) sauf dans les emplacements expressément réservés aux fumeurs ». Les textes réglementaires, par contre, sont susceptibles d'interprétations diverses. Ils sont parfois même incohérents. Par exemple, l'article R 3511-7 du code de la santé publique prévoit qu'« une signalisation apparente rappelle le principe de l'interdiction de fumer dans les lieux mentionnés à l'article R. 3511-1 et indique les emplacements mis à la disposition des fumeurs ». Cet article est diversement interprété, puisqu'un syndicat professionnel, d'ailleurs représenté ici, écrit ceci à 200 000 restaurateurs : « Vous pouvez organiser des espaces fumeurs et non-fumeurs comme bon vous semble, sans séparation, sans cloisonnement, sans limitation de surface. »

S'agissant du bureau individuel, beaucoup de textes émanant de certaines administrations indiquent qu'il n'est pas concerné par la loi Évin, ce qui est complètement faux, comme le confirme un arrêt en Conseil d'État de 1993.

Les élèves peuvent-ils fumer dans les cours des écoles ? La question faisait encore débat il y a à peine huit mois. La Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT) doit être saluée pour avoir participé à la rédaction de dépliants, distribués à 66 000 chefs d'établissement, et qui expliquent clairement que fumer dans la cour n'est autorisé ni dans les collèges ni dans les lycées. Beaucoup laissent encore entendre le contraire.

L'article 2 du décret n° 92-478 prévoyait que « l'interdiction de fumer ne s'applique pas dans les emplacements qui, sauf impossibilité, sont mis à la disposition des fumeurs, au sein des lieux visés à l'article 1er du présent décret. Ces emplacements sont déterminés par la personne ou l'organisme, privé ou public, sous l'autorité duquel sont placés ces lieux, en tenant compte de leur volume, disposition, condition d'utilisation, d'aération et de ventilation et de la nécessité d'assurer la protection des non-fumeurs ». En 2004, lorsque ce texte a été intégré à la nouvelle partie réglementaire du code de la santé publique, les mots « sauf impossibilité » ont été supprimés. Aucune jurisprudence n'a pu clarifier les choses en répondant clairement à la question de savoir si, oui ou non, il est obligatoire de réserver un emplacement pour les fumeurs.

Un hall d'immeuble, un club de bridge, les locaux d'une association doivent-ils sortir du champ d'application de la loi sous prétexte qu'ils n'auraient pas vocation à accueillir le public et qu'ils n'ont pas de salariés ?

Il n'est pas concevable d'envisager que dans un local partagé entre fumeurs et non-fumeurs, une simple fenêtre puisse permettre de protéger les non-fumeurs.

Le dispositif est incomplet, et les textes sont inapplicables. Supposons que, assis à la table d'un restaurant, vous soyez incommodé par la fumée de votre voisin. Vous demandez au restaurateur de faire respecter l'interdiction de fumer au client qui fume à côté de vous. Il vous répond qu'il n'en a rien à faire et qu'il n'est pas policier. Il vous reste la possibilité d'appeler un agent de police judiciaire, c'est-à-dire un policier ou un gendarme, qui refusera d'intervenir. Vous pouvez alors déposer une plaine. Il est certain qu'elle sera classée sans suite par le procureur de la République, qui d'ailleurs ne vous informera de ce classement sans suite qu'au bout de deux mois, et seulement si vous lui réclamez une réponse. Vous devez alors exercer une requête auprès du président du tribunal de grande instance, pour qu'il nomme un huissier. Lorsque celui-ci aura fait son constat, il ne vous restera plus qu'à tenter de citer devant une juridiction pénale ou civile une personne dont il vous sera presque impossible de déterminer le nom, tant le pouvoir d'investigation dont vous disposez est limité. Nous sommes donc au royaume d'Ubu. Comment un simple consommateur peut-il faire respecter ses droits dans de telles conditions ?

Dans les lieux de travail, c'est encore pire, puisqu'on ne peut pas le quitter comme on veut. Cela se termine bien souvent par une mise au placard, et parfois même par un licenciement. Un fonctionnaire qui demandait le respect de son environnement a ainsi été muté à deux reprises, puis retardé dans son avancement à trois reprises. On a fini par lui imposer un examen psychiatrique.

On peut s'étonner de l'inaction de ceux qui ont pour mission de veiller au respect de la loi.

Pour l'édition du dépliant « Réussir la loi Évin » dans les établissements scolaires, nous avons rencontré les mêmes difficultés que pour les autres dépliants. Dans le cadre de l'éducation à la santé, une sensibilisation au risque tabagique est obligatoire dans le primaire et le secondaire. Il a fallu des discussions sans fin pour que l'éducation nationale en convienne.

Les ministres de la justice, de la santé, de l'intérieur, du travail et des PME sont tous responsables de l'application des dispositions du décret de 1992 intégré dans le code de la santé publique. Pourquoi attendent-ils que se pérennise une situation doublement illégale comme celle des cafés narguilé, et pourquoi laissent-ils des associations sans armes, et dont ce n'est pas la vocation première, dénoncer des situations hautement préjudiciables à la santé publique ? Des centaines d'établissement sont dans l'illégalité totale, et personne ne réagit.

Le dispositif de la loi de 1991 est donc inefficace d'abord par manque de volonté politique affirmée ; ensuite par une véritable volonté, de la part de ceux-là mêmes qui devraient la faire respecter, de banaliser les infractions à cette loi ; par l'impossibilité de désigner les responsables des infractions ; par la complexité des procédures à mettre en place pour obtenir le respect des textes en vigueur ; par la désignation, pour veiller au respect de la loi, de certaines associations auxquelles sont en fait retirées les possibilités d'exercer les droits reconnus à la partie civile. Les parquets refusent de requérir, et les tribunaux octroient des dédommagements symboliques, qui ne couvrent même pas les frais de procédure. Enfin, les amendes en correctionnelle demeurent immuablement symboliques. Pourquoi la loi relative à la politique de santé publique d'août 2004 a-t-elle porté de 75 000 à
100 000 euros l'amende pour publicité interdite, quand les juges punissent ce délit de 500 euros ? Pourquoi reconnaître la responsabilité d'un maire, d'un adjoint, d'une directrice d'un centre municipal de santé et de son médecin-chef en n'octroyant qu'un euro symbolique de dédommagement à la victime, ainsi qu'à DNF, et pourquoi ne leur infliger qu'une amende de 400 euros avec sursis ?

M. Philippe POUTHÉ : Notre confédération nationale regroupe 31 000 débitants de tabac, profession qui se relève difficilement d'une crise historique liée à une politique de relèvement des prix extrêmement concentrée dans le temps, sur l'année 2003. La chute d'activité a été de l'ordre de 25 % en volume. Cela a entraîné le développement de la contrebande et des ventes transfrontalières.

Un contrat d'avenir a été conclu avec la profession des buralistes, mettant en place une compensation financière relative et comportant des engagements forts de l'État en termes de développement de nouvelles missions de service public qui seraient destinées à être confiées à la profession. Nous sommes encore dans l'attente de résultats et de propositions. Nous avons récemment sollicité la désignation d'un parlementaire chargé de recenser les outils et les missions susceptibles de nous être confiées.

Le phénomène des ventes transfrontalières est aujourd'hui très ancré. Pour autant, la modification, à la fin de l'année 2005, des articles 575 G et 575 H du code général des impôts offre un outil juridique permettant de limiter les quantités de tabac susceptibles d'être transportées par les particuliers. Nous fondons des espoirs sur ces modifications législatives.

L'essentiel est à nos yeux la réussite de la mutation économique à laquelle nous nous attachons. Elle passe par la diversification de nos activités, tant la profession est acquise à l'idée que, désormais, le socle économique de nos points de vente ne pourra plus être la vente de tabac.

Pour relever ce défi, les 31 000 débitants, tous entrepreneurs individuels ou familiaux, et qui ont engagé tout leur patrimoine dans leur affaire, ont besoin de temps et de sérénité. Du temps, pour développer de nouvelles activités, des missions de service public, pour adapter la configuration de nos établissements, pour préserver la valeur des fonds de commerce, qui sont le seul capital, le seul produit de retraite des débitants de tabac.

Des premiers pas ont été faits, avec la mise en place d'une coopérative destinée à porter les projets économiques tendant à la diversification de la profession.

La confédération, tout en acceptant pleinement de contribuer aux efforts qui devront être consentis en termes de santé publique et de réforme des dispositifs existants, ne peut souscrire à une mesure d'interdiction totale et immédiate de fumer dans les lieux où le tabac peut être vendu. Préalablement à toute décision qui risquerait d'être mal comprise, mal acceptée, mal appliquée, certaines étapes doivent être respectées. Tout d'abord, une évaluation précise de l'effectivité des dispositions législatives réglementaires aujourd'hui en vigueur est nécessaire. En second lieu, comment envisager des réformes qui visent - ce qui est tout à fait légitime - à conforter les droits des non-fumeurs, sans prendre en compte, dans tous ses aspects, l'évolution effective, constatée sur le terrain, du comportement des fumeurs ? Ces derniers sont de plus en plus soucieux du respect de leur entourage et de leur environnement. Une étude sur l'évolution du comportement effectif des fumeurs nous paraît constituer un deuxième préalable incontournable, sans quoi l'on prendrait le risque de stigmatiser inutilement un quart des Français adultes. Ce serait incontestablement contre-productif en termes de santé publique.

En troisième lieu, il convient, avant d'envisager une réforme, d'accomplir un travail approfondi de recherche de solutions satisfaisantes portant sur des matériels ou des technologies adaptées, innovantes, en termes de traitement de l'air, d'extraction des fumées.

Enfin, nous demandons que soit prise en compte la spécificité française des bars-tabac, qui représentent 60 % des buralistes. Une dérogation pourrait être accordée aux tabacs humides, sous la responsabilité de propriétaire de l'établissement.

M. Didier JAYLE : Je me réjouis, monsieur le président, du calendrier serré que vous nous avez annoncé, et d'autant plus que les Français attendent que des décisions soient prises. La France a longtemps été en avance, grâce précisément à la loi Évin. Elle est aujourd'hui plutôt en retard.

Bien que les tendances à la baisse de la consommation de tabac en France semblent se confirmer depuis 2000, notamment chez les jeunes, la loi Évin est mal appliquée. Elle a des faiblesses intrinsèques. Elle est un peu dépassée.

Je voudrais insister sur les écoles, qui ont un rôle particulièrement important du fait de leur valeur d'exemplarité. La France est très en retard dans ce domaine. Il est absolument nécessaire de rendre les établissements scolaires entièrement non-fumeur, sans aucune exception, et pas seulement pour les jeunes. Car il est illusoire de penser que l'on va empêcher les jeunes de fumer tout en autorisant les professeurs à le faire, dans la salle des professeurs ou dans une salle réservée.

Dans son premier paragraphe, l'article L 3511-7 du code de la santé publique énonce un ferme principe : « Il est interdit de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif, notamment scolaire, et dans les moyens de transport collectif, sauf dans les emplacements expressément réservés aux fumeurs ». Le second paragraphe de l'article laisse à un décret en Conseil d'État le soin de fixer les conditions d'application de la mesure, donc la définition de ces emplacements. Ce décret - pris un an plus tard - a quasiment vidé de sa substance le principe, posé par le législateur, de l'interdiction de fumer dans les lieux à usage collectif.

En effet, au lieu de définir précisément le terme d'« emplacement » utilisé par le législateur, le décret évoque successivement ceux de « locaux », « emplacements » ou « zones » réservés aux fumeurs. Les dispositions trop complexes du décret posent de réels problèmes d'interprétation, donc de contrôle : en usant de formulations équivoques, il n'en finit pas de préciser à quelles normes réglementaires devront répondre les fameux « emplacements fumeurs ». Ni la loi ni le décret n'indiquent enfin expressément que si un lieu, pour des raisons techniques, n'est pas adapté aux nouvelles normes, ce lieu sera ipso facto déclaré « non-fumeurs ».

Tout cela, dans la pratique, aboutit à des séparations purement virtuelles des zones « fumeurs » et « non-fumeurs ».

D'interprétation difficile, l'ensemble législatif intitulé « loi Évin » n'a, de plus, aucunement fixé les modalités de contrôle des manquements aux règles qu'il édicte.

Aucune disposition pénale n'oblige le responsable d'un lieu à faire respecter la loi par ses clients, employés, élèves ou visiteurs. Alors même que le décret fait allusion à l'application de la loi dans les entreprises et autres locaux professionnels, aucune disposition de la loi ni du décret n'a été reprise dans le code du travail avant la loi relative à la politique de santé publique du 9 août 2004, mettant ainsi pendant longtemps les éventuels contrevenants à l'abri de la vigilance de l'inspection du travail.

De manière plus générale, le problème des autorités chargées du contrôle demeure entier. Ceux qui ont pour vocation de veiller au respect des prescriptions de santé publique - les agents du ministère de la Santé - ou des droits des travailleurs - l'Inspection du Travail - n'ont, pour les premiers, aucun pouvoir véritablement répressif ; les seconds ne l'ont explicitement dans le domaine concerné que depuis le 9 août 2004 ; tous invoquent au demeurant des priorités plus urgentes.

Ceux qui ont eu dès le départ les pouvoirs juridiques de verbaliser - les forces de police et de gendarmerie -  n'ont eux-mêmes guère fait preuve d'efficacité en la matière, confrontés à leurs priorités de sécurité publique.

Une adaptation de la loi est donc nécessaire, car elle est en partie dépassée, et notamment depuis l'arrêt de principe de la Cour de cassation du 29 juin 2005, qui a jugé qu'un employeur avait une obligation de résultat vis-à-vis de ses employés face au risque du tabagisme passif. Dans la droite ligne de la jurisprudence administrative comme de la jurisprudence judiciaire précédente, cette nouvelle norme, bien plus protectrice des salariés, devra impérativement être prise en compte pour fixer la règle dans le monde de l'entreprise, notamment pour les professions les plus exposées comme les serveurs des restaurants, bars ou discothèques.

Il faut également tenir compte de l'évolution de l'opinion publique et des législations étrangères. Eu égard aux exigences croissantes des populations en terme de qualité de vie et de l'air, l'attitude des Français face à la fumée de cigarette a beaucoup évolué ces dernières années. L'ensemble des sondages sur cette thématique converge pour mettre en relief une attente de la population en faveur de l'interdiction de fumer dans les lieux publics. De plus, l'évolution des législations étrangères - notamment européennes - conforte les tenants de l'interdiction.

Un très large consensus se dessine en faveur d'une nouvelle législation, claire, facile à appliquer, et dont la date sera annoncée à l'avance, afin que chacun puisse s'y préparer.

M. Pascal DIETHELM : La loi Évin a fait de la France une pionnière en matière de lutte contre le tabagisme. Son volet concernant l'interdiction de la promotion des produits du tabac a été un grand succès et reste aujourd'hui une référence importante au niveau international. Encore trop peu de pays ont une législation aussi avancée, qui est maintenant appuyée par une jurisprudence élaborée.

Par contre, le volet concernant la protection des non-fumeurs n'a pas connu le même succès, loin s'en faut. Quinze ans après son entrée en vigueur, la loi Évin interdisant de fumer dans les lieux collectifs reste très mal appliquée, en particulier dans les établissements publics. Pourquoi ?

Une première réponse consiste à dire qu'une loi qui n'est pas appliquée pendant quinze ans est peut-être tout simplement inapplicable. Une autre réponse, complémentaire à la première, est que la loi est inadaptée aux exigences de protection des personnes, et que, même bien appliquée, elle ne satisferait pas ces exigences.

La loi Évin est fondée sur une dichotomie de la population en « fumeurs » et
« non-fumeurs ». Elle répartit ainsi les espaces publics entre des zones fumeurs et des zones non-fumeurs. Cette dichotomie s'étend jusqu'aux établissements du secteur hôtelier et de la restauration, en faisant l'impasse sur la présence dans ces lieux d'employés, de travailleurs.

Première difficulté pratique : comment concilier la répartition entre « fumeurs » et « non-fumeurs », notions éminemment dynamiques et variables, avec la division physique de l'espace en zones fumeurs et zones non-fumeurs, division statique par nature ? Le caractère flou de la loi Évin sur cette question laisse le champ libre à toutes les interprétations et invite au statu quo.

Deuxième difficulté : les composants toxiques de la fumée de tabac occupent l'air de tout l'espace à leur disposition, et il est très difficile, voire impossible, de séparer hermétiquement les zones fumeurs afin qu'elles ne contaminent pas les zones non-fumeurs. Le caractère vain de cette séparation nuit à l'objectif de santé publique qui était celui de la loi. Cela est d'ailleurs accentué par les exigences très techniques qui concernent la ventilation, dont il est clair qu'elles ne seront pas vérifiées, ni donc respectées.

Le volet « protection des non-fumeurs » de la loi Évin était pionnier, à une époque où l'industrie du tabac déployait des efforts considérables, dépensant des centaines de millions d'euros dans une des plus grandes campagnes de déni scientifique jamais entreprises. Cette campagne à l'échelle planétaire incluait la corruption de chercheurs, l'infiltration des milieux scientifiques et académiques, le recours à l'intimidation judiciaire, la désinformation par l'entremise de grandes agences de relations publiques, la création de réseaux d'influence occultes, l'utilisation d'organisations écrans, l'instrumentalisation de syndicats et d'organisations patronales du secteur de l'hôtellerie, des restaurants et des cafés, tout cela dans un seul but : nier la toxicité de la fumée passive. Cette opération, qualifiée de « fraude scientifique sans précédent » par le Tribunal fédéral suisse, de conspiration à caractère mafieux par la justice américaine, a porté ses fruits : on en ressent les effets jusqu'à nos jours, puisque la toxicité de la fumée passive reste largement sous-estimée, même au sein de la classe politique. La loi Évin porte la marque de cette gigantesque campagne de désinformation. Comment aurait-il pu en être autrement à l'époque où Philip Morris faisait paraître dans la presse magazine des annonces pleine page montrant un verre d'eau, un verre de lait ou un biscuit en disant que la fumée passive n'était pas plus dangereuse que cela ?

Depuis, il y a eu les procès américains, et la découverte stupéfiante des documents secrets de l'industrie du tabac, dont le document de Philip Morris que je vous remets, monsieur le président, qui présente la loi Évin comme une victoire pour Philip Morris !

La loi Évin ne fonctionne pas et ne peut pas fonctionner, parce qu'elle est une demi-mesure. Et lorsque l'on se trouve confronté à un problème majeur de santé publique, les demi-mesures ne sont pas de mise. Imaginerait-on le désamiantage d'une partie seulement d'un immeuble ?

La loi Évin ne s'applique pas parce qu'elle ne correspond pas aux désirs des Français, dont 80 % veulent une interdiction totale de fumer dans les lieux publics.

La séparation de la population en « fumeurs » et « non-fumeurs » est une aberration sociale, qui peut expliquer à elle seule l'échec de la loi Évin. La ségrégation des personnes dans les lieux de vie sociale que sont les cafés, les bars, les restaurants, les discothèques, revient à ériger le tabagisme en facteur primordial de l'organisation de la vie sociale, transcendant toutes les affinités qui conduisent les gens à se réunir et à sortir : amitié, amour, famille, travail, culture, politique.

En libérant les lieux de vie sociale de cette division aberrante, en interdisant d'y fumer et en rendant leur air respirable pour tous, le législateur non seulement assurera sa responsabilité de protection de la santé publique, mais encore il permettra que ces lieux redeviennent ce qu'ils n'auraient jamais dû cesser d'être, des lieux conviviaux, des lieux de vie sociale pour tous.

M. Francis ATTRAZIC : Nous abordons aujourd'hui un sujet grave. L'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH) est très sensible aux sujets qui touchent à la santé publique, qu'il s'agisse du tabac de l'alcool ou du bruit. En effet, l'ensemble de la population fréquente les cafés, les hôtels ou les discothèques.

Si tous ces problèmes devaient être résolus par des interdictions, nous aboutirions assez rapidement à une société sans hôtels, sans cafés, sans restaurants, sans discothèques.

Nous sommes résolument opposés à l'interdiction totale de fumer, qui n'est pas une solution. Il est possible, dans un pays responsable, de faire en sorte que les gens puissent cohabiter de manière tout à fait normale, et sans ségrégation.

Pour dresser un bilan de l'application de la loi Évin, plusieurs éléments doivent être pris en compte. Le premier est l'évolution des comportements, qui est indéniable, que ce soit dans les hôtels, où le problème est pratiquement réglé, comme dans la restauration. La campagne qui a été organisée ces derniers mois peut contribuer à faire encore évoluer les choses.

Cela étant, la loi a été mal appliquée. Un certain laxisme a présidé à la mise en place du dispositif de base. Mais beaucoup d'entreprises ont consenti des efforts financiers importants pour régler les problèmes auxquels la loi Évin entendait s'attaquer. Je ne vois pas pourquoi on devrait dénigrer tout le travail accompli.

La loi était claire dans son énoncé, puisqu'elle posait l'interdiction de fumer dans les lieux publics, sauf dans les endroits aménagés spécialement pour accueillir les fumeurs. Ce cadre général me paraît tout à fait logique. Il s'agit de le rendre plus lisible et plus applicable. À cet égard, les propositions des débitants de tabac sont pertinentes. Nous devons pouvoir participer, en tant que personnes responsables, à une adaptation des entreprises visant à faire avancer les choses. Mais une interdiction totale ne réglera pas le problème. Le tabagisme passif est un problème majeur, qui se pose aussi bien dans l'entreprise, au bureau, au domicile, et qui ne sera pas réglé d'un coup de baguette magique par une interdiction.

Nous avons engagé des campagnes de communication, qui sont parfois présentées de manière polémique. Nous en ferons d'autres. Nous allons également travailler sur les outils techniques qui peuvent être mis en œuvre. Mais de grâce, pas d'interdiction totale. Cela serait ignorer la responsabilité individuelle. Il n'est pas souhaitable de ne faire appel qu'à une responsabilité collective. Dans une société comme la nôtre, chacun doit être conscient de ses responsabilités, soit en tant qu'individu, soit en tant que chef d'entreprise.

Il convient de faire évoluer la législation, de la rendre plus lisible et plus adaptable, de façon à tenir compte de la diversité des entreprises. À cet égard, il faut rappeler que notre secteur d'activité regroupe aussi bien le petit café-hôtel-restaurant de campagne, qui a très souvent une activité de débitant de tabac, voire d'épicerie, jusqu'aux grands groupes. La petite structure doit être traitée avec beaucoup de compréhension et d'intelligence, car si elle disparaissait, nous irions au-devant de graves problèmes.

M. Pierre MORANGE, rapporteur : Compte tenu de l'évolution des données sanitaires et juridiques, et de l'insuffisance relative du dispositif de la loi de 1991, un consensus semble se dégager pour envisager de prendre de nouvelles mesures de lutte contre le tabagisme, et notamment le tabagisme passif.

Je souhaiterais que les participants de cette table ronde donnent leur sentiment sur quelques sujets précis. Quel calendrier serait le plus à même d'être efficace ? Quelles sanctions serait-il nécessaire de prévoir, et selon quelles modalités ? Faut-il généraliser une interdiction de façon immédiate ou en l'étalant dans le temps ? Enfin, s'agissant des substituts de domicile, qu'il s'agisse des prisons ou des établissements médico-sociaux, convient-il de s'inspirer de l'exemple irlandais ?

M. Gérard DUBOIS : Pour répondre à la première question, le calendrier qu'il convient d'adopter est tout à fait différent selon que l'on aura choisi la voie législative ou la voie réglementaire.

Pour ce qui est de savoir s'il faut préférer une généralisation immédiate ou progressive, je déconseille formellement de franchir un précipice en deux temps.

S'agissant du substitut au domicile, il faut distinguer les cas où une seule personne est exposée de ceux où plusieurs le sont.

Certains ont évoqué des expériences sur la base du volontariat. Je rappelle qu'il y a urgence : chaque jour qui passe, entre huit et dix morts sont dues au tabac.

J'ai entendu proposer des « solutions innovantes » de ventilation. Cela signifie que les solutions actuelles ne sont pas efficaces et que l'on attend un miracle pour l'avenir.

Je souligne que les Français sont en train de voter avec leurs pieds. En effet, en 1997, 81 % d'entre eux disaient fréquenter les cafés. Ils ne sont plus que 41 % à le faire. Le message est très clair : nos concitoyens refusent désormais les espaces enfumés. Les professionnels devraient en tirer les conséquences le plus rapidement possible.

M. Francis ATTRAZIC : La baisse de fréquentation des cafés n'est pas liée à la seule question du tabac.

S'agissant du calendrier, la perspective que vous avez dessinée, monsieur le président, me paraît tout à fait pertinente. Cela étant, il faut prendre en compte l'ensemble des problèmes qui se posent.

M. le Président : Je précise que le calendrier que j'ai indiqué concerne la remise de nos conclusions. Au cours de la prochaine table ronde du 5 juillet, la question de savoir laquelle des deux voies, législative ou réglementaire, est préférable sera posée et c'est seulement à ce moment-là que nous pourrons parler du calendrier de mise en œuvre des mesures.

M. Pierre BOURGUIGNON : Je souhaite, en premier lieu, que les représentants des professionnels, qu'il s'agisse des fabricants de tabac, des débitants ou des restaurateurs et hôteliers, précisent leur position. J'ai cru discerner certaines contradictions, notamment sur le point de savoir s'ils adhéraient à l'idée d'une interdiction générale.

Deuxièmement, il conviendrait de préciser les risques de santé publique qui conduisent les uns à rejeter l'idée d'une législation ou d'une réglementation souple, les autres à admettre des exceptions au principe de l'interdiction générale de fumer dans les lieux publics.

Enfin, je constate qu'en Irlande, la population est très satisfaite de l'interdiction totale dans les cafés et restaurants. C'est un exemple de ce qu'il est possible de faire.

M. Gérard BAPT : Vous avez dit, Madame Bony, que la procédure d'habilitation des agents contrôleurs de santé publique n'était pas encore achevée. J'ose espérer que le ministère de la santé n'en est pas responsable. Quel est le ministère compétent sur ce point précis ?

Peut-on envisager que les débitants de tabac puissent être autorisés à vendre des substituts nicotiniques ? Il me semble pour ma part qu'une telle idée s'inscrirait dans la volonté de rechercher de nouvelles missions de service public.

M. Philippe VITEL : Il me semble que la loi de 1991 n'est absolument pas dépassée. Ce qui pose problème, ce sont les décrets d'application, et en particulier celui de 1992. M. Chenet a estimé que cette réglementation était à l'origine d'une discrimination entre les petits et les grands établissements. Est-il nécessaire de légiférer à nouveau, dès lors que ce sont les décrets qui font difficulté ?

Je précise que ceux - dont je suis - qui souhaitent interdire l'usage des téléphones portables dans les établissements scolaires, s'entendent répondre qu'une telle interdiction n'appartient ni au législateur ni au ministère, mais qu'il incombe aux établissements eux-mêmes de l'introduire dans leur règlement intérieur.

M. le Rapporteur : C'est la raison pour laquelle la question du calendrier doit être posée dès maintenant. Ce qui intéresse nos concitoyens comme les professionnels, c'est l'application sur le terrain des mesures d'interdiction. Or, c'est le calendrier de leur mise en œuvre qui déterminera laquelle est préférable de la voie législative ou de la voie réglementaire. Il est important que les différents participants prennent position sur la question du calendrier, ce qui nous permettra d'enrichir notre réflexion et de distinguer, en écho à Chateaubriand, la morale des intérêts de celle des devoirs.

M. Laurent FABIUS : Deux éléments essentiels me paraissent se dégager du débat de ce matin.

Le premier est la toxicité des pratiques addictives. Des chiffres ont été cités, qui ne sont pas des chiffres d'experts, mais des chiffres connus et reconnus : entre huit et dix décès par jour. Les questions que se pose notre mission d'information ne sont donc pas théoriques. Selon les décisions qu'elle recommandera de prendre, entre huit et dix personnes, chaque jour, mourront ou ne mourront pas. C'est l'élément majeur, qui balaie tout le reste. Je parle en connaissance de cause.

Le second élément, qui est d'ailleurs une conséquence du premier, est la nécessaire simplicité de la réglementation.

Le représentant de la Confédération nationale des débitants de tabac a souligné que la profession était consciente de la nécessité d'évoluer. La majorité d'entre nous souhaite que des règles simples soient adoptées pour faire cesser le carnage. Nous ne souhaitons pas pour autant mettre en difficulté l'ensemble d'un secteur d'activité. À partir de là, la question qui se pose est de savoir quelle substitution d'activité est possible, étant entendu que les compensations financières qui pourraient être consenties par la puissance publique ne sauraient être que provisoires.

Mme Josiane BOYCE : L'interdiction totale est une nécessité. Et on ne peut pas dire que les personnes ne fréquenteront plus les hôtels et restaurants si une interdiction totale de fumer est décidée. Au contraire, les problèmes apparaissent quand on fait les choses à moitié.

S'agissant de l'idée d'introduire des fumoirs, elle introduirait une discrimination entre les grands et les petits établissements.

Certains ont évoqué un changement de mentalité des fumeurs. Je pense surtout qu'il y a eu un changement dans leur portefeuille lié à l'augmentation du prix des cigarettes. Au-delà, le comportement des fumeurs reste bien souvent le même à l'égard des non-fumeurs. On parle même actuellement de cigarettes parfumées à destination des enfants. Cela me semble déplorable. Par contre, l'interdiction définitive du tabac à l'école est une bonne chose, il était grand temps de prendre cette mesure. Enfin, s'agissant des extracteurs, il faut savoir qu'ils recyclent souvent l'air sans ôter les particules cancérigènes, et que ce n'est donc pas une solution.

M. le Président : Les représentants des hôteliers, restaurateurs et cafetiers proposent d'adopter une réglementation allant dans le sens d'une différenciation accrue entre divers types d'établissements. Le vice-président de l'UMIH, pour sa part, a estimé nécessaire d'en appeler à la responsabilité individuelle. N'y a-t-il pas une contradiction entre le fait de déplorer l'absence de clarté de la réglementation actuelle et celui de préconiser des mesures qui auraient pour effet de maintenir ce manque de clarté ?

M. Albert HIRSCH : Le problème a été fort bien posé par M. Fabius. Il faut un dispositif simple étant donné que nous parlons, finalement, d'un poison. Le risque est avéré, et il est invisible. Tout va donc dans le sens de mesures simples, applicables, contrôlables, et assorties de sanctions, pour protéger l'ensemble de la population, fumeurs et non-fumeurs. Je rappelle qu'il a fallu attendre 1997 pour interdire l'amiante. Jusqu'à cette date, on prônait « l'usage contrôlé » de l'amiante. Je n'épiloguerai pas...

On ne peut pas interdire un produit que 30 % des Français consomment régulièrement. Mais on peut et l'on doit protéger l'ensemble de la population, jeunes ou moins jeunes, fumeurs ou non-fumeurs. Quant au calendrier, le meilleur découle de la nécessaire simplicité. Le calendrier doit être réaliste, s'agissant d'un risque avéré. Les exigences de santé publique doivent être celles du droit.

M. Philippe MOUROUGA : L'épidémiologie du cancer recherche ce que l'on appelle des « associations causales certaines ». Tous les rapports ont établi ces associations en ce qui concerne le cancer du poumon, mais aussi beaucoup d'autres cancers, ainsi que des pathologies non cancéreuses. Le meilleur rapport, à ce jour, est celui de l'Institut de santé publique du Québec. Le rapport de l'Académie de médecine fait aussi apparaître qu'environ 150 décès consécutifs à un cancer du poumon sont dus chaque année au tabagisme passif. Ces décès sont totalement évitables, et touchent des personnes qui ont été exposées à un risque qu'elles n'ont pas choisi de subir. C'est un problème majeur.

M. Didier CHENET : L'arrêt de la Cour de cassation du 29 juin 2005 nous impose de toutes façons une responsabilité telle que nous devrons respecter l'obligation de sécurité de résultat, faute de quoi nous mettrions en danger nos entreprises. Les chefs d'entreprise ne sont pas des inconscients. Dire cela n'est pas contradictoire avec l'idée d'instaurer des fumoirs. On ne voit pas pourquoi on nous interdirait d'accueillir un certain type de clientèle dans des lieux hermétiquement fermés, et où les salariés de nos établissements ne seraient pas exposés.

Bien sûr, cela concernera essentiellement les très grands établissements, alors que 80 % des établissements du secteur sont des TPE. C'est au sein de ceux-ci qu'il convient d'éviter les distorsions de concurrence.

M. le Rapporteur : Après l'arrêt de la Cour de cassation, les professionnels ont-ils mesuré les incidences financières du contentieux que l'on pourrait voir se développer ? Avez-vous, en particulier, mesuré les incidences sur les primes d'assurance ?

M. le Président : Cette question concerne tout particulièrement les établissements qui maintiendraient des espaces fumeurs, alors que la plupart des établissements seraient non-fumeurs. Les demandes de dérogation ne risqueraient-elles pas, dans ce contexte, de faire monter considérablement les primes d'assurance ?

M. Didier CHENET : À notre connaissance, aucune étude n'a été faite sur le risque financier pour les établissements. Mais j'imagine aisément les dégâts, vu le nombre de salariés que nous employons. En ce qui concerne les primes d'assurance, elles relèvent de la responsabilité du chef d'entreprise. S'il veut installer un fumoir, il en assume la totale responsabilité, en respectant ses obligations vis-à-vis de ses salariés. Par ailleurs, s'il le fait, c'est qu'il pense qu'il va attirer une certaine clientèle, et que son chiffre d'affaires lui permettra de payer sa prime d'assurance.

M. Philippe POUTHÉ : La question posée par M. Fabius est essentielle pour les débitants de tabac, puisque les activités de substitution à la vente de tabac sont un enjeu vital pour la profession. Nous sommes à la recherche de toutes les pistes possibles, y compris celles ouvertes par les pouvoirs publics ou les collectivités locales. On envisage la dématérialisation des timbres amendes. D'autres produits dématérialisés pourraient demain être distribués par nos points de vente, qui constituent un maillage exceptionnel du territoire.

Outre ces perspectives, nous travaillons d'arrache-pied à la diffusion de produits commerciaux nouveaux. Il est d'usage de dire que l'on ignore à ce jour 80 % des produits qui seront vendus dans cinq ans. Cette recherche de produits nouveaux à commercialiser nécessite beaucoup de temps, ainsi qu'une énergie farouche, tout l'enjeu étant de concilier ces développements à venir avec la nécessité de préserver autant que faire se peut la valeur de nos fonds de commerce.

M. Pascal DIETHELM : C'est en 1998 que l'on a ouvert les yeux en mesurant à quel point la controverse autour de la nocivité ou de l'absence de nocivité de la fumée passive était largement entretenue, de manière artificielle, par l'industrie du tabac. C'est en 2003 que l'OMS a classé la fumée passive parmi les agents cancérogènes. Une quarantaine de pays, ou de régions, ont pris des mesures d'interdiction totale de fumer dans les lieux publics. Parmi eux, il n'y a guère que deux ou trois pays à avoir opté pour des fumoirs.

Il faut souligner que c'est dans les pays où l'interdiction a été la plus stricte que la population est le plus satisfaite : le taux de satisfaction est de 98 % en Irlande.

Dans tous ces pays, avant l'entrée en vigueur des mesures d'interdiction, l'industrie du tabac avait prédit toutes sortes de catastrophes, dont la baisse programmée du chiffre d'affaires des établissements concernés. Aucune de ces prédictions ne s'est réalisée. Les choses se sont passées le plus naturellement du monde. J'ai donc l'impression qu'on est en train d'agiter toutes sortes de peurs infondées. J'ai aussi l'impression que les représentants de la restauration sont en train de marquer contre leur camp.

M. Francis ATTRAZIC : Les positions que nous prenons sont essentiellement motivées, monsieur Diethelm, par le souci de préserver une certaine liberté des chefs d'entreprise, en faisant appel à leur responsabilité. Cela n'a rien à voir avec les accusations que vous portez à l'égard de tel ou tel fabricant.

Est-il de notre responsabilité syndicale de faire en sorte que les lois soient bien appliquées ? Nous avons un devoir d'information, et non une obligation de résultat portant sur l'exécution par les entreprises de telle ou telle mesure. C'est à la puissance publique, dépositaire d'un pouvoir de coercition, qu'il appartient de veiller au respect des lois.

Nous demandons qu'il soit possible d'organiser des dispositifs permettant aux fumeurs de fumer dans les établissements. Qu'on les appelle fumoir ou qu'on les nomme autrement importe peu. Nous ne souhaitons pas une interdiction totale.

Le tabac est un enjeu de santé publique colossal, et impose à tous des responsabilités auxquelles nous n'entendons pas nous dérober. Il est clair qu'il faut faire évoluer les choses, mais autrement que par une interdiction totale.

M. le Président : C'est bien le problème auquel nous sommes confrontés. J'entends bien que votre responsabilité est d'informer sur la loi - je ne reviens pas sur le fait que certains syndicats en ont donné des interprétations -, mais c'est un fait que, depuis 1991, les hôteliers et les restaurateurs ont beaucoup de mal à faire appliquer la loi.

M. Francis ATTRAZIC : Je l'ai dit, s'il faut faire évoluer les choses sans tenir compte de nos difficultés, nous sommes « cuits ». Les problèmes de bruit, qui relèvent de la santé publique, sont graves. Une évolution va se dessiner au fur et à mesure que les dispositifs vont se mettre en place. En ce qui concerne le tabac, on a constaté une évolution spectaculaire des comportements comme des conditions d'accueil des différents publics, même si l'on est encore loin de ce à quoi il faudrait arriver. Il est indéniable qu'il faut aller encore plus loin en responsabilisant tout le monde, à commencer par les chefs d'entreprise. Mais il n'est pas bon de raisonner systématiquement en termes d'interdit.

La discrimination entre les grands établissements et les petits est indéniable. A-t-on le droit de dire aux fumeurs de ne fréquenter que les établissements appartenant aux grands groupes ?

M. Gérard AUDUREAU : S'agissant du calendrier, je pense qu'il faut que l'officialisation du principe général de l'interdiction devrait intervenir le plus tôt possible.

Par ailleurs, j'ai sous les yeux le document de l'UMIH auquel je faisais allusion tout à l'heure : « La loi Évin, rien que la loi Évin, mais toute la loi Évin ». Ce document date de septembre 2005, trois mois après l'arrêt de la Cour de cassation qui montre qu'il faut appliquer non seulement la loi Évin mais aussi le code du travail. Dans ce même document, je lis ceci : « En fonction de vos locaux, vous savez que vous pouvez organiser des espaces fumeurs et non-fumeurs comme bon vous semble, sans séparation, sans cloisonnement, sans limitation de surface. Laissez les habitudes de votre clientèle fidèle guider vos options ».

M. Francis ATTRAZIC : Dans le cadre de ce qui existe ! A-t-on le droit de dire aux fumeurs de ne fréquenter que les établissements importants ?

M. Gérard AUDUREAU : En outre, M. André Daguin, président confédéral de l'UMIH, a joint à cette plaquette destinée à 200 000 restaurateurs un courrier dans lequel je lis : « Notre vocation, nos traditions ont de tout temps été axées sur l'esprit de convivialité en société. Je ne veux pas, et vous non plus, que nos établissements deviennent exclusivement non-fumeurs ». Il termine en disant ceci : « Ainsi, nous continuerons de faire vivre notre conception de la convivialité et des plaisirs de la vie, sans exclusive, sans ségrégation, et nous parviendrons à préserver ces espaces de liberté, dans le strict respect de la loi en vigueur ».

M. Véronique BONY : Pour répondre à M. Bapt, l'habilitation des agents du ministère de la santé suppose un décret en Conseil d'État. Nous sommes en discussion avec le ministère de la justice pour la rédaction de ce décret qui dépasse le seul cadre de l'application de la réglementation relative au tabac, puisqu'il concerne aussi, en particulier, le contrôle des infractions aux textes relatifs à l'environnement. La difficulté est que le ministère de la justice souhaite encadrer cette habilitation et cette assermentation, en tenant compte du fait que cette matière implique des procédures pénales. Il souhaite être très vigilant dans la rédaction du décret. C'est la raison pour laquelle celle-ci prend du temps.

Quant à la vente de substituts nicotiniques par les débitants de tabac, elle supposerait l'adoption d'une mesure législative, puisqu'elle nécessiterait de lever le monopole des pharmacies.

M. Gérard DUBOIS : Sur le plan sanitaire, il existe un risque cancérogène certain, mais aussi un risque cardio-vasculaire, qui est quantitativement plus important. La différence est que le cancer se développe en l'espace de plusieurs années, alors que l'infarctus du myocarde produit ses effets en quelques minutes. Cela s'est traduit sur le plan judiciaire. La cour d'appel de Rennes, dans une affaire concernant un barman qui refusait d'être exposé et a été licencié, a indiqué que le fait d'exposer un salarié à la fumée de tabac portait atteinte à son droit à la santé, et que, étant donné que le risque était immédiat, le droit de retrait pouvait être exercé.

Par ailleurs, le principe général, en milieu de travail, et notamment au niveau européen, est que lorsqu'il est possible d'éliminer un produit cancérogène, il doit l'être. Les autres solutions ne doivent intervenir qu'en seconde ligne.

Je précise par ailleurs que l'interdiction totale de fumer produit un effet de dénormalisation. C'est notamment important pour les jeunes. Seule une interdiction totale conduit à une diminution du tabagisme chez les jeunes. Les mesures d'interdiction partielle ont un effet quasi nul sur la consommation des jeunes.

M. Guy BERGER : S'agissant du choix entre la voie législative et la voie réglementaire, j'appelle l'attention sur le fait que si la seconde était choisie, les décrets ne pourraient être rédigés que sur la base de la loi actuelle. Or, celle-ci pose le principe qu'il est interdit de fumer dans les lieux publics, à moins d'aménager des endroits où la liberté de fumer peut s'exercer. L'expérience des quinze dernières années montre que des progrès ont été réalisés, malgré l'absence de dispositions pénales.

C'est dans les établissements publics que la loi a été le plus mal appliquée, qu'il s'agisse des établissements scolaires ou des hôpitaux, où l'on voit encore des infirmières fumer dans les couloirs.

Pourquoi la situation a-t-elle évolué ? D'abord parce que l'idée que les non-fumeurs ont des droits est désormais acquise. Deuxièmement, parce que la Cour de cassation a fait valoir les droits des salariés, ce qui rend difficile la mise en place de zones fumeurs et non-fumeurs.

J'insiste sur le fait qu'une loi a deux significations. Elle a une signification immédiate, celle de l'interdiction ou de l'autorisation de telle ou telle pratique. Elle a aussi une signification plus générale : la loi est un message. De ce point de vue, il est certain que si la loi introduisait une interdiction générale de fumer dans les lieux publics, ce serait un message fort en termes de santé publique. Il n'est pas absolument sûr qu'elle aurait un effet décisif en termes de toxicité. Car, au fond, où pourra-t-on fumer ? Au domicile. Et là, les parents qui fument mettent en danger la santé de leurs enfants. En un certain sens, il vaudrait mieux que le père qui fume aille fumer au café.

M. le Rapporteur : La question se pose pour le substitut du domicile. À cet égard, la législation irlandaise n'a pas étendu l'interdiction aux hôtels, aux prisons et aux établissements médico-sociaux. Or, il y a là des publics fragiles, dont il est curieux qu'ils ne soient pas protégés.

M. Philippe MOUROUGA : Dans la hiérarchie des risques, je souligne que la fumée passive est classée dans la catégorie 1 des produits cancérogènes par le Centre international de recherche sur le cancer.

Par ailleurs, le bruit ne produit pas les mêmes pathologies, et ne se situe pas au même niveau dans la hiérarchisation des risques sanitaires.

S'agissant des niveaux d'exposition, une étude de 2003 du Joint Research Center a montré que les moyens de ventilation ne permettraient pas de diminuer le taux de cancérigènes présents dans l'air en le ramenant à un niveau acceptable par rapport aux normes de pollution environnementale.

M. Francis ATTRAZIC : L'interdiction totale de fumer dans les lieux publics ne résoudra pas entièrement le problème du tabagisme passif. La personne qui fume fumera chez elle. De même, la baisse de fréquentation des cafés n'a pas fait diminuer la consommation d'alcool.

M. Pascal DIETHELM : L'idée que les fumeurs fumeront chez eux si on leur interdit dans les lieux publics a été systématiquement mise en avant dans les pays qui ont décidé des mesures d'interdiction totale. En réalité, c'est le contraire qui s'est avéré. Une interdiction totale a pour effet une diminution générale du tabagisme. D'une part, le nombre de fumeurs diminue. D'autre part, les fumeurs diminuent leur consommation.

M. Vassilis VOVOS : Il me semble que la discussion aurait besoin de plus de perspective. Certains pays ont adopté une interdiction totale, d'autres ont laissé la possibilité d'espaces fumeurs, comme l'Italie, l'Espagne, la Suède, etc. Dans les deux cas, l'objectif était pourtant le même. La question est de savoir ce qui est réaliste et pragmatique. Si vous pensez qu'il est réaliste de modifier radicalement le comportement de 12 ou 14 millions de fumeurs, vous pouvez choisir l'option de l'interdiction totale. Une autre option serait d'admettre des exceptions, par exemple dans un espace fumeurs, ou sur le lieu de travail, dans une zone adaptée. Il faut se demander quelles sont les mesures qui seront le plus susceptibles d'être comprises.

M. Albert HIRSCH : Ce que je viens d'entendre correspond une fois de plus à l'idée qu'il faut diviser la population entre deux groupes, les fumeurs et les non-fumeurs. C'est précisément dans cette division que réside le péché originel de la loi.

M. Berger a souligné qu'une loi était aussi un message. Notre pays compte 30 % de fumeurs. Nous allons leur tendre la main. Or, l'outil le plus puissant pour les aider à arrêter de fumer
- à côté de l'aide directe, dans la tradition clinique -  est l'action sur l'environnement.

M. Gérard DUBOIS : Je voudrais rappeler que l'histoire des effets de l'exposition à la fumée remonte à 1868. Il serait temps d'apporter une solution définitive au problème. Je rappelle également que le tabac a été présent dans des lieux aujourd'hui totalement non-fumeurs. Songeons par exemple aux cinémas, ou encore aux avions. On nous disait qu'il ne serait pas possible de faire un voyage Paris-Los Angeles sans fumer. Or, c'est tout à fait possible. La même évolution a eu lieu dans les trains, qui sont devenus non-fumeurs, non pas pour des raisons liées à des considérations de santé publique, mais parce que la demande des fumeurs était faible. Les Français sont en train d'amorcer la même évolution pour les cafés, qu'ils fréquentent moins aujourd'hui, et où ils reviendront quand ces lieux deviendront non-fumeurs.

M. le Président : Dans le même sens, je rappelle que lorsque les avions d'Air Inter sont devenus non-fumeurs, les motivations du président d'Air Inter étaient purement économiques. Le nettoyage des avions coûtait très cher à la compagnie. De même, la décision de la SNCF répondait à des objectifs économiques, les voitures fumeurs étant beaucoup moins réservées que les voitures non-fumeurs.

Madame, Messieurs, je vous remercie.

Table ronde n° 2, ouverte à la presse :
« Certaines évolutions scientifiques, juridiques et sociétales ne justifient-elles pas un nouveau cadre juridique ? »,
réunissant :
M. Vassilis Vovos, président de Japan Tobacco International ;
M. Franck Trouet, directeur du service juridique et social
du Syndicat national des hôteliers restaurateurs cafetiers et traiteurs (SYNHORCAT) ;
M. René Le Pape, président
de la Confédération nationale des débitants de tabac
M. Francis Attrazic, vice-président confédéral
de l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH) ;
M. le Professeur Gérard Dubois, président de l'Alliance contre le tabac ;
M. le Professeur Albert Hirsch, vice-président
de la Ligue nationale contre le cancer ;
M. Gérard Audureau, président de l'association Droits des non-fumeurs ;
M. le Professeur Yves Martinet, président
du Comité national contre le tabagisme (CNCT) ;
Mme Bernadette Roussille, membre
de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) ;
Mme Véronique Bony, chef-adjointe du bureau des pratiques addictives à la Direction générale de la santé (DGS) ;
Mme Chantal Fontaine, chargée de mission justice de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT) ;
Docteur Philippe Mourouga, directeur
du département « prévention et dépistage » de l'Institut national du cancer ;
Mme Théa Emmerling, responsable des mesures législatives en préparation à la Direction générale de la santé de la Commission européenne ;
M. Guy Carcassonne, juriste ;
M. le Professeur Bertrand Dautzenberg, auteur du rapport du groupe de travail de la Direction générale de la santé sur le tabagisme passif
(mai 2001)
M. Pierre Sargos, président de la Chambre sociale de la Cour de cassation


(Extrait du procès-verbal de la séance du 21 juin 2006)

Présidence de M. Claude ÉVIN, président

M. le Président : Mesdames, Messieurs, je vous souhaite la bienvenue à cette deuxième table ronde consacrée aux évolutions scientifiques, juridiques et sociétales.

Notre mission d'information a commencé ses travaux par une audition de Mme Roussille, de l'IGAS, auteur du rapport remis au ministre en décembre 2005. Mme Roussille a accepté de nous accompagner tout au long du cycle, que nous avons ouvert la semaine dernière, de six tables rondes thématiques articulées autour de trois grands thèmes : la nécessité ou non de réformer le régime juridique actuel, les contours de la réforme et son support juridique - loi ou simple règlement - et les conditions de réussite de la réforme, notamment ses modalités d'accompagnement. La mission s'est fixée comme objectif de remettre ses conclusions pour la rentrée parlementaire d'octobre.

Nous examinerons aujourd'hui la question des évolutions tant scientifiques que juridiques et sociétales intervenues depuis la loi de 1991 et qui peuvent justifier un nouveau cadre juridique.

Sur le plan scientifique, personne ne peut plus contester aujourd'hui la nocivité du tabagisme passif, que les fabricants du tabac ont longtemps niée, même si la palette des dangers et l'étendue des populations concernées restent à préciser. Il ne serait pas non plus inutile d'avoir un éclairage scientifique sur la persistance du risque dans les locaux où il y a eu consommation de tabac
- elle se posera notamment lorsque nous aborderons le débat sur les « substituts de domicile », les maisons de retraite notamment, ou le débat sur les fumoirs - ou encore sur les risques de déplacement de l'addiction au tabac vers d'autres produits.

Sur le plan juridique, la situation a également évolué. Le Conseil constitutionnel, déjà saisi sur la loi de 1991 au motif que celle-ci pouvait porter atteinte à la liberté d'entreprendre, avait répondu qu'il existait des principes supérieurs - ainsi le droit à la santé, proclamé dans le préambule de la Constitution de 1946. Tout porte à croire que cette appréciation vaut encore aujourd'hui, d'autant que l'introduction récente de la Charte de l'environnement dans notre bloc de constitutionnalité y a désormais consacré le principe de précaution et le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. En matière de droit international, la France a été l'un des premiers pays à ratifier la convention cadre de l'Organisation mondiale de la santé (OMS), récemment entrée en vigueur. En matière jurisprudentielle enfin, l'arrêt de la Cour de cassation du 29 juin 2005 précisant que l'employeur est tenu à une obligation de sécurité de résultat en matière de lutte contre le tabagisme risque d'avoir des conséquences non négligeables. Je remercie à cet égard M. Pierre Sargos, président de la chambre sociale de la Cour de cassation, d'être des nôtres ce matin. Verra-t-on un jour la faute inexcusable de l'employeur invoquée à propos du tabagisme passif, comme ce fut le cas avec l'amiante ?

Pour finir, nous examinerons la dimension européenne de cette question, tant sur le plan juridique que sur celui des évolutions sociétales. Je remercie Mme Théa Emmerling, représentante de la Commission européenne, d'avoir accepté d'intervenir sur l'un et l'autre de ces aspects.

Nous aborderons successivement chacun de trois grands thèmes retenus en commençant par celui des évolutions scientifiques, sur lequel s'exprimera en premier le professeur Dautzenberg, auteur en 2001 du rapport du groupe de travail de la Direction générale de la santé sur le tabagisme passif.

M. Bertrand DAUTZENBERG : À elles seules, les fumées du tabac tuent chaque année en France davantage que l'alcool, drogues illégales, sida, assassinats, accidents domestiques, suicide, catastrophes naturelles et accidents de la circulation confondus... C'est véritablement le pire des polluants en termes de risque sanitaire. On sait qu'un fumeur consommant un paquet par jour a une chance sur deux d'en mourir prématurément, et s'il en meurt, une chance sur deux de disparaître avant l'âge de la retraite. Le taux de mortalité lié à la maladie tabagique est donc identique à celui d'un cancer et son traitement souvent aussi difficile : un fumeur sur deux seulement est en rémission, autrement dit ne fume plus après trois mois et le taux de rechute dans l'année atteint lui aussi 50 %. Comme le dit l'OMS, les fumées du tabac sont bien la première cause de mort évitable dans notre société.

Car il n'y a pas une, mais bien « des » fumées du tabac. Le courant principal que le fumeur inhale à raison de quinze bouffées environ de cinquante millilitres, soit à peu près trois quarts de litre de fumée, contient de l'ordre d'un milliard de particules d'un diamètre de 0,28 micromètre, soit juste la taille de celles émises par les anciens moteurs diesel... Mais entre deux bouffées, quand le feu couve et la combustion est moins bonne, la fumée devient encore plus toxique. Une cigarette laissée dans un cendrier ne libère plus un milliard, mais cinq milliards de nanoparticules de 100 nanomètres, beaucoup plus petites, et qui vont au fond des poumons. Ajoutons que cette fumée contient, du fait de la mauvaise combustion, dix fois plus de monoxyde de carbone, douze fois plus de benzopyrène et cinquante fois plus d'arséniures que le courant principal inhalé par le fumeur !

Ainsi, une cigarette fumant toute seule dans une voiture arrêtée fait monter à 9 ou 10 ppm le taux de monoxyde de carbone dans l'habitacle, alors que l'alerte à la pollution dans la rue est déclenchée à 8,5 ppm. Une cigarette brûlant dans un cendrier au milieu d'une pièce de soixante mètres cubes - taille de mon bureau - multipliera par quinze le taux de particules dans l'air jusqu'à arriver à 250 000 par centimètre cube, et il faudra trois heures pour qu'il retombe à 15 000. Des mesures effectuées dans le cadre d'une étude européenne avaient fait apparaître des taux de nicotine étonnamment élevés dans des salles non-fumeurs de restaurants : vérification faite, on s'est aperçu que le personnel y déjeunait et fumait entre onze heures et midi, avant d'accueillir les clients dans une atmosphère qui restait chargé de nicotine plusieurs heures durant. Il faut compter trois heures pour que le taux de particules revienne à la normale et l'imprégnation des tentures et tissus crée un effet de « relargage » très prolongé - mais sur lequel nous n'avons pour l'heure aucune donnée sanitaire précise.

Le taux de pollution intérieure des locaux - où nous passons les trois quarts de notre temps - peut devenir énorme et dépasser de très loin les normes acceptées dans les rues de nos villes. Il serait logique d'exiger les mêmes normes à l'intérieur et à l'extérieur. Une étude effectuée par 60 millions de consommateurs dans les restaurants de Paris montrait qu'à midi, plus de la moitié des établissements dépassait le niveau d'alerte à la pollution pour le monoxyde de carbone ; qui plus est, le taux est plus élevé dans les zones non-fumeurs où est installé le dispositif d'aspiration ! Sur dix boîtes de nuit parisiennes, examinées dans les mêmes conditions, une seule ne dépassait pas le niveau d'alerte, deux dépassaient les 80 ppm et une atteignait 120 ppm, soit quinze fois le niveau d'alerte. Rappelons qu'au-dessus de 80 ppm, l'OMS recommande de s'échapper du local dans les quinze minutes... Autant de situations totalement inacceptables, pour les salariés comme pour les usagers. Dans les bars à chicha, actuellement très en vogue, les taux sont également très élevés, trois ou quatre fois supérieurs au seuil d'alerte.

En termes de santé publique, ne pas appliquer l'interdiction globale de fumer dans ces lieux, justement les plus pollués, relève de l'incohérence la plus totale. Un peu comme si l'on supprimait la limitation de vitesse dans un virage particulièrement dangereux au motif que les gens sont libres et qu'il faut bien s'amuser... Laisser fumer dans les bars et les boîtes de nuit est totalement incompréhensible lorsqu'on prétend se soucier de la santé de nos concitoyens comme l'exige la Constitution.

La pollution dans les locaux tue, et souvent rapidement. Beaucoup de gens croient que le tabagisme tue une quinzaine d'années plus tard ; ce n'est pas la vérité. Pour le fumeur, la mortalité est pour moitié liée au cancer ; mais l'essentiel de la mortalité liée au tabagisme passif est d'origine cardio-vasculaire et donc immédiate. J'ai quarante ans et les coronaires un peu bouchées, je vais en boîte de nuit, je bouge un peu, je m'asphyxie et deux heures après, je suis mort...

Chez les enfants, le tabagisme passif est responsable d'un doublement de la mort subite du nourrisson, d'une augmentation du nombre des infections respiratoires - un quart de plus si un parent fume, 50 % avec deux fumeurs à la maison, 75 % s'il y en a trois - et des crises d'asthme. Les dépenses d'antibiotiques qui en découlent dépassent de très loin le prix des produits de sevrage tabagique. Il n'est pas normal en 2006 que des enfants ou des femmes enceintes soient admis dans des locaux et des véhicules où l'on fume, où l'on a fumé depuis moins de trois heures.

Chez l'adulte, la fumée du tabagisme passif augmente d'un quart le risque de cancer du poumon - ce qui n'a finalement pas grande conséquence dans la mesure où celui-ci est très faible chez le non-fumeur -, mais également le risque cardiaque, ce risque est beaucoup plus élevé : on compte environ 2 000 morts par accident ou thrombose liés au tabagisme passif. Une magnifique démonstration en a été donnée dans le canton d'Hellena, aux États-Unis, 66 000 habitants, où il avait été partout interdit de fumer : 40 % d'infarctus du myocarde en moins. Six mois plus tard, la décision ayant été cassée, le taux est revenu au même niveau qu'ailleurs. La preuve est faite que le tabagisme passif tue, et tout de suite.

Pour ce qui est de la femme enceinte, un article publié dans le bulletin épidémiologique hebdomadaire de l'Institut national de veille sanitaire (InVS) de mai, outre les effets évidents sur l'enfant d'une mère fumeuse, a montré que si le père a plus de 20 ppm de monoxyde de carbone dans l'air expiré - en gros, s'il fume un paquet par jour -, l'enfant pèsera en moyenne 350 grammes de moins, alors même que la maman ne fume pas... Ce tabagisme doublement passif - j'enfume la femme enceinte qui elle-même enfume son bébé - a donc de lourdes conséquences sur l'état de santé ultérieur de l'enfant. Là encore, le bénéfice de la disparition de la fumée est rapide, puisque le résultat est patent neuf mois plus tard.

Quand bien même le tabagisme passif est souvent subi dans les lieux privés, son interdiction dans les lieux publics règle une partie du problème et change la norme sociale : l'expérience des pays qui l'ont interdit montre que dans ce cas, on n'hésite plus à poser des règles à la maison.

Pour ce qui est des lieux de travail, une étude réalisée sur 14 000 employés de bureaux dans les tours de Hong-Kong a montré qu'une exposition à la fumée du tabac se traduisait par 35 % de plus de consultations chez le médecin, quelle qu'en soit la cause, dans les quinze jours qui suivent. Tout cela, une fois encore, se traduit par des dépenses médicales supplémentaires que l'on pourrait consacrer à la prise en charge de l'arrêt du tabac. Les études faites sur la santé des personnels après l'entrée en vigueur de l'interdiction, en Irlande notamment, font apparaître un gain considérable : bien-être accru, diminution des symptômes respiratoires, des maladies, du taux de nicotine dans les urines, baisse des arrêts de travail.

Si, à la fin des années 1980, les connaissances sur le tabagisme passif étaient relativement incomplètes, elles sont désormais parfaitement établies. Le centre international de recherche sur le cancer a publié en 2004 un livre de 1 500 pages qui, reprenant toutes les études et les références bibliographiques en la matière, montre de façon parfaitement claire que la fumée secondaire du tabac est elle aussi un cancérogène de catégorie 1, mais également une substance mutagène et reprotoxique, y compris pour les deuxièmes générations. Et pourtant, 1 500 000 travailleurs français y restent exposés plus de trois quarts de leur durée de travail. Un rapport de l'Académie de médecine remis à la Direction générale de la santé (DGS) estime à 2 500 ou 3 000 le nombre de non-fumeurs morts de tabagisme passif. Un récent rapport européen avance le chiffre de 5 840 morts en France de tabagisme passif, mais en intégrant la fumée secondaire des fumeurs qui, eux-mêmes, sont les premières victimes du tabagisme passif. En fumant une cigarette dans une voiture close, on absorbe plus de nicotine et de substances toxiques par la fumée émise dans l'habitacle que par les 750 millilitres que l'on avale par la cigarette. Dire aux fumeurs d'aller fumer dehors, c'est leur rendre service en leur évitant la double peine : s'intoxiquer tout à la fois par le courant principal et par le courant secondaire...

J'ai vécu, en tant que pneumologue, l'affaire de l'amiante en 1976. On savait que l'amiante était dangereux, mais on en savait infiniment moins sur les expositions à faibles doses que l'on en sait sur le tabac maintenant - ce qui explique le compromis auquel on s'était résolu à l'époque. J'ai également vécu l'affaire du sang contaminé. Il n'avait fallu que trois mois à Laurent Fabius entre la prise d'un décret et le contrôle effectif : pour une fois, la santé publique est allée vite, ce qui n'a pas empêché de parler de Haute cour de justice quelques années plus tard... Dans le cas du tabac, on a des rapports « béton », le Collectif d'information et de recherche sur le cancer (CIRC), le Bureau international du travail (BIT) et jusqu'aux fabricants sont d'accord pour reconnaître les dangers liés à la fumée du tabagisme passif, et l'on reste les mains dans les poches en regardant les morts ! En termes de santé publique, c'est totalement incompréhensible et inacceptable. Depuis le moment où Yves Bur a présenté sa proposition de loi, 2 300 personnes sont mortes du tabagisme passif, cependant que la consommation a baissé de 8 à 10 % dans les pays où l'on a interdit de fumer dans les lieux publics... Au total, 7 000 morts grosso modo auraient été évitées. N'attendez donc pas trop pour prendre des décisions claires et nettes. Si la France s'y résolvait aujourd'hui, elle viendrait juste après la Lituanie : s'il nous fallait y venir après tout le monde en Europe, ce serait autrement plus honteux - sans compter, après les précédents de l'amiante et du sang contaminé, les procès et les conséquences juridiques auxquels il faudra s'attendre dans les cinq ans à venir.

M. le Président : Peut-on encore débattre après une telle intervention ?...

M. Philippe MOUROUGA : J'ai préparé à la demande de la mission une note synthétique sur l'évolution des connaissances depuis l'entrée en vigueur de la loi Évin. Pour ce qui est des cancers et des effets cancérogènes, l'évidence est allée croissant. Ce que le Surgeon general avait déjà prouvé en 1986 a été corroboré par le rapport du CIRC en 1987 et celui du National Health Institute en 1999 qui a de surcroît mis en avant la dangerosité et les effets cancérogènes du tabac sur les lieux de travail. Le CIRC a classé en 2002 la fumée du tabac parmi les carcinogènes du groupe 1 ; son rapport de 1987, comme celui de l'OMS en 2000, avaient déjà conclu à l'absence de seuil pour ce risque. Le risque de cancer des sinus avait été démontré en 1987 dans un rapport de l'agence de protection environnementale de Californie, confirmé par un rapport de l'OMS en 2000 ; un rapport de la même agence californienne en 2005 a conclu à un risque accru de cancer du sein chez la femme préménopausée.

Avant 1997, une seule étude avait été menée sur les cancers chez les enfants de fumeurs, contre six après 1997. La possibilité d'association causale, non démontrée en 1997, est désormais probable. Les cancers naso-pharyngés, sur lesquels nous n'avions aucun élément, ont fait depuis 1997 l'objet de quatre études établissant elles aussi une probabilité d'association causale.

Autrement dit, l'évidence n'a fait que croître au fil des études et la probabilité d'association a été établie pour de multiples localisations. Et cette comparaison entre les évidences de 1997 à nos jours vaut également pour les maladies cardiovasculaires, la morbidité et la mortalité périnatale.

Il m'a par ailleurs été demandé d'étudier le contexte scientifique de 1991 et les évolutions survenues depuis au regard des populations à protéger du tabagisme passif. En 1991, on reconnaissait le droit de la population des non-fumeurs à être protégée ; mais depuis les travaux de la convention cadre, le principe a été acquis d'une protection des fumeurs et pas seulement des non-fumeurs. En 1991, les restaurants, cafés et bars-tabac étaient considérés comme des lieux publics ; mais les travaux réalisés par l'Institut national de santé publique du Québec amènent à une nouvelle notion : celle d'une population exposée à un risque accru dans les lieux de travail, cependant que la notion de seuil d'exposition a volé en éclats depuis les travaux de l'OMS sur la qualité de l'air. Alors que les techniques de ventilation étaient auparavant considérées comme potentiellement capables d'assurer une protection dans les lieux publics, la conférence des parties de la convention cadre en est venue, à l'issue de tout un travail bibliographique, à considérer qu'il n'existait pas de solution technique capable de protéger réellement les populations dans les lieux fermés.

M. le Président : Je précise que nous reviendrons sur la convention cadre dans la partie juridique de notre table ronde.

M. Pierre MORANGE, rapporteur : Cet exposé des motifs est particulièrement spectaculaire et pédagogique... J'ai été frappé par l'extraordinaire réactivité dans le domaine des pathologies cardiovasculaires mise en évidence par les études réalisées dans le canton d'Hellena aux États-Unis : les résultats observés en l'espace d'un mois après la fin de l'interdiction de fumer sont proprement stupéfiants, au point que l'on pourrait croire à un effet statistique. Pouvez-vous nous les confirmer ?

Quel est par ailleurs votre sentiment sur la persistance du risque dans les locaux où l'on a consommé du tabac ? Cette question vaut tout particulièrement pour les « substituts de domicile », établissements médico-sociaux, milieu carcéral, etc., où des populations fragilisées - mais également les personnels de nettoyage, par exemple - peuvent être exposés à un risque réel. Il faut compter trois heures, ai-je entendu, pour voir le taux de particules revenir à la normale. Mais plus généralement, quelle est votre position sur le plan strictement sanitaire ?

Enfin, quels sont les risques de déplacement de l'addiction au tabac vers des produits plus dangereux, médicaments ou alcool, notamment chez les publics en situation de précarité ?

M. Bertrand DAUTZENBERG : Un des effets toxiques du tabac est directement lié au monoxyde de carbone dont la durée de vie dans le sang est de six heures. Une excellente démonstration en est régulièrement faite dans les blocs opératoires : si vous fumez avant une intervention, vous avez trois fois plus de complications et de cicatrices, 50 % de passage de plus en réanimation et deux jours supplémentaires d'hospitalisation en moyenne par rapport à ce qui vous arriverait si vous arrêtiez de fumer six ou huit semaines avant. Même à trois ou quatre semaines, le bénéfice est évident : deux jours après avoir arrêté de fumer, votre taux de monoxyde de carbone descend de 20 ou 25 à zéro ; au bout d'une semaine, votre circulation s'améliore et votre peau devient plus rose. Et pour ce qui est du risque cardio-vasculaire, le tabac a un effet mineur sur la paroi des vaisseaux, sur l'artériosclérose, mais a un effet immédiat et majeur sur le risque de thrombose des vaisseaux.

Le risque d'un transfert de l'addiction est pratiquement nul : chez les adolescents, c'est même le contraire. Lutter contre le tabac chez les jeunes, c'est également lutter contre le cannabis et contre l'alcool. Prétendre que la somme des vices est constante est d'une totale stupidité et contraire à la réalité, si ce n'est dans 5 % des cas, liés à des problèmes psychiatriques lourds. L'expérience constante prouve que lutter contre une drogue en élimine d'autres. Certes, un héroïnomane qui s'arrête aura tendance à fumer un peu plus au moment du sevrage, mais ces variations sont tout à fait accessoires : le danger est nul, alors que l'espérance du contraire est énorme.

Pour ce qui est de la persistance du risque, le taux de nicotine dans une salle où l'on a fumé reste deux ou trois heures après à un niveau phénoménal. Les microparticules finissent par tomber au sol, mais peuvent tout aussi rapidement s'envoler de nouveau. Cela dit, si le phénomène de « relargage » le lendemain ou le surlendemain à partir des tissus et tentures imprégnés est prouvé - ce qui explique la persistance de l'odeur de tabac froid -, l'effet sanitaire n'en a encore jamais été mesuré. C'est clairement désagréable, mais personne ne peut dire si c'est mauvais pour la santé.

M. Philippe MOUROUGA : Trois études, en 2000, 2001 et 2003, ont porté sur les problèmes de ventilation, mais aucune recherche n'a porté sur le phénomène de relargage, du reste très compliqué à étudier. Nous nous retrouvons là devant la problématique classique : d'un côté un risque avéré de cancer lié à la fumée secondaire immédiate, mais aucune certitude à propos de la fumée secondaire différée. Pour autant, on ne peut affirmer qu'il n'y a pas de risque d'un relargage de substances toxiques. Ajoutons qu'il s'agit de particules de très petite taille et que des études ont mis en évidence la persistance de taux élevés de monoxyde de carbone.

M. le Rapporteur : Dispose-t-on de suffisamment d'éléments dans le domaine de l'addictologie permettant de conclure à l'absence de risque de transfert ?

M. Bertrand DAUTZENBERG : Les études effectuées sur les jeunes Parisiens ont montré que les mesures prises contre le tabac en 2003 et 2004 ont fait considérablement chuter la consommation chez les plus jeunes, mais également cassé l'expansion du cannabis, alors même qu'il n'a fait l'objet de mesures spécifiques qu'un an plus tard. Même constatation pour l'alcool : chez les jeunes, c'est prouvé, clair, indiscutable. La réponse est également positive pour les adultes non polytoxicomanes. Elle est seulement mitigée pour les héroïnomanes dont le nombre en France est très restreint : ils se reportent sur le tabac comme ils le feraient sur le Subutex. Mais il s'agit là d'un phénomène très marginal.

M. le Rapporteur : Mais mise à part cette population très particulière, avez-vous suffisamment de données précises sur d'autres milieux - carcéral et psychiatrique, par exemple ?

M. Bertrand DAUTZENBERG : Oui. À l'hôpital psychiatrique Esquirol de Saint-Maurice, par exemple, devenu totalement non-fumeur, on a noté en 2006 une amélioration considérable de l'ambiance générale, une diminution des prises d'alcool et de la consommation de médicaments. La preuve est faite, même dans les cas les plus extrêmes.

M. Yves MARTINET : Il ne faut pas se fier à son nez pour savoir si une ambiance est toxique : quand bien même l'odeur de tabac a disparu, les polluants restent. Quant à l'expérience d'Helena, elle a été confirmée par une deuxième étude réalisée à Pueblo, dans le Colorado. Enfin, la question, légitime, du risque de déplacement de l'addiction a été explorée dans les pays qui ont mis en place une législation restrictive : aucune preuve d'un phénomène de ce genre n'a été rapportée dans la littérature scientifique.

M. Yves BUR : Nous avons depuis 1992 accumulé nombre de connaissances scientifiques sur le tabagisme passif et sa dangerosité. À cette époque, on se préoccupait davantage de la gêne qu'il occasionnait que du danger qu'on lui supposait. Mais aujourd'hui, la réalité du risque est avérée, notamment sur la santé de 1,5 million de salariés exposés plus des trois quarts du temps au tabagisme passif. Autrement dit, il est bel et bien nécessaire de prendre en compte ces nouvelles connaissances, de modifier notre législation, mais également, le risque étant désormais avéré, d'en tirer les conséquences en termes de responsabilité des employeurs.

M. le Président : Les représentants de l'industrie du tabac ou des gestionnaires de lieux où l'on fume ont-ils des arguments à opposer à ces exposés scientifiques ?

M. Francis ATTRAZIC : Il serait totalement stupide de méconnaître les effets nocifs du tabac et de prétendre passer outre, tant la démonstration est claire. Le tabagisme est un problème de santé publique sur lequel les pouvoirs publics se doivent de prendre une position. Pour notre part, nous avons été invités ici pour faire remonter le sentiment des professionnels. Or ceux-ci, en l'état actuel de leurs connaissances et de l'application, plus ou moins correcte, du dispositif de la loi Évin, ne sont pas partisans d'une interdiction totale, pour des raisons d'ordre principalement économique. Mon rôle est de relayer la préoccupation de mes mandants et de faire entendre leur message, et celui des pouvoirs publics de prendre leurs responsabilités au vu des éléments qui leur sont présentés.

Si une interdiction totale de fumer était décidée du jour au lendemain, il faudrait nous adapter. Des expériences de restaurants non-fumeurs ont été tentées à Paris notamment, mais pour l'heure, la profession n'est pas totalement prête à une interdiction totale de fumer. Les positions ont déjà très largement évolué dans les hôtels et maintenant dans les restaurants, beaucoup moins dans les tabacs, brasseries ou bars-tabac pour des raisons tenant à la configuration et à l'équipement de ces entreprises. Cela dit, un gros travail de sensibilisation a été engagé et se poursuivra afin de responsabiliser au maximum nos mandants. L'idée notamment de faire subir à risque à ses salariés est inacceptable pour tout chef d'entreprise, mais la profession n'est pas pour autant convaincue qu'il faille en arriver à l'interdiction totale.

M. Yves BUR : J'entends pleinement assumer ma responsabilité de politique, mais ne pensez-vous pas que les employeurs que vous êtes devront assumer la leur vis-à-vis de leurs salariés et en tirer les conséquences, après le tableau cataclysmique que l'on vient de nous dresser ? Les risques liés au tabagisme passif sont plus établis encore que les risques liés à l'amiante. Vous devriez accompagner les politiques dans la prise en charge des responsabilités, plutôt que de leur mettre sur le dos la part qui vous revient.

M. Francis ATTRAZIC : Je n'ai pas dit autre chose. La mise en place de la loi Évin, reconnaissons-le, a pris dix ou douze ans et le phénomène du tabagisme passif n'a revêtu une importance particulière que depuis ces derniers mois...

M. le Président : Ces dernières années.

M. Francis ATTRAZIC : Soit, mais une importance sans commune mesure avec celle qu'on lui accordait en 1991. Rappelons enfin que l'UMIH, si elle a fait tout le travail qui lui revenait en la matière, n'a pas pour autant la responsabilité de l'application pure et dure des dispositions légales dans les établissements : celle-ci relève exclusivement du chef d'entreprise. La nôtre se borne à la transmission de l'information.

M. Yves BUR : C'est se laver les mains...

M. Francis ATTRAZIC : Pas du tout !

M. Albert HIRSCH : Je me permets de reposer la question du président : l'ensemble des auditeurs ici présents et particulièrement les acteurs économiques, au premier rang desquels les représentants de l'industrie du tabac, partagent-ils ou contestent-ils les évidences scientifiques ici même exposées ? Dans l'affirmative, la mission d'information aura fait un grand pas en avant en considérant que le tabagisme passif expose effectivement à des risques avérés.

M. Vassilis VOVOS : Président de Japan Tobacco International France, je représente également quatre des cinq membres de la Fédération des industries du tabac. Nous nous sommes clairement engagés à mettre au point de nouvelles règles afin que les non-fumeurs n'aient pas à souffrir de la fumée ambiante dans leur quotidien.

M. le Président : Restons-en aux aspects strictement scientifiques. Quatre autres tables rondes sont prévues sur les autres sujets.

M. Vassilis VOVOS : Ayant reconnu les faiblesses de l'application de la loi Évin, nous devons travailler à élaborer des règles claires et réellement protectrices des non-fumeurs. Mis à part le débat scientifique, il y a une préoccupation accrue chez les non-fumeurs et la société doit s'organiser pour leur garantir un environnement libre.

Cela dit, deux ou trois points des exposés précédents méritent discussion. L'objectif est-il également de protéger les fumeurs contre eux-mêmes et non plus les seuls non-fumeurs ? C'est là un débat plus général, qui aura des implications sur le plan de la jurisprudence, mais également sur des questions telles que celle des fumoirs séparés. Faut-il envisager des espaces fumeurs ? Si je comprends bien ce que viennent de dire les experts, on ne peut pas affirmer de manière scientifique que des personnes entrant dans un espace où l'on a fumé par le passé courent un risque pour leur santé.

M. le Président : Ce n'est pas exactement ce que le professeur Dautzenberg a affirmé, et cela à deux reprises.

M. Bertrand DAUTZENBERG : La réponse est claire : s'il s'agit de quelques heures, il y a un risque. Après, on n'en sait rien. Mais dans la mesure où un produit dangereux est en cause, il devrait revenir au fabricant de prouver, études à l'appui, qu'il n'y en a pas...

M. Philippe MOUROUGA : Le propos doit être inversé. On sait qu'il y a un risque, avec un gradient. Vous ne savez pas si, en bas de l'échelle, le risque est avéré, mais vous ne pouvez pas affirmer qu'il ne l'est pas, bien au contraire : tout porte à croire, au vu des résultats des travaux réalisés durant les quinze dernières années, que des études conduites sur le relargage finiront à terme par le mettre en évidence.

M. Vassilis VOVOS : Imaginons qu'une personne, après avoir fumé autre part, entre dans un environnement non-fumeur... Est-ce que vous pouvez poser un benchmark en la matière ?

M. Pierre BOURGUIGNON : L'idée d'imposer des règles identiques dans tous les milieux professionnels s'est heurtée notamment à l'opposition des propriétaires de restaurants, cabarets et autres lieux recevant du public et où l'on consomme du tabac, lesquels, par crainte d'une catastrophe économique, défendaient le principe d'une séparation renforcée entre fumeurs et non fumeurs. Mais comment réagissent-ils à ces informations scientifiques très précises, vérifiées, confirmées, montrant que, loin de réduire le risque, les techniques de séparation et d'isolement en viennent même à l'accroître dans certaines situations, par le jeu notamment des dispositifs d'aspiration ?

M. Gérard BAPT : Le Premier ministre ayant refusé de trancher sur les propositions du ministre de la santé, une mission parlementaire a été constituée afin de trouver, avec l'ensemble des partenaires concernées, des solutions à même de répondre au risque de santé publique, mais également au risque juridique auquel seront inévitablement confrontés les chefs d'entreprises. S'il n'avait fallu prendre en compte que les préoccupations des mineurs, jamais on n'aurait engagé la restructuration de la sidérurgie, pourtant industriellement et socialement indispensable... Les représentants que vous êtes, messieurs Attrazic et Le Pape, devraient répercuter les informations que vous trouvez ici même afin de faire évoluer les sentiments de votre base et de la faire sortir de cette position de refus systématique - à laquelle le Premier ministre semble avoir été sensible, puisqu'il a refusé de trancher !

Dans l'autre sens, notre mission se doit de prendre en considération les problèmes économiques des distributeurs et le cas spécifique des bars-tabacs ; loin d'être un théâtre d'affrontement, c'est le lieu où doivent être trouvées les solutions respectant tout à la fois les impératifs absolus de santé publique, y compris sur le plan des conséquences juridiques, et les intérêts économiques de chaque corporation. Il n'y a pas si longtemps, l'État attribuait aux victimes de guerre des licences de vente de tabac ou d'alcool... Les temps ont changé, mais il ne sert à rien de se figer dans des attitudes purement défensives.

M. René LE PAPE : Nous apprenons ici même qu'aucune solution technique ne permet de régler le problème du tabagisme passif. Or bon nombre de professionnels préoccupés par ce phénomène s'étaient déjà équipés d'extracteurs d'air, d'épurateurs et autres, à la satisfaction générale de leur clientèle comme de leurs employés qui y avaient vu une notable amélioration de leurs conditions de travail. Une étude a-t-elle été engagée sur les performances de ces appareils ou est-il d'ores et déjà établi qu'aucun n'est efficace - ce que, pour ma part, je conteste ? Nos établissements n'ont plus rien à voir avec les salles enfumées du passé et les comportements tant des professionnels que des fumeurs a considérablement évolué. Nul doute que si l'on pouvait agréer certains équipements, nos collègues s'empresseraient de les installer dans leurs établissements.

M. le Président : Je précise que nous auditionnerons les fabricants d'extracteurs le 5 juillet prochain.

M. Franck TROUET : Au risque de heurter certains de mes collègues, je crois qu'il est temps d'en finir avec cette distinction systématique entre les professionnels - employeurs comme salariés - et les clients. Les uns comme les autres sont légitimement préoccupés par leur santé : en tant que directeur juridique du SYNHORCAT, je rencontre quotidiennement des patrons qui eux aussi en ont assez de travailler en permanence dans la fumée de cigarette. Les professionnels ont parfaitement conscience de s'exposer à un danger réel pour leur santé. Dans ces conditions, pourquoi, alors que notre organisation lance avec la mairie de Paris le label « 100 % sans tabac », ne recense-t-on que cent ou deux cents établissements non-fumeurs ? Tout simplement pour des raisons de concurrence entre établissements fumeurs et non fumeurs. Si, comme l'a exposé notre président Didier Chenet la semaine dernière, nous prônons l'interdiction totale de fumer dans nos établissements, c'est parce que nous considérons que c'est le seul moyen de régler ce problème de santé publique, mais également de couper court au risque juridique qui se posera désormais. Loin de vouloir toujours freiner, nous demandons au contraire une intervention.

M. le Rapporteur : La table ronde du 5 juillet aura pour but d'aborder la thématique économique et les incidences financières d'un durcissement de la réglementation. Parallèlement se dérouleront des auditions plus classiques destinées à affiner, au besoin, les aspects tant économiques que jurisprudentiels qui, c'est bien normal, préoccupent les professionnels au premier chef. Le but reste d'aboutir de manière coordonnée au résultat souhaité au vu des évidences scientifiques rappelées par les professeurs Dautzenberg et Mourouga.

M. Bertrand DAUTZENBERG : La fumée du tabac contient 4 000 composants, dont des grosses particules, des microparticules et des gaz. Si les filtres arrêtent les grosses particules, les microparticules cancérogènes de 0,1 micron les traversent, de même évidemment que les gaz toxiques. On filtre ce qui se voit, cela sent moins mauvais et c'est précisément plus trompeur. C'est du reste à cela que tend toute la technologie de la cigarette : si les vieilles Gauloises faisaient tousser, cracher et donnaient mal à la gorge, avec les nouvelles cigarettes, les petites particules vont tout droit au fond du poumon et vous avez directement la bronchite chronique, l'emphysème et l'infarctus, sans jamais avoir toussé ni craché !

M. Philippe MOUROUGA : Un rapport OMS de 2000 et un autre de l'autorité irlandaise en 2002 concluent que, même après une épuration de 90 % de l'air, le risque reste 1 500 à 2 000 fois supérieur à celui admis pour les polluants atmosphériques. Pour ce qui est des aspects économiques, je vous renvoie à une publication de Michèle Scollo en 2003 qui reprend et analyse quatre-vingt-dix-sept études sur la question124 ; une étude sur la variation du chiffre d'affaires à New-York fait même apparaître une évolution plus positive que négative. Je tiens toutes ces données à la disposition de la mission.

M. le Président : Je remercie le professeur Guy Carcassonne d'avoir accepté d'intervenir sur le cadre constitutionnel. Saisi par des parlementaires sur la loi de 1991, le Conseil constitutionnel avait estimé que la liberté d'entreprendre devait céder le pas à un droit fondamental supérieur, le droit à la protection de la santé inscrit en préambule de la Constitution de 1946. Depuis, l'introduction de la charte de l'environnement dans les principes constitutionnels a consacré le droit à vivre dans un environnement sain. Pouvez-vous nous tracer le cadre constitutionnel de la préservation de la santé au regard de la protection des non-fumeurs ?

M. Guy CARCASSONNE : Le problème a été assez rapidement évoqué, mais en des termes sur lesquels j'ai personnellement des opinions assez contrastées.

La protection de la santé publique est un principe constitutionnel dont l'existence ne peut faire de doute, quand bien même il est permis de ratiociner sur sa portée : comme le disait un professeur de droit bien connu, le droit à la santé trouvant une limite provisoire à l'hôpital et définitive au cimetière, il n'est pas dans les moyens de la Constitution de le garantir pleinement... De très nombreuses décisions du Conseil ont fait référence au droit à la protection de la santé, tel qu'il résulte du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, en lui donnant une consistance assez variable : pour l'essentiel, il s'agit avant tout d'un droit à des prestations de santé, à un système d'accès aux soins et de prévention. Cela dit, la question s'est posée, notamment dans la décision de janvier 1991, de la portée de ce droit à la protection de santé en ce qu'il pouvait s'opposer à d'autres droits constitutionnels.

Là est bien le cœur du problème. S'il s'agit de constater l'existence d'un droit de valeur constitutionnelle - et accessoirement conventionnelle, en application de traités - à la protection de la santé, il n'y a même pas à discuter. Cela étant, la singularité du droit constitutionnel, en même temps que la grandeur de la démocratie, tient au fait qu'il n'y a pas d'absolu. Si l'on considère que la protection de la santé est un droit absolu, il n'y a plus place pour la moindre discussion : tout ce qu'exige la santé publique doit pouvoir être imposé. À ceci près que ce n'est pas ainsi que cela fonctionne... Dans n'importe quel système démocratique, il faut en permanence composer entre des principes par essence contradictoires, à l'exemple des deux premiers termes de notre devise nationale, liberté et égalité : on sait très bien que la liberté absolue existerait au mépris de l'égalité, de même que l'égalité absolue se ferait au mépris de la liberté. Tout le rôle du législateur, sous le contrôle du juge constitutionnel, sera d'essayer de trouver un équilibre entre ces deux notions et de parvenir à les combiner.

Il en va exactement de même dans le cas présent. Le droit à la santé est indiscutablement un principe de valeur constitutionnelle, mais il en est un autre dont l'existence ne fait pas davantage de doute : le principe de liberté. Protéger contre lui-même l'adulte consentant n'est pas parfaitement admissible, en tout cas ne saurait tout permettre au regard du principe de liberté, qui n'est pas de moindre valeur que celui de protection de la santé. D'où la réticence spontanée que provoque inévitablement toute idée d'absolu chez un spécialiste de la Constitution. Admettre que la protection de la santé puisse devenir un absolu découvrirait des horizons qui font frémir : il faudrait instantanément pénaliser le suicide et interdire en toute logique les rapports sexuels non protégés - et bon courage à ceux qui seraient chargés de vérifier le respect de cet interdit ! -, autant d'évidences en termes de santé publique dont le législateur ne pourrait pas ne pas tenir compte sous peine de manquer à ses devoirs.

De deux choses l'une : ou bien l'on considère la santé publique comme un absolu, auquel cas tous les interdits sont légitimes, ou bien, ce qui me paraît beaucoup plus sage, on la considère comme un impératif, un objectif de valeur constitutionnelle permettant d'énoncer des limitations, voire certains interdits, mais sans pour autant revêtir - pas plus qu'aucun autre principe constitutionnel - une valeur à ce point absolue qu'elle puisse tout justifier.

Au demeurant, dans sa décision du 8 janvier 1991, le Conseil, lui-même, avait insisté, de manière discrète mais réitérée, sur le fait que les limitations apportées à la liberté d'entreprendre et au droit de propriété étaient d'autant plus admissibles qu'elles n'étaient pas absolues. Ainsi, les considérants 11 et 33, notamment, remarquent qu'il n'est plus permis de faire de la propagande pour l'alcool et le tabac, sauf dans les débits de boisson et d'alcool.

Ainsi, pas un instant je ne contesterai la légitimité de la lutte contre le tabac ; en revanche, j'appelle votre attention sur le fait qu'elle ne saurait, à mon sens, revêtir un caractère à ce point absolu qu'elle puisse s'étendre à tout. Dès lors, s'il décidait de légiférer, le Parlement serait amené à poser toute une série de questions d'exécution extrêmement sensibles, à commencer par celle de la définition du lieu public. Après tout, la rue est un lieu public : doit-on y interdire de fumer ? Je n'imagine pas que ce soit envisagé...

M. le Président : Ce n'est pas ce que dit la loi.

M. Gérard BAPT : Nous parlons de lieux publics fermés.

M. Guy CARCASSONNE : Fort bien ; mais les lieux clos posent immédiatement d'autres problèmes, y compris sur le plan constitutionnel : celui des clubs de fumeurs de havanes, par exemple. Certaines interdictions ne se discutent pas : tout le monde peut parfaitement admettre l'interdiction de fumer sur les lieux de travail, mais certaines situations posent aussitôt difficulté : quid des travailleurs à domicile ? Les préserver du tabagisme passif revient à interdire de fumer dans sa propre maison...

Au total, légiférer en la matière n'a rien d'impossible ; quoique fumeur moi-même, je suis tout à fait favorable à ce type de limitations. Je rappelle simplement cette évidence : la Constitution n'autorise aucun absolu. La grandeur de la démocratie, c'est d'assumer le relatif et il en va de la santé publique comme de tous les autres principes constitutionnels : s'ils permettent beaucoup de choses, ils ne permettent pas tout.

M. le Président : Vous avez bâti une bonne part de votre argumentation au regard de ce qui serait une protection contre lui-même de l'adulte consentant. S'il est vrai que la Constitution peut ne pas nous éclairer sur ce point précis, n'oublions pas que l'objectif est également de protéger l'adulte qui ne l'est pas...

M. Guy CARCASSONNE : J'entends bien ; je reconnais que l'exposition non désirée au tabagisme d'autrui est parfaitement insupportable et qu'il est tout à fait possible de la prévenir. J'observe seulement que, sur le plan strictement constitutionnel, l'application de la législation espagnole ne poserait aucun problème en France, alors que les législations italienne ou irlandaise pourraient susciter davantage de questions. Si l'adulte consentant souhaite aller dans un endroit où il sait que l'on fume, alors qu'il peut aller dans d'autres où il sait que l'on ne fume pas, sa liberté est totalement protégée dans les deux cas. Si en revanche tous les endroits clos étaient rendus non-fumeurs pour préserver du tabagisme passif, la liberté des fumeurs ou des non-fumeurs n'ayant pas d'objection au tabagisme passif serait mise en cause.

M. le Rapporteur : L'introduction de la Charte de l'environnement dans le bloc de constitutionnalité est-elle de nature à affiner la réflexion, notamment au regard du principe de précaution ?

Par ailleurs, le dispositif à envisager éventuellement, au vu notamment de l'évolution des données scientifiques récentes, doit-il à votre sens relever de la loi ou bien du décret ?

M. Guy CARCASSONNE : La réponse à votre première question est simple : je l'ignore... Personne à ma connaissance n'est en mesure de dire avec certitude la portée de ce texte désormais adossé à la Constitution, mais sur lequel le Conseil n'a pas encore eu l'occasion de s'exprimer. Parmi les multiples interprétations possibles, on peut arguer que ce texte est d'abord et avant tout une charte de l'environnement et non une charte de santé publique, quand bien même on parle d'environnement propice à la santé publique - il y aurait du reste beaucoup à dire sur la rédaction choisie. On y parle d'environnement « naturel » : le tabac en fait-il ou non partie ? Je ne crois pas que quiconque ait à gagner quoi que ce soit à télescoper deux sujets que j'incline à croire différents. Et faire dire au principe de précaution plus qu'il n'est exprimé à l'article 5 de la charte me paraît extraordinairement périlleux...

Loi ou règlement ? Là encore, tout dépend du contenu. Si une simple réglementation sur les lieux ouverts au public peut relever du décret, toucher en posant des interdits de portée très vaste aux principes fondamentaux des libertés publiques ne peut se concevoir ailleurs que dans le cadre de la loi.

M. Yves BUR : La protection des salariés contre les risques professionnels est également un droit absolu. Qu'en est-il par rapport aux principes constitutionnels ? Un décret pourrait-il introduire une différence de traitement entre professionnels, en interdisant par exemple de fumer dans les restaurants tout en le permettant dans les bars-tabac ?

M. Francis ATTRAZIC : Ce n'est pas ce qui est proposé...

M. Yves BUR : C'est pourtant bien ce que j'entends s'exprimer au sein de la profession. Peut-on concevoir une telle discrimination entre les salariés, d'autant que l'on ne saurait parler d'exposition fortuite : dès lors qu'il n'est pas interdit de fumer sur leur lieu de travail, ils sont bel et bien exposés à un risque avéré. Comment un décret pourrait-il créer deux types de salariés, les uns protégés dans les entreprises « normales », les autres non protégés au motif qu'ils travaillent dans des entreprises « liées à la convivialité » ?

M. Yves MARTINET : Professeur Carcassonne, j'ai écouté avec beaucoup d'intérêt votre balance subtile entre la défense de la santé publique et celle des libertés individuelles... Vous l'aviez déjà utilisée pour défendre la Seita lorsqu'elle a été attaquée pour dénaturation des messages sanitaires et votre rhétorique n'avait pas été retenue par les juges de la cour d'appel et de la Cour de cassation, ni même par ceux de la Cour européenne des droits de l'homme !

M. Guy CARCASSONNE : Je vous remercie de cet hommage rendu à la continuité de mes convictions... Oui, je persiste à défendre les libertés, quand bien même la jurisprudence commet l'erreur de ne pas suivre mon argumentation ! Je prends effectivement cette question très au sérieux. Je trouve insupportable l'idée qu'il puisse exister des absolus, qu'il s'agisse de santé publique, de vérité historique et de bien d'autres choses. Insensiblement, au nom des motifs les plus élevés, les plus généreux, les plus altruistes, on rogne peu à peu les libertés sur des sujets fondamentaux.

Or, aux termes de l'article 4 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, la liberté fait partie des objectifs mêmes de la société ; c'est à mes yeux une valeur qui vient peut-être un peu avant les autres et je regrette qu'on ait tendance à l'oublier.

Qu'est-ce qu'une protection absolue, Monsieur Bur ? Il n'y a rien d'absolu. L'absolu est purement et simplement incompatible avec la démocratie. Seuls les systèmes non démocratiques l'inscrivent dans leurs objectifs et leurs valeurs. Dans la démocratie, on essaie de tout fonder sur des compromis, de tout faire au mieux... C'est précisément cela, la grandeur de la démocratie. Il n'existe pas de principe absolu de protection des personnes, salariés compris. On sait très bien que tous les salariés ne sont pas exposés aux mêmes risques. Il est beaucoup moins risqué d'être professeur des universités que d'être ouvrier du bâtiment, et moins risqué d'être ouvrier du bâtiment que policier spécialiste du déminage... Tous sont salariés, mais tous n'ont pas la même protection. Lorsqu'un risque est avéré, auquel certaines catégories sont plus exposées que d'autres, il est indispensable de le minimiser autant que possible et de mettre en œuvre des systèmes de nature à compenser et à minimiser le danger ; mais ne parlons pas d'une protection absolue qui prémunirait quiconque de quelque risque que ce soit... C'est précisément en cherchant des protections absolues que l'on aboutit à la négation absolue de toute liberté.

Cela dit, sur la question de la loi et du décret, je vous rejoins tout à fait : si les mesures finalement prises devaient aller dans le sens d'une amplification notable des interdits, il faudrait à tout le moins passer par la loi, certainement pas par le décret.

M. le Président : Je remercie M. Carcassonne qui doit nous quitter pour d'autres engagements. Venons-en maintenant aux aspects conventionnels et européens.

M. Philippe MOUROUGA : Premier traité international de santé publique, la convention cadre de lutte antitabac de l'OMS est entrée en vigueur en février 2005. Cent trente et un pays l'ont ratifiée, dont la France en octobre 2004 ; la première conférence des parties s'est tenue en février 2006.

Plusieurs articles du Centre canadien de lutte contre l'alcoolisme et les toxicomanies (CCLAT) engagent la France à protéger efficacement tous les individus contre les risques - risques relatifs et non dangers absolus - liés à l'exposition à la fumée tabagique. L'article 4, notamment, stipule que des mesures législatives, exécutives, administratives ou autres mesures efficaces doivent être envisagées au niveau gouvernemental et aux niveaux appropriés pour protéger tous les individus contre l'exposition à la fumée du tabac ; l'article 8 enjoint chaque partie à procéder, « dans le domaine relevant de la compétence de l'État en vertu de la législation nationale, et encourage activement, dans les domaines où une autre compétence s'exerce, à l'adoption et à l'application des mesures législatives, exécutives, administratives et/ou autres mesures efficaces prévoyant une protection contre l'exposition à la fumée du tabac dans les lieux de travail intérieurs, les transports publics, les lieux publics intérieurs et, le cas échéant, d'autres lieux publics125. » La convention reconnaît explicitement que des données scientifiques ont établi de manière irréfutable que la consommation de tabac et l'exposition à la fumée du tabac sont cause de décès, de maladie et d'incapacité, qu'il est nécessaire d'assurer une protection contre l'exposition à la fumée du tabac dans les lieux de travail intérieurs, les transports publics, les lieux publics intérieurs et d'autres lieux publics, et qu'aucun niveau d'exposition à la fumée secondaire n'est sans danger, des éléments concluants attestant que les solutions techniques ne protègent pas contre l'exposition à la fumée de tabac. En ratifiant cette convention, la France s'est engagée à respecter les principes qu'elle énonce et à mettre en œuvre ses recommandations.

Mme Théa EMMERLING : Pour ce qui est des aspects européens, rappelons que cette question est de compétence mixte, autrement dit que s'y mêlent des compétences des États membres et de l'Union européenne. Jusqu'à présent, celle-ci a agi dans trois directions : protection et prévention, arrêt de la consommation, réduction de la nocivité, trois principes qui ont également guidé l'action des États membres.

Pour ce qui est de la protection et de la prévention, la population cible est d'abord celle des non-fumeurs. Les fumeurs ne représentant du reste que 35 % de la population européenne, les actions de prévention concernent une majorité. Si l'on y ajoute l'aide à l'arrêt de la consommation - et je n'ai rencontré aucun fumeur qui ne m'ait pas fait part de son désir d'arrêter -, nos actions visent plus de 90 % de la population.

Des lois européennes ont déjà été prises dans plusieurs domaines : la directive 2001/37/CE sur les produits du tabac impose d'agrandir les avertissements sur les paquets - les États Membres peuvent même choisir l'utilisation de photos couleur, pour l'instant non appliquée en France - et impose toute une série d'actions visant aux ingrédients des produits du tabac ainsi qu'à la fumée. La directive « publicité et parrainage » 2003/33/CE interdit toute publicité du tabac à la radio, sur Internet et dans la presse, et toute forme de parrainage. La directive 89/552/CEE dite « Télévision sans Frontières » prohibe de son côté la publicité sur le tabac à la télévision. Enfin, depuis la décision du Conseil 2004/513/CE, l'Union européenne est elle aussi partie prenante à la convention cadre de l'OMS de lutte antitabac et s'engage, aux côtés des États membres, à la faire respecter.

À côté de toute cette législation anti-tabac « contraignante », il existe la législation santé et sécurité au travail qui impose certaines restrictions aux lieux du travail et un cadre non obligatoire dit de soft law : ainsi la recommandation du Conseil sur la prévention du tabagisme encourage les États membres à prendre des mesures tendant à interdire de fumer ; la Commission a de son côté prévu de publier un livre vert sur une Europe sans fumée de cigarette.

La convention cadre de l'OMS enjoint toutes les parties à prendre des mesures de protection dans les lieux de travail intérieurs, les transports publics, les lieux publics intérieurs et, le cas échéant, d'autres lieux publics ; il ne s'agit pas d'un choix, mais bien d'une obligation d'agir. La recommandation du Conseil de 2002 reprend ces mêmes mesures en appelant prioritairement l'attention sur les établissements d'enseignements, de soins, de santé et de services destinés aux enfants.

Par ailleurs, le plan européen « environnement et santé » 2004-2010 pose également la question de la qualité de l'air dans les lieux fermés. Avant même de devenir commissaire, M. Kyprianou avait de son côté fait part devant le Parlement européen de son souhait de voir une Europe sans fumée de cigarette d'ici à 2009 et de faire de cette lutte une des priorités de son mandat.

Pour ce qui est des actions engagées dans les États membres, l'Irlande a été le premier à agir en imposant l'interdiction totale, qui existe également en Écosse ; il est prévu de l'étendre à l'Angleterre et à l'Irlande du Nord. En Italie, à Malte, en Suède, l'interdiction va de pair avec la création de zones fumeurs séparées ; la Lituanie envisage de faire de même en 2007. Il existe des interdictions avec exceptions en Belgique, à Chypre, en Estonie, en Finlande, aux Pays-Bas, en Slovénie et en Espagne. Malte est très active, tout comme la Suède ; la Pologne a annoncé qu'elle s'engageait dans cette voie.

Nous avons l'intention de lancer, dès cet automne, un débat sur l'Europe sans fumée de cigarette. Une consultation informelle est d'ores et déjà en cours. Il est prévu de rédiger le livre vert durant l'été afin de pouvoir l'adopter à l'automne. La préparation du livre vert ouvrira une période de consultation de deux ou trois mois pendant laquelle chacun pourra apporter sa contribution. Les résultats de cette consultation feront l'objet d'un rapport l'année prochaine et une communication pourra, le cas échéant, être adoptée sur le chemin à suivre. La publication du livre vert a été avancée afin de trouver une position commune avant que la convention cadre de l'OMS arrête des lignes directrices.

Le livre vert commencera par décrire le problème et à rappeler toutes les justifications scientifiques avant de présenter les options politiques à discuter : pas de changement du statu quo, interdiction dans les lieux de travail ou interdiction avec exceptions. Y seront également discutées les différentes approches à retenir : approche volontaire, auto-réglementation ou coordination des efforts des États membres, soit en suivant ce que nous appelons une méthode ouverte de coordination - le niveau européen se contentant d'émettre des recommandations, de tracer des lignes directrices et de fournir des indicateurs de contrôle et de bonnes pratiques -, soit en recourant à une législation européenne sur la base de la législation santé et sécurité au travail. Plusieurs directives pourraient servir de supports, parmi lesquelles la directive 89/654/CEE du Conseil, du 30 novembre 1989, concernant les prescriptions minimales de sécurité et de santé pour les lieux de travail, ou la directive 2004/37/CE sur les agents cancérigènes ou mutagènes. Nous ne pouvons préjuger du choix retenu au terme des discussions en cours, mais une chose est claire : la convention cadre oblige les États membres et la Communauté à agir dans ce domaine.

M. Yves BUR : L'Europe fait son travail et les préoccupations de santé publique sont beaucoup plus présentes qu'on ne l'imagine dans les discussions sur la fiscalité du tabac et des alcools entre les diverses directions. Cela dit, le tabac reste un produit particulier dans le commerce européen. Ne pourrait-on pas, à terme, le considérer comme une substance dangereuse à laquelle les règles de libre circulation au sein de l'Union ne s'appliqueraient pas ? Tant qu'il restera un produit ordinaire, il sera difficile de lui appliquer des tarifs différents sans pénaliser les revendeurs des régions frontalières.

M. René LE PAPE : On veut une Europe sans fumée, mais comment peut-on laisser le Luxembourg et l'Espagne continuer à arroser les États membres avec des cigarettes deux à trois fois moins chères ? On peut également s'interroger lorsque certains États sont attaqués par les instances européennes pour avoir imposé un prix minimum destiné à empêcher les opérations promotionnelles.

M. Gérard DUBOIS : Le tableau de Mme Emmerling montre que la France n'est pas exemplaire, loin s'en faut : elle est même particulièrement mal classée dans le domaine de la protection des non fumeurs et même des fumeurs vis-à-vis de la fumée du tabac. L'Europe est à la recherche de la meilleure façon d'agir ; or, autant le dire clairement, c'est loin d'être simple avec l'Allemagne, littéralement vendue à l'industrie du tabac ! Dans ces conditions, il est urgent d'avancer sans attendre, d'autant que plusieurs pays ont d'ores et déjà pris des mesures beaucoup plus audacieuses que les nôtres. À noter une décision qui peut-être réconfortera les buralistes : chaque État aura désormais le droit de décider comme il l'entend du montant la franchise « tabac » accordée aux voyageurs. Autrement dit, le Gouvernement français pourra limiter à sa guise les retours d'Espagne ou du Luxembourg à compter du 1er janvier 2007.

Une récente décision a soumis les produits du tabac à l'obligation de recherche de toxicité, à la charge des industrielles, conformément à la directive REACH126. Quel pourrait en être l'impact et y en a-t-il un pour ce qui concerne le tabagisme passif ?

Mme Bernadette ROUSSILLE : Je ne suis pas du tout d'accord avec la conception exprimée tout à l'heure par le professeur Carcassonne : dans une démocratie, il existe des interdictions absolues, à commencer par l'interdiction de tuer. De surcroît, il ne s'agit pas dans cette affaire de prendre des mesures d'interdiction absolue, mais d'interdiction totale, ce qui est tout à fait différent. Ajoutons que l'on ne peut mettre sur le même plan la liberté d'aller et de venir et la liberté de fumer ou celle d'entreprendre, et le juge constitutionnel ne s'y est d'ailleurs pas risqué. Quant à l'environnement, c'est bien l'environnement naturel que l'on veut protéger contre la fumée du tabac : cela ne me paraît pas poser de difficultés d'interprétation...

À la différence de l'amiante, le tabac n'est pas un produit industriel sur lequel est amené à travailler le salarié. Mais ne peut-il dans certains cas être considéré comme un risque professionnel et donner lieu à l'application de la directive 89/654 ? Il y a là un problème d'interprétation qui demande à être éclairci.

M. le Président : Je précise que, sur ce dernier point, M. Sargos sera amené à nous éclairer tout à l'heure.

M. Vassilis VOVOS : Nous profitons de l'occasion pour soumettre à la mission un rapport récemment publié en Grande-Bretagne, le 7 juin 2006, par le Comité des affaires économiques de la Chambre des Lords, sur la politique du Gouvernement en matière de gestion du risque. En voici deux extraits :

« L'exemple du tabagisme passif démontre que la politique apporte une réponse disproportionnée à un problème de santé, sans prendre suffisamment en considération les données fournies par les études. »

« Le but de la législation, en particulier, aurait dû être défini plus clairement et on aurait dû accorder plus d'attention aux principes scientifiques disponibles, aux mérites relatifs des options d'une politique alternative et à une partie de la législation sur la liberté et le choix de chacun. L'excès sur ce point a résulté de l'introduction d'une politique qui semble fournir une réponse disproportionnée à ce problème. »

Il serait utile d'examiner ce rapport très intéressant, qui évoque un projet d'interdiction totale du tabac dans les lieux publics par un pays voisin.

M. le Président : Ce n'est plus un projet, puisque le texte a été adopté. Mais ce rapport n'est que l'appréciation d'une commission sur un problème, et l'assemblée concernée a ensuite tranché.

Mme Paulette GUINCHARD : J'ai envie de faire un parallèle avec l'absinthe, au début du XXe siècle. Je sais que certains pays, comme l'a Suisse, ne l'ont jamais interdite. Mais d'autres l'ont fait. Comment cela s'est-il passé ?

Mme Chantal FONTAINE : Je rejoins Mme Roussille concernant les grands principes et ce qu'on a le droit, ou non, de réglementer. J'ai été interloquée par les propos de M. Carcassonne. La MILDT, Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, est un organisme gouvernemental chargé de veiller à la protection de la santé. Je me rallie bien évidemment à ce qu'ont dit les experts autrement qualifiés que moi sur la question. Ce qui est certain, c'est que nous sommes confrontés à un problème d'ampleur. Comme l'a dit M. Bur, on ne raisonne plus en terme de gêne, mais en termes de danger. Or, devant un danger, l'État et le législateur ont le devoir d'intervenir.

S'agissant des grands principes juridiques, je rejoins partiellement M. Carcassonne. En démocratie, un principe, fût-il constitutionnel, dès qu'il est poussé à l'extrême, peut faire passer de la démocratie à la tyrannie. Pour autant, il ne faut pas caricaturer et tout mélanger. Il ne s'agit pas seulement de protéger les fumeurs contre leurs propres démons, mais aussi, et surtout, de protéger les non-fumeurs contre les agressions qui leur sont injustement imposées.

Dans les écoles maternelles où l'on a encore le souci de faire des enfants de futurs citoyens, on leur fait ânonner de vieux principes comme « la liberté des uns s'arrête où commence celle des autres ». Après ce vieux principe salutaire, je souhaiterais en évoquer un autre moins connu, qui nous vient de Lacordaire : « entre le fort et le faible, c'est la liberté qui opprime et la loi qui libère ». Il n'est pas question de dire que les forts et les méchants sont les fumeurs. Mais à une époque où l'on parle de droits et moins de devoirs, je pense que les gens ont le devoir de ne pas agresser leurs concitoyens, et que l'État a le devoir de prévenir les agressions. Cela devait être dit.

M. Francis ATTRAZIC : Je tiens à réagir à l'exposé sur l'Europe. L'ensemble des données scientifiques sur le tabac et ses conséquences est connu de l'ensemble des pays. Mais le problème est traité de manière différente selon les États. Je ne crois pas qu'aucun manque à ses responsabilités. Il est possible de traiter ce problème autrement que par l'interdiction totale, si j'en juge par les expériences menées.

M. le Président : M. Carcassonne a dû partir, et je me garderai bien de réagir, sinon pour faire observer que personne n'a exprimé l'idée d'une interdiction absolue. On sait très bien que ce n'est pas possible. L'objectif est de protéger du tabagisme passif. La liberté de fumer restera un principe que personne n'envisage ici de mettre en cause.

Mme Théa EMMERLING : Au début, au sein de l'OMS, on disait que le tabac était un produit tellement dangereux qu'il fallait l'interdire. Mais c'est politiquement infaisable. Voilà pourquoi on essaie de travailler sur des ingrédients, des substances et de mener des actions autour de la cigarette.

Le prix est l'instrument le plus efficace pour lutter contre le tabagisme. Cela a été prouvé par une étude de la Worldbank. Deux stratégies sont possibles : augmenter les taxes ou travailler sur les coûts pour augmenter le prix des cigarettes. Quelques pays membres veulent fixer des prix minimum. Notre direction générale sur la taxation considère qu'il vaut mieux augmenter les taxes. Au niveau économique, c'est clair : les taxes sont pour l'État, qui peut les utiliser ; les prix minimum profitent aux entreprises.

Est-ce que la directive REACH peut contribuer à la lutte contre le tabagisme passif ? Le dispositif permet d'évaluer les substances chimiques et une partie des ingrédients des cigarettes mais il concerne surtout les substances telles quelles et non pas toujours les substances brûlées.

Le tabac est-il un risque professionnel ? Plusieurs de nos directives concernant la santé du travail font obligation à l'employeur d'apprécier si les substances représentent un risque et de prendre des mesures préventives appropriées.

M. le Rapporteur : Je voudrais savoir si, au sein des pays de l'Union européenne, existe une jurisprudence similaire à celle de la Cour de Cassation française de 2005 concernant l'obligation de résultat de l'employeur vis-à-vis du salarié pour l'exposition aux risques - ce qui est le cas concernant le tabagisme passif. Si oui, quelles conséquences juridiques, techniques et réglementaires en a-t-on tiré ? Enfin, quelles conclusions les compagnies d'assurance ont-elles pu en tirer ? Le risque assurantiel lié à cette jurisprudence est il pris en charge ?

Mme Théa EMMERLING : La Commission européenne a institué des bureaux sans tabac en mai 2004. Une des raisons principales était qu'on avait eu connaissance d'un cas examiné par la Cour en Italie, où un salarié avait porté plainte contre son employeur et avait obtenu gain de cause.

M. le Rapporteur : Est-ce le seul cas, à votre connaissance ?

Mme Théa EMMERLING : Le seul que je connais, mais je peux voir s'il y en a eu d'autres.

M. Yves MARTINET : En Norvège, une patiente, atteinte d'un cancer du poumon, et qui était une fumeuse active, avait été exposée au tabagisme passif sur son lieu de travail. L'indemnisation a pris en compte la part du tabagisme passif dans la survenue du cancer du poumon. Nous travaillons à protéger les fumeurs comme les non-fumeurs contre l'exposition au tabagisme passif.

M. le Rapporteur : Mais à votre connaissance, cela a-t-il eu comme conséquence une augmentation des primes d'assurance payées par les employeurs, ce qui aurait pour effet de modifier le poste des charges générales et pourrait déséquilibrer leurs exercices financiers ?

M. Yves MARTINET : Je ne sais pas.

M. Bertrand DAUTZENBERG : 60 % des incendies de locaux professionnels en Espagne sont liés au tabac et la suppression de l'usage du tabac diminue la prime d'assurance.

M. le Rapporteur : J'ai plaisir à entendre cela, car j'ai déposé avec mon collègue Destot une proposition de loi sur l'obligation de mettre en place des détecteurs de fumée afin de prévenir les incendies domestiques. Mais il n'y a pas que les primes d'assurance qui peuvent être concernées.

M. le Président : Je passe la parole à M. Sargos, président de la chambre sociale de la Cour de cassation. Cette dernière, dans son arrêt du 29 juin 2005, a reconnu la responsabilité d'un employeur. Un tel arrêt nous amène à nous interroger. L'appréciation portée sur les conditions d'exposition au tabac peut-elle être comparée à l'appréciation qui a été portée par la Cour sur les conditions d'exposition à d'autres produits tels que l'amiante ? Et qu'en est-il en termes de risques professionnels ?

M. Pierre SARGOS : Cet arrêt du 29 juin 2005 répond au souci de mettre en œuvre une double exigence : la nécessité d'assurer la protection de la sécurité et de la santé au travail et l'effectivité du droit.

Le droit du travail s'est créé au XIXe siècle sur cette première exigence, la moindre chose qu'on puisse attendre de l'exécution d'une relation de travail est que le salarié en sorte indemne. La chambre sociale l'a manifesté dans les arrêts sur l'amiante, où la définition de la faute inexcusable a été totalement modifiée.

L'arrêt sur le tabac marque également un changement important, dans la mesure où l'on est passé du domaine de la réparation au domaine de la prévention. Et cela en référence à la directive-cadre fondamentale 89-391 du Conseil du 12 juin 1989 concernant la mise en œuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail. Ce texte fait peser sur l'employeur ce qui pourrait être analysé comme une obligation de sécurité de résultat. Une de ses dispositions stipule que les États membres ne peuvent prévoir l'exclusion de la responsabilité de l'employeur que pour des faits dus à des circonstances étrangères, anormales et imprévisibles ou à des évènements exceptionnels dont les conséquences n'auraient pu être évitées. La jurisprudence française décide que, lorsqu'on est sur le terrain de l'obligation de sécurité de résultat, on ne peut s'en exonérer qu'en prouvant le cas fortuit ou la force majeure.

La nouvelle interprétation que nous avons donnée à l'obligation de sécurité de résultat se fonde donc sur cette directive transposée en droit français en 1991. Dans cette affaire, nous n'avons pas voulu nous lancer dans une discussion sur le respect des normes techniques. Il s'agissait d'une entreprise où, pour toute mesure, l'employeur s'était borné à afficher des écriteaux interdisant de fumer. Or, en droit du travail, le principe est qu'on ne fume pas, sauf aménagements particuliers visés par le code de la santé publique et qu'un plan doit être établi après consultation du médecin du travail, des institutions représentatives de l'entreprise, etc. Cela n'ayant pas été fait en l'espèce, nous aurions pu nous dispenser de mettre en avant cette obligation de sécurité de résultat. Mais il nous est apparu que la prohibition du tabac en entreprise participait fondamentalement de l'exigence de sécurité prônée par la directive européenne et par la législation française, et que c'était le moyen d'assurer l'effectivité du droit.

Le souci d'effectivité du droit, qui est une sorte de droit transversal né à partir de 1979 par décision de la Cour européenne des droits de l'homme, irrigue maintenant toutes les branches du droit. Le juge est là pour traduire le souci du législateur et doit assurer l'effectivité de la loi promulguée. Dans ce contexte, il nous est apparu que le moyen d'assurer cette effectivité était de passer sur le terrain de l'obligation de sécurité de résultat.

Cela signifie que les dispositions particulières qui permettent, actuellement, d'aménager des lieux où l'on peut fumer dans les entreprises, doivent être appliquées de telle façon qu'il n'y ait pas un microgramme d'émanation de tabac pour indisposer les salariés, à l'extérieur de ces endroits.

Cet arrêt se situe sur le plan de la prévention. C'est la mise en œuvre d'une règle particulière en matière de rupture du contrat de travail. Le contrat de travail peut être rompu non seulement par la démission, le licenciement ou un accord, mais aussi par prise d'acte du salarié : celui-ci fait connaître à son employeur qu'il est mis dans des conditions de travail telles que ses droits ne sont pas préservés, sur le plan de la qualification, de la rémunération ou de la santé. Si l'employeur ne respecte pas le droit du salarié à ne pas être exposé au tabac dans l'entreprise, le salarié prend acte de la rupture, ce qui équivaut à un licenciement sans cause réelle et sérieuse. En l'occurrence, le salarié a eu gain de cause et il a quitté l'entreprise avec toutes les indemnités liées à ce genre de licenciement.

Nous avons récemment encore étendu cette obligation de sécurité de résultat dans un arrêt du 28 février 2006 en l'émancipant du cadre contractuel, en en faisant une norme irrigant toute la vie au travail et en rappelant le souci d'assurer l'effectivité du droit. Dans moins de trois heures, un autre arrêt important de la Cour de Cassation devrait encore étendre le domaine de l'obligation de sécurité de résultat.

Cette approche de la chambre sociale s'inscrit dans un souci raisonné et s'appuie sur des bases sérieuses. Mais quelles sont les perspectives de cette jurisprudence en matière de réparation ? Un salarié en effet peut dire qu'il a été exposé au tabagisme au travail et qu'il en est résulté pour lui tel ou tel dommage. Nous n'avons pas eu à traiter de cette question, qui nous renvoie à la législation professionnelle sur les maladies professionnelles - article L. 461 du code de la sécurité sociale. Certaines de ces maladies professionnelles font partie de la nomenclature, mais je ne crois pas qu'il y en ait qui soient liées à l'inhalation du tabac. Il faudrait donc utiliser le paragraphe 3 de l'article L 461-1 du code de la sécurité sociale, selon lequel : « Peut-être également reconnue d'origine professionnelle une maladie caractérisée, non désignée dans un tableau de maladies professionnelles lorsqu'il est établi qu'elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime, qu'elle entraîne le décès de celle-ci ou une invalidité permanente d'un certain taux - 25%. »

Cela signifie que les ayants droit d'un salarié qui décèderait brutalement d'une affection cardio-vasculaire dont on pourrait rattacher la survenance au tabac dans l'entreprise pourraient demander le classement en maladie professionnelle, avec toutes les conséquences qui en résultent, et avancer la faute inexcusable, qui serait pratiquement automatique. Par ailleurs, le salarié qui aurait une IPP, une invalidité partielle permanente, de 25 % pourrait le demander personnellement.

Il y a effectivement un risque de prolongement sur le terrain de la réparation. Mais encore faudra-t-il qu'il soit démontré que la pathologie mortelle ou ayant entraîné une incapacité de plus de 25 % est essentiellement ou directement causée par l'exposition au tabagisme dans l'entreprise. Je pense au salarié non-fumeur d'une discothèque ou d'un débit de boisson qui serait atteint d'un cancer ou qui mourrait jeune d'une affection cardio-vasculaire.

M. le Rapporteur : Vous avez évoqué la faute inexcusable, l'obligation de sécurité de résultat, la possibilité de poursuite au contentieux et la nécessité pour les ayants droit de fournir la preuve. Mais, au titre de la faute inexcusable, n'est-il pas possible de renverser la charge de la preuve ?

M. Pierre SARGOS : L'employeur est tenu par une obligation de résultat. Le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable lorsqu'il est établi que l'employeur avait, ou aurait pu avoir, conscience du danger que courait son salarié et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver. Si un salarié soutenait que c'est l'exposition au tabagisme qui a entraîné sa maladie et s'il prouve que sa pathologie est consécutive à l'inhalation de tabac, la reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur serait très probable. Cela dit, et je m'étais exprimé à ce sujet à propos de l'amiante, je pense qu'il faudra revoir la législation sur la réparation des dommages en cas d'accident du travail et de maladies professionnelles.

M. le Rapporteur : Mais sommes-nous bien d'accord sur le fait que la preuve incombe au salarié ou aux ayants droit du salarié en question ?

M. Pierre SARGOS : Oui. Une preuve lourde médicalement, mais très légère sur un autre plan.

M. Gérard DUBOIS : Les articles L 3502 et 3505 concernent l'obligation de résultat. Considérez-vous qu'on pourrait les étendre ailleurs que dans le domaine social ? Dans un restaurant, dans une galerie marchande ?

M. Pierre SARGOS : C'est une responsabilité qui est limitée au cadre de la relation de travail dans une entreprise définie au sens large. Mais elle ne s'étend pas aux clients. C'est une jurisprudence spécifique aux dommages causés aux salariés dans le cadre de l'exécution de la relation de travail. Peu importent les autres modalités.

M. Yves MARTINET : À Nancy, l'affaire Patay, qui date de 2006, a reconnu le caractère de maladie professionnelle à une femme qui souffrait d'une pathologie respiratoire et qui s'est vu reconnaître un taux initial d'IPP de 10 %. Il n'existe pas de tableau concernant l'exposition au tabagisme passif, mais il existe un tableau que les gens de l'Est connaissent bien, et qui concerne l'exposition au goudron. Il serait peut-être possible de se fonder sur cette disposition. J'aimerais par ailleurs savoir si les actions de groupe sont possibles.

M. Pierre SARGOS : L'action de groupe, en l'état du droit français, est exclue pour ce type de litiges.

M. Gérard DUBOIS : Les décisions de la cour d'appel de Rennes font valoir qu'on porte atteinte au droit à la santé et qu'un risque immédiat ouvre droit au retrait pour le salarié. En matière de responsabilité de l'employeur, on imagine difficilement d'aller plus loin, le dernier stade étant toutefois celui de la reconnaissance des dommages intérêts - inéluctable, à terme.

Déjà, en 1978, une étude avait montré que le seuil angineux à l'effort diminuait pour ceux qui étaient exposés artificiellement à la fumée du tabac, même dans une chambre bien ventilée. Une autre étude a montré que le nombre de personnes accueillies en urgence pour maladies cardio-vasculaires chute - de 27 % à Pueblo et de 40 % à Helena aux États-Unis -, dès qu'on met en place une interdiction de fumer dans les lieux publics, y compris les discothèques, les bars, les restaurants, etc. et que les taux se rétablissent, dès qu'on lève cette interdiction. Enfin, lorsqu'on a cherché à évaluer l'incidence du tabac sur les maladies coronariennes, on a mesuré le taux de cotinine dans le sang en formant quatre groupes en fonction de leur exposition à la cotinine : les trois groupes les plus exposés sont pratiquement identiques et ont 40 à 50 % d'infarctus du myocarde en plus en incidence ; quant au groupe le plus exposé, le risque était absolument équivalent à celui des fumeurs de 1 à 9 cigarettes par jour.

Par ailleurs, je sais que tous les bâtiments de la Commission européenne sont non fumeurs. Mais j'ignore s'il y a des fumoirs.

Mme Paulette GUINCHARD : Je me place du point de vue de la protection des salariés et je me demande comment ont peut faire dans les hôpitaux psychiatriques ou dans le domaine médico-social, où l'usage du tabac est imputable aux malades.

M. Franck TROUET : À la suite de l'exposé du président Sargos, je voudrais insister sur les difficultés de notre branche d'activité. La jurisprudence qu'il évoquait est tout à fait légitime ; elle n'est que l'application du code du travail et de son article L 230-2 sur la prévention des risques professionnels. Mais nous nous trouvons aujourd'hui dans une situation bien particulière : chez nous, restaurateurs, hôteliers, cafetiers, traiteurs, les clients fument. Ils fument contre leur santé et contre la santé de nos salariés. Alors que dans le cas de la jurisprudence de 2006, le tabagisme venait des collègues de la salariée.

Cette jurisprudence signifie que tout salarié qui est exposé à la fumée du tabac dans l'un de nos établissements peut, à tout moment, prendre acte de la rupture de son contrat de travail et engager la responsabilité de son employeur - avec la reconnaissance des droits prévus par les articles L. 122-6 à 9 du code du travail sur l'indemnité de licenciement et de préavis, et surtout l'attribution de dommages intérêts selon des critères bien précis liés à l'ancienneté et à la taille de l'entreprise des articles prévus à l'article L. 122-14-4 et 5. Elle signifie aussi qu'il y a obligation pour l'employeur de réparer la perte de son emploi par le salarié. Ainsi, un salarié peut, à tout moment, exposer l'un de nos professionnels à cette procédure et au paiement de lourdes réparations qui lui seraient automatiquement accordées. Sans oublier un risque d'action auprès les tribunaux de la sécurité sociale, car on peut très bien imaginer qu'un salarié viendrait à obtenir la reconnaissance de la faute inexcusable, ce qui emporterait le remboursement par l'employeur à la sécurité sociale des indemnités journalières de maladie et, surtout, des frais de santé.

Pour moi, défenseur des intérêts des hôteliers, cafetiers et restaurateurs, il est évident qu'il faut une intervention législative pour nous permettre d'obliger nos salariés, et surtout nos clients, à ne plus fumer et pour que nous ne soyons plus dans la situation précaire que nous connaissons aujourd'hui.

Mme Bernadette ROUSSILLE : J'ai une question à poser au président Sargos : au cas où une loi instituerait une interdiction totale de fumer, sauf dans certains lieux, restaurants, etc., ne devrait-elle pas préciser que l'article L 230-2 du code du travail ne s'applique pas ? Comment articuler ces textes ?

M. Vassilis VOVOS : On relève, dans la motivation de la cour d'appel de Rennes « ... que les mesures prises dans son bar par l'employeur mis en cause apparaissaient nettement insuffisantes pour assurer efficacement la protection des non-fumeurs, dont celle du barman... » « ... alors qu'il convenait d'aménager un espace fumeur totalement indépendant de la salle principale... ».

Une protection renforcée des non-fumeurs qui résulterait d'un cloisonnement obligatoire contredirait-elle les décisions de la cour d'appel de Rennes et de la chambre sociale de la Cour de cassation ?

On relève aussi « ... que l'employeur ne peut pas contraindre un salarié, sans son consentement, à travailler dans une atmosphère polluée... ». Est-ce que la décision de la cour aurait été différente s'il y avait eu consentement du salarié ?

M. Pierre SARGOS : Je rencontre un problème déontologique s'agissant de la dernière question ; je ne peux pas y répondre car un litige est en cours à ce sujet.

Les textes du code de la santé publique qui déterminent actuellement les modalités suivant lesquelles un plan d'aménagement particulier doit être établi pour que les non-fumeurs ne soient pas soumis au tabagisme de leurs collègues fumeurs sont liés au concept d'obligation de sécurité de résultat et impliquent que les aménagements assurent une protection absolue et qu'aucune émanation de fumée ne se produise dans les lieux de travail.

Madame Roussille, je n'ai pas très bien compris votre question. Vous semblez opposer une interdiction générale de fumer et l'article L 230-2 du code du travail. Je ne vois pas la contradiction. L'article 230-2 ne fait que transposer la directive-cadre de 1989. Une loi générale ne viendrait que renforcer la portée de cet article, l'application de la directive et la jurisprudence.

Mme Bernadette ROUSSILLE : Je me plaçais dans le cas où la loi instituerait une interdiction de fumer, mais pas dans certains lieux. Que se passerait-il par rapport à l'article L 230-2 ? Ne faudrait-il pas que cette nouvelle loi précise que cet article ne s'appliquera pas ?

M. Pierre SARGOS : Je vois mieux la portée de votre question. Le juge n'apprécie pas la constitutionnalité d'une loi. Il faudrait nécessairement concilier cette disposition avec les dispositions générales du code du travail, renforcées par la directive, selon lesquelles un salarié ne doit pas être exposé à un risque pour sa santé. Bien entendu, pour les métiers à risque, des adaptations sont nécessaires, le salarié devant être exposé au minimum de risques possibles, eu égard à la nature du travail qu'il accomplit. La logique voudrait qu'il y ait une interdiction généralisée dans tous les établissements recevant du public.

Quant à M. Trouet, il a évoqué les conséquences tout à fait évidentes de la jurisprudence.

M. le Rapporteur : J'aurais souhaité avoir le sentiment de M. Sargos concernant l'éventuel engagement de la responsabilité de l'État. Je comprends bien quelle est la difficulté de l'exercice...

M. Pierre SARGOS : Votre question est évidemment redoutable. Si on poussait la logique jusqu'au bout, au regard du tableau apocalyptique qui vient d'être fait, le tabac devrait être interdit en France. Maintenant, comme le disait le professeur Carcassonne, il faut bien évidemment instaurer des rapports de proportionnalité entre l'intérêt et la faisabilité d'une mesure aussi drastique. Néanmoins, l'État devrait prendre le maximum de dispositions compatibles avec le maintien de l'usage autorisé du tabac, de manière à assurer la protection des non-fumeurs. Ces dispositions doivent être proportionnées. Il faut être raisonnable et tenir compte du coût économique que pourrait avoir l'application absolue du principe de précaution.

En matière de responsabilité, s'agissant de la santé des salariés dans l'entreprise, les dispositions actuelles permettent de considérer que l'État a satisfait à ses obligations. Il en est de même par rapport à la directive européenne. Le juge judiciaire a d'ailleurs la possibilité d'écarter l'application d'une disposition législative ou administrative dès lors qu'elle s'avère contraire à une disposition conventionnelle issue notamment du droit communautaire.

Actuellement, sur le terrain de la protection des salariés, le dispositif est raisonnable. Mais il le serait encore plus si l'on avait visé une prohibition générale de l'usage du tabac dans les lieux recevant du public.

M. le Président : Il est raisonnable, sous réserve de la sanction de la Cour à qui il laisse tout de même la possibilité d'apprécier son application.

M. le Rapporteur : Sous réserve aussi de la mise en œuvre effective du dispositif et de la responsabilité de l'État, qui pourrait être engagée dans toutes les administrations et sur tous les lieux publics.

M. Bertrand DAUTZENBERG : Prenez l'exemple de l'amiante en 1976 et du sang contaminé en 1985 : à l'époque, les dispositifs paraissaient raisonnables. Mais dans cinq ans, on ne fumera plus dans les restaurants en France ; on trouvera cela complètement déraisonnable. L'évolution de la société allant vers plus de sécurité, le raisonnement que l'on tient aujourd'hui est un raisonnement faux. Dans toutes les autres crises sanitaires, on s'est montré de plus en plus exigeant. Et je suis sûr que, dans cinq ans, vous direz le contraire de ce que vous dites maintenant.

M. Pierre SARGOS : Je ne pense pas me contredire eu égard aux dispositions légales en vigueur et à leur interprétation extrêmement stricte par la jurisprudence relative à l'obligation de sécurité de résultat.

M. le Président : Le président Sargos a donné son appréciation sur la loi actuelle. Mais bien sûr, on peut se demander si la loi actuelle est adaptée à ce que vous nous avez dit, professeur Dautzenberg, de la connaissance que nous avons aujourd'hui sur la nocivité du tabagisme passif et que nous n'avions pas en 1990.

M. Gérard DUBOIS : En tant que président de l'Alliance contre le tabac, je voudrais intervenir sur un point qui est revenu deux ou trois fois : nous n'avons jamais demandé et nous ne demandons pas l'interdiction du tabac. C'est un produit qui doit être contrôlé, qui n'est pas comme les autres mais qui, pour l'instant, ne doit pas être interdit dans la mesure où il y a 30 % de consommateurs, dont 60 % sont dépendants. Reste qu'il faut protéger l'ensemble des Français contre l'exposition au tabac.

M. le Président : Je donne maintenant la parole à Mme Emmerling, pour qu'elle nous parle du sondage réalisé dans le cadre de l'Union européenne.

Mme Théa EMMERLING : Il s'agit d'un sondage d'Eurobaromètre sur le tabac tous les deux ou trois ans et intitulé : « L'attitude des Européens à l'égard du tabac. »

On s'aperçoit qu'une très forte majorité des citoyens européens, 66 à 70 %, est favorable à l'interdiction de fumer dans les bureaux et dans les lieux publics. 60 % de ces 66 à 70 % sont « totalement en faveur », car on fait une distinction entre « totalement en faveur », et « plutôt en faveur » ; de la même manière, on fait une distinction entre « totalement négatif » et « plutôt négatif ».

Dans 23 États membres et dans tous les pays adhérents et candidats, les citoyens sont très favorables à l'interdiction. En France, 60 % sont « totalement en faveur » et 22 % « plutôt en faveur » ; au total, donc, 82 % des Français sont favorables à cette interdiction, ce qui est supérieur à la moyenne européenne.

Le même consensus se vérifie dans la plupart des États membres s'agissant de l'interdiction de fumer dans les restaurants. Dans ceux où l'interdiction de fumer dans les lieux publics est totale, cette proportion dépasse 90 %. En France, le pourcentage est de 78 %, ce qui est encore supérieur à la moyenne européenne.

S'agissant des bars et restaurants, l'attitude est contrastée. Il y a davantage d'opinions favorables dans les États membres qui ont déjà édicté une interdiction. La moyenne européenne est de 61 % et la France se situe à 59 %, soit un peu en dessous de la moyenne européenne, l'Allemagne étant à 46 % et la République Tchèque à 35 %.

S'agissant des lieux publics couverts, tels que le métro, les aéroports, les magasins, une majorité est favorable à l'interdiction. En France, la proportion est de 88 %, ce qui est au-dessus de la moyenne européenne.

On s'est aussi interrogé sur la conscience que les gens pouvaient avoir de la nocivité de la fumée. Les trois quarts des citoyens européens, surtout en Suède, en Finlande et en France, ont conscience de la nocivité du tabac pour les non-fumeurs.

Je pense donc que la population européenne est assez bien préparée à ces questions.

M. Franck TROUET : Je voudrais ajouter quelques chiffres, qui résultent d'une enquête réalisée par IPSOS et publiée par le Journal du Dimanche au mois d'octobre 2005. Il est intéressant de constater qu'une distinction avait été opérée entre les fumeurs et les non-fumeurs. En dehors de cela, les chiffres sont à peu près semblables.

Dans les restaurants et les brasseries, 73 % de la population est favorable à une interdiction totale de fumer : 82 % pour les non fumeurs et 48 % pour les fumeurs - soit près d'un fumeur sur deux ! Ce dernier chiffre est intéressant car il vient contredire les craintes que nous pouvons avoir de perdre de la clientèle. Ce sondage est de nature à rassurer les professionnels. Ceux-ci demandent néanmoins que cette interdiction soit appliquée à tous.

M. René LE PAPE : Ces propos sont tenus par un syndicat minoritaire. Ils ne concordent pas avec une enquête que nous avons menée de notre côté dans les bars tabacs : 62 % des Français disaient y venir une fois par semaine et se déclaraient défavorables à l'interdiction totale de fumer dans ces lieux. Il faut donc mesurer les propos d'un responsable de syndicat qui représente surtout les restaurants. On peut s'abstenir de fumer au restaurant, mais il faut conserver des lieux de liberté et de convivialité pour le fumeur et le bar tabac est précisément le lieu de convivialité qui peut apporter une solution. Je continue pour ma part à prôner une dérogation pour les bars tabac.

M. le Président : Je voudrais indiquer que le 2 novembre 2005, lors d'un colloque qu'organisait M. Bur, le président de l'UMIH, M. André Daguin, déclarait : « Je sais aussi que nos adhérents n'ont pas de craintes à avoir. Ils n'auront pas de baisse de chiffre d'affaires. » Au moins sur ce dernier point, il y a unanimité des présidents des syndicats des restaurateurs et des bars tabac.

Mesdames, Messieurs, je vous remercie.

Table ronde n° 3, ouverte à la presse :
« Quel périmètre pour la réforme »,
réunissant :
M. Vassilis Vovos, président de Japan Tobacco International (JTI) ;
M. Franck Trouet, directeur du service juridique et social du Syndicat national des hôteliers, restaurateurs, cafetiers et traiteurs (SYNHORCAT) ;
M. Jean-Paul Vaslin, directeur général de la Confédération nationale des débitants de tabac ;
M. Francis Attrazic, vice-président confédéral de l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH) ;
M. Gérard Dubois, président de l'Alliance contre le tabac ;
M. Albert Hirsch, vice-président de la Ligue contre le cancer ;
M. Gérard Audureau, président de l'association Droits des non-fumeurs ;
M. Yves Martinet, président du Comité national contre le tabagisme (CNCT) ;
Mme Bernadette Roussille, membre de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) ;
M. Philippe Mourouga, directeur du département « prévention et dépistage » de l'Institut national du cancer ;
M. Pascal Melihan-Cheinin, chef du bureau des pratiques addictives à la Direction générale de la santé du ministère de la santé et des solidarités ;
M. Jean-Emmanuel Ray, agrégé des facultés de droit, professeur de droit à l'Université Paris I (Panthéon-Sorbonne) ;
Mme Nadine Neulat, chef du bureau de l'action sanitaire et sociale et de la prévention à la direction générale de l'enseignement scolaire ;
M. Pierre Larcher, chargé de mission à la direction générale de l'action sociale au ministère de la santé et des solidarités ;
M. Philippe Pinton, adjoint à la sous-direction de l'organisation du système des soins du ministère de la santé et des solidarités ;
Mme Mireille Fontaine, du bureau des politiques sociales et d'insertion à la direction de l'administration pénitentiaire du ministère de la justice.


(Extrait du procès-verbal de la séance du 28 juin 2005)

Présidence de M. Claude ÉVIN, président

M. le Président : Mesdames, Messieurs, mes chers collègues, je souhaite la bienvenue à l'ensemble de nos invités qui ont bien voulu participer à cette troisième table ronde, consacrée au périmètre de la réforme. Les auditions précédentes ont mis l'accent sur les difficultés d'application de la loi de 1991, et surtout du décret de 1992, ainsi que sur les risques évidents du tabagisme passif. La nécessité de renforcer le dispositif actuel fait accord. Encore faut-il préciser le périmètre de ce renforcement. Quelles sont les personnes à protéger des effets du tabagisme passif ? Quels sont les lieux devant être touchés par un durcissement des règles d'interdiction en vigueur ? Ces questions font l'objet de divergences. Mais au-delà de ces divergences, nous devons surtout apprécier les conséquences des choix qui pourraient être faits, par exemple dans l'hypothèse où nous retiendrions l'option d'une différenciation des lieux. Le rapporteur a ainsi posé la question de l'assurabilité des établissements qui, demandant une dérogation à ce qui serait une règle d'interdiction généralisée, choisiraient d'être des lieux « fumeurs ».

Je donnerai d'abord la parole à M. Jean-Emmanuel Ray, professeur de droit à l'Université de Paris I, spécialiste du droit du travail, qui sera contraint de nous quitter vers 11 heures. Je vous demanderai notamment, monsieur Ray, de nous livrer votre appréciation sur l'application du dispositif législatif et réglementaire, en particulier après l'arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation du 29 juin 2005. Sur la base de votre intervention, nous ouvrirons le débat avec les invités et les membres de la mission.

M. Jean-Emmanuel RAY : Je précise tout d'abord que n'étant pas spécialiste du droit administratif mais du droit du travail, je ne parlerai pas des lieux publics, mais des lieux privés que sont les entreprises.

Je n'insisterai pas sur l'existence d'un consensus, sans doute partagé par votre mission d'information, sur le fait que, dans certains lieux de travail, une interdiction absolue et générale de fumer se justifie. Je pense par exemple à Gaz de France, ou à des entreprises de pyrotechnie comme Ruggieri. Dans ces entreprises, chose rarissime, l'interdiction de fumer s'applique même sur le parking, ce qui serait évidemment disproportionné dans d'autres entreprises.

En droit du travail, la place de l'interdiction de fumer dans les lieux collectifs, relève traditionnellement du règlement intérieur, au titre des mesures d'hygiène et de sécurité incombant aux entreprises. Or, le principe directeur gouvernant la logique de cette interdiction n'est plus l'hygiène et la sécurité, mais la santé mentale et physique au travail, ce qui change radicalement la donne en termes de protection des collaborateurs.

Dans les entreprises classiques, celles où l'on n'est pas en contact avec des gaz dangereux, il me semblait - car à mes yeux comme à ceux de beaucoup de juristes, le droit n'est pas l'alpha et l'oméga de la régulation sociale - que les simples règles de respect d'autrui et de courtoisie suffiraient. Le fait est qu'elles ne suffisent pas. Des mesures législatives et réglementaires ont donc été prises. Et quelles que soient les modifications que vous pouvez envisager, l'évolution jurisprudentielle et communautaire crée une dynamique extrêmement forte, à laquelle le droit français ne pourra échapper.

Les Gaulois que nous sommes sont très à cheval sur les principes. Le pragmatisme ne fait pas partie de notre culture initiale. Nous sommes la lumière du monde, et à partir de cela, il va de soi que l'intendance suit toujours. Mais le juriste, lui, n'a pas à être un obsédé textuel. Son objet est de donner aux textes ce que le droit communautaire appelle un « effet utile ». C'est le sens de l'arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation que je vais commenter dans un instant.

Les arrêts récents montrent que l'on est en train de « changer de braquet ». Auparavant la question centrale était : l'employeur a-t-il respecté les textes ? S'il les avait respectés, il n'était pas fautif. Aujourd'hui, on entre dans une autre logique, extrêmement contraignante pour les entreprises, dont le principe directeur est « l'obligation de sécurité de résultat ». S'agissant des accidents du travail, par exemple, peu importe les textes, ce qui compte, c'est qu'il n'y ait pas d'accident du travail. L'employeur a beau mettre en avant le fait qu'il a pris telle précaution pour que l'ouvrier ne tombe pas de l'échafaudage, s'il tombe, la responsabilité de l'employeur est automatiquement engagée. Auparavant, l'employeur pouvait s'exonérer de sa responsabilité en montrant qu'il n'avait pas commis de faute. La notion d'obligation de sécurité de résultat change tout. La question qui prime est la suivante : le résultat est-il atteint ? S'il ne l'est pas, vous êtes fautif.

L'arrêt du 21 juin 2006 porte sur une affaire de harcèlement moral. La salariée en question avait poursuivi non seulement son employeur en tant que personne morale, mais aussi son collègue, supérieur hiérarchique. L'employeur a été condamné. Tout le monde attendait la décision de la chambre sociale concernant le collègue poursuivi. Un collègue peut-il être condamné à réparation civile eu égard à un comportement fautif ? La Cour de cassation a appliqué le principe du code civil selon lequel quiconque cause un dommage doit réparation. Le droit du travail ne fait pas exception à cette règle. Le collègue a été civilement condamné, ce qui est une grande première dans le droit du travail.

Cet arrêt aura des conséquences sur la protection contre le tabagisme. À terme, le procès sortira du champ habituel opposant l'employeur au salarié, le fumeur au non-fumeur. Le non-fumeur pourra assigner ses collègues et dire : « Si tu allumes ta clope, je te poursuis. »

L'arrêt du 29 juin 2005 est un arrêt de principe. Il répond exactement à la même logique que celle qui a présidé aux « arrêts amiante » du 28 février 2002. Quels sont les faits ? Mme Lefebvre a un an et demi d'ancienneté, ce qui veut dire, notons-le, qu'elle est assez mal protégée par le droit du travail. Elle travaille dans un bureau où plusieurs de ses collègues fument. L'employeur se voit saisi de trois plaintes successives. Croyant bien faire, il demande aux collègues de ne pas fumer, ou de ne fumer qu'en l'absence de Mme Lefebvre, et affiche partout : « Interdiction de fumer ». Par ces mesures, il pensait s'être mis en règle. Mme Lefebvre considère que ces mesures ne sont pas suffisantes et prend acte de la rupture du contrat de travail aux torts de son employeur, en lui reprochant de n'avoir pas prescrit d'interdiction générale et absolue de fumer dans le bureau à usage collectif qu'elle occupait, et elle saisit la juridiction prud'homale, afin d'obtenir le paiement de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse. L'employeur est condamné par la cour d'appel de Versailles pour licenciement abusif. Il se pourvoit en cassation, en mettant en avant le fait qu'il a pris toutes les mesures nécessaires et n'a violé aucune règle de droit. La chambre sociale, s'inscrivant dans la logique des arrêts amiante, affirme que l'employeur n'a pas respecté son « obligation de sécurité de résultat ». On voit clairement, à travers cet arrêt, que la seule question essentielle est celle du résultat : telle personne a-t-elle été soumise au tabagisme passif ? Si la réponse est oui, l'employeur est en faute. Le but n'est pas seulement de respecter la législation, mais d'assurer, pour reprendre un terme auquel le président Sargos est très attaché, « l'effectivité » de la législation.

Le passage d'une obligation de moyens à une obligation de résultat bouleverse le régime de la responsabilité. Ne pas atteindre le résultat présume une faute.

Cela dit, en prenant acte de la rupture du contrat de travail, Mme Lefebvre a dû perdre son emploi pour obtenir le respect de la législation. C'est un prix lourd à payer.

En définitive, que peut faire un salarié pour se protéger contre le tabagisme passif ? Il peut, premièrement, prendre acte de la rupture du contrat de travail. C'est un choix extrêmement risqué. Car encore faut-il que le motif soit considéré par les juridictions comme motivant réellement une rupture du contrat de travail. N'oublions pas que c'est après des demandes répétées durant trois mois que Mme Lefebvre a pris acte de la rupture du contrat de travail. Si je m'engage dans la même démarche parce que l'un de mes collègues est, à deux reprises, arrivé sur mon lieu de travail en fumant, je prends le risque que la juridiction prud'homale, un an plus tard, me déclare démissionnaire, en considérant que deux faits ponctuels dont la durée totale était d'une seconde et demie ne justifiaient nullement de prendre acte de la rupture du contrat de travail. Pour éviter de prendre ce risque, la solution consiste, tout en continuant à travailler à saisir les prud'hommes en résolution judiciaire du contrat. Je ne suis pas au chômage, et j'attends le résultat. Si les prud'hommes me donnent raison, il y a licenciement sans cause réelle et sérieuse. S'ils me donnent tort, je n'aurai pas perdu mon emploi. Évidemment, mon employeur risque de m'en vouloir d'avoir engagé cette procédure, mais c'est un autre problème, qui n'est pas d'ordre juridique.

Le salarié peut, deuxièmement, exercer son droit de retrait. Comme chacun sait, les salariés peuvent, individuellement ou collectivement, exercer leur droit de retrait dans toute situation de travail présentant un danger grave et imminent pour leur vie ou leur santé. Mais à moins d'être entouré de vingt-cinq fumeurs qui vous envoient leur fumée dans le visage, le danger est grave mais pas imminent. Cela dit, plusieurs cours d'appel ont donné raison à des serveuses de bar qui ont exercé leur droit de retrait. Dans une affaire jugée par la cour d'appel de Rennes, le salarié avait exercé son droit de retrait durant deux ou trois mois. Cela pose un problème considérable en termes de paiement. À l'origine, le droit de retrait avait été conçu pour les situations d'urgence. Un échafaudage n'est pas monté, une machine commence à chauffer : le salarié se retire. Le droit de retrait n'est pas conçu pour permettre au salarié de s'absenter durant trois mois.

Le salarié peut, troisièmement, saisir l'inspection du travail. Le problème est que les inspecteurs du travail ne se sentent pas, pour l'instant, très motivés pour intervenir dans le domaine du tabagisme passif.

Quatrièmement, en cas de maladie déclarée, le salarié peut mettre en cause la responsabilité de l'employeur, avec de fortes chances pour que la faute inexcusable soit reconnue. Par ailleurs, la logique de l'arrêt du 21 juin 2006 contribue à faire du droit à la santé au travail un droit fondamental. La protection de la santé du salarié est l'obligation numéro un de l'employeur.

Le droit communautaire a bouleversé notre droit en affirmant un principe que la chambre sociale de la Cour de cassation développe à présent de manière radicale : le salarié n'est pas un sujet passif auquel il serait demandé d'attendre que l'employeur lui dise de faire ceci ou cela. L'employeur est responsable de la santé du salarié, en vertu de l'article L. 230-2 du code du travail, mais le salarié est aussi responsable de sa propre santé et de celle d'autrui. En un mot, des cadres sans délégation de pouvoir peuvent être déclarés responsables si leur comportement, par action ou par omission, a généré un préjudice pour leurs collègues.

Enfin, l'arrêt du 21 juin 2006 introduit une grande nouveauté en ceci qu'un cadre qui fumerait ou laisserait fumer est à présent susceptible d'être mis en cause non pas sur le plan disciplinaire mais au civil, et de devoir rembourser aux victimes éventuelles les dommages causés. C'est une nouveauté absolument redoutable pour les entreprises. Les relations sociales risquent de connaître des tensions extrêmes.

M. Pierre MORANGE, rapporteur : L'exposé limpide que nous venons d'entendre montre que l'évolution très rapide de la jurisprudence impose, au minimum, un repositionnement réglementaire.

Monsieur Ray, après tout ce que vous venez de nous dire, le principe dérogatoire vous semble-t-il encore possible, tant en ce qui concerne les lieux que les personnes ?

M. Jean-Emmanuel RAY : Le principe selon lequel l'espace peut faire l'objet d'une division entre des lieux réservés aux fumeurs et d'autres où il est interdit de fumer est un principe rationnel. Mais le droit du travail ne peut pas reposer uniquement sur des principes. Il doit tenir compte de la réalité concrète des entreprises, laquelle montre que cette division engendre, au bout du compte, des incertitudes permanentes. D'abord, quand les fumeurs se rendent dans les lieux qui leur sont réservés, ils s'y rendent en fumant. Ensuite et surtout, quand beaucoup de fumeurs se trouvent dans une tour, cela se traduit par des passages considérables de fumée. Encore une fois, l'important est maintenant de respecter l'obligation de sécurité de résultat : le salarié doit être garanti contre tout tabagisme passif.

S'agissant de dérogations visant les personnes, les choses sont claires : le droit français ne connaît pas ce que les Britanniques appellent l'opting out. Un salarié ne peut pas renoncer à la protection de sa santé, pas plus qu'il ne peut renoncer au salaire minimum. C'est tout simplement inenvisageable. En matière de santé et de sécurité, le droit du travail ne doit pas dépendre de l'acceptation du collaborateur.

M. Yves BUR : Les choses sont claires en ce qui concerne les salariés. Aucune exception n'est possible. Mais qu'en est-il des clients ? On peut imaginer que dans un établissement recevant du public, les salariés ne fument plus mais soient exposés au tabagisme passif parce que les clients fument. Qu'en est-il de la responsabilité du chef d'entreprise ?

M. Jean-Emmanuel RAY : L'employeur est responsable de la santé et de la sécurité des salariés. Il doit les garantir contre toute exposition au tabagisme passif, y compris celle occasionnée par des clients fumeurs. C'est l'avantage de la notion d'obligation de sécurité de résultat. Elle évite d'entrer dans toute une série de débats. Une seule question se pose : garantissez-vous l'ensemble de vos collaborateurs contre toute exposition au tabac ? Si la réponse est non, votre responsabilité est engagée.

M. Yves BUR : Même quand l'établissement vend du tabac ?

M. Jean-Emmanuel RAY : Il n'y a aucune exception à la règle. À partir du moment où je suis votre collaborateur, vous répondez de mes conditions de travail.

M. Yves MARTINET : J'appelle votre attention, monsieur Ray, sur le fait que le risque du tabac n'est pas seulement celui du cancer du poumon ou de pathologies respiratoires. Le risque le plus important est le risque cardio-vasculaire. Or, il ne s'agit pas d'un risque à long terme. Il est rapide, voire immédiat.

M. Gérard DUBOIS : J'ajoute qu'une expérience a été conduite, qui va dans ce sens. On a exposé des personnes dans des chambres, et constaté des effets immédiats de la fumée sur la tension artérielle et le rythme cardiaque.

Par ailleurs, j'indique que le dernier rapport du US Surgeon General sur le tabagisme passif paraît aujourd'hui même.

M. Francis ATTRAZIC : Pour revenir à la notion d'obligation de sécurité de résultat, je voudrais que M. Ray confirme que si un salarié continue à fumer malgré l'interdiction, il est responsable vis-à-vis de ses collaborateurs.

M. Jean-Emmanuel RAY : Si l'on veut présenter les choses dans l'ordre, il faut dire que c'est d'abord l'employeur qui est responsable.

M. Francis ATTRAZIC : La question est de savoir si ce salarié commet une faute grave motivant un licenciement.

M. Albert HIRSCH : Il faut remercier M. Ray d'avoir mis en évidence l'évolution considérable que représente l'arrêt du 21 juin 2006 par rapport à celui du 29 juin 2005. L'arrêt de juin 2006 permet de protéger la santé des travailleurs en les maintenant au travail. Mais cette jurisprudence est-elle suffisante pour qu'une nouvelle réglementation soit pleinement efficace ?

Mme Muguette JACQUAINT : Il convient de souligner, dans l'évolution récente de la jurisprudence, la possibilité donnée au salarié victime du tabagisme passif d'exercer son droit de retrait. Il peut également saisir l'inspection du travail. Mais la jurisprudence suffit-elle ?

Par ailleurs, vous avez noté, monsieur Ray, que les inspecteurs du travail n'étaient pas très mobilisés dans la lutte contre le tabagisme passif, qui est un thème nouveau pour eux. Mais leur nombre insuffisant est un autre motif d'inquiétude.

M. Vassilis VOVOS : Vous avez fait allusion, monsieur Ray, à l'arrêt de la cour d'appel de Rennes du 16 mars 2004 donnant raison à un salarié qui avait exercé son droit de retrait. Dans ses attendus, la cour d'appel considère qu'il convenait « d'aménager un espace totalement indépendant de la salle principale. » Il semble donc qu'une protection renforcée des non-fumeurs qui résulterait d'un cloisonnement obligatoire ne contredirait aucune décision de justice, qu'il s'agisse de celles de la cour d'appel de Rennes ou de la Cour de cassation. C'est du moins la question que je me pose.

Par ailleurs, dans le même arrêt de la cour d'appel de Rennes, il est dit que « la nocivité des fumées du tabac (...) impose à tout employeur de ne pas contraindre un salarié sans son consentement de travailler dans des atmosphères polluées par ces fumées », ce qui laisse supposer que si le salarié avait donné son consentement, la décision eût pu être différente.

Troisièmement, alors que les données scientifiques sont les mêmes dans toute l'Europe, alors que la logique de la protection est partagée par tous les pays d'Europe, alors que le bon sens est le même partout, alors que les lois sont de plus en plus similaires, on note que dans des pays comme l'Italie, la Suède, la Belgique, les Pays-bas, une séparation physique est autorisée entre espaces fumeur et non-fumeur dans les lieux publics. Comment expliquer que, dans un environnement similaire, l'on puisse avoir des lectures totalement différentes ?

Mme Bernadette ROUSSILLE : Il est permis de se demander s'il ne faut pas désormais protéger l'employeur. S'il doit appliquer la loi, ne faut-il pas lui donner les moyens de sanctionner les salariés qui enfreignent les interdictions en vigueur, et notamment en rendant obligatoire l'inscription de l'interdiction de fumer dans le règlement intérieur ? Mais on sait que l'existence même d'un règlement intérieur n'est obligatoire que dans les entreprises de plus de vingt salariés.

Ne faut-il pas en outre que la loi permette à l'employeur de sanctionner non seulement les salariés, mais aussi les usagers ?

M. Francis ATTRAZIC : La notion d'obligation de sécurité de résultat renvoie au résultat obtenu pour la santé des salariés, mais aussi aux résultats en matière d'hygiène comme en bien d'autres matières encore. À force de demander des résultats, il va falloir sérieusement songer à protéger l'employeur, qui risque de se retrouver rapidement dans une situation insupportable.

M. le Président : Protéger l'employeur est d'ailleurs aussi en partie l'objet de nos travaux.

M. Jean-Emmanuel RAY : Je vais tenter de répondre aux différentes questions dans l'ordre où elles m'ont été posées.

J'ignorais que le tabagisme passif pouvait faire courir des risques immédiats à la personne qui y est soumise à hautes doses. Si tel est le cas, il est évident que le droit de retrait pourrait être exercé, puisqu'il peut l'être dans une situation présentant un danger grave et imminent.

S'agissant de la question de savoir si un salarié ne respectant pas l'interdiction de fumer peut être licencié pour faute grave, la Cour de cassation, dans un arrêt du 30 septembre 2005, a confirmé la décision d'une cour d'appel qui avait considéré comme justifié un licenciement pour faute grave du fait des manquements d'un salarié aux consignes de sécurité. Cet arrêt reprend les termes de la cour d'appel en évoquant « la lourde obligation de sécurité de résultat pesant sur l'employeur ». Les choses me paraissent très claires : si pèse sur l'employeur cette lourde obligation de résultat, il faut lui donner les moyens de mettre en œuvre cette obligation. On ne peut pas dire à l'employeur qu'il est responsable de tout sans lui donner les moyens, y compris disciplinaires, d'assurer le respect de cette obligation. Une jurisprudence ancienne considérait que, sur un chantier, un ouvrier n'ayant pas respecté l'obligation de porter un casque ne pouvait pas pour cela être licencié. Il n'en est plus de même dans la jurisprudence actuelle. Le président Sargos, de façon très équilibrée, a dit que si l'on met à la charge de l'employeur une obligation de sécurité de résultat, il convenait de lui permettre de licencier pour faute grave en cas de manquement du salarié aux règles de sécurité.

J'irais même jusqu'à dire que le non-respect des règles de santé et de sécurité devrait être presque automatiquement constitutif d'une faute grave. En effet, je rappelle que, en droit du travail, la faute grave entraîne la rupture immédiate du contrat de travail, sans préavis. À l'inverse, ne pas invoquer la faute grave, c'est se mettre dans l'obligation d'autoriser le salarié à exécuter son préavis. Or, on ne voit pas comment on pourrait laisser faire trois mois de préavis à quelqu'un qui ne porte pas son casque ou qui fume devant ses collègues. Le choix par les entreprises de la procédure de licenciement pour faute grave ne correspond pas seulement à la volonté de sanctionner lourdement le salarié fautif, mais aussi au souci d'éviter la question récurrente de savoir à quel poste le salarié licencié peut exécuter son préavis.

Un revirement de jurisprudence est-il possible ? Il me semble que la dynamique communautaire est telle qu'elle s'imposera à la chambre sociale de la Cour de cassation, même après le départ du président Sargos en septembre prochain.

Cela étant, il ne suffit pas qu'un salarié ait fumé une cigarette pour qu'il puisse être licencié pour faute grave. Il faut qu'il ait été averti une première fois, qu'il ait reçu, après avoir récidivé, une lettre d'avertissement. Bref, la faute grave est une grave insubordination.

La jurisprudence née de l'arrêt du 21 juin 2006 sera-t-elle stable, ou convient-il de l'inscrire dans la loi ? C'est une question embarrassante. À mon sens, étant donné les décisions de la Cour de cassation prises en assemblée plénière dans un domaine voisin, je ne vois pas comment on pourrait revenir en arrière. Cela étant, la loi peut confirmer la jurisprudence, comme elle peut d'ailleurs l'infirmer. La jurisprudence est subordonnée à la loi, Dieu merci.

S'agissant de l'inspection du travail, madame Jacquaint, M. Gérard Larcher a mis en place un plan de modernisation qui va se traduire par une augmentation de 50 % des effectifs de l'inspection du travail durant les trois prochaines années. Il n'y a donc évidemment aucun souci à se faire quant à une éventuelle insuffisance des effectifs.

Selon le Conseil d'État, si l'interdiction de fumer figure dans le règlement intérieur, c'est l'inspecteur qui est compétent, et si elle n'y figure pas, ce sont les Officiers de police judiciaire (OPJ). Il va être difficile de convoquer un officier de police judiciaire pour qu'il constate que quelqu'un fume dans le bureau n° 22. C'est un peu surréaliste. À mon sens, qu'une entreprise compte plus ou moins de vingt salariés n'a guère d'importance. Ce qui compte, en matière de tabagisme comme de harcèlement moral ou de harcèlement sexuel, c'est qu'un texte d'origine patronale rappelle les règles de base de la vie en société.

S'agissant, monsieur Vovos, des attendus de l'arrêt de la cour d'appel de Rennes du 16 mars 2004, ma réponse est que tout le monde peut se tromper. Quand je lis, sous la plume de juges extrêmement compétents, les mots « sans son consentement », les bras m'en tombent ! Cela ne correspond à rien dans notre droit, lequel - et je réponds ainsi à votre dernière question - est inévitablement marqué par notre culture. Si nous étions en Angleterre, votre remarque serait très pertinente. On pourrait concevoir qu'un salarié signe une lettre par laquelle il accepte d'être exposé au tabagisme passif. Dans le droit français, cela n'est tout simplement pas concevable. De même, en Angleterre, un employeur peut, au moment de m'embaucher, me demander de renoncer à l'application de la règle selon laquelle la durée du travail hebdomadaire ne saurait excéder 48 heures. C'est inconcevable en droit français.

Vous avez évoqué la possibilité d'une séparation physique entre des espaces fumeur et des espaces non-fumeur. Mais la seule question qui se pose est toujours la même, c'est celle du respect de l'obligation de sécurité de résultat. Il ne s'agit plus de garantir les salariés, mais de garantir l'employeur contre d'éventuels recours ultérieurs. Est-ce qu'une séparation physique vous permet d'affirmer, devant un juge, que vous avez respecté votre obligation de résultat ? Je suis sceptique. Car l'homme n'est pas un meuble, et le respect de l'interdiction suppose une véritable autorité, fondée sur l'exemplarité. Or en matière de tabac, l'exemplarité n'est pas toujours évidente.

Enfin, je pense comme vous, madame Roussille, monsieur Attrazic, qu'il faut protéger l'employeur. L'entreprise est un bouc émissaire facile des maux de la société. L'interdiction de fumer sur le lieu de travail doit bien figurer quelque part. Or, le règlement intérieur n'est obligatoire que dans les entreprises de plus de 20 salariés, et certains règlements intérieurs ne comporte pas cette interdiction. Cela engendre des questions techniques assez compliquées. Il conviendrait peut-être de rappeler dans un texte législatif que, règlement intérieur ou pas, les entreprises sont soumises à une obligation de sécurité de résultat.

M. Francis ATTRAZIC : Je souligne que les professions de l'hôtellerie sont des professions populaires, au sens noble du terme. Elles accueillent l'ensemble de la population. Nous sommes touchés de plein fouet par tous les problèmes de société, tous les problèmes sanitaires. Si, en outre, la responsabilité de l'entreprise est systématiquement engagée, notre situation va rapidement devenir inextricable. Une logique d'interdiction systématique va mettre à mal un grand nombre d'établissements, en particulier les plus petits.

M. le Président : Sans engager le débat sur ce point, j'appelle votre attention, monsieur Attrazic, sur le fait que la protection de la santé est une exigence supérieure à un certain nombre d'autres préoccupations. On ne peut pas banaliser une interdiction spécifique, motivée par le fait qu'il s'agit d'un problème de santé, en considérant qu'elle serait équivalente à d'autres interdictions que vous avez évoquées.

M. le Rapporteur : L'évolution extrêmement rapide de la jurisprudence, que vous avez bien décrite, monsieur Ray, nous conduit inéluctablement à nous poser la question de la pertinence d'une modification du cadre législatif. Face au rouleau compresseur de cette jurisprudence, une simple modification du règlement intérieur s'appliquant dans les lieux accueillant du public ne serait-elle pas, en définitive, la disposition la plus adaptée ? N'est-ce pas la meilleure chose à faire pour tenir compte du caractère extrêmement réactif et évolutif de la jurisprudence, laquelle intègre la nécessité de « l'effectivité » des textes, pour reprendre le terme du président Sargos ? Laquelle de la voie réglementaire ou de la voie législative vous paraît-elle la mieux adaptée ?

M. Yves BUR : La conclusion que l'on peut tirer de vos propos, monsieur Ray, est que la loi Évin est morte, du moins pour ce qui est de ses dispositions relatives au tabac. L'évolution de la jurisprudence nous montre qu'il est urgent de légiférer. Si nous ne le faisons pas, c'est la justice qui répondra aux questions qui ne manqueront pas de se multiplier, et les chefs d'entreprise vivront dans l'incertitude.

M. Gérard AUDUREAU : Lors de la table ronde du 14 juin dernier, j'évoquais le cas d'un fonctionnaire qui demandait le respect de son environnement et a été muté à deux reprises, puis retardé dans son avancement à trois reprises. Depuis, la procédure qu'il avait engagée a abouti à un jugement dont je vous lis un extrait : « Des carences dans l'application de la législation et de la réglementation relatives à la lutte contre le tabagisme, et des agissements d'un questeur susmentionné, ont cependant causé à M. X des troubles dans ses conditions d'existence et un préjudice moral, dont il serait fait une juste appréciation en condamnant l'État à lui payer la somme de 1 000 euros. »

L'application de la loi va donc également évoluer dans le secteur public, et pas seulement dans le privé.

M. Jean-Paul VASLIN : Je comprends, monsieur Ray, qu'il est délicat de faire des prévisions. Mais à votre avis, dans combien de temps cette dynamique de la jurisprudence ira-t-elle jusqu'à remettre en cause le fait, pour un employé ou un employeur, de vendre du tabac ?

M. Albert HIRSCH : Si un décret, au cœur de l'été, introduit une exception à l'interdiction de fumer, ce qui serait contraire à la lettre et à l'esprit de l'arrêt de la Cour de cassation du 21 juin, quelle force aura cette jurisprudence vis-à-vis de l'application de ce décret ?

Comment un employeur peut-il appliquer, de façon efficace, une interdiction de fumer dans son entreprise, que ce soit vis-à-vis de ses salariés ou de ses clients ?

M. Gérard DUBOIS : Je précise que la décision de la cour d'appel de Rennes n'a pas fait l'objet d'un pourvoi en cassation. Elle fait donc jurisprudence.

M. Attrazic demande une exemption non seulement pour les bars tabac, mais aussi pour tous les lieux de revente, soit quasiment partout. Une telle exemption reviendrait à ridiculiser complètement un texte. Ce serait un non-sens total.

J'avais demandé, lors de la première réunion, de remplacer le terme « tabagisme passif » par le terme « amiante » : on a donc entendu dans cette salle des demandes d'exemption d'interdiction de l'amiante !

S'il y a une exemption où que ce soit, la logique serait de s'opposer à tout monopole de vente dans un tel endroit. Par exemple, il est hors de question d'attirer, pour les exposer à la fumée, ceux qui veulent jouer au PMU ou les enfants qui veulent acheter des friandises. Dans ces conditions, tout monopole doit être exclu des bars-tabac.

M. Georges MOTHRON : Lorsqu'on aménage des lieux fumeurs dans une entreprise, n'amène-t-on pas les fumeurs à s'imbiber encore davantage ?

M. le Président : C'est la question de la protection des fumeurs eux-mêmes et de l'accroissement du risque dans des lieux réservés aux fumeurs qui est ainsi posée.

M. Jean-Emmanuel RAY : L'arrêt qui a été rendu sur le harcèlement moral va-t-il perdurer, ou est-ce un arrêt d'espèce ? Je ne pense pas qu'il s'agisse d'un arrêt d'espèce. Avant de modifier de manière aussi profonde une jurisprudence en matière de sécurité et, surtout, en matière de responsabilité civile, la chambre sociale a dû y regarder à deux fois et prendre langue avec ses collègues de la première et de la seconde chambre civile.

Cela dit, la souveraineté populaire n'est pas dans les juges, mais dans le législateur, Assemblée nationale et Sénat. Il ne faut pas se tromper de décideur politique. Une loi peut casser la jurisprudence en disant exactement l'inverse.

Un décret peut également être en contradiction avec une jurisprudence, sauf celle du Conseil constitutionnel. Mais s'il existe un droit communautaire au-dessus du droit français, qui s'impose à lui, y compris à la Constitution française. Si un tel décret était attaqué devant le Conseil d'État, son sort serait réglé en quelques secondes. En l'occurrence, si le Conseil d'État décidait de s'aligner sur la Cour de cassation et avançait que les textes communautaires imposent à l'entreprise une obligation de sécurité de résultat, la messe serait dite. Il n'y aurait plus d'issue de secours pour les défenseurs du tabac.

M. le Rapporteur : Ma question ne portait que sur le support juridique, décret ou modification législative. Je m'interrogeais sur l'efficacité du support en question, en cas d'interdiction totale, sans dérogation. Je me demandais quel était pour vous, juriste, l'élément le plus important, compte tenu de l'évolution du contexte jurisprudentiel et de la nécessité de modifier le règlement intérieur de chaque lieu recevant du public.

M. Jean-Emmanuel RAY : Dans ce domaine, il y a la règle de droit, et la pédagogie intimement liée à la règle de droit. Le décret est techniquement possible. Mais il serait très mal venu, surtout au milieu de l'été. On soupçonne les décrets d'être le fruit des pires « magouilles » des bureaux. En revanche, la loi de la République fixe une règle collective. Si des mesures doivent être prises, elles ne doivent pas venir d'un décret.

Le chef d'entreprise est responsable de ses salariés et s'il y en a un qui fume une fois, deux fois, il peut le mettre à la porte sans aucun état d'âme. Avec ses clients, il a un rapport commercial et peut perdre des clients s'il adopte une attitude trop répressive.

Le règlement intérieur ne peut pas, techniquement, être utilisé, car il ne peut viser un autre champ que celui des comportements des salariés. Il faudrait prévoir un autre texte visant les clients. Le rapport à la clientèle échappant complètement au droit du travail, mieux vaut prendre un texte général s'imposant à toute entreprise employant des salariés.

Ira-t-on jusqu'à condamner les « complices » qui vendent du tabac ? Ne demandez pas au droit du travail plus qu'il ne peut donner. Notre société se juridicise, au plan professionnel comme personnel. Quand je vois, aux États-unis, des personnes qui ont fumé deux paquets par jour venir pleurnicher et assigner les producteurs de tabac, je trouve que c'est totalement déplacé : nous sommes responsables et acteurs de notre propre vie ! Pour autant, je crains que nous n'aboutissions à des assignations de plus en plus fréquentes.

D'ici une dizaine d'années, si cette dynamique perdure, ne vous attendez pas à ce que la Cour de justice des communautés européennes transige : dans le domaine de la santé et de la sécurité, elle ne l'a jamais fait. S'agissant, par exemple, du temps de repos et du temps de travail, qui touche à la santé, les Allemands, les Français et les Espagnols ont voulu discuter. La Cour européenne a répondu que ces notions n'avaient pas un caractère national, qu'il s'agissait de notions de droit communautaire échappant aux États.

M. Vassilis VOVOS : On a évoqué la protection des fumeurs eux-mêmes contre la fumée ambiante. Pensez-vous que le fait, pour un salarié, de se rendre dans une salle séparée pour fumer, engagera dans le futur la responsabilité de son employeur ? Ira-t-on jusque là ?

M. Jean-Emmanuel RAY : Le salarié en question peut-il être considéré comme l'auteur exclusif de son dommage ? Je ne crois pas.

Aujourd'hui, dans l'entreprise, quand il y a doute, en matière de santé et de sécurité, c'est l'employeur qui est devant et le salarié qui est derrière. Prenez le cas d'un salarié qui exécute un acte très dangereux qui ne lui a pas été demandé, sans respecter les règles de sécurité et qui est victime d'un accident du travail. On considère qu'il y a partage de responsabilité.

Mme Bernadette ROUSSILLE : Interdire totalement de fumer ne permettrait-il pas à l'employeur ou au responsable du lieu d'éviter les risques liés aux usagers avec lesquels il a des liens commerciaux ? Ne pourrait-on pas prévoir un système de sanctions directes à l'encontre de ces usagers. Sinon, le responsable du lieu ne pourra que faire appel aux forces de police. C'est embêtant, pour un responsable de restaurant, de faire ouvertement la guerre aux usagers fumeurs, sans la médiation d'une loi ou de toute autre possibilité juridique supplémentaire.

M. Franck TROUET : Je voudrais réagir aux interventions de ce matin. J'ai l'impression qu'on essaie, après la décision de la Cour de cassation de la semaine dernière, de régler à l'égard à la fois du client et du salarié le problème du tabagisme passif. À mon sens, un seul et unique texte ne suffira pas.

Si l'on veut protéger les clients, les professionnels, patrons et salariés, on ne peut aller que vers une interdiction. Si l'on veut, au regard du droit du travail, assurer la santé des salariés et des employeurs, il faut aller au-delà du simple problème du tabac en essayant de régler, une bonne fois pour toutes, le problème de la santé des personnes au travail.

Le professeur Ray a fait le parallèle avec le harcèlement moral et sexuel. Dans la législation, on trouve trace de textes indiquant que le harcèlement est une faute commise par celui qui l'exerce et autorisant l'employeur à utiliser son pouvoir disciplinaire. La solution, en matière de santé, ne serait-elle pas de dire que toute personne qui manque à la santé commet une faute ? Les hôtels, cafés et restaurants connaissent un problème que ne rencontrent pas les autres entreprises, avec des clients qui peuvent rester longtemps, qui entrent et sortent en fumant.

M. le Président : Il existe d'autres activités et d'autres lieux qui peuvent être concernés, même si l'on ne peut pas toujours parler de « clients » : les hôpitaux, par exemple.

M. Jean-Emmanuel RAY : Je ne peux qu'abonder dans votre sens. Les rapports juridiques avec les salariés et les clients sont très différents, et les solutions juridiques qu'on pourra apporter le seront également.

Imaginez qu'un règlement intérieur prévoie que « toute personne roulant à plus de 30 km/h sera mise à pied. »...Vis-à-vis des clients, cela n'aurait pas de sens. Le droit du travail se limite à la zone géographique de pouvoir qu'est l'entreprise Et il faut donner les moyens à l'entreprise de faire respecter, par des sanctions adéquates, cette obligation.

L'interdiction totale a un aspect bien carré, bien français. Mais, concrètement, je ne vois pas d'autre solution. N'oubliez pas que nous sommes en France et que, de par notre culture latine, les exceptions risquent d'aboutir, de fait, à supprimer la règle.

Je suis très attaché à l'interdiction de fumer dans les lieux d'enseignement. L'école n'est pas un lieu comme les autres. Et certains étudiants ne fument pas que du tabac ! C'est un problème de société considérable. Ils répondent que les autres, c'est le tabac et que eux, c'est la « fumette ». J'aimerais qu'on leur réponde que ce soit cela ou autre chose, c'est non ! Cela porte atteinte à leur santé.

M. le Président : Je remercie M. Ray pour cet éclairage. Nous allons poursuivre en abordant la question de savoir qui on veut protéger ? Toute la population, ou les seuls non-fumeurs ? Dans quels lieux ? Peut-il y avoir des exceptions ?

Je donne maintenant la parole à Mme Nadine Neulat, chef du bureau de l'action sanitaire et sociale et de la prévention à la direction générale de l'enseignement scolaire.

Mme Nadine NEULAT : Je vous dirai quelques mots concernant l'application de la loi Évin dans les établissements scolaires, et ce dont l'Éducation nationale aurait besoin pour mieux l'appliquer, car la situation n'est pas encore satisfaisante. Je vise avant tout les lycées, puisque la question du tabac ne se pose pas dans les écoles primaires et pour ainsi dire pas dans les collèges.

Le ministre a donné des instructions précises aux chefs d'établissements, depuis quelques années, pour rendre effectives les dispositions de la loi de 1991. Il l'a fait notamment par le biais des circulaires de rentrée et de circulaires spécifiques, par exemple à l'occasion du 31 mai, qui est la journée mondiale sans tabac.

J'appelle votre attention sur les difficultés que pose la rédaction du décret de 1992, en particulier vis-à-vis des élèves de plus de 16 ans. Le décret précise en effet qu'il peut être mis à disposition, pour les élèves de plus de 16 ans et les adultes, des lieux fumeurs.

Nous avons fait une étude avec l'OFDT, l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies, en 2002, pour faire le bilan de l'application de la loi dans les établissements scolaires. Cette étude, qui portait sur 600 responsables d'établissement, 1 900 personnels et 10 500 lycéens et collégiens, figure au dossier que mes collaborateurs vous remettront. Mais je peux vous indiquer d'ores et déjà : que la moitié des lycéens sont informés sur la loi ; 53 % des proviseurs connaissent précisément les termes de la loi ; que 9 adultes sur 10 sont favorables aux dispositions protectrices, ainsi que 4 élèves sur 5 ; que 47 % des chefs d'établissement la jugent suffisamment efficace ; que, dans les lycées, seuls 40 % des chefs d'établissement déclarent l'existence d'une zone fumeurs pour les élèves. Cette zone, au demeurant, se trouvant majoritairement à l'extérieur, dans les cours par exemple ; un problème se pose dans les cités scolaires, où collège et lycée se trouvent sur la même zone.

Les zones fumeurs pour les personnels existent dans 65 % des lycées ; 14 % des lycées ont une salle des professeurs accessible aux fumeurs, sans zone non fumeurs ; 75 % des lycées et 83 % des collèges ont des dispositions dans leur règlement intérieur. Dans la moitié des lycées, les rappels à l'ordre sont fréquents. Les sanctions sont le plus souvent des avertissements oraux ou écrits, ou une notification aux parents.

S'agissant des difficultés d'application de la loi au lycée, on nous parle surtout du manque de moyens de surveillance, du manque de locaux et de locaux adaptés à l'aménagement de salles fumeurs ; on évoque aussi l'attitude des élèves par rapport à l'application de cette loi.

M. le Président : Le problème tient aussi à la difficulté pour les enseignants de faire preuve d'autorité.

M. Yves BUR : Vis-à-vis d'eux-mêmes, pour commencer !

Mme Nadine NEULAT : D'après cette enquête, la transgression par les personnels est assez peu fréquente et la majorité des adultes est perçue comme donnant l'exemple. Mais la perception de cet exemple diminue au fur et à mesure que l'on va vers le lycée.

M. le Président : Cette enquête semble bien menée, mais j'aimerais avoir des précisions. Avez-vous des pourcentages de transgression dans l'enceinte des lycées ?

Mme Nadine NEULAT : Non. Les transgressions sont plus fréquentes dans les lycées, mais un quart des lycéens disent ne pas transgresser l'interdiction.

Cette enquête a été réalisée en 2002. Une autre enquête comparative sera publiée à la fin de l'année 2006. Elle vous sera communiquée.

Parallèlement à ces instructions globales sur l'application de la loi Évin, nous avons mené une expérimentation particulière sur des lycées entièrement non fumeurs, pour les élèves de plus de seize ans comme pour les personnels. Elle ne porte que sur 22 lycées et le suivi est particulier : une formation pour les infirmières de ces établissements pour dispenser une aide au sevrage tabagique ; un équipement d'aide au sevrage avec des testeurs de monoxyde de carbone, des substituts nicotiniques et toute une documentation et un accompagnement pédagogiques. L'OFDT nous aide pour cette expérimentation et les premiers résultats seront disponibles fin 2006.

Parallèlement à cet ensemble de mesures, sans doute insuffisantes et qui doivent être poursuivies de manière très volontariste, sont menées des actions de prévention sur l'ensemble des conduites d'addiction. On sait bien que la consommation de tabac est concomitante avec une consommation de cannabis, qui est une autre préoccupation de nos établissements. Avec l'aide de la MILDT, nous avons tout un programme de prévention, qui va de l'école primaire jusqu'à la fin du lycée et qui s'adresse aux élèves des différents niveaux de scolarité.

M. le Président : Vous avez évoqué un problème lié à l'autorisation de fumer pour les élèves de plus de 16 ans. Sur quel élément du décret vous appuyez-vous ? Car je vois bien une disposition relative à l'âge de 16 ans, mais qui n'est pas celle que j'ai cru entendre : l'article R. 3511-10 dispose que les mineurs de moins de 16 ans ne doivent pas accéder aux emplacements qui sont mis à la disposition des fumeurs. Mais il n'y a aucune disposition réglementaire permettant de mettre à la disposition des fumeurs de plus de 16 ans des espaces fumeurs, quel que soit le type d'établissement.

S'est-on bien compris ? Si le ministère de l'éducation nationale n'a pas une bonne lecture du décret, on peut comprendre qu'il soit difficile d'appliquer la réglementation dans les établissements. Le ministère pourrait au moins relire ce décret de 1992, même si ce dernier ne devrait pas avoir une existence très longue.

On fait donc une distinction entre le lycée et le collègue s'agissant de la possibilité ou non d'instituer une zone fumeur. Il existe bien une disposition relative à l'âge de 16 ans, mais qui ne n'est pas une autorisation de fumer : simplement, il est interdit aux mineurs de moins de 16 ans d'accéder à des locaux réservés aux fumeurs dans les établissements qui ont le droit d'en disposer.

M. le Rapporteur : Je me suis fait la même remarque que notre président. Par ailleurs, s'agissant de la première enquête dont vous avez parlé, vous avez indiqué qu'un quart des lycéens disait respecter la loi, ce qui signifie que les trois autres trois quarts ne la respecteraient pas. À moins qu'il y ait une moitié sans opinion ou qui ne se prononçait pas ?

Mme Nadine NEULAT : Il y a en effet un pourcentage important de non-réponses, mais je pense qu'il ne faut pas non plus minimiser le nombre de lycéens qui ont une consommation de tabac relativement importante.

Je n'ai pas encore évoqué le fait que les lycéens qui se sont pas autorisés à fumer dans les cours sortent aux heures des repas, voire aux interclasses, pour fumer sur le trottoir devant l'établissement ou aux abords. Cela pose des problèmes, pour des raisons de sécurité et parce qu'on peut y proposer aux lycéens d'autres produits.

M. Gérard DUBOIS : Je voudrais rappeler un ordre de grandeur : les enquêtes n'osent pas montrer les statistiques de la réponse à la question : « Faut-il interdire de fumer dans les milieux d'enseignement ? » Le score est quasi stalinien, c'est-à-dire inacceptable dans n'importe quelle démocratie : on dépasse 95 % de manière pratiquement constante ! S'il y a des lieux où les Français désirent une interdiction complète, totale, absolue, de fumer, ce sont donc les lieux d'enseignement.

En ce domaine néanmoins, on note une contradiction : la loi Évin en fait un lieu particulier, puisqu'une partie du texte leur est consacrée. On pourrait penser que c'est pour renforcer l'application de la loi. Or l'administration de l'éducation nationale a été la dernière à écrire la circulaire d'application, et ce en 2002. Il y a donc un blanc de dix ans entre le décret d'application et la circulaire d'application : c'est un record administratif. Heureusement, l'état d'esprit a changé, tant au ministère que sur le terrain.

Pourquoi a-t-il fallu si longtemps ? On peut comprendre la difficulté d'interprétation du texte, surtout quand il existe une certaine mauvaise volonté. Une interdiction totale ne serait-elle pas d'application plus facile ? Ne permettrait-elle pas de régler le problème dans l'Éducation nationale ?

Mme Bernadette ROUSSILLE : Il y a à la fois un problème de textes et un problème de culture et de volonté. Le meilleur texte au monde ne saurait suffire. L'important, c'est de faire un travail préparatoire pour inciter les gens à arrêter de fumer et dissuader les jeunes de le faire, même aux abords du lycée.

Il faudrait également sortir du « micmac » actuel s'agissant des textes. Je ne suis pas tout à fait de votre avis, monsieur le président : l'article R 3511-9 introduit une grande confusion. Il autorise la création d'espaces fumeurs pour les professeurs, à condition que ce ne soit pas dans les salles des professeurs, et pour les usagers fumeurs - dont, éventuellement, les lycéens. À l'exclusion des salles d'enseignement, de travail et de réunion, on peut donc mettre à la disposition des lycéens des lieux fumeurs.

Dans la réalité, les lieux fumeurs des lycées sont les salles des professeurs, où il est théoriquement interdit de fumer, pour les professeurs ; et les cours de récréation pour les lycéens, où il est également interdit de fumer. La loi ne s'applique donc pas du tout et on ne saurait en rester là.

M. Francis ATTRAZIC : Des professions ayant été stigmatisées pour non-respect de la loi Évin, cela fait du bien d'entendre que ce n'est pas partout le paradis. Avant d'attaquer les hôtels, cafés, restaurants, il y aurait beaucoup à faire en amont...

M. le Président : Cela fait surtout apparaître que des exceptions compliquent considérablement l'application de la loi. Mieux vaut donc une interdiction totale qu'un texte qui tendrait à créer des exceptions.

M. Yves MARTINET : Mme Neulat a fait état d'une enquête majeure qui n'a malheureusement pas été rendue publique. Je crois qu'elle a été uniquement publiée dans OFDT Tendances, qui n'est pas un document très lu.

Nous sommes face à un échec. Selon la fédération française de cardiologie, il y a tous les jours plus d'un million et demi de fumeurs de 10 à 16 ans. En France, à l'âge de 17 ans, il y a 40 % de fumeurs chez les garçons et autant chez les filles. La loi Veil envisageait déjà des mesures pour les établissements d'enseignement.

En consultation de sevrage, je vois régulièrement des adolescents de 15, 16 ou 17 ans. Je leur demande alors si leur entourage favorise l'arrêt du tabac. Et ils répondent qu'au collège - car le problème ne se pose pas qu'au lycée -, c'est impossible ! Certes, il faut de l'éducation. Mais il faut aussi un peu de volonté et un peu de courage.

M. Gérard AUDUREAU : Je suis assez d'accord s'agissant de l'interprétation de l'article R. 3511-9 et du fait que l'Éducation nationale a très longtemps traîné les pieds.

Avec l'équipe de Didier Jayle, de l'INPES, nous avons mis au point un dépliant qui s'adresse spécifiquement aux personnels de l'Éducation nationale. Il a été envoyé à tous les chefs d'établissement en France, avec un courrier d'accompagnement cosigné par le ministre de l'éducation nationale et par Didier Jayle.

Pour concevoir ce document, nous avons rencontré des personnels de l'Éducation nationale. Il nous a fallu plus de huit mois. Et lorsque nous sommes allés sur le terrain, en région Poitou-Charentes, nous avons rencontré à peu près toutes les infirmières scolaires des quatre départements. Il n'a pas fallu plus de quinze jours pour que la loi soit comprise dans l'ensemble des établissements.

M. le Président : Nous sommes totalement d'accord sur l'interprétation de l'article R. 3511-9. Ce n'est pas la règle des 16 ans qui y est inscrite, c'est le type d'établissement.

M. Yves BUR : Je voudrais savoir si, dans l'enquête évoquée par Mme Neulat, on avait interrogé les jeunes sur leur consommation de cannabis. L'Éducation nationale est incapable de faire respecter à l'intérieur des établissements un minimum de règles ; elle est tout autant incapable de distinguer entre une cigarette roulée et un joint roulé. On s'est bien gardé de poser la question, en partant du principe qu'on n'en fumait pas à l'intérieur des établissements, mais toujours ailleurs. Or la pratique est beaucoup plus développée qu'on ne l'imagine.

Est-ce parce que les élèves pourraient avoir des difficultés à respecter la loi ? Pourquoi n'est-on pas allé plus loin ? Est-ce pour ne pas créer de difficultés avec le personnel enseignant ?

Dans certains lycées ou certaines facultés, des locaux ont été décrétés non fumeurs. Dans l'ensemble, la règle, quand elle est claire, est respectée. Certes, il y a toujours des infractions ; mais cela ne justifie pas qu'on doive ne rien faire. J'ai la conviction que l'Éducation nationale, dans ce domaine, a eu peur de son ombre et s'est montrée d'une grande faiblesse.

J'ai fait voter une disposition interdisant les distributeurs de friandises et de sodas dans les écoles. On n'est pas entré dans le détail : les marchands n'ont pas leur place à l'école et c'est interdit. Les enquêtes montrent que, globalement, la règle a été respectée. Pourtant, un Conseiller principal d'éducation (CPE) m'avait dit clairement qu'on en avait « rien à cirer ».

La loi a été contournée par l'administration elle-même. Il faut rappeler qu'à l'époque la SEITA était à l'intérieur de l'État et qu'on a laissé pourrir le texte. Il nous faut aujourd'hui une règle claire et simple. Ce n'est pas parce que certains vont élèves vont fumer en cachette dans les toilettes ou sur le trottoir qu'il faut s'abstenir d'agir. Dehors, ils peuvent se faire renverser par une voiture et être en contact avec des vendeurs de cannabis. De toutes façons, arrêtons de nous voiler la face : le cannabis est dans les collèges et dans les lycées.

Dans un collège, un enseignant pourrait-il se retourner contre l'administration de son collège pour avoir subi un tabagisme passif du fait des collègues fumant dans la salle des professeurs ?

M. le Président : C'est tout à fait le problème qui se pose dans les établissements privés. Concernant les établissements publics, il faudrait que se constitue une jurisprudence administrative en la matière.

M. Frédéric REISS : On parle du lycée, mais les mauvaises habitudes se prennent au collège et c'est là qu'il faudrait un dispositif vraiment clair. Mais il faudrait pour cela pouvoir s'appuyer sur les enseignants. Or ils ne sont pas un bon exemple pour les élèves.

Je suis un ancien enseignant et j'ai toujours été révolté par ce qui se passe autour des établissements scolaires. Quand, à huit heures moins le quart du matin, des élèves de sixième fument avant d'aller en classe, c'est qu'il y a un réel problème. Il faut donc se préoccuper de ce qui se passe autour des établissements scolaires et sur le chemin de l'école.

M. Jean-Paul VASLIN : S'agissant de l'application des textes par l'Éducation nationale, je voudrais faire remarquer qu'en voulant régler le problème, on en soulève d'autres qui pèsent lourdement et auxquels il faut réfléchir : des élèves se retrouvent devant les établissements, dans la rue, y compris pour la « fumette », qu'on n'observe pas seulement à l'intérieur des établissements. C'est un problème dont nous sommes témoins en tant que buralistes. Nous ne vendons pas de tabac aux moins de 16 ans, et c'était déjà le cas un an avant que le décret ne paraisse. Mais les consommateurs de plus de 16 ans sont souvent sollicités pour un paquet de cigarettes en même temps qu'un paquet de feuilles. Quant à ceux qui ne se fournissent pas chez les buralistes et fument néanmoins dans la cour ou devant l'établissement, où s'approvisionnent-ils ? C'est aussi une question qu'il faut poser.

M. Vassilis VOVOS : Sur ce point, je voudrais répéter la position de Japan Tobacco International. Nous soutenons l'interdiction totale de fumer dans les écoles et dans tous les établissements susceptibles de recevoir des mineurs.

Mme Nadine NEULAT : Toutes les remarques se recoupent. Pourquoi l'Éducation nationale a-t-elle attendu aussi longtemps pour produire une circulaire ? Vous vous doutez bien de la réponse. Mais sans vouloir nous dédouaner, je pense qu'il convient de prendre en compte l'évolution globale de la société vis-à-vis de ce problème. Depuis quelques années, les ministres successifs ont d'ailleurs affirmé leur volonté de le régler.

Je suis assez d'accord avec l'intervention de Mme Roussille. Pour notre part, nous sommes favorables à une interdiction totale. Ce serait une grande aide pour les chefs d'établissement et éviterait les erreurs d'interprétation de la loi de 1991 et du décret de 1992. Mais parallèlement, il faut faire un travail pédagogique en profondeur aussi bien vis-à-vis des personnels - je pense que les organisations syndicales sont prêtes à réfléchir à cette interdiction - que des élèves.

Le dépliant que nous avons conçu doit contribuer à faire des établissements scolaires des établissements non fumeurs. Des recteurs, comme ceux de Montpellier et de Dijon, viennent par ailleurs de s'engager à faire de leur académie une académie « non-fumeurs ». J'espère que cela fera tache d'huile.

Nous sommes par ailleurs très conscients des problèmes liés à la consommation de cannabis dans les établissements scolaires. C'est pourquoi nous travaillons en relation étroite avec la MILDT pour mettre en œuvre un programme de prévention concernant tous les produits addictifs - tabac, alcool, cannabis.

La prévention est en effet nécessaire au collège, mais elle doit même commencer dès l'école primaire où les enfants sont très réceptifs aux interdictions. Il faut travailler très en amont.

M. le Président : Je rappelle que nous avons prévu deux tables rondes sur l'ensemble des mesures d'accompagnement. Nous sommes tout à fait conscients qu'au-delà du renforcement de la réglementation actuelle, il est nécessaire d'aborder cette question. Il serait intéressant, madame Neulat, que vous reveniez nous parler du rôle que peut jouer l'Éducation nationale dans la sensibilisation à ce problème.

Je vous remercie. Nous allons maintenant passer à ce qu'on peut appeler globalement les « substituts de domicile », c'est-à-dire, entre autres : les hôpitaux psychiatriques, les établissements médico-sociaux et les prisons.

M. Philippe Pinton, qui remplace M. Michel Gentile, interviendra à propos des hôpitaux psychiatriques. Le docteur Pierre Larcher, chargé de mission à la direction générale de l'action sociale au ministère de la santé et des solidarités, interviendra à propos des établissements médicaux et sociaux. Mme Mireille Fontaine, du bureau des politiques sociales et de l'insertion à la direction de l'administration pénitentiaire du ministère de la justice, interviendra à propos des prisons.

M. Philippe PINTON : Quelle est la position de la Direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins (DHOS) ? Je précise d'abord que lorsque nous parlons de l'hôpital, nous parlons de tous les établissements de santé, quel que soit leur statut ; ensuite que les champs d'activité concernés sont non seulement les soins aigus de médecine, chirurgie et obstétrique, mais également les soins de suivi et de réadaptation, les soins de longue durée et la psychiatrie.

Comme l'école, l'hôpital n'est pas un lieu comme un autre. Premièrement, il accueille des personnes fragilisées, par définition. Deuxièmement, c'est le lieu par excellence où sont prises en charge les conséquences sur la santé de l'usage du tabac ; au cours des dernières années, des efforts ont été accomplis pour accompagner la mise en place de consultations de sevrage tabagique. Troisièmement, c'est un lieu particulier de sensibilisation des personnels Des actions conjointes ont été conduites ces dernières années entre le ministère et le réseau « hôpital sans tabac ». Quatrièmement, c'est un lieu où se mêlent dans les mêmes locaux des flux très variables : des patients hospitalisés, des consultants, des personnels hospitaliers, des personnels d'entreprises extérieures qui interviennent pour des entreprises de bâtiment ou d'entretien, des visiteurs, qu'il est impossible de traiter différemment. Cinquièmement, c'est un lieu dont les caractéristiques architecturales sont très variables: hôpitaux pavillonnaires, hôpitaux blocs. Il est donc difficile d'appliquer une mesure à des ensembles aussi hétérogènes.

S'agissant des soins aigus, il n'y a pas de débat. Nous considérons que la mesure d'interdiction doit s'appliquer dans son intégralité. S'agissant des autres activités, il peut y avoir débat en raison de la longueur plus importante des séjours.

La question a notamment été posée pour les soins de suite et de réadaptation. Ce que nous appelions il y a encore peu de temps « moyen séjour » est devenu un ensemble très important de la chaîne des soins, avec des durées de séjour raccourcies et des entrées beaucoup plus précoces dans ces structures après la phase aiguë, ainsi qu'une médicalisation qui s'est très fortement accentuée ces dernières années. Par ailleurs, les services de suite et de réadaptation ont vocation à s'adosser de plus en plus aux structures et aux activités aiguës.

Au regard de l'interdiction de fumer, nous en avons tiré la conclusion qu'il n'est pas concevable de faire une distinction entre les soins de suite et de réadaptation et les soins aigus.

S'agissant des activités de soins de longue durée, se pose de façon très directe la question du substitut de domicile, les patients ayant vocation à demeurer dans ces structures jusqu'à la fin de leur existence, puisqu'il s'agit essentiellement de personnes âgées dépendantes. Une tendance se dessine très fortement et va sans doute se concrétiser par des modifications réglementaires : le recentrage de ces activités sur des prises en charge plus lourdes et plus médicalisées. On se rapproche donc des activités de soins et nous en tirons là encore la conclusion qu'il n'y a pas lieu de traiter ces activités différemment des autres activités de l'hôpital.

La psychiatrie pose un problème particulier, d'autant que nous entendons parfois les professionnels avancer que le tabac est un élément de la relation, et donc de la thérapeutique. Bien entendu, nous ne partageons pas ce point de vue. Par ailleurs, en psychiatrie, la notion juridique de « substitut de domicile » est contradictoire avec l'évolution de la pratique hospitalière qui fait des hôpitaux psychiatriques des lieux de soins où doit s'exercer la prise en charge du patient dans toutes ses dimensions. Enfin, en application du plan « santé mentale » dont nous sommes en train d'élaborer le volet investissement, nous allons vers un rapprochement physique et une intégration des structures de santé mentale et de psychiatrie dans des locaux adossés aux autres structures des autres disciplines. On ne saurait donc réserver un traitement particulier aux structures de santé mentale et de psychiatrie.

La position de la DHOS est que l'ensemble des activités du champ sanitaire a vocation à voir s'appliquer, sans dispositions spécifiques, l'ensemble des dispositions qui seront prises en matière d'interdiction de fumer.

M. Pierre LARCHER : Avec les établissements médico-sociaux et sociaux, nous sommes dans une tout autre situation. En général, la clientèle est constituée de personnes qui se sont trouvées devant un échec des structures de soins ou des structures d'éducation. On y intervient en urgence pour des personnes qui subissent déjà les séquelles d'échecs précédents, et cela à tous les âges : sont concernés les enfants et adolescents de l'aide sociale à l'enfance ; des enfants, des jeunes et des adultes très «désinsérés », qui bénéficient d'hébergements d'urgence ou de CHRS, centres d'hébergement et de réadaptation sociale ; des porteurs de handicaps physiques ou mentaux depuis l'origine et qui risquent de durer pendant des années, la plupart du temps à vie ; sans compter les personnes en Centres d'aide par le travail (CAT), Instituts médico-éducatifs (IME) et dans certains foyers ; enfin, des personnes âgées plus ou moins dépendantes, hébergées dans des maisons de retraite médicalisées ou non, ou qui utilisent des structures d'accueils de jour.

Il s'agit donc d'un public très varié, mais dont la caractéristique principale est d'être soumis à la fois à des difficultés sanitaires importantes et à des difficultés de tous autres ordres - hébergement, emploi, relations sociales et familiales, etc.

S'agissant des enfants et des adolescents, l'attitude est évidente et claire ; l'interdiction est tout à fait légitime. S'agissant des handicapés, dans un certain nombre de cas, l'interdiction comme élément d'un cadre est indispensable. Mais il y a différents types de personnes handicapées. L'interdiction peut aboutir à un rejet de l'institution, certains handicapés comprenant mal où se situe le cadre de l'interdiction et où se situe le cadre de la valorisation personnelle. J'ai interrogé ceux qui s'occupaient des différentes personnes concernées et le résultat est à peu près le même partout : des modulations sont nécessaires. On ne peut pas tout supprimer d'un seul coup à des personnes qui ont déjà des séquelles graves d'une autre origine que sanitaire, mais dont les retentissements sanitaires sont évidents. Ma collègue de l'administration pénitentiaire dira sans doute la même chose : il est très difficile de supprimer les dernières soupapes de sécurité à des personnes qui n'en ont déjà presque plus. Cela dit, les cadres doivent être clairs, et si certaines choses peuvent être tolérées, cela ne signifie pas qu'elles soient « autorisées ».

Y a-t-il eu des circulaires ou des réglementations dans les établissements pour personnes âgées pour appliquer la loi ? On n'a jamais voulu le faire.

Dans le cadre du plan cancer, en 2004, une expérimentation avait été menée en Midi-Pyrénées sur l'ensemble des établissements qui voulaient bien devenir établissements sans tabac, parmi lesquels des établissements sociaux et médico-sociaux. Il en est résulté que la moitié des établissements n'ont pas répondu. Cela signifie qu'ils ne s'étaient pas vraiment lancés dans l'application de la loi. La moitié de ceux qui avaient décidé de devenir établissements sans tabac avaient opté pour l'interdiction totale et l'autre moitié avait opté pour des lieux réservés.

La doctrine n'est donc pas établie dans les établissements médico-sociaux et sociaux dont le public est très variable : enfants, jeunes, handicapés adultes ou personnes âgées. Pour les personnes âgées, le mal est déjà fait : ou bien elles sont déjà atteintes, ou bien elles ne risquent plus grand-chose. Mais dans tous ces établissements, le personnel doit être protégé, alors que jusqu'à présent, on ne s'était même pas posé la question, en se préoccupant seulement de la question du public. Dès l'instant où il n'y a pas d'interdiction totale, le personnel est évidemment exposé.

Dans tous les substituts d'hébergement, la chambre est considérée comme local privatif et on n'a rien à y voir. Il n'en reste pas moins que le personnel est amené à y aller régulièrement et se trouve donc soumis à un tabagisme passif. La situation n'est donc pas évidente, d'autant plus que se multiplient les établissements recevant des personnes en état de précarité, où le personnel se trouve confronté à des problèmes d'alcool et de tabagisme.

Jusqu'à présent, notre administration n'a pris aucun texte. L'application de la loi est modulée en fonction de ce qui semble relever du plus élémentaire bon sens. Heureusement que la société évolue énormément, très vite et qu'il existe une pression pour diminuer la consommation de tabac. Je crains néanmoins que, pour les personnes âgées, ce soit difficilement envisageable.

Mme Mireille FONTAINE : Je suis médecin général de santé publique, détaché du ministère de la santé à la direction de l'administration pénitentiaire.

Je vous parlerai des établissements pénitentiaires, établissements publics avec des personnels composés de fonctionnaires et de gestionnaires privés. Je précise que le parc pénitentiaire est très inégal : établissement vétustes avec hébergement collectif et dortoirs ; établissements neufs avec encellulement individuel généralisé.

Ces établissements accueillent différentes sortes de populations.

D'abord, les agents. La question de la protection des agents s'est assez peu posée dans le domaine pénitentiaire. Je n'ai pas obtenu d'informations sur le nombre de surveillants fumeurs, mais je sais que la proportion est grande.

Ensuite, les visiteurs : agents de justice, familles, enseignants et professionnels divers.

Dans le parc pénitentiaire, il ne faut pas oublier certains lieux spécifiques, dont la particularité est d'accueillir des détenus malades : les unités hospitalières sécurisées interrégionales, qui sont à la fois des lieux médicaux, sur une emprise hospitalière et des lieux de protection pénitentiaire. Dans ces lieux-là, le respect de l'interdiction de fumer qui prévaut habituellement dans les établissements de santé est très difficile à obtenir.

La population concernée est quasiment exclusivement masculine, jeune - 34 ans d'âge moyen - et reste en moyenne 8,3 mois dans les établissements ; 4 personnes sur 5 entrant en détention déclarent fumer quotidiennement, soit trois fois plus que dans la population générale. Un détenu entrant sur 7 déclare fumer plus de 20 cigarettes par jour. Il y a une légère baisse par rapport à 1997, mais c'est encore très important. Et je ne parlerai pas de l'alcool ni de l'utilisation de drogues illicites.

Une enquête a été menée en 2005 au sein de l'administration pénitentiaire sur l'application de la loi Évin : 59 % des établissements mentionnent les dispositions relatives à l'interdiction de fumer dans le règlement intérieur de l'établissement. Les interdictions de fumer sont majoritairement respectées dans les parloirs, les salles d'attente du public, les salles de spectacles, les locaux sanitaires et médicaux, les salles d'enseignement et les bibliothèques. Elles sont, en revanche, assez mal respectées dans les ateliers et les lieux de circulation. Il est, par ailleurs, permis de fumer dans les cours de promenade.

12 % des établissements ont déclaré disposer de locaux spécifiques ou des planning d'utilisation des salles fumeurs et non fumeurs.

Sur l'affectation des personnes détenues en cellules fumeurs ou non fumeurs, il est maintenant quasiment généralisé de poser la question et il existe des cellules non fumeurs dans 30 % des établissements. Mais seulement 5 % des établissements disposent de cellules où l'on ne met jamais que des non fumeurs. Enfin, 50 % des établissements parviennent à dégager temporairement des cellules non fumeurs.

La prise en charge sanitaire des détenus assurée par les établissements d'hospitalisation publique disposant à l'intérieur des établissements pénitentiaires d'unités de consultation ambulatoires permet la distribution de patchs. C'est le cas de la moitié des établissements pénitentiaires. Dans un peu moins de la moitié des cas, ces patchs peuvent être mis à disposition gratuitement et 30 % des établissements permettent d'assurer l'accès à une consultation de tabacologie.

Nous avons peu d'informations sur les actions à la santé, qui sont difficiles à mener. Seuls 15 % des établissements ont pu développer de telles actions.

Les détenus ont accès à ce qu'on appelle la « cantine », où la vente de tabac est autorisée. Pour un panier du détenu estimé à 5 euros, un tiers de la dépense est consacré au tabac. Le pourcentage de fumeurs est globalement supérieur à celui de la population générale. L'interdiction de fumer n'a jamais été valorisée auprès des personnels et il est couramment admis en détention que le tabac aurait un rôle pacificateur.

Les cellules sont tout de même des lieux de vie, même si on ne peut pas les assimiler à des substituts de domicile pour des raisons juridiques. À ce titre, l'administration pénitentiaire, tout en appliquant l'interdiction de fumer dans des conditions assez large, respecte les cellules quand elles sont individuelles et tous les locaux à l'air libre comme les locaux de promenade.

M. le Président : Nous venons d'aborder trois types d'établissements dont on mesure bien les problèmes particuliers. Ils concernent des publics qui ont des pathologies ou des comportements très dégradés, certains malades mentaux, certains handicapés ou détenus en marge de la société. La protection de la santé ne permet pas, globalement, d'autoriser de fumer dans des lieux fermés. Mais la question peut éventuellement se poser pour des lieux non couverts, comme le jardin de l'hôpital psychiatrique, la cour de l'établissement pour handicapés adultes très perturbés ou la cour de la prison.

M. le Rapporteur : Il serait maintenant intéressant de recueillir l'appréciation des professionnels et des experts ici présents sur ces trois secteurs : le milieu carcéral avec les cellules individuelles et les cours ; le milieu hospitalier, avec la psychiatrie ; le milieu du handicap. Le principe général restant la protection des salariés contre le tabagisme passif.

Mme Paulette GUINCHARD : Il faudra être clair en ce qui concerne la psychiatrie. En outre, il n'y a pas que le milieu médico-social qui pose des problèmes : il y a aussi le secteur social et je pense en particulier aux CHRS. S'agit-il de lieux de vie ? Que faire pour y protéger les salariés ? Enfin, qu'ont fait les autres pays pour résoudre ces questions spécifiques.

M. Gérard DUBOIS : Ces questions ont fait l'objet de discussions partout, et des solutions ont été envisagées. Mais les mesures dérogatoires sont très vite interprétées comme des discriminations. Des êtres humains peuvent-ils être à ce point différents qu'ils ne devraient plus être protégés ? C'est une arme à double tranchant. À la limite, est-ce qu'un malade psychiatrique peut être considéré comme un sous-homme ?

Par ailleurs, la loi Veil interdit clairement de fumer dans les hôpitaux. Mais là encore, l'application de la loi n'est pas totale - et c'est un euphémisme.

On dit aussi parfois que le tabagisme pourrait participer au traitement psychiatrique. C'est une erreur fondamentale sur laquelle on est d'ailleurs en train de revenir : 90 % des schizophrènes sont fumeurs, et lorsqu'on parvient à les faire arrêter, leur traitement médicamenteux s'en trouve allégé.

Il faut savoir que, même après 65 ans, l'arrêt du tabac est utile. On l'a constaté auprès de médecins anglais, dont la survie était meilleure chez ceux qui avaient arrêté de fumer que chez ceux qui avaient continué après cet âge.

Il faut également savoir que la cigarette est la première cause d'incendie à l'hôpital et l'une des premières causes d'incendie dans les maisons de retraite. Plusieurs États ont même pris des mesures pour diminuer l'inflammabilité des cigarettes.

Quoi qu'il en soit, dans tous ces lieux très particuliers, l'aide à l'arrêt du tabac est prioritaire et je ne suis pas certain qu'actuellement les hôpitaux permettent d'arrêter de fumer et puissent offrir des traitements de la dépendance tabagique à leurs malades hospitalisés.

Malgré tout, des efforts d'aide à l'arrêt du tabac ont été faits dans ces lieux et doivent être complétés.

M. Gérard AUDUREAU : Je voudrais revenir sur l'effectivité des mesures.

On a demandé si des décisions avaient été prises pour indemniser des personnes incommodées par la fumée d'autres enseignants : à deux reprises, nous avons obtenu des jugements et trois personnes ont pu être indemnisées pour ce fait.

De même, dans le cadre de l'hospitalisation psychiatrique, un directeur d'établissement a été condamné et il y a eu indemnisation de principe.

Enfin, je vous ai parlé de ce fonctionnaire qui a réussi à obtenir une indemnisation de 1 000 euros.

Dans ces quatre cas, six personnes ont été indemnisées, quoique de manière symbolique. Mais il faut surtout retenir que, par la suite, toutes ont été broyées par leur administration. Or de telles situations relèvent de la responsabilité des administrations et des élus qui leur donnent des directives. Quoi qu'on fasse, quelle que soit la loi, si l'on ne prend pas en compte cet aspect des choses, on n'y arrivera jamais !

M. Albert HIRSCH : Les populations dont on vient de parler sont des populations dont les droits sont égaux à ceux du reste de la population, et je dois dire que certaines distinctions concernant les établissements médico-sociaux et sociaux m'ont surpris, pour ne pas dire choqué.

Il est évident que les mesures d'application d'interdiction totale du tabac - notamment les délais qui devraient permettre à ces lieux sensibles de s'adapter à une interdiction totale - devront être soigneusement préparées pour être acceptées. Cela est également vrai des mesures d'accompagnement.

M. le Rapporteur : Notre propos était de vous faire réagir, et nous ne reprenions pas à notre compte la proposition d'exempter une sorte de lumpenproletariat...

M le Président : Nous sommes manifestement d'accord sur l'ensemble, mais deux types de problématique se posent et nous avons besoin de votre réaction.

M. Yves BUR : Je partage totalement l'analyse du professeur Dubois. Toutes les personnes, quelle que soit leur situation, ont les mêmes droits et les mêmes devoirs. Et ceux qui s'en occupent ont droit à la même protection.

L'Angleterre vient de se doter d'une loi très stricte qui a exclu toute exception dans les établissements psychiatriques. Le débat évolue dans tous les pays.

Par ailleurs, il me semble que les établissements pénitentiaires français sont autorisés à revendre des cigarettes. Est-ce qu'ils en tirent quelque bénéfice ?

Mme Paulette GUINCHARD : Je partage moi aussi le point de vue selon lequel il ne faut pas traiter les gens différemment selon les endroits. J'aimerais savoir comment l'accompagnement a été mis en place dans les autres pays.

J'ai pris le temps d'aller discuter de cette question dans un hôpital de jour avec de jeunes schizophrènes. Ce fut très intéressant. Ils ont dit clairement qu'ils étaient comme tout le monde et que si l'usage du tabac était interdit, il devrait l'être également dans leur hôpital de jour.

M le Président : S'agissant de la manière dont la question est traitée dans les pays étrangers, nous apprécierions que vous nous fassiez parvenir des études dans les prochains jours.

M. Philippe MOUROUGA : Il est important de signaler que les pays qui ont mis en place des exceptions concernant les populations dont vous parlez sont en train de revenir dessus.

Nous allons faire une recherche mais je ne suis pas sûr que ces études et ces rapports aient été publiés. En revanche, nous pouvons contacter certaines personnes pour connaître l'état de leurs travaux.

M. Pascal MELIHAN-CHENIN : Je voulais vous signaler qu'avec nos collègues de la DHOS nous avons sélectionné un prestataire pour effectuer une évaluation du respect de la réglementation du tabagisme dans les établissements de santé. Malheureusement, les résultats ne seront pas disponibles avant le mois de septembre.

M. le Président : Notre rapport ne sera publié que fin septembre.

M. Pascal MELIHAN-CHENIN : Cette étude porte sur les établissements publics et les centres de lutte contre le cancer. Nous n'avons pas pu y intégrer les établissements privés.

Mme Mireille FONTAINE : Pour répondre à la question concernant la vente du tabac dans les prisons : le tabac y est « cantiné », la cantine étant un dispositif qui permet aux personnes détenues de faire des achat. Elle est gérée soit directement par l'administration pénitentiaire (articles D. 343 et 344 du code de procédure pénale) soit par une structure gestionnaire. À ma connaissance, il est vendu au même prix que chez les débitants de tabac.

Il y a parmi les personnes détenues des indigents qui n'ont pas la capacité financière de « cantiner ». À cet égard, j'ai été surprise de constater que certaines associations caritatives d'envergure nationale leur fournissent gratuitement du tabac dans les colis de Noël ou à d'autres occasions.

M. Pierre LARCHER : Je ne m'étonne pas de la réaction de M. Hirsch, car j'ai eu la même en interrogeant mes collègues. Face à des personnes qui rencontrent de graves problèmes sociaux de tous ordres, on ne peut pas répondre en recourant au droit commun ; ces personnes exigent un accompagnement très supérieur à ce qu'il serait pour quelqu'un qui n'a qu'une seule difficulté à la fois. Pourtant, à la sous-direction de la lutte contre les exclusions, nous défendons le droit commun jour après jour.

Quand on doit répondre dans l'urgence, on répond toujours mal, de façon trop coûteuse mais jamais avec les moyens qui seraient nécessaires. Le problème est que nous nous trouvons devant des populations âgées, généralement dans des maisons pour personnes dépendantes, qui ne représentent qu'une faible proportion des personnes âgées ; devant des personnes handicapées en établissement qui sont loin d'être la majorité ; devant des personnes très défavorisées en situation d'hébergement qui, là encore, sont loin d'être la majorité. Mais tout ce monde représente une population considérable qui demanderait des moyens d'accompagnement colossaux.

On ne peut pas espérer avoir des résultats cohérents dans une lutte aussi sérieuse que le tabagisme sans y mettre les moyens. On a oublié pendant des années de prendre en compte non seulement les personnes hébergées, mais encore les personnels, lesquels joue également un rôle d'exemplarité. Il faut donc absolument s'occuper de l'accompagnement des personnels. Je pense que le problème est le même dans l'administration pénitentiaire.

M. Philippe PINTON : J'ai noté que les intervenants apportaient des arguments complémentaires en faveur de la position de la DHOS. Et je suis frappé par la difficulté de mise en œuvre et d'application des dispositions, laquelle semble supérieure à celle du premier débat sur les règles applicables.

Je note également que le professeur Dubois a apporté un argument scientifique en faveur de la position que nous défendons, à savoir que le tabac ne participe pas au traitement psychiatrique. Reste qu'il existe un courant d'opinion contraire. Cela illustre le travail que nous devrons faire auprès des professionnels si nous voulons réussir à mettre en œuvre de façon efficace les dispositions en ce domaine.

Mme Bernadette ROUSSILLE : Je ferai une observation : la problématique de la discrimination doit être utilisée avec précaution, car elle a tendance à se retourner. Pourquoi les personnes obligées d'habiter dans un substitut de domicile n'auraient-elles pas les mêmes droits et les mêmes possibilités que ceux qui habitent chez eux ? Pour moi, la problématique qui se pose en cas de substitut de domicile concerne moins ceux qui y habitent que les personnels.

Je ferai une suggestion : j'éprouve un malaise par rapport à l'application de la loi, quelle qu'elle soit, dans la fonction publique. La Cour de cassation intervient en droit du travail, et donc plutôt dans le secteur privé, bien qu'il existe une transposition du droit du travail dans le secteur public. Or, j'ai beaucoup de mal à accomplir ma mission lorsque je constate que la loi et les décrets sont très mal appliqués dans les administrations, ainsi que j'en ai fait part en détail dans mon rapport. Je voudrais donc vous suggérer de faire intervenir la Direction générale de l'administration et de la fonction publique, afin de sanctionner les salariés qui ne respecteraient pas la loi. Les obligations doivent être très claires, ce qui nécessite des circulaires. Or cela n'est pas fait.

M. le Président : Je ne suis pas certain que l'on puisse considérer juridiquement une prison comme un substitut de domicile.

Mme Mireille FONTAINE : En effet, la cellule ne peut absolument pas être assimilée à un substitut de domicile. Pour autant, c'est le lieu de vie de la personne. On rejoint la sphère de la vie privée. L'exemple extrême est ce qui est en train de se mettre en place avec les unités de vie familiale. Si l'on pouvait utiliser le terme de « lieu de vie » pour les cellules des détenus, cela permettrait d'avancer dans la résolution du problème.

La question peut toutefois se poser de la protection du personnel. Mais le personnel de surveillance séjourne peu dans les cellules.

M. le Président : Il ne s'agit pas d'anticiper sur les choix qui seraient faits, mais de préciser les termes qu'on pourrait éventuellement utiliser.

M. Gérard DUBOIS : À mon sens, un prisonnier au moins a mené une action judiciaire pour avoir été exposé à la fumée du tabac. L'action est encore en cours, mais une première décision a été prononcée en sa faveur.

Par ailleurs, il faut savoir qu'à l'hôpital, les traitements de la dépendance tabagique ne sont pas remboursés ni remboursables pour la plupart. Cela pose des difficultés, s'agissant de la mise à disposition de ces traitements. Comme je l'ai déjà dit, je ne suis pas sûr que les hôpitaux disposent dans leur pharmacopée et des traitements de la dépendance tabagique susceptibles d'être utilisés pour les malades hospitalisés. C'est une interrogation et j'aimerais bien avoir une réponse.

Une plaisanterie circule entre nous : « De quoi meurt l'alcoolique ? De son tabagisme ! » Parce qu'on a pris en charge son alcoolisme et on a considéré que le traitement pour le tabac venait après. C'est une erreur fondamentale. La prise en charge des deux problèmes en même temps n'est pas plus difficile que la prise en charge de l'un d'entre eux.

M. Yves MARTINET : Pourrait-on évoquer, à l'occasion d'une prochaine réunion, l'interdiction de vendre du tabac aux moins de 16 ans ? En effet, dans le cadre du plan cancer, nous avons fait des observations susceptibles d'intéresser votre mission.

M. le Président : Nous verrons comment intégrer cette question.

M. Gérard AUDUREAU : Dans la loi Évin, il est question de « lieux affectés à un usage collectif », qui englobent l'ensemble des lieux dans lesquels on ne met pas plus de 8 personnes. Dans les propositions de loi, on désigne des « lieux accueillant du public ». Cela a pour avantage de désigner l'ensemble des lieux où l'on souhaite voir appliquer la loi. Mais cela a pour inconvénient de ne pas être exhaustif et de risquer des interprétations. Le terme « lieu fermé et couvert accueillant du public » élimine la possibilité de voir appliquer la loi sur les terrasses de café, les abribus, les files d'attente, etc.

Depuis que les entreprises arrivent à interdire l'usage du tabac dans leur enceinte, des personnes fument sur le trottoir ou dans la rue. Se pose alors le problème des personnes qui se trouvent juste au-dessus, soit dans des bureaux, soit dans des appartements. On a en effet de plus en plus de plaintes de personnes réclamant qu'on les protège.

M. Philippe MOUROUGA : Nous vous avons remis un rapport, le Surgeon General Report. On peut en retenir qu'au niveau du risque de décès immédiat par causes coronaires, une augmentation d'environ 30 % est liée au tabagisme. Cela confirme les données que l'on avait jusqu'à maintenant.

Il faut que la notion de référence soit celle de la protection de tous. Cela implique que la protection doit s'étendre à ceux qui sont dépendants du tabac pour les aider à arrêter de fumer. Cela concerne notamment le traitement de la dépendance de toute personne qui pourrait être hospitalisée ou prise en charge et qui ne pourrait plus fumer. D'où la nécessité de leur donner les moyens d'arrêter de fumer. Le comportement non-fumeur doit alors être défini comme la norme que la société recommande.

Un appel d'offres de 2,5 millions d'euros a été lancé par la DHOS et l'INCA pour aider les hôpitaux à développer des mesures d'arrêt ; 250 projets ont été reçus au cours des dernières semaines.

Mme Mireille FONTAINE : Je voudrais signaler que notre service juridique a répertorié deux cas de contentieux avec l'administration pénitentiaire. Dans le premier, en 2003, un détenu a saisi le tribunal administratif en vue d'être indemnisé de son préjudice parce qu'il avait été placé dans une cellule de fumeurs, alors que lui-même était non-fumeur. Le tribunal a estimé qu'en l'absence d'attestation médicale, aucune preuve ne pouvait être retenue à l'encontre des services pénitentiaires dont l'intention malveillante n'était, par ailleurs, nullement établie.

Dans le second, en 2005, l'avocat d'un détenu a demandé au juge des référés d'ordonner la suspension du placement de son client dans une cellule avec des fumeurs parce que celui-ci avait cessé de fumer. Le juge des référés a enjoint le ministre de la justice de mettre en œuvre les mesures appropriées pour soustraire ce détenu du tabagisme passif. L'administration pénitentiaire a fait appel, au motif que le détenu n'avait pas demandé à être dans une cellule non-fumeurs, et qu'en outre il avait souhaité rester avec les mêmes codétenus, dont l'un était fumeur. Le Conseil d'État a annulé le jugement rendu en référé, rappelant que les personnes détenues sont tributaires des sujétions inhérentes à leur détention, et relevant, dans le cas d'espèce, les efforts fournis par l'administration pénitentiaire pour réduire à son minimum l'exposition du détenu au tabagisme passif.

M. le Président : Le Conseil d'État ne reconnaît donc pas l'obligation de sécurité de résultat affirmée par la Cour de cassation.

Mesdames, Messieurs, je vous remercie pour votre participation à cette table ronde.

Table ronde n° 4 :
« Quel périmètre pour la réforme ? » (suite),
réunissant :
M. Vassilis Vovos, président de Japan Tobacco International (JTI) ;
M. Franck Trouet, directeur du service juridique et social du Syndicat
M. René Le Pape, président de la Confédération nationale des débitants de tabac ;
M. Francis Attrazic, vice-président confédéral de l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH) ;
Professeur Gérard Dubois, président de l'Alliance contre le tabac ;
Professeur Albert Hirsch, vice-président de la Ligue nationale contre le cancer ;
M. Gérard Audureau, président de l'association Droits des non-fumeurs ;
Professeur Yves Martinet, Président du Comité national contre le tabagisme (CNCT) ;
Mme Bernadette Roussille, membre de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) ;
Mme Chantal Fontaine, chargée de mission justice de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT) ;
Docteur Philippe Mourouga, directeur du département « prévention et dépistage » de l'Institut national du cancer ;
Mme Nadège Larochette, chargée du dossier « tabac et alcool » à la direction générale de la santé (DGS )du Ministère de la santé et des solidarités ;
M. Johan Röhl, directeur régional de Smoke Free Systems, accompagné de M. Jacob Laurin et de Mme Eleonora Hedman ;
M. Didier Maus, conseiller d'État, professeur associé à l'université Paris I (Panthéon-Sorbonne) ;
M. Marc Dandelot, conseiller d'État


(Extrait du procès-verbal de la séance du 5 juillet 2006)

Présidence de M. Claude ÉVIN, Président

M. le Président : Je souhaite la bienvenue à l'ensemble des participants à cette quatrième table ronde, organisée dans le cadre des travaux de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur l'interdiction du tabac dans les lieux publics. Je rappelle qu'elle a pour objectif d'étudier le contenu et les modalités d'une modification des règles relatives à l'usage du tabac dans les lieux publics. Nous avons ainsi organisé un cycle de six tables rondes, qui nous a déjà permis de mettre en évidence la nécessité de réformer le régime juridique actuel de l'interdiction de fumer. Le second thème, entamé la semaine dernière et que nous clôturerons ce matin, porte sur les contours de la réforme. Nous pouvons à cet égard tirer deux grands enseignements de la dernière table ronde. Une très forte dynamique européenne, relayée en droit français par les évolutions jurisprudentielles de la Cour de cassation, semble avoir remis en cause la notion même d' « emplacements réservés aux fumeurs » sur les lieux de travail. À partir du moment où la notion d'obligation de sécurité de résultat s'impose à l'employeur, la persistance d'emplacements réservés aux fumeurs dans l'entreprise devient problématique. Parallèlement, il apparaîtrait nécessaire, dans certains secteurs spécifiques, de laisser subsister une sorte de « soupape de sécurité » pour certaines catégories de population fortement fragilisées : détenus, malades des hôpitaux psychiatriques...

Il s'agit ce matin de poursuivre et d'approfondir encore notre réflexion sur les contours de la réforme, en revenant notamment sur la question des objectifs de la réforme. S'agit-il uniquement de protéger du tabagisme passif les non-fumeurs ? Souhaite-t-on également protéger les fumeurs du tabagisme passif ? La réforme vise-t-elle à « dénormaliser » l'usage du tabac et à prévenir le tabagisme chez les jeunes, ou bien ces deux aspects ne sont-ils que des conséquences probables, mais non recherchées en tant que telles, de la réforme ? Les réponses influeront directement sur la réponse à nombre de problématiques déjà abordées : la recherche d'une diminution du comportement d'imitation chez les jeunes peut, par exemple, justifier l'interdiction de l'usage du tabac dans certains lieux pourtant ouverts, comme les cours des établissements scolaires. De même, la volonté de protéger les fumeurs contre le tabagisme passif peut conduire à éliminer le recours aux fumoirs.

Je vous propose de commencer par un tour de table, afin que nos invités nous indiquent quel doit être, selon eux, l'objectif de la réforme, et énumèrent de la manière la plus exhaustive possible, les lieux dans lesquels il doit être possible pour un fumeur de continuer à fumer.

Il me paraît indispensable en second lieu de faire un point précis sur les fumoirs. Étant donné l'évolution du droit, il semble exclu, si fumoir il y a, que des salariés soient contraints d'y exercer leur service pendant que des gens fument. Plus largement, la question des risques posés par leur entretien, en dehors de leur utilisation par des fumeurs, a été posée et M. Jean-Emmanuel Ray a jugé, la semaine dernière, leur existence peu compatible avec les exigences jurisprudentielles d'obligation de sécurité de résultat. Qu'en est-il par ailleurs de leur fiabilité technique pour la préservation de la santé des non fumeurs qui les entourent, comme des fumeurs qui les utilisent ? Qui sera chargé de leur contrôle ? Les fumoirs, où la seule activité possible est de fumer, ne sont-ils pas quand même la meilleure solution pour les lieux où il serait peu souhaitable de poser une interdiction totale ?

Enfin, nous examinerons la question du choix entre le décret et la loi. S'agit-il d'une question purement juridique ? Doit-on nécessairement recourir à la loi, dès lors que les règles relatives à l'usage du tabac dans les lieux publics sont durcies et limitent un peu plus ce qui est parfois présenté comme une liberté individuelle ? Ou bien des considérations d'opportunité, tenant notamment à la plus grande lisibilité ou au caractère emblématique de la loi, entrent-elles également en compte ?

M. Johan Röhl, directeur régional de Smoke Free Systems, fabricant de fumoirs, pourra nous donner son point de vue, ainsi que M. Didier Maus, conseiller d'État et constitutionnaliste, et M. Marc Dandelot, également conseiller d'État.

Le CNCT nous a proposé de commencer cette séance par la diffusion d'un film de cinq minutes sur le témoignage d'une personne atteinte d'un cancer résultant d'un tabagisme passif.

M. Yves MARTINET : Nous avons en effet souhaité associer les victimes directes du tabagisme passif aux travaux de cette commission, en présentant le témoignage d'une femme non fumeuse, exposée au tabagisme passif, non pas à son domicile, mais au cours de sa carrière professionnelle, et atteinte d'un cancer du poumon. Cette femme courageuse, par son témoignage poignant et pudique, désire donner un sens à cette épreuve dramatiquement injuste. Pour des raisons personnelles, cette personne ne souhaite pas que son témoignage soit rendu public.

(Le film est projeté.)

M. le Président : Je vous propose à présent de réfléchir aux objectifs de la réforme.

M. Laurent FABIUS : Il est évident que nous devons protéger les non-fumeurs du tabagisme passif, mais nous devons tout autant en protéger les fumeurs, car il est médicalement avéré que les effets spéficiques du tabagisme passif s'ajoutent aux effets du tabagisme actif, et je ne vois pas au nom de quel principe nous pénaliserions les fumeurs en estimant qu'ils n'ont pas à être protégés.

Plus généralement, nous devons contribuer à réduire l'usage du tabac, car nous ne voudrions pas donner l'impression de nous occuper du seul tabagisme passif tout en donnant un blanc-seing au tabagisme actif. En la matière, nous devrons faire preuve de pédagogie.

M. Albert HIRSCH : Permettez-moi tout d'abord de commenter très brièvement le témoignage que nous venons de voir. Pendant des dizaines d'années, nombre d'entre nous, présents dans cette salle, avons répété aux médias que le tabagisme passif tuait des milliers de personnes. Ces chiffres avaient beau être tirés de statistiques incontestables, ils parlaient peu à l'opinion publique, parce que ces morts sans visage étaient en quelque sorte théoriques, abstraites. La force d'un tel témoignage est toute autre, car il est avéré que la prise de conscience des effets d'un comportement ou d'un produit nocif pour la santé dépend de la proximité des conséquences sur la santé que nous pouvons constater chez nos proches.

Nos objectifs sont évidemment de protéger la santé de nos concitoyens, et d'assurer une sécurité de résultat, particulièrement sur les lieux de travail, comme l'a rappelé la chambre sociale de la Cour de cassation. Oui, c'est bien la totalité de la population qu'il convient de protéger.

Par ailleurs, nous devons œuvrer pour « dénormaliser » l'usage du tabac en société. Nul ne peut aujourd'hui prétendre ignorer les conséquences du tabagisme passif - cancer, maladies cardio-vasculaires, etc. -, et il n'est plus acceptable socialement d'exposer quiconque à la fumée du tabac.

M. Gérard DUBOIS : Je rappelle qu'historiquement, il s'agissait de limiter la gêne occasionnée par la fumée du tabac, dont se plaignaient aussi bien les fumeurs que les non fumeurs - en France, plus de la moitié de ceux qui fument moins de quinze cigarettes par jour se disent gênés par la fumée des autres.

Il est aujourd'hui clairement établi que le tabagisme passif a des conséquences sur la santé, et il est du devoir de l'État et de la représentation nationale d'en protéger les non-fumeurs comme les fumeurs eux-mêmes - les fumeurs exposés au tabagisme passif présentant plus de pathologies que les fumeurs qui ne sont exposés qu'à leur propre tabagisme. La différence entre les fumeurs et les non-fumeurs tient au fait que les non-fumeurs ont le droit de ne pas subir l'agression d'une exposition à cette substance toxique, cancérogène et mutagène.

Par ailleurs, s'il est avéré que la nuisance est la plus forte là où la concentration est la plus élevée, c'est-à-dire dans des lieux clos et couverts, des interrogations demeurent quant aux lieux extérieurs, notamment quand les gens sont proches les uns des autres, par exemple dans une file d'attente. Il en est de même pour les arrêts de bus et les stades. C'est pour cette raison qu'à Disneyland, y compris en France, il est interdit de fumer dans les queues d'attente. Il en est de même pour les arrêts de bus et les stades. Dans tous les cas, si la nuisance est avérée, nous avons moins de certitudes quant aux conséquences sur la santé. Disons qu'elles sont probables.

S'agissant des stades, je regrette d'autant plus que la Coupe du monde, en Allemagne, ne soit pas « non-fumeur » que le gouvernement allemand actuel commence à prendre des mesures, alors que les gouvernements précédents étaient, comme il m'est arrivé de le dire, « vendus » à l'industrie du tabac.

Il a été prouvé que les mesures d'interdiction de fumer dans des lieux publics, quand elles sont bien appliquées, entraînent, outre une diminution de la consommation de tabac chez les fumeurs, une baisse du nombre de fumeurs. Par ailleurs, il a été démontré que seules des mesures d'interdiction totale permettent de réduire le début du tabagisme chez les jeunes.

Je renvoie par ailleurs ceux qui pensent que l'interdiction de fumer dans les lieux publics incite les fumeurs à fumer davantage chez eux - exposant ainsi encore davantage leurs proches - à différentes études qui prouvent le contraire. Non seulement les fumeurs diminuent leur consommation, mais la proportion de fumeurs diminue aussi.

Il faudra enfin réfléchir au problème de l'exposition très intense dans les voitures qui sont des lieux privés.

En tout état de cause, notre demande prioritaire porte sur l'interdiction de fumer dans les lieux clos et couverts.

M. le Président : Je vous rappelle, d'un point de vue méthodologique, que j'avais plutôt posé la question inverse de savoir où l'on peut encore autoriser de fumer.

M. Vassilis VOVOS : Les tables rondes précédentes ont montré que tout le monde s'accordait pour juger le décret de 1992 insuffisant et flou. Comment, alors, procéder, et surtout, jusqu'où aller ? Nous avons le choix entre une approche extrémiste et radicale, et une approche réaliste, pratique et équilibrée. Permettez-moi de citer le rapport de l'IGAS : « La lutte contre le tabagisme passif ne doit pas être présentée comme une répression ou une chasse aux fumeurs ».

Le professeur Carcassonne, lors de la deuxième table ronde, a déclaré, faisant référence à l'équilibre des droits constitutionnels, que l'on ne pouvait pas vouloir protéger de lui-même un adulte consentant. Quant à M. Guy Berger, il a précisé que la justification essentielle de l'interdiction était la protection des droits des non-fumeurs, avant de rappeler que, le tabac n'étant pas un produit interdit, ses consommateurs n'étaient pas des délinquants.

Il s'agit aujourd'hui de déterminer s'il est possible de laisser aussi les fumeurs profiter des lieux publics sans déranger les non-fumeurs. Le rapport de l'IGAS donne en partie la réponse en page 27, et précise même que « plusieurs options peuvent être prises, comportant des degrés de restriction différents ».

Japan Tobacco International pense qu'il est possible de permettre aux fumeurs de consommer un produit légalement acheté et de profiter des lieux publics sans déranger ceux ou celles qui ne fument pas en créant des espaces fumeurs avec séparation physique, comme il en existe déjà en Italie, en Espagne, en Suède, et bientôt au Danemark.

Les députés européens ont également approuvé, par 544 voix contre 65, la création de tels espaces dans les hôtels, restaurants et cafés, et 87 % des Français souhaitent l'installation d'une cloison physique entre les espaces fumeurs et non-fumeurs dans les hôtels, restaurants et cafés.

Le ministre de la santé a lui-même déclaré en mai dernier, sur l'Internet, qu'au vu des sondages révélant que les Français étaient favorables à l'interdiction, sauf dans les bars et restaurants, il était nécessaire de trouver de bons aménagements.

Nous estimons qu'il faut laisser au propriétaire d'un hôtel, restaurant ou café, le choix de construire ou non un espace fumeur avec une séparation physique et une ventilation spécifique, sachant que les établissements ne pouvant répondre à ces critères deviendront automatiquement des établissements non fumeurs.

S'agissant des bureaux, il faut savoir que 30 % des Français fument, et que 43 % des entreprises sont équipées d'espaces fumeurs. Les pauses cigarettes à répétition au bas de l'immeuble représentent un coût pour l'entreprise, du fait de la baisse de productivité du salarié. C'est pourquoi nous souhaitons laisser au chef d'entreprise la liberté de créer des espaces fumeurs clos et ventilés s'il les juge plus adaptés au dispositif qu'il aura déjà mis en place.

Nous devons également avoir conscience, comme l'a rappelé M. Berger, et comme l'ont montré différentes études, qu'en optant pour des solutions radicales qui ne permettent pas au fumeur de profiter des lieux publics de façon organisée, nous pourrions aboutir à des résultats contraires à l'objectif initial, c'est-à-dire augmenter l'exposition des non-fumeurs à la fumée des autres. Permettez-moi à cet égard de citer les conclusions d'une étude réalisée en mai 2006 par le collège de l'université de Londres et l'Institut des études fiscales :

« En général, les interdictions de fumer dans les lieux publics n'ont aucune répercussion sur les non-fumeurs. Cependant [...] les interdictions ont des répercussions différentes selon les lieux où elles sont posées. Alors que les interdictions dans les transports publics, les centres commerciaux ou les écoles diminuent l'exposition des non-fumeurs, les interdictions dans les bars, les restaurants ou les lieux de divertissement semblent augmenter leur exposition, dans la mesure où ces interdictions déplacent les fumeurs vers des lieux où les non-fumeurs sont plus exposés ».

M. le Président : Je comprends que chacun défende ses intérêts, mais ce n'est pas en campant sur ses positions que nous pourrons trouver la solution. Il faut avancer.

M. Yves BUR : Je dénie à l'industrie du tabac le droit de nous donner des leçons ou de nous citer des opinions qui vont dans son sens. Elle a un passif suffisamment lourd en terme de désinformation pour faire perdre toute crédibilité aux propos de M. Vovos.

La question est bien sûr de savoir si nous nous plaçons du côté des fumeurs ou des non-fumeurs. Le droit des non-fumeurs à ne pas être exposés à la fumée est aujourd'hui largement reconnu, non pas à cause de la gêne, mais des risques sur la santé. Se pose, pour autant, la question du droit des fumeurs à fumer. Ils sont victimes d'une dépendance, savamment entretenue par les cigarettiers, car cette industrie de la mort fait tout pour que les produits qui entraînent la dépendance soient assimilés le plus facilement possible. Ils ont beau jeu, ensuite, de nous parler de liberté !

Nous ne devons pas stigmatiser les fumeurs, qui sont d'abord des victimes. Devons-nous leur laisser des lieux où ils pourront continuer à fumer ? L'Italie a choisi de leur dédier des espaces hermétiquement clos, ce qui impose des fermetures automatiques et une ventilation adaptée. Le coût étant assez élevé, seul 1,5 % des propriétaires de restaurants ou de bars en Italie se sont équipés. Si nous autorisons de tels espaces, la branche hôtelière et de restauration devra réaliser un effort d'investissement considérable, et l'État devra mettre en place un dispositif de contrôle plus sérieux que celui instauré à la suite de la loi Évin.

S'agissant des salariés sur le lieu de travail, le professeur de droit du travail que nous avons auditionné la semaine dernière a été très clair : il n'est pas envisageable d'imaginer que coexistent dans l'entreprise des lieux où les salariés seraient exposés à un risque et d'autres où ils ne le seraient pas. De ce point de vue, il serait inconcevable de prévoir des exceptions à l'interdiction de fumer, d'autant plus que l'employeur pourrait se trouver à terme dans des situations difficiles, notamment en matière d'assurance et de couverture de ce risque.

Enfin, je rappelle que nous avons ici un objectif de santé publique. Nous ne devons avoir de cesse de combattre ce fléau. Il ne s'agit pas de stabiliser la vente des cigarettes, mais bien de la baisser, ce qui impose aux marchands de cigarettes de s'adapter aux évolutions de ce marché. Un objectif de moins 25 % a été inscrit dans la loi de santé publique de 2004, et je ne doute pas que dans deux ou trois ans, lorsque nous aborderons à nouveau les questions de santé publique, une nouvelle loi fixera un nouvel objectif de moins 20 ou 25 %. Inexorablement, tous les pays développés ont pour objectif de faire baisser la consommation de cigarettes. Même l'Allemagne vient d'entrer dans la danse.

Pour des raisons de santé publique et pour tenir compte des dispositions du code du travail, il faut donc aller vers l'interdiction, que je souhaite la plus large possible. Mais si les professionnels sont prêts à dépenser plusieurs milliers d'euros pour installer des fumoirs, qu'ils le disent.

M. Gérard AUDUREAU : L'objectif étant désormais l'interdiction totale, il faut définir les moyens d'y parvenir. Aujourd'hui, les seuls lieux où l'on peut considérer possible l'exception à l'interdiction sont la rue et le domicile. Mais fumer à son domicile nuit aux voisins, ainsi qu'aux enfants, qui ne sont pas protégés du tabagisme passif, et l'on commence à se demander s'il ne faudra pas réagir à cette situation. Pour ce qui la concerne, notre association estime que nul ne doit être soumis à la fumée de tabac contre son gré.

M. René LE PAPE : Je souhaite en premier lieu réagir à la publication par un journal, ce matin même, d'un certain article. La concomitance entre cette parution et la tenue de la table ronde me fait m'interroger sur les pressions éventuelles auxquelles certains voudraient soumettre les parlementaires...

M. le Président : À quoi faites-vous allusion ? Je n'ai rien lu ce matin, j'ignore à quel article vous vous référez, et même le journal dans lequel il est paru.

M. René LE PAPE : De plus, le « testing » qui a servi de base à cet article n'est pas une enquête scientifique sérieuse...

M. le Président : Mais c'est une méthode qui révèle bien des choses, on l'a vu pour la Couverture maladie universelle (CMU).

M. René LE PAPE : Il se trouve que, depuis quatre ans déjà - soit un an avant l'entrée en vigueur de l'interdiction légale -, nous demandons aux buralistes de ne plus vendre de cigarettes aux mineurs, et je n'ai pas eu connaissance d'incidents montrant que des reproches pourraient leur être faits. Mais, puisque l'on aborde cette question, je souhaite que l'on combatte vigoureusement la vente de cigarettes de contrebande qui se fait à la sortie des lycées, cigarettes de mauvaise qualité de surcroît. Je demande aussi que l'on mette un terme définitif à ce que les jeunes gens appellent le « covoiturage clopes », qui les amène à traverser la frontière dans le seul but de se fournir en Espagne pour revendre leurs achats à leurs camarades en France.

Sur le fond, je suis venu participer à un débat démocratique, mais je constate que l'on s'achemine vers la prohibition totale. Si c'est de cela qu'il s'agit, très bien, mais dans ce cas, que l'on dédommage les buralistes, préposés de l'État qui vendent un produit légal, je tiens à le rappeler. Si j'ai demandé une dérogation à l'interdiction pour les bars-tabac, c'est que nous avons besoin de temps pour nous adapter au contrat d'avenir - et, à cet égard, nous attendons toujours de connaître les missions de service public qui pourraient nous être confiées - et pour diversifier nos activités. Enfin, on évoque les droits des non-fumeurs, mais pourquoi les fumeurs ne sont-ils pas appelés, eux aussi, à s'exprimer ici ? Je considère que l'on a le droit de continuer de fumer dans des lieux déterminés. Si ce droit est dénié, les fumeurs se fumeront plus qu'à leur domicile - et davantage -  ce qui aura des conséquences pour leur famille.

M. le Président : Certains, je le sais, considèrent que la législation ne devrait pas changer. Mais il y a consensus sur le fait qu'elle n'est pas bien appliquée et que le dispositif doit être amélioré. Je retiens de vos propos que vous vous êtes clairement prononcé en faveur de l'interdiction de fumer dans les bars-tabac, mais que avez besoin de temps pour vous adapter. C'est une déclaration importante. Deux de nos tables rondes porteront sur les mesures d'accompagnement.

Pour ce qui est de la libre expression au sein de la mission, sachez que plusieurs de ses membres sont connus pour être fumeurs. S'ils le veulent, les fumeurs ont donc la parole.

M. Yves BUR : La dérogation accordée aux bars-tabac devrait, selon vous, être de durée limitée, mais limitée à combien de temps ? Il faudrait par ailleurs distinguer les régies de tabac des débits de boisson, qui n'assurent pas forcément la revente.

M. le Président : Nous reviendrons ultérieurement sur les mesures d'accompagnement, mais je prends acte d'éléments nouveaux dans l'évolution du débat, et j'en remercie M. Le Pape.

M. Yves MARTINET : Peut-être reviendrons-nous sur l'article évoqué, qui fait état des conclusions d'une étude financée par le ministère de la santé. Nous protégeons les fumeurs. Je suis médecin, je soigne des fumeurs, je peux témoigner que ce ne sont pas des extra-terrestres, et aussi qu'ils ne veulent pas, eux non plus, être exposés au tabagisme passif. C'est pourquoi il n'y a plus de places « fumeurs » dans les trains de la SNCF : les fumeurs ne les réservaient pas ! Le message sanitaire passe, et il est tout à fait faux de prétendre que, dans les pays où des mesures d'interdiction de fumer dans les lieux publics ont été prises, on fume plus à la maison : ce n'est pas ce qui se produit.

Monsieur Vovos, vous avez été sciemment désagréable, en utilisant, par exemple, les termes « extrémiste » et « intégriste ». Je vous propose de venir dans mon service, à Nancy, rendre visite à des gens qui se meurent d'un cancer du poumon, et d'utiliser ces mots devant eux ; je suis sûr qu'ils vous recevront chaleureusement ! De plus, le sophiste que vous êtes n'hésite pas à faire des comparaisons avec l'Irlande et l'Angleterre, pays qui ont précisément adopté les mesures que nous souhaitons voir appliquer en France ! Par ailleurs, vous avez évoqué M. Carcassonne ; j'ai eu précédemment l'occasion de dire qu'il avait travaillé pour la SEITA, mais j'ai oublié d'ajouter qu'il a aussi travaillé pour Philip Morris. Enfin, vous avez cru bon de citer un sondage réalisé par l'UMIH, car l'industrie du tabac pense avoir une proximité naturelle avec les CHRD et les buralistes ; or, les intérêts des membres de l'UMIH ne sont pas forcément les mêmes que ceux de l'industrie.

M. Philippe MOUROUGA : Au cours d'une précédente table ronde, vous nous avez demandé de rechercher si des dérogations ont été prévues pour les substituts de domiciles, tels les prisons et les hôpitaux psychiatriques, dans les pays qui ont pris des mesures d'interdiction de fumer dans les lieux publics. C'est le cas dans plusieurs pays, et je vous communiquerai la fiche qui résume la situation. On constate que des mesures d'accompagnement systématiques ont été prises.

M. le Président : Je note que l'accord s'est fait pour dire que mis à part la rue - où se pose la question des files d'attente - et le domicile, - où le problème de l'exposition des enfants à la fumée de cigarette demeure irrésolu - il n'est guère d'autres lieux pour lesquels, au regard des exigences de santé publique et de sécurité des travailleurs, il est logique d'envisager des dérogations.

M. Francis ATTRAZIC : Je n'ai pas encore pris la parole pour le dire, mais tel n'est pas mon avis. Il est très difficile de définir une position médiane quand toutes les opinions vont dans le même sens. Le secteur des CHRD, qui représente 80 000 entreprises, ne pense pas l'interdiction nécessaire, parce que les méfaits du tabac sont connus et que les comportements ont évolué. Nous souhaitons que la possibilité de fumer reste acquise dans certains lieux où, par tradition, on boit et on fume, habitudes qui n'ont rien de criminel. Nous voulons conserver cet espace de liberté dans nos établissements. Compte tenu des exigences de santé publique d'une part, des équipements existants d'autre part, on doit pouvoir prendre des mesures similaires à celles qui ont été prise dans d'autres pays européens qui, à ma connaissance, ne sont pas dirigés par des irresponsables, et où des dérogations sont admises. Je suis favorable à des dérogations. M. Yves Bur a eu l'amabilité de s'inquiéter du coût des investissements nécessaires à la création de fumoirs, mais c'est aux chefs d'entreprises considérés de s'en préoccuper, et je relaye leurs revendications : que l'on veuille bien respecter la liberté du chef d'entreprise et que l'on ne prétende pas régler tous les problèmes de société par des interdictions. En bref, j'ai également noté que l'accord semble se faire pour que possibilité de fumer soit laissée uniquement dans la rue et à domicile, mais de là à dire que nous sommes d'accord, non !

M. le Président : Mais comment s'exerce la liberté que vous appelez de vos vœux au regard des exigences de santé publique et des menaces jurisprudentielles ? Ces dernières ne sont-elles pas de nature à faire réfléchir le secteur des CHRD ?

M. Pierre MORANGE, Rapporteur : Je ne pense pas que la liberté d'entreprendre soit, pour le sujet qui nous occupe, la meilleure référence constitutionnelle possible, car la protection de la santé occupe une place élevée dans la hiérarchie des normes. La lucidité commande de parvenir à un objectif partagé et, pour cela, de trouver les modalités qui permettront d'avancer assez vite, en assurant la sécurité des fumeurs et des non-fumeurs. Le volet économique fera l'objet d'une autre table ronde.

M. le Président : Je vous propose d'en venir au deuxième thème de nos échanges, les fumoirs, et j'invite les représentants de la société Smoke free systems à nous présenter leurs équipements.

M. Johan RÖHL : Je laisserai parler Jacob Laurin. Il commentera la présentation qu'il a apportée de notre siège de Stockholm.

M. Jacob LAURIN : En Suède, l'employeur a la responsabilité de garantir qu'aucun salarié n'est exposé à la fumée de tabac contre son gré. L'entreprise peut décider de la solution qui lui convient le mieux pour assurer à ses employés un environnement de travail sans fumée. Nous avons mis au point des cabines ouvertes dotées d'un système de filtration des particules et des gaz - et non de ventilation - car la captation de la fumée à la source est essentielle à l'efficacité du processus. Les filtres sont testés et approuvés par les autorités publiques. Il faut être discipliné et, si on l'est, la protection des non fumeurs est immédiate, car nous parvenons à un taux de filtration des particules exceptionnel de 99,9995 %, même pour les particules les plus petites et les plus nocives.

À ce jour, nous avons installé 5 000 de ces cabines en Europe dans des bureaux, des cafétérias et des ateliers de production, dont 200 en France, où notre société est implantée depuis dix-huit mois. Nos clients sont très contents de cette solution qui satisfait tout le monde : on se débarrasse de la fumée, non des fumeurs !

M. Yves BUR : Qui sont les actionnaires de votre société ?

M. Jacob LAURIN : Notre actionnariat est composé de trois personnes : un ancien pompier et deux financiers, et nous ne sommes pas liés à l'industrie du tabac.

Mme Bernadette ROUSSILLE : Quel est le prix de vente de ces équipements ?

M. Jacob LAURIN : Presque tous nos clients choisissent de louer ces cabines, pour s'adapter à la décrue future du nombre des fumeurs dans leurs établissements. Le prix mensuel de la location est de 400 euros, maintenance comprise.

M. Gérard AUDUREAU : Ce que vous nous avez expliqué donne à penser que l'utilisation de tels équipements est contraire aux dispositions du code du travail relatives au recyclage de l'air pollué.

M. le Rapporteur : Pour savoir si l'on peut envisager de généraliser ce type de solution technique en France, il faut être certain que la jurisprudence suédoise est aussi contraignante que la jurisprudence française, qui fait obligation de résultat à l'employeur pour ce qui est de la sécurité sanitaire de ses employés.

Mme Eléonore HEDMAN : En Suède comme en France, l'employeur a l'obligation légale de protéger les non-fumeurs. Il est important de savoir que nos équipements, comme le montrent les rapports de tests que nous tenons à votre disposition, protègent efficacement du tabagisme passif les non-fumeurs, mais aussi les fumeurs.

M. Philippe MOUROUGA : Ma présentation sera légèrement différente, vous vous en doutez probablement. L'objectif de la convention cadre anti-tabac de l'OMS est la protection de tous contre l'exposition à la fumée du tabac par l'élimination du risque. En France, la Cour de cassation y oblige en fixant l'obligation de sécurité de résultat aux employeurs. La fumée de tabac est un mélange complexe qui contient plus de 250 substances toxiques, dont 50 cancérogènes, et la concentration de certaines de ces substances est plus élevée dans la fumée secondaire que dans la fumée inhalée par le fumeur. Par ailleurs, l'exposition, même brève, à la fumée secondaire peut avoir un effet immédiat sur le système cardiovasculaire. La fumée de tabac se diffuse rapidement, et plus de trois heures sont nécessaires pour que 95 % de la fumée se dissipe dans une pièce normale. Le National Cancer Institute estime qu'environ 12 % de la fumée de tabac secondaire est composée de particules d'un micron, et certaines particules sont bien plus petites. Sommes-nous capables de filtrer des particules minuscules, dont nous connaissons la toxicité ? Tant l'OMS que le rapport du Surgeon General du ministère américain de la santé établissent qu'il n'y a pas de niveau d'exposition sans risque, ni de seuil pour un risque acceptable.

Voilà pourquoi la convention cadre de l'OMS recommande, comme seul moyen de contrôle efficace du risque, l'interdiction totale de fumer dans les lieux intérieurs, sauf dans des fumoirs. Pour autant, selon l'ASHRAE, Société américaine des ingénieurs du chauffage, de la ventilation, de la climatisation et de la réfrigération, le fait de fumer dans ces pièces isolées permet de contrôler le risque pour les non-fumeurs si des conditions techniques très particulières permettent l'isolement total, mais les fumoirs ne permettent pas de contrôler le risque couru par les personnes qui s'y rendent. Il y a donc réduction, mais non élimination du risque sanitaire dans ce cas, sauf preuves contraires dont je serais très heureux de disposer. Quant à l'interdiction de fumer sauf dans des espaces réservés mais non isolés où sont mises en œuvre des techniques d'aspiration ou de filtrage, elle peut réduire l'exposition jusqu'à un certain degré, mais elle ne permet pas d'éliminer le risque : non seulement il faut contrôler les mouvements des fumeurs dans ces espaces, mais l'absence de barrière pour la pollution ne permet pas d'éliminer tous les toxiques de la fumée secondaire.

Aussi, selon l'ASHRAE, le seul moyen, à ce jour, d'éliminer efficacement le risque associé à l'exposition à l'intérieur est d'y interdire de fumer. Quant au Surgeon General, il estime que le fait de séparer les fumeurs des non-fumeurs, d'épurer l'air ou d'avoir recours à des systèmes de ventilation ne peut éliminer l'exposition à la fumée de tabac secondaire ; que les systèmes d'épuration peuvent éliminer les particules larges mais pas les particules fines ni certains gaz contenus dans la fumée de tabac secondaire ; qu'à travers les systèmes de chauffage, de ventilation et de climatisation, la fumée secondaire peut se propager dans un bâtiment.

Nous avons demandé à des experts qui ont travaillé avec l'ASHRAE leur opinion sur le système proposé par la société Smoke Free Systems. La réponse d'un ingénieur de la direction de la santé en Californie est la suivante : « Nos recherches ont montré que, même dans une pièce totalement fermée, avec un système permettant l'évacuation vers l'extérieur et un système de pression négative entre le fumoir et les pièces « non-fumeurs » adjacentes, des fuites se produisent lors de l'ouverture et la fermeture des portes ».

Nos propres recherches ont montré que, lorsqu'il n'y a pas de barrière entre les pièces « fumeurs » et les pièces adjacentes « non-fumeurs », de l'air provenant des emplacements « fumeurs » pénètre dans les pièces « non-fumeurs » et que, dans presque tous les cas, des composés de la fumée secondaire sont présents dans les pièces « non-fumeurs ». Les résultats sont similaires, même lorsque il y a une évacuation vers l'extérieur. La première difficulté liée à l'utilisation des équipements proposés par la société Smoke Free Systems est que le fumeur doit impérativement se trouver près de la bouche d'extraction pour que la fumée soit absorbée. Par ailleurs, le système filtre 99,9995 % des particules les plus nocives, mais il ne peut éliminer tous les constituants de la fumée secondaire. Il n'y a donc pas « risque zéro ».

En conclusion, la seule approche répondant aux objectifs de santé publique est l'interdiction totale de fumer.

M. Jacob LAURIN : C'est vrai, le système de ventilation, tel qu'il existe aux États-Unis, est tout à fait insuffisant. Je vous remercie d'avoir cité notre projet, que nous n'avons pas encore vendu aux États-Unis. Nous avons en revanche beaucoup de clients en Europe, qui en sont très satisfaits.

M. Philippe MOUROUGA : Peut-on affirmer qu'en aucun cas, aucune des particules nocives incriminées dans le cancer des poumons ne puisse être inhalée, soit dans la cabine, soit à l'extérieur ?

M. le Rapporteur : Suite à la jurisprudence de juin 2005 et de juin 2006, un salarié fumeur pourrait être mis en cause par un autre salarié pour l'avoir exposé à un tabagisme passif.

La technologie que vous venez de nous présenter ne s'inscrit pas dans le même état d'esprit, et nécessite notamment la participation du fumeur qui doit se placer sous la bouche d'aération. Or, la Cour de cassation impose une obligation de résultat à l'employeur vis-à-vis de ses salariés fumeurs ou non-fumeurs.

Compte tenu de la réalité sanitaire et de cette évolution jurisprudentielle, le fumoir peut-il être une solution ?

M. Vassilis VOVOS : Bon nombre de pays européens ont opté pour la solution des fumoirs dans l'entreprise. Au-delà, en tant que chef d'entreprise, j'aimerais que l'on trouve un équilibre. Si l'on écarte la solution des fumoirs, les salariés d'une entreprise dont les bureaux sont à un étage élevé d'un immeuble devront prendre le temps de descendre dans la rue pour fumer. Il est dommage que cette table ronde ne réunisse pas davantage de représentants du monde de l'entreprise, car je me demande bien ce que penserait le MEDEF de cette solution. Je ne comprendrais pas que l'on interdise à un chef d'entreprise d'investir dans un dispositif efficace, et à même de préserver sa productivité. Certains ont prétendu que les fumoirs posaient le problème du contrôle des déplacements des fumeurs, mais je ne vois pas en quoi l'interdiction de ces fumoirs répondrait à la question. J'en appelle à votre bon sens.

M. Franck TROUET : Je m'exprimerai au nom des professionnels des hôtels, bars, brasseries et restaurants et je laisserai à M. Le Pape le soin d'intervenir au nom des professionnels des bars-tabac.

Nous avons souhaité participer à cette table ronde pour exprimer notre position à l'égard d'un projet de réforme qui semble inéluctable, indispensable, mais aussi entendre d'autres professionnels, d'autres experts, afin d'approfondir notre réflexion, et affiner notre position.

Lors de la première table ronde, notre président, Didier Chenet vous a expliqué que le SYNHORCAT était favorable à l'interdiction de fumer dans les cafés, hôtels, restaurants, exception faite des fumoirs qui pourraient y être installés - ces fumoirs étant alors des espaces totalement clos, où les salariés n'auraient pas à intervenir.

Cela étant, notre position n'est pas aussi figée qu'elle y paraît. Elle évolue au fur et à mesure des échanges que nous avons avec les différents professionnels, et dont il ressort la nécessité d'expliciter certains points.

S'agissant tout d'abord des fumoirs, le juriste que je suis craint un manque de lisibilité quant à l'interdiction de fumer dans les hôtels, cafés, restaurants. Comment des fumoirs pourront-ils être mis en place dans nos entreprises ? Nos clients, fumeurs ou non, nos salariés, les professionnels du secteur n'en souffriront-ils pas, tant en termes de santé que de chiffre d'affaires ?

Par ailleurs, l'installation d'un fumoir n'est pas simple. Outre le coût, se pose la question de l'emplacement physique, et surtout de l'efficacité, ce qui m'amène à une troisième réflexion. Le droit à la santé est un principe constitutionnel, la loi oblige l'employeur à prévenir les risques professionnels, et la jurisprudence de juin 2005 pose une obligation de sécurité de résultat. Ne serons-nous pas obligés, dans ce contexte, de définir un seuil d'exposition tolérable à la fumée ? En effet, même si les fumoirs sont hermétiquement clos, il faut bien les ouvrir pour y entrer, ce qui laissera passer l'air, alors même que les employeurs ont une obligation de sécurité de résultat. Et si le principe d'un seuil de tolérance est accepté, qui se permettra de le fixer ?

En Italie, seul 1,5 % des professionnels utilisent ce dispositif : vaut-il vraiment la peine de choisir cette solution, juste pour faire plaisir à quelques professionnels, en leur faisant miroiter une échappatoire inutilisable ? Notre position n'est pas encore arrêtée, mais peut-être serait-il de notre responsabilité de prôner une interdiction totale.

Mme Bernadette ROUSSILLE : A-t-on mesuré à proximité de ces appareils l'existence éventuelle de micro-particules ?

M. Gérard DUBOIS : Je suis heureux de l'évolution du SYNHORCAT. Certains entendent les arguments exposés, d'autres non. Nous devons bien comprendre que supprimer les apparences ne supprime pas le risque. L'industrie du tabac a essayé de développer des cigarettes avec une fumée moins visible, mais le monoxyde de carbone est invisible et inodore.

S'agissant de la taille des particules, les plus grosses descendent toutes seules, décantent, et sont rapidement stoppées au niveau du nez ou de la gorge. En revanche, les plus petites, inférieures à trois microns, ne décantent pas, se comportent davantage comme un gaz en occupant l'ensemble de l'espace, et restent en suspension. Elles peuvent être inhalées profondément et atteindre facilement l'appareil respiratoire.

Séparer les fumeurs des non-fumeurs, filtrer l'air et ventiler les bâtiments ne peut éliminer la fumée secondaire, selon le rapport du Surgeon General.

De même, les moyens conventionnels de filtration peuvent évacuer les grosses particules, mais pas les plus petites, ni les gaz présents dans la fumée secondaire.

Enfin, l'utilisation des moyens de chauffage, de ventilation et de climatisation peut propager la fumée secondaire dans l'ensemble du bâtiment.

J Je rappelle par ailleurs que les principes européens imposent de ne recourir aux solutions de filtration, ventilation, aspiration, confinement des produits cancérigènes sur les lieux de travail qu'au cas où il serait impossible d'éliminer à la source la substance. Or, il est évident qu'en matière de tabagisme passif, il est possible d'éliminer à la source, sur le lieu de travail, la substance toxique.

M. Yves MARTINET : À mon avis, les fumoirs relèvent du collège de pataphysique: comment faire simple alors que nous pouvons faire compliqué ? Il serait tellement plus facile en effet de demander à un fumeur d'avoir la courtoisie de fumer à l'extérieur du bâtiment...

M. Marc DANDELOT : En tant qu'ancien président d'une société aux États-Unis, je puis vous assurer que la question des fumoirs ne s'y est jamais posée, car il était évident pour tous que l'on ne fume pas dans les locaux, mais dans la rue. C'est un problème culturel. Cela étant, nous ne devons pas négliger la solution des fumoirs car elle peut être une transition nécessaire. Il est parfois nécessaire de passer par le purgatoire avant d'aller au paradis.

Parmi mes 3 000 employés, un seul m'a posé problème, une Française, qui pensait que fumer dans son bureau fermé, où elle ne recevait jamais personne, ne pouvait pas poser de problème.

M. Albert HIRSCH : Il est toujours hasardeux d'établir des comparaisons d'un pays à l'autre. Ainsi, seuls 13 % des Suédois fument, notamment du fait de l'utilisation, encouragée par l'industrie du tabac, des « snus », c'est-à-dire de petits sachets que l'on laisse fondre entre la gencive et la face interne de la joue, ce qui ne dégage pas de fumée. Par conséquent, les mouvements des fumeurs, de part et d'autre de cette fameuse bouche d'extraction, sont plus contrôlables qu'en France.

M. Francis ATTRAZIC : Je crois, moi aussi, que nous ne devons pas négliger les étapes transitoires, et nous laisser le temps d'évoluer vers la meilleure protection des non-fumeurs contre le tabagisme passif.

Sans être péjoratif, je dirai que M. Trouet a une vision quelque peu parisienne de l'entreprise. Nous sommes au contraire présents sur l'ensemble du territoire de France et de Navarre, et s'il est certain que nous souhaitons vivement progresser, nous ne voudrions pas pour autant que le chef d'établissement perde toute responsabilité sur l'exploitation de son établissement.

M. le Président : La jurisprudence de la Cour de cassation ne s'applique pas uniquement à Paris...

M. Francis ATTRAZIC : Bien sûr, mais les circonstances d'exploitation d'un fonds de commerce ne sont pas les mêmes à Paris et en province.

M. le Président : La technologie qui nous a été présentée est-elle la seule envisageable ? En effet, je ne vois pas trop comment elle pourrait s'appliquer aux cafés-restaurants.

M. Francis ATTRAZIC : Je ne vois pas pourquoi nous ne pourrions pas utiliser ce dispositif dans les cafés-restaurants.

M. le Rapporteur : Je vous rappelle que, compte tenu de la réalité sanitaire et de l'évolution de la jurisprudence, il ne s'agit plus simplement de s'inscrire dans une dynamique européenne ou dans une simple logique de bon sens.

M. Vassilis VOVOS : M. Dandelot a comparé la France aux États-Unis, mais le ministre de la santé lui-même a déclaré sur le site Internet du ministère qu'il n'était pas question de devenir intégristes comme les Américains sur cette question et d'interdire totalement le tabac dans les lieux publics.

M. Yves BUR : Il roule pour l'industrie du tabac, à présent !

M. Vassilis VOVOS : C'est toujours ce que l'on entend dire lorsque quelqu'un a un point de vue différent en la matière.

Par ailleurs, Monsieur le rapporteur, je pense que vous avez une interprétation très étroite de la jurisprudence. J'ai au contraire le sentiment que la jurisprudence de 2005 n'était pas très claire sur les conséquences, en termes de responsabilité, de l'installation dans les entreprises de fumoirs uniquement utilisés par les fumeurs. Il faudra éclaircir ce point.

Enfin, Monsieur Évin, le dispositif qui nous a été présenté aujourd'hui n'est pas la seule solution. Une étude réalisée à Toronto dans des restaurants a montré que la concentration de particules dues au tabac était la même dans les zones non-fumeurs des restaurants où avaient été aménagées des zones fumeurs que dans ceux où il était strictement interdit de fumer.

M. le Rapporteur : Que les choses soient claires : il s'agit d'évaluer un risque potentiel jurisprudentiel. Nous devons prendre conscience que la jurisprudence évolue très vite. En un an, nous sommes passés de l'obligation de résultat de l'employeur vis-à-vis de son salarié, à la responsabilité d'un autre salarié fumeur.

Nous ne pouvons pas obliger des entreprises à investir dans du matériel si l'évolution de la jurisprudence fait que ces mesures ne suffiront pas.

Mme Eléonore HEDMAN : L'employeur serait responsable de l'utilisation du dispositif que nous proposons, de la même manière qu'il peut être responsable du fait de ne pas faire respecter les interdictions de fumer en certains lieux de l'entreprise.

S'agissant de la qualité de l'air, notre système filtre les particules de grosse taille - supérieures à trois microns - mais également celles de petites tailles. Seules les plus petites particules - entre 0,01 et 1 micron -, qui sont les plus difficiles à filtrer, ne sont captées qu'à 99,9995 %. Ce sont sur ces particules microscopiques que nous obtenons nos plus mauvais résultats. Mais il a été confirmé par des laboratoires d'État que la qualité de l'air obtenu après filtrage de notre appareil était meilleure que celle d'un environnement totalement non fumeur.

Par ailleurs, outre que le fait d'envoyer fumer ses salariés à l'extérieur peut entraîner une baisse de productivité, comme l'a dit M. Vovos, il est certains cas où même cette solution est impossible - dans une usine chimique, fumer à l'extérieur peut ainsi provoquer des explosions.

Enfin, notre système permet de mettre fin immédiatement à la dangerosité de la cigarette, alors qu'il faudra du temps avant que plus personne ne fume... Ainsi, si nous sommes très fiers de ne compter que 13 ou 14 % de fumeurs en Suède, nous devons savoir que beaucoup ont arrêté pour le « snus ».

M. Jacob LAURIN : Les personnes qui utilisent le « snus » n'exposent pas les autres au tabagisme passif, mais surtout, elles diminuent plus facilement leur consommation.

M. René LE PAPE : Je pense que d'autres fabricants peuvent avoir des idées, et la mission devrait les rencontrer.

M. le Rapporteur : Ce sera fait.

M. Philippe MOUROUGA : Je suis toujours intéressé par les études qui vont à contre-courant, et j'aimerais prendre connaissance de celle de Toronto.

M. Vassilis VOVOS : Bien sûr, l'original a été soumis à la mission et nous vous en donnerons une copie lors de la prochaine table ronde.

M. le Président : Nous allons à présent nous pencher sur la question du choix entre le décret et la loi. Cette question n'est pas seulement juridique : la loi a certes pour objet de fixer des règles, mais le débat législatif permet aussi de faire passer des messages.

Avant 1991, il était possible de fumer partout, sauf interdiction expresse. La loi de 1991 a inversé la tendance en laissant cependant la possibilité de dédier certains espaces aux fumeurs. Sur la base de cette loi, un décret, publié en 1992 a introduit une certaine confusion. Nous devrons réfléchir à la manière de modifier le cadre juridique actuel.

Je vais tout d'abord laisser la parole à M. Didier Maus qui pourrait, en tant que conseiller d'État et constitutionnaliste, éclairer la décision du Conseil constitutionnel de 1991.

M. le Rapporteur : Et nous donner son sentiment sur une éventuelle responsabilité de l'État.

M. Didier MAUS : Je m'exprime à titre strictement personnel. Mon avis n'engage que celui qui l'exprime. Par ailleurs, je suis un ami du Parlement et heureux que votre mission soit l'occasion d'une réflexion qui entre parfaitement dans le cadre du travail parlementaire. S'agissant de ce qu'aurait dit mon ami Guy Carcassonne, je n'étais pas présent lorsqu'il s'est exprimé devant vous et je n'ai pas lu le compte rendu de ses propos. Mais je le connais depuis plus de vingt ans et je l'ai entendu prendre des positions publiques qui n'étaient pas directement liées à ses activités privées ou à ses attaches politiques, ou qui leur étaient mêmes contraires. Je lui fais toute confiance.

Au nombre des questions évoquées figure celle de la constitutionnalité de la loi. J'ai la certitude qu'il n'y a aucun risque d'inconstitutionnalité à renforcer la législation anti-tabac. La décision du 8 janvier 1991 du Conseil constitutionnel est claire : la protection de la santé publique est un principe constitutionnel. Il doit être concilié avec les autres principes constitutionnels mais, dans sa relation avec eux, on peut aller extrêmement loin dans la limitation, exigée par l'intérêt général, de la liberté d'entreprendre. De même, le Conseil constitutionnel a jugé que le respect de ce principe permet de limiter le droit de la propriété industrielle.

Le droit international ne pose pas davantage de difficultés, car la convention-cadre de l'OMS est à la fois claire et extraordinairement floue. Je ne vois pas ce qui, dans les dispositions envisagées, pourrait lui être contraire. Le droit européen est sur cette question encore en gestation mais il ne peut y avoir contradiction avec un droit futur. Vous avez donc la chance qu'en ce domaine le droit français soit encore autonome, ce qui devient rare.

Par ailleurs, l'article L3511-7 du code de la santé publique est une base législative très large, qui permet à mon avis d'aller très loin. J'en rappelle les termes :

« Il est interdit de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif, notamment scolaire, et dans les moyens de transport collectif, sauf dans les emplacements expressément réservés aux fumeurs.

Un décret en Conseil d'État fixe les conditions d'application de l'alinéa précédent ».

Le principe législatif est donc l'interdiction ; il n'y a pas un droit à fumer. La loi fixe ensuite les espaces dans les limites desquels l'interdiction s'applique : « dans les lieux affectés à un usage collectif » - la précision « notamment scolaire » étant superfétatoire - et « dans les moyens de transport collectif ».

Arrêtons-nous sur « les lieux affectés à un usage collectif ». Il y en a beaucoup ; qu'ils soient publics ou privés est strictement sans incidence sur la loi telle qu'elle est rédigée aujourd'hui : tous sont concernés. Ils peuvent indifféremment être ouverts ou fermés, ce qui pose le problème des stades et des tribunes ; à mon sens, on peut, sans solliciter le texte, inclure tous les lieux ouverts dans le champ de cet alinéa à partir du moment où ils sont affectés à un usage collectif. Certains le sont par destination, par exemple ceux qui, s'agissant de l'accueil du public, relèvent de la législation anti-incendie. Cela comprend évidemment les lieux professionnels et d'enseignement et, par définition, tous les lieux accueillant du public. Dans une interprétation extensive, et sans rien modifier à la loi, je n'exclurais pas les parcs et les jardins, qui sont des lieux affectés à un usage collectif, et singulièrement ceux où des espaces ont été aménagés pour les enfants. Peut-on ainsi, de proche en proche, aller de plus en plus en loin ? Je n'irai pas jusqu'au bout, mais ne pourrait-on dire que la rue est un lieu à usage collectif ? J'hésiterai à dire « non », mais je ne ferai pas la même analyse pour un chemin rural sinuant entre deux champs de blé ou pour un chemin forestier. A contrario, ne sont exclus du champ du texte que les lieux affectés à un usage privé. Quels sont-ils, exception faite des domiciles privés ? Un cabinet professionnel n'est pas un lieu à usage strictement privé.

J'en viens aux « moyens de transport collectif ». Il s'agit bien sûr des trains, cars, autobus, avions et bateaux. Mais si une municipalité incite au covoiturage et si les co-passagers participent à l'entretien du véhicule, ne passe-t-on pas d'un usage privé amical à un moyen de transport collectif organisé ? N'en va-t-il pas de même lorsqu'une commune incite au ramassage scolaire personnel ?

Je vois à vos mines que je vous inquiète ou que je vous rassure, selon votre point de vue. Il ne faut pas exclure ces interprétations. La loi est la loi. J'aurais tendance à vous suggérer de ne pas la modifier. J'ai vu que certaines propositions tendent à mieux définir la notion de « lieu affecté à un usage collectif ». J'ai peur que toute définition trop précise soit trop limitative. Dans sa rédaction actuelle, le texte est extrêmement large, et c'est l'une des bonnes lois votée par le Parlement.

Ensuite vient le problème du décret, mais il ne se pose que par rapport à la loi - ne prenons pas les choses à l'envers, et n'interprétons pas la loi par rapport au décret. Compte tenu de ce que je viens de dire, je pense que l'on peut aller beaucoup plus loin dans la restriction, la limitation et l'encadrement, sans remettre la loi en cause mais en modifiant le décret, dont les rédacteurs ont adopté une interprétation minimaliste de l'article de base. Cela conduirait le juge administratif à modifier quelque peu sa jurisprudence. Dans un arrêt de 1993, le Conseil d'État a considéré qu'un bureau individuel situé dans des locaux professionnels n'entre pas dans le champ de la loi ; mais, sans faire un très gros effort, on pourrait dire qu'un bureau, parce que l'on y reçoit des collaborateurs ou des visiteurs, est affecté à un usage collectif, même si l'on y siège seul. Le bureau d'un ministre est-il un lieu privé ? Non. Il est donc affecté à un usage collectif, puisqu'il n'y a pas de solution intermédiaire. Selon moi, on peut faire beaucoup plus par décret ; il reste à déterminer jusqu'où on veut aller.

Par ailleurs, y a-t-il un intérêt à modifier la loi, et quelles seraient les conséquences d'une modification ? On peut la modifier, ce qui serait un signal politique important, et même la modifier de manière telle qu'il n'y ait plus besoin de rien d'autre. En supprimant le membre de phrase « sauf dans les emplacements expressément réservés aux fumeurs », on supprime de facto le deuxième alinéa de l'article qui renvoie à un décret en Conseil d'État, puisque les restrictions à l'interdiction de fumer sont supprimées, et qu'il n'y a pas lieu de maintenir la mention, inutile, des établissements scolaires.

Il reviendrait ensuite au juge, notamment au juge répressif, de mettre en œuvre ces dispositions par les moyens classiques dont il dispose. Se pose alors la question du renforcement des sanctions, car on sait que c'est par la sanction que les législations qui tendent à modifier les comportements trouvent leur efficacité. Comme chacun le sait, la limitation de vitesse est respectée depuis que l'on perd des points si on l'enfreint.

En conclusion, avec un dispositif législatif particulièrement simple et l'action de tous les intéressés, on pourrait aboutir à l'objectif fixé. Mais, bien sûr, des solutions intermédiaires sont également possibles.

M. Marc DANDELOT : Il est exact que la loi actuelle, extrêmement large, pourrait donner lieu à une interprétation plus rigoureuse et plus sévère, par un décret ou sans décret. Néanmoins, le problème qui se pose est de savoir si, après quinze ans, le décret n'est pas devenu le prisme de compréhension de la loi. Je m'exprimerai en mon nom personnel pour dire que l'on ne peut sous-estimer cette difficulté, qui est d'ordre culturel. L'objectif visé est de parvenir à une situation nouvelle, et l'on sait qu'en France, la réglementation n'est appliquée que si les manquements font l'objet d'une répression féroce. Or l'expérience des quinze années d'application de la loi et du décret ne montre pas une extraordinaire férocité des pouvoirs publics dans le constat des infractions. Autant dire que si un décret plus sévère est pris mais qu'il n'est pas plus sévèrement appliqué, il ne sera pas davantage mis en œuvre que ne l'est le décret actuel. La question est celle de la norme sociale. Aux États-Unis, par exemple, il ne viendrait à l'idée de personne de fumer au cours d'une réception, car ce serait perçu comme inconvenant. Il n'est donc pas besoin de réprimer.

Comment les notions de « lieu affecté à un usage collectif » et d'« emplacement réservé » ont-elles été comprises par le Conseil d'État ? La première est effectivement extrêmement large, mais quelques éléments de jurisprudence, qui ne sont peut-être pas durables, l'ont légèrement limitée. Quand le projet de décret est venu devant le Conseil d'État, celui-ci a considéré que la loi visait les lieux fermés et couverts - ce qui ne figure pas dans le texte de loi. Je suis d'accord avec Didier Maus pour penser qu'un bureau individuel devient un lieu affecté à un usage collectif aussitôt que deux personnes y sont réunies, mais le Conseil d'État n'a pas fait cette réserve. Cela ne veut pas dire qu'elle n'existe pas mais aujourd'hui, personne, dans la société française, ne pense que la loi s'applique à un bureau individuel ; ministres et fonctionnaires reçoivent dans leur bureau en fumant, et personne ne le fait avec le sentiment de violer la loi. Pour ma part, je suis membre d'un club sportif dont je ne peux fréquenter les locaux communs, car c'est une tabagie, mais le conseil d'administration considère en toute bonne foi que c'est un lieu privé, où la loi ne s'applique pas. Il faut donc faire beaucoup d'efforts pour revenir sur ce qui est compris comme étant le champ d'application de la loi, peut-être par le biais d'un décret plus musclé.

S'agissant des « emplacements expressément réservés aux fumeurs », deux questions se posent. La loi fait-elle de l'existence de ces lieux un droit ? La réponse est non, mais il faut tenir compte de ce que la pratique a conduit à considérer que la loi prévoit le droit de la mise à disposition d'un lieu pour les fumeurs. Lorsque le projet de décret était venu devant le Conseil d'État, celui-ci avait pensé introduire une réserve- « sauf impossibilité » - qui a finalement sauté, au motif qu'impossible n'est pas français... L'interprétation de la loi est donc plutôt qu'il y a un droit. La loi ne dit rien des conditions dans lesquelles les emplacements réservés aux fumeurs peuvent exister, mais, la finalité du texte étant d'assurer la protection des non-fumeurs, les emplacements « non-fumeurs » ne sont possibles que s'ils l'assurent - ce dont on n'a pas tenu compte, puisque l'on s'assure de la place des fumeurs, mais pas de celle de la fumée !

Pourrait-on, par décret, tirer toutes les conséquences de la finalité de la loi, et dire que les non-fumeurs ne doivent pas être exposés à la fumée contre leur gré ? Si ce principe doit être retenu comme finalité de la loi, je ne peux assurer que le Conseil d'État considère la rédaction actuelle de la loi assez explicite pour permettre une interprétation qui n'aurait pas été impossible il y a quinze ans, mais que la lecture faite du texte au long des années ne rend pas évidente maintenant. À titre personnel, je ne me sens pas capable de dire : « C'est certain, on peut tirer ce principe de la loi telle qu'elle est »...

Je pense enfin qu'un volet répressif plus sérieux est nécessaire, mais il doit être ainsi conçu que les infractions seront réprimées. Rien ne serait pire qu'un texte plus sévère qui ne serait pas appliqué non plus.

M. Yves BUR : Les analyses qui nous ont été livrées illustrent la manière dont la volonté politique peut être dénaturée par la rédaction d'un décret d'application qui a été une grande victoire pour la SEITA, et montrent comment le flou d'un décret empêche la société de faire siens des objectifs de santé publique. Faut-il préciser minutieusement le décret ? Le fait est que si le membre de phrase « sauf dans les emplacements expressément réservés aux fumeurs » demeure, aucun décret ne pourra interdire complètement de fumer dans les lieux publics. Les notions de protection des non-fumeurs et de santé publique doivent être plus explicites, et il faut tenir compte des salariés - considération qui, en Irlande, a eu raison de toutes les arguties d'arrière-garde, et les professionnels de la restauration ont compris le bien-fondé de cet argument. Il en est allé de même en Angleterre : initialement, on pouvait fumer dans les pubs, mais pas dans ceux où l'on mangeait, et dans les clubs. À présent, le débat est tranché et la loi s'applique à tout le monde également.

M. Gérard DUBOIS : Toute loi est bien sûr votée dans un certain contexte historique et social. Pour autant, la norme sociale française n'est pas une exception : bien que Français, nous sommes normaux, et l'opinion publique française est au même stade que celle des pays qui ont pris les décisions les plus claires en cette matière. Il n'y a donc pas lieu d'attendre une quelconque maturation des esprits. Les réactions constatées mi-avril ont d'ailleurs traduit une forte déception devant l'absence d'action des pouvoirs publics. On donne souvent l'exemple du plus grand respect des piétons par les automobilistes en Grande-Bretagne et aux États-Unis, mais l'on omet de dire que les sanctions y sont beaucoup plus sévères qu'elles ne le sont en France. Des sanctions exemplaires et immédiates sont indispensables, et les contraventions sont un excellent système, car le délai de comparution en justice est trop long.

Au niveau communautaire aussi on observe une évolution importante. En effet, à partir du 1er janvier 2007, le tabac, considéré comme affectant la santé, fera l'objet d'une exception au principe de la libre circulation des produits sur le marché intérieur, si bien que les niveaux d'importation pourront être de compétence nationale.

Alors que l'opinion publique est à 80 % favorable à l'interdiction de fumer dans les lieux publics, on en est encore à se demander s'il faut faire évoluer la norme ! Je rappelle que, pour partie, la loi Évin a été écrite parce que la loi Veil était contournée, et que si les deux tiers de l'Assemblée l'ont votée, c'est par irritation devant ce contournement. Toute la discussion qui vient d'avoir lieu a montré l'insuffisante protection des non-fumeurs par la loi dans sa rédaction actuelle, et l'on a vu qu'un nouveau décret permettrait d'élargir le champ d'application du texte mais qu'il ne permettrait pas d'assurer une protection générale.

C'est pourquoi j'annonce que l'Alliance contre le tabac a unanimement opté pour la voie législative, afin d'obtenir une protection totale contre la fumée de tabac, et qu'elle propose son expertise pour aider à la rédaction du futur texte. C'est une évolution récente, puisque jusqu'il y a peu, nous étions neutres quant au choix des moyens juridiques à employer. Nous considérons désormais que seule la voie législative permettra d'atteindre l'objectif visé.

M. Albert HIRSCH : La Ligue contre le cancer, membre fondateur de l'Alliance, partage bien sûr ce point de vue. Une loi doit se suffire à elle-même, notamment dans un domaine où l'évidence scientifique et sociale est celle que l'on sait. Il faut donc réécrire l'article L. 3511-7 du code de la santé publique de manière lapidaire, en s'en tenant à la première partie du premier alinéa : « Il est interdit de fumer dans les lieux affectés à un usage collectif et dans les moyens de transport collectif », rédaction qui permet d'interpréter ce que sont les lieux ainsi définis. Une loi doit avoir une durée, et le texte ainsi rédigé aurait l'avantage de pouvoir être adapté à l'évolution des connaissances sur les effets du tabac dans les lieux ouverts. Supprimer la nécessité d'un décret en Conseil d'État me paraît d'ailleurs souhaitable au regard des exigences de simplification et d'effectivité du droit.

M. le Rapporteur : Quelle est l'intime conviction de MM. les conseillers d'État - qui, nous l'avons compris, s'expriment à titre personnel - sur la responsabilité de l'État au regard de l'évolution de la jurisprudence ? Quelle est votre opinion sur les propositions de dérogation à l'interdiction pour les substituts de domicile, telles que l'Irlande en a prévu pour les établissements médico-sociaux et carcéraux ?

M. Gérard AUDUREAU : Nous sommes bien sûr favorables au principe d'une nouvelle loi, principe qui, comme l'a dit M. Gérard Dubois, a fait l'objet d'un accord unanime au sein de l'Alliance, mais nous ne voulons pas n'importe quelle loi. Or, à ce jour, toutes les propositions faites sont en deçà du texte actuel - nonobstant le fait que le décret d'application est considéré comme étant la loi. Je souligne à nouveau qu'il n'est pas impératif de prévoir des emplacements expressément réservés aux fumeurs ; d'ailleurs, l'interdiction totale de fumer dans les avions et dans les trains n'a pas été contestée. Une loi est nécessaire, mais il faut prendre garde non seulement à son contenu mais à l'interprétation plus large qui pourrait en être faite. Si l'on en vient à dire que la rue et le domicile sont des lieux à usage collectif, on fera valoir que le texte est irréaliste et qu'autant dire, alors, que la consommation et la commercialisation du tabac sont interdites en France.

M. le Président : Aucune loi ne peut traiter l'ensemble des situations. Elle établit une règle, mais une marge d'interprétation existe toujours, sans laquelle il n'y aurait pas de jurisprudence. Pour autant, si aucune loi n'est parfaite, toutes doivent être simples et compréhensibles. Même si, lorsque l'interdiction totale de fumer dans les trains et dans les avions a été décidée, la possibilité de conserver des espaces réservés aux fumeurs n'a pas été revendiquée, je vois que des opinions contraires s'expriment. Il est d'ailleurs curieux que le libellé de notre mission soit « mission d'information sur l'interdiction du tabac dans les lieux publics », alors que la notion de « lieu public » n'apparaît nulle part dans la loi. Changer la loi présenterait l'intérêt de donner une certaine solennité à une affirmation forte.

Cela étant, que changer ? Nous pourrions en effet supprimer la dernière partie du premier alinéa, pour s'en tenir à l'affirmation de la loi de 1991, mais sans exception. Disons-le clairement, il serait absurde d'imaginer que l'on va réintroduire des exceptions dans la loi. Ou bien la loi proclame qu'il est interdit de fumer, et l'on retire les exceptions, ou bien nous adoptons une démarche uniquement règlementaire, et nous prenons par décret des procédures de mises en œuvre, d'exceptions, etc.

Je reconnais que le contexte a évolué depuis la loi de 1991 et que la notion d'espaces réservés aux fumeurs a créé une confusion, mais nous ne pourrions détailler la liste des exceptions dans le texte de loi.

M. Marc DANDELOT : S'agissant d'une éventuelle modification de la loi, la notion de locaux à usage collectif a besoin d'être explicitée.

Pour ce qui est des trains et des avions, je rappelle qu'ils ne sont pas devenus non-fumeurs parce que la loi les y obligeait mais parce que le gestionnaire en a décidé ainsi.

S'agissant du milieu carcéral, la jurisprudence est peu développée - nous ne disposons que d'une ordonnance de référé qui appelle à concilier la protection de la santé avec les sujétions inhérentes à la détention. Je pense que cette question devrait se traiter par voie d'instructions aux dirigeants des maisons d'arrêt.

J'en viens à la responsabilité de l'État. Nous disposons d'une décision du Conseil d'État, rendue au sujet de l'amiante, par laquelle l'État s'est vu reconnaître une faute vis-à-vis d'ouvriers victimes de l'amiante, mais une faute résultant de l'absence de prise de réglementation.

Le contexte est différent en matière de lutte contre le tabagisme, puisqu'il existe une loi et un décret. Une faute ne pourrait être invoquée à l'encontre de l'État qu'en cas de carence à faire appliquer cette réglementation, ou de son insuffisance notoire. Mais il ne me semble pas que ce soit le cas.

Par ailleurs, oui à une loi seule, mais à condition qu'elle prévoie une sanction, car le décret a d'abord été pris pour pallier l'insuffisance de la loi qui ne prévoyait justement pas de sanction.

Enfin, nous pouvons faire beaucoup par décret, sauf prendre une mesure d'interdiction totale de fumer.

M. Didier MAUS : Il est exact que nous pouvons aller beaucoup plus loin avec le décret, sauf que la loi dispose qu'il faut prévoir des emplacements expressément réservés aux fumeurs. Certes, il serait possible de définir les conditions de ces emplacements de manière si restrictive qu'ils seraient rares, mais il serait impossible de les exclure totalement.

S'agissant des aides éventuelles à la transformation des locaux, je signale que les exonérations fiscales sous plafond sont préférables à la subvention. Outre que cette solution est plus simple, elle présente l'avantage de laisser une réelle liberté au chef d'entreprise.

Par ailleurs, ce n'est pas parce qu'il serait interdit de fumer chez un marchand de tabac qu'il n'aurait plus le droit de vendre des cigarettes. Quelle est la proportion de personnes qui consomment sur place les cigarettes qu'ils viennent d'acheter ?

M. Marc DANDELOT : Nous n'avons pas abordé le problème des salariés qui travailleraient dans un restaurant ou un bar où serait aménagé un local réservé aux fumeurs : selon la jurisprudence de la Cour de cassation, un employeur ne peut contraindre un employé à travailler dans un environnement fumeur.

Mme Nadège LAROCHETTE : Si nous voulons élargir les corps de contrôle chargés de faire appliquer la réglementation, ou permettre la vente de substituts nicotiniques dans les bars-tabacs, nous aurons besoin d'une disposition législative.

Mme Bernadette ROUSSILLE : J'aimerais avoir l'avis des conseillers d'État sur la question des substituts de domicile.

M. Yves BUR : Nous avons beaucoup parlé du secteur privé, mais qu'en serait-il d'un fonctionnaire qui ferait valoir un droit de retrait parce qu'il travaillerait dans un environnement fumeur, et que son employeur, public, ne ferait rien pour le protéger ?

Marc DANDELOT : La réponse est facile : en tant qu'employeur, il est soumis aux règles découlant de la jurisprudence de la Cour de cassation.

Quant à la question des substituts de domicile - maisons de retraite, hôpitaux psychiatriques, etc. -, elle avait été abordée par l'assemblée générale du Conseil d'État lorsque le projet de décret était passé, et il avait été convenu que la loi s'appliquait dans ce genre d'établissements.

M. le Président : Mesdames, Messieurs, je vous remercie.

Table ronde n° 5 :
« A quelles conditions la réforme peut-elle réussir ? :
quelles mesures d'accompagnement ? »,
réunissant :
M. Vassilis Vovos, président de Japan Tobacco International (JTI) ;
M. Franck Trouet, directeur du service juridique et social du Syndicat national des hôteliers restaurateurs cafetiers et traiteurs (SYNHORCAT) ;
M. René Le Pape, président de la Confédération nationale des débitants de tabac ;
M. André Daguin, président de l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH) ;
Professeur Gérard Dubois, président de l'Alliance contre le tabac ;
Professeur Albert Hirsch, vice-président de la Ligue nationale contre le cancer ;
M. Gérard Audureau, président de l'association Droits des non-fumeurs ;
Professeur Yves Martinet, Président du Comité national contre le tabagisme (CNCT) ;
Mme Bernadette Roussille, membre de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) ;
Mme Chantal Fontaine, chargée de mission justice de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT) ;
Docteur Philippe Mourouga, directeur du département « prévention et dépistage » de l'Institut national du cancer ;
M. Pascal Melihan-Cheinin, chef du bureau des pratiques addictives à la Direction générale de la santé (DGS) du ministère de la santé et des solidarités ;
M. Philippe Lamoureux, directeur général de l'Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (INPES), accompagné de M. Antoine Lhuiller, chargé de communication ;
M. Jean-Pierre Mazé, sous-directeur des droits indirects à la direction générale des douanes et M. Régis Cornu, inspecteur principal, responsable « tabacs » à la direction générale des douanes ;
M. Lidsky, de la Fédération française des sociétés d'assurance (FFSA), accompagné de M. Stéphane Penet, directeur, de Mlle Latifa Lam, responsable juridique et de M. Jean-Paul Laborde, conseiller parlementaire


(Extrait du procès-verbal de la séance du 5 juillet 2006)

Présidence de M. Claude ÉVIN, Président

M. le Président : Je vous souhaite à tous la bienvenue à cette cinquième table ronde organisée dans le cadre des travaux de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur l'interdiction du tabac dans les lieux publics. La dernière de ces réunions se tiendra le mercredi 12 juillet, mais nous complèterons ces tables rondes par des auditions simples complémentaires. Nous verrons comment il sera possible de rencontrer à nouveau les participants à ces tables rondes, afin de les associer à l'élaboration de notre rapport.

Les deux dernières tables rondes portent sur les mesures d'accompagnement. En effet, dès lors que l'objectif est de renforcer les dispositions actuelles de lutte contre le tabagisme, un accompagnement paraît indispensable. Il doit concerner en premier lieu l'information et l'éducation sanitaire car, comme l'a observé justement Mme Roussille, il ne suffit pas de voter une loi ou de prendre un décret pour que les textes entrent en application. Les administrations réagissent parfois avec beaucoup de retard, et il leur arrive même de se tromper dans l'interprétation des textes.

En outre, l'accompagnement doit aussi viser les secteurs économiques qui vivent de la production et de la distribution du tabac. Si l'objectif est de réduire la consommation de ces produits, cela aura bien évidemment des conséquences pour ces entreprises et pour ceux qui vivent, en partie ou en totalité, de cette activité. Des mesures ont déjà été prises et il y a désormais un parlementaire en mission sur le contrat d'avenir, mais il faut bien évidemment que nous réfléchissions à cet aspect. On sait aussi qu'en fonction des décisions que nous serons amenés à prendre, certains, comme les bars-tabac et les restaurants, où il est actuellement permis de fumer, pourront avoir besoin d'un temps d'adaptation.

Cet après-midi, nous souhaitons donc aborder tout d'abord la préparation de l'opinion publique, en particulier sous l'angle des campagnes de sensibilisation du public, de leur adaptation aux publics visés, et des enseignements qui peuvent être tirés des expériences étrangères. Nous en viendrons ensuite aux mesures d'accompagnement envisagées pour les professionnels qui estiment qu'ils pourraient pâtir d'un durcissement de la réglementation. Dans ce cadre, nous aborderons aussi la question de l'assurabilité. Enfin, nous nous intéresserons à l'aide au sevrage tabagique.

Je vous propose donc de commencer par la préparation de l'opinion publique et je donne sans plus tarder la parole à M.Philippe Lamoureux.

M. Philippe LAMOUREUX : La communication est un des facteurs de réussite du changement de législation, les exemples irlandais et italien le montrent.

En Irlande, une campagne d'information spécifique sur la nouvelle loi est apparue comme une nécessité pour appliquer la mesure. Toute une série de supports a été produite par les autorités à destination des employeurs, des entreprises et du grand public. Un temps d'adaptation de douze à quinze mois s'est écoulé entre l'annonce et l'application du texte.

En Italie, le changement de législation s'est aussi accompagné d'une campagne de communication massive - spots télé, radio, cinéma, affichage, annonces presse - répartie sur une période de six mois. Dès la parution du texte, le 10 janvier 2005, le gouvernement a fait le choix de renvoyer vers une ligne téléphonique dédiée.

En France, nous avons déjà abordé le problème de la fumée des autres sous l'angle du tabagisme passif, afin de faire évoluer les représentations sociales sur ce thème. Nous avons ainsi réalisé, en octobre 2004, la première campagne médiatique nationale sur le tabagisme passif. Il s'agissait de faire passer un message très simple : lorsqu'on fume à côté d'un non-fumeur, il fume aussi. L'objectif était avant tout d'inciter les fumeurs à respecter les non-fumeurs, mais aussi de faire prendre conscience aux non-fumeurs de la réalité du tabagisme passif sans pour autant opposer deux clans. La campagne permettait également de toucher directement les fumeurs en leur montrant ce que représente concrètement leur consommation de cigarettes sur plusieurs années. Elle comportait deux spots, l'un concernant le domicile, l'autre le lieu de travail, illustrant la quantité de cigarettes qu'un non-fumeur inhale lorsqu'il vit en présence d'un fumeur. Ces spots ont été diffusés en octobre 2004, puis en juin 2005 et en juin 2006. Ils ont donc une puissance médiatique assez importante.

Les post-tests ont été excellents : c'est, parmi les campagnes grand public que nous avons menées puis 2000, celle qui obtient le meilleur taux de reconnaissance, de mémorisation et d'implication. On nous demande d'ailleurs de l'exporter, et nous avons eu des demandes des autorités suisses, espagnoles et luxembourgeoises.

Lors de la diffusion de juin 2005, nous avons souhaité décliner cette campagne dans les bars et dans les restaurants, lieux emblématiques des difficultés du tabagisme passif. Nous avons travaillé sur un certain nombre de visuels qui montraient des lieux de restauration et des bars, avec la même idée d'accumulation de cigarettes. Nous avons bien entendu discuté de cette campagne avec les fédérations professionnelles. Contrairement à ce que nous craignions, cette concertation a été très constructive. Les professionnels demandaient surtout que l'on ne voie pas de cigarettes sur les étagères et sur les comptoirs parce que cela faisait « maison mal tenue », le principe de l'accumulation de cigarettes étant en revanche accepté.

Ces visuels ont été diffusés auprès de plusieurs réseaux d'affichage pour un total de 41 000 panneaux, ainsi que dans les principaux titres de la presse quotidienne nationale et régionale.

Cette campagne a en quelque sorte préparé le terrain pour une éventuelle interdiction de fumer dans les lieux publics.

En ce qui concerne la façon de communiquer dès lors que la législation serait modifiée, nous tablons - à partir de l'idée d'une interdiction absolue de fumer, sauf dans les substituts du domicile, et faute d'information définitive - sur deux hypothèses : d'une part l'obligation de fumer à l'extérieur, d'autre part la possibilité de fumer dans des espaces fermés.

Il apparaîtrait utile en premier lieu de mener une campagne préalable à la mise en œuvre de l'interdiction, afin de continuer à préparer l'opinion en dénonçant les risques du tabagisme passif pour les enfants et pour les salariés exposés durablement. Il s'agirait de donner des chiffres précis et de permettre à chacun de s'approprier l'information et de se sentir concerné en fonction de sa situation.

Il conviendrait ensuite de mener une campagne d'accompagnement de la loi, en la positionnant comme un progrès pour la société. Une campagne leaders d'opinion serait menée sur le thème « la loi change pour le bien de tous », une campagne grand public montrerait le progrès que cette évolution représente en termes de santé publique, par exemple en faisant le parallèle avec la vaccination obligatoire des nouveau-nés ou avec le port de la ceinture de sécurité. Une autre campagne valoriserait l'interdiction, afin de passer de la stratégie que nous développons depuis plusieurs années de « dénormalisation » du tabagisme passif et du comportement tabagique à une stratégie de normalisation du statut de non-fumeur.

Une campagne dans le hors média accompagnerait sur le terrain l'évolution de la législation. Il existe déjà un certain nombre de supports, par exemple un guide « Entreprise sans tabac », mais il conviendrait sans doute de diffuser une information spécifique en direction des entreprises, mais aussi des hôpitaux et des établissements scolaires. Nous utiliserions probablement l'Internet, à partir du site existant Tabac Info-service, qui pourrait être étoffé.

L'accompagnement relations presse serait également très important, afin de sensibiliser les journalistes - qui le sont déjà très largement - au sujet. Cette stratégie permettrait, en amont de la date d'application prévue, d'expliquer la loi et les risques du tabagisme passif en préparant l'opinion au basculement législatif, afin qu'elle se montre plus compréhensive au moment où il interviendrait.

M. Yves BUR : Pouvez-vous nous dire un mot de votre dernière campagne, qui utilise uniquement l'Internet ?

M. Philippe LAMOUREUX : Nous allons même vous la diffuser... Je précise simplement qu'il ne s'agit pas d'une campagne sur le tabagisme passif : nous avons délibérément choisi, par le support et par le ton, de nous adresser aux jeunes. Pour cela nous avons créé sur Internet, avec nos partenaires d'Alliance contre le tabac, une société virtuelle, Toxicorp, et nous avons lancé pour son compte une campagne de recrutement de jeunes fumeurs par marketing viral.

M. Antoine LHUILLIER présente le spot et le site, en donnant les explications suivantes : La voix off dit « vous êtes jeune, motivé, prêt à devenir dépendant de la nicotine : rejoignez Toxic Corp et remplacez un de nos fidèles fumeurs décédés ». Au cours de sa visite de l'usine, le jeune croise sans cesse d'anciens fumeurs, qui circulent sous la forme de cadavres dans des linceuls. On évoque toutes les substances cancérigènes. La signature est : « le tabac tue un fumeur sur deux, l'industrie du tabac compte sur vous pour les remplacer », avec l'adresse du site Internet -www.toxic-corp.fr -, la technique consistant à renvoyer le plus possible de personnes vers ce site.

Avant même la campagne de bannières destinée à faire connaître Toxic Corp, nous avons déjà eu 1 500 connexions en 24 heures. Grâce au ton et au support, les jeunes font eux-mêmes la promotion du site et deviennent ainsi vecteurs de diffusion de la campagne, puisqu'ils téléchargent le film et se l'envoient entre eux. Nous avons enregistré 6 000 inscriptions avant même toute promotion sur le Web et le site est pratiquement saturé.

L'inscription obligatoire sur le site sert à constituer un fichier d'e-mails pour évaluer les dispositifs, mais elle permet aussi aux visiteurs de voir quel est l'émetteur qui donne la légitimité au contenu - en l'occurrence, l'INPES et l'Alliance. Une fois inscrit, on se promène sous la forme d'un avatar dans l'univers de Toxic Corp, on accède par exemple au bureau du PDG où l'on trouve les propres documents de l'industrie du tabac - les vrais -, mais aussi des extraits de documentaires sur les manipulations des industriels. Le but étant que l'internaute découvre par lui-même ces manipulations. Nous avons développé l'interactivité pour attirer le maximum de 15-25 ans, avec, en particulier, un petit outil qui permet de savoir combien l'on rapporte au PDG de Toxic Corp selon son âge et sa consommation quotidienne de cigarettes.

Pour comprendre cette stratégie, il faut savoir que les études sur les comportements des jeunes par rapport au tabac montrent que la menace du cancer à soixante ans est inefficace car à quinze ans on se sent immortel. En revanche, cette population est beaucoup plus sensible aux arguments sur la manipulation et la perte du libre arbitre. La campagne est donc bâtie sur l'idée que les jeunes sont manipulés par l'industrie du tabac. Elle fonctionne assez bien, mais jamais jusqu'ici on n'avait mené une campagne aussi frontale et brutale contre l'industrie du tabac. Nous nous sommes rapprochés des associations car la crédibilité du ministère de la santé auprès d'une telle cible n'allait pas de soi.

M. Pierre MORANGE, rapporteur : Vous avez indiqué, Monsieur Lamoureux, que, selon les pays, la durée de communication sur la nouvelle réglementation variait de six à dix-huit mois. Avez-vous pu évaluer dans quel cas le message passait le mieux ?

Pensez-vous par ailleurs que le contenu de la campagne de communication sera différent selon que l'on empruntera la voie législative ou réglementaire ?

M. Philippe LAMOUREUX : Nous sommes très attentifs à ce qui se passe à l'étranger. Il y a quelques années, nous nous sommes inspirés de ce qui se faisait en Californie et en Floride sur le thème : « un produit de consommation courante contient du plomb, de mercure, etc. Pour en savoir plus, appelez tel numéro ». Mais il est souvent difficile de transposer une campagne d'un pays à l'autre. Ainsi, alors que des études hollandaises montraient qu'avec un marquage des paquets de cigarettes comportant un renvoi à une ligne téléphonique, le trafic d'une ligne de type « tabac info-service » était multiplié par quatre, en France il a seulement doublé.

La forme ne sera pas très différente selon que l'on aura recours au décret ou à la loi, mais elle variera en fonction du contenu : le pari de la communication est de ramener un texte plus ou moins long à 30 secondes sur un écran de télévision, donc plus le texte est simple, plus on peut le réduire à un message linéaire, mieux c'est.

M. René LE PAPE : Je m'étonne que l'État finance de telles campagnes tout en continuant à accepter les royalties que rapportent les fabricants de tabac et à percevoir les taxes sur le tabac ! Pour mettre fin à cette incohérence, il faut tout simplement arrêter la vente du tabac et prohiber totalement ce produit sur le territoire national !

M. le Président : Le problème, c'est qu'il y a des débitants de tabac...

M. René LE PAPE : Les débitants de tabac sont des investisseurs, qui à un moment donné ont pris des risques, et qui ont signé avec l'État un contrat de gérance. Si l'on allait jusqu'au bout en supprimant le produit, il faudrait que l'État rembourse les buralistes qui ont investi lourdement.

M. le Président : Je plaisantais, mais nous allons revenir sur les compensations lors de la deuxième partie de cette table ronde.

Si l'on connaît la dangerosité du produit, à laquelle nous avons déjà consacré plusieurs séances, personne ne préconise une prohibition totale, y compris par pragmatisme : on sait très bien que la prohibition n'a jamais résolu un problème. Qu'il soit en revanche nécessaire d'aller vers une réduction de la consommation paraît évident, tout comme le fait que cela aura des conséquences sur ceux dont l'activité économique y est liée.

Sans aller jusqu'à la prohibition, je considère qu'il appartient aux pouvoirs publics d'utiliser tous les moyens de communication pour informer et même, pour être plus clair, pour contrebalancer la désinformation.

M. Albert HIRSCH : Il n'est pas possible d'envisager la prohibition d'un produit consommé régulièrement par 30 % des Français.

Ce qui est important dans cette campagne, c'est qu'il s'agit d'une communication sur un produit et non sur l'addiction ou sur l'appétence. Elle est ainsi tout à fait lisible pour l'opinion, le trafic sur le site Internet en témoigne. Il est souhaitable que ce spot soit diffusé aussi à la télévision.

M. Yves BUR : Je rappelle à M. Le Pape que les taxes vont à la sécurité sociale. Cet outil a par ailleurs changé de nature : auparavant on créait des taxes pour alimenter le budget de l'État, désormais on les augmente pour diminuer le nombre des consommateurs. D'ailleurs, l'augmentation de 40 % n'a produit que 500 millions d'euros, sur une recette globale de 10 milliards.

Je l'ai dit ce matin, nous sommes engagés dans un processus qui entraînera des changements d'habitudes. Et les plus concernés seront logiquement ceux qui vendent ces produits pour le compte de l'État, qui devront s'adapter progressivement. Mais ne sommes-nous pas dans un monde qui s'adapte en permanence ? Les changements technologiques dans de nombreux domaines n'amènent-ils pas les salariés à se recycler ? C'est de cela qu'il faut que nous débattions dans le cadre des mesures d'accompagnement.

M. le Président : Je rappelle que la loi de 1991 mentionnait déjà le prix comme un facteur de réduction de la consommation. Et pour augmenter les prix, il faut bien jouer sur les taxes.

M. Yves BUR : L'objectif des fabricants est de conquérir des parts de marché. C'est ce qu'ils ont tenté de faire en Espagne en début d'année, à coups de baisses de prix. Et ce n'est pas par hasard que l'Union européenne veut obliger la France à renoncer au prix minimum. Les fabricants n'auront jamais de cesse de nous harceler, pour notre part nous ne devons pas avoir de cesse de les contrer, sans état d'âme.

M. Vassilis VOVOS : Voilà trois fois en quelques instants que les fabricants de tabac sont visés. Je vais néanmoins essayer de garder mon calme et de ne pas céder à la tentation de la polémique.

Je rappelle en premier lieu que ce ne sont pas les fabricants qui cherchent à modifier le système du prix minimum, mais l'Union européenne. C'est donc avec elle que vous devez régler ce problème.

Je trouve par ailleurs que la campagne qui nous a été présentée porte l'exagération à un niveau sans précédent. Pourquoi le spot ne montre-t-il pas que 80 % de l'argent dépensé pour le tabac vont à l'État ? Que plus de 150 dispositions légales et réglementaires régissent la commercialisation du tabac, auxquels nous nous conformons totalement ? Que nous sommes nous-mêmes les promoteurs de l'interdiction de la vente aux mineurs ?

Sans être juriste, je considère que cette campagne est à la limite de la légalité. Comment d'un côté dire que vous n'êtes pas favorables à l'interdiction du tabac et de l'autre financer - à hauteur d'un demi million d'euros - une telle campagne sur l'Internet ? Nous, nous sommes là pour travailler avec vous, nous venons pour discuter. Bien sûr, nous préférerions ne pas être insultés tout le temps, mais même si c'est le cas, nous continuerons à essayer de vous dire ce qui nous paraît correct.

Mais il faudrait quand même que vous compreniez que comme vous êtes décidé à ce que le tabac reste un produit légal, il faut bien que quelqu'un le fabrique. Cette campagne est vraiment hypocrite !

M. le Président : Un produit peut être légal sans que personne ne le fabrique. Si l'industrie le fabrique, c'est qu'elle il y a quand même intérêt...

M. Gérard DUBOIS : Je ne reviens pas sur le comportement des industriels, dont j'ai même contesté la présence en ce lieu. J'ai écrit un livre qui comporte des centaines de citations de documents consternants de l'industrie du tabac, dont certains sont repris sur le site Toxic corp. Il s'agit bien de documents de l'industrie elle-même et non d'inventions.

Quand une nouvelle législation provoque un changement visible - car l'interdiction totale dans les lieux publics vise bien à faire disparaître la vue du tabagisme dans la société - le problème du temps de maturation est réel. Mais quand on parle de durée de campagne, il faut comprendre qu'elle a déjà commencé. Ainsi, le sondage que nous avons réalisé sur la demande des Français a déjà été publié. Il faut distinguer la campagne publicitaire sur des espaces payés et le rédactionnel. Or il y a déjà eu énormément de rédactionnel au cours des dix-huit derniers mois. D'ailleurs, au mois d'avril, les Français se sont étonnés qu'une mesure ne soit pas prise immédiatement, ce qui montre qu'ils y étaient plutôt prêts. L'expérience de la loi Évin nous montre que la chute des ventes de tabac commence au moment de la discussion du texte au Parlement. C'est-à-dire que le débat parlementaire a participé à la maturation de l'opinion. Alors que l'interdiction de la publicité n'a été appliquée qu'en 1992, la diminution des ventes a commencé dès 1991.

M. Yves BUR : Je rappelle que nous traitons cet après-midi de l'accompagnement. On voit bien que s'engager dans la démarche que nous appelons de nos vœux nous conduira d'abord à préparer l'opinion. Il faudra donc souligner clairement dans notre rapport la nécessité de consacrer des moyens à bâtir des outils pédagogiques et à mener de telles campagnes. Celles-ci doivent être faites avec un certain nombre d'acteurs. Il faudra ainsi prendre en compte les difficultés des buralistes, mais aussi distinguer les messages généraux de ceux destinés aux hôteliers et aux restaurateurs, qui auront à appliquer concrètement les nouvelles règles contraignantes. Les organisations professionnelles devront comprendre qu'elles ont intérêt à accompagner un tel dispositif, plutôt que de jouer la montre et d'être constamment sur la défensive.

En Irlande, il y a eu un long débat préalable, mais les professionnels de l'hôtellerie et de la restauration ont fini par prendre acte de la décision et par décider de jouer le jeu de la loi. Les choses se sont passées de la même façon en Italie. À nous de faire en sorte qu'il en aille de même en France, car l'objectif est d'une part, je le rappelle, de protéger les fumeurs et non-fumeurs de la fumée passive - plus dangereuse que l'autre - et d'autre part de faire baisser le nombre de fumeurs. En Italie, le nombre des fumeurs a diminué de 500 000 en un an, tout simplement parce qu'on fume moins souvent quand on est obligé de descendre cinq étages pour allumer une cigarette. C'est ainsi que les nouvelles habitudes s'installent.

M. Philippe LAMOUREUX : Monsieur Vovos, avec une telle campagne, nous recherchons, comme vous, l'efficacité : nous cherchons, comme vous, ce qui marche, et quand, comme vous, nous le trouvons, eh bien, comme vous, nous l'utilisons. Vous, vous associez les cigarettes à l'idée de grands espaces et de nature, je me demande laquelle des deux campagnes est la plus caricaturale...

Cela étant, nous sommes très attentifs à éviter la stigmatisation des fumeurs car il n'y a rien de pire que de montrer les gens du doigt en les accusant d'être responsables des problèmes des autres.

Par ailleurs, toute communication sur ce sujet doit ouvrir des portes et offrir des solutions : il ne faut pas que les gens se sentent enfermés dans leur statut de fumeurs.

Enfin, quand vous parlez de 500 000 euros, vous êtes bien renseigné, si ce n'est que cette somme couvre aussi l'achat d'espaces et qu'elle ne représente donc pas le coût de la campagne mais de l'ensemble du dispositif.

M. le Président : Je souhaite également réagir aux propos de M. Vovos.

Je répète, à la suite de M. Bur, que notre objectif est de protéger les non-fumeurs. Nous sommes attachés à faire diminuer, par des politiques de santé publique, la consommation de tabac dans notre pays, ce qui revient bien à réduire les possibilités qu'ont les industriels du tabac de développer leur activité. Il serait donc absurde de nier que nos intérêts sont contradictoires.

Nous devons pour notre part nous demander non pas comment interdire ce produit, car ce serait inefficace, mais comment faire en sorte que sa consommation diminue considérablement, donc que l'activité des industriels et de ceux qui vivent de la commercialisation du tabac soit également réduite. Ne pas le dire serait leur mentir.

D'autres secteurs économiques ont déjà été confrontés à des problèmes analogues. Quand le Gouvernement a interdit l'amiante, les entreprises ont dû prendre des mesures sociales d'accompagnement. Quand les pouvoirs publics ont décidé de ne plus subventionner certaines activités industrielles, il a fallu aussi assurer des reconversions. Peut-être serez-vous demain confronté à une telle situation, Monsieur Vovos.

S'agissant des buralistes, il est vrai qu'un contrat été passé à un moment où la perception de la dangerosité du tabac n'était pas la même qu'aujourd'hui et où la position des pouvoirs publics était ambiguë dans la mesure où la SEITA était une entreprise d'État. Mais les choses évoluent et, au regard de la situation de santé publique que nous connaissons, l'État ne serait pas cohérent s'il ne prenait pas des dispositions tendant à réduire la consommation de tabac.

Je peux comprendre que les industriels souhaitent continuer à avoir un marché et même à le développer, mais ils se heurteront de plus en plus souvent aux États, car il s'agit d'un mouvement qui se développe dans le monde. Ces industriels ont malheureusement pris pour cible les pays en développement pour compenser leur manque à gagner dans les pays industrialisés, mais cela n'aura aussi qu'un temps, notamment si l'OMS gagne en efficacité. Ne pas dire tout cela aux chefs d'entreprise et aux salariés ne serait pas normal.

M. Vassilis VOVOS : Je suis tout à fait d'accord avec certains points que vous avez évoqués, simplement je trouve qu'il y a parfois des exagérations et que l'on a tendance à caricaturer ce que nous faisons.

Je vous rassure : en tant que chefs d'entreprise, nous ne prévoyons pas que le marché va se développer, mais au contraire qu'il va se réduire. Je ne suis pas venu ici pour chercher les moyens d'un tel développement, mais pour vous dire que la loi, et surtout le décret, sont flous, qu'ils ne sont pas applicables, que la société a évolué, et qu'il va falloir trouver un autre équilibre.

M. le Président : Je vous propose d'en venir au deuxième sujet de cette table ronde, c'est-à-dire aux mesures d'accompagnement.

M. Jean-Pierre MAZÉ : La direction générale des douanes a une véritable compétence en matière de tabac, puisqu'elle porte à la fois sur les prix, en particulier avec le prix plancher, ainsi que sur le contrat d'avenir, c'est-à-dire sur les mesures d'accompagnement prises en faveur des buralistes à la suite des augmentations successives décidées par les pouvoirs publics.

Fin 2002, sur proposition du Gouvernement et dans le cadre du plan cancer annoncé par le Président de la République, le Parlement a décidé une forte augmentation des droits de consommation sur les tabacs, qui sont passés de 59 à 62 %. Une mesure de ce type a un effet de levier très important, puisqu'elle entraîne une augmentation de la TVA et de la rémunération des débitants : une hausse de 2 % des droits provoque ainsi une augmentation de 10 % du prix du tabac. À l'été 2003, le Premier ministre a décidé une nouvelle augmentation de 2 %, portant le taux actuel des droits à 64 %. Très rapidement, on a vu le prix du paquet de cigarettes le plus vendu, celui de Marlboro, passer de 3,20 à 3,60 puis à 5 euros.

Dans le même temps, on a observé une baisse de 40 % des ventes par les buralistes. L'appréciation de ce que cela représente en volume est assez controversée, l'analyse économétrique des fabricants de tabac étant d'ailleurs plus fine que la nôtre. On considère toutefois qu'une partie importante de cette chute correspond à des arrêts et à des diminutions de consommation de tabac. Cela confirme ce qu'a dit M. Évin : le prix à un lien direct avec la consommation. Mais il y a aussi des changements de comportement, en particulier un développement des achats transfrontaliers dans les pays où les prix sont nettement plus bas : l'Espagne et le Luxembourg et, à un degré moindre, l'Allemagne et la Belgique.

Cela a conduit la Confédération nationale des débitants de tabac et son président René Le Pape à demander des mesures d'accompagnement pour compenser une baisse des ventes consécutive à une volonté nette du Gouvernement et du Parlement de réduire la consommation de tabac. C'est ainsi qu'un plan d'aide aux buralistes, le « contrat d'avenir », a été lancé le 1er janvier 2004. Il court jusqu'au 31 décembre 2007.

Il comporte à la fois un soutien financier et une aide à la diversification de l'activité. Les mesures financières sont lourdes, mais plus faciles à mettre en œuvre. La première consiste en une aide additionnelle à tous les buralistes. Ces derniers réclamaient depuis un certain temps une revalorisation de leur rémunération. En effet, ils sont payés à l'achat des cigarettes : Altadis, qui distribue plus de 95 % des tabacs en France, leur facture les cigarettes 6 % en dessous du prix de revente et cette différence constitue donc leur rémunération. Il y a quelques années, on avait déjà institué une remise additionnelle sur le premier million de francs, sur lequel on ne retenait ni la cotisation destinée aux retraites ni la redevance d'exercice versée à l'administration. Cela correspondant à 2 %, la rémunération globale atteignait donc 8 %. Désormais, sur ce premier million - devenu 152 500 euros  -, la rémunération est de 10 % et, jusqu'à 300 000 euros, les buralistes perçoivent une rémunération complémentaire de 0,7 %. Tous ceux qui atteignent ce montant perçoivent de la sorte 4 082 euros de plus, les autres disposant d'un complément proportionnel à leurs ventes.

Dans la mesure où elle concerne tous les buralistes, cette disposition est la plus onéreuse : son coût est d'un peu plus de 100 millions d'euros par an.

Une deuxième mesure concerne uniquement les buralistes ayant souffert d'une baisse du chiffre d'affaires. Il s'agit principalement des frontaliers, mais pas seulement. On s'est aperçu, lors de la première année de mise en œuvre du plan d'accompagnement, que dans des départements où étaient implantées de grandes sociétés de transport, la Mayenne par exemple, la baisse du chiffre d'affaires des buralistes était presque équivalente à celle affectant les frontaliers. La raison en était que les chauffeurs routiers achetaient des quantités importantes de cigarettes au Luxembourg ou en Espagne dans le but de les revendre en France. Nous sommes intervenus auprès des sociétés de transport pour mettre un terme à cette pratique, ou au moins pour que son ampleur diminue. Les choses se sont améliorées.

J'en viens, donc, à cette deuxième mesure d'accompagnement. Aux buralistes qui ont connu une baisse du chiffre d'affaires de plus de 5 % par rapport à l'année 2002 - celle qui a précédé les changements législatifs -, nous versons une remise compensatoire, à hauteur de 50 % de la perte de rémunération liée à la baisse du chiffre d'affaires. Quand cette baisse est comprise entre 10 et 25 %, la compensation s'établit à 70 %. Quand elle est supérieure à 25 %, la compensation est de 80 %. Je précise que cette compensation correspond à la baisse du chiffre d'affaires tiré des ventes de tabac. Nous ne compensons pas les pertes « collatérales » dues à la baisse des ventes d'autres produits.

S'agissant des frontaliers et assimilés - l'Aude, les Landes, le Pas-de-Calais, les Vosges, le Gers, l'Hérault et la Gironde -, nous compensons 90 % de la perte de rémunération liée au chiffre d'affaires tabac.

Au titre de l'année 2004, cette mesure compensatoire a coûté 44,5 millions d'euros, et concerné 11 000 débitants de tabac, soit plus du tiers de la profession. En 2005, cette mesure a coûté 51 millions d'euros, et concerné le même nombre de débitants. Je précise que 5 379 buralistes ont reçu 62 % de cette aide.

La troisième mesure est l'aide au départ, qui a été mise en œuvre à titre expérimental. En 2004, 80 mesures d'aide ont été prises, ce chiffre ayant été ensuite porté à 120. Le coût de ces aides a été de 9 millions d'euros en 2004. Les buralistes frontaliers, qui sont littéralement sinistrés, et qui ne peuvent donc plus vendre leur débit, déposent un dossier. Nous retenons les cas les plus dramatiques, et nous versons à ces débitants trois années de rémunération correspondant à leur chiffre d'affaires de 2002. En échange, ils s'engagent à cesser leur activité, sans présenter de successeur.

En 2005, le plan a été reconduit, et s'est traduit par 140 aides, pour un coût de 10,5 millions d'euros. En 2006, cette mesure concernera 160 débitants. Ce chiffre peut paraître limité, mais il sera suffisant pour aider les buralistes les plus touchés.

La situation est très variable selon les régions. L'Alsace comptait de très gros débits de tabac. Un buraliste dont le chiffre d'affaires tabac n'est plus que de 600 000 euros, alors qu'il était en 2002 de 0,8 ou 1 million d'euros se considère comme totalement sinistré, bien que son chiffre d'affaires reste très important. En dehors de ces cas spécifiques, les aides sont versées à des buralistes moyens dont la situation est particulièrement catastrophique.

Outre ces trois mesures, des mesures d'accompagnement sont destinées à préparer l'avenir des quelque 30 000 buralistes, qui constituent le premier réseau de commerces de proximité en France. Certaines initiatives ont été prises par les buralistes eux-mêmes. Je ne parle ici que des mesures mises en œuvre avec l'aide de l'administration. Il s'agit, d'une part, des points Poste : là où la Poste se désengage, les buralistes prennent le relais, avec une rémunération fixe, à laquelle s'ajoute celle qui dépend des opérations qu'ils font. D'autre part, la dématérialisation du timbre-amende fait l'objet d'une expérimentation en cours de validation auprès d'un peu plus de vingt débits. On peut imaginer, dans l'avenir, d'autres missions de service public, je pense par exemple à la vente des vignettes de machines automatiques. Mais il faut reconnaître que l'essentiel des aides concerne le volet financier, les mesures de diversification restant pour l'instant relativement restreintes.

Je confirme par ailleurs ce que disait tout à l'heure M. Bur. Dans un premier temps, la baisse des ventes a été compensée par l'augmentation des recettes fiscales, lesquelles, après une période de stabilité, ont augmenté de 400 à 500 millions d'euros. Nous observons aujourd'hui une très légère augmentation des ventes de tabac en France, sans doute due au fait que les achats transfrontaliers ont été limités à cinq cartouches.

M. Yves MARTINET : Nous pensons qu'il faut maintenir le monopole de la vente de tabac par les débitants de tabac. C'est un moyen efficace d'instaurer une politique de contrôle de la vente de tabac sur le long terme.

Deuxièmement, nous sommes d'accord pour que soient prises des mesures d'accompagnement et de redéploiement des activités des buralistes. Par contre, elles ne donnent pas de légitimité aux débitants de tabac pour agir en matière de santé publique. Il faut que chacun reste dans son rôle.

Enfin, nous notons que le coût des mesures de soutien aux buralistes est important, puisqu'il s'élève à plus de 100 millions d'euros par an. Quelle somme est consacrée chaque année à la lutte contre le tabagisme ?

M. le Président : Il est difficile de répondre à cette question. La lutte contre le tabagisme prend différentes formes. Certaines actions sont financées par l'assurance maladie, d'autres par l'État.

M. Philippe MOUROUGA : Le chiffre qui circule est de 20 millions d'euros. Mais il est vrai que le calcul précis n'est pas simple.

M. Pascal MÉLIHAN-CHEININ : Le chiffre varie entre 20 et 25 millions d'euros. Cela dit, il n'inclut pas, sauf en cas de mesures nouvelles, le coût des consultations de tabacologie, le coût de fonctionnement des centres de tabacologie hospitaliers, ainsi que des établissements qui étaient, surtout avant la recentralisation de la prévention, pris en charge par les collectivités locales.

M. Gérard DUBOIS : Les associations de lutte contre le tabagisme soutiennent le système français de distribution du tabac. Il est heureux qu'il n'y ait pas en France de machines distributrices, comme c'est le cas dans de nombreux pays.

Nous sommes d'accord avec le principe qui conduit à aider les débitants de tabac quand ils sont confrontés à des difficultés réelles. Par contre, nous ne sommes pas d'accord pour que les buralistes se mêlent de sujets qui ne les concernent pas. Il est légitime qu'une profession défende ses intérêts financiers. Il est illégitime qu'elle prétende intervenir dans le domaine de la santé publique. Le blocage des taxes, par exemple, ne correspond pas à une demande normale des buralistes.

Enfin, si nous soutenons la diversification des buralistes, nous ne la soutenons pas dans n'importe quelles conditions. Imaginons la situation, invraisemblable, où la consommation de tabac serait interdite dans tous les lieux accueillant du public mais où l'on ferait une exception pour les bars-tabac. Dans cette hypothèse, les débits de tabac ne devraient avoir aucun monopole de vente. Je pense au PMU, au Loto, aux timbres-amendes. Il est hors de question qu'une personne qui a une contravention à payer soit obligée de se rendre dans un lieu fumeurs. La logique veut qu'on ne puisse pas imposer au public de se rendre dans des lieux fumeurs, alors que l'interdiction de fumer s'applique dans tout le reste du pays.

M. Jean-Pierre MAZÉ : Je voudrais, monsieur le président, apporter une précision sur le prix seuil qui a été évoqué par M. Bur. On sait que la Commission européenne a adressé à la France un avis motivé au sujet de la fixation de prix minimaux de vente au détail des cigarettes. Que s'est-il passé ? Un fabricant de tabac a tenté de baisser ses prix en réduisant sa marge, en faisant passer le prix du paquet de 4,5 à 4 euros. À l'été 2004, dans l'impossibilité juridique où nous étions de modifier la fiscalité indirecte au travers du minimum de perception, nous avons inscrit dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale une disposition instaurant un écart maximum par rapport à la moyenne arithmétique des prix. Cet écart maximum devait être fixé par décret, et il l'a été à 5 %. Nous sommes attaqués par la Commission parce que la Direction générale « Fiscalité et union douanière » considère que cette mesure n'entre pas dans le cadre du mécanisme de régulation des prix auquel nous sommes astreints. Nous considérons pour notre part que la directive européenne en la matière aboutit à un calcul des prix complexe, qui a des effets pervers.

La Commission a également adressé un avis motivé à la Belgique, et l'Autriche va bientôt en recevoir un. Ce qui nous étonne beaucoup, c'est que les Irlandais n'en aient pas reçu un, alors qu'ils ont instauré un prix minimum il y a maintenant de nombreuses années. La Commission explique qu'elle ne peut adresser un avis motivé à l'Irlande parce qu'elle n'a reçu aucune requête contre cet État.

Cela dit, la Commission ne se sent pas très à l'aise, car elle a signé la Convention de l'OMS contre le tabagisme. Elle dit cependant que cette Convention ne lui est pas opposable parce que tous les États membres ne l'ont pas ratifiée.

Quoi qu'il en soit, la mesure instaurant un prix seuil était bien une mesure gouvernementale. Pour l'instant, après l'avis motivé que nous avons reçu, nos ministres n'ont rien décidé. Nous ne désespérons pas. Si le dossier était présenté à la Cour de justice des communautés européennes, il n'est pas sûr que nous perdrions.

M. Yves BUR : Monsieur Mazé, vous m'avez mal compris. Je sais que la mesure est gouvernementale. Il n'en reste pas moins que si la Commission est intervenue, alors qu'elle ne l'avait pas fait, par exemple, sur la taxation des bières fortes, c'est bien parce que quelqu'un l'y a incitée. Et je ne pense pas un instant que les fabricants soient restés l'arme au pied. Ils ont un lobby puissant à Bruxelles.

M. René LE PAPE : Je remercie M. Mazé d'avoir décrit la situation des buralistes de façon précise. Je suis heureux d'apprendre que les associations de non-fumeurs sont conscientes de l'importance du réseau de commerces de proximité qu'ils constituent, contribuant ainsi à l'animation des quartiers et des bourgs. Il n'est pas mauvais de rappeler que les buralistes vendent bien d'autres choses que du tabac.

Je signale à M. Dubois que ce n'est pas moi qui ai demandé le blocage des taxes sur le tabac.

Il a été dit que les buralistes n'avaient pas à s'immiscer dans les problèmes de santé. Je pense cependant que nous sommes tous des citoyens. Et les buralistes souhaitent accompagner, dans la mesure de leurs moyens, la politique de santé publique. Nous sommes quotidiennement au contact des fumeurs. Nous sommes peut-être les mieux placés pour évoquer avec eux les moyens d'arrêter de fumer.

La loi Évin doit évoluer. J'ai évoqué une dérogation pour les bars-tabac. J'ai évolué sur ce point, car la jurisprudence de la Cour de cassation étant ce qu'elle est, les employeurs risquent d'avoir des problèmes avec les salariés. Je demande aujourd'hui une dérogation dans le temps, afin de permettre à notre profession de s'adapter progressivement. Je rappelle en effet que 62 % des débitants de tabac sont des bars. Il nous faut du temps, des moyens, de la lisibilité.

M. le Président : Combien de temps vous faut-il ?

M. René LE PAPE : Un laps de temps de cinq ans nous permettrait de trouver les voies de notre diversification. Les buralistes ont été durement touchés depuis les hausses de 2003. Quand un buraliste, bien qu'ayant touché une compensation pour la baisse de son chiffre d'affaires tabac, a perdu 300 clients/jour, on imagine les dégâts pour son commerce annexe.

Des problèmes réels subsistent dans les zones frontalières. Je pourrais évoquer des cas dramatiques, qui sont allés jusqu'au suicide du buraliste.

L'adaptation passe nécessairement par de nouvelles missions de service public. C'est une promesse du contrat d'avenir qui n'a pas été tenue. Je ne vois rien venir. Nous devions travailler avec tous les ministères pour rechercher ensemble des missions qui pourraient être confiées aux buralistes. Malgré notre insistance, rien ne se passe. M. Mazé a parlé du timbre fiscal électronique. Mais cette expérience est embryonnaire. La Confédération a décidé de supporter les coûts des vingt tests en question.

L'aide à la diversification implique également un système de garantie de rémunération. Car le tabac représente malheureusement encore 50 % de nos revenus actuels. Cette garantie de rémunération suppose le maintien des aides aux buralistes frontaliers, et surtout une révision du contrat d'avenir. Pourquoi ne pas envisager une augmentation sensible de la rémunération tabac, en plus de la remise évoquée tout à l'heure par M. Mazé ? Il convient de conforter les buralistes sur la valeur de leur fonds de commerce. Ce seraient les revenus du tabac qui financeraient la reconversion. Je souhaite également la mise en place d'un mécanisme permettant le réajustement automatique de cette rémunération en fonction d'une baisse officielle du marché. On pourrait, enfin, envisager la vente de produits d'hygiène et de parapharmacie, notamment les substituts nicotiniques.

Il est certain que pour faire accepter à tous les buralistes les dispositions nouvelles qui seront adoptées, il faudra leur proposer en compensation des mesures fortes.

M. Gérard AUDUREAU : En juin 2003, deux fabricants de tabac sont présents à la foire de Grenoble. Ils y font de la publicité, et un débit temporaire s'y tient. Nous demandons, en référé, la fermeture de ce débit ainsi que l'arrêt de la publicité. Nous avons la surprise de constater que ces deux manufacturiers mettent en avant des autorisations accordées par la direction des douanes, qui visent une quinzaine de foires. Nous nous en inquiétons auprès du service des douanes, qui, après quatre lettres recommandées, précise qu'il s'agissait de tolérances administratives. Par la suite, un décret sera promulgué en date du 16 janvier 2004, aux termes duquel seuls peuvent vendre du tabac les débitants de tabac, ainsi que les restaurants, les stations services autoroutières et certains débits de boisson. Quatre mois plus tard, les deux mêmes fabricants ont un stand à cette même foire de Grenoble. De nouveau, ils nous disent qu'une mesure de tolérance les autorise à tenir ce stand. Nous découvrons que cette mesure de tolérance a été prise en application d'un arrêté, lui aussi daté du 16 janvier 2004.

Monsieur Mazé, je vous ai entendu dire tout à l'heure que vous aviez de bonnes relations avec beaucoup de personnes présentes ici. Je regrette que nous n'ayons pas pu, à l'époque, avoir d'aussi bonnes relations avec vous, ce qui nous aurait permis d'obtenir des explications.

Par ailleurs, depuis deux ans, on voit fleurir des cafés/narguilé et salons de thé/narguilé. Ces établissements sont de première ou deuxième catégories. Autrement dit, rien ne les autorise à distribuer du tabac. Seule la direction des douanes peut les autoriser à le faire, ou tolérer qu'ils le fassent. Lorsque nous l'interrogeons, elle nous répond qu'il s'agit d'une tolérance administrative - pratique dont je souligne au passage qu'elle n'est pas légale - et qu'un décret paraîtra prochainement en vue de leur délivrer une autorisation. Pourquoi la direction des douanes laisse-t-elle perdurer une telle anomalie ? Ces établissements enfreignent deux fois la loi, puisque, d'une part, ils vendent du tabac sans en avoir le droit, et que, d'autre part, ils sont entièrement fumeurs, alors qu'ils devraient, parce qu'ils sont clos et couverts, être des lieux non-fumeurs dans lesquels un espace fumeurs peut éventuellement être aménagé.

M. Yves BUR : J'ai été l'un des acteurs du contrat d'avenir, puisque j'ai été chargé d'une mission auprès du Gouvernement sur la situation des débitants de tabac. Le contrat d'aide partait du constat qu'il était nécessaire d'accompagner les buralistes, qui sont détenteurs, en fait, d'une régie d'État. Vous avez parlé, monsieur Mazé, d'une baisse moyenne de 40 % de leur chiffre d'affaires entre 2002 et la fin de 2004. D'après mes chiffres, entre 1999 et 2004, les livraisons de cigarettes ont baissé de 30 %.

Le revenu total des buralistes était en 2002 de 948 millions d'euros. En 2005, il était de 1 123,6 millions d'euros, soit une augmentation de 18 %.

Personne ne nie la baisse du chiffre d'affaires des buralistes. Une enquête approfondie du ministère, portant sur plus de 3 000 personnes, a fait apparaître une baisse de 13 % du nombre de fumeurs. Elle a également montré que, pour les fumeurs, le nombre moyen de cigarettes fumées chaque jour était passé de 14 à 11, soit une baisse de 22 %. Il est clair que l'augmentation des taxes a été la cause d'un changement de comportement.

Le trafic en Alsace a, quant à lui, quasiment cessé après la hausse des prix du tabac en Allemagne. S'agissant du trafic entre la France et la principauté d'Andorre, des mesures coercitives peuvent être efficaces. Il appartient à la direction des douanes de les prendre.

Le trafic transfrontalier, qui est réel, a cependant parfois tendance à s'épuiser. Par ailleurs, il est parfois exagéré, notamment par les fabricants. C'est ainsi que BAT a dénoncé une explosion de la contrebande, en mettant en avant des saisies opérées dans des camions. En réalité, il s'agissait d'une contrebande en direction du Royaume-Uni. Le trafic transfrontalier est en fait difficile à évaluer.

L'effort de l'État en faveur des buralistes a été considérable : 175 millions d'euros pour 31 000 buralistes, soit une moyenne de 5 664 euros supplémentaires par buraliste entre 2002 et 2004. Je ne nie pas la baisse du chiffre d'affaires hors tabac, mais il me semble que si nous devons poursuivre l'effort, il doit être davantage ciblé. Il convient d'aider ceux qui en ont réellement besoin. Loin des frontières, les commerces ont tout de même relativement prospéré.

Aujourd'hui, monsieur Le Pape, votre profession est confrontée à une exigence de réorientation de son commerce, comme beaucoup de professions l'ont été, je pense par exemple aux bouchers, aux épiciers, aux quincailliers. Personne, à l'époque, ne les a aidés. Il est vrai que vous avez un statut spécifique, mais n'attendez pas trop de l'aide que l'État peut vous apporter en vous confiant de nouvelles missions. Il faut que vos adhérents découvrent de nouvelles manières de vendre. Une chose est de vendre du tabac à une clientèle captive, une autre est de s'adresser à une clientèle de non-fumeurs qu'il faut tenter d'attirer. Une véritable révolution est nécessaire. Je conçois aisément que ce n'est pas facile, mais c'est dans cette direction qu'il faut aller.

Vous demandez, monsieur Le Pape, une dérogation pour les bars-tabac pendant cinq ans. Je note qu'en privé, vous évoquez une durée plus brève. Mais quels établissements devraient-ils selon vous être visés par cette dérogation ? Faites-vous la différence entre ceux qui vendent du tabac et ceux qui en revendent, comme certains bars et restaurants qui ne sont pas des débitants de tabac ?

M. le Président : Il conviendrait en effet de distinguer clairement les établissements qui vendent du tabac et les lieux de consommation, de convivialité, de rencontre qui sont autorisés, non pas à en vendre, mais à en revendre.

M. Albert HIRSCH : À ce stade des travaux de la mission d'information, j'enregistre deux motifs de satisfaction.

Le premier est que M. Mazé, qui nous a parlé du trafic transfrontalier, n'a pas employé une seule fois le mot de « contrebande ».

Le second est l'évolution de M. Le Pape, qui semble admettre une modification de la législation, même s'il demande un délai d'adaptation.

La notion d'obligation de sécurité de résultat progresse donc dans les esprits et s'impose progressivement à tous. S'agissant de la possibilité de faire des débitants de tabac des auxiliaires de la santé, il serait intéressant de connaître la position du Conseil de l'ordre des pharmaciens sur la vente de substituts nicotiniques par les débitants.

M. le Rapporteur : M. Le Pape a évoqué un délai de cinq ans, ce qui répond au souci de l'équilibre des établissements. Étant donné la diversité de la situation économique des buralistes, comme la diversité de leurs activités, il serait bon de faire régulièrement, par exemple chaque année, le point des effets des mesures qui ont été prises et de celles qui sont envisagées. Cela permettrait de prendre les mesures les plus adaptées. Un dispositif uniforme et général s'exposerait à des critiques tendant à le présenter comme trop généreux ou trop limité dans son impact.

M. Jean-Pierre MAZÉ : J'ai parlé, non pas de « trafic » transfrontalier, mais d' « achats » transfrontaliers, et je n'ai pas parlé de contrebande parce que celle-ci n'a aucun rapport avec le sujet qui nous occupe. La baisse des ventes par les buralistes est due en partie à la baisse, parfois à l'arrêt, de la consommation de tabac, et en partie à des achats transfrontaliers.

La douane lutte vigoureusement contre la contrebande. Une partie non négligeable des 215 tonnes de cigarettes saisies l'ont été, comme l'a souligné à juste titre M. Bur, à l'entrée du tunnel sous la Manche, et alors qu'elles prenaient la direction du Royaume-Uni.

Notre ministre nous a fixé un objectif de 10 000 constatations positives en 2005, que nous avons atteint et même dépassé.

S'agissant des foires et salons, le décret de 2004 n'a fait que donner une base réglementaire à une pratique qui existait depuis longtemps. Il a tenté de rendre plus strictes les conditions de vente dans les foires et salons. Les fabricants se sont d'ailleurs désengagés et ne font pratiquement plus de vente, parce qu'elle est soumise à des conditions qu'ils jugent trop strictes.

Les cafés/narguilé devraient être dans la même situation que les débits sous licence, notamment les restaurants, qui sont autorisés à revendre du tabac uniquement à leurs clients, dans le cadre d'une tolérance de revente. Le problème est que les cafés/narguilé sont généralement des cafés sans alcool, dans lesquels les consommateurs souhaitent fumer du narguilé. Aujourd'hui, la vente de tabac à narguilé aux salons de thé orientaux par les débitants de tabac est autorisée. Cette réponse n'est pas pleinement satisfaisante, j'en ai tout à fait conscience.

M. René LE PAPE : J'adhère à la proposition de M. le Rapporteur et je confirme, s'agissant d'Andorre, que les douanes sont très présentes.

Par contre, je ne peux pas laisser dire à M. Bur que le réseau des buralistes se porte mieux depuis que des aides leur ont été accordées. Ces aides ont simplement permis d'amortir le choc. Quelle profession pourrait se maintenir en perdant entre 30 et 40 % de son activité ? J'ajoute que si les pertes de chiffre d'affaires tabac ont été compensées, beaucoup de mes collègues ont perdu entre 200 et 300 clients/jour pour d'autres produits.

M. Bur a rappelé que beaucoup de professions ont dû, par le passé, se reconvertir. Mais à la différence d'autres commerçants, le buraliste a signé un traité de gérance avec l'État. Celui-ci, par une décision unilatérale, met en cause son commerce. Dès lors, il est normal que l'État l'aide à se diversifier. C'est pourquoi je demande la mise en œuvre de ces fameuses « missions de service public » qui nous avaient été promises.

J'ajoute que notre confédération n'est pas restée inerte, puisqu'elle a pris la décision de créer une coopérative, la Coopérative des buralistes de France, qui compte déjà 7 000 adhérents. Son but est de développer la diversification commerciale en direction de produits que l'on ne connaît pas encore, qui pourraient être des CD et des DVD, ou des produits de première nécessité. Après les cartes téléphoniques, les débitants de tabac proposeront dans l'avenir de nouvelles lignes de produits, dans le but de devenir le véritable commerce de proximité que nos concitoyens attendent.

En ce qui concerne la revente, monsieur Bur, si l'on n'a plus le droit de fumer dans les restaurants, il faudra se poser la question de savoir s'ils doivent continuer à proposer du tabac. Mais je ne représente ici que les débitants de tabac. Je laisserai à M. Daguin le soin d'exprimer le point de vue de la profession qu'il représente.

M. le Président : Monsieur Daguin, je note que l'UMIH ne s'est pas encore exprimée sur la question des mesures d'accompagnement. Cela signifie-t-il qu'elle les juge inutiles ?

M. André DAGUIN : Monsieur le président, je ne suis pas fumeur. Les fumeurs me gênent. Je ne supporte pas que l'on fume dans mon bureau. Dans mon restaurant, on ne fumait pas. Mais je ne peux pas supporter non plus l'idée d'interdiction. On ne fait pas marcher une société à coups d'interdictions. D'ailleurs, vous êtes sur la bonne voie. De la loi Évin à la jurisprudence récente de la Cour de cassation, il y a eu des progrès : on fume de moins en moins.

Certaines réflexions me laissent songeur. On nous a dit ici, par exemple, qu'il n'était pas tolérable de devoir se rendre dans un lieu fumeur pour payer une amende. Je ne pense pas qu'on ait une amende par jour, ni même par semaine ! Qu'est-ce que cela peut faire qu'on aille payer une amende dans un bureau de tabac une fois tous les six mois ? Et si, pour y aller, il faut traverser le nuage de fumée de gens qui fument devant la porte, c'est pire. Il faut parfois faire preuve d'un peu de bon sens !

L'évolution qui a conduit de la loi Évin à l'arrêt de la Cour de cassation est formidable. Nous ne pouvons pas exposer nos salariés au tabagisme passif. Si un salarié fait un procès, il gagne. Le problème est donc résolu. On ne peut fumer dans aucun lieu où travaillent des salariés.

M. le Président : Je suis très heureux de vous entendre dire cela. C'est la première fois que l'UMIH dit les choses ainsi. Nous n'avons pas réussi à faire s'exprimer votre vice-président, M. Attrazic, sur ce sujet. Quelles conclusions tirez-vous de cet arrêt de la Cour de cassation pour vos salariés ?

M. André DAGUIN : Il faut laisser les propriétaires de lieux où il n'y a pas de salariés se déclarer lieux fumeur ou non-fumeur. C'est la liberté, la prérogative du chef d'entreprise.

M. le Président : On peut donc dire que vous êtes favorable à ce que, dans tous les lieux où il y a des salariés, y compris les bars-tabac, on passe rapidement à l'interdiction totale de fumer.

M. André DAGUIN : Ce n'est pas que j'y sois favorable. Je constate un fait, voilà tout. Je suis très défavorable à cet arrêt, mais je suis légaliste.

Par ailleurs, je suis bien d'accord pour dire que les considérations relatives au chiffre d'affaires ne peuvent pas être mises sur le même plan que la santé publique. Mais il ne faut pas nous dire que l'Irlande n'a pas souffert de l'interdiction. La courbe du chiffre d'affaires des Irlandais a chuté depuis l'interdiction.

M. Yves BUR : C'est faux !

M. André DAGUIN : C'est la vérité. J'ai les chiffres sous les yeux. Mars 2004 : indice 112. Mai 2004 : indice 105. Mars 2005 : indice 101.

En Italie, on va vers la loi Évin, puisqu'il est interdit de fumer dans les restaurants, sauf dans les pièces qu'ils vont aménager pour les fumeurs. En Norvège, il est interdit de fumer dans les restaurants, on va fumer dehors. Or, il n'est pas possible de rester dehors bien longtemps en plein hiver dans ce pays. Que fait-on ? Des terrasses fermées et chauffées. C'est la loi Évin.

M. Yves BUR : Monsieur Daguin, vous nous dites que l'interdiction de fumer devrait s'appliquer dès maintenant là où il y a des salariés.

M. André DAGUIN : Ce n'est pas moi qui le dis, c'est la Cour de cassation.

M. Yves BUR : Je pense que c'est le message que vous relayez auprès de vos adhérents. Mais je n'ai pas encore lu de message aussi clair dans les publications de votre profession.

Je me suis rendu en Irlande, monsieur Daguin. Vos collègues irlandais nous ont dit qu'ils soutenaient la mesure d'interdiction, et que la baisse du chiffre d'affaires, de l'ordre de 3 %, s'était amorcée avant cette mesure, en raison du coût des consommations au bar.

Nous nous sommes également rendus en Italie, avec M. Bernard Cartier, président de la Fédération nationale des cafés, brasseries et discothèques. Nous avons, là aussi, entendu les professionnels. Environ 1,5 % des professionnels ont aménagé des lieux dédiés aux fumeurs, équipés de systèmes d'aspiration. Pour le reste, il y a eu en Italie une baisse du chiffre d'affaires, suivie d'une stabilisation et d'une remontée.

Aux États-Unis, le chiffre d'affaires n'a pas baissé, bien au contraire.

Monsieur Daguin, dites-nous si, oui ou non, l'UMIH est favorable à une interdiction. Dites-nous quels problèmes une telle interdiction serait susceptible de poser, et quelles mesures d'accompagnement il convient de prendre.

M. le Président : Je m'attendais en effet, monsieur Daguin, puisque vous parlez d'une baisse du chiffre d'affaires, à ce que vous nous proposiez des mesures d'accompagnement. Mais je vous redonnerai la parole tout à l'heure.

M. Franck TROUET : Je comprends tout à fait la remarque de M. Daguin : après l'arrêt de la Cour de cassation de juin 2005, faisons la différence entre les établissements qui occupent des salariés et ceux qui n'en occupent pas. C'est une proposition de bon sens, mais qui peut être lourde de conséquences. Ne revient-elle pas à dire que seule la santé des salariés nous préoccupe, et que celle de nos professionnels ne nous préoccupent pas ? Les patrons sont eux aussi exposés au tabagisme passif, et nombre d'entre eux souhaitent pouvoir travailler dans un environnement sain. On dira que, dans ce cas, il leur appartient de déclarer leur établissement non-fumeur. En réalité, on s'aperçoit que quand ce choix est possible, on ne le fait pas, parce qu'on a peur, comme l'a montré l'expérience « « Ici, c'est 100 % sans tabac » menée par le SYNHORCAT, en collaboration avec la mairie de Paris. Si on laisse le choix aux établissements, on aboutira à une discrimination entre ceux qui ont des salariés et ceux qui n'en ont pas. Il y a même un risque que des entreprises licencient leurs salariés, afin de pouvoir être des établissements fumeurs.

J'en viens à la question des mesures d'accompagnement et des délais. S'agissant des délais, je ferai le parallèle avec deux mesures. Il a été décidé récemment que les établissements équipés de piscines devaient mettre en place des systèmes de sécurité. Des dispositions ont été prises, en laissant à nos professionnels un certain délai pour se mettre aux normes. Je peux vous assurer que tous nos professionnels n'ont pas attendu le terme du délai pour se mettre aux normes. De même, en ce qui concerne l'interdiction de vendre du tabac aux mineurs de moins de seize ans, personne n'a attendu la date d'entrée en vigueur de cette disposition pour l'appliquer. Quand une mesure est bonne, elle doit être mise en œuvre rapidement, et il n'est pas forcément nécessaire de l'assortir de délais. Je rappelle, comme je l'ai dit ce matin, que je parle au nom des bars, brasseries, cafés, restaurants, mais pas des débitants de tabac.

Nous, employeurs, risquons de voir notre responsabilité engagée vis-à-vis de nos salariés. Plus vite une loi sera adoptée, plus vite nous aurons le sentiment d'être en sécurité.

L'information et la sensibilisation à l'égard de nos professionnels et du public me semblent indispensables. Il est nécessaire que l'État prenne en charge cet effort d'information.

Quant aux mesures d'accompagnement, elles pourraient faire l'objet d'une réflexion dans le cadre d'une commission de suivi chargée d'évaluer les résultats de la loi. Cette commission pourrait apprécier l'opportunité d'une intervention, que ce soit en matière d'assurance ou de complément de chiffre d'affaires.

M. Philippe MOUROUGA : Je souhaiterais apporter des précisions sur les chiffres. En Irlande, deux rapports de l'Irish Central Statistical Office, font apparaître que, d'une part, le volume des ventes d'alcool dans les bars, qui avait progressé jusqu'en 2001, a baissé de 2,8 % en 2002, de 4,2 % en 2003 et de 4,4 % en 2004. La baisse est donc antérieure à l'interdiction. Par ailleurs, s'agissant du personnel, le nombre d'employés dans le secteur des cafés, hôtels et restaurants a progressé de 0,6 % entre 2002 et la fin de 2004, et ce malgré l'interdiction de fumer, à partir de mars 2004, dans tous les lieux publics fermés. Les données récentes sur le tourisme montrent que le nombre de visiteurs a augmenté de 3,2 % entre 2003 et 2004.

M. André DAGUIN : Je voudrais que l'on compare ce qui est comparable. Je suis membre du comité directeur des syndicats européens. J'ai tous les chiffres, tous les deux mois, sous les yeux. Je peux vous dire que le chiffre d'affaires global, en Irlande, a baissé. J'ai l'impression qu'on mélange tout, les ventes d'alcool, les ventes de tabac, les ventes globales...

M. Philippe MOUROUGA : Les chiffres que j'ai cités concernent les ventes d'alcool. Je dis simplement que la tendance à la baisse est antérieure à l'interdiction totale de fumer dans les lieux publics fermés.

M. André DAGUIN : Ce qui est fâcheux, c'est qu'à chaque fois que l'on parle de l'interdiction, on évoque le chiffre d'affaires. J'ai dit qu'on ne pouvait pas mettre sur le même plan le chiffre d'affaires et la santé publique.

M. le Président : Donc, ne parlons plus du chiffre d'affaires ? Ce n'est pas un problème ?

M. André DAGUIN : Voilà, ne parlons plus du chiffre d'affaires. Mais ne disons pas qu'il n'a pas baissé !

Voyez-vous, M. Bur et moi-même, nous formons une espèce de duo. À la manière d'une troupe de théâtre, nous allons de plateaux de télévision en studios de radio.

M. Yves BUR : Je commence à connaître votre texte !

M. André DAGUIN : Et ce qui me gêne, c'est qu'au lieu de dialoguer avec moi, il me fait « comparaître », ce qui m'énerve un peu ! Je n'ai jamais toléré que l'on fume autour de moi, mais je ne peux pas tolérer non plus que l'on conteste au chef d'entreprise la prérogative qui est la sienne de choisir.

L'UMIH a fait connaître la situation à ses adhérents. Nous avons appelé leur attention sur l'arrêt de la Cour de cassation. Mais c'est à eux qu'il appartient de prendre les décisions qu'ils jugent bon de prendre.

M. Yves BUR : J'ai sous les yeux une dépêche de l'AFP datée du 30 juin dernier : le président de la Fédération française des spiritueux, M. Philippe Mouton n'est pas contre une éventuelle interdiction totale de fumer dans les lieux publics. Selon lui, « Les expériences irlandaise, italienne, belge, dit-il, ont montré que cela n'a pas d'effet sur la fréquentation des pubs et des cafés, et donc sur la consommation d'alcool ».

M. le Président : J'entendrais à la limite, monsieur Daguin, votre argument selon lequel il faut interdire de fumer dans les établissements qui ont des salariés, et pas dans les autres. Mais toutes les auditions que nous avons menées jusqu'ici ont montré qu'il était important que la législation fasse passer un message clair et simple. Une législation qui n'est pas simple est d'une application très difficile.

M. André DAGUIN : Je suis en train de rédiger, pour le Conseil économique et social, un rapport sur le tourisme et l'hôtellerie. La France est dotée d'un maillage important de petits hôtels-cafés-restaurants. Dans ces établissements, il y a peu ou pas de salariés. Il faut prendre garde de ne pas les stériliser par une interdiction qui les rendrait totalement inutiles.

M. le Président : La question est de savoir si une mesure simple de santé publique stériliserait ce type d'établissements.

Mme Paulette GUINCHARD : Je reviens à la question de la diversification des activités des buralistes. Je voudrais savoir combien d'entre eux ont signé un contrat avec la Poste.

M. René LE PAPE : Il y a actuellement 900 relais Poste en France, dont 632 sont des buralistes.

M. le Président : Nous allons à présent entendre M. Stéphane Penet, de la Fédération française des sociétés d'assurance. Comment les sociétés d'assurance peuvent-elles apprécier la possibilité d'assurer des établissements qui, par dérogation, seraient autorisés à continuer d'être des lieux fumeur dans le contexte d'une interdiction générale ?

M. le Rapporteur : Le président de la chambre sociale de la Cour de cassation nous rappelait que, dans le cas où un salarié décéderait brutalement d'une affection cardio-vasculaire dont on pourrait rattacher la survenue à une exposition à la fumée de tabac, ses ayants droit pourraient demander le classement en maladie professionnelle, avec les conséquences qui en résultent, et avancer la faute inexcusable, qui serait pratiquement automatique. Notre propos n'est pas de nous focaliser sur le secteur des CHRD, mais sur les lieux de travail en général, et de nous interroger sur les conséquences, du point de vue de l'assurance, de l'arrêt de juin 2005, mais aussi de celui de juin 2006, qui permet la mise en cause de la responsabilité civile des collègues de travail.

M. Stéphane PENET : L'arrêt de juin 2005 a effectivement interpellé les assureurs. Certes, il traite avant tout de la rupture du contrat de travail, et donc, en tant que tel, n'a pas de conséquences pour les assureurs. Mais dans ses attendus, la Cour de cassation évoque « l'obligation de sécurité de résultat » qui pèse sur l'employeur. Cette notion est assez nouvelle en ce qui concerne le tabagisme passif. Elle nous ramène aux arrêts du 28 février 2002, dans lesquelles la Cour de cassation avait mis en avant l'obligation de sécurité de résultat de l'employeur vis-à-vis de ses salariés, et avait redéfini la faute inexcusable de l'employeur. Il y était dit que le manquement à l'obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les accidents du travail et les maladies professionnelles, avait le caractère de faute inexcusable.

Je rappelle que les assureurs, dans la plupart des contrats de responsabilité civile qu'ils proposent aux employeurs, garantissent les conséquences pécuniaires de la faute inexcusable. Les arrêts de février 2002 avaient eu beaucoup de conséquences sur cette garantie. En effet, ils aboutissaient à inverser la charge de la preuve, en instaurant une présomption de responsabilité de l'employeur, dès lors que l'un de ses employés avait contracté une maladie professionnelle après avoir travaillé pendant un certain temps dans l'entreprise. C'était à l'employeur de prouver soit qu'il n'avait pas conscience du danger, soit qu'il avait pris toutes les mesures possibles pour que les conditions de travail empêchent la survenue de la maladie, soit qu'il n'y avait pas de lien de causalité entre les conditions de travail et cette maladie.

Les choses devenaient donc plus compliquées, et notamment en ce qui concerne les maladies liées à l'amiante. Or, le parallèle entre l'amiante et le tabagisme passif est ce que craignent le plus les assureurs. En ce qui concerne l'amiante, il était très difficile pour un employeur d'affirmer qu'il ignorait le risque. Il lui était très difficile d'affirmer qu'il avait pris toutes les mesures nécessaires pour éviter l'inhalation de fibres d'amiante par ses salariés. Il lui était encore plus difficile de remettre en cause le lien de causalité entre l'exposition à l'amiante et la maladie du salarié. C'est ainsi qu'on en est arrivé à une situation de responsabilité quasi automatique. Quand un salarié était atteint par une affectation liée à l'amiante, l'employeur était systématiquement mis en cause. Dès lors, la plupart des assureurs se sont aperçus que le risque amiante, en ce qui concerne la faute inexcusable de l'employeur, devenait inassurable. Il n'y avait plus d'aléa. La prime qui allait être demandée à l'employeur devenait inabordable. Dans la plupart de leurs contrats, les assureurs ont donc exclu de la garantie « faute inexcusable » les maladies liées à l'amiante.

L'arrêt de juin 2005 nous fait craindre un parallélisme entre le tabagisme passif et l'amiante, ce qui aboutirait à rendre inassurables les conséquences pécuniaires de la mise en cause de la responsabilité d'un employeur vis-à-vis de ses salariés en matière de tabagisme passif.

Mais il y a tout de même quelques différences entre l'amiante et le tabagisme passif. Tout d'abord, le tabagisme passif n'est pas considéré comme une maladie professionnelle. Or, les arrêts de 2002 évoquaient la responsabilité objective notamment pour les maladies professionnelles. Cela étant, on peut considérer que les maladies liées au tabagisme passif vont devenir maladies professionnelles, notamment si elles atteignent un certain degré de gravité.

La deuxième différence est qu'il n'existe pas, à notre connaissance, de jurisprudence qui fasse le lien entre tabagisme passif et faute inexcusable.

Troisièmement, le lien de causalité entre l'exposition d'un salarié à la fumée du tabac et une maladie cardio-vasculaire ou un cancer du poumon est sans doute beaucoup moins évident que dans le cas de l'amiante. Certes, des études montrent clairement que lorsque l'on interdit de fumer dans un établissement, le nombre de maladies diminue. Mais cette corrélation statistique ne suffit pas pour établir, dans un cas individuel donné, un lien de causalité. D'autres facteurs peuvent intervenir. Le salarié peut être exposé au tabagisme passif dans d'autres lieux que son lieu de travail, il peut avoir été fumeur, il peut vivre avec quelqu'un qui fume.

Dernière différence, il est très difficile pour l'employeur, dans le cas de l'amiante, de prouver qu'il a pris toutes les mesures nécessaires pour ne pas exposer ses salariés, parce que la réglementation n'est pas évidente. Dans le cas du tabagisme passif, c'est peut-être un peu plus facile, dans la mesure où des prescriptions très claires existent, notamment celles qui résultent de la loi Évin. L'employeur peut donc apporter la preuve qu'il a fait ce qu'il fallait pour protéger ses salariés. Cela dit, les choses se compliquent quand on considère l'application de ces mesures. Le cas classique est celui où il est interdit de fumer dans un bureau collectif, mais pas dans un bureau individuel. La porte d'un bureau individuel s'ouvre et se ferme, la fumée passe dans les couloirs. Il y a donc des contestations possibles lorsqu'il s'agit de juger de l'efficacité des mesures protectrices pour les non-fumeurs. Il reste cependant que les choses sont plus claires que dans le cas de l'amiante.

Quelles conclusions les assureurs tirent-ils de l'arrêt de juin 2005 ? À court terme, il n'y aura pas de modification, ni dans nos contrats ni dans nos tarifs, en ce qui concerne l'assurance couvrant les conséquences financières consécutives à la faute inexcusable pour les maladies professionnelles liées au tabagisme passif. Néanmoins, nous serons bien sûr très vigilants quant à l'évolution de la jurisprudence, et notamment quant au lien qui pourrait être fait entre tabagisme passif et faute inexcusable. Si la jurisprudence mettait en cause de manière systématique, comme dans le cas de l'amiante, la responsabilité de l'employeur quelles que soient les mesures qu'il ait prises, il est évident qu'il n'y aurait plus d'aléa et que les assureurs seraient amenés à exclure le tabagisme passif de leurs contrats faute inexcusable. En effet, parmi les raisons de l'inassurabilité d'un risque, il y a notamment le fait que la prime devienne inabordable.

Il est évident que nous, assureurs, sommes favorables à l'interdiction de fumer dans les établissements recevant du public et des salariés. Car une telle interdiction supprime une menace et une insécurité juridique. La cohabitation entre fumeurs et non-fumeurs, elle, est une cause d'insécurité juridique, parce que l'efficience des mesures prises est, dans ce cas, toujours difficile à démontrer.

Si l'on commence à rendre les employeurs automatiquement responsables en cas de maladies professionnelles et que les assureurs excluent les uns après les autres chacun de ces risques de leurs garanties en responsabilité civile, on voit bien que le problème de la réparation du dommage va se poser. Les assureurs ne pourront pas le faire du fait que les primes deviendront inabordables pour les employeurs. Ceux-ci seront financièrement très exposés. C'est un vrai problème, sur lequel les assureurs souhaitent attirer l'attention des pouvoirs publics et des acteurs économiques.

M. le Président : Imaginons que l'interdiction de fumer dans les lieux publics soit générale, tout en étant assortie de quelques exceptions très ciblées, telles que les bars-tabac. Qu'en serait-il de l'assurabilité des bars-tabac en question ?

M. Stéphane PENET : L'appréciation de l'assurablité est indépendante du fait que vous accordiez ou non une dérogation aux bars-tabac. Si la jurisprudence va dans le sens d'une mise en cause systématique des employeurs, le risque n'est pas une augmentation de prime mais une absence d'assurabilité. Aujourd'hui, nous continuons à assurer les bars-tabac, tout en étant très attentifs à l'évolution de la jurisprudence.

M. le Rapporteur : Il faut remercier M. Penet de la grande clarté de son exposé. Il est évident qu'à terme, la question de la prise en charge assurantielle est posée, qu'il y ait dérogation ou non. Cela nous renvoie d'ailleurs à la question des substituts de domicile : la logique sera similaire.

M. Gérard DUBOIS : Je voudrais rappeler qu'il y a dix ans, dans une affaire concernant une femme atteinte d'un cancer du poumon, qui n'avait jamais été fumeuse et avait été exposée sur son lieu de travail, en l'occurrence une banque, la Cour avait reconnu que l'entreprise n'avait pas protégé sa salariée, qu'il y avait une relation épidémiologique établie entre l'exposition au tabac et le cancer du poumon en général, mais que par contre on ne pouvait établir une relation de cause à effet entre l'exposition de cette femme et son cancer. On était à deux doigts de la reconnaissance d'un lien de causalité.

Actuellement, des procédures individuelles de reconnaissance de maladie professionnelle sont en cours. L'une d'entre elles, qui n'est pas terminée, a abouti à une reconnaissance de 10 %. Il s'agit d'une pathologie bronchique chronique. Il est clair que nous ne sommes pas très éloignés de la reconnaissance de maladie professionnelle pour certaines maladies dues au tabagisme passif.

M. le Président : Nous pouvons maintenant évoquer le thème des mesures d'aide au sevrage tabagique.

M. Gérard DUBOIS : La question avait été posée par le ministre de la santé lorsque nous l'avons rencontré pour la première fois au mois de février dernier. Mes collègues membres de l'Alliance contre le tabac, Ivan Berlin, Bertrand Dautzenberg, Michel Delcroix, Béatrice Lemaitre et Yves Martinet lui ont remis une note de synthèse.

Le remboursement des traitements pharmacologiques efficaces de la dépendance tabagique fait régulièrement l'objet de propositions parlementaires. Il est en effet difficile de comprendre que des traitements qui accroissent les chances de réussite des tentatives d'arrêt ne soient pas remboursés ou pris en charge, alors que le tabac tue la moitié de ses consommateurs réguliers.

Les efforts ont d'abord plus particulièrement porté sur l'accès direct, sans prescription, aux substituts nicotiniques - obtenu en 1999 - puis sur la suppression des contre-indications et limitations d'utilisation sans fondement. On ne voit pas en effet comment un substitut nicotinique pourrait être plus dangereux que le tabac lui-même.

Par ailleurs, le coût de ce traitement a été considéré comme économiquement supportable, car il se substitue aux dépenses en tabac et cigarettes. Cependant, cet état de fait dévalorise ces traitements aux yeux des fumeurs - l'idée courante étant que « les traitements sérieux sont remboursés » - et nuit parfois à leur disponibilité en milieu hospitalier. Les hôpitaux n'ont pas dans leur pharmacopée des médicaments qui ne sont pas remboursés. C'est ainsi que nous assistons à des sevrages sauvages en milieu hospitalier. C'est exactement comme si les hôpitaux refusaient d'utiliser les morphiniques en cas de douleur.

L'espoir de voir les régimes complémentaires prendre l'initiative a été déçu, car ni les assurances privées ni les mutuelles - à l'exception de quelques mutuelles professionnelles - ne désirent attirer la clientèle des fumeurs, qui sont une population à risque plus élevé d'accident, d'incendie, de maladie et de décès.

Enfin, il est aujourd'hui démontré que le remboursement ou la prise en charge multiplie les tentatives d'arrêt et donc, mécaniquement, les chances de succès.

Aucune raison médicale ne s'oppose à la prise en charge de la dépendance tabagique. Le groupe de travail de l'Alliance fait donc les propositions suivantes.

Tout d'abord, rembourser suivant les règles communes tous les traitements pharmacologiques efficaces, avec fort service médical rendu, ayant obtenu une autorisation de mise sur le marché (AMM) et uniquement disponibles sur prescription médicale.

Ensuite, maintenir un accès direct, sans prescription et donc non remboursé, aux substituts nicotiniques. Pour les substituts nicotiniques prescrits, deux solutions semblent possibles, et dans les deux cas la publicité pour ces produits doit être maintenue. La première, qui a notre préférence, est le remboursement sur prescription, même à 35 %, de tous les substituts nicotiniques ; ce remboursement diminuerait le prix des traitements et permettrait l'intervention des régimes complémentaires. La seconde est, comme pour le vaccin grippal, une prise en charge pour des populations aisément repérables administrativement, que ce soit pour des raisons médicales - maladies de longues durées, femmes enceintes, hôpitaux, maternités - ou sociales - RMI, CMU.

Dans tous les cas, la durée du remboursement ou de la prise en charge, pour les traitements pharmacologiques et substitutifs, s'alignerait sur la durée préconisée par l'AMM.

Il s'agit en somme de faire entrer dans le droit commun les traitements de la dépendance tabagique.

Il est important de proposer aux fumeurs une aide au sevrage, car on sait que l'interdiction totale de fumer dans les lieux publics augmente la propension à l'arrêt du tabac. Il faut répondre à une demande qui va être forte, et qui sera comparable à celle à laquelle nous avons assisté au moment de l'augmentation importante des prix du tabac en 2003 et 2004. Dans certains centres de consultation anti-tabac, la file d'attente dépassait six mois.

Mme Maguy JEANFRANÇOIS : La direction de l'hospitalisation et de l'organisation des soins a mis en place une stratégie d'aide au sevrage, en prévision de l'augmentation de la demande de la part des fumeurs. Comme l'a souligné M. Dubois, les professionnels de santé ont encore présente à l'esprit la très forte augmentation des demandes de consultation qui a résulté de la hausse sensible des prix du tabac en 2003 et 2004. Nous avons créé de nouveaux modèles de prise en charge tabacologique. Nous avons demandé que soit inscrit dans le PLFSS pour 2007 un renforcement notable des consultations hospitalières de tabacologie : création de 200 consultations classiques, pour un coût de 13 millions d'euros ; création de 200 consultations sans rendez-vous de groupe, lesquelles permettent de raccourcir considérablement le délai d'attente, et ce pour un coût de 8 millions d'euros.

Par ailleurs, nous lançons des actions spécifiques d'aide au sevrage en direction des femmes enceintes et des malades hospitalisés fumeurs. Ces actions s'appuieront sur l'aide financière de l'Institut national du cancer. Le financement, 2,5 millions d'euros, deviendra pérenne.

Mme Bernadette ROUSSILLE : Il me semble qu'il serait nécessaire de disposer d'une évaluation du coût des aides au sevrage pour l'assurance maladie, ainsi que, à plus long terme, d'une évaluation du rapport entre leur coût et leur avantage économique.

M. Pascal MÉLIHAN-CHEININ : Comme l'a dit M. Dubois, les demandes de financement de l'aide au sevrage sont régulièrement formulées. Il serait intéressant de procéder à une analyse complète des différentes expérimentations qui ont été menées en la matière. La littérature consacrée à ce sujet semble avoir progressé par rapport à ce qu'elle était il y a trois ou quatre ans.

Par ailleurs, la question du coût de l'aide au sevrage est particulièrement pertinente pour les bénéficiaires de la CMU. Dans trois régions, l'Alsace, la Basse-Normandie, le Languedoc-Roussillon, une expérimentation a été organisée par l'assurance maladie. Elle a été conduite par les médecins généralistes, et non par les centres d'examen de santé, comme cela avait été le cas auparavant. Les résultats ne sont pas encore définitifs. Il serait intéressant que les représentants de l'assurance maladie puissent venir vous présenter leurs travaux. De même, il serait bon que vous entendiez mes collègues de la direction de la sécurité sociale, qui ont procédé à l'estimation du coût des mesures d'aide au sevrage.

Enfin, l'autorisation de la vente des substituts nicotiniques hors pharmacie suppose une base légale.

M. Gérard DUBOIS : Je voudrais ajouter que le fait même que l'on puisse débattre de la prise en charge de la dépendance tabagique est une anomalie. Si l'on parlait de la prise en charge du traitement de l'hypertension artérielle, on ne s'interrogerait pas un seul instant sur l'opportunité de son remboursement. Il y a un an et demi, on m'a demandé de répondre à la question de savoir s'il était opportun de prendre en charge les traitements efficaces de la dépendance tabagique chez la femme enceinte ! Qui m'aurait posé une telle question s'il s'était agi d'un autre problème de santé que celui du tabac ? Le fait même que l'on pose de telles questions montre que l'on continue à ne voir dans le tabac qu'une mauvaise habitude du fumeur, à qui il appartient de se débrouiller tout seul. On ne l'envisage pas comme une dépendance grave, qui peut être aussi intense que la dépendance à l'héroïne.

M. le Président : Mesdames, messieurs, je vous remercie de votre contribution aux travaux de la mission d'information.

Table ronde n° 6 :
« À quelles conditions la réforme peut-elle réussir (suite) ? :
Quels types de contrôles et de sanctions ? »,
réunissant :
M. Eric Marchin, directeur des relations extérieures de Japan Tobacco International (JTI) ;
M. Franck Trouet, directeur du service juridique et social du Syndicat national des hôteliers restaurateurs cafetiers et traiteurs (SYNHORCAT) ;
M. René Le Pape, président de la Confédération nationale des débitants de tabac ;
Professeur Gérard Dubois, président de l'Alliance contre le tabac ;
Mme Elisabeth Mahé-Tissot, déléguée à la prévention, à l'information et au dépistage de la Ligue nationale contre le cancer ;
M. Gérard Audureau, président de l'association Droits des non-fumeurs ;
Mme Emmanuelle Béguinot, directrice du Comité national contre le tabagisme (CNCT) ;
Mme Bernadette Roussille, membre de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS) ;
Mme Chantal Fontaine, chargée de mission justice de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT) ;
Docteur Philippe Mourouga, directeur du département « prévention et dépistage » de l'Institut national du cancer ;
M. Pascal Melihan-Cheinin, chef du bureau des pratiques addictives à la Direction générale de la santé (DGS) du ministère de la santé et des solidarités ;
Mme Anne Denisse, membre du bureau santé publique, droit social et environnement à la direction des affaires criminelles et des grâces au ministère de la justice ;
M. Michel Ricochon, directeur de projet de la mission animation des services déconcentrés à la Direction des relations du travail (DRT) ;
M. Jean Hayet, commissaire principal au bureau de l'ordre public et de la police à la Direction centrale de la sécurité publique du Ministère de l'intérieur et de l'aménagement du territoire


(Extrait du procès-verbal de la séance du 12 juillet 2006)

Présidence de M. Claude ÉVIN, Président

M. le Président : Je vous souhaite à tous la bienvenue à cette sixième et dernière table ronde organisée dans le cadre des travaux de la mission d'information de l'Assemblée nationale sur l'interdiction du tabac dans les lieux publics.

Pour la suite de nos travaux, je tiens à préciser que nous procéderons à l'audition de différentes organisations, associations et institutions qui ont demandé à être auditionnées et que nous souhaitons avoir à nouveau un échange avec les « permanents » de nos tables rondes afin de les associer à l'élaboration de notre rapport.

Nous allons aborder ce matin le second volet des mesures d'accompagnement, c'est-à-dire la question des contrôles et des sanctions à mettre en place pour qu'un durcissement de la réglementation soit correctement appliqué. Il nous faut déterminer les autorités susceptibles d'exercer un contrôle efficace du respect d'interdiction ainsi que les types de sanctions à prévoir.

Poser la question du contrôle, c'est d'abord poser celle du rôle et du pouvoir de l'employeur chargé de faire appliquer l'interdiction dans ses locaux : quelle est sa marge de manœuvre dans l'application de l'interdiction de fumer ? Par exemple, dans le secteur des cafés, hôtels, restaurants et débits de boisson, comment le patron peut-il faire appliquer l'interdiction à ses salariés, mais aussi à ses clients ?

La question du contrôle, c'est ensuite, bien évidemment, celle du rôle des corps chargés d'exercer le contrôle public, c'est-à-dire la police et la justice, auxquelles la loi relative à la politique de santé publique du 9 août 2004 a ajouté les inspecteurs du travail, les médecins inspecteurs de la santé publique, les inspecteurs de l'action sanitaire et sociale et les ingénieurs du génie sanitaire. Sans doute ne disposons-nous pas de beaucoup de recul par rapport à l'application de la loi de 2004, mais peut-être pouvons-nous commencer à en tirer certaines leçons et à nous demander s'il convient d'ajouter d'autres corps de contrôle, dans la mesure où les lieux visés font déjà l'objet d'autres contrôles touchant aux questions de sécurité sanitaire, qui pourraient peut-être être étendus au respect de la réglementation sur le tabac.

S'agissant des contrôles prévus par la loi de 2004, les représentants de la DGS nous ont indiqué, lors d'une précédente table ronde, que la procédure d'habilitation et d'assermentation des agents chargés du contrôle n'a pas encore été mise en place ce qui les empêchent de dresser des procès-verbaux. Ainsi, aucune sanction pénale ne pourrait être prise par ses agents à l'heure actuelle. Qu'en est-il exactement ?

L'effectivité des sanctions est pourtant une condition de la réussite de la réforme, comme l'ont souligné mercredi dernier, MM. Maus et Dandelot. Dès lors, ne doit-on pas accompagner le renforcement de l'interdiction par celui des sanctions ? Il nous faudra donc examiner, dans un deuxième temps, si le dispositif de sanctions actuel est suffisant et, le cas échéant, quelles mesures pénales complémentaires seraient nécessaires pour assurer un meilleur effet dissuasif de l'interdiction.

Je rappelle par ailleurs que la question du contrôle des sanctions n'est pas sans lien avec celle du choix entre le décret et le règlement : les représentants de la DGS nous ont expliqué précédemment qu'une extension éventuelle du pouvoir de recherche des infractions à d'autres corps de contrôle supposait une disposition législative. Il n'en serait bien sûr de même si le dispositif répressif devait être renforcé.

Je vous propose d'organiser le débat de ce matin en deux phases, la première consacrée aux moyens de contrôle du respect de l'interdiction du tabac, la seconde aux outils de sanctions.

Sur le premier point, je donne sans plus tarder la parole à M. Michel Ricochon, directeur de projet à la mission animation des services déconcentrés de la direction des relations du travail, qui va nous parler de la façon dont les contrôles sont exercés par les corps d'inspection actuels.

M. Michel RICOCHON : Je commencerai par rappeler le cadre juridique d'intervention de l'inspection du travail.

Pour l'interdiction de fumer, le code du travail ne comporte que des dispositions très limitées : un article porte sur l'interdiction de fumer pour des raisons de sécurité dans les locaux où sont manipulées des substances et des préparations dangereuses ; un autre article concerne les mesures que doit prendre l'employeur pour les non-fumeurs dans les locaux et les emplacements de repos. En fait, les principales obligations de l'employeur figurent non pas dans le code du travail mais dans le code de la santé publique, plus précisément dans les dispositions qu'y ont introduites la loi du 10 janvier 1991 et son décret d'application de 1992.

Aux termes de l'article R. 3511-4, ne sont concernés que les locaux clos et couverts et, parmi ceux-ci, seuls ceux qui sont affectés à l'ensemble des salariés. Pour les locaux non soumis à l'interdiction générale, il est simplement indiqué qu'une protection des non-fumeurs doit être assurée par l'employeur.

Le Conseil d'État et la Cour de cassation ont été amenés à se prononcer à plusieurs reprises à ce sujet, mais l'arrêt le plus important est celui de la Cour de cassation du 29 juin 2005 sur l'obligation de sécurité de résultat. La Cour y considère que l'interdiction de fumer dans les locaux collectifs s'étend aux bureaux à usage collectif, ce qui étend le champ d'application des textes. Elle précise que l'employeur est tenu à une obligation de sécurité de résultat vis-à-vis de ses salariés en ce qui concerne la protection contre le tabagisme en entreprise. Cet arrêt fait écho à ceux qui ont été précédemment rendus sur l'amiante en 2002, et il y a donc désormais sur ces sujets une continuité jurisprudentielle, même si les arrêts de 2002 se fondaient sur le contrat de travail, tandis que celui de 2005 s'appuie sur des textes relatifs à la santé publique.

Les employeurs nous posent aussi souvent la question de la place de l'interdiction de fumer par rapport aux règlements intérieurs. Pour l'instant, il n'existe aucune obligation pour l'ensemble des entreprises de faire figurer dans leur règlement intérieur une clause prévoyant l'interdiction de fumer. Il s'agit donc simplement d'une faculté. Peut-être cela tient-il au fait qu'une obligation pourrait constituer une rupture d'égalité entre les salariés, le règlement intérieur ne s'appliquant qu'aux entreprises de plus de 20 salariés. Introduire une telle obligation supposerait une modification législative de l'article L. 122-34 du code du travail.

J'en viens aux sanctions. Dans toutes les entreprises, quelle que soit leur taille, l'employeur peut user de son pouvoir disciplinaire, même en l'absence de mention de l'interdiction de fumer dans le règlement intérieur. En effet, il est responsable de la sécurité et de la santé des salariés placés sous sa responsabilité : c'est l'obligation générale de sécurité qui figure à l'article L. 230-1 du code du travail, renforcée, depuis l'arrêt du 20 juin 2005, par l'obligation de sécurité de résultat.

L'agissement fautif du salarié peut également jouer, qui trouve son fondement dans l'infraction à une règle établie dans un texte d'origine légale, réglementaire ou conventionnelle. La violation d'une clause éventuelle du règlement intérieur est donc bien visée. De plus, les salariés sont tenus de veiller à leur propre sécurité et à celle des personnes qui dépendent d'eux. En application de l'article L. 230-3 du code du travail, il incombe à chacun, en fonction de sa formation et de ses possibilités, de prendre soin de sa sécurité et de sa santé, ainsi que de celle des autres personnes concernées du fait de ses actes ou de ses omissions au travail.

Les sanctions disciplinaires prises à l'encontre du salarié qui viole la réglementation peuvent aller jusqu'au licenciement. La responsabilité pénale de l'employeur relève d'une contravention de cinquième classe. Un décret prévoit aussi une contravention de troisième classe à l'encontre des salariés fumant dans les lieux collectifs.

J'en arrive au contrôle qu'exerce l'inspection du travail. Il porte tout d'abord sur les dispositions du règlement intérieur lorsqu'elles existent. Même si la clause relative à l'interdiction de fumer est facultative, l'inspecteur du travail peut être appelé à vérifier la nature et la portée de cette clause, puisqu'il est compétent pour s'assurer qu'elle ne porte pas une atteinte trop importante à la liberté individuelle des salariés.

L'inspection peut ensuite engager la responsabilité de l'employeur sur la base de la contravention de cinquième classe, si celui-ci ne met pas en œuvre les dispositions qui doivent l'être pour assurer la protection des non-fumeurs.

S'agissant enfin des sanctions à l'égard des salariés, depuis la loi du 9 août 2004, figure dans le code de la santé publique une disposition qui donne la possibilité aux inspecteurs et contrôleurs du travail ainsi qu'aux fonctionnaires assimilés de constater par procès-verbal les infractions aux dispositions relatives à l'interdiction de fumer dans les locaux de travail. Toutefois, même si nous ne disposons pas à ce jour de données statistiques, nous n'avons pas connaissance de procédure engagée en cette matière.

Cela tient d'abord au fait que ce texte nous fait entrer en concurrence avec le pouvoir disciplinaire de l'employeur. Surtout, nous sommes confrontés à une réticence culturelle, ancrée dans les pratiques professionnelles des agents de contrôle : un inspecteur du travail n'est pas là pour sanctionner un salarié, mais un employeur qui ne respecte pas ses obligations. Alors que le code du travail compte de très nombreux articles, les seules sanctions prévues à l'encontre des salariés portent sur le cumul d'emplois, la discrimination et le harcèlement. Si cette réticence est culturelle, elle n'est pas idéologique. Elle relève de la construction et de la finalité mêmes du code du travail, qui établit un droit protecteur de la partie faible au contrat de travail et impute à l'employeur la responsabilité de la prévention des risques pour la sécurité et la santé des salariés.

Le tabagisme fait partie des questions majeures de santé publique, mais il n'est pas aussi évident qu'il s'agisse d'une question de santé au travail ni que ce soit, parmi les questions de santé au travail, une priorité. Bien sûr, on ne saurait distinguer pour le citoyen le droit à la santé en dehors et à l'intérieur de l'entreprise, mais les approches et les objets sont différents : la santé au travail, c'est d'abord l'exposition aux risques professionnels, c'est-à-dire aux risques provoqués par l'activité de travail. C'est donc aussi au rapprochement entre ces différentes thématiques que doivent travailler le ministère du travail et celui de la santé. Tel est en particulier l'objet du plan « Santé au travail » qui a été lancé en 2004.

N'oublions pas par ailleurs que les moyens de l'inspection du travail sont limités : 1 400 agents doivent contrôler 1,5 million d'entreprises employant 15,5 millions de salariés. Nous sommes donc obligés, pour que notre action soit efficace, de fixer des priorités à nos interventions. Il ne faudrait pas croire que nous disposons d'une réserve d'agents nous permettant de réorienter nos priorités en faveur de la lutte contre le tabagisme.

Il faut aussi se demander si le renforcement de la répression est le point d'appui le plus efficace pour une action dans l'entreprise. Notre droit du travail est très volumineux, nous nous efforçons de le rendre plus lisible et ainsi plus facile à mettre en œuvre, mais il faut faire attention : le milieu d'un entreprises est particulier, il a ses règles, il ne saurait être approché uniquement par la répression. L'entreprise est d'abord un lieu privé, bien sûr encadré par une réglementation, mais aussi un lieu de relations sociales entre des partenaires. Depuis plusieurs années, à côté de l'application de la loi et de la répression lorsqu'elle est nécessaire, nous mettons surtout en avant la prévention. Même si le succès de cette méthode n'est pas toujours avéré, il n'est absolument pas certain que l'on gagne en efficacité, simplement en renforçant la répression. Il faut donc également lancer des actions de sensibilisation et d'accompagnement, mais aussi promouvoir la négociation sociale car les partenaires sociaux jouent un rôle important pour la prévention, la santé et la sécurité dans les entreprises.

M. le Président : Nous aurons l'occasion de revenir sur votre intervention dans le cours du débat, mais je donne auparavant la parole à M. Jean Hayet, commissaire principal du bureau de l'ordre public et de la police à la direction centrale de la sécurité publique au ministère de l'intérieur, qui va nous expliquer comment sont organisés concrètement les contrôles de police et nous parler des difficultés rencontrées.

M. Jean HAYET : Je ne vais revenir ni sur la présentation détaillée de la législation qui vient d'être faite, ni sur les contrôles en entreprise. Je traiterai plutôt des contrôles dans les autres lieux publics.

La principale difficulté tient pour nous à l'absence de requérants. C'est-à-dire que les gens viennent se plaindre a posteriori dans les services de police ou de gendarmerie d'une situation qu'ils ont rencontrée dans un lieu public, mais que nous n'avons pas de requête immédiate, au moment où une patrouille passe sur les lieux.

Nous rencontrons aussi des problèmes pour effectuer les contrôles dans les débits de boisson. Il est particulièrement malaisé pour les propriétaires eux-mêmes d'exercer un contrôle sur leur clientèle, puisqu'on n'est plus ici dans la relation employeur-salarié, mais prestataire-client. Ce sujet demeure accessoire, secondaire par rapport aux autres obligations imposées aux débits de boisson, en particulier pour la délivrance d'alcool.

Nous ne disposons pas de statistiques quant au nombre de contraventions relevées pour des infractions commises par les fumeurs.

Vous vous demandiez, Monsieur le Président, si le durcissement des sanctions aurait un effet. Mon sentiment est assez proche de celui qui vient d'être exprimé par l'inspection du travail : aggraver les peines ne résoudrait rien car le problème se situe au moment du contrôle, dans la façon dont est relevée l'infraction, donc en amont du prononcé de la peine.

Nous pensons qu'il faut insister sur la communication et sur la prévention, afin d'exercer un contrôle des fumeurs avant même la verbalisation. La réticence de certains de nos fonctionnaires à contrôler sur la base actuelle tient sans doute à une incompréhension de la population, dont la méconnaissance de la loi entraîne, au moment du contrôle et de la verbalisation sur la base d'une contravention de troisième classe, des réactions de rejet de nature à troubler l'ordre public. C'est ce genre de situations - des situations qui dégénèrent - que nous constatons dans les pratiques quotidiennes de nos fonctionnaires, sur la voie et dans les lieux publics. C'est pour cela qu'il me semble qu'une meilleure communication est un préalable à des contrôles plus poussés.

M. le Président : Je constate que vous n'avez ni l'un ni l'autre traité de l'ensemble des corps de contrôle. Peut-être les représentants de la DGS pourraient-ils nous faire part de leurs difficultés, notamment du fait que les agents chargés du contrôle, faute de pouvoir prêter serment, ne peuvent dresser procès-verbal.

M. Pascal MELIHAN-CHEININ : La loi relative à la politique de santé publique du 9 août 2004 a donné à des fonctionnaires du ministère de la santé - médecins inspecteurs de la santé publique, inspecteurs de l'action sanitaire et sociale, ingénieurs du génie sanitaire - des compétences leur permettant notamment de procéder, dans le cadre d'un programme pluriannuel, à des vérifications dans les établissements de restauration, lieux qui connaissent des difficultés à appliquer la réglementation. Mais ces vérifications n'ont pas pu pour l'instant être transformées en de véritables contrôles, tout simplement parce que ces corps ne sont ni habilités ni assermentés. Ils doivent donc se contenter de faire des signalements au titre de l'article 40 du code de procédure pénale mais n'ont pas la capacité de dresser des procès-verbaux.

Il manque pour cela un décret, qui est en discussion depuis des années entre le ministère de la justice et celui de la santé, et qui concerne des domaines beaucoup plus larges, notamment toutes les questions de sécurité sanitaire. Ces discussions n'ont pas permis jusqu'ici d'aboutir à un projet de rédaction définitive.

M. Pierre MORANGE, rapporteur : Sans doute serait-il également intéressant que vous nous exposiez les mesures qu'ont prises les pays étrangers pour mettre effectivement en œuvre l'interdiction de fumer.

Par ailleurs, le rapport de Mme Roussille évoque la possibilité que la police municipale relève les infractions. Cela paraît-il de nature à donner plus de crédibilité au nouveau cadre juridique ?

Enfin, quelles sont aujourd'hui les réflexions des représentants du secteur des CHRD quant à la mise en œuvre effective de l'interdiction, vis-à-vis tant de leurs salariés que de leurs clients ? Que pensent-il des pouvoirs dont ils disposent eux-mêmes ? Souhaitent-ils en avoir davantage pour mettre en œuvre la jurisprudence de la Cour de cassation de juin 2005 ?

M. Jean HAYET : On peut en effet envisager une intervention des policiers municipaux, mais ils sont d'ores et déjà en mesure de verbaliser sur la base des textes existants. Si l'on devait leur attribuer une compétence plus spécifique, il me semble toutefois qu'elle devrait se limiter à certains domaines d'application de la loi. Ainsi, je les imagine mal intervenir dans les débits de boissons.

M. Philippe MOUROUGA : Je me suis intéressé à la façon dont la mesure avait été mise en œuvre en Irlande, en Italie et en Norvège, mais je ne dispose pas ici des informations relatives aux sanctions. En Irlande, on a institué un corps spécifique, l'Agence de contrôle du tabac. Ses inspecteurs sont chargés de vérifier l'application de la loi et ils peuvent infliger, tant aux propriétaires qu'aux clients, des amendes dont j'ignore le taux.

M. le Rapporteur : Pouvez-vous nous indiquer quels effectifs sont dédiés à ces tâches ? Comment, par ailleurs, les professionnels et les employeurs exercent-ils leurs responsabilités respectives ? Leurs pouvoirs ont-ils été renforcés, dans le cadre du règlement intérieur ou dans d'autres cadres ?

Mme Emmanuelle BÉGUINOT : En Irlande, les inspecteurs qui avaient été désignés pour contrôler l'effectivité de l'interdiction de fumer ont été essentiellement sollicités au cours de la période charnière des six mois qui ont suivi l'entrée en vigueur de la mesure, avec 25 000 contrôles pour une population de 4 millions d'habitants. Ensuite, l'interdiction est devenue effective et les contrôles sont devenus moins nécessaires.

M. Gérard AUDUREAU : J'ajoute que ces contrôles ont été effectués par 40 inspecteurs qui se trouvaient en permanence sur le terrain. Les amendes ont été infligées dès le début et il a suffi de deux ou trois mois pour que la loi entre effectivement dans les faits et qu'il n'y ait pratiquement plus de plaintes.

Vous avez dit, Monsieur Hayet, que le tabagisme était un phénomène secondaire. C'est bien ce que nous constatons sur le terrain. Mais, contrairement à ce que vous avez affirmé, il y a plus de plaintes a priori qu'a posteriori, mais vos agents refusent de les recevoir... Nous avons connaissance de plusieurs milliers de cas dans lesquels les personnes qui ont contacté le commissariat ou la gendarmerie ont entendu leurs interlocuteurs répondre qu'ils avaient bien d'autres choses à faire et refuser le plus souvent de se déplacer. Dans l'un de ces exemples, au bout du troisième appel les policiers ont quand même fini par se déranger, mais une fois sur place ils ont affirmé que le plafond était assez haut, qu'il n'y avait pas beaucoup de fumeurs, et ils ont obligé le plaignant à se rendre au commissariat où on l'a accablé de reproches.

J'ajoute qu'une fois sur deux, quand on se rend dans un commissariat pour se plaindre, l'agent ou le commissaire vous répond cigarette à la main et fumée dans la figure... Commencez donc par balayer devant votre porte et par faire en sorte que la loi soit appliquée correctement dans vos commissariats ! Je puis vous remettre une vingtaine de plaintes d'agents confrontés au tabagisme dans leur propre commissariat ou dans leur gendarmerie et qui ont été mis au placard parce qu'ils avaient osé demander le respect de leur environnement.

Pour sa part, M. Ricochon n'a fait référence ni à l'article R. 230-2 du code du travail, ni à l'article R. 263-2 qui punit l'employeur de 3750 euros d'amende pour chaque infraction. Surtout, je ne l'ai pas entendu parler des articles R. 232-5 à 232-5-9, aux termes desquels, s'il n'est pas explicitement interdit de fumer, il est indiqué que « dans les locaux fermés où le personnel est appelé à séjourner, l'air doit être renouvelé de façon à maintenir un état de pureté de l'atmosphère propre à préserver la santé des travailleurs. » On trouve aussi dans ces articles une définition très claire des locaux à pollution spécifique, comme comportant des poussières et des poussières alvéolaires, ce qui correspond exactement à la fumée de tabac. Les autres articles montrent clairement que l'on ne peut se contenter d'envoyer la fumée de tabac dans une autre pièce ; ils donnent des normes de ventilation très précises qui n'ont jamais été imposées ni respectées. En fait, depuis quinze ans, la direction des relations du travail cherche à faire oublier ces articles.

Vous avez dit par ailleurs que le code du travail interdit le tabac dans certains lieux et que pour les autres lieux de l'entreprise, il faut protéger les non-fumeurs. Puis, vous avez, de fait, exclu de cette protection les bureaux individuels en citant comme exemple les bureaux collectifs, ce qui est une interprétation inexacte. Un arrêt du Conseil d'État du 9 juillet 1993 précise en effet que le bureau, lorsqu'il est utilisé à usage collectif, c'est-à-dire lorsque quelqu'un est susceptible d'y entrer, devient un bureau collectif. Il faut donc, pour déterminer si l'on peut fumer dans un bureau individuel, demander conseil au médecin du travail et solliciter l'avis du Comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT).

M. Gérard DUBOIS : Je vous remets, Monsieur le Président, une lettre signée, à l'occasion du Congrès de l'Union internationale contre le cancer, qui s'achève aujourd'hui à Washington, par un certain nombre de collègues étrangers qui insistent sur le fait que la France risque ne pas rester la première destination touristique du monde si l'on continue à y enfumer des touristes dorénavant protégés dans leur pays d'origine. Je crois qu'il faut en effet mesurer l'importance du changement qui se produit dans de nombreux États.

Que la direction des relations du travail ne considère pas l'exposition à la fumée du tabac comme une priorité n'est pas vraiment une surprise pour nous. Voilà quinze ans que les responsables successifs font les mêmes réponses dilatoires, qu'ils font preuve de la même mauvaise volonté, qu'ils tiennent le discours qu'a encore tenu aujourd'hui M. Ricochon. Même quand nous ne demandions pas une intervention, mais que simplement au cours des inspections on note les infractions afin que nous puissions avoir une idée de leur niveau - ne serait-ce que pour adapter la signalétique - nous n'avons rien obtenu !

Il existe quand même un certain nombre de bons exemples dont on pourrait s'inspirer. Même s'il a fallu lui botter les fesses par un certain nombre d'actions judiciaires, la SNCF a fini par bouger et le personnel inflige désormais des amendes. La RATP est un élève meilleur encore, dans l'information mais aussi dans la sanction, avec plusieurs milliers de procès-verbaux dressés. Il n'est pourtant pas particulièrement facile de travailler avec les voyageurs. Cela montre que quand on veut on peut !

De façon plus générale, il apparaît que les sanctions doivent être dissuasives. Or, outre qu'elles ne le sont guère, elles ne sont pas appliquées. Il faut aussi qu'elles soient proportionnelles à la faute, qu'elles soient directement et rapidement applicables, et qu'elles concernent le fumeur et le responsable du lieu.

Par ailleurs, le non-fumeur exposé à la fumée de tabac doit pouvoir recourir au responsable du lieu. En Irlande, son nom est indiqué clairement et l'on met en jeu la responsabilité de la personne morale.

Comme l'a souligné Mme Emmanuelle Béguinot, il faut mobiliser tous les moyens à la date d'application de la mesure. On ne doit pas hésiter à prononcer des condamnations rapides et exemplaires lorsque le délit est volontaire, préparé, annoncé, médiatisé, destiné à ridiculiser la loi. Dans tous les pays où une loi claire a été adoptée, il y a eu de telles tentatives très médiatisées, préparées par qui vous savez. Il faut les étouffer dans l'œuf !

Il est également nécessaire de disposer de statistiques sur les contrôles et les infractions, car elles montrent que là ou il y a préparation, le pourcentage d'infractions est faible d'emblée et ne fait que diminuer ensuite.

M. Francis TROUET : La question des salariés est essentielle. Depuis la jurisprudence de juin 2005, les employeurs doivent veiller à ce que leurs salariés puissent travailler dans un environnement dénué de toute fumée de tabac. Ils peuvent le faire sur la base d'un certain nombre d'obligations : on a parlé du règlement intérieur, mais dans certaines professions le règlement sanitaire interdit aussi de fumer dans les endroits où sont stockées, préparées, manipulées des denrées alimentaires destinées à la consommation. Nous obtenons sur cette base de très bons résultats, puisque nos cuisiniers ne fument pas en cuisine, ce qui est la moindre des choses. On a donc déjà les moyens de faire respecter cette obligation. Une loi de plus s'appliquerait bien évidemment dans nos entreprises et permettrait à nos employeurs de sanctionner, y compris par des licenciements, les salariés qui ne respecteraient pas l'interdiction de fumer.

Le problème n'est donc pas là, mais avec nos clients : comment un restaurateur, un hôtelier, peut-il intervenir à l'égard de clients qui fument là où c'est interdit ? On ne saurait bien sûr mettre en œuvre un quelconque pouvoir disciplinaire, puisqu'il n'y a pas de contrat de travail. Mais on peut faire un parallèle avec ce qui se pratique en matière de répression de l'ivresse publique et de protection des mineurs. Nous avons en la matière des obligations bien précises d'affichage et d'information ; des amendes sont prévues lorsque nous ne respectons pas nos obligations, avec des contraventions de première classe. On pourrait être tenté d'aller plus loin et d'appliquer au tabagisme la même sanction qu'envers celui qui incite un mineur à consommer de l'alcool, infraction lourdement réprimée - jusqu'à trois ans d'emprisonnement et 75 000 euros d'amende. Il faut toutefois s'en garder, car il y a une grande différence entre faire boire un mineur ou quelqu'un qui est déjà sous l'emprise de l'alcool, et laisser fumer un client : dans le premier cas il y a une intervention positive - au sens du droit - du professionnel qui sert le client ; en matière de tabac les choses sont différentes, car on n'intervient pas, on n'incite pas au geste.

Pour le tabac, on peut demander aux professionnels d'afficher les textes, d'intervenir pour demander leur respect, mais ils ne disposent pas des moyens de réprimer les clients qui fumeraient alors que c'est interdit. Cette tâche doit donc bien incomber à des corps spécifiques. Différentes hypothèses ont été avancées : on a parlé logiquement des officiers de police et de gendarmerie, on pourrait aussi évoquer les agents des services vétérinaires qui viennent régulièrement contrôler nos établissements, ainsi que des policiers municipaux ou des agents de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). Quoi qu'il en soit, il faut absolument qu'un corps s'y consacre afin que nous, employeurs, soyons déchargés de cette obligation de répression.

M. le Président : Il faut aussi avoir présente à l'esprit l'obligation de sécurité de résultat qui vous impose de protéger vos propres salariés de la fumée que pourraient provoquer les clients. Le fait que les salariés soient exposés sur leur lieu de travail à un danger lié à leurs conditions de travail est évident quand il s'agit de la fumée émise par les clients. Il est donc bien de la responsabilité de l'inspection du travail de veiller à ce que l'environnement des salariés soit protégé.

M. Francis TROUET : Si l'État ne me permettait pas de remplir cette obligation, je ne manquerais pas dans le cas où je serais condamné, de me retourner contre lui pour ce motif.

M. le Président : Voilà qui confirme la nécessité d'aller vers une interdiction totale...

M. René LE PAPE : Un certain nombre d'interventions montrent qu'il ne sera pas si simple de mettre en application les nouvelles mesures.

M. le Président : Si c'est complètement interdit, ce sera plus simple...

M. René LE PAPE : Comme M. Trouet, je me vois mal être condamné parce qu'un de mes clients, souhaitant narguer la loi, aura fumé dans mon établissement contre ma volonté et sans mon aval.

Je n'étonnerai personne en disant que nous sommes contre le tout répressif. On ne peut à la fois insister - comme le fait à l'envi M. Xavier Bertrand - sur la nécessité de convaincre les acteurs concernés, qu'ils soient fumeurs ou professionnels, et les stigmatiser à outrance en les menaçant de sanctions très lourdes. Nous préférons donc un dispositif progressif dans le temps, d'où notre demande de dérogation pour les bars-tabac et notre souhait d'être associés, en tant qu'organisation professionnelle représentative, à la mise en place d'un système d'information auprès des fumeurs. Car nous sommes les seuls à être quotidiennement en contact avec eux et nous sommes donc bien placés pour les informer et même pour les sensibiliser.

Pour les buralistes, la première sanction prendra la forme de la remise en cause de leur activité de vente du tabac - qui reste un produit légal... - dans le cadre d'un contrat de gérance avec l'État.

M. le Président : Ce n'est pas l'interdiction de fumer dans les lieux publics qui conduit à cela, mais les politiques de santé publique qui tendent à réduire la consommation.

M. René LE PAPE : Mais on sait bien que l'interdiction totale de fumer dans les lieux publics aura des effets collatéraux difficiles à supporter.

M. le Rapporteur : Nous avons bien entendu, Monsieur Le Pape, votre demande d'une application progressive. Vous avez aussi insisté sur l'information, mais c'est un discours qu'on nous sert depuis des dizaines d'années, et l'un des objectifs de cette mission est précisément d'en vérifier le bien-fondé...

On dispose aujourd'hui à la fois d'un état des lieux sanitaire très clair sur le nombre de décès liés au tabagisme passif ; d'un état des lieux jurisprudentiel qui, depuis l'arrêt de 2005 de la Cour de cassation, vous met dans une insécurité juridique et assurancielle ; d'un état des lieux sociologique, la population admettant maintenant parfaitement la nécessité d'une interdiction du tabagisme dans les lieux accueillant du public, qu'ils soient de travail ou de loisirs. Mais la question n'est pas de savoir ce à quoi vous aspirez, et dont nous prenons bien sûr acte : elle est de savoir quelles conséquences vous, qui y êtes directement confrontés, tirez de cette réalité.

M. René LE PAPE : Je souhaitais simplement insister sur les effets dramatiques qu'aurait l'application de sanctions trop lourdes à une profession déjà largement sinistrée. Je répète que je ne me sens pas responsable du fait qu'une personne fume dans mon établissement contre mon gré. Or, c'est moi que l'on montrera du doigt et que l'on risque de sanctionner.

M. Dubois a parlé de la RATP, mais moi je constate que des gens fument encore dans le métro et je ne pense pas que le président de la Régie risque d'être sanctionné pour cela. C'est donc bien nous, professionnels, que l'on veut stigmatiser.

M. le Président : On fume parfois encore dans le métro, mais beaucoup moins que dans les bars-tabac...

M. René LE PAPE : Jusqu'à présent, dans les bars-tabac c'est encore autorisé...

M. le Président : Pas du tout ! Votre réflexion est très caractéristique de la méconnaissance de la loi ! Il s'agit d'un lieu à usage collectif. Or, il n'est possible de fumer que dans des lieux spécifiquement réservés aux fumeurs, y compris dans un bar-tabac.

Vous dites que vous pouvez être des acteurs de l'application de la loi. Commencez donc par la connaître et mettez-la en œuvre en créant ces espaces réservés !

M. le Rapporteur : Cet échange est éminemment révélateur de la situation. Mais si la loi n'est pas effectivement mise en œuvre sur le terrain, elle le sera désormais. On peut en effet parler, du fait de l'arrêt de la Cour de cassation, d'une accélération du temps juridique qui traduit bien l'évolution culturelle, sociale et sanitaire. On va donc, dans une société qui se judiciarise, vers un durcissement qui doit s'accompagner de mesures vous offrant plus de sécurité. À défaut, comme cela nous a été dit lors de la précédente table ronde, vous évolueriez dans un vide assuranciel qui vous précariserait.

M. Yves BUR : Ne consacrons pas trop de temps à analyser le passé : le constat est accablant, et cela partout. Si le volet alcoolisme de la loi Évin a été appliqué de manière assez rigoureuse, le volet tabagisme a été d'emblée totalement ignoré. Peut-être les acteurs étaient-ils sous informés ou considéraient-ils que les dangers réels n'étaient pas suffisamment avérés. Il n'y a donc pas eu de consensus sur la lutte contre le tabagisme.

Aujourd'hui, on connaît de façon beaucoup plus précise et irréfutable les risques du tabagisme passif et chacun est désormais devant ses responsabilités. Le législateur, face à un danger établi, peut-il faire comme si les 3000 morts n'existaient pas ? Les employeurs, face à une jurisprudence claire, peuvent-ils continuer à ne pas en prendre acte ? Il faut aussi tenir compte de l'évolution de l'opinion publique, qui est davantage consciente des risques et qui souhaite que l'on aille vers une interdiction totale. Appuyons-nous donc sur ce consensus pour faire évoluer la législation et ensuite pour la faire respecter !

En France, nous avons l'habitude de voter des lois et d'oublier de nous doter des moyens nécessaires à leur application. Cela tient d'abord à la complexité des textes qui, en entrant à l'excès dans les détails, multiplient en fait les possibilités de les contourner. Dès lors qu'une loi est claire, elle est respectée. Tel est le cas de l'interdiction des distributeurs de confiseries dans les écoles, que nous avons adoptée, à mon initiative, pour marquer symboliquement notre volonté de lutter contre l'obésité : ce texte a été combattu durement au cours du débat, mais il était simple, il ne nécessitait pas de décret, il fixait un délai précis, et il est appliqué et respecté.

Il faut aussi se doter des outils du contrôle, ce qui suppose une volonté politique.

Globalement, l'application de la loi doit reposer sur un consensus, y compris des professionnels. Allez donc voir en Irlande et en Italie comment les choses se sont passées : à un moment donné les professionnels eux-mêmes, face aux risques encourus par leurs salariés, ont décidé d'adhérer à l'interdiction, et même de la soutenir activement. C'est ce qui explique la réussite de la mesure dans ces pays.

Monsieur Le Pape, quand on prévoit des sanctions lourdes, comme en Italie et en Irlande, il ne s'agit pas de stigmatiser qui que ce soit, mais d'offrir en fait une protection au responsable du lieu, chef d'entreprise ou propriétaire. En effet, si vous dites à un client qui fume en dépit de la loi qu'une amende de 150 euros est prévue, cela ne sera guère dissuasif. En revanche, si vous lui dites qu'au cas où vous et lui seriez dénoncés, ou si un contrôle inopiné survenait, vous risquez 2 000 à 3 000 euros d'amende, c'est un argument de nature à faire comprendre aux récalcitrants la nécessité de respecter la loi.

Souvenez-vous que lorsqu'il s'est agi de vente aux mineurs, j'ai évité que votre profession ne soit stigmatisée à l'excès comme elle l'aurait été si l'amende était passée de 3 750 à 7 000 euros, et avait été assortie de la possibilité d'un an d'emprisonnement et de la suppression de la régie. Mais, alors qu'elle avait été voulue par le Président de la République, cette loi n'est pas appliquée, faute d'une vraie sensibilisation à la question de la responsabilité individuelle, mais aussi faute d'un contrôle effectif. On peut bien sûr critiquer la méthode du testing, mais c'est parce que l'État ne fait pas son travail que les contrôles sont effectués par les associations et par des structures de lutte contre le tabagisme.

En Irlande, sur 25 000 contrôles, il n'y a eu que 37 amendes, dont la moitié dans des taxis. Cela montre bien que, dès lors qu'il y a consensus et que l'État agit, il n'y a aucune raison pour que cela ne fonctionne pas.

En France, on nous explique qu'on ne peut pas mobiliser la police municipale, que les inspecteurs du travail sont débordés, que les inspecteurs de santé publique ne sont pas habilités, qu'il est trop compliqué de faire appel aux inspecteurs de la concurrence, qu'en fin de compte il ne faut surtout rien faire pour changer les habitudes et les corporatismes et pour aller de l'avant. Là aussi, il faut une volonté politique pour dire que les inspecteurs du travail ne suffiront pas à la tâche, qu'il est nécessaire de multiplier les contrôles. Car si les contrôles sont nombreux et déterminés au cours des six premiers mois, le pli sera pris et l'interdiction sera respectée. Ne prenons donc surtout pas la difficulté de mener les contrôles comme prétexte pour ne pas aller plus loin dans la protection des non fumeurs.

Mme Emmanuelle BÉGUINOT : Les contrôles seront en effet d'autant plus efficaces que la loi sera claire. Il faut en particulier qu'elle ne prévoie pas de fumoirs car cela complique singulièrement les contrôles.

Par ailleurs, le nombre des corps de contrôle importe sans doute moins que le fait qu'ils soient bien structurés et opérationnels à différents moments de la journée.

On l'a dit, l'essentiel du travail sera effectué au cours des six mois qui suivront l'entrée en vigueur effective de la mesure.

Enfin, il sera nécessaire, pendant toute la phase de préparation, de sensibiliser et de former les corps de contrôle - dont on a entendu tout à l'heure qu'ils n'en faisaient pas vraiment une priorité - aux enjeux associés à l'interdiction totale de fumer et à la protection à l'exposition au tabagisme passif. Il faut en particulier, comme le fait la Prévention routière, rendre compte des victimes épargnées grâce aux sanctions. Là aussi, policiers et gendarmes vont sauver des vies humaines, il faut qu'ils se sentent investis de cette tâche et qu'ils soient reconnus pour cela.

Mme Bernadette ROUSSILLE : La sécurité routière l'a bien prouvé, la répression est indispensable : à quoi bon faire une loi si l'on ne travaille pas en amont sur le contrôle ?

Mais il faut organiser sérieusement les contrôles : l'action dont a parlé M. Hayet à propos du public doit en fait porter sur les corps de contrôle, en développant la sensibilisation et la formation, comme vient de le dire Mme Béguinot. Il n'est en effet pas facile de verbaliser en la matière, il n'y faut pas que du savoir mais aussi du savoir faire. Il est donc très important de prévoir des programmes de formation au cours de la phase de préparation.

Il convient aussi de prévoir, comme en Irlande, des programmes de contrôles dirigés par le préfet ou par le correspondant de la MILDT. Peut-être ne seront-ils là aussi utiles que quelques mois.

Même s'il me semble que multiplier les corps de contrôle ferait courir le risque qu'ils ne se renvoient les responsabilités, il convient sans doute de faire appel à la police municipale, pour des raisons de proximité. Instituer, même de façon temporaire, un corps spécialisé paraît en revanche un peu lourd.

Enfin, je constate qu'il y a un vrai problème d'autorité dans la fonction publique. J'en veux pour preuve - M. Audureau l'a souligné - que l'on continue à fumer dans les commissariats de police. Au nom de quoi les fonctionnaires seraient-ils favorisés par rapport à ceux qui travaillent dans le privé, qui sont soumis effectivement au code du travail, aux inspecteurs du travail, voire aux juges. Il faut donc réfléchir à des sanctions disciplinaires véritablement appliquées.

M. Pierre BOURGUIGNON : Il faut que la loi soit parfaitement respectée et, pour cela, qu'elle soit considérée comme respectable. Cela suppose aussi que, dans l'organisation générale de la République et de ses pouvoirs, elle soit considérée comme un élément normal de la vie. De ce point de vue, il est totalement insupportable de voir ce que l'on voit dans de trop nombreux lieux de la fonction publique - pas seulement dans les commissariats. Notre réflexion doit donc aussi porter sur l'exemplarité des conduites. En particulier au sein des corps de contrôle, chacun doit ainsi s'inscrire dans le respect de la règle du jeu.

Par ailleurs, tous ceux qui sont amenés à travailler dans le contrôle, le constat, voire la répression immédiate, doivent être culturellement, intellectuellement et techniquement armés. Cela suppose que l'encadrement accorde à cette tâche l'importance qu'elle mérite. Nous avons donc encore à travailler pour faire changer les états d'esprit.

S'agissant des tribunaux de l'ordre judiciaire, appelé à prononcer les sanctions, nous devons faire en sorte que les règles soient suffisamment simples pour ne pas ouvrir la porte à ceux qui cherchent à exploiter la moindre possibilité de contentieux.

Si nous avons commencé à gagner la bataille de l'opinion, il faut encore continuer à avancer. Il est vrai que pendant longtemps nombre de salariés se disaient que le tabac n'était qu'une des pollutions dont ils étaient victimes dans leurs conditions de travail et de loisirs. Maintenant, il faut progresser dans l'organisation des lieux de travail, dans le public comme dans le privé.

Il faut aussi miser sur les associations, afin que le tabagisme soit pris en compte dans le cadre des lieux de loisirs, comme l'alcoolisme l'a été. En tant que président du groupe d'études de l'Assemblée sur les arts de la rue, j'ai attendu que l'interdiction du tabac soit effective pour goûter aux joies d'une Saint-Patrick à Dublin : aujourd'hui, dès que l'on n'est pas dans la rue, il n'y a plus de tabac dans les pubs et dans les espaces publics, et c'est un vrai bonheur pour toutes les générations.

Certes, les professionnels ont l'impression d'être stigmatisés. Mais souvenons-nous que l'on parlait aussi de stigmatisation quand on a commencé à moraliser la vie politique... Aujourd'hui, on voit quelles ont été les améliorations en termes de pratiques, mais aussi d'image. C'est aussi à ce niveau qu'il faut se situer.

Pour gagner la bataille de l'opinion publique, il faut continuer à se battre : les conclusions de notre mission et la nouvelle règle du jeu législative doivent y contribuer.

Mme Chantal FONTAINE : Il y a effectivement un vrai travail de sensibilisation à mener dans la fonction publique, afin que les choses se passent bien dans les lieux où l'on devrait donner l'exemple. Il est en outre particulièrement énervant, étant donné tout ce que l'on sait désormais de la nocivité du tabagisme, que la lutte contre le tabagisme ne soit la priorité d'aucun corps de contrôle. L'inspection du travail et la police ont beaucoup à faire ? Mais tout le monde est débordé, ce n'est pas un argument ! En outre, considérer qu'il s'agit d'une infraction mineure, c'est oublier qu'à partir du moment où il a été prouvé que le tabagisme passif peut avoir des effets sur le système cardio-vasculaire, il faut bien le considérer comme une violence.

Je suis surprise, irritée, d'entendre des fonctionnaires se refuser, au nom d'une idéologie, à faire usage des pouvoirs dont ils sont investis. Un fonctionnaire a un devoir d'obéissance et de service, ses idées personnelles doivent passer après ! Je ne puis donc accepter d'entendre des agents du ministère de la santé se refuser à faire du répressif. À partir du moment où il y aura une habilitation, et j'espère qu'elle viendra, il y aura un devoir de répression de ce type d'infractions, d'autant qu'en matière de santé publique, comme en matière de circulation routière, la répression, c'est de la prévention. Il n'est pas recevable que l'inspection du travail considère qu'elle est là pour réprimer les employeurs mais pas les salariés : vous êtes fonctionnaires, on vous donne les moyens d'instrumenter pour défendre les salariés contre un problème de santé publique, vous devez agir en conséquence.

S'agissant des restaurateurs et des cafetiers, bien sûr il leur est plus difficile d'agir vis-à-vis de leurs clients que de leurs employés, mais ils savent agir en matière de répression de l'ivresse publique et ceux qui sont sérieux le font. Sans même aller jusque là, il faut raisonner simplement en termes d'infraction pénale, de violence et de nuisances. Si un consommateur un peu ivre chatouille le menton d'une cliente, le responsable du lieu ne va pas s'en désintéresser : il va le prier de se calmer et, si cela ne suffit pas, il l'expulsera ou il appellera les forces de l'ordre. C'est ainsi que les choses se passent dans tout établissement bien tenu. Quand un mendiant vient importuner la clientèle, on ne le laisse pas faire au prétexte qu'on n'est pas fonctionnaire de police ni gendarme et qu'on n'a pas les moyens d'agir : on tient sa maison correctement. Il suffit de faire de même avec les fumeurs qui ne respectent pas la loi, d'autant que les exemples étrangers montrent qu'après une vague de contrôles intensifs, les choses se calment d'elles-mêmes. Contrairement à ce qui a été dit, il n'y a vraiment plus, dans les trains et les métros, que les abrutis de service qui se permettent de fumer de temps à autre. Le citoyen normal, lui, a compris et intégré la loi !

Mme Muguette JACQUAINT : Nous sommes tous convaincus de la nocivité du tabac, et les tables rondes précédentes ont bien montré la nécessité d'une loi claire sur l'interdiction de fumer dans les lieux publics. Mais il faut aussi prévoir les moyens de son application pour qu'elle ne reste pas lettre morte. Bien sûr, chacun des corps de contrôle doit prendre en compte cette question, mais il faut être conscient qu'on leur demande de plus en plus sans leur donner les moyens matériels et humains d'assurer l'ensemble de ces tâches. On manque aujourd'hui d'inspecteurs du travail, mais aussi de personnel dans les hôpitaux pour y faire respecter les impératifs de santé publique, ce qui est quand même un comble !

De ce point de vue, je souscris pleinement à l'idée qu'il faut développer la formation. On a bien vu à quel point cela était nécessaire pour assurer dans les commissariats l'accueil des femmes victimes de violences. Pour parvenir à un vrai changement culturel, certes il faut prévoir des sanctions mais n'oublions pas l'importance de la sensibilisation et de la prévention !

M. Pascal MELIHAN-CHEININ : J'estime qu'il n'est pas forcément nécessaire d'aggraver encore les sanctions à l'encontre des professionnels, car l'arrêt de juin 2005 représente à lui seul une telle sanction qu'en rajouter ne ferait que stigmatiser les professionnels, sans aboutir à un consensus. Nous devons, au contraire, aider les professionnels à prendre conscience de la gravité des sanctions qu'ils encourent.

M. André SANTINI : Je voudrais intervenir en tant qu'homme politique, car trop de mes collègues se prennent pour les assesseurs des juges, et parlent de sanction. Ce n'est pas la peine d'être élu si c'est pour se substituer aux juges. Le rôle d'un homme politique est au contraire de rappeler les principes de tolérance et de respect de l'autre, et je ne peux que m'inquiéter d'entendre quelqu'un ici parler des « abrutis de service » qui fument dans les moyens de transport.

Toutes les associations de lutte contre le tabac, que je trouve sympathiques et énergiques, ont raison de mener ce combat, car personne ici ne peut nier que le tabagisme nuit à la santé, mais personne n'a le droit d'insulter quiconque. Lorsque je rencontre une personne qui s'adonne à la cocaïne ou à l'héroïne, je ne l'insulte pas, mais je la considère comme un malade. En revanche, je punirais plutôt ceux qui fournissent les instruments - n'est-ce pas, Monsieur Le Pape ? Mais M. Le Pape n'est qu'un auxiliaire de l'État, c'est lui qui finance une partie de nos dépenses, comme les 35 heures...

Je mets par ailleurs en garde M. Bur qui croit gagnée la bataille de l'opinion. Au contraire ! Lundi dernier, invité sur France Inter en compagnie d'un remarquable professeur dont j'apprécie la compétence, la modestie et la sagesse, j'ai pu constater que de nombreux auditeurs souhaitaient qu'on laisse un peu tranquilles les fumeurs.

Nous avons une tâche pédagogique : convaincre plutôt que contraindre. Or, tout le monde ce matin aurait presque envie de créer des corps de fonctionnaires pour chasser les fumeurs.

Permettez-moi de citer quelques études. Le tabagisme passif, tel qu'il a été exposé par certains faux prophètes, est une gigantesque plaisanterie. Aujourd'hui, même des professeurs de l'Académie de médecine reconnaissent que le nombre de décès est, non pas de 5 000 ou de 6 000, mais de 1 000. Ces chiffres sont officiels.

Par ailleurs, comment pouvez-vous dire que 80 % de la population est favorable à ces mesures alors que le dernier sondage IFOP fait état de 56 % ?

Les adversaires des fumeurs sont en train de perdre, par leurs excès, la bataille de l'opinion.

Par ailleurs, je rappelle que les débitants de tabac sont des fonctionnaires par procuration - vente de timbres fiscaux, postaux, de bulletins de la Française des Jeux, etc. Vous prétendez avoir réduit le nombre de fumeurs en augmentant le prix des cigarettes, mais vous n'en avez aucune preuve. Certes, les buralistes vendent moins de cigarettes, mais la fraude s'est développée. De nombreux bureaux de tabac ont déjà fermé !

Hommes politiques, nous devons écouter tous ceux qui nous ont fait l'honneur de leur présence, mais nous devons aussi trier, et faire œuvre exemplaire par notre tolérance.

M. le Président : Je vous remercie, Monsieur Santini. Vous venez d'évoquer l'ensemble des sujets que nous avons abordés autour des précédentes tables rondes, et il n'est pas utile de reprendre le débat sur chacun de ces points.

La quasi-totalité de la mission est bien au-delà de la position que vous avez adoptée, et je regrette vivement que vous n'ayez pu assister à l'ensemble des tables rondes.

M. le Rapporteur : « La liberté de chacun s'arrête là où commence celle de l'autre. »

M. Yves BUR : C'est d'ailleurs écrit dans cette salle, sur la tapisserie !

M. le Rapporteur : Je rappelle par ailleurs qu'un certain nombre de partenaires économiques seront invités dans la deuxième quinzaine de juillet.

M. Jean HAYET : Je précise que le terme « secondaire » s'appliquait aux charges et non aux priorités.

Par ailleurs, nous travaillons régulièrement avec nos personnels sur le problème du tabagisme dans nos locaux, et nous serions favorables à la mise en place de formations pour améliorer la qualité de l'accueil dans les commissariats.

M. Michel RICOCHON : Un des premiers intervenants a estimé que j'avais passé sous silence certaines dispositions juridiques. Sans entrer dans le débat, je réaffirme que je ne suis pas d'accord avec son analyse juridique. Par ailleurs, je rappelle que l'obligation de sécurité de résultat pèse bien sur l'employeur.

Quant à la mobilisation de l'inspection du travail, il faut savoir ce que l'on veut. Depuis de nombreuses années, nous sommes de plus en plus sollicités pour des missions toutes plus prioritaires les unes que les autres ! Oui à une mobilisation contre le tabagisme, mais à l'échelle nationale, et non pas au seul niveau de l'inspection du travail.

Nous devons arrêter de nous jeter les morts à la figure : le mort du tabac contre celui du cancer professionnel. Là est bien notre problème : devons-nous nous occuper des cancers professionnels, ou de ceux liés au tabac ? Les deux sont liés, mais nous devons travailler sur la différence de nos cultures professionnelles.

Ce n'est pas en stigmatisant un corps de contrôle ou un autre que nous progresserons.

M. le Président : Quel est, suite aux récentes annonces du Gouvernement, le nombre d'inspecteurs du travail supplémentaires ?

M. Michel RICOCHON : M. Larcher a annoncé la création de 700 postes supplémentaires d'inspecteurs du travail d'ici 2010.

Mme Anne DENISSE : Je ne reviendrai pas sur certains points déjà abordés, notamment sur le fait que les lois doivent être claires et précises pour être respectées, sans parler de l'existence de corps de contrôle formés et motivés. C'est vrai, les agents du ministère de la santé peuvent exercer ce type de contrôle, comme le pourraient également la DGCCRF ou les polices municipales.

Selon les statistiques, 9 millions de personnes, dont la moitié a moins de 25 ans, fument aujourd'hui plus de dix cigarettes par jour. Les sanctions encourues pourraient bien sûr être aggravées, mais je ne pense pas que ce soit la solution la plus efficace. Il me semble que nous devrions plutôt préférer un système de sanction simple et rapide, comme le code de procédure pénale en prévoit. L'amende forfaitaire pourrait ainsi sanctionner le fait de fumer dans un lieu interdit, ou de vendre du tabac à des mineurs de moins de 16 ans.

Par ailleurs, la procédure de l'ordonnance pénale pourrait être davantage utilisée pour sanctionner les contraventions de cinquième classe, de même que la procédure de composition pénale.

Des circulaires pourraient être prises en direction des parquets pour leur rappeler l'importance de ces mesures.

M. Gérard DUBOIS : Je tiens à dire que l'Alliance contre le tabac est favorable au dispositif de l'amende forfaitaire qui permet de sanctionner rapidement.

Mme Emmanuelle BÉGUINOT : Le système de l'amende forfaitaire est en effet très efficace en ce qu'il permet une sanction immédiate. C'est en cas de récidive que nous souhaitions aggraver les sanctions et prévoir une amende délictuelle de 3 000 euros, notamment dans l'hypothèse d'exposition réitérée de salariés au tabagisme passif.

M. le Président : Je précise qu'est puni d'une amende de 450 euros le fumeur qui ne respecte pas les interdictions de fumer.

Quant à l'organisateur d'un lieu - employeur, responsable d'un établissement de restauration etc. -, il n'est puni que s'il n'a pas prévu des espaces non-fumeurs, s'il n'a pas respecté les normes de ventilation, et s'il n'a pas mis en place une signalisation. En revanche, il n'est pas puni s'il ne fait pas respecter l'interdiction de fumer dans les espaces non-fumeurs. Peut-être devrons-nous aller jusqu'à le sanctionner dans cette hypothèse, surtout si des fumoirs existent demain.

Mme Bernadette ROUSSILLE : Je suis d'accord avec le fait de sanctionner le responsable d'un lieu qui ne ferait pas respecter les interdictions de fumer, mais je tiens à souligner que le décret ne sanctionne pas des « personnes », il sanctionne simplement « le fait de », ce qui est un peu ridicule. Il est au contraire important de désigner les auteurs de l'infraction.

Par ailleurs, comment qualifier le responsable du lieu ? Je propose de le désigner comme le « chef d'établissement », et que son nom figure sur les panneaux d'interdiction de fumer.

M. Gérard DUBOIS : Nous devons pouvoir nous adresser aux fumeurs et, de manière graduée, au responsable du lieu, voire à la personne morale, car il existe de plus en plus de chaînes qui imposent leurs règles à ceux qui travaillent pour eux.

M. Gérard AUDUREAU : Chaque fois qu'une entreprise, un café, un restaurant, a décidé de faire respecter la loi, de former son personnel à cet effet, et d'afficher correctement qu'il est interdit de fumer, il n'y a jamais de problème.

Par ailleurs, la RATP et la SNCF appliquent des amendes forfaitaires, ce qui facilite le travail.

Quant au policier, qui doit se déplacer pour constater les faits, convoquer la personne au commissariat, rédiger un procès-verbal qu'il envoie ensuite au procureur de la République, lequel classera sans suite, je comprends qu'il soit découragé.

Pour ces raisons, l'amende forfaitaire pour les contraventions de troisième classe serait une bonne solution, et pourquoi ne pas diminuer l'amende à destination du responsable des lieux, afin de classer l'infraction dans la catégorie des contraventions de quatrième classe, et rendre l'amende, elle aussi, forfaitaire ?

Enfin, si la voie législative était préférée à la voie règlementaire, serait-il possible de prévoir une sanction délictuelle à l'encontre des employeurs qui ne protègent pas leurs salariés ou de toute personne qui expose délibérément à la fumée du tabac un enfant ?

Quel que soit le type de sanction retenu, pour que la sanction soit efficace, il faudra faciliter la recherche nominative du responsable du lieu. La mission des agents chargés de constater et sanctionner les infractions devra, dans les textes, revêtir un caractère impératif.

Mme Chantal FONTAINE : La MILDT n'a pas pour objectif d'augmenter le montant des amendes, car il est plus important de sanctionner rapidement et efficacement.

En revanche, nous suggérons d'aggraver les sanctions à l'encontre du responsable d'établissement qui ne ferait pas respecter la loi en sa maison. Outre une amende de cinquième classe, nous proposons une peine complémentaire de fermeture judiciaire de l'établissement, et des fermetures administratives, bien sûr dans des cas extrêmes.

M. Franck TROUET : La fermeture administrative peut aussi être une très mauvaise solution, dans les cas où des professionnels seraient « pris en otages » par des clients. Imaginez un professionnel qui respecterait l'interdiction, mais serait régulièrement confronté à des clients qui refuseraient de se conformer à la loi. Notre profession a déjà connu des précédents, du fait de clients qui s'étaient rendu coupables de nuisances sonores.

M. Yves BUR : La fermeture administrative est un acte lourd, qui ne sera pas décidé simplement parce que quelqu'un a été pris en train de fumer deux ou trois fois. Mieux vaut presque ne pas l'évoquer. Je pense que la répétition d'amendes, quasi-automatique en cas d'infraction, serait tout aussi efficace. Si un responsable d'établissement est amené à payer une amende importante chaque fois qu'une infraction est constatée, il ne tiendra pas longtemps, et il fera sans doute très vite preuve de meilleure volonté.

Le montant de l'amende doit être significatif, sans pour autant être exorbitant, mais surtout, il doit être un argument pour convaincre le consommateur de ne pas fumer. Les consommateurs, en général, respectent le lieu et le responsable de l'établissement, et peuvent comprendre que le chef d'établissement n'ait pas envie de payer. Il est clair, en revanche, que personne ne se souciera de cette interdiction si le montant de l'amende est dérisoire.

La question essentielle est de rendre le dispositif lisible. En Irlande comme en Italie, les affichettes sont visibles et les responsables clairement identifiés.

Du consensus populaire, autour d'une loi acceptée, découlera son respect. Les professionnels doivent prendre conscience que la donne a changée, comme en Italie ou en Irlande. À cet égard, je m'étonne que peu de professionnels soient représentés à cette table ronde.

M. le Rapporteur : Ils seront invités dans la deuxième quinzaine de juillet.

M. Jean HAYET : S'agissant des fermetures administratives, je précise que le fait de ne pas être capable de faire respecter l'interdiction de fumer peut être un élément caractéristique de la non-maîtrise de la clientèle.

Quant aux polices municipales, je confirme qu'elles peuvent d'ores et déjà contrôler le respect des interdictions de fumer.

M. Gérard DUBOIS : Il faut que la signalétique soit précise. Lors de l'entrée en vigueur de la loi Évin, nous avons vu apparaître des éléphants bleus et des éléphants verts, et personne ne savait à quoi ils correspondaient, ni ce que souhaitaient ceux qui les avaient inventés. Il existe déjà une signalétique règlementaire, et il faudra veiller à son application. Outre qu'elle sert à informer, la signalétique permet également de dégager le conflit. Lorsqu'une personne souhaite informer une autre que la zone est non-fumeur, plutôt que d'affronter un face-à-face, il suffit de désigner le panneau.

J'aurais voulu répondre à une interrogation de M. Santini, mais il est malheureusement déjà parti...

Je reviens quand même sur l'évaluation des victimes du tabagisme passif qu'il a évoquée. Celle de l'Académie de médecine - qui les a estimées à 3 000 - portait sur les non-fumeurs et prenait en compte l'ensemble des pathologies. Un rapport européen évalue au contraire le nombre de victimes à 1 000 pour les non-fumeurs en France, mais en ne tenant compte que de deux pathologies, et à 5 800, fumeurs et non-fumeurs confondus.

M. Michel RICOCHON : Concernant l'identification du responsable, prenons garde au fait que sur les lieux de travail, la personne qui apparaît physiquement comme la responsable du lieu où l'on travaille n'est pas forcément la personne pénalement responsable.

M. le Président : Certains d'entre vous souhaitent-ils exprimer un message conclusif aujourd'hui ? Le rapporteur va procéder à un certain nombre d'auditions dans les prochains jours...

M. le Rapporteur : Je précise que nous recevrons les représentants des employeurs comme des salariés.

M. le Président : Début septembre, nous organiserons une réunion avec les parlementaires sur les orientations que nous souhaitons donner au rapport, lequel sera ensuite rédigé par le rapporteur. Nous nous réunirons ensuite mi-septembre avec vous pour poursuivre le débat, et fin septembre, les parlementaires se prononceront sur l'ensemble.

Nous avons beaucoup avancé sur divers points, beaucoup d'entre nous ont évolué, et aujourd'hui, tout le monde s'accorde sur la nécessité de revoir notre réglementation, et surtout de poser des règles claires.

M. Gérard DUBOIS : L'Alliance contre le tabac est clairement favorable à une interdiction totale de fumer dans les lieux publics, et préfèrerait la voie législative. Elle est prête à aider à la rédaction de ces textes, et à répondre à toute sollicitation.

M. Bertrand Dautzenberg disait que les demandes d'exemption sont des lieux à exposition particulièrement élevée. Comme je l'ai déjà dit, accepter des exemptions de ce type reviendrait à lever les limites de vitesse dans les virages les plus dangereux afin que les jeunes puissent « s'éclater » tranquillement.

Nous sommes opposés à toutes les exceptions en ce domaine, parce qu'elles ne sont pas justifiables et ne répondent pas aux impératifs de santé publique. Elles sont par ailleurs d'autant moins compréhensibles que l'argument des conséquences économiques et de la baisse du chiffre d'affaires a été abandonné par ceux-là mêmes qui demandaient des exceptions.

L'argument de convivialité pour « s'éclater » dans la fumée de tabac est tout de même une curiosité qui sera difficile à défendre.

Enfin, nous célébrons en 2006 le trentième anniversaire de la loi Veil et le quinzième anniversaire de la loi Évin. Légiférer en la matière tous les quinze ans ne reflète pas un acharnement excessif des parlementaires, mais répond à l'évolution des connaissances et de la société.

Mme Emmanuelle BÉGUINOT : Pour répondre aux inquiétudes de M. Le Pape quant au devenir des bars-tabacs, je propose que l'industrie du tabac reverse les produits d'une taxe additionnelle à ce secteur, en cas de baisse du chiffre d'affaires.

M. Gérard AUDUREAU : Permettez-moi tout d'abord de saluer la qualité des échanges que nous avons eus depuis un mois, notamment grâce à votre management.

Oui à une loi simple, mais pas simpliste, et qui prévoie des sanctions susceptibles d'être appliquées. Et surtout, nous aurons besoin d'une bonne communication, très rapidement, pour faire passer le message.

M. Franck TROUET : C'est vrai, le dispositif actuel est mal appliqué et inadapté. Il n'est pas à même de protéger les individus du tabagisme passif ni les employeurs des actions judiciaires. Il ne répond pas au problème de la discrimination entre les petites et les grandes entreprises.

Pour ces raisons le SYNHORCAT, est favorable à l'interdiction totale de fumer dans les cafés, hôtels et restaurants, grâce à une nouvelle loi, claire et facilement lisible et applicable. Nous souhaitons qu'elle entre rapidement en vigueur, et qu'elle s'accompagne d'une vaste campagne de sensibilisation. Je souhaite par ailleurs qu'une commission soit chargée de veiller à son respect et à son effectivité, et que l'on prévoie de verser une indemnité aux professionnels qui pourraient souffrir de l'application de cette loi.

M. le Rapporteur : Je vais y travailler pendant ces vacances, et je serai attentif à toute proposition écrite que vous pourriez me faire parvenir.

M. le Président : Merci à tous pour votre assiduité, et bonnes vacances.

Table ronde réunissant les experts extérieurs de la mission
réunissant :
M. Vassilis Vovos, président de Japan Tobacco International (JTI) ;
M. Franck Trouet, directeur du service juridique et social du Syndicat national des hôteliers restaurateurs cafetiers et traiteurs (SYNHORCAT) ;
M. René Le Pape, président de la Confédération nationale des débitants de tabac ;
M. Francis Attrazic, vice-président confédéral de l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (UMIH) ;
Professeur Gérard Dubois, président de l'Alliance contre le tabac ;
Professeur Albert Hirsch, vice-président de la Ligue nationale contre le cancer ;
M. Gérard Audureau, président de l'association Droits des non-fumeurs ;
M. Pascal Melihan-Cheinin, chef du bureau des pratiques addictives à la Direction générale de la santé (DGS) du ministère de la santé et des solidarités ;
M. Didier Jayle, président de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT) ;
Docteur Philippe Mourouga, directeur du département « prévention et dépistage » de l'Institut national du cancer et Mme Sylvie Ratte, chargée de mission ;
Professeur Yves Martinet, président du Comité national contre le Tabagisme (CNCT)


(Extrait du procès-verbal de la séance du 13 septembre 2006)

Présidence de M. Claude ÉVIN, président

M. le Président : Je vous remercie de vous être rendus à nouveau disponibles pour cette table ronde. Comme je vous l'avais proposé en juillet, nous avons souhaité réunir le « noyau dur » des experts extérieurs de la mission pour vous permettre, cette fois-ci à huis clos, de réagir librement à la synthèse de nos différentes tables rondes établie par le rapporteur.

Cette synthèse ne saurait être confondue avec les conclusions de la mission, lesquelles seront arrêtées par les parlementaires membres de cette mission. Je tiens à le rappeler car cette note a malheureusement été transmise à des journalistes, et plusieurs quotidiens y ont fait allusion en présentant le document comme des pré-conclusions.

De même, fin août, un quotidien laissait entendre que le ministre avait arrêté ses choix en la matière. Je lui ai téléphoné, et il m'a assuré attendre que la mission parlementaire rende ses conclusions, début octobre.

Je souhaiterais aujourd'hui connaître vos positions et vos propositions sur les trois grandes questions auxquelles la mission doit répondre.

Quel doit être le périmètre exact concerné par le nécessaire renforcement de l'interdiction de fumer dans les lieux publics ? Doit-elle être totale et absolue ? Peut-on prévoir des exceptions ? Si oui, pour quels lieux ? Comment ? De façon temporaire ou non ? Doit-on ou non recourir à des fumoirs ?

Quelles sont les mesures d'accompagnement nécessaires ?

Enfin, faut-il recourir à la loi ou au règlement ?

Je vous signale par ailleurs que nous entendrons le 14 septembre notre collègue Richard Mallié, chargé par le Premier ministre de dresser le bilan du « contrat d'avenir » et de la situation des buralistes, mais aussi le MEDEF le 20 septembre.

M. Pierre MORANGE : Je précise que nous entendrons M. Mallié alors qu'il n'aura pas encore rendu son rapport, prévu pour octobre.

M. le Président : Je rappelle enfin que nous avons auditionné au cours de la deuxième quinzaine de juillet les représentants des discothèques, des casinos, de la direction de la sécurité sociale sur les substituts nicotiniques, de la mutualité française et de l'Office français des drogues et toxicomanies.

M. le Rapporteur : Je m'associe bien évidemment aux propos du président, et j'insisterai tout particulièrement sur la diffusion dans un grand quotidien du soir d'une note de synthèse qui n'était que le reflet de l'ensemble de nos tables rondes. Les parlementaires qui se sont réunis la semaine précédente en ont d'ailleurs souligné la fidélité. Le fait de présenter cette note comme un pré-rapport traduit un manque de respect regrettable à l'égard des représentants du peuple.

Permettez-moi de présenter brièvement cette note de synthèse.

Les six tables rondes de la mission, ouvertes à la presse se sont articulées autour de trois grands thèmes : la nécessité de réformer le régime actuel de l'interdiction de fumer ; le périmètre et les voies juridiques de la réforme - loi ou décret - ; les conditions de sa réussite. L'objectif, qui était de confronter un certain nombre d'opinions, a été atteint.

Parce que le régime juridique actuel, comme les simples règles de respect d'autrui et de courtoisie, ne suffisent plus à protéger convenablement les non-fumeurs, il est apparu évident, à l'issue des deux premières tables rondes, qu'il fallait réformer la législation.

Outre que la loi est mal appliquée, elle présente des faiblesses - la séparation, souvent purement virtuelle, entre les zones fumeurs et non-fumeurs, est inefficace, et ne résout pas le problème de l'exposition des employés au tabagisme passif, ce qui est d'autant plus regrettable que la nocivité du tabagisme passif est aujourd'hui scientifiquement avérée même si l'impact du tabac sur les maladies cardio-vasculaires n'a été compris que dans le courant des années 1990, voire dans les années 2000.

Aucun des participants aux tables rondes de la mission n'a contesté ces évidences scientifiques.

Par ailleurs, les situations d'insécurité juridique risquent de se multiplier depuis l'arrêt de la Cour de Cassation en date du 29 juin 2005, qui soumet l'employeur à une obligation de sécurité de résultat en matière de lutte contre le tabagisme passif.

Les employeurs du secteur privé sont ainsi exposés à la prise d'acte, par un salarié, de la rupture de son contrat de travail du seul fait que son droit à la santé n'est pas assuré.

De surcroît, la cour d'appel de Rennes a jugé en 2004 que le droit de retrait pouvait s'appliquer en matière de tabagisme passif.

Par ailleurs, il n'est pas exclu que la « faute inexcusable » de l'employeur puisse être à l'avenir invoquée auprès des tribunaux de la sécurité sociale comme ce fut le cas pour l'amiante. L'employeur devrait alors rembourser à la sécurité sociale les indemnités journalières de maladie et les frais de santé. Cette insécurité juridique pourrait par ailleurs se doubler d'une insécurité assurantielle.

L'insécurité juridique peut également toucher le secteur public. Un arrêt du tribunal administratif de Paris a déjà condamné l'État à verser 1 000 euros à un fonctionnaire non-fumeur victime d'une mauvaise application de la législation et de la réglementation relative à la lutte contre le tabagisme.

Les employés ne sont pas davantage à l'abri, puisque selon un arrêt de la Cour de cassation, en date du 21 juin 2006, le principe du code civil selon lequel quiconque cause un dommage à autrui doit réparation s'applique également en matière de droit au travail. Des employés non fumeurs pourraient donc assigner non plus seulement l'employeur mais également leurs collègues.

Enfin, par parallélisme avec la jurisprudence administrative relative à la responsabilité de l'État en matière d'amiante, il n'est pas exclu qu'une faute puisse être invoquée à l'encontre de l'État du fait de sa relative carence à faire appliquer la réglementation relative à la protection contre le tabagisme passif.

A l'issue des deux premières tables rondes s'est progressivement dessiné un accord, y compris de la part d'acteurs économiques initialement réservés, pour durcir le régime actuel.

Cela étant, chacun s'accorde à ne pas vouloir interdire totalement le tabac. Si le droit des non-fumeurs à ne pas être exposés contre leur gré à la fumée a été unanimement reconnu, les choses sont plus disputées pour la protection des fumeurs.

Tout le monde est convenu de la nécessité d'interdire totalement de fumer dans les lieux fermés affectés à un usage collectif, ou constituant un lieu de travail, mais la question s'est posée pour certains établissements spécifiques, comme les établissements de soins, les établissements médico-sociaux et les établissements pénitentiaires. Il est cependant apparu qu'il n'était pas souhaitable de traiter les gens différemment suivant les lieux fréquentés, d'autant que les pays qui ont prévu ce type d'exception sont en train de faire marche arrière.

Un accord s'est aussi progressivement dégagé au sein de la mission pour écarter toute possibilité d'exceptions permanentes.

L'UMIH, initialement opposée à l'interdiction totale de fumer dans les lieux fermés, a fini par reconnaître qu'il ne devait plus être autorisé de fumer dans tout lieu où travaillent des salariés. Elle réclame cependant encore la liberté pour le propriétaire des lieux de se déclarer lieu fumeur ou non fumeur quand il n'y a pas de salarié.

De son côté, la Confédération nationale des débitants de tabac, qui demandait à l'origine une dérogation permanente pour les « tabacs humides », n'a ensuite réclamé qu'une dérogation temporaire d'environ cinq ans, pour permettre à la profession de s'adapter.

Le Syndicat national des discothèques et des lieux de loisirs s'est déclaré prêt à collaborer à la mise en place d'une interdiction totale.

Seul le Syndicat des casinos de France s'est fermement opposé à cette interdiction totale, qui condamnerait, selon lui, le secteur. Il propose de réfléchir à l'amélioration de la ventilation.

La mission ne s'est pas montrée favorable à l'usage de fumoirs, comme il en existe déjà en Italie, en Espagne, en Suède, en Belgique ou aux Pays-Bas. Il serait de toutes manières exclu, au regard de l'exigence de sécurité de résultat, que des salariés soient contraints d'y exercer leur service pendant que des gens y fument. Même dans l'hypothèse de fumoirs hermétiquement clos dans lesquels les salariés ne pénétreraient pas, de nombreux participants ont douté de pouvoir faire respecter l'obligation de sécurité de résultat, des fuites pouvant se produire lors de l'ouverture et de la fermeture des portes.

Enfin, le coût de ces fumoirs étant relativement élevé, des distorsions de concurrence pourraient naître entre petits et grands établissements.

Pour certains lieux ouverts, comme le jardin de l'hôpital psychiatrique, la cour de l'établissement pour handicapés adultes très perturbés, ou la cour de prison, la question de l'interdiction de fumer reste posée.

Les travaux de la mission ont montré que le choix entre la loi ou le décret restait largement ouvert.

Sur le plan constitutionnel, il semble qu'il n'y ait aucun risque à renforcer la législation anti-tabac car la décision du 8 janvier 1991 du Conseil constitutionnel démontre que, si le principe de la protection de la santé publique doit être concilié avec d'autres principes constitutionnels, comme la liberté d'entreprendre ou la liberté individuelle, il est possible d'aller très loin dans la limitation de ces libertés.

Il est aussi possible de faire beaucoup par décret, sauf de prendre une mesure d'interdiction totale de fumer. Surtout, si la voie règlementaire était choisie, les décrets ne pourraient être rédigés que sur la base de la loi actuelle. Si le membre de phrase « sauf dans des emplacements expressément réservés aux fumeurs » demeure dans la loi, aucun décret ne pourra interdire complètement de fumer dans les lieux publics.

Longtemps neutre quant au choix des moyens juridiques, l'Alliance contre le tabac s'est clairement prononcée pour la voie législative.

Au-delà, la réussite de la réforme dépend des mesures d'accompagnement et du renforcement des contrôles et des sanctions.

La communication est l'un des facteurs de réussite du changement de législation, et l'accompagnement des professionnels est essentiel.

Un plan d'aide aux buralistes, le « contrat d'avenir », lancé dès le 1er janvier 2004, court jusqu'au 31 décembre 2007. Il conviendrait de le compléter en fonction des orientations retenues par la réforme, notamment par l'introduction d'une clause de « revoyure », et par l'attribution de nouvelles missions de service public.

Ces mesures d'accompagnement ont reçu un accord unanime, car le buraliste a signé un traité de gérance avec l'État, lequel a, par une décision unilatérale, affecté l'équilibre du commerce.

Enfin, parce que la lutte contre le tabagisme passif ne doit pas être perçue comme une répression ou une stigmatisation des fumeurs, il faut que ces derniers se voient proposer une aide au sevrage - renforcement des consultations hospitalières de tabacologie, éventuellement vente de substituts nicotiniques par les débitants de tabac, ce qui supposerait de lever, par une mesure législative, le monopole des pharmacies sur la distribution de ces produits.

En second lieu, un accord se dessine pour renforcer les contrôles et les sanctions.

Les contrôles doivent tout d'abord être plus efficaces. Les travaux de la mission ont notamment mis en évidence que l'extension du pouvoir de rechercher des infractions à la loi Évin aux inspecteurs du travail, aux médecins inspecteurs de la santé publique, aux inspecteurs de l'action sanitaire et sociale et aux ingénieurs du génie sanitaires, était largement inopérante faute de mise en œuvre de la procédure d'habilitation et d'assermentation de ces agents. Un décret est depuis plusieurs années en cours d'élaboration en concertation avec le ministère de la justice et n'aboutit pas.

La lutte contre le tabagisme ne semble être d'ailleurs la priorité d'aucun corps de contrôle, lesquels ne disposent pas toujours des moyens matériels et humains pour assurer leurs tâches.

Enfin, certains participants, comme le SYNHORCAT, demandent qu'à l'instar de l'Irlande et de son agence de contrôle du tabac, soit créé un corps de contrôle spécifique pour réprimer les clients qui fument lorsque c'est interdit, afin notamment de décharger les employeurs d'une obligation de répression difficilement praticable dans le cadre d'une relation prestataire-client.

Beaucoup estiment qu'il est nécessaire de procéder à de nombreux contrôles dans les six mois qui suivent la modification de la réglementation.

Pour la plupart des acteurs, des sanctions exemplaires et immédiates sont nécessaires. Dans la mesure où le Parquet ne prend pas l'initiative d'actions en justice et que le délai de comparution en justice est trop long, les contraventions apparaissent comme le mode de sanction le plus adapté - dans cet esprit, le recours aux amendes forfaitaires semble le meilleur moyen de renforcer les sanctions.

En conclusion, s'il serait excessif de parler de « projet de société », comme l'a fait l'IGAS - 90% de l'exposition au tabagisme passif a lieu au domicile - il est clair que notre travail doit s'intégrer dans un projet plus vaste de santé publique, de lutte contre l'addictologie - tabac, alcool, et autres substances toxiques -, avec un budget à la hauteur des objectifs.

M. le Président : M. le rapporteur s'est essayé à un exercice de synthèse, il vous appartient à présent de nous dire si vous vous y retrouvez ou non, et de répondre aux trois questions que j'ai posées en introduction.

M. Gérard DUBOIS : Merci pour ces propos introductifs et pour cette note de synthèse, dans laquelle nous retrouvons la position de l'Alliance.

Celle-ci a été très clairement rappelée en août : la liberté pour tous les Français de respirer un air pur non pollué par le tabac est un droit, qui a même été reconnu juridiquement.

Cela passe par l'interdiction totale de fumer, sans aucune exception, dans tous les lieux de travail ou publics, clos ou couverts - je rappelle qu'un quai de gare est un lieu couvert, mais pas forcément clos.

La voie législative nous paraît préférable, et nous demandons une annonce rapide et efficace, applicable dans les quelques mois, la création d'un corps de contrôle spécifique, ainsi que des sanctions directes, immédiates et dissuasives, comme les amendes forfaitaires.

Je rappelle qu'un simple décret laisserait la possibilité d'emplacements expressément prévus par la loi.

Permettez-moi juste de regretter au passage le choix de la date du 4 octobre pour la présentation des conclusions de la mission, qui est le lendemain de la conférence nationale de santé. Il est dommage que l'annonce n'intervienne pas avant.

Par ailleurs, il a été annoncé officiellement au Congrès mondial de la santé, à Washington, qu'au moment où le rapport de l'agence de protection de l'environnement californien serait rendu public, fin septembre ou octobre, l'OMS appuierait l'existence d'un lien avéré entre le cancer du sein et le tabagisme passif, ajoutant cette maladie à la liste des maladies dues au tabagisme passif, au même titre que le cancer du poumon ou l'infarctus du myocarde.

Je rappelle aussi qu'en août, les cigarettiers sur le marché américain ont été sévèrement condamnés dans les termes - malheureusement pas dans les peines -, notamment pour avoir caché et nié les effets du tabagisme passif.

Enfin, j'aimerais savoir d'où le rapporteur tient son chiffre de 90 % d'exposition dans les lieux privés ?

M. le Rapporteur : Il est tiré d'un rapport européen de juin 2005, rédigé par le Smoke Free Partnership, et auquel l'INCa a participé.

Mme Sylviane RATTE : L'analyse du rapporteur n'est pas tout à fait exacte, mais il est vrai que le rapport a souligné la forte exposition au tabagisme passif au domicile.

M. Philippe MOUROUGA : En fait, ces 90 % ne correspondent pas à l'exposition elle-même, mais à la part attribuable à la conséquence de l'exposition.

M. Gérard DUBOIS : L'interdiction de fumer sur les lieux de travail, et dans les lieux publics fait baisser le tabagisme au domicile, et non l'inverse, comme le suggère notamment l'industrie du tabac.

M. Francis ATTRAZIC : Je tiens à dire que nous sommes contre le principe d'interdiction, qui ne répondra pas aux problèmes de société ou de santé publique. Mais nous sommes légalistes, et donc conscients de notre responsabilité. Comme tels, nous sommes prêts à nous engager dans des opérations de sensibilisation et à appuyer chez nos professionnels les dispositions prises par le Gouvernement.

Les CHR, cafetiers, hôteliers et restaurateurs, ne veulent pas être montrés du doigt et devenir un exutoire aux problèmes de santé publique, en donnant à tous bonne conscience sur un sujet qui concerne l'ensemble de la société.

Les arguments qui appuient cette campagne d'interdiction totale dans les CHRD ont été présentés de façon partiale et dénaturent la réalité des faits.

S'agissant tout d'abord de l'opinion publique, elle ne semble pas si nettement favorable à l'interdiction totale de fumer dans les établissements recevant du public. D'autres sondages sont en cours.

Par ailleurs, le chiffre de 5 000 victimes a frappé les esprits, alors que le décompte est très différent selon les intervenants. En tout état de cause, ce chiffre, quel qu'il soit, n'est pas à imputer aux CHRD. Les causes du tabagisme passif sont multiples, la principale semblant être le tabagisme passif au domicile.

Les objections sur l'efficacité des systèmes de ventilation mettent en objectif le risque zéro. Or, sauf à interdire carrément à la vente le tabac - et encore... -, le risque zéro est un leurre.

Il est exact que l'arrêt de la Cour de cassation a interpellé la profession. Je rappelle pourtant que la loi Évin nous permet dans certains cas de déroger à l'interdiction générale de fumer pour nos établissements recevant du public, à condition de respecter des normes d'affichage et de ventilation. Il a toujours été dit et affirmé que si l'employeur ne pouvait engager ces travaux, son établissement devait être non fumeur.

À l'inverse, le chef d'établissement peut créer une zone fumeur s'il respecte les obligations légales.

Concernant le salarié non-fumeur servant dans la zone fumeur, si l'arrêt de la Cour de cassation du 29 juin 2005 a pu soulever quelques interrogations, il n'en demeure pas moins que le législateur a mis en place un régime dérogatoire, à condition de respecter des normes de ventilation permettant le renouvellement de l'air et de protéger les personnes situées dans la zone fumeur, c'est-à-dire les fumeurs eux-mêmes, les non-fumeurs qui pourraient les accompagner, et le personnel.

Dans la mesure où l'employeur applique la loi, en faisant respecter les zones non-fumeurs, et en assurant la ventilation des zones fumeurs, sa responsabilité ne devrait pas être mise en cause.

Quant aux conséquences économiques, elles sont évidentes, surtout pour les petites structures et les bars, comme en témoigne l'expérience des différents pays ayant adopté ce type de mesure.

L'UMIH a été invitée à s'exprimer sur cette mesure d'interdiction totale, ce qui l'a conduite à se retrouver dans une position d'accusée, voire même à subir des attaques injustifiées sur sa politique de partenariat avec ses différents fournisseurs.

En conclusion, nous sommes toujours opposés à une interdiction totale de fumer dans les CHRD. Nous sommes favorables à des dérogations qui, mises en place dans de nombreux pays européens, ont montré qu'elles pouvaient grandement améliorer la cohabitation des fumeurs et des non-fumeurs.

Nous tenons à ce que ces dérogations soient applicables à l'ensemble des CHRD, sans discrimination.

Les techniques de ventilation et d'aération ont progressé ces dernières années, et peuvent permettre de diminuer sensiblement les nuisances.

L'initiative espagnole, qui consiste à laisser le choix aux professionnels de déterminer si leur établissement sera fumeurs ou non-fumeurs en deçà de 100 m2 nous paraît intéressante.

Les mesures d'accompagnement d'une nouvelle loi devront être proportionnelles à son contenu et à ses nouvelles obligations - sensibilisation, prévention, perte de chiffre d'affaires.

Puisque notre objectif est de concilier, dans un souci de santé publique, la liberté de fumer et la sécurité des non-fumeurs, l'État devrait participer au développement et à la mise en place du matériel adéquat.

M. le Président: Quelles seraient ces dérogations applicables à l'ensemble des CHRD, par rapport au décret actuel ? Vous devrez préciser votre position.

M. Jean-Claude LEMOINE : Mes propos vont vous étonner, et je crains d'apparaître comme le mauvais petit canard, d'autant plus que j'ai été médecin pendant un certain nombre d'années.

S'agissant en effet des nouvelles connaissances scientifiques, si nous devons les respecter, nous ne devons pas pour autant oublier qu'en ce domaine, les évolutions sont rapides. Ainsi, s'il y a quelques mois, les traitements hormonaux étaient mis en cause dans la survenue de certains cancers, ils pourraient aujourd'hui les empêcher ! Nous devons faire preuve de recul en la matière.

C'est vrai, personne n'a le droit, par son comportement, de nuire à autrui, et nous devons protéger la santé de nos concitoyens. Encore faut-il que ce soit avec leur accord ! Nous devons les responsabiliser, non les infantiliser.

Beaucoup de ce qui vient d'être dit m'inquiète, car si nous continuons ainsi, nous ne pourrons plus même boire un verre de whisky, ni fumer un cigare, à notre domicile ! J'en viens à me demander si nous pourrons encore vivre avec notre femme !

Quant aux arrêts de la Cour de cassation, je suis persuadé que nous pourrons y répondre autrement. Il existe beaucoup de métiers dangereux que des gens acceptent de faire, et qui sont accompagnés et compensés en conséquence.

Certains refusent encore toute exception à l'interdiction de fumer, mais que vont devenir ces petits commerces « bar-tabac-alimentation », qui restent les seuls commerces encore ouverts dans des villages dépeuplés, tenus neuf sur dix par une seule personne, et pour bien moins que le SMIC ? 69 % d'entre eux sont voués à la disparition si une mesure d'interdiction totale de fumer était prise, du fait de la baisse de leur chiffre d'affaire.

Il me semble indispensable de permettre certaines dérogations.

M. Gérard AUDUREAU : Monsieur Attrazic, je ne mets pas en doute votre bonne foi personnelle, mais j'ai là le document que votre association a distribué à l'ensemble des restaurateurs de France, il y a moins d'un an.

Vous leur écrivez ainsi que si leur installation n'est pas aux normes, ils doivent procéder à des améliorations, mais vous ne leur dites pas que sans le respect de ces normes ils doivent être des établissements non fumeur.

Vous ajoutez qu'en fonction de leurs locaux, ils peuvent organiser les espaces fumeurs et non fumeurs comme bon leur semble, sans séparation, sans cloisonnement, sans limitation de surface. « Laissez les habitudes de votre clientèle fidèle guider vos options » écrivez-vous. C'est exactement le contraire de ce que vous venez de nous dire ! Vous n'avez absolument pas la volonté de demander aux restaurateurs de n'envisager la possibilité d'organiser des espaces pour les fumeurs que dans le principe général de l'interdiction de fumer dans leurs établissements.

M. Francis ATTRAZIC : M. Audureau joue sur les mots. S'agissant des aménagements, il n'est pas évident de donner des consignes. Il faut prendre en compte les évolutions technologiques en matière de ventilation, et laisser les chefs d'entreprise aménager leur espace au mieux, surtout dans les zones difficiles.

N'oubliez pas que l'UMIH représente 80 % des personnes syndiquées, et ce dans toute la France, pas seulement en région parisienne. Et ils ne sont pas favorables à une mesure d'interdiction totale, d'autant plus que le risque zéro n'existe pas.

M. Vassilis VOVOS : Notre objectif n'est pas aujourd'hui de relancer le débat.

Si j'avais au début le sentiment que ces tables rondes avaient pour objectif de mener un travail pédagogique pour tenter d'équilibrer les différents avis - même si une large majorité penchait pour une interdiction totale -, je constate aujourd'hui qu'aucune des propositions faites pour mitiger cette démarche n'a été retenue. Nous n'avons pas su vous convaincre qu'une autre voie était possible.

S'agissant de cette note de synthèse, outre qu'elle comporte quelques contradictions, on n'y retrouve pas tout ce qui a pu être dit. La majorité des pays européens n'ont ainsi pas pris une telle mesure d'interdiction, mais ce point n'a pas été mis en valeur. On ne retrouve pas davantage les appels des experts à trouver un équilibre reflétant davantage les aspirations de la société.

Quant à l'interdiction de zones fumeurs dans les entreprises, je n'ai encore rien entendu qui puisse me convaincre du bien-fondé de cette décision.

Interrogé sur France Inter, Gérard Dubois a déclaré que pour protéger les non-fumeurs, il fallait faire baisser la consommation de tabac, et à cette fin, gêner au maximum les fumeurs. La protection des non-fumeurs, que nous approuvons tous, est ainsi tournée en bataille idéologique, et les fumeurs stigmatisés. Je crois au contraire qu'une décision ne sera bien appliquée qu'à condition d'être bien comprise, ce qui ne sera pas le cas d'une interdiction totale.

M. le Rapporteur : Les procès-verbaux de chacune des tables rondes comportaient une cinquantaine de pages, soit trois cents pages au total, dont j'ai fait une note de synthèse pour vous en éviter la lecture ingrate. Comme il se doit, cette note ne pouvait être exhaustive, et toutes les déclarations ne pouvaient être intégralement reportées.

M. le Président : Je précise que dans le rapport qui sera rendu public, nous publierons les procès-verbaux des auditions.

Je tiens par ailleurs à vous dire que ma position a également évolué. Si je pensais au départ que nous pourrions nous inspirer des réglementations européennes, qui prévoient des exemptions, j'estime aujourd'hui qu'il est préférable d'adopter une position claire, et notamment de ne pas autoriser les fumoirs comme en Italie, où règne une certaine hypocrisie puisque, tout en les autorisant, tout est fait pour en limiter le nombre du fait de leur coût.

Mme Josiane BOYCE : Députée du Morbihan, j'ai visité, à la demande de la Fédération des buralistes et des cafetiers de Bretagne, quelques bureaux de tabac et cafés. Les gens sont conscients des problèmes de santé publique, et craignent les conséquences des arrêts de la Cour de cassation.

Par ailleurs, si une loi d'interdiction totale était prise, ils souhaiteraient disposer d'un peu de temps pour se retourner. Ils en appellent également à des mesures compensatoires, et notamment des monopoles, pour répondre au problème de leur baisse d'activité.

Quant au contrat d'avenir, cela fait dix ans qu'ils l'attendent !

M. Franck TROUET : Je tiens à vous remercier, au nom de notre président qui s'excuse de ne pouvoir participer à cette dernière journée de débats, pour la qualité des débats et de l'écoute dont chacun a fait preuve.

Tout comme M. Évin, notre organisation a évolué.

Nous sommes favorables à une interdiction de fumer par une loi simple, claire et sans exception.

Le message est en effet suffisamment important pour être porté par une loi. Celle-ci doit être simple et claire, pour tirer les leçons de la loi Évin, sujette à discussion et interprétation.

Enfin, nous sommes défavorables à toute exception car, outre qu'il s'agit d'un problème de santé publique, nous devons tenir compte des arrêts de la Cour de cassation. Surtout, des exceptions en faveur des bars-tabacs pourraient exposer les professionnels que nous représentons à une concurrence frontale.

Trois sujets de préoccupations demeurent. S'agissant tout d'abord de la responsabilité, si celle des employeurs et des fumeurs qui ne respecteraient pas l'interdiction a été envisagée, quid de celle des donneurs d'ordre ?

Les traiteurs que nous représentons organisent ainsi des réceptions dans des lieux qui ne leur appartiennent pas, par exemple au domicile du donneur d'ordre. Que se passera-t-il si le donneur d'ordre ne fait pas respecter l'interdiction par ses invités ?

Pour ce qui est du fonds d'indemnisation, dont nous avons déjà parlé, je rappelle qu'il n'aurait pas pour seule vocation d'indemniser les victimes de maladie, mais également les professionnels qui pourraient subir les conséquences d'une mesure d'interdiction - je pense en particulier aux bars d'ambiance, boîtes de jazz, etc.

Enfin, le rapporteur a fait état d'une clause de revoyure, mais je serais plutôt favorable à la mise en place d'une véritable commission de suivi pendant deux ou trois ans, pour que nous puissions régulièrement nous réunir, et réfléchir aux difficultés qui pourraient survenir.

M. Albert HIRSCH : Je suis heureux d'intervenir après le président du SYNHORCAT, car ses propos, qui nous satisfont pleinement, illustrent les progrès qu'a permis le travail de la mission parlementaire.

Vous avez entendu de la bouche du président de l'Alliance la position de l'Alliance, qui est claire, unanime et ferme.

Loin de moi l'idée de polémiquer avec qui que ce soit dans cette pièce, les enjeux sont trop importants, mais permettez-moi de citer Laurent Fabius qui a dit, lors de notre première réunion : « Nul ne peut maintenant ignorer les effets sur la santé du tabagisme actif et passif ». Monsieur Lemoine, je vous rappellerai que les conclusions dont vous parliez sont celles d'instances internationales, relayées par l'Institut national du cancer, et qu'elles établissent de manière avérée des conclusions scientifiques qui n'ont plus à être discutées.

S'agissant enfin du calendrier, je me réjouis qu'il soit réaliste, et il devra être tenu, car nous devons respecter les étapes. Celle d'aujourd'hui est de déterminer si nous voulons ou non poser des exceptions au principe de l'interdiction de fumer, et si nous aurons recours à une loi ou à un décret.

Une fois les conclusions rendues publiques, il restera un gros travail, qui dépendra du calendrier proposé par le Gouvernement.

M. René LE PAPE : Ce rapport de synthèse me convient, en ce sens qu'il reprend notre demande de dérogation. Du temps doit être laissé aux buralistes pour s'adapter et pour investir dans de nouvelles activités. Nous attendions beaucoup des contrats d'avenir, mais ils n'ont pour l'instant pas rempli leurs promesses.

Je tiens à ce que le dispositif d'aide et de compensation soit acté dans le rapport, car je m'inquiète que rien de sérieux ne soit pour l'instant budgété.

Enfin, sachez que le 5 octobre se tiendra le congrès des buralistes de France...

M. Gérard DUBOIS : Je ne vois pas comment nous pourrons réduire la consommation de tabac et maintenir les ventes. Il y a là une contradiction.

Je ne vois pas davantage comment il pourrait y avoir des monopoles de vente dans des lieux qui demandent un monopole d'exposition à la fumée de tabac !

M. le Président : Vous êtes trop cohérent !

M. Gérard DUBOIS : C'est une conception curieuse de la convivialité que le partage d'un carcinogène !

Enfin, il est vrai que j'ai à plusieurs reprises, en août, déclaré que l'interdiction de fumer dans les lieux publics était un moyen de diminuer la consommation de tabac, mais sachez également que j'ai réagi vivement à cette affaire irlandaise dans laquelle un employeur avait scandaleusement refusé d'engager un fumeur !

M. Jean-Claude LEMOINE : Je ne veux pas polémiquer avec un grand professeur de médecine, mais je réaffirme que nombre d'affirmations scientifiques se sont révélées fausses une décennie après.

Ainsi, dans mon département, des études ont pu affirmer que les zones autour de La Hague étaient cancérigènes, avant que l'on s'aperçoive des années après qu'il n'en était rien.

Cela étant, je n'ai jamais nié les effets sur la santé du tabagisme actif ou passif.

M. Gérard CHERPION : Devons-nous condamner le tabagisme de façon globale ? Si nous nous dirigeons vers une interdiction totale de fumer dans les lieux publics, nous devrons prendre des mesures d'accompagnement. Tant que le tabac pourra être acheté librement, nous ne devrons pas stigmatiser les fumeurs, mais au contraire accompagner ceux qui désirent mettre fin à leur addiction.

Nous devrons également accompagner les professionnels, dont certains survivent grâce à la vente de tabac.

Enfin, une clause de revoyure apparaît effectivement indispensable.

M. Yves MARTINET : C'est vrai, Monsieur Lemoine, la connaissance ne cesse d'évoluer, et encore cet été, puisqu'une étude a fait apparaître que sur près de 100 000 personnes suivies dans plusieurs pays européens, le risque d'infarctus est augmenté de 25 % pour une personne exposée entre une et sept heures par semaine au tabagisme passif, et de 60 % quand la personne est exposée plus de 21 heures - ce qui reste inférieur aux 35 heures...

M. le Rapporteur : Si l'objectif était le risque zéro, nous aboutirions à la prohibition, soyons-en conscients.

S'agissant par ailleurs du calendrier, je n'ai pas évoqué - mais elle existe - la question de l'ordre du jour politique et électoral, sachant que le texte devra être adopté, si nous recourons à une loi, dans les mêmes termes par les deux assemblées.

M. le Président : Chacun reconnaît que la législation actuelle n'est pas bien appliquée, et qu'il convient aujourd'hui de la réformer. L'une des critiques fut notamment le manque de lisibilité, notamment du fait du maintien d'espaces fumeurs.

Loi ou décret ? Indépendamment d'éléments d'appréciation politique, je rappelle que la législature se terminera fin février ou début mars.

S'agissant des mesures d'accompagnement, d'autres travaux sont en cours sur ce sujet, mais nous ne devons pas mélanger la réflexion et la décision à prendre concernant l'interdiction de fumer dans un objectif de protection des non-fumeurs, avec la problématique d'ensemble de baisse de la consommation de tabac, qui aura des conséquences économiques.

Pour ce qui est du délai d'application, il doit permettre aux professionnels de s'adapter, sans pour autant être trop long pour ne pas ruiner l'efficacité du dispositif.

M. le Rapporteur : Ce sujet n'est que l'élément d'un tout, au sein d'un projet global de santé publique, de lutte contre les addictions. En conséquence, l'exécutif doit spectaculairement majorer les financements, notamment de prévention.

M. le Président : Je précise que nous rendrons les conclusions le 3 octobre et que la présentation du rapport de la mission à la presse aura lieu le 4 octobre.

Je vous remercie.

Audition de M. Richard Mallié, député des Bouches-du-Rhône,
chargé d'une mission temporaire auprès de MM. Renaud Dutreil, ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et des professions libérales, et de M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l'État, porte-parole du Gouvernement, sur la situation économique du réseau des buralistes


(extrait du procès-verbal de la séance du 14 septembre 2006)

Présidence de M. Claude ÉVIN, président

M. le Président : Nous recevons M. Richard Mallié, député des Bouches-du-Rhône, qui a été chargé, le 16 juin dernier, dans le cadre des dispositions de l'article LO 144 du code électoral, d'une mission temporaire auprès du ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et des professions libérales, et du ministre délégué au budget et à la réforme de l'État, porte-parole du Gouvernement, pour analyser la situation économique du réseau des buralistes, l'adéquation des aides aux difficultés financières des débitants et élaborer des scenarii d'avenir d'évolution du contrat d'avenir à l'horizon 2008, questions qui concernent naturellement notre mission d'information.

A l'issue des précédentes tables rondes que nous avons organisées avec l'ensemble des acteurs, l'idée générale se dégage que, pour des raisons de santé publique et eu égard à l'évolution de la jurisprudence, il est nécessaire d'aller vers un renforcement de la réglementation. Mais les conséquences économiques ont aussi été évoquées devant nous. Ainsi, M. René Le Pape, hier, a répété qu'il n'était pas opposé au principe de renforcement de la réglementation mais qu'il préconisait un délai d'adaptation suffisant pour permettre aux professionnels de faire face à l'évolution de leur activité. Il convient de concilier les préoccupations de santé publique avec les enjeux économiques et d'aménagement du territoire et nous avons bien senti combien les professionnels attendaient des mesures d'accompagnement.

Nous rendrons nos conclusions début octobre, c'est-à-dire avant la fin de vos travaux, de sorte que, même si nous abordons les mêmes sujets, il est bien entendu que nous ne pourrons pas intégrer vos propositions à notre réflexion. Mais il était intéressant d'avoir d'ores et déjà vos impressions sur la mission dont vous êtes chargé.

M. Richard MALLIÉ : Je ne compte effectivement pas rendre mes conclusions avant la première semaine de décembre ayant commencé fin juin début juillet. J'ai auditionné plusieurs personnes à Paris, mais étant élu de terrain, je ne me contenterai pas de ce qui se dit à Paris et j'entreprends un tour de France qui va me conduire du Nord aux départements pyrénéens en passant par la frontière Est avec l'Allemagne, la Suisse, le Luxembourg et la Belgique.

Si je ne suis par conséquent pas encore à même de vous délivrer mes conclusions, je puis d'ores et déjà vous dire que la situation des buralistes, prise globalement, n'est pas mauvaise, sauf pour les frontaliers, dont le chiffre d'affaires, entre 2002 et 2005, a parfois chuté de 65 ou 66 %.

Il existe deux catégories de bureaux de tabac : les tabacs dits « secs » ou civettes et les tabacs dits « humides » ou bars-tabacs. Tous les professionnels, ceux des tabacs secs comme des tabacs humides, constatent une baisse du volume de leurs clients : les ventes légales, en France, ont diminué. Sur ce point, il faut préciser que les chiffres publiés le mois dernier sur la hausse de la consommation de tabac ne portaient que sur les ventes légales, dans les bureaux de tabac. Les buralistes proches de la frontière espagnole ont ressenti la mesure française de fin 2005 limitant à cinq par véhicule le nombre de cartouches qu'il est possible de faire entrer en France. Les ventes ont donc progressé, mais on ne sait pas si la consommation a augmenté pour autant. En tout cas, de 2000 à 2005, le taux de fumeurs est passé de 33,1 à 29,1 %, soit une baisse de 10 % en cinq ans.

Dans tous les établissements où je me suis rendu, hormis dans une civette et un bar-tabac, l'idée d'une interdiction de fumer dans les lieux publics provoque un tollé : pourquoi interdire la consommation de produits dans les locaux mêmes où ils sont vendus ? D'après un sondage TNS-Sofres commandé par la Confédération nationale des débitants de tabac, la majorité de la profession est favorable au maintien de l'autorisation de fumer dans les bars-tabacs, voire dans les cafés.

Étant moi-même fumeur, je peux vous dire que l'état d'esprit des fumeurs a évolué : ils manifestent une courtoisie et un civisme beaucoup plus grand qu'auparavant et, même en zone fumeurs, ils n'hésitent plus à demander à leur voisin ou à leur voisine si la fumée le ou la dérange, voire à se lever pour aller fumer dehors. J'ai donc l'intime conviction que l'intolérance est passée des fumeurs aux non-fumeurs. Plutôt que de supprimer encore une liberté, n'aurions-nous pas intérêt à inciter au civisme, à la courtoisie et surtout à l'information ? Une étude récente montre que les jeunes fument moins mais consomment davantage de substances illicites ; ce phénomène ressemble à un « effet prohibition ».

Les cafés-hôtels-restaurants, revendeurs légaux de tabac, assurent 5 % du chiffre d'affaires global des buralistes et jusqu'à 30 % pour certains d'entre eux, qui craignent de perdre cette clientèle.

En ce qui me concerne, je suis plutôt partisan d'une dérogation pour les établissements volontaires : chaque responsable déciderait d'y autoriser ou non la consommation de tabac. En effet, tous les établissements ne sont pas comparables. Dans les petits bars-tabacs de campagne, tenus par un couple, si les clients ne peuvent plus fumer sur place, ils iront acheter leur paquet de cigarettes et boire leur café ailleurs, ce qui causera une double perte pour le commerçant. En outre, l'ancien maire que je suis s'interroge sur les moyens de faire appliquer une telle interdiction : le temps que la police ou la gendarmerie nationale arrive, le fumeur aura fini sa cigarette. Est-ce vraiment leur mission ? En Espagne, l'interdiction de fumer est limitée aux établissements disposant d'une surface supérieure à 100 mètres carrés ; cette idée me semble intéressante et mérite d'être creusée.

M. le Président : Il serait utile, pour éclairer la mission d'information, que vous nous indiquiez quelle appréciation vous portez sur la situation économique réelle des débitants de tabac ainsi que sur les mesures en vigueur ou sur les mesures à prendre pour les aider. Quant à leur opposition à l'interdiction, nous la connaissons, le président de la Confédération nationale nous l'ayant répété à chaque réunion. L'impact du tabac sur la santé publique doit être pris en considération et des mesures s'imposent, mais il faudra accompagner les secteurs d'activité qui en subiront les conséquences.

M. Pierre MORANGE, rapporteur : Ces premières impressions de notre collègue Richard Mallié, quoique non conclusives, sont fort intéressantes. Si une décision unilatérale d'interdiction était prise, soit par la loi, soit par le règlement, son impact sur le chiffre d'affaires et la marge bénéficiaire serait tel qu'il conviendrait effectivement de l'assortir de mesures d'accompagnement, dont la hauteur reste à déterminer.

Quelle part la vente de tabac représente-t-elle dans les revenus des débitants ? Quelle est son évolution ? Diffère-t-elle entre les tabacs secs et les bars-tabacs ?

Quelle est la part de l'économie « grise » ou informelle sur le marché du tabac, qu'il s'agisse des transactions par Internet, de la contrebande ou de la revente transfrontalière, notamment par le truchement des routiers ?

Peut-on estimer les conséquences financières qu'aurait une interdiction totale de fumer sur le chiffre d'affaires et la marge tabac, en distinguant là encore bars-tabacs et tabacs secs ?

Il vous sera certainement malaisé, à ce stade, de répondre précisément à ces questions, mais il est intéressant de dégrossir le sujet. La mission d'information a souligné la nécessité impérieuse de prendre des dispositions financières pour tenir compte d'un éventuel impact sur les marges bénéficiaires et les chiffres d'affaires des différents professionnels, et le principe d'une clause de revoyure - un rendez-vous annuel - a été unanimement validé.

Enfin, existe-t-il une tendance européenne générale au tassement de la vente de tabac ? Validez-vous le taux de 5 %, souvent évoqué pour les tabacs secs comme pour les tabacs humides, notamment en Italie, ou bien avez-vous le sentiment que la baisse, en France, serait plus significative ?

M. Richard MALLIÉ : Il m'est extrêmement difficile de répondre à cette question car, en recueillant des témoignages, j'ai entendu tout et son contraire. Je dispose des chiffres de 2005, pas encore de ceux de 2006.

Les civettes déclarent un chiffre d'affaires hors taxes 1,756 milliard d'euros, dans lequel les remises pour tabac représentent 38,5 %, la Française des Jeux et le PMU 4,6 %, la presse 5,7 %, les télécartes 30,5 %, les autres ventes au détail - papeterie, confiserie et produits alimentaires - 20 %, et les produits de La Poste, timbres fiscaux et titres de transport 0,7 %.

Dans les bars-tabacs, l'activité café, hôtel et restaurant représente 42,8 %, les remises sur tabac 19,5 %, la Française des Jeux et le PMU 6,7 %, les livres, les journaux et la papeterie 1,3 %, les remises sur vignettes, titres de transport et télécartes 20,5 %, les autres ventes au détail 9,2 %, pour un montant déclaré total de 2,585 milliards en chiffre d'affaires hors taxes.

Pour le tabac et les timbres, les chiffres ne concernent pas le chiffre d'affaires mais uniquement les remises pour gestion, c'est-à-dire la marge brute des débitants, leur rémunération.

Les ventes de tabac jouent donc pour 38,5 % des revenus des civettes et pour 19,5 % de ceux des bars-tabacs. Je ne peux pas encore estimer l'ampleur de ce que j'appelle les « effets collatéraux » sur les autres activités mais je pourrai vous le dire une fois mon tour de France achevé.

M. le Président : L'interdiction de fumer aurait indéniablement un effet sur les ventes de tabac mais il est discutable qu'elle nuise à la consommation d'autres produits, notamment les cafés : une de nos collègues nous a, au contraire, raconté qu'une telle mesure avait, dans sa circonscription, permis à un café-épicerie-boulangerie de développer sa clientèle.

M. Richard MALLIÉ : Les bars-tabacs ayant deux caisses, nombre d'entre eux sont en mesure d'estimer le nombre de clients du bureau de tabac mais pas le nombre de clients du bar. Quand un commerçant refuse de me montrer ses comptes, je ne peux pas le forcer à le faire. Je ne dispose donc pas des chiffres affinés.

M. le Rapporteur : Dans les territoires ruraux, quelle part de l'activité économique représentent les cafés-tabacs-alimentation-presse-loto-PMU, qui constituent pour les petits villages des centres névralgiques et des lieux de rencontre ?

Certains débitants de tabac nous ont fait remonter une information selon laquelle la mise en œuvre des contrats d'avenir serait un peu aléatoire. Qu'en pensez-vous ?

M. Richard MALLIÉ : Le contrat d'avenir repose sur trois piliers : la création de deux éléments supplémentaires de rétribution, la remise additionnelle et la remise compensatoire ; l'Indemnité forfaitaire de fin d'activité, l'IFA ; le moratoire sur la fiscalité jusqu'à 2007. Néanmoins, une remise de 1 500 euros compense une très grande partie de la perte sur le tabac mais certainement pas l'intégralité de la perte enregistrée sur la totalité de l'activité. Or j'ai pu constater, en consultant les comptabilités, la réalité de ces « effets collatéraux » : les anciens consommateurs, qui achètent leurs cigarettes ailleurs, ne viennent plus boire leur café du matin. De surcroît, l'IFA ne prend pas en compte la valeur des fonds de commerce.

Le contrat d'avenir est bien appliqué en ce qui concerne les remises et le moratoire. Quant à l'IFA, elle a été mise en route progressivement, mais certains établissements avaient plongé et mis la clé sous la porte avant : entre 2002 et 2005, le nombre de débitants a diminué de 16,4 % en Moselle, de 15 % dans la Meuse, de 14,6 % dans le Haut-Rhin, de 13,4 % en Haute-Saône, de 12,9 % dans la Creuse, de 11,9 % dans le Cantal, de 10,6 % en Côte-d'Or, de 9,6 % en Charente, de 9 % dans l'Ardèche. En Moselle, par exemple, le nombre d'établissements est passé de 501 à 419, soit une perte de 82, alors que seulement 220 IFA ont été accordées dans toute la France - 60 en 2004 et 160 en 2005. Dans la Creuse, la fermeture de 21 débits de tabac est dramatique car certains d'entre eux étaient le dernier commerce de leur commune.

Je pense que la diversification est une vue de l'esprit. Quand le dernier commerce de la commune cesse son activité à cause de la mévente du tabac, que peut-il vendre d'autre ? Il n'est pas évident qu'il obtienne les services postaux. Par ailleurs, dans les communes rurbaines de 2 000 à 30 000 habitants, un commerce qui diversifie son activité en prenant le loto ou la presse entre en concurrence avec ses voisins, tel bar faisant déjà la presse, tel autre le PMU, sans oublier le bureau de poste, qui fait aussi carterie.

La dématérialisation des timbres-amendes me laisse sceptique. Elle permettra certes de porter la rémunération des débitants de 5 à 6 %, soit tout de même 20 % d'augmentation, mais, pour celui qui ne vend que 2 000 euros de timbres fiscaux, cela ne représentera toujours qu'une centaine d'euros de revenu. Enfin, dans les grandes villes, à commencer par Paris, il faudra écouler les stocks de timbres-amendes ; or, il s'en vend moins qu'auparavant, notamment parque qu'il n'y en a plus sur les cartes d'identité.

Mme Martine AURILLAC : Dans le cas où la mission s'orienterait vers une interdiction très dure, quelles mesures d'accompagnement minimum serait-il indispensable d'adopter ?

M. Richard MALLIÉ : Il conviendrait d'accroître les marges sur les produits de la Française des Jeux, le PMU et la presse. J'en profite pour faire remarquer que les revendeurs de presse sont inondés de titres et de DVD qu'ils sont obligés d'accepter en vertu d'une loi de 1946, et de payer à la livraison, alors qu'ils ne se font pas rembourser les invendus tout de suite. Cela génère des stocks phénoménaux et, par ailleurs, les marges ne sont pas très élevées. Sur la papeterie, en revanche, ils fixent leurs marges eux-mêmes.

Face à une mesure d'interdiction de fumer, beaucoup s'appuient sur le fait qu'ils ont passé un contrat avec l'État pour exiger le remboursement de leur fonds de commerce, qu'ils ont acheté fort cher et pour lesquels ils ont dû débourser 30 % de leur poche, taux qui n'est jamais couvert par l'emprunt. Je vous laisse imaginer ce qui se passerait si l'État devait racheter les fonds de commerce, monsieur l'ancien ministre de la santé !... Je répète que l'IFA ne tient pas compte de la valeur du fonds de commerce ; ce n'est qu'une indemnité de fin d'activité sur le tabac, à prendre ou à laisser. J'ai rencontré une dame de soixante-dix ans, dans les Hautes-Pyrénées, qui venait de fermer son activité tabac et à laquelle on a royalement versé 150 000 euros : pas même le prix qu'elle avait payé cinquante ans auparavant, m'a-t-elle affirmé - il est vrai qu'elle exerçait parallèlement d'autres activités et qu'elle a réussi à amortir l'arrêt de cette activité.

M. Jean-Claude LEMOINE : À votre avis, quel est, en zone rurale, le pourcentage de tabacs-alimentation qu'une interdiction totale obligerait à fermer ?

Outre celui de surface minimale, avez-vous d'autres idées de critères pouvant être appliqués ?

M. Richard MALLIÉ : Dans mon esprit, pour les petites surfaces, qui n'ont pas les moyens d'aménager deux espaces, la volonté du chef d'établissement doit primer : le client saura s'il entre dans un commerce fumeur - et dans ce cas il ne pourra pas se plaindre - ou non fumeur. Pour les plus grandes surfaces, depuis la loi Évin, les systèmes d'extraction de fumée doivent absorber sept litres par seconde. Or il est possible aujourd'hui d'en extraire vingt-cinq, voire trente ; il est donc parfaitement envisageable de redéfinir les normes par décret, en utilisant de surcroît des systèmes de traitement de fumée dont l'homologation traîne pour des raisons que j'ignore.

Les 19 000 bars-tabacs du pays constituent une spécificité française, et ces lieux de convivialité vont disparaître.

M. le Président : Je souligne que la délivrance de dérogations en fonction de la volonté des gérants d'établissement constituerait un recul par rapport à la législation actuelle, en vertu de laquelle tout lieu public fermé, y compris une civette, est en principe un lieu non-fumeur, hormis dans l'espace réservé aux fumeurs. Même si la disposition de 1991 est mal appliquée, j'attire votre attention sur l'impact politique qu'aurait la remise en cause de cette disposition.

M. Richard MALLIÉ : Soyons clairs : la loi en vigueur est difficilement applicable et même inapplicable. À moins d'être un ayatollah, on est forcé de se demander à quoi elle sert.

M. le Président : Elle est inapplicable précisément parce qu'elle autorise le maintien d'espaces fumeurs.

M. Richard MALLIÉ : Certains bars-tabacs, compte tenu de leur superficie, n'ont pas la possibilité d'aménager un espace fumeurs. Laissons donc aux chefs d'établissement la liberté de décider.

M. le Rapporteur : Quel est le prix constitutif de la cigarette ? Quelle part en retire le débitant de tabac ? Quelle est la ventilation entre les remises et les marges ?

M. Richard MALLIÉ : La marge des bureaux de tabac est de 6 %. Pour s'en sortir, il faudrait qu'ils augmentent leurs marges sur les autres produits.

Que se passera-t-il à la fin du moratoire sur le prix du tabac, après 2007 ? À force d'augmenter le prix du tabac, nous favorisons les ventes illégales, qu'il s'agisse de contrebande par Internet ou transfrontalière. J'ai appris que, dans un département non frontalier, un transporteur espagnol revend tous les jours en France un carton de cigarettes.

M. le Rapporteur : À combien évaluez-vous les ventes illégales ?

M. Richard MALLIÉ : Par essence, personne ne le sait...

M. le Rapporteur : À la louche, quelles sont les estimations des douanes ?

M. Richard MALLIÉ : Les douanes peuvent seulement dire qu'elles ont saisi telle quantité.

M. le Rapporteur : On dit généralement que les produits interceptés représentent 10 % de la réalité du marché.

M. Richard MALLIÉ : Vous me poussez dans mes retranchements, monsieur le rapporteur ! Les douanes évaluent la vente par Internet à 8 tonnes, ce qui signifierait que le marché total atteindrait 80 tonnes. Mais la vente illégale de tabac prend bien des formes. Je n'ai pas osé le faire mais je voulais acheter un parquet à Barbès car j'ai l'intime conviction que les cigarettes qui y sont vendues sont de la contrefaçon, en provenance de Chine, avec des produits hautement toxiques : à force d'alourdir la barque avec le prix du tabac, on renforce ce genre de commerce. Beaucoup de consommateurs m'ont d'ailleurs dit que ces cigarettes n'avaient pas le même goût, qu'elles « arrachaient », comme disent les jeunes ! Et certains buralistes constatent même que d'anciens clients, qu'ils avaient perdus, reviennent chez eux et s'habituent au prix.

M. le Président : Mon cher collègue, je vous remercie.

Audition de Mme Véronique Cazals,
directrice de la protection sociale du MEDEF,
accompagnée de Mme Nathalie Buet, chargée de mission « santé au travail, accidents du travail et maladies professionnelles » et de M. Guillaume Ressot, directeur adjoint aux affaires publiques


(extrait du procès-verbal de la séance du 20 septembre)

Présidence de M. Yves BUR, Président

M. le Président : Je remercie nos invités de s'être rendus disponibles pour cette audition.

Je remplace aujourd'hui notre Président, Claude Évin, qui est pris par d'autres engagements mais qui, bien sûr, prendra connaissance des échanges que nous allons avoir avec vous, puisqu'ils feront l'objet d'un compte rendu.

Les travaux de la mission ont permis de confirmer la nécessité de revoir le dispositif actuel mais, à partir de ce constat unanime, notre mission doit maintenant préciser le périmètre exact du renforcement de l'interdiction de fumer dans les lieux publics, se prononcer sur la possibilité de l'aménager dans le temps, définir les mesures d'accompagnement nécessaire et, bien sûr, choisir entre le recours à la loi ou au règlement.

Nous avons souhaité entendre le MEDEF car les responsables d'entreprises sont directement concernés par les évolutions de la jurisprudence concernant l'usage du tabac sur les lieux de travail.

Comme vous le savez, la Cour de cassation, dans un arrêt du 29 juin 2005, a posé le principe selon lequel l'employeur est tenu à une obligation de sécurité de résultat en matière de lutte contre le tabagisme. Dans un autre arrêt du 21 juin 2006, la Cour a énoncé de façon tout à fait novatrice le principe du code civil selon lequel quiconque cause un dommage à autrui doit réparation s'applique également en matière de droit du travail. Cette jurisprudence, établie en l'espèce en matière de harcèlement moral, est susceptible d'avoir des conséquences en matière de tabagisme en permettant à des non-fumeurs d'assigner non plus seulement l'employeur mais également leurs collègues.

Nous souhaiterions connaître votre position sur ces revirements jurisprudentiels qui peuvent engendrer un certain nombre de tensions au sein des entreprises mais qui traduisent, dans le même temps, une réelle évolution des mentalités à l'égard de l'usage du tabac et de la santé au travail.

Mme Véronique CAZALS : Je vous remercie de nous avoir invités. C'est en effet un sujet qui nous tient à cœur. La protection des personnes, et plus particulièrement, celle des salariés contre les méfaits du tabac est une question sur laquelle le MEDEF est très impliqué.

De façon générale, la réglementation relative à l'interdiction de fumer s'inscrit dans le champ de la santé publique et les employeurs sont concernés pour la partie relative à la protection des salariés sur leur lieu de travail. Vous citiez la jurisprudence. Celle-ci évolue très vite. Néanmoins, il s'agit avant tout d'un problème de santé publique et le sujet qui nous intéresse concerne aujourd'hui l'application concrète de la loi Évin dans les entreprises.

Cette loi a été très salutaire et globalement bien appliquée dans les entreprises. Néanmoins, il y a tout de même, dans certaines d'entre elles, grandes ou petites, des salariés récalcitrants qui fument dans les bureaux. Il faut donc agir pour éviter que l'employeur ne soit accusé d'avoir exposé des salariés non-fumeurs à la fumée de cigarette d'autres salariés.

La question est délicate. On peut prévoir une interdiction plus ferme en interdisant les fumoirs ou les emplacements fumeurs. Mais il faut réfléchir aux conséquences que cela risque d'avoir sur le pouvoir disciplinaire de l'employeur et sur les salariés concernés. S'il n'y a aucune possibilité de fumer, quel pouvoir de sanction l'employeur aura-t-il ? Comment pourra-t-il répercuter cette interdiction dans le règlement intérieur ?

Actuellement, la législation et la réglementation permettent de prévoir des espaces fumeurs. Je me situe dans la perspective où cette possibilité ne serait plus prévue.

M. le Président : La question se pose déjà puisque, malgré l'existence de lieux réservés aux fumeurs, des salariés continuent de fumer dans leur bureau ou ailleurs.

Mme Véronique CAZALS : Si la réglementation était à nouveau durcie, on courrait le risque de voir des salariés contrevenants qui fumeront dans leur bureau parce qu'il n'y aura plus de lieu où fumer.

M. Pierre MORANGE, rapporteur : En octobre 2005, lors d'une audition pilotée par l'IGAS sur l'interdiction de fumer dans les lieux accueillant du public en France, le MEDEF avait exprimé sa préférence de voir la loi Évin de 1991 continuer de jouer son rôle, plutôt que d'adopter une nouvelle législation plus stricte susceptible de créer des crispations.

Avez-vous changé de point de vue ? Demandez-vous des pouvoirs supplémentaires pour mettre en œuvre la loi Évin ? Demandez-vous des aménagements ?

Il est obligatoire que les entreprises d'au moins 20 salariés mettent en place l'interdiction de fumer en dehors des emplacements réservés aux fumeurs. Ces dispositions vous paraissent-elles suffisantes ? Faut-il un durcissement du dispositif en place, que ce soit par voie législative ou réglementaire ? Quels éléments faudrait-il mettre en œuvre ? Comment envisagez-vous la question dans les entreprises de moins de 20 salariés ? Faut-il appliquer un dispositif particulier à ces entreprises, ou appliquer le même quelle que soit la taille de l'entreprise ?

Mme Véronique CAZALS : Si vous durcissez la réglementation et confiez à l'employeur une obligation de résultat conforme à la jurisprudence, que va-t-il se passer ? Faudra-t-il licencier le fumeur récalcitrant ? Faudra-t-il établir une échelle de sanctions inscrite dans le règlement intérieur ? En cas d'interdiction totale sans lieux réservés aux fumeurs, si un salarié, compétent par ailleurs, fume quotidiennement dans son bureau fermé, que fera-t-on ? Il faut y réfléchir. Les entreprises nous le demandent.

Nous avons des propositions à vous faire, qui ne sont pas liées à la taille de l'entreprise. Nous avons la chance, dans notre législation, d'avoir un suivi par un médecin du travail. On peut essayer, avec les dispositifs existants en matière de santé et de sécurité, d'accompagner les fumeurs et de les faire suivre. On pourrait en effet considérer que les fumeurs sont exposés à des risques particuliers.

M. le Rapporteur : Depuis 2005, votre position a t-elle évolué ? Êtes vous simplement partisans du prolongement du cadre législatif actuel de la loi Évin, avec éventuellement quelques éléments de durcissement ?

Vous nous avez dit que la loi Évin était assez bien appliquée dans le milieu de travail. Cela signifie que certaines dispositions ont été prises. Vous évoquiez à l'instant le fait que certains salariés s'enfermaient dans leur bureau pour fumer. Cela signifie qu'une pression sociale du milieu de travail a amené à considérer que le tabagisme n'était plus simplement une gêne, mais une nuisance sanitaire. Pour autant, on n'a pas fait référence au règlement intérieur et aux sanctions qui existent dans notre arsenal. Avez-vous déjà mis en œuvre des dispositions particulières pour sanctionner les contrevenants sur la base du cadre législatif de 1991 ? Si oui, lesquelles ?

M. le Président : Dans ma commune, on ne fume plus dans les locaux municipaux et cela ne pose aucun problème. Dans les entreprises qui ont été déclarées non fumeurs, quels sont les problèmes qui se posent au chef d'entreprise ? Certaines grandes entreprises ont même étendu l'interdiction au périmètre de l'entreprise. Comment cela se passe-t-il ?

Mme Véronique CAZALS : Je signale que le MEDEF est également « non-fumeurs ». De même, il y a aujourd'hui des entreprises, des hôpitaux, des lieux publics non-fumeurs, et c'est très bien. Reste qu'il existe des personnes qui ne peuvent pas se passer de cigarettes pendant huit heures d'affilée et c'est pourquoi le maintien des fumoirs ou espaces fumeurs ne nous paraît pas inutile.

M. le Président : Dans ce cas, elles peuvent sortir.

Mme Véronique CAZALS : Où vont-ils ? S'ils sortent, cela peut poser un problème d'organisation à l'entreprise. En quinze ans, des progrès inouïs ont été accomplis mais il y a encore des personnes qui considèrent que la cigarette est un plaisir, y compris dans les entreprises. Dans les entreprises non fumeurs, dont le MEDEF fait partie, les fumeurs vont fumer sur le trottoir.

M. le Rapporteur : Y a-t-il eu des sanctions ? Ou est-ce simplement la pression sociale, l'autorité hiérarchique et morale qui ont joué ?

Mme Véronique CAZALS : La pression sociale joue effectivement. L'interdiction est de mieux en mieux admise. Beaucoup de fumeurs ont maintenant l'impression de commettre une faute en allumant une cigarette.

Nous considérons que le dispositif existant est suffisant. Il y a tout un arsenal législatif et réglementaire pour que l'interdiction de fumer dans les entreprises soit une généralité. Si on allait au-delà et qu'on supprimait la possibilité pour les entreprises de prévoir des locaux fermés, réservés aux fumeurs, on risquerait dans certains cas, si le chef d'entreprise n'est pas moteur, d'entraîner des crispations qui ne sont peut-être pas nécessaires. Par contre, si les représentants des salariés nous disent que c'est très bien, nous y réfléchirons.

Pour le moment, il nous semble qu'il y a suffisamment d'interdictions pour arriver à ce qu'on ne fume plus dans les entreprises. Aller plus loin posera, dans certains cas isolés, quelques problèmes. Mais c'est peut-être nécessaire.

M. le Rapporteur : Je relève que c'est la pression sociétale qui a permis la situation actuelle même si, dans certains milieux, dont l'Éducation nationale, on a pu déplorer une certaine inertie - et qu'il n'y a pas eu vraiment de sanctions disciplinaires.

Par ailleurs, il faut rappeler que, selon la loi Évin, il est interdit de fumer, sauf « dans les emplacements réservés aux fumeurs », l'installation de tels emplacements n'ayant aucun caractère obligatoire. Ainsi, dans ma petite mairie, il n'y a pas d'emplacement pour les fumeurs et je ne suis pas obligé d'en créer. Concrètement, cet emplacement n'existant pas, personne ne fume, ce qui simplifie les choses.

Le MEDEF a-t-il intégré les conséquences du caractère facultatif de ces emplacements ? A partir du moment où il n'y en a pas, l'interdiction devrait être rigoureusement respectée dans sa totalité.

Mme Véronique CAZALS : Nous les avons parfaitement intégrées. Mais nous pouvons également accompagner la législation et la réglementation nouvelle ou existante en aidant les fumeurs.

M. le Président : Les comités d'hygiène et de sécurité sont des lieux où les décisions peuvent être formalisées dans un grand consensus. A travers eux, l'entreprise peut également accompagner les démarches de sevrage tabagique. Ainsi, dans ma mairie, je fournis des substituts nicotiniques.

Par ailleurs, j'ai pris note d'une contradiction dans votre expression. Vous disiez tout à l'heure que pour beaucoup de monde, dans certains cas, l'interdiction pouvait poser problème. On sent une ambiguïté dans la position du MEDEF. On a le sentiment qu'il est un peu crispé sur la loi Évin.

Mme Véronique CAZALS : Les comités d'hygiène et de sécurité sont effectivement des organes de concertation sur cette question. Par ailleurs, je veux lever toute ambiguïté dans mon propos : nous défendons pleinement - sans crispation - l'interdiction de fumer sur le lieu de travail dans le cadre de la législation actuelle. C'est clair.

M. le Rapporteur : Des temps de pause spécifiquement destinés aux fumeurs sont-ils aménagés ? Est-ce que ces temps de pause s'inscrivent à l'intérieur de conventions sociales ? Le sujet avait été évoqué en filigrane dans le cadre du rapport de Mme Roussille et il semblait qu'il pouvait y avoir, pour le MEDEF, quelques zones d'ombre au titre des conventions sociales. Il serait important de nous réaffirmer qu'une interdiction absolue du tabac n'entraînera pas une renégociation sociale avec les partenaires pour modifier ces mesures de temps de pause si le « temps de cigarette » est intégré dans le temps de pause et identifié.

Au-delà d'une éventuelle modification du contexte législatif, quelles sont les possibilités, pour le fumeur invétéré qui ne peut pas rester huit heures sans fumer ?

Mme Véronique CAZALS : Je suis un peu étonnée de votre question. J'ai cru comprendre que vous étiez une mission d'information sur l'interdiction de fumer, et que vous n'étiez pas très favorables à l'encouragement des fumeurs récalcitrants. Or prévoir des temps de pause me paraît aller à l'inverse de tout ce qu'on peut imaginer pour encourager le respect de cette interdiction !

M. le Rapporteur : Que les choses soient claires : je n'ai pas dit qu'il fallait prévoir des temps de pause. Mais on voit bien que dans certaines entreprises, des fumeurs interrompent leur travail pour aller fumer. Est-ce que c'est dans leur temps de pause ? Est-ce que c'est un temps de pause qui est individualisé à l'intérieur d'une convention sociale ? Ou est-ce de leur propre initiative ? Est-ce admis par l'employeur ? Comment le problème du tabagisme compulsif est-t-il géré dans les faits ?

Mme Véronique CAZALS : Nous n'avons pas le pouvoir de dire aux entreprises d'appliquer des sanctions disciplinaires. On aurait éventuellement la possibilité de les inciter à négocier des temps de pause, mais il n'en est pas question. En tout cas le MEDEF ne demandera aucune négociation.

M. Bernard DEPIERRE : Je suis très étonné de l'intervention de mes collègues, car le code du travail aborde le problème du tabac dans les entreprises privées. La plupart des conventions collectives et des règlements intérieurs soumis au comité d'établissement ou d'entreprise prévoient cette situation. Si des mesures d'interdiction devaient être prises dans les entreprises privées, il faudrait modifier le code du travail.

M. le Rapporteur : Mme Roussille, dans son rapport, avait soulevé une interrogation sur les conventions sociales dans le cadre d'un durcissement du dispositif. C'est la raison pour laquelle je souhaitais que le MEDEF réaffirme que, même en cas de durcissement, il n'y aurait pas obligation d'une renégociation sociale.

Mme Martine AURILLAC : Je peux confirmer qu'on ne fume pas au MEDEF et qu'il y a beaucoup de mégots le long de l'avenue Bosquet ! Cela dit, je continue à me demander si le MEDEF ne craint pas une interdiction totale, et si oui, je voudrais savoir pourquoi. Je voudrais également savoir si vous vous êtes déjà interrogés à propos de l'impact économique que pourrait avoir, sur le petit commerce, notamment sur les bars tabac des petits villages, une interdiction totale ?

Mme Véronique CAZALS : Nous sommes tout à fait favorables à l'interdiction générale et absolue sur les lieux de travail. Nous ne redoutons rien, mais nous voulons anticiper les cas où cette interdiction générale et absolue ne serait pas appliquée de part et d'autre.

Nous essayons d'avoir une approche pragmatique. Ce n'est pas nous qui faisons la loi, mais il nous semble que s'il y a une interdiction générale et absolue de fumer, on doit donner aux chefs d'entreprise les moyens de la faire appliquer et aux salariés de ne pas pâtir excessivement de cette réglementation.

M. le Président : Il faudra peut-être prévoir un dispositif de sanctions à l'intérieur du règlement intérieur. Mais on ne peut plus considérer aujourd'hui que le chef d'entreprise n'a aucune responsabilité. Reportez-vous à l'arrêt de la Cour de cassation de juin 2005. Quelles conséquences en tirez-vous ? De la même façon, l'arrêt du 21 juin 2006 sur le harcèlement moral a suscité de nombreuses interrogations au sein de la mission.

Quelles conséquences le MEDEF tire-t-il de l'évolution de la jurisprudence ? Souhaite-t-il qu'on en reste à la loi Évin, ou qu'on passe à une interdiction totale ?

Mme Véronique CAZALS : Nous n'avons pas attendu la jurisprudence pour comprendre que les employeurs sont responsables de la santé et de la sécurité des salariés car il y a déjà depuis longtemps l'article L 230-2 du code du travail relatif à la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs.

Par la suite, la jurisprudence a consacré le principe d'obligation de sécurité de résultat, qui avait déjà été posé en 2002 à propos de la protection des salariés exposés à l'amiante. Je ne dis pas que cela ne change pas les choses car cette jurisprudence oblige effectivement les employeurs à prendre vraiment conscience de l'ampleur de leur responsabilité et des risques de contentieux encourus. L'obligation générale et absolue peut être réaffirmée.

M. le Rapporteur : Quels seraient les mesures et les moyens ?

Mme Véronique CAZALS : Une fois cette interdiction réaffirmée ou renforcée, il faut que le chef d'entreprise prévoie dans le règlement intérieur un dispositif pour que les salariés appliquent cette interdiction. On peut imaginer que, dans les moyens dont il dispose pour assurer la santé et la sécurité de ses salariés, il associe le CHSCT, quand il existe.

M. le Rapporteur : Avez-vous des propositions précises et concrètes sur ce qu'il faudrait prévoir dans le règlement intérieur ?

Mme Véronique CAZALS : Je pense au pouvoir disciplinaire de l'employeur vis-à-vis de ses salariés, qui se traduira comme il l'entendra au sein de son règlement intérieur. Si le MEDEF doit prendre position sur ce point, il faut d'abord qu'il en discute avec les représentants des salariés. Cela me semble envisageable. Mais la négociation se fera surtout au niveau des entreprises et non au niveau des branches. On peut, par exemple, imaginer qu'une entreprise prévoie qu'un salarié qui fume sera licencié après trois avertissements ; ou qu'il sera muté ; ou qu'il devra suivre un traitement pour le sevrage. Mais je ne peux parler au nom des entreprises.

M. le Président : Ainsi, la position du MEDEF est la suivante : Vous essayez d'appliquer la loi Évin tant bien que mal ; dans certaines entreprises, il y a éradication totale du tabagisme ; dans d'autres, la loi est appliquée plus ou moins efficacement ; dans d'autres encore, elle n'est pas du tout appliquée. S'il y avait une interdiction totale, le MEDEF n'y verrait aucun problème. Est-ce bien votre position ?

Mme Véronique CAZALS : Je le confirme, avec les réserves énoncées plus haut.

M. le Président : Cela pourrait même vous simplifier les choses parce qu'il y aurait un texte de loi et que vous comptez pour l'essentiel sur le consensus social pour éviter qu'il y ait des problèmes.

Mme Véronique CAZALS : Non, nous comptons sur le consensus social pour faire appliquer la réglementation de manière que les sanctions ne pénalisent pas les parties concernées. Nous souhaitons que l'interdiction soit appliquée avec le maximum de consensus social.

M. le Président : Cela me paraît plus clair qu'au départ.

Ainsi, on peut dire que le MEDEF est capable de soutenir et d'assumer l'interdiction. Et que cette interdiction ne pose pas de problèmes insurmontables aux entreprises, notamment au regard de celles qui l'appliquent déjà actuellement, sans grosses difficultés, et qui s'en portent très bien.

Mme Véronique CAZALS : Vous résumez parfaitement notre position.

M. le Rapporteur : On a dit que la mise en œuvre de la loi Évin était le fruit d'une évolution sociétale. De fait, les sanctions n'ont pas été appliquées alors que le cadre législatif le permettait. De la même manière, le règlement intérieur comporte lui aussi un arsenal de sanctions disciplinaires. Mais finalement, le pouvoir disciplinaire du chef d'entreprise n'a pas été mis en œuvre.

Mme Véronique CAZALS : Je pense que c'est effectivement rarement le cas.

M. le Rapporteur : La jurisprudence de juin 2005 de la Cour de cassation qui impose à l'employeur une obligation de sécurité de résultat n'est-elle pas un puissant aiguillon pour la mise en œuvre de sanctions disciplinaires, ne serait-ce que pour se sécuriser sur le plan juridique, financier et assurantiel ?

Pensez-vous que si l'on supprimait la possibilité légale d'installer des emplacements expressément réservés aux fumeurs, les sanctions disciplinaires déjà prévues dans le règlement intérieur seraient davantage mises en œuvre ?

Mme Véronique CAZALS : Il faut poser la question aux entreprises. Mais je peux aussi vous la poser : « Que feriez-vous si un salarié de votre mairie fumait ? »

M. le Rapporteur ; Je lui dirais d'aller fumer dehors.

Mme Véronique CAZALS : Est-ce une solution d'inciter les gens à fumer dehors ? Et iriez-vous jusqu'au licenciement ?

M. le Rapporteur : Cela n'arrivera pas. Nous n'avons pas du tout l'intention de sortir l'arme nucléaire du licenciement. Mais de votre côté, avez-vous des propositions concernant des modalités de sanctions disciplinaires ?

Mme Véronique CAZALS : Nous n'avons pas connaissance de cas très conflictuels, mais il faut bien considérer que toutes les entreprises ne sont pas identiques. Il peut y avoir un ouvrier, sur un chantier...

M. le Rapporteur : Dans ce cas, il n'y aurait pas de problème. Nous ne visons que les locaux confinés, sans renouvellement de l'atmosphère.

M. le Président : Je pense que l'interdiction totale passe d'abord par l'affirmation de cette interdiction et ensuite par l'acceptation sociale. Même s'il y a une loi, il vaudrait mieux, dans la mesure du possible, passer par un comité d'hygiène et de sécurité qui pourra examiner quelles sont les mesures d'accompagnement à prendre. Mes collaborateurs, à la mairie, évitent de fumer ; éventuellement, ils sortent. Le vrai problème se pose pour celui qui fume deux paquets par jour et qui risque de passer 20 minutes par heure, dehors, à fumer.

Mme Véronique CAZALS : C'est un vrai problème pour les entreprises. Il faudra en parler avec les représentants des salariés. Amener un salarié à fumer dehors ne me semble pas une solution très constructive pour la bonne marche de l'entreprise.

M. le Président : À RMC, ce sont les fumeurs qui ont demandé l'interdiction totale. Aujourd'hui, les non fumeurs acceptent de moins en moins d'être incommodés par la fumée de leurs collègues.

Dans les métiers de l'hôtellerie, on m'a dit qu'il faudrait étendre l'interdiction de fumer aux chambres, parce que cela occasionnait des dégâts. Certaines études montrent que, dans les entreprises, les fumeurs sont plus souvent malades et absents. Le tabagisme représente un coût pour l'entreprise.

Mme Véronique CAZALS : Nous sommes conscients du fléau que représente le tabac.

M. le Rapporteur : La médecine du travail est dans une relation de hiérarchie avec l'employeur et on n'a pas toujours le sentiment que l'investissement en matière de lutte contre le tabagisme est prioritaire.

Avez-vous une idée de la manière dont on pourrait mobiliser les quelques milliers de médecins du travail ? En tant qu'employeurs, ne devriez-vous pas faire en sorte qu'un dispositif soit mis en place sur le terrain ?

Mme Véronique CAZALS : D'abord, je relativiserais la relation hiérarchique dont vous parlez. Le médecin du travail est le conseiller du salarié et de l'employeur, même s'il est indirectement employé par l'employeur.

Les missions du médecin du travail ne doivent absolument pas évoluer vers la santé publique. Le rôle du médecin est de conseiller le salarié et l'employeur dans l'optique de l'amélioration de la santé au travail. Si le tabagisme pose un problème de santé au travail, il faut que le médecin en ait conscience et que l'employeur considère que ce dernier peut être une aide, un outil, permettant de faire respecter la loi dans l'intérêt du salarié et de l'employeur.

M. le Président : Mais prévoir un fumoir ou faire sortir les salariés dehors, c'est la même chose, au moins en termes de perte de temps.

Mme Véronique CAZALS : Il faudrait peut-être interroger les fumeurs pour savoir s'ils préfèrent le fumoir ou le trottoir. Sans compter qu'un salarié qui est sur la voie publique peut prendre un pot de fleurs sur la tête ; dans le fumoir, il y a moins de risque.

Je trouve que le fait d'envoyer le salarié fumer sur le trottoir est la pire des solutions. Après tout, l'employeur a le droit d'interdire une pause qui ne serait pas prévue. Quant au fumoir, il doit être très hermétique et bien aéré ; il ne faut pas exposer les salariés à des risques supérieurs en les envoyant fumer dans des endroits confinés.

M. le Président : C'est pourquoi nous pensons que le fumoir n'est pas une solution. Lors d'un voyage en Italie, nous avons entendu le médecin conseil d'une entreprise dire que les fumeurs allaient fumer dans les toilettes ; d'où l'installation de systèmes d'alarme antifumée dans les toilettes. Pourtant, le tabagisme était plus avancé en Italie qu'en France : on allait jusqu'à fumer dans les lits des hôpitaux !

Mme Véronique CAZALS : C'est ce qui se passe, en France, dans les hôpitaux psychiatriques.

M. le Président : C'est un autre problème, mais j'ai le sentiment que, même dans ces hôpitaux, on pourra régler le problème.

Dans les entreprises, il y aura un travail à faire et les employés sont capables de le faire.

Mme Véronique CAZALS : Vous pouvez compter sur le MEDEF pour accompagner la mise en œuvre de cette réglementation avec le dialogue.

M. le Président : Nous nous en réjouissons et vous remercions de votre contribution au travail de la mission.

Audition de M. Xavier Bertrand, ministre de la santé et des solidarités

(Extrait du procès-verbal de la séance du 27 septembre 2006)

Présidence de M. Claude ÉVIN, président

M. le Président. Monsieur le ministre, nous vous remercions d'être venu devant la mission d'information sur l'interdiction du tabac dans les lieux publics, créée par l'Assemblée nationale, rappelons-le, presque à la demande du Gouvernement, voire du Président de la République... Quoi qu'il en soit, nous avons travaillé pour aider le Gouvernement à prendre une décision - difficile, comme en témoigne l'histoire récente de ce dossier - en contribuant à clarifier les positions des différentes parties. Nous examinerons mardi 3 octobre le rapport de Pierre Morange et nous pourrons alors vous donner la position de la mission.

Bien qu'ils ne soient pas encore achevés, nos travaux ont fait apparaître de grandes tendances. Plutôt que de procéder aux traditionnelles auditions, nous avons innové en organisant six tables rondes qui ont réuni, à chaque fois, l'ensemble des acteurs concernés : administrations publiques, associations de lutte contre le tabagisme, industriels, débitants, hôteliers restaurateurs. Sans aller jusqu'à parler de consensus, chacun s'accorde à reconnaître que le débat s'est déroulé dans le respect des positions de chacun, mais surtout qu'une prise de conscience des enjeux a permis une réelle évolution.

Tout le monde est tombé d'accord pour considérer que le dispositif actuel n'est pas bien appliqué. Si la loi de 1991 a posé le principe de l'interdiction de fumer dans les « lieux à usage collectif » - et non pas les « lieux publics » -, elle a laissé la possibilité d'organiser des espaces pour les fumeurs, sans toutefois en faire une obligation. Le décret de 1992 a sans doute créé une certaine confusion : la délimitation des espaces fumeurs et non fumeurs, parfois seulement matérialisés par le placement de chevalets sur les tables, reste d'une efficacité toute relative. Il est apparu nécessaire de renforcer le cadre juridique actuel afin de répondre à deux objectifs, qui témoignent également d'une évolution des mentalités : premièrement, le renforcement de la protection des non-fumeurs, voire des fumeurs, les études épidémiologiques ayant montré les risques liés au tabagisme passif, non seulement dans le domaine des cancers mais également dans celui des maladies cardiovasculaires ; deuxièmement, la mise en œuvre d'une réelle protection des salariés au regard, notamment, de l'évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation.

Se pose dès lors le problème de l'efficacité de la mesure, et pour commencer la question du champ d'application. Est-il possible d'envisager des exemptions propres à certains lieux ? Chacun s'accorde à reconnaître que le champ d'application doit être clairement défini et identifiable : en conséquence, une exonération pour un secteur d'activité ou un lieu donné, outre le fait qu'elle ne serait peut-être guère cohérente au regard des intérêts de santé publique, risquerait d'affaiblir le message.

Les intérêts économiques eux aussi se sont tout à fait normalement exprimés lors des tables rondes. Sans doute certaines de ces préoccupations appellent-elles des mesures à caractère économique, notamment dans le secteur de la distribution du tabac. Encore ne faudrait-il pas confondre les préoccupations économiques, qui appellent des réponses de nature économique, et les préoccupations de santé publique, qui nécessitent des réponses de santé publique.

Enfin, le souhait a été émis de laisser du temps à une mise en œuvre - le rapport de l'IGAS, l'Inspection générale des affaires sociales, l'avait déjà signalé - qui exigera de l'éducation sanitaire, des explications, une campagne d'accompagnement. Un délai de cinq ans, comme certains en ont avancé l'idée, serait sans doute excessif ; mais un intervalle de quelques mois entre la présentation du texte et sa mise en œuvre pourrait être utile.

La question du support a évidemment été abordée : loi ou décret ? Le choix de l'outil n'est pas neutre au regard de l'objectif recherché. La mission prendra position la semaine prochaine, mais certains l'ont d'ores et déjà fait. Nous devons avoir le souci de l'efficacité, de la simplicité et de la clarté. Pour ma part, je n'ai aucun amour-propre d'auteur : une modification de la loi Évin ne me gêne pas... La suppression de la possibilité de ménager des espaces fumeurs me semblerait tout à fait cohérente et de nature à garantir l'efficacité de la mesure sur le plan de la santé publique, mais également du point de vue de la sécurité juridique.

Vous nous avez assuré, Monsieur le ministre, que vous serez attentif aux conclusions que notre mission rendra mardi soir. En attendant, nous sommes très intéressés de connaître les appréciations que vous portez sur ce dossier.

M. Xavier BERTRAND : Il y a une dizaine de jours, le gérant d'un restaurant m'a demandé si je comptais interdire de fumer dans les restaurants dès le début de l'année prochaine. Il venait de passer une radio des poumons et le médecin lui avait demandé depuis combien de temps il fumait. Or il avait arrêté depuis trente ans... Le docteur en a immédiatement déduit : « C'est donc que vous êtes dans la restauration... » Particulièrement choqué par cette remarque, ce restaurateur m'a expliqué qu'il n'était pas en mesure de classer tout seul son restaurant en non-fumeur et qu'il attendait avec impatience une décision en la matière.

Ma conviction, en tant que ministre de la santé, est qu'il faut interdire de fumer dans les lieux publics le plus vite possible, dès le début 2007. Chacun s'accorde à reconnaître que le statu quo n'est plus possible. Comme dans le domaine de la sécurité routière, les comportements ont changé et sont prêts à évoluer davantage. Cette décision est très attendue.

Qui plus est, la loi de 1991 et son décret d'application de 1992 sont mal appliqués - Claude Évin le reconnaissait à l'instant. Au demeurant, son texte, novateur à l'époque, ne pouvait tenir compte des faits nouveaux apparus depuis. Ce qui était alors essentiellement un problème social est devenu un enjeu de santé publique. La science progresse et nous apporte de nouvelles connaissances sur les effets du tabagisme passif, autrefois mal connus et que personne ne conteste désormais. Le tabagisme tue des fumeurs, mais aussi des non-fumeurs. C'est donc l'affaire de tous de les protéger, de mettre fin à la cohabitation forcée entre fumeurs et non-fumeurs, de protéger les salariés, mais également d'aider ceux qui souhaitent arrêter.

Cette décision ambitieuse devra également être réaliste et pragmatique pour être réellement efficace. Elle doit non seulement être applicable, mais surtout être appliquée. C'est pourquoi je souhaite que nous nous déterminions sur la seule question qui demeure : celle des adaptations. Le président de l'Assemblée nationale, qui a souhaité la mise en place de cette Mission d'information, l'a bien compris en veillant à ce que son objet se limite à l'interdiction de fumer dans les lieux publics. Toutes les contributions en la matière - la vôtre, Monsieur le Président Claude Évin, la proposition de loi du vice-président Yves Bur, mais également celle de Lionnel Luca et jusqu'à celle d'André Santini, qui à sa manière a largement nourri le débat - sont particulièrement utiles. Je vous remercie également de m'avoir invité à participer à vos travaux et d'être un de vos tout derniers intervenants.

M. le Président : Vous êtes le dernier, monsieur le ministre, et nous l'avions souhaité ainsi.

M. Xavier BERTRAND : En quelques mois, le débat s'est déplacé. La question n'est plus de savoir s'il faut interdire, mais quand et comment le faire. Comme dans tous les pays européens, les comportements, les attitudes ont considérablement évolué au cours des derniers mois. Aujourd'hui, nous sommes dans la dernière ligne droite : vous présenterez votre rapport le 3 octobre et le Gouvernement prendra sa décision pour la mi-octobre.

Vos travaux l'ont démontré, la situation a changé, sur le plan tant scientifique que juridique et social. Les débats autour de la loi de 1991 portaient sur la question de la publicité et plaçaient la séparation entre fumeurs et non fumeurs sous l'angle de l'éducation à la santé. Les méfaits du tabac étaient moins connus, sur les fumeurs et surtout sur les non-fumeurs. Du fait des progrès de la science, notre politique de lutte contre le tabac a connu des avancées continues. Nous savons aujourd'hui, et nous ne le savions pas en 1990, que le tabac tue 66 000 fumeurs par an, mais également 5 000 non-fumeurs. On peut mourir du tabac sans fumer. Nous ne pouvons plus détourner les yeux de la réalité de ces deux chiffres.

Tenant compte de ces nouvelles connaissances, une politique volontariste a été engagée depuis 2002 : la hausse des prix, mais également des actions de sensibilisation et de prévention accrue qui ont produit de réels effets : 1,4 million de Français ont arrêté de fumer en trois ans. Malheureusement, après avoir baissé de 30 % depuis 2002, la consommation de cigarettes est repartie à la hausse au cours des cinq premiers mois de 2006. Il faut mener une politique plus active sur le tabagisme passif, comme nous y a engagé le Président de la République en présentant la deuxième phase du plan cancer. Il est temps de franchir une nouvelle étape, car j'ai la conviction que l'interdiction de fumer dans les lieux publics est la réponse la plus efficace à la reprise de la consommation de tabac. Toutes ces données me confortent dans notre premier objectif : mettre fin à la cohabitation forcée entre fumeurs et non-fumeurs.

Deuxième objectif : protéger les salariés. C'est bien sûr une exigence de santé publique ; c'est également une exigence juridique. Ainsi que vous l'avez vous-même souligné dans vos travaux, le cadre juridique a profondément évolué depuis quinze ans. Les conséquences de l'arrêt du 29 juin 2005 de la Cour de cassation s'imposent évidemment à tous et ne sont certainement pas pour rien dans l'évolution de certains acteurs. Si un salarié fait connaître à son employeur qu'il est placé dans des conditions de travail telles que ses droits en matière de santé ne sont plus préservés, et si l'employeur ne respecte pas le droit du salarié à ne pas être exposé au tabac dans l'entreprise, celui-ci peut prendre acte de la rupture du contrat de travail, ce qui revient à constater un licenciement sans causes réelles ni sérieuses. Le salarié aura donc obtenu gain de cause, avec toutes les indemnités afférentes à ce type de licenciement. De même, les salariés fumeurs pourraient désormais être attaqués par leurs collègues. Enfin, la responsabilité de l'État a été directement mise en cause dans un arrêt du tribunal de Paris de 2006 qui a reconnu un préjudice moral du fait de la carence de l'État à faire respecter la réglementation relative à la lutte contre le tabagisme.

L'interdiction est aujourd'hui très attendue par les Français. Toutes les enquêtes d'opinion, nombreuses et régulières, convergent : 70 à 80 % des Français, les fumeurs comme les non-fumeurs, sont favorables à une interdiction de fumer dans les lieux publics. Mais seulement 40 % des Français sont favorables à une interdiction totale, y compris dans les restaurants, discothèques, bars et bars-tabac. Plus de la moitié des personnes interrogées est favorable à des aménagements et à un délai pour s'habituer à cette mesure. Ces chiffres aussi doivent être pris en considération si nous souhaitons prendre une décision réellement comprise et appliquée.

Le grand public a été, lui aussi, largement consulté sur le forum « Tabac » installé sur le site du Gouvernement. Depuis le 31 mai 2006, durant quatre mois, un débat très riche a porté sur l'interdiction générale, mais également sur d'éventuelles adaptations. On a relevé plusieurs centaines d'échanges par jour et même des pics de fréquentation qui, par deux fois, ont saturé le serveur. Plus de mille contributions ont été recueillies. Je veux vous rapporter quelques messages d'internautes, qui montrent bien que ce dossier ne repose pas seulement sur des statistiques, fussent-elles de santé publiques, mais également sur des vécus très personnels.

« Parce que je ne supporte pas l'odeur du tabac, dois-je me priver d'aller boire un coup au bistro ou d'aller manger au restaurant ? »

« C'est la même chose qu'il y a quelques années avec la ceinture et la limitation de vitesse : certains automobilistes ne voulaient pas mettre leur ceinture et roulaient à 180. Depuis que des sanctions sévères et régulières sont appliquées, il y a beaucoup moins d'infractions et surtout beaucoup moins de morts sur la route. »

« Un aménagement des espaces publics concertés, laissant à tous la liberté de fumer ou de ne pas fumer, serait nettement plus en adéquation avec le principe de liberté. L'idée de fumoirs pourrait le permettre. »

« La situation entre fumeurs et non-fumeurs s'est largement tendue sans que rien de sérieux soit fait pour y remédier. À l'exagération de certains fumeurs - qui ne représentent qu'une fraction - s'est opposée l'intransigeance croissante des enfumés. Il semble qu'en France il faille qu'une situation devienne extrême pour que quelque chose soit fait ; mais à ce moment-là, le remède est drastique. Le balancier passe d'un extrême à l'autre. »

« C'est fou, cet axiome comme quoi l'interdiction de fumer dans les bars va définitivement enterrer la profession. Nous avons l'exemple étranger de l'Irlande, de l'Italie, de certains états des États-Unis. À chaque fois, il n'y a pas eu de problème, bien au contraire. »

Ce forum m'a conforté dans une conviction : nous devons interdire aussi pour mobiliser l'ensemble de la société et déclencher une prise de conscience, comme cela a été le cas pour la sécurité routière où nous avons réussi à faire reculer le nombre de victimes. Il ne s'agit pas d'interdire pour interdire, mais d'interdire pour provoquer une évolution des comportements et des mentalités.

Il fallait aussi écouter tous les experts, rencontrer l'ensemble des professionnels concernés, de même que les associations qui se mobilisent depuis longtemps sur ce dossier. Le travail de votre mission aura à cet égard été exemplaire, et conduit de façon inédite dans un esprit de concertation, de dialogue et de transparence. De mon côté également, j'ai mené depuis un an une large concertation et nous avons pu nous rendre compte à quel point les positions avaient évolué ces derniers mois. Le principe de l'interdiction n'est même plus remis en cause : certains syndicats comme le SYNHORCAT127 se prononcent même pour l'interdiction totale. Les bars-tabac souhaitent un délai, alors que les représentants des casinos et des discothèques se soucient plutôt d'obtenir des adaptations pérennes. Les principaux acteurs de ces secteurs d'activité ont compris le caractère inéluctable de l'interdiction de fumer en raison notamment de l'évolution européenne.

À l'évidence, l'interdiction s'impose, mais le débat public nous a montré que la vraie question, est d'abord celle de son applicabilité.

Je suis partisan d'une solution tout à la fois ambitieuse et pragmatique. Je crois nécessaire de réfléchir à d'éventuelles adaptations, afin que cette mesure soit applicable et appliquée. La question du vecteur juridique, décret ou loi, ne me paraît pas principale : elle ne vient qu'après.

L'étude des modèles étrangers se révèle intéressante : dans tous les pays européens qui ont changé leur législation, la question des adaptations a aussi fait débat. Certains États comme la Norvège, l'Irlande ou l'Écosse ont mis en place une interdiction totale de fumer dans les lieux publics ; l'Angleterre, l'Irlande du Nord, la Slovénie et la Lituanie s'apprêtent à faire de même. D'autres pays ont fait un autre choix : la Belgique, la Suède, l'Italie ont aménagé l'interdiction avec des pièces fumeurs fermées, que ce soit dans tous les lieux publics ou seulement dans les lieux de convivialité. Dans ces pièces hermétiquement closes et ventilées, respectant des normes sanitaires très strictes, aucune prestation de service ne devrait être autorisée de manière à protéger tous les salariés. De même, les entreprises de nettoyage de ces espaces réservés seront soumises à des normes très strictes de manière à protéger leurs salariés. Ce type d'aménagement ne contredit pas les objectifs de santé publique dans la mesure où personne ne serait exposé à la fumée de cigarette sans le vouloir. Les salariés comme les non-fumeurs seraient ainsi protégés. Cela dit, permettre des adaptations ne signifie pas pour autant les encourager.

La question doit aussi se poser du périmètre des lieux concernés. Vous avez soulevé lors de vos auditions le cas particulier des lieux de convivialité. Dans la plupart des pays européens, des dérogations ou des aménagements sont prévus pour les restaurants, les bars, les bars-tabac, les discothèques et les casinos. Vous avez largement évoqué le cas des bars-tabac dont la situation est particulière: non seulement ils se caractérisent par un lien contractuel avec l'État, mais ils jouent un rôle important pour la vie sociale sur l'ensemble du territoire. Il n'est cependant pas envisageable d'en faire une exception définitive, sauf à renoncer à protéger les salariés de ces établissements. Ce serait aussi exposer les professionnels à nombre de contentieux dont l'actualité nous donne maints exemples.

Se pose enfin la question du délai de mise en œuvre de l'interdiction. Tous les pays européens qui ont renforcé leur législation antitabac se sont ménagé un délai de neuf à vingt-deux mois entre le vote et l'application : vingt-deux mois en Italie, un an en Irlande. Cela dit, rappelons que cela fait déjà près d'un an que le débat est sur la place publique en France : c'est pourquoi je pense qu'une interdiction de fumer dès le début de l'année prochaine est tout à la fois envisageable et souhaitable, mais qu'une progressivité peut s'imposer pour certains secteurs d'activité.

Cette progressivité correspond également au temps que nous souhaitons employer pour les campagnes d'éducation à la santé et d'accompagnement à l'arrêt du tabac. Depuis 2002, nous avons mené deux campagnes grand public par an sur les méfaits du tabagisme ; depuis 2004, nous avons mené trois campagnes grand public sur les dangers liés au tabagisme passif. La prochaine est prévue pour novembre 2006 ; nous amplifierons évidemment ce mouvement à partir du moment où la décision d'interdiction sera prise, car nous devons parallèlement renforcer la sensibilisation et l'éducation à la santé. Interdire est certes efficace, mais interdire en responsabilisant est davantage porteur.

Afin de garantir l'effectivité des mesures prises, contrôles et amendes à l'encontre des propriétaires ou gérants d'établissements comme des clients devraient être renforcés. Mais, au-delà de cette approche répressive, nous entendons d'abord favoriser une démarche globale de prévention et de responsabilisation. Ce ne sont pas des mots, mais bien la condition de la réussite.

Nous souhaitons aussi pouvoir accompagner l'arrêt du tabac pour les fumeurs qui le désirent. Nous pensons qu'une décision d'interdiction définitive peut provoquer un changement de comportement et nous devons donc pouvoir accompagner beaucoup mieux qu'aujourd'hui les fumeurs qui souhaiteraient arrêter. C'est, avec la protection des non-fumeurs et des salariés, le troisième pilier de cette interdiction. Nous travaillons également avec l'assurance maladie sur la question de la prise en charge des substituts nicotinique ; je souhaite y associer les complémentaires santé ainsi que les entreprises qui font le choix d'aider leurs salariés dans cette démarche.

Nous sommes dans la dernière ligne droite qui précède vos conclusions et la décision du Gouvernement. En tant que ministre de la santé, je suis persuadé que l'interdiction de fumer est très attendue. Nous sommes, Mesdames et Messieurs les députés, très attendus.

M. Pierre MORANGE, rapporteur : Monsieur le ministre, tout en affirmant une volonté politique parfaitement claire, vous venez d'évoquer la possibilité d'adaptations pour certains secteurs. Ainsi, vous vous proposez de mettre en œuvre l'interdiction début 2007 mais vous prévoyez aussi un échéancier particulier pour certains secteurs ? Lesquels ?

Comme l'ont maintes fois rappelé lors des tables rondes tant les instances scientifiques et les médecins que les associations, l'interdiction de fumer n'est qu'un élément d'un tout en matière de santé publique, qui s'inscrit dans le cadre d'un chantier présidentiel. Les moyens au titre de l'information, de la pédagogie, de la communication sont-ils à la mesure de cette ambition ? Avez-vous une réflexion particulière sur ce sujet et envisagez-vous une majoration substantielle de ces crédits ?

Le secteur dit CHRD - cafés, hôtels, restaurants, discothèques et autres - craint que cette mesure n'ait pour certains des conséquences négatives sur leur chiffre d'affaires, même si bon nombre de comparaisons semblent de nature à apaiser une anxiété somme toute compréhensible. Au-delà du « contrat d'avenir », l'idée d'une « clause de revoyure » ne vous paraît-elle pas à même de rassurer ce secteur en cas d'incidences économiques liées à la décision réglementaire prise ?

M. Xavier BERTRAND : La question de l'avenir des CHRD, de même que des casinos, s'est posée dans tous les pays européens. Elle se pose naturellement de la même manière dans notre pays et nous verrons ce que la mission d'information propose à ce sujet. Tous ces lieux de convivialité sont évidemment les premiers concernés et c'est bien dans cet état d'esprit que les travaux ont été menés.

Pour ce qui est de l'échéancier, les autres pays se sont ménagé un délai de neuf à vingt-quatre mois. Pour les secteurs plus directement confrontés à la nécessité d'une adaptation, je crois qu'il faut laisser ce minimum de neuf mois. Faut-il aller au-delà ? Là encore, j'attends de connaître vos propositions. Sinon, je n'aurais pas attendu la fin de la mission parlementaire pour me déterminer. L'important à mes yeux reste que ces adaptations ne sauraient remettre en cause le principe de l'interdiction, ce qui reviendrait à totalement oublier l'aspect protection des salariés.

Sur les incidences économiques, le débat est toujours ouvert. Avec le recul et l'expérience de ce qui s'est passé dans de nombreux pays européens, on s'aperçoit que l'interdiction totale, sans aucune adaptation possible, a certes provoqué une baisse d'activité réelle, mais variable selon les secteurs et toujours temporaire. En tout état de cause, la mesure n'a pas été de nature à déstabiliser économiquement le secteur.

Cela étant, pour les établissements qui pourraient être les plus concernés - vous avez fait allusion aux cafés-tabacs - il y a évidemment la logique du contrat d'avenir ; ce dossier est directement traité par Renaud Dutreil, ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce, de l'artisanat et des professions libérales. Le rapport de Richard Mallié sur cette question sera également des plus intéressants pour envisager l'avenir de ce secteur d'activité au vu des différentes options que pourront prendre les pouvoirs publics. Il devrait être remis en décembre 2006. Mais je ne saurais mettre sur un même pied d'égalité des objectifs de santé publique, dont je suis responsable, et des considérations de nature économique. Cela étant, ce n'est pas parce que nous avons cet impératif en tête que nous devons nous désintéresser des conséquences de nos décisions.

Beaucoup de pays se sont limités à l'interdiction de fumer dans les lieux publics. Aider les fumeurs à arrêter amène à poser une série de questions, à commencer par celle, tout à fait légitime, de la prise en charge des patchs, encore que certains feront valoir que le prix journalier d'un patch nicotinique équivaut à peu près à celui d'un paquet de cigarettes... La vraie question est de savoir si nous croyons nécessaire de les aider et si la collectivité peut prendre en charge cette aide. Je suis en train de mesurer les enjeux financiers ; ils ne sont pas négligeables. En tout état de cause, nous sommes bien décidés à augmenter les moyens consacrés à la prévention, à l'éducation à la santé, à la sensibilisation. Nous sommes persuadés qu'il est possible non de contraindre, mais de convaincre. C'est tout l'enjeu de décisions davantage pesées, donc davantage appliquées et accompagnées de tout un arsenal de mesures de sensibilisation, d'information et de prévention adaptées, et d'une revalorisation des moyens accordés aux acteurs de prévention.

M. Yves BUR : Je tiens à remercier le ministre de la santé de cette prise de position, en lui demandant toutefois si elle est bien partagée par le Gouvernement dans son ensemble. Il existe effectivement un vaste consensus pour renforcer le dispositif juridique ; la question, non encore résolue, reste de savoir s'il faut passer par la loi ou par le décret. Les juristes nous ont clairement montré que le décret impliquait le maintien des emplacements réservés aux fumeurs, ceux-là même qui sont à l'origine de l'échec de la loi Évin. Si la loi me semble toujours la voie juridiquement la plus appropriée pour clarifier, je n'en mesure pas moins la difficulté de l'exercice. On peut également imaginer - ne serait-ce que pour évacuer cette possibilité - que Gouvernement prenne par ordonnances un train de mesures complémentaires qui remettrait totalement à plat la loi Évin...

M. le Président : Les parlementaires ne sauraient accepter d'être dessaisis de leur pouvoir !

M. Yves BUR : Je comprends que notre président s'en émeuve, mais peut-être est-ce une voie que nous n'avons pas suffisamment explorée. Reste que c'est bien le décret de 1992 qui a été à l'origine de l'échec de la loi de 1991. La SEITA était encore au cœur de l'État... Mais aujourd'hui, Monsieur le ministre, au moment où les cigarettiers et tous leurs alliés intensifient leur action, comment pouvez-vous nous garantir que, même par la voie du décret, les impératifs de santé publique l'emporteront sur les intérêts financiers et commerciaux ?

Il est clair dans votre esprit qu'il ne saurait y avoir deux types de salariés, ceux qui auraient droit à une protection et ceux qui, au nom d'intérêts commerciaux, ne pourraient y prétendre. Reste à connaître la longueur du délai pendant lequel cette distinction pourra subsister... Une précision sur ce point serait utile.

Enfin, au-delà du débat - qui aura pris du temps -, il va falloir trouver le moyen de susciter l'adhésion des professionnels concernés, comme on l'a fait dans tous les pays où l'interdiction a réussi - Irlande, pays nordiques, Italie - et faire en sorte que cette décision devienne une réussite sur le plan de la santé publique, qui reste un des lieux de consensus de notre société.

M. Pierre BOURGUIGNON : Interdire le plus rapidement possible de fumer dans les lieux publics, c'est la base de notre préoccupation commune ; reste à savoir comment, et à préciser la répartition des rôles. Le ministre, à mes yeux, aura à prévoir tout un travail d'accompagnement de la décision, afin que nous nous situions dans une réelle dimension de lutte positive pour l'amélioration de la santé publique - et c'est bien cette préoccupation qui a motivé la création de notre mission d'information.

Décret ou pas, l'application des dispositions existantes procédait d'une logique de confort et de qualité de vie entre les citoyens et non d'une préoccupation de santé publique comme c'est désormais le cas. Comment s'y prendre le mieux ? Le plus vite possible, le plus précisément possible, le plus généralement possible. Comment faire en sorte qu'au niveau de l'exécutif, toutes les mesures d'accompagnement nécessaires soient prises pour encourager à l'application de cette mesure ? Il faut que le texte, une fois pris, soit le moins discutable possible, autrement dit très simple et très clair : d'où l'intérêt de la loi par rapport au décret ; la loi s'inscrit parfaitement dans le jeu républicain. On pose une règle, l'interdiction de fumer dans les lieux publics, quitte à prévoir ensuite quelques adaptations. D'éventuelles dérogations dans le temps peuvent se concevoir ; mais s'en remettre au décret nous fera revenir dans les délices de l'application des anciennes règles du jeu à la française... Nombre de fumeurs reconnaissent qu'une interdiction générale serait très pratique pour tout le monde, y compris pour eux-mêmes. Car il s'agit bien de défendre les non-fumeurs, mais également les fumeurs.

Pourquoi donc, Monsieur le ministre, avant même de venir nous voir, privilégiez-vous la solution du décret, alors même que notre travail nous amène à poser le problème ? Il est possible de rassembler toutes les forces politiques sur une règle du jeu claire et précise. Les groupes de pression se sont exprimés, les positions des uns et des autres sont connues, l'orientation « santé publique » gagne dans l'opinion ; mais on ne fait pas une loi par rapport à l'opinion. Jamais je n'aurais voté la suppression de la peine de mort si j'avais suivi les sondages d'opinion de l'époque...

M. Jean-Marie LE GUEN : En écoutant votre exposé très convaincant, monsieur le ministre, on pouvait se demander si ce n'était pas le Gouvernement qui posait les principes, à charge pour l'Assemblée nationale de discuter des modalités du décret... Ce serait réécrire l'histoire récente ! Nombre de parlementaires, vous l'avez rappelé, y compris le président de notre mission, se sont battus pour une interdiction de fumer dans les lieux collectifs, et pour que cette interdiction passe par la loi. Le débat des derniers mois n'a pas porté sur les possibles exemptions ni sur les délais, mais sur le principe, et aura vu la victoire -l'opposition y a pris sa part - de deux qui ont convaincu d'abord l'opinion publique, déjà bien préparée, ensuite le Gouvernement de prendre clairement des principes d'interdiction. Aussi avons-nous été étonnés hier en apprenant que, avant même que cette mission n'ait fini ses travaux, le principal groupe de la majorité avait pris position en faveur du décret. Il ne nous est pas spontanément apparu que cet arbitrage répondait seulement au souci d'aller plus vite et plus fort ; l'argument de la rapidité peut s'appliquer aussi à la loi, d'autant que celle-ci n'a vraiment rien de bien compliqué. Si le Gouvernement voulait en déclarer l'urgence, elle pourrait tout à fait être publiée et appliquée dès le début de l'année prochaine. Ajoutons que le retard pris jusqu'à présent n'est pas totalement imputable au Parlement...

Mais le décret a un autre inconvénient. Le bon sens oblige à admettre qu'il faudra prévoir des exemptions, des accommodations, des délais. Vous avez soumis plusieurs pistes qui vont dans le sens de notre réflexion collective ; mais ce qui m'importe, c'est la solidité du dispositif juridique, et une loi a l'avantage de dire clairement des choses nouvelles par rapport à une loi ancienne. J'étais le rapporteur de la loi Évin ; à l'époque, si nous en avions l'intuition, nous ne disposions pas d'éléments scientifiques démontrant les effets du tabagisme passif et bon nombre de collègues nous reprochaient de manquer de preuves.

M. André SANTINI : Et cela continue !

M. Jean-Marie LE GUEN : Peut-être en êtes-vous resté à cette époque... Aujourd'hui, nous avons légitimement la possibilité de faire évoluer la loi, l'opinion publique et surtout l'état des connaissances ayant notablement progressé.

Le risque du décret est double. On connaît la tactique que ne manqueront pas d'employer des groupes d'intérêts puissants : une guérilla juridique qui décrédibilisera ou tout au moins fragilisera l'action publique, à laquelle ne manqueront pas de s'ajouter des conflits entre individus qui s'accuseront mutuellement de se mettre en situation de danger, au motif que le décret n'a pas forcément la solidité juridique d'une loi.

Autant de raisons pour lesquelles nous sommes partisans d'agir vite et clairement par la loi qui offre en outre l'avantage d'adresser un signal fort, normatif, à nos compatriotes ; la loi n'est pas seulement du droit, c'est aussi un acte politique qui engage la nation. Une loi aurait une valeur symbolique très forte, à plus forte raison si elle était adoptée par toute l'Assemblée. En ce qui nous concerne, nous en sommes tellement convaincus que, décret ou pas, nous ne manquerons d'agir par la loi si nous en avons la possibilité.

M. André SANTINI : Je suis heureux d'être venu, pour apprendre d'abord par la bouche de M. Le Guen que l'opposition a convaincu le Gouvernement de faire passer ce texte - elle ne manquera probablement pas de l'utiliser comme argument électoral -, ensuite que la majorité a opté pour le décret. Erreur grave ! Quant à mon ami Bur, il pousse l'audace jusqu'à suggérer l'ordonnance : ce n'est pas un crime, c'est une faute... Rendez-vous compte, Monsieur le ministre, de la journée des dupes à laquelle vous présidez !

En l'occurrence, et je vous en rends hommage, monsieur le président, cette mission s'est efforcée d'entendre le maximum de gens - sauf peut-être les fumeurs, qui n'ont guère été présents dans ce cénacle...

M.  le Président : Si.

M. André SANTINI : Quoi qu'il en soit, on sent bien une réelle convergence sur certains points. Reste tout de même le problème des débitants de tabac, dont le rôle économique, sociologique, social est important et qui jouent un rôle de proximité indispensable à notre développement rural autant qu'urbain. Or, pour l'instant, ils font un peu les frais de ce qui est annoncé. Ne parlons pas du cas des casinos, qu'il faut distinguer. Les bars-tabac sont une exception française dont on n'a guère tenu compte. Nous avons eu communication des dernières remarques du président Le Pape ; j'ai pour ma part reçu celles des débitants de tabac de mon département.

Je crois sincèrement que la loi est la seule solution. Certes, c'est difficile, c'est hasardeux. Nous verrons si l'opposition convaincra la majorité comme elle a su, paraît-il, convaincre le Gouvernement... Chacun devra prendre ses responsabilités, et qui plus est, rappelons-le au risque d'être grossier, dans un contexte préélectoral.

Par ailleurs, il y a le rapport de mon ami Mallié. Je comprends votre volonté, monsieur le ministre, de distinguer l'impératif de santé publique des impératifs économiques, mais n'est-il pas possible de l'attendre afin d'aboutir à un texte pratiquement consensuel ? Que vont devenir tous ces gens ? Sur le reste, nous sommes à peu près d'accord : la question n'est plus de savoir s'il faut ou non interdire, avez-vous dit, quoique les chiffres avancés par M. Le Guen sur le tabagisme passif ne soient pas davantage confirmés. Certains scientifiques soutiennent que les 5 000 morts que l'on nous jette régulièrement en pâture ne seraient finalement qu'un millier : quand bien même c'est déjà trop, personne ne peut exactement quantifier le tabagisme passif. L'argument reste à prouver.

Peut-être ferions-nous mieux d'attendre que des mesures soient proposées sur la base du rapport de M. Mallié, qui recueillent l'accord de l'ensemble de la profession. Vous avez déjà gagné pour beaucoup : l'arrêt de la Cour de cassation a débloqué bien des choses. Reste quand même notre exception française : le cas des buralistes.

M. Xavier BERTRAND : Est-ce à dire que nous nous retrouvons, y compris sur le principe même ?

M. André SANTINI : Nous l'avons déjà dit au sein de cette mission, monsieur le ministre, et le président Évin n'aura pas manqué d'enregistrer...

M. Xavier BERTRAND : Autrement dit, pour vous également, la question se pose aujourd'hui des adaptations, et plus précisément par les bars-tabacs ?

M. André SANTINI : Se pose la question des délais et du comment.

M. Xavier BERTRAND : Pourriez-vous préciser ce « comment » ?

M. André SANTINI : Il faut rencontrer les responsables. Ce sont des mesures à prendre en commun. Je l'ai déjà dit : il faut convaincre plutôt que contraindre.

M. Lionnel LUCA : Je regrette également que l'on ne puisse envisager une proposition de loi conjointe, majorité-opposition,...

M. le Président : J'ai déjà dit que j'étais d'accord avec cette idée.

M. Lionnel LUCA : ...qui permettrait tout à la fois d'agir rapidement et de pallier les insuffisances d'un décret.

M. le Président : Je suis prêt à en déposer une avec Pierre Morange.

M. Lionnel LUCA : Cela éviterait tout risque de voir les débats déraper, pour peu, évidemment, que chacun reste fidèle à ses déclarations.

Je trouve ensuite que cela ferait un peu désordre de prendre une mesure d'interdiction vis-à-vis de professions, qui auront une fois de plus l'impression d'être stigmatisées, sans attendre le rapport de Richard Mallié. Peut-être faudra-t-il avancer la date de sa remise ; mais ce n'était pas la peine de lui demander de faire le tour de tous les bars-tabacs de France et de Navarre pour lancer une annonce de nature à choquer une profession déjà largement perturbée par une série d'augmentations brutales. Qui plus est, son congrès tombe en octobre... Ce ne serait pas une mauvaise chose que d'ajuster au mieux les dates des uns et des autres afin de parvenir à un consensus, à une coresponsabilité sur une mesure que plus personne ne conteste.

Enfin, il ne suffira pas de décréter l'interdiction, de prévoir des délais et des mesures d'accompagnement : encore faut-il savoir qui l'appliquera. Si nous sommes en train de parler de cette affaire aujourd'hui, c'est bien parce qu'une autre loi n'est pas appliquée plusieurs années après avoir été adoptée. Après un début d'application, il s'est produit un relâchement : peut-être la loi Évin était-elle malaisée à appliquer, mais peut-être ne s'est-on pas donné tous les moyens pour ce faire. Nous devrions y réfléchir : il n'y aurait rien de pire que de se contenter d'effets d'annonce sans nous donner les moyens, comme l'ont fait nos voisins, de les mettre en œuvre. Pour parler clair, chez mes voisins italiens, c'est la police qui intervient dans les restaurants et qui se charge de faire respecter la loi, tant par le consommateur que par le restaurateur. Y sommes-nous prêts, quand on sait que l'interdiction de vendre du tabac aux mineurs n'est pas toujours respectée, chacun estimant qu'il n'a pas à faire le flic ?

M. Gérard BAPT : M. Santini conteste les chiffres sur le tabagisme passif ; je suis surpris, connaissant son appétence pour les nouvelles technologies, de le voir douter ainsi des plus récentes études scientifiques nationales et internationales... Au demeurant, l'écart ne se situe pas entre 1 000 et 5000, mais bien entre 5 000 et 9 000 ! Qui plus est, les sondages montrent qu'une certaine proportion des fumeurs est favorable à l'interdiction dans les lieux publics parce qu'elle les aidera à s'arrêter de fumer ; autrement dit, la mesure n'intéresse pas seulement les non-fumeurs exposés au tabac.

« L'opposition aurait convaincu le Gouvernement », ai-je entendu ; l'inverse est également exact, puisque c'est la majorité et le Gouvernement qui ont convaincu l'opposition de ne pas faire usage de sa niche parlementaire : M. Bur ne me contredirait pas sur ce point... Disons qu'il y a eu une interaction dialectique et que nous sommes tombés d'accord pour trancher cette affaire avant la fin de la législature.

J'ai moi aussi pris connaissance du compte rendu de la réunion du groupe majoritaire où celui-ci reconnaissait au décret la vertu de la rapidité ; mais comme le disait M. Le Guen, la voie législative peut être tout aussi rapide, pour peu qu'on le veuille. À cet égard, le rapport Mallié ne traite que des mesures d'accompagnement ; il n'y a donc pas lieu de prendre un nouveau retard en attendant sa parution.

Autre raison avancée par le groupe UMP pour expliquer son choix du décret : la loi exposerait le Parlement aux pressions du lobby des cigarettiers. Mais ceux-ci ont eu tout loisir de s'exprimer dans le cadre de la mission d'information, à tel point que leur position a semble-t-il évolué : certains ont d'ores et déjà pris des mesures d'information sur leurs produits qui vont plutôt dans le bon sens. Cela ne me paraît donc pas un argument décisif pour privilégier le décret plutôt que la loi.

Enfin, la synthèse des travaux de la mission mi-septembre, a mis en avant le fait que la communication serait une des conditions de réussite de la mesure, quel qu'en soit le véhicule. Or un débat parlementaire est déjà en soi un outil de communication et de sensibilisation... Autant de raisons pour lesquelles, Monsieur le ministre, sous réserve des adaptations que vous pourriez décider pour une catégorie professionnelle particulière, vous avez tout intérêt à choisir la voie parlementaire.

Mme Josiane BOYCE : Je reviens d'Italie où j'ai pu constater qu'après un mois et demi d'adaptation, la mesure a été parfaitement intégrée par la profession. Il est à noter que les buralistes-cafetiers italiens font également snack-bar : autrement dit, ils vendent également de la nourriture, auparavant préparée dans la fumée, ce qui n'est plus le cas désormais. Tous les professionnels que j'ai rencontrés, à une exception près, ont apprécié cette mesure qui n'a apparemment eu aucune conséquence négative sur le plan économique. Au demeurant, il s'agit davantage d'une loi antifumée que d'une loi antitabac : de l'avis général, la consommation est restée à peu près la même. On continue à fumer, mais dans d'autres endroits.

L'interdiction est entrée en application le 10 janvier 2005 à minuit ; à minuit cinq, les premiers contrôles de police avaient lieu... Une brigade de carabiniers avait été spécialement mise en place pour veiller à son application. Cela a duré assez peu de temps : les amendes dissuasives - de 275 à 2 200 euros - ont rapidement mis fin à toute polémique. Même dans les villes de moindre importance, et jusqu'aux plus petites, la loi est partout respectée, admise, appréciée et considérée comme « juste », c'est-à-dire, ai-je cru comprendre, respectueuse des libertés individuelles. La chose peut surprendre venant des Italiens que l'on aime à décrire frondeurs. S'ils respectent à ce point cette loi, c'est probablement qu'ils y trouvent des satisfactions...

L'application de l'interdiction en France pose un problème un peu particulier : les villes relèvent de la police municipale et de la police, les campagnes de la gendarmerie. Fort peu de petits bourgs ont une police municipale. Comment faire appliquer les sanctions alors que la police dépend de l'intérieur et la gendarmerie des armées ?

M. Jean-Marie LE GUEN : Vous oubliez la réforme Sarkozy !

M. le Président : Personne n'a nié que des menaces économiques pesaient sur l'activité des buralistes. Rappelons toutefois qu'elles ne sont pas exclusivement liées à l'interdiction de fumer dans les lieux à usage collectifs, mais d'abord et avant tout à une politique de santé publique qui s'attache à réduire la consommation de tabac. Cette réduction d'activité appelle des mesures d'accompagnement ; mais la question posée à propos de l'interdiction de fumer dans les lieux à usage collectif est celle de la protection des non-fumeurs, même si celle-ci contribue effectivement à faire diminuer la consommation. Autrement dit, évitons de confondre deux problématiques : à problème économique, réponse économique, et à problème de santé publique, réponse de santé publique. La concomitance des conclusions que certains appellent de leurs vœux ne se justifie peut-être pas totalement au regard des préoccupations de santé économique.

Monsieur le ministre, vous avez évoqué deux types d'adaptation possibles : les fumoirs et une exonération temporaire concernant les bars-tabac.

M. Xavier BERTRAND : Je ne l'ai pas dit comme cela... Cela mérite précision.

M. le Président : Par « fumoirs », vous entendez des lieux spécifiquement prévus pour les fumeurs, que la loi rend possibles, mais non obligatoires, hermétiquement clos, auxquels pas plus les personnels de service que les personnels d'entretien n'auront accès. Ne pensez-vous pas que, ce faisant, vous créez une discrimination entre établissements compte tenu de l'investissement que ces fumoirs représenteront ? Très concrètement, cette possibilité sera réservée aux casinos, aux grands restaurants ou brasseries, alors que les petits restaurants de quartier n'auront jamais les moyens d'en installer un. Cela ne revient-il pas à créer une interdiction différenciée qui permettra à de gros investisseurs de trouver une solution qu'un petit restaurateur ne pourra se permettre ?

Quant à l'exonération, certes temporaire, dont pourraient bénéficier les bars-tabac, n'est-elle pas de nature à brouiller le message ? On laissera fumer pendant un temps dans les bars-tabac, mais que fera-t-on dans les bars sans tabac, par exemple ?

M. Xavier BERTRAND : C'est bien pour cela que je ne fais pas de différence entre les deux...

M. le Président : Et dans les bars ? Comment distinguer celui qui fait un peu de restauration et celui qui ne vend que de la boisson ? On a vu ce qui s'est passé avec le décret de 1992 : dès que l'on commence à mettre le doigt dans les adaptations, ne risque-t-on pas de brouiller le message et de compromettre un objectif que nous partageons ? Je me félicite de la manière dont vous avez présenté les choses, mais l'outil et les moyens envisagés répondent-ils bien au but recherché ?

Enfin, le décret ne pose-t-il pas un problème de sécurité juridique ? J'ai entendu parler d'une note du Conseil d'État, mais nous ne l'avons jamais vue. A-t-elle seulement existé ? Je me souviens en tout cas avoir entendu la position d'un de ses membres : imaginer que vous allez écrire un nouveau décret sur la base de la même loi tend à apporter juridiquement la preuve, ou bien que le décret de 1992 n'appliquait pas bien la loi, ou bien que le nouveau n'a aucun fondement légal. Je comprends qu'il soit plus facile, en cette période préélectorale, de ne pas saisir le Parlement ; mais je suis persuadé qu'il y existe une majorité prête à y aller. Reste la question du délai : j'ai pensé à une date plus tardive et suggéré de démarrer au 1er septembre 2007, au moment de la rentrée scolaire - on sait que la loi n'est pas appliquée dans les établissements scolaires. Sur une telle démarche, on peut trouver des consensus ; encore faut-il de part et d'autre des engagements pour l'appliquer d'une manière claire, sans discussion, à une date précise et identifiée. Refaire un décret sur la base d'une loi qui n'a pas changé serait pour moi flatteur : la loi Évin n'était finalement pas si mauvaise... Mais nous sommes tous ici attachés à ce que notre action en matière de santé publique soit vraiment efficace et se traduise par de réels progrès en matière de protection des non-fumeurs.

M. le Rapporteur : Qu'en est-il du cas précis des établissements tenus par le seul gérant ou propriétaire, sans salariés ? La jurisprudence de la Cour de cassation posant désormais le principe d'une obligation de résultat de l'employeur vis-à-vis de son salarié a été un élément déterminant. Dès lors, les petits bars-tabac qui n'emploient pas de salarié, nombreux dans les communes rurales, appellent-ils dans votre analyse une réflexion spécifique ?

Enfin, quatre grands corps ont été déclarés compétents pour assurer l'application de la loi de 1991, mais les décrets d'habilitation et d'assermentation n'ont toujours pas été pris... Est-ce encore envisagé, et envisageable ?

M. Xavier BERTRAND : C'est envisageable... et envisagé. Le décret paraîtra avant la fin de l'année et désignera un certain nombre de corps de contrôle : les médecins inspecteurs de la santé publique, les inspecteurs de l'action sanitaire et sociale et les ingénieurs du génie sanitaire seront habilités et assermentés.

L'arrêt de la Cour de cassation ayant bien précisé les droits à protection du salarié et les conséquences qui en découlent sur l'exécution du contrat de travail, le fait qu'il n'y ait pas de salarié est-il de nature à changer la donne ? On peut le penser, mais cela ne met pas pour autant le gérant totalement à l'abri. Prenons le conjoint, par exemple, même s'il n'est lié par aucun lien de subordination ni contrat de travail : ne pourrait-il être tenté, à l'occasion d'une séparation notamment, d'engager sa responsabilité ? Et comment réagiraient les non fumeurs venant dans l'établissement ? Enfin, comment couper court à la tentation de se séparer du salarié pour bénéficier d'un régime d'exemption ? Tout porte à croire qu'il n'y aurait plus d'embauche dans ce secteur dans la mesure où elle se traduirait par la perte d'un avantage. La question a effectivement été posée par plusieurs acteurs de la profession ; mais au vu de ces difficultés, je ne pense pas qu'il soit possible de prendre un tel paramètre en compte.

S'agissant du tabagisme passif, on avance souvent le chiffre de 5 000 décès par an, qui correspond aussi au tabagisme passif qui sévit dans les lieux privés et particulièrement au domicile. Je ne suis donc pas certain que l'interdiction de fumer dans les lieux publics permettra du jour au lendemain d'éviter 5 000 morts ; ce qui est certain, c'est que nous pouvons provoquer une prise de conscience pour mettre en mouvement les comportements et les mentalités. C'est là qu'est le véritable enjeu. On n'est pas victime du tabagisme passif uniquement dans les lieux publics.

Décret ou loi ? Vaste débat, mais qui intéressera davantage le législateur et les représentants des pouvoirs publics qu'il ne passionnera les Français. Pour eux, la seule question qui compte, c'est de savoir quand les choses vont changer. C'est pourquoi l'important est de bien se positionner sur ce que nous allons faire, plutôt que sur la manière de procéder. Je crois sincèrement que la loi de 1991 est une bonne loi - je n'en dirai pas autant du décret de 1992. Précisons que je nourris des sentiments rigoureusement concordants à l'endroit des deux ministres en cause ! La loi Évin posait un principe, mais le décret n'est pas allé suffisamment dans le détail pour qu'elle soit réellement appliquée et respectée. Le cadre juridique convient toujours, mais nous avons besoin d'un décret qui aille suffisamment dans le détail pour éviter toute divergence d'interprétation. Ce qui nous intéresse, c'est d'être efficace, c'est d'avoir un texte applicable et appliqué. Pour nous assurer une sécurité juridique, nous avons sollicité la mission juridique du Conseil d'État, laquelle nous a indiqué que, dès lors que nous nous situions dans ce cadre, un décret convenait parfaitement.

Il y a un débat préélectoral, c'est vrai. Un tel sujet de santé publique peut-il échapper à toute considération politique ? Sur le principe, je le crois. Dans le détail, pour certaines modalités, j'aimerais en être convaincu... Le fait est que, si nous voulons parvenir à ces fins, nous n'avons pas besoin à proprement parler d'une loi, ni de repositionner le cadre juridique : le décret suffit. De surcroît, préparation d'un décret ne signifie pas absence de concertation ; si nous attendons le résultat de votre mission d'information, c'est bien parce que nous prendrons en compte votre travail. Et nous sommes prêts à associer au maximum les parlementaires à tout ce qui suivra. Il en va de même pour les partenaires sociaux et les professionnels : nous les avons associés à la concertation, nous continuerons à les consulter.

Nous pourrions parfaitement décréter l'urgence sur un texte comme celui-ci sans, pour une fois, encourir de reproches...

M. Jean-Marie LE GUEN : Certains parlementaires vont jusqu'à préconiser les ordonnances !

M. Xavier BERTRAND : Le calendrier parlementaire est déjà très contraint, avec l'examen du projet de loi de finances, puis du projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) - et je ne demanderai à personne d'accélérer le travail sur le PLFSS pour dégager des créneaux horaires...

M. le Président : Déposez un amendement dans le PLFSS...

M. Pierre BOURGUIGNON : Il suffit d'un seul article !

M. Jean-Marie LE GUEN : Je m'engage à vous réduire d'une journée l'examen du PLFSS si vous déposez un projet de loi !

M. Xavier BERTRAND : Seriez-vous prêt à un tel engagement ?

M. Jean-Marie LE GUEN : Absolument ! Nous terminerions l'examen du PLFSS le jeudi soir, et le vendredi matin nous examinerions votre projet de loi...

M. Xavier BERTRAND : Je trouve dommage que vous affichiez des priorités dans certains secteurs...

M. André SANTINI : Que voulez-vous, il est comme ça !

M. Jean-Marie LE GUEN : La santé publique, c'est important !

M. Xavier BERTRAND : La viabilité de notre système de protection sociale l'est tout autant.

M. Jean-Marie LE GUEN : Nous n'essaierons même plus de vous convaincre sur cet aspect des choses...

M. Xavier BERTRAND : Est-ce à dire que j'aurais réussi à vous convaincre sur le reste ? Je n'en demandais pas tant !

Qui plus est, il nous faudrait nous dégager le même créneau aux Sénat pour avoir un texte voté dans des conditions similaires : en toute franchise, je ne suis pas certain que nous puissions tenir les délais et assurer un commencement d'application pour le début de l'année.

Certains répondront que l'application peut être décalée de neuf mois ou un an. C'est oublier les deux chiffres que j'ai cités tout à l'heure. La mise en place d'une nouvelle donne juridique ne garantira pas que nous réussirons à épargner 66 000 vies du jour au lendemain ; en revanche, nous savons quel sera l'impact en termes de santé publique d'une année perdue. Ajoutons qu'un décret exigera la consultation du conseil supérieur des risques professionnels : autrement dit, la publication sera obligatoirement assortie d'une consultation préalable avant la fin de l'année, voire la fin du mois de novembre.

Loi ou décret, l'enjeu ne me paraît pas de nature politique. Les avis, on le voit, sont partagés et un tel sujet de santé publique dépasse tous les clivages. C'est la raison pour laquelle je souhaite des mesures d'application avant même les prochaines échéances électorales.

Pour ce qui est des aménagements ou adaptations, ne jouons pas sur les mots. Le terme « fumoir » n'est pas le mien. Soucieux d'éviter tout glissement sémantique, je parle de « pièces fumeurs fermées » - la pièce « fumoir » est à proprement parler connotée. Je ne sais quel était votre état d'esprit lorsque vous avez introduit ces fameux « espaces » dans la loi de 1991...

M. le Président : Vous l'avez vous-même évoqué : en 1991, le débat n'était pas de même nature. On n'avait pas la même conscience de l'impact du tabac sur l'apparition des cancers et des maladies cardiovasculaires. Il s'agissait avant tout d'une démarche de courtoisie vis-à-vis d'une gêne, qui visait à permettre une cohabitation entre fumeurs et non-fumeurs. Le contexte a depuis considérablement évolué : il n'est plus question de cohabitation, mais d'un impératif de santé publique, au vu de l'état actuel de nos connaissances scientifiques et épidémiologiques. L'état d'esprit était totalement différent en 1991 et c'est ce qui explique que la loi ait laissé la possibilité d'espaces fumeurs. On notera à ce propos que l'opinion a de ce sujet une lecture contraire de ce que dit la loi : un restaurant, en tant que lieu à usage collectif, est par définition un espace non-fumeur dans lequel peuvent être ménagés des espaces spécifiquement réservés aux fumeurs. Avant 1991, on fumait partout, sauf dans les espaces non-fumeurs... La loi Évin a inversé la logique. Mais dans l'application concrète, les choses ne se sont pas passées ainsi. Le décret de 1992 a considérablement brouillé le message.

M. Jean-Marie LE GUEN : N'importe quel juriste aura beau jeu de reprendre les propos que le ministre, comme le rapporteur, tenaient à l'époque pour répondre à certains parlementaires qui nous accusaient de remettre en cause le droit du travail et autres : nous répétions sans cesse qu'il était question non pas d'interdire de fumer sur les lieux de travail, mais d'essayer de séparer les non-fumeurs des fumeurs. Quoi qu'on dise, le Parlement a délibéré sur un texte qui procédait d'une logique de séparation et non d'une logique d'interdiction et de protection. Le background était totalement différent : on parlait de convivialité, de mauvaises odeurs et non du nombre de décès. L'épidémiologie n'était pas encore assurée, à tel point que j'ai refusé que ces éléments, à mes yeux insuffisamment solides et authentifiés, figurent dans mon rapport.

M. Xavier BERTRAND : Vous avez évoqué le risque de possibles distorsions de concurrence. L'exemple de l'Italie, le plus intéressant sur le plan de l'applicabilité, montre que fort peu d'établissements ont choisi d'aménager des lieux fumeurs fermés. Il n'est pas question d'encourager leur création, mais simplement de la permettre si l'exploitant le juge nécessaire.

M. le Président : S'il le veut... et s'il le peut.

M. Yves BUR : Et en prévoyant des délais bien précis.

M. Xavier BERTRAND : J'attends de connaître vos orientations avant de mettre au point un « cahier des charges virtuel » qui entraînerait des frais tels que l'opération en deviendrait impossible... Vous craignez une distorsion de concurrence au profit des établissements les plus importants. Mais d'ores et déjà, nombre de grandes chaînes n'ont pas attendu le changement de réglementation pour passer totalement en non-fumeurs. Au surplus, l'interdiction de toute prestation service dans une pièce fumeurs fermée, à la rigueur imaginable dans un bar, rend la chose totalement impensable dans un restaurant.

Venons-en au cas des bars-tabacs. Juridiquement, on ne peut établir de différence entre le bar à proprement parler et le bar-tabac. Certes, ce dernier est lié par un contrat spécifique avec l'État ; mais l'important, et vous-mêmes l'avez relevé dans vos travaux, reste cette notion de lieux de convivialité, les fameux CHRD qui, sur le plan juridique, forment un bloc homogène. Voilà pourquoi on ne peut parler des seuls bars-tabacs, et l'idée défendue par certain de créer une exception définitive en leur faveur reviendrait peut-être à créer une distorsion de concurrence au détriment d'établissements de nature très proche : le seul fait de vendre du tabac, en partie pour le compte de l'État, ne saurait juridiquement fonder une telle différence de traitement. Il faut s'en tenir au « bloc de convivialité » pour lequel on peut concevoir un délai d'application, mais en aucun cas une exception définitive, sauf à totalement se désintéresser du sort de leurs salariés.

M. André SANTINI : Vous reconnaissez donc que le fait de pouvoir fumer dans un bar-tabac serait un avantage concurrentiel...

M. Jean-Marie LE GUEN : En effet, une niche concurrentielle.

M. André SANTINI : C'est donc que les gens vont s'y précipiter pour y fumer, contrairement à ce que vous souhaitez !

M. Xavier BERTRAND : La question des distorsions de concurrence doit être posée avec le plus grand sérieux. Vous n'avez pas juridiquement la possibilité de faire une différence de traitement entre les bars au motif que certains vendent du tabac pour le compte de l'État. En laissant la possibilité d'espaces non-fumeurs, la loi Évin n'a pas pour autant instauré une sorte de droit à fumer. Et cet « avantage » - dont je vous laisse la paternité et qui reste à démontrer - n'enlève rien au fait que les impératifs de santé publique s'appliquent également partout ; et ce serait précisément créer une grave distorsion de concurrence que de ne pas englober l'ensemble des lieux de convivialité. Voilà pourquoi on ne peut dans ce domaine penser à l'un et oublier les autres.

M. le Président : Je partage cette appréciation. Est-ce à dire qu'une éventuelle exemption temporaire ne pourrait s'imaginer qu'appliquée à l'ensemble du secteur des CHRD ?

M. Xavier BERTRAND : C'est vous-même qui avez mis en avant cette notion de « lieux de convivialité... ».

M. le Président : C'est bien pour cela, me semble-t-il, qu'une exemption, fût-elle temporaire, au profit de l'ensemble des CHRD, compliquerait grandement la situation. Il faut que la réglementation s'applique à tout le monde et à un même moment, clairement identifié.

M. Pierre BOURGUIGNON : Avec une loi, la règle est simple...

M. Xavier BERTRAND : Mais nous ne sommes pas tout à fait du même avis sur le début d'application.

M. le Président : Pas seulement là-dessus : vous ne souhaitez pas que la réglementation s'applique à tout le monde au départ, puisque vous envisagez un décalage pour les CHRD.

M. Xavier BERTRAND : Mais mon point de départ est plus rapproché que le vôtre...

M. le Président : Certes, mais sur le plan de l'efficacité, faire démarrer tout le monde ne même temps évitera bien des problèmes d'application.

M. André SANTINI : Il faudra une loi pour vous départager !

M. Pierre BOURGUIGNON : La loi fixe la règle du jeu, la technique d'application vient après.

M. Xavier BERTRAND : Mon sentiment est qu'il existe déjà une loi qui peut fixer les règles du jeu, et qu'en tout état de cause il doit être possible de commencer plus tôt que vous ne le pensez - mais je ne veux pas préjuger des conclusions de la mission.

M. le Président : Vous ne parviendrez pas à me convaincre que vous serez plus efficace : je maintiens que si vous dissociez les dates de mise en œuvre, vous brouillerez le message dans l'opinion. Nous en reparlerons dans un an...

M. Xavier BERTRAND : Je me garderai bien de me poser en seul juge de ce que pense l'opinion, mais les études sont très convergentes...

M. le Président : L'opinion le demande.

M. Xavier BERTRAND : Elle demande également des adaptations de délais et de lieux.

M. le Président : Vous n'avez pas non plus à répondre à tout ce que l'opinion demande...

M. Xavier BERTRAND : C'est exactement ce que je disais tout à l'heure... Mais il y a un autre aspect : l'acceptation et l'application des textes. Si vous prenez une mesure sans être allé dans les détails, vous serez fatalement amené à devoir fermer les yeux sur sa non-application en certains points du territoire.

M. Pierre BOURGUIGNON : Mais non, Monsieur le ministre ! Jouons le jeu normalement : la règle du jeu fixée par la loi, l'exécutif, le ministre et les services prenant les mesures d'adaptation !

M. Xavier BERTRAND : On a vu ce que cela a donné en 1992 !

M. Pierre BOURGUIGNON : Préparons-le ensemble : passer par la loi suppose un consensus !

M. Xavier BERTRAND : Élu de longue date, vous savez comme moi qu'en politique, l'important n'est pas seulement l'annonce et la décision, mais l'application. Rien n'existe pour nos concitoyens tant qu'ils n'ont pas senti de modification de leur quotidien. C'est d'ailleurs ce qui décrédibilise grandement la politique au sens large ; et s'il nous faut nous bouger davantage qu'à certaines époques, c'est bien pour réconcilier les Français et la politique.

M. Pierre BOURGUIGNON : Tout à fait d'accord.

M. Xavier BERTRAND : Voilà pourquoi je ne veux pas prendre une décision qui ne serait qu'un effet d'annonce, faute d'avoir été jusqu'au bout des choses, pensé aux moindres détails. Plus d'une fois je suis allé moi-même dans des bars-tabacs pour voir ce qui était possible, ce qui était acceptable, et ce que l'on savait faire. Nous pouvons faire bouger les choses, mais gardons-nous de rester dans nos bureaux, fussent-ils ministériels, en pensant qu'elles iront de soi. Voilà pourquoi je préfère être plus précis en allant jusqu'au bout, ce que n'avaient pas fait les rédacteurs du décret de 1992.

M. Jean-Marie LE GUEN : Mais la loi de 1991 ne dit pas ce que vous dites.

M. Xavier BERTRAND : Pour ce qui est de l'accompagnement, le rapport Mallié sortira autour du 15 décembre. Nous aurons tout loisir d'intégrer cette contribution sachant que si la mesure prend ses premiers effets début janvier, nous pourrons prévoir un délai d'application pour certains secteurs d'activité ; cela nous laissera le temps de décider, mais également d'évaluer et d'accompagner. Si l'objectif de santé publique prime à mes yeux, nous ne saurions pour autant oublier les incidences économiques que pourrait avoir notre décision sur certains acteurs.

M. André SANTINI : Parfait !

M. Xavier BERTRAND : Je n'en demandais pas tant...

Enfin, Monsieur Bapt, des lignes nous parcourent, dont je ne suis pas sûr qu'elles se situent entre majorité et opposition. Sans aller jusqu'à affirmer que, sur des enjeux de santé publique, nous sommes capables de dépasser les clivages politiques, j'ai le sentiment que cela peut tout de même y ressembler.

M. Jean-Marie LE GUEN : Je n'ai pas toujours compris où, dans quels lieux, mise à part l'Assemblée nationale, les choses vont changer à compter du 1er janvier prochain...

M. Xavier BERTRAND : J'attends de connaître les conclusions que vous rendrez mardi prochain ; pour l'heure, je n'ai pas voulu vous soumettre à un feu roulant de questions et je m'en suis tenu à vous faire part de mes convictions de ministre de la santé. On a craint un moment que le ministre ne décide tout seul et n'ait déjà préparé son décret. Je vous ai indiqué très clairement ma position et les questions qui se posaient ; mais j'ai également à cœur de connaître exactement celles de l'ensemble des membres de votre mission. Le Gouvernement prendra sa décision pour la mi-octobre.

M. Jean-Marie LE GUEN : Mais physiquement, quels peuvent être les lieux concernés ?

M. Xavier BERTRAND : Les services publics et entreprises qui ne sont pas des lieux de convivialité, par exemple.

M. Jean-Marie LE GUEN : Mais l'enjeu majeur est précisément dans ces lieux-là : bars-tabac et restaurants...

M. Xavier BERTRAND : Je ne partage pas tout à fait ce point de vue. N'oublions pas tous ces lieux de travail où, disons-le, la loi Évin n'est pas respectée, toutes ces administrations dans lesquelles il reste encore beaucoup de travail à faire. Non seulement cette mesure y est attendue, mais elle ne saurait être davantage différée. Cela nous fait un champ beaucoup plus vaste qu'on ne le dit.

Un mot enfin à propos de la sécurisation juridique : il s'agira bien évidemment d'un décret en Conseil d'État, qui offrira toutes garanties à cet égard.

M. le Président : Monsieur le ministre, nous vous remercions ; nous rendrons nos conclusions mardi.

1 Cet intitulé a été conservé bien que non pertinent : la notion de « lieux publics » n'apparaît pas dans la loi n° 91-32 du 10 janvier 1991 et aboutit, stricto sensu, à exclure les entreprises de la réflexion.

2 Table ronde du 5 juillet 2006.

3 Art. R. 3512-1 du code de la santé publique.

4 Art. R. 3512-2 du code de la santé publique.

5 Claude Évin, Revue de droit sanitaire et social, mars-avril 2006, N° 2/2006.

6 Enquête Droit des non-fumeurs/TNS Direct, octobre 2004.

7 Table ronde du 14 juin 2006.

8 Table ronde du 28 juin 2006.

9 Table ronde du 14 juin 2006.

10 Table ronde du 5 juillet 2006.

11 Table ronde du 14 juin 2006.

12 M.  Didier Jayle, Président de la Mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie (MILDT), Table ronde du 14 juin 2006.

13 « La fumée de tabac secondaire- Effets sur la santé et politiques de contrôle de l'usage du tabac dans les lieux publics ». Institut National de Santé publique du Québec. Mai 2006.

14 Table ronde du 14 juin 2006.

15 Table ronde du 21 juin 2006.

16 M. le Professeur Bertrand Dautzenberg, Table ronde du 21 juin 2006.

17 US Environmental Protection Agency (1992), Respiratory health effects of passive smoking: lung cancers and other disorders. US Environmental Protection Agency: Washington.

18 Disponible en ligne: www.health.gov.au:80/nhmrc/advice/nhmrc/index.htm

19 Bulletin de l'Académie Nationale de Médecine,1997, 181, n° 4 et 5, séances des 29 avril et 6 mai 1997.

20 Smoking and tobacco control Monograph 10. Health effects of exposure to environmental tobacco smoke. California environmental Protection Agency. http://rex.nci.nih.gov/NCIMONOGRAPHS/MONO10.HTM

21 Organisation mondiale de la santé (1999), International consultation on environmental tobacco smoke and child health: consultation report. OMS : Genève. (WHO/NCD/TFI/99.10.) Disponible en ligne: www.who.in/toh/consult.htm.

22 La documentation française. Le tabagisme passif. Rapport au Directeur Général de la santé. 2001

23 California Environmental Protection Agency. Proposed identification of environmental tobacco smoke as a toxic air contaminant. Mars 2005. www.epa.gouv/smokefree/healtheffects.html.

24 Table ronde du 21 juin 2006.

25 M. Philippe Mourouga, directeur du département « prévention et dépistage » de l'Institut national du cancer, table ronde du 14 juin 2006.

26 « La fumée de tabac secondaire - Effets sur la santé et politiques de contrôle de l'usage du tabac dans les lieux publics ». Institut National de Santé publique du Québec. Mai 2006.

27 Table ronde du 21 juin 2006.

28 Table ronde du 21 juin 2006.

29 British Medical Journal 2004, 328, 977-980.

30 Pueblo city country health departement.

31 « La fumée de tabac secondaire - Effets sur la santé et politiques de contrôle de l'usage du tabac dans les lieux publics ». Institut National de Santé publique du Québec. Mai 2006.

32 « La fumée de tabac secondaire - Effets sur la santé et politiques de contrôle de l'usage du tabac dans les lieux publics ». Institut National de Santé publique du Québec. Mai 2006.

33 Table ronde du 21 juin 2006.

34 « Tabagisme des femmes enceintes : nous ne pouvons pas rester sans rien faire », transmis par le Professeur Maurice Tubiana.

35 « La fumée de tabac secondaire - Effets sur la santé et politiques de contrôle de l'usage du tabac dans les lieux publics ». Institut National de Santé publique du Québec. Mai 2006.

36 La fumée de tabac secondaire - Effets sur la santé et politiques de contrôle de l'usage du tabac dans les lieux publics. Institut national de santé publique du Québec, 2006.

http://www.inspq.qc.ca/pdf/publications/487-FumeeTabacSecondaire.pdf

37 Professeur Maurice Tubiana. Rapport sur le tabagisme passif. Bull Acad Natle Med. 1997, 181, 727-735.

38 Jamrozick K. An estimate of deaths attributable to passive smoking in Europe. In Lifting the smokescreen: 10 reasons for a smoke free Europe. INCa/CRUK/ERS/EHN.2006.

39 Table ronde du 14 juin 2006.

40 Octobre 2005.

41 http:/www.cdc.gov/tobacco/sgr/sgr_2006/index.htm

42 Table ronde du 13 septembre 2006.

43 Table ronde du 21 juin 2006.

44 Recommandation 716 (1973) relative à la réglementation de la publicité concernant le tabac et l'alcool et aux mesures visant à freiner la consommation de ces produits.

45 Résolution 1286 (2002), Lutter contre la tabagisme passif et actif : oser innover et renforcer les actions pour la sauvegarde de la santé publique.

46 Table ronde du 21 juin 2006.

47 Recommandation 2003/54/CE du Conseil, du 2 décembre 2002, relative à la prévention du tabagisme et à des initiatives visant à renforcer la lutte antitabac [Journal officiel L 22 du 21.01.2003].

48 Table ronde du 21 juin 2006.

49 Table ronde du 21 juin 2006.

50 Table ronde du 28 juin 2005.

51 M.  Pierre Sargos, Table ronde du 21 juin 2006.

52 Table ronde du 21 juin 2006.

53 CE Contentieux, 03-03-2004, n° 241151, Ministre de l'emploi et de la solidarité c/ consorts Botella.

54 Cour Cass., soc., 29 juin 2005.

55 Table ronde du 21 juin 2006.

56 Table ronde du 5 juillet 2006.

57 Cour Cass., soc., 29 juin 2005.

58 Table ronde du 28 juin 2006.

59 « Peut être également reconnue d'origine professionnelle une maladie caractérisée non désignée dans un tableau de maladies professionnelles lorsqu'il est établi qu'elle est essentiellement et directement causée par le travail habituel de la victime et qu'elle entraîne le décès de celle-ci ou une incapacité permanente d'un taux évalué dans les conditions mentionnées à l'article L. 434-2 et au moins égal à un pourcentage déterminé ».

60 Table ronde du 21 juin 2006.

61 Table ronde du 28 juin 2006.

62 M. Pierre Sargos, Table ronde du 21 juin 2006.

63 Table ronde du 5 juillet 2006.

64 Table ronde du 28 juin 2006.

65 Table ronde du 21 juin.

66 Table ronde du 14 juin 2006.

67 Audition du 7 juin 2006.

68 Grizeau D. Tabac. In : Baudier F, Dressen C, Alias F (eds). Baromètre Santé 1992. CFES,
Paris, 1993 : 94-113.

69 Table ronde du 14 juin 2006.

70 Table ronde du 21 juin 2006.

71 Ceux qui importeront des cigarettes d'Inde ne paient que la taxe sur le prix de vente.

72 Table ronde du 21 juin 2006.

73 Table ronde du 5 juillet 2006.

74 Rapport de Luk Joossens de la fédération belge du cancer sur « Les politiques de contrôle du tabac dans 28 pays européens » octobre 2004.

75 Table ronde du 28 juin 2006.

76 Intervention de M.Didier CHENET lors de la table ronde du 14 juin 2006.

77 Table ronde du 5 juillet 2006.

78 Déclarations annuelles de données sociales de l'année 2004 des entreprises actives au 1er janvier 2005 selon le répertoire SIRENE des entreprise (source INSEE, calculs DCASPL).

79 M.  Franck Trouet, directeur du service juridique et social du Synhorcat.

80 M. René Le Pape, Table ronde du 5 juillet 2006.

81 Audition de M. Patrick Malvaes, Syndicat national des discothèques et lieux de loisirs (SNDLL).

82 Article R. 3511-1,3° du code de la santé publique.

83 Article 74-1 du décret du 22 mars 1942 portant règlement d`administration publique sur la police,la sûreté et l'exploitation des voies ferrées d'intérêt général et d'intérêt local.

84 Intervention de M.Didier Maus lors de la table ronde n°4 du 5 juillet 2006.

85 Table ronde du 28 juin 2006.

86 Cité dans : La fumée de tabac secondaire - Effets sur la santé et politiques de contrôle de l'usage du tabac dans les lieux publics. Institut national de santé publique du Québec, 2006. http://www.inspq.qc.ca/pdf/publications/487-FumeeTabacSecondaire.pdf

87 « Les Effets sur la santé de la fumée de tabac ambiante (FTA) sur le lieu du travail », (décembre 2002).

88 Table ronde du 5 juillet 2006.

89 Table ronde du 5 juillet 2006.

90 Table ronde du 28 juin 2006.

91 Table ronde du 5 juillet 2006.

92 Table ronde du 28 juin 2005.

93 Table ronde du 28 juin 2006.

94 Table ronde du 28 juin 2006.

95 Table ronde du 28 juin 2006.

96 Table ronde du 5 juillet 2006.

97 Table ronde du 5 juillet 2006.

98 () Table ronde du 5 juillet 2006.

99 M. Didier Maus, Table ronde du 5 juillet 2006.

100 CE Ass. 4 juin 1975, Bouvet de la Maisonneuve.

101 Conseil constitutionnel, 20 février 1987, Décision n° 87-149.

102 http://frederic-rolin.blogspirit.com/archive/2006/08/24/l-interdiction-de-fumer-dans-les-lieux-publics-un-decret-nui.html.

103 Table ronde du 5 juillet 2006.

104 Table ronde du 5 juillet 2006.

105 Table ronde du 5 juillet 2006.

106 Rapport sur les aspects économiques des mesures de protection contre l'exposition à la fumée du tabac du Smoke Free Europe Partnership (mai 2005) traduit par l'Institut national du Cancer.

107 Intervention de M. DUBOIS lors de la table ronde n°3 du 28 juin 2006.

108 Source B. DAUTZENBERG, "La lutte contre le tabac en entreprise: le guide 2000".

109 Rapport sur les aspects économiques des mesures de protection contre l'exposition à la fumée du tabac du Smoke Free Europe Partnership (mai 2005) traduit par l'Institut national du Cancer.

110 Source : INSEE répertoire Sirène des entreprises et établissements au 1er janvier 2005, calculs Dcaspl.

111 M. René Le Pape, Table ronde du 5 juillet 2006.

112 La revue des tabacs n°533, juillet/août 2006.

113 Rapport de l'IGAS « L'interdiction de fumer dans les lieux accueillant du public en France » - Décembre 2005 (annexe 4).

114 The Retail Sales Index of Central Statistics Office, Ireland.

115 Intervention de M..Franck Trouet lors de la table ronde du 21 juin 2006.

116 Intervention de M. Jean-Emmanuel Ray lors de la table ronde du 28 juin 2006.

117 Audition du MEDEF du 20 septembre 2006.

118 Table ronde n°6 du 12 juillet 2006.

119 Rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale (septembre 2006).

120 Une enquête, rendue publique en septembre 2006, menée dans 24 pays par le Centre international de recherche sur le cancer, basé à Lyon, et le Roswell Park Cancer Institute, a mesuré le nombre de particules fines principalement issues de la fumée de cigarette en suspension dans l'air de bars, restaurants, discothèques, mais aussi gares, aéroports, universités et hôpitaux. La France se situe au 6e plus mauvais rang derrière la Syrie, la Roumanie, le Liban, la Belgique et Singapour.

121 Table ronde du 5 juillet 2006.

122 Sources Plan gouvernemental de lutte contre les drogues illicites, le tabac et l'alcool ; MILDT.

123 Cette ambiguïté a été levée après le vote du rapport par la suppression de la référence à la date du
30 juin 2008 dans le corps du rapport.

124 http://www.ofdt.fr/ofdtdev/live/publi/pointsur/ecotabac.html

125 http://www.tabac-info.net/navbar/accueil/CCOMS.pdf

126 REACH : Registration, Evaluation and Authorization of Chemicals.

127 Syndicat National des Hôteliers Restaurateurs Cafetiers et Traiteurs.