N° 3529 - Rapport d'information de M. Dominique Tian déposé en application de l'article 145 du règlement, par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, en conclusion des travaux d'une mission d'information sur les moyens de contrôle de l'Unédic et des Assédic




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N° 3529

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 19 décembre 2006.

RAPPORT D'INFORMATION

DÉPOSÉ

en application de l'article 145 du Règlement

PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES,

FAMILIALES ET SOCIALES

sur

les moyens de contrôle de l'Unédic et des Assédic

ET PRÉSENTÉ

par M. Dominique TIAN,

Député.

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INTRODUCTION 9

I.- L'ASSURANCE CHÔMAGE CONFRONTÉE À DES FRAUDES ORGANISÉES 11

A. FRAUDES : L'IMPOSSIBLE CHIFFRAGE 11

1. L'évaluation du montant des fraudes organisées 11

a) Les chiffres disponibles : les cas de fraude recensés par l'Unédic 11

b) La partie émergée de l'iceberg 12

2. De la fraude individuelle à l'escroquerie organisée 12

a) Des réseaux à l'origine de fraudes d'importance considérable 13

c) Des fraudes en liaison avec le grand banditisme ? 14

3. Un phénomène qui a pris un caractère industriel  15

a) Une dimension industrielle récente qui n'exclut pas l'existence d'affaires plus anciennes 15

b) Des fraudeurs qui gagnent sur tous les tableaux 16

B. DES TECHNIQUES RODÉES EXPLOITANT LES FAILLES DE LA RÉGLEMENTATION 18

1. La création de sociétés « fictives » générant de faux chômeurs 18

2. L'utilisation frauduleuse de sociétés existantes 19

a) Les vrais et les faux salariés 19

b) L'usurpation de l'identité d'une entreprise existante 19

3. La multi-gérance comme technique de fraude organisée 19

II.- LA PRISE EN COMPTE TARDIVE DES IMPÉRATIFS DE LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE 20

A. LA RÉACTION DE L'ASSURANCE CHÔMAGE 21

1. La création d'un service anti-fraude et l'adoption d'un plan d'action 21

2. L'installation de détecteurs de faux papiers 22

3. La mise en œuvre de la déclaration nominative des assurés (DNA) 22

B. DES INITIATIVES RÉCENTES POUR MIEUX LUTTER CONTRE LA FRAUDE 24

1. Vers la coordination de la lutte contre la fraude sociale 24

a) La création du comité national de lutte contre la fraude en matière de protection sociale 24

b) La signature de la convention inter-organismes de protection sociale 26

2. Des initiatives législatives pour se doter de nouveaux outils 27

a) La mise en place d'un contrôle des contributions des employeurs à l'assurance chômage 27

b) La création d'un répertoire commun aux organismes sociaux utilisant le numéro d'inscription au répertoire (NIR) comme identifiant 27

c) Le renforcement des pouvoirs d'investigation pour les délits commis en bande organisée 28

III.- DES MESURES À PRENDRE D'URGENCE 29

A. SOUTENIR UNE MOBILISATION SANS FAILLE DE L'ASSURANCE CHÔMAGE 29

1. Encourager le développement d'une culture du contrôle 29

a) Renforcer la formation et la sensibilisation des agents 29

b) Doter l'assurance chômage d'agents assermentés 30

2. Renforcer les sécurités 31

a) Valider l'identité des allocataires 31

b) Développer des processus d'alerte et des contrôles en cas de situation suspecte 32

B. RENDRE ACCESSIBLES LES INFORMATIONS INDISPENSABLES AU CONTRÔLE 33

1. Développer les échanges d'information pour lutter contre la fraude 33

a) Une nécessaire clarification des modalités d'échange des informations 33

b) Donner toute leur portée aux échanges entre les organismes sociaux dans la lutte contre la fraude 35

2. Mieux coopérer pour mieux contrôler 36

a) Systématiser la participation des Assédic aux Comités opérationnels de lutte contre le travail illégal (COLTI) 36

b) Mieux impliquer les services de l'État dans la lutte contre la fraude 37

c) Élaborer un protocole entre l'assurance chômage et les services de police et de gendarmerie 38

C. NE PLUS TOLÉRER QUE DES SOCIÉTÉS SOIENT CRÉÉES À DES FINS D'ESCROQUERIE 39

1. La simplification administrative pour le meilleur et pour le pire 40

2. Les greffes des tribunaux de commerce : un système insuffisamment responsabilisé 41

3. Rétablir une véritable sécurité juridique lors de l'immatriculation des sociétés 43

a) S'assurer de l'identité du créateur d'entreprise 43

b) Appliquer l'interdiction de gérer 45

c) Sécuriser l'immatriculation au registre du commerce 46

4. Réviser le régime des sociétés de domiciliation 47

a) Un régime source d'abus 47

b) Des obligations à renforcer et à rendre effectives 48

5. Impliquer les services fiscaux dans la recherche des sociétés créées à des fins de fraude 49

IV.- TROUVER LES MOYENS D'UN TRAITEMENT PÉNAL DISSUASIF DE LA FRAUDE ORGANISÉE 50

1. La nécessité d'une sanction suffisamment dissuasive 50

2. Les difficultés liées à la masse des dossiers 51

CONCLUSION 53

PROPOSITIONS DE LA MISSION 55

TRAVAUX DE LA COMMISSION 57

ANNEXES 59

COMPOSITION DE LA MISSION 61

COMPTES-RENDUS DES AUDITIONS (par ordre chronologique) 63

Audition de Mme Annie Thomas, présidente de l'Unédic, de MM. Jean-Pierre Revoil, directeur général, et André Marin, directeur de la prévention des fraudes (27 septembre 2006) 63

Audition de M. Didier Duval, responsable du pôle lutte contre la délinquance financière à la Direction centrale de la police judiciaire (4 octobre 2006) 73

Audition de M. Charles-Emmanuel Haquet, journaliste à L'Expansion. (4 octobre 2006) 79

Audition de M. Vincent Ravoux, Directeur général de l'URSSAF de Paris, M. Jean Hue, Directeur-adjoint, et M. Lucien Contou, responsable de la lutte contre le travail illégal (11 octobre 2006) 84

Audition de M. Michel Coquillion, secrétaire général adjoint de la confédération française des travailleurs chrétiens - CFTC, et de M. Frédéric Berdeaux, secrétaire général (11 octobre 2006) 93

Audition de Mme Carola Arrighi de Casanova, sous-directrice du droit économique à la direction des affaires civiles et du sceau au ministère de la justice (11 octobre 2006) 98

Audition de M. Jean-François Veysset, vice-président de la CGPME chargé des affaires sociales, et de M. Georges Tissié, directeur des affaires sociales (18 octobre 2006) 104

Audition de M. Jean-Claude Quentin, secrétaire confédéral de Force Ouvrière (18 octobre 2006) 109

Audition de M. Maurad Rabhi, secrétaire confédéral de la Confédération générale du travail (CGT) et de M. Éric Aubin, responsable de la fédération construction de la CGT (18 octobre 2006) 114

Audition de M. Christian Kalck, chef de la brigade de répression de la délinquance astucieuse (BRDA) à la préfecture de police de Paris (18 octobre 2006) 118

Audition de Mme Sylvia Caillard, premier juge d'instruction au TGI de Paris et membre du pôle financier (25 octobre 2006) 125

Audition de Mme Sophie Nerbonne chef de la division des affaires économiques à la CNIL, et de M. Laurent Lim, attaché au pôle social et travail (25 octobre 2006) et annexe : tableau des autorisations délivrées par la CNIL à l'Unédic 133

Audition de M. Christian Bravard, président du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce, et de MM. Michel Jalenques et Frédéric Laisné, respectivement vice-président et secrétaire général (8 novembre 2006) et annexe : propositions transmises à la mission 145

Audition de Mmes Marie-Françoise Leflon et Mathilde Frago, de la Confédération générale de l'encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC) (8 novembre 2006) 160

Audition de M. Patrick Liebus, membre du conseil national de l'Union professionnelle artisanale (UPA) (8 novembre 2006) 164

Audition de Mme Corinne Michel, sous-directrice du service public de l'emploi, de Mmes Shanti Bobin et Laetitia Tailliez et de M. Jean-Michel Labouz, de la mission indemnisation du chômage de la Direction Générale à l'Emploi et à la Formation Professionnelle (8 novembre 2006) 169

Audition de MM. Gérard Galpin et Jean-Louis Darmon, du Groupement des Assédic de la région parisienne (GARP) (15 novembre 2006) 177

Audition du Colonel Michel Pattin, Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) (15 novembre 2006) 185

Audition de M. Hubert Bouchet, commissaire de la CNIL, Mme Sophie Nerbonne et M. Laurent Lim (15 novembre 2006) 191

Audition de M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes (15 novembre 2006) 199

Audition de M. Denis Gautier-Sauvagnac (MEDEF) (22 novembre 2006) 206

Audition de M. Thierry Priestley, secrétaire général de la Délégation interministérielle de lutte contre le travail illégal (DILTI), et de M. Raymond Poincet (22 novembre 2006) 211

Audition de M. Vincent Roux-Trescases, président du directoire de la plate-forme FAST, de Mme Véronique Etienne-Martin, de MM. Christophe Vattier et Benjamin Pommeraud (22 novembre 2006) 218

Audition de Mme Dominique Fontaine, présidente du Syndicat national des centres d'affaires et entreprises de domiciliation (SNCAED), et de M. Frédéric Dathy, conseiller technique (29 novembre 2006) 223

Auditions de MM. Gaby Bonnand et Michel Mersenne (CFDT) (29 novembre 2006) 231

Audition de Maître Claude Benoit, avocat. (6 décembre 2006) 236

Audition de M. Jean-Pierre Revoil, directeur général de l'Unédic, de M. André Marin, directeur de la maîtrise des risques à l'Unédic et de maître Benoit, avocat de l'Unédic (6 décembre 2006) 246

Audition de M. Jean-Louis Gautier, sous-directeur du contrôle fiscal, et de Mme Maxime Gauthier, sous-directrice du service de l'application à la Direction générale des impôts (6 décembre 2006) 255

Audition de M. Bernard Cieutat, président du Comité national de lutte contre la fraude en matière de protection sociale, accompagné de M. Olivier Selmati, administrateur civil, chargé de mission à la direction de la sécurité sociale du ministère de la santé et des solidarités (13 décembre 2006) 264

DÉPLACEMENTS DE LA MISSION 271

GLOSSAIRE 273

INTRODUCTION

L'évasion sociale s'élèverait à 4 milliards d'euros, voire à 8 milliards selon l'évaluation de l'URSSAF (1), qui estime par ailleurs à 10 000 le nombre de personnes vivant à Paris de la fraude sociale.

Les fraudes de toutes sortes, dont on a du mal à évaluer l'ampleur exacte, mais qui produisent assurément des résultats rapides et substantiels au profit de ceux qui s'y adonnent, peuvent prendre la dimension de véritables escroqueries montées par des réseaux structurés, comme en témoignent les affaires dont l'assurance chômage est la victime.

Le montant des fraudes organisées à l'assurance chômage, s'élève selon la dernière estimation de l'Unédic, en date du 13 décembre 2006, à 140 millions d'euros.

Ces escroqueries ont mis en évidence la facilité avec laquelle il est possible de percevoir plusieurs mois d'indemnisation chômage, à l'aide d'un dossier entièrement composé de faux documents, grâce au « kit Assédic », élaboré et vendu par les organisateurs de ces réseaux.

À l'heure où le déficit cumulé de l'assurance chômage avoisine les 13 milliards d'euros, on ne peut admettre que des prestations puissent être versées sans que les Pouvoirs publics et les cotisants aient la certitude qu'elles sont pleinement justifiées.

La représentation nationale ne pouvait rester sans réagir. C'est pourquoi, dans le cadre de ses pouvoirs de contrôle, la commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l'Assemblée nationale a décidé la création d'une mission d'information sur les moyens de contrôle de l'Unédic et des Assédic.

Il ne faut pas bien entendu négliger l'importance de la fraude individuelle. Mais la mission s'est fixé comme priorité de faire la lumière sur des pratiques de fraudes organisées qui, par leur ampleur et la logique criminelle qui les guide, ont mis en cause des dizaines ou des centaines de sociétés créées à des fins de fraude ainsi que des centaines et des milliers de fraudeurs, et ont suscité incompréhension et sentiment d'injustice.

À travers les auditions qu'elle a conduites et les déplacements qu'elle a effectués sur le terrain, la mission a cherché à analyser les failles et les blocages qui font le jeu des fraudeurs pour étudier les moyens d'y mettre fin.

Le débat sur les affaires de fraude touchant les organismes sociaux a contribué à la nécessaire prise de conscience des pouvoirs publics et a suscité l'adoption de différentes mesures dont la création du Comité national de lutte contre la fraude en matière de protection sociale.

D'ores et déjà, les travaux de la mission et les initiatives législatives qu'ils ont suscités se sont révélés utiles car ils ont débouché sur des mesures concrètes concernant les vérifications d'identité exigées lors de l'inscription comme demandeur d'emploi et l'instauration d'un véritable contrôle des contributions d'assurance chômage effectué par l'URSSAF.

En conclusion de ses travaux, la mission a retenu une série de mesures qui devront être mises en œuvre de façon urgente.

I.- L'ASSURANCE CHÔMAGE CONFRONTÉE À DES FRAUDES ORGANISÉES

À partir de 2004, la justice a eu à connaître des premières affaires de fraudes organisées à l'assurance chômage.

L'organisation en réseaux de ces activités frauduleuses ne peut que faire naître des inquiétudes quant à leur dimension véritable car il extrêmement difficile d'appréhender l'ampleur réelle de phénomènes, occultes par nature.

A. FRAUDES : L'IMPOSSIBLE CHIFFRAGE

1. L'évaluation du montant des fraudes organisées

a) Les chiffres disponibles : les cas de fraude recensés par l'Unédic

En matière de fraude à l'assurance chômage les seuls chiffres disponibles sont ceux fournis par l'Unédic.

Un premier communiqué en date du 28 octobre 2005, fait état d'une fraude « n'atteignant pas le centième du préjudice prétendument évoqué dans la presse ». (2)

Le deuxième communiqué de l'Unédic relatif à cette question, date du 21 février 2006 : « Les cas de fraude constatés s'élèvent à ce jour à 19 affaires concernant 6 400 personnes pour environ 80 millions d'euros ».

Au 13 décembre, l'estimation du montant des fraudes constatées par l'Unédic et communiquée à la mission est de 140 millions d'euros.

Les services de l'emploi n'ont pas sur ce sujet de capacité de contre-expertise.

En outre, des difficultés de recensement résultent du fait que la police, la gendarmerie et la justice n'identifient pas au sein des affaires d'escroquerie dont elles sont saisies les fraudes aux organismes sociaux et encore moins à l'assurance chômage. De même, dans la mesure où ces fraudes relèvent de la qualification de l'escroquerie, elles échappent au dispositif statistique concernant le travail illégal.

Comme le fait valoir l'Unédic, ces montants, tels qu'ils sont aujourd'hui évalués, sont à rapporter à l'importance des indemnisations versées annuellement par l'assurance chômage (28 milliards d'euros). Mais il reste que de telles pratiques, qui relèvent de l'escroquerie et s'ajoutent à la fraude résultant de pratiques individuelles ne font qu'accroître le risque de discrédit qui pèse sur l'ensemble du système.

b) La partie émergée de l'iceberg

Comme l'a reconnu devant la mission le secrétaire général de l'Unédic, M. Jean-Pierre Revoil, le 27 septembre dernier (3) : « Le montant total des fraudes est, à ce jour de 85 à 90 millions d'euros, mais ce n'est sans doute que la partie visible de l'iceberg ; plus nous contrôlons, plus nous en trouvons ! ».

C'est en 2005 que l'assurance chômage a commencé à se doter d'un service de lutte contre la fraude. En son absence, la mise en évidence de ce type de pratique ne pouvait être que largement aléatoire, comme le montrent d'ailleurs les modalités de mise au jour des affaires qui ont pu être repérées.

Pour moitié, les fraudes ont été découvertes à l'occasion de contrôles policiers de routine ou d'enquêtes policières portant sur des faits d'une autre nature, au cours d'une perquisition informatique, par exemple.

Pour l'autre moitié, la découverte d'éléments de suspicion ou la détection d'anomalies (éléments identiques revenant de façon récurrente dans des dossiers d'inscription, salaires disproportionnés par rapport aux fonctions exercées...) ont davantage résulté de l'intuition ou de la curiosité particulière d'un agent - pour ne pas dire du hasard - que d'un mode de détection performant.

Dans ces conditions, des fraudes potentiellement importantes ne pouvaient à l'évidence être détectées.

2. De la fraude individuelle à l'escroquerie organisée

« La fraude est devenue un enjeu mercantile important pour des formes de délinquance de plus en plus organisées » confirment les services de police. (4)

L'évolution vers la sophistication des montages est nette, comme le souligne Mme Sylvia Caillard, juge d'instruction au tribunal de grande instance de Paris (5) : « Il faut savoir que les fraudes aux Assédic ont considérablement évolué dans le temps. Les premières que j'ai eues à connaître, alors que j'étais juge à Créteil, étaient encore artisanales. Elles étaient facilitées par le fait que les Assédic étaient encore compartimentées : on pouvait s'inscrire dans plusieurs départements, les recoupements n'étant pas faits d'un département à l'autre. Ces fraudes étaient difficiles à évaluer, d'autant que la plupart n'étaient pas décelées ».

Ce type de fraude ne devrait plus être possible aujourd'hui, les fichiers des différentes Assédic constitués sur des bases régionales étant désormais connectés entre eux. Par contre des systèmes reposant sur des organisations très structurées se sont développés pour exploiter une faille majeure du système.

En effet, le régime d'inscription à l'assurance chômage étant déclaratif, le demandeur fournit les justificatifs de ses périodes d'emploi par la présentation d'une attestation d'employeur (qui se commande sur internet) et de bulletins de salaire. Or, les employeurs ne déclarant que des masses salariales globales, l'assurance chômage ne peut vérifier si l'employeur a bien cotisé pour le demandeur en question. (6)

Il a été ainsi possible à plusieurs milliers de personnes d'obtenir une indemnisation au titre de l'assurance chômage, en présentant à l'inscription un dossier, dit « kit Assédic », grâce auquel ils se sont prétendus licenciés par des sociétés pour lesquelles ils n'avaient, en fait, pas travaillé et qui souvent n'avaient aucune activité.

Ces « kits » complets mais entièrement composés de faux documents établissant des périodes d'emploi fictives, étaient élaborés et vendus par les organisateurs de ces escroqueries.

a) Des réseaux à l'origine de fraudes d'importance considérable

Ces fraudes sont montées par des organisateurs qui, au moyen de fausses identités, de création de sociétés « fictives » censées avoir employé les fraudeurs et de fabrication de faux documents, ont vendu ces « kits Assédic » clefs en main à des personnes venant ensuite se faire ouvrir des droits à l'assurance chômage.

Le paiement du « kit » a lieu à l'achat ou par rétrocession d'une partie des indemnités chômage perçues.

Selon les informations communiquées par l'Unédic en septembre 2006, dans les affaires les plus importantes, les faux chômeurs se comptent par centaines et même par milliers :

- 800 personnes pour un préjudice estimé de 11 millions d'euros (Paris) ;

- 800 personnes pour un préjudice estimé de 7 millions d'euros (Créteil) ;

- 1 800 personnes (chiffre non exhaustif) pour un préjudice estimé d'environ 20 millions d'euros (Paris) ;

- 1 900 personnes (chiffre non exhaustif) pour un préjudice estimé de l'ordre de 30 millions d'euros (Marseille).

De surcroît, ces chiffres doivent être revus à la hausse compte tenu de la très récente réévaluation des affaires en cours qui a conduit à une nouvelle estimation du préjudice à 140 millions d'euros.

Par ailleurs, d'autres fraudes importantes ont eu lieu, concernant l'allocation d'insertion servie par les Assédic, pour le compte de l'État (600 dossiers pour 800 000 euros d'indus).

Ces montages en réseau se développent sur tout le territoire. Une même affaire touche systématiquement plusieurs Assédic, parfois la quasi-totalité pour les plus importantes. Parmi ces Assédic se retrouvent toujours celles de Paris et de la Région Parisienne.

Selon les données de la police judiciaire, la durée moyenne des fraudes est de deux ans et demi (7) et leur montant moyen de 700 000 euros. Cette durée ajoutée au nombre élevé de bénéficiaires explique, par l'addition de versements individuels limités, des montants totaux de préjudice considérables.

Enfin, ces réseaux sont pour certains d'entre eux, de nature communautaire, mettant en cause notamment des ressortissants d'origine turque et pakistanaise.

c) Des fraudes en liaison avec le grand banditisme ?

L'Unédic, par la voix de sa Présidente, tout en contestant le caractère massif des fraudes, affirme leur liaison avec le banditisme.

Un même constat est également dressé par la police. Comme l'a indiqué M. Christian Kalck à la mission (8) : « Il n'est pas rare de trouver à la tête de ces réseaux des individus issus du grand banditisme voire évoluant dans la mouvance terroriste. »

Mais, ce constat n'est pas unanime. Pour Mme Sylvia Caillard, magistrat : « L'Unédic se persuade que derrière tout cela, il y aurait des caïds, parce qu'il vaut mieux dire que la fraude est organisée par des mafieux pour paraître moins coupable. Mais ce n'est avéré dans aucun dossier. D'ailleurs, il y a un décalage énorme entre le profit réalisé par chacun des individus qui participent à cette fraude et le préjudice causé aux Assédic résultant du cumul des indus. Sur 10 millions d'euros de préjudice, l'instigateur dont je parle a dû gagner environ 500 000 euros sur une période de 4-5 ans. » et aussi : « À propos des dossiers communautaires, on a évoqué le financement du PKK (9), simplement parce que la personne concernée avait été plus ou moins membre de celui-ci. Encore eût-il fallu qu'elle ait pu tirer de la fraude des profits autrement plus conséquents pour générer un financement. On pourrait imaginer que les allocataires qui perçoivent les Assédic en reversent une partie à la communauté, mais aucun des allocataires entendus ne l'a dit. Sur le nombre, il y en a qui auraient parlé. »

Selon M. Didier Duval, sous-directeur des affaires économiques et financières à la direction centrale de la police judiciaire, il est difficile de répondre à cette question (10) « En revanche, » précise-t-il « il est vrai que les organisations en cause sont très structurées. Certaines populations, notamment turques ou pakistanaises, se revendent ainsi des informations sur le mode opératoire de la fraude. »

La mission n'est pas à même de faire la part des choses sur cette question, mais il est clair en tout cas, que les personnes impliquées dans ces affaires ne sont pas inconnues des services de police.

Ainsi, le tribunal correctionnel de Paris est actuellement saisi d'une affaire de fraude aux Assédic et à la CPAM impliquant des personnes qui, toutes, avaient déjà été condamnées pour différentes infractions - parmi lesquelles un braquage. De surcroît, comme l'a indiqué l'avocat de l'Unédic, Maître Claude Benoit, le principal prévenu a déclaré à l'audience que sa vie et celle de sa famille seraient menacées depuis l'étranger s'il révélait l'identité du véritable organisateur de ce réseau.

3. Un phénomène qui a pris un caractère industriel (11)

Les phénomènes de fraude organisée ont pris une ampleur considérable au cours de ces deux dernières années, ce qui n'exclut pas que des fraudes plus anciennes de même nature aient pu exister et passer inaperçues.

a) Une dimension industrielle récente qui n'exclut pas l'existence d'affaires plus anciennes

Si, comme l'ont souligné plusieurs interlocuteurs de la mission, personne effectivement ne parlait de fraude massive avant 2004, les premiers dossiers de ce type arrivés en justice à partir de 2003-2004 portaient nécessairement sur des faits plus anciens remontant à la fin des années quatre-vingt-dix.

C'est ainsi que l'affaire actuellement jugée à Paris concernant une cinquantaine de dossiers - mais qui est le satellite d'une autre affaire bien plus importante qui devrait venir en jugement courant 2007 - porte sur des faits remontant à 1996.

« L'Unédic, qui s'en est certainement expliqué auprès de vous, a mis en place l'année dernière un département de prévention et de lutte contre les fraudes. À partir du moment où ce service s'organise, se structure, sensibilise son réseau et met en place un outillage méthodologique, cela provoque un effet « réverbère », qui éclaire des faits qui, très certainement, préexistaient. On peut espérer qu'ils ne préexistaient pas et que la mise en place de ces outils correspond très exactement au moment où les fraudes sont apparues ; hélas, on peut imaginer que des fraudes massives préexistaient. » a souligné devant la mission la représentante de la délégation générale à l'emploi (12).

Déjà, la Cour de cassation avait rejeté, le 14 décembre 2000, le pourvoi formé par l'employé d'un cabinet de gestion ayant établi « de 1989 à 1991 de faux bulletins de paie et des lettres de licenciement remis contre argent à des opposants au régime turc, qui les revendaient à des compatriotes afin qu'ils bénéficient des indemnités Assédic ». (13)

La mission s'étonne donc, compte tenu de l'ampleur des affaires en cours et de leur durée, qu'une attention plus précoce n'ait pas été portée à des dossiers montés à partir de faux documents par des structures organisées, sans doute à des degrés divers, mais reposant toutes sur l'élaboration de dossiers d'inscription frauduleux faisant l'objet d'un véritable marché.

b) Des fraudeurs qui gagnent sur tous les tableaux

Les fraudeurs ne s'attaquent pas seulement aux indemnités de chômage mais aussi à d'autres allocations versées par les Assédic pour le compte de l'État, et notamment à l'allocation d'insertion, prestation versée aux demandeurs d'asile, aux réfugiés et aux personnes sortant de prison.

Comme cela a été expliqué à la mission, lors de son déplacement auprès de l'Assédic de Lyon, cette dernière a été confrontée à une importante fraude à l'allocation d'insertion par de prétendus réfugiés moldaves. Si l'on ne peut stricto sensu parler dans cette affaire de fraude en réseau, il s'agit en tout cas d'une fraude de masse qui a été réalisée à partir de fausses identités ou à la suite du rejet de demandes d'asile : 600 dossiers sont concernés qui ont généré environ 800 000 euros de prestations indues. La détection de cette fraude revient à la police de l'air et des frontières qui a été alertée par des arrivées de personnes en car venant s'inscrire ou percevoir les allocations, quand elles n'étaient pas collectées par certaines d'entre elles restées sur place.

Outre l'utilisation de fausses identités, ces fraudes à l'allocation d'insertion ont été rendues possibles par le fait que les Assédic n'avaient pas été informées comme elles auraient dû l'être par la direction départementale du travail de la situation de ces demandeurs d'asile. Elles ont donc poursuivi le versement de la prestation, alors qu'il aurait dû y être mis un terme. Il a été remédié à ce problème à compter de septembre 2006.

Les sortants de prison condamnés à des peines supérieures à deux mois (à l'exclusion des condamnations pour certains délits comme le proxénétisme ou le trafic de stupéfiants) peuvent aussi être bénéficiaires de cette allocation. Des cas de fraudes ont été détectés dans le ressort de plusieurs maisons d'arrêt, notamment à Créteil. Pour éviter le montage de dossiers frauduleux - l'ouverture du droit ne requérant qu'un simple certificat de l'administration pénitentiaire - les Assédic établissent des contacts directs, en amont de la sortie, avec les établissements pénitentiaires.

Non sans ironie, Maître Claude Benoît, avocat de l'Unédic, a souligné la situation paradoxale dans laquelle se trouveront des personnes condamnées pour fraude à des prestations sociales, qui percevront probablement à leur sortie de prison cette allocation, grâce à laquelle elles rembourseront leur dette envers les organismes sociaux.

Autre situation : l'assurance de garantie des salaires (AGS) qui a été créée pour garantir les salariés contre l'insolvabilité de leur entreprise en cas de faillite et dont la gestion a été confiée aux Assédic.

Le cas a été évoqué devant la mission de personnes faussement salariées -et donc ayant perçu frauduleusement l'assurance chômage - n'hésitant pas, de surcroît, à se tourner vers le Fonds de garantie des salaires pour réclamer le paiement des rémunérations qui auraient dû leur être versées par la société placée en liquidation judiciaire censée les avoir employés. Ceci est particulièrement révélateur du détournement de dispositifs dont l'utilité n'est, par ailleurs, pas discutable.

Comme a tenu à le souligner un membre de la mission, l'AGS est également mise abusivement à contribution par les pratiques d'entreprises qui font procéder à la liquidation par un repreneur ayant racheté la société pour une somme symbolique. Les actifs ont disparu au moment de la liquidation et l'AGS est appelée en garantie du paiement des salaires et des indemnités.

Et, il ne faut pas perdre de vue que ces périodes tant de faux travail que de chômage frauduleux ouvrent des droits à la retraite...

La CNAV est d'ores et déjà confrontée à la présentation de faux bulletins de paie, comme cela a été précisé lors de l'audition du Président du Haut comité de lutte contre les fraudes, M. Bernard Cieutat.

Enfin, les fraudes menées au moyen de détournement de chèques, de fausses identités et de multi-déclarations en masse n'existent pas qu'au détriment des comptes sociaux comme l'ont montré les cas de fraudes importantes à la Prime pour l'emploi dont a été victime l'État lui-même.

B. DES TECHNIQUES RODÉES EXPLOITANT LES FAILLES DE LA RÉGLEMENTATION

Sous une régularité apparente qui exploite, en fait, les failles des mécanismes d'indemnisation du chômage et des règles de création des sociétés, se sont mis en place des mécanismes bien structurés.

1. La création de sociétés « fictives » générant de faux chômeurs

Le premier type de fraude identifié repose sur la création de sociétés qui ne sont que des « coquilles vides », c'est-à-dire des sociétés légalement immatriculées mais sans aucune activité réelle autre que celle de servir à générer des opérations frauduleuses.

Les acheteurs de « Kits Assédic » présentent pour s'inscrire à l'assurance chômage de faux documents établissant qu'ils ont travaillé pour ces sociétés qui en réalité n'ont jamais eu d'activité.

Elles ont été immatriculées par des « gérants », au moyen de fausses identités, ou bien par des hommes de paille ; l'activité mentionnée est très générale ou alors s'exerce dans le secteur du bâtiment ou de la confection.

Ces sociétés ne sont pas inscrites en qualité d'employeur auprès de l'URSSAF ou bien, quand elles le sont, ne déclarent que quelques salariés.

Elles existeront quelques mois, avant, soit de déposer leur bilan, soit d'être radiées d'office à la demande de l'URSSAF pour non-versement de la part patronale de cotisations.

Toutefois, il faut préciser que dans le dossier actuellement traité par le tribunal correctionnel de Paris, les sociétés utilisées n'ont pas été créées ex nihilo mais sont issues du rachat pour « un euro symbolique » de sociétés déjà immatriculées.

En outre, ces sociétés, souligne M. Christian Kalck, chef de la brigade de répression de la délinquance astucieuse à la Préfecture de police de Paris : « constituent de véritables officines qui servent à commettre d'autres escroqueries aux prestations sociales, ainsi que de multiples infractions : établissement de fausses factures, escroqueries au démarchage publicitaire et au crédit, blanchiment. » (14)

2. L'utilisation frauduleuse de sociétés existantes

a) Les vrais et les faux salariés

D'autres schémas de fraude mêlent travail illégal, salariés réels et salariés purement fictifs.

Les sociétés impliquées ont une activité commerciale effective mais sans commune mesure avec le nombre de salariés qui prétendent y avoir été employés lorsqu'ils se présentent aux Assédic. Certains de ceux ayant effectivement travaillé sans avoir été déclarés ont été rémunérés ensuite par la remise de « kits Assédic ».

Dans ce cas, il faut faire la part entre ceux ayant réellement travaillé sans avoir été déclarés, de bonne ou de mauvaise foi, et ceux déclarant une activité totalement fictive à l'aide de faux documents.

Parmi les scénarios possibles on trouve le cas suivant : au bout d'un certain temps, la vie de l'entreprise arrivant à son terme, le gérant cède la place à un gérant de paille et lui-même devient souvent simple salarié afin de s'ouvrir des droits à indemnité. L'entreprise n'a plus d'activité, de nombreuses déclarations préalables à l'embauche (DPAE) sont établies pour des salariés fictifs et des déclarations sont effectuées auprès de l'URSSAF, mais sans paiement de cotisations. On rejoint alors le schéma précédent de la société « coquille vide ». Éventuellement, l'entreprise quitte son établissement, se domicilie à l'adresse d'une société de domiciliation dans un autre département avant d'y déposer à nouveau le bilan.

b) L'usurpation de l'identité d'une entreprise existante

Enfin, il est aussi possible que la raison sociale d'une entreprise soit utilisée, à son insu, en mentionnant une autre adresse.

C'est ainsi que lors de son déplacement à Créteil, la mission a été alertée sur l'existence de « vols de tampons » signalés à l'Assédic par les entreprises victimes pour prévenir les services du risque en résultant.

3. La multi-gérance comme technique de fraude organisée

Une étude sur la multi-gérance à risque réalisée par l'Unédic a identifié des multi-gérants auxquels, pour chacun d'entre-eux, une moyenne de 60 sociétés pouvant être rattachée. Les liens qui ont pu être identifiés entre ces gérants confirment le caractère organisé de ces montages.

Cette étude dresse un constat édifiant des failles ouvertes par la simplification des procédures de création de sociétés, dans lesquelles n'hésitent pas à s'engouffrer les fraudeurs.

Ont été recensés :

- 10 personnes assurant (ou ayant assuré) la gérance de 651 sociétés

- 20 personnes assurant (ou ayant assuré) la gérance de 1 069 sociétés

- 133 personnes assurant (ou ayant assuré) la gérance de 2 112 sociétés.

Ces « gérants » présentent des points communs : forte représentation de la communauté turque (à 75 %), des adresses correspondant à des sociétés de domiciliation, une activité déclarée dans le secteur du bâtiment et de la confection.

En outre, des liens complexes ont été organisés entre eux : gérances successives, tournantes et croisées.

Si en droit, la liberté d'entreprendre permet à un individu de créer autant de sociétés qu'il le souhaite, il est en revanche anormal que de telles pratiques qui recèlent à l'évidence une intention frauduleuse - non limitée d'ailleurs à la fraude à l'assurance chômage mais pouvant s'étendre à l'ensemble de la sphère économique - ne puissent être aisément identifiées afin de déclencher les contrôles nécessaires.

Il serait donc indispensable que les greffes des tribunaux de commerce tiennent un fichier des gérants et dirigeants d'entreprise, consultable par les administrateurs et les agents assermentés des URSSAF et des Assédic.

Ce fichier utiliserait le NIR comme cela est prévu pour le répertoire commun aux organismes sociaux validé par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2006-544 du 14 décembre 2006.

C'est pourquoi la mission, dans le respect des règles posées par la loi informatique et liberté, préconise la création d'un fichier national des gérants et dirigeants d'entreprise utilisant le NIR. (15)

II.- LA PRISE EN COMPTE TARDIVE DES IMPÉRATIFS DE LA LUTTE CONTRE LA FRAUDE

La fraude a longtemps été un sujet tabou pour l'Unédic, comme sa Présidente s'en est fait l'écho devant la mission (16) : « Pendant longtemps, la fraude a été entourée d'un tabou, y compris parmi les partenaires sociaux, gestionnaires de l'Unédic par crainte que la qualité du service rendu ne soit mise en cause et par souci de ne pas donner de publicité aux pratiques délictueuses. ».

C'est devant l'ampleur croissante des affaires de fraudes en réseau, et les réactions qu'elles ont suscitées, que l'Unédic a décidé de se doter d'un service de prévention des fraudes et d'un plan d'action triennal.

A. LA RÉACTION DE L'ASSURANCE CHÔMAGE

Face au développement des pratiques illicites, l'Unédic a cherché à se doter de moyens de lutte adaptés à une fraude plus structurée relevant désormais de l'escroquerie, comme l'a précisé Denis Gautier-Sauvagnac au nom du MEDEF (17) : « Nous nous sommes efforcés de réagir dès l'apparition de cette nouvelle forme de fraude. Nous nous sommes ainsi dotés pour faire face à ces nouveaux phénomènes de fraude, d'une direction des fraudes dont la création a été totalement approuvée par le MEDEF. »

Des représentants syndicaux des organisations gestionnaires ont cependant regretté devant la mission l'absence de tout débat sur la question des fraudes organisées au sein du Conseil d'administration de l'Unédic, et, plus largement, l'absence d'une culture d'évaluation qui empêcherait l'institution de se situer dans une logique de contrôle (18).

1. La création d'un service anti-fraude et l'adoption d'un plan d'action

Le service de prévention des fraudes de l'Unédic a été mis en place le 1er février 2005. Il est donc de création toute récente. Mais l'Unédic a rappelé que certaines Assédic étaient déjà dotées de services de lutte contre la fraude, le premier ayant été créé à Lyon, il y a une dizaine d'années.

Le nouveau service de l'Unédic est conçu dans une logique de prévention pour la mise en œuvre des objectifs définis dans un plan d'action triennal (plan 2005-2007) qui repose sur trois orientations principales :

- la sensibilisation, l'information et la formation des agents de l'assurance chômage ;

- la réalisation et le développement d'outils d'investigation et d'alerte ;

- le développement de relations avec les autres organismes concernés et avec les services participant à la lutte contre la fraude.

2. L'installation de détecteurs de faux papiers

Devant la multiplication des fraudes à l'identité, l'Unédic a décidé de doter les Assédic de détecteurs de faux papiers dont l'installation est généralisée depuis le 1er janvier 2006.

Lors de son déplacement à Créteil, où les détecteurs venaient d'être installés, la mission a pu constater que sur les 250 personnes reçues par semaine, 4 à 5 faux papiers étaient repérés.

À Paris, qui a été la première Assédic à se doter de détecteurs en 2004, le nombre de faux papiers repérés, d'abord croissant, puis en diminution, permet de mesurer l'effet dissuasif du dispositif, d'autant que la présence des détecteurs est affichée dans les locaux. Par ailleurs, il a été indiqué à la mission que les faux documents repérés étaient à 90 % des faux titres de séjour ou des fausses cartes de résident.

Mais le signalement à la police ne se fait qu'a posteriori : lorsqu'un faux est détecté, une photocopie est prise et la pièce est restituée si la personne est toujours présente. La préfecture est ensuite saisie, soit directement, soit par l'intermédiaire de l'ANPE qui a la responsabilité de la gestion de la liste des demandeurs d'emploi. Dès lors, comme cela a été constaté par l'Assédic de Créteil, environ la moitié des personnes ayant présenté des faux papiers repartent avec leur document; les autres ont disparu au retour de l'agent.

Cette sécurisation de l'identification des allocataires était indispensable. Cependant, son efficacité n'est pas totale dans la mesure où, selon les informations fournies à la mission, dans les cas de fraude organisée, les personnes à qui ont été vendus les « kits », n'étaient pas, pour autant, détenteurs de faux papiers. Ils se sont présentés dans les Assédic, munis de leurs faux dossiers, sous leur propre identité.

3. La mise en œuvre de la déclaration nominative des assurés (DNA)

Les employeurs ne déclarant qu'une masse salariale globale, l'assurance chômage est actuellement dans l'incapacité de vérifier si l'employeur a bien cotisé pour le salarié venant s'inscrire comme demandeur d'emploi et pour les périodes d'emploi déclarées (19).

Pour permettre cette vérification, le décret du 7 mai 2004 (20), oblige les employeurs à transmettre aux institutions de l'assurance chômage une déclaration faisant ressortir, pour chacun de leurs salariés, le montant total des rémunérations versées et les périodes de travail correspondantes.

Cette Déclaration nominative des assurés (DNA) permettra le recueil direct des données sur les périodes de travail pour lesquelles l'employé a cotisé et devrait conduire à supprimer l'attestation d'employeur.

La DNA a été inscrite dans la convention d'assurance chômage de janvier 2006. Mais selon les informations fournies par la commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), celle-ci n'a pas encore été saisie d'un dossier de formalité préalable. Cette saisine devrait intervenir à l'issue des travaux du groupe de travail constitué pour sa mise en place.

Le calendrier indiqué par l'Unédic prévoit, en effet, une première expérimentation au deuxième semestre 2007, avec un objectif de généralisation pour 2008, afin que le système soit opérationnel en 2009. Toujours selon l'Unédic, une orientation se dessine vers la mise en place d'une DNA globale des assurés, à destination de tous les organismes sociaux intéressés, dont le GIP-MDS (Groupement d'intérêt public - Modernisation des déclarations sociales) pourrait être l'embryon.

La mission s'inquiète toutefois du calendrier annoncé. L'urgence de contrer la fraude doit en effet être prioritaire dans l'application d'une mesure qui a déjà plus de deux ans. La Cour des Comptes relevait, en mars 2006, que « Si cette procédure[la DNA] commence à être mise en œuvre pour les personnes relevant des annexes 8 et 10 de la convention d'assurance chômage (intermittents du spectacle), le processus est loin d'être engagé pour les autres secteurs d'activité. » (21).

Il faut en outre préciser que, si la DNA empêche une société de déclarer quelques salariés et de « générer » un nombre bien supérieur de faux chômeurs, elle n'écarte pas totalement tout risque de fraude. C'est en particulier le cas lorsqu'il y a complicité entre l'employeur et le faux chômeur et que les salaires déclarés ne sont pas versés.

M. Gérard Galpin, du  Groupement des Assédic de la Région Parisienne (GARP), a fait état de telles pratiques à propos de la DNA appliquée aujourd'hui aux intermittents : « Dans ce dernier cas, nous procédons systématiquement au rapprochement des données nominatives émanant de l'intermittent de celles communiquées par l'entreprise. Lorsqu'il y a un écart, nous vérifions la véracité des éléments fournis auprès de l'employeur. Cela ne veut pas dire, qu'en faisant cela, nous évitons la fraude s'il y a une complicité forte entre l'employeur et l'intermittent. Dans ce cas, ce n'est qu'en lien avec l'URSSAF ou les COLTI que nous pourrons demander de procéder à un certain nombre de vérifications. Nous pouvons ne pas voir la fraude : il suffit qu'on nous déclare des masses salariales donnant lieu au versement de contributions pour un spectacle qui ne s'est pas tenu. » (22).

Compte tenu de la lourdeur de la mise en place de cette mesure, la mission considère plus efficace de l'appliquer prioritairement, comme cela a déjà été fait pour les intermittents du spectacle, aux secteurs d'activité à risque que sont le bâtiment et la confection, secteurs dans lesquels la main-d'œuvre est extrêmement mobile et le travail dissimulé très présent.

La mission préconise l'application prioritaire de la Déclaration nominative des assurés (DNA) aux secteurs à risque que sont le bâtiment et la confection.

En outre la mission considère indispensable pour lutter contre la fraude et le travail dissimulé, que l'employeur remette au salarié, lors de son embauche, un document faisant état de sa déclaration auprès de l'URSSAF. Le salarié ne pourra plus, alors, se prévaloir d'une apparente bonne foi en affirmant ignorer que cette formalité n'avait pas été accomplie.

La mission souhaite rendre obligatoire la remise par l'employeur à ses salariés, lors de leur embauche, d'un certificat faisant état de leur déclaration auprès de l'URSSAF.

B. DES INITIATIVES RÉCENTES POUR MIEUX LUTTER CONTRE LA FRAUDE

La multiplication des cas de fraudes à grande échelle prouve combien les fonds gérés par les organismes sociaux représentent des occasions substantielles, pour ne pas parler de marché considérable, pour des formes de délinquance de plus en plus organisées. Dès lors la coopération et le développement des échanges d'information ne sont plus seulement indispensables, ils deviennent prioritaires pour mettre fin à de tels agissements.

1. Vers la coordination de la lutte contre la fraude sociale

Deux initiatives très récentes constituent une première étape vers la mise en place de démarches coordonnées entre les organismes sociaux.

a) La création du comité national de lutte contre la fraude en matière de protection sociale

Le comité national de lutte contre la fraude en matière de protection sociale, annoncé en 2005, a été créé par décret du 23 octobre 2006 et installé officiellement, le lendemain, par le ministre de la santé et des solidarités.

Ce comité a pour objet « d'assurer une coordination des politiques et des actions de lutte contre les fraudes dans le domaine de la sécurité sociale » et, à cette fin, il est notamment chargé « de sensibiliser l'ensemble des acteurs du système de protection sociale aux phénomènes de fraude ».

Sa création est un pas supplémentaire dans l'engagement du gouvernement pour la lutte contre les fraudes, engagement qui s'est déjà concrétisé, notamment, par le renforcement de la lutte contre le travail illégal et la création de l'Office central de lutte contre le travail illégal (23) ainsi que par les mesures adoptées dans le cadre des lois de financement de la sécurité sociale pour 2006 et 2007.

Placé auprès du ministère chargé de la sécurité sociale son action est naturellement tournée vers la lutte contre les fraudes à la sécurité sociale. Le caractère transversal des fraudes impose cependant que ses missions prennent aussi clairement en compte la question des fraudes à l'assurance chômage.

Ce comité est composé des directeurs des organismes de sécurité sociale, des trois directeurs d'organismes de protection sociale, dont l'Unédic, et de onze directeurs d'administrations centrales concernées parmi lesquelles ne figure pas le ministère de l'emploi.

La mission considère que les services de l'emploi doivent également en être membres aux côtés des autres représentants des administrations concernées et de l'Unédic.

La mission demande que les services de l'emploi soient représentés au sein du Comité national de lutte contre la fraude en matière de protection sociale.

Par ailleurs, M. Jean-Paul Anciaux, député membre de la mission, a fait valoir que l'on ne pouvait se satisfaire d'un simple comité de coordination et qu'il fallait mettre en place une structure opérationnelle responsable pour l'ensemble des organismes de protection sociale : « Il faudrait au moins se mettre d'accord sur un constat partagé, une sorte d'état des lieux des différents modes de fraudes à l'ensemble des prestations. Ce n'est pas fait. Il faudrait aussi se mettre d'accord sur une méthodologie. Et ce n'est même pas une question de moyens. On pourrait créer une structure de contrôle pour l'ensemble des prestataires en établissant un cahier des charges et en précisant ses modalités d'intervention afin de disposer d'un outil commun. » (24).

Ce comité verra peut-être sa mission évoluer ; il est clair en tout cas qu'il aura une dimension prospective importante face aux risques de fraudes ouverts par le développement des prestations de services transnationales et des flux de travailleurs des États de l'Union européenne, alors que, d'un pays à l'autre, les contrôles restent extrêmement difficiles.

La lutte contre la fraude devient une problématique commune aux pays de l'Union, et une coopération internationale commence à se mettre en place, a indiqué M. Selmati, chargé de mission à la direction de la Sécurité Sociale : « Nous avons conclu un accord de coopération avec la République tchèque, en vue de développer les échanges sur la fraude aux cotisations, aux prestations, à l'enregistrement des entreprises, sur le recouvrement des cotisations. Il s'agit d'un accord-type, qui a vocation à être conclu également avec d'autres pays. Nous sommes d'ailleurs en train de négocier avec la Pologne, et le Royaume-Uni a également marqué son intérêt. Il y a donc de sérieuses perspectives de coopération. » (25).

Le comité lui-même a décidé de retenir la coopération internationale parmi ses axes prioritaires de travail, comme son Président l'a précisé à la mission qui a également insisté sur la nécessité d'établir des relations entre administrations chargées de combattre la fraude au sein de chaque pays, membre de l'Union européenne ou non. (26)

L'assurance chômage française est directement concernée par ces risques de fraude, ne serait-ce que ceux liés à la perception d'allocations chômage par des personnes travaillant en même temps à l'étranger.

La mission souhaite la conclusion d'accords de coopération permettant de lutter contre les fraudes à caractère transnational.

b) La signature de la convention inter-organismes de protection sociale

La Caisse Nationale d'Assurance Maladie (CNAM), la Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse (CNAV), la Caisse Nationale des Allocations Familiales (CNAF), l'Agence Centrale des Organismes de Sécurité Sociale (ACOSS) et l'Unédic viennent de conclure une convention nationale qui a pour objectif la mutualisation des informations dans le cadre de la lutte contre la fraude, tant pour sa prévention que pour sa détection et sa répression.

Cette convention s'appuie sur les dispositions relatives à la lutte anti-fraude introduites par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2006. (27)

Elle vise à organiser le signalement des cas de fraude d'un organisme à l'autre, à prévoir la possibilité d'actions judiciaires communes et le partage des informations dans le respect des exigences posées par la CNIL, dès lors qu'il s'agit de traitement de données personnelles.

La mission se félicite de la signature de cette convention et recommande sa mise en œuvre effective et rapide.

2. Des initiatives législatives pour se doter de nouveaux outils

a) La mise en place d'un contrôle des contributions des employeurs à l'assurance chômage

Un amendement déposé par votre président-rapporteur sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, en discussion pendant les travaux de la mission, a finalement permis de combler une lacune majeure des dispositifs de recouvrement : l'absence de contrôle des contributions d'assurance chômage.

Cette insuffisance avait été dénoncée par la Cour des Comptes dans son rapport de mars 2006 (28) dans les termes suivants: « L'assurance chômage ne dispose pas des pouvoirs, et n'a pas mis en place les moyens lui permettant de contrôler la déclaration par les employeurs des masses salariales constituant l'assiette des cotisations ».

En effet, seul corps de contrôle en matière de protection sociale, les inspecteurs de l'URSSAF n'avaient vocation à contrôler que les seules cotisations dues au titre du régime général.

Désormais, en application de l'article L. 243.7, du code de la sécurité sociale, les URSSAF contrôleront toutes les contributions et cotisations dues au titre de la protection sociale, qu'il s'agisse des cotisations dues au titre du régime général, des cotisations chômage ou des cotisations de retraite complémentaire.

b) La création d'un répertoire commun aux organismes sociaux utilisant le numéro d'inscription au répertoire (NIR) comme identifiant

L'article L. 112-14-1 du code de la sécurité sociale, également introduit par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, prévoit la création d'un répertoire national commun aux organismes chargés d'un régime obligatoire de sécurité sociale et à l'assurance chômage.

Cette initiative, inspirée de la proposition de la Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) relative à la création d'un fichier interbranche des assurés, donnera une efficacité nouvelle au contrôle du versement des prestations et à la lutte contre les fraudes, grâce à l'usage d'un identifiant commun, le NIR, qui garantit la fiabilité de l'identification des individus.

Cet article a été validé par le Conseil Constitutionnel dans sa décision n° 2006-544 du 14 décembre 2006 qui n'a d'ailleurs pas considéré que l'avis de la CNIL sur le décret d'application de cet article devait être un avis « conforme ».

Ce répertoire ayant clairement comme finalité la bonne gestion des droits et des prestations ainsi que la lutte contre les fraudes, les réticences qu'il a suscitées de la part de la CNIL sont difficiles à comprendre, et ce d'autant plus que les organismes sociaux sont déjà autorisés à utiliser le NIR comme identifiant.

D'ailleurs, des exemples comme celui de la « Banque carrefour de la sécurité sociale » fonctionnant en Belgique montrent que la gestion cohérente et articulée des données peut fort bien se concilier avec la protection des libertés individuelles. Cette « banque » rassemble, en effet, toutes les données relatives à l'assuré qui peuvent être consultées par chaque organisme de la sécurité sociale et par d'autres personnes ayant reçu l'autorisation nécessaire.

Les représentants de la CNIL reçus par la mission ont expliqué leur point de vue (29), mais il n'en reste pas moins que face à l'ampleur des déficits et aux pratiques délictueuses suscitées par l'opportunité substantielle que constituent les fonds publics pour les fraudeurs, les atermoiements ne sont plus de mise.

La protection des libertés, avec laquelle il n'est pas question de transiger ne devrait cependant pas aboutir à complexifier à l'excès la mise en œuvre des systèmes d'information. C'est ce que l'on peut regretter à propos des préconisations de la CNIL pour la mise en œuvre du dossier unique du demandeur d'emploi (DUDE). (30)

La mission demande la mise en place rapide du répertoire commun aux organismes sociaux créé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007.

c) Le renforcement des pouvoirs d'investigation pour les délits commis en bande organisée

Un amendement adopté par l'Assemblée nationale à l'initiative de votre président-rapporteur, sur le projet de loi relatif à la prévention de la délinquance vise à accroître les pouvoirs des enquêteurs lorsqu'il s'agit d'escroquerie en bande organisée.

Cette disposition permettra, si elle est définitivement adoptée, de doter les services des moyens d'investigation adaptés à la lutte contre les escroqueries organisées montées par des réseaux criminels au détriment des organismes de protection sociale.

III.- DES MESURES À PRENDRE D'URGENCE

L'évolution des phénomènes de fraude montre que des organisations se livrent à de véritables études de marché et exploitent l'insuffisance de communication entre organismes sociaux et administrations ainsi que les failles de la réglementation.

En outre, l'adaptation des réseaux qui montent ces escroqueries, implique une vigilance constante et des outils de détection performants.

A. SOUTENIR UNE MOBILISATION SANS FAILLE DE L'ASSURANCE CHÔMAGE

La mission souhaite insister sur l'indispensable changement de logique qu'implique la situation. À la lumière des affaires récentes, il ne s'agit pas, comme le craignent certains syndicats, de voir en tout chômeur un fraudeur potentiel, mais bien de réussir à écarter du système tous ceux qui en font un usage frauduleux par le montage d'opérations relevant de l'escroquerie.

Aussi toute action intégrant dans ses objectifs la lutte contre la fraude, comme vise à le faire le plan triennal de mobilisation que vient d'engager l'Unédic, mérite-t-elle d'être encouragée.

1. Encourager le développement d'une culture du contrôle

« Notre plan d'action 2005-2007 commence par la sensibilisation de nos collaborateurs, habitués à la fraude individuelle - le salarié qui n'informe pas qu'il a recommencé à travailler ou qui déclare un temps partiel alors qu'il est à temps complet - mais pas à ce nouveau phénomène. Et, outre l'installation de détecteurs de fausses pièces d'identité, chaque nouvel outil informatique ou process d'entretien intègre la notion de risque, afin d'aider nos collaborateurs à analyser les situations. » (31).

a) Renforcer la formation et la sensibilisation des agents

L'enjeu est bien d'amorcer et de développer le passage du contrôle administratif à une véritable lutte contre la fraude car celle-ci n'est pas encore ancrée dans les logiques de raisonnement des organismes sociaux qui délivrent des prestations.

Bien que cette évolution soit aujourd'hui indispensable, elle ne fait pas encore l'unanimité. Comme le souligne la présidente de l'Unédic, : « Une partie du personnel et des organisations représentatives considèrent parfois qu'exercer des contrôles - « faire la police », disent-ils - n'entre pas dans les missions de l'Unédic. Nous avons donc à faire œuvre de pédagogie afin d'intégrer ces nouvelles missions, et cela démarre dès la formation initiale. » (32).

Pour preuve, les oppositions marquées de représentants du personnel à l'installation de détecteurs de faux papiers, comme cela a été indiqué à la mission lors de son déplacement à Lyon.

Toutefois, la mission a pu constater sur le terrain que les agents des Assédic ne s'inscrivaient généralement pas dans cette logique d'opposition. Au contraire, confrontés tout au long de leur activité à des personnes en recherche d'emploi connaissant parfois de graves difficultés sociales, ils sont très sensibles à la détection de faux dossiers montés dans un but d'escroquerie.

La mission approuve toute action de l'Unédic allant dans le sens d'une mobilisation de l'ensemble de ses agents dans un objectif de lutte contre la fraude.

b) Doter l'assurance chômage d'agents assermentés

Pour que la lutte contre la fraude puisse devenir une priorité, l'assurance chômage doit pouvoir disposer de moyens d'action adaptés à ses besoins.

Il ne s'agit pas de créer un nouveau corps de contrôle, ex nihilo, et concurrent de celui des URSSAF (d'autant que la mission de contrôle de celles-ci s'étend maintenant aux contributions d'assurance chômage) mais plus simplement et « à coûts constants » d'assermenter des agents des services de prévention des fraudes de l'assurance chômage, notamment dans le but de leur ouvrir, à des fins de contrôle, l'accès à certains fichiers (par exemple : pour accéder au fichier des personnes interdites de gestion que la mission propose de créer).

Cette mesure, permettrait de faciliter les échanges et la mise en œuvre de la levée du secret professionnel.

La mission demande que des agents de l'Unédic et des Assédic soient assermentés.

2. Renforcer les sécurités

Ces questions relèvent des gestionnaires de l'assurance chômage et de la mobilisation des équipes de lutte anti-fraude qui se sont d'ailleurs déjà engagées à travers les initiatives du plan triennal de lutte anti-fraude.

Certains points, sur lesquels la mission a souhaité attirer l'attention, méritent toutefois une vigilance particulière.

a) Valider l'identité des allocataires

Lors de l'inscription comme demandeur d'emploi, la présence physique du demandeur est requise dans un but évident de vérification de son identité.

 Les documents exigés pour l'inscription comme demandeur d'emploi

La mission s'est étonnée - en dépit de l'installation de détecteurs de faux papiers - de pratiques peu rigoureuses concernant la nature des documents demandés à l'allocataire pour justifier de son identité au moment de la prise d'une décision qui lui ouvre droit à versement d'indemnités.

Sur la base du décret de simplification des formalités administratives du 26 décembre 2000 qui a supprimé le caractère exigible de certaines pièces dans les relations de l'usager avec les pouvoirs publics, différents documents dont le décret fixe la liste, ont été acceptés pour procéder à l'inscription des demandeurs d'emploi, y compris des documents sans photographie.

Des cas de présentation de faux extraits d'acte de naissance - document qu'il est désormais extrêmement aisé de se procurer de façon dématérialisée - ont été détectés.

En réponse aux interrogations de la mission sur la nature des justificatifs exigés, l'Unédic vient de limiter les documents devant être présentés, aux quatre pièces suivantes : carte d'identité, passeport, carte de résident et carte de séjour. (33)

L'agent doit désormais exiger la présentation de l'original de ces pièces qui doivent en outre être en cours de validité. Si le demandeur est dans l'incapacité de les présenter son dossier doit être mis à l'étude.

Cette évolution, dont la mission se félicite, intervient en pleine cohérence avec la mise en place de détecteurs de faux papiers, ceux-ci ne fonctionnant qu'à l'égard de ces quatre pièces.

Par ailleurs, un groupe de travail constitué entre l'Unédic et l'ANPE, cette dernière étant responsable de la gestion de la liste des demandeurs d'emploi, devra notamment étudier la question des pièces présentées par les ressortissants étrangers.

Sur les problèmes liés à la vérification de l'identité, l'expérimentation développée, avec l'autorisation de la CNIL, par des « tiers de confiance » comme FAST (filiale de la Caisse des dépôts) pour les Caisses d'allocations familiales des Deux-Sèvres mériterait d'être examinée.

 La certification du NIR

Outre la pièce justificative de son identité et l'attestation de son ancien employeur, le demandeur, pour bénéficier du droit à l'allocation chômage, doit également présenter sa carte d'assuré social, et par conséquent son numéro d'identification, le NIR.

Ce numéro est parfois incomplet, lorsque la carte n'est pas présentée ou bien s'il est provisoire (numéro délivré provisoirement par les CPAM aux ressortissants étrangers).

La fiabilité de la liste des demandeurs d'emploi et des salariés connus des Assédic suppose que le NIR soit certifié, opération qui est effectuée par la CNAV. Cette vérification systématique à laquelle ne procèdent pas aujourd'hui les Assédic, permettra d'éviter les doublons ou les erreurs de saisie et sera aussi un instrument de détection des fraudes.

En tout état de cause, la généralisation du NIR comme identifiant commun aux organismes de sécurité sociale et à l'assurance chômage fera de sa certification une nécessité incontournable.

La mission recommande donc la fiabilisation de la liste des allocataires de l'assurance chômage par la certification automatique du NIR.

b) Développer des processus d'alerte et des contrôles en cas de situation suspecte

L'absence de signaux d'alerte efficients a certainement pesé lourd dans la non-détection des dossiers montés à des fins d'escroquerie : ces faux dossiers sont passés inaperçus car ils n'ont été appréciés que sur leur apparence.

Si l'assurance chômage est un système déclaratif, comme l'a rappelé son secrétaire général, ceci n'exclut pas le contrôle ; au contraire, elle en fonde même la légitimité. C'est pourquoi l'Unédic a lancé, dans le cadre de son plan de lutte contre la fraude, le développement de processus d'alerte dans une perspective de lutte contre ces types de fraude.

La mission insiste donc, en s'appuyant sur les possibilités d'échanges d'information nouvellement ouvertes par la loi ou par les conventions, sur le nécessaire développement de ces systèmes d'alertes et leur intégration, dans les limites autorisées par les textes, dans les systèmes d'information : cela concerne les procurations bancaires, le paiement des salaires en liquide, les entreprises déjà impliquées dans des affaires de fraude...

B. RENDRE ACCESSIBLES LES INFORMATIONS INDISPENSABLES AU CONTRÔLE

1. Développer les échanges d'information pour lutter contre la fraude

Le caractère multiforme des fraudes qui s'attaquent aux organismes sociaux comme à un véritable marché à exploiter ne laisse plus le choix. Il était nécessaire, il est devenu urgent, de décloisonner les systèmes d'information à la fois pour détecter les fraudes et pour procéder aux indispensables vérifications.

a) Une nécessaire clarification des modalités d'échange des informations

Pour lutter efficacement contre la fraude, il ne suffit pas de pouvoir accéder à des données pour procéder aux vérifications nécessaires. Il faut aussi pouvoir faire apparaître des incohérences permettant de déceler les fraudes en croisant les informations.

« Il n'y pas de croisement systématique des fichiers pour vérifier qu'une DPAE correspond bien à un compte employeur à l'URSSAF. Le croisement est autorisé dans le seul cadre du contrôle, lorsque existent des suspicions. C'est ainsi qu'une entreprise d'éclairage dans le spectacle avait pu effectuer 900 DPAE, sans cotiser à l'URSSAF » a indiqué M. Lucien Contou, responsable de la lutte contre le travail illégal à l'URSSAF. (34).

Les affaires de fraudes au moyen de faux dossiers, en eux-mêmes irréprochables, l'ont clairement montré.

Or, précise M. Vincent Ravoux, directeur général de l'URSSAF 1 : « La CNIL redoute le croisement des fichiers sociaux, pour des raisons liées aux libertés publiques. Cela étant, la loi de financement de la sécurité sociale de 2006 a prévu l'ouverture des informations entre les administrations sociales, mais il conviendrait cependant d'aller plus loin. La lutte contre la fraude suppose un travail de fond dans les bureaux. Elle doit relever de la routine de travail. Ainsi, lorsqu'une entreprise fait appel au fonds de garantie des salaires, les personnels du GARP doivent pouvoir automatiquement, et sans difficulté, accéder aux fichiers de l'URSSAF pour connaître la situation de l'entreprise. Et la réciproque doit être vraie pour nous lorsque nous avons besoin d'une information particulière. »

Selon la Cour des comptes, « Ces croisements réguliers et systématiques d'information constitueraient le seul moyen efficace de lutte contre les tentatives de fraudes à plus ou moins grande échelle qui sont actuellement favorisées par le cloisonnement excessif des systèmes d'information. » (35)

Effectivement, l'absence de rapprochements systématiques de données entre les URSSAF et l'assurance-chômage a pesé sur l'efficacité de la lutte contre la fraude.

Aucun des deux fichiers gérés par les URSSAF - le fichier des déclarations uniques d'embauches (DUE) et le fichier des employeurs affiliés - n'est accessible aux Assédic de façon systématique.

Premièrement, les Assédic ne sont destinataires des DUE que pour le premier salarié embauché par une entreprise dans l'objectif de permettre l'affiliation de celle-ci au régime d'assurance chômage. En revanche, elles n'ont pas accès à ce document pour contrôler la situation de leurs allocataires, ce qui les a privées d'un important moyen de détection de fraudes tant individuelles que collectives.

Deuxièmement, les Assédic n'ont accès aux fichiers employeurs des URSSAF qu'à des fins de vérification des contributions des employeurs et pour les seuls agents du recouvrement. (Décret n° 93-1319 du 13 décembre 1993 et délibération de la CNIL n° 93-057 du 6 juillet 1993 : ces rapprochements, quand ils consisteront en des échanges d'informations entre les organismes de sécurité sociale et les Assédic, ne pourront être que des réponses apportées à des demandes préalables des organismes gestionnaires du régime d'assurance chômage). (36)

Les croisements de données doivent répondre au principe de finalité posé par la loi informatique et liberté, finalité qui peut-être la lutte contre la fraude.

Les représentants de la CNIL ont ainsi rappelé devant la mission (37) que « Cinq grands principes régissent la protection des données, à commencer par le principe de finalité, qui est au cœur des préoccupations de la CNIL lorsqu'elle examine un traitement. Une finalité de lutte contre la fraude est ainsi parfaitement légitime. De ce principe de finalité découleront la détermination des données traitées, la durée de leur conservation et les destinataires de l'information. ».

Ce principe impose que les transferts systématiques soient mis en place dans un but bien déterminé et que seules les informations nécessaires, adéquates, pertinentes et non excessives au regard de ces finalités soient transférées.

Il est résulté de ces impératifs de protection des libertés un encadrement contraignant des procédures, qui n'est pas un facteur de simplicité des dispositifs et peut même se révéler un frein à l'action notamment dans la lutte contre la fraude.

« La CNIL fait, entre la nécessité du contrôle et la préservation des garanties individuelles, des arbitrages dont on ne peut nier qu'ils apparaissent à certains, sur le terrain, comme un frein et une limite à l'action. » observait devant la mission M. Olivier Selmati. (38).

Les représentants de la CNIL ont précisé que la commission n'avait jamais refusé d'autorisation aux demandes présentées par l'Unédic (39) mais qu'en revanche, il n'y avait pas de suivi, et ce de façon générale, de la mise en œuvre des autorisations accordées.

Sur ces questions complexes qui constituent un enjeu essentiel pour lutter efficacement contre la fraude, la mission considère qu'un bilan précis des demandes, des autorisations et de leur mise en œuvre effective doit être opéré.

b) Donner toute leur portée aux échanges entre les organismes sociaux dans la lutte contre la fraude

Comme cela a été précédemment indiqué, la coopération longtemps attendue entre organismes sociaux, et donc entre Assédic et URSSAF, commence à se mettre en place de façon coordonnée.

L'article L. 114-12 du code de la sécurité sociale introduit par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 habilite les organismes de protection sociale (organismes de sécurité sociale et assurance chômage) à échanger des informations pour procéder à des contrôles et lutter contre la fraude. Une convention vient tout juste d'être conclue entre les organismes de protection sociale relative à la mutualisation des informations dans le cadre de la lutte contre la fraude.

Cette convention devrait permettre à l'Unédic de bénéficier des informations de l'ACOSS et des caisses de sécurité sociale pour détecter des cas de fraude.

Si l'on y ajoute :

- le nouveau rôle confié aux URSSAF sur le contrôle des contributions des employeurs à l'assurance chômage qui conduira à la transmission des informations recueillies par les agents de contrôle aux organismes de l'assurance chômage,

- la participation des Assédic aux COLTI et l'accès aux procès-verbaux de redressement comme le demande la mission,

- la levée du secret professionnel dans le cadre du dispositif sur le travail illégal,

cette coopération doit pouvoir se mettre en place de façon opérationnelle.

La mission demande la mise en œuvre de la coopération engagée entre les organismes de protection sociale par l'organisation des croisements d'information nécessaires.

2. Mieux coopérer pour mieux contrôler

Les contrôles effectués dans le cadre du travail illégal sont l'occasion de mettre en évidence d'autres infractions, des fraudes de plus grande ampleur ou des fraudes touchant également d'autres organismes. Il est donc essentiel que les informations qui en découlent puissent être communiquées à l'ensemble des personnes intéressées.

a) Systématiser la participation des Assédic aux Comités opérationnels de lutte contre le travail illégal (COLTI)

Les Assédic regrettent fortement de ne pas être systématiquement conviées aux réunions des COLTI. C'est en effet le procureur qui réunit les participants à ces comités et les pratiques diffèrent d'un procureur à l'autre.

La participation des Assédic est pourtant essentielle aux échanges d'information sur les dossiers en cours, pour faire le point des procédures pénales et pour formaliser les contacts entre les différents corps de contrôles.

Selon les informations fournies à la mission, les Assédic ne seraient présentes que dans une trentaine de COLTI, mais cette situation est en train d'évoluer. Le ministre de l'emploi a demandé au ministre de la Justice que cette association soit systématisée, comme c'est le cas à Paris, depuis le 1er janvier 2006.

La mission demande que la présence systématique de représentants des Assédic aux réunions des COLTI soit effective.

Un premier pas a été franchi en 2005 avec l'organisation de la transmission des procès-verbaux de travail illégal aux Assédic pour permettre l'application de la suspension des aides aux employeurs condamnés pour travail illégal. (articles L. 325-3 et L. 325-4 du code du travail).

L'article L. 325-4 du code du travail lève le secret professionnel entre les services verbalisateurs des infractions de travail illégal et différents agents, dont ceux de l'Unédic et des Assédic.

L'article L. 114-15 du code de la sécurité sociale (40) fait maintenant injonction aux corps de contrôle de prévenir les organismes gestionnaires lorsqu'ils constatent des situations de travail illégal, dont fait partie la fraude au revenu de remplacement. Cette obligation doit permettre une vérification systématique des éventuelles fraudes. À condition toutefois qu'elle soit appliquée.

Le secrétaire général de la Délégation interministérielle de lutte contre le travail illégal (DILTI), a indiqué que ce point devrait être mis à l'ordre du jour de la prochaine commission nationale de lutte contre le travail illégal.

La mission demande la transmission effective aux Assédic des procès-verbaux de constatation d'infraction pour travail illégal.

b) Mieux impliquer les services de l'État dans la lutte contre la fraude

Outre le fait que l'Inspection du travail - pour ses missions qui relèvent de la Direction générale du travail - contrôle peu, ou en tout cas ne contrôle pas à la hauteur de l'enjeu que constitue le travail dissimulé, la mission regrette également le manque d'efficacité de ses échanges avec l'Unédic.

Ceci s'est particulièrement traduit par le fait que l'Inspection du travail ne communique pas ses procès-verbaux aux Assédic, comme cela a été souvent évoqué devant la mission.

Par ailleurs, se pose le problème des contrôles effectués dans le cadre du suivi de la recherche d'emploi, comme le secrétaire général de la Délégation interministérielle de lutte contre le travail illégal (DILTI) l'a évoqué devant la mission (41) : « Vous avez raison, l'Inspection du travail a des difficultés à se mobiliser sur ce type de fraudes. Je me souviens, à titre personnel, avoir eu du mal à convaincre certains de mes collaborateurs de la section « contrôle de la recherche d'emploi » de verbaliser systématiquement quand ils constataient des fraudes ». En effet, « La plupart des contrôles effectués par l'inspection du travail se font dans le cadre du contrôle de la recherche d'emploi. C'est à cette occasion qu'elle découvre qu'il y a fraude aux Assédic. Or il se trouve que les services de contrôle de la recherche d'emploi, tout en employant des inspecteurs du travail, sont intégrés dans les services « emploi » des directions départementales du travail. Ils sont en dehors de l'inspection « inspectante ». Il est arrivé qu'ils ne considèrent pas cette fraude comme une infraction de travail illégal. »

Le contrôle du suivi de la recherche d'emploi vise à détecter les fraudes aux revenus de remplacement par des demandeurs d'emploi qui ne rempliraient pas leurs obligations. Il peut déboucher sur des sanctions administratives prononcées par les directions départementales du travail et de l'emploi, qui vont de la suspension des allocations jusqu'à l'exclusion.

Il répond certes à une logique qui lui est propre, mais on peut regretter, alors que ce suivi suppose des contacts et des rencontres réguliers avec les demandeurs d'emploi, qu'il ne soit pas l'occasion de vérifications qui pourraient permettre le signalement du type de fraudes en cause dans les escroqueries dont est victime l'assurance chômage.

Cette étanchéité des procédures constitue un réel obstacle à l'implication que l'on attend des services déconcentrés de l'emploi dans la lutte contre les fraudes collectives.

De façon plus générale, la mission regrette la non-parution de l'ensemble des décrets d'application du dispositif de lutte contre les fraudes créé par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2006.

c) Élaborer un protocole entre l'assurance chômage et les services de police et de gendarmerie

Un protocole doit être signé le 18 décembre 2006 entre la CNAMTS, la police et la gendarmerie nationales afin d'instituer une coopération, tant au niveau national que local, entre l'assurance maladie et les services d'enquête en développant et en structurant les échanges entre des interlocuteurs identifiés.

L'objectif de cette coopération est de permettre une intervention, le plus en amont possible, des services de police ou de gendarmerie. Cette action préventive est essentielle dans la mesure où, une fois la fraude commise, les perspectives de récupération des sommes qui n'auraient pas dû être versées sont très faibles.

Comme l'a précisé M. Didier Duval, responsable du pôle de lutte contre la délinquance financière à la Direction centrale de la police judiciaire (DCPJ) (42) « ... des actions de prévention ne peuvent être menées que s'il existe une connexion structurelle avec l'organisme lésé. Certaines caisses, notamment la CNAM, ont créé un service anti-fraude qui travaillera en parallèle avec le corps d'inspection, mais surtout, sont en train de mettre en place un protocole de connexion avec la direction générale de la police nationale, au niveau régional et au niveau central. Dès la phase de détection de la fraude au sein de la CNAM ou des caisses primaires, avant même que la fraude ne se développe, l'affaire sera prise en mains par l'autorité de police ou de gendarmerie désignée par le protocole. »

Bien entendu, des liens existent déjà entre l'Unédic, les Assédic et les services de police et de gendarmerie pour le traitement des dossiers de fraude, mais aussi au travers d'actions de formation (instructions sur la détection des faux papiers par la gendarmerie quand les détecteurs n'étaient pas encore installés) et à l'occasion des signalements effectués par les policiers et les gendarmes sur des dossiers de travail illégal, de cumul d'activité, de gérance non déclarée, d'escroquerie et d'usurpation d'identité...

La conclusion d'un protocole entre l'assurance chômage et les services de police et de gendarmerie, du même type que celui existant avec la CNAM, présenterait un intérêt en termes d'actions de formation et d'échanges de savoir-faire, pour mettre à la disposition des organismes sociaux des analyses de typologie des procédures criminelles de nature à favoriser la détection des fraudes de grande ampleur. L'élaboration de vade-mecum à partir des modes opératoires détectés devrait permettre le renforcement des signaux d'alerte.

La mission recommande la mise en place d'un protocole entre l'Unédic, la police et la gendarmerie pour mieux faire face à des mécanismes de fraude très réactifs et en constante évolution.

C. NE PLUS TOLÉRER QUE DES SOCIÉTÉS SOIENT CRÉÉES À DES FINS D'ESCROQUERIE

Les procédures de création d'entreprise ont été progressivement et continuellement simplifiées dans l'objectif d'encourager l'activité économique et la création d'emplois, avec des résultats positifs incontestables. Mais, la simplification et la dématérialisation ont aussi ouvert des brèches qui sont systématiquement exploitées à des fins de fraude, comme en témoignent les escroqueries dont l'assurance chômage est victime.

1. La simplification administrative pour le meilleur et pour le pire

Toutes les affaires de fraude en réseau reposent sur la création, ou le rachat en nombre, de sociétés qui ont une existence légale mais servent, en réalité, à la commission de multiples infractions.

La simplicité des formalités à remplir et l'absence de vérification ont conduit certains membres de la mission à se demander si aujourd'hui il n'était pas plus facile de créer une société que de prendre l'avion !

Sans apport immédiat en capital (43)et avec la simple photocopie de la pièce d'identité (44) d'une tierce personne, une même personne peut se déclarer gérante d'autant de sociétés qu'elle le souhaite, sans qu'aucune règle ne puisse lui être opposée, sans qu'aucun contrôle relatif à sa personne ou à son activité ne soit effectué, et sans même attirer l'attention de quiconque.

L'exposé de cette situation a été constant et unanime devant la mission que ce soit de la part de l'Unédic, du Groupement des Assédic de la Région Parisienne (GARP), des services de police et de gendarmerie, de la Justice, de l'URSSAF, de la Délégation interministérielle à la lutte contre le travail illégal (DILTI)...

Or ces sociétés, qu'elles aient une activité réelle ou pas, qu'elles mêlent ou non associés fictifs et gérants à l'identité inventée ou usurpée, auront toutes l'apparence de la légalité, une fois immatriculées.

Pour ne citer que le point de vue de la police: « Ainsi, la simplification des formalités exigées pour la création de sociétés, telle qu'elle résulte de l'article 30 du décret du 30 mars 1984 et de l'arrêté du 9 février 1988, qui n'exigent que la production de copies de la pièce d'identité ou du titre de séjour, favorise la présentation de faux papiers lors de 1'immatriculation des sociétés par leurs gérants de droit, qui vont jusqu'à régler les droits avec des chèques volés ou sans provision. Ces sociétés servent ensuite à la commission de multiples infractions : escroqueries aux encarts publicitaires, à la TVA, blanchiment d'argent, obtention de crédits détournés... » (45).

Le ministre de l'emploi, lui-même, s'interroge (46) : « La simplification accroît-elle les risques de fraude ? Notre pays a adoré la complexité, mais les simplifications, comme d'ailleurs la complexité, peuvent conduire à l'émergence de fraudes. Il nous faut donc adopter des dispositifs à la fois simples, lisibles et contrôlables » et à propos du contrôle des papiers d'identité, le ministre a tenu à rappeler le principe selon lequel : « la simplification ne signifie pas l'absence de règles. »

À cet égard, il faut aussi préciser que la loi du 1er août 2003 pour l'initiative économique prévoit, pour faciliter les démarches d'installation, la remise - gratuite - d'un récépissé de création d'entreprise, dès lors que le dossier remis au greffier, ou au Centre de Formalités des Entreprises (CFE), est complet et donc avant même l'immatriculation au registre du commerce. Ce récépissé, qui mentionne souvent le numéro SIREN, permet d'effectuer certaines démarches auprès des organismes publics, sans même avoir à attendre la délivrance de l'extrait du K bis.

En outre, une fois la société créée, celle-ci, comme cela a déjà été dit, pourra se soustraire sans grand risque à l'obligation de dépôt des comptes sociaux et, pendant un an et demi échappera même à toute vérification de la part de l'administration fiscale en application du régime simplifié d'imposition.

Aussi la mission demande-t-elle qu'une vigilance particulière soit portée à ces questions dans la mise en œuvre du plan PME 2007 qui prévoit un deuxième volet de simplifications administratives pour les petites et moyennes entreprises.

2. Les greffes des tribunaux de commerce : un système insuffisamment responsabilisé

Le greffier du tribunal de commerce remplit un rôle pivot, puisqu'il est placé au centre du système d'information sur l'identité des entreprises.

Les entreprises sont tenues de se faire immatriculer au registre du commerce et des sociétés par une démarche auprès des centres de formalités des entreprises (CFE) ou des greffes des tribunaux de commerce pour acquérir la personnalité morale.

Les greffes des tribunaux de commerce reçoivent les déclarations des entreprises sur leur identité et leur mode d'exercice depuis leur création jusqu'à leur disparition, et tiennent à jour l'extrait de leur inscription (dit « extrait K bis »), qui constitue leur fiche d'identité. Ils doivent contrôler les déclarations : conformité des pièces justificatives, régularité des demandes. Ils sont également les dépositaires légaux des comptes annuels des sociétés.

Le greffier, officier ministériel, a donc pour premier rôle de vérifier la réalité des pièces justificatives qui doivent être remises lors de l'immatriculation.

Mais ce contrôle qui, juridiquement est un contrôle de fond, est en fait largement formel. Comme le précise Mme Arrighi de Casanova, sous-directrice du droit économique à la direction des affaires civiles et du sceau au ministère de la justice (47) : « Le contrôle du greffe est relativement limité. Il suffit d'indiquer une adresse qui peut être celle du gérant ou du dirigeant de la société, puisque pendant cinq ans la domiciliation peut se faire à son domicile, ou qui peut être celle d'une société de domiciliation. Et si les statuts sont conformes aux normes légales, le greffier n'a aucun pouvoir d'appréciation pour savoir si l'activité sera réellement exercée ou pas. »

Lors de l'immatriculation, il n'est pas effectué de véritable contrôle de l'identité et notamment pas de vérification des signatures.

Il n'y a pas non plus de véritable suivi du respect de l'obligation de dépôt des comptes sociaux, au point qu' « une injonction de faire » vient d'être créée par la loi n° 2005-845 du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises. Cette procédure, applicable depuis le 1er janvier 2006, constitue un premier pas, à condition toutefois que les tribunaux de commerce en fassent usage.

Comme la police le relève (48) : « Il est en effet fréquent que des gérants de paille se rendent au tribunal de commerce pour immatriculer une société accompagnés d'un interprète car ils ne parlent ni ne lisent le français et ne comprennent pas la portée des signatures qu'ils apposent contre rémunération sur les actes constitutifs de la société. ». Ces gérants de paille, se voient proposer « de gagner en une seule journée un mois de salaire en accompagnant une personne au tribunal de commerce et à la banque pour immatriculer une société à leur nom. Par la suite, si on est amené à les interpeller, on s'aperçoit qu'ils ne savaient même pas qu'ils étaient gérants. ».

L'existence de telles pratiques montre les limites du système, d'autant que ses performances apparaissent de qualité variable selon les tribunaux de commerce.

Ainsi, comme l'a indiqué l'Unédic, à propos des sociétés identifiées dans l'étude réalisée par ses soins sur la multi-gérance : « 80 % des immatriculations ont lieu à Paris. Ce n'est sans doute pas un hasard. Mais il semble que depuis cette année les choses changent et des engagements sérieux ont été pris pour renforcer les contrôles. » (49)

Les greffiers eux-mêmes, par la voie du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce ont reconnu devant la mission les carences du système et souhaitent pouvoir disposer de moyens de contrôles supplémentaires (50). Ils ont formulé des propositions en ce sens qui ont été prises en compte par la mission (cf. infra 3).

La mission considère, en outre, que les greffes qui sont placés au cœur du système d'information sur les entreprises devraient se voir conférer un devoir d'alerte auprès des administrations et des organismes sociaux intéressés lorsqu'ils détectent une situation suspecte.

De nombreux éléments de soupçon dont ils ont connaissance ne peuvent en effet, rester ignorés : multi-gérances répétées, ouverture d'établissements en nombre, sociétés déclarant une date de début d'activité très antérieure à la date de leur immatriculation... Cette alerte serait particulièrement indispensable dans des secteurs d'activité identifiés à risques ou quand apparaissent des adresses de domiciliations.

Or, comme l'a noté Mme Arrighi de Casanova, sous-directrice du droit économique à la direction des affaires civiles et du sceau au ministère de la justice, aujourd'hui « aucun texte ne permet même à un greffier qui est tenu au secret professionnel d'aller aviser l'URSSAF qu'il a des doutes. D'ailleurs il n'en a pas tellement puisque, pour l'instant, personne ne lui a demandé de faire des recoupements ». (51)

La mission propose d'instaurer un devoir d'alerte des greffes des tribunaux de commerce auprès des administrations et organismes sociaux intéressés.

3. Rétablir une véritable sécurité juridique lors de l'immatriculation des sociétés

Il ne doit plus être possible d'immatriculer une société sans qu'aucun contrôle effectif ne soit exercé, ni sur l'identité du créateur, ni sur une éventuelle interdiction de gérer.

a) S'assurer de l'identité du créateur d'entreprise

« Les enquêteurs ont décelé des failles dans le droit des sociétés qui ont été exploitées par les fraudeurs : pour faire immatriculer une société, le gérant n'a pas besoin de se déplacer au tribunal de commerce, il suffit de présenter la photocopie d'une pièce d'identité. C'est la porte ouverte à tous les trafics. Sur les 130 sociétés concernées, il y a à peu près 70 % de fausses identités » a précisé Mme Sylvia Caillard, premier juge d'instruction au TGI de Paris et membre du pôle financier, à propos d'une affaire de fraude. (52)

La mission considère qu'il est indispensable de mettre fin à la possibilité d'immatriculer une société sans présentation de l'original des pièces d'identité du créateur et sans leur vérification.

C'est bien à la naissance de la société qu'un contrôle efficace et réel doit être instauré car pour des sociétés dont la durée de vie n'est que de quelques mois avant de changer de gérant, de lieu d'activité ou de propriétaire, les contrôles pouvant intervenir ultérieurement resteront toujours inopérants.

Les représentants des greffiers entendus par la mission partagent le constat selon lequel la photocopie de la carte d'identité, compte tenu des fraudes mises au jour, n'est manifestement pas suffisante et ont indiqué que la présence physique de l'intéressé pour l'immatriculation ne poserait de problème matériel d'accueil ni aux greffes ni aux Centres de formalités des entreprises.

La mission demande que les contrôles à l'immatriculation, et en particulier les contrôles relatifs à l'identité du créateur de l'entreprise, soient renforcés. Elle préconise la présentation de l'original d'une pièce d'identité par le gérant ou dirigeant, directement ou par l'intermédiaire d'un membre d'une profession réglementée.

Ce problème d'identification prend une acuité particulière dans le contexte de la dématérialisation des procédures et de l'immatriculation en ligne.

La déclaration par voie électronique, qui fait partie d'une évolution souhaitable des relations des administrations avec ses usagers, était d'autant plus inéluctable en matière de déclarations des entreprises qu'elle est prévue par une directive européenne (directive 2003/58/CE du Parlement et du Conseil du 15 juillet 2003 modifiant la directive 68/151/CEE du Conseil en ce qui concerne les obligations de publicité de certaines formes de sociétés.).

En application de cette directive, la possibilité d'immatriculation en ligne a été ouverte en France par un décret du 9 juin 2006. (53)

Dès lors se pose la question du degré de certification en ligne des différentes pièces du dossier d'inscription ou de modification d'entreprise, question actuellement examinée dans le cadre du deuxième volet du plan déjà évoqué de « simplifications administratives pour les PME ».

La mission demande que toutes les garanties soient prises pour assurer un niveau de sécurité suffisant à l'identification du gérant ou du dirigeant lors de l'immatriculation en ligne.

b) Appliquer l'interdiction de gérer

Comme cela a été constaté, il est possible à une personne condamnée à une peine interdisant de gérer, d'administrer ou de diriger une société, d'immatriculer d'autres sociétés auprès des greffes des tribunaux de commerce ne serait-ce qu'en changeant de ressort de tribunal.

Lors de l'immatriculation, seule une attestation sur l'honneur de non-condamnation est demandée (article 17 de l'arrêté relatif au RCS du 9 février 1988). La demande de vérification du casier judiciaire ne se fait qu'a posteriori sur requête du juge chargé de la surveillance du registre du commerce.

L'extrait du casier est ensuite obtenu dans des délais variables suivant une procédure très lourde, comme le souligne M. Christian Kalck, chef de la brigade de répression de la délinquance astucieuse (BRDA) à la préfecture de police de Paris(54) : « Quant à la vérification de l'interdiction d'exercice, le tribunal de commerce de Bobigny est submergé par les demandes d'extraits de casier judiciaire par l'intermédiaire du procureur de la République.»

Il s'y ajoute le délai de transcription sur le casier judiciaire des condamnations commerciales prononcées dans les différents ressorts des tribunaux qui ouvre une période pendant laquelle cette information n'est pas accessible.

Seules la transmission instantanée du casier judiciaire par voie électronique aux greffes des tribunaux de commerce et la création d'un fichier national des interdits de gérer et des faillites personnelles permettraient de procéder à cette vérification concomitamment à l'immatriculation.

Ce fichier, recensant les condamnations commerciales prononcées par les différentes juridictions situées sur le territoire serait tenu sous l'égide du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce et ne serait accessible qu'aux greffiers pour exercer un contrôle au niveau national de cette incapacité.

Par ailleurs, compte tenu de la durée des procédures collectives, la période pendant laquelle la personne, non encore condamnée, peut continuer à agir est loin d'être négligeable. Les registres étant spécifiques à chaque tribunal, on ne peut avoir connaissance que des procédures collectives prononcées localement à l'encontre des entreprises concernées.

Il ne s'agit pas d'interdire la création d'une autre entreprise tant que la condamnation n'est pas prononcée mais de mettre en place un signal d'alerte, grâce à un fichier répertoriant les procédures collectives.

Selon M. Michel Jalenques, vice-président du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce (55) : « L'intérêt d'un fichier central consultable par des tiers ou par des organismes comme l'Unédic ou les Assédic serait de connaître, de façon exhaustive sur l'ensemble du territoire national, les entreprises qui ont fait l'objet d'une procédure collective afin de pouvoir réagir quand des immatriculations paraissent suspectes. »

Ce fichier, serait également tenu sous l'égide du Conseil national des greffes des tribunaux de commerce et pourrait être interrogé par les personnes intéressées, sur demande adressée aux greffes.

La mission propose :

- la transmission instantanée du casier judiciaire par voie électronique aux greffes des tribunaux de commerce ;

- la création d'un fichier des gérants et des dirigeants de société tenu par les greffes des tribunaux de commerce répertoriant les interdictions de gérer et d'autoriser sa consultation directe, sous contrôle du juge ;

- la création d'un fichier tenu par les greffes des tribunaux de commerce répertoriant les entreprises faisant l'objet d'une procédure collective.

c) Sécuriser l'immatriculation au registre du commerce

La demande d'immatriculation auprès du registre du commerce et des sociétés donne également lieu à l'attribution d'un numéro SIREN délivré immédiatement par l'INSEE.

En conséquence, alors même que l'immatriculation aurait été refusée, ce numéro SIREN peut continuer à être utilisé à des fins malhonnêtes.

Selon Mme Arrighi de Casanova, sous-directrice du droit économique à la direction des affaires civiles et du sceau au ministère de la justice (56) : « Comme tous les organismes tiers, notamment les organismes sociaux, ne fonctionnent finalement qu'avec ce numéro INSEE, il se peut que quelqu'un qui s'est déclaré au centre de formalités des entreprises et que le greffe a refusé d'immatriculer soit considéré par ces organismes comme une société ».

La mission estime qu'il serait nécessaire que le numéro SIREN soit attribué concomitamment à l'immatriculation.

4. Réviser le régime des sociétés de domiciliation

Le code de commerce impose à toute personne morale demandant son inscription au registre du commerce de justifier de la jouissance des locaux où elle installe son siège social. La domiciliation sociale étant par ailleurs autorisée dans des locaux occupés en commun par plusieurs entreprises (article L. 123-11 du code de commerce), les sociétés de domiciliation se sont multipliées. Ces sociétés ont pour activité de proposer à d'autres sociétés une adresse commerciale et, le cas échéant, des locaux.

a) Un régime source d'abus

La pratique de la domiciliation est une source d'abus dénoncés par les représentants de la profession eux-mêmes.

Ainsi, le syndicat professionnel (57) que la mission a entendu souhaiterait voir clarifier une situation qui porte le discrédit sur une profession dont l'utilité économique est par ailleurs indiscutable.

Certains ont pu profiter d'autant plus facilement des possibilités offertes par les sociétés de domiciliation que les formalités exigées à la création de sociétés ont été allégées : ces sociétés obtiennent une domiciliation pour se faire immatriculer au registre du commerce et (RCS) auprès « d'officines » jouant uniquement le rôle de boîte aux lettres. À partir de cette adresse postale il est extrêmement difficile de localiser les activités réellement exercées. La société de domiciliation forme un écran rendant difficile, voire impossible, tout contrôle.

Comme le souligne M. Christian Kalck, chef de la brigade de répression de la délinquance astucieuse (BRDA) à la préfecture de police de Paris (58) : « Les sociétés de domiciliation sont des écrans dont les escrocs - pas seulement d'ailleurs ceux qui fraudent les Assédic - se servent presque systématiquement. Il conviendrait de renforcer les conditions du recours à cette pratique pour rendre plus faciles les recherches portant sur l'existence réelle d'une société. »

Effectivement, l'étude publiée par l'URSSAF de Paris et de la région parisienne (59) souligne les difficultés rencontrées pour obtenir des sociétés de domiciliation la communication des éléments nécessaires au contrôle des sociétés domiciliées.

Cette étude précise que : « dans beaucoup d'affaires de travail dissimulé touchant des sociétés en domiciliation, la question de la complicité passive de la société domiciliataire peut être posée, faute de pouvoir prouver la complicité active. Dans de nombreux cas, on constate l'existence de lien direct (dirigeants communs, proximité géographique) entre une société de domiciliation et un cabinet de gestion administrative et juridique ayant les mêmes clients. Il est remarqué notamment :

- des tarifs de domiciliation par trop attractifs, fixés en outre à l'année et payés d'avance : la correspondance de sociétés domiciliées peut être ainsi conservée par la société domiciliataire pendant de nombreux mois sans être jamais récupérée et sans réaction de celle-ci ;

- la production tardive, voire la non production à l'URSSAF des listes de radiés et des listes des inscrits. »

Ce constat rejoint les informations fournies par l'Unédic à la mission, selon lesquelles la plupart des adresses à risque identifiées dans les affaires de fraude importantes sont celles de sociétés de domiciliation. L'Assédic de Paris a, par exemple, répertorié une société qui domicilie environ 1500 sociétés, parmi lesquelles 150 sont considérées comme douteuses et il est avéré que certaines d'entre elles ont été utilisées pour monter des fraudes à grande échelle.

b) Des obligations à renforcer et à rendre effectives

Les règles applicables à la domiciliation sont fixées par le décret n° 85-1280 du 5 décembre 1985 (60).

Les obligations imposées aux domiciliataires et aux domiciliés, outre le fait qu'elles sont très légères, ne sont pas réellement appliquées, faute de contrôle et de sanction. Les domiciliataires ne respectent notamment pas l'obligation qui leur est faite d'informer le greffe de la résiliation ou de l'expiration du contrat de domiciliation qui permettrait la radiation du registre du commerce et des sociétés.

Le décret est en outre insuffisant parce qu'il ne précise ni les clauses du contrat de domiciliation qui doit être obligatoirement conclu, ni les obligations faites aux domiciliataires concernant le contenu des pièces dont ils doivent assurer la conservation et permettre la consultation.

Pour faciliter le contrôle de ces sociétés, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 a :

- d'une part interdit l'exercice de l'activité de domiciliataire dans des locaux d'habitation, car les règles de protection de la vie privée y empêchent tout contrôle ;

- d'autre part habilité les agents du recouvrement de la sécurité sociale, les inspecteurs du travail et les agents de contrôle des caisses de mutualité sociale agricole à effectuer des contrôles dans ces sociétés.

La mission déplore la non publication, à ce jour, du décret d'application de cet article qui constitue pourtant un premier pas vers le renforcement des contrôles.

Il faut toutefois aller plus loin, en responsabilisant les domiciliataires à l'égard des sociétés qu'ils hébergent et en renforçant leurs obligations envers les greffes et les services de contrôle des organismes publics. Au minimum, les domiciliataires devraient, sous peine de sanctions, être tenus de respecter leur obligation d'aviser le greffe de la situation des sociétés domiciliées avec lesquelles elles n'ont plus de contact.

La mission propose de mieux encadrer le régime juridique applicable à la domiciliation en instituant un agrément des sociétés de domiciliation.

5. Impliquer les services fiscaux dans la recherche des sociétés créées à des fins de fraude

Comme l'a dit le ministre de l'emploi devant la mission : « une entreprise qui a déclaré des effectifs nombreux sans jamais payer de TVA doit attirer l'attention » (61)...

Les services de prévention des fraudes des Assédic ont besoin d'informations dont disposent les services fiscaux sur les entreprises ne serait-ce que pour apprécier la réalité de leur activité ou au contraire leur caractère purement fictif.

L'article L.134 B du livre des procédures fiscales prévoit cette communication, mais de façon très ciblée, pour des renseignements nécessaires à l'assiette des cotisations ou au calcul des prestations.

Le secret professionnel ayant été levé entre les agents des services fiscaux et les organismes de protection sociale, dans le cadre du dispositif de lutte contre les fraudes mis en place par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 (62), la communication de ses informations doit désormais pouvoir se faire.

Elle suppose cependant une clarification des modalités d'échange d'information organisées par l'article L. 152 du livre des procédures fiscales.

Mais, il faut bien reconnaître qu'une partie du problème lié aux difficultés à identifier ces sociétés « coquille vide » tient à l'absence de contrôle du fisc sur ces sociétés douteuses, comme cela a été confirmé lors de l'audition des services fiscaux.

« Nous travaillons dans une sphère très différente : nous essayons de repérer les entreprises qui sont plus grosses qu'elles n'en ont l'air. Il en va différemment des entreprises qui vous intéressent, qui sont plus petites qu'elles veulent le paraître. Il est exact qu'elles ne sont pas dans notre « collimateur ». Nous recherchons s'il n'y a pas de travail au noir, un chiffre d'affaires beaucoup plus important que ce qu'on nous déclare. Mais ces entreprises « coquilles vides » peuvent être d'apparence tout à fait honnête, déposer des petits acomptes de TVA pour ne pas avoir d'ennuis et disparaître au bout d'un an, sans avoir laissé forcément d'impayés de TVA, si il n'y a pas de chiffre d'affaires. » a précisé Mme Maxime Gauthier, sous-directrice à la Direction générale des impôts (DGI) (63).

De plus, lorsque les contrôles ont lieu, ils interviennent de toute façon trop tard. Ces sociétés, dans la mesure où elles bénéficient du régime simplifié d'imposition ne peuvent être l'objet d'un contrôle qu'un an et demi après le début de leur activité. Dans l'intervalle, elles auront le plus souvent disparu.

Ceci est d'autant plus regrettable que, comme l'a précisé la police, ces sociétés ne servent pas qu'à monter des escroqueries à l'assurance chômage. Elles sont aussi impliquées dans de nombreux autres délits économiques et financiers.

IV.- TROUVER LES MOYENS D'UN TRAITEMENT PÉNAL DISSUASIF DE LA FRAUDE ORGANISÉE

Les affaires de fraude en réseau touchant l'assurance chômage mettent en jeu un nombre considérable de prévenus, organisateurs, faussaires, et acheteurs de « kits ». Ces affaires, qui relèvent pénalement de l'escroquerie (64), doivent donc être sanctionnées à la hauteur de leur gravité.

1. LA NÉCESSITÉ D'UNE SANCTION SUFFISAMMENT DISSUASIVE

Comme l'a précisé Mme Sylvia Caillard, juge d'instruction au pôle financier de Paris pour l'affaire dont elle est saisie, devant les difficultés posées par le nombre des prévenus et les différents degrés du préjudice causé aux Assédic, un protocole a été élaboré avec l'Unédic selon lequel les personnes ayant acheté des « kits » et qui acceptent de rembourser ne seront pas poursuivies.

Selon l'avocat de l'Unédic, Maître Benoit, cette pratique de remboursement contre l'abandon des poursuites ne serait plus suivie pour les nouvelles affaires en cours (65) : « Pour les bandes organisées, c'est aujourd'hui faux. On leur dit de rembourser - j'en ai d'ailleurs qui commencent à rembourser dans des dossiers qui ne sont pas encore plaidés ni jugés - mais nous ne retirons pas la plainte. Même s'ils ont remboursé, cela ne nous empêchera pas de demander des dommages et intérêts pour le préjudice qu'ils ont fait subir. On accepte le remboursement anticipé, mais cela n'a aucune incidence sur la plainte pénale. ».

Parmi les solutions aujourd'hui envisagées pour permettre le traitement des ces affaires, figure le recours à la procédure du plaider-coupable créée par la loi du 9 mars 2004 qui permet au procureur de proposer une peine maximale d'un an d'emprisonnement à une personne ayant reconnu avoir commis un délit, celle-ci évitant un procès si elle accepte la peine.

Cette peine pourrait être prononcée par le Procureur de la République avec éventuellement une mise à l'épreuve consistant à rembourser aux Assédic les sommes détournées, précise Maître Benoît. Si le faux allocataire ne rembourse pas, la peine est appliquée.

Quelles que soient la ou les solutions que les juges arrêteront pour le traitement de ces dossiers, la mission insiste sur le caractère impératif des poursuites et des sanctions, aussi bien contre les acheteurs de « kits » que contre les organisateurs de la fraude, afin de faire savoir que ce genre de pratiques n'est plus la fraude « facile et peu risquée » qu'elle était auparavant.

2. Les difficultés liées à la masse des dossiers

Mme Sylvia Caillard, juge d'instruction au pôle financier, a fait part à la mission des difficultés considérables que posent l'instruction et le jugement des affaires de fraudes en réseau qui impliquent un très grand nombre de personnes.

Ces difficultés se sont déjà concrétisées dans l'affaire jugée par le tribunal correctionnel de Paris dans laquelle, 50 acheteurs de « kits Assédic » étaient poursuivis, en plus des organisateurs. Elles vont connaître un coefficient multiplicateur considérable au vu de l'ampleur des dossiers à venir, dans lesquels sont impliquées 600, 1 000, 2 000... personnes et peut-être davantage, car les chiffres grossissent au fur et à mesure des investigations.

Le risque existe que les difficultés procédurales, mais aussi simplement matérielles, qui découlent de la très grande masse des dossiers ne mettent en péril le déroulement des procédures judiciaires.

« Si le Parquet refuse de poursuivre, le dossier ne sortira jamais. On ne peut mettre en examen 600 personnes et d'ailleurs aucun président de correctionnelle ne voudrait prendre ce genre de dossier. » a précisé Mme Sylvia Caillard. (66)

Aussi, a t-elle indiqué, que pour l'affaire dont elle était saisie et qui concerne plusieurs centaines de personnes, elle souhaitait procéder par renvois successifs en distinguant les organisateurs poursuivis sous la qualification d'escroquerie en bande organisée, des allocataires, qui eux seraient jugés sur la base d'une escroquerie simple par « groupes » de quelques dizaines.

Selon ce magistrat : « La vertu pédagogique sera la même s'ils sont jugés par groupes de trente, par exemple. Le principal est qu'ils comparaissent devant un tribunal, qu'ils soient jugés, au moins ceux qui ont profité de la fraude de façon importante. »

La justice doit pouvoir disposer des moyens nécessaires à l'instruction et au jugement de ces dossiers.

La mission souhaite que les solutions retenues par la Justice pour le traitement des affaires de fraude en réseau, garantissent la sanction de l'ensemble des fraudeurs, des organisateurs de la fraude mais aussi des faux allocataires.

CONCLUSION

À l'issue de ses travaux, la mission confirme l'existence de fraudes massives, bien organisées et rodées à l'assurance chômage.

Le chiffre de 140 millions d'euros, qui correspond au montant des fraudes constatées par l'Unédic au 13 décembre 2006, reflète un phénomène dont il est à ce jour difficile de prendre toute la mesure.

Le retentissement dans l'opinion des affaires de fraude de grande ampleur et les débats législatifs sur cette question, ont participé à la prise de conscience des pouvoirs publics de la nécessité de mieux organiser la lutte contre les fraudes. Ceci implique la mise en place de moyens de contrôle efficients et l'organisation d'échanges d'informations et plus généralement, comme l'a rappelé le ministre de l'emploi (67), la mise en place de procédures simples, lisibles et contrôlables.

La lutte contre ces fraudes doit, de surcroît, acquérir une dimension transnationale, dimension prise en compte par le Comité national de lutte contre les fraudes à la protection sociale, qui a fait de la coopération internationale un axe prioritaire de ses travaux.

S'agissant de la lutte contre les fraudes organisées à l'assurance chômage, la mission insiste sur l'urgence à prendre des mesures concrètes relevant, pour la plupart, du simple bon sens.

Ces mesures font l'objet de 16 propositions que la mission a adoptées le 13 décembre 2006 en conclusion de ses travaux.

PROPOSITIONS DE LA MISSION

1. Appliquer de façon prioritaire la Déclaration nominative des assurés (DNA) aux secteurs à risque que sont le bâtiment et la confection.

2. Prévoir la remise obligatoire par l'employeur au salarié lors de son embauche d'un certificat établissant qu'il a bien été déclaré auprès de l'URSSAF.

3. Assermenter des agents des services de prévention des fraudes de l'Unédic et des Assédic.

4. Systématiser la présence de représentants des Assédic aux réunions des Comités opérationnels de lutte contre le travail illégal (COLTI) et leur communiquer les procès-verbaux de constatation d'infraction pour travail illégal.

5. Mettre en place rapidement le répertoire commun aux organismes sociaux qui utiliserait le NIR (68) dispositif qui a été validé par le Conseil Constitutionnel sans que l'avis conforme de la CNIL soit requis pour son application.

6. Autoriser le croisement des informations indispensables à la lutte contre les fraudes.

7. Assurer la représentation des services de l'emploi au sein du Comité national de lutte contre la fraude en matière de protection sociale.

8. Mettre en place un protocole entre l'assurance chômage, la police et la gendarmerie.

9. Renforcer les contrôles lors de l'immatriculation des sociétés en exigeant la présentation de l'original d'une pièce d'identité par le gérant ou dirigeant, directement ou par l'intermédiaire d'un membre d'une profession réglementée.

10. Garantir, lors de l'immatriculation d'une société en ligne, un niveau de sécurité suffisant à l'identification du gérant ou du dirigeant.

11. Créer un fichier national des gérants et dirigeants d'entreprise.

12. Transmettre instantanément le casier judiciaire aux greffes des tribunaux de commerce et créer un fichier national répertoriant les gérants et les dirigeants de société condamnés à des interdictions de gérer, ainsi qu'un fichier national répertoriant les entreprises faisant l'objet d'une procédure collective.

13. Instaurer un devoir d'alerte des greffes des tribunaux de commerce auprès des administrations et des organismes sociaux concernés lorsqu'ils détectent des éléments de soupçon.

14. Encadrer le régime juridique applicable à la domiciliation d'entreprise en soumettant les sociétés de domiciliation à un agrément.

15. Sanctionner de façon suffisamment dissuasive l'ensemble des fraudeurs impliqués dans les affaires de fraude en réseau, les organisateurs de la fraude mais aussi les faux allocataires.

16. Conclure des accords de coopération permettant de lutter contre les fraudes à caractère transnational.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a examiné le présent rapport d'information au cours de sa réunion du mardi 19 décembre 2006.

Un débat a suivi l'exposé du rapporteur.

M. Pierre Morange a salué le travail accompli par la mission avant de souligner que le volume de la fraude, individuelle ou organisée, était estimé entre 4 et 7 milliards d'euros, ce qui n'est pas négligeable au regard de l'ampleur du déficit des comptes sociaux.

Les préconisations du rapport de la mission sont très pragmatiques et il est souhaitable qu'elles soient mises en œuvre sans tarder. Cela donnera une crédibilité supplémentaire à l'action du Parlement, qui a amendé - sur proposition de la Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale (MECSS) - le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007, afin que soit établi un numéro identifiant commun à toutes les branches du régime général, adossé à un fichier informatique également commun qui pourra de surcroît être croisé avec celui de l'administration fiscale. Un décret en Conseil d'État sera pris à cet effet après avis de la CNIL, qui aux termes de la décision du Conseil constitutionnel du 14 décembre dernier sera un avis simple et non conforme. Cette disposition, qui vise à lutter contre la fraude, aura en outre pour effet de réduire les coûts de gestion des branches.

M. Pierre-Louis Fagniez a insisté sur l'effet désastreux que produit, chez de vrais chômeurs vivant d'allocations très réduites, le fait que des bénéficiaires d'emplois fictifs - éventuellement publics - puissent être indemnisés confortablement par les Assédic à la suite d'un licenciement de complaisance. Comment faire pour prendre la mesure de tels abus et y mettre fin ?

M. Maurice Giro a dénoncé le recours abusif, voire frauduleux dans certains cas, à l'assurance de garantie des salaires (AGS) pour indemniser les salariés licenciés après un dépôt de bilan alors que l'entreprise vient d'être cédée pour un euro symbolique afin d'en faire disparaître les actifs.

Le rapporteur a apporté les éléments de réponse suivants :

- La fraude à l'AGS, qui n'entre pas à proprement parler dans le champ de la mission d'information, prend diverses formes. On rencontre aussi le cas où l'entreprise, reprise par un prête-nom, salarie l'ancien gérant en le rémunérant à un niveau lui ouvrant droit, quelques mois plus tard, à de confortables indemnités de chômage. Les recoupements qui seront désormais possibles devraient permettre de mettre au jour ce genre d'agissements, qui coûtent cher au système de protection sociale.

- Les fraudes individuelles du type de celle qu'a pointée M. Pierre-Louis Fagniez n'entrent pas non plus dans le champ de la mission, qui se limitait à la fraude organisée, mais les outils qui serviront à réprimer celle-ci permettront aussi de combattre celle-là, dont l'ampleur n'a rien de marginale. La mise en place de la déclaration nominative des assurés (DNA), en particulier par les recoupements qu'elle autorisera des données relatives à l'employeur et de celles relatives au salarié, sera très efficace.

*

La commission a décidé, en application de l'article 145 du Règlement, le dépôt du rapport d'information en vue de sa publication.

ANNEXES

- Composition de la mission

- Comptes-rendus des auditions

- Déplacements de la mission

- Glossaire

COMPOSITION DE LA MISSION

M. Dominique Tian, président-rapporteur, député des Bouches-du-Rhône

M. Jean-Paul Anciaux, député de Saône-et-Loire

M. Bruno Gilles, député des Bouches-du-Rhône

M. Maurice Giro, député du Vaucluse

M. Gaëtan Gorce, député de la Nièvre

M. Maxime Gremetz, député de la Somme

Mme Hélène Mignon, députée de Seine-et-Marne

M. Jean Le Garrec, député du Nord

M. Jean-Pierre Le Ridant, député de Loire-Atlantique

M. Daniel Prévost, député d'Ille-et-Vilaine

M. Francis Vercamer, député du Nord

COMPTES-RENDUS DES AUDITIONS

(par ordre chronologique)

Audition de Mme Annie Thomas, présidente de l'Unédic,
de MM. Jean-Pierre Revoil, directeur général,
et André Marin, directeur de la prévention des fraudes


(27 septembre 2006)

Présidence de M. Dominique TIAN,

M. le Président : La commission des affaires culturelles, familiales et sociales a décidé de créer une mission d'information chargée d'examiner les dispositifs de contrôle de l'Unédic et des Assédic. Cette mission, au sein de laquelle tous les groupes politiques sont représentés, achèvera ses travaux à la fin du mois de décembre.

La Cour des comptes a traité à plusieurs reprises la question des fraudes à l'Unédic ; le sujet est aussi très régulièrement abordé par la presse écrite et télévisuelle. Dans Le Canard enchaîné, il a été question de « plusieurs centaines de millions d'euros » et de « 6 000 à 7 000 sociétés fantômes ». L'Unédic a infirmé les chiffres avancés dans la presse et par la voix de l'ancien directeur de la prévention des fraudes aux Assédic, M. Michel Rimbault, a souligné l'évolution de la fraude vers des systèmes organisés et mafieux, comme en font état ces extraits d'articles de presse : « Dans les années quatre-vingt, la triche trouvait son origine dans un comportement individuel. La fraude s'est transformée en un phénomène industriel : désormais, les malfrats agissent en réseaux extrêmement structurés et parviennent à engranger beaucoup d'argent. On a même constaté, dans une affaire mettant en cause des Turcs d'origine kurde, que l'argent détourné servait à financer les extrémistes du PKK. » ; et, dans une autre interview, à propos d'une autre affaire : « Les animateurs du réseau frauduleux étaient liés au grand banditisme. » Dans certaines de ces affaires, plusieurs centaines, voire plusieurs milliers de personnes et de fausses sociétés, sont impliquées.

Comment de telles fraudes ont-elles pu être commises ? Disposez-vous d'une estimation de leur montant ? Le système a-t-il été sécurisé ? Que convient-il d'améliorer encore ?

Mme Annie THOMAS : Il est tout à fait normal que l'Assemblée nationale s'intéresse à cette question, qui fait partie du débat public et dans laquelle de l'argent public est en cause : les cotisations des salariés et des employeurs doivent aller à ceux à qui elles sont destinées et non aux fraudeurs ou aux bandits. Nous sommes donc dans une démarche partagée avec vous et les services de l'État. Nous vous prions d'excuser l'absence de M. Denis Gautier-Sauvagnac, Vice-président de l'Unédic, dans l'impossibilité de décommander son emploi du temps.

Pendant longtemps, la fraude a été entourée d'un tabou, y compris parmi les partenaires sociaux, gestionnaires de l'Unédic par crainte que la qualité du service rendu ne soit mise en cause et par souci de ne pas donner de publicité aux pratiques délictueuses. Notre plan d'action triennal de lutte contre la fraude est très récent puisqu'il a été lancé l'an dernier, avec la mise en place de responsables et de départements spécifiques. En outre, depuis février 2006, nous avons décidé de répondre aux affirmations de la presse afin de ne pas crédibiliser des affirmations sans fondement.

La dématérialisation de la gestion des dossiers est un facteur qui entre en jeu. Elle est renforcée par le fait que nous fonctionnions précédemment sur une base régionale : en l'absence de recoupement, les demandeurs d'emplois pouvaient s'inscrire dans plusieurs Assédic. Notre première action a donc consisté à faire en sorte que notre organisation interne n'offre plus de possibilités de fraude en instituant un fichier national, qui sera encore affiné dans le cadre du plan d'action en cours.

Les escroqueries que vous évoquez, sont, je le confirme, en relation avec le banditisme mais elles ne sont pas massives. Elles fonctionnent à un double niveau : un petit nombre d'individus exploite un grand nombre de personnes, demandeurs d'emploi ou marginaux, qui se voient proposer un kit complet de déclaration destiné à établir leur situation de demandeur d'emploi indemnisable et reversent une partie des prestations reçues aux organisateurs. Les sommes ne sont pas énormes mais sont multipliées par le nombre de personnes impliquées et il est surtout difficile d'identifier les organisateurs.

D'autre part, les frontières entre organismes sociaux ne sont pas étanches: les fraudeurs s'attaquent aussi bien à l'Unédic qu'à la Caisse nationale d'allocations familiales ou à l'assurance maladie. Il faut par conséquent donner aux organismes sociaux la capacité de s'organiser eux aussi en réseau. Pour cela, il reste beaucoup de barrières à faire tomber.

M. Jean-Pierre REVOIL : Nous fonctionnons à partir des cotisations versées pour payer les chômeurs dans le cadre d'un système déclaratif : les individus déclarent être chômeurs et les employeurs déclarent une masse salariale totale sans que nous sachions à quels salariés elle correspond. En général, dans ce type de fraudes organisées, une entreprise factice est créée ; l'entreprise s'acquitte de cotisations et figure dans la banque nationale des établissements ce qui rend nos contrôles de base - vérification de la déclaration de l'employeur et que l'entreprise est bien à jour de ses cotisations sociales -  inopérants. Mais cette entreprise factice ne déclare que quelques salariés sur la base desquels elle cotise et envoie des centaines de chômeurs, auxquels a préalablement été remis un kit contenant l'ensemble des documents permettant l'inscription au chômage et l'ouverture des indemnisations, notamment de fausses attestations d'employeurs. C'est souvent en voyant plusieurs fois les mêmes noms d'employeurs que les agents découvrent l'escroquerie.

M. le Président : Si votre fichier était connecté avec celui de l'URSSAF auprès de qui est faite la déclaration d'embauche, la fraude ne serait plus possible.

Mme Annie THOMAS : Cette connexion n'existe pas. Nous souhaiterions d'ailleurs être connectés avec les autres organismes sociaux ou étatiques. Par exemple, nous ignorons si l'entreprise paie des impôts.

M. Maurice GIRO : Il faudrait contrôler ce que l'entreprise fait sur le terrain, par le biais des chambres de commerce. Mais je crains que personne ne veuille réellement de ces connexions.

M. Jean-Pierre REVOIL : Nous répertorions 1,6 million d'entreprises déclarées, avec un roulement de 10 à 15 % l'an. Mais je vous fais observer que les démarches d'échanges informatiques avec d'autres organismes ne sont possibles que depuis le décret du 7 mai 2004.

Début 2005, nous avons créé le département « Prévention des fraudes et contrôle interne » afin de centraliser l'action des Assédic. Chacun des réseaux incriminés touche en effet d'assez nombreux faux chômeurs et plusieurs Assédic. Pour toute affaire, nous recherchons l'Assédic pilote, c'est à dire celle où l'impact est le plus fort.

M. le Président : Une plainte est-elle déposée systématiquement ?

Mme Annie THOMAS : Oui depuis qu'il existe un système centralisé sur l'ensemble du territoire.

M. le Président : La Cour des comptes n'a pas l'air d'accord...

Mme Annie THOMAS : Nous sommes soumis au rythme de l'enquête policière et les policiers ou les gendarmes nous demandent parfois de ne pas déposer plainte immédiatement afin de leur laisser le temps d'atteindre la tête de réseau. Mais nous déposons plainte chaque fois que nous le pouvons, de manière à récupérer les sommes perdues et de sanctionner la fraude. Les enquêtes qui s'ensuivent permettent aussi d'effectuer les recoupements avec les autres organismes sociaux victimes.

M. Jean-Pierre REVOIL : Le montant total des fraudes est, à ce jour de 85 à 90 millions d'euros, mais ce n'est sans doute que la partie visible de l'iceberg ; plus nous contrôlons, plus nous en trouvons !

M. Maurice GIRO : A combien s'élèvent les sommes que vous avez récupérées ?

M. André MARIN : Les Assédic étant statutairement autonomes, nous ne le savons pas, car ce sont elles qui déposent plainte et récupèrent ces montants, même si l'Unédic se porte partie civile quand une affaire prend une dimension nationale.

Quand une personne a reçu une prestation indue, il arrive que l'employeur soit complice, mais nous sommes très démunis pour cerner les personnes morales. Par ailleurs, d'après ce que nous disent les avocats, certains procureurs annoncent d'emblée qu'ils seront dans l'impossibilité matérielle de traiter une affaire ; il faut aussi tenir compte de cette réalité.

M. le Président : Portez-vous plainte pour escroquerie ?

M. André MARIN : Tout à fait. Récemment, un juge d'instruction a refermé un dossier en concluant à l'absence d'escroquerie organisée. Nous avons contesté cette décision, et le dossier a été renvoyé devant le juge pour complément d'enquête. Mais démontrer l'escroquerie suppose de recueillir des preuves matérielles ; les aveux ne suffisent pas. Nous portons plainte mais il faut faire avec les services de police, de gendarmerie et le parquet.

M. le Président : Quand une affaire est en cours, suspendez-vous vos versements ?

M. André MARIN : Habituellement, oui, sauf sur demande expresse de la police, pour qu'elle puisse remonter la filière. Il faudrait chiffrer le risque encouru qui a été évité, mais aussi le manque à gagner pour l'Unédic pendant la durée où des sommes ont été versées indûment. Au cours de la procédure civile, l'huissier constate parfois l'insolvabilité du fraudeur, qui, s'il est astucieux, peut avoir caché son adresse ou ses biens. Dans le cadre de la fraude organisée, nous devons rester en contact étroit avec le procureur, le juge d'instruction et les enquêteurs car nous n'avons pas le droit de nous rendre nous-mêmes chez les allocataires et les employeurs, l'Unédic ne disposant pas d'un corps de contrôle et de personnel assermenté, contrairement à l'URSSAF.

Mme Annie THOMAS : J'insiste sur le bon travail de collaboration avec les services de police et de gendarmerie.

M. le Président : Dans une affaire où une vingtaine de personnes seulement ont déclaré 800 sociétés, l'escroquerie n'est-elle pas caractérisée ?

M. André MARIN : Rien n'interdit de gérer 800 sociétés, surtout avec la législation récente de simplification des procédures qui permet les relais de domiciliation. Une adresse bien connue des forces de police parisiennes héberge des centaines de sociétés.

M. le Président : S'agit-il de vraies sociétés ?

M. André MARIN : Légalement, elles le sont, dès lors qu'elles ont été déclarées au greffe du tribunal de commerce, qui doit délivrer un numéro de K bis sous vingt-quatre heures. Ceci peut se faire sur simple présentation d'une photocopie de carte d'identité, sans qu'aucun dépôt de fonds ne soit demandé.

M. le Président : Les tribunaux de commerce ne vérifient-ils pas la réalité des entreprises ? Leur chiffre d'affaires et leurs comptes sont pourtant publics et peuvent être facilement vérifiés sur des serveurs comme « Infogreffes ».

Mme Annie THOMAS : Elles ne cotisent que sur leur masse salariale, pas sur une base individuelle et nos agents ont en face d'eux des faux chômeurs utilisant des noms différents.

M. le Président : Vous venez aussi d'installer des détecteurs de faux papiers dans vos agences.

Mme Annie THOMAS : Oui et en relation avec les services du ministère du travail, nous avons identifié des professions à risque pour lesquelles une attention particulière est demandée aux agents  : le bâtiment, la restauration, l'agriculture et les entreprises du spectacle - je ne m'étendrai pas sur la question des intermittents. Notre plan d'action 2005-2007 commence par la sensibilisation de nos collaborateurs, habitués à la fraude individuelle - le salarié qui n'informe pas qu'il a recommencé à travailler ou qui déclare un temps partiel alors qu'il est à temps complet - mais pas à ce nouveau phénomène. Et, outre l'installation de détecteurs de fausses pièces d'identité, chaque nouvel outil informatique ou process d'entretien intègre la notion de risque, afin d'aider nos collaborateurs à analyser les situations.

M. le Président : Quand un agent repère de faux papiers, comment procédez-vous ?

M. André MARIN : Cela n'arrive plus guère, car des affiches annonçant le contrôle de la véracité des papiers sont apposées dans les agences. Quand nous trouvons de faux papiers, nous prévenons la préfecture. Nous essayons de les conserver mais, une fois sur deux, la personne parvient à repartir avec.

M. Jean-Pierre REVOIL : Nous ne sommes pas directifs, car la personne peut être violente et nous ne voulons pas mettre nos agents en danger, mais nous prévenons la police, qui intervient parfois aussitôt.

Mme Annie THOMAS : Nous le faisons figurer dans le système d'alerte permanent, qui existe tant au niveau de l'accueil que du traitement informatique.

M. le Président : La Commission nationale informatique et libertés a-t-elle validé ce dispositif sans problème ?

M. André MARIN : Nous avons été tenus d'afficher l'existence de ce contrôle. Nous sommes tenus de vérifier l'identité des administrés, sur présentation physique et présentation d'une pièce d'identité avec photo. Et nous prêtons particulièrement attention aux personnes sans domicile bien défini et aux procurations bancaires. Nous avons, par exemple, été alertés par une banque qui s'était aperçu que plusieurs versements Assédic arrivaient sur un compte identique.

Mme Annie THOMAS : Les enveloppes revenant avec la mention « N'habite pas à l'adresse indiquée » constituent aussi le signal d'une éventuelle fraude. Nous avons l'intention de traiter ces informations, non plus manuellement, mais de façon automatisée, en y incluant la problématique de la fraude.

M. André MARIN : En effet, le réacheminement manuel vers le site d'origine, lourd et fastidieux, n'est pas toujours assuré avec la rigueur requise. Un réacheminement approprié automatique permettrait un traitement certain en permanence.

Mme Annie THOMAS : Nous attendons aussi beaucoup de la déclaration nominative des assurés par les employeurs. À la suite du décret de mai 2004, renforcé par la convention signée entre les partenaires sociaux en janvier 2006 qui fait obligation aux services de l'Unédic de traiter cette question, nous allons mettre en place très prochainement un outil informatique unique avec l'ANPE, grâce auquel nous améliorerons le contrôle de la fraude organisée mais aussi de la fraude individuelle.

Nous avons aussi la volonté de renforcer le partenariat avec les autres acteurs de la protection sociale, avec les services de police et de gendarmerie et la justice, ainsi qu'avec les organismes en charge de la lutte contre le travail illégal. Les très nombreux contacts que nous avons noués ont cependant lieu dans un cadre très éclaté et dépendant du bon vouloir de nos interlocuteurs. Nous appelons de nos vœux la formalisation de ce partenariat en premier lieu avec l'URSSAF.

M. le Président : La Cour des comptes déplore en effet que « l'assurance chômage ne dispose pas des pouvoirs et n'a pas mis en place les moyens lui permettant de contrôler les déclarations », pouvoirs et moyens qui « feraient d'ailleurs double emploi avec ceux de l'URSSAF ».

Mme Annie THOMAS : Nous souhaitons être dotés, nous aussi, d'un pouvoir de contrôle et de personnels assermentés. Si nous ne l'obtenons pas, nous réclamons au moins l'accès aux procès-verbaux établis par l'URSSAF, et nous ne comprenons pas pourquoi ce n'est pas le cas. Nous attendons une explication officielle à ce propos.

M. André MARIN : Nous pouvons demander cet accès, mais seulement quand nous savons déjà quelque chose. La transmission des informations devrait être automatique et avec le fisc aussi dans la mesure où ils peuvent révéler des éléments de soupçon.

M. le Président : Vous ne rencontrez donc pas l'enthousiasme que vous attendriez de l'URSSAF ?

M. André MARIN : Les textes leur permettent de ne nous communiquer aucun rapport, et c'est précisément ce qu'ils font.

Mme Hélène MIGNON : Le problème est identique avec les assistantes sociales : selon qu'elles travaillent pour le département, l'URSSAF ou l'Éducation nationale, elles ne veulent pas communiquer, sous prétexte du secret professionnel.

Mme Annie THOMAS : Mais l'URSSAF et l'Unédic travaillent sur la même population. La fraude organisée ne connaît pas les frontières que les organismes se construisent.

M. le Président : Cela tient-il à la différence de statut entre les deux organismes ?

Mme Annie THOMAS : Non.

M. André MARIN : La loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 prévoyait la publication d'un décret sur le croisement de fichiers et les échanges d'informations, qui a été reportée d'un an. Cela signifie qu'une année supplémentaire sera perdue. Il est dommage que la loi ait renvoyé la mesure à un décret ; cela ne s'imposait pas.

M. Jean-Pierre REVOIL : La convention signée à l'issue de la dernière négociation entre partenaires sociaux, en décembre 2005, prévoit le passage à la déclaration nominative mensuelle, salarié par salarié. Nous sommes en train de mettre ce projet sur pied. Il concernera chaque mois 16 millions de « bulletins de paie » : nous demanderons aux chefs d'entreprise ou aux commissaires aux comptes de nous communiquer mensuellement le nom des salariés de l'entreprise, leurs dates de présence et leur niveau de rémunération. C'est très lourd, sans doute trop lourd, mais nous le faisons déjà pour les 800 000 intérimaires. Pour généraliser le système, nous sommes en relation avec tous les organismes encaissant des cotisations regroupés dans le groupement d'intérêt public : « Modernisation des déclarations sociales » (le GIP-MDS) qui accomplit sa mission par le biais du site Net-entreprises.fr, et nous nous efforçons notamment d'entraîner derrière nous la CNAV et les URSSAF.

M. le Président : Êtes-vous autorisés à utiliser le numéro de sécurité sociale, moyen d'identification de 99 % des Français ?

M. Jean-Pierre REVOIL : C'est en effet ce dont nous avons besoin, et Net-entreprises a reçu une autorisation.

M. André MARIN : La CNIL autorise aussi les croisements pour le numéro d'inscription au répertoire, le NIR, avec l'assurance maladie. Le croisement avec les fichiers de la sécurité sociale permet de vérifier qu'une personne n'est pas simultanément en maladie et en exercice professionnel. Ces croisements sont examinés au cas par cas et la CNIL ne donne une réponse qu'après un certain délai.

M. le Président : Les Assédic ne sont-elles pas destinataires de la déclaration unique d'embauche ?

Mme Annie THOMAS : Non.

M. Francis VERCAMER : L'Unédic demandera aux employeurs de déclarer chaque mois les mouvements de personnel ?

M. Jean-Pierre REVOIL : Toutes les entreprises déclarent déjà leur masse salariale, tous les mois si elles emploient plus de dix salariés, tous les trois mois pour les autres.

M. Francis VERCAMER : Ne serait-il pas plus simple de créer un organisme chargé de collecter les informations pour tous les organismes sociaux ?

Mme Annie THOMAS : Absolument ! Ce sera l'objet du GIP-MDS, chargé ensuite de dispatcher les informations.

M. le Président : Nous avons tous le souci de ne pas alourdir les procédures imposées aux chefs d'entreprise, mais quelques contrôles sont tout de même nécessaires : il faudrait obliger les URSSAF à communiquer des documents permettant de mieux apprécier la déclaration d'embauche. Le livre d'entrées et sorties du personnel est également une pièce importante. Mais vous ne disposez pas d'un corps de contrôleurs juridiquement habilités à enquêter dans les entreprises.

Mme Annie THOMAS : Nous souhaiterions en avoir un ou bénéficier des informations de l'URSSAF.

M. le Président : Comment peut-on verser des allocations à des faux chômeurs employés dans des sociétés factices ? Ne pouvez-vous pas vérifier l'existence de ces dernières auprès des greffes des tribunaux de commerce ?

M. André MARIN : Elles sont factices, mais déclarées donc légales. Nous pouvons uniquement vérifier la qualité légale de l'entreprise. Même si nous disposions de moyens d'investigation, nous ne pourrions agir pour ce genre d'affaires.

M. Daniel PRÉVOST : Il existe aussi une faille législative : un patron interdit d'exercer peut recréer plusieurs entreprises ailleurs en France.

M. le Président : Comment vingt personnes peuvent-elle déclarer 807 sociétés et 6 000 chômeurs sans que vous soyez en mesure d'intervenir ?

M. André MARIN : Pour organiser la fraude, deux ou trois entreprises suffisent. Depuis dix ans, dans certains secteurs d'activité, les entrepreneurs sont incités à devenir donneurs d'ordres : ils demandent à leurs salariés de créer leur propre société. C'est un fonctionnement tout à fait régulier, mais j'ignore s'il faudrait limiter la multigérance.

Quoi qu'il en soit, une entreprise doit s'affilier à l'Unédic dès lors qu'elle emploie un salarié à une date où elle est déjà créée et nous ne pouvons contrôler toutes les entreprises pour vérifier le nombre de leurs salariés.

M. Maurice GIRO : Le système français facilite les montages de fausses entreprises. Il ne faut ni décourager les créateurs, ni favoriser les détournements de deniers publics.

Mme Annie THOMAS : Si les fichiers étaient croisés, il ne serait nullement nécessaire d'alourdir les procédures administratives des entreprises.

M. André MARIN : Des personnes sont aussi employées avec des contrats à durée déterminée à répétition dans la même entreprise en alternance avec des périodes de chômage. Cela s'appelle normalement de l'intérim, lequel est encadré par des textes précis. Même si nous versons les allocations entre deux contrats, nous sommes démunis pour agir car le juge estime qu'il s'agit de relations entre un employeur et un salarié. Ce sont les inspecteurs du travail qui peuvent agir mais ils sont trop peu nombreux.

M. le Président : Dans certains dossiers, de nature communautaire et mafieuse, plusieurs milliers de personnes trempent dans l'escroquerie. Comment sont recrutées ces personnes ?

M. André MARIN : Je n'irai pas jusqu'à ce nombre : au maximum 1 700 ont été identifiés dans une même affaire. Un agent d'Assédic s'aperçoit un jour qu'une attestation ressemble étrangement à une autre, et, de fil en aiguille, nous remontons l'ensemble du réseau.

Mme Annie THOMAS : Je précise que la CNIL nous interdit de travailler sur la nationalité, nous ne pouvons donc évaluer le caractère communautaire que vous évoquez. La police, en revanche, pourrait vous informer.

M. le Président : Le chef de la brigade de répression du banditisme a déclaré : « Ce sont souvent des truands fichés au grand banditisme, qui exercent également dans les stupéfiants et le proxénétisme. »

M. Jean-Pierre REVOIL : Les kits se vendent souvent là où se trouve également la drogue : dans la filière « de sept mois d'indemnisation », le kit coûte 1 000 euros pour en gagner 7 000 minimum ; dans la filière « de vingt-trois mois », c'est 2 500 euros pour en gagner 23 000 ; d'autres enfin ne paient pas cash mais reversent un pourcentage à la réception des allocations. Dans le kit, le métier et l'entreprise sont décrits pour que la personne puisse répondre aux questions de nos agents.

M. le Président : Que vous manque-t-il, sur le plan juridique et de l'organisation pour sécuriser le système ? Êtes-vous en relation avec les COLTI, les comités opérationnels de lutte contre le travail illégal ?

Mme Annie THOMAS : Nous souhaiterions en être membres de droit ; pour le moment, nous ne sommes qu'invités. Nous demandons à recevoir automatiquement toutes les détections et rapports de l'URSSAF ou des inspecteurs du travail. Nous réclamons le renforcement de la sécurité des identifications, avec la généralisation de la présentation de la carte d'identité.

M. André MARIN : Une personne devrait recevoir un NIR complet dès son arrivée sur le territoire national.

Mme Annie THOMAS : Nous voudrions aussi accéder directement au fichier des personnes interdites de gestion. Nous-mêmes nous tenons un fichier des incidents et nous sommes prêts à le partager. Nous demandons beaucoup aux autres, mais nous sommes prêts à apporter notre contribution.

M. le Président : Les greffes des tribunaux de commerce remplissent une mission de service public. Quand une entreprise ne publie pas ses résultats, que se passe-t-il ?

M. Daniel PRÉVOST : Théoriquement, elle doit payer une amende, mais la peine n'est jamais appliquée.

M. André MARIN : Si cela ne porte préjudice à personne, personne ne portera plainte.

Mme Annie THOMAS : Il serait, de surcroît, utile de généraliser la sécurisation des moyens de paiement, en particulier d'interdire les paiements des salaires en liquide. Le paiement par voie bancaire est un moyen de traçage.

M. le Président : Et les personnes touchées par un interdit bancaire ?

M. André MARIN : Elles sont interdites de chéquier, pas de compte.

M. Maurice GIRO : Je croyais que la loi interdisait le paiement des salaires en liquide.

M. Jean-Pierre REVOIL : Jusqu'à 3 000 euros, on peut payer un salaire en liquide. Cela peut donc concerner un tiers des salariés.

M. André MARIN : Les policiers nous expliquent qu'il existe même des faux relevés de compte en banque.

M. le Président : Huit agents chargés de la lutte contre la fraude au niveau national et quatre ou cinq dans chaque Assédic, soit une centaine au total, vous paraissent-ils suffisants pour éradiquer le phénomène ?

M. André MARIN : Certaines Assédic, notamment à Marseille, en région parisienne ou à la frontière suisse, ont depuis longtemps des agents chargés du contrôle des dossiers. Nous avons toutefois renforcé notre structuration en janvier 2005 en séparant le contrôle administratif de celui de la fraude et en assurant une coordination nationale : en cas de réquisition d'un collègue en région, j'envoie le dossier aux Assédic sous quinze jours, voire trois en cas d'urgence. Nous verrons bien si cent personnes suffisent. En attendant, continuons dans le sens désigné par le plan. Il faut préciser que les systèmes de détection de faux papiers ne fonctionnent que pour les cartes d'identité et les passeports, alors que les textes autorisent les usagers à produire d'autres documents. Les directeurs d'Assédic doivent donc être sensibilisés à la nécessité d'insister pour voir les cartes d'identité et les passeports, sans distinction entre les communautés. Pour veiller à assouplir l'accueil tout en renforçant les contrôles, nous nous efforcerons, dans les deux ans à venir, de poursuivre nos relations avec les COLTI, la police et la gendarmerie.

Mme Annie THOMAS : Mais une partie du personnel et des organisations représentatives considèrent parfois qu'exercer des contrôles - « faire la police », disent-ils - n'entre pas dans les missions de l'Unédic. Nous avons donc à faire œuvre de pédagogie afin d'intégrer ces nouvelles missions, et cela démarre dès la formation initiale.

Mme Hélène MIGNON : Quand un réseau est démantelé, les fonds peuvent-ils être récupérés auprès des chefs d'entreprise fautifs.

M. André MARIN : Nous effectuons les démarches pour être remboursés des prestations versées à tort, avec mise en demeure puis action contentieuse. Je ne connais toutefois pas le taux de récupération.

M. le Président : Certaines déclarations de représentants de la police judiciaire sont sans ambiguïté : « Les services sociaux français sont des marchés juteux. Souvent en liaison avec la pègre parisienne, ces bandes opèrent depuis l'étranger. » Ce sont effectivement les organisateurs qui nous intéressent.

M. Jean-Pierre REVOIL : Toutes les affaires sont en cours ; aucune n'a encore été jugée définitivement.

M. le Président : Je vous cite aussi le chef de la cellule de lutte contre le travail illégal de l'URSSAF : « En matière de fraude, ce qui se passe aux Assédic est terrifiant. »

Mme Annie THOMAS : Affirmation gratuite !

M. Jean-Pierre REVOIL : Je me garde bien de vous dire ce qui se passe à l'URSSAF...

M. André MARIN : Mais nous travaillons avec les URSSAF, y compris celle de Paris.

M. Bruno GILLES : À l'exemple des Groupements d'Intervention Régionaux, est-il imaginable de créer des structures légales regroupant Unédic URSSAF, inspection du travail et pourquoi pas forces de police, de gendarmerie, douanes et fisc ? L'absence de communication officielle avec les autres structures vous pénalise en effet énormément.

Mme Annie THOMAS : Vous avez parfaitement résumé nos attentes : c'est cette articulation - de type COLTI développé - qui nous manque.

M. André MARIN : La solution passe par la communication et l'échange d'informations. La France pourrait supprimer ces frontières, inexistantes dans d'autres pays.

M. le Président : Le croisement avec les dossiers fiscaux n'est-il pas impératif ?

M. André MARIN : Les informations émanant du fisc sont très fiables car il est plus difficile de frauder sur la TVA que les organismes sociaux. C'est par ce biais que les instructions avancent mais j'ignore si la généralisation du croisement d'informations nous aiderait. Le vrai problème est celui du contrôle au moment de l'immatriculation.

M. Maurice GIRO : La TVA permet de déduire le chiffre d'affaires, ce qui est intéressant pour se faire une idée du nombre de salariés. Les réseaux du patronat - MEDEF et chambres de commerce - pourraient eux aussi communiquer des renseignements sur les entreprises.

M. Daniel PRÉVOST : On demande déjà un nombre considérable de documents aux entreprises, année après année, salarié par salarié, et un contrôle fiscal est diligenté automatiquement si quoi que ce soit paraît douteux.

M. Maurice GIRO : Même les associations sont contrôlées.

M. le Président : Quelles relations entretenez-vous avec l'ANPE ? Effectuez-vous des recoupements de fichiers ?

Mme Annie THOMAS : Nous avons un fichier unique, géré par l'Unédic : gestion informatisée de la demande d'emploi, GIDE 1 bis. Le mois prochain, nous allons créer un GIE, un groupement d'intérêt économique, pour mettre en commun nos deux services informatiques et créer un dossier unique du demandeur d'emploi, le DUDE, accessible à tous les opérateurs travaillant avec les demandeurs d'emploi, notamment l'AFPA - l'Association pour la formation professionnelle des adultes -, la direction du travail ou les maisons de l'emploi, ainsi qu'au demandeur d'emploi lui-même. Techniquement et administrativement, cela ne pose aucun problème, mais nous attendons encore l'autorisation de la CNIL.

M. le Président : je vous remercie.

Audition de M. Didier Duval, responsable du pôle lutte contre la délinquance financière à la Direction centrale de la police judiciaire

(4 octobre 2006)

Présidence de M. Dominique TIAN, président et rapporteur

M. le Président : Après avoir reçu la semaine dernière les responsables de l'Unédic et des Assédic, nous souhaitons aujourd'hui vous poser quelques questions.

Tout d'abord, comment évaluez-vous le montant des fraudes aux Assédic au travers des affaires que vous avez traitées ?

M. Didier DUVAL : La fraude à l'assurance chômage n'est qu'un aspect de la fraude sociale en général - un autre pan en étant, par exemple, la fraude à l'assurance maladie. Mais il est extrêmement difficile d'évaluer l'étendue réelle de ces fraudes dans la mesure où elles revêtent un caractère très occulte.

En outre, la mise en évidence de la fraude au sein même des organismes sociaux se heurte à des difficultés structurelles mais aussi culturelles.

S'il existe, en leur sein des corps d'inspection, il n'y existe pas de service antifraude, composé de personnes qui auraient une culture de la lutte contre la fraude, qui pourraient établir la typologie des fraudes, élaborer une sorte de vade-mecum à partir des modes opératoires détectés et qui disposeraient d'outils informatiques d'alerte permettant de croiser les informations.

De surcroît, les services ne communiquent pas entre eux autour de ces problèmes - il n'y a ainsi aucune connexion entre les Assédic et l'URSSAF autrement que de façon extrêmement empirique. C'est une carence très importante.

Il s'y ajoute le fait que la fraude est devenue un enjeu mercantile important pour des formes de délinquance de plus en plus organisées. C'est le cas, par exemple, pour les Assédic confrontés à des fraudes organisées par des personnes originaires de Turquie. Il se vend aujourd'hui sur le marché noir, entre 600 et 6 000 euros, des « kits » de fraude contenant toutes sortes de faux documents administratifs comme de fausses attestations d'emploi, de fausses fiches de salaire etc. La fraude à l'identité constitue le socle de telles opérations. Elle permet, en effet, d'opérer des montages qui dans la forme sont légaux - comme la création d'une fausse société -  mais poursuivent, en réalité, des objectifs illégaux.

La perte pour les Assédic est très importante. A la perte « sèche » s'ajoute le fait qu'elles n'ont aucun espoir de recouvrer les sommes versées, même lorsque l'affaire est déjouée et portée devant les tribunaux. Ces sommes disparaissent très rapidement des comptes sur lesquels elles ont été versées.

Il existe aussi un problème culturel évident. N'ayant pas dans leur culture le « flicage» des allocataires, ces organismes - Assédic, CAF, CNAM, etc. - n'ont peut-être pas la volonté d'être très efficaces dans la détection et le traitement des fraudes. Les syndicats se refusent à ce travail. Je me souviens notamment de la polémique née autour de la circulaire du ministère de l'Intérieur, un syndicat de l'Inspection du travail refusant de dénoncer les étrangers sans titre qu'ils pourraient repérer dans le cadre de leur travail. C'est violer l'article 40 du code de procédure pénale qui impose à tout fonctionnaire de révéler au Procureur de la République une infraction de nature pénale dont il pourrait avoir connaissance dans le cadre de ses fonctions.

M. le Président : Comment est-il possible que quelques personnes puissent créer plusieurs centaines de sociétés sans attirer l'attention ?

M. Didier DUVAL : C'est le principe de l'escroquerie à la « carambouille » qui consiste à trouver une personne sans casier judiciaire et à inscrire une société au registre du commerce dont il sera le gérant ou le PDG, tout en prenant soin de rester vague sur l'objet de la société - import-export par exemple. La procédure de constitution d'une société est alors parfaitement respectée, et il ne reste plus qu'à donner le change pendant quelques mois, afin de gagner la confiance des fournisseurs. Le faux gérant peut alors solliciter des délais de paiement, brader la marchandise à petit prix, et disparaître. Les fournisseurs n'ont alors plus que leurs yeux pour pleurer.

Il en va de même pour la fraude sociale. Il est très facile de monter une fausse société à partir de faux documents d'identité, ou en plaçant dans le fauteuil du responsable un « lampiste » ou même un cadre en difficulté à qui l'on fait miroiter de fausses espérances. Tout ceci étant facilité par le délai possible entre la création de la société et le versement effectif du capital. Le jour où le pot aux roses est découvert, et où les enquêteurs de police recoupent les informations à un niveau national, on s'aperçoit qu'une même personne physique, sous différents noms d'emprunt, se trouve à l'origine de différentes sociétés. Il est ainsi possible pour une même personne de monter des fausses sociétés à Marseille, Bordeaux, ou Caen et, en l'absence de croisement de fichiers au sein même des organismes sociaux, il se passera bien quelques mois avant que les informations ne soient recoupées.

M. le Président : Tout de même, comment vingt individus qui créent plusieurs centaines sociétés, recrutent des personnes en masse, envoient les fonds à l'étranger, peuvent-ils passer inaperçus ? S'il s'agissait de terroristes, je suis bien certain qu'ils auraient davantage attiré l'attention !

M. Didier DUVAL : Là est toute la différence entre le répressif et le préventif. Sur le plan répressif, la police et la gendarmerie sont très efficaces, dès lors qu'elles disposent des informations qui leur permettent de travailler.

En revanche, des actions de prévention ne peuvent être menées que s'il existe une connexion structurelle avec l'organisme lésé. Certaines caisses, notamment la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM), ont créé un service anti-fraude qui travaillera en parallèle avec le corps d'inspection, mais surtout, sont en train de mettre en place un protocole de connexion avec la direction générale de la police nationale, au niveau régional et au niveau central. Dès la phase de détection de la fraude au sein de la CNAM ou des caisses primaires, avant même que la fraude ne se développe, l'affaire sera prise en mains par l'autorité de police ou de gendarmerie désignée par le protocole.

Il arrive aussi que la police ait connaissance d'une fraude grâce à un informateur. La réactivité des GIR - les groupes d'intervention régionaux -, qui centralisent ce type d'information dans le cadre de leur mission de lutte contre l'économie souterraine, permet alors une action efficace.

Mais dans les affaires que vous évoquez, mettant en jeu des structures très organisées et causant des préjudices considérables, le défaut structurel de détection de ces fraudes au sein même des organismes sociaux limite l'action de la police à un travail répressif de remontée de l'affaire et de constatation du préjudice et ne permet pas une intervention en amont ou dans le temps même de la réalisation de l'infraction.

M. le Président : La presse évoque souvent le rôle du grand banditisme...

M. Didier DUVAL : C'est difficile à dire. En revanche, il est vrai que les organisations en cause sont très structurées. Certaines populations, notamment turques ou pakistanaises, se revendent ainsi des informations sur le mode opératoire de la fraude.

Mme Hélène MIGNON : Comment la CNAM peut-elle s'apercevoir de l'existence de fraudes ?

M. Didier DUVAL : Certaines personnes peuvent cumuler un nombre incroyable de jours de congés maladie, d'autres peuvent se faire rembourser par différentes caisses primaires d'assurance maladie. Faute de croisement des informations, une femme a pu déclarer avoir accouché des mêmes enfants à différentes caisses. De la même façon, une autre personne a pu cumuler 860 jours d'arrêt maladie sur une année. Il faut parvenir à tirer les conséquences de ces modes opératoires sur la mise en place de structures de révélation de la fraude.

M. le Président : Est-il prévu d'établir une connexion entre vos services et l'Unédic?

M. Didier DUVAL : Je ne sais pas mais il est sûr que c'est aujourd'hui une carence importante.

M. Maurice GIRO : Ne serait-il pas possible de détecter rapidement le caractère fictif d'une société qui n'a pas d'activité dans la mesure où elle ne fait pas de chiffre d'affaires ?

M. Didier DUVAL : Il est normal qu'une entreprise, a fortiori une micro-entreprise, ait un chiffre d'affaires inexistant, ou très faible, dans les premiers mois qui suivent son inscription au registre du commerce. Les premiers mois d'activité ne sont donc pas révélateurs du caractère factice de l'entreprise, et les contrôles n'ayant lieu qu'au bout de quelques mois, il est déjà trop tard. Entre la création de la société et les premiers contrôles liés au respect des obligations comptables qui répondent au principe de l'annualité il y a « un angle mort » propice au développement de la fraude.

M. le Président : L'obligation de publication des bilans au tribunal de commerce n'est pas toujours respectée, ce qui facilite encore davantage la fraude. Pourquoi la police ne s'intéresse-t-elle pas préventivement à ce type de société ?

M. Didier DUVAL : Encore faut-il que les acteurs en charge de détecter ce type de carence se manifestent. La police ne peut pas pallier leurs déficiences. Le greffe du tribunal de commerce, puis le procureur de la République, lequel dispose d'un pouvoir de sanction et de saisine de la police, sont chargés de vérifier le dépôt des éléments de comptabilité. La police judiciaire n'a pas de pouvoir d'initiative en la matière.

En revanche, si un informateur nous communique des données sur le montage d'une fausse société, nous prenons l'initiative de déclencher une enquête, après en avoir informé le procureur de la République. Ensuite, reste toujours la question de l'opportunité des poursuites.

M. Jean-Pierre LE RIDANT : Les documents comptables ne doivent être déposés qu'au bout d'un an ; cette période n'est-elle pas particulièrement propice à la fraude ?

M. Didier DUVAL : En effet, sauf à revoir les textes sur l'obligation de déposer certains documents comptables attestant de la réalité de l'activité - par exemple au cours du premier trimestre. La fraude se commet en général bien avant la fin de la première année.

M. le Président : Pourtant, dans la plupart des affaires révélées, les sommes détournées sont énormes parce que justement elles durent depuis des années.

M. Didier DUVAL : Le mode opératoire est sans doute le même, mais les entités commerciales responsables du trafic sont différentes, elles changent en permanence.

M. Daniel PRÉVOST : Je voudrais évoquer la situation des travailleurs saisonniers, qui travaillent quelques mois, avant de retourner cotiser aux Assédic et, en même temps, partent travailler en Angleterre.

M. Maurice GIRO : C'est du travail au noir.

M. le Président : Face à la recrudescence des faux papiers, les Assédic nous ont déclaré avoir mis en place des détecteurs. Malheureusement, leurs personnels ne signalent pas toujours les personnes munies de faux papiers, ils les laissent simplement repartir.

M. Didier DUVAL : Ils devraient en effet alerter la police, mais les informations ne remontent pas, ce qui pose un vrai problème.

M. le Président : Est-il vrai que ces individus, une fois leur supercherie découverte, créent de nouvelles sociétés pour poursuivre la fraude ?

M. Didier DUVAL : Je ne peux pas vous dire le contraire. Il suffit de choisir un autre faux nom, un autre acteur.

M. Maurice GIRO : Nous, parlementaires, sommes responsables d'avoir voulu faciliter à l'extrême la création de sociétés, alors qu'une personne honnête ne serait pas découragée par un dispositif plus complexe.

M. le Président : La création de sociétés en France devrait en effet obéir à de nouvelles règles, et ne plus se faire en quelques minutes devant le greffe du tribunal.

M. Jean-Pierre LE RIDANT : La simplicité est aussi un atout, à condition évidemment qu'il existe des garde-fous.

M. le Président : Les nouvelles pièces d'identité devraient déjà permettre d'améliorer le dispositif de contrôle. Mais je ne sais même pas si les pièces d'identité fournies sont vérifiées !

M. Didier DUVAL: Malheureusement, pas toujours.

M. le Président : De toute façon, il est aussi possible d'immatriculer une société pour le compte d'une tierce personne.

M. Daniel PRÉVOST : Lorsqu'un traducteur est sollicité pour authentifier certains documents établis à l'étranger, comment être certain de son honnêteté ?

M. Didier DUVAL : Là est tout le problème des pièces d'identité venues de l'étranger !

Les pièces d'identité seront désormais plus sécurisées, ce qui est une bonne chose tant il est aujourd'hui facile de fabriquer des papiers apocryphes avec le numérique. En outre, des filières sont spécialisées dans la fabrication de faux papiers administratifs.

M. le Président : Que faire pour éviter ces faux papiers fabriqués à partir de pièces étrangères ? La question relève plutôt du travail préfectoral...

M. Didier DUVAL : ...sur la base d'accords de coopération internationale avec les Etats concernés. La corruption peut être telle dans certains pays que l'on s'interroge sur la fiabilité des attestations...

M. le Président : La réponse pénale vous paraît-elle adaptée ?

M. Didier DUVAL: Le procureur de la République est aujourd'hui confronté à une telle masse de dossiers qu'il aura tendance à ne pas poursuivre un individu coupable d'une fraude spécifique tant qu'il n'aura pas été prouvé que cet individu fait partie d'une organisation beaucoup plus structurée. Il en va différemment s'il est avéré que cet individu n'est que le maillon d'une chaîne, et que sa poursuite pourrait permettre de démanteler un plus vaste réseau.

Je ne sais pas quel est le volume des affaires dénoncées et non suivies. Il nous semble cependant qu'en matière de fraude sociale il y aurait sans doute lieu de procéder à plus de poursuites qu'on ne le fait aujourd'hui.

M. le Président : Les Assédic poursuivent-elles systématiquement en cas de fraude ? Cherchent-elles à recouper des informations pour établir le caractère organisé de ce type de fraude ?

M. Didier DUVAL : Non, faute d'outil de détection suffisamment efficace. La dénonciation se faisant au coup par coup, les personnes poursuivies le sont pour des infractions dont le préjudice n'est pas d'un montant très élevé, ce qui incite le procureur à classer sans suite.

M. le Président : Les Assédic se portent-elles partie civile ?

M. Didier DUVAL : A mon avis rarement. Elles dénoncent les faits au parquet.

Au 1er janvier 2006, 62 affaires de fraude aux Assédic étaient en cours de traitement par la police judiciaire. Pour 29 d'entre elles seulement le préjudice a été évalué : il s'élèverait à 18 millions d'euros. Les escroqueries ont duré entre trois mois et quinze ans, mais la durée moyenne d'une escroquerie est d'environ deux ans. Le préjudice moyen par affaire dépasse 600 000 euros. Il faut toutefois préciser qu'il s'agit d'affaires pour lesquelles la police judiciaire a été saisie donc, par définition, des affaires d'une certaine complexité.

En 2006, on a constaté une nette augmentation des saisines par rapport à l'année précédente. Cela peut d'ailleurs être un signe de plus grande réactivité des organismes qui dénoncent plus. La majorité des affaires se découvre lors des liquidations judiciaires ou sur plainte des Assédic et on assiste pour la première fois à des signalements de la part de banques, des renseignements généraux et de la tracfin (cellule de traitement du renseignement et d'action contre les circuits financiers clandestins). On arrive ainsi à la mise à jour de fraudes sociales au travers d'enquêtes menées sur d'autres affaires.

Des filières turques, indiennes et pakistanaises ont été identifiées ainsi que des secteurs d'activité plus sensibles que d'autres comme les secteurs du bâtiment et de la confection.

M. le Président : La coopération avec les URSSAF est-elle bonne ?

M. Didier DUVAL: Oui, même si elle n'est pas très structurée - il n'y ainsi pas de protocole. Sa mise en place serait un plus.

M. le Président : Où en est celui de la CNAM ?

M. Didier DUVAL: Il doit être signé dans les prochaines semaines entre le directeur de la CNAM et le directeur général de la police nationale.

M. Maurice GIRO : La plupart du temps, les Assédic ne récupèrent rien après le procès, n'est-ce pas ?

M. le Président : La plupart du temps, les cerveaux ne sont pas mis sous les verrous...

Nous vous remercions.

Audition de M. Charles-Emmanuel Haquet,
journaliste à L'Expansion.


(4 octobre 2006)

Présidence de M. Dominique TIAN, président et rapporteur

M. le Président : Monsieur Haquet, vous avez écrit plusieurs articles très documentés sur le problème des fraudes aux organismes sociaux. Pourriez-vous nous en parler ?

M. Charles-Emmanuel HAQUET : Avant l'enquête d'octobre dernier, quelques articles étaient parus sur des affaires éparses, localisées, sans dimension nationale, mais certaines informations m'ont ensuite fait prendre conscience que la fraude évoquée dans ces articles n'était ni locale ni artisanale, mais bel et bien le fait d'organisations très structurées, agissant à l'échelon national, voire international.

M. le Président : Beaucoup de chiffres circulent - de 80 millions reconnus par les Assédic jusqu'au milliard d'euros. Qu'en est-il véritablement ?

M. Charles-Emmanuel HAQUET : J'ai évoqué, au conditionnel, un chiffre très élevé qui m'avait été suggéré par une source interne à l'Unédic. Le Canard enchaîné a parlé de plusieurs centaines de millions d'euros. Le montant total est difficile à chiffrer, car nous n'avons connaissance que de la partie émergée de l'iceberg.

Longtemps l'Unédic a prétendu n'être victime d'aucune fraude, tout simplement parce qu'elle ne la voyait pas. Puis, à force de mettre en place des agents pour la détecter, le chiffre de la fraude a grossi. J'estime personnellement que le chiffre de plusieurs centaines de millions d'euros, voire du milliard, n'a rien d'extravagant.

M. Le Président : Pourquoi ces réactions aujourd'hui, et pas plus tôt ?

M. Charles-Emmanuel HAQUET : Il ne faut pas négliger la culture du secret qui existe dans une organisation paritaire comme l'Unédic. La crainte que ce statut paritaire ne soit remis en cause incite les personnels à être discrets. Selon les personnels de l'Unédic que j'ai pu interviewer en « off », il vaut mieux payer pour ne pas faire de vague.

Mon article est paru il y a un an, mais globalement, rien ne s'est passé depuis au sein de l'Unédic. Comme me l'a dit un haut responsable, s'intéresser de trop près aux faux chômeurs risque d'attirer les foudres des syndicats, et s'intéresser aux fausses sociétés, celles du MEDEF. C'est une source d'immobilisme.

M. le Président : Pourtant, l'Unédic communique beaucoup sur les nouveaux moyens de contrôle, les détecteurs de faux papiers ou la mise en place d'un service interne de lutte contre les fraudes.

M. Charles-Emmanuel HAQUET : À l'époque de mon enquête, les détecteurs de faux papiers étaient en cours d'installation, et le renforcement des contrôles est une réponse à la pression médiatique. Ce n'est pas qu'ils ne fassent rien, mais ces quelques mesures représentent peu par rapport aux réformes qu'il faudrait mener, notamment dans le domaine informatique. Je ne suis pas certain qu'ils en aient réellement la volonté, car c'est très coûteux.

M. le Président : Ils disent pourtant l'avoir. Il semblerait même que les obstacles juridiques, notamment en raison de la loi informatique et libertés, ne soient pas insurmontables.

Comment l'idée de monter de telles organisations, au niveau international, a-t-elle pu naître ? Et comment a-t-elle pu échapper à la vigilance de tous ?

M. Charles-Emmanuel HAQUET : Pour une entreprise criminelle « grise » étrangère qui cherche à diversifier ses activités, les services sociaux français sont un marché juteux, et l'opération est moins risquée que le trafic de stupéfiants ou le proxénétisme.

Peu importe à ces multigérants envoyés en France d'écoper de quelques années de prison, puisqu'ils savent qu'à leur sortie, un gros chèque les attend. Du reste, ils ne s'installent pas forcément en France, ils peuvent n'y être que de passage le temps nécessaire. Un commissaire de police m'a même dit que des cars entiers de faux chômeurs faisaient l'aller-retour jusqu'en France, le temps pour ceux-ci de s'inscrire aux Assédic et de récupérer l'argent !

Mais il existe aussi des réseaux franco-français - les caïds parisiens. J'ai ainsi eu connaissance d'un réseau dans lequel les 450 malfrats épinglés gagnaient entre 1 500 et 2 000 euros net par mois. C'est l'un des plus gros réseaux éventé avec celui mettant en jeu 4 000 Turcs, dont Le Canard enchaîné a également parlé.

M. le Président : Les faux papiers ont-ils été fabriqués en France ?

M. Charles-Emmanuel HAQUET : Oui, dans un sous-sol, avec un ordinateur classique. Le résultat est du reste assez impressionnant. J'ai vu deux cents fausses attestations d'employeur au nom d'une petite SARL de la rue du Faubourg-Saint-Denis ! Comment l'Unédic, qui envoie les documents via son serveur ATEMI, a-t-elle pu ne pas s'interroger sur ce patron qui employait deux cents salariés ? J'ai encore l'exemple d'un bazar de la rue Monge, censé employer 70 salariés !

M. le Président : A votre avis, y a-t-il des complicités internes ?

M. Charles-Emmanuel HAQUET : Il y a eu de la fraude en interne aux Assédic, mais elle est aujourd'hui assez circonscrite, et il ne semble pas exister de lien de cause à effet avec ces affaires.

Ce qui est frappant, c'est que les faux chômeurs qui se font épingler sont très bien informés et savent exactement quoi répondre aux questions pour ne pas être inquiétés, même s'ils ne parlent pas bien français par ailleurs.

De toutes manières, ils ne sont jamais inquiétés. En effet, un employeur déclare le nombre de ses salariés aux Assédic, sans les nommer. Un agent de l'Assédic ne dispose pas d'informations nominatives comme la déclaration préalable à l'embauche (DPAE). Il n'a pas les moyens de vérifier si la personne qui se présente devant lui a bel et bien travaillé dans telle entreprise, à moins de connaître quelqu'un à l'URSSAF qui accepte d'effectuer cette recherche. Cela étant, même si l'agent parvient à confondre le faux chômeur, il est impossible d'opposer à un demandeur d'emploi le fait que son entreprise n'ait pas cotisé pour lui, et il sera tout de même indemnisé.

M. Maurice GIRO : Il faudra bien un jour exiger un travail d'intérêt général en contrepartie de ces minima sociaux !

M. Charles-Emmanuel HAQUET : Il est vrai que le système déclaratif des Assédic, qui a très bien fonctionné pendant un certain temps, n'a pas su évoluer pour échapper à la fraude.

Par ailleurs, le travail des agents de contrôle de l'Unédic ne bénéficie pas nécessairement des relais suffisants. Il y a un certain fatalisme : le chômage baisse, le phénomène est conjoncturel, ce n'est pas la peine de mettre en place des dispositifs de contrôle qui pourraient ne plus servir d'ici peu etc.

M. le Président : Pensez-vous que ces organisations soient liées au terrorisme ?

M. Charles-Emmanuel HAQUET : Je ne sais pas. J'ai simplement entendu parler de réseaux de stupéfiants ou de proxénétisme, surtout dans les pays de l'Est.

M. le Président : Que s'est-il passé au séminaire de l'Unédic de février 2005 que vous évoquez dans votre article ?

M. Charles-Emmanuel HAQUET : C'est au cours de ce séminaire que l'Unédic a semblé vraiment prendre conscience du problème. Un silence monumental a suivi la lecture d'un rapport qui faisait état de cette fraude.

À mon avis, il convient de bien distinguer les Assédic de l'Unédic. Alors que l'Unédic est empreinte de cette culture paritaire qui l'invite plutôt à l'immobilisme, les Assédic sont bien plus opérationnelles. Mais y a encore quelques années, les affaires étaient très localisées, et les services sociaux n'avaient pas conscience de leur dimension trans-régionale, donc de l'ampleur du problème. Aujourd'hui les informations remontent, mais il faudrait réformer en profondeur tout leur fonctionnement, notamment au niveau du système informatique, ce qui est un projet considérable à mener.

À titre d'anecdote, la directrice de la communication de l'Unédic a insisté, avant la parution de mon article, pour qu'il n'y ait surtout pas d'amalgame avec les vrais chômeurs. C'est tout à leur honneur, mais ils continuent de dire que la fraude est marginale. Le contrôle des chômeurs reste un sujet très sensible.

M. le Président : Pourquoi cette fraude ne s'est-elle pas développée si massivement avant ?

M. Charles-Emmanuel HAQUET  D'après les témoignages, les premiers réseaux auraient démarré il y a cinq ou dix ans. Il est vrai aussi que la fraude a évolué. D'artisanale, le père de famille qui « oublie » de signaler qu'il a retrouvé du travail, elle s'est structurée, industrialisée récemment. Par ailleurs, les premiers dossiers de droits à la retraite commencent à tomber, ce qui accrédite la thèse d'une certaine ancienneté des fraudes.

Il y a vingt ans, le problème existait déjà, même s'il n'était pas aussi industrialisé.

M. Daniel PRÉVOST : N'arrive-t-il pas, dans le domaine des travaux publics, que des personnes passent de chantiers en chantiers en étant plus ou moins déclarés ?

M. Charles-Emmanuel HAQUET : Le BTP et la restauration rapide sont les secteurs les plus propices à ce type de trafic.

M. le Président : Quel est le déroulement de la chaîne ?

M. Charles-Emmanuel HAQUET : Il n'existe pas de système de contrôle des signatures lors de la création d'une entreprise, non plus que des pièces d'identité.

Par ailleurs, une pression est exercée sur l'agent des Assédic pour ne pas mettre plus de dix minutes à remplir le dossier. Il n'a aucun moyen de s'assurer de l'existence de la société, et il est parfois amené à indemniser des personnes dont il sait parfaitement qu'elles sont en fraude. Il n'a malheureusement pas le choix.

M. le Président : Ne peut-il pas dénoncer ces personnes ? La loi l'y oblige...

M. Charles-Emmanuel HAQUET : Bien sûr. Cela arrive, mais ils ne sont pas forcément formés à cette fonction. Surtout, il n'est pas facile de mettre en évidence une fraude.

M. Jean-Paul ANCIAUX : De surcroît, ces personnels n'ont pas une culture du contrôle : ils n'en ont ni les moyens ni la formation. J'ai en charge la labellisation des maisons de l'emploi sur l'ensemble du territoire français, et je m'aperçois que la détection des risques de fraude n'est pas leur premier souci.

M. Charles-Emmanuel HAQUET : J'ai cité dans mon article un agent de l'URSSAF qui se disait terrifié par ce qui se passait. À sa parution, la première réaction de l'Unédic a été de s'en prendre aux URSSAF. Il est difficile de faire travailler ensemble tous ces organismes.

M. le Président : Les agents de l'URSSAF sont assermentés, pas ceux des Assédic.

M. Charles-Emmanuel HAQUET : J'ai également appris que les impôts peuvent contrôler tout ce qui se passe au sein des Assédic, mais que le contraire n'est pas vrai. Ils ont ainsi pu s'apercevoir que des personnes non imposables avaient pourtant reçu des allocations de chômage l'année précédente.

M. le Président : Et les services des impôts ne peuvent contrôler auprès des Assédic que les personnes qu'ils connaissent.

M. Daniel PRÉVOST : La personne qui créé une société doit pourtant verser une cotisation chaque année à la médecine du travail, laquelle doit convoquer chaque année les salariés. Cela étant, n'existe-t-il pas une dérive au niveau des sociétés d'intérimaires ?

M. Maurice GIRO : Beaucoup d'employés refusent de se rendre à la visite médicale.

M. Charles-Emmanuel HAQUET : Rien n'empêche de surcroît de convoquer le médecin du travail pour un seul employé, alors que la société génère de multiples faux chômeurs.

M. le Président : L'Inspection du travail a-t-elle réagi à vos articles ?

M. Charles-Emmanuel HAQUET : Non, mais personne ne m'a opposé de démenti officiel.

M. Daniel PRÉVOST : J'ai demain une commission d'appel d'offres. Parmi tous les documents que doivent nous fournir les sociétés, l'un est une déclaration de l'employeur selon laquelle il n'emploie pas de travailleur au noir. S'il s'avère par la suite que c'est faux, le maire ou la collectivité doit l'attaquer.

M. le Président : Quand l'Inspection du travail s'aperçoit qu'une entreprise ne déclare pas tous ses employés, recoupe-t-elle ses informations avec celles des Assédic ou des services fiscaux ?

M. Charles-Emmanuel HAQUET : Je ne sais pas.

M. le Président : Comment de telles organisations peuvent-elles échapper à la police ?

M. Charles-Emmanuel HAQUET : Beaucoup de moyens sont affectés à la lutte contre le terrorisme, et il en reste donc moins pour les autres délits. C'est une question de priorité d'action. Cela étant, au sein de la police se mettent en place de nouveaux services, comme la plateforme d'identification des avoirs criminels, qui s'intéressent plus particulièrement au portefeuille des truands.

Ces réseaux, faciles à mettre en place, sont difficiles à démanteler. De toutes manières, quand la police arrive à confondre un fraudeur, elle sait très bien qu'il ne sera, au bout du compte, que rarement condamné, car il est insolvable. Les têtes de réseaux sont à l'étranger, et en général très difficiles à saisir.

M. le Président : Cependant, 4 000 Turcs au sein d'une telle organisation représentent autant de comptes en banque remplis par les allocations. Comment ces mouvements financiers peuvent-ils passer inaperçus ? Quand on sait le nombre de contrôles que doit subir un artisan, l'on s'étonne que deux mondes puissent ainsi coexister !

M. Charles-Emmanuel HAQUET : Il y a en effet des comptes en banque, mais il est plus difficile de repérer 500 personnes avec 500 euros que dix avec 25 000 euros.

Par ailleurs, si le dossier a moins de six mois, l'Association en charge de la gestion de la garantie des salaires (l'AGS) le traite souvent sans vérification, car il coûte alors moins cher de payer que de contrôler le chômeur. Et il en va de même des Assédic. Même si personne ne l'avouera...

Cela étant, il serait possible qu'un policier infiltre le milieu pakistanais pour mettre au jour ces filières. Les recrutements de faux salariés se font au sein des foyers sociaux, en général. Ils achètent le kit pour 1 000 euros, et sont ensuite contraints, éventuellement par la violence, de rétrocéder une partie importante des indemnités perçues.

M. le Président : Nous vous remercions.

Audition de M. Vincent Ravoux, Directeur général de l'URSSAF de Paris, M. Jean Hue, Directeur-adjoint, et M. Lucien Contou, responsable de la lutte contre le travail illégal

(11 octobre 2006)

Présidence de M. Dominique TIAN, président et rapporteur

M. le Président : L'Assemblée nationale, dans le cadre de ses missions de contrôle, a décidé de se pencher sur la question des fraudes aux organismes sociaux et plus particulièrement au travers de cette mission aux fraudes à l'assurance chômage. La presse s'y intéresse également, et a même cité l'un de vos agents.

Pourriez vous nous faire part de votre approche de cette question ?

M. Vincent RAVOUX : C'est M. Contou que l'Expansion a cité, et je note qu'il est le seul à ne pas avoir conservé un anonymat prudent... Depuis la parution de cet article, l'Unédic a pris des mesures qui lui ont permis de lutter plus efficacement contre la fraude.

Nous allons vous fournir plusieurs documents, à commencer par un rapport sur l'évasion sociale, plus large que l'objet de votre mission, mais qui met en évidence les mécanismes d'évasion sociale optimisée qui finissent par mettre en cause la pérennité de l'assiette des cotisations sociales. Il s'y ajoute trois fiches proposant des modifications législatives, notamment pour permettre aux inspecteurs de l'URSSAF de contrôler l'assiette des cotisations de l'Unédic et des retraites complémentaires. Cette modification, qui ne coûterait rien, pourrait en revanche rapporter une centaine de millions d'euros à l'Unédic et plus de 80 millions au titre des retraites complémentaires - sans compter l'effet psychologique de ce contrôle.

Nous vous proposons ensuite de réformer la déclaration préalable à l'embauche qui, aujourd'hui détournée de sa fonction première, favorise davantage la fraude qu'elle ne la limite.

Enfin, la troisième modification est de nature règlementaire et porte sur les attestations de compte à jour.

M. le Président : Pourriez-vous préciser votre première proposition ?

M. Jean HUE : Dans l'état actuel des textes, si un inspecteur du recouvrement constate une situation de travail illégal, il dresse un procès-verbal qu'il transmet au Parquet, et calcule le montant des cotisations dues au titre du régime général de la sécurité sociale. En revanche, il ne calcule pas le montant des contributions chômage et des cotisations dues aux organismes de retraite complémentaire, que l'URSSAF n'est pas chargée de recouvrer. Une entreprise qui a fraudé ne sera ainsi pénalisée qu'au niveau des cotisations de sécurité sociale !

Une expérience menée avec le GARP - le regroupement des ASSEDIC de la région parisienne - révèle que les cotisations chômage représentent environ 11,47 % des redressements opérés, soit un peu plus de 100 millions d'euros en 2005.

L'article L. 243.7 du code de la sécurité sociale confie à l'URSSAF le soin de contrôler l'application des dispositions du code de la sécurité sociale. Or, les cotisations chômage n'y figurent pas, pas plus que les cotisations dues au titre des retraites complémentaires, ce qui interdit aux inspecteurs de l'URSSAF de les contrôler. Nous proposons par conséquent de permettre à nos inspecteurs de contrôler toutes les contributions et cotisations dues au titre de la protection sociale - les cotisations dues au titre du régime général, les cotisations chômage et les cotisations de retraite complémentaire.

Il n'existe aujourd'hui en France qu'un seul corps de contrôle en matière de protection sociale, mais il n'a vocation à contrôler que les seules cotisations dues au titre du régime général !

Ce n'est que, dans le cadre de certaines conventions, que nous contrôlons également les cotisations dues à d'autres organismes qui ne disposent pas de corps d'inspection - AGESSA (69), syndicats de transports, CCVRP (70), etc. Dans ce contexte, notre proposition est logique.

M. Vincent RAVOUX : Les acteurs du terrain approuvent cette proposition qui ne génère aucune dépense publique supplémentaire et qui serait assez simple à mettre en œuvre. L'effet dissuasif serait de surcroît considérable. Je rappelle que nos 1 500 inspecteurs ont poursuivi leurs études en moyenne cinq années après le bac, ont réussi un concours d'entrée très sélectif, et bénéficié pendant dix-neuf mois d'une excellente formation.

M. le Président : Comment les Assédic perçoivent-elles votre proposition ?

M. Vincent RAVOUX : Je pense qu'ils seront d'accord, à condition que l'URSSAF n'encaisse pas les cotisations redressées. Comment pourraient-ils s'opposer à cette proposition, sachant qu'ils ne vont pas créer 1 500 inspecteurs chez eux ?

M. le Président : Un des moyens de frauder les Assédic consiste à créer une fausse société, avec de faux employés qu'il suffit ensuite de licencier. Avez-vous déjà rencontré ce type de situation ?

M. Lucien CONTOU : Cela fait des années que se montent de fausses sociétés avec de faux travailleurs, mais le système s'est de plus en plus sophistiqué avec le temps.

M. le Président : Ne faudrait-il pas revoir, justement, le mécanisme de création d'une entreprise, qui est très simple aujourd'hui ?

M. Lucien CONTOU : C'est une question souvent évoquée dans les COLTI (comités opérationnels de lutte contre le travail clandestin). Il est vrai que les coûts et les formalités d'immatriculation sont limités d'autant que celui qui créé l'entreprise n'est pas même obligé de se présenter lui-même ; une autre personne peut se déplacer à sa place, munie d'un pouvoir.

M. Jean HUE : Ces fausses sociétés sont, pour la plupart, des SARL - qui requièrent un capital minimal et répondent à une procédure d'immatriculation simplifiée - avec un gérant de paille, quand ledit gérant n'a pas déjà été condamné ailleurs ! Il n'existe pas, en effet, de fichier national permettant aux greffes des tribunaux de savoir si la personne qui souhaite créer une société n'a pas déjà été condamnée à une interdiction de gérer ailleurs.

M. Jean-Paul ANCIAUX : Au sein d'une même circonscription, une interdiction de gérer empêche-t-elle de s'immatriculer pour une autre activité que celle qui a conduit à la condamnation ?

M. Jean HUE : Bien sûr, car il s'agit d'une interdiction de gérer toute activité commerciale.

M. Lucien CONTOU : Mais les procédures collectives durent très longtemps, et la condamnation peut intervenir tardivement, postérieurement à la création d'une ou d'autres sociétés. Surtout, le recours à des gérants de paille est de plus en plus fréquent.

M. le Président : N'est-il pas possible de prononcer des mesures provisoires d'interdiction de gérer ?

M. Lucien CONTOU : Elles ne sont pas toujours prononcées car les tribunaux de commerce sont très prudents.

M. le Président : Sans doute, mais il y a un problème au niveau des greffes, ne serait-ce que parce que la personne n'est pas obligée de se présenter physiquement, sans parler de la fiabilité des pièces d'identité fournies. Il s'y ajoute l'absence de sanction en cas de non publication du bilan.

M. Lucien CONTOU : Non seulement ces entreprises ne publient pas leurs comptes, mais elles ne fournissent pas davantage de déclaration annuelle des données sociales. Et si un contrôle classique est lancé sur avis de passage, elles disparaissent. Et que dire du problème récurrent de la domiciliation ! Le Parquet de Paris avait beaucoup travaillé sur cette question, et ses études étaient remontées jusqu'à la Chancellerie, mais pour des retombées finalement assez faibles. Les domiciliataires ne respectent par leurs obligations comme, par exemple, de signaler au tribunal de commerce la disparition d'une société pour que sa radiation d'office soit prononcée. Les peines ont beau avoir été doublées en la matière, elles restent faibles - de l'ordre de 100 euros -  et sans effet dissuasif.

Nous avons réussi à faire condamner le gérant d'une domiciliation pour complicité d'obstacle à contrôle.

M. le Président : Vous voulez dire que la personne avait une domiciliation fictive ?

M. Lucien CONTOU : Quelque 500 à 1000 entreprises peuvent être domiciliées dans un même local de 20 mètres carrés !

M. Vincent RAVOUX : La loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 nous a beaucoup déçus car les dispositions prises en matière de domiciliation ne sont que des demies mesures qui ne permettent pas de lutter contre la fraude. Le mécanisme de la domiciliation répond à un objectif économique - toutes les entreprises ne peuvent pas, en effet, avoir un local avenue des Champs-Elysées, alors qu'une domiciliation en ces lieux a des retombées économiques très positives pour l'entreprise -  mais il est détourné de sa fonction.

M. Lucien CONTOU : J'en reviens au mécanisme d'immatriculation, très simplifié puisqu'on n'exige plus de capital - un euro suffit - , ni la présence physique du gérant. La plupart du temps, ces fausses sociétés seront gérées par des hommes de paille souvent multigérants, alors que le vrai gérant est un chef de chantier, chef d'atelier, livreur etc. Les greffes ne pourraient-ils pas vérifier qu'une personne n'est pas déjà gérante de beaucoup d'autres sociétés, pour la plupart déjà en déconfiture ?

M. Vincent RAVOUX : Le mécanisme est double. Premièrement, l'entreprise n'est tout simplement pas immatriculée à l'URSSAF - elle ne paye donc pas de cotisations mais produit des déclarations préalables à l'embauche (DPAE) pour les personnes auxquelles elle veut ouvrir des droits. Dans le deuxième cas, elle est immatriculée, cotise pour quelques salariés, et effectue de nombreuses DPAE pour des salariés fictifs.

M. Lucien CONTOU : La DPAE est une simple intention de recruter, et il ne saurait en être déduit que la personne a effectivement été recrutée par l'entreprise. Elle ne permet pas de savoir si le recrutement a été effectif. Dans le cadre de la déclaration unique d'embauche (DUE), la société doit déclarer l'embauche du premier salarié, ce qui déclenche son immatriculation à l'URSSAF. Si elle ne le fait pas, on en reste aux enregistrements des DPAE, d'autant plus que la CNIL interdit le croisement du fichier DPAE avec d'autres fichiers. Il n'y pas de croisement systématique des fichiers pour vérifier qu'une DPAE correspond à un compte employeur chez l'URSSAF. Le croisement est autorisé dans le seul cadre du contrôle, lorsque existent des suspicions. C'est ainsi qu'une entreprise d'éclairage dans le spectacle avait pu effectuer 900 DPAE, sans cotiser à l'URSSAF.

M. le Président : Avez-vous déjà évoqué ce problème avec des organismes de lutte contre le travail illégal, comme le COLTI ?

M. Lucien CONTOU : Bien sûr.

M. Vincent RAVOUX : Les administrations ont malheureusement tendance à trop attendre des DPAE. Alors que ce n'est qu'une intention d'embauche, les Assédic considèrent souvent que l'embauche est réalisée. Aussi proposons-nous d'imposer, outre la déclaration préalable d'embauche, celle de l'embauche elle-même et de la fin du contrat de travail.

Par ailleurs, seuls les inspecteurs et certains agents chargés du contrôle ont accès aux fichiers DPAE. Un technicien de l'assurance-maladie qui doit verser des indemnités journalières ne peut pas savoir si le bulletin de salaire qui lui est présenté a été délivré par une entreprise qui paye ses cotisations, et si le salarié en question est bien employé par cette entreprise. Le technicien paye donc en aveugle, alors qu'il est très facile de fabriquer de faux bulletins de salaire.

M. le Président : S'agissant de la déclaration unique d'embauche, quels documents vous sont distribués ?

M. Lucien CONTOU : Cette déclaration permet de rassembler en une seule déclaration plusieurs formalités. Ce dispositif a le mérite de la simplicité.

La DPAE a été prévue pour lutter contre le travail dissimulé. Tout salarié présent dans une entreprise doit avoir fait l'objet d'une DPAE. Les fraudeurs ne manquent pas d'effectuer cette déclaration pour des salariés fictifs car ils savent que les Assédic interrogent souvent l'URSSAF sur l'accomplissement de cette formalité avant de payer les droits.

Les Assédic elles-mêmes n'ont pas accès aux DPAE.

Autrefois, elles nous envoyaient les bulletins de salaire des salariés, ce qui nous permettait de relever parfois des contradictions entre les salaires payés et les sommes qui nous étaient déclarées.

Cela étant, il peut être difficile d'effectuer des contrôles car les salariés ne réclament leurs droits aux Assédic qu'une fois l'entreprise disparue, d'où l'importance de la DPAE qui permettrait d'effectuer des contrôles en temps réel sur la réalité de l'activité.

M. Vincent RAVOUX : La DPAE est donc un bon dispositif, mais il faut le sécuriser et le rendre accessible à tous ceux qui en ont besoin.

Vous devez savoir que nous gérons les cotisations par entreprise. Nous n'avons pas de gestion par salarié, ce qui facilite encore davantage la fraude.

M. le Président : La déclaration annuelle des salaires n'est-elle pas nominative ?

M. Jean HUE : Certes, mais elle est envoyée à la caisse nationale d'assurance vieillesse. Nous avons accès au fichier, mais nous ne la recevons pas.

M. le Président : La CNIL s'oppose-t-elle au croisement d'informations entre les ASSEDIC et la sécurité sociale ?

M. Vincent RAVOUX : La CNIL redoute le croisement des fichiers sociaux, pour des raisons liées aux libertés publiques. Cela étant, la loi de financement de la sécurité sociale de 2006 a prévu l'ouverture des informations entre les administrations sociales, mais il conviendrait cependant d'aller plus loin. La lutte contre la fraude suppose un travail de fond dans les bureaux. Elle doit relever de la routine de travail. Ainsi, lorsqu'une entreprise fait appel au fonds de garantie des salaires, les personnels du GARP doivent pouvoir automatiquement, et sans difficulté, accéder aux fichiers de l'URSSAF pour connaître la situation de l'entreprise. Et la réciproque doit être vraie pour nous lorsque nous avons besoin d'une information particulière.

M. le Président : Qu'attendez-vous de la constitution du Comité national de lutte contre les fraudes, récemment annoncé par le ministre de la santé ?

M. Vincent RAVOUX : Il est très surprenant que le ministre n'ait pas du tout abordé, dans son annonce, le problème du recouvrement et des URSSAF, alors que nous sommes les mieux placés pour découvrir les nouveaux mécanismes de fraude ou d'optimisation sociale.

La lutte contre la fraude doit être organisée car la fraude n'est plus artisanale.

Un comité de concertation pour la lutte contre la fraude a été créé en région parisienne. Cette formule est encore artisanale. Nous avons besoin d'un directeur de la répression des fraudes au niveau des organismes sociaux. Nous en sommes là, car les pertes sont énormes : plus de 8 milliards d'euros.

M. le Président : Que pensez-vous de la convention qui sera bientôt signée entre l'Unédic, l'assurance maladie, la caisse nationale d'allocations familiales (CNAF), l'URSSAF et les caisses de retraite ?

M. Vincent RAVOUX : Cette convention ne sera efficace que si nous disposons des outils appropriés, à savoir l'informatique. Il ne s'agit pas de permettre n'importe comment l'ouverture des fichiers, mais de rendre plus performants les croisements de fichiers.

Il faudrait également que les caisses de retraite et les caisses primaires signent cette convention, car dans quelques années, nous parlerons de la fraude à l'assurance retraite.

La lutte contre la fraude doit être organisée et coordonnée par un chef d'orchestre, tant la fraude est devenue multidimensionnelle. Nous aurions besoin d'une brigade de lutte contre les fraudes à la protection sociale.

M. Jean-Paul ANCIAUX : L'absence de transversalité des informations est un problème, et il faudrait permettre ce croisement des fichiers. Vous avez raison, il convient aujourd'hui de mettre en place un dispositif de lutte organisé et coordonné par un chef d'orchestre identifié et faisant l'unanimité.

M. Lucien CONTOU : Je citerai l'exemple d'un atelier où les employés n'étaient déclarés que pour deux heures de travail quotidien, alors qu'en réalité ils travaillaient toute la journée. Entre les allocations Assédic, le salaire déclaré, les diverses prestations familiales, la prime à l'emploi, ces personnes gagnaient davantage que le magistrat chargé du dossier !

M. le Président : Avez-vous le sentiment qu'il existe entre l'URSSAF et les Assédic une différence de culture ?

M. Vincent RAVOUX : Avant de diriger l'URSSAF de Paris, j'étais directeur de la caisse primaire de Seine-Saint-Denis, et nous étions surtout soucieux de l'assuré social. Nous n'avions pas la culture de recherche de la fraude qu'ont les personnels de l'URSSAF, et cette différence se prolonge dans les modalités d'organisation.

M. le Président : L'Unédic s'est plaint auprès de nous de ne pas recevoir les rapports de l'URSSAF, notamment les procès-verbaux.

M. Vincent RAVOUX : Nous établissons 22 000 procès verbaux : il est impossible de faire des milliers de photocopies pour les Assédic. En revanche, il serait judicieux de permettre aux inspecteurs de l'URSSAF de travailler pour le compte des Assédic, et d'autoriser les échanges informatisés de données.

Cela étant, nous avons transmis les dossiers en février 2006, mais les mises en demeure ne sont toujours pas parties. Avant de se plaindre, peut-être conviendrait-il de développer des mécanismes de recouvrement plus efficaces.

M. Lucien CONTOU : Je pense qu'ils souhaiteraient recevoir les procès-verbaux de travail dissimulé. Les parquets se sont penchés sur la question, car il s'agit de pièces de procédure. Dès que le feu vert nous sera donné, nous transmettrons.

M. Vincent RAVOUX : Les Assédic devraient faire partie des COLTI.

M. Lucien CONTOU : Ne participent en effet aux COLTI que les organismes dotés de corps de contrôle habilités à verbaliser en matière de travail dissimulé. Cela étant, ils sont invités aux sept COLTI de la région parisienne.

M. Maurice GIRO : Ceux qui distribuent les minima sociaux sont là pour aider les assurés et n'ont pas la culture du contrôle. Là est le véritable problème, et il faudrait en effet que l'URSSAF étende ses contrôles. Je préside une commission sociale et les assistantes sociales ne nous ont pas toujours signalé les personnes qui n'avaient plus droit au RMI...

M. le Président : S'agissant du RMI, les contrôles fonctionnent beaucoup mieux.

M. Lucien CONTOU : Cela étant, le dernier COLTI de Pontoise a révélé que, suite aux poursuites lancées dans le cadre de la fraude aux ASSEDIC, de nombreux fraudeurs se sont orientés vers le RMI.

M. Maurice GIRO : D'autant plus qu'il n'y a pas de vérification d'un département à l'autre ! Nous devrons nous appuyer sur le travail de l'URSSAF!

M. Vincent RAVOUX : Je tiens à souligner que, si nous maîtrisons parfaitement le contrôle classique d'assiette, nous aurions besoin de formations complémentaires en matière d'intelligence économique au sens d'espionnage sur les nouveaux mécanismes. Nous devons développer une compétence pluridisciplinaire pour couvrir l'ensemble du champ social.

M. Maurice GIRO : Comment peut-on ne pas découvrir qu'une entreprise qui déclare de nombreux salariés n'a pas d'activité ?

M. Vincent RAVOUX : Si elle n'est pas déclarée à l'URSSAF, nous n'irons pas la contrôler !

Quelles sont nos méthodes de travail ? Nous disposons d'un fichier, à partir duquel nous analysons les risques, avec l'obligation de contrôler régulièrement l'ensemble des entreprises. Une entreprise qui a toutes les apparences de la légalité et ne présente pas d'enjeu financier considérable échappera peut-être à nos mécanismes de contrôle. Nous ciblons les principaux risques, mais un faussaire astucieux qui aurait bien compris que l'URSSAF ne contrôle pas tel type d'entreprise pourrait réussir à passer entre les mailles du filet.

Par ailleurs, une entreprise qui n'est pas inscrite à l'URSSAF ne figure pas dans nos fichiers. Nous travaillons alors par le biais du mécanisme de lutte contre le travail dissimulé, à partir de divers signalements, centralisés aux COLTI.

Il existe donc des failles très importantes.

M. Jean HUE : Il nous arrive également de nous déplacer sur le terrain et de contrôler au hasard un restaurant, un hôtel, un atelier de confection.

M. Lucien CONTOU : La police de proximité, les îlotiers peuvent aussi nous alerter.

M. le Président : Et l'inspection du travail ?

M. Vincent RAVOUX : Je crois qu'il n'y a en région parisienne que 115 inspecteurs du travail, et deux ou trois contrôleurs par inspecteur. De notre côté, nous comptons 300 inspecteurs. Or, le domaine d'intervention de l'Inspection du travail est beaucoup plus large que celui de l'URSSAF, ce qui explique qu'ils ne puissent pas vraiment se pencher sur cette question.

De surcroît, ils sont organisés en région parisienne par département, alors que la fraude est très géographiquement diversifiée.

Enfin, l'Inspection du travail a d'abord pour mission de défendre le travailleur, et n'a pas notre culture de contrôle.

M. le Président : Vous communiquent-ils les anomalies qu'ils peuvent éventuellement découvrir au cours d'un contrôle ?

M. Lucien CONTOU : Oui. Ils en ont d'ailleurs l'obligation.

M. Vincent RAVOUX : Une loi prévoit que l'URSSAF, les Assédic ou l'inspection du travail peuvent appliquer des sanctions en matière de travail dissimulé, mais nous n'en sommes même pas à l'échange de tableaux Excel, alors qu'il s'agit de suivre ces entreprises sur la durée ! Aujourd'hui, l'Inspection du travail, avant d'attribuer une aide à l'emploi, doit vérifier que l'entreprise n'a pas fait l'objet d'un procès-verbal de travail dissimulé, mais elle ne dispose pas des outils nécessaires.

M. Lucien CONTOU : Lorsque la DPAE a été mise en place, la gestion en a été confiée aux URSSAF parce qu'ils disposaient d'un réseau informatique suffisamment performant.

M. le Président : Certains secteurs favorisent le travail illégal, comme le bâtiment ou le textile.

M. Lucien CONTOU : Certes, mais lorsque nous nous rendons sur un chantier, nous devons constater le travail de la personne. Or, il arrive souvent que les entrepreneurs demandent alors à ces travailleurs illégaux de cesser le travail, et qu'ils les conduisent dans leur voiture, pour expliquer ensuite qu'ils venaient de les prendre en auto-stop ou que, justement, ils se rendaient au bureau pour effectuer la DPAE. Le bénéfice du doute profitant à l'accusé, nous ne pouvons pas dresser de procès-verbal.

Cela étant, nous nous rendons sur les chantiers. Mais nous nous heurtons aussi au problème des entreprises étrangères - il existe une spécialisation des pays sur les différents corps de métiers.

M. le Président : En cas de sous-traitance, celui qui a commandé les travaux peut être passible de poursuites pénales.

M. Jean HUE : Afin de sensibiliser les donneurs d'ordres à la lutte contre le travail illégal, le code du travail prévoit qu'ils doivent s'assurer régulièrement de la situation de leurs sous-traitants au regard de leurs obligations sociales. Malheureusement, l'attestation fournie se limite à la seule mention de l'accomplissement des obligations déclaratives et non au paiement lui-même ni à la vraisemblance de la masse salariale. Une entreprise qui a fait l'objet d'un procès verbal de travail illégal et d'un redressement important de cotisations pourra obtenir une telle attestation, alors même qu'elle n'aura transmis à l'Urssaf qu'un bordereau récapitulatif des cotisations sur lequel figure la mention « néant ». Elle peut alors obtenir un marché auprès d'un donneur d'ordre.

Nous vous proposons par conséquent de modifier le code du travail sur ce point.

M. Jean HUE : En l'état actuel des textes, si nous constatons du travail illégal, les déclarations sociales sont, par hypothèse, fournies. Les cotisations sociales ont beau ne pas avoir été payées, nous devons, selon le texte, délivrer l'attestation qui permettra à l'entreprise de se faire payer par le donneur d'ordre, avant de disparaître.

M. Lucien CONTOU : La plupart du temps, lorsque nous découvrons qu'une entreprise sous-traitante dissimule des salariés, nous avertissons le donneur d'ordre et lui demandons de régulariser la situation sous peine d'être à son tour poursuivi. Ce système est très efficace, et le sous-traitant finit souvent par régulariser la situation - tout du moins au niveau des cotisations URSSAF.

M. Vincent RAVOUX : Nous ne nous occupons pas, en revanche, du paiement des cotisations Unédic.

M. le Président : Le décret du 7 mai 2004 pose le principe de la déclaration nominative intégrale des salariés par les employeurs. Comment sa mise en œuvre peut-elle s'opérer ?

M. Vincent RAVOUX : Le contrat d'objectif et de gestion de la branche recouvrement prévoit une disposition similaire. L'URSSAF de Paris s'est portée volontaire pour expérimenter cette opération. Toute notre organisation risque d'en être bouleversée, mais nous n'obtiendrons de résultats qu'à condition de permettre aux différents organismes sociaux d'échanger leurs informations.

Cela étant, il s'agit là d'un mécanisme d'avenir, car nous ne pouvons plus nous contenter d'informations globales sur l'entreprise, sans savoir exactement ce qu'il en est des salariés, d'autant que nous sommes amenés à gérer un certain nombre d'exonérations individuelles. Nous sommes souvent obligés de gérer par salarié, alors que nos systèmes informatiques sont construits par entreprise.

Il est indispensable de réformer nos systèmes informatiques, et le point de repère commun de tous les organismes sociaux doit être le numéro INSEE de la personne. Il faudra en convaincre la CNIL, dont la position a peut-être, du reste, évolué.

M. le Président : Nous allons prochainement la recevoir. Nous vous remercions.

Audition de M. Michel Coquillion, secrétaire général adjoint de la confédération française des travailleurs chrétiens - CFTC, et de M. Frédéric Berdeaux, secrétaire général

(11 octobre 2006)

Présidence de M. Dominique TIAN, président et rapporteur

M. le Président : Les estimations les plus diverses ont été évoquées quant au montant des fraudes à l'assurance chômage. L'Unédic fait état de 80 millions d'euros, Le Monde a évoqué 250 millions, TF1 un milliard. Avez-vous, de votre côté, des chiffres plus précis, et que pensez-vous, en tant qu'administrateur, de cette situation ?

M. Michel COQUILLION : Je suis membre du bureau de l'Unédic et vice-président de la CFTC. Nous nous sommes penchés sur ces chiffres. J'ajouterai que Le Canard enchaîné a même évalué les pertes à 3 milliards d'euros. Je ne suis pas davantage en mesure de vous donner des chiffres que la direction de l'Unédic : nous ne pouvons que constater le montant des sommes détournées dans les affaires déjà révélées, mais il est difficile d'évaluer l'ampleur réelle du phénomène.

Quoi qu'il en soit, ces chiffres sont trop élevés, et il est normal que les responsables de la Nation se penchent sur la question, d'autant plus que nous avons à faire aujourd'hui à une fraude très organisée, qui s'apparente à du grand banditisme.

M. le Président : On retrouve en effet dans ces affaires des personnes d'ordinaire plus intéressées par des opérations de braquage et de grand banditisme.

M. Michel COQUILLION : Les réponses à la fraude varient en fonction de la nature de la fraude. Cette fraude très organisée ne doit pas pour autant faire oublier la multitude de petites fraudes qui, ajoutées les unes aux autres, peuvent atteindre des proportions considérables. Il convient de renforcer et améliorer nos systèmes de détection de la fraude, car il risque à terme de ne plus rester suffisamment d'argent pour les personnes qui en ont réellement besoin.

M. le Président : Nous nous intéressons plutôt à la fraude organisée. Selon les affaires en cours, il y aurait à Paris 500 faux chômeurs, pour un préjudice de 9 millions d'euros. Un commerçant aurait abrité, dans un local de 20 mètres carrés, 200 faux employés ! Et beaucoup d'autres affaires de ce type seraient en passe d'être révélées- 122 fausses sociétés, une vingtaine de gérants pour 800 fausses sociétés, etc.

Les personnes qui ont monté tout ce dispositif se sont servi des carences des organismes sociaux pour les escroquer pendant des années. Le conseil d'administration de l'Unédic est-il conscient de ce problème et est-il prêt à rechercher des solutions ? L'URSSAF a tenu des propos très durs sur les gestionnaires de l'assurance chômage.

M. Michel COQUILLION : En tant que membre du bureau, j'ai demandé à la direction de l'Unédic de nous dresser un tableau plus précis de la situation, et nous sommes tous bien conscients qu'il faut aujourd'hui progresser.

En tant qu'administrateur et responsable syndical, j'ai eu l'occasion de m'inquiéter auprès du ministère du travail des difficultés que nous rencontrons pour contrôler les déclarations des salariés. C'est le fameux problème des croisements de fichiers, que l'on a toujours craint en France.

Nous devons aussi sensibiliser davantage les personnels de l'Unédic chargés de l'accueil et de l'inscription, puisque ce sont eux qui ont détecté les premiers ces fraudes.

M. Frédéric BERDEAUX : Je suis administrateur de l'Unédic depuis un an, secrétaire général de l'Union départementale de Paris CFTC, et juriste en droit du travail.

J'ai rencontré hier le directeur de la lutte contre les fraudes de l'Unédic, dont je vais relayer les demandes.

Depuis quelque temps, les documents sont dématérialisés, et il est devenu très facile de produire informatiquement de faux bulletins de salaire qui auront toutes les apparences des vrais.

La simplification des formalités nécessaires à la création d'entreprise a également favorisé ce phénomène et la fraude peut prendre des dimensions internationales.

Il est impératif aujourd'hui que l'assurance chômage puisse accéder facilement aux données de l'URSSAF.

L'Unédic formule la demande suivante : qu'il y ait une meilleure coordination entre les organismes qui contrôlent les déclarations d'embauche et la vie sociale de l'entreprise - URSSAF, mais aussi CAF. Les contrôles sont encore imparfaits, malgré une volonté farouche d'améliorer les choses de la part des agents et de la direction de l'Unédic. Et le rapprochement avec l'URSSAF leur paraît fondamental.

M. Jean-Paul ANCIAUX : Nous sommes devant trois types de situation : le patron ou pseudo-patron fraudeur ; le potentiel ayant-droit fraudeur ; et la complicité entre les deux.

Vous dites que le lien avec l'URSSAF n'est pas suffisamment opérationnel. Mais l'URSSAF fait à votre égard à peu près la même observation : absence de volonté d'aller vers des échanges et la transversalité de l'information. Nous avons nous-même mis des mois à pouvoir discuter avec l'ANPE et l'Unédic pour que les uns et les autres acceptent de travailler ensemble. Je ne porte pas de jugement sur leur bonne volonté, mais il faudra bien poser réellement le problème. La situation est telle qu'on risque d'en tenir rigueur à tous.

Avez-vous déjà imaginé, au sein du bureau de l'Unédic, une structure de contrôle opérationnel sur l'ensemble des organismes prestataires ? Ces organismes n'ont pas de culture du contrôle. Cette structure pourrait, par exemple, croiser les fichiers et regrouper sur l'essentiel les informations nécessaires pour mener des investigations sérieuses.

M. Michel COQUILLION : Nous avons bien sûr posé le problème. J'ai été de ceux, en 2000, qui ont poussé l'ANPE et l'Unédic à travailler ensemble. Depuis 2001, nous allons dans cette direction et nous sommes en train de créer le fichier unique du demandeur d'emploi.

La situation me semble satisfaisante, mais on ne résoudra pas le problème en faisant travailler ensemble localement ANPE et Unédic. Il faut faire travailler ensemble tous les acteurs locaux, dont les régions qui sont aujourd'hui de gros financeurs de formations.

Avec l'URSSAF, c'est un peu différent : celle-ci ne dispose pas des informations suffisantes pour le contrôle. Elle ne dispose pas, mensuellement, du nom des gens pour lesquels l'entreprise cotise, avec le nombre d'heures. Il n'existe qu'une déclaration annuelle. Si l'entreprise cotise globalement pour quelques salariés, il est très difficile de savoir si les déclarations faites par les entreprises correspondent bien aux gens qui viennent se présenter au guichet de l'ASSEDIC.

S'il n'y a pas eu création d'entreprise ou pas de déclaration à l'URSSAF, on peut détecter presque instantanément la fraude. Cela passe par le rapprochement de fichiers, qui aurait dû se mettre en place auparavant.

Tant qu'on n'aura pas, mensuellement, le nom des gens pour lesquels l'entreprise cotise, il sera très difficile, en cas de fraude organisée avec constitution d'une société fictive, de faire des contrôles. Lorsque les fichiers de l'URSSAF seront accessibles aux guichets de l'Assédic au moment de l'inscription, une bonne partie des fraudes deviendra plus malaisée.

Compte tenu de ce qu'on voit, on peut se demander si la structure créée par l'Unédic est suffisante. Un problème de liens se pose avec l'URSSAF ou les CAF. Il faudra, d'une manière ou d'une autre, organiser cette transversalité et cette circulation de l'information. Mais il faudra que ce soit autorisé et la position de la CNIL sera déterminante. Si elle refuse les mises en commun de fichiers, on risque de ne pas avancer beaucoup dans le contrôle.

M. Francis VERCAMER : La complexification du régime des charges sur les salaires contribue à l'augmentation de la fraude. La première idée serait d'organiser un contrôle unique pour l'ensemble des organismes sociaux percevant les indemnités. Mais ne pourrait-on pas aller plus loin et créer un organisme collecteur unique qui permettrait de contrôler l'ensemble des salariés de l'entreprise sur toutes les cotisations à payer avec une procédure unique ?

M. Michel COQUILLION : Aller vers un collecteur unique amènerait à réorganiser ce qui existe maintenant. Sur le plan pratique, ce ne serait pas simple. Mais il faut peut-être passer par là. Cela permettrait en tout cas d'avoir une information exhaustive.

M. Francis VERCAMER : Cela passerait forcément par une simplification des systèmes de cotisations, qui varient selon les salariés, leur statut, leur entreprise.

M. Michel COQUILLION : Au moins pour ce qui concerne les cotisations chômage, la question est sur la table.

M. Francis VERCAMER : Est-ce que votre centrale syndicale est d'accord pour poser le problème. A priori oui. Mais je sais que certaines centrales y sont opposées.

M. Michel COQUILLION : Je ne peux pas m'appuyer sur une décision d'organisation, car la CFTC n'a pas délibéré sur cette question. On avancerait peut-être sur le contrôle, mais cela poserait d'autres difficultés, ne serait-ce qu'aux organismes existants. Certains étant paritaires, et d'autres non, cela poserait problème de gouvernance.

M. Jean-Pierre LE RIDANT : Ce serait un énorme chantier.

M. Michel COQUILLION : De même, les débats que nous avons eus entre l'ANPE et l'Unédic renvoyaient à un problème de gouvernance. Faut-il créer un service public unique ? Quand on saura faire du vrai tripartisme, on pourra peut-être le faire. Mais quand l'État prend une responsabilité quelque part, il a très vite tendance à la prendre en entier.

M. Francis VERCAMER : Mais actuellement, la complexité de l'établissement d'une feuille de paie est un frein à l'embauche.

M. le Président : Seriez-vous favorable ou opposé à un partage de tâches avec l'URSSAF ? Elle dispose notamment d'un corps de 1 500 contrôleurs, qui se déplacent physiquement sur le terrain pour vérifier la réalité des entreprises.

M. Michel COQUILLION : C'est l'alternative, du moins dans l'immédiat, à un collecteur unique. Dans la mesure où l'une des causes de la fraude est l'absence de cohérence, les deux organismes doivent travailler davantage ensemble.

On peut imaginer que l'URSSAF aille vérifier toutes les déclarations nominatives et ait une responsabilité plus étendue. Nous n'avons pas envisagé, pour le moment, à l'Unédic, de créer un corps de contrôle aussi opérationnel et aussi efficace que celui de l'URSSAF. Ce n'est pas dans la culture de la maison. Et, puis, faut-il créer des doublons ? On peut très bien penser à une convention entre l'Unédic et l'URSSAF pour que la seconde fasse les contrôles de la première.

M. le Président : Est-ce que cette question des fraudes a été évoquée au conseil d'administration ?

M. Michel COQUILLION : Elle a été évoquée plusieurs fois au bureau mais je ne sais pas si c'était dans les questions diverses ou si la question avait été formellement identifiée dans l'ordre du jour du bureau. Si vous avez auditionné la présidente de l'Unédic, elle a dû vous confirmer qu'on en avait débattu. La direction de l'Unédic nous a d'ailleurs expliqué comment fonctionnaient ces fraudes. La question a donc été abordée en bureau et elle a été abordée dans un des précédents conseils d'administration, mais sans être inscrite à l'ordre du jour.

M. le Président : La Cour des comptes a rendu trois rapports sur la gestion de l'Unédic et des ASSEDICS. À la suite de ces rapports, avez-vous senti une volonté, de la part du conseil d'administration, de répondre à la Cour des comptes ?

M. Jean-Paul ANCIAUX : Il semblerait logique qu'après ces rapports, une structure comme l'Unédic ait formalisé le sujet dans un conseil d'administration. On ne peut pas traiter un tel dossier uniquement au niveau du bureau. On peut se demander si l'Unédic se préoccupe de façon majeure de ce dossier.

M. Michel COQUILLION : Jusqu'à il y a quelques mois, rien ne laissait prévoir que la fraude avait atteint un tel niveau. Et cela n'a sans doute pas été suffisamment notre préoccupation - et j'en prends la responsabilité en tant qu'administrateur.

M. Jean-Paul ANCIAUX : Je vous remercie de votre sincérité.

M. Michel COQUILLION : Nous sommes pleinement responsables de ce que nous ne faisons pas. Aujourd'hui, je peux dire que nous n'avons pas suffisamment pris la mesure de l'ampleur du problème en conseil d'administration. Même lorsque les premiers articles sont sortis sur les entreprises fictives, nos estimations restaient très marginales. Mais bien sûr, le sujet est devenu important et il nous faut agir.

M. Jean-Paul ANCIAUX : Un journaliste qui a enquêté tient les mêmes propos que vous.

M. Michel COQUILLION : La presse au vu des rapports de la Cour des comptes a eu la même réaction que nous. Pour elle, cela restait une question marginale dont elle ne parlait pas non plus. Nous étions bien plus préoccupés par les fraudes identifiées et je pense aux intermittents du spectacle. Nous nous sommes préoccupés de cette fraude, avec tous les problèmes que cela a pu poser. Et puis, de par notre culture syndicale, la priorité était plutôt de traiter au mieux les problèmes d'indemnisation. Nous nous sommes sans doute focalisés sur ce qui est la vocation première de l'Unédic en sous-estimant le problème des fraudes, faute d'éléments d'appréciation.

Néanmoins, à plusieurs reprises, nous nous étions inquiétés du fait que l'on ne faisait pas suffisamment de rapprochements de fichiers, et que l'on travaillait en aveugle. Les agents de l'Unédic nous le disent depuis longtemps. Depuis qu'existe l'inscription des demandeurs d'emploi à l'Unédic, le problème est récurrent. Or nos interlocuteurs politiques avaient beaucoup de mal à avancer : les décrets ne paraissaient pas et on sentait une grande prudence. Maintenant qu'on sait ce qu'il en n'est, il ne serait pas responsable de ne pas aller beaucoup plus loin.

Nous pensons qu'un corps de contrôle est nécessaire. Si l'intervention de contrôleurs comme ceux de l'URSSAF peut être utile, il faut l'envisager car de l'argent est soustrait à l'indemnisation, ce qui est grave pour le déficit et pour les demandeurs d'emploi. Mais nous pensons qu'il faut organiser un contrôle qui ne se limite pas aux entreprises fictives. De nombreuses personnes cumulent l'indemnisation avec autre chose, alors qu'ils n'ont pas le droit de le faire.

M. le Président : Ça, c'est le rapport de la Cour des comptes.

M. Michel COQUILLION : Nous avons abordé cette question plusieurs fois et nous pensons qu'il faut améliorer les rapprochements de fichiers. Mais il faut s'adresser à la CNIL Les délais peuvent être assez longs.

M. le Président : Oui et non. Lorsque 200 faux chômeurs sont inscrits dans un local de fleuriste de 20 mètres carrés, les fichiers ne servent à rien. Il y a vraisemblance ou non. Il en est de même lorsque 2 000 personnes remplissent les mêmes dossiers avec les mêmes erreurs grossières. On frôle parfois l'absurdité totale. Le problème peut se régler en interne. Il est possible, notamment, d'installer des détecteurs de faux papiers comme vous l'avez fait.

M. Michel COQUILLION : Quels risques les agents sont-ils prêts à prendre face à un malfrat ? La seule chose qu'ils peuvent faire, c'est d'alerter discrètement la police. Je tiens malgré tout à indiquer que l'Unédic a créé un service spécial chargé d'informer, de former et de sensibiliser les agents à ces questions. Il va falloir que nous les reprenions avec la direction générale pour voir si les mesures qui ont été prises sont suffisantes.

M. Jean-Paul ANCIAUX : Il faut en effet sensibiliser les personnels et la hiérarchie pour qu'elle fasse part des cas suspects à qui de droit. Il faudrait peut-être aussi mettre en place, compte tenu de la situation, un module de formation très court de 24 ou 48 heures. Or, de l'extérieur, je ne sens pas cette mobilisation.

M. Michel COQUILLION : Il est probable que la fraude est d'ampleur bien plus grande que tout ce qui avait été perçu jusqu'à maintenant à l'Unédic, aussi bien par les administrateurs que par la direction. Cela nous engage à aller beaucoup plus loin. L'on a tendance à vouloir satisfaire celui qui se présente, sans être sensible au fait qu'il peut être à la limite ou qu'il joue la comédie.

M. le Président : Merci de ces renseignements et de votre participation.

Audition de Mme Carola Arrighi de Casanova, sous-directrice du droit économique à la direction des affaires civiles
et du sceau au ministère de la justice


(11 octobre 2006)

Présidence de M. Dominique TIAN, président et rapporteur

M. le Président : Il apparaît que le montage de fraudes organisées à l'assurance chômage repose très souvent sur la création de sociétés fictives. Nos interlocuteurs nous ont dit que le système était très complexe à appréhender, car quelques individus peuvent immatriculer un nombre considérable de sociétés sans activité réelle ou se servent de sociétés à faible activité. Nous nous intéressons donc au rôle des greffiers des tribunaux de commerce, à la façon dont les dossiers sont déposés, à la façon dont ils sont vérifiés, aux raisons pour lesquelles les tribunaux de commerce n'interviennent pas plus vite et pour lesquelles, de façon générale, il y a peu de contrôle sur la vie de la société elle-même.

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : Le sujet est délicat, dans la mesure où de nombreux éléments entrent en jeu. Le greffier du tribunal de commerce a pour rôle de vérifier la réalité des pièces justificatives qui doivent être remises en application d'un arrêté de 1988. Il doit vérifier que les statuts de la société sont conformes à la loi, mais il n'a pas de pouvoir d'appréciation sur l'opportunité de la création de la société ni sur son fonctionnement.

S'agissant de l'immatriculation des commerçants en général et des sociétés en particulier, nous sommes dans un régime où l'on cherche un équilibre entre la simplification d'un côté et le contrôle et la sécurité juridique nécessaires pour les tiers, de l'autre.

Imaginons une société qui se constitue. Pour la déclaration, s'il s'agit d'une société unipersonnelle, il n'y a pas besoin de beaucoup de signatures. On peut aller au centre de formalités des entreprises : à la chambre de commerce et d'industrie pour une société commerciale. On dépose le dossier : les statuts, un document rempli avec le nom du gérant, l'adresse de l'activité, l'objet de la société. Depuis 2003, la chambre de commerce et d'industrie délivre un récépissé de déclaration d'entreprise qui contient, la plupart du temps, le numéro SIREN c'est à dire le numéro que l'INSEE délivre immédiatement à la chambre de commerce. Ce récépissé tient lieu de demande d'immatriculation pendant un mois.

Comme tous les organismes tiers, notamment les organismes sociaux, ne fonctionnent finalement qu'avec ce numéro INSEE, il se peut que quelqu'un qui s'est déclaré au centre de formalités des entreprises et que le greffe a refusé d'immatriculer soit considéré par ces organismes comme une société.

Si le greffe refuse d'immatriculer pour une raison ou pour une autre, il doit en prévenir le centre de formalités des entreprises, qui doit lui-même informer tous les organismes destinataires de ce centre. Il y aura éventuellement un décalage entre le moment où la personne aura reçu le récépissé de déclaration d'entreprise avec son numéro INSEE et la période où la société existera vraiment puisque la société n'aura la personnalité morale qu'au jour de son immatriculation.

Le contrôle du greffe est relativement limité. Il suffit d'indiquer une adresse qui peut être celle du gérant ou du dirigeant de la société, puisque pendant cinq ans la domiciliation peut se faire à son domicile, ou qui peut être celle d'une société de domiciliation. Et si les statuts sont conformes aux normes légales, le greffier n'a aucun pouvoir d'appréciation pour savoir si l'activité sera réellement exercée ou pas.

M. le Président : La personne n'est même pas tenue de se présenter physiquement ?

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : Non, et de toute façon on en train de mettre en place une immatriculation en ligne, par Internet. Nous essayons, au ministère de la justice, d'instituer des garanties et des contrôles avec transmission authentique des statuts.

M. Jean-Paul ANCIAUX : S'agissant de la transmission en ligne, a-t-on réfléchi à une forme de sécurisation ? S'est-on inquiété d'éventuels dysfonctionnements, de fraudes, de montages contestables ?

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : On est obligé de prévoir une immatriculation en ligne, non seulement parce que c'est une évolution inéluctable, mais encore parce qu'une directive européenne nous l'impose. Au ministère de la justice, nous passons pour gêneurs parce que nous rappelons les nécessités de la sécurité juridique.

Un décret sur les centres de formalités a prévu que pour les immatriculations d'entreprise en ligne, on ne demanderait pas de signatures sécurisées. Nous discutons avec le ministère des PME puisque nous souhaitons une sécurité des statuts et que les pièces justificatives soient vérifiées et vérifiables. Le dispositif n'est pas encore en place, mais nous nous en inquiétons.

M. Jean-Paul ANCIAUX : Nous nous apercevons que les fraudes ont pris une dimension internationale, avec des gens qui recherchent des sanctions minimum pour un rapport maximum.

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : Nous essayons de mettre en place quelques verrous, en tout cas les garanties qu'apporte aux tiers le registre du commerce et des sociétés afin de maintenir une certaine sécurité juridique.

M. le Président : C'est beaucoup dire. Comment peut-on, à 20 personnes, créer 800 sociétés ? De fausses imprimeries, au centre même de Paris, produisent fausses pièces d'identité ou fausses attestations, faux bulletins de salaires, faux « K-bis ». On peut tout fabriquer de A à Z. Est-ce que le système n'est pas déjà complément détourné ?

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : Je m'occupe du droit des sociétés de façon générale. Quand on a élaboré la loi relative aux nouvelles régulations économiques et que l'on s'est penché sur le cumul des mandats, on s'est aperçu que des personnes très connues détenaient tellement de mandats qu'on pouvait se demander comment c'était en pratique possible. Rien n'interdit à quelqu'un d'être administrateur ou propriétaire, actionnaire ou gérant d'un grand nombre de sociétés. Le greffe ne peut donc aucunement contrôler cela. On peut se rendre compte qu'une personne est administrateur ou gérant de 80 sociétés, mais aucun texte ne nous permet actuellement de nous y opposer et cela parait difficile.

M. le Président : Et l'obligation de publication des résultats ?

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : L'obligation de publication des comptes est très discutée. Le ministère de la justice reçoit un nombre considérable de questions écrites ou de courriers parlementaires sur ce sujet : la moitié nous demande de supprimer cette obligation, et l'autre moitié nous reproche de ne pas la faire respecter.

Pour essayer de faire respecter cette obligation, nous avons créé des injonctions de faire pour que toute personne intéressée puisse faire déposer, par injonction du président du tribunal, les comptes d'une société. De la même façon, dans la loi de sauvegarde des entreprises, on a prévu que le non dépôt des comptes était un signal d'alerte pour le président du tribunal de commerce sur d'éventuelles difficultés de l'entreprise et qu'il pouvait convoquer le dirigeant de la société.

Mais certaines sociétés, pour des raisons de concurrence, ne souhaitent pas déposer leurs comptes et préfèrent payer tous les ans l'amende de cinquième classe qui sanctionne le non respect de cette obligation.

Voilà pourquoi nous avons créé cette injonction de faire. Pour autant, je ne dispose pas de chiffres sur son utilisation.

M. le Président : Ce qui nous intéresse, c'est le caractère fictif de l'entreprise, puisque toute la fraude part de là.

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : Pour ce qui est du fonctionnement de la société, nous avions déjà travaillé avec les services de la sécurité sociale sur la question des sociétés de domiciliation. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 contient une disposition qui permet aux agents de la sécurité sociale ainsi qu'aux inspecteurs du travail de venir contrôler dans les sociétés de domiciliation. Nous avons prévu d'obliger ces dernières à aviser le greffe dès lors qu'elles n'ont pas de nouvelles de la personne qui est domiciliée chez elle ; le greffe portera alors une mention de cessation d'activité au registre du commerce et des sociétés pour pouvoir procéder ensuite à une radiation. Il existe déjà une disposition de même nature selon laquelle l'administration fiscale prévient le greffe lorsqu'il constate qu'une société n'a plus d'activité. Il y aura une contravention de cinquième classe pour la société de domiciliation, par société domiciliée, ce qui peut être lourd.

Nous avons essayé de mettre en place des garde fous au cours de la vie de la société en cas de changement d'adresse ou lorsqu'on subodore que celle-ci n'a plus d'activité.

M. le Président : Un autre problème se pose : celui des personnes interdites d'exercice, qui vont créer des sociétés dans le département d'à côté ou dans la ville d'à côté sans que, par un recoupement de fichiers, on puisse s'apercevoir qu'elles n'ont pas le droit de le faire.

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : Il est exact que, lors de l'immatriculation, pour simplifier la procédure, on demande seulement à la personne qui se déclare une attestation sur l'honneur. Normalement, le greffe du tribunal de commerce demande le bulletin numéro 2 du casier judiciaire pour vérifier qu'elle n'a pas été condamnée et interdite de gérer. Logiquement, on radie les personnes qui se sont immatriculées alors qu'elles étaient interdites de gérer, avec une interdiction inscrite au casier judiciaire.

M. le Président : Cela ne marche pas.

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : Je ne sais pas. On en radie tout de même. Mais il y a peut-être des « loupés ».

M. le Président : Il y a une période délicate. Pendant que la procédure de dépôt de bilan est en cours, même s'il a un caractère frauduleux, la personne peut s'inscrire ailleurs en créant une autre société et repartir. Dans les cas qui nous intéressent, certains sont habitués à ce type de système. N'y aurait-il pas lieu de prendre une mesure provisoire et qu'elle soit  largement diffusée?

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : Dans la loi relative à la sauvegarde des entreprises, nous avons expressément prévu qu'on ne pourrait pas bénéficier de deux procédures en même temps. Si vous avez déposé le bilan, vous n'avez pas le droit de faire ouvrir une procédure sur la deuxième société tant que la première ne sera pas clôturée. Nous aurons donc moins de soucis de ce côté-là, même si cela ne réglera pas tout. Il est difficile, du point de vue du respect des libertés publiques, de prévoir une incapacité de créer une entreprise avant que l'on ait pu déterminer s'il y a lieu à sanction pour la précédente.

M. le Président : Combien faut-il de temps pour obtenir l'extrait de casier judiciaire ?

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : Auparavant, c'était très long. Maintenant, je pense qu'il ne faut que deux ou trois jours. Mais il n'y a d'inscription sur le casier judiciaire que lorsque l'interdiction de créer une société est définitive.

M. le Président : À l'évidence, ces fraudes qui affectent plusieurs organismes sociaux partent le plus souvent d'une entreprise fictive. Nous avons tout à l'heure auditionné des représentants des URSSAF. Celles-ci ne contrôlent que les sociétés qu'elles connaissent, et encore, souvent de façon très parcellaire. Entre la liberté, la souplesse et la quasi absence de contrôle, il existe sûrement un moyen terme.

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : Constitutionnellement, cela poserait des problèmes d'interdire à quelqu'un qui vient de déposer son bilan de créer une autre société.

M. le Président : Ce n'est pas ce que nous disons. Nous disons que des contrôles, des recoupements, des fichiers permettent d'avoir une présomption de doute.

M. Jean-Paul ANCIAUX : Peut-être les simples moyens informatiques permettraient-ils d'identifier ce type de situation - « je crée une société, je la liquide et j'en crée une autre » - afin de susciter la vigilance de tous les services intéressés.

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : En effet, on peut essayer d'y réfléchir. Les greffes sont nombreux, mais les données sont interconnectées. Encore faut-il savoir ce qu'on veut en faire.

M. Jean-Paul ANCIAUX : Simplement exercer une vigilance particulière. Parmi les sociétés « bidon », il y a deux cas de figure : « la vraie société  bidon », qui a accompli les formalités requises, qui ne sont pas vérifiées ; mais surtout la société qui a fonctionné dans le cadre de la loi et de la réglementation, qui a périclité et qui, plutôt que de déposer son bilan, a préféré entrer dans la clandestinité et adopter une attitude mensongère vis-à-vis de tous les partenaires intéressés, à commencer par les organismes collecteurs.

Le premier cas me paraît assez difficile à identifier, sauf par les organismes habilités à collecter et à contrôler. Je pense que, pour le second cas, vous pouvez peut-être faire en sorte que quelqu'un vienne à se demander ce que la société est devenue.

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : C'est déjà le souci du décret de 1984 sur le registre du commerce. Actuellement, il existe 190 greffes. L'idéal serait d'avoir un registre national du commerce tenu par les greffiers qui pourraient se transmettre les informations. Ce n'est pas impossible.

M. le Président : Nous sommes face à un système de fraude à caractère industriel lié peut-être au grand banditisme, au blanchiment, au financement de partis politiques étrangers comme le PKK. On organise des charters pour s'inscrire avec de faux papiers de fausses sociétés. Cela concerne des milliers de personnes et des centaines de sociétés. Tout part de coquilles vides. Il n'est pas possible qu'on ne s'interroge pas sur la façon de vérifier l'existence physique, commerciale et fiscale des sociétés.

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : Nous sommes aussi confrontés au problème des sociétés étrangères. La réglementation nous interdit de demander les statuts de ces sociétés, de demander des renseignements sur leur siège dès lors qu'il est en Europe puisqu'elles sont censées être immatriculées dans un autre pays européen

On trouve sur Internet toutes les sociétés françaises immatriculées. Pour les sociétés allemandes, il faut aller au tribunal du Land où la société est immatriculée pour avoir connaissance de son existence et de son statut. La situation va s'améliorer grâce à la modification d'une directive qui oblige à mettre en place des fichiers électroniques.

Pour le moment, les greffes n'ont aucun moyen de vérifier la réalité d'une société étrangère lorsque quelqu'un vient ouvrir un établissement en France.

M. Jean-Paul ANCIAUX : Ce qui signifie que si une société immatriculée en Pologne crée un établissement en France, le droit de regard sur cet établissement est quasi nul, en dehors de contrôles liés à l'URSSAF, par exemple ?

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : On doit seulement indiquer le nom de la personne qui dirige cet établissement et son adresse. Il n'y a pas de possibilité de vérifier la réalité de la société en Pologne. Il s'agit plutôt, d'ailleurs, des îles anglo-normandes ou de Gibraltar. Mais il serait très difficile qu'avant de laisser inscrire un établissement, le greffe doive se renseigner auprès du registre de publicité légale polonais. C'est très complexe.

M. Jean-Paul ANCIAUX : Il est bien que vous nous confirmiez cette situation.

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : Pour les sociétés françaises, je crois qu'on peut réexaminer les dispositions sur la radiation. Je crois davantage à la surveillance, au signalement que feraient les organismes sociaux et fiscaux au greffe pour que ce dernier fasse le ménage. Une fois qu'on n'est plus immatriculé au registre du commerce et des sociétés, qu'on est radié du répertoire des entreprises de l'INSEE, il devient plus difficile de continuer à fonctionner.

M. Jean-Paul ANCIAUX : Nous nous sommes demandés si une réflexion pouvait être conduite au plan national sur une structure de contrôle prenant en compte l'essentiel des prestataires. L'URSSAF a son bataillon de contrôleurs, l'Unédic n'en a pas mais pourrait en créer un. Dans les caisses d'allocation familiales, il n'y a pas grand-chose. Il en est de même dans les départements pour le RMI.

Cette structure de contrôle croiserait un minimum d'informations, sachant que certaines informations seraient confidentielles pour chaque structure. Dans ce cas, comment votre ministère pourrait-il s'impliquer ?

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : Si une telle démarche était décidée, il faudrait adapter nos textes pour que les greffiers en tiennent compte et puissent radier plus facilement.

M. le Président : Je ne pense pas seulement à la radiation. Comment peut-on créer des dizaines de sociétés « bidon » sans qu'une alarme ne s'allume ? Est-ce qu'on peut se satisfaire d'une telle situation ? Ne peut-on prévoir des modifications ? Certaines sociétés ne déposent pas leurs comptes, certaines ont peut-être disparu, des gérants ont pu créer 800 sociétés, etc. Le système est totalement déresponsabilisé. Sinon, il n'y aurait pas de fraudes.

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : Encore une fois, le registre du commerce et des sociétés n'a pas été créé pour cela. Aucun texte ne permet même à un greffier qui est tenu au secret professionnel d'aller aviser l'URSSAF qu'il a des doutes. D'ailleurs il n'en a pas tellement puisque, pour l'instant, personne ne lui a demandé de faire des recoupements. On n'a, de toutes façons, pas créé ce registre national tenu par les greffes. Mais, si on lui demande, il le fera, et nous ferons en sorte que le système fonctionne.

Il est délicat de dire que quelqu'un a créé trop de sociétés. En revanche, on peut essayer de vérifier que les personnes qui créent des sociétés ne sont pas en état de redressement ou de liquidation judiciaire ailleurs. Reste à savoir les conséquences qu'on en tirera. On peut essayer de croiser les données au cours de l'information.

On ne peut pas tout reprocher aux greffiers. Ils doivent immatriculer dans les 24 heures, sinon ils engagent leur responsabilité. On leur a demandé presque l'impossible, à savoir des contrôles qu'ils n'ont pas les moyens de faire. Ils doivent vérifier le domicile avec un document d'EDF. Or il suffit de téléphoner à EDF pour obtenir un abonnement à n'importe quelle adresse, sans qu'il y ait aucune vérification.

M. le Président : L'URSSAF demande la consommation des entreprises.

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : On a obligé les greffes à accepter le document d'EDF comme justificatif du lieu dans lequel on s'installe.

M. le Président : Un ancien chanteur a pu créer une centaine de sociétés domiciliées dans un bar du 12e arrondissement. Lorsque vous sortez votre voiture, vous êtes soumis à plusieurs vérifications, de l'état des pneus jusqu'à l'assurance. Mais pour immatriculer une société, votre présence physique n'est pas exigée au greffe du tribunal, on ne vérifie rien et la machine tourne à plein régime.

Mme Carola ARRIGHI DE CASANOVA : Cela paraît effectivement incroyable de pouvoir créer une centaine de sociétés dans un bar. Mais je constate que les textes ne permettent pas aux greffes d'exercer davantage de contrôles.

M. Jean-Paul ANCIAUX : Il faut probablement changer les textes.

M. le Président : Merci beaucoup.

Audition de M. Jean-François Veysset, vice-président de la CGPME chargé des affaires sociales, et de M. Georges Tissié,
directeur des affaires sociales


(18 octobre 2006)

Présidence de M. Dominique TIAN, président et rapporteur

M. le Président : Notre mission a souhaité entendre l'ensemble des partenaires sociaux gestionnaires de l'Unédic sur la question des fraudes massives et organisées à l'assurance chômage.

M. Jean-François VEYSSET : Merci de votre invitation. La Confédération générale des petites et moyennes entreprises a toujours été ferme s'agissant des contrôles et des sanctions en cas de dérives : prise en compte de personnes n'ayant pas de droits réels, manque de rigueur dans l'application de la réglementation découlant des accords interprofessionnels ou des conventions.

Nous sommes également favorables à l'éventuelle suspension des prestations à celles et ceux qui ne répondent pas aux différents critères auxquels ils sont assujettis et pour lesquelles ils s'engagent personnellement dans le cadre du Plan d'aide au retour à l'emploi, le PARE et surtout du Projet d'action personnalisé, le PAP.

S'agissant des autres dérives, nous allons demander que le législateur nous aide à obtenir plus de communication et davantage d'échanges de données avec les autres organismes de protection sociale.

Je vais donc changer de casquette et prendre celle de président de la Commission d'animation du réseau et des moyens de la CNAMTS. Nous rencontrons en effet les mêmes difficultés au niveau de l'assurance maladie. Et il est indispensable, lorsque l'on constate des dérives, d'échanger des informations, de façon à pouvoir, à travers des méthodologies très voisines, nous alerter les uns les autres, et orienter nos contrôleurs pour éviter que ne s'aggravent les déficits des régimes sociaux.

M. Georges TISSIÉ : Il y avait hier une réunion des conseillers techniques de l'Unédic au cours de laquelle nous avons évoqué ce problème. Ils nous ont dit qu'ils avaient accéléré le processus de signature de conventions d'échanges et de relations avec les différentes institutions sociales - URSSAF, CNAF, CNAM, CPAM - afin de disposer de davantage d'informations croisées. Ils ont particulièrement insisté sur la nécessité de pouvoir bénéficier des informations recueillies par les URSSAF dans leur mission de contrôle. Ils considèrent que c'est la meilleure source de renseignement sur les entreprises suspectes.

Par contre, pour l'Unédic, l'idée d'un corps de contrôle qui lui serait propre est à manier avec précaution. Ce sont surtout les résultats des travaux du corps de contrôleurs de l'URSSAF qui aiderait à lutter contre la fraude.

M. le Président : Ce n'est pas vécu comme une perte de pouvoir ?

M. Georges TISSIÉ : Ce que souhaite l'Unédic, c'est un échange d'informations en temps réel, du moins dans des délais très brefs, afin d'être à même de réagir. Ils souhaiteraient qu'un décret paraisse pour qu'il soit possible d'utiliser le numéro d'inscription au répertoire de l'INSEE, le NIR dans les croisements de fichiers.

M. le Président : Il s'agit certes d'une commission technique, mais il n'y a pas de représentants du conseil d'administration ?

M. Georges TISSIÉ : Si. Ce sont là les demandes de la direction de l'Unédic. Plus précisément, c'est à l'occasion d'une réunion des conseillers techniques que le directeur général de l'Unédic et ses voisins nous ont demandé d'insister auprès de vous sur ces points.

Ils ont mis en avant un dernier élément : la mise en œuvre de la déclaration nominative des salariés par les entreprises. Elle existe déjà pour les intérimaires et pour les intermittents du spectacle. L'idéal serait qu'elle puisse intervenir de façon générale. Cela dit, ils craignent de créer des obligations administratives supplémentaires pour les entreprises, notamment les PME.

M. le Président : Qu'en pensez-vous, personnellement, au titre de la CGPME ?

M. Jean-François VEYSSET : En tant que chefs d'entreprise, nous sommes assujettis à des obligations déclaratives qui doivent permettre de disposer des documents nécessaires. C'est possible, même pour la plus petite entreprise. Du côté de la CGPME, ce ne serait pas une source de blocage.

J'ai une expérience, qui a trait à la gestion du plus important Organisme paritaire collecteur agréé, l'AGEFOS PME. Tout a lieu désormais dans un cadre informatisé. Les affaires les plus délicates sont davantage l'œuvre de spécialistes, qui ne sont pas forcément sur notre territoire et qui interviennent, à travers l'informatique. Il est donc important que nous mettions en place des systèmes d'investigation permettant, par des sondages, d'identifier les responsabilités et de savoir qui détient les justificatifs. C'est ainsi que, dans le cadre de l'AGEFOS, nous avons des conventions de partenariat avec la Fédération de la formation professionnelle, de sorte qu'on gagne en efficacité en déterminant les tâches de chacun. Cela permet, lorsque l'on constate une anomalie, d'être plus efficace et d'en cerner le champ.

M. le Président : Est-ce qu'avec du bon sens, on ne pourrait pas résoudre déjà certains problèmes ? Une simple visite pourrait empêcher qu'on déclare 200 faux chômeurs dans un local de 40 mètres carrés ou qu'on héberge des centaines de fausses entreprises dans des plates-formes de bureaux. Ne pourrait-on pas prendre rapidement certaines mesures de ce genre ? Même au niveau informatique, des recoupements pourraient être possibles.

M. Jean-François VEYSSET : Le bon sens nous oblige à aller dans la direction que vous proposez. Mais un problème d'effectifs se pose. Le nombre de dossiers à traiter dans les Assédic est tel que les acteurs du contrôle ne disposent pas du temps suffisant pour faire des constats. Mais peut-être, à l'instar de ce qui a été fait pour le travail dissimulé, pourrait-on bénéficier de l'appui d'un certain nombre de services sous l'autorité du ministère de la défense ou du ministère de l'intérieur pour effectuer les vérifications.

M. le Président : Selon vous, les moyens nécessaires seraient tels que l'Unédic devrait s'appuyer sur des partenaires ?

M. Jean-François VEYSSET : Oui, mais le problème est dû également au fait que l'État souhaite préserver son autorité. À partir de là, si on veut clarifier les rôles, il faudra certainement prévoir une réunion avec les responsables de ces activités sous l'autorité du directeur général de l'Unédic pour qu'il sache s'il peut s'appuyer sur une collaboration d'État.

M. le Président : Est-ce qu'il ne faudrait pas commencer par la collaboration avec les URSSAF ?

M. Jean-François VEYSSET : Oui, de toute façon, c'est clair.

M. Georges TISSIÉ : La première demande de la direction générale est bien de pouvoir bénéficier le plus rapidement possible de toutes les informations recueillies par les URSSAF dans leur mission de contrôle.

M. Jean François VEYSSET : Sur ce point, il y a coordination, y compris avec le terrain.

M. Georges TISSIÉ : Bien évidemment, il y a des mesures de bon sens à prendre. Ce type de fraudes est possible grâce aux faux papiers. Des détecteurs de faux papiers ont été mis en place. Un fichier de références d'entreprises suspectes est également en cours de constitution.

M. le Président : Savez-vous que la CNAMTS a signé une convention avec la police nationale ? Ce type de conventions vous paraît-il souhaitable ?

M. Jean-François VEYSSET : Je ne vois pas quel administrateur ou quel représentant au bureau de l'Unédic pourrait s'y opposer.

M. le Président : Votre sentiment vous paraît-il refléter celui de toutes les parties représentées au conseil d'administration de l'Unédic ?

M. Jean-François VEYSSET : S'il doit y avoir des freins, ils viendront davantage des organisations de salariés. Mais les dérives sont trop importantes face aux manques de moyens pour que les responsables, au plus haut niveau, n'accompagnent pas cette démarche.

M. Jean-Pierre LE RIDANT : On a fait en sorte que les déclarations d'entreprises soient simplifiées. Cela peut favoriser les dissimulations. Faut-il maintenir cette grande facilité ? Ou bien faut-il s'engager vers des contrôles très stricts dès la déclaration d'une entreprise ?

M. Georges TISSIÉ : Les greffes des tribunaux de commerce se contentent de la photocopie d'une carte d'identité pour la déclaration.

M. le Président : Et pas forcément de la personne qui va déclarer l'entreprise.

M. Jean-François VEYSSET : Il est aberrant qu'on ne vérifie pas que la personne concernée est bien salariée de l'entreprise. Encore une fois, l'entreprise communique des éléments. Elles sont même tenues d'établir des déclarations préalables d'embauche.

M. le Président : A qui sont transmises ces déclarations préalables d'embauche, une fois que l'URSSAF les a reçues ?

M. Jean-François VEYSSET : Cela pourrait alimenter une banque de données très spécifiques, à laquelle on pourrait avoir recours en cas de doute. Cela dit, je ne suis pas sûr qu'au niveau de la protection des libertés individuelles, ce soit accepté.

M. le Président : Nous allons interroger la CNIL sur ce sujet. Toutes ces fraudes partent de sociétés écrans. Il est choquant qu'on puisse créer des dizaines ou des centaines de sociétés pour un euro. L'escroquerie part de là. N'y a-t-il pas, selon vous, un devoir de moralisation et de transparence ?

M. Jean-François VEYSSET : Nous sommes pour la moralisation. Chaque fois que je participe à une réunion sur ces thèmes, je n'ai pas peur de dire, en tant que représentant patronal, que nous souhaitons que de tels faits soient éradiqués. Il est trop difficile aujourd'hui d'assurer la survie d'une entreprise et son équilibre pour ne pas être à côté de ceux qui combattent les dérives.

M. le Président : On pourrait créer un fichier national, et exiger un plus grand respect, de la part du tribunal de commerce, de l'obligation de publier les résultats.

M. Jean-François VEYSSET : Dans une petite entreprise, les déclarations à remplir sont si nombreuses qu'il est surprenant qu'elles ne soient pas utilisées dans les contrôles. C'est le reproche que je fais à l'INSEE et à la DARES (71) lorsqu'ils nous communiquent des résultats d'études : pourquoi ne se servent-ils pas de tous les documents que leur transmettent les petites entreprises, au lieu d'extrapoler à partir des données fournies par les grandes ou les moyennes entreprises ? Même sur l'emploi, on dispose de très peu de données qui ne soient pas issues de la proratisation des entreprises de plus de 50 salariés.

M. Daniel PRÉVOST : En effet, un employeur doit fournir de nombreuses déclarations pour l'embauche, la médecine du travail, etc. Les contrôles de l'URSSAF qui ont lieu tous les trois ans, peuvent être suivis d'un contrôle fiscal.

Le système des micro-entreprises est peut-être aussi source de dérives, mais en même temps des secteurs d'activité comme le bâtiment sont pourvoyeurs d'emplois. En tant que maires ou gérants de collectivités locales, nous sommes amenés à faire des appels d'offres et à vérifier un certain nombre d'éléments - que les entreprises ont bien payé les congés payés, qu'elles sont en règle avec l'URSSAF, etc. Mais certaines entreprises ont des sous-traitants. Et pour les entreprises, on ne dispose pas de références concernant les employés qui viennent sur les chantiers. Qu'en pensez-vous ?

M. Jean-François VEYSSET : Dans l'attente d'une référence définitive, on devrait pouvoir, au lieu de marquer sur les documents « en cours », disposer d'un numéro provisoire de SIREN (72). On utilise bien un numéro provisoire pour les voitures. Pourquoi ne pas le faire pour les entreprises ?

On en devient primo-ayant droit aux indemnités de chômage qu'après un certain délai d'existence. Il faudrait donc qu'il y ait un peu plus de rigueur dans la manière dont on enregistre l'existence d'une entreprise et il est surprenant qu'on puisse aussi facilement créer une fausse identité entrepreneuriale, ou qu'il ne soit pas possible de faire des vérifications. Surtout quand on voit ce qu'on arrive à obtenir, par Internet ou par minitel, sur les entreprises interlocutrices ou concurrentes de la sienne !

M. le Président : En effet, on a du mal à expliquer comment on peut créer rapidement des centaines de sociétés qui disparaissent au bout de quelques mois.

M. Jean-François VEYSSET : Désormais, tout passe par l'informatique. Il est donc possible de percevoir très rapidement des sommes assez importantes avant qu'on ne découvre le piratage. Cela existe dans tous les domaines.

M. le Président : Y compris les banques.

M. Jean-François VEYSSET : En général, elles n'aiment pas beaucoup parler des détournements dont elles font l'objet de la part de leurs propres collaborateurs.

M. le Président : Même pour la carte Vitale.

M. Jean-François VEYSSET : Dès la première carte Vitale, nous aurions souhaité une identification.

M. Georges TISSIÉ : Et on nous a expliqué pendant des années qu'on ne pouvait pas mettre une photo sur la carte Vitale parce que c'était techniquement impossible et que c'était beaucoup trop cher. Le coût de la « non photo » aurait pu être évalué en regard des pertes liées à l'absence de photo !

M. le Président : C'est un débat qui a longtemps agité les parlementaires.

M. Jean-François VEYSSET : Il y a encore une très forte régionalisation du suivi du patient. C'est un handicap. Par rapport à un dispositif national, il faut avoir la possibilité de croiser des référencements au niveau national. Il ne faut plus permettre qu'une personne qui se fait opérer à Marseille puisse prêter sa carte à quelqu'un pour se faire opérer à Lille ou à Strasbourg. Il y a encore à faire, de même au niveau des Assedics et du Groupement des Assedic de la région parisienne, le GARP.

M. Daniel PRÉVOST : Combien d'entreprises représentez-vous en France ?

M. Georges TISSIÉ : Nous regroupons 350 organisations professionnelles et territoriales.

M. Jean-François VEYSSET : Nous représentons des branches, dont une cinquantaine en commun avec le MEDEF. Horizontalement, notre tissu est structuré autour des départements. Notre difficulté, aujourd'hui, est de faire vivre le niveau régional. Nous avons eu du mal à rassembler les départements de la région autour de réels interlocuteurs.

M. le Président : Nous vous remercions.

Audition de M. Jean-Claude Quentin,
secrétaire confédéral de Force Ouvrière


(18 octobre 2006)

Présidence de M. Dominique TIAN, président et rapporteur

M. le Président : La mission a souhaité recevoir tous les administrateurs de l'Unedic et je vous remercie d'avoir répondu à cette invitation.

M. Jean-Claude QUENTIN : Vous avez reçu la présidente de l'Unedic, son vice-président, son directeur général et le directeur de la prévention des fraudes qui ont abordé la question de la fraude qui vous intéresse. Je tiens à dire clairement que jamais, ni au bureau, ni au conseil d'administration de l'Unedic, il n'y a eu de véritable débat sur la question des fraudes. Elle a été évoquée une fois. On nous a transmis un document au mois de février 2006. Depuis, plus rien. Les personnes qui sont venues vous parler l'ont fait de leur propre chef, sans aucune délibération de l'instance gestionnaire du bureau de l'Unedic, ni a fortiori du conseil d'administration.

Au conseil d'administration du 5 juillet 2006 ont été présentés les comptes 2005 de l'Unedic, ainsi que la certification par les commissaires aux comptes. J'ai alors fait la remarque qu'il était étrange que l'on certifie les comptes, alors que des fraudes relativement importantes ont été portées à la connaissance de tous. J'ai demandé qu'on formule au moins une réserve, ce qui était le minimum, ne serait-ce que pour préserver l'avenir - s'il apparaissait, par exemple, des complicités internes. Si, dans une institution, de l'argent est dépensé de manière non conforme à ses statuts et à son objet, le commissaire aux comptes doit faire une réserve. Or les commissaires n'en ont rien fait. Il fallait que ce soit dit.

M. le Président : Que vous a-t-on répondu ?

M. Jean-Claude QUENTIN : Que le rôle des commissaires aux comptes se bornait à certifier les chiffres et à vérifier que les sommes étaient dépensées conformément aux règles. Reste que, selon moi, cela méritait une réserve.

Autre remarque : aujourd'hui, il n'existe pas à l'Unedic de réelle culture de l'évaluation. Cela signifie qu'on dépense de l'argent à l'aveugle. Premier exemple : depuis l'année 2001, l'Unedic a versé à peu près cinq milliards d'euros dans le cadre du Plan d'aide au retour à l'emploi (PARE) ; or on n'a jamais fait le moindre bilan de ce dispositif. Le discours se résume à dire que cela marche bien. Second exemple : le placement des chômeurs par des opérateurs privés. L'Unedic explique qu'ainsi, on avait pu économiser 24 millions d'euros d'indemnisations, puisqu'on reclassait mieux les chômeurs. J'ai fait la démonstration au bureau de l'Unedic que l'évaluation de cette opération était totalement fausse et que sur ces 24 millions, on n'en avait économisé à peu près aucun. La société privée qui participe à ce dispositif avait par contre engrangé un bénéfice de 10 millions d'euros, alors que ses résultats n'étaient pas meilleurs que ceux constatés à l'ANPE.

M. le Président : Ce n'est pas tout à fait le débat.

M. Jean-Claude QUENTIN : Certes, mais je voulais parler de cette absence de culture de l'évaluation. Si on n'a pas cette culture, le jour où l'on a des problèmes comme celui de la fraude, on n'a pas les moyens de le traiter. Il existe bien aujourd'hui une cellule de prévention des fraudes, mais elle comprend au maximum sept personnes, qui n'y travaillent pas à temps plein.

M. le Président : Est-ce une volonté de la part de FO d'aller vers plus de contrôle, vers une organisation nouvelle permettant de lutter contre cette fraude massive ? Ce genre de sujet n'est pas évoqué au conseil d'administration, et on a l'impression qu'il n'y a pas une grande mobilisation sur ce sujet.

M. Jean-Claude QUENTIN : J'ai aussi ce sentiment. La logique de simplification administrative aboutit à ce que, aujourd'hui, avec 50 euros, vous alliez à la chambre de commerce et vous déclariez en une demi-heure une entreprise, sans que personne ne vous ait demandé si vous étiez capable de la gérer, quel était votre projet d'entreprise, ni comment vous comptiez gagner de l'argent. Par la suite, personne ne viendra non plus vérifier que votre entreprise existe et qu'elle est bien domiciliée à tel endroit. Cette absence de contrôle permet toutes les dérives.

Pour l'Unedic comme pour d'autres organismes la logique de l'allégement des contrôles administratifs sur les déclarations d'entreprises et leur fonctionnement pose problème et se situe à la source du risque auquel nous sommes aujourd'hui confrontés.

Aujourd'hui, à la Martinique ou en Guadeloupe, une pratique en développement consiste à créer des « micro groupes » - plusieurs entreprises de moins de dix salariés -, ce qui permet d'échapper à certains contrôles. J'en ai parlé au directeur départemental du travail en lui disant qu'on devrait pouvoir redéfinir une Unité économique et sociale, une UES, qui regrouperait l'ensemble. Il n'y aurait qu'à se procurer les K-bis. Il m'a répondu que le seul problème, est qu'ils n'étaient jamais mis à jour.

M. le Président : On s'aperçoit que les fraudes massives partent de coquilles de sociétés écrans créées par dizaines ou par centaines, qui déclarent ensuite de faux chômeurs qui pointent aux Assedics et sont indemnisés.

M. Jean-Claude QUENTIN : Autre problème : l'Unedic ne fonctionne que selon un système déclaratif. Il n'existe pas de procédure de contrôle. Il n'existe pas, notamment, de déclaration nominative des salariés par l'entreprise au moment où elle paie les cotisations. Cela facilite le travail clandestin et la sous-estimation des masses salariales.

Quand l'Unedic indemnise quelqu'un, elle ne fait pas référence à la globalité des cotisations versées pour ouvrir des droits à l'assurance-chômage, mais demande à l'entreprise de déclarer les cotisations qu'elle a versées au titre de la personne qui vient s'inscrire comme demandeur d'emploi. Il est relativement rare qu'une entreprise licencie tous les salariés en même temps. Même si vous sous-évaluez votre masse salariale, si vous ne payez qu'une partie des cotisations que vous devez à l'Unedic, le jour où une personne vient s'inscrire comme demandeur d'emploi, l'entreprise n'a aucune difficulté à démontrer qu'elle a payé les cotisations pour cette personne.

Les branches dans lesquelles cela se produit sont celles où le travail clandestin est le plus important : le bâtiment, l'hôtellerie-restauration, l'agriculture, le spectacle. Il faudrait instituer une collaboration entre l'Unedic et la Délégation interministérielle de contrôle du travail illégal, la DILTI. Il faudrait inciter l'Unedic et les Assedic à être plus sélectives ou plus prudentes au moment où des indemnisations sont générées dans ces secteurs.

Il ne s'agit pas nécessairement de créer une armée de contrôleurs. Mais avant de déclencher des indemnisations, il faudrait que les Assedic aient une meilleure connaissance de proximité du tissu économique et industriel dans lequel évolue l'assurance chômage. Il y a vingt-cinq ans, existait une cellule de conversion, qui devait suivre les restructurations effectives ou probables. Au niveau régional, ces cellules de conversion avaient une connaissance remarquable du tissu économique ; elles connaissaient presque personnellement les entreprises à risque.

M. le Président : L'URSSAF les connaît. Pourquoi ne pas s'appuyer sur cet organisme qui est très présent sur le terrain et avec lequel existe un certain cousinage ?

M. Jean-Claude QUENTIN : Je vous suis sur ce genre de propositions. J'ai appris que l'Unedic suggérait de créer un corps d'inspecteurs ou de contrôleurs assermentés en son sein, et je dis « non ». Les contrôleurs assermentés des URSSAF devraient avoir pour mission d'investiguer dans les différents domaines du financement de la protection sociale, venir éventuellement à l'Unedic faire des propositions en matière de fonctionnement administratif et de contrôle. Pourquoi recréer un corps à l'intérieur de l'Unedic ? L'élargissement du corps des contrôleurs assermentés des ACOSS et des URSSAF serait une bonne solution.

M. le Président : La Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés, CNAMTS, a signé une convention avec la police nationale, relative à la détection des fraudes. Y êtes-vous favorable ?

M. Jean-Claude QUENTIN : Oui. Et, autant que je sache, c'est un général de gendarmerie qui dirige aujourd'hui la structure chargée de suivre le travail illégal. Un exemple : Il y a quelque temps, j'ai été informé de la tenue d'un grand festival du cirque dans la région parisienne. J'apprends que les musiciens viendraient travailler sans contrat. J'appelle le conseiller social du ministre de la culture qui me répond qu'il faut saisir la préfecture. La préfecture me dit qu'on ne peut pas faire de contrôles, d'autant que cela tombe un samedi et un dimanche. Je n'ai su la vérité qu'un peu plus tard : la préfecture ignorait la procédure par laquelle on pouvait contrôler un employeur quel qu'il soit, y compris le week-end. J'en ai parlé au colonel de gendarmerie, qui m'a dit qu'il aurait fallu lui téléphoner, car la gendarmerie était tout à fait capable de mener ce genre de contrôles.

Pour ce type de procédures et de conventions, il faut avoir une bonne connaissance pratique du terrain. L'Unedic doit donc améliorer sa connaissance du terrain, mais elle ne peut pas le faire toute seule. Créer un corps de contrôle ne me semble donc pas utile.

S'agissant de la confidentialité d'un certain nombre d'informations, je considère qu'il faut en rester au stade actuel. Je préfère qu'il y ait, à l'URSSAF, un corps de contrôleurs assermentés ayant accès à certaines informations. Si on élargit l'accès à des informations confidentielles sur les individus, un jour on arrivera à Big Brother et tout le monde saura tout sur tout le monde. Ce type de contrôles doit se faire, mais dans un cadre restreint et parfaitement contrôlé.

M. le Président : Vous avez insisté tout à l'heure sur le fait qu'il n'y a pas eu de débat au sein du conseil d'administration de l'Unedic et vous avez évoqué le problème d'une complicité interne.

M. Jean-Claude QUENTIN : J'ai parlé de complicités internes « éventuelles ». S'il y en avait et que j'en avais la preuve, je vous le dirais.

Cela existe, mais ne concerne pas la fraude à caractère mafieux qui vous intéresse. Il y a eu des problèmes avec certains agents qui ont éludé certains aspects de la procédure d'inscription et de contrôle des demandeurs d'emploi pour faciliter l'indemnisation d'une personne de leur famille. Pour autant, ces fraudes ont un caractère très minime.

M. le Président : Selon vous, ce type de fraudes ne serait pas lié aux affaires industrielles à grande échelle ?

M. Jean-Claude QUENTIN : Non, mais le développement des pratiques mafieuses pourrait y conduire.

M. le Président : Nous sommes surpris par le niveau de sophistication des fraudes. Les kits sont parfaits, les questions sont préparées à l'avance. Cela devrait éveiller des soupçons sur certaines personnes qui se seraient prêtées à ce type de pratiques.

M. Jean-Claude QUENTIN : Cela peut exister, et c'est d'autant plus dangereux qu'on est dans des logiques à caractère mafieux. Ce n'est pas le salarié de l'Unedic qui en prendrait lui-même l'initiative, mais il y serait amené par diverses pressions extérieures. C'est une éventualité à ne pas négliger.

Par ailleurs, la falsification des documents est assez facile. L'Unedic gagnerait à améliorer la sécurisation de certains documents, comme la déclaration employeur. Cette dernière est l'élément déterminant qui déclenche l'indemnisation. Il faudrait qu'elle soit beaucoup moins falsifiable.

Aujourd'hui, certaines entreprises, lorsqu'elles éditent des feuilles de paye, utilisent des trames et des jeux de couleur pour rendre plus difficile leur scannerisation. Des imprimeurs se sont également spécialisés dans ce type de documents dont la copie et la falsification sont plus difficiles.

Je remarque aussi que les Assedic ne reçoivent les chômeurs que le jour où ils viennent s'inscrire. Elles leur demandent ensuite de venir préciser, actualiser leur situation par téléphone, Internet, courrier ou autre. Or, si une fraude n'était pas détectée au moment de l'inscription, on aurait peut-être une chance de la détecter lors d'un deuxième ou troisième rendez-vous.

Je ne souhaite pas faire des agents de l'Unedic des contrôleurs permanents. Mais le fait de demander au demandeur d'emploi de venir plus fréquemment pour contrôler sa situation me semblerait une bonne chose.

Aujourd'hui, quand on contrôle un chômeur, c'est pour lui faire remarquer que c'est un « feignant ». On ne cherche pas à faire des vérifications en posant des questions simples, du style : que faisiez-vous il y a six mois, où étiez-vous ? En procédant ainsi, on devrait être capable de cerner assez vite s'il s'agit d'un demandeur d'emploi « fictif ».

Il est vrai, par contre, que les droits qui sont ouverts sont relativement courts car il s'agit souvent de travail précaire : les intéressés ont travaillé six mois dans les douze derniers mois pour bénéficier de sept mois d'indemnisation. Compte tenu de cette pratique des entreprises du travail précaire, certains éléments deviennent difficilement contrôlables.

Je pense qu'on découvrira plus de 80 millions d'euros de fraudes. Cela dit, il faut relativiser ce chiffre. Aujourd'hui, l'Unedic perçoit à peu près 2 milliards d'euros par an au titre des cotisations versées dans le cadre des contrats précaires. Elle verse, en termes d'allocations générées par ces types de contrats, 8 milliards d'euros. Son rôle vis-à-vis du travail précaire pose donc problème. Les entreprises assoient la flexibilité de leur gestion du personnel sur l'indemnisation du chômage. Il est clair qu'aujourd'hui un salarié n'accepterait pas un contrat à durée déterminée de six mois s'il ne savait pas qu'à la fin il y aura le « matelas » de l'assurance chômage. Et l'entreprise n'utiliserait pas aussi facilement le travail précaire si elle ne savait pas qu'au bout du compte le salarié pourra percevoir un minimum vital. Pour l'assurance chômage, le travail précaire est une vraie question.

M. le Président : Tout à fait. Je constate que vous ne pratiquez pas la langue de bois.

M. Jean-Claude QUENTIN : C'est en effet une réputation qu'on m'accorde habituellement...

M. le Président : Merci beaucoup.

Audition de M. Maurad Rabhi, secrétaire confédéral de la Confédération générale du travail (CGT) et de M. Éric Aubin, responsable de la fédération construction de la CGT

(18 octobre 2006)

Présidence de M. Dominique TIAN, président et rapporteur

M. le Président : Je vous rappelle que nous nous intéressons plus particulièrement aux fraudes massives à l'assurance chômage, à caractère industriel, très organisées. Nous avons bien sûr reçu les responsables de l'Unedic, et nous souhaitons aujourd'hui savoir comment les représentants des syndicats voient les choses, comment ils pensent que cela a été possible, comment ils préconisent de lutter contre ces dérives.

M. Maurad RABHI : Pourriez-vous tout d'abord nous indiquer pourquoi la presse exploite tout particulièrement sur ce sujet depuis deux jours ?

M. le Président : Il semble que c'est tout simplement parce que des documents, que nous-mêmes n'avons pas, ont été remis à la presse. Nous préférerions travailler sereinement et communiquer au moment de la remise de notre rapport, conformément à la tradition.

M. Éric AUBIN : Pour notre part, nous considérons qu'il y a, au sein de l'Unedic, des problèmes de fonctionnement sur ces questions. En effet, alors qu'il s'agit d'un organisme paritaire disposant d'un conseil d'administration et d'un bureau auxquels siègent des représentants des syndicats, nous constatons qu'il n'y a au sein du bureau aucun débat sur des sujets de cette importance. Nous avons l'intention de le mettre en avant lors de la remise à plat du système qui est envisagée. Les problèmes ne sauraient être réglés uniquement entre la présidente, le vice président et le directeur général. Les syndicats doivent pouvoir jouer pleinement leur rôle, et je regrette que ce ne soit pas le cas.

Ainsi, sur cette affaire de fraude, il y a bien eu une note distribuée lors d'une réunion de bureau, mais il faut savoir que nous disposons d'environ quatre heures pour examiner la quinzaine de points inscrits à l'ordre du jour et que nous n'avons donc pas le temps de débattre des notes qui nous sont distribuées au moment de la réunion.

M. Maurad RABHI : La critique sur le fonctionnement du paritarisme n'est pas seulement de principe : le fait que certains sujets soient chasse gardée pose de vrais problèmes. Pourquoi n'est-il pas possible d'obtenir que ce dossier soit mis à l'ordre du jour ? Que l'on nous délivre des informations ? Que l'on débatte ouvertement ? On ne saurait considérer que les syndicats ont pour seul rôle de valider la désignation de l'avocat qui s'occupera de telle ou telle affaire.

À l'évidence, il n'y a pas de culture de l'évaluation et de la négociation au sein de l'Unedic ; nous ne disposons pas des informations dont nous avons besoin ; le conseil d'administration ne sert plus à rien ; les limites du rôle du bureau apparaissent quand les décisions sont prises à deux ou trois personnes.

M. Éric AUBIN : Le sujet a bien été inscrit à l'ordre du jour au moment où la presse en a parlé. Il y a eu alors un vote du bureau et un communiqué de l'Unedic, mais nous n'avons en aucun cas disposé du temps nécessaire pour en débattre. En fait, c'est tout le fonctionnement qui est à revoir car, pour nous, le débat devrait avoir lieu au sein du conseil d'administration qui est le véritable organe décisionnel.

M. le Président : Je suppose que vous avez le sentiment que l'argent qui a été détourné par des organisations mafieuses à l'occasion de ces fraudes aurait été mieux utilisé à améliorer l'indemnisation du chômage ?

M. Éric AUBIN : En effet, nous préférerions que l'argent serve aux demandeurs d'emplois qui en ont bien besoin. Mais, je le répète, le débat à ce propos n'a pas eu lieu.

Pour ma part, il me semble indispensable de relier cette affaire au dossier de la main-d'œuvre illégale dans certains secteurs d'activité comme le BTP, où le fait que des centaines d'entreprises soient en sommeil pose des problèmes d'utilisation des travailleurs au noir et de fraudes à l'Unedic. En la matière, c'est sans doute au législateur d'intervenir pour faire en sorte que des entreprises ne puissent pas aussi facilement être mises en sommeil et y rester.

M. le Président : Notre mission aura sans doute à revenir sur le problème des sociétés écrans qui « créent » ensuite de faux chômeurs. Il faudrait aussi voir comment l'Unedic peut mieux contrôler les activités de ces entreprises.

M. Éric AUBIN : Les moyens de l'Unedic sont limités. Alors qu'il serait souhaitable que l'ensemble des agents puissent aider à ce contrôle, aujourd'hui il est vécu comme une délation car il ne s'inscrit pas dans un véritable projet.

M. le Président : Cela tient-il à des raisons psychologiques et au fait que les salariés considèrent que ce n'est pas leur travail, ou refusent-ils d'assurer ce contrôle parce qu'ils ne sont pas associés à l'ensemble du processus de décision ?

M. Éric AUBIN : Il y a un peu des deux. Pour l'instant, ils refusent d'entrer dans ce qu'ils considèrent comme une forme de délation et il faudrait donc une véritable évolution culturelle au sein de l'Unedic, où les salariés ne se sentent pas directement concernés par le contrôle qu'ils voient plutôt comme un outil au service de la direction. Or, au regard de la faiblesse des moyens de l'Unedic, il est évident que si les agents ne s'y mettent pas, on n'a guère de chance de remporter la partie.

M. Maurad RABHI : Il conviendrait aussi de se tourner vers la CNIL pour voir comment faciliter le croisement des informations entre l'URSSAF et l'Unedic. Aujourd'hui, il est très facile d'ouvrir des droits à l'assurance chômage : il suffit de connaître un chef d'entreprise ou un petit commerçant qui cotise pendant sept mois et que l'on rembourse ensuite, une fois les droits ouverts.

En dehors de la vérification du fait que les personnes ont effectivement travaillé et cotisé à l'ensemble des caisses, l'Unedic n'a pas la possibilité de mener un contrôle efficace. On a donc bien besoin de croiser les fichiers, ce qui permettrait rapidement de gagner en efficacité. Ainsi, les 80 millions d'euros détournés pourraient revenir aux demandeurs d'emploi.

M. le Président : Cela paraît tout à fait souhaitable.

En fait, n'avez-vous pas l'impression que c'est tout simplement le bon sens qui fait ici défaut ? Quand des dizaines de salariés sont censés travailler dans des sociétés qui n'existent pas, dans des locaux de 40 m; quand 20 gérants créent 800 sociétés, ne suffirait-il pas d'un minimum de contrôle pour améliorer les choses ?

M. Éric AUBIN : Sans doute, mais il faut aussi y mettre les moyens. Or aujourd'hui, on a tendance à tout compter, y compris le temps que l'on passe avec les demandeurs d'emploi. Bien sûr, il est possible de détecter des anomalies mais pour cela il faut au moins avoir le temps de poser quelques questions. À défaut, on mise sur le hasard pour détecter les fraudes.

M. Maurad RABHI : Il faut quand même relativiser l'ampleur du phénomène dont nous parlons car il ne faudrait pas qu'au prétexte de mieux lutter contre les fraudes, le travail de votre mission ne soit utilisé pour durcir le contrôle des demandeurs d'emploi.

M. le Président : Le représentant d'un autre syndicat a insisté sur la nécessité de rencontrer les demandeurs d'emploi, non seulement pour améliorer le contrôle, mais aussi pour renforcer le lien social.

M. Éric AUBIN : Il est vrai qu'il y a des choses que l'on ne peut pas traiter au téléphone. Le problème tient en effet à la fois au lien social et au contrôle.

M. Daniel PRÉVOST : On peut s'étonner que les commissaires aux comptes aient attesté de la sincérité des comptes de l'Unedic plusieurs années de suite, alors que 80 millions d'euros se sont évadés.

M. Éric AUBIN : Ils l'ignoraient au moment où les comptes ont été certifiés. Pour sa part, le conseil d'administration, dont on vous a dit le mal qu'il avait à consulter l'ensemble des documents qui lui sont remis du jour au lendemain, a suivi les commissaires aux comptes et a voté le budget.

L'approbation des comptes n'est pas à l'ordre du jour du prochain conseil d'administration. Toutefois, au vu des derniers éléments, nous demandons qu'il débatte des conséquences que ces affaires peuvent avoir sur les comptes de l'Unedic. Nous avons aussi l'intention d'examiner de très près comment sortir de cette situation et comment éviter, si ce n'est l'ensemble des fraudes, du moins celles d'une telle ampleur.

M. le Président : Il me semble que le fait pour un agent de refuser les documents qui lui sont présentés l'expose à des risques physiques. L'intérêt même de l'Unedic est donc de trouver des moyens de contrôle plus efficaces, en amont.

M. Éric AUBIN : Les agents considèrent que ce n'est pas leur rôle, qu'on leur impose cette tâche et un certain nombre d'entre eux refuse de contrôler les papiers des demandeurs d'emploi. Il convient donc effectivement de développer des outils, notamment informatiques. Cela suppose en particulier de disposer de listes nominatives des salariés et, peut-être, de croiser les fichiers afin de détecter les faux salariés et les faux employeurs.

M. Maurad RABHI : Il faut savoir que les agressions au guichet se multiplient et qu'elles sont désormais non seulement verbales mais aussi physiques. Récemment, l'Unedic a porté plainte contre un demandeur d'emploi pour cette raison. Ces problèmes risquent de se multiplier, et je pense, moi aussi, que la réponse se situe plutôt dans des systèmes informatiques performants, nominatifs, permettant de vérifier si les personnes ont effectivement cotisé à différentes caisses.

M. Jean-Pierre LE RIDANT : Certains évoquent la création d'un corps de contrôleurs assermentés au sein de l'Unedic. Pour votre part, vous ne semblez pas en voir l'utilité.

M. Éric AUBIN : Les agents ne sont pas assermentés et ne souhaitent pas l'être. Il paraît difficile dans ces conditions de constituer un corps assez nombreux pour être efficace.

S'agissant du croisement des dossiers, la CNIL ne nous a jamais répondu, mais il semble que, dans le cadre du dossier unique, ce soit l'intervention de cabinets privés qui pose problème.

M. le Président : Nous recevrons prochainement un représentant de la CNIL et nous lui soumettrons cette question.

M. Éric AUBIN : Elle se pose également dans le cadre des maisons de l'emploi, mais il est vrai qu'il s'agit du respect d'une liberté et il est donc indispensable de connaître la position de la CNIL.

M. le Président : Je vous remercie d'avoir participé à cette audition.

Audition de M. Christian Kalck, chef de la brigade de répression de la délinquance astucieuse (BRDA) à la préfecture de police de Paris

(18 octobre 2006)

Présidence de M. Dominique TIAN, président et rapporteur

M. le Président : Nous avons reçu un représentant de la police judiciaire, nous recevrons la semaine prochaine la gendarmerie nationale. Nous aimerions aussi avoir votre sentiment à propos de ces phénomènes de fraude aux Assédic à caractère industriel, massif et très organisé.

M. Christian KALCK : Le versement des prestations sociales, comme celui de toute source de revenus, engendre la fraude, les auteurs d'escroqueries s'insérant dans le circuit de versement pour percevoir les prestations de manière indue.

Si ce phénomène n'est pas nouveau, la commission de ces escroqueries par de véritables bandes organisées en multiplie le nombre et la portée. C'est ainsi qu'à une multitude d'individus, appartenant le plus souvent à une même ethnie et ne remplissant pas les conditions de perception, des prestations chômage sont indûment servies.

La Brigade de répression de la délinquance astucieuse (BRDA) de la direction régionale de la police judiciaire de la préfecture de police de Paris n'est que l'un des multiples services saisis des escroqueries commises au préjudice des Assédic, à côté de la direction centrale de la police judiciaire, de la Gendarmerie nationale qui a créé une cellule idoine, et de nombreux services locaux.

La BRDA traite actuellement vingt-huit dossiers sans lien entre eux, portant sur 609 faux allocataires, mettant en cause plus de 160 sociétés, et représentant pour les Assédic un préjudice de 4 842 154 euros. Sept dossiers ont à ce jour abouti à l'identification et à l'interpellation de quinze faussaires et organisateurs de réseaux d'escroqueries commises en bande organisée.

Notre service a inscrit la lutte contre la fraude aux prestations sociales dans le plan annuel de performance de la direction régionale de la police judiciaire de Paris.

L'étude de ces cas a permis de mettre en évidence un mode opératoire unique mis en place par des malfaiteurs organisés exploitant les failles non seulement des mécanismes d'indemnisation du chômage mais plus généralement du système de création et d'immatriculation des sociétés. À partir de ce constat, il est possible de proposer des réflexions susceptibles de réduire ces escroqueries.

Celles-ci reposent, comme je l'ai dit, sur un mode opératoire unique, dont la première étape consiste à immatriculer une société au registre du commerce et des sociétés dans un domaine d'activité où la main-d'œuvre est très mobile et le travail dissimulé très présent, comme en particulier le BTP et la confection.

Cette société créée avec un gérant de paille ou sous une fausse identité, fonctionne alors sur une période très courte, puis elle cesse son activité soit par la liquidation judiciaire, soit parce qu'elle est radiée d'office à la demande de l'URSSAF pour non-versement de la part patronale de cotisations.

À partir de la cessation d'activité, un dossier complet comprenant lettre de licenciement, faux contrat de travail, faux bulletins de paie, etc. est remis aux travailleurs clandestins en guise de paiement. Ces dossiers appelés communément « kits Assedic» sont également vendus entre 1 500 et 2 000 euros pièce dans des lieux publics - cafés, marchés, etc. Pour les confectionner, ces sociétés se font délivrer, directement ou par l'entremise de faux cabinets comptables, les attestations d'employeur nécessaires à la constitution des dossiers de demande d'indemnisation chômage au moyen des serveurs - ATEMI ou CIEL - mis en place par le Groupement des Assedic de la région parisienne (GARP). Elles ont le plus souvent leur siège dans des sociétés de domiciliation, et constituent de véritables officines qui servent à commettre d'autres escroqueries aux prestations sociales, ainsi que de multiples infractions : établissement de fausses factures, escroqueries au démarchage publicitaire et au crédit, blanchiment.

Ces escroqueries ne peuvent se commettre sans l'intervention de faussaires qui établissent les faux dossiers de demande d'indemnisation : fausses fiches de paie, faux contrats de travail, attestations Assedic vierges au nom de diverses sociétés... Ces dossiers sont si complets qu'ils vont même au-delà de ce qui est requis par les Assedic : ainsi, les fiches de paie sont systématiquement fournies alors qu'elles ne sont demandées qu'en l'absence de justificatif de paiement de salaire et jamais lors d'un premier rendez-vous.

Les faussaires, qu'ils agissent individuellement ou qu'ils soient regroupés au sein de pseudo cabinets comptables établissent ensuite les pièces du dossier très simplement, à partir de logiciels en vente dans le commerce. Puis ils diffusent les « kits » au moyen de revendeurs ou de rabatteurs auprès de diverses communautés dont ils sont le plus souvent originaires : Turcs, Pakistanais, ex-Yougoslaves...

Il n'est pas rare de trouver à la tête de ces réseaux des individus issus du grand banditisme voire évoluant dans la mouvance terroriste.

Si les enquêtes réalisées révèlent des escroqueries commises en bandes organisées animées le plus souvent par des individus issus d'un même pays, le terme de « mafia » semble inapproprié dans la mesure où il n'y a ni corruption, ni complicité des organismes publics. Si les faux allocataires appartiennent à une même communauté, c'est uniquement parce que ces dernières constituent l'essentiel de la main d'œuvre du secteur d'activité concerné.

M. le Président : Vous considérez qu'il n'est pas possible de parler de mafia dans la mesure où vous n'avez jamais soupçonné de complicités internes. Pourtant, la perfection des kits peut paraître suspecte.

M. Christian KALCK : Ils sont assez faciles à constituer puisque tout ce dont on a besoin est en accès libre.

Les acheteurs peuvent être classés en trois catégories.

La première est celle des étrangers en situation irrégulière, qui, n'ayant la plupart du temps pas de source de revenus sur le territoire national, se voient proposer de reverser une partie des allocations détournées en paiement des faux dossiers. Les emplois qu'ils sont censés avoir occupés correspondent aux postes de manutentionnaire dans le bâtiment, mécanicien dans la confection et sont la plupart du temps plausibles. Ces étrangers sont le plus souvent assistés, dans leurs démarches auprès des Assédic, d'interprètes qui sont soit des faussaires soit des revendeurs.

La deuxième est celle des étrangers en situation régulière mais n'ayant pas droit à l'assurance chômage, la difficulté tenant au fait que certains salariés ont réellement travaillé mais sans avoir été déclarés. Il s'agit soit de travailleurs clandestins qui ont reçu les kits Assédic en paiement de leurs prestations, soit de salariés abusés par leur employeur. La défense de ces faux allocataires consiste à faire croire à leur bonne foi, en apprenant par cœur le nom de leurs prétendus collègues de travail et un descriptif de leur poste de travail.

La troisième est constituée par des individus de toutes origines, attirés par le gain que représente la perception indue d'allocations de chômage. Ces derniers, qui, le plus souvent, tirent déjà leurs ressources de la délinquance, s'orientent vers des dossiers d'indemnisation pour cadres d'entreprises censés percevoir des salaires confortables. Leur profil ne correspondant pas à ces emplois, il est plus facile de se rendre compte de la fraude lors d'un entretien.

Il semble par ailleurs qu'une fraude originale se développe chez certains intermittents du spectacle, une association distribuant des attestations correspondant à des prestations artistiques qui sont en réalité fictives et non rémunérées pour permettre à ces derniers de remplir les conditions de perception de l'allocation de chômage spécifique à cette profession.

M. le Président : Je me demande si cela entre vraiment dans le champ de notre mission. Tout dépend en fait de l'ampleur du phénomène.

M. Christian KALCK : Nous voyons actuellement émerger de telles affaires, et il s'agit bien d'une fraude organisée.

J'ai également été saisi par le tribunal de grande instance de Bobigny du cas de personnes qui se sont organisées pour monter des dossiers afin de percevoir la prime à la réinsertion des détenus versée par les Assédic. Là aussi, il s'agit d'un phénomène émergent puisque l'on entend parler d'affaires identiques dans plusieurs maisons d'arrêt.

Pour tenter d'apporter des remèdes, il faut avant tout diagnostiquer les causes du phénomène.

Sans création de sociétés fictives, il n'est pas possible d'obtenir les imprimés indispensables à l'établissement d'un dossier qui passera les premiers contrôles. En effet, les premières vérifications portant sur la société, il faut qu'elle ait un minimum d'apparence.

Ainsi l'absence de contrôle tant de l'activité des sociétés que des dirigeants permet la création de sociétés à l'infini : une même personne peut se déclarer gérante d'un nombre incalculable de sociétés, ce qui favorise le recrutement de gérants de paille qui n'apparaissent que pour signer les statuts et procéder à l'ouverture d'un compte bancaire.

Le dépôt des comptes des sociétés qui doit s'opérer après la clôture de leur premier exercice auprès des greffes n'est pratiquement jamais effectué. De surcroît le non-respect de cette obligation n'est pas sanctionné, ce qui ne permet pas de juger de la réelle activité d'une société.

Les sociétés de domiciliation sont des écrans dont les escrocs - pas seulement d'ailleurs ceux qui fraudent les Assédic - se servent presque systématiquement. Il conviendrait de renforcer les conditions du recours à cette pratique pour rendre plus faciles les recherches portant sur l'existence réelle d'une société.

On constate par ailleurs une quasi-impunité des faux allocataires. Les juridictions de jugement n'ont malheureusement pas la possibilité de porter tous les dossiers à l'audience.

M. le Président : Pourquoi ?

M. Christian KALCK : Pour des raisons matérielles, le nombre de dossiers étant trop important.

Pour la plupart de ces fraudeurs, la seule sanction sera le remboursement des sommes indûment perçues, ce qui leur vaudra un abandon des poursuites mais leur aura permis de bénéficier pendant plusieurs mois d'une sorte de prêt à la consommation. Au regard des peines édictées par l'article 313-1 du code pénal de cinq ans d'emprisonnement et 375 000 euros d'amende, cette impunité ne peut que susciter un phénomène d'imitation.

M. le Président : Mais comment s'en prendre aux organisateurs, aux têtes de réseaux ?

M. Christian KALCK : Ils encourent des peines supérieures (7 ans d'emprisonnement et 750 000 € d'amende art 313-2 5° du code pénal) mais il paraît aussi important de lutter contre les faux allocataires car, à l'instar de ce qui se produit en matière de trafic de drogue, ce sont eux qui constituent la demande et, par voie de conséquence, génèrent l'offre.

M. le Président : Les peines vous paraissent-elles adaptées au regard du nombre important  de ces escroqueries ?

M. Christian KALCK : Cinq ans de prison et 375 000 euros d'amende, sont des peines conséquentes ! Le problème, c'est leur prononcé ...

M. le Président : Mieux vaudrait qu'elles soient moins lourdes et plus adaptées.

M. Christian KALCK : Il faudrait surtout qu'elles soient réellement prononcées. En tant que citoyen, je trouve immoral que ceux qui remboursent soient dispensés de peine. Si la fraude aux Assédic revient à prendre un crédit à la consommation, pourquoi s'en priver ?

Parmi les propositions, je rappelle pour mémoire l'indispensable connexion des fichiers des Assédic et de l'URSSAF. En effet, le système de fraude est largement favorisé par la déconnexion entre les divers services chargés du recouvrement des cotisations patronales et des prélèvements et de la redistribution des fonds à leurs bénéficiaires.

Il convient aussi de mieux vérifier l'identité des demandeurs, de relever les références des pièces d'identité produites à l'appui de l'ouverture du dossier et d'exiger la production d'une photographie d'identité jointe au dossier. Dans le même esprit il faudrait exiger que le futur allocataire se présente en personne pour déposer son dossier auprès des Assédic et limiter les procurations sur un même compte bancaire ou postal afin d'éviter que ce dernier ne soit destinataire de plusieurs allocations.

M. le Président : La démarche ne doit-elle pas être individuelle et personnelle ?

M. Christian KALCK : Si, mais les procurations sont possibles et les éléments d'identité ne sont pas relevés.

M. le Président : Les Assédic de Paris ont pourtant installé des détecteurs de faux papiers d'identité, des vérifications sont donc effectuées.

M. Christian KALCK : Je fais référence à des dossiers plus anciens qui m'ont été soumis. Ces appareils doivent être d'installation récente.

Pour lutter contre les escroqueries et le travail clandestin, une double déclaration faite à l'embauche, l'une par l'employeur, l'autre par le salarié, permettrait de réduire les risques : en l'absence de déclaration par l'employeur, le salarié ne pourrait se prévaloir d'une apparente bonne foi.

Il convient également de dénoncer rapidement les fraudes et de bloquer le versement des allocations pour éviter les préjudices élevés.

M. le Président : Tant qu'elles ne disposent pas effectivement d'une preuve, les Assédic hésitent manifestement à suspendre le versement des allocations à titre conservatoire, même si la situation leur paraît suspecte.

M. Christian KALCK : Elles fondent leur appréciation sur les éléments dont elles disposent. Mais on parle d'un préjudice très important, qui ne peut que s'aggraver si l'on continue à verser les prestations.

En qui concerne les employeurs, on peut préconiser le retour à une plus grande rigueur dans les formalités à accomplir pour la création d'entreprise, car ce serait le moyen le plus efficace de lutter non seulement contre la fraude aux Assédic mais aussi contre toutes les infractions commises à partir de sociétés fictives. Ainsi, la simplification des formalités exigées pour la création de sociétés telle qu'elle résulte de l'article 30 du décret du 30 mars 1984 et de l'arrêté du 9 février 1988, qui n'exigent que la production de copies de la pièce d'identité ou du titre de séjour, favorise la présentation de faux papiers lors de 1'immatriculation des sociétés par leurs gérants de droit, qui vont jusqu'à régler les droits avec des chèques volés ou sans provision. Ces sociétés servent ensuite à la commission de multiples infractions : escroqueries aux encarts publicitaires, à la TVA, blanchiment d'argent, obtention de crédits détournés...

Le contrôle plus rigoureux des gérants de société est une autre possibilité. Il est en effet fréquent que des gérants de paille se rendent au tribunal de commerce pour immatriculer une société accompagnés d'un interprète car ils ne parlent ni ne lisent le français et ne comprennent pas la portée des signatures qu'ils apposent contre rémunération sur les actes constitutifs de la société. De surcroît, des personnes apparaissent comme gérants de droit de sociétés, alors qu'elles font l'objet de condamnations à des interdictions de gérer ou pour faillite personnelle.

M. le Président : Cela signifie-t-il que les greffes des tribunaux ne font pas leur travail ou que les conditions ne sont pas assez précises ?

M. Christian KALCK : J'ai constaté que toutes les personnes que j'ai eues en garde à vue à ce titre s'étaient présentées avec une simple photocopie : aujourd'hui, il suffit de la copie d'une pièce d'identité française ou d'une pièce volée pour immatriculer quarante sociétés... Quant à la vérification de l'interdiction d'exercice, le tribunal de commerce de Bobigny est submergé par les demandes d'extraits de casier judiciaire par l'intermédiaire du procureur de la République. Il faut donc modifier la législation afin de permettre au greffier d'intervenir directement. Le tribunal de commerce de Bobigny procède à un nombre impressionnant d'immatriculations et de radiations chaque année. On y constate aussi que des gérants de paille qui ne parlent pas un mot de français se présentent en vue d'une immatriculation. Il me semble pourtant qu'il faut au moins quelques notions de la langue nationale pour faire fonctionner une société...

M. le Président : Il ne faut bien sûr pas faire obstacle à l'immatriculation de sociétés par des résidents communautaires, mais on exige bien la maîtrise de la langue dans le cadre du contrat d'intégration.

M. Christian KALCK : Demander de se présenter en personne et avec une pièce d'identité vérifiable ne paraîtrait pas exorbitant : aujourd'hui, il est plus facile de créer une société que de prendre l'avion...

On propose à des manutentionnaires turcs ou pakistanais de gagner en une seule journée un mois de salaire en accompagnant une personne au tribunal de commerce et à la banque pour immatriculer une société à leur nom. Par la suite, si on est amené à les interpeller, on s'aperçoit qu'ils ne savaient même pas qu'ils étaient gérants. On a vu aussi des épouses reparties en Turquie découvrir à leur retour en France qu'elles étaient recherchées pour banqueroute : elles avaient signé des papiers en faveur de leur mari ou d'un cousin en ignorant totalement qu'il s'agissait d'immatriculer une société. Il suffit de traîner trois ou quatre jours dans le quartier du Sentier ou place de la République pour être contacté par des rabatteurs. On pourrait quand même se montrer plus rigoureux sans que cela constitue une entrave à l'activité économique.

De telles escroqueries sont facilitées par la déconnexion totale qui existe entre la collecte des fonds et leur redistribution aux bénéficiaires. Cet état de fait ne favorise pas une culture du contrôle puisqu'on commence par débloquer les fonds et qu'on déclenche les recherches a posteriori.

L'action policière est insuffisante pour éradiquer ce phénomène qui nécessiterait de la part des organismes sociaux des procédures efficaces de contrôle en amont. Pour autant nous nous efforçons de développer des partenariats avec ces institutions afin qu'elles nous signalent avec célérité toutes les fraudes d'ampleur dont elles pourraient être victimes.

M. le Président : L'Unédic reconnaissait, en février 2006, 80 millions d'euros détournés dans le cadre de dix-neuf affaires. La presse évoque des montants plus élevés, de l'ordre de plusieurs centaines de millions d'euros. Avez-vous, vous-même, une idée plus précise de ce montant ?

M. Christian KALCK : Même si un chiffre supérieur à 80 millions d'euros peut paraître plausible, il m'est extrêmement difficile de me prononcer. En effet, il y a forcément un décalage entre le moment où l'infraction est commise et celui où le dossier nous est soumis. Il est, qui plus est, difficile de se faire une opinion d'ensemble car les Assédic portent plainte, de façon assez désordonnée, auprès du procureur de la République le plus proche et les parquets concernés sont donc nombreux. Le découpage géographique des Assédic ne correspond pas nécessairement à celui de la police. Bien évidemment, nous échangeons des informations avec la gendarmerie et avec les autres services de police, mais il n'existe pas de service unique traitant de l'ensemble du phénomène.

M. le Président : Il semblerait donc utile qu'un seul service enquêteur centralise tous les dossiers, comme pour les affaires importantes de trafic de drogue. En l'espèce, ce pourrait être le pôle financier de Paris.

M. Christian KALCK : Je pense que c'est avec eux qu'il convient que vous abordiez ce sujet.

M. le Président : L'Unédic ne semble guère encline à la transparence sur ce dossier : les représentants des syndicats qui siègent au conseil d'administration que nous venons d'auditionner nous ont indiqué qu'aucune information n'avait été diffusée à ce propos. Sans doute l'éparpillement des plaintes que nous venons de constater ne favorise-t-il guère cette transparence.

M. Christian KALCK : Cela ne tient pas à un choix des Assédic, mais à leur répartition géographique et à leur indépendance de gestion. Mais on a parfois l'impression qu'il suffirait de quelques améliorations techniques pour éviter un certain nombre de fraudes.

M. le Président : Il s'agit d'un type de fraude assez particulier, par le nombre des personnes qu'elle implique, mais aussi par le fait qu'il aura sans doute des répercussions sur la sécurité sociale et sur les retraites. Cela plaide également en faveur d'une centralisation des dossiers.

Je vous remercie vivement pour toutes les précisions que vous nous avez apportées.

Audition de Mme Sylvia Caillard,
premier juge d'instruction au TGI de Paris et membre du pôle financier


(25 octobre 2006)

Présidence de M. Dominique Tian, président et rapporteur

M. le Président : Nous aimerions savoir quels enseignements vous avez tiré des affaires de fraude organisée à l'assurance chômage dont vous avez été saisie, les failles que vous avez décelées et l'importance de ce type de fraudes. Quel est votre sentiment général ?

Mme Sylvia CAILLARD : Il faut savoir que les fraudes aux Assédic ont considérablement évolué dans le temps. Les premières que j'ai eues à connaître, alors que j'étais juge à Créteil, étaient encore artisanales. Elles étaient facilitées par le fait que les Assédic étaient encore compartimentées : on pouvait s'inscrire dans plusieurs départements, les recoupements n'étant pas faits d'un département à l'autre. Ces fraudes étaient difficiles à évaluer, d'autant que la plupart n'étaient pas décelées.

Les premiers dossiers de fraudes plus importantes qui me sont échus ont été mises à jour par un concours de circonstances : à l'occasion d'une perquisition informatique, de faux documents - par exemple de faux bulletins de salaire ont été découverts - ; les Assédic ont été interrogées, et on a ainsi appris que certaines personnes bénéficiaient d'allocations au titre des sociétés apparaissant dans ces documents. Cette affaire, qui a démarré en 1996, ne sera jugée que le mois prochain. Le principal instigateur était le même que dans l'affaire importante que je traite en ce moment.

Les Assédic ont d'abord déposé auprès du Parquet des plaintes simples. Estimant que ce n'était pas assez efficace, elles ont ensuite modifié leur façon de faire et déposé, vers l'année 2000, des plaintes avec constitution de partie civile, afin qu'il y ait une enquête. Là encore, il s'agissait de fraudes relativement limitées. Décelant des anomalies dans une société, les Assédic remontaient la trace des allocataires ayant bénéficié d'allocations au titre de cette société et déposaient plainte contre cette dernière.

Les premiers dossiers de fraude massive sont arrivés en justice à partir de 2003-2004. Cela coïncide, plus ou moins, avec la création de la cellule de fraude de l'Unédic chargée de coordonner et de centraliser le suivi de ces affaires. Ces affaires sont arrivées en justice après des enquêtes internes menées par les Assédic, qui ont permis d'établir que la fraude était très importante et d'identifier d'ores et déjà les personnes impliquées. L'Unédic s'est constituée partie civile dans ces affaires.

Deux dossiers phares  mettent en lumière une fraude aux Assédic de type communautaire avec, comme support, des sociétés du bâtiment et de la confection. Il s'agit de sociétés ayant bien une activité mais où se mêlent salariés fictifs et salariés réels, sur fond de travail illégal. La difficulté vient de ce que certains disent avoir réellement travaillé pour la société et pensaient légitimement toucher des allocations Assédic en fin de contrat, alors qu'ils n'étaient pas déclarés. Certains justifient même avoir payé des impôts sur les salaires touchés.

Dans ce type de fraude communautaire, on trouve ce mélange de travail illégal et d'achat de kits purement fictifs, l'employeur payant en partie en espèces et en partie en kits Assédic. Cela encourage l'économie souterraine. De nouvelles personnes impliquées sont identifiées au fur et à mesure par les Assédic. Dans une des affaires on en serait à plus de 600, avec un montant du préjudice estimé à 6 millions d'euros, mais ce chiffre n'est que provisoire.

M. le Président : Fait-elle partie des 19 affaires répertoriées par l'Unédic ?

Mme Sylvia CAILLARD : Oui, dans la mesure où elle est à l'instruction, mais d'autres affaires importantes sont en préliminaire et pas à l'information. Actuellement, sur Paris, il y a deux grosses affaires. 

M. le Président : Quand une affaire implique deux ressorts de tribunaux comme, par exemple, Paris et Créteil comment faire pour lier les deux ? Comment se fait-il que l'ensemble de l'affaire n'ait pas été confié directement au pôle financier ?

Mme Sylvia CAILLARD. Il y a d'abord eu une première affaire, avec plainte déposée à Créteil, en raison de la domiciliation de la société. Ensuite, d'autres plaintes concernant d'autres sociétés, domiciliées à Paris, ont été déposées et le lien entre elles n'est apparu que postérieurement. En tout état de cause, ces dossiers sont déjà quasiment ingérables pour chacune des juridictions en raison du nombre des personnes concernées.

Dans un autre cas, l'affaire est arrivée à l'instruction après une enquête assez importante menée en interne par les Assédic et reprise par l'Unédic. L'ensemble des Assédic s'étaient regroupé avec l'Unédic pour déposer une plainte unique. Voilà pourquoi le dossier a été centralisé à Paris.

La manière dont cette dernière fraude a été décelée a de quoi inquiéter : elle ne l'a été que sur des détails, parce qu'une employée de l'Assédic, un peu plus curieuse, s'est étonnée de voir passer le dossier d'un coursier avec un salaire de 3000 euros. Elle s'est aperçue de certaines incohérences dans le dossier de la société et a découvert que de nombreux salariés avaient un salaire disproportionné. L'affaire est passée au service contentieux pour retrouver les dossiers de toutes les sociétés dont le nom du gérant était identique. L'existence de sociétés de domiciliation est apparue. En recensant toutes les sociétés domiciliées à la même adresse, de fil en aiguille, on en est arrivé à un dépôt de plainte concernant une cinquantaine de sociétés avec 200 ou 300 allocataires. L'instigateur principal qui apparaissait comme étant le gérant de certaines des sociétés était déjà connu. 

M. le Président : Si cette personne avait déjà été condamnée, comment avait-elle pu recréer d'autres sociétés?

Mme Sylvia CAILLARD : Ce dossier doit être bientôt jugé. Elle n'était donc pas condamnée et a continué son activité de façon ininterrompue. Le fait qu'elle soit déjà connue a facilité les recherches et une fois tous les éléments réunis, elle a été interpellée. On a alors découvert, à l'occasion de perquisitions, que l'affaire allait au-delà de la première plainte des Assédic : on en est aujourd'hui à 130 sociétés et à plus de 600 allocataires identifiés.

Cette fraude est différente d'une fraude communautaire en ce qu'elle repose essentiellement sur un schéma de sociétés fictives, bien qu'ayant une existence légale, puisqu'elles sont régulièrement immatriculées au tribunal de commerce. Elle met en jeu un spécialiste de la création de sociétés qui utilise des associés fictifs et des gérants dont l'identité est inventée ou usurpée. Les enquêteurs ont décelé des failles dans le droit des sociétés qui ont été exploitées par les fraudeurs : pour faire immatriculer une société, le gérant n'a pas besoin de se déplacer au tribunal de commerce, il suffit de présenter une photocopie d'une pièce d'identité. C'est la porte ouverte à tous les trafics. Sur les 130 sociétés concernées, il y a à peu près 70 % de fausses identités.

M. le Président : Avec des comptes en banque ouverts à partir de faux papiers.

Mme Sylvia CAILLARD : Les comptes en banque n'ont jamais fonctionné, mais ils ont été ouverts. Les sociétés n'ont jamais eu d'activité.

M. le Président : Ces sociétés ont-elles servi pour d'autres affaires, de blanchiment, par exemple ?

Mme Sylvia CAILLARD : Bien sûr, notamment pour des fraudes à la téléphonie. Si ce n'est que ces fraudes n'étaient pas le fait du vendeur du « kit société » à des personnes qui en faisaient ensuite l'usage que l'on sait. Les enquêteurs reçoivent systématiquement des appels de services de police de toute la France qui enquêtent sur certaines de ces sociétés. Si blanchiment il y a, il vient d'autres escroqueries à partir de ces sociétés fictives, mais cela n'a rien à voir avec les Assédic.

M. le Président : La presse a évoqué « les caïds des Assédic ». Est-ce que, dans ce type d'affaires, on retrouve par la suite du grand banditisme ?

Mme Sylvia CAILLARD : L'Unédic se persuade que derrière tout cela, il y aurait des caïds, parce qu'il vaut mieux dire que la fraude est organisée par des mafieux pour paraître moins coupable. Mais ce n'est avéré dans aucun dossier. D'ailleurs, il y a un décalage énorme entre le profit réalisé par chacun des individus qui participent à cette fraude et le préjudice causé aux Assédic résultant du cumul des indus. Sur 10 millions d'euros de préjudice, l'instigateur dont je parle a dû gagner environ 500 000 euros sur une période de 4-5 ans.

M. Jean LE GARREC : Combien coûte un kit ?

Mme Sylvia CAILLARD : Au plus haut, le kit Assédic s'est vendu 1 500 euros, au mieux 2 000 euros. Après, on a cassé les prix, avec le kit yougoslave, le kit pakistanais qui étaient beaucoup moins chers : 500 euros. Nous avons même eu la satisfaction d'apprendre qu'aujourd'hui le marché du kit Assédic n'existerait plus.

M. le Président : On nous a dit que, lorsqu'on achetait le kit, on le payait soit en une seule fois, soit par prélèvements mensuels.

Mme Sylvia CAILLARD : Les modalités de paiement variaient selon la solvabilité de l'acheteur. Par exemple, sur 1 500 euros, la moitié peut revenir au faussaire et l'autre à l'intermédiaire revendeur. Quoi qu'il en soit, dans ce cas, il s'agit de sommes insuffisantes pour alimenter un réseau mafieux. Voilà pourquoi je ne suis pas d'accord avec l'analyse de l'Unédic.

Quand on fait immatriculer une société, la date de début d'activité de la société peut ne pas coïncider avec la date d'immatriculation, et être antérieure. Assez souvent, ce créateur de société faisait remonter la date d'activité un an avant la date d'immatriculation ; la société étant censée exister depuis un an, elle pouvait générer tout de suite du kit Assédic. Lorsque nous avons convoqué les greffiers du tribunal de commerce, ils ne savaient pas que cela pouvait être exploité pour frauder. Cette faille a été décelée grâce à l'enquête. Les gendarmes ont donc provoqué des réunions au niveau de la Chancellerie parce que personne n'avait vu le problème. Mais je ne sais pas où cela en est. Quoi qu'il en soit, il serait urgent de faire coïncider les dates d'immatriculation et de début d'activité.

M. le Président : Les gendarmes ont-ils évoqué, à cette occasion, la facilité qu'il y a à créer des sociétés, le fait que parfois le nom du gérant revient systématiquement, les soupçons que les greffiers auraient pu avoir ?

Mme Sylvia CAILLARD : Il est très fréquent que certaines personnes soient gérants de plusieurs sociétés, sans qu'il y ait fraude pour autant. Ce n'était pas aux greffiers d'intervenir.

M. le Président : Lorsque qu'une personne est gérante de très nombreuses sociétés qui ne publient pas leurs résultats, le tribunal peut s'inquiéter.

Mme Sylvia CAILLARD : Il n'y a aucun suivi.

M. le Président : Mais il y a une obligation légale.

Mme Sylvia CAILLARD : Cette obligation est théorique. Du fait du nombre de sociétés existantes, comment un tel suivi pourrait-il matériellement être assuré ? Surtout quand il s'agit de sociétés qui ont une durée de vie très limitée, qui sont radiées et qui ne publieront jamais rien.

Le contrôle me paraît impossible, du moins en aval. Il devrait avoir lieu en amont, au moment de l'immatriculation de la société. Si, déjà, on exigeait l'original d'une pièce d'identité, la fraude serait considérablement limitée. On retrouverait forcément les noms qui apparaîtraient de façon trop fréquente. Dans mon dossier, les fausses identités étaient très diversifiées.

M. le Président : Vous avez parlé de domiciliation de sociétés.

Mme Sylvia CAILLARD : C'est à partir de sociétés de domiciliation que des recoupements ont été faits. Il s'agissait de complices, qui avaient des sociétés de domiciliation et qui domiciliaient les sociétés en question.

M. le Président : Pensez-vous qu'on devrait mieux contrôler les sociétés de domiciliation ?

Mme Sylvia Caillard : Oui. Au niveau de la création de ce type de sociétés, qui peuvent être aussi fictives que les autres. Dans certaines professions réglementées, on est beaucoup plus strict en termes d'immatriculation de sociétés. Et nous savons que c'est souvent par les sociétés de domiciliation que les fraudes transitent. Ce peut être une piste.

M. le Président : Hier, M. Xavier Bertrand a lancé la création du comité de lutte contre les fraudes. Pensez-vous que cela va dans le bon sens ? Ne déplorez-vous pas un manque de coordination et de centralisation, sachant que les fraudes concernent souvent plusieurs secteurs ?

Mme Sylvia CAILLARD : Je suis saisie d'un important dossier de fraude concernant la CPAM. Certains éléments pourraient effectivement être mis en commun, car les schémas de fraude se ressemblent.

M. le Président : Retrouve t-on les mêmes individus ?

Mme Sylvia CAILLARD : Le croisement des fichiers Unédic-CNAM a permis de déceler une importante affaire de fraude. L'Unédic a communiqué à la CNAM l'identité des sociétés qui apparaissaient dans ce dossier qui a demandé des recherches. Cela a permis de découvrir plusieurs dossiers frauduleux correspondant aux mêmes sociétés, pour les prestations en nature, en espèces, congés maternité, etc. On a donc fait deux volets : un volet Unédic et un volet CNAM-CPAM. De fait, lorsqu'il y a fraude aux Assédic, il y a souvent fraude à la CPAM. Dans le dossier qui va être jugé, il y avait à la fois des fraudes aux Assédic et de faux accidents du travail.

M. Jean LE GARREC : Face à ce problème préoccupant et difficile, l'absence de moyens est énorme. Si j'ai bien compris, il y a d'un côté des sociétés fictives, et de l'autre des sociétés réelles ; il y a un mélange entre le travail illégal et les les prestations indues aux Assédic.

Mme Sylvia CAILLARD : C'est le cas de tous les dossiers communautaires.

M. Jean LE GARREC : Ce sont les filières polonaise, yougoslave, pakistanaise, chinoise... Cela se passe dans une indifférence totale, y compris celle des donneurs d'ordre. Par exemple, dans la sidérurgie, il y a presque autant de salariés en sous-traitance qu'il n'y en a dans la maison mère. Personne ne contrôle rien. Ne pourrait-on pas travailler de façon coordonnée avec l'Inspection du travail et avec les donneurs d'ordre ? Ces derniers ne veulent pas voir, parce que cela leur permet de pratiquer des prix inférieurs. Mais l'Inspection du travail a un rôle à jouer dans ce domaine.

Mme Sylvia CAILLARD : Il faudrait que l'Inspection du travail intervienne en amont. Mais ses contrôles ont lieu sur demande, ils ne sont pas spontanés.

M. Jean LE GARREC : Si, ils le sont souvent, et c'est heureux.

Mme Sylvia CAILLARD : J'imagine que, là encore, il y a un problème de moyens. Comment pourrait-elle couvrir toutes les sociétés ?

M. Jean LE GARREC : Posons au moins le problème de la coordination de la lutte contre les fraudes avec l'Inspection du travail, dont le rôle est d'être sur le terrain pour vérifier ce qui se passe. Certes, elle ne peut pas contrôler les sociétés fictives. Mais dans les sociétés qui existent réellement et manient indemnisation Assédic et travail au noir, elle peut envoyer des personnes mandatées, qui ont des droits très précis. Avez-vous discuté avec elle ?

Mme Sylvia CAILLARD : Non. Le problème est que chacun travaille de façon isolée. Il y a des rapprochements avec l'Unédic et les Assédic qui ont essayé de construire certaines choses en commun. Mais cela ne suffit pas. Il faudrait qu'il y ait d'autres partenaires. L'Inspection du travail mène des actions communes avec la justice, une fois que les fraudes sont repérées, mais pas en amont.

M. Jean-Paul ANCIAUX : A-t-on déjà l'idée d'une structure qui pourrait commencer à réfléchir sur un bilan objectif ? En fonction des auditions et des personnes rencontrées, on remarque qu'il n'y a pas de coordination et d'échanges, et que chacun essaie de « passer la patate chaude au voisin ». L'intervention peut se faire à deux niveaux. D'abord au moment de l'immatriculation, avec des moyens informatiques - listings, échanges d'informations. Ensuite, par un contrôle actif. Aujourd'hui, ce contrôle actif n'est réalisé que par l'URSSAF avec ses 1 300 contrôleurs.

On s'est rendu compte par ailleurs que certaines structures, comme l'Unédic ou les caisses d'allocations familiales, qui servent des prestations, n'ont pas une culture du contrôle. Ne faudrait-il pas envisager un service général de contrôle qui œuvre pour tous les organismes de ce type ?

Mme Sylvia CAILLARD : Théoriquement, ce serait l'idéal. Mais pratiquement serait-ce possible ? Il est déjà tellement difficile de se réunir entre deux partenaires...

Si l'on veut agir vite et limiter la fraude, on peut faire davantage de contrôles, notamment au niveau des créations de sociétés. Il convient de déceler cette fraude le plus tôt possible, ce qui n'est pas le cas actuellement.

M. le Président : Quel est le profil des personnes qui ont monté des fraudes industrielles ? Comment l'idée leur est-elle venue ? De quels moyens disposent-elles ? Comment ces fraudes sont-elles nées dans les années 2002-2003 ?

Mme Sylvia CAILLARD : Souvent, ces personnes ont des formations de comptable. Elles disposent de matériel informatique, de logiciels qui permettent d'établir des fiches de paie. Une fois qu'on sait comment se constituer un kit Assédic et les imprimés qu'il faut commander, il est assez simple de devenir un spécialiste de ce genre de fraude. À propos des dossiers communautaires, on a évoqué le financement du PKK, simplement parce que la personne concernée avait été plus ou moins membre de celui-ci. Encore eût-il fallu qu'elle ait pu tirer de la fraude des profits autrement plus conséquents pour générer un financement. On pourrait imaginer que les allocataires qui perçoivent les Assédic en reversent une partie à la communauté, mais aucun des allocataires entendus ne l'a dit. Sur le nombre, il y en a qui auraient parlé.

M. le Président : La réponse pénale vous paraît-elle adaptée ?

Mme Sylvia CAILLARD : C'est un autre débat qui est loin d'être tranché. Les premières affaires arrivent en jugement seulement maintenant. Celle qui le sera le mois prochain ne concerne que 60 personnes, allocataires, organisateurs, qui seront jugés ensemble. Le problème demeure entier pour le dossier qui est en ce moment à l'instruction et qui concernerait plus de 600 personnes. Il est impossible de mettre en examen autant de personnes d'autant que, bien évidement les juges sont en même temps saisis d'autres dossiers. J'aimerais que l'on commence par juger le noyau dur de cette affaire, soit la douzaine d'organisateurs, sur la qualification d'escroquerie en bande organisée, dans la mesure où le concert frauduleux est établi. On garderait le dossier pour les allocataires qui seraient jugés sur la base d'une escroquerie simple.

M. le Président : Une escroquerie simple est punie de cinq ans de prison et de 375 000 euros d'amende, ce qui d'ailleurs étant trop élevé a pour conséquence de ne pas être appliqué.

Mme Sylvia CAILLARD : Juger les complices d'une escroquerie commise par les allocataires présente une difficulté ; je pense aux organisateurs qui ont fourni les moyens de cette escroquerie. Le « cerveau » a fabriqué les faux documents qu'il a ensuite revendus ou donnés. Il n'a pas commis directement d'escroquerie. Quoi qu'il en soit, pratiquement, c'est la seule solution envisageable.

M. le Président : La police nous a dit que le risque était très faible pour la personne qui achète et utilise le kit car il est probable que si elle rembourse l'Assédic les poursuites cesseront immédiatement.

Mme Sylvia CAILLARD : Un protocole a effectivement été mis sur pied avec l'Unédic : les personnes en cause sont invitées à prendre contact le plus rapidement possible avec l'Unédic après leur audition par les gendarmes, et si elles remboursent, elles ne feront pas l'objet de poursuites.

M. le Président : Et pour ceux qui ne remboursent pas ?

Mme Sylvia CAILLARD : Cela dépendra de leur nombre. S'il en reste 500, un tri arbitraire serait fait en fixant un seuil de poursuite : entre celui qui a encaissé 5 000 euros et celui qui en a encaissé 100 000, il y a une différence. On est bien d'accord sur le principe : ils devraient tous être jugés, mais il faut tenir compte également d'un principe de réalité : une seule personne ne peux pas gérer 500 personnes. En outre, cela ne présenterait aucun intérêt. Je pense qu'on pourrait les faire juger par groupes de 30.

M. le Président : Quelle pourrait être la réponse pénale adaptée ? Une amende plus faible ?

Mme Sylvia CAILLARD : Sans même parler de la peine la question se pose de la procédure et du choix entre poursuivre et ne pas poursuivre, ce qui est déjà très important. Si le Parquet refuse de poursuivre, le dossier ne sortira jamais. On ne peut mettre en examen 600 personnes et d'ailleurs aucun président de correctionnelle ne voudrait prendre ce genre de dossier.

On sera donc obligé de faire des choix arbitraires. À Créteil, ils n'ont toujours pas trouvé de solution. Mon collègue avait isolé le noyau dur qu'il a voulu faire juger mais cela était impossible puisqu'il était saisi de l'ensemble des faits et devait purger toute sa saisine.

Il ne faut pas que ces affaires soient enterrées maintenant. Elles ont été médiatisées et, désormais, les gens savent que si on achète des kits Assédic on risque quelque chose, ce qui est nouveau.

M. le Président : Ne peut-on pas envisager de centraliser ce type d'affaires dans un pôle spécialisé dans les fraudes massives ?

Mme Sylvia CAILLARD : Le tribunal de Paris ne sait même pas comment audiencer une affaire pour laquelle il rencontre des problèmes de locaux, alors qu'il ne s'agit que de juger 100 personnes. Si demain on en avait 600, où le ferait-on ? Matériellement, c'est impossible. C'est pourquoi la seule solution serait de procéder par renvois successifs - d'abord le noyau dur, puis les allocataires, par société. De toutes façons, cela ne présenterait aucun intérêt d'organiser un procès impliquant tout le monde en même temps.

M. le Président : Cela aurait au moins une vertu pédagogique.

Mme Sylvia CAILLARD : La vertu pédagogique sera la même s'ils sont jugés par groupes de trente, par exemple. Le principal est qu'ils comparaissent devant un tribunal, qu'ils soient jugés, au moins ceux qui ont profité de la fraude de façon importante.

M. le Président : Beaucoup d'entre eux ont-ils quitté le territoire national ?

Mme Sylvia CAILLARD : Curieusement, pas tant que cela. Cela dépend des dossiers. Dans les dossiers communautaires, certains ont regagné leur pays ou ont changé d'adresse. Je remarque que ceux qui ont à rendre des comptes sont justement ceux qui sont réinsérés : ils ont eu un moment difficile et ont un jour profité de ce kit. On se demande d'ailleurs s'il faut vraiment les poursuivre et les condamner, dans la mesure où ils remboursent. En théorie, oui.

M. le Président : En pourcentage, combien ont disparu ?

Mme Sylvia CAILLARD : 10 à 20 % maximum.

M. Jean LE GARREC : Vous avez parlé de personnes parfaitement réinsérées. C'est important. En avez-vous vu beaucoup ?

Mme Sylvia CAILLARD : Pour l'instant, 350 personnes ont été entendues.

M. Jean LE GARREC : Vous nous dites donc que la grande majorité de celles-ci sont parfaitement insérées ?

Mme Sylvia CAILLARD : En pourcentage, je ne sais pas exactement, sans doute plus de la moitié.

M. le Président : Ils ont été appâtés par un gain facile et peu risqué.

M. Jean LE GARREC : C'est pour cela que je fais le lien avec les entreprises où il y a du travail illégal et ce type de fraude ; ce sont des gens qu'on fait venir, qui sont sans repères, qui travaillent dans des conditions difficiles en espérant s'en sortir. C'est une zone d'ombre qui s'agrandit.

Mme Sylvia CAILLARD : Ceux qui s'adressent aux Assédic sont en séjour régulier.

M. le Président : Sauf que souvent, ce n'est pas avec la bonne identité.

Mme Sylvia CAILLARD : Dans mon dossier, le public n'est pas le même que dans les filières communautaires. Il s'agit plutôt de français qui se sont retrouvés sans travail, avec des problèmes financiers, qui ont saisi une opportunité et qui, ensuite, ont retrouvé un travail.

M. le Président : Nous allons, après vous, recevoir la commission nationale informatique et liberté, la CNIL sur les questions de croisements de fichiers. Que pouvez-vous dire sur ce point ?

Mme Sylvia CAILLARD : Actuellement, par les croisements de fichiers avec l'URSSAF, on n'obtient que des déclarations globales. Il faudrait que les déclarations soient nominatives.

M. Jean-Paul ANCIAUX : Il faudrait au moins se mettre d'accord sur un constat partagé, une sorte d'état des lieux des différents modes de fraudes à l'ensemble des prestations. Ce n'est pas fait. Il faudrait aussi se mettre d'accord sur une méthodologie. Et ce n'est même pas une question de moyens. On pourrait créer une structure de contrôle pour l'ensemble des prestataires en établissant un cahier des charges et en précisant ses modalités d'intervention afin de disposer d'un outil commun.

M. le Président : Madame, je vous remercie pour votre contribution aux travaux de notre mission.

Audition de Mme Sophie Nerbonne chef de la division des affaires économiques à la CNIL, et de M. Laurent Lim,
attaché au pôle social et travail.


(25 octobre 2006)

Présidence de M. Dominique TIAN, président et rapporteur

M. le Président : Notre mission se penche sur les moyens de lutter contre les fraudes à l'assurance chômage, moyens qui impliquent souvent la communication d'informations, c'est-à-dire le partage de fichiers informatiques. Pour cette raison, nous avons souhaité entendre un représentant de la CNIL.

Mme Sophie NERBONNE : Merci de nous recevoir et de nous permettre de lever certains malentendus sur ce que la loi « Informatique et libertés » permet ou non.

Tout d'abord, aucun principe de protection des données n'interdit les interconnexions, et la CNIL a autorisé toutes les demandes de rapprochement qui lui ont été soumises, ainsi que le montre le tableau récapitulatif des avis de la CNIL sur les échanges d'informations concernant l'Unédic (annexe).

Je voudrais également clarifier certaines notions : ce qu'est une « donnée à caractère personnel » et ce qu'est un « traitement ». La loi « Informatique et libertés » donne, en effet, une définition très large de ces notions. Une donnée à caractère personnel est une donnée qui permet directement ou indirectement d'identifier une personne physique. Le numéro d'inscription au répertoire (NIR) est ainsi une donnée identifiante. Toute opération de consultation, d'enregistrement, de rapprochement de données est constitutive d'un traitement de données à caractère personnel. La CNIL est donc compétente pour se prononcer sur la constitution d'un fichier, mais aussi sur une liaison informatisée entre deux fichiers existants.

Cinq grands principes régissent la protection des données, à commencer par le principe de finalité, qui est au cœur des préoccupations de la CNIL lorsqu'elle examine un traitement. Une finalité de lutte contre la fraude est ainsi parfaitement légitime.

De ce principe de finalité découleront la détermination des données traitées, la durée de leur conservation et les destinataires de l'information. Lorsque la CNIL a autorisé les échanges, elle a toujours vérifié les conditions dans lesquelles ils étaient réalisés, et elle s'est toujours assurée des mesures de sécurité prises pour éviter que les données ne soient transmises à des tiers non autorisés.

Enfin, il convient de protéger les droits des personnes, car la mise en œuvre d'un nouveau traitement ne doit pas s'opérer à leur insu.

Je rappelle qu'en 1996, la CNIL, dans le cadre d'une mission d'information parlementaire, conduite par M. de Courson, a autorisé des échanges entre la Direction générale des impôts (DGI), la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS) et l'Unédic pour la production de résultats statistiques destinés à la mission parlementaire. Compte tenu de cette finalité très particulière, la CNIL a interdit qu'en soient tirées des conséquences négatives pour les personnes concernées. A la suite de ce rapport, la CNIL a été accusée d'avoir verrouillé les échanges d'information et de s'être opposée à la sanction des fraudeurs, et il est possible que ce préjugé persiste encore aujourd'hui, même si tous les autres échanges que nous avons pu autoriser ont des conséquences pour les personnes concernées.

M. le Président : Des députés ont déposé un amendement au projet de loi sur la sécurité sociale, à propos de l'utilisation du numéro de sécurité sociale. Quelle serait la réponse de la CNIL ?

Mme Sophie NERBONNE : Le projet SAFARI d'interconnexion de tous les fichiers administratifs sur la base du numéro de sécurité sociale est à l'origine de l'adoption de la loi « Informatique et libertés » de 1978, suite au rapport Tricot, selon lequel l'informatique était un fantastique outil de progrès, à condition de ne pas nuire aux droits et libertés des personnes, et donc d'en encadrer l'utilisation.

Le législateur avait alors subordonné l'utilisation du NIR à une autorisation donnée par décret en conseil d'Etat. La CNIL a toujours considéré que l'utilisation du NIR dans le domaine social était parfaitement adaptée.

Demain, en séance plénière de commission, la CNIL devra statuer sur l'extension de l'utilisation du numéro de sécurité sociale à la sphère médicale, aussi ne puis-je pas encore vous répondre.

M. Laurent LIM : Dès 1992, la CNIL a autorisé l'utilisation du NIR par l'ANPE, l'Unédic, les ASSEDIC, afin de détecter des fraudes. Elle a autorisé en 1994, la consultation du répertoire national d'identification des personnes physiques par l'Unédic, à des fins de détection de fraude.

Plus récemment, en 2004, dans le cadre du dispositif de cessation d'activité des travailleurs salariés, la CNIL a autorisé l'utilisation d'un lien vers le fichier national de contrôle créé à cette occasion.

Mme Sophie NERBONNE : La CNIL a autorisé l'Unédic à utiliser le NIR pour lutter contre la fraude.

M. le Président : Les greffes des tribunaux de commerce sont-ils autorisés à utiliser ce numéro pour détecter d'éventuelles fausses sociétés, créées par une seule personne dans différentes régions de France ?

Mme Sophie NERBONNE : Utiliserait-on, alors, le numéro de sécurité sociale du gérant ?

M. le Président : Je pense que ce serait le plus simple.

M. Jean-Paul ANCIAUX : Actuellement, les gérants de société ne sont pas obligés de se déplacer aux greffes et d'inscrire eux-mêmes leur société, puisqu'ils peuvent se faire représenter. Par ailleurs, ils ne sont pas tenus de fournir un document d'identification officielle, une simple photocopie suffit. Dans ces conditions, il est très facile de frauder sur le nom, la domiciliation etc. Le numéro de sécurité sociale est aujourd'hui le seul, par un balayage transversal, à pouvoir être identifié. Qu'en pensez-vous ?

Mme Sophie NERBONNE : Nous connaissons bien ce mécanisme de fraude. Depuis de nombreuses années, les établissements de crédit veulent se protéger contre la pratique de certains réseaux organisés, qui passent d'un établissement à l'autre en produisant de faux justificatifs. Ces organismes analysent, confrontent les informations, font appel à des sociétés spécialisées dans la reconnaissance, par exemple, de tous les numéros de téléphone de cabine publique, afin d'identifier, le cas échéant, de faux numéros de téléphone. Des outils d'aide à la lutte contre la fraude se sont mis en place, et récemment la CNIL a refusé d'autoriser des organismes de recouvrement de créances et des sociétés de crédit qui voulaient utiliser le numéro de sécurité sociale pour détecter une éventuelle fraude, au motif que cet identifiant sectoriel ne saurait être généralisé à tous les secteurs d'activité et devait rester cantonné à la sphère sociale.

M. le Président : La mise en place de la déclaration nominative intégrale des salariés par les employeurs prévue par le décret du 7 mai 2004 a-t-elle posé des difficultés au regard de la loi « Informatique et libertés » ? Quelle a été la position de la CNIL ?

M. Laurent LIM : S'agissant de la mise en œuvre de la déclaration nominative intégrale des salariés par les employeurs, nous devrions normalement avoir été saisis de la question par l'Unédic s'il s'agit de mettre en œuvre un nouveau traitement. Il ne me semble pas que nous ayons été saisis, mais je vérifierai.

M. le Président : Le dispositif de lutte contre les fraudes introduit par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 avait élargi les possibilités d'échanges d'informations qui étaient prévus entre les caisses de sécurité sociale aux organismes d'assurance chômage - nouvel article L. 114-12 du code de la sécurité sociale. Avez-vous été saisis de cette question ?

M. Laurent LIM : Non, mais cet article renvoie à des dispositions réglementaires qui n'ont pas encore été prises. Nous avons été, en revanche, saisi d'un projet de rapprochement, dans la région de Rouen, entre l'URSSAF, la CAF et la CPAM, et de mise en place de traitement automatisé d'échanges de données. Nous ne nous sommes pas encore prononcés. Nous devons nous réunir à ce sujet.

M. le Président : Cela étant, vous êtes plutôt consultés avant les dispositions réglementaires ne soient prises...

Mme Sophie NERBONNE : Nous devons également rencontrer le ministère à ce sujet.

M. Jean-Paul ANCIAUX : J'ai bien compris qu'un décret était nécessaire pour permettre aux greffes de consulter les numéros de sécurité sociale des gérants, mais sur le fond, ce système serait-il applicable ?

M. le Président : Une connexion serait-elle possible entre les greffes et les services fiscaux ?

Mme Sophie NERBONNE : Il faudrait nous poser officiellement la question, en nous précisant le fondement juridique de la finalité du dispositif et les mesures prévues pour en encadrer la mise en œuvre. Dès lors que les conditions de sécurisation et le droit des personnes sont respectés, nous acceptons ces interconnexions.

M. le Président : Nous poserons donc la question officiellement. Les personnes de l'Unédic que nous avons auditionnées ont évoqué à plusieurs reprises la question de la certification du NIR. Pouvez-vous nous préciser ce que cela suppose en termes d'échange de données ?

M. Laurent LIM : Il s'agit de la vérification de ce numéro auprès du répertoire national d'identification des personnes physiques par l'INSEE ou de son équivalent, la SNGI, tenu par la CNAVTS.

Des erreurs ont pu être commises lors de la saisie des NIR par les ASSEDIC, aussi ces fichiers de numéros sont-ils envoyés l'INSEE pour qu'elle les compare aux siens. C'est un mécanisme de détection d'erreurs dans la saisie.

M. le Président : Voire de fraude.

M. Laurent LIM : Parfaitement.

M. le Président : L'utilisation du NIR permettrait donc aussi de détecter des faux papiers...

M. Laurent LIM : Je précise que nous nous étions prononcés en 1993 sur un projet de décret permettant aux Assédic de recouper leurs informations avec celles des URSSAF, afin de vérifier les droits des salariés aux revenus de remplacement, et de détecter les situations dans lesquelles une personne cumule ces revenus de remplacement avec des prestations de maternité, d'invalidité ou de vieillesse.

M. Jean-Paul ANCIAUX : Il arrive que l'on prête de mauvaises intentions à la CNIL, alors que vous venez de nous expliquer que la finalité des connexions demandées est essentielle, et que vous seriez prêts à accepter celles qui permettent de lutter contre la fraude.

M. le Président : Madame, monsieur, nous vous remercions.

TABLEAU CHRONOLOGIQUE RÉCAPITULATIF DES DÉLIBÉRATIONS DE LA CNIL
AUTORISANT L'UNÉDIC A ÉCHANGER OU COMMUNIQUER CERTAINES DONNÉES DE SES FICHIERS

DÉLIBÉRATION CNIL

FINALITÉ

NATURE ET SENS DE L'ÉCHANGE

FONDEMENT JURIDIQUE

Délibération n° 84-12

du 20 mars 1984

Utilisation du NIR par l'ANPE et par les institutions visées à l'art. L.351-2 du code du travail

Création du traitement GIDE

Collecte et transfert du NIR par l'ANPE aux ASSEDIC

Code du travail, notamment art. R. 330-1, L. 311-2, R. 311-1, L. 351-1 et 2 et R. 351-1

Arrêté du 8 septembre 1983

Convention du 25 juillet 1983 (liaison informatisée entre ANPE et Unédic)

Délibération n° 86-99

du 9 septembre 1986

Utilisation du NIR par l'ANPE et par les gestionnaires du régime d'assurance chômage

Création du traitement LICRE

Informatisation du paiement des prestations chômage (Unédic)

Accès par les Directions départementales du travail et de l'emploi à LICRE

Art. L.351-1 à 25 et R. 351-49 du code du travail

Ordonnance n° 84-198 du 21 mars 1984

Décrets d'application n° 84-1026 du 22 novembre 1984 et n°87-1025 du 17 déc. 1987

Arrêté du 17 décembre 1987

Délibération n° 87-87

du 8 septembre 1987

(Demandes d'avis

n° 101.630, 103.832 et 103.776)

Modification du décret relatif à l'utilisation du NIR par l'ANPE et les institutions gestionnaires du régime d'assurance chômage

Mise en place de GIDE

Collecte du NIR auprès des demandeurs d'emploi par les ASSEDIC

Code du travail, notamment le titre I du livre III

Arrêté du 23 septembre 1982 modifié

Convention du 25 juillet 1983 (liaison informatisée entre ANPE et Unédic)

Délibération n° 89-85

du 12 septembre 1989

(Demande d'avis n° 107.787)

Vérifier la situation de chômage et l'étude des droits aux prestations familiales des allocataires

Echanges réciproques d'informations entre la CAF de Calais et l'ASSEDIC

Art L. 583-3 et D. 583-1 du code de la sécurité sociale

Art. 21 de la loi n° 88-1088 du 1er déc. 1988

Délibération n° 89-86

du 12 septembre 1989

(Demande d'avis

n° 107.788)

Vérifier la situation de chômage et l'étude des droits aux prestations familiales des allocataires

Echanges réciproques entre la CAF d'Arras et l'ASSEDIC

Art L. 583-3 et D. 583-1 du code de la sécurité sociale

Art. 21 de la loi n° 88-1088 du 1er déc. 1988

Délibération n° 89-87

du 12 septembre 1989

(Demande d'avis

n° 107.426)

Vérifier la situation de chômage et l'étude des droits aux prestations familiales des allocataires

Echanges réciproques entre la CAF de Roubaix-Tourcoing et l'ASSEDIC

Art L. 583-3 et D. 583-1 du code de la sécurité sociale

Art. 21 de la loi n° 88-1088 du 1er déc. 1988

Délibération n°90-109

du 16 octobre 1990

Communiquer la liste des bénéficiaires du RMI

Unédic / ASSEDIC avec les CAF et ALE

Délibération n° 91-021

du 19 mars 1991

(Plaintes n° 85-210, 90-040, 90-451, 90-992, 90-1616 et 91-0204

Cartes d'actualisation adressées par l'ANPE et l'Unédic aux demandeurs d'emploi sous forme de cartes postales comportant une mention particulière demandant le renvoi sans enveloppe

Article 9 du code civil

Arrêté du 17 décembre 1987

Délibération n° 91-119

du 17 décembre 1991

(Demandes d'avis n° 108.734 et 109.676)

Modèle-type de liaison automatisée entre CAF et ASSEDIC sur la situation des bénéficiaires de prestations soumises à condition de ressources ou d'allocations différentielles

Transmission automatisée et symétrique de renseignements entre les CAF et les ASSEDIC (expérimentation)

Loi n° 88-1088 du 1er décembre 1988, notamment les art. 21 et 52

Art. L. 583-3 du code de la sécurité sociale

Délibération n° 92-048

du 21 avril 1992

Modification de l'art. L.351-21 du code du travail

Vérifier le montant des salaires déclarés aux ASSEDIC par les employeurs au regard de ceux déclarés à l'URSSAF

Vérifier les déclarations des demandeurs d'emploi

Rapprochement des informations détenues par les URSSAF et par les ASSEDIC

Art. L. 351-21 du code du travail

Délibération n° 92-065

du 23 juin 1992

(Demandes d'avis n° 252.596

et 253.446)

Permettre aux CPAM de connaître la situation des assurés sociaux au regard des régimes d'assurance chômage, de solidarité, d'assurance de conversion, et de préretraite du Fonds national pour l'emploi

Accès par les CPAM aux informations détenues par les ASSEDIC

Art. L. 311-5 du code de la sécurité sociale

Décret n° 85-420 du 3 avril 1985

Délibération n° 92-070

du 7 juillet 1992

(Demande d'avis n° 274.596)

Rapprochement des relevés mensuels des contrats des entreprises de travail temporaire des déclarations faites par les demandeurs d'emploi.

Etablissement de statistiques

Rapprochement à partir du fichier tenu par les groupements informatiques inter-ASSEDIC

Après rapprochement, transmission d'une liste des personnes pour lesquelles le versement des allocations n'est pas dû à l'ANPE et aux DDTE

Loi n° 90-613 du 12 juillet 1990

Art. L. 124-11, L. 351-2, L. 351-18, L. 351-21 et R. 124-4 du code du travail

Art. 378 du code pénal

Délibération n° 92-071

du 7 juillet 1992

Rapprochement des relevés mensuels des contrats des entreprises de travail temporaire des déclarations faites par les demandeurs d'emploi

Accès par l'Unédic pour « vérifier les droits des intéressés aux allocations » et « [pour le compte de l'Etat] procéder au contrôle de la recherche d'emploi y compris la détection des situations de fraude, en application de l'article L.  351-18 du code du travail »

Loi n° 90-613 du 12 juillet 1990

Art. L.124-11, L.351-2, L.351-18, L.351-21 et R.124-4 du code du travail

Délibération n° 92-073

du 7 juillet 1992

(Demande d'avis

n° 254.627)

« Dans le cadre de la politique de contrôle d la recherche d'emploi mise en œuvre par le ministère (...), l'ANPE crée le traitement Gide 1 Bis, établissant un fichier commun entre (...) L'ANPE et l'Unédic »

Fichier commun GIDE I bis entre l'ANPE et l'Unédic

Convention du 9 juin 1988 passée entre l'Unédic et l'ANPE

Délibération n° 92-074

du 7 juillet 1992

Utilisation du NIR par l'ANPE et les institutions gestionnaires du régime d'assurance chômage afin de pouvoir contrôler la recherche d'emploi et détecter les situations de fraude

Modification du décret de 1987

Convention du 9 juin 1988 passée entre l'Unédic et l'ANPE

Art L. 143-9 à L. 143-11-9, L. 143-13-1, L. 351-16 s. et R. 351-27 du code du travail

Délibération n° 93-057

du 6 juillet 1993

Projet de décret en Conseil d'Etat pris en application de l'article L.351-21 du code du travail

- Vérifier le versement par les employeurs des contributions au régime d'assurance chômage

- Vérifier les droits des salariés au revenu de remplacement « et tout particulièrement la détection des situations dans lesquelles une personne cumule ce revenu de remplacement avec des prestations en espèce maladie, maternité, invalidité ou vieillesse »

Rapprochement d'informations avec les organismes de sécurité sociale. Les ASSEDIC sont autorisés à rapprocher leurs informations avec URSSAF et CMSA , Organismes gestionnaires d'un régime d'assurance vieillesse, Répertoire national des entreprises et des établissements (INSEE)

Art. L. 351-2 à 4 et L. 351-21 du code du travail

Art. R. 243-14 du code de la sécurité sociale

Art. 378 du code pénal

Décret n° 76-1282 du 29 décembre 1976

Délibération n° 94-101

du 6 décembre 1994

(Demande d'avis n° 362.737)

Création d'un répertoire national d'allocataires dans le but de rechercher les cas de multiples dépôts de demandes d'allocations par une même personne pour la même période de chômage

Répertoire constitué des informations détenues par les 53 ASSEDIC.

Destinataires : les ASSEDIC et la CNAVTS

Art. L.351-21 du cade du travail

Décret n° 93-1319 du 13 décembre 1993

Décret n° 87-1025 du 17 décembre 1987

Convention du 1er janvier 1993 relative à l'assurance chômage

Statuts modifiés de l'Unédic du 31 déc. 1958

Délibération n° 94-102

du 6 décembre 1994

Modification du décret n° 87-1025 du 17 décembre 1987 relatif à l'utilisation du NIR par l'ANPE et les institutions gestionnaires du régime d'assurance chômage

Permettre à l'Unédic de consulter le NIR en vue de la détection de fraudes éventuelles

Consultation du RNIPP par l'Unédic à des fins de détection de la fraude

Art. L. 351-21 du code du travail

Décret n° 93-1319 du 13 décembre 1993

Décret n° 87-1025 modifié

Convention du 1er janvier 1993 relative à l'assurance chômage

Statuts modifiés de l'Unédic du 31 déc. 1958

Délibération n° 94-104

du 6 décembre 1994

(Demandes d'avis n° 305.575 et 305.032)

Vérification des droits au revenu de remplacement

Vérifier la régularité ou faire apparaître l'irrégularité de situations de cumuls

Echange d'informations entre les ASSEDIC et les CPAM

Art. L. 351-21 du code du travail

Décret n° 93-1319 du 13 décembre 1993

Décret n° 87-1025 du 17 déc. 1987 modifié

Convention du 1er janvier 1993 relative à l'assurance chômage

Statuts modif. de l'Unédic du 31 déc.1958

Délibération n° 95-110

du 3 octobre 1995

(Demandes d'avis n° 374.003 et 391.600)

Assurer le contrôle de la situation de chômage déclarée par les allocataires et vérifier leurs droits aux prestations servies sous condition de ressources

Echange d'informations par transmission automatisée et symétrique entre les CAF et les ASSEDIC

(Pérennisation cf. délibération 91-119)

Loi n° 79-18 du 3 janvier 1979 (archives)

Loi n°88-1088 du 1er décembre 1988, notamment son art.21

Décret n° 85-420 du 3 avril 1985

Décret n°87-1025 du 17 déc. 1987 modifié

Délibération n° 99-006

du 9 mars 1999

(Demande d'avis n° 631.397)

Utilisation des relevés mensuels de contrats de travail temporaire par la Direction de l'administration générale et de la modernisation des services du ministère de l'emploi et de la solidarité

Transmission par l'Unédic à la DAGEMO

Art. L.124-11 et R.124-4-1 du code du travail

Délibération n° 00-005

du 27 janvier 2000

(Demande d'avis n° 544.973)

Création d'un fichier national des allocataires afin d'effectuer des suivis spécifiques et historiques des populations dans l'optique d'une analyse du marché du travail, d'effectuer des simulations sur les conséquences des changements réglementaires et d'évaluer les nouveaux dispositifs réglementaires

Ce traitement n'est ni destiné à gérer les indemnisations ni destiné à contrôler les personnes bénéficiaires du régime d'assurance chômage

Outil statistique à la disposition de l'Unédic

Loi n° 79-18 du 3 janvier 1979 (archives)

Décret n° 87-1025 du 17 décembre 1987 modifié

Délibération n° 00-006

du 27 janvier 2000

(Demande d'avis n° 660.918)

Gestion des opérations administratives et techniques relatives à l'inscription des demandeurs d'emploi par les ASSEDIC

Fichier commun ANPE/ASSEDIC (GIDE I bis)

Décret n° 87-1025 du 17 déc. 1987 modifié

Art. L. 311-8 du code du travail

Convention du 4 juillet 1996

Délibération n° 00-007

du 27 janvier 2000

Modification du décret n° 87-1025 du 17 décembre 1987

Utilisation du NIR par l'ANPE et les institutions gestionnaires du régime d'assurance chômage

Autoriser les ASSEDIC à consulter le RNIPP afin d'obtenir ou de vérifier le NIR des allocataires pour communiquer aux employeurs le NIR de leurs anciens salariés inscrits comme demandeurs d'emploi

Article L. 351-2 du code du travail

Décret n° 87-1025 du 17 déc. 1987 modifié

Délibération n°04-035

du 27 avril 2004

Création d'un fichier national de contrôle du dispositif de cessation d'activité de travailleurs salariés et projet de décret en Conseil d'Etat autorisant l'utilisation du numéro de sécurité sociale dans le cadre de ce dispositif

Utilisation du NIR - liaisons vers DGEFP et DDTEFP

Art. R. 322-7-2 du code du travail

Délibération n° 04-053

du 10 juin 2004

(Demande d'avis n° 04008541)

Rapprochements de données relatifs aux salariés intermittents du spectacle et à leurs employeurs prévus à l'art. L. 351-21, 5ème alinéa du code du travail

Organismes partenaires : Unédic, AUDIENS (organisme gestionnaire de la retraite complémentaire des professions du spectacle) et la Caisse des congés spectacles

Art. L. 351-21 du code du travail

Décret n°2004-1332 du 6 décembre 2004

Arrêté du 18 avril 2005

Délibération n° 04-059

du 1er juillet 2004

(Demande d'avis n° 830.435)

Gestion individualisée des bénéficiaires de l'assurance maladie

« Rénovation - Référentiel individu »

Assurer les échanges d'informations auparavant mis en œuvre avec les CAF, les CAV, l'Unédic et les ASSEDIC

Art L. 115-2, L. 161-28, L. 221-1, R. 115-1 s. du code de la sécurité sociale

Art. L. 351-21 du code du travail

Décret n° 85-1343 du 16 déc. 1985 modifié

Délibération n° 04-104

du 14 décembre 2004

(Demande d'avis n° 1.047.237)

Utilisation des relevés mensuels de contrats de travail temporaire par les agents de l'inspection du travail et des services de contrôle de la recherche d'emploi du ministère de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale - PRECAR IT

Recherche et constatation d'infractions pénales à la législation sur le travail temporaire

Transmission par l'Unédic aux Directions départementales du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle (DDTEFP)

Art. L. 124-11, L. 152-1-4, L. 152-2, L. 152-1, L. 152-3, L. 152-3-1, L. 351-18 ; R. 124-4 et R. 124-4-1 du code du travail

Audition de M. Christian Bravard, président du Conseil national des greffiers des tribunaux de commerce, et de MM. Michel Jalenques et Frédéric Laisné, respectivement vice-président et secrétaire général

(8 novembre 2006)

Présidence de M. Dominique TIAN, président et rapporteur

M. le Président : Les fraudes massives aux Assédic reposent de façon quasi-systématique sur la création de sociétés écrans. Des dizaines, voire des centaines de sociétés de ce type ont été créées à des fins de fraude. Il est donc important que nous sachions comment sont immatriculées les sociétés dans notre pays et quelles sécurités sont prises.

M. Christian BRAVARD : Je vous remercie de nous associer à cette mission d'information. Les greffiers des tribunaux de commerce remplissent deux fonctions : une fonction judiciaire d'assistant du tribunal et une fonction plus économique de tenue de différents fichiers d'entreprise et du registre du commerce. Personnellement, je suis greffier à Lyon et président du conseil national des greffiers des tribunaux de commerce, M. Jalenques est greffier associé à Clermont et vice-président de notre conseil, et M. Laisné est greffier à Meaux et secrétaire général de notre conseil. Nous intervenons aujourd'hui en qualité de représentants de ce conseil.

Permettez-moi une petite parenthèse préliminaire. Notre profession a été injustement mise en cause par certains médias. La presse notamment nous a accusés de ne pas avoir procédé aux contrôles requis par les textes. Cette mise en cause n'est pas fondée.

En effet, le droit en vigueur repose sur un principe général qui est celui de la liberté du commerce et de la liberté d'entreprendre et notre mission à nous, greffiers, officiers publics et ministériels, est d'appliquer le droit.

Le législateur a voulu favoriser la création d'entreprises en simplifiant les formalités requises. C'est une volonté politique forte, qui a des effets positifs que nous constatons tous, puisque les créations d'entreprises augmentent et contribuent, pour partie, à la diminution du chômage. Tout le monde s'accorde pour en souligner les aspects positifs.

Notre rôle, en tant que greffiers, est d'immatriculer et d'exercer un contrôle au niveau de cette immatriculation. Le registre du commerce est déclaratif : tout nouvel assujetti vient déclarer son immatriculation avec un certain nombre de pièces justificatives. Le greffier contrôle cette déclaration au vu des pièces justificatives requises par la loi et par les décrets en vigueur. Nous devons nous assurer que la déclaration est conforme aux pièces déposées, aux lois et règlements et à l'état du dossier si c'est une modification.

Pour favoriser la création d'entreprises, le règlement a introduit une certaine souplesse : dans un certain nombre de cas, ne sont exigées que des copies et, même, parfois, aucune pièce justificative n'est réclamée. Un premier exemple de ceci est relatif à la personne du déclarant. La personne qui crée une nouvelle entreprise doit produire la copie d'un document d'identité ou, plus largement, d'état civil, cela peut être la copie d'une pièce d'identité, du passeport...

M. le Président : Nous aimerions savoir comment des sociétés écrans peuvent servir de façon industrielle de support à des fraudes ? Comment, sans attirer l'attention, une vingtaine d'individus peuvent-ils créer une centaine de sociétés ? Comment une personne interdite de gestion peut-elle immatriculer une société dans un autre tribunal de commerce, auprès d'un autre greffe, sans qu'il y ait vérification de son passé économique ?

M. Christian BRAVARD : Ces sociétés écrans se constituent par déclaration et sans obligation de présentation en personne. 

M. le Président : Est-ce que vous trouvez cela normal ?

M. Christian BRAVARD : Je crois qu'on a voulu simplifier pour favoriser les créations d'entreprises. Encore une fois, nous appliquons les textes.

Il faut savoir que le circuit, pour un déclarant, commençant par le centre de formalités des entreprises qui, pour les sociétés commerciales, sont les chambres de commerce ; le greffier ne voit pas le déclarant physiquement.

M. le Président : Avez-vous l'impression que le travail de contrôle des greffiers est bien fait ?

M. Christian BRAVARD : Oui. Il y a une présomption que les pièces données sont conformes à la situation de l'état civil de la personne

M. le Président : Même quand ce sont des photocopies fournies par quelqu'un qui a procuration pour déposer pour le compte de quelqu'un d'autre ? Cela vous paraît suffisant ?

M. Christian BRAVARD : Je n'ai pas à apprécier si cela me paraît suffisant ; l'expérience prouve le contraire.

M. le Président : C'est le moins que l'on puisse dire. Une affaire en cours dans le sud de la France implique 120 fausses sociétés « légalement constituées ».

M. Michel JALENQUES : Permettez-moi d'apporter quelques précisions sur le contrôle exercé par le greffier car il existe un véritable contrôle de fond sur la constitution de sociétés. Concernant le déclarant, c'est la loi et le règlement qui permettent la présentation d'une photocopie d'une pièce d'identité. Peut-être le législateur pourra-t-il réfléchir à cette question.

En dehors de cela, le greffier exerce un véritable contrôle de fond sur la constitution des sociétés ainsi qu'un contrôle permanent, prévu par l'article 34 du décret du 30 mai 1984, sur toutes les sociétés ou entreprises immatriculées. Le greffier n'a généralement à connaître des entreprises fraudeuses, qu'au niveau des procédures collectives. À la suite du non-dépôt des comptes sociaux ou d'autres formalités non remplies, ou encore d'un retour de courrier avec la mention « N'habite pas à l'adresse indiquée », il peut faire une mention de cessation d'activité sur l'extrait d'immatriculation, ce qui permettra la radiation de cette société au terme d'un délai de deux mois. Tout cela pour expliquer que le contrôle est toujours fait par le greffier de façon dynamique et rapide puisque, lorsque nous sommes saisis de déclarations, nous avons l'obligation de répondre dans les vingt-quatre heures.

Pour revenir sur le problème de l'identité du déclarant, le contrôle est exercé, mais vous avez posé la question pertinente : la photocopie d'une carte d'identité suffit-elle pour justifier de l'identité de celui-ci ? Compte tenu des fraudes dénoncées, le constat est qu'elle n'est pas suffisante.

Cela étant, il faut relativiser le problème par rapport au nombre d'immatriculations effectuées dans tous les greffes de France et réfléchir aussi, puisque la tendance sera de plus en plus aux immatriculations en ligne des entreprises, à l'authentification de la signature électronique et à sa sécurisation. C'est une question importante qui va se poser dans l'avenir.

Pour l'instant, la photocopie de la carte d'identité, compte tenu des fraudes mises au jour, n'est manifestement pas suffisante.

M. le Président : Une directive européenne est en cours d'élaboration sur la sécurisation de l'immatriculation en ligne.

M. Michel JALENQUES : Nous en avons connaissance. Il est à espérer que l'on évite ainsi la création de ces sociétés fictives dans le futur.

De par notre expérience et notre connaissance du terrain, nous avons quelques solutions à proposer. En effet, tout greffier d'un tribunal de commerce a connaissance de mouvements de créations anormaux, mais il ne dispose d'aucun moyen juridique pour agir sur ces sociétés, en dehors des contrôles déjà existants à l'immatriculation puis sur l'existence des entreprises immatriculées.

M. le Président : Dans le cas d'une même domiciliation pour plusieurs entreprises, le signal d'alerte ne peut-il venir de chez vous ?

M. Christian BRAVARD : Il peut y avoir un signal d'alerte quand l'immatriculation se fait en nombre. Récemment, un confrère m'a signalé qu'il était saisi d'une demande d'immatriculation d'un nombre important d'établissements secondaires alors que le siège n'était pas dans le ressort de sa juridiction. Cela lui paraissait d'autant plus anormal que, au vu des adresses, certaines localisations de ces établissements semblaient fictives. Le nombre lui a permis de réagir tout de suite et il a saisi le parquet de ce dysfonctionnement.

Mais le problème est qu'en droit - on y revient à nouveau -, il n'y a pas de justificatifs à donner pour la localisation des établissements secondaires. Le greffier se trouve assez démuni face à cet état de fait. Normalement, il doit procéder à la formalité, à moins qu'il n'identifie un problème soit dans le dossier lui-même, soit dans la répétition des demandes.

M. le Président : Y a-t-il un fichier national des entreprises que vous pouvez consulter pour savoir si telle entreprise a eu des problèmes ? Y a-t-il un fichier des personnes qui ont failli et qui ont été interdites de gestion ?

M. Christian BRAVARD : C'est une des propositions que nous voulions vous faire. Un casier judiciaire national existe, mais il n'est consulté qu'a posteriori, et uniquement sur requête d'un juge : après immatriculation d'une entreprise, le juge peut faire une requête au casier pour vérifier si le déclarant n'est pas frappé d'une incapacité d'exercer le commerce ou de diriger une entreprise. La réponse parvient en général sous huit, dix ou quinze jours. On pourrait améliorer le fonctionnement en se servant de l'électronique afin d'avoir une réponse quasi-instantanée. Cela permettrait de réagir plus vite dans le cadre de cette vérification a posteriori.

Mais,il nous semble que l'on pourrait aller plus loin en créant un fichier des personnes « faillies », c'est-à-dire qui ont fait l'objet d'une interdiction de gérer ou d'une faillite personnelle, fichier qui serait accessible seulement aux greffiers pour exercer un contrôle au niveau national de cette incapacité. Nous y sommes tout à fait favorables et nous sommes prêts à mettre en œuvre les moyens nécessaires pour qu'il existe, tout en étant conscients que son usage doit se faire dans le respect des règles posées par la loi informatique et liberté.

M. Michel JALENQUES : De la même façon, il pourrait également exister un fichier répertoriant toutes les entreprises faisant l'objet d'une procédure collective. Les greffiers des tribunaux de commerce tiennent des registres dans chaque greffe. Donc, localement, on peut avoir connaissance des procédures collectives qui ont eu lieu à l'encontre des entreprises concernées. Mais il existe aussi les sociétés civiles, les agriculteurs et, depuis la loi de 2005, les professions libérales. L'intérêt d'un fichier central consultable par des tiers ou par des organismes comme l'Unédic ou les Assédic serait de connaître, de façon exhaustive sur l'ensemble du territoire national, les entreprises qui ont fait l'objet d'une procédure collective afin de pouvoir réagir quand des immatriculations paraissent suspectes.

Il fait également partie de nos propositions de tenir ce fichier des entreprises faisant l'objet de procédures collectives.

La profession de greffier des tribunaux de commerce est bien organisée. Une de ses spécialités est la tenue des registres. Celui-ci pourrait être mis en place très rapidement, de même que le fichier des « faillis » et des interdits de gérer ?

M. le Président : Il faudrait le faire également sur le plan européen.

M. Christian BRAVARD : Ce serait déjà bien de commencer par la France. Notre profession serait prête à créer ces fichiers centraux.

M. le Président : Un autre problème est le non-respect de l'obligation de dépôt des comptes des sociétés : beaucoup de sociétés, même des très grosses, ne déposent pas leurs comptes et l' « injonction de faire » n'est pas très appliquée.

M. Christian BRAVARD : On voit là les limites des pouvoirs du greffier. En effet, seul le président du tribunal de commerce peut enjoindre à une entreprise de déposer ses comptes ; le greffier authentifie l'ordonnance d'injonction de faire, mais ce n'est pas lui qui prend la décision.

M. Michel JALENQUES : Cette injonction de faire est une innovation de la loi du 26 juillet 2005 de sauvegarde des entreprises qui a été très appréciée par la profession des greffiers. Celle-ci définit, en effet, l'étude des comptes sociaux comme critère de sélection des entreprises pouvant être en difficulté, et donc pouvant faire l'objet de mesures de prévention, alors que, jusque là, c'était l'inverse : les entreprises qui ne déposaient pas leurs comptes étaient convoquées sur ce critère. La loi est très récente et devrait être appliquée de manière plus générale dans l'avenir car les tribunaux de commerce, assistés de leurs greffiers, font de ce volet de prévention l'un de leurs objectifs principaux pour aider les entreprises à se redresser. L'injonction sera d'autant plus contraignante qu'elle peut désormais être assortie d'une astreinte fixée par le président du tribunal.

Tout dépend de la volonté des présidents des tribunaux de commerce mais, à partir du moment où cette mesure sera appliquée sur l'ensemble du territoire, il n'y aura plus de non-dépôt de comptes sociaux ce qui favorisera la transparence et la pérennité des entreprises.

M. le Président : Toutes les Assédic sont confrontées à la difficulté de vérifier l'existence réelle des sociétés pour lesquelles les personnes déclarent avoir travaillé. La loi permet maintenant d'obliger les entreprises à déposer leurs comptes.

M. Michel JALENQUES : Elle prévoit que le président du tribunal de commerce peut enjoindre à une société de déposer ses comptes, sous astreinte : il fixe à une entreprise un délai pour le dépôt de ses comptes sociaux au-delà duquel il ordonnera une astreinte à sa charge qui sera liquidée une fois l'exécution de l'obligation remplie. C'est une mesure très importante, qui donne un pouvoir coercitif au président du tribunal de commerce.

M. Maurice GIRO : Cela concerne les comptes sociaux.

M. Michel JALENQUES : Oui, cela concerne les comptes sociaux, et donc uniquement les sociétés de capitaux et les sociétés en nom collectif dont tous les associés sont des personnes morales.

M. Christian BRAVARD : La loi du 26 juillet 2005 est entrée en application le 1er janvier 2006. Elle n'a donc que dix mois d'existence. L'effet d'entraînement se fera sentir bientôt.

M. Michel JALENQUES : La constitution de fichiers nationaux et l'obligation de dépôt des comptes sociaux constitueront un tissu de renseignements qui permettra un meilleur contrôle.

M. le Président : Pouvez-vous donner des précisions sur la façon dont vous envisagez le fichier national ? Il existe déjà Infogreffe.

M. Frédéric LAISNÉ : Quand un chef d'entreprise, président ou gérant d'une SARL, est condamné à une interdiction de gérer, cette interdiction est inscrite sur le registre du commerce sous le nom de l'entreprise. Si vous recherchez le nom de la personne sur Infogreffe, cette interdiction de gérer n'apparaîtra pas. Si un tribunal condamne une personne, celle-ci peut très bien être immatriculée ailleurs sans qu'on le sache. Si l'affaire passe en appel et que la cour d'appel n'envoie pas l'arrêt dans tous les tribunaux où la personne a une entreprise, elle restera dirigeante d'une entreprise.

C'est pour cela qu'on nous a demandé s'il était possible de créer un fichier national au nom des personnes. Il sera ainsi facile de les contrôler. Le juge chargé du registre du commerce et le greffier sous sa direction pourront interroger ce fichier et empêcher des créations d'entreprises par des personnes interdites de gérer.

Je voudrais revenir sur l'immatriculation en ligne, qui entrera en fonction dès la parution des décrets. Il est prévu plusieurs niveaux de certificats et, en matière de création d'entreprise, il y aura toujours un antagonisme entre facilité de création et contrôle. Le certificat de niveau 1 est très simple à avoir : il est distribué dans les banques et peut même être obtenu sur l'Internet et ne s'accompagne pas d'un contrôle d'identité. Le certificat de niveau 4, par contre, est remis à la suite d'un face-à-face : la personne ou l'entreprise qui vend un certificat convoque le futur dirigeant et lui délivre un certificat après remise d'une carte d'identité. Dans le premier cas, le certificat est simple à obtenir et facilite la création d'entreprise, comme le veut le législateur et comme tout le monde le souhaite ; dans le deuxième cas, la délivrance du certificat est très sécurisée. Elle ne facilite pas forcément la création d'entreprise, mais le niveau de contrôle est complètement différent. Il faut trouver le juste équilibre entre facilitation de la création d'entreprise et sécurisation des immatriculations, afin de pouvoir assurer un contrôle.

Cela posera des difficultés dans le futur car ce type d'immatriculation va se généraliser et plus personne ne se déplacera pour se faire immatriculer au registre du commerce.

M. Michel JALENQUES : Cela répond à la volonté de tous !

M. Frédéric LAISNÉ : On ne peut pas décider une dématérialisation de tout et en même temps vouloir tout contrôler. C'est très compliqué à mettre en place.

M. Christian BRAVARD : Il faut trouver un compromis !

M. Maurice GIRO : Pour moi, le problème, ce sont les photocopies. Avec les moyens dont on dispose aujourd'hui, on peut faire n'importe quoi. Je ne trouve pas qu'exiger de présenter l'original retarderait l'inscription. Tout le monde a une photocopie de son permis de conduire dans sa voiture. Lorsque les gendarmes font un contrôle, ils demandent ensuite à la personne de se présenter le jour suivant pour montrer l'original. Si on le demande aux automobilistes, je ne vois pas pourquoi on ne le demande pas aux créateurs d'entreprise.

M. Frédéric LAISNÉ : Souvent, dans les grandes métropoles, ce sont des cabinets de mandataires qui s'occupent des immatriculations pour faciliter les démarches. Ils récupèrent par courrier les dossiers des futurs dirigeants d'entreprise, et ce qu'ils reçoivent comme ce qu'ils envoient, ce sont des photocopies. Réclamer l'original suppose un face-à-face.

M. le Président : Ce n'est pas un mal !

M. Christian BRAVARD : Nous ne sommes pas contre le principe.

M. Frédéric LAISNÉ : Quand les arrêtés concernant les photocopies sont parus, nous avons été surpris dans la mesure où notre métier consiste justement à contrôler la réalité des actes juridiques et des papiers d'identité. Nous avons été aussi étonnés de la mesure selon laquelle les documents n'avaient plus besoin d'être certifiés en mairie. Mais nous comprenons la volonté de l'État de faciliter la création d'entreprises et nous appliquons les textes. En même temps, nous avons trouvé cela dangereux car nous étions sûrs qu'il y aurait des fraudes dès lors que vous n'avez plus de face à face ni de présentation d'originaux.

M. Michel JALENQUES : Parallèlement, nous exerçons un véritable contrôle de fond sur la constitution des sociétés ; il ne faut pas oublier qu'il y en a des millions qui sont immatriculées.

Mme Hélène MIGNON : Les bonnes intentions du départ ont eu des effets pervers. Je comprends que l'on veuille simplifier les démarches, mais qu'un futur créateur d'entreprise ne puisse pas perdre une ou deux heures pour aller se présenter me paraît quand même étonnant. Il nous revient de voir comment revenir sur ces dispositions, d'autant qu'elles sont de nature réglementaire. C'est pourquoi il est important que nous sachions auprès de vous si, sur le plan pratique, c'est possible et, surtout, si le nombre de greffiers est suffisant pour répondre à la demande.

M. Frédéric LAISNÉ : Il y a un nombre tout à fait suffisant de greffiers et de personnel pour accueillir les personnes souhaitant immatriculer des sociétés soit dans les Centres de formalité des entreprises, soit dans les greffes. Cela n'a jamais été un problème pour nous.

On dit toujours que créer une entreprise était compliqué. Or, on trouve des modèles de statuts sur l'Internet et les documents à remplir sont facilement disponibles. L'immatriculation n'est pas forcément la phase la plus difficile à assurer dans la vie d'une entreprise !

M. Michel JALENQUES : J'ajoute que nous nous adapterons techniquement pour exercer un contrôle dynamique tout en continuant à favoriser la création des entreprises, leur sécurité et leur pérennité. Notre dernier congrès avait pour thème : « Le greffier, acteur de la pérennité de l'entreprise ». Nous disposons de tous les outils technologiques permettant des adaptations aux mouvements économiques et à leurs nécessités.

M. Christian BRAVARD : Appliquer les textes ne signifie pas être contre une évolution de ceux-ci. En règle générale, notre pouvoir est limité même si nous avons des discussions régulières avec notre ministère de tutelle, qui est le ministère de la justice, où nos avis sont souvent entendus.

M. le Président : Un problème est soulevé lors de chaque audition, à savoir le délai entre l'attribution du numéro SIREN, qui est immédiate, et l'immatriculation définitive de la société, qui intervient un peu plus tard.

M. Christian BRAVARD : Selon les textes, nous avons un délai d'un jour pour immatriculer une société. Le circuit de l'immatriculation est le suivant : le dossier est d'abord déposé au centre de formalités des entreprises qui l'adresse ensuite au greffe. Il y a déjà un délai de transmission à la suite duquel le délai d'un jour franc commence à courir. Nous ne disposons pas actuellement du numéro SIREN immédiatement, mais nous travaillons avec l'INSEE et les autorités de tutelle à une transmission électronique immédiate de celui-ci. Je rappelle cependant que le numéro SIREN est simplement un numéro d'identification. Il ne crée pas de droit : une entreprise est immatriculée même sans ce numéro et a contrario numéro d'INSEE ne veut pas dire immatriculation.

M. Frédéric LAISNÉ : Le vrai problème est inverse : dès qu'un dossier est déposé au CFE, celui-ci envoie une liasse à l'INSEE qui attribue un numéro. Nous recevons ensuite le dossier du CFE et nous en vérifions la régularité juridique et il arrive que nous refusions l'immatriculation alors qu'entre temps, l'INSEE a attribué un numéro. La personne qui a déposé le dossier reçoit le numéro, sans avoir la personnalité morale puisque le greffier n'a pas validé juridiquement l'entreprise et, parfois, fait croire que l'entreprise existe en produisant le numéro INSEE. Les administrations et les personnes qui travaillent avec des entreprises doivent demander un extrait du registre du commerce.

Un problème résulte du laps de temps entre le dépôt du dossier au CFE et son étude par le greffe. Aujourd'hui, les greffiers immatriculent dans la journée, après vérification de la validité juridique. Il reste quelques endroits qui connaissent des petits problèmes techniques mais ceux-ci vont très bientôt être réglés.

Nous voulons pouvoir accueillir les déclarants, faire immédiatement une demande de numéro à l'INSEE par ordinateur et recevoir le numéro en retour. Comme nous avons validé juridiquement le dossier, il n'y a plus de problème. Aujourd'hui, quand nous refusons un dossier, nous le renvoyons à la personne qui l'a déposé, par lettre recommandée, en demandant des documents précis pour vérifier la régularité juridique. Mais celle-ci ne répond pas nécessairement puisqu'elle dispose du numéro INSEE, accompagné même du NAF qu'elle marque sur ses papiers d'affaire.

M. le Président : Ou bien ils marquent : « en cours d'attribution »

M. Frédéric LAISNÉ : Ils peuvent faire un faux en mettant : RC Paris suivi du numéro d'INSEE, puisqu'il existe. Or, en fait, l'entreprise n'existe pas.

M. Jean-Pierre LE RIDANT : L'attribution du numéro devrait se faire après que vous avez validé juridiquement le dossier.

M. Frédéric LAISNÉ : Après ou concomitamment. Nous ne voulons pas retarder les procédures. Nous avons beaucoup amélioré les systèmes. Il y a eu quelques difficultés avec l'INSEE pour obtenir immédiatement le numéro et il existe encore des problèmes techniques mais nous espérons pouvoir régler ces soucis dans le futur. Lorsque nous recevons une personne en face à face, nous validons le dossier en même temps que nous l'immatriculons à l'INSEE.

M. Francis VERCAMER : Lorsqu'un prestataire de services fait sa déclaration aux caisses de retraite ou adresse une facture à un client, la déclaration et la facture doivent comporter un cachet ou un tampon avec le numéro de SIREN ou de SIRET.

M. Michel JALENQUES : Et même le numéro du registre du commerce.

M. Francis VERCAMER. Et si ce numéro n'existe pas ?

M. Christian BRAVARD : Le problème que l'on évoque est la non-concomitance entre l'attribution du numéro d'identification SIREN et l'immatriculation, mais les délais sont de plus en plus courts. L'attribution du numéro peut se faire avant ou après : si elle intervient après, l'entreprise est bien immatriculée mais sans numéro SIREN ; si elle intervient avant, il peut y avoir délivrance falsifiée du numéro et la personne peut s'en servir sur ses papiers.

Le problème survient quand un numéro SIREN est attribué alors que l'entreprise n'est pas immatriculée.

M. Francis VERCAMER : Il y a un code APE !

M. Frédéric LAISNÉ : Comme nous l'avons dit, il est attribué par l'INSEE dès que le CFE - qui reçoit les dossiers pour faciliter la distribution aux différents organismes : impôts, URSSAF - lui communique une demande de création d'entreprise.

M. Frédéric LAISNÉ : Le CFE vérifie uniquement si le dossier est complet. Il envoie à l'INSEE une demande de numéro et l'INSEE attribue celui-ci, puis le dossier est transféré au greffe. Il y a une confusion entre le numéro attribué par l'INSEE et le numéro du registre du commerce c'est-à-dire l'attribution de la personnalité morale sur le « K bis ». Ce qu'il faut, c'est renforcer la validité du « K bis », qui est la carte d'identité de l'entreprise. Il y a des organismes qui se contentent de photocopies de « K bis ». Ce n'est pas normal. Un « K bis » n'est valable que trois mois. Il faut qu'il soit présenté partout, sinon, c'est ouvrir la voie aux fraudes.

M. Michel JALENQUES : En fait « K bis » égale contrôle de l'immatriculation de la société. Le dossier qui arrive au greffe pour immatriculation, soit est régulier dans la forme et dans le fond en droit, et il est immatriculé ; soit fait l'objet d'une demande de régularisation, c'est-à-dire que le greffier demande au déclarant les pièces manquantes et les justifications nécessaires : si ces documents sont fournis, il y a immatriculation ; dans le cas contraire, il y a rejet du dossier. C'est le contrôle de fond dont je vous parlais tout à l'heure.

M. le Président : Je ne sais pas si on peut parler d'un contrôle de fond. C'est un contrôle administratif.

M. Michel JALENQUES : On parle de contrôle de fond en droit parce que nous sommes obligés de regarder la conformité de tous les actes constitutifs de la société par rapport aux textes existants.

M. Frédéric LAISNÉ : Sur la carte d'identité, on ne peut pas, c'est vrai, faire de contrôle. Je pense que c'était le sens de votre remarque.

M. le Président : Les auditions auxquelles nous avons procédé ont insisté sur la grande qualité des kits distribués. Les dossiers sont administrativement parfaits !

M. Frédéric LAISNÉ : Nous le répétons à qui veut bien l'entendre parce qu'il est paru des articles dans lesquels les greffiers étaient accusés. Les greffiers font leur travail. Ils sont placés sous la tutelle du juge et les dossiers sont vérifiés. Ils ne vont pas se livrer à des pratiques répréhensibles.

M. le Président : Il n'empêche qu'il y a des centaines de sociétés qui sont créées par quelques individus notoirement connus dans certains départements qui vont faire leur carambouille dans d'autres départements... Il me paraît dès lors un peu délicat de dire que les contrôles sont parfaits !

M. Frédéric LAISNÉ : C'est pourquoi nous vous proposons la création d'un fichier national. Les contrôles ne peuvent pas être parfaits sur la carte d'identité ni sur la photo de la personne. Pour le reste, ils sont forcément très bien faits.

M. le Président : Le fait qu'il y ait beaucoup de faux papiers, que des chefs d'entreprise aient déjà été interdits de gérer pour des faits similaires, que des sociétés ne publient pas leurs comptes sans encourir de sanctions, ne permet pas de dire que le travail est parfaitement effectué par les uns et les autres.

M. Frédéric LAISNÉ : En ce qui concerne les dépôts de comptes, la nouvelle loi qui est mise en place permettra aux présidents des tribunaux d'agir envers les entreprises qui ne remplissent pas leurs obligations.

Il nous reste à pouvoir détecter, à l'aide d'un fichier, les gens en dépôt de bilan ou en déclaration de cessation de paiement ou même assignés par l'URSSAF et qui, comme vous le dites, font la carambouille dans un autre département. En région parisienne, les greffiers comme les juges s'aperçoivent que les gens changent de tribunaux. Si nous constatons une anomalie, nous saisissons le procureur de la République : des sanctions sont prises, des interdictions et des faillites personnelles prononcées et même des poursuites en correctionnel engagées.

M. Frédéric LAISNÉ : Lorsqu'il y a des procédures collectives, des administrateurs et des mandataires peuvent également s'apercevoir de quelque chose d'anormal.

M. Michel JALENQUES : S'il y a création d'un fichier recensant les personnes interdites de gérer, comme nous l'avons déjà dit, il pourrait aussi comprendre ceux faisant l'objet d'une action en règlement de passif. Quand la société est in bonis, il appartient au ministère public, qu'il soit saisi par l'Unédic ou par d'autres informateurs, d'agir et de sanctionner.

On dit que le contrôle n'est peut-être pas aussi bien fait qu'il est affirmé. En l'état des textes, il est fait parfaitement, dans le sens où nous l'effectuons rapidement et où nous exerçons un véritable contrôle de fond. Pour ce qui est de la pièce d'identité, ce contrôle est réalisé même s'il laisse malheureusement passer des entreprises fraudeuses.

Ensuite, il y a la sanction exercée par le ministère public. A partir du moment où il y a un fichier, le résultat de l'action publique engagée devrait également être intégré dans le fichier, qui pourrait être tenu par les greffiers de tribunaux de commerce.

L'intérêt d'un tel fichier est de contenir des informations exhaustives sur les fraudeurs répétitifs. C'est, à mon avis, la seule solution : un fichier mais également une action ; cette action existe déjà : ce sont les procédures collectives. D'ailleurs, on s'est rendu compte, à l'occasion de celles-ci, que même certaines entreprises non fictives pouvaient frauder en ce sens qu'elles font bénéficier leurs salariés de l'assurance de garantie des salaires sans que les mandataires judiciaires sachent s'ils ont été ou non salariés au sein de l'entreprise. Quand de telles situations sont découvertes, il est impératif que le mandataire ou le parquet, c'est-à-dire le ministère public, qui sont les seuls à avoir la possibilité de sanctionner, agissent.

M. Frédéric LAISNÉ : Il faut savoir que, lorsqu'il est découvert, au cours d'une procédure collective, qu'une entreprise a déclaré de faux salariés et de faux salaires, le juge ne peut pas contester l'état salarial, puisque les prud'hommes condamnent automatiquement et obligent au paiement. Seule une action pénale engagée par le ministère public peut annuler celui-ci et dans un premier temps, le juge est obligé de signer, en sachant pertinemment que les salaires étaient fictifs.

M. le Président : Il y a même des cas où le chef d'entreprise et le salarié sont « de mèche » pour faire jouer le fonds de solidarité.

Quelles sont vos relations avec l'URSSAF et les Assédic sur le plan de l'organisation ?

M. Christian BRAVARD : Si l'URSSAF ou les Assédic nous saisissent d'un problème, d'une distorsion entre la déclaration et la situation réelle, nous sommes à même de modifier le registre du commerce à condition que nous ayons des éléments probants.

M. Michel JALENQUES : À partir du moment où l'URSSAF a détecté une anomalie et qu'elle a une créance vis-à-vis d'une entreprise, elle l'assigne en redressement judiciaire. Les Assédic ne choisissent pas la solution de l'assignation en redressement judiciaire, tandis que les URSSAF sont de grands pourvoyeurs de ce type de procédure et réagissent vite. Des dettes sociales ou fiscales peuvent alerter ces organismes et celui qui réagit en saisissant le tribunal permet parfois de faire découvrir une situation cachée et d'éviter une fraude massive.

M. Frédéric LAISNÉ : Les URSSAF sont très impliquées dans le suivi des entreprises et le paiement des cotisations. La loi de sauvegarde des entreprises prévoit une inscription des dettes sociales des entreprises au premier euro dû dans les six mois. Les URSSAF n'appliquent pas toujours à la lettre cette loi - par exemple, à Melun, elles ont fixé le seuil à 1 000 euros - car elles estiment plus judicieux de procéder à des contrôles à répétition et de mettre en évidence les impayés. L'important est qu'elles aient mis en place une structure qui permet de surveiller les entreprises qui posent vraiment des difficultés et qui vont générer des dettes importantes.

M. le Président : Vous sentez moins d'implication de la part des Assédic ?

M. Frédéric LAISNÉ : Elles ont une autre manière de fonctionner. Les impôts n'assignent pas non plus en redressement devant le tribunal de commerce. Je ne peux pas donner d'avis sur ce sujet.

M. Michel JALENQUES : Les Assédic assignent peut-être plus en paiement de cotisations et l'URSSAF en redressement judiciaire.

M. Frédéric LAISNÉ : Elles doivent même fonctionner plus par contraintes que par assignation en paiement.

Mme Hélène MIGNON. Le problème principal reste la non-présentation de la carte d'identité.

M. Christian BRAVARD : Il s'y ajoute l'absence de justificatif pour la jouissance d'un local : les sièges déclarés sont parfois fictifs, notamment pour les établissements secondaires.

M. Frédéric LAISNÉ : Un confrère a reçu hier trente demandes d'immatriculation d'établissements secondaires. Il a averti le parquet pour que celui-ci diligente une enquête sur les lieux afin de vérifier si ces établissements ont une existence légale. Nous avons un lien direct avec le parquet.

Mme Hélène MIGNON : Le parquet agit-il rapidement ?

M. Frédéric LAISNÉ : Le parquet agit, en général, rapidement, surtout avec des dossiers de ce type et le montant des frais qu'ils engendrent.

M. le Président : Pour éviter les faux papiers et être sûr que la personne que l'on a en face de soi est bien la bonne, on pourrait utiliser le NIR, qui est le numéro de sécurité sociale qui identifie chaque Français ; ce serait utile également pour le fichier national des chefs d'entreprise.

M. Christian BRAVARD : On pourrait déjà effectuer un contrôle de vraisemblance avec le fichier INSEE qui existe pour toutes les personnes physiques. Mais nous n'y avons pas accès. Cela permettrait de vérifier que le nom de la personne existe bien dans cette base.

M. le Président : Un amendement a été adopté en première lecture à l'Assemblée nationale afin que le NIR soit utilisé pour s'assurer de l'identité des personnes. On retrouve, en effet, le même phénomène pour toutes les prestations : certaines personnes touchent le RMI dans plusieurs départements. Le problème de la fraude en France est très général.

Cela étant, l'utilisation de fichiers est contrôlée par la CNIL.

M. Christian BRAVARD : Le fichier dont nous proposons la création pourrait être restreint, accessible simplement aux greffiers dans le cadre de leur mission et sous le contrôle du juge, comme le registre du commerce.

M. Frédéric LAISNÉ : Actuellement, c'est le juge qui demande l'interrogation au casier judiciaire. On peut imaginer la même chose pour un fichier créé au niveau national.

M. Michel JALENQUES : Qu'il s'agisse du fichier des interdits de gérer ou de celui des entreprises faisant l'objet d'une procédure collective, il importe qu'ils soient exhaustifs.

M. le Président : Sans remettre en cause la liberté d'entreprendre, il est quand même étonnant qu'une personne physique puisse se déclarer gérante d'une centaine de sociétés.

M. Michel JALENQUES : Il n'y a aucun texte en droit qui interdit à une personne d'être gérante de plusieurs sociétés.

M. Christian BRAVARD : Ce n'est pas interdit mais, quand nous décelons une anomalie - quand, par exemple, les sociétés ne sont pas déclarées dans des sites différents -nous alertons le ministère public.

M. Michel JALENQUES : Si le greffier ne peut pas en droit refuser une immatriculation, il faut se rappeler que les tribunaux ont un rôle de prévention : le juge commis à la surveillance du registre peut alerter sur une société dont il a découvert que le gérant en possédait de multiples autres.

M. le Président : Dans le fichier national que vous souhaitez, il sera également signalé si la personne est gérante de plusieurs sociétés ?

M. Michel JALENQUES : Cela figurera dans le fichier des interdits de gérer ainsi que dans celui des entreprises faisant l'objet de procédures collectives.

M. Christian BRAVARD : Il faudrait simplement autoriser un rapprochement avec le fichier Infogreffe qui est tenu d'une manière centralisée. C'est possible et souhaitable.

Mme Hélène MIGNON : C'est indispensable.

M. le Président : Quelle est la validité d'Infogreffe ?

M. Christian BRAVARD : Nous tenons les registres locaux et leur avons, dans un souci d'efficacité et de transparence, donné un accès national.

M. Frédéric LAISNÉ : Seuls les tribunaux de grande instance statuant commercialement, qui sont une petite trentaine en France, ne sont pas encore sur cette base.

M. Michel JALENQUES : Infogreffe fournit des informations officielles sur les entreprises, authentifiées par le greffier du tribunal de commerce, qui est un officier public et ministériel et qui engage sa responsabilité dans la diffusion de ces informations. Si nous avions quelque chose à nous reprocher dans notre contrôle, il est évident que certains se retourneraient contre nous en cas de fraude.

Les fichiers que nous souhaitons donneraient aux greffiers et aux juges commis à la surveillance du registre du commerce des moyens pour détecter les entreprises fraudeuses. Mais nous continuerons à réfléchir à d'autres solutions car nous pensons que les stratégies des entrepreneurs malveillants se caractérisent par une grande faculté d'adaptation.

Le corps des greffiers est un organe de contrôle qui peut servir non seulement à dénoncer mais aussi à assurer aux entreprises non fraudeuses une création rapide avec toute la sécurité qu'apporte justement notre contrôle. Il faut trouver le meilleur moyen pour empêcher les fraudes, sans oublier l'objectif de simplification de la création d'entreprise et ses effets positifs.

M. Maurice GIRO : Il me paraît essentiel de relier le nom de la personne, avec sa photo, à l'entreprise.

M. Christian BRAVARD : Il n'y a aucune difficulté pour que nous nous adaptions aux nouvelles règles qui seront fixées.

M. le Président : Je vous remercie, messieurs. Je note votre souci et votre volonté que les textes évoluent.

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Audition de Mmes Marie-Françoise Leflon et Mathilde Frago, de la Confédération générale de l'encadrement-Confédération générale des cadres (CFE-CGC)

(8 novembre 2006)

Présidence de M. Dominique TIAN, président et rapporteur

M. le Président : Nous avons souhaité vous entendre, dans le cadre de cette mission d'information sur les fraudes massives aux Assédic, en tant que représentantes d'une instance syndicale gestionnaire de l'Unédic.

Mme Marie-Françoise LEFLON : Je suis déléguée nationale du pôle emploi-formation de la CFE-CGC. Je regrette que le secrétaire national de ce pôle, M. Alain Lecanu, n'ait pas pu se libérer. Je ferai, néanmoins, passer le même message, à savoir que nous avons tous le même souci de résorber les fraudes, de trouver des solutions et de développer celles qui sont déjà mises en route. De telles situations amputent en effet la trésorerie l'Unédic ; il faut s'en libérer au plus vite pour travailler réellement au profit de l'emploi. Mais ces problèmes sont maintenant bien cernés, et les approches de prévention et de répression bien délimitées.

M. le Président : A votre connaissance, des débats sur les fraudes ont-ils eu lieu au conseil d'administration de l'Unédic ?

Mme Marie-Françoise LEFLON : Ils ont lieu non seulement en conseil d'administration mais également, et surtout, en amont.

Mme Mathilde FRAGO : Je suis conseiller technique au sein de l'Unédic. Les conseillers techniques sont des permanents de l'organisation syndicale qui sont sollicités sur un certain nombre de sujets pour préparer les bureaux. Les fraudes sont un sujet assez récurrent, car lié à celui des finances de l'Unédic, qui est lui-même assez épineux. Il en a été surtout question en réaction aux estimations sur l'étendue des fraudes publiées dans la presse. La question du contrôle est évidemment abordée. On en a aussi beaucoup parlé au moment de la parution des décrets de 2005 relatifs au suivi de la recherche d'emploi pour ce qui concernait les fraudes individuelles et non organisées. Mais, aujourd'hui, le débat porte sur les réseaux.

M. le Président : Le bureau et le conseil d'administration s'en sont-ils saisis ?

Mme Mathilde FRAGO : Oui. Les représentants de l'Unédic ont dû vous expliquer les démarches qui avaient été entreprises et notamment vous parler de la création du plan 2005-2007 de lutte contre la fraude. Ils se sont, bien sûr, saisis de la question. Je vous rassure : elle ne passe pas que devant les conseillers techniques. Les instances dirigeantes y sont très intéressées.

M. le Président : Ce que vous nous dites est intéressant, car nous avons reçu d'autres organisations syndicales qui ne partagent pas votre point de vue.

Mme Marie-Françoise LEFLON : La CFE-CGC est particulièrement sensibilisée à ce problème, le connaît bien et est partie prenante de la lutte contre la fraude.

Un plan pour 2005-2007 a été mis en place comportant des stratégies spécifiques. Tous ces problèmes ont été évoqués et différentes procédures ont été instituées, qu'il s'agisse du développement des outils informatiques, de la recherche de synergies, de la formation des collaborateurs ou des dispositifs de détection des fausses pièces d'identité.

Je peux vous garantir que tous ces sujets sont examinés à la loupe lors de la réunion du conseil d'administration et, plus particulièrement, lors de la réunion du bureau du conseil qui a lieu le matin. C'est pourquoi nous sommes vigilants sur les communications qui sont faites et sur les chiffres qui sont avancés.

M. le Président : Il nous a été dit que le sujet n'avait jamais été abordé en conseil d'administration.

Mme Marie-Françoise LEFLON : Il a encore été abordé au conseil d'administration de la semaine dernière et, en amont, au bureau. Même si les réunions du conseil d'administration qui ont lieu l'après-midi sont plus succinctes que celles du bureau le matin, et même s'il n'en est diffusé qu'un résumé, je peux vous assurer que ces problèmes sont évoqués, avec des chiffres officiellement fournis par la présidence de l'Unédic à l'appui. Le sujet n'est ni caché, ni ignoré. Le plan qui a été mis en place, dans les limites à la fois des moyens et des pouvoirs de l'Unédic et des préconisations de la Commission nationale informatique et libertés (CNIL), n'est pas neutre.

Mme Hélène MIGNON : Quand ce plan a-t-il été décidé et surtout quand a-t-il été discuté ?

Mme Marie-Françoise LEFLON : L'Unédic serait plus à même de vous répondre. En tant que partenaire social dans la gestion de cet organisme, nous avons validé certains grands axes. Il a été décidé, en 2005, de commencer à former les collaborateurs et, en 2006, de développer les outils informatiques, certaines fonctions manuelles sur les alertes et sur les mentions « n'habite pas à l'adresse indiquée » ainsi que des partenariats avec les acteurs de la protection sociale et de la lutte contre le travail illégal. Cela étant, je ne suis pas là pour répondre à la place de l'Unédic, mais pour vous dire que la CFE-CGC est partie prenante et ne laisserait pas un sujet de ce type de côté car nous travaillons à la fois pour le développement de l'emploi et la résorption du déficit et contre le travail illégal.

M. le Président : Des organisations syndicales disent que la manière dont le système de lutte contre la fraude était envisagé par l'Unédic n'était pas satisfaisante et que, en particulier, ce n'était pas à l'agent en bout de chaîne de vérifier si les papiers étaient vrais ou faux ? Qu'en pensez-vous ?

Mme Marie-Françoise LEFLON : Si le système est considéré du point de vue du travail de l'agent, il est vu par le petit bout de la lorgnette. Nous savons tous ce que sont les circuits de management et de développement qui importent. Il est certainement possible de parfaire le dispositif. La réception par l'agent devra être accompagnée par une formation d'éveil à ces problématiques.

Mais ce qui nous préoccupe en ce moment, ce sont les fraudes massives, qui dépassent largement le cadre des fraudes individuelles. Nous devons concevoir une prévention beaucoup plus technique, beaucoup plus macroéconomique, beaucoup plus directoriale et managériale. En plus de la répression, il faut envisager des moyens permettant aux directions départementales de faire des contrôles plus massifs. Mais cela relève également des responsabilités financières et économiques de l'État.

Ne voir le problème qu'au niveau du collaborateur qui se trouve face au chômeur, n'est qu'en voir une partie. Ce qu'il faut, c'est développer une architecture permettant de lutter massivement contre la vente de « kits », contre la création de sociétés fictives, etc. En allégeant les formalités, on favorise effectivement les créations d'entreprises mais on ouvre également la brèche à la création de coquilles vides. Il faut voir les choses beaucoup plus globalement. L'intérêt de votre mission d'information est peut-être de les prendre par le haut, et non avec un regard critique sur l'un des axes.

M. le Président : Un rapprochement avec les services des URSSAF avec mise en commun des moyens des deux organismes, vous paraît-il une bonne idée ?

Mme Marie-Françoise LEFLON : Nous nous réjouirons de toute démarche tendant à améliorer les synergies. L'Unédic n'a visiblement pas eu les moyens, tout seul, d'éviter les phénomènes que nous voyons aujourd'hui et fait actuellement ce qu'il peut pour résorber les problèmes. Tous les partenariats seront bons. De toute façon, la tendance ira dans ce sens.

Mme Mathilde FRAGO : Il a été envisagé, à un moment donné, de créer un corps de contrôle propre à l'Unédic. La CFE-CGC et d'autres organisations syndicales sont assez réservées à ce sujet, pour plusieurs raisons.

La première est d'ordre éthique - le mot est fort mais nous l'utilisons. Le fait d'être à la fois payeur et contrôleur, juge et partie nous pose problème. Cette question a été l'objet d'achoppements lors de la négociation de 2000 : les partenaires sociaux n'ont pas voulu doter l'Unédic d'un corps de contrôle propre.

Une deuxième raison est d'ordre financier. Pour parler franchement, l'Unédic est en déficit et ce corps de contrôle générerait un coût supplémentaire.

Troisièmement, nous tenons à ce que l'État conserve sa responsabilité en matière de contrôle.

On parle de développer les synergies et de relier des instances entre elles pour favoriser le contrôle. Un corps supplémentaire est-il nécessaire pour cela ?

M. le Président : Il s'agit d'une gestion paritaire.

Mme Mathilde FRAGO : Oui, mais le contrôle des chômeurs est pratiqué par la direction départementale. Faut-il la doter de moyens et de techniques supplémentaires, compte tenu de la sophistication des fraudes ? Mme Leflon a eu raison de rappeler que l'on ne peut pas reporter la responsabilité d'un contrôle aussi sophistiqué sur les agents, au plus près du terrain.

Concernant le croisement des fichiers et l'amendement relatif au numéro d'inscription au répertoire (NIR) discuté dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale, tout le monde a conscience que la qualité de l'information est primordiale pour le contrôle. Reste à encadrer le dispositif et à l'entourer des garanties nécessaires pour le respect des libertés individuelles des demandeurs d'emploi et des citoyens de manière plus générale.

M. le Président : Seriez-vous favorables à une collaboration plus efficace entre les Assédic et les URSSAF ?

Mme Marie-Françoise LEFLON : Bien sûr, ainsi qu'avec tous les organismes de lutte contre le travail illégal. Nous aurons toujours une politique volontariste en la matière, avec les réserves que nous avons exprimées pour ce qui concerne le respect des libertés et le coût des outils informatiques. Il conviendrait également de faire des bilans réguliers.

L'Unédic a essayé de centraliser ses fichiers et même de créer des fichiers uniques. Lors des dernières négociations, les partenaires sociaux ont même demandé la levée de l'anonymat du bénéficiaire. Cela étant, le poids financier supporté tous les ans par l'Unédic fait qu'on ne peut pas lui faire porter la charge de grandes équipes spécialisées dans la lutte contre la fraude. On navigue toujours entre les deux exigences.

Il est indéniable que toutes les synergies sont bonnes. Je pense que, l'année prochaine, nous devrions déjà voir des améliorations.

M. le Président : Avez-vous chiffré le coût que représenterait un corps de contrôle propre à l'Unédic? Vous semblez dire que cela ne vaudrait peut-être pas la peine.

Mme Marie-Françoise LEFLON : Je ne peux pas vous laisser dire que cela ne vaudrait pas la peine d'engager des dépenses. J'ai dit que cela fait partie des axes de réflexion. Par contre, pour un développement des synergies et le croisement des fichiers informatiques, je ne pense pas qu'il y aurait des réticences, ni de la part de l'Unédic en tant que telle, ni de la part des partenaires sociaux. En tout cas, je n'ai pas connaissance de clivages, même entre les organisations syndicales face à ces problèmes.

Mme Marie-Françoise LEFLON : Je vous remercie en tout cas d'avoir créé cette mission, car tout ce qui peut nous aider est le bienvenu. 

M. le Président : Je vous remercie de votre contribution aux travaux de notre mission.

Audition de M. Patrick Liebus, membre du conseil national de l'Union professionnelle artisanale (UPA)

(8 novembre 2006)

Présidence de M. Dominique TIAN, président et rapporteur

M. le Président : Nous souhaiterions savoir comment est appréhendée à l'UPA la question de la lutte contre la fraude à l'assurance chômage, si le plan de lutte mis en place par l'Unédic vous paraît satisfaisant et la façon dont vous êtes informées de ces questions.

M. Patrick LIEBUS : Je vous remercie d'avoir demandé à entendre l'UPA. Je précise que je suis membre du Conseil Economique et Social, chargé d'un dossier qui touche plus particulièrement à la section du travail, membre du comité directeur de l'UPA et du bureau de l'Unédic ainsi que représentant de la CAPEB, la confédération de l'artisanat et des petites entreprises du bâtiment.

L'UPA est très sensible aux phénomènes actuels de fraudes. J'y suis, personnellement, d'autant plus sensible que je suis également président de l'URSSAF de l'Ain, donc d'un organisme qui est censé avoir des relations très directes avec les Assédic. Parmi les missions de l'URSSAF de mon département - j'habite Bourg-en-Bresse -, le conseil d'administration a souhaité mettre l'accent sur la lutte contre le travail illégal, ce qui englobe toutes les formes de fraudes en lien avec celui-ci.

Pour l'UPA, le sujet est extrêmement important. Nous trouvons particulièrement inquiétant que les fraudes s'organisent au travers de réseaux structurés qui ont un impact, non seulement sur l'Unédic, mais sur l'ensemble des organismes du domaine social.

En tant que membre du bureau de l'Unédic, j'ai évidemment eu, au fil du temps, des informations précises sur les fraudes, leur localisation et, dans certains cas, leurs causes. Les informations données en conseil d'administration sont moindres que celles fournies pendant le bureau, mais les administrateurs du conseil d'administration reçoivent des documents au même titre que les membres du bureau et les informations leur sont transmises par l'intermédiaire des administrateurs du comité directeur.

Pour faire le lien entre l'UPA et l'Unédic, par exemple, j'informe régulièrement nos représentants au conseil d'administration de l'Unédic et le conseil d'administration de l'UPA du fonctionnement de l'Unédic, y compris et particulièrement sur les fraudes.

M. le Président : Des organisations syndicales ont regretté que la question des fraudes soit abordée de façon extrêmement rapide par les instances dirigeantes de l'Unédic.

M. Patrick LIEBUS : Il est exact que le sujet est abordé de façon rapide. En général, les organisations syndicales salariales soulèvent le problème, une information leur est donnée par le directeur ou la présidente, mais on n'entre pas dans les points de détail lors du conseil d'administration.

M. le Président : Des informations sont données, sous forme plus réduite, mais il n'y a jamais eu de débat ?

M. Patrick LIEBUS : Nous n'avons jamais eu de vrai débat sur le sujet. Mais des informations sont données. Je vous répondrai en me plaçant dans une autre situation car je fais aussi partie des négociateurs de l'assurance chômage. Lorsqu'une convention se met en place, les partenaires sociaux abordent le sujet plus en détail lors des négociations afin que la convention s'adapte à la réalité et, en particulier, à celle des fraudes que nous rencontrons depuis quelques temps. Cela a été le cas pour la signature de la dernière convention.

M. le Président : Il a été relevé de nombreux cas de fraudes dans le secteur du bâtiment.

M. Patrick LIEBUS : Plusieurs secteurs sont touchés. Le secteur du bâtiment est un de ceux où ont été créées des sociétés écrans. Vous savez que la libre installation permet à toute personne de créer une entreprise et que les exigences pour le faire sont relativement réduites. Certains en profitent pour créer des sociétés écrans pour lesquelles n'existe aucune lisibilité des activités exercées ni des salariés employés.

Le secteur du bâtiment est particulièrement touché parce que les besoins de main-d'œuvre le placent sous tension en permanence. Il est identifié, comme celui de la restauration, comme un secteur à fraudes. Mais je pense que d'autres, plus importants par le nombre des salariés, sont également touchés.

M. le Président : En tant que membre de la CAPEB, êtes-vous partisan de règles plus rigoureuses pour l'installation des entreprises ?

M. Patrick LIEBUS : Oui, et je vous répondrai par rapport à mon expérience d'ancien vice-président d'une chambre de métier. Aucune qualification n'est exigée pour créer une entreprise ; à partir du moment où n'est pas exigé le titre d'artisan ou de maître artisan, toute personne peut s'installer. En outre, il faudrait obtenir une véritable identification de l'activité de la future entreprise et non la simple mention d'une activité très générale, ce qui ouvre la voie à toutes les dérives.

M. le Président : L'identité du futur gérant n'est-elle pas à vérifier avant même d'identifier l'activité de l'entreprise ?

M. Patrick LIEBUS : Dans le secteur que je représente, les entreprises sont souvent sous forme individuelle et très peu sous forme sociétaire. La situation est donc différente, puisqu'il y a une vraie identification du chef d'entreprise.

Pour les entreprises relevant pour partie de la chambre de métier et pour partie de la chambre de commerce et pour les différentes sociétés, l'identification du chef d'entreprise est, il est vrai, moins précise, ce qui permet - et nous le voyons très souvent - des changements d'identité du responsable d'entreprise suite à des défaillances de cette dernière. La possibilité qui est donnée de recréer une société, à partir du moment où ce n'est pas frauduleux, après le dépôt de bilan de la précédente, parfois en utilisant des membres de sa famille, rend plus difficile d'identifier le gérant.

Nous avons quelques cas dans notre secteur que nous surveillons relativement de près.

M. le Président : Trouvez-vous que les relations des Assédic avec les URSSAF, la complémentarité des travaux, les échanges d'information fonctionnent bien ? 

M. Patrick LIEBUS : Actuellement, rien n'est parfait, et vous le savez très bien. Nous rencontrons encore beaucoup de problèmes pour croiser les fichiers. Il faut commencer par dire que les connections informatiques ont été très difficiles à mettre en place, à tel point que cela laisse penser que chacun voulait protéger son pré carré. Pendant longtemps, on ne pouvait pas connecter les systèmes informatiques entre eux, de sorte qu'on ne pouvait rien vérifier. Cela a duré jusqu'à un passé assez proche.

Nous sommes en train de mettre en place un Groupement d'intérêt économique (GIE) qui vient d'être freiné dernièrement par un recours.

L'important, quand on est un élu de terrain, c'est de parvenir à tisser localement des liens supplémentaires à ceux qui peuvent se créer au niveau national. La DILTI - la délégation interministérielle à la lutte contre le travail illégal -, par exemple, ne peut fonctionner que s'il y a une volonté des élus administrateurs dans différents organismes, du préfet et du procureur de la République. Localement, on parvient à améliorer certaines choses par le contact direct.

Le fait d'être président d'URSSAF, administrateur de l'Unédic et d'avoir dans mon département une Assédic donne, je dois le reconnaître, des facilités. Je me rends régulièrement à l'Assédic pour voir avec les personnels si les liens avec les différents organismes sont satisfaisants.

Cela étant, il est nécessaire d'avoir un système commun, expression d'une volonté nationale, permettant le rapprochement de fichiers, le contrôle et surtout la complémentarité, afin que les URSSAF, en particulier, fournissent des informations, au fur et à mesure aux Assédic et inversement. Cela nécessite une véritable volonté des équipes qui travaillent dans les différents services. Nous rencontrons encore trop souvent des attitudes de « protectionnisme » et parfois des partenaires qui n'ont pas envie de collaborer.

M. le Président : Vous avez parlé d'un recours contre le GIE.

M. Patrick LIEBUS : La veille du conseil d'administration devant mettre en place le GIE informatique destiné à rapprocher l'ANPE de l'Unédic, un référé a été déposé, ce qui bloque tout le processus. Une nouvelle réunion du conseil d'administration est prévue dans quinze jours. Comme on le voit, il arrive que des intérêts personnels passent avant les intérêts généraux.

Mme Hélène MIGNON : Sur quel motif a été déposé ce référé ?

M. Patrick LIEBUS : Le motif invoqué est l'absence de consultation de la CNIL. En réalité - et le directeur de l'Unédic serait mieux à même de vous le dire -, les choses ont été faites comme elles le devaient mais ils ont trouvé une faille de façon à ralentir la mise en œuvre du GIE.

M. le Président : Quel est l'intérêt de ralentir la mise en place du GIE ?

M. Patrick LIEBUS : Les représentants nationaux des organisations syndicales ou patronales ont, derrière eux, des représentants locaux et les salariés qu'ils représentent. Il peut y avoir des pressions de la part de ceux qui travaillent sur le terrain et qui veulent éviter des rapprochements trop rapides. Je ne suis pas loin de penser que certains collaborateurs dans un organisme ou dans un autre ne voient pas forcément d'un bon œil ces rapprochements.

M. le Président : Pour quelles raisons ?

M. Patrick LIEBUS : Ils ont une mission qu'ils accomplissent avec un certain nombre de personnes, des compétences, du matériel et des équipements et ils ont peur de perdre leurs prérogatives. C'est ainsi que je le ressens en tant que chef d'une entreprise artisanale.

Quand la volonté des élus de lutter contre la fraude et, plus généralement, de répondre à la mission dévolue à l'assurance chômage est confortée par celle des salariés qui travaillent dans les organismes, les choses avancent mieux.

Nous avons été étonnés d'apprendre le dépôt d'un référé. Cela retarde le processus mais le GIE se mettra en place à un moment donné. En aucun cas on ne doit arrêter l'instauration d'un GIE informatique entre l'ANPE et l'Unédic, ce serait une erreur de gestion.

M. le Président : Une organisation syndicale a contesté l'approche de l'Unédic pour lutter contre la fraude en considèrant notamment que ce n'est pas à l'agent qui reçoit les allocataires de contrôler si les papiers d'identité sont vrais ou faux.

M. Patrick LIEBUS : Même s'il y a des fraudes organisées, leur mise en place se fait dans la proximité : dans les Assédic ou dans les différents organismes. Qui d'autres que ceux ayant un contact direct avec les personnes à la recherche d'un emploi ou désireuses de créer une entreprise pourraient vérifier le bien-fondé d'un document. Dans le cas des fraudes, les mieux placés pour procéder aux vérifications me semblent être les agents de proximité.

Je me rends régulièrement à l'Assédic locale pour vérifier la manière dont un chômeur est accueilli - je suis très attaché au côté humain des choses - et contrôler non seulement que les agents accomplissent leur mission, mais également que leur sécurité est assurée car l'Unédic doit assurer la sécurité de ses agents. Ce sont des vérifications que l'on ne peut faire que sur le terrain.

Si on ne donne pas aux collaborateurs les moyens de vérifier certains points à l'ouverture de droits, les vérifications ne pourront plus être faites. C'est le seul moment où il y a un contact direct avec la personne à la recherche d'un emploi ou souhaitant créer une entreprise, et c'est à ce moment précis que vous pouvez vérifier la véracité des documents fournis.

Certains agents peuvent être plus réticents que d'autres pour procéder à cette vérification parce que cela signifie une tâche plus lourde que celle qui était demandée jusque-là. Mais il y a une réelle volonté des administrateurs de l'Unédic de fonctionner dans les meilleures conditions possibles, en évitant le maximum de fraudes, afin que l'argent des cotisations d'assurance chômage aille bien vers ceux qui y ont droit. Pour cela, il faut se donner les moyens de vérification.

M. le Président : Seriez-vous favorable à ce que les URSSAF aient un rôle de contrôle complémentaire aux côtés des Assédic ?

M. Patrick LIEBUS : L'URSSAF doit pouvoir exercer des contrôles qui permettent d'informer les Assédic lorqu'une difficulté est identifiée. L'URSSAF dipsose de moyens de contrôle bien que le nombre de contrôleurs sur document ou sur site soit relativement réduit et ne permette pas de lancer des opérations à grande échelle.

A partir du moment où elle a une mission complémentaire de celle de l'Unédic, d'information et de contrôle, plutôt que de mettre en place un corps de personnels au sein des Assédic, on peut envisager dans un futur proche une relation de vrai partenariat à la fois dans l'action et l'information.

Il avait été envisagé de confier également le prélèvement des cotisations à l'URSSAF, mais nous restons très attachés au système actuel. Nous préférons que ce soit les Assédic qui continuent à assurer le prélevement des cotisations. Il existe ainsi aujourd'hui une parfaite identification des prélèvements pour les Assédic et de l'organisme collecteur pour les chefs d'entreprise. Cela ne pose pour l'instant aucun problème.

M. le Président : Je vous remercie.

Audition de Mme Corinne Michel, sous-directrice du service public de l'emploi, de Mmes Shanti Bobin et Laetitia Tailliez et de M. Jean-Michel Labouz, de la mission indemnisation du chômage de la Direction Générale à l'Emploi et à la Formation Professionnelle

(8 novembre 2006)

Présidence de M. Dominique TIAN, président et rapporteur

M. le Président : Après avoir entendu les services de police, l'Unédic, l'URSSAF, des associations syndicales, des greffiers des tribunaux de commerce, nous souhaiterions aujourd'hui connaître le sentiment de la DGEFP sur les fraudes massives et organisées aux Assédic.

Mme Corinne MICHEL : Je vous remercie de nous recevoir. Je vais commencer par présenter les collaborateurs qui m'accompagnent et qui interviendront en fonction des questions que vous nous poserez, le sujet étant, en effet, à la fois politique et éminemment technique. M. Jean-Michel Labouz appartient à la mission indemnisation du chômage au sein de la sous-direction du Service de l'emploi de la DGEFP qui est notamment en charge des questions juridiques. Mme Shanti Bobin est chef de la mission indemnisation du chômage au sein de laquelle Mme Laetitia Tailliez est chargée de mission.

Il me paraît important d'insister d'emblée sur le fait que le ministère de l'emploi est préoccupé par les comportements de fraudes aux allocations chômage, que ce soit en matière d'assurance-chômage ou de travail illégal, et qu'il est déterminé à les combattre.

Il me paraît non moins important de préciser que tous les allocataires ne sont évidemment pas des fraudeurs, ni même des fraudeurs potentiels - c'est évident mais cela va mieux en le disant - et que le très grand nombre des allocataires a besoin de cette solidarité professionnelle et nationale et en fait un usage tout à fait légal.

Cela étant, on ne peut pas nier l'existence de comportements frauduleux, qui sont majoritairement le fait de réseaux organisés, une sorte de grand banditisme des temps modernes. La presse s'en fait l'écho régulièrement.

Le chiffre, avancé à un moment donné, de 10 000 allocataires à Paris a été démenti rapidement par l'Unédic. L'estimation du montant des fraudes réalisée par cet organisme - nous aurons l'occasion d'y revenir parce que nous n'avons pas de contre-expertise à faire valoir - est de 80 millions d'euros, à rapporter, sans vouloir minorer le montant de la fraude mais pour donner un ordre d'idée, aux 28 milliards d'euros de prestations versées au titre du régime de l'assurance chômage.

M. le Président : Ce sont effectivement les chiffres donnés par les représentants de l'Unédic, que nous avons reçus.

Mme Corinne MICHEL : La mise à jour de nombreux cas de fraudes est une conséquence - qui peut être mise à l'actif de l'Unédic et des organismes qui concourent à la répression des fraudes - d'un contrôle accru qui commence à être organisé et dont les effets se font particulièrement sentir depuis 2005. L'Unédic, qui s'en est certainement expliqué auprès de vous, a mis en place l'année dernière un département de prévention et de lutte contre les fraudes. À partir du moment où ce service s'organise, se structure, sensibilise son réseau et met en place un outillage méthodologique, cela provoque un effet « réverbère », qui éclaire des faits qui, très certainement, préexistaient. On peut espérer qu'ils ne préexistaient pas et que la mise en place de ces outils correspond très exactement au moment où les fraudes sont apparues ; hélas, on peut imaginer que des fraudes massives préexistaient.

M. le Président : Les affaires n'ont pas toujours été découvertes par l'Unédic ou les Assédic, mais à l'occasion d'investigations policières sur d'autres affaires. Les moyens de contrôle de l'Unédic ont été mis en place ensuite.

Mme Corinne MICHEL : C'est exact et ces moyens de contrôle peuvent toujours être améliorés - mais, depuis 2005, ils s'appliquent de manière systématique. Ils révèlent - et révéleront - des fraudes qui, jusque là, ont pu passer inaperçues.

M. le Président : En l'état actuel de vos informations, pensez-vous que ces moyens sont satisfaisants ? Les fraudes sont-elles un sujet largement évoqué au conseil d'administration de l'Unédic? Les relations avec l'URSSAF sont-elles apaisées ? Y a-t-il des croisements de fichiers entre ces organismes ?

En particulier, cela fait longtemps que la Cour des comptes alerte sur la gestion de l'Unédic et son manque de contrôle. A-t-elle réagi aux recommandations de la Cour des comptes ?

Aurait-on pu éviter ce type de fraudes ? Avez-vous, vous-même, saisi l'Unédic à ce sujet ?

Mme Corinne MICHEL. Pour répondre à votre dernière question, le ministère n'a pas, à ma connaissance, saisi l'Unédic sur ces cas de fraudes.

Pour revenir sur votre remarque précédente, dans la moitié des cas, ce sont des contrôles policiers qui révèlent ces fraudes et c'est bien dans ce cadre-là que l'Unédic s'est mobilisée. Je constate quand même avec intérêt que l'Unédic, entre le moment où ces cas de fraudes massifs ont été portés à sa connaissance et la parution du rapport sur l'assurance chômage de mars 2006 de la Cour des comptes, a commencé à apporter des améliorations importantes - ce qui a été souligné d'ailleurs par le rapport - à la gestion du recouvrement par l'assurance chômage.

L'impression générale qui se dégage est que des moyens de contrôle sont mis en oeuvre par l'Unédic à son niveau et que des liaisons avec l'ensemble des organismes concernés sont parallèlement en train d'être mises en place. Tout ceci doit permettre de démultiplier l'impact des contrôles et de la prévention des fraudes, avec un effet plein d'ici une à deux années au regard de l'ensemble des dispositifs qui voient le jour ou vont voir le jour dans les prochains mois.

M. Maurice GIRO : Ne pensez-vous pas que des mesures seraient à prendre au moment de l'immatriculation des entreprises concernant les pièces demandées qui peuvent être de simples photocopies ? La DGEFP a-t-elle travaillé sur ce sujet ?

Mme Corinne MICHEL : Pour l'ouverture de droits à l'assurance chômage, l'allocataire doit être présent, en principe, et présenter une pièce d'identité : carte nationale d'identité, passeport, carte de résidence. Le décret n°2000-1277 du 26 décembre 2000 prévoit, sous certaines conditions, que des photocopies de pièces d'identité peuvent être présentées. Ce décret est sujet à interprétation. L'Unédic ne se satisfait pas, dans le cadre de sa politique de lutte contre les fraudes, d'une situation qui permettrait, de par les textes réglementaires, d'organiser un système de fraude et considère que c'est une faille du système. Elle a sollicité la DGEFP et l'ANPE pour mettre en place un groupe de travail sur les pièces d'identité. Celui-ci sera prochainement mis en place et devra réfléchir au sens de ce décret, afin de lutter efficacement contre le risque de fraude.

M. le Président : La réponse pénale à la fraude vous paraît-elle adaptée ? La procédure est-elle bonne et la sanction suffisante ?

Mme Corinne MICHEL : Je n'ai pas de commentaire particulier à faire sur la sanction pénale, qui me semble appropriée, dès lors qu'elle est mise en oeuvre, ce qui est d'ailleurs le cas pour les fraudes massives dont nous parlons et, en particulier, pour les quatre affaires en cours les plus importantes c'est à dire celles qui concernent des centaines, voire des milliers de dossiers.

M. le Président : Vous avez créé des sous-groupes au sein des 19 affaires mentionnées par l'Unédic dans son communiqué du 21 février 2006...

Mme Shanti BOBIN : Oui, à des fins d'analyse du tableau des affaires en cours qui nous a été transmis par l'Unédic. Ces affaires importantes mettent notamment en jeu les Assédic de Paris, de l'Est francilien et de Marseille.

M. le Président : Je reviens sur la réponse pénale. Les magistrats que nous avons rencontrés nous ont indiqué que les poursuites seront regroupées par « groupes » de quelques dizaines de faux allocataires, car plusieurs centaines sont mis en cause, et que la réponse pénale consistait à menacer de poursuite seulement ceux qui n'acceptaient pas de rembourser. Cela s'apparente à une sorte de crédit sur l'assurance chômage, puisque cela revient à leur dire : « Vous serez sanctionnés si vous ne remboursez pas ! »

Considérez-vous que cette réponse est suffisamment décourageante pour quelqu'un qui serait tenté de frauder ?

M. Jean-Michel LABOUZ : Les affaires dont nous parlons relèvent de l'escroquerie et de la répression pénale. Il faut bien distinguer ces fraudes organisées de celles aux revenus de remplacement commises par les demandeurs d'emploi pris individuellement, qui encourent une sanction administrative pouvant aller jusqu'à la suppression temporaire ou définitive du revenu de remplacement tel que cela a été aménagé par la loi de programmation pour la cohésion sociale n° 2005-32 du 18 janvier 2005 et par le décret du 2 août 2005 qui ont réformé le suivi de la recherche d'emploi. Ce sont deux situations non pas exclusives l'une de l'autre mais bien complémentaires.

Mais, les affaires dont nous parlons relèvent également du domaine de l'escroquerie et donc, outre la qualification administrative (exclusion temporaire ou définitive du revenu de remplacement), de la qualification pénale.

Mme Corinne MICHEL : Nous observons simplement, au titre de nos contacts avec l'Unédic que la procédure civile est le plus souvent favorisée, en dehors des cas des fraudes les plus massives : les cas que nous avons évoqués. Cela revient à faire entrer en ligne de compte la distinction rappelée par Jean-Michel Labouz entre l'individuel et le collectif.

M. le Président : Le ministre de la santé et des solidarités a annoncé dernièrement la création d'un « comité de lutte contre la fraude en matière de protection sociale », qui intégrerait donc les problèmes de l'Unédic et viserait à faciliter les échanges d'informations entre les caisses de sécurité sociale et les organismes d'assurance chômage. Qu'en pensez-vous ?

Mme Corinne MICHEL : Il est très important que l'Unédic participe de manière institutionnalisée à ce comité national de lutte contre la fraude en matière de protection sociale, cette dernière étant entendue au sens le plus générique qui soit. Le fait que l'Unédic soit partie à ce comité permet d'inférer que la définition de la protection sociale est suffisamment large pour intégrer la question de l'assurance chômage et du revenu de remplacement. Cet élargissement du champ d'action du comité au-delà des organismes de sécurité sociale va dans le bon sens.

La participation de l'Unédic lui permettra de disposer d'informations au niveau national et d'établir des contacts. Cela nous semble permettre la mise en œuvre d'autres types de dispositions associant directement l'URSSAF et l'Unédic. Par ailleurs, la convention en cours de signature inter-organismes de protection sociale permettra le signalement d'un cas de fraude détecté par l'un des organismes à l'ensemble des autres organismes. Les deux dispositifs sont à relier.

M. le Président : Cela intéresse d'autant plus l'Etat qu'il y a eu une escroquerie importante à la prime pour l'emploi gérée par le ministère des finances.

Mme Shanti BOBIN : C'était davantage un versement indu de ces primes qu'une escroquerie organisée.

Mme Corinne MICHEL : Je ferai deux observations supplémentaires sur le Comité de lutte contre les fraudes.

Premièrement, il me semblerait également important que la DGEFP puisse y être présente aux côtés de l'Unédic.

Deuxièmement, au plan local, sont mis en place des comités opérationnels de lutte contre le travail illégal (COLTI), auxquels sont associées les Assédic dans 60 % des cas, selon les chiffres de la Délégation interministérielle de lutte contre le travail illégal. Il nous semblerait important que les Assédic soient systématiquement associées à ces comités. La DILTI, consultée sur ce point, n'y voit aucun obstacle mais fait valoir que les Assédic ne devront pas seulement en retirer des informations mais également en apporter.

M. le Président : Vous avez tout à fait raison.

Estimez-vous que le contrôle est bien assuré par l'Etat par le biais des inspecteurs du travail ? On ne les sent pas très partenaires sur les opérations de prévention des fraudes. Par ailleurs, si l'URSSAF dispose d'un corps de contrôle, ce n'est pas le cas des Assédic.

Mme Shanti BOBIN : Comme vous l'avez dit, l'Unédic n'a pas de corps de contrôle propre. La question de ses liens plus étroits avec l'URSSAF a été abordée. Il est à noter cependant qu'il existe des liens au niveau local, sur des cas particuliers, entre les Assédic et les antennes URSSAF qui peuvent permettre de faire émerger des dossiers de fraude.

La convention inter-organismes de protection sociale, via l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale (ACOSS), permettra à l'Unédic de bénéficier des informations de l'URSSAF et des autres caisses et elle pourra l'utiliser pour détecter des cas de fraude.

La création d'un corps de contrôle particulier à l'Unédic ne semble pas très opportune car ce corps de contrôle ferait doublon avec celui de l'URSSAF qui opère le contrôle de l'assiette des cotisations. La Cour des comptes préconisait plutôt un échange systématique de rapports. De ce point de vue, l'Unédic considère que le nouvel article 20 ter du projet de loi de financement de la sécurité sociale, prévoyant des transmissions d'informations entre l'URSSAF et l'Unédic va tout à fait dans le bon sens et nous pensons de même. La Direction de la sécurité sociale et la DGEFP auront un rôle d'appui et d'accompagnement à jouer pour la mise en place de la convention prévue par cet article.

La question concernant les inspecteurs du travail est complexe. Au sein des COLTI, les priorités données à l'inspection du travail ne sont pas forcément de détecter les fraudes au revenu de remplacement, même si ces dernières sont des infractions qui rentrent dans le cadre plus large du travail illégal.

Votre question, en fait, portait sur la manière dont les services déconcentrés du ministère répondent à cette exigence de contrôle. Pour ce qui concerne la DGEFP et les services de suivi de la recherche d'emploi, les services déconcentrés interviennent davantage au niveau du suivi de la recherche d'emploi et au niveau individuel qu'au niveau du repérage de fraudes collectives. C'est une orientation qui résulte de la loi de programmation pour la cohésion sociale.

M. le Président : Avez-vous le sentiment que l'Etat joue son rôle ? Une grande partie des fraudes qui s'appuient sur des sociétés écrans se trouvent dans trois domaines d'activité principaux - le bâtiment, la restauration et le textile - et rejoignent le problème du travail illégal. Les inspecteurs du travail sont, en principe, en mesure de contrôler l'existence de ces sociétés en se rendant sur place. Les entreprises du bâtiment sont d'ailleurs, elles-mêmes, demandeuses de plus de rigueur. Une société déclarait 200 salariés dans un local de 40 mètres carrés. Un ou deux inspecteurs auraient pu se rendre sur place, ne serait-ce que pour vérifier les conditions de travail de ces salariés.

Mme Corinne MICHEL : La réponse complète à cette question relève du champ de compétence de la Direction générale du travail. Le corps de l'Inspection du travail cible des secteurs d'activité sur lesquels des contrôles approfondis sont organisés. Et sans nul doute pourrait-on lister sur une petite feuille les secteurs concernés par ce genre de situation.

En revanche, la DGEFP est en mesure de répondre sur le suivi de la recherche d'emploi, en faisant remarquer que ce ne sont pas les mêmes services qui opèrent, au plan territorial, sur ces deux sujets.

M. Maurice GIRO : Quand une nouvelle entreprise se crée, il serait intéressant que les inspecteurs du travail vérifient qu'elle crée bien un vivier d'emplois. Ils pourraient, par là même, déceler celles qui n'ont pas d'activité.

Mme Corinne MICHEL : On ne peut qu'être d'accord avec votre proposition sur le fond mais, j'insiste sur le fait que dans l'organisation des missions de l'Inspection du travail, entre les corps d'inspecteurs intervenant en section, et ceux dédiés par ailleurs aux questions de d'emploi, existe un partage des rôles,: de ce point de vue, le suivi de la recherche d'emploi se concentre sur les demandeurs d'emploi et ne remonte pas jusqu'à l'entreprise.

M. le Président : Le dispositif de lutte contre les fraudes introduit par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 avait élargi les possibilités d'échanges d'information prévus entre les caisses de sécurité sociale aux organismes d'assurance chômage (nouvel article L. 114-12 du code de la sécurité sociale). Qu'en est-il du décret d'application de cette disposition qui, à notre connaissance, n'est pas encore paru ?

Mme Corinne MICHEL : Après vérification auprès de la Direction de la sécurité sociale (DSS), le décret d'application n'est effectivement pas paru. Selon les services techniques, l'article L. 114-12 serait d'application directe. Toutefois, l'acte réglementaire cité au dernier alinéa de cet article devant servir à sa mise en œuvre nécessite très certainement, dès lors qu'il serait question de transmissions informatiques de données, de prendre un décret soumis à l'avis de la CNIL. Donc, très vraisemblablement, un décret complémentaire devrait être pris pour organiser ce traitement informatique.

M. le Président : Nous avons reçu des représentants de la CNIL, qui nous ont dit qu'ils ne pouvaient pas se prononcer s'ils n'étaient pas saisis. Cela fait un an qu'on tourne ainsi en rond.

Mme Corinne MICHEL : Si ce décret supplémentaire apparaît comme nécessaire, il faudrait effectivement que la DSS, en lien avec la DGEFP et l'Unédic, le préparent et le soumettent à la CNIL. De manière plus générale, ceci révèle la nécessité pour la DGEFP de travailler de façon beaucoup plus étroite, sur une série de sujets liés à la prévention des fraudes, avec la direction de la sécurité sociale. Nous pensons mettre en place une association beaucoup plus étroite avec la DSS, notamment en appui des demandes de l'Unédic.

Mme Shanti BOBIN : Il convient également de préciser qu'un amendement à l'article 70 du PLFSS pour 2007 a introduit un article L. 114-12-1 qui conditionne l'application de la disposition que vous évoquez. Il faut attendre la rédaction finale du texte pour pouvoir traiter cette question.

M. le Président : Vous avez raison.

Le décret du 7 mai 2004 posant le principe de la déclaration nominative intégrale des salariés par les employeurs n'est toujours pas, lui non plus, effectif. Quelles sont les difficultés liées à sa mise en œuvre ?

Mme Corinne MICHEL : Aux termes du décret du 7 mai 2004, les employeurs sont tenus désormais de déclarer nominativement les périodes d'activité et les rémunérations servant au paiement des cotisations chômage. Nous nous trouvons exactement dans la situation de la DSS, qui dispose d'un article de loi mais qui n'a pas pris le décret d'application. La balle est donc bien dans notre camp. L'Unédic nous demande, dans le cadre de son projet de déclaration nominative annuelle, de porter un décret en Conseil d'Etat permettant l'utilisation du NIR à cet effet. Le sujet est en cours d'expertise, et ce projet de décret va être préparé et la CNIL sera saisie.

Nous avons l'habitude de travailler avec l'Unédic et l'ANPE. Nous avons ainsi travaillé main dans la main et de façon très efficace dans la préparation du dossier unique du demandeur d'emploi. Nous avons une expérience commune des étapes successives de travail avec la CNIL et des arguments et des éléments complémentaires à fournir pour parvenir à un avis favorable. Sur un dossier aussi important que le dossier unique du demandeur d'emploi, qui prévoit un recoupement de l'ensemble des données nominatives relatives à un demandeur d'emploi et l'accès d'une multitude de partenaires concourant, soit directement, soit indirectement, au service public de l'emploi, nous avons fait la preuve de notre capacité ensemble - ANPE, Unédic, Etat - à obtenir de la CNIL la validation du système de traitement informatisé. Je pense que nous arriverons, de la même manière, ensemble, à faire valoir l'utilité, au regard de la finalité qui est la lutte contre les fraudes, de cette déclaration nominative annuelle.

M. le Président : Quelles sont vos relations avec l'Unédic ?

Mme Corinne MICHEL : Nos relations sont très nourries et quasi quotidiennes. La mission indemnisation du chômage est ainsi en contact permanent avec l'Unédic au travers d'un point d'entrée qui est privilégié chez nous : la direction des affaires juridiques. C'est à partir de là que nous travaillons avec cette structure, dans le respect de la gestion paritaire à laquelle ils sont très attachés et dans le respect également de leur spécificité.

M. le Président : Le rôle de l'Etat est de veiller à la bonne gestion des comptes sociaux et quand la Cour des comptes émet des avis, ceux-ci doivent être pris en compte et il faut adapter les moyens aux besoins. Or certains à l'Unédic font valoir que l'Unédic doit aussi prendre en compte les coûts qui résulteraient de la création de contrôleurs, voire de l'accroissement des contrôles, ce qui aurait un impact sur leur déficit, lequel est déjà de 14 milliards d'euros.

Mme Corinne MICHEL : Nous aurions soutenu la demande de l'Unédic de créer un corps de contrôle propre, au-delà de la volonté des uns et des autres au sein du bureau de l'Unédic. Cela étant, si le nouvel article 20 ter du PLFSS est bien adopté à l'issue de l'examen parlementaire et que des moyens de contrôle existent et permettent d'associer structurellement et durablement l'URSSAF et l'Unédic, cette solution nous paraît meilleure.

M. le Président : Cet amendement proposé, contre l'avis de l'Unédic et du MEDEF, est finalement jugé très positif. Il existe un corps de contrôle à l'URSSAF de 1 500 personnes, reconnu valable, de l'avis général et dont c'est le métier. Il n'est pas besoin de créer un autre corps de contrôleurs, dont personne ne voulait il y a un an.

Mme Corinne MICHEL : La position de l'Unédic a évolué. Elle semble regarder maintenant de manière très ouverte cette perspective. L'objectif suivant - et l'Etat aura un rôle à jouer d' « ensemblier » ou de médiateur - est la négociation de la convention de gestion entre l'ACOSS et l'Unédic en favorisant un cadre méthodologique qui permette les contrôles en quantité et en qualité.

M. le Président : Avez-vous des éléments chiffrés sur le montant des détournements ?

Mme Corinne MICHEL : Nous n'avons pas d'autres éléments que ceux que nous fournit l'Unédic. Nous dialoguons en revanche sur l'ensemble des sujets avec cette dernière pour comprendre la manière dont elle réalise ses calculs, mais comme je vous l'ai indiqué, nous n'exerçons pas de tutelle et n'avons pas de capacités internes de contre-expertise.

M. le Président : Cela ne vous paraîtrait pas utile ?

Mme Shanti BOBIN : Votre question rejoint un peu celle sur nos relations avec l'Unédic. Notre rôle est d'abord de réaliser un suivi du régime d'assurance chômage et, en particulier de l'application de la convention d'assurance chômage. Nous sommes donc vigilants à la fois sur le plan financier et sur le plan juridique.

L'Unédic gère, pour le compte de l'Etat, de nombreux dispositifs. Elle est, pour schématiser, prestataire de services pour le compte de celui-ci. Dans ce cadre, nous nous occupons de l'élaboration juridique, du suivi, de l'interprétation avec l'Unédic et de la mise en place. Il s'y ajoute l'aspect financier pour ce qui est des allocations gérées par l'Unédic pour le compte de l'Etat.

Pour ce qui concerne la question des fraudes à l'assurance chômage, nous sommes dans la posture d'un « suivi-échanges-partenariat » mais pas vraiment dans celle où l'on demande des comptes. D'ailleurs, nous n'en aurions pas les moyens. Toutes les données et le système de calcul sont à l'Unédic, laquelle comprend également en son sein le département de lutte contre les fraudes.

M. le Président : Les temps sont à l'évaluation, à la certification. Quand les fraudes sont estimées à 250 millions d'euros par Le Monde, à 600 ou 800 millions par d'autres observateurs, et jusqu'à un milliard par Le Canard Enchaîné, cela ne devrait-il pas susciter la curiosité de l'Etat ?

Mme Corinne MICHEL : Cela suscite évidemment une préoccupation mais nous ne pouvons que répéter que nous n'avons pas les moyens d'une contre-expertise des affirmations de la presse. Il y a certainement des outils à mettre en place, notamment au sein de la sous-direction, dans laquelle j'exerce depuis 2006. Cela vaut également aussi bien pour les opérateurs sous tutelle - ANPE, Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) - que pour ceux qui ne le sont pas : AGEFIPH (73), Unédic.

M. le Président : Concernant l'AGEFIPH, que je connais bien, la Cour des comptes a révélé des trésoreries pléthoriques, alors que l'on ne peut pas dire que l'Etat ait été très performant.

Mme Corinne MICHEL : Ce sont des sujets sur lesquels nous travaillons - et travaillerons de mieux en mieux - en lien avec les contrôleurs budgétaires, économiques et financiers qui interviennent très directement pour le double compte du ministère de l'emploi et du ministère du budget. Ils ont connaissance de l'ensemble des documents financiers de ces organismes et participent aux instances de ceux-ci. Nous sommes en train de renforcer nos relations avec eux. C'est notamment par leur intermédiaire que nous pouvons avoir un complément d'analyse financière sur ces sujets.

Par ailleurs, j'insiste sur le fait - parce que c'est notable et appréciable- que nous avons des échanges constants et nourris avec l'Unédic. Tous les mois les délégués généraux à l'emploi et à la formation professionnelle rencontrent le directeur général de l'Unédic pour examiner ensemble les sujets de fond à l'articulation entre le politique et le technique. Ces rencontres sont précédées de réunions techniques également organisées par la mission indemnisation du chômage.

Tout est perfectible, mais nous avons avec l'Unédic des relations qui nous permettent d'avancer ensemble sur les sujets. Cela étant, nous ne disposons pas de contre-expertise en matière d'évaluation du montant des fraudes organisées. Les perspectives d'équilibre financier du régime nous sont fournies tous les mois lors de nos réunions entre directeurs généraux par le département des études statistiques de l'Unédic.

M. le Président : Mesdames, monsieur, je vous remercie.

Audition de MM. Gérard Galpin et Jean-Louis Darmon,
du Groupement des Assédic de la région parisienne (GARP)


(15 novembre 2006)

Présidence de M. Dominique TIAN, président et rapporteur

M. le Président : Nous vous remercions, messieurs, d'avoir répondu à notre invitation. Pourriez-vous, en premier lieu, nous préciser la mission et l'organisation du GARP ?

M. Gérard GALPIN : Le GARP est une institution de l'assurance chômage, parmi les trente qui constituent ce régime. Il a été créé en 1968 avec pour mission première d'affilier des entreprises à l'assurance chômage en Île-de-France et de recouvrer leurs contributions. Il occupe donc une place particulière dans l'assurance chômage, en ce sens que chaque Assédic est, en principe, compétente à la fois pour le recouvrement des contributions auprès des entreprises et pour le versement des allocations aux demandeurs d'emploi. Le GARP en Île-de-France n'a pas pour fonction de distribuer des allocations mais simplement d'encaisser des contributions.

Le GARP encaisse les contributions d'environ 350 000 employeurs qui sont installées en Île-de-France et qui relèvent de notre régime. À ce titre, il recouvre environ un tiers des recettes du régime d'assurance chômage, c'est-à-dire un peu plus de 8 milliards d'euros par an.

Les procédures d'alimentation de nos fichiers sont assurées par l'URSSAF et par l'INSEE, qui nous communiquent périodiquement les données sur les créations d'entreprise ou les mouvements. Pour donner un ordre de grandeur, chaque année, il y a environ 70 000 créations, radiations ou réintégrations pour un stock de 350 000 employeurs

Notre organisation nous permet, dans des délais relativement courts, d'encaisser l'ensemble des contributions qui nous sont versées par chèque selon la périodicité à laquelle les entreprises sont assujetties. 280 collaborateurs à Colombes, gèrent les relations avec les employeurs. C'est la mission de base.

D'autres missions nous ont été confiées au niveau national. C'est ainsi que nous avons compétence sur la gestion des expatriés et sur celle des employeurs d'intermittents du spectacle. Dans ces deux cas, la déclaration des assurés est nominative (DNA) et permet de procéder à un rapprochement systématique entre les éléments déclarés par le salarié et ceux communiqués par l'employeur, rapprochement qui est un facteur d'atténuation, pour ne pas dire plus, du risque de fraude.

M. le Président : De nombreux cas de fraude ont été répertoriés en région parisienne. Le système est-il, à votre avis, suffisamment performant, notamment pour contrôler la réalité de l'activité des entreprises ? Verriez-vous des modifications à apporter pour le rendre plus sûr ?

M. Gérard GALPIN : Le GARP est, bien entendu, pleinement impliqué dans le fonctionnement de l'assurance chômage en Île-de-France, mais dans la limite de ses compétences. Je veux dire par là qu'en tant qu'organisme chargé du recouvrement des contributions, nous mettons en œuvre tous les dispositifs visant à nous assurer de l'existence des entreprises affiliées. Or, vous connaissez les insuffisances auxquelles nous sommes confrontés en la matière.

D'abord, en termes d'affiliation : une personne qui souhaite créer une entreprise en fait la déclaration auprès d'un Centre de formalités des entreprises (CFE) et c'est à partir de cette déclaration que les différentes bases concernées vont être alimentées, via l'INSEE ou l'URSSAF, et vont elles-mêmes alimenter notre fichier. À partir de cette procédure d'affiliation, nous allons affilier l'employeur puis procéder à l'envoi d'un avis de versement pour le recouvrement.

Sur ce point, nous n'avons pas de vision particulière des contrôles qui pourraient être organisés en amont sur la qualification des données au moment de l'immatriculation des entreprises.

M. le Président : C'est un premier problème.

M. Gérard GALPIN : Oui. Nous avons bien vu qu'un certain nombre d'entreprises qui sont engagées dans une démarche de fraude souvent n'ont pas d'activité réelle et qu'aucune procédure de contrôle particulière n'a pu le détecter au moment de leur immatriculation.

Deuxième remarque, qui débouchera sur une proposition : nous sommes, par nature, un régime déclaratif. L'employeur déclare des masses salariales, des effectifs et nous n'avons pas de moyens de contrôle particuliers pour nous assurer de la véracité de ces éléments.

Ce régime déclaratif ayant ses limites, un certain nombre de contrôles devraient être mis en place. Or l'assurance chômage, d'une part, n'est pas présente dans les structures qui ont été construites à cet effet, comme les COLTI - les comités opérationnels de lutte contre le travail illégal - et, d'autre part, ne dispose ni des moyens légaux ni des contrôleurs assermentés qui lui permettrait de s'assurer de la véracité d'un certain nombre de données.

Selon les départements, nous sommes, ou pas, invités aux réunions du COLTI et il nous semble qu'une modification de la composition officielle des COLTI visant à intégrer l'assurance chômage serait intéressante à plus d'un titre. D'abord, nous pourrions nous-mêmes alimenter le plan de contrôle des COLTI compte tenu de certains éléments que nous détectons sur des employeurs. Ensuite, si nous sommes destinataires des procès-verbaux des réunions des COLTI, nous ne sommes pas destinataires des procès-verbaux pour travail illégal et travail dissimulé , sauf dans le cadre de relations que nous arrivons à mettre en place de manière aléatoire.

Je vais prendre un exemple. Par les relations que nous réussissons à établir, nous avons eu communication d'un procès verbal dressé par l'inspection du travail. Ce procès-verbal ne nous a pas été adressé personnellement, mais il fait apparaître qu'un restaurant fonctionne de manière tout à fait irrégulière par rapport à un certain nombre d'organismes sociaux, et également vis-à-vis des allocations chômage. Nous apprenons, en outre, que le GARP verse à ce restaurant une aide de l'État, aide dont le versement doit être immédiatement suspendu dès lors que l'entreprise n'est pas en règle.

Voilà un exemple concret, où la communication systématique de ces procès-verbaux permettrait d'engager des actions visant à réparer le préjudice et d'arrêter le versement d'aides publiques ou d'aides versées par l'assurance chômage à des d'entreprises qui ne sont pas en règle.

Ceci ne se produirait pas si nous étions membre à part entière des COLTI et à ce titre destinataires de l'ensemble des procès-verbaux.

Ma troisième remarque, qui débouchera également sur une proposition, vise, cette fois-ci, l'URSSAF. Le GARP a développé de très bonnes relations avec l'URSSAF de Paris et il a été convenu, entre directeurs, que nous serions destinataires à titre expérimental d'une centaine de procès verbaux dressés par les contrôleurs de l'URSSAF. Cela a pu se faire grâce à la qualité des relations entre les directeurs, et ne résulte pas d'une obligation légale.

M. le Président : Pourquoi une centaine ?

M. Gérard GALPIN : Pour apprendre, en tant que professionnels de l'assurance chômage, à lire un procès verbal de redressement de l'URSSAF et à comprendre les différents mécanismes de l'assiette qui n'est pas la même que celle de l'assurance chômage.

Sur les cent dossiers qui nous ont été communiqués, trente présentaient un manque à gagner relativement important pour l'assurance chômage et, sur ces trente dossiers, 80 % ont été immédiatement régularisés par les entreprises.

M. le Président : Combien de temps a duré l'expérimentation et comment ont été choisies les entreprises ?

M. Gérard GALPIN : Les dossiers nous ont été communiqués au mois de juin. Nous avons adressé des courriers aux entreprises dès le mois d'août. Les entreprises, au nombre de cent, ont été choisies au regard de l'importance du redressement Urssaf. Cette expérimentation montre bien que nous avons intérêt à ce que ces communications entre l'URSSAF et le GARP ne relèvent pas simplement de la qualité des relations entre les directions mais soient une obligation.

M. le Président : Sur ces cent entreprises, trente étaient en situation non conforme !

M. Gérard GALPIN : Aucune n'avait régularisé ses déclarations auprès du Garp.

M. le Président : C'est un chiffre énorme.

M. Gérard GALPIN : Certes, mais lorsqu'une entreprise n'est pas en règle avec l'URSSAF, il y a une forte probabilité qu'elle ne le soit pas non plus avec l'assurance chômage.

Un cas cependant est très intéressant - mais nous n'avons pas encore pu mener à terme nos investigations - car il est atypique : l'entreprise n'était pas à jour vis-à-vis de l'URSSAF mais était à jour vis-à-vis de l'Assédic, ce qui fait craindre un dossier de fraude.

M. Jean-Louis DARMON : Nous parlons bien de procès verbal de redressement d'assiette : on n'est pas forcément dans un mécanisme frauduleux, mais dans le cas de masses salariales ou d'avantages ou autres éléments constitutifs du salaire qui n'auraient pas été totalement déclarées.

M. le Président : Un amendement adopté par l'Assemblée nationale en première lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 confie à l'URSSAF les contrôles relatifs à l'assiette, au taux et au calcul des cotisations d'assurance chômage. Estimez-vous que c'est une mesure positive ?

M. Gérard GALPIN : Je pense que c'est une très bonne mesure, car elle permettra de généraliser le fait d'être associé aux redressements engagés par l'URSSAF.

Nous avons également affaire aux sociétés de domiciliation qui complexifient notre tâche. Je ne parle pas forcément de cas de fraude avérée, mais de difficultés dans les procédures d'encaissement des contributions. Nous ne pouvons pas mettre en œuvre les titres exécutoires du fait que l'hébergeur est souvent propriétaire et du lieu et du mobilier et lorsque nous obtenons un jugement vis-à-vis d'un employeur, nous ne pouvons pas toujours l'exécuter. Le problème n'est pas simple car il ne faut pas non plus que la réglementation soit un frein à l'expansion économique. Néanmoins, il faudrait sans doute réfléchir au moyen de responsabiliser davantage les hébergeurs par rapport à ce type de situation auquel nous sommes confrontés assez fréquemment.

M. le Président : Les personnes ne sont pas solvables, ou vous n'arrivez pas à les retrouver ?

M. Gérard GALPIN : Nous avons tous les cas. Nous avons en effet des personnes que nous ne retrouvons pas et d'autres que nous retrouvons mais qui ne sont pas solvables.

M. le Président : Avez-vous des statistiques sur ce phénomène ?

M. Gérard GALPIN : Aujourd'hui, non. Nous pouvons vous donner le nombre de sociétés de domiciliation que nous connaissons, et qui est assez conséquent. Mais nous n'avons pas de statistiques.

M. Jean-Louis DARMON : En région parisienne, nous sommes particulièrement confrontés à cette difficulté. Nous pourrons vous communiquer très rapidement le nombre de sociétés de domiciliation et le nombre de sociétés hébergées.

M. le Président : Vous avez laissé entendre que les formalités de création d'entreprise pouvaient être un moyen commode pour mettre en place des coquilles vides.

M. Gérard GALPIN : Nous sommes amenés à nous poser la question. Il y a un équilibre à trouver entre la nécessité de favoriser les initiatives économiques et la création d'emplois tout en permettant le bon exercice de nos métiers.

L'importance que prennent les fraudes conduit à s'interroger sur la nécessité de procéder, sinon à un meilleur contrôle, du moins à une meilleure qualification des données au moment de l'affiliation. Dans un certain nombre de fraudes que nous avons constatées dans les Assédic, il s'agissait d'entreprises nouvellement créées qui étaient des coquilles vides.

Une concertation entre les différents opérateurs que sont les CFE, l'URSSAF, l'INSEE et l'assurance chômage sur la qualification serait très utile.

Nous avons fait, en ce qui nous concerne, des progrès dans ce domaine, notamment au niveau informatique par la création de deux bases nationales : la base nationale des individus (BNI) et la base nationale des employeurs (BNE). Aujourd'hui, lorsqu'un allocataire s'inscrit dans une Assédic, cette dernière n'a plus la possibilité de créer un code employeur comme c'était le cas auparavant. Elle a accès immédiatement à la base nationale et, si l'employeur n'existe pas, c'est nous qui le créons. Nous avons sécurisé nos procédures sur le réseau national pour éviter que les Assédic n'indemnisent des salariés d'entreprises qui n'existent pas.

Mme Hélène MIGNON : Si l'employeur n'existe pas dans la base nationale, vous le créez ! N'y a t'il pas un risque que ce soit un employeur fictif ?

M. Gérard GALPIN : Le GARP, et non l'Assédic, le crée mais après vérification de son existence, en tout cas juridique. L'assurance chômage est un régime déclaratif, à partir du moment où un employeur déclare une masse salariale et des effectifs et paie ses contributions, nous estimons que notre réglementation est mise en œuvre.

S'assurer de la réalité de l'activité économique supposerait que nous ayons d'autres outils, notamment au travers des COLTI mais aussi des services fiscaux.

Une entreprise qui déclarerait un certain nombre de salariés avec un chiffre d'affaires minimum, voire nul, nous laisserait supposer que nous sommes devant un problème, voire un cas de fraude. Or ces informations ne nous sont pas accessibles aujourd'hui.

Nous avons d'autres idées d'évolution.

Nous souhaitons, en particulier, développer le projet relatif à la déclaration nominative des assurés, la DNA. C'est un projet très ambitieux, qui nous permettra de progresser au niveau de l'assurance chômage et même sur un plan plus large. L'objectif - puisque nos systèmes d'information nous le permettront prochainement - est d'obtenir tous les mois communication par les entreprises de la liste nominative de leurs salariés ainsi que des salaires versés.

Un tel système existe déjà dans d'autres pays, notamment en Belgique. La « Banque Carrefour », est une organisation qui assure la remontée d'informations de toutes les entreprises belges vis-à-vis des banques. C'est une banque de répertoires de données qui a pour mission de redistribuer les données électroniques tenant aux personnes, aux salaires ou à d'autres spécifications, aux opérateurs de protection sociale belges. En conséquence, les entreprises belges ne sont plus tenues de disposer d'un livre du personnel comme en France, puisque, désormais, la Banque carrefour tient cette donnée à jour pour le compte de chaque entreprise. D'autre part, lorsque l'équivalent de la CAF belge détecte un ayant droit à une allocation, elle prend l'initiative de le faire savoir à la personne.

À travers ce dispositif, les Belges nous apparaissent particulièrement en avance. Cela ne veut pas dire qu'il n'y a plus de fraude, mais que l'ensemble de la toile des opérateurs sociaux a été installée de manière articulée et cohérente, ce qui ne me semble pas être le cas chez nous.

M. le Président : La déclaration nominative est déjà requise pour certaines professions.

M. Gérard GALPIN : L'assurance chômage l'applique pour les expatriés et les intermittents du spectacle.

Dans ce dernier cas, nous procédons systématiquement au rapprochement des données nominatives émanant de l'intermittent de celles communiquées par l'entreprise. Lorsqu'il y a un écart, nous vérifions la véracité des éléments fournis auprès de l'employeur. Cela ne veut pas dire, qu'en faisant cela, nous évitons la fraude s'il y a une complicité forte entre l'employeur et l'intermittent. Dans ce cas, ce n'est qu'en lien avec l'URSSAF ou les COLTI que nous pourrons demander de procéder à un certain nombre de vérifications. Nous pouvons ne pas voir la fraude : il suffit qu'on nous déclare des masses salariales donnant lieu au versement de contributions pour un spectacle qui, en réalité, ne s'est pas tenu.

Les limites de l'exercice dans ce domaine sont les cas où il y a complicité entre le vrai-faux employeur et le vrai-faux salarié.

M. le Président : Cette déclaration nominative est-elle très complexe à mettre en œuvre ?

M. Gérard GALPIN : Aujourd'hui, les outils dont nous disposons, en termes de système d'information, permettent de généraliser cette déclaration - qui concernerait, il faut le savoir, 1 500 000 entreprises et 16 millions de salariés. Mais il faut que nous en ayons la possibilité légale. La CNIL va être saisie afin de recueillir son accord. Nous pensons également que, sur le plan réglementaire, la possibilité qui nous est donnée pour le rapprochement des données sur les intermittents pourrait être généralisée.

M. le Président : Vous avez évoqué des fichiers nationaux. Or vous ne vous occupez que de l'Île-de-France.

M. Gérard GALPIN : Lorsque nous voulons procéder à des vérifications, nous pouvons consulter les trente fichiers de l'assurance chômage qui constituent un fichier unique : la base nationale des employeurs qui recouvre tous les employeurs de France.

M. Maurice GIRO : Ce fichier répertorie les noms des entreprises, mais pas ceux des chefs d'entreprise, des présidents de sociétés ni des gérants de SARL. Or le problème est là aussi. Les entreprises ont toutes des noms différents et vous ne pouvez pas faire de rapprochements.

M. Gérard GALPIN : À partir du moment où l'entreprise a un numéro SIREN...

M. le Président : Il est, en effet, ressorti des auditions auxquelles nous avons procédé, notamment de celle des greffiers, que, faute d'un fichier national vraiment performant, il arrive qu'une seule personne puisse déclarer une centaine de sociétés et, si l'on ajoute à cela les faux papiers, qu'une personne interdite de gérer dans un département change de lieu et recrée une autre société immédiatement après.

M. Gérard GALPIN : Raison de plus pour que nous travaillions avec les structures ad hoc. Je reviens aux COLTI. J'ai la conviction que c'est dans cette direction qu'il faut aller.

M. le Président : Vous souhaitez la création d'un fichier qui regroupe l'ensemble des chefs d'entreprises de France pour pouvoir véritablement les identifier ?

M. Jean-Louis DARMON : Les COLTI doivent avoir accès à certaines bases de données alimentées par les greffes, avec les limites que vous venez d'évoquer. Pour le problème des multigérants, si nous possédions dans notre propre base d'information, sans avoir à aller sur une base externe, cette information pourrait constituer un signale d'alerte.

M. Gérard GALPIN : Nous devrions avoir des agents assermentés, non pas pour faire doublon avec l'URSSAF, mais pour pouvoir procéder, en tant que de besoin, à des contrôles sur place ainsi qu'à des requêtes sur des fichiers informatiques que nous pourrions partager avec l'URSSAF et le fisc, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.

L'URSSAF nous refuse l'accès à leurs fichiers au motif que nos collaborateurs ne sont pas assermentés. Cela limite nos possibilités d'investigation. Plus nous serons nombreux en France à pouvoir capitaliser, coopérer, échanger, et plus nous progresserons pour le bien public.

Cela ne signifie pas qu'il faille embaucher des collaborateurs car, en tant qu'organisme gestionnaire, nous avons des comptes à rendre et devons nous montrer de très bons gestionnaires. En revanche, si certains de nos collaborateurs étaient assermentés, ils disposeraient de moyens dont qu'ils n'ont pas aujourd'hui.

M. le Président : Avez-vous une idée du montant des fraudes ?

M. Gérard GALPIN : Non.

M. le Président : Vous n'avez pas fait d'études prospectives ?

M. Gérard GALPIN : Je ne peux pas répondre à cette question, surtout en tant que directeur du GARP.

Un autre point pourrait aussi être amélioré. Nous n'avons pas accès aux déclarations uniques d'embauche. C'est une information qui ne nous est pas communiquée alors que je crois savoir qu'elle l'est à l'ANPE et à l'URSSAF. Or, elle serait pour nous importante car elle naît au moment de la création de l'emploi.

M. le Président : La collaboration que vous avez pu créer avec les COLTI a-t-elle déjà donné des résultats tangibles ?

M. Jean-Louis DARMON : En Île-de-France, nous y sommes présents en tant que GARP et non en tant qu'Assurance chômage, parfois représentée par l'Assédic compétente en matière de demandeur d'emploi.

La transmission des procès-verbaux des réunions de COLTI est un résultat tangible. Nous savons ce qu'il faut contrôler et ce que les COLTI ont contrôlé.

Cela étant, entre les comptes rendus de réunion des COLTI et les procès-verbaux d'infraction qui en découlent, c'est-à-dire les contrôles réels qui sont opérés sur le terrain, il y a une marge. Bien que nous les ayons réclamés à de multiples reprises auprès des procureurs en charge de ces organes, nous ne les avons pas. Les raisons invoquées sont diverses. On nous répond qu'on ne peut pas légalement nous les transmettre.

M. le Président : L'URSSAF a la réputation de faire un travail sérieux. Elle dispose d'un corps de contrôleurs de plus de 1 500 personnes assermentées et d'une couverture nationale. Vous militiez en quelque sorte pour la création d'un corps de collaborateurs assermentés au sein du GARP. La solution n'est-elle pas plutôt de saisir l'URSSAF d'une mission supplémentaire de votre part ?

M. Gérard GALPIN : Pour résumer, je propose à votre mission que, par l'intermédiaire des COLTI, nous soyons destinataires de l'ensemble des procès verbaux de l'URSSAF et de l'inspection du travail, ceux de l'URSSAF nous apparaissant particulièrement utiles et importants. Nous savons que, sur ce plan, la situation devrait pouvoir évoluer favorablement.

Deuxièmement, nous jugeons utile, non pas d'embaucher des personnels supplémentaires - j'insiste sur ce point -, mais d'obtenir qu'un certain nombre de nos collaborateurs soient assermentés pour travailler sur un rapprochement de fichiers informatiques, ce que nous ne pouvons pas faire en ce moment.

L'un n'exclut pas l'autre. Ces deux mesures me paraissent, au contraire, de nature à nous rendre plus pertinents dans l'approche de la fraude.

M. le Président : Messieurs, je vous remercie.

Audition du Colonel Michel Pattin,
Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN)


(15 novembre 2006)

Présidence de M. Dominique Tian, président et rapporteur

M. le Président : Mon colonel, nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation.

M. Michel PATTIN : Je suis chef du bureau des affaires criminelles à la Direction générale de la Gendarmerie nationale, c'est-à-dire que j'assure l'interface entre les unités de terrain et le directeur général pour tout ce qui concerne les enquêtes judiciaires. A ce titre, j'ai des remontées sur les dossiers les plus importants traitant de la délinquance et, en particulier, des fraudes aux Assédic ou à l'Unédic.

J'ai demandé une évaluation des fraudes et, en particulier, le nombre de dossiers sur lesquels les unités de gendarmerie de l'ensemble du territoire sont impliquées.

Il ressort de ces chiffres que le nombre de procédures clôturées ou en cours dans le domaine qui nous intéresse était de 105 en 2005, et de 80 entre le 1er janvier 2006 et la fin du mois de septembre. Le nombre de procédures à la fin de l'année devrait donc être à peu près équivalent à celui de 2005. Cela montre que le phénomène stagne ou, en tout cas, qu'il n'a pas une tendance à la hausse contrairement à ce que nous avions constaté l'année dernière.

Deuxième éclairage donné par les chiffres : la majorité de ces dossiers sont traités par nos unités territoriales, c'est-à-dire à hauteur de chaque canton. Dès que le dossier se complexifie un peu, c'est-à-dire quand il ne s'agit plus seulement d'une ou de deux personnes utilisant des faux pour bénéficier de prestations, il est traité au niveau départemental par une brigade de recherches. Il passe entre les mains du commandant de groupement au niveau du département qui implique des officiers de police judiciaire, de façon à analyser ces procédures sur le plan judiciaire et à les faire aboutir le plus rapidement possible. Pour les dossiers les plus importants qui sont le fait de bandes organisées ou de personnes qui leur sont assimilables- création de sociétés fictives, recrutement d'employés par l'intermédiaire de rabatteurs, etc. - et qui couvrent plusieurs départements, ou même sont d'ampleur nationale, des sections de recherches qui ont compétence sur le ressort des cours d'appel sont engagées. Cela conduit en général, toujours en liaison avec les magistrats, à une ouverture d'information et passe, au besoin, par la création d'une cellule d'enquête où nous regroupons des enquêteurs spécialisés.

Certains dossiers ont été évoqués par la presse, notamment deux dossiers traités par des brigades de recherches et un dossier confié aux sections de recherches de Grenoble et de Marseille. Pour ce dernier, les faits ont été portés à la connaissance de militaires du département de l'Isère, qui se sont rendus compte que les sociétés étaient en fait implantées sur le siège du TGI de Valence. La procédure a été envoyée au TGI de Marseille de façon à ce qu'elle puisse être prise en compte par la section de recherches de cette ville. Ils ont eu affaire à des sociétés fictives qui étaient des coquilles vides et des gens, recrutés par l'intermédiaire de rabatteurs, à qui on proposait, contre un mois de salaire, un « kit » Assédic leur permettant de bénéficier de prestations auxquelles normalement elles n'avaient pas droit.

M. le Président : Cela correspondait à 1 000 ou 2 000 euros ?

M. Michel PATTIN : Je n'ai pas le chiffre exact, mais c'est de cet ordre-là. Ce dossier résulte d'une action sur initiative. Dans la majorité des cas, en effet, des affaires sont découvertes à l'occasion de contrôles. Un contrôle sur un chantier, par exemple, peut conduire à faire certaines constatations.

Pour les dossiers plus importants, les enquêteurs sont saisis, soit par le parquet, soit directement sur commission rogatoire.

Je citerai deux cas.

Le premier est un dossier traité par la brigade de recherches de Paris et qui est toujours en cours. Un contrôle du service des contrôles de l'Unédic portant, au départ, sur 17 sociétés a conduit, au fil des investigations, à s'intéresser à 103 sociétés et, finalement, à découvrir plus de 320 allocataires de fausses indemnités, ce qui représente un préjudice dépassant les 5 millions d'euros.

Le second dossier a été traité l'an dernier par la brigade de recherches de Nanterre à la suite d'une saisie en flagrance. Deux sociétés de confection, qui avaient sept gérants, recrutaient en fait des étrangers d'origine turque sans papiers, lesquels percevaient indûment des indemnités chômage. Le préjudice est estimé à 530 000 euros au niveau des sociétés et à 170 000 euros pour les organismes sociaux.

Mme Hélène MIGNON : Les recruteurs faisaient travailler ces personnes tout en leur faisant percevoir des indemnités de chômage ?

M. Michel PATTIN : Effectivement, mais il y a plusieurs cas de figure comme l'a fait ressortir l'affaire du Sud de la France. Il peut y avoir des sociétés totalement fictives mais également des sociétés qui déclarent beaucoup plus d'employés qu'elles n'en emploient réellement. Cela complexifie les recherches puisqu'il faut faire la part des employés bénéficiant légalement des allocations et des autres. Il faut distinguer entre les allocataires de bon droit et, d'une part, les allocataires qui ont travaillé dans l'entreprise mais pour lesquels le gérant n'a pas payé de cotisations - dans ce cas, c'est l'employé qui est victime - et, d'autre part, les fraudeurs qui bénéficient d'allocations chômage. Nos recherches reposent à ce moment-là sur le transfert d'argent entre la société et le travailleur de façon à voir s'il y a rémunération.

Je ferai deux observations à partir des informations fournies par les enquêteurs.

Premièrement, l'inscription au registre du commerce étant déclarative, cette déclaration peut indiquer un début d'activité antérieur à la date effective. Comme il n'y a pas de délai entre cette déclaration et l'inscription, le temps que l'on se rende compte que la société est illégale ou n'existe pas, elle a disparu et les faux salariés ont perçu des droits.

Deuxièmement, lors du dépôt de la déclaration, ce sont des copies de documents d'identité qui sont présentées Il est dès lors facile d'utiliser de faux documents ou des documents falsifiés.

En début d'année, nous avons fait remonter ces observations au bureau du droit économique et financier pour essayer de faire évoluer l'arrêté concernant la présentation des copies de pièces d'identité et la loi prévoyant la simple déclaration comme la date du début de l'activité. Il faudrait prévoir un contrôle des pièces remises au tribunal de commerce et réduire le délai entre le début d'activité et l'immatriculation. On est allé jusqu'à envisager une déclaration préalable, qui permettrait à ceux souhaitant créer une entreprise de vérifier la faisabilité et à nous, service répressif ou de contrôle, de vérifier s'il y a des falsifications.

Je parlerai enfin de l'accès direct aux fichiers. Jusqu'en octobre, avec le minitel, nous pouvions avoir un début d'information concernant les différents fichiers de l'URSSAF. Depuis, ce n'est plus possible, puisque le minitel n'existe plus. Nous avons un référent par groupement qui prend contact avec le responsable de l'administration, lequel fait les vérifications. Cela complique un peu le système.

M. le Président : On n'a pas pu passer par un système Internet ?

M. Michel PATTIN : Pas à ma connaissance. Je rappelle néanmoins que la mise en place des GIR, les groupes d'intervention régionaux, qui regroupent justement les différentes administrations, dont parfois des représentants de l'URSSAF et de l'inspection du travail, permettent d'élargir le spectre et de faire ces vérifications plus facilement. Mais les GIR ne sont pas forcément impliqués et, s'ils le sont, c'est a priori dans des dossiers qui le méritent, donc importants.

M. le Président : Vous avez indiqué qu'en 2005, il y avait eu 105 procédures ouvertes. Ce nombre est celui des grosses affaires ?

M. Michel PATTIN : Non, il recouvre l'ensemble des affaires, dont les procédures importantes.

M. le Président : L'Unédic estime à 80 millions d'euros les détournements et à 6 400 le nombre de personnes mises en examen. Mais ce sont des chiffres déjà anciens. Avez-vous d'autres statistiques ?

M. Michel PATTIN : Non, parce que, malheureusement, nous n'avons pas, dans le fameux « index 4001 » de qualification précise qui permette de faire la distinction entre ce type d'infractions et les autres. Les fraudes aux Assédic ou à l'Unédic sont répertoriées en tant qu'escroqueries. Il faudrait que nous fassions des recherches dossier par dossier sur l'ensemble des affaires pour pouvoir faire un décompte très précis.

Les chiffres que je donne sont, en réalité, ceux des faits qui sont à l'origine de message d'identification judiciaire par l'Unédic. C'est un ordre de grandeur qui ne traduit pas forcément la réalité.

M. le Président : Le juge d'instruction que nous avons entendu a insisté sur la difficulté de mener ces enquêtes compte tenu du nombre de fonctionnaires qu'elles requièrent et du travail qu'elles nécessitent.

M. Michel PATTIN : Comme tous les dossiers financiers c'est l'affaire de spécialistes. Il faut que les fonctionnaires soient formés et qu'on ait du personnel en quantité.

Le traitement des petites affaires n'est pas très lourd mais, dès qu'il s'agit de dossiers comme ceux que j'ai évoqués tout à l'heure, cela mobilise un nombre considérable de personnes. C'est pourquoi j'ai évoqué la possibilité, en ce qui nous concerne, de la création de cellules d'enquête dès que nous nous apercevons que nous sommes en présence d'un dossier d'ampleur qui s'inscrira dans le temps et pour lequel nous avons besoin de spécialistes en matière de délinquance économique et financière comme en matière d'investigation criminelle.

M. le Président : La réponse pénale à la fraude vous paraît-elle adaptée, qu'il s'agisse de la procédure ou de la sanction ? Alors que la sanction de l'escroquerie est importante - cinq ans de prison et 375 000 euros d'amende -, si ce délit n'est pas constitué, seules les peines prévues par le code du travail s'appliquent, soit 4 000 euros d'amende ?

M. Michel PATTIN : Ma position ne me permet pas de me prononcer à ce sujet. La question est compliquée parce qu'il faut distinguer entre les gens qui en profitent à titre personnel et ceux qui constituent de véritables bandes organisées et qui en font une activité aux profits très juteux.

M. le Président : Vous avez parlé d'une affaire qui mettait en cause des membres de la communauté turque.

M. Michel PATTIN : Oui, dans la confection, à Nanterre. L'attention des enquêteurs avait été attirée par deux sociétés de confection dans le cadre de flagrants délits et il a été découvert qu'elles réalisaient des escroqueries. En fait, c'est l'étude du patrimoine des sept gérants interpellés qui a permis de mettre au jour la fraude. Cet exemple montre la complexité des dossiers : il a fallu faire l'inventaire de leurs ressources, c'est-à-dire faire des réquisitions aux banques, examiner leurs déclarations ou, en tout cas, la partie visible de leurs revenus, pour mettre en avant le fait qu'entre ce qu'ils déclaraient et leur train de vie, il y avait un écart qui ne pouvait pas se justifier autrement que par une activité illégale et des escroqueries. Les enquêteurs sont ensuite remontés aux sociétés et ont établi que quelque 75 personnes, turques pour l'essentiel, étaient déclarées comme employés de ces sociétés pour bénéficier d'indemnités de chômage. En réalité, elles n'employaient qu'une dizaine d'individus. C'est un cas typique de vraie société avec de vrais employés en déclarant sept fois plus. 53 individus ont été interpellés sur quatre départements de la région parisienne.

M. le Président : Comment constate-t-on un flagrant délit ?

M. Michel PATTIN : Il y a plusieurs cas de figure. Par exemple, à l'occasion d'une vérification lors d'un accident de circulation routière, une personne qui s'était rebellée contre les gendarmes a été placée en garde à vue et fouillée. Elle détenait des sommes importantes en argent liquide sur elle: elle a expliqué qu'elle achetait des bêtes en Italie qu'elle revendait en France, alors qu'elle bénéficiait des indemnités Assédic. Dans ce cas particulier, c'est un accident de la circulation qui a permis de découvrir un travail au noir.

M. le Président : Dans les affaires importantes comme à Marseille, on retrouve souvent différents réseaux communautaires.

M. Michel PATTIN : L'affaire de Marseille n'implique pas de ressortissants étrangers.

M. Daniel PRÉVOST : Le procès d'une affaire importante a lieu actuellement au tribunal de Rennes devant lequel une famille de gens du voyage est poursuivie pour travail illégal. Une vingtaine d'entre eux possèdaient 107 comptes bancaires. Ils faisaient des ravalements de façades, des réparations de toitures, des ramonages de cheminées au noir en faisant pression pour obtenir les contrats. A peu près 400 personnes ont porté plainte sur 2 000 car les gens ont peur de représailles. En tant que maire, je suis intervenu auprès des services de gendarmerie.

M. Michel PATTIN : Ce dossier a été suivi par la section de recherches de Rennes, en collaboration avec le GIR. Effectivement ils exerçaient des pressions sur les gens en leur faisaient comprendre que, s'ils ne les payaient pas, ils reviendraient... Beaucoup de personnes se sont laissé impressionner. Au moment des interpellations, on a fait appel aux moyens spécialisés parce que c'était des gens particulièrement dangereux.

M. le Président : Peut-on dresser un bilan positif de la participation de la gendarmerie aux COLTI ?

M. Michel PATTIN : Tout à fait. Je n'ai pas de retours négatifs. Le magistrat qui dirige les séances du COLTI est bien placé pour orienter tout cela.

Cela étant, un Office central de lutte contre le travail illégal a été créé en mai 2005 qui, comme tous les offices centraux, est coordonné par la direction centrale de la police judiciaire mais en étant rattaché à la direction générale de la gendarmerie. Pour l'instant, il ne comporte que des militaires de la gendarmerie mais l'objectif est d'accroître ses effectifs par l'arrivée de policiers et par un représentant du ministère du travail.

M. le Président : Que pensez-vous de ces phénomènes de fraude très organisée qui se sont développés dernièrement ?

M. Michel PATTIN : Ils sont sans doute révélateurs de la situation économique et sociale du pays. Maintenant, je ne suis pas persuadé qu'on puisse cibler une seule partie des fraudes.

M. Maurice GIRO : Un autre problème vient du fait que, quand des personnels des services sociaux détectent des anomalies, ils ont des difficultés à en parler parce qu'ils ont peur. En tant qu'ancien président d'une commission sociale, j'ai entendu des assistantes sociales demander à ne plus s'occuper de certains dossiers.

M. le Président : Quelles sont les relations de la gendarmerie avec les Assédic ? La police et la gendarmerie ont, par exemple, mis au point une convention avec la Caisse nationale d'assurance maladie pour formaliser leurs relations

M. Michel PATTIN : C'est un texte préparé en commun. Il a été, à l'origine, porté par la police nationale mais celle-ci nous a proposé d'y être associés en septembre.

Nous sommes en contact avec l'Unédic et les Assédic par l'intermédiaire du service des fraudes de l'Unédic. Dès que celui-ci détecte un problème, il passe par mes services pour être relié avec le terrain et les unités concernées, de façon à mener les investigations de la façon la plus efficiente possible. Il y a un très bon relais de ce côté-là.

M. le Président : Un communiqué officiel de l'Unédic du 21 février 2006 recense 19 affaires et un préjudice atteignant 80 millions d'euros. Connaissez-vous ces 19 affaires.

M. Michel PATTIN : Ce sont des procédures judiciaires. Le magistrat a l'opportunité de la saisine du service : il peut donc y avoir des affaires police et des affaires gendarmerie.

M. le Président : Les affaires depuis le 1er janvier sont-elles comptabilisées dans ces 19 affaires ?

M. Michel PATTIN : C'est possible pour une partie en tout cas et notamment pour l'affaire de Marseille Dans la liste dont je dispose, il est indiqué, pour chaque affaire, la région, la qualification de l'infraction, le préjudice, le numéro de dossier, la date de dépôt de plainte. Pour l'affaire de Paris, par exemple, la date indiquée est le 6 octobre 2004, mais elle a pu être connue avant par les Assédic.

M. le Président : Depuis le 21 février 2006, donc après le communiqué officiel de l'Unédic, combien compte-t-on d'affaires nouvelles?

M. Michel PATTIN : Les chiffres dont je dispose marquent plus des tendances qu'ils ne donnent de détails. Ce que je puis dire, c'est que l'on n'a pas constaté plus d'affaires en 2006 qu'en 2005. Mais les chiffres doivent être relativisés parce qu'ils ne sont pas le reflet exact de la situation sur le terrain car l'on n'a pas forcément l'ensemble des retours.

M. le Président : Sur les 80 affaires que vous évoquez pour 2006, combien sont postérieures au 21 février 2006 ?

M. Michel PATTIN : 53.

M. le Président : Pouvez-vous nous donner une estimation du nombre de personnes impliquées et du préjudice ?

M. Michel PATTIN : Je ne peux pas répondre concernant le préjudice, mais le nombre des personnes mises en cause est de l'ordre de 63 : auteurs, organisateurs ou fraudeurs. Ce chiffre inclut les fraudeurs individuels.

M. le Président : Depuis mars, il n'y a pas de nouvelles affaires de fraude organisée ?

M. Michel PATTIN : Non, à part ceux en cours, je n'ai pas de gros dossiers depuis mars. Nous recensons des affaires modestes et la majorité des dossiers sont traités au plan local parce qu'ils ne concernent qu'une ou deux personnes : des employés de bar, des ouvriers contrôlés sur des chantiers qui touchent les Assédic et travaillent au noir. Des sociétés de gardiennage sont également mises en cause. Un bénéficiaire du RMI qui réalise des tatouages éphémères se fait payer en numéraire sans délivrer de factures. Des ouvriers travaillent sur une exploitation agricole sans être déclarés...

M. le Président : C'est plutôt du travail illégal. Comment sont constatées les infractions ? Par l'inspection du travail, par l'Assédic locale ?

M. Michel PATTIN : Ces dossiers sont traités le plus souvent par la brigade territoriale, éventuellement par la brigade de recherches quand l'affaire se complique un peu.

M. le Président : Dans l'affaire de Paris, un grand nombre de personnes ont été mises en cause.

M. Michel PATTIN : C'était bien organisé, bien réfléchi et bien rôdé. Nous avions affaire à des professionnels, qui étaient parfaitement au courant de la manière de monter un dossier pour faire toucher des indemnités.

M. le Président : Trouve-t-on les mêmes caractéristiques à Marseille qu'à Nanterre, par exemple ?

M. Michel PATTIN : Nous n'avons pas procédé à des comparaisons. Mais, à Nanterre, nous avions affaire à des sociétés existantes et employant un minimum d'employés qui augmentaient artificiellement le nombre de ces derniers. A Marseille, il s'agit de coquilles vides, de fausses sociétés à la recherche d'employés fictifs, à qui était proposé le kit, de façon à pouvoir toucher les allocations. Ce n'est pas le même modèle.

M. le Président : Je vous remercie.

Audition de M. Hubert Bouchet, commissaire de la CNIL,
Mme Sophie Nerbonne et M. Laurent Lim


(15 novembre 2006)

Présidence de M. Dominique TIAN, président et rapporteur

M. le Président : Merci de revenir aujourd'hui devant notre mission d'information, car il restait des points que nous souhaitions examiner avec vous.

M. Hubert BOUCHET : C'est un peu ma faute si les représentants de la CNIL doivent revenir en deuxième semaine : je n'avais pas pu être présent lors de la première audition.

Je fais partie de la CNIL depuis seize ans, au titre du Conseil économique et social et je suis les dossiers dont nous parlons aujourd'hui.

Chaque fois que des questions liées à la lutte contre la fraude se posent, on a tendance à considérer que la CNIL traîne les pieds. Or cela n'a jamais été le cas.

Les dossiers qui vous ont été remis en témoignent, compte tenu des deux grands principes qui sont les nôtres. D'une part, chaque traitement doit avoir une finalité ; dès l'instant où un maître de fichier déclare un traitement et une finalité, il doit s'y tenir. D'autre part, nous appliquons depuis toujours un principe de précaution, qui se traduit par une forme de régulation et une grande attention portée aux fichiers nationaux. Nous sommes particulièrement vigilants en cas d'interconnexions, c'est bien la raison pour laquelle nous sommes ici aujourd'hui.

Mme Sophie NERBONNE : Nous vous avons apporté un dossier ainsi qu'une note sur l'article 70 bis du projet de loi de financement de la sécurité sociale, plus connu sous le nom d'amendement Morange, et qui porte sur la création d'un répertoire national aux organismes de sécurité sociale qui repose sur le NIR.

Cette note, qui a été transmise aux commissions des affaires sociales des deux Assemblées, fait le point de nos interrogations sur la nécessité d'instituer un fichier national, alors que cela fait plus de vingt ans que la CNIL s'est prononcée sur l'utilisation du numéro de sécurité sociale par tous les organismes de protection sociale et que l'usage de ce numéro n'est toujours pas généralisé. Les CAF utilisent un matricule spécifique, alors qu'elles sont autorisées à utiliser le numéro de sécurité sociale.

Le préalable indispensable à la constitution d'un fichier national nouveau, compte tenu des risques inhérents aux fichiers nationaux, notamment des fichiers de population, serait de faire le bilan des interconnexions déjà autorisées par la CNIL pour vérifier si les traitements sur lesquels nous nous sommes prononcés positivement ont été mis en œuvre ou si ils ont fait leurs preuves.

M. le Président : Le président de la CNIL a tenu des propos très durs sur cet amendement. Or, vous dites d'emblée que la première question que se pose la CNIL est de celle de la finalité. S'il s'agit clairement de lutter contre la fraude, quel pourrait-être le problème ?

Mme Sophie NERBONNE : Si le président a pris cette position, c'est tout d'abord pour des raisons de méthode. La CNIL avait été associée aux travaux menés par le ministère et il avait été prévu qu'elle soit saisie préalablement, ce qui ne fut pas le cas. Il n'est jamais agréable d'avoir le sentiment d'être court-circuité, et le président tenait à « marquer le coup ».

Sur le fond, on peut se demander pourquoi il faut créer un fichier national : nous nous attachons en effet à la finalité et mettons en avant le fait que la CNIL a donné des autorisations s'agissant de l'utilisation du numéro de sécurité sociale. Ce n'est pas le cas pour les organismes de santé, qui ne sont habilités à user de ce numéro que dans le cadre des relations avec les organismes sociaux, et non pas en tant qu'identifiant médical. Un autre amendement porte d'ailleurs sur cette question, pour le dossier médical personnel, qui a fait l'objet d'un courrier de la CNIL adressé de 2 novembre dernier au ministre de la santé - et que nous vous transmettons également.

Avant d'envisager la constitution d'un fichier national qui regrouperait l'ensemble des personnes avec la mention de leur domicile, la CNIL souhaite tout d'abord disposer d'un bilan précis des échanges d'informations qui existent à l'heure actuelle et qui ont été effectivement réalisés. Depuis plus de quinze ans, toute une série de rapprochements et de liens, ont été autorisés justement dans le but de lutter contre la fraude. Une étude d'impact préalable s'avère indispensable.

Pour résoudre ce problème de lutte contre la fraude, il convient de déterminer, dans l'arsenal législatif actuel, ce qui peut être à l'origine de blocages. Inutile de créer d'autres outils, qui ne seraient pas plus sûrs tout en présentant des risques d'utilisations à d'autres fins. C'est à la fois une question de justification au regard des textes existants, et de pertinence dans la mesure où il n'existe pas en France, à l'heure actuelle, de fichier national de domiciliation.

M. Hubert BOUCHET : Nous disons que l'arsenal dont on dispose depuis quinze ans permet de lutter contre la fraude, sauf preuve du contraire. À ce stade, les autorisations que nous avons données n'ont pas toutes été mises en œuvre ou expérimentées. Le réflexe est de dire « créons un fichier », or nous sommes déjà chacun dans 500 fichiers.

M. le Président : C'est peut-être un argument facile que de dire que l'on veut créer des fichiers mais que la CNIL ne l'autorise pas. Mais cet argument a souvent été avancé devant la mission.

M. Hubert BOUCHET : Je l'ai entendu depuis vingt ans. Nous avons toujours résisté à ce que le NIR sorte de la sphère sociale. Le ministre de la santé vient de nous faire part de l'intérêt qu'il y aurait, selon lui, à l'utiliser dans la sphère médicale, avec le dossier médical personnalisé. Or, lorsque la loi a été votée, le ministre de l'époque avait exclu une telle perspective.

Nous sommes plutôt des gens de bon sens et nous sommes aussi attentifs que vous à la nécessité de lutter contre la fraude. Nous souhaitons seulement que les moyens pour y parvenir soient les plus efficaces. Je pense que ceux que nous avons autorisés permettent de régler l'essentiel du problème.

M. le Président : Le numéro NIR est indispensable pour retrouver des personnes, lorsqu'il y a usurpation d'identité ou que des personnes agissent dans plusieurs départements. C'est valable pour les créateurs d'entreprise qui après une escroquerie s'installent ailleurs. Nous avons une question s'agissant du décret du 7 mai 2004 sur la procédure de déclaration nominative intégrale du salarié par l'employeur.

M. Laurent LIM : Nous avons vérifié : apparemment, la commission n'a pas été saisie à propos de ce décret, mais la loi ne le prévoyait pas. Elle n'a pas non plus encore été saisie d'un dossier de formalité préalable pour la mise en œuvre de la déclaration nominative des assurés, dans la mesure où l'Unédic nous a indiqué qu'un groupe de travail avait été mis en place au printemps pour examiner cette question . Elle nous a précisé que cela nécessitait des travaux préparatoires importants et qu'un dossier de formalité préalable nous serait adressé au premier trimestre 2007.

Mme Sophie NERBONNE : Concrètement, ils ne sont pas en mesure de nous le transmettre avant.

M. le Président : Serait-il envisageable de croiser les fichiers des services fiscaux avec ceux de l'Unédic et des Assédic, et éventuellement de l'inspection du travail, dans la mesure où ce croisement correspondrait à une même finalité de lutte contre la fraude ?

M. Hubert BOUCHET : Il faudra le justifier. Pour le moment, des interconnexions ont été permises au cas par cas. Ce qui est en cause ici, c'est le caractère systématique de l'opération. La commission n'a pas de prévention, mais elle prend des précautions.

Mme Sophie NERBONNE : Sur cet aspect bien précis, on pourrait utiliser un cadre juridique existant, sous réserve d'y inclure les organismes gestionnaires de l'assurance chômage. Il s'agit de l'article L. 152 du livre des procédures fiscales qui prévoit que les agents des administrations fiscales communiquent des informations à toute une série d'organismes de sécurité sociale. Ces transferts sont déjà juridiquement encadrés et techniquement opérationnels depuis l'an 2000.

M. le Président : Systématiser les croisements ne vous paraît donc pas utile en l'état actuel. Mais ce pourrait être envisagé si c'était de manière ponctuelle, dans le but de détecter la fraude.

M. Hubert BOUCHET : Nous n'avons fait que cela. En seize ans, la CNIL a toujours accompagné les dispositions nouvelles dans le cadre de la loi de 1978 modifiée en 2004, et nous sommes tout à fait disposés à continuer.

M. le Président : Des difficultés importantes existent pour identifier certaines entreprises et leur gérants ainsi que les allocataires. De faux papiers sont utilisés. Des juges d'instruction ont mis en examen pas moins de 600 personnes, qui n'ont pas toutes été retrouvées. Nous sommes loin de l'univers de « super-flicage » que vous évoquez. Le décalage est énorme.

M. Hubert BOUCHET : Le législateur, c'est son choix de départ, n'a pas voulu une utilisation générale du NIR. Cela aurait simplifié les choses mais on n'a pas voulu, en 1978, d'un fichier général de la population française.

On a déjà mis de nombreux moyens en œuvre, on a accepté des interconnexions. Il y a peut-être mieux à faire, mais la généralisation ne nous semble pas être la solution. C'est ce que dit le président, même s'il ne m'a pas chargé de parler à sa place.

Mme Sophie NERBONNE : L'utilisation du numéro de sécurité sociale comme identifiant généralisé existe dans certains pays. C'est ainsi qu'aux Etats-Unis, pour avoir un crédit, il faut donner son numéro de sécurité sociale. Or, le plus gros problème rencontré dans ce pays est l'usurpation d'identité.

Le souci de pouvoir faire la preuve de l'identité des personnes, qu'elles soient allocataires ou chefs d'entreprise, est crucial. Il faudrait peut-être renforcer les contrôles au départ, lors de l'immatriculation de l'entreprise, notamment en demandant des originaux.

M. le Président : Ce serait en effet nécessaire. Aujourd'hui, on peut procéder à l'immatriculation d'une entreprise avec la photocopie d'un document d'identité présentée par un tiers. Un chef d'entreprise qui a fait faillite dans un département peut immatriculer une société dans le département d'à côté, et personne ne s'en inquiète. Il est possible de déclarer plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines de sociétés.

Les Assédic sont confrontés à un véritable problème : comment vérifier qu'une société existe, que son gérant existe, qu'elle a une activité économique. 

En cas d'escroquerie, dans le dossier qui met en cause 600 ou 800 personnes, on n'est même pas sûrs des identités ! Quel autre moyen que le NIR pour s'assurer de l'identité des personnes ? On ne va pas créer un numéro pour les chefs d'entreprise.

Mme Sophie NERBONNE : Le fichier SIREN ne serait-il pas fiable, pertinent, dans cette optique de sécurisation des données sur les entreprises ?

M. le Président : D'abord, il ne correspond pas à l'identité d'une personne, mais à celle d'une entreprise. Ensuite, il n'est pas réactualisé. L'entreprise peut disparaître et déposer son bilan, mais encore faut-il le savoir. Le greffier d'un tribunal peut connaître ce qui se passe dans son rayon d'action, mais il ne va pas s'intéresser à ce qui se passe dans un autre département ou dans une autre région. Notre préoccupation est de parvenir à identifier les personnes ce qui paraît impossible sans le NIR. Ceux qui fraudent sont des professionnels qui, eux, savent comment faire et créent de manière parfaite des sociétés qui ne sont que des coquilles vides. C'est ce qui se passe également avec le RMI. Certains le touchent dans plusieurs départements, profitant de l'inexistence d'un fichier national.

Il s'agit vraiment de contrôler la fraude. Mais on n'a peut-être pas posé les bonnes questions à la CNIL.

M. Hubert BOUCHET : Aux questions posées, notre réponse a plutôt été de dire que l'arsenal existe et qu'il faut le mettre en œuvre complètement. De nouvelles questions se posent aujourd'hui. Elles concernent, non seulement la fraude commise par les usagers des Assedic, mais celle commise par les employeurs. Le phénomène est un peu nouveau et mériterait sans doute que la CNIL y travaille.

Nous sommes en train d'examiner tous les cas où on a utilisé le NIR depuis près de trente ans pour clarifier tout cela. Parfois, la CNIL peut paraître opaque. Certains considèrent qu'elle les empêche de faire leur travail ! Or ce n'est pas notre volonté.

Mme Sophie NERBONNE : Sur la question de savoir si ce sont uniquement des contrôles ponctuels qui sont autorisés ou si, en amont, il peut y avoir une politique systématique de contrôle, je vous indique que cette politique de contrôle généralisé peut tout à fait être mise en place. Nous l'avons d'ailleurs autorisée, en vérifiant qu'il y avait un fondement législatif et sur la pratique de ce qu'on appelle « un fichier d'appel » sur la base duquel se fait le rapprochement des informations qui peuvent concerner un nombre massif d'individus, clairement identifiés.

Nous vous avons transmis une délibération de la CNIL de 1993, qui porte sur le décret en Conseil d'État relatif à l'application de l'article L. 351-21 du code du travail. Nous y rappelons que, pour que la fourniture d'informations par les organismes de sécurité sociale aux Assédic corresponde bien à la volonté du législateur, il ne fallait pas qu'elle aboutisse à porter à la connaissance des Assédic des renseignements sur le compte de personnes que celles-ci ne connaissent pas. Les rapprochements doivent se faire sur la base de réponses apportées à une demande préalable des organismes gestionnaires des régimes d'assurance chômage. C'est l'organisme qui envoie un fichier pour avoir une réponse.

M. le Président : Vous avez raison, mais c'est l'histoire de la poule et de l'œuf : il y a doute s'il y a des fichiers ; il faut qu'on ait des fichiers pour avoir des doutes ; mais vous ne les autorisez pas parce que nous n'êtes pas sûrs qu'il y ait des doutes ...

Mme Sophie NERBONNE : Mais, en l'occurrence, on a tout autorisé.

M. le Président : Faute de fichiers croisés, on ne peut pas savoir qu'il y a fraude et vous nous dites : prouvez-nous qu'il y a fraude pour qu'on puisse vous autoriser à croiser des fichiers !

Mme Sophie NERBONNE : Dans ce cas de figure, la délibération autorisait les organismes à le faire. S'agissant de l'Unédic, notre souci est de lister, pour chacune des délibérations, ce qui a été mis en place.

M. le Président : L'Unédic nous dit qu'elle voudrait pouvoir croiser ses fichiers avec tel ou tel autre organisme, notamment l'URSSAF mais qu'elle n'en a pas l'autorisation.

M. Laurent LIM : L'article L. 351-21 du code du travail dispose qu'on peut rapprocher ces informations. La loi a renvoyé à un décret d'application en Conseil d'État : c'est le décret de 1993, qui a autorisé le rapprochement de données relatives aux employeurs détenues par l'Unédic d'un côté et par les URSSAF de l'autre : d'un côté les informations aboutissent aux employeurs affiliés - c'est le niveau Unédic ; de l'autre elles aboutissent aux employeurs immatriculés - c'est le niveau URSSAF.

La CNIL a émis un avis favorable. L'article 2 précise que c'est « en vue de la vérification du versement des contributions » - c'est le côté employeurs, la vérification des droits des salariés renvoyant au côté salariés.

Et dans ce même article, le deuxième alinéa prévoit qu'il peut y avoir un rapprochement avec le SIREN, le répertoire national des entreprises.

M. le Président : Est-ce qu'une connexion éventuelle avec les services fiscaux demandée au cas par cas poserait un problème de principe ?

Mme Sophie NERBONNE : Vous me parlez du cas par cas. Mais quand je parlais tout à l'heure des dispositions du livre des procédures fiscales, je me situais dans l'optique d'une systématisation des échanges, avec un protocole technique qui a d'ores et déjà été mis en œuvre au bénéfice de certains organismes de sécurité sociale et qui pourrait être étendu à d'autres organismes. Cela nécessite une modification législative, précisément celle de l'article L. 152 du livre des procédures fiscales. À l'heure actuelle, seuls les organismes de sécurité sociale énumérés par cet article bénéficient d'un échange systématique de données. Il faudrait y adjoindre les organismes gestionnaires de l'assurance chômage.

M. Laurent LIM : L'article L. 351-21, dans son troisième alinéa, prévoit déjà pour les agents des services des impôts la communication des renseignements nécessaires à l'assiette des cotisations et au calcul des prestations.

M. le Président : Le fait que les agents destinataires de ces renseignements ne soient pas assermentés pose-t-il problème ? Les agents de l'URSSAF sont assermentés, pas ceux de l'Unédic, ni du GARP. Ils sont invités par le COLTI quand il le veut bien et ils sont destinataires d'informations de l'URSSAF quand elle le veut bien. Voilà pourquoi ils demandent à être assermentés. Y a-t-il un problème de la part de la CNIL pour qu'ils le soient ?

M. Hubert BOUCHET : Non, au contraire : plus il y a de précautions, mieux c'est.

M. le Président : Ne demandez-vous pas qu'ils soient assermentés pour bénéficier d'un tel accès aux fichiers ?

Mme Sophie NERBONNE : Nous n'avons pas eu à nous prononcer. Il est exact que nous sommes attachés à demander que des sécurités entourent les transmissions d'informations. S'il s'agit d'informations soumises au secret social, il faut que les personnes qui les réceptionnent soient dans la sphère des informations couvertes par ce secret, à moins que le secret ait été levé à leur égard.

M. Hubert BOUCHET : Nous vérifions à chaque fois la qualité des personnes qui peuvent avoir accès aux informations. Mais la question de l'assermentation ne nous a jamais été posée. De mes seize ans d'expérience, je retire l'impression que, bien souvent, on cherchait un bouc émissaire. L'Unédic a travaillé en permanence avec nous. Une partie des questions posées que vous évoquez ne le sont pas lorsque nous travaillons avec elle. Sur un sujet brûlant, et qui le restera, celui de la fraude, il ne faudrait pas que le gens se défaussent les uns sur les autres. Cela me semble être de bon sens.

Mme Sophie NERBONNE : Nos échanges avec l'Unédic consistent à déterminer dans quelles conditions de réalisation se feront les interconnexions pour lesquelles nous avons rendu toutes ces délibérations. Maintenant, nous allons leur remettre le tableau que nous avons constitué à l'occasion de cette mission d'information et faire préciser l'effectivité des interconnexions.

M. le Président : C'est fondamental.

Mme Sophie NERBONNE : Nous n'avons pas l'occasion de le savoir. Nous sommes en effet amenés à nous prononcer en amont de la mise en place des traitements. En principe, nous devrions être informés de l'abandon du traiement. De nombreuses délibérations portent sur des expérimentations qui ont ensuite donné lieu à une généralisation. Si cela ne fonctionne pas il serait intéressant de détecter les zones de blocage.

M. le Président : Ces questions de contrôle se posent aussi pour les sites Internet accessibles aux enfants et à caractère éventuellement pornographique.

Mme Sophie NERBONNE : Dès qu'on touche à Internet, se pose le problème d'effectivité de nos règles. Nous avons beaucoup travaillé sur les SPAM qui viennent polluer nos messageries électroniques. La CNIL a ouvert il y a quelques années une boîte à lettres électronique à l'intention des internautes leur demandant de nous transmettre ces messages proposant des produits suspects. Mais en trois mois nous avons reçu plus de 300 000 messages et nous avons été obligés de la fermer rapidement. Cela dit, le Gouvernement a pris la relève en aidant à la création d'une association « Signal Spam » qui a vocation à travailler avec les autres États européens et prendra attache avec la Federal Trade Commission américaine. Le phénomène est aujourd'hui mondial et les « spameurs » s'abritent derrière des serveurs relais qui passent par la Russie, la Chine, la Corée, etc.

Nos règles existent, elles s'appliquent à Internet, mais comment les rendre effectives ? Nous avions dénoncé au parquet cinq entreprises, dont l'une était localisée aux États-Unis. Le parquet a classé l'affaire en disant que de toutes façons cela ne donnerait rien dans la mesure où l'on n'arriverait jamais à faire condamner une société américaine.

M. le Président : Nous allons discuter du projet de loi sur la délinquance. Un accord avait été passé entre le Gouvernement et les fournisseurs d'accès à Internet qui avaient envisagé de créer un fichier des sites dangereux. Mais il ne regroupe que 500 sites, alors qu'il en faudrait 2 000 à 3 000 pour que le système soit fiable. Les listes noires, quant à elles, posent des problèmes liés aux libertés individuelles.

Sur les relations entre la CNIL et l'Unédic, vous semblez considérer, monsieur Bouchet, qu'on n'a jamais évoqué certains problèmes.

M. Hubert BOUCHET : Du moins pas la dimension que vous indiquez. Car nous travaillons avec eux.

Mme Sophie NERBONNE : Pas dans la dimension « qu'est-ce qui ne marche pas dans tout ce que nous avons autorisé »

M. le Président : Vous dites que nous ne savez pas ce que l'Unédic a mis en place, pourtant, chaque fois qu'un fichier est créé, il y a obligation de déclaration auprès de la CNIL.

Mme Sophie NERBONNE : Nous ne savons pas si tel traitement a été effectivement mis en œuvre car la formalité de déclaration précède la mise en œuvre.

M. le Président : Si un fichier est créé et qu'ensuite des modifications sont prévues, vous devez être saisi de sa nouvelle utilisation.

M. Hubert BOUCHET : Mais si le fichier n'est pas mis en œuvre ? Nous avons ainsi accordé aux CAF des facilités qu'elle n'ont jamais utilisées.

Mme Sophie NERBONNE : Nous avons du mal à savoir ce qui est effectivement mis en œuvre des autorisations qui ont été données. Il faudrait qu'après avoir autorisé un traitement, nous allions contrôler sur le terrain ce qui existe. Malheureusement, nous n'avons pas les moyens de le faire.

M. le Président : Vous souhaitez donc que la CNIL puisse se rendre auprès des organismes sociaux pour procéder à des vérifications.

Mme Sophie NERBONNE : Nous parlons de ce qui a été fait a priori, avant la mise en œuvre effective du traitement. Il faudrait un contrôle a posteriori. Mais compte tenu de nos moyens, et à l'heure où il serait question de les réduire, nous ne pouvons pas nous rendre systématiquement sur le terrain, ce qui serait pourtant fondamental. Nous aurions ainsi une vision beaucoup plus claire de la réalité. et non seulement de ce qui nous est déclaré.

M. le Président : Il faudrait que les gens soient légalement tenus de déclarer ce qu'ils ont mis en place ou pas.

M. Hubert BOUCHET : Il faudrait un suivi.

Mme Sophie NERBONNE : Nous demandons de plus en plus souvent d'avoir des bilans sur les expérimentations mises en œuvre. Je pense qu'avec l'Unédic ce sera désormais systématique.

M. le Président : Merci beaucoup.

Audition de M. Gérard Larcher, ministre délégué à l'emploi, au travail et à l'insertion professionnelle des jeunes

(15 novembre 2006)

Présidence de M. Dominique Tian, président et rapporteur

M. le Président : Monsieur le ministre, notre mission d'information, comme vous le savez, se penche sur les fraudes massives et organisées dont sont victimes l'Unédic et les Assédic.

La prise de conscience du problème est maintenant entrée dans la culture des Assédic. Personne ne conteste plus la réalité de la fraude, ni son caractère massif, ni la nécessité de lutter contre elle et les responsables de l'Unédic ont bien compris l'intérêt de notre mission. Mais la gestion de ce problème ne fait pas toujours l'unanimité ; en effet, certains représentants des organisations syndicales sont assez critiques quant à la manière dont le problème des fraudes est géré par l'Unédic.

Nous avons souhaité vous entendre sur les questions qui se sont posées à la mission au fil de ses travaux : moyens de contrôle développés par l'Unédic, dont les détecteurs de faux papiers et les croisements de fichiers ; facilité de création de sociétés permettant la mise en place de sociétés écrans supports de la fraude ; absence de fichier national des personnes interdites de gestion; fonctionnement des Comités opérationnels de lutte contre le travail illégal (COLTI) ; extension des missions des URSSAF ou création d'un corps de contrôle propre aux Assédic ; liaison avec l'Inspection du travail

Mais en premier lieu, pouvez vous nous préciser la nature des relations que votre ministère entretient avec l'Unédic ?

M. Gérard LARCHER : L'assurance chômage est un régime géré par les partenaires sociaux et l'Etat n'exerce en conséquent aucune tutelle sur l'Unédic et les Assédic, et donc sur sa politique de lutte contre la fraude. Cela étant, en juin 2004, parmi les objectifs prioritaires du plan national de lutte contre le travail illégal, nous avons inscrit la lutte contre le travail non déclaré, le travail mal déclaré, le non-versement des cotisations sociales, la mise à disposition payante de main-d'œuvre pour le compte de tiers, l'emploi de travailleurs étrangers sans titre et la fraude aux Assédic. La lutte contre ces différents aspects du travail illégal forme un tout et met en évidence de réelles synergies. Mais je tiens à souligner que tous les demandeurs d'emploi ne sont pas des fraudeurs en puissance et la cible prioritaire doit être la fraude organisée.

En créant l'Office central de lutte contre le travail illégal et en le rattachant à la sous-direction de la police judiciaire de la direction générale de la gendarmerie nationale, nous avons voulu nous attaquer à des modes de fraude transnationaux. C'est parfois depuis l'étranger que le travail illégal est organisé dans des conditions qui ne sont pas dignes, ni du point de vue du respect des droits de l'homme, ni de celui des exigences de notre pays en matière sociale.

La loi du 18 janvier 2005 de programmation pour la cohésion sociale a rénové le suivi de la recherche d'emploi en introduisant notamment la progressivité de la sanction. Il est désormais possible pour les Assédic d'entrer en relation avec l'ANPE et de signaler aux services de l'État des situations qui posent problème. Pour les six premiers mois de l'année 2006, nous constatons une augmentation de 75 % des sanctions par rapport aux six premiers mois de l'année 2005. Les fraudes détectées sont parfois le fait d'individus, parfois elles relèvent de tout un système de fraude organisée.

Au total, il me semble que les partenaires sociaux gestionnaires du régime d'assurance chômage ont pris conscience de l'importance du problème. Les débats qui ont précédé la loi de programmation pour la cohésion sociale et le travail qui a été accompli pour préparer la convention tripartite entre l'État, l'ANPE et l'Unédic, ont contribué à la montée en puissance d'un certain nombre de dispositifs.

La Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) nous a adressé, en août et en décembre 2005, quelques observations sur le dispositif de suivi de la recherche d'emploi, qui ont parfois défrayé la chronique. Elle suit avec attention ce qui a trait aux croisements de fichiers et aux échanges d'information et, si elle ne le faisait pas, elle ne remplirait d'ailleurs pas sa mission de protection des libertés. Quoi qu'il en soit, il serait inexact d'affirmer que la protection des libertés favorise toujours les dispositifs simples.

Des travaux ont également été menés sur les croisements de fichiers avec les entreprises de travail temporaire et la Caisse nationale d'assurance maladie (CNAM).

A l'initiative de l'Unédic, la centralisation des dossiers est opérée et permet de repérer les doubles inscriptions.

Pour la mise en place de la déclaration nominative des assurés, le Gouvernement a pris un décret en 2004. La collaboration entre l'Unédic est l'État s'est donc mise en place. À partir de 2007, dans leur déclaration de cotisation chômage, les employeurs devront fournir des données précises et nominatives sur les périodes d'activités des salariés.

Par ailleurs, la loi de financement de la sécurité sociale a renforcé dès 2006 les échanges et la coopération.

Enfin, des progrès sont faits dans le sens d'une meilleure articulation entre Assédic et URSSAF.

La simplification accroît-elle les risques de fraude ? Notre pays a adoré la complexité, mais les simplifications, comme d'ailleurs la complexité, peuvent conduire à l'émergence de fraudes. Il nous faut donc adopter des dispositifs à la fois simples, lisibles et contrôlables. Il nous faut encore travailler dans ce sens et les propositions de votre mission d'information seront les bienvenues en la matière.

S'agissant de l'évaluation du montant des fraudes à l'assurance chômage, je n'en connais que les chiffres fournis par l'Unédic. Cela étant, les travaux de la Délégation interministérielle à la lutte contre le travail illégal ont fait apparaître que 50 % des détections de fraudes résultent d'opérations de police ou de gendarmerie. La plupart du temps, les enquêtes ont été lancées sur la base de comportements dans le rapport au travail ou d'étrangetés relatives au train de vie des personnes concernées.

En deux années, 2004 et 2005, le renforcement des contrôles effectués dans le cadre de la lutte contre le travail illégal a abouti à une augmentation de 42 % des redressements de cotisations sociales. Parallèlement, près de 7 000 salariés ont été rétablis dans leurs droits, car si certains fraudent volontairement, d'autres en sont les victimes.

Durant ces deux années, le nombre d'entreprises étrangères contrôlées a augmenté de 73 %. En valeur absolue, ces contrôles restent limités, puisque 562 entreprises étrangères ont été contrôlées. Nous nous sommes fixé comme objectif de doubler ces chiffres en 2006.

Les services de police, de gendarmerie, des douanes et de l'URSSAF sont, en matière de lutte contre le travail illégal, des acteurs essentiels. L'Inspection du travail est à l'origine de la découverte de 24 % des affaires, mais ce n'était pas, jusqu'à une date très récente, l'une de ses missions prioritaires. Cela le sera dans le cadre de la nouvelle direction générale du travail, car la lutte contre le travail illégal fait partie de l'ordre régalien.

Vous le voyez, l'ensemble des dispositifs de lutte contre la fraude est en train de monter en puissance. Les partenaires sociaux de l'Unédic ont pris conscience du problème. Quand on consacre au total 42 milliards d'euros à la bataille contre le chômage et pour l'emploi, il est normal d'être attentif aux contrôles. L'augmentation de 75 % du nombre des sanctions - parce qu'elles sont désormais graduées - sans augmentation du nombre des contrôles, démontre également le caractère pédagogique de la sanction. Quand une allocation est suspendue ou réduite de 20 à 40 % pendant une certaine période, c'est l'occasion pour la personne concernée de faire un bilan à l'ANPE.

M. le Président : Selon les syndicats, en raison de la rationalisation du travail et d'efforts de gestion, les personnels des Assédic n'ont que très peu de temps à consacrer aux personnes qui se présentent aux guichets ; ils doivent vérifier si les documents qu'elles leur présentent sont vrais ou faux et ne peuvent guère aller plus loin.

M. Gérard LARCHER : À travers la convention tripartite entre l'État, l'ANPE et les Assédic, nous allons dans le sens du parcours unifié : il y a aura bientôt 150 guichets uniques. Il me semble que cela dégage un certain nombre de moyens pour les Assédic et l'Unédic, car ce sont les personnels de l'ANPE  qui sont chargés de l'accompagnement mensuel. A la fin de ce mois, 920 000 demandeurs d'emploi seront accompagnés mensuellement, ce qui signifie que chaque agent de l'ANPE sera chargé de l'accompagnement mensuel de 70 à 130 demandeurs d'emploi. Le dialogue entre l'État et l'Unédic est constructif. L'organisation de l'Unédic relève des partenaires sociaux, mais il me semble que des efforts de rationalité et de productivité seront le fruit de la convention tripartite et qu'ils devraient permettre de dégager des moyens de contrôle.

Dans chaque Assédic, un auditeur au minimum est chargé de la lutte contre les fraudes. Des procédures communes ont par ailleurs été mises en place. On a vu, dans le domaine du suivi de la recherche d'emploi, que ces procédures permettent d'être beaucoup plus efficaces. La polémique de 2004 entre l'État et l'Unédic est maintenant derrière nous.

M. le Président : Pouvez-vous nous apporter des précisions sur la mise en œuvre de la déclaration nominative des assurés (DNA), dont le principe a été posé par le décret du 7 mai 2004 ? Ce décret ne semble pas appliqué, chacun se renvoyant la balle. Ce système est déjà en place pour les intermittents du spectacle et, en pratique, pour les intérimaires. Les représentants de la CNIL nous ont indiqué ne pas avoir encore été saisis de la question de la généralisation de la DNA.

M. Gérard LARCHER : En application du décret n° 2004-401 du 7 mai 2004 modifiant l'article R. 351-3 du code du travail, l'Unédic a désormais la possibilité d'exiger des employeurs qu'ils déclarent nominativement les périodes d'activité et les rémunérations servant au paiement des cotisations chômage, et cela dans le but de mieux contrôler les déclarations afférentes aux différentes périodes d'emploi et de vérifier l'exactitude des déclarations.

Ce dispositif, qui implique d'importantes adaptations des systèmes d'information de l'Unédic, est mis en place progressivement. Il s'applique d'ores et déjà pour les employeurs d'intermittents dans le secteur du spectacle où les déclarations des périodes d'activité posaient des problèmes spécifiques. Il va être étendu à l'ensemble des employeurs qui déclarent les périodes d'activité de manière globale et anonyme.

Il s'agit d'un projet jugé essentiel par l'Unédic. Le principe de la généralisation rapide du dispositif a d'ailleurs été rappelé par les partenaires sociaux eux-mêmes dans le protocole d'accord du 22 décembre 2005 portant nouvelle convention d'assurance chômage du 18 janvier 2006.

Le ministère du travail apporte son soutien à l'Unédic pour la réalisation des travaux en cours et nous préparons un décret en Conseil d'État qui précisera l'utilisation du système.

M. le Président : La mission pourra-t-elle annoncer la date probable de mise en œuvre effective du dispositif ?

M. Gérard LARCHER : Cela dépend en partie de l'Unédic ; je vais profiter de cette audition pour qu'elle me propose une date.

M. le Président : Pouvez-vous nous apporter des précisions sur l'état d'avancement de la convention inter-organismes de protection sociale, qui vise notamment à permettre le signalement d'un cas de fraude détecté par l'un des organismes à l'ensemble des autres ?

M. Gérard LARCHER : Il s'agit d'une convention, dite « inter OPS », c'est-à-dire une convention inter-organismes de protection sociale entre CNAM, CNAV (74), CNAF (75), ACOSS (76) et Unédic. Un projet de convention a été élaboré, et son article 2 prévoit en effet le signalement d'un cas de fraude détecté par l'un des organismes aux autres organismes. Cette convention, dont le texte est désormais stabilisé, sera prochainement signée. Le texte en sera transmis immédiatement à la mission, si le calendrier de vos travaux le permet.

Ces échanges d'information et la mise en réseau présentent un grand intérêt pour la lutte contre le travail illégal derrière lequel se développent des phénomènes qui pour certains relèvent de la grande délinquance. C'est d'ailleurs une des raisons de la création de l'Office central de lutte contre le travail illégal.

M. Jean LE GARREC : Je remercie M. le ministre, qui fait beaucoup pour que le dialogue s'instaure entre des organismes qui avaient tendance à s'ignorer. Lorsque j'ai lancé, en 1983, l'idée d'un croisement entre les fichiers de l'ANPE et l'Unédic, le président de celle-ci m'a répondu que l'État, une fois de plus, se mêlait de ce qui ne le regardait pas.

Le rapprochement de ces fichiers, qui est un outil important de lutte contre la fraude, entre-t-il véritablement dans la pratique ?

Par ailleurs, je me méfie toujours, quand il s'agit de régler un problème, de la création de structures dédiées. On nous parle de contrôleurs chargés de lutter contre la fraude. Je ne suis pas du tout certain que ce soit la bonne réponse. Un corps de contrôleurs ne peut pas contrôler des centaines de milliers, voire des millions de dossiers. Le véritable problème qui se pose est le suivant : quand une personne suspecte l'existence d'une fraude, vers qui peut-elle faire remonter ses doutes ?

M. Gérard LARCHER : Le rapprochement des fichiers de l'ANPE et de l'Unédic est un dossier que nous suivons avec beaucoup d'attention. Un groupement d'intérêt économique (GIE) qui associera sous la même autorité des personnels dont le statut est différent sera mis en place au début du trimestre prochain. Dans notre pays, ce n'est pas une mince affaire. Je rappelle que les deux réseaux, jusqu'ici, ne se parlaient pas. C'est pourquoi de nombreuses études étaient menées, qui coûtaient fort cher et n'aboutissaient à rien.

Pour la lutte contre la fraude, le croisement des fichiers entre les entreprises de travail temporaire et les Assédic est un bon exemple. Plutôt qu'une nouvelle architecture, il faut mettre au point des outils très concrets.

Par ailleurs, un amendement adopté par l'Assemblée nationale en première lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale confie à l'URSSAF les contrôles relatifs à l'assiette, au taux et au calcul des cotisations d'assurance chômage, parce que l'on sait l'efficacité du corps de contrôle de l'URSSAF. Créer un autre corps de contrôle, à statut différent, risque de créer des difficultés insurmontables. En définitive, ce qui compte, c'est la qualité des recouvrements.

La question du traitement des dossiers par la justice se pose également sachant que, au-delà des procédures de recouvrement, dans les dossiers de fraude organisée la dimension pénale est extrêmement importante. Il était décourageant pour les inspecteurs du travail comme pour la police et la gendarmerie de constater que beaucoup de dossiers étaient classés sans suite. Mais depuis 2005 les choses ont progressé.

Un corps de contrôle pourrait aboutir à un certain nombre de redressements, mais si les fraudes massives et organisées ne trouvent pas de réponse pénale exemplaire, les fraudeurs ne recevront pas un signal fort.

Il est également important que les entreprises privées ne servent pas de paravent.

M. Jean LE GARREC : Vous avez parlé du rapprochement entre les fichiers des Assédic et ceux des entreprises de travail temporaire. Quel en est l'objectif ?

M. Gérard LARCHER : Cela permet de vérifier la véracité des déclarations de l'employeur et du salarié, afin d'éviter que l'entreprise de travail temporaire ne joue pas le rôle de couverture.

M. le Président : Le juge que nous avons entendu nous a dit qu'il avait à traiter un dossier de 600 personnes - ce qu'il le ferait par groupes de 30 - entre 10 et 20 % des personnes échapperont au jugement parce qu'elles auront disparu, et que l'on ne jugera finalement que ceux qui n'auront pas remboursé. Il est certain que si les sanctions pénales ne sont pas appliquées, la lutte contre la fraude en pâtira. Il faut dire qu'il est souvent très difficile de retrouver les cerveaux de ces opérations, qui sont souvent à l'étranger, comme il est très difficile de prouver leur degré d'implication.

M. Gérard LARCHER : L'Office central de lutte contre le travail illégal a vocation à lutter contre les fraudes transnationales. Peut-être serait-il bon qu'il ait les moyens de poursuivre ces affaires de fraude organisée en utilisant un certain nombre de fichiers, notamment quand des conventions judiciaires avec certains pays peuvent s'appliquer. Si l'on s'en tient à la sanction des fraudeurs en bout de chaîne, on ne brisera pas les systèmes de fraude. Il serait bon de réfléchir à l'extension de ses compétences car tous les aspects du problème se recoupent : les cotisations de sécurité sociale, le dumping, les conditions équilibrées au plan économique et social.

Cela dit, cet office est de création récente. Il doit acquérir un savoir-faire et se constituer une mémoire. Nous sommes en train de préparer des conventions bilatérales avec la Pologne, l'Espagne, le Maroc, sur lesquelles l'Office central pourra s'appuyer.

M. Maurice GIRO : La CNIL ne s'oppose pas, par principe, au croisement des fichiers à condition que l'on fasse la preuve que ce croisement sera utile pour lutter contre la fraude

M. Gérard LARCHER : La CNIL a une mission de protection des libertés. Or si le croisement de fichiers peut permettre l'exercice des libertés, il peut aussi constituer une atteinte aux libertés. Le président de la CNIL, comme le montre un entretien qu'il a récemment accordé à un quotidien, se montre très prudent sur ce sujet.

Nous avons eu l'occasion de constater l'intérêt des croisements en ce qui concerne les informations concernant les revenus personnels, car il est des gens dont le train de vie ne correspond manifestement pas aux revenus. L'ouvrage d'un certain Thierry F. démontre à cet égard les faiblesses du système. Même si la CNIL reste prudente, et s'il faut démontrer à chaque fois que le croisement ne porte pas atteinte à la liberté individuelle, elle est relativement ouverte sur la question des fraudes. Elle est bien consciente que l'addition des fraudes est une atteinte à la liberté qui met en péril, à terme, notre modèle social. Celui-ci n'a, en effet, de légitimité que s'il s'adresse à ceux qui en ont besoin, et non s'il aboutit à la création d'un système parasitaire.

M. le Président : La CNIL, nous a confirmé qu'à partir du moment où la finalité de la création d'un fichier est la lutte contre la fraude, elle n'a pas de raison de s'y opposer.

S'agissant du Comité national de lutte contre les fraudes en matière de protection sociale, je suis étonné de constater que tout le monde y participe, sauf les services de l'emploi.

M. Gérard LARCHER : L'Unédic a accueilli très favorablement l'idée de sa participation institutionnalisée au Comité national de lutte contre la fraude en matière de protection sociale, comité créé par le décret du 23 octobre 2006.

La participation des services de l'emploi à ce comité a été demandée par mon cabinet lors des débats sur la rédaction du décret. Il nous paraît extrêmement important que le délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle, ou son représentant, puisse y participer. Il paraît impensable qu'il ne participe pas de manière active à ce comité où l'on parlera de travail, d'emploi et d'assurance chômage.

M. le Président : Ne pourrait-on imaginer un système analogue à celui mis en place par l'assurance maladie, qui institutionnalise, par convention, une plateforme de coopération entre la police nationale et la CNAM ?

M. Gérard LARCHER : Il est de la seule responsabilité de l'Unédic de dire si elle le souhaite. Ce que l'on peut souhaiter c'est l'efficacité la plus grande, et personnellement, je crois qu'il faut se méfier des conventions dont on espère trop qu'elles vont régler tous les problèmes.

Déjà, plus de 50 % des affaires sont découvertes par la police ou la gendarmerie. Je pense qu'il faut poser la question à la police et à la gendarmerie sur leurs attentes.

J'insiste sur le fait que beaucoup d'affaires sont découvertes à la suite d'interventions dont l'objet n'était pas de lutter contre les fraudes : appel pour accident sur chantier, appel pour accident logistique, etc. La gendarmerie a une connaissance du terrain très forte, notamment dans le secteur semi-rural et rural. Or, les systèmes de fraude organisée ne s'installent pas toujours dans l'anonymat des villes.

M. le Président : Comment pourrait-on assurer au mieux l'équilibre entre l'encouragement à la création d'emploi par les procédures simplifiées de création de sociétés et les nécessités de sécurité juridique qui supposent un contrôle de la réalité de leur fonctionnement ?

M. Gérard LARCHER : Le Gouvernement a essayé de faciliter la création d'entreprises : 230 000 entreprises ont été créées l'an dernier, dont un tiers par des demandeurs d'emplois. La durée de survie de ces entreprises est aujourd'hui convenable. Celles qui sont créées par des demandeurs d'emploi, qui sont souvent accompagnées, ont même une durée de survie un peu plus longue que la moyenne.

Sans être un expert de ces questions, je pense que l'absence de paiement de taxes sur la valeur ajoutée est un signe qui doit alerter l'attention. Dans les sociétés écrans, il ne se passe souvent pas grand-chose.

S'agissant des démarches à accomplir pour créer une entreprise, il faut souligner que la simplification - un dossier unique dans un guichet unique - ne veut pas dire un ensemble de documents approximatifs dans un lieu incertain.

M. Maurice GIRO : Mais des documents photocopiés suffisent, et peuvent être déposés par une tierce personne.

M. Gérard LARCHER : Il faut rappeler un certain nombre de fondamentaux sur ce sujet : la simplification ne signifie pas l'absence de règles. Mais j'insiste sur le fait que certaines entreprises qui ont déclaré des effectifs nombreux sans jamais payer de TVA doivent attirer l'attention. L'attention doit porter sur l'activité de l'entreprise, plus que sur le moment de sa création.

M. le Président : Monsieur le ministre, nous vous remercions de votre contribution aux travaux de la mission d'information.

Audition de M. Denis Gautier-Sauvagnac (MEDEF)

(22 novembre 2006)

Présidence de M. Dominique Tian, président et rapporteur

M. le Président : Nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation. Vous êtes informé des travaux de cette mission qui s'intéresse à la fraude organisée, quasi industrielle, et qui ont été, à notre corps défendant, fort médiatisée. Je rappelle à cet égard que les fuites qui se sont produites dans la presse ne sont pas imputables à cette mission qui ne détenait d'ailleurs pas certains des documents concernés à cette époque.

M. Denis GAUTIER-SAUVAGNAC: Je suis heureux d'être là aujourd'hui, et l'Unédic, comme le MEDEF, se réjouissent des travaux de votre mission. Je tiens d'autant plus à le rappeler que vous avez reçu Mme Thomas, Présidente de l'Unédic et représentante CFDT, conviée avec le vice-président représentant du MEDEF ainsi que le directeur général de l'Unédic, en tant que représentants d'un organisme victime d'une fraude sur laquelle vous vouliez enquêter.

M. le Président : Ce sont effectivement les gestionnaires de l'Unédic qui étaient invités ce jour-là et la composition de la délégation qui devait être présente avait été fixée par l'Unédic elle-même.

M. Denis GAUTIER-SAUVAGNAC: Prévenu très tard de l'audition, je n'ai malheureusement pas pu m'y rendre, ce dont je vous prie de m'excuser. Aujourd'hui, si j'ai bien compris, c'est le représentant du MEDEF à l'Unédic que vous voulez entendre. Il n'y a de toutes manières pas de grande différence.

M. le Président : C'est effectivement le cas. De même, la CFDT, de son côté, a souhaité être entendue séparément en tant qu'organisation syndicale.

M. Denis GAUTIER-SAUVAGNAC: Nous considérons aujourd'hui que beaucoup de nos problèmes trouvent leur source dans la difficulté qu'il y a, en France, à procéder à des recoupements, c'est-à-dire de la contradiction existant entre la nécessité de ces recoupements de données et le principe de la liberté individuelle, défendu par la CNIL.

Or, nous devons aujourd'hui affronter une situation nouvelle, qui provient du passage de l'individu à la masse. Les fraudes ont toujours existé, qu'il s'agisse de celle rendue possible par une faille de la réglementation ou de celle du demandeur d'emploi qui profite de l'assurance-chômage sans se préoccuper de sa recherche d'emploi. Ces deux cas, bien que n'étant pas de même nature peuvent tout deux être considérés comme des fraudes.

Dans la première hypothèse, la fraude était réprimée quand elle était découverte, mais elle n'atteignait pas des proportions considérables. Quant à la seconde, il semble, selon le rapport Marimbert, que 0,08% des chômeurs, c'est-à-dire une vingtaine par département, sont radiés chaque année faute de chercher suffisamment un emploi. Je ne crois pas que ce serait faire injure aux demandeurs d'emplois que de considérer qu'il y en a sans doute bien davantage.

Ce n'est pas la question qui nous réunit aujourd'hui mais je tiens à l'évoquer car il s'agit sans doute de la seule nuance d'appréciation que nous pouvons avoir avec d'autres syndicats, et encore ! La CFDT est surtout sensible à la manière dont la question est présentée, car il ne s'agit pas de voir dans tous les demandeurs d'emplois des fraudeurs. Mais le monde de l'entreprise, est d'autant plus sensible au « suivi des chômeurs » que son insuffisance pèse sur l'image de l'ensemble des demandeurs d'emplois qui peuvent connaître des situations dramatiques et qui cherchent désespérément un emploi.

J'en viens à la fraude organisée. Elle est nouvelle par son ampleur, et ne date pas de plus de deux ou trois ans. Prenons garde cependant au risque d'exagération médiatique. C'est d'ailleurs pour cette raison que nous nous sommes émus de la publication dans la presse d'un certain nombre d'éléments. Nous avons cru que vous les déteniez et qu'ils pouvaient provenir d'ici mais puisque vous nous dites que ce n'est pas le cas, nous ne savons pas d'où ils viennent. Dans une maison de 13 500 salariés gérée par un bureau de 10 personnes, il est bien difficile de garder des documents confidentiels. J'en profite pour vous remercier de la courtoisie de votre courrier, en réponse à notre lettre.

Cette fraude est certes déplorable, mais elle nous paraît, jusqu'à présent, quelque peu exagérée par les médias. Nous en sommes toujours à 19 dossiers, impliquant 6 700 personnes, et portant sur une fraude de l'ordre de 80 millions d'euros. Nous sommes évidemment sensibles aux gros titres des journaux quand ils dénoncent la « fraude massive à l'Unédic», ce qui signifie que nous sommes mauvais, ce qui n'est jamais agréable. Bien entendu, 6 700 personnes et 80 millions d'euros, c'est beaucoup trop, surtout si c'est l'amorce d'autres affaires. Mais, les prestations versées par l'Unédic sont de l'ordre de 25 milliards d'euros. Il faut relativiser.

Nous nous sommes efforcés de réagir dès l'apparition de cette nouvelle forme de fraude. Nous nous sommes ainsi dotés, pour faire face à ces nouveaux phénomènes de fraude, d'une direction des fraudes dont la création a été totalement approuvée par le MEDEF. Je vous confirme, par ailleurs, que nous déposons systématiquement plainte - c'est en tout cas ce que demande le MEDEF - sauf sur demande de la police ou de la gendarmerie afin de les laisser remonter discrètement des filières.

Je tiens à signaler que la difficulté à trouver un équilibre entre le respect de la liberté individuelle et la nécessité de procéder à des recoupements a freiné notre travail. Nous n'avions aucun droit comme l'a montré le cas des intermittents du spectacle ! Nous avons donc pris une mesure lourde de conséquences en termes de moyens, en inscrivant, à l'initiative des représentants des employeurs, dans notre convention d'assurance-chômage de janvier 2006 - qui joue donc sur les trois années 2006-2007-2008 -, l'obligation pour les entreprises de déclarer nominativement tous leurs salariés. Notre pays compte 2 500 000 entreprises, dont 1 500 000 emploient au moins un salarié. Nous mettons donc au point un logiciel de gestion. Il aurait été impossible de prendre une telle mesure même dans les années 1980.

Cette déclaration nominative permettra de procéder beaucoup plus facilement à des recoupements.

Se pose par ailleurs le problème des recoupements avec l'URSSAF. Vous avez, déposé un amendement à ce sujet, dont l'objet était très louable, mais dont la rédaction réveillait la crainte de différents organismes de protection sociale de voir leurs cotisations gérées par d'autres avec les effets de trésorerie qui peuvent en résulter. Pour cette raison, nous avons suggéré que l'URSSAF, dont l'assiette est la même que la nôtre, saisisse immédiatement l'assurance chômage aux fins de suivi et de recouvrement quand elle décèle une fraude grâce à des moyens de contrôle que nous n'avons pas. De cette manière, le recouvrement restera assuré par l'Unédic. Nous tenons à vous remercier de cette initiative car jusqu'à présent l'URSSAF ne nous saisissait pas, et nous n'avions pas même le droit de le lui demander, au nom de la protection des libertés individuelles.

La déclaration nominative des salariés est un dispositif très lourd et compliqué à mettre en place. Depuis que nous avons lancé ce dispositif en réaction aux cas de fraude collective, le MEDEF s'inquiète de la lenteur avec laquelle il se met en place, mais je ne doute pas que les services de l'Unédic fassent tout pour y parvenir le plus rapidement possible, ce qui le début de la lutte organisée à la fraude organisée.

Nous insistons sur le fait que la totalité des recoupements possibles à partir de la déclaration nominative des employeurs doit conduire à limiter au maximum les cas de fraude qui risquent de jeter l'opprobre sur l'ensemble des bénéficiaires de l'assurance chômage.

J'ajoute enfin que j'ai pris connaissance du compte-rendu de votre entretien avec Mme Thomas dont j'approuve totalement les déclarations.

M. le Président : Des organisations syndicales qui participent au conseil d'administration de l'Unédic nous ont déclaré que la lutte contre ce type de fraude n'était pas abordé en conseil d'administration et que les diverses revendications des syndicats étant restées lettre morte. Qu'en pensez-vous ?

M. Denis GAUTIER-SAUVAGNAC: Je ne vais pas vous demander quelles organisations syndicales ont tenu de tels propos, mais je peux vous garantir que, dès l'apparition des premières fraudes organisées, le bureau en a été saisi. Peut-être y a-t-il une confusion entre le bureau et le conseil d'administration, mais je rappelle que le bureau de l'Unédic est l'organe de gestion mensuel, alors que le conseil d'administration, qui ne se réunit que trois fois par an, s'apparente plutôt à l'assemblée générale d'une entreprise.

J'imagine que les organisations que vous venez de citer sont justement celles qui se plaignent de la place accordée au bureau par rapport au conseil d'administration. Le bureau fait son devoir, et a publié deux communiqués, ce qui suppose une délibération préalable, le premier datant de 2005.

Sans doute ces mêmes syndicats n'ont pas dit qu'en général ils sont assez prudents sur ces questions car ils craignent par-dessus tout l'amalgame entre les fraudeurs et l'ensemble des chômeurs. Ces organisations « sanctuarisent » le chômeur et protestent parallèlement contre le fait que l'on ne combat pas suffisamment la fraude organisée.

Il n'est pas vrai que le bureau ne traite pas régulièrement de ces questions, il n'est pas vrai que nous n'y sommes pas extrêmement sensibles et il n'est pas vrai que nous ne voulons pas nous y attaquer. Il est vrai en revanche que nous avons eu longtemps des difficultés, en raison de la loi, pour pouvoir procéder à des recoupements de données.

M. Jean-Pierre LE RIDANT : En vérité, ces organisations syndicales se sont plaintes surtout de l'absence de débat aussi bien au conseil d'administration qu'au bureau.

M. Denis GAUTIER-SAUVAGNAC: Il ne peut y avoir de communiqué public sans délibération du bureau. À plusieurs reprises, nous avons pris position sur ces affaires de fraude, et nous avons encouragé, au bureau, les services de l'Unédic à prendre toutes les mesures nécessaires.

Il est vrai que nous avons dû attendre pour pouvoir procéder à des recoupements et mettre en place la déclaration nominative des salariés par les employeurs et que la création d'une direction de lutte contre les fraudes est relativement récente, mais personne ne parlait de fraude organisée à l'Unédic il y a trois ou quatre ans. Ces affaires ont commencé il y a deux ans.

M. le Président : L'URSSAF a évalué entre 4 et 8 milliards d'euros par an l'évasion sociale, certains secteurs d'activité étant particulièrement concernés, comme le textile et le bâtiment. Le MEDEF en fait-il un  cheval de bataille ?

M. Denis GAUTIER-SAUVAGNAC: Chaque fois qu'une affaire de travail illégal a surgi, nous avons pris position. Nous participons aux travaux de la commission Larcher avec le secteur du bâtiment et le monde du spectacle. Et ces actions ne datent pas d'aujourd'hui ! Vous trouverez, au cours de ces dernières années, de nombreuses prises de position du MEDEF condamnant le travail illégal et la fraude. Cela étant, nous ne voulons pas non plus jeter l'opprobre sur les deux millions de personnes indemnisées par l'Unédic et qui cherchent un emploi. La communication sur ce sujet est très délicate, car dès que le MEDEF appelle à la lutte contre la fraude, les mêmes protestent au motif que le MEDEF veut faire la chasse aux chômeurs !

J'ajoute que ces entreprises, qui sont des coquilles vides, n'adhèrent pas, par hypothèse, au MEDEF. Nous dénonçons vigoureusement ce genre de scandale, et nous ne restons pas passifs !

M. le Président : L'UPA s'est montrée particulièrement virulente contre ces entreprises non concurrentielles qui ne payaient pas leurs charges.

M. Denis GAUTIER-SAUVAGNAC: Ils sont plus directement concernés que le MEDEF, car c'est beaucoup dans les petites entreprises du bâtiment que ce genre de fraude a lieu. La Fédération du bâtiment, qui adhère au MEDEF, est très à la pointe de la lutte contre le travail illégal.

M. le Président : Sans doute, mais comment peut-on toujours créer une société avec un euro, sans forcément se déplacer soi-même et de surcroît en présentant de faux papiers ? Il est aujourd'hui possible d'être interdit de gestion dans un département, et de créer une société dans le département voisin. Outre leur coût, ces fraudes créent des distorsions de concurrence considérables qui mettent en péril des secteurs économiques entiers.

M. Denis GAUTIER-SAUVAGNAC: Nous nous y intéressons tellement que nous regrettons les carences de la loi en ce domaine. Le MEDEF a ainsi fait inscrire dans la convention d'assurance chômage de 2006 que le règlement de l'Unédic devait être appliqué, à savoir que les indemnités de chômage ne pouvaient être versées qu'à des personnes résidant en France. Nous savons bien que des villages entiers de certains pays du pourtour méditerranéen ou d'autres pays, touchent des indemnités chômage qui transitent au préalable par un compte situé en France. Mais la loi ne nous donne aucun moyen de contrôler le lieu de résidence.

J'ai aussi émis personnellement l'idée de demander aux banques de s'assurer que les versements de salaire correspondant aux fiches de paye étaient bien effectués. Nous n'avons aucun moyen de l'imposer aux banques.

S'agissant des intermittents du spectacle, nous demandions chaque année l'autorisation de procéder à des recoupements. Jamais un gouvernement ne l'a autorisé jusqu'à novembre 2004 !

Au cas où nous ne l'aurions pas assez répété, je redis solennellement que le MEDEF dénonce toutes les fraudes possibles et demande que la loi donne aux organismes de protection sociale tous les moyens de lutter contre la fraude.

M. le Président : Notre mission d'information a justement pour objet de réfléchir aux modifications législatives qui seraient nécessaires pour en combler les lacunes.

Il est tout de même surprenant de constater que les organismes ne se parlent pas, ce qui conduit à des situations absurdes. Il suffit qu'un dossier soit administrativement correct pour ouvrir des droits. La police nous a même rapporté que les escrocs visaient l'excellence des dossiers pour qu'ils soient acceptés du premier coup par les Assédic.

D'autre part, des organisations syndicales que nous avons reçues estiment qu'aucun contrôle sérieux ne peut être réalisé dans la mesure où les agents ne doivent consacrer que quelques minutes à chaque dossier et doivent remplir, quant au contrôle des papiers, un rôle qui n'est pas le leur.

M. Denis GAUTIER-SAUVAGNAC: Elles ne vous ont probablement pas dit que chaque fois que l'Unédic demande un suivi plus efficace des chômeurs, elles protestent avec vigueur ! Elles sont les premières à refuser d'entrer dans ces systèmes de contrôle, estimant qu'il n'est pas dans leur mission de faire la chasse aux fraudeurs. Il en va de même à l'ANPE. Des agents de l'ANPE se sont mis en grève en 2005 à cause du décret organisant un suivi un peu plus sérieux des demandeurs d'emploi indemnisés et instaurant des sanctions graduées.

M. le Président : Les organisations syndicales ont ajouté que le travail était d'autant plus difficile qu'ils ne connaissent plus les personnes indemnisées lesquelles ne se présentent plus physiquement qu'une seule fois. La recherche de productivité aurait ainsi créé les conditions de la fraude.

M. Denis GAUTIER-SAUVAGNAC: Pour ces organisations syndicales, il n'y a jamais assez de personnel. Selon elles, nous ne devrions pas être 13 000 ou 13 500 à l'Unédic mais 25 000. Dans le même temps, afin de protéger les agents qui remplissent, il est vrai, une mission difficile, les mêmes se réjouissent de la modernisation des antennes de l'Unédic, de l'installation de bornes et de l'informatisation des services.

En vérité, l'Unédic est une organisation lourde qui a à gérer 1,8 million d'indemnisés, ce qui se fait grâce à des salariés qui donnent le meilleur d'eux-mêmes. Les quelques frictions qui peuvent survenir relèvent davantage de postures de la part de certaines organisations syndicales que de la réalité des faits.

Le bureau de l'Unédic, le conseil d'administration de l'Unédic, le personnel qui travaillent dans des conditions et un environnement social difficiles le font du mieux qu'ils le peuvent.

M. le Président : Nous vous remercions.

Audition de M. Thierry Priestley, secrétaire général de la Délégation interministérielle de lutte contre le travail illégal (DILTI),
et de M. Raymond Poincet


(22 novembre 2006)

Présidence de M. Dominique TIAN, président et rapporteur

M. le Président : Nous souhaiterions recueillir le sentiment de la DILTI sur les phénomènes de fraude massive à l'Assurance chômage.

M. Thierry PRIESTLEY : La fraude aux Assédic constitue, dans le dispositif de la loi de 1997, une infraction de travail illégal. Le législateur a bien perçu une connexité assez fréquente entre la fraude aux Assédic et le travail dissimulé de façon générale. En effet, celui qui perçoit une allocation chômage tout en exerçant une activité rémunérée ne déclare pas cette dernière.

Il n'y a jamais eu, depuis que la DILTI existe, de mobilisation politique très forte sur le sujet. On s'est plutôt centré sur les autres infractions de travail illégal : travail dissimulé sous toutes ses formes, emploi des étrangers sans titre, prêt illicite de main d'œuvre et marchandage. Une autre infraction entrant dans la catégorie de travail illégal et donc dans le champ d'intervention de la DILTI, est le cumul illicite d'emplois qui n'a pas non plus fait l'objet d'une mobilisation politique extrêmement forte.

Cela dit, le plan d'action destiné à assainir le secteur des intermittents du spectacle a conduit à s'intéresser aux fraudes aux Assédic. C'est un secteur assez concerné par ce type de fraudes - particulièrement le spectacle vivant - puisque 10 % des infractions relevées par les inspecteurs du travail et de la sécurité sociale portent sur ce secteur et la mobilisation s'est avérée payante.

Depuis 2004, l'Unédic et les Assédic sont invitées de façon beaucoup plus fréquente qu'autrefois aux réunions des COLTI - comités opérationnels de lutte contre le travail illégal. C'est l'occasion d'échanger des informations entre l'ensemble des corps de contrôle et l'Unédic et de permettre, le cas échéant, de viser ce type de fraudes. Nous avons d'ailleurs reçu il y a peu de temps un représentant de la direction de l'Unédic qui nous a demandé que les Assédic soient plus systématiquement invitées aux réunions de COLTI.

M. le Président : Ne devraient-elles pas en faire officiellement partie ?

M. Thierry PRIESTLEY : Bien sûr, mais il n'existe pas de texte officiel pour désigner les membres du COLTI. La convocation se fait à l'initiative du procureur de la République, qui préside le comité. À l'heure actuelle, 60 % des départements environ invitent à peu près systématiquement les Assédic au COLTI. La déléguée interministérielle a adressé tout récemment une lettre à la Chancellerie pour demander que cette invitation soit systématique.

Par ailleurs, plusieurs dispositions législatives récentes devraient activer l'action des COLTI en matière de fraudes aux Assédic. Je pense notamment à la disposition du code de la sécurité sociale, qui concerne tous les corps de contrôle et selon laquelle, chaque fois qu'on découvre un cas de travail dissimulé, on avertit l'Unédic pour voir si, simultanément, la personne concernée ne bénéficie pas d'une allocation de chômage.

M. le Président : Disposez-vous d'une estimation du montant des fraudes ?

M. Thierry PRIESTLEY : S'agissant des fraudes aux Assédic, un véritable problème se pose : c'est une infraction de travail illégal visée en tant que telle par le code du travail, mais elle peut aussi relever d'une incrimination plus large, qui est celle de l'escroquerie. Dès lors qu'il s'agit d'une fraude importante et qu'il y a manifestement derrière cette fraude une organisation, les services de police et de gendarmerie retiennent la qualification d'escroquerie qui est beaucoup plus sévèrement réprimée. Du coup, cette fraude échappe au dispositif de travail illégal et seules apparaissent les infractions individuelles constatées le plus souvent par les services de l'inspection du travail dans les statistiques de verbalisation que nous établissons annuellement.

M. le Président : Que faudrait-il faire ?

M. Thierry PRIESTLEY : Il faudrait demander, par voie d'instruction, aux services de police et de gendarmerie ainsi qu'à la Chancellerie de faire en sorte que chaque fois qu'une infraction pour escroquerie est constatée, le secrétaire permanent du COLTI en soit informé, ne serait-ce que pour alimenter nos statistiques.

M. le Président : Y a-t-il des instructions pour que ce type de plaintes soit encouragé ? Les peines qui pourraient être prononcées contre les organisateurs sont très lourdes, mais la fraude organisée est complexe à prouver et les personnes sont très difficiles à retrouver. En outre, si les personnes remboursent, les poursuites seront abandonnées.

M. Thierry PRIESTLEY : Une telle méthode est concevable pour de très petites sommes. Mais lorsqu'il y a manifestement escroquerie et que l'affaire prend une certaine ampleur, personne n'a intérêt à se contenter d'un remboursement. Il faut absolument qu'il y ait poursuite et répression, ne serait-ce que pour démanteler les réseaux quand ils existent.

M. le Président : Parmi les personnes que nous avons auditionnées, de la police, de la gendarmerie, les organisations professionnelles, il semblerait que deux métiers soient essentiellement concernés par ce type d'escroquerie et de travail illégal : la confection et le textile ainsi que le bâtiment ?

M. Thierry PRIESTLEY : La confection probablement, car c'est un secteur fortement atteint par l'activité dissimulée. Il faudrait y ajouter la maroquinerie. Nous avons quelques exemples d'infractions assez massives, concernant des demandeurs d'asile chinois. Un autre secteur atteint est celui du spectacle vivant.

M. le Président : Ce qui nous intéresse, c'est la fraude massive organisée par des réseaux avec la fabrication de faux dossiers qui sont ensuite revendus et la création légale de fausses sociétés, par l'intermédiaire d'un tiers qui dépose des photocopies de papiers d'identité, vrais ou faux, etc. C'est à partir de là que les escroqueries se mettent en place, souvent dans le secteur du bâtiment et cela rejoint le travail illégal.

La DILTI s'est-elle penchée sur l'existence de ces centaines de sociétés qui ne sont que des coquilles vides ?

M. Thierry PRIESTLEY : Très peu. Cela nous échappe d'ailleurs, pour la raison que je vous ai indiquée tout à l'heure : dès qu'il s'agit de la fraude massive, d'escroquerie organisée, ce n'est plus traité comme du travail illégal. Les services de police s'emparent de ce type d'investigations et nous n'y sommes pas associés. Néanmoins, parfois, à l'occasion d'un contrôle de l'inspection du travail, de police ou de gendarmerie pour détecter un cas de travail illégal, nous découvrons une fraude massive. Celle-ci révélée, nous passons alors dans une autre logique pénale, celle de l'escroquerie, qui n'est pas dans le champ du travail illégal.

Je comprends que votre mission s'intéresse à la fraude massive, organisée selon les mécanismes que vous décrivez. Pour autant, je ne sais pas si la somme des fraudes individuelles, notamment dans certains secteurs d'activité, n'atteint pas des montants aussi conséquents. Nous ne sommes pas à même d'évaluer les montants en question, parce que la verbalisation se fait sans préoccupation de chiffrage.

M. Raymond POINCET : J'ai retrouvé dans les dossiers de la DILTI une fraude aux revenus de remplacement, traitée par l'inspection du travail en 1999. Il s'agissait d'une fraude massive aux allocations de chômage mettant en cause des employeurs pakistanais dans le secteur de la confection. Comme vous pouvez le constater, le phénomène ne date pas d'aujourd'hui.

Dans ce rapport, que j'ai joint à notre dossier, vous constaterez que l'inspection du travail pointait déjà certaines difficultés, en particulier le fait que ces sociétés utilisent les failles de la loi qui leur permettent d'échapper à tout contrôle - notamment via des sociétés de domiciliation. Mais cela devrait changer avec le contrôle sur les contributions qui va être confié aux agents de l'URSSAF pour le compte de l'Unédic. En 1999, on ne disposait pas encore des moyens juridiques ni des instruments adéquats. La création du nouvel Office central de lutte contre le travail illégal permettra peut-être aussi d'endiguer cette fraude massive.

M. le Président : Un Comité de lutte contre la fraude en matière de prestation sociale vient d'être créé par le ministre Xavier Bertrand. Comment votre action va-t-elle s'articuler avec celle de ce comité ?

M. Thierry PRIESTLEY : Nous en sommes membres de droit. Ce comité a été créé assez rapidement et, de fait, cette articulation est à construire. La Commission nationale de lutte contre le travail illégal est susceptible de donner des orientations aux services de contrôle pour qu'ils interviennent davantage en matière de lutte contre les fraudes aux Assédic puisqu'elles entrent dans le travail illégal. Mais elles font aussi partie du champ d'action du nouveau comité.

Le 12 décembre, le sujet sera abordé par notre délégué lors de la réunion du comité, pour que l'on sache qui fait quoi.

M. le Président : Vous allez bientôt travailler avec les déclarations nominatives des salariés, ce qui devrait faciliter les choses.

M. Thierry PRIESTLEY : Tout à fait. Cela devrait être utilisé dans le cadre des COLTI. C'est un dispositif opérationnel qui a fait la preuve de son efficacité, il faut donc que cette fraude demeure dans le champ du travail illégal. Comme vous l'avez signalé, reste à construire une bonne articulation avec le Comité de lutte contre la fraude sociale, qui n'est d'ailleurs qu'une réunion d'administrations et n'a pas de moyens propres. Au moins sur les fraudes aux Assédic, il faudra se répartir les rôles de manière efficace.

M. le Président : On connaît le rôle efficace du contrôle effectué par l'URSSAF. On n'a pas l'impression que celui effectué par l'inspection du travail soit aussi rigoureux. Le travail illégal, dit-on, se fait souvent le soir et le week-end précisément pour se soustraire à toute possibilité de contrôle.

M. Thierry PRIESTLEY : Non, il peut y avoir des contrôles le samedi et le dimanche.

M. le Président : Avez-vous des éléments statistiques sur le nombre de procès verbaux établis par l'inspection du travail ?

M. Thierry PRIESTLEY : Nous vous avons apporté certains chiffres, qui appellent néanmoins un commentaire. Tout d'abord, nous n'avons pas connaissance, pour des raisons de logique juridique et institutionnelle des infractions que la police traite sous l'incrimination de l'escroquerie.

M. le Président : Si vous interrogez la police ou la gendarmerie, elles vous répondront.

M. Thierry PRIESTLEY : Je ne sais pas quelles statistiques ils produisent. En tout cas, pas des statistiques sur la verbalisation et les poursuites engagées pour escroquerie aux prestations sociales et pas en isolant ce qui relève du travail illégal, à savoir les seules fraudes aux allocations de chômage.

Ensuite, la plupart des contrôles effectués par l'inspection du travail se font dans le cadre du contrôle de la recherche d'emploi. C'est à cette occasion qu'elle découvre qu'il y a fraude aux Assédic. Or il se trouve que les services de contrôle de la recherche d'emploi, tout en employant des inspecteurs du travail, sont intégrés dans les services « emploi » des directions départementales du travail. Ils sont en dehors de l'inspection « inspectante ». Il est arrivé qu'ils ne considèrent pas cette fraude comme une infraction de travail illégal et, en conséquence, que la verbalisation devait être transmise au secrétaire permanent du COLTI et intégrée dans nos statistiques. Nous devons, par une instruction très ferme aux directions départementales du travail, leur rappeler que les infractions qui sont relevées par les services « emploi » doivent être transmises au secrétaire permanent du COLTI.

Enfin, pour de nombreuses fraudes repérées par les services de contrôle, les services se contentent de demander le remboursement. L'Unédic elle-même ne se porte pas partie civile dans ces affaires.

M. le Président : Je croyais que les demandes de remboursement ne se faisaient pas ?

M. Thierry PRIESTLEY : Très souvent, sur les petites tricheries, l'Unédic ne se portait pas partie civile car cela leur aurait coûté plus cher que d'abandonner leur créance.

M. le Président : C'est un argument extraordinaire que de dire : vous ne risquez rien, et dans le pire des cas, vous devrez rembourser !

M. Thierry PRIESTLEY : Nous sommes entièrement d'accord. Nous souhaitons que, même pour des petites sommes, il y ait verbalisation et notification au parquet. Dès lors, celui qui a triché paiera une forte amende. En revanche, on ne peut pas demander à l'Unédic de se constituer systématiquement partie civile dans ce genre de procédures en raison de leur coût. Mais il faut qu'il y ait répression.

M. le Président : Ne serait-il pas utile, lorsque des personnes sont convaincues de travail illégal, que des liaisons soient établies avec les services de l'emploi et les services des impôts pour contrôler l'ensemble de leur dossier ?

M. Thierry PRIESTLEY : Depuis que le législateur a assimilé la perception indue et régulière de la prime pour l'emploi à la fraude pour travail illégal, il faut mettre en œuvre le même dispositif que pour les fraudes aux Assédic. Mais vous avez tout à fait raison : des liens sont construits avec les services fiscaux et, de ce point de vue, les COLTI sont un bon outil institutionnel pour les échanges d'information et pour que chacun puisse récupérer son dû. D'autant plus que l'article L. 114-15 du code de la sécurité sociale fait maintenant injonction aux corps de contrôle de prévenir les organismes gestionnaires lorsqu'ils constatent des situations de travail illégal. Théoriquement, on devrait aboutir à une vérification systématique des éventuelles fraudes, non seulement aux revenus de remplacement, mais également à la prime pour l'emploi.

M. le Président : Quand comptez-vous y parvenir ?

M. Thierry PRIESTLEY : Il faut passer les instructions nécessaires aux services. Ce point devrait être mis à l'ordre du jour de la prochaine commission nationale. Nous avons besoin de son impulsion et de son affichage pour engager ce type d'instructions et mettre en place le dispositif utile.

M. le Président : Le GARP, que nous avons auditionné, s'est plaint de ne pas avoir connaissance des procès-verbaux dressés à l'occasion des opérations des COLTI. Je rappelle que, sur le plan national, 39 cas seulement de fraudes aux allocations chômage ont été relevés par l'inspection du travail.

M. Thierry PRIESTLEY : En 2005, nous en étions à 62. Et pour le premier semestre 2006, à 38. Mais ces chiffres ne concernent que les cinq secteurs d'activité prioritaire. Par ailleurs, les statistiques ne rendent pas compte de la réalité de la verbalisation sur le sujet.

M. le Président : D'après les personnes auditionnées, la grande facilité de la création d'entreprise constitue une faille. Avez-vous demandé que l'on constitue un fichier national pour repérer les personnes ayant déjà fait l'objet de poursuites pour travail dissimulé et qui pourraient être à la tête de plusieurs dizaines voire plusieurs centaines de fausses sociétés déclarées aux greffes ? Vous appuyez-vous sur le travail des greffes ou sur les décisions de justice pour repérer de telles personnes ?

M. Thierry PRIESTLEY : Cela n'a pas été fait.

M. Raymond POINCET : Il y a deux ou trois ans, un groupe de travail a été mis en place à la Chancellerie afin de revoir la réglementation sur la domiciliation collective ainsi que le dispositif d'enregistrement des sociétés. Mais, à l'époque, on était plutôt dans une logique d'allègement des procédures administratives pour la création d'entreprise. On se rend compte maintenant que certains fraudeurs usent et abusent des failles de la réglementation.

M. le Président : Dites-nous deux mots de ce groupe de travail.

M. Raymond POINCET : Il est composé de représentants de la direction de la sécurité sociale, de la Chancellerie, de la DILTI et de la DGEFP. La dernière réunion a eu lieu en janvier 2006. Il a pour objet de préciser par un décret en Conseil d'État les modalités d'exercice des sociétés de domiciliation, à la suite du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006. L'article L. 123-11 du code du commerce modifié par cette loi renvoyait, en effet, à un décret en Conseil d'État pour l'application des nouvelles dispositions. Cela fait un an et ce décret n'est pas encore paru.

M. Thierry PRIESTLEY : Sans que ce soit une excuse, il faut reconnaître qu'à l'heure actuelle notre mobilisation est très fortement axée sur les fraudes aux affiliations à la sécurité sociale, surtout dans le cadre du développement faramineux, ces dernières années, des prestations de services transnationales et des flux de détachements de travailleurs des autres États membres.

Nous commençons à développer des coopérations avec les autres États membres. Nous craignons les uns et les autres des fraudes aux allocations de chômage à travers la prestation de services. Les Hollandais, par exemple, se plaignent de verser beaucoup d'allocations à leurs ressortissants dont un certain nombre viennent en fait travailler en France, soit en emplois directs, soit au titre de la prestation de services. Nous avons nous-mêmes déjà eu le cas de Français qui percevaient des allocations de chômage en France et, simultanément, travaillaient dans un autre pays.

M. le Président : Transmettez-vous, comme la loi le permet, aux présidents de conseils généraux les cas de fraude repérés par l'inspection du travail, pour faire des comparaisons avec les fichiers du RMI ?

M. Thierry PRIESTLEY : Ce n'est pas nous qui transmettons, car nous ne sommes pas des contrôleurs opérationnels, mais nous sommes un peu à l'origine de cette mesure. Nous avons pris toutes les dispositions pour que cette transmission puisse avoir lieu. Une circulaire de la DILTI a été adressée aux services pour que, de manière systématique, les procès verbaux soient transmis aux organismes gestionnaires des aides.

M. le Président : Est-ce que la transmission se fait entre l'inspection du travail et les Assédic ?

M. Thierry PRIESTLEY : Elle se fait par les COLTI et des dispositions spécifiques ont été prises dans le domaine du spectacle où existent des cas de fraudes parfaitement organisées.

M. le Président : Je suis étonné de la faiblesse du nombre des infractions relevées par l'inspection du travail. Pensez-vous que des modifications d'ordre législatif ou réglementaire seraient nécessaires ?

M. Thierry PRIESTLEY : Il s'agit en l'occurrence de procédures, qui peuvent concerner chacune un nombre très élevé de personnes. Vous avez raison, l'inspection du travail a des difficultés à se mobiliser sur ce type de fraudes. Je me souviens, à titre personnel, avoir eu du mal à convaincre certains de mes collaborateurs de la section « contrôle de la recherche d'emploi » de verbaliser systématiquement quand ils constataient des fraudes.

Cela dit, l'inspection du travail a des missions multiples. Un inspecteur sur un chantier s'intéresse d'abord aux questions d'hygiène et de sécurité au travail, aux questions de salaires, etc. Le type de fraudes dont nous parlons n'apparaît pas de manière systématique et suppose des investigations assez lourdes. Celles-ci ont lieu quand les inspecteurs rencontrent des situations de travail dissimulé. Ils transmettent alors aux Assédic la verbalisation, de façon qu'il soit procédé à des vérifications.

Les chiffres, même pour l'inspection du travail, ne rendent pas compte de l'ensemble des verbalisations effectuées, pour les raisons déjà indiquées. Les services de contrôle de la recherche d'emploi n'ont pas suffisamment rappelé qu'il s'agissait d'infractions de travail illégal et qu'elles devaient être transmises au secrétariat permanent du COLTI pour alimenter nos statistiques.

M. le Président : Merci, messieurs, pour votre très intéressant témoignage.

Audition de M. Vincent Roux-Trescases, président du directoire
de la plate-forme FAST, de Mme Véronique Etienne-Martin, de MM. Christophe Vattier et Benjamin Pommeraud


(22 novembre 2006
)

Présidence de M. Dominique TIAN, président et rapporteur

M. le Président : Merci d'être venus aujourd'hui devant notre mission d'information. Lors des auditions de la mission, la question de la création de sociétés qui ne sont que des coquilles vides et dont l'identité même des gérants est sujette à caution, a été évoquée à de multiples reprises. Les Assédic ont installé dans leurs bureaux parisiens des détecteurs de faux papiers qui les ont amenés à découvrir de nombreux faux. Ces difficultés d'identification nous amènent à examiner des solutions du type de celles que vous expérimentez. Nous aimerions que vous explicitiez, en particulier, l'opération que vous conduisez avec la CNAF.

M. Vincent ROUX-TRESCASES : Je suis accompagné de Véronique Étienne-Martin, directrice des relations institutionnelles, de Christophe Vattier, Directeur des opérations, et de Benjamin Pommeraud, responsable du Business developpement en charge des dossiers en relation avec les organismes sociaux. Nous vous présenterons notamment les travaux que nous avons engagés avec la CNAF, qui ont des points communs avec les sujets qui vous préoccupent en matière d'assurance chômage.

Ces sujets nous concernent aussi en tant que filiale de la Caisse des dépôts. Cette dernière s'est positionnée, il y a maintenant quatre à cinq ans, sur les sujets d'administration électronique en général et de confiance numérique en particulier - sécurisation des échanges ou rapprochement de données entre entités publiques. On dépasse le seul cadre des organismes sociaux, mais cela les inclut. Par ailleurs, la Caisse des dépôts a fait le choix de travailler sur des sujets ayant trait à la fraude sociale. À titre d'exemple, nous avons eu l'occasion d'intervenir, il y a un peu plus d'un mois, au cours d'un colloque placé sous le patronage du ministre des affaires sociales, sur cette thématique.

Nous souhaitons montrer en quoi notre activité rejoint vos préoccupations avant de détailler l'exemple du travail effectué avec la CNAF.

M. Christophe VATTIER : Nous avons pu constater, à l'occasion de nos travaux, que la fraude était facilitée par le fait que les administrations ont des difficultés à communiquer entre elles.

Cela a deux conséquences principales : d'abord, dans un certain nombre de cas, l'administré sert de « messager » entre les administrations. Nous en avons eu un exemple concret s'agissant de l'état-civil, dans les Deux-Sèvres : quand un citoyen vient chercher un extrait d'acte de naissance dans une mairie, c'est presque toujours pour le porter à une autre administration. 20 millions d'actes d'état civil sont véhiculés chaque année par les citoyens. Or de nombreuses fraudes sont commises justement parce que les pièces justificatives passent par les mains du citoyen. L'usager est astreint à une démarche supplémentaire et on ouvre un champ de fraude possible.

Ensuite, le travail des administrations s'en trouve compliqué. Celles-ci vont devoir procéder à des contrôles « à la marge » par des vérifications qui reposent sur des contacts personnels qu'elles ont pu nouer avec d'autres agents. Le procédé reste assez artisanal, pour un coût de gestion élevé. Les seuls frais d'affranchissement, dus à de nombreux échanges papier entre la sphère sociale et les différentes administrations, représentent un coût important.

La Caisse des dépôts s'est positionnée sur ces sujets à travers la plate-forme FAST, dans le but de mettre en place des systèmes d'échanges électroniques sécurisés qui permettraient de déconcentrer ces « silos » et de simplifier la vie du citoyen. Comme les justificatifs ne passent plus entre ses mains, leur falsification est évitée et les fraudes deviennent plus difficiles à réaliser. Les services informatiques existants sont affectés au minimum, pour écarter les risques de non communication entre les administrations. FAST n'est pas intrusif, il fonctionne quelle que soit l'organisation existante et s'adapte. C'est ainsi que nous travaillons aujourd'hui avec la CNAF, la CNAM, la MSA et les URSSAF.

Enfin, nous passons sous les fourches caudines de la CNIL s'agissant de traitement de données personnelles : identité d'un chef d'entreprise, informations d'état-civil, etc. Nous avons mis en place des systèmes qui respectent toute la législation en vigueur. Il n'y a pas de constitution de fichiers centraux ni de divulgation d'informations à des tiers.

Le projet FAST est en gestation à la Caisse des dépôts depuis cinq ans. Il est le produit de trois réflexions.

D'abord, une réflexion menée par l'État, au travers d'ADELE notamment, reposant sur l'idée que pour développer l'e-administration, il faut mettre en place des infrastructures d'échanges. En 2004-2005, ADELE a élaboré un plan stratégique pour l'e-administration, composé de 140 mesures. Le projet FAST en est la mesure 74. Il s'inscrit donc dans le plan stratégique porté aujourd'hui par la Direction générale de la Modernisation de l'Etat (DGME) au sein du ministère de l'économie et des finances.

Ensuite, une réflexion commune menée en 2002-2003 avec des associations d'élus telles que l'AMF ou l'ADF. A partir du moment où l'on dématérialise les échanges, il faut disposer d'un outil permettant cette dématérialisation envers tous les destinataires ; pour le téléphone, avec un même système de numérotation, vous pouvez joindre tout le monde ; vous n'avez pas des téléphones différents en fonction des interlocuteurs avec lesquels vous voulez parler. FAST répond complètement à cette exigence : c'est une plate-forme qui permet d'échanger avec tout le monde.

Enfin, une réflexion menée avec un certain nombre d'institutionnels - La Poste, France Télécom et de grandes entreprises - sur le sujet. Les études économiques ont conforté les travaux menés avec l'État ou avec les associations d'élus.

FAST est le premier « tiers de confiance » à être homologué par le ministère de l'intérieur. Nous travaillons beaucoup au niveau européen, ces systèmes d'échanges électroniques sécurisés se mettant en place au niveau communautaire, et nous avons reçu deux prix de la Commission européenne.

Nous travaillons depuis quatre ans. Notre système est maintenant rôdé et on sait le déployer rapidement auprès d'un grand nombre d'interlocuteurs différents.

M. Benjamin Pommeraud : Nous avons mis en place un système expérimental dans le département des Deux-Sèvres, en partenariat avec la Caisse d'allocations familiales des Deux-Sèvres, la MSA, l'INSEE et les plus grandes communes de ce département.

Lorsqu'une personne souhaite bénéficier des allocations familiales, du RMI ou de toute autre prestation versée par la CAF ou la MSA, elle doit fournir un certain nombre de justificatifs d'état-civil ; elle doit notamment aller chercher à la mairie de naissance des extraits d'actes de naissance pour elle et pour ses enfants. Notre démarche a consisté à permettre à ces organismes sociaux d'aller vérifier les informations déclarées par les citoyens.

Dans un premier temps, le demandeur d'une aide sociale se rend à la CAF et déclare sa date de naissance, par exemple. Dans un second temps, l'organisme social, via FAST, c'est-à-dire via une interface, peut s'adresser directement à la mairie de naissance afin de vérifier les informations qui ont été déclarées. Dans un troisième temps, la mairie adresse cette réponse à l'organisme social qui peut valider les informations données par le citoyen sans avoir eu recours à la production de justificatifs.

Ce système a un double intérêt : le citoyen n'a plus à se déplacer d'administration en administration ; il n'a pas l'occasion d'intervenir et éventuellement de falsifier les justificatifs qu'il va fournir.

M. Christophe VATTIER : Si on appliquait le même système au moment de la déclaration d'identité par le chef d'entreprise, on pourrait contrôler immédiatement l'information auprès de sa mairie de naissance.

M. Vincent ROUX-TRESCASES : Cette application a fait l'objet d'une première décision favorable de la part de la CNIL, le 8 décembre 2005. Celle-ci a néanmoins souhaité que nous menions une expérimentation, laquelle a eu lieu dans le département des Deux-Sèvres. Nous avons eu ces dernières semaines des réunions avec la CNIL pour en présenter le bilan. Elle nous a dit son intention de généraliser ce service. Nous n'avons pas la décision définitive de la CNIL, qui devrait intervenir le 8 décembre prochain, mais nous présumons qu'elle est favorable.

L'intérêt d'un tel système n'est pas seulement de se connecter à l'état-civil, mais de se connecter à toutes les sources d'information en fonction des besoins.

Nous avons commencé par le contrôle de légalité par des échanges entre les collectivités et les préfectures : les collectivités se connectent à FAST, puis à une plate-forme centrale au ministère de l'intérieur qui s'appelle ACTES, qui se connecte ensuite aux préfectures. Les échanges avec les trésoreries sont maintenant officiels pour tous les flux comptables : des collectivités se connectent à FAST, qui se connecte à HELIOS, qui se connecte aux trésoreries.

Le système est facilement applicable et facilement connectable à d'autres acteurs.

Pour en venir à la lutte contre la fraude, nous sommes aujourd'hui en discussion avec l'URSSAF s'agissant de l'APA, l'allocation personnalisée d'autonomie. On demande à la personne âgée, à qui un conseil général va délivrer de l'argent pour un jardinier, un coiffeur à domicile pour qu'elle puisse rester autonome, de fournir les factures comme preuve que l'argent a bien été dépensé dans le cadre de l'APA et non au bénéfice d'un tiers. Or ce contrôle ne fonctionne pas très bien.

Il sera possible à l'URSSAF de transmettre ses informations aux conseils généraux. Il n'est plus nécessaire pour la personne âgée de justifier les dépenses qu'elle a faites. Le contrôle entre administrations est beaucoup plus efficace et beaucoup plus rapide.

Actuellement, une grande partie de nos travaux et de nos ressources sont consacrés à la mise en place de systèmes comme ceux-là - avec l'URSSAF ou l'ACOSS. Nous travaillons aussi sur les certificats de scolarité, avec l'éducation nationale et les CAF. À chaque rentrée scolaire, l'éducation nationale doit établir à peu près 16 millions de certificats de scolarité. Un de ces certificats va à la CAF, car il constitue l'unique pièce justificative pour certaines allocations. Or il est très simple de faire un lien entre l'éducation nationale et les CAF, sans passer par les parents.

On peut aujourd'hui, dans de nombreux cas, simplifier les procédures en permettant aux administrations de se parler de manière sécurisée. C'est un de nos axes de développement prioritaires.

M. le Président : Cela fait-il aussi l'objet d'autorisations de la CNIL ?

M. Christophe VATTIER : De manière générale, nous avons une communication très forte avec la CNIL.

Mme Véronique ÉTIENNE-MARTIN : Pour le moment, seul l'état-civil est concerné. Par ailleurs, ce n'est pas nous qui obtenons l'autorisation de la CNIL, ce sont les organismes sociaux qui feront au préalable une déclaration auprès de la CNIL.

M. Vincent ROUX-TRESCASES : Mais ce sont des sujets que nous étudions d'ores et déjà, par l'intermédiaire de structures de travail associant l'ACOSS, les URSSAF et certains conseils généraux pilotes. Nous rapportons sur ces sujets régulièrement à la CNIL et les travaux se font en totale transparence vis-à-vis d'elle. Certains ne nécessitent pas des interventions lourdes de sa part, dès lors que nous ne manipulons pas de données personnelles très sensibles - les certificats de scolarité, par exemple.

Nous n'avons pas travaillé sur les systèmes d'assurance chômage. Cela a nécessité un travail préalable avec les organismes concernés pour comprendre leurs processus, leurs structures de données et leur technologie. Néanmoins, sur la base de ce que nous connaissons des autres organismes sociaux, en particulier des URSSAF, avec lesquels nous travaillons, une application de ce type de dispositif d'échanges sécurisés via un tiers de confiance peut parfaitement s'envisager a priori sur des rapprochements de données respectivement gérées par les Assédic et les URSSAF pour effectuer des contrôles de cohérence.

M. le Président : Le rapprochement de fichiers entre l'URSSAF et les Assédic devrait normalement pouvoir se résoudre. La seule chose qui leur manque est la déclaration nominative des salariés. Mais sur les identités ou certains documents liés à l'état-civil, elles auront probablement besoin d'en savoir plus.

M. Vincent ROUX-TRESCASES : Le rapprochement de fichiers est techniquement possible. Mais est-il admissible, au regard des préoccupations de la CNIL ? Nous ne connaissons pas le détail des projets entre Assédic et URSSAF, mais il faut faire attention au terme de rapprochement de fichiers. Pour la CNIL, ce rapprochement est un chiffon rouge  car elle tient à éviter la constitution de grands fichiers rassemblant sur les individus des données relevant de différentes problématiques. Un type de dispositif, qui permet de comparer des données, tout en laissant chaque groupe de données dans la sphère de compétences gérées, est respectueux des dispositions des lois informatique et libertés.

M. le Président : Il semble que l'objectif de lutte contre la fraude puisse justifier aux yeux de la CNIL la constitution de fichiers ou leur rapprochement. Nous avons abordé ce sujet longuement avec la CNIL. On met souvent son attitude en avant pour ne pas constituer des fichiers dont l'existence paraîtrait logique.

M. Vincent ROUX-TRESCASES : Sa réticence porte sur la constitution de grands fichiers. C'est pour cela que le dispositif qui permet les échanges dans des conditions sécurisées à des fins de vérification correspond mieux, a priori, à leur philosophie et au cadre juridique dans lequel elle intervient.

Mme Véronique ÉTIENNE-MARTIN : Voici un exemple de ce que la CNIL nous a autorisé à faire, dans le cadre de notre expérimentation : lorsqu'un organisme social fait une demande auprès d'une mairie, cette demande est liée à l'état-civil et à la filiation. L'organisme social demande : M. Untel est-il bien né à telle date dans telle commune ? L'officier d'état-civil qui a l'autorisation d'accéder au fichier répond oui ou non, mais il ne peut pas, pour l'instant, corriger la demande qui lui est faite.

M. le Président : Cette question est très importante. Les organismes sociaux rencontrent en effet de grandes difficultés pour savoir s'ils sont bien devant la bonne personne. En outre, on ne peut pas croiser ce fichier avec l'état-civil d'un État étranger, en tout cas pas avec ceux des pays non européens.

M. Vincent ROUX-TRESCASES : Nous avons un peu de visibilité sur ce qui se passe au niveau européen. Il commence seulement à y avoir des idées de projets de rapprochements entre pays européens. Ce dont nous parlons aboutira peut-être, au mieux, dans trois ou quatre ans, et seulement à l'échelle européenne.

M. le Président : Merci beaucoup.

Audition de Mme Dominique Fontaine, présidente du Syndicat national des centres d'affaires et entreprises de domiciliation (SNCAED), et de M. Frédéric Dathy, conseiller technique

(29 novembre 2006)

Présidence de M. Dominique TIAN, président et rapporteur

M. le Président : Le problème de la fraude organisée à l'assurance chômage, qui nous intéresse, est d'une grande ampleur. Elle s'opère au moyen de sociétés « fictives ». Les textes actuels permettent de créer facilement une société. Nous avons remarqué que de nombreuses affaires d'échelle industrielle partaient de sociétés de domiciliation. Il semble pratique de déclarer une boîte aux lettres et d'avoir une activité, difficile à repérer, sur le territoire national ou européen.

Voilà pourquoi nous aimerions en savoir un peu plus sur les sociétés de domiciliation et les centres d'affaires.

Mme Dominique FONTAINE : Nous sommes une organisation professionnelle qui a été créée en 1993 ; elle regroupe 220 adhérents.

M. Dathy et moi-même avons des responsabilités dans ce syndicat depuis quelques années. Nous avons mené une réflexion sur la réglementation de notre métier. L'adhésion à notre syndicat implique de remplir un certain nombre de critères, définis dans le dossier que je vous ai remis. Nous avons retravaillé, lors de notre dernier conseil d'administration, sur une proposition de réglementation que nous aimerions formuler.

On ne peut pas nier qu'un certain nombre d'entreprises dites de domiciliation servent d'abri. Mais ces personnes ne font pas le même métier que nous et, en tous cas, ne remplissent pas les critères d'adhésion à notre syndicat professionnel , parmi lesquels : être propriétaire de ses locaux ou avoir au minimum un bail commercial pour exercer l'activité de domiciliataire ; que ces locaux fassent au minimum 50 mètres carrés - avec bureau ou salle de réunion pour les entreprises domiciliées - ; que la domiciliation de bureaux soit l'activité principale de l'exploitant ; que les bureaux soient ouverts avec la présence, au minimum, d'une personne pour assurer l'accueil et la réponse téléphonique sept heures par jour et cinq jours par semaine ; que l'exploitant possède des dossiers pour chacun des ses clients, contenant : les statuts, le K-bis, des pièces justificatives d'identité et de domicile du gérant pour permettre une traçabilité de l'entreprise dans le temps.

Vous faisiez allusion aux dispositions qui permettent de créer très facilement des entreprises. Ces textes de simplification ont en effet permis de créer des entreprises dans des centres de domiciliation sans beaucoup d'investissements et sans fournir beaucoup de justificatifs. Il est possible de créer une entreprise au domicile de quelqu'un avec un simple justificatif de domicile et un capital symbolique. Un jour, vous disparaissez et on n'a plus de trace. Dans une entreprise de domiciliation appartenant à notre syndicat, il y aura toujours une traçabilité dans la mesure où l'on possède la photocopie de la carte d'identité du gérant, en général un RIB personnel de celui-ci ; nous nous sommes engagés transmettre ces renseignements aux administrations qui nous le demandent. Trimestriellement, nous adressons aux impôts, au greffe et à l'URSSAF la liste de nos clients entrant ou sortant, et une fois par an la liste totale de ceux-ci.

M. Frédéric DATHY : Je vous remettrai la liste des critères sur lesquels nous travaillons.

La loi de 1984 et le décret de 1985 ont très peu évolué. De nombreux professionnels et pseudo professionnels se sont engouffrés dans cette procédure de la domiciliation. Au fur et à mesure des difficultés de traitement de ces dossiers, on s'est mis à gérer plus efficacement le dossier du domicilié. Les premiers à réagir ont été les impôts, qui se trouvaient en première ligne. Ce ne fut pas le cas des URSSAF et des Assédic.

En tant que syndicat professionnel, notre influence sur une profession, sur une éthique ou sur la façon d'exercer la domiciliation s'exprime par le nombre des adhérents qui veulent bien nous rejoindre. Nous représentons aujourd'hui 30 à 35 % des acteurs économiques pour 80 % du volume en chiffre d'affaires. Mais la faille est dans les 65 à 70 % des acteurs qui ne nous ont pas rejoints et qui ne nous rejoindront jamais. Nous ne pouvons rien faire, sauf à dénoncer la très mauvaise image de marque qu'ils véhiculent et qui déprécie la profession.

Le contact avec les banques est déplorable : leurs portes se ferment aux sociétés domiciliées dans un centre d'affaires ou une société de domiciliation.

Mme Dominique FONTAINE : Nous sommes en contact avec le Crédit agricole pour étudier un partenariat par lequel nous pourrions recommander nos clients. De son côté, il fait en sorte que les banques qui ont placé parmi leurs critères de clients à risque l'installation dans une entreprise de domiciliation fassent un test sur la direction régionale de Versailles. Il nous reste à définir la durée de ce test, à partir duquel on pourra juger de la qualité des dossiers et de la probabilité de défaillance des entreprises domiciliées dans un local.

M. Frédéric DATHY: La tendance est en effet à la simplification de la création comme de la vie de l'entreprise. Mais l'équilibre est très difficile entre l'allègement des obligations et la garantie d'une traçabilité pour les administrations. Les dispositions qui ont été prises vont généralement à l'encontre de cette dernière.

Un groupe de travail a été créé à la direction générale des impôts, car celle-ci s'inquiète des déperditions de ressources fiscales. Le statut fiscal du régime simplifié, qui permet de faciliter le démarrage des entreprises, aboutit à différer les déclarations et donc le moment où l'administration fiscale enregistre le contribuable. Nous en avons discuté lors de notre conseil d'administration. Qu'un créateur choisisse la domiciliation pour y loger son entreprise, et il sera exclu de ce régime simplifié d'imposition pendant trois ans : c'est une solution sur laquelle travaille l'administration fiscale, cela permettrait d'éviter certaines opérations qui, en quinze jours, se traduisent par l'évaporation de recettes fiscales.

M. le Président : Y êtes-vous favorables ?

Mme Dominique FONTAINE : Nous y sommes favorables, à condition que cela concerne l'ensemble des entreprises qui ne disposent pas d'un bail commercial. Quand vous avez un bail commercial, vous avez un engagement minimum de trois ans. À partir du moment où vous créez votre entreprise à domicile, il n'y a aucune traçabilité.

Si l'application du régime simplifié était écartée, cela devrait concerner aussi les entreprises qui se créent à domicile, pas uniquement celles qui sont chez les domiciliataires, car il y aurait une distorsion.

M. Frédéric DATHY : J'ai évoqué les cinq critères de réglementation professionnelle de l'activité de domiciliation valant visa d'agrément du SNCAED. Le syndicat serait favorable à un agrément. Mais il n'intéresse que ceux qui veulent bien adhérer au syndicat et c'est trop restrictif pour imposer à tous une véritable déontologie et des règles de fonctionnement pérennes avec les administrations.

M. le Président : Existe-t-il un code APE régissant la profession ?

Mme Dominique FONTAINE : Non, il n'y en a pas encore, mais nous y serions favorables.

M. Frédéric DATHY : On pourrait très bien concevoir qu'un agrément de base, accordé dès qu'un professionnel adhère à un syndicat professionnel reconnu, puisse faire l'objet d'un contrôle sur dossiers. Nous faisons déjà l'objet, dans les centres d'affaires, de visites inopinées de la part de l'administration fiscale, qui vérifie que certaines pièces figurent bien dans les dossiers. Ainsi, un professionnel qui n'honorerait pas ses engagements pourrait avoir à payer d'abord une amende, puis à perdre son agrément de domiciliataire.

M. le Président : Quand on vient vous contrôler, quelles peuvent être les amendes ?

M. Frédéric DATHY : Aucunes Aujourd'hui, quand ils nous contrôlent, c'est parce qu'ils essaient de remonter un dossier fiscal et cherchent un contribuable. Il n'y a donc aucune sanction et je ne crois pas qu'ils aient engagé d'action spécifique à l'encontre d'un professionnel.

Mme Dominique FONTAINE : Il y a quelques années, un inspecteur du travail avait menacé de considérer que les centres d'affaires et les entreprises de domiciliation de la région lyonnaise étaient des recéleurs d'entreprises qui faisaient du travail dissimulé. Du fait qu'ils n'avaient pas les livres de paie...

M. Frédéric DATHY : C'est très délicat, car il faudrait avoir tous les contrats de travail, tous les registres, tous les bulletins de paie. La profession est incapable de se faire l'auxiliaire de l'administration.

Mme Dominique FONTAINE : Nous sommes prêts à participer à des séances de travail avec ceux qui vont légiférer sur notre profession. Il est nécessaire de réglementer celle-ci et nous nous considérons notre intervention comme légitime : nous sommes des professionnels et nous avons défini des critères minimum de l'exploitation de l'activité de domiciliation.

M. le Président : Avez-vous ressenti ces dernières années une aggravation de l'image de votre profession ?

Mme Dominique FONTAINE : Oui. Encore que cette image existe depuis que j'exerce ce métier. La probabilité qu'un huissier vienne dans une société de domiciliation est supérieure à ce qu'elle est pour n'importe quel immeuble de la rue si on part du principe que sur quinze entreprises qui se créent, il y en a une qui est véreuse, et que nous en hébergeons 400.

Nous avons essayé de définir des critères qui font que nous ne sommes pas des « boîtes à domiciliation » ou des boîtes aux lettres. Il faut identifier les bons des mauvais domiciliataires et l'agrément professionnel est une solution.

M. le Président : Quel est le profil de vos clients ?

Mme Dominique FONTAINE : Je dirige un réseau qui se trouve en grande banlieue. Nos clients vont de la micro-entreprise à la filiale de société étrangère. Nous avons des bureaux de représentation, des entrepreneurs individuels.

M. le Président : Y a-t-il des métiers particuliers qui utilisent ce système comme des boîtes aux lettres ?

Mme Dominique FONTAINE : Je pense que vous faites référence aux entreprises du bâtiment. Certainement, mais chez pratiquement tous les adhérents de notre syndicat, la politique de prix pratiquée est dissuasive.

M. Frédéric DATHY : Il est impératif de normaliser cette profession. En effet, si au sein de nos centres et de nos entreprises de domiciliation, on ne voit pas de dégradation de clientèle, tel n'est pas le cas de l'image qui est véhiculée.

Mme Dominique FONTAINE : Il arrive fréquemment qu'un client, au vu de la liste des pièces qu'il va devoir fournir, me réponde qu'on en demande beaucoup moins à Paris. Il y a du tri à faire : certaines entreprises, surtout sur Paris, domicilient à n'importe quel prix et n'importe comment, sans demander de pièces justificatives.

M. Frédéric DATHY : Aux domiciliés, nos clients, nous demandons d'abord un dossier d'attestation comptable : ils vont déclarer sur l'honneur le lieu de traitement et de conservation de leurs pièces comptables ; ensuite un K-bis, qui va certifier de l'immatriculation : il est hors de question d'avoir des domiciliés qui ne s'immatriculent jamais.

Le système n'est efficace que s'il est régulièrement mis à jour. Voilà pourquoi, tous les ans, les adhérents du syndicat ont l'obligation de demander un renouvellement de pièces. Si l'attestation comptable n'est pas fournie, après une deuxième relance, ils décident de garder ou non le client. L'attestation sociale aussi doit être renouvelée annuellement.

L'identité bancaire est indiquée par le RIB de la société et, à la constitution, celui du gérant.

La loi impose, en matière de domiciliation, de conclure un engagement contractuel de trois mois au minimum. Nous proposons de le porter à six mois. Si une société le refuse, c'est sans doute qu'il y a un problème.

Les pièces du dossier sont constituées de la copie des statuts, de la copie de la carte d'identité, d'un justificatif de domicile du gérant et de la copie de l'annonce légale au moment de la création de la société.

Les domiciliataires doivent avoir l'hébergement d'entreprises comme activité principale.. Le K-bis doit permettre de le vérifier.

M. le Président : Le décret 85-1280 du 5 décembre 1985 précise déjà ce genre de choses.

M. Frédéric DATHY : Ce décret n'est pas suffisamment précis.

M. le Président : C'est un minimum à respecter... qui n'est pas respecté. Selon vous, faut-il fixer de nouvelles règles ou mieux utiliser les textes existants ?

M. Frédéric DATHY : Dans le décret, il n'y a rien concernant les règles de communication avec l'administration, nous proposons d'étendre à six mois la durée minimale du contrat et nous insistons sur la notion d'activité principale du domiciliataire.

M. le Président : Quels sont vos clients ? Quel intérêt a-t-on à aller dans une société de domiciliation ?

Mme Dominique FONTAINE : L'intérêt majeur est de pouvoir dissocier sa vie privée de sa vie professionnelle, avec deux adresses. Ensuite, il est de favoriser la pérennité de l'entreprise en évitant de changer de siège social quand vous déménagez.

M. Frédéric DATHY : L'installation à domicile se fait souvent en infraction avec le règlement de copropriété. Mais le greffe ne va pas vérifier le règlement de copropriété pour immatriculer l'entreprise.

Mme Dominique FONTAINE : Nous avons déjà rencontré la Chancellerie et l'URSSAF. Nous souhaiterions que soit reprécisé ce décret de 1985 et, surtout, qu'il y ait un contrôle sur les entreprises qui s'installent comme domiciliataire. Il existe des cabinets d'avocats ou d'expertise comptable qui font de la domiciliation !

M. le Président : Seriez-vous demandeurs d'un contrôle systématique ?

Mme Dominique FONTAINE : Oui.

M. Frédéric DATHY : Les seules actions qui ont été engagées sont liées à des infractions au code de la consommation - publicité mensongère, etc.

M. le Président : Est-il facile, au fisc, de contrôler les clients des sociétés de domiciliation.

Mme Dominique FONTAINE : Depuis 1996, l'ensemble des adhérents du syndicat se sont engagés à transmettre trimestriellement la liste de ses clients à l'administration fiscale. Si elle n'en retrouve pas certains, elle nous demande de lui fournir des justificatifs.

M. le Président : Vous avez dit que vous aviez participé à une réunion de travail avec la Direction générale des impôts.

M. Frédéric DATHY : Nous ne participons pas à une commission, même si nous aimerions bien le faire. Pour le moment, nous participons au large audit mené par la direction générale des impôts.

M. le Président : Nous recevrons bientôt la direction générale des impôts.

Les URSSAF ou les Assédic nous ont signalé des sociétés boîtes aux lettres, qui domicilent 1 400 sociétés sur quelques dizaines de mètres carrés !

M. Frédéric DATHY : C'est bien la preuve que le décret n'est pas appliqué.

Mme Dominique FONTAINE : Nous aimerions que ce décret soit précisé, qu'il y ait un contrôle, et qu'à la suite du contrôle on donne un agrément du type de l'agrément des architectes. Les centres de domiciliation seraient agréés par l'administration.

Cela empêcherait n'importe qui de s'installer comme domiciliataire. Il y a peu, j'ai vu sur Internet un site où l'on proposait à ceux qui voulaient améliorer leurs fins de mois de faire de la domiciliation chez eux. Il suffisait de mettre une boîte aux lettres dans l'entrée et les gens venaient chercher leur courrier.

M. le Président : Vous avez dit que le montant de votre prestation était dissuasif. Quel est-il ?

M. Frédéric DATHY : Le phénomène de la domiciliation est tout de même bien parisien. J'ai discuté avec des confrères de Lille et de Nantes. Ils rencontrent les mêmes problèmes en province, mais ces problèmes n'ont pas le même impact. À Paris, certaines adresses prestigieuses font monter les tarifs. Avenue Parmentier, les tarifs ne sont pas les mêmes que rue de Castiglione ; l'abonnement est de 70 euros par mois, contre 110.

Mme Dominique FONTAINE : Il s'agit de la mise à disposition d'une adresse professionnelle. Nous tenons à faire oublier le terme de « boîte aux lettres ». Car le courrier n'est pas seul concerné. Il y a aussi les services.

M. Frédéric DATHY : Il peut s'agir d'aide à la création. La personne qui installera sa domiciliation pourra avoir un bureau ponctuel pour recevoir ses clients et ses fournisseurs ; une salle de réunion pour assurer des formations, des démonstrations ; une permanence téléphonique qui lui assurera un standard et un centre d'appels personnalisé qui lui permettront de progresser dans sa phase de création. Au bout de trois ans, nous avons vocation à perdre de tels clients : ils vont s'installer, prendre leurs locaux, leur secrétariat.

Mme Dominique FONTAINE : Pour préparer cette audition, nous avons fait un petit sondage auprès de nos adhérents. Il en ressort qu'il y a à peu près 35 000 entreprises domiciliées chez les adhérents du SNCAED. À la connaissance de nos adhérents, il n'y a quasiment pas eu d'entreprises concernées par des escroqueries. La durée moyenne de vie chez nous est d'environ quarante-huit mois. Et les représentants du Syndicat représentent environ 220 entreprises et 750 salariés.

M. le Président : Les gens exercent-ils leur activité dans d'autres locaux ?

Mme Dominique FONTAINE : Pas forcément. Un consultant, par exemple, a besoin d'une adresse professionnelle. En dehors de cela, il est chez ses clients ou travaille à domicile.

M. Frédéric DATHY : Une circulaire de l'administration fiscale, très ancienne mais toujours en application, a mis en place un organigramme de gestion de la domiciliation. La première question porte sur l'immatriculation de la personne morale au registre du commerce et des sociétés ; il s'agit d'exclure, notamment, les associations. La deuxième question porte sur le fait de savoir si la société dispose, oui ou non, d'un local extérieur. Cette question est fondamentale. Si le domicilié à un local professionnel extérieur à l'adresse de domiciliation, l'administration fiscale ne remettra pas en cause la domiciliation, mais lui indiquera que son siège social ne peut être chez le domiciliataire, mais à l'adresse du local ou il exerce son activité.

M. le Président : L'URSSAF rencontre des problèmes avec les sociétés spécialisées dans la confection. Lorsqu'elle découvre des salariés qui ne sont pas déclarés, le gérant de la société en cause est très difficile à identifier. Il en est de même de l'endroit où doivent se trouver les registres du personnel, le dossier administratif et fiscal.

Avez-vous une connaissance statistique du nombre de vos clients qui n'utilisent pas les services comme le service accueil ou les bureaux ?

Mme Dominique FONTAINE : La majorité de nos clients n'utilise ni le service bureaux, ni le service salles de réunion. Le plus souvent, ils n'en ont pas besoin. Les entreprises les plus importantes les tiennent chez l'expert comptable.

En revanche, certains de nos domiciliés ont systématiquement recours à ces services parce qu'ils reçoivent des fournisseurs ou des clients.

Quant au service accueil : traitement du courrier, réception des appels téléphoniques et réception des visiteurs, il est systématiquement utilisé.

M. Frédéric DATHY : Nous sommes un syndicat d'entreprises de domiciliation et de centres d'affaires. La dénomination est en voie d'être changée au profit du Syndicat national des professionnels de l'hébergement d'entreprises. Les centres d'affaires ont une activité de domiciliation qui représente entre 20 et 30 % de leur chiffre d'affaires. D'autres de nos adhérents sont uniquement entreprises de domiciliation.

Mme Dominique FONTAINE : Nous avons eu connaissance, il y a quelques années, d'une entreprise de domiciliation installée dans l'arrière-boutique d'un magasin de vidéo. Nous pensons que la domiciliation doit être l'activité principale, ce que ne prévoit pas le décret.

M. Frédéric DATHY : Le décret prévoit une condition de durée de trois mois et la mise à disposition d'un bureau pour les organes, etc. Il ne prévoit pas ce qu'il doit y avoir dans le dossier d'un domicilié, à part un contrat signé, ni ce qui doit figurer dans le contrat.

La profession souffre d'un manque de crédibilité. La situation commence à évoluer, parce que les escroqueries dont devenues massives au niveau de la fiscalité, de l'Urssaf ou de l'Unedic et les insuffisances du décret apparaissent.

Il nous manque une réglementation de base indiquant ce que doit contenir un dossier, comment le renouveler, quelles communications faire aux administrations. Selon moi, il conviendrait d'instituer un agrément.

Un syndicat professionnel ne peut pas prendre une initiative globale. La solution ne peut être que réglementaire ou législative.

Dans le but de faciliter la création d'entreprises, on est parti du principe que l'entrepreneur individuel pouvait s'installer à son domicile puis on a allongé la durée pendant laquelle c'était possible. En 1984, ont été votées des dispositions sur la domiciliation collective permettant d'échapper à la rigueur du bail commercial et à ses exigences financières. Tout le monde s'y est engouffré. Pour réagir l'administration fiscale a adopté une circulaire mais on en est resté là.

M. le Président : Pourrions-nous revenir sur la question du régime simplifié d'imposition ?

M. Frédéric DATHY : Lorsque l'on a connaissance de l'existence d'une société et que celle-ci n'est pas au régime réel mais au régime simplifié d'imposition, l'administration fiscale ne l'apprend que six ou huit mois après. Et entre temps, il arrive que la société ait disparu, ce dont l'administration a été informée via nos déclarations trimestrielles des entrants et des sortants.

Ce problème se pose au niveau européen : une entreprise de la Communauté s'installe à Paris pendant deux ou trois mois ; pendant cet espace de temps, elle a le temps de signer un contrat portant sur des sommes faramineuses ; mais l'administration fiscale et les organismes sociaux ne voient rien. Comment d'identifier au plus vite ces sociétés qui s'immatriculent en domiciliation ?

De notre côté, nous envoyons systématiquement la liste des domiciliés. Après, c'est une question de prise en charge du dossier. Mais l'administration fiscale pourrait aller au-delà en excluant les sociétés domiciliées du régime simplifié d'imposition sur une première période à définir.

Mme Dominique FONTAINE : Si tel était le cas, il faudrait que le régime simplifié ne soit possible que dans le cadre d'un bail commercial.

On a souhaité faciliter la création d'entreprises. Mais les mesures qui ont été prises en ce sens ont facilité l'installation de gens poursuivant des buts malhonnêtes.

M. le Président : Il n'en reste pas moins que la loi de simplification a aggravé la situation.

Mme Dominique FONTAINE : La loi Dutreil a surtout modifié notre métier. Elle n'est pas favorable aux entreprises de domiciliation sérieuses.

M. le Président : Je vous remercie.

Auditions de MM. Gaby Bonnand et Michel Mersenne (CFDT)

(29 novembre 2006)

Présidence de M. Dominique TIAN, président et rapporteur

M. le Président : Merci, messieurs, d'avoir répondu à notre invitation. Nous avons reçu la présidente de l'Unédic, ses administrateurs, et les organisations syndicales pour connaître leur avis sur ce dossier important qui soulève quelques interrogations.

Avez-vous participé à des débats, au sein des organes dirigeants de l'Unédic, sur ce type de problèmes ? Est-ce une préoccupation ? Quelle est votre opinion, en tant qu'organisation syndicale, sur ce type de fraude ?

M. Gaby BONNAND : Merci de nous auditionner dans le cadre de votre mission. Je suis secrétaire national, chargé notamment des questions de protection sociale. Cette question fait évidemment l'objet de débats au sein de notre organisation comme dans les instances de l'Unédic. En tant qu'organisation syndicale, nous sommes très attachés à ces débats : les premières victimes des fraudes sont ceux qui financent, par leurs cotisations, le régime Unédic et ceux qui ne fraudent pas et reçoivent un salaire différé dans le cadre de la solidarité nationale, c'est-à-dire de l'argent public. La CFDT estime que l'argent public ne doit pas être détourné de son objet ; il doit être géré et contrôlé avec rigueur.

Les fraudes individuelles ont toujours existé. Elles étaient facilitées par certains éléments, notamment par le système d'information qui permettait de s'inscrire dans plusieurs Assédic. Aujourd'hui, cette possibilité a été réduite grâce à l'important travail de l'Unédic pour réorganiser son réseau. Mais nous sommes maintenant confrontés à une fraude collective, plus organisée et multiforme : fraude aux cotisations, travail non déclaré, sociétés fictives qui s'organisent pour toucher des fonds.

Tous ces éléments militent pour un renforcement de la coopération : coopération entre les organismes gérants des fonds publics, tout d'abord. Les agents font des efforts importants dans ce sens, et je voudrais leur rendre hommage.

Nous avons plusieurs propositions à faire en la matière. Lorsque des contrôleurs URSSAF, qui sont assermentés, ont connaissance de fraudes, l'Unédic n'en a pas le retour. Il faudrait donc que ceux-ci puissent nous retourner leurs constats de fraudes. De la même manière, l'Unédic devrait pouvoir avoir, en tant qu'organisme collecteur, un service de contrôle du même type. Mais l'urgence est de mieux coordonner ce qui est déjà réalisé en matière de contrôles, de manière que l'Unédic ait connaissance des constats faits par l'URSSAF.

M. le Président : Certaines des autres organisations syndicales que nous avons reçues nous ont déclaré que cela n'a jamais semblé être une des préoccupations des administrations, qu'il n'y a eu que peu de débats sur le sujet, que la prise de conscience du problème n'a été que très tardive quand on est passé d'un régime très riche à un régime fortement déficitaire.

M. Gaby BONNAND : C'est une préoccupation, mais elle doit être ramenée à sa part dans le total du budget de l'Unédic: 25 milliards de prestations, contre 80 à 100 millions d'euros de fraudes, soit 0,04 % du total.

M. le Président : Il s'agit du montant de la fraude organisée.

M. Gaby BONNAND : N'imputons pas à la fraude organisée les raisons du déficit de l'assurance chômage. On ne peut pas dire qu'une mauvaise gestion des fraudes a causé le déficit ! Il nous semble néanmoins important de mettre l'accent sur la chasse aux fraudes et d'y consacrer des moyens. Si l'Unédic, en 1993, a pris la décision d'organiser son réseau pour éviter le nomadisme des inscriptions aux ASSEDIC, c'est qu'il y avait déjà eu débat sur la question.

Si la fraude individuelle est moins facile, la fraude organisée s'est développée. Mais ce n'est pas d'aujourd'hui que l'Unédic et les Assédic travaillent avec les services publics chargés du travail illégal. On demande d'ailleurs depuis un certain temps que l'assurance chômage travaille avec les COLTI.

Je réfute donc l'idée que l'Unédic ne se serait pas préoccupée des fraudes, même s'il reste du travail à faire. Je refuse également de laisser dire que nos régimes sociaux seraient aujourd'hui déficitaires en raison de la fraude organisée et qu'il suffirait de faire la chasse aux fraudes pour qu'ils retrouvent leur équilibre. Nous nous attachons à la pérennisation de ces régimes sociaux, ce qui ne nous empêche pas d'être très vigilants sur les fraudes.

M. Michel MERSENNE : Il est exact que les instances de l'Unédic n'ont peut-être pas été suffisamment sensibilisées dans une période antérieure, au moment où on n'assistait qu'à des fraudes de type individuel. On n'avait d'ailleurs pas de procédures de détection, pas de système informatique pour les repérer.

Il est exact aussi que depuis une bonne dizaine d'années, depuis la nouvelle direction de l'Unédic qui est arrivée en 1993, tout le système informatique a été profondément remanié, ce qui a permis de mieux détecter les fraudes individuelles. Par ailleurs, dès que nous avons eu connaissance de fraudes massives et organisées, il y a deux ans, et bien avant que ces affaires soient à la une des journaux, le bureau avait pris conscience du problème et de la nécessité d'intervenir. Le bureau de l'Unédic, les instances politiques ont décidé alors de mettre en place un plan d'action à trois ans pour prévenir et détecter ces fraudes, d'où la création d'une direction spéciale chargée de cette prévention et de cette détection.

Je ne reproche aucunement à la direction générale de l'Unédic et aux instances dirigeantes de ne pas avoir pris les mesures nécessaires à partir du moment où l'on a eu connaissance de l'organisation massive des fraudes. Le plan d'action mis en place commence d'ailleurs à produire des effets.

M. le Président : La mise en place de détecteurs de faux papiers, depuis un mois, a permis de constater que des faux papiers étaient fréquemment utilisés.

M. Michel MERSENNE : La généralisation des détecteurs est en effet récente.

Jusqu'en l'an 2000, la justification de l'identité portait essentiellement sur les papiers officiels : passeport, carte d'identité, etc. - avec photographie. Avec le décret du 26 décembre 2000 sur la simplification des procédures administratives, les instructions de l'ANPE et de l'Unédic ont changé : on peut justifier de son identité sur présentation d'une copie de l'acte de naissance. C'est à partir de là que les faux sont vraiment devenus une réalité. Les détecteurs par lecture optique, cependant, ne peuvent détecter que les faux de passeports, de carte d'identité, de cartes de séjour - documents avec photographie. Il faudrait corriger le décret de 2000 pour que les institutions puissent revenir, sans contestations possibles, à l'obligation de présenter une pièce d'identité avec photographie.

M. le Président : En tant qu'organisation syndicale gestionnaire de l'Unédic, associée à la gestion de la sécurité sociale, quand avez-vous pu faire entendre votre voix auprès des pouvoirs publics ? Dans des réunions de concertation avec le ministère du travail, les organismes de sécurité sociale ? Vous pouviez faire remarquer qu'on était en train de créer une situation juridique très propice aux fraudes.

M. Gaby BONNAND : Je tiens à rappeler quelques évènements marquants. Au moment de la négociation sur la convention de 2001 sur le PARE, des débats ont eu lieu avec le ministère du travail : les partenaires sociaux mettaient en avant les nécessités d'un suivi et d'un contrôle, ce qui a d'ailleurs retardé l'agrément de cette convention. On se demandait aussi qu'elle serait la compétence de l'État et celle de l'Unédic dans ces contrôles.

Dans d'autres instances, on a détecté des fraudes dans plusieurs localités. Chaque fois qu'on a eu connaissance de la réalité des choses dans les organismes où nous siégeons, nous avons alerté les pouvoirs publics. Nous nous sommes fait l'écho de ces questions pour que l'on prenne des mesures. La CFDT a souvent a souvent été critiquée pour avoir trop mis l'accent sur le contrôle des versements, des prestations par d'autres acteurs.

M. le Président : N'avez-vous pas l'impression, en tant qu'organisation syndicale, que l'Etat reprend la main, par exemple en créant un Comité de lutte contre les fraudes pour la sécurité sociale. L'Unédic et les Assédic n'ont pas de corps de contrôle assermentés ; elles ont sans doute tardé à prendre des décisions, la situation s'est délitée et c'est finalement la police et la justice qui ont été amenées à s'en inquiéter.

Est-ce que les organismes de gestion paritaire, selon vous, ont agi suffisamment rapidement ? Est-ce que les organisations syndicales ont suffisamment pesé sur le pouvoir politique pour modifier l'arsenal législatif ou réglementaire ? Est-ce qu'on ne réagit pas un peu tard ?

M. Gaby BONNAND : Vos questions sont importantes et amènent à s'interroger sur les relations entre la puissance publique, le paritarisme et les partenaires sociaux. Au-delà du problème des fraudes, le débat a été posé aussi bien à la sécurité sociale qu'à l'Unédic sur la responsabilité des uns et des autres.

Si l'Unédic n'a pas été doté d'un corps de contrôle, ce n'est pas le fait des partenaires sociaux. C'est en effet à la puissance publique de le créer, de ne pas le créer ou de l'articuler avec d'autres corps comme celui de l'URSSAF.

Il y a probablement une responsabilité de part et d'autre. On n'en est pas moins au cœur d'un problème qui se pose à notre démocratie et qui tient au fait que la responsabilité des uns des autres, justement, n'a pas été suffisamment définie.

Soyons clairs : c'est de l'argent public qui est collecté. Voilà pourquoi la délégation consentie aux partenaires sociaux par la puissance publique pour la gestion des fonds publics doit s'accompagner des moyens de contrôler cette gestion. Si ce n'est pas le cas, on va dans le sens de tous ceux qui considèrent que les partenaires sociaux ne sont pas responsables.

Pour autant, le développement du dialogue social ne doit pas s'opposer au développement de la responsabilité de l'État. La décentralisation ou la délégation à des organisations ne signifie pas l'irresponsabilité de l'État et de la puissance publique. Voilà pourquoi nous aurions plutôt tendance à regretter qu'il n'y ait pas eu, dans les organismes paritaires avec l'Unédic, des corps de contrôle créés, agréés pour faire ce que fait par exemple l'URSSAF pour la sécurité sociale.

Je ne sais pas si le Comité de lutte contre les fraudes donnera satisfaction. Il faut se méfier des effets de miroir. Faire de cette lutte contre les fraudes l'alpha et l'oméga de la sauvegarde des régimes de protection sociale serait une erreur - et je n'apporte pas là un bémol à l'importance qu'il y a à lutter contre la fraude.

Il nous semble qu'il vaudrait mieux donner un peu plus de pouvoir aux URSSAF et à leur corps de contrôle que de créer de nouveaux comités qui vont encore accroître la concurrence entre les différents corps de l'État.

La fraude n'existe d'ailleurs pas que dans les dispositifs gérés par les partenaires sociaux.

M. le Président : Même l'État se fait escroquer !

M. Gaby BONNAND : Dans le domaine fiscal, on déplore des fraudes qui ne concernent pas les partenaires sociaux et qui sont tout aussi importantes que dans le domaine social.

M. le Président : L'URSSAF a chiffré à 4 milliards d'euros au moins l'évasion sur les cotisations. Cela donne l'idée de la préoccupation du législateur.

M. Michel MERSENNE : Peut-être ne nous sommes-nous pas suffisamment fait entendre en tant qu'organisation syndicale. Mais nous souhaitons que les préconisations de votre mission soient entendues et puissent aboutir. Cela pourra nous aider à aller dans le sens des propositions que nous avons faites et que nous vous avons déjà présentées par l'intermédiaire de la présidente de l'Unédic, à savoir : la création d'un corps de contrôle, que nous vous demandons officiellement et qui ne dépend pas de nous ; la communication des informations de l'URSSAF à l'Unédic, que nous demandons depuis longtemps et qui nous est toujours refusée - nous n'avons pas de pouvoir sur l'URSSAF et la décision incombe aux pouvoirs publics. Dans le PLFSS pour 2006, il était prévu par décret la transmission d'informations de l'URSSAF à l'Unédic, et inversement. Or cette disposition a été reportée. Ce sont bien les pouvoirs publics qui en ont la responsabilité.

M. le Président : Ma question portait beaucoup plus sur votre attitude, en tant qu'organisation syndicale, vis-à-vis de cet ensemble de phénomènes : développement du travail illégal, exploitation humaine par des entrepreneurs peu scrupuleux, existence d'une population étrangère marginalisée. Ceux qui escroquent subissent eux-mêmes des pressions importantes. Finalement, en France, certains sont dans le système et d'autres complètement en dehors. Est-ce que cela vous mobilise ?

M. Gaby BONNAND : Oui, notamment dans certaines branches professionnelles. C'est ainsi que notre fédération « construction bois » et notre fédération « habillement textile cuir » sont très vigilantes sur ces questions. Il en est de même de la fédération des services, qui s'intéresse, entre autres, à la restauration rapide et au petit commerce. Il ne faut pas oublier enfin l'agriculture, avec les saisonniers. Chaque année, la CFDT mène des actions en justice dans tous ces secteurs. Nous demandons un renforcement des contrôles, et donc des moyens, de l'inspection du travail. Pour autant, la lutte contre le travail clandestin ne sera pas résolue par le seul renforcement de ces corps d'inspection.

Il faut que des dispositions soient prises au niveau international. Parce que des travailleurs sont attirés vers nos pays. On ne peut se limiter à la seule répression de ceux qui se retrouvent dans cette situation de travail illégal et dans certaines filières.

C'est donc un sujet très préoccupant pour plusieurs de nos fédérations : bâtiment, textile, agroalimentaire et services.

M. le Président : Merci beaucoup.

Audition de Maître Claude Benoit, avocat.

(6 décembre 2006)

Présidence de M. Dominique TIAN, président et rapporteur

M. le Président : Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Vous êtes avocat de l'Unédic, que pouvez-vous nous dire des affaires de fraude à l'assurance chômage ?

M. Claude BENOIT : Je dirais d'abord que dans ces affaires, la CPAM est aussi concernée, comme cela est le cas dans l'affaire, dite Giordano, qui a été plaidée pour partie hier et pour partie à Bobigny en novembre 2006. Elle comprend en fait deux volets, l'un au préjudice des Assédic, l'autre au préjudice de la CPAM.

Le mode opératoire au préjudice des Assédic est toujours l'usage de fausse qualité de salarié. En fait, nous avons affaire à des structures extrêmement organisées. Bien souvent, les fraudeurs connaissent mieux la loi que certains agents ou même certains avocats !

Ils créent des entreprises « bidon ». Il y a sans doute à ce sujet quelque chose à faire du côté du tribunal de commerce et du parquet de celui-ci. C'est en effet avec une grande facilité, que quelqu'un peut créer une société, sans formalités ni condition dissuasive de capital pour des raisons tout à fait légitimes liées à la liberté d'entreprendre. Au moment du dépôt du dossier, il n'y a pas ou peu de vérifications des identités par le tribunal de commerce ou par le greffier qui reçoit les actes d'immatriculation d'une société dite commerciale. Il n'y a pas non plus, ensuite, de suivi de la part du parquet, qui pourrait diligenter des enquêtes.

Dans certains cas, nous avons affaire à des types d'entreprises fictives qui contraignent l'Association pour la Gestion du régime d'assurance des créances des Salariés (AGS) à intervenir.

Cette association est gérée par l'Unédic. L'article L. 143-11-1 du code du travail contraint en effet les employeurs à créer un fonds de solidarité entre eux pour garantir les créances des salariés en cas de procédure collective. Les entreprises « bidon » tombent en liquidation judiciaire et demandent à l'AGS de garantir les salaires non payés et les indemnités de rupture liées à la liquidation judiciaire.

Au moment de la bulle informatique, nous avons connu un type de fraude, pas forcément en bande organisée, mais en nombre quand même, qui consistait à créer des entreprises « bidons », sans aucun actif. Or, quand une entreprise n'a aucun actif, quand on est supposé travailler dans 20 mètres carrés avec 40 personnes, qu'il n'y a pas de consommation d'eau ni d'électricité dans le local où est censé s'exercer l'entreprise, il y a un problème dont le tribunal pourrait se saisir au moins au moment de la liquidation judiciaire où le Parquet est présent.

Pendant cette bulle informatique, de nombreuses entreprises recrutaient beaucoup de salariés à durée déterminée d'une durée de 24 mois. L'entreprise se mettait en liquidation judiciaire au bout de quatre mois. Il y avait donc une rupture anticipée du contrat de travail. Or si l'employeur, y compris en cas de liquidation judiciaire, rompt le CDD avant son terme, il doit payer l'intégralité des salaires que les salariés auraient dû percevoir jusqu'à la fin. Dans notre hypothèse d'entreprises sans réalité, au bout de quatre mois, du fait de la liquidation judiciaire, l'AGS payait vingt mois de salaires et l'Assédic garantissait pour deux ans les allocations chômage.

Au moment des liquidations judiciaires, les parquets des tribunaux de commerce pourraient peut-être s'interroger sur ce genre d'entreprises et le mandataire aussi.

M. le Président : Le tribunal de commerce pourrait également s'inquiéter de la non-publication des comptes, qui paraît être la règle pour ce genre de sociétés.

M. Claude BENOIT : C'est une infraction comme l'absence de comptabilité. Ils ont certes beaucoup à faire mais ce sont les parquets et les tribunaux de commerce qui peuvent agir en la matière. Il y a aujourd'hui une sensibilisation sur ces problèmes. Ce n'est pas facile, car la Constitution garantit la liberté d'entreprendre. Mais quand il y a fraude, il y a une limite qui doit être vérifiée par les parquets, tout en préservant la liberté de chacun.

M. le Président : Au moment de l'immatriculation d'une entreprise, le greffe a aussi une certaine responsabilité puisqu'il assure la publicité d'informations ne sont pas d'une grande fiabilité.

M. Claude BENOIT : Je partage votre point de vue mais l'information qui est diffusée est vraie...

M. le Président : En ce sens que la société existe.

M. Claude BENOIT : Oui. En revanche, la réalité de l'information n'est pas vérifiée. Dans tous les dossiers dont je vous parle, reliés à l'affaire Giordano, les entreprises étaient fictives. Elles existaient légalement mais elles n'avaient pas d'activité, c'est cela, la fictivité.

On parle aussi de sociétés « coquille vide », notion qui renvoie au patrimoine : une entreprise, c'est un bilan, avec un actif et un passif. Lorsqu'il n'y a un passif sans actif, c'est une coquille vide.

M. le Président : Il serait intéressant de pouvoir vérifier auprès des impôts que l'activité est réelle.

M. Claude BENOIT : Effectivement, mais l'Assédic doit-elle, lorsqu'un allocataire vient s'inscrire, vérifier la réalité de l'entreprise dans tous les cas ? Cela me paraît très lourd. Je ne suis pas au sein de l'Unédic. Je vous parle en tant que citoyen.

M. le Président : La deuxième piste sur laquelle nous travaillons est relative à l'identité des gérants. On pourrait instituer un fichier national de gérant d'entreprise et un fichier qui permettrait de repérer les personnes interdites de gérer.

M. Claude BENOIT : Vous abordez là un sujet intéressant. On sait très bien que, lorsque le tribunal de commerce prononce des interdictions de gérer, elles ne sont pas suivies. En tant qu'avocat, je peux vous le dire sans trahir aucun secret. Ceux qui veulent créer une entreprise l'immatriculent au tribunal à côté de celui qui a prononcé l'interdiction de gérer, et il n'y a pas de vérification.

C'est au moment de l'immatriculation que les greffes des tribunaux de commerce devraient savoir que la personne qui dépose un dossier pour ouvrir une société ne peut pas le faire au titre d'une interdiction de gérer. La responsabilité de la vérification repose sur les greffes qui ont l'obligation de consulter un fichier des interdits de gérer. Il est à mon sens souhaitable que cela se traduise dans les faits.

Dans l'affaire Giordano, il y a création d'entreprises bidons pour monter deux types d'escroqueries : l'une au préjudice de l'Assédic par l'usage de fausse qualité de salarié, et l'autre au préjudice de la CPAM.

Concernant l'usage de fausse qualité de salarié, hier nous n'étions pas d'accord avec le procureur de la République sur la réponse pénale. Le procureur disait que c'est l'usage, le fait, qui compte. Certains salariés de ces entreprises affirmaient avoir travaillé tandis que d'autres reconnaissaient ne pas avoir travaillé ; mais aucun d'eux n'avait été déclaré au titre de la déclaration préalable à l'embauche, appelée aujourd'hui déclaration unique d'embauche. Or, le fait de ne pas être déclaré par l'employeur n'a aucune conséquence sur le droit du salarié à percevoir les allocations chômage parce qu'on considère que le salarié n'a pas à subir les fautes de son employeur. Les faux salariés plaident la bonne foi. On ne leur reproche pas le fait que l'employeur ne les a pas déclarés ce qui constitue le délit de travail clandestin pour lequel l'employeur est poursuivi et non les salariés. Par contre, là où ils rentrent dans les éléments constitutifs de l'escroquerie, c'est qu'ils n'avaient pas la qualité de salarié et qu'ils le savaient. La qualité de salarié, c'est être dans un lien de subordination. Or, quand, à la barre, on leur a demandé de dire de qui ils dépendaient et comment ils étaient rémunérés, tous ont répondu qu'ils étaient toujours payés en liquide.

M. le Président : Jusqu'à 1 500 euros !

M. Claude BENOIT : À l'époque, c'est-à-dire en 1999, c'était 750 euros. Mais, aujourd'hui, c'est 1 500 euros. En droit du travail, ce ne sont que des acomptes que l'on peut demander en liquide, et pas le versement intégral du salaire. Le salarié doit, en outre, en faire la demande par écrit.

Dans ces affaires, les salariés sont payés en liquide, et quand on leur demande, afin d'établir le lien de subordination, quels sont leurs dirigeants, ils répondent qu'ils ne savent pas. Sur le siège social de l'entreprise, l'un dit rue de Charenton, l'autre rue de Miromesnil. Manifestement, ils ne se sont jamais vus.

L'autre partie civile aux côtés de l'Unédic était la CPAM parce qu'en plus, tous étaient malencontreusement tombés dans l'escalier, ce qui avait généré un arrêt de travail de six mois avec perception des allocations d'arrêt de travail pendant ces six mois. Les 50 salariés impliqués dans l'affaire Giordano étaient tous tombés dans le même escalier et tous pratiquement avaient été arrêtés par le même médecin.

C'est pourquoi, sans vous refaire ma plaidoirie, je disais hier que de tels agissements sapent les systèmes sociaux.

M. le Président : Le médecin a été appelé ?

M. Claude BENOIT : Non, curieusement, le médecin n'a pas été appelé devant la cour. Vous apprécierez !

Comment fait-on pour se procurer de fausses identités ? On vole des boîtes aux lettres ! Dans le courrier, on trouve des chèques et des pièces d'identité, que l'on falsifie.

On retrouve souvent les mêmes personnes qui cumulent les fraudes. Nous sommes dans le cadre d'une organisation très établie.

M. le Président : Pouvez-vous nous donner des précisions sur l'ampleur des dossiers dont vous êtes chargés ? Une personne inculpée a indiqué lors de l'émission Pièces à conviction sur France 3 que les fraudes continuaient.

M. Claude BENOIT : J'ai personnellement été très choqué de cette interview. Le juge d'instruction n'en avait pas connaissance. Je lui ai fait envoyer le DVD. Puisque ce monsieur se vante qu'il y a d'autres affaires, j'aimerais que le juge l'interroge à ce sujet.

M. le Président : Combien parmi les 50 prévenus avaient des casiers judiciaires ?

M. Claude BENOIT : Une majorité d'entre eux. Un petit nombre pour des infractions très peu importantes d'autres avaient déjà été poursuivis pour des faits délictueux importants d'escroquerie astucieuse. Un des instigateurs avait été condamné pour braquage.

M. le Président : Qu'a dit hier à la barre M. Giordano ?

M. Claude BENOIT : Il a dit en substance : « J'ai dit le premier jour que je reconnaissais les faits. Je reconnais tout ce dont on m'accuse et je n'en dirai pas davantage, sinon ma vie et celle de ma famille sont en danger. À partir de maintenant, je me tairai. » Il s'est ensuite retranché dans le silence. Il a ajouté que, de toute façon, nous ne connaissions rien de l'ampleur de cette affaire.  Quand on sait que cette affaire s'élève déjà à 12 millions d'euros ! Mais, je ne sais pas s'il voulait parler de l'ampleur quantitative ou de l'ampleur mafieuse.

M. le Président : Que pouvez-vous nous dire des autres affaires dont vous avez connaissance ?

M. Claude BENOIT : Elles sont encore dans la phase d'instruction et je suis donc tenu au secret professionnel. Il a l'affaire qui a été évoquée sur France 3 et une autre de grande ampleur à Marseille dont j'ai entendu parler dans la presse,

Nous allons avoir une autre affaire concernant trois Assédic et l'AGS, qui ont déposé une plainte commune, et pour laquelle l'Unédic s'est porté partie civile. Elle est moins importante en termes quantitatifs puisqu'elle implique une trentaine ou une cinquantaine de personnes, dans un milieu plutôt artistique.

Je voudrais faire remarquer l'ironie de la situation dans laquelle on se trouvera quand un prévenu poursuivi du chef d'escroquerie aux Assédic et condamné à des peines d'emprisonnement, percevra en sortant l'indemnité de réinsertion. Finalement, il dédommagera les Assédic avec les sommes que les Assédic lui versent pour le compte de l'État ! En quelque sorte, c'est la victime qui indemnise l'auteur d'un préjudice à son encontre. Ne pourrait-il pas y avoir un complément de peine ? C'est pervertir le système prévu pour aider les personnes les plus défavorisées qui repose sur le pari de la bonne foi.

M. le Président : Il serait intéressant de connaître la durée des fraudes.

M. Claude BENOIT : Sur le dossier d'hier, la durée était d'environ deux ans pour un montant moyen de 15 000 euros par salarié.

M. le Président : Combien y avait-il, dans cette affaire, de sociétés « fictives » et de gérants bidon ?

M. Claude BENOIT : Il devait y avoir cinq ou six sociétés et deux ou trois gérants.

M. le Président : Pouvez-vous nous parler maintenant de la réponse pénale ? Le magistrat que nous avons reçu s'est déclaré très inquiet sur la manière de procéder.

M. Claude BENOIT : Nous essayons, le parquet, le juge d'instruction et les avocats de trouver une solution parce que, quelle que soit l'importance d'un tribunal, celui-ci ne peut pas fermer pendant un an pour gérer l'audience de 1 000 prévenus. À Marseille, c'est 2 000, et le tribunal est plus petit qu'à Paris.

Le pôle économique et financier développe aujourd'hui l'idée selon laquelle on discernerait entre deux catégories inégales. La première, serait les instigateurs qui créent la fraude. Ils sont en général au nombre de deux, trois ou quatre, poursuivis du chef d'escroquerie en bande organisée - ce qui n'est pas le cas des autres - et nous souhaiterions pour eux un renvoi et une audience publique devant un tribunal correctionnel.

M. le Président : Ce n'est pas le cas actuellement ?

M. Claude BENOIT : Actuellement, on renvoie tout le monde. Une fois l'instruction ouverte, de deux choses l'une : ou le juge donne une ordonnance de non-lieu ou il renvoie. C'est la première fois que nous nous trouvons confrontés à de telles quantités de prévenus.

M. le Président : Pourquoi est-ce la première fois que l'on connaît de telles affaires ?

M. Claude BENOIT : On a affaire à une délinquance astucieuse qui évolue avec le temps. L'Unédic et les autres institutions auront toujours un train de retard, ce qui n'est pas un problème en soi ; l'important est de ne pas se laisser distancer. Dès qu'une parade sera trouvée, il apparaîtra une autre forme de fraude. Je le redis, il ne faut pas se laisser distancer par l'imagination des fraudeurs.

M. le Président : Dès qu'on a voulu simplifier, les Assédic ont cessé quasiment immédiatement de demander les pièces d'identité.

M. Claude BENOIT : C'est vrai. Cela étant, je ne suis pas sûr que les affaires d'escroquerie dont nous parlons soient liées à de la fausse identité. Dans les fraudes en bande organisée, les gens viennent avec leur véritable identité et les papiers sont vrais.

M. le Président : Et ils placent leur argent sur leur compte en banque, quand ils en ont !

M. Claude BENOIT : Là, en revanche, nous avons parfois des sources d'alerte. Quand un agent voit - mais il faut qu'il soit très perspicace pour le remarquer ! - qu'on verse à trois allocataires qui ne sont pas censés se connaître des allocations de chômage sur un compte identique, il y a un problème. Et TRACFIN pourrait ici nous aider. Les banques voient que des comptes ne sont alimentés que par des allocations Assédic, mais elles sont tenues au secret bancaire. TRACFIN pourrait intervenir mais la banque en elle-même n'a pas à savoir d'où proviennent les fonds des comptes. La loi le leur interdit même.

M. le Président : Pourtant, si vous arrivez avec une énorme somme d'argent en liquide à la banque, vous serez immédiatement dénoncé à TRACFIN.

M. Claude BENOIT : J'espère. Rassurez-moi!

M. le Président : Pourquoi ne le ferait-elle pas lorsqu'une personne ne vit quasiment que d'allocations, surtout lorsque l'argent est retiré tout de suite après ?

M. Claude BENOIT : Vous êtes là dans la prospective législative. En l'état actuel, c'est interdit par la loi.

M. le Président : En revanche, il n'est pas interdit aux Assédic de vérifier en cas de soupçon !

M. Claude BENOIT : Quand un agent s'en rend compte, il fait, j'en suis persuadé, ce qu'il faut. Mais il faut qu'il s'en rende compte. Quand un même compte sert, par exemple, à plusieurs allocataires, l'un étant inscrit à l'Assédic de Paris et l'autre à l'Assédic du Val-de-Marne, comment peut-on s'en rendre compte. Il faudrait que l'Assédic ait un système d'information qui permette de recouper les comptes.

M. le Président : Dans le cas de l'affaire Giordano, l'argent était reçu sur des comptes avec procuration ?

M. Claude BENOIT : Non, les salariés avaient tous des comptes individuels.

M. le Président : Dans l'émission de FR 3, on voit - et cela a souvent été avancé - que le risque pour la personne qui vend les kits est très faible, parce qu'il suffit de rembourser aux Assédic pour qu'elles arrêtent les poursuites.

M. Claude BENOIT : Je ne suis pas d'accord. Ce n'est pas vrai. Enfin, ce n'est plus vrai. Peut-être qu'au départ, quand on ne soupçonnait pas l'importance de ces dossiers, il a peut-être été accepté, dès lors qu'il y avait remboursement, d'arrêter les poursuites.

Cela reste vrai à l'échelon individuel lorsqu'il n'y a pas volonté de frauder. On demande le remboursement.

En revanche, pour les bandes organisées, c'est aujourd'hui faux. On leur dit de rembourser - j'en ai d'ailleurs qui commencent à rembourser dans des dossiers qui ne sont pas encore plaidés ni jugés - mais nous ne retirons pas la plainte. Même s'ils ont remboursé, cela ne nous empêchera pas de demander des dommages et intérêts pour le préjudice qu'ils ont fait subir. On accepte le remboursement anticipé, mais cela n'a aucune incidence sur la plainte pénale.

M. le Président : C'est nouveau !

M. Claude BENOIT : Oui.

M. le Président : C'est à mettre au crédit des Assédic !

M. Claude BENOIT : Non seulement c'est à mettre au crédit des Assédic, mais je reste persuadé que la répression fait partie de la prévention. Les parquets requièrent aujourd'hui des peines très lourdes et cela se sait. Dans les milieux communautaires quels qu'ils soient, on sait aujourd'hui qu'on risque gros. Et cela aura un effet préventif.

M. le Président : Les peines sont lourdes pour les organisateurs.

M. Claude BENOIT : Pour les autres aussi. Hier, il a été demandé pour Giordano six ans d'emprisonnement, dont trois avec sursis et trois fermes, et un mandat de dépôt. Pour les autres, Mme le procureur a fait une grille assez lourde selon qu'ils avaient des casiers judiciaires ou non, mais il y a des demandes d'emprisonnement avec sursis pour tout le monde. Dès lors que le dossier est venu, la réponse judiciaire est forte. Et, je le répète, la répression, c'est de la prévention.

Pour ne rien vous cacher, pour inciter hier le tribunal à adopter cette voie répressive forte, j'ai dit que je vous en parlerai aujourd'hui. C'était une manière de dire : « Ne me démentez pas ! »

M. le Président : Nous servons à quelque chose !

M. Claude BENOIT : Sur le traitement pénal, nous voulons distinguer les instigateurs qui seront renvoyés devant le tribunal correctionnel. Aujourd'hui, nous avons un très bon moyen de le faire, qui est rentré en vigueur avec la loi dite Perben II : c'est le plaider coupable.

Ce qui est intéressant dans nos dossiers, c'est que tous les allocataires reconnaissent les faits. Pour des raisons X ou Y, ils ont été démarchés. C'était de l'argent facile, ils ont accepté. Et ne le contestent pas.

Avec la procédure du plaider-coupable, la peine est prononcée par le procureur de la République avec éventuellement une mise à l'épreuve, cette dernière consistant dans le remboursement de la victime, c'est-à-dire des Assédic. Si le faux allocataire ne rembourse pas, la peine devient effective. Le procureur signe, le délinquant également et on envoie le tout à homologuer au tribunal de grande instance, qui peut le signer rapidement.

Nous sommes dans une situation gérable pour le tribunal en termes de quantité, parce que la procédure est souple et peut se révéler rapide.

M. le Président : Sauf que la réponse pénale, c'est de rembourser l'argent qui a été volé !

M. Claude BENOIT : Plus une peine ! Dans le plaider coupable, le procureur propose, en plus de la réparation civile, une peine qui peut être de l'emprisonnement. C'est un bon moyen.

M. le Président : C'est actuellement en discussion ou a-t-elle déjà été utilisée ?

M. Claude BENOIT : Pas encore. Nous explorons cette voie. Elle est pour nous tout à fait satisfaisante parce qu'il y a à la fois le remboursement et une peine. Quantitativement, cela répond à nos préoccupations parce que les organisateurs sont jugés avec une audience publique et un retentissement médiatique. Et les allocataires, c'est-à-dire les bénéficiaires, ont la condamnation pénale et le remboursement. Et on n'embouteille pas les tribunaux.

M. le Président : Dans l'affaire Giordano, les cinquante allocataires sont-ils d'origine française ?

M. Claude BENOIT : Aucun ! Sur cinquante personnes, il y a trois ou quatre noms de consonance française. Les autres sont de consonance maghrébine.

M. le Président : Comment sont-ils recrutés ? De manière communautaire ?

M. Claude BENOIT : Dans des bars par des rabatteurs.

Il n'y a pas un bar particulier dans lequel on les aurait tous retrouvés. Il y a plusieurs bars et plusieurs rabatteurs, que l'on ne voit jamais ! Dans l'affaire Giordano, chacun avait son rabatteur. Cela dit l'instruction n'a pas permis de les trouver. Cela paraît néanmoins plausible.

M. le Président : Nous posons la question de savoir si ces bandes sont liées au grand banditisme ou au financement du PKK ?

M. Claude BENOIT : On l'avait suggéré...mais ce ne sont que des soupçons. C'était l'affaire Indiana en 1994, l'affaire du Sentier et le travail clandestin dans le milieu du textile. L'instigateur est d'ailleurs toujours en cavale. Des entreprises faisaient travailler 50 salariés dans 14 mètres carrés.

M. le Président : On peut se poser la question de savoir pourquoi les instigateurs disposent finalement de très peu de patrimoine et d'argent en France, et supposer que l'argent est probablement parti à l'étranger assez rapidement.

M. Claude BENOIT : Ou qu'il « est peut-être parti à l'étranger pour une utilisation qui reste incertaine »... Il y a, en tout cas, un paradoxe, une contradiction entre la richesse que ces gens devraient avoir et la réalité de leur patrimoine.

Sur la réponse pénale, l'article L. 365-1 du code du travail est très intéressant puisqu'il institue une incrimination spéciale pour fausse déclaration auprès des Assédic. En plus, il nous dispense d'avoir à prouver l'élément intentionnel de l'infraction.

Sur le plan pénal, quand on veut que l'infraction soit réalisée, il faut prouver et l'élément légal, l'élément matériel et l'élément intentionnel. Dans le dossier d'hier, tous les salariés disaient qu'ils ne savaient pas. L'article L. 365-1 nous dispense d'avoir à prouver l'intention. Le simple fait de faire une fausse déclaration, intentionnelle ou pas, suffit. C'est une première réponse intéressante sur le plan légal.

Par ailleurs, j'ai demandé hier l'insertion de tout ou partie du jugement sur Internet et dans les organes de presse, nationaux et régionaux, gratuits ou non, de manière à faire savoir que les peines sont lourdes, et prononcées lourdement.

M. le Président : On citerait le nom des 600 personnes impliquées ?

M. Claude BENOIT : En tout ou partie. On publie le dispositif du jugement. Le président du tribunal peut aussi ordonner que le jugement soit publié sans les noms. Il aura toute latitude en la matière. Actuellement, le parquet ne peut demander la publication du jugement que si elle est prévue pour l'infraction principale. Mais en tant que partie civile, au contraire, nous pouvons demander qu'entre dans la réparation du préjudice cette insertion parce que le préjudice d'image porté à l'Unédic étant très important, elle demande que la réparation se fasse de manière publique.

M. le Président : Les échanges de données entre les organismes doivent pouvoir se mettre en place notamment avec les URSSAF pour vérifier la réalité de l'activité des entreprises.

M. Claude BENOIT : Les échanges de données entre institutions progressent bien. Cela dit, hier, le procureur a fait des réserves sur les positions de la CNIL. Il y a une tension évidente entre cette dernière et le parquet.

M. Claude BENOIT : Même si on rapproche les fichiers et qu'on a des suspicions, qu'en fera-t-on ? On ne peut pas suspendre les droits des allocataires pour cela. Quand on n'a que des suspicions, on peut éventuellement lancer des enquêtes mais cela ne nous permet pas de suspendre le versement des allocations. Donc, le préjudice demeure.

M. le Président : Un référé ne peut-il pas être demandé en cas de doute ?

M. Claude BENOIT : C'est possible en cas de doute réel et sérieux, sous le contrôle d'un magistrat.

Ce sont les directions départementales du travail et de l'emploi, qui gèrent les demandeurs d'emploi. L'Unédic ne gère que le versement des prestations. L'organisme qui reconnaît la qualité de demandeur d'emploi, c'est l'ANPE, et ce sont les DDTE qui décident ou non d'exclure. Bien que l'on voie une évolution se faire, les DDTE commençant à prendre la mesure des fraudes, nous n'obtenions jamais, jusque tout récemment, d'exclusion définitive par les DDTE à partir d'éléments de suspicion de fraude.

M. le Président : Qu'est-ce que vous préconiseriez ?

M. Claude BENOIT : Il faudrait assouplir les textes de manière à inciter les DDTE à exclure en cas de suspicion, sous réserve des droits de chacun - il ne faut pas non plus que, du fait d'une simple suspicion, un allocataire se retrouve privé de ses droits - ou prévoir la possibilité pour le juge des référés d'autoriser une suspension.

M. le Président : Vous souhaiteriez qu'une procédure provisoire puisse être autorisée par le juge...

M. Claude BENOIT : ... lorsqu'il y a une suspicion grave et sérieuse sur la réalité du travail ou de l'entreprise. Mais il faudrait bien encadrer cette procédure, en précisant qu'elle est provisoire et sur le fondement d'indices réels, graves, sérieux et concordants au regard de la réalité de l'emploi et de l'employeur.

La suspicion liée à l'employeur ne suffit pas aujourd'hui à priver l'allocataire de ses droits. Si l'employeur commet des indélicatesses, le salarié n'a pas a priori à subir les conséquences de la légèreté de celui-ci.

Cette décision de suspension pourrait être prise en référé. Il faudrait aussi, à mon sens, en limiter la durée à six ou huit mois, au bout desquels, si l'on n'a pas d'éléments nouveaux, la personne recouvrerait ses droits.

M. le Président : Ce serait finalement à la police de faire les investigations, si on porte plainte.

M. Claude BENOIT : L'allocataire (son conseil) que j'ai devant moi me demande parfois si j'accepte des règlements anticipés. Au nom de quoi ?  Tant que le jugement n'est pas passé, sa culpabilité n'est pas prouvée. J'accepte parfois, en ma qualité de conseil de l'Unédic et des Assédic, des paiements anticipés - mais jamais je ne les demande parce que ce serait contraire à la présomption d'innocence. Tant que le jugement n'est pas rendu, je ne suis pas sûr qu'il soit coupable.

M. Daniel PRÉVOST : Et, pour le remboursement, quel est le délai maximum qu'on peut accorder ?

M. Claude BENOIT : Là, je suis beaucoup plus sévère. Les allocataires perçoivent en moyenne sur 24 mois, et ils demandent dix ans pour rembourser ! Je considère qu'ils doivent montrer leur bonne foi. Ils peuvent aussi faire des emprunts pour rembourser l'institution qui a été lésée. Encore faut-il que les banques les leur accordent ! Mais il y en a qui le font et qui les obtiennent, ce qui est habile car, lorsqu'ils arrivent devant le juge en disant qu'ils ont remboursé intégralement l'Assédic à l'aide d'un prêt, le juge est évidemment enclin à la mansuétude.

M. le Président : Cela ne doit pas arriver souvent.

M. Claude BENOIT : Cela arrive. En tant que conseil de l'Unédic, je n'accepte jamais un délai de remboursement de plus de 24 mois. J'estime que c'est un délai raisonnable pour rembourser une somme.

M. le Président : Je vous remercie.

Audition de M. Jean-Pierre Revoil, directeur général de l'Unédic,
de M. André Marin, directeur de la maîtrise des risques à l'Unédic et de maître Benoit, avocat de l'Unédic


(6 décembre 2006)

Présidence de M. Dominique TIAN, président et rapporteur

M. le Président : Je vous remercie, messieurs, d'avoir répondu à notre invitation.

Ma première question, pour continuer sur le thème de l'audition précédente, sera de savoir s'il y a eu un enrichissement personnel de Giordano ?

M. Claude BENOIT : Au cours de l'audience d'hier, il a prétendu n'avoir rien perçu. Cela étant, il est en contradiction avec les propos qu'il avait tenus devant le juge d'instruction car il avait alors indiqué que le montant des kits était divisé entre quatre personnes, dont lui. Il est revenu hier sur ses déclarations en affirmant que le montant des kits était divisé en trois et qu'il ne faisait pas partie de ceux qui en percevaient une partie. Par ailleurs, on n'a rien retrouvé sur ses comptes.

M. le Président : Il se dit menacé... par qui ?

M. Claude BENOIT : On ne sait pas. On pense que c'est une stratégie de défense.

M. le Président : Les « grosses affaires » dont il a parlé sont-elles les dossiers que l'on connaît, ou bien évoquait-il d'autres affaires à venir ?

M. Claude BENOIT : Giordano a dit hier au procureur de la République que l'affaire était beaucoup plus importante que ce qu'on en connaissait mais qu'il se tairait dorénavant car, s'il parlait, sa famille et lui-même seraient menacés. Nous ne savons pas si cette importance tient à l'enjeu financier ou à des implications mafieuses.

M. Jean-Pierre REVOIL : L'affaire « Giordano » est dans la liste des 19 affaires que nous avons remise à la mission. Cela dit, lorsque l'on remonte une filière, il y a des liens apparaissent entre les dossiers, de sorte que cette affaire est peut-être bien pire.

M. Claude BENOIT : La personne interviewée par France 3 dit également que nous ne connaissons que la face visible de l'affaire dans laquelle elle est impliquée, et que la face invisible est beaucoup plus importante. Le co-auteur de l'affaire dit la même chose.

M. le Président : Il dit même que ça continue !

M. André MARIN : Selon ce qu'a dit le procureur hier, de mémoire, Giordano a été incarcéré à la suite d'un différend avec la SACEM en 1996. En 1997-1998, il s'est mis à la fraude aux accidents du travail et aux Assédic, c'est l'affaire qui est maintenant en jugement.

Comme l'a dit M. Revoil, il y a une autre affaire dont M. Giordano serait, d'après l'enquête, l'un des organisateurs - on ne peut pas affirmer plus car le dossier est en cours d'instruction.

De même dans l'affaire de fraude évoquée sur France 3, nous avons plusieurs dossiers qui sont liés entre eux par des personnes qui sont, de façon circulaire, gérants d'entreprises qu'ils se rachètent entre eux. L'un d'entre eux a dévoilé assez directement la manipulation. La première société qui a été créée, l'a été par une personne de bonne foi qui exerçait des activités de ravalement et de maçonnerie. Elle s'est trouvée à un moment donné en difficulté et a été amenée à vendre sa société. Des personnes plus instruites et plus organisées l'ont acheté avec l'aide d'un gérant de paille. Dans cet ensemble composé de plusieurs dossiers, dont certains sont dans le tableau, les volumes sont énormes.

M. le Président : Sur cette question, je rappelle que le communiqué de l'Unédic du 21 février 2006, recense 19 affaires, concernant 6 400 personnes et représentant 80 millions d'euros de fraude.

Nous rappelons en outre une note reprenant des chiffres de l'URSSAF, qui évoque de manière plus générale de la fraude à Paris en faisant état de 10 000 personnes concernées.

L'URSSAF estime que la fraude s'élève au minimum à 4 milliards d'euros ; ils parlent même de 8 milliards d'euros d'évasion sociale. Pour ce qui vous concerne, Monsieur Revoil, vous indiquez un montant total compris entre 85 et 90 millions d'euros...

M. Jean-Pierre REVOIL : C'était le montant détecté.

M. le Président : Mais vous avez ajouté lors de notre première réunion que ce n'est sans doute que la partie visible de l'iceberg, car plus vous contrôlez, et plus vous trouvez.

M. Jean-Pierre REVOIL : Je ne remettrai pas en cause ces paroles. Le montant de 80 millions d'euros est celui que je vous ai indiqué le 27 septembre 2006. Depuis, il s'est encore accru.

M. André MARIN : Je ne vais pas vous donner de chiffre, non par volonté de rétention mais par prudence.

M. le Président : Notre souci, qui vaut autant pour vous que pour nous, c'est de ne pas être démentis dans quelques semaines.

M. André MARIN : Le chiffrage des affaires détectées est aujourd'hui de l'ordre de 120 ou 140 millions d'euros. Je le saurai très prochainement et pourrai donc le communiquer à la Direction Générale.

M. Jean-Pierre REVOIL : Le chiffre de 80 millions est dépassé, et ce n'est que la partie visible de l'iceberg. Il est évident que au-delà de ce chiffre, il y a probablement plusieurs centaines de millions d'euros en cause. Plus les Assédic luttent contre la fraude et plus elles détectent de cas.

M. André MARIN : Pour la fraude individuelle et les indus, les montants sont très différents. Dans le document que vous a remis l'Assédic de Lyon, il est bien indiqué que les fraudes individuelles représentent dix fois la fraude en réseau connue. Le facteur est fort.

M. Jean-Pierre REVOIL : En flux, 4 millions de chômeurs passent par les Assédic à un moment ou à un autre dans l'année. En stock, il y en a 1,8 million. Il est assez courant que le chômeur qui retrouve un emploi ne le signale pas ou omette de donner la date exacte de la reprise d'emploi. Cela peut ne concerner que quelques jours, mais ils sont nombreux à le faire ! Chaque mois, les demandeurs d'emploi s'actualisent - avant, on disait « pointer ». Si c'est un « petit fraudeur » qui a retrouvé un emploi, il ne va pas s'actualiser et nous en conclurons qu'il n'est plus chômeur. Si c'est un vrai délinquant, il va continuer de nous dire qu'il est chômeur. Un jour, c'est 30 euros en moyenne, cela représente entre 500 et 700 millions d'euros par an.

Avec la DNA, nous gérerons mieux le jour exact de la reprise du travail.

M. le Président : Donc, nous pouvons dire aujourd'hui qu'il n'y a pas, à votre connaissance, de nouvelles affaires.

M. André MARIN : Il y a quelques nouvelles affaires, mais de taille faible au moment de leur détection.

M. le Président : Concernant le grossissement des affaires en cours, qui est un fait quasiment naturel, on peut dire que la fraude en bandes organisées atteindrait entre 120 et 140 millions d'euros.

M. Jean-Pierre REVOIL : Voire plus !

M. André MARIN : Dans le dossier que je viens de vous remettre relatif à un « multi dossiers » repéré par des multi gérances, la première personne est gérante de 47 sociétés ! Cela fait partie des dossiers les plus volumineux. Des gérants comme cela, il y en a 130, essentiellement en Île-de-France. Sur certains dossiers, l'instruction est en route. En revanche, l'OCRGDF n'a pas voulu prendre en charge au niveau national le dossier 035, bien connu des journalistes. La Brigade de Répression de la Délinquance Astucieuse de Paris l'a fait, pour partie. En Assédic, nous allons aussi loin que nous pouvons dans nos investigations mais nous ne disposons pas des moyens de la police. Quand la police lancera l'enquête, on ne sait pas combien de dossiers elle va trouver ...

M. Jean-Pierre REVOIL : Les 120 millions, c'est un chiffre d'étape.

M. André MARIN : Dans ces 120 millions, qui représentent la masse des dossiers déjà traités, il y a peut-être 20 à 30 millions qui ne représentent pas de vraies fraudes, mais peut-être va-t-on devoir doubler le reste par d'autres dossiers rattachés.

La personne qui a été interviewée, le faussaire comptable, n'est pas directement en contact avec l'Assédic. Ces faussaires fabriquent les faux dossiers et les vendent. Il y en a entre dix et quinze et c'est ce moyen qui constitue la fraude organisée.

M. le Président : Parmi ces multigérants, 75 % sont turcs. Dans quel secteur professionnel ?

M. le Président : Pour quasiment tous, la confection ou le bâtiment.

M. André MARIN : Je ferai remarquer que nous ne traitons pas le secteur agricole, que la DILTI considère aussi comme un secteur favorisant la fraude, lors des vendanges ou des cueillettes.

M. le Président : Y a-t-il des affaires qui concernent plus de 2 000 dossiers ?

M. André MARIN : Je ne saurais pas vous dire. Je pense que les plus grosses sont déjà en cours d'instruction, parmi lesquelles celle évoquée à la télévision. Mais, quand je regarde les tableaux, je constate qu'elle a encore grossi légèrement !

M. le Président : Un chapitre important de notre rapport portera sur la façon dont les greffes des tribunaux travaillent.

M. André MARIN : Comme vous le verrez sur le tableau suivant, 80 % des immatriculations ont lieu à Paris. Ce n'est sans doute pas un hasard. Mais il semble que depuis cette année les choses changent et des engagements sérieux ont été pris pour renforcer les contrôles.

Sauf erreur de ma part, la loi permet à un tiers de venir avec une photocopie de la pièce d'identité du pseudo gérant. Les greffes ne peuvent même pas vérifier, dans les délais qu'on leur demande, si la personne est interdite de gestion ou pas, car il faut quarante-huit heures pour obtenir la réponse alors qu'ils doivent inscrire dans les vingt-quatre heures.

M. le Président : Est-ce qu'ils pourraient légalement demander une pièce d'identité ?

M. André MARIN : On a toujours la possibilité de faire plus que ce que la loi prescrit quand il y a soupçon. La personne en face peut vous attaquer en justice, mais ensuite ce sera au juge de décider.

M. le Président : Préconiseriez-vous la présence physique du créateur de l'entreprise ou en tout cas d'un représentant membre d'une profession réglementée ?

M. André MARIN : Vous ne pouvez pas vérifier une pièce d'identité sans la personne qui tient la pièce d'identité en main.

M. le Président : Cela veut dire qu'aucune immatriculation en ligne n'est plus possible.

M. André MARIN : On a créé des CFE afin que la personne ne se déplace qu'une fois. Comme ce point est unique et qu'il dessert tout le monde, dont nous, il faut qu'il soit certain.

M. le Président : Vous demandez donc la présence physique du créateur d'entreprise à l'immatriculation. Nous pouvons l'affirmer comme une position officielle de l'Unédic ?

M. André MARIN : Oui.

M. le Président : Par ailleurs, nous nous demandons si les informations données par les greffes des tribunaux de commerce sur leur site ne sont pas en fait source de confusion, puisque toutes les entreprises qui existent y figurent sans que soit jamais évoquée - mais le pourraient-ils ? - la réalité de celles-ci, ni donnée une forme de certification.

M. André MARIN : Dans le dossier sur les multigérants, on constate différentes signatures pour la même personne qui est censée être le gérant. Nous en déduisons que les gérants sont des hommes de pailles et que c'est quelqu'un d'autre qui signe. Ceux qui ont fait cette étude font le travail qu'un tribunal de commerce devrait faire. Un greffe devrait vérifier une signature, devrait savoir que cette signature ne peut pas être la bonne puisqu'il a déjà enregistré une cinquantaine de fois le même gérant avec d'autres signatures.

Une personne peut même ne pas être sur le territoire français et racheter des sociétés. Notre problème n'est pas tant le dépôt que le rachat des sociétés.

M. le Président : Nous avons constaté que la CNIL ne peut savoir dans ce qui a été autorisé ce qui est effectivement en place. Nous avons également des difficultés à y voir clair du côté de l'Unédic. Maître Benoît nous a indiqué que le procureur avait eu hier des propos très critiques sur la CNIL.

M. Claude BENOIT : Le procureur a dit, dans ses réquisitions, que la CNIL émettait trop de restrictions. Il y a actuellement nécessité de trouver un terrain d'entente entre cet organisme et les parquets qui le voient comme un « concurrent » moins en prise directe avec la réalité de la délinquance au quotidien.

M. le Président : La CNIL devrait assurer le suivi de ce qu'elle a autorisé. Mais ne peut-on pas faire le reproche à l'Unédic de n'avoir pas mis en œuvre tout ce qui a été autorisé ? D'après la CNIL, vous n'avez pas cessé de demander des autorisations. Qu'en avez-vous fait ? N'avez-vous pas déjà de quoi constituer des fichiers et les croiser ?

M. André MARIN : On a déjà évoqué plusieurs fois la question. Je n'ai pas de nouveaux éléments sur ce point.

La CNIL peut vous autoriser à accéder à une information sur un dossier précis dont vous avez connaissance en amont. En ce sens, elle a plutôt ouvert des portes que l'inverse, mais cela reste une démarche lourde pour faire ce genre de questionnements.

L'autre démarche est d'avoir accès spontanément à des fichiers. Sur le terrain, nous n'avons pas accès aux fichiers de l'URSSAF ; nous devons lui demander et cela fait une grosse différence dans notre travail.

M. le Président : Pourquoi ?

M. André MARIN : Le directeur des affaires juridiques de l'Unédic, nous a dit, que quand la déclaration unique d'embauche, avait été créée il avait insisté pour que l'Unédic en soit destinataire et nous ne l'avons pas été. Cela ne vient peut-être pas de la CNIL, mais des services de la Délégation Générale à l'Emploi.

Compte tenu de cette expérience, peut-être avons-nous fait de l'autorestriction.

Le dernier accord que nous avons eu de la CNIL concerne le dossier unique du demandeur d'emploi, le DUDE. Cet accord est sensible parce que cela nous permet d'avoir dans les maisons de l'emploi, au niveau des communes, un accès à des informations nominatives sur un demandeur d'emploi.

M. le Président : L'accord sur le DUDE, vous l'avez, mais il semble y avoir encore des restrictions sur le NIR.

M. Jean-Pierre REVOIL : Il y a trois pages de restrictions. Après les avoir lues, vous vous demandez ce que vous avez le droit de faire.

M. André MARIN : Ces pages méritent, en effet, d'être lues. Cela étant, ces restrictions se comprennent. Est-ce que tout un chacun a à savoir, par exemple, qu'une femme est en congé de maternité. ?

M. Jean-Pierre REVOIL : Ceux qui gèrent la dame en tant que demandeur d'emploi, oui !

M. André MARIN : Mais là on va plus loin. Ce n'est pas l'ANPE, l'ASSEDIC ou les services de la DDTE qui recevront l'information, ce sont d'autres organismes autour de la maison de l'emploi. La CNIL pose la question de savoir qui leur demandera l'autorisation pour celle-ci. Nous sommes dans un système très compartimenté.

Mais, en relisant, je comprends les recommandations. Comme l'a dit M. Revoil, il y en a trois pages. Si on doit répondre à toutes les questions qui y figurent, il faudra qu'on embauche !

M. Jean-Pierre REVOIL : C'est surtout qu'on ne sait plus ce qu'on a le droit de faire. On va quand même s'y mettre. C'est l'instrument que se partagent tous les opérateurs qui traitent les chômeurs : ANPE, ASSEDIC, maisons de l'emploi, missions locales, etc.

Il faut savoir ensuite finaliser les restrictions. La maison de l'emploi de Nancy n'a pas besoin d'avoir le fichier DUDE de la France. Il lui suffit d'avoir celui de Nancy.

Nous mettons en place des opérateurs privés : 46 000 chômeurs vont être suivis par 17 opérateurs privés, qui sont des entreprises privées. Il faut que ces opérateurs n'aient accès au DUDE que pour les personnes qu'elles suivent.

M. le Président : Je pense que l'« amendement NIR » vous a été très utile. L'exemple belge de la « Banque Carrefour » fondé sur un dossier social partagé, auquel ont accès tous les organismes sociaux sans que les libertés individuelles en Belgique soient menacées est intéressant !

M. André MARIN : La CNIL nous demande pourquoi nous voulons utiliser le numéro NIR alors que nous avons déjà le numéro GIDE. La CNIL nous oppose le fait qu'il existe déjà un numéro GIDE commun à l'ANPE et aux Assédic. A chaque fois qu'une personne irait quelque part, nous serions obligés de vérifier sa photo et son identité. Je ne crois pas qu'il soit positif de créer une carte d'identification du demandeur d'emploi.

M. le Président : Vous militez donc pour l'utilisation du numéro NIR ?

M. Jean-Pierre REVOIL : Mille fois oui ! Ce numéro est indispensable aussi pour savoir si la personne bénéficie déjà de la retraite tout en continuant à percevoir l'assurance chômage...

M. le Président : Pour la DNA, vous aurez besoin d'avoir un numéro commun.

M. Jean-Pierre REVOIL : Ce sera le NIR.

M. André MARIN : la DNA est impossible sans le NIR ! D'ailleurs ce numéro doit figurer obligatoirement sur le bulletin de salaire.

M. le Président : L'Unédic est déjà autorisée à utiliser le NIR  dans sa gestion, ce serait aberrant que vous ne puissiez l'utiliser pour tout. Donc, si l'on veut que la DNA soit applicable et appliquée en 2007, il faut utiliser le NIR ?

M. Jean-Pierre REVOIL : En prévoyant des règles d'accès.

M. André MARIN : Il faudra mettre des règles d'accès aux informations affichées. Certaines peuvent être plus ou moins publiques. Nous considérons, par exemple, le salaire journalier référentiel, comme une information strictement réservée à l'assurance chômage. L'ANPE, la mairie, n'ont pas besoin de le connaître. C'est une information réservée. Par contre, savoir si une personne est actuellement demandeur d'emploi ou non est une information relativement publique pour les autres organismes de protection sociale. Nous faisons déjà cette distinction dans les informations affichables.

La CNIL nous donne son accord pour le NIR, cette fois-ci, mais, comme nous prévoyons l'extension du DUDE, qui, comme l'a dit Jean-Pierre Revoil, est dans l'esprit même de la loi de cohésion sociale, il faudra revenir devant elle pour lui expliquer pourquoi nous demandons l'usage du NIR pour d'autres personnes. Il va falloir recommencer

M. le Président : Il faudra que vous reveniez devant elle également pour la DNA !

Pourquoi ne mettez-vous pas en place cette DNA de manière prioritaire en 2007 sur les deux activités qui représentent 90 % des cas, à savoir le textile et le bâtiment comme cela a été fait pour les intermittents et les intérimaires.

M. Jean-Pierre REVOIL : Les partenaires sociaux, dans leurs négociations de décembre 2005, ont fait état, dans un des articles, de la nécessité du recouvrement individualisé. Or celui-ci est complexe.

Notre démarche actuelle consiste à nous rapprocher du GIP-MDS net-entreprises, le groupement d'intérêt public « modernisation des déclarations sociales », qui est le regroupement des organismes collecteurs : URSSAF, AGIRC, ARRCO, Assédic. Ce groupement n'est encore qu'embryonnaire, car il a eu des difficultés à démarrer.

M. André MARIN : Il existe depuis cinq ou six ans et recouvre aujourd'hui peut-être 6 % de ce qui est encaissé.

M. Jean-Pierre REVOIL : Nous voulons utiliser ce vecteur pour le compte de l'ensemble des organismes de protection sociale. L'AGIRC et l'ARRCO sont intéressées, ainsi que l'URSSAF, qui fait onze fois notre taille. Tant qu'on n'aura pas individualisé et identifié les gens, il y aura, en effet, des risques pour tous les organismes sociaux ! Nous avons pour objectif que, dès la mi-2007, nous ayons déjà un contingent d'entreprises qui puissent fonctionner ainsi.

Votre suggestion de mettre en place prioritairement la DNA en 2007 sur le textile et le bâtiment est tout à fait pertinente.

M. Daniel PRÉVOST : En tant que maire, je reçois régulièrement la liste nominative des demandeurs d'emploi, avec une indication différente selon qu'ils sont indemnisés ou non. Mais je dois la détruire au fur et à mesure que j'en reçois une nouvelle. Et elle ne doit être communiquée à personne en dehors de la secrétaire ; un conseiller municipal n'y a pas accès.

Je rappelle qu'une importante affaire de fraude est en cours de jugement à Rennes. Elle concerne une famille possédant 704 comptes bancaires qui a réalisé sur trois ans 1,3 millions d'euros de travaux non déclarés, essentiellement des ravalements de façades. Ils ont eu plus de 2 000 clients mais seulement 400 ont osé porter plainte.

Cela rejoint le problème posé par la fausse sous-traitance. Dans le bâtiment des sociétés qui vivent pendant quelques semaines, en réalisant des travaux le week-end, se multiplient. Pour mettre fin à cette concurrence déloyale le Président de la Fédération française du bâtiment d'Ille-et-Vilaine a indiqué que la profession avait instauré le port obligatoire pour tout salarié du bâtiment, d'une carte d'identification délivrée par la Caisse des congés payés.

M. Jean-Pierre REVOIL : Cette liste semble d'ailleurs en danger, car il y a des risques d'utilisations dérivées.

M. le Président : Comme Me Benoît l'a précisé, les escrocs sont très habiles et très bien renseignés, et imaginent déjà de nouveaux procédés de fraude, grâce aux moyens informatiques.

M. Jean-Pierre REVOIL : Avec la DNA, il sera plus difficile de frauder. Nous pourrons également disposer des contrôles URSSAF et nous continuons à développer notre activité en interne.

M. le Président : Sauf en cas de complicité entre employeurs et salariés.

M. Jean-Pierre REVOIL : Demain, quand une personne qui aura acheté un kit se présentera, on pourra vérifier s'il s'agit bien d'un salarié pour lequel l'entreprise a cotisé. Vous pouvez me rétorquer qu'ils peuvent fabriquer 150 M. X ... mais ce sera plus difficile avec les dates exactes d'entrée et de sortie de l'entreprise.

M. le Président : Nous allons préconiser que l'employeur remette à l'employé nouvellement embauché la certification qu'il a été déclaré.

M. André MARIN : Oui. C'est un point que nous avons pu observer que le salarié a tendance à renvoyer la responsabilité sur l'employeur.

Quand il y a complicité entre employeur et employé, nous sommes, dans un système déclaratif, totalement démunis. Il faut que l'on puisse vérifier que ce que disent l'employeur et le salarié correspondant. Quand nous l'avons fait pour les intermittents du spectacle, il y avait au début une double déclaration et un rapprochement. Quand le salarié parlait d'un spectacle que l'employeur avait oublié de déclarer, nous adressions un rappel de cotisations à ce dernier. Et inversement.

La fraude franche sera tuée par la DNA, comme l'a expliqué Jean-Pierre Revoil. Nous saurons d'avance, par exemple, que telle personne a travaillé au mois de janvier 2006 à tel endroit. Elle n'aura pas à nous le déclarer nous le saurons déjà.

Par contre, la fraude qui se construit aujourd'hui et qui consiste à sous-évaluer ou à surévaluer, suivant l'intérêt de chacun, est difficile à percer puisque des employeurs peuvent payer leurs salariés 1 000 euros et déclarer les avoir payés 3 000 euros.

M. Jean-Pierre REVOIL : Le versement des salaires en liquide pose problème. Je suis d'ailleurs étonné que le seuil soit passé de 750 euros à 1 500 euros !

M. le Président : Vous souhaiteriez établir des échanges d'information avec les impôts.

M. André MARIN : Nous avons eu l'accord de la CNIL pour mettre en place la DADS - déclaration automatisée des données sociales - en masse, mais non pour la DADS nominative. Nous nous sommes aperçus que cela ne nous aidait pas. Mais la déclaration nominative est un élément d'information majeur. Quand on interroge les impôts, parfois ils font valoir que la DADS relève du secret professionnel. Comme vous l'a dit le directeur de Lyon, nos créances sont chirographaires, alors que l'URSSAF est privilégiée. Pourquoi cette dissociation ? C'est la conséquence d'un raisonnement ancien. Nous sommes des associations loi de 1901, donc de droit privé. Or nous utilisons maintenant la contrainte contre les employeurs et devons agir vite.

M. le Président : Il faut surtout construire une passerelle avec les services fiscaux.

M. André MARIN : Il est également important que soient levés les problèmes de secret professionnel avec les personnes des Directions départementales du travail alors que nous appartenons au service public de l'emploi.

M. le Président : Il est étonnant que les impôts puissent faire appel à vous et que l'inverse ne soit pas possible.

M. André MARIN : De même, il est choquant que les contrôleurs de l'URSSAF ou du travail qui s'aperçoivent d'une fraude ayant des conséquences pour les Assédic ne se sentent pas obligés de les en prévenir. Ils nous opposent le secret professionnel quand nous les interrogeons, et quand ils ont des informations qui nous portent détriment, ils nous ignorent.

M. Claude BENOIT : C'est un point important. Il y a des attributs de puissance publique qui sont refusés à l'Unédic alors même qu'elle gère une mission de service public...

M. le Président : Messieurs, je vous remercie.

Audition de M. Jean-Louis Gautier, sous-directeur du contrôle fiscal, et de Mme Maxime Gauthier, sous-directrice du service de l'application à la Direction générale des impôts

(6 décembre 2006)

Présidence de M. Dominique TIAN, président et rapporteur

M. le Président : Notre mission s'intéresse à la fraude organisée de type industriel, au détriment des Assédic. Les affaires sont très importantes, comme en témoigne le procès qui a débuté hier au tribunal de Paris et le préjudice est considérable. Nous voudrions vous interroger sur deux phénomènes : la réticence des services des impôts, de manière générale, à communiquer des informations, même dans les cas de fraudes ; l'existence de très nombreuses escroqueries commises par des personnes qui gèrent chacune plusieurs centaines de sociétés, lesquelles ne sont que des « coquilles vides » souvent domiciliées dans des sociétés de domiciliation, qui ne servent que de boîtes aux lettres. Il nous semble impossible qu'un tel phénomène ait échappé aux services fiscaux, dans la mesure où ils subissent eux aussi des préjudices.

Mme Maxime GAUTHIER : Je suis sous-directrice à la DGI, chargée de la fiscalité des professionnels. Mon service prend en compte sur le plan fiscal les nouvelles sociétés qui se créent.

Concrètement, l'entreprise s'inscrit auprès d'un centre de formalités des entreprises. Toutes les informations nous parviennent par voie informatique, via l'INSEE, qui leur a fourni un numéro SIREN. Nous prenons en compte chaque entreprise, en lui donnant un numéro, en lui écrivant, en lui envoyant le livret d'information du nouveau gestionnaire d'entreprise. Il n'y a donc pas de filtre à l'entrée. Nous ne disposons pas d'un listing des gérants susceptibles de présenter des risques.

M. le Président : Pourquoi n'y a-t-il pas de filtre ?

Mme Maxime GAUTHIER : Quel serait le droit applicable qui nous permettrait de refuser d'inscrire une entreprise ?

M. le Président : Et si le gérant est interdit de gestion ?

Mme Maxime GAUTHIER : Nous ne gérons pas cette information. Il faudrait que nous ayons en interne un fichier des gérants interdits de gestion, auquel nous pourrions nous référer.

M. le Président : Quand vous êtes amenés à faire une vérification sur une personne, vous la connaissez et vous savez si elle a été mise en cause pour gestion frauduleuse. Vous avez bien un listing des personnes qui ont subi des redressements. Si le même gérant immatricule une autre société, vous pouvez le savoir en rapprochant les fichiers.

M. Jean-Louis GAUTIER : L'interdiction de gérer relève d'une procédure commerciale.

Mme Maxime GAUTHIER : Il nous faudrait le feu vert de la CNIL pour créer cette espèce de casier judiciaire fiscal que vous évoquez. Un tel fichier, avec le nom des personnes poursuivies au pénal, serait accessible depuis le service qui crée les entreprises et qui repérerait les noms. On gérerait ainsi toutes les personnes impliquées dans des affaires frauduleuses.

M. le Président : Quels contrôles effectuez-vous sur les sociétés de domiciliation, dont certaines sont de simples boîtes aux lettres accueillant des centaines d'entreprises ?

Mme Maxime GAUTHIER : Des entreprises domiciliantes qui accueillent un très grand nombre d'entreprises domiciliées. Ces dernières sont prises en compte comme les autres entreprises, mais notre souci est surtout de vérifier si elles ont vraiment le droit d'être domiciliées, ce qui n'est pas le cas d'une société qui dispose d'un établissement. Elle est dans ce cas tenue de s'inscrire à l'adresse de cet établissement. Nous diligentons donc une enquête pour vérifier que les sociétés ne se domicilient pas à une fausse adresse par rapport à leur implantation réelle.

M. le Président : Si l'adresse est vraie mais que le reste est faux ?

Mme Maxime GAUTHIER : C'est un autre cas. Nous nous intéressons aux vraies entreprises qui ont une vraie substance et qui, pour échapper aux impôts, diluent le risque en s'installant à une autre adresse que celle où elles se trouvent vraiment. Et vous vous intéressez à des entreprises qui n'existent pas, qui sont des « coquilles vides ».

M. le Président : Nous avons reçu un syndicat des entreprises de domiciliation qui souhaiterait que de l'ordre soit instauré dans cette profession. Il semblerait que ce soit plutôt un phénomène parisien, concentré dans certains arrondissements, par lequel des centaines de fausses sociétés échappent au maillage.

Mme Maxime GAUTHIER : Est-ce qu'on peut dire qu'elles y échappent ? On a vérifié qu'elles n'avaient pas d'autre établissement, on les a donc enregistrées à bon droit dans la société de domiciliation Au départ, on ne sait pas ce que sont ces sociétés. Il faut vérifier au fur et à mesure du temps qui passe.

Les services de contrôle fiscal s'intéressent aux sociétés qui sont entrées dans le système de l'économie souterraine. Ce que l'on recherche c'est de l'insuffisance fiscale : des sociétés qui dissimulent leur activité afin d'échapper à l'impôt. Mais pour agir, il faut un grief fiscal qui n'est constitué qu'à partir du moment où l'entreprise a déposé - ou pas - les déclarations qu'elle est tenue de déposer et où elle doit acquitter un impôt. Ce n'est qu'au moment où l'impôt est dû que se déclenche le droit de contrôle.

M. le Président : Ces sociétés sont toutes au régime simplifié.

Mme Maxime GAUTHIER : La très grande majorité. Cela signifie que pendant plusieurs mois elles ont une obligation déclarative minimum. Notre seuil de déclenchement se situe au moment de l'obligation déclarative, qui est matérialisée, ou qui est défaillante. Si elle est défaillante, on en a connaissance et on agit. On peut également s'intéresser à la société sous l'angle d'un contrôle de facturation, de l'exploitation d'informations que notre système de recherches posséderait par ailleurs, qui révélerait que cette entreprise commet ou va commettre des infractions fiscales.

M. le Président : Mais si on va au fond du problème, on constate que ces entreprises servent à détourner de l'argent public.

M. Jean-Louis GAUTIER : Mais pas au niveau des impôts dus par la société en question, il n'y a ni activité ni grief fiscal. Du point de vue de la gestion et du contrôle, il s'agit d'une entreprise qui s'est déclarée normalement, qui dépose des déclarations, qui paie peut-être même un peu TVA pour avoir l'air honnête. Du point de vue fiscal, il n'y a pas de clignotant indiquant que cette entreprise serait en train de frauder avec des salariés fictifs.

M. le Président : N'est-ce pas dû au fait que vous faites une enquête allégée ?

Mme Maxime GAUTHIER : Nous faisons une enquête sur les aspects fiscaux. La crainte de l'administration fiscale est que les gens soient plus gros qu'ils n'en aient l'air ; qu'ils se fassent passer pour petits, ou disparaissent complètement ; que leur activité soit « au noir » et échappe à la TVA ou à l'impôt sur les sociétés. Nous repérons des entreprises qui nous cachent une activité réelle. Tandis que vous vous intéressez à des entreprises qui se font passer pour existantes alors qu'elles n'existent pas. Ce n'est pas quelque chose qui se repère facilement depuis le service de gestion.

M. le Président : Mais la plupart de ces sociétés ont une durée de vie assez courte - moins de 24 mois. Et quand elles disparaissent, elles sont mises en liquidation. Tout le monde y perd quelque chose, y compris les impôts.

M. Jean-Louis GAUTIER : Il faut voir ce qu'on y perd. Il est vrai que ces sociétés ont un comportement qui n'est pas satisfaisant.

M. le Président : S'agissant des admissions en non-valeur, avez-vous fait des estimations ?

M. Jean-Louis GAUTIER : Quand la défaillance se révèle, on exerce un contrôle fiscal. S'il y a insuffisance fiscale, on procède à un redressement. Après reste le problème du recouvrement.

M. le Président : Souvent les entreprises domiciliées n'ont pas de compte en banque. Est-ce un élément de vigilance que vous prenez en compte ?

Mme Maxime GAUTHIER : Ce n'est pas une information qui est demandée à l'entreprise au moment où elle s'inscrit au Centre de formalités des entreprises. Nous n'avons que les données constitutives de la société en question. Et ce n'est pas un élément à déclarer obligatoirement à l'administration fiscale.

M. Jean-Louis GAUTIER : Nous demandons le compte bancaire quand nous déclenchons une vérification. Ces entreprises-là ne peuvent entrer en programmation de vérification qu'après la date de dépôt des premières déclarations, soit un an et demi après. C'est alors seulement que nous pouvons demander si elles ont un compte en banque.

L'absence de compte en banque, au moment où cela devient utile pour le contrôle fiscal, est un clignotant de risque, et peut-être de déclenchement de vérifications. Mais il s'est déjà passé dix-huit mois.

M. le Président : Lors de la plupart des contrôles effectués par l'inspection du travail, ou par l'Urssaf ou par la police, on rencontre beaucoup de difficultés pour établir l'identité du gérant, notamment dans les secteurs du bâtiment, de la confection et de l'habillement où il y a des ateliers clandestins. Comment opèrent les services fiscaux ?

M. Jean-Louis GAUTIER : En matière de contrôle fiscal répressif, nous avons une orientation assez précise dans notre contrat de performance. Une grande partie du contrôle fiscal tourne autour des défaillants, de l'activité souterraine, du travail dissimulé des secteurs à risque comme la restauration ou le BTP.

M. le Président : Prenez 22 gérants pour 800 sociétés, la plupart interdits de gestion, connus pour des faits délictueux. Où sont les contrôles ?

M. Jean-Louis GAUTIER : Je rappelle que nous ne gérons pas de fichier des interdits de gestion.

Mme Maxime GAUTHIER : Nous ne pouvons collecter et conserver que les données que nous avons le droit d'avoir. Or à ce stade, c'est une donnée que nous n'avons pas le droit de conserver, quand bien même nous le voudrions. Il faut dire que nous n'avons jamais demandé l'autorisation.

M. le Président : La CNIL nous a indiqué que la lutte contre la fraude était une finalité pouvant justifier les échanges de données.

Mme Maxime GAUTHIER : Je suis heureuse de l'entendre.

M. le Président : Toutes les fraudes organisées à l'assurance chômage débutent obligatoirement par la création d'une société qui a toutes les apparences d'une société légale, mais qui n'est faite que pour monter des escroqueries. 133 gérants à risque gèrent quelque 2 400 sociétés. Où est l'État ? Les greffes des tribunaux de commerce, soyons clairs, ne sont pas là.

Mme Maxime GAUTHIER : C'est un problème d'accès à l'information. On pourrait concevoir que nous ayons accès à l'information sur ceux qui sont interdits de gérer. Mais il faudrait aussi que nous ayons la possibilité de refuser l'immatriculation d'une entreprise en mettant en avant le fait que le gérant est interdit de gestion.

M. Jean-Louis GAUTIER : Mieux vaudrait remonter au niveau du greffe.

Mme Maxime GAUTHIER : Il faudrait mettre un filtre quelque part. Car ce filtre n'existe pas.

M. le Président : Et un fichier national que vous puissiez consulter ?

M. Jean-Louis GAUTIER : C'est là que cela devient compliqué, avec la CNIL, s'il est consultable nationalement.

M. le Président : Faut-il modifier la réglementation concernant les sociétés de domiciliation pour les rendre plus transparentes ?

M. Jean-Louis GAUTIER : On vient d'alléger le système.

Mme Maxime GAUTHIER : Pour moraliser la profession, il conviendrait effectivement de « faire le ménage ».

M. le Président : Passons aux relations entre les Assédic et vous-mêmes. Celles-ci disent que lorsque les impôts leur demandent de consulter un dossier, on le leur accorde bien volontiers. Malheureusement, l'inverse ne se vérifie pas et elles rencontrent souvent des difficultés pour obtenir des informations de la part des services fiscaux.

Mme Maxime GAUTHIER : Ce serait choquant d'apprendre qu'elles parviennent à avoir accès aux dossiers car, normalement, elles n'ont pas le droit. La loi est très stricte. Il n'y a des exceptions globales que pour certains services ; mais pas pour les Assédic, à ma connaissance.

M. Jean-Louis GAUTIER : Il y en a une, prévue à l'article L. 134 B du livre des procédures fiscales, mais elle est très ciblée autour des cotisations et des prestations. Si la demande porte sur l'accès au dossier fiscal de telle personne, il n'est possible de donner des informations, sans violer le secret professionnel et exposer nos agents à des poursuites pénales, que sur les renseignements nécessaires à l'assiette des cotisations dont cette personne est redevable ou au calcul des prestations auxquelles cette personne à droit. Il est très grave de donner des informations sur les individus en dehors des habilitations législatives.

En revanche, les agents des Assédic et de l'Unédic participent avec les agents des impôts aux COLTI qui sont chargés de travailler sur le travail dissimulé. Mais on ne communique pas sur le contenu des dossiers des personnes. C'est le pilote du COLTI qui indique qu'il va y avoir une opération combinée sur tel chantier, sur la base des informations communiquées par les différentes directions.

On ne peut leur donner que les informations qu'on est habilité à leur donner. Si vous me demandez s'il devrait y avoir un partage du secret professionnel, en rapport avec la mission des uns et des autres, je vous répondrai que je n'ai pas d'objection de principe s'il s'agit de lutter contre la fraude.

M. le Président : C'est moins des individus qu'il s'agit, que des entreprises. Ce n'est pas le chômeur dont on veut voir le dossier, c'est celui de l'entreprise qui fabrique des kits et qui commet des escroqueries afin de savoir où en est cette entreprise sur le plan fiscal. On sait que de telles entreprises ne déposent pas leurs comptes.

M. Jean-Louis GAUTIER : C'est la même chose d'un point de vue fiscal. Tant que l'entreprise n'a pas déposé sa déclaration, nous n'avons aucune information précise, ni sur sa comptabilité, ni sur son chiffre d'affaires. Et nous ne pourrons nous en inquiéter qu'à partir du moment où la date de dépôt légal est passée. Dans le cadre du régime simplifié d'imposition (RSI), c'est dix-huit mois.

M. le Président : Ce n'est pas trop long ?

Mme Maxime GAUTHIER : Le but est de dégager au maximum les entreprises d'une gestion administrative lourde. Mais se glissent dans ce système, prévu évidemment pour les entreprises honnêtes, d'autres entreprises qui en profitent. Si on a créé le RSI, c'était justement pour éviter aux petites entreprises de déposer tous les trois mois des déclarations de TVA. Le délai est maintenant d'un an.

M. le Président : Il paraît que cela inquiète vos services et qu'un travail est lancé sur ce sujet.

Mme Maxime GAUTHIER : C'est un sujet sur lequel nous travaillons depuis longtemps. Nous savons que la fraude concernant les entreprises domiciliées et domiciliantes existe. Mais pas sous l'angle, qui ne nous concerne pas directement, des sociétés « coquilles vides » qui fraudent aux Assédic. Cela dit, nous essayons d'être les plus vigilants possible s'agissant d'entreprises, ayant une activité, qui tentent de ne pas payer leurs impôts, notamment leur TVA, et de disparaître. C'est pourquoi nous avions mis en place une procédure concernant les entreprises domiciliées, afin de les prendre en compte plus rapidement et de pouvoir contrôler plus rapidement leur substance réelle.

Mais encore une fois, nous travaillons dans une sphère très différente : nous essayons de repérer les entreprises qui sont plus grosses qu'elles n'en ont l'air. Il en va différemment des entreprises qui vous intéressent, qui sont plus petites qu'elles veulent le paraître. Il est exact qu'elles ne sont pas dans notre « collimateur ».

Nous recherchons s'il n'y a pas de travail au noir, un chiffre d'affaires beaucoup plus important que ce qu'on nous déclare. Mais ces entreprises « coquilles vides » peuvent être d'apparence tout à fait honnête, déposer de petits acomptes de TVA pour ne pas avoir d'ennuis et disparaître au bout d'un an, sans avoir forcément d'impayés de TVA, s'il n'y a pas de chiffre d'affaires. Ce que nous recherchons, ce sont des entreprises qui font du chiffre d'affaires et ne déclarent pas de TVA.

M. le Président : Ne faudrait-il pas changer de stratégie ?

Mme Maxime GAUTHIER : Cette réunion en sera peut-être l'occasion.

M. Jean-Louis GAUTIER : L'an dernier, nous avons adopté un texte qui nous permet de faire passer au réel une entreprise qui s'est déclarée au RSI alors qu'on a la certitude qu'elle réalise des affaires pour un montant qui relève du réel. Nous avons alors la possibilité de la mettre immédiatement en irrégularité fiscale : on peut la faire passer au réel, elle devient défaillante et on peut déclencher notre action administrative.

En général, les entreprises concernées facturent de la TVA. C'est une autre problématique. C'est l'amorçage du « carrousel TVA », et cela fait partie du contrôle fiscal que nous exerçons sur ce créneau de population.

M. le Président : Y a-t-il beaucoup d'entreprises qui s'immatriculent rétroactivement ?

Mme Maxime GAUTHIER : C'est en effet autorisé.

M. Jean-Louis GAUTIER : Elles peuvent aussi se radier rétroactivement. Cela fait partie des clignotants qui permettent d'intervenir.

Mme Maxime GAUTHIER : Ces systèmes assez souples conçus pour des entrepreneurs de base qui démarrent leur entreprise et qu'on ne veut pas trop contraindre constituent des brèches dans lesquelles se glissent des entreprises qui commettent des fraudes.

M. le Président : Fraudes difficiles à détecter par la suite.

Mme Maxime GAUTHIER : Faut-il rigidifier à nouveau la contrainte administrative, au détriment de 3 millions d'entrepreneurs honnêtes ?

M. le Président : En cas de poursuite contre des gérants de paille, est-ce que le fisc suit ? Dans les affaires concernant l'assurance chômage, y a-t-il des contrôles fiscaux en cours ?

M. Jean-Louis GAUTIER : Quand on procède au contrôle fiscal d'une entreprise et qu'on envisage le pénal, le gérant de paille est bien poursuivi.

M. le Président : Au pénal, oui.

M. Jean-Louis GAUTIER : Il n'y aura peut-être pas de contrôle fiscal au sens plein du terme. Mais on regardera la situation fiscale du gérant.

M. le Président : Comment des personnes peuvent-elles passer au travers du maillage fiscal français en dirigeant plusieurs centaines de sociétés ?

M. Jean-Louis GAUTIER : Nous n'avons pas de fichier qui récapitule le nombre de sociétés détenues par un même gérant.

Mme Maxime GAUTHIER : Il y a des dossiers par entreprise, mais pas par individu.

Mme Maxime GAUTHIER : Les grands fraudeurs sont souvent assez habiles pour déposer très régulièrement des déclarations de revenus. Ces gens-là se composent, sur le plan fiscal, une apparence d'honnêteté et paient un impôt sur le revenu, même s'il est sans rapport avec leur revenu réel.

M. Jean-Pierre LE RIDANT : Faites-vous un rapprochement entre une entreprise et une absence de déclaration au bout d'un certain temps ?

Mme Maxime GAUTHIER : Tout à fait. C'est systématique. À partir du moment où une entreprise est prise en compte dans nos services, à chaque échéance, on sort et on relance la liste de ceux qui n'ont pas déposé.

M. Jean-Louis GAUTIER : La défaillance enclenche l'enquête. Mais on est déjà à dix-huit mois ou deux ans. Pour certaines entreprises, c'est déjà trop tard.

M. le Président : Il faudrait faire évoluer le système.

M. Jean-Louis GAUTIER : Pour remettre en cause le RSI, on risque de se heurter à d'autres problèmes.

Mme Maxime GAUTHIER : On n'a pas le droit de contrôler une période avant que la période de déclaration soit passée. Concrètement, on n'a pas le droit d'aller contrôler la première année une entreprise au RSI.

M. Jean-Louis GAUTIER : À cette date il n'y a pas de dette d'impôt de l'entreprise. Pour qu'il y ait contrôle fiscal, il faut que la créance fiscale soit née. Aucune opération de contrôle fiscal ne peut se déclencher avant. Ensuite, c'est une analyse des risques : la situation va peut-être se traduire par une défaillance, et il convient d'être réactif. Une seule exception est admise, qui date de l'année dernière : si nous avons des renseignements permettant de penser que cette entreprise est « abusivement » au RSI, la réalité des affaires qu'elle est en train d'engranger la positionnant plutôt sur un régime réel. Et nous pouvons alors rechercher les déclarations du régime réel qu'elle n'a pas souscrites.

M. le Président : Comment ?

M. Jean-Louis GAUTIER : Par la chaîne de facturation. On peut s'apercevoir qu'une entreprise émet beaucoup de factures et se trouve donc indûment au régime simplifié. Il s'agit néanmoins d'un cas très particulier, qui s'applique surtout à la défaillance TVA, à l'escroquerie TVA et qui ne concerne pas du tout le même genre de population que celle qui commet des fraudes à l'Unédic et aux Assédic.

Mme Maxime GAUTHIER : Le RSI est possible jusqu'à 760 000 euros de chiffres d'affaires. Mais en procédant à des recoupements sur des factures, on peut s'apercevoir qu'il est supérieur et que ces entreprises devraient être au régime réel. C'est différent des sociétés coquilles vides où, par définition, le chiffre d'affaires est très inférieur à 760 000 euros. À leur égard n'existe pas cette possibilité qui nous permettrait d'aller contrôler avant la fin de la première année.

M. le Président : Si les COLTI relevaient que cette entreprise était liée à une affaire de travail illégal, vous pourriez aller vérifier.

M. Jean-Louis GAUTIER : Sur le travail dissimulé, un procès verbal peut être dressé par les inspecteurs du travail mais on ne peut pas pour autant faire un contrôle fiscal avant que la dette fiscale ne soit née. En revanche, s'il y a du travail dissimulé, il peut y avoir du chiffre d'affaires dissimulé.

On repère, à l'instant T, des personnes non déclarées sur un chantier. L'obligation fiscale déclarative correspondant à l'activité du travail dissimulé que je constate à l'instant T apparaîtra plus tard. En matière fiscale, il n'y a pas de flagrant délit. Il faut attendre le dépôt de la déclaration suivante. C'est pour cela que le travail dissimulé se verbalise à la constatation de l'infraction elle-même. Ensuite, avec ce genre d'information, on fiscalise le renseignement par d'autres sources pour établir la défaillance ou l'insuffisance fiscale.

Mme Maxime GAUTHIER : De toutes façons, nous ne pouvons examiner que les aspects fiscaux. C'est pour cela que le COLTI existe, chaque administration ne pouvant faire que ce qu'elle a le droit de faire. On y rassemble toute une série d'interlocuteurs et de compétences juridiques pour couvrir toute la gamme des infractions de ces entreprises : l'inspection du travail pour le travail dissimulé ; les agents des impôts pour le contrôle fiscal ; la police et la gendarmerie pour les opérations d'investigation, etc.

M. le Président : Si on découvre qu'une entreprise a dix salariés qui travaillent au noir sur un chantier, on peut supposer qu'une partie de son chiffre d'affaires est dissimulée. Il y a donc une forte présomption de fraude à la TVA.

M. Jean-Louis GAUTIER : Mais ce n'est qu'une présomption sur la base de laquelle nous allons remonter les années passées.

Mme Maxime GAUTHIER : C'est un bon exemple. On constate du travail dissimulé en décembre. À partir de là, on va essayer de reconstituer le chiffre d'affaires pour l'année 2006. On peut lancer un contrôle fiscal et faire des redressements uniquement au printemps prochain après la date de dépôt de la déclaration de TVA et de la déclaration de résultats de l'entreprise. Pour 2006, s'il s'agit d'une entreprise au RSI, ce sera pour avril 2007.

M. Jean-Louis GAUTIER : Et en tout état de cause, ce n'est pas parce qu'on a constaté la présence de x personnes aujourd'hui sur le chantier que c'est un argument, en contrôle fiscal, pour transcrire un chiffre d'affaires imposable forfaitaire. Il faudra démontrer que l'activité a été réalisée et que le chiffre d'affaires n'a pas été déclaré. Cela fait partie des garanties offertes au contribuable : on doit démontrer que le chiffre d'affaires a été réalisé.

M. le Président : Il suffit de s'intéresser au chantier en cours.

M. Jean-Louis GAUTIER : Je ne peux appréhender que ce qu'il y a sur le compte en banque.

M. le Président : C'est tout le problème de l'économie souterraine.

Madame, Monsieur, nous vous remercions.

Audition de M. Bernard Cieutat, président du Comité national de lutte contre la fraude en matière de protection sociale, accompagné de M. Olivier Selmati, administrateur civil, chargé de mission à la direction de la sécurité sociale du ministère de la santé et des solidarités

(13 décembre 2006)

Présidence de M. Dominique TIAN, président et rapporteur

M. le Président : Je vous remercie, Messieurs, d'avoir répondu à notre invitation.

Le montant des fraudes détectées à l'assurance chômage s'élèverait à quelque 120 millions d'euros - je parle là de la seule fraude organisée, les fraudes individuelles n'entrant pas dans le champ de notre mission, non plus que celles dont sont victimes d'autres organismes sociaux.

Notre rapport comportera quelques recommandations de bon sens : l'obligation de présenter une pièce d'identité pour créer une société ; l'obligation de présenter une pièce d'identité avec photographie pour s'inscrire aux Assédic ; la vérification de l'existence effective des sociétés créées - ce qui paraît élémentaire, quand on songe que 22 personnes ont pu, ensemble, créer quelque 800 sociétés !

Le fait que le tribunal de Paris s'apprête à juger, pour une seule affaire, quelque 600 personnes, suffit à montrer qu'il s'agit bien d'un phénomène de réseaux, aux ramifications internationales de surcroît. Les avis sont partagés sur le point de savoir si ces réseaux sont liés ou non au grand banditisme. Chacun, en revanche, s'accorde à dire que le problème est plus que sérieux et qu'il est urgent de s'en occuper.

Notre mission, par son existence même, semble avoir déjà produit quelques effets : on nous dit, par exemple, que les kits Assédic, désormais, se vendent mal ...

Pouvez-vous nous faire part de votre point de vue sur la question ? Nous savons que votre Comité n'a tenu sa première réunion que tout récemment, mais nous attendons néanmoins beaucoup de vos travaux.

M. Bernard CIEUTAT : Sans doute ma présentation vous décevra-t-elle, car nous n'en sommes qu'au tout début de nos travaux - nous avons tenu notre première séance de travail hier -, alors que vous achevez les vôtres, et que vous êtes en quête de propositions concrètes et pratiques que je serais bien en peine de vous fournir.

Le Comité a été créé par décret du 23 octobre 2006 et installé le 24 octobre par le ministre chargé de la sécurité sociale, M. Xavier Bertrand, auprès duquel il est placé. Il comprend 21 membres : outre son président, 11 représentants de l'État - toutes les administrations concernées par ce problème -, 6 représentants des organismes de sécurité sociale - caisses et organismes nationaux du régime général, de la MSA et du régime social des indépendants - et 3 représentants des organismes de protection sociale - AGIRC-ARRCO, Unédic et UNOCAM. La direction de la sécurité sociale assure son secrétariat, c'est-à-dire son fonctionnement. C'est la raison pour laquelle, j'ai demandé à M. Olivier Selmati, administrateur civil, chargé de mission à la DSS, de m'accompagner.

La mission générale du Comité est d'assurer une coordination des politiques et des actions de lutte contre la fraude dans le domaine de la protection sociale - elle était limitée, au départ, à la fraude à la sécurité sociale, et n'a été étendue que tardivement à la protection sociale en général. Cela implique, selon les termes mêmes du décret, de centraliser et d'analyser les cas de fraude recensés par les organismes de sécurité sociale, d'animer la coopération entre ces organismes pour lutter contre les fraudes, de participer aux travaux interministériels visant à mettre en place des échanges d'information, d'établir un rapport annuel d'analyse du phénomène, de faire toutes propositions de nature à prévoir et détecter les cas de fraude, et de sensibiliser l'ensemble des acteurs du système de protection sociale aux phénomènes de fraude. J'insisterai sur ce dernier point, car la chose ne va pas de soi, la recherche de la fraude étant loin d'être aussi ancrée dans la culture des organismes de sécurité sociale qu'elle l'est, par exemple, dans celle de l'administration fiscale.

Il s'agit donc d'une très large mission, d'autant que le mot « notamment » figure, dans le décret, en tête de cette énumération...

En installant le comité, le ministre lui a fixé cinq objectifs prioritaires.

Le premier est le contrôle de la condition de résidence, afin d'éviter que des personnes partant vivre à l'étranger reviennent en France pour bénéficier de la sécurité sociale. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 contient sur ce point des dispositions permettant d'éviter de telles situations.

Le deuxième est le renforcement du contrôle des ressources des demandeurs de prestations sous condition de ressources : CMU, RMI, prestations familiales. Il s'agit d'évaluer les ressources en fonction du train de vie - un dispositif analogue à celui en vigueur en matière fiscale a été adopté dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 - ou encore de modifier les formulaires pour mieux appréhender la totalité des ressources, y compris celles d'origine étrangère.

Le troisième est le contrôle des prestations servies à l'étranger, une caisse pivot - celle de Vannes - étant chargée de suivre les remboursements de soins dispensés à l'étranger.

Le quatrième est la lutte contre le travail dissimulé. La loi de financement de la sécurité sociale pour 2006 comporte à cet égard diverses dispositions : sanctions, élargissement des pouvoirs des agents de contrôle, mise en place par les URSSAF de référents régionaux et, au plan national, d'une cellule de veille juridique et économique sur les phénomènes d'évasion sociale.

Le cinquième est le renforcement du contrôle de la régularité du séjour : il s'agit en particulier de mettre un terme à des situations dans lesquelles des ressortissants communautaires n'exerçant en France aucune activité professionnelle et faisant état de faibles revenus se voient octroyer le bénéfice du RMI ou de la CMU.

Le ministre a notamment insisté sur la nécessité de renforcer les dispositifs de contrôle interne dans les organismes de sécurité sociale, et de développer la coopération et les échanges d'informations entre organismes confrontés à des problèmes de fraude - Assédic, URSSAF, DGI...

Lors de sa réunion du 24 octobre, le Comité avait demandé aux organismes et administrations de lui transmettre avant la fin du mois de novembre leurs programmes de travail pour 2007, en soulignant leurs priorités et les initiatives envisagées. Ainsi fut fait, et le Comité a pu en débattre hier, lors de sa deuxième réunion. C'est dans la deuxième quinzaine du mois de janvier qu'il arrêtera, en présence du ministre, son programme d'action pour 2007. La synthèse des contributions reçues des caisses nationales a permis d'identifier quatre problématiques communes et de proposer quatre thèmes prioritaires. La discussion a permis, en outre, de préciser et d'enrichir le projet de programme, notamment en faisant apparaître des thèmes qui n'avaient pas été pleinement abordés dans les réflexions préparatoires.

Les quatre problématiques communes sont les suivantes : l'évaluation du phénomène de fraude, quantitativement par la mise en place d'outils et de procédures d'évaluation, et qualitativement par la cartographie des risques ; la mise en place des partenariats entre les organismes et avec les autres administrations ; les échanges de données dématérialisées ; enfin, les mesures d'organisation interne à prendre au sein des organismes pour mieux lutter contre la fraude.

Quant aux quatre thèmes prioritaires, ce sont : la fraude à la condition de résidence, la fraude à la régularité du séjour, la fraude à la condition de ressources et la fraude dite documentaire, c'est-à-dire la falsification des documents permettant d'établir l'identité.

Enfin, le comité a examiné les éléments d'une stratégie de communication en matière de fraude sociale.

Ces propositions ont reçu l'accord de principe des membres du comité, mais la réunion d'hier nous a conduit à les compléter, comme je l'ai dit, sur plusieurs points.

Il conviendra, premièrement, de prendre en compte certains aspects de la fraude tels que la fraude à la tarification des soins, la fraude à l'affiliation - à l'ACOSS et au RSI, notamment - ou encore la fraude à l'aide médicale d'État, qui fait actuellement l'objet d'un audit. Un bilan sera dressé des mesures prises dans ces différents domaines.

Deuxièmement, de fournir un éclairage spécifique sur la fraude dans les entreprises ;

Troisièmement, de faire l'inventaire des dispositions des conventions d'objectifs et de gestion en matière de lutte contre la fraude et d'introduire ce thème dans les programmes de qualité et d'efficience prévus par la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale.

Quatrièmement, de retenir la coopération internationale parmi les axes prioritaires.

Cinquièmement, de fixer des échéances précises pour les différentes actions prévues par les programmes des organismes, ce qui facilitera leur suivi.

Sixièmement, de recenser les dispositions juridiques nécessitant encore des textes d'application. C'est le cas, par exemple, de l'article L. 114-12 du code de la sécurité sociale : il ressort des contacts pris avec la CNIL qu'un décret n'est pas nécessaire, mais que le respect de la loi de 1978 peut toutefois exiger, au cas par cas, un texte d'application particulier - ce qu'il était utile de préciser. C'est aussi le cas de l'article L. 152 du Livre des procédures fiscales. Un décret en Conseil d'Etat est nécessaire pour organiser les échanges de données informatisées afin que la direction générale des impôts puisse spontanément les transmettre à la sécurité sociale.

Septièmement, d'examiner le cadre juridique général de la lutte contre la fraude et de faire le point des exigences propres aux procédures judiciaires dans ce domaine, avec l'objectif de formuler des recommandations avant la fin de 2007.

Huitièmement, de prendre en compte, en matière de communication, les exigences de confidentialité, en particulier lorsque des procédures judiciaires sont en cours, et à plus forte raison lorsque la presse s'y intéresse. C'est un point sur lequel a insisté le représentant de la Chancellerie.

Il s'agira enfin, de dresser un bilan, à la fin du premier semestre de 2007, des actions menées par la police nationale pour former les personnels des autres administrations et mettre à leur disposition des logiciels adaptés de contrôle.

J'ai bien conscience de la difficulté de notre tâche, dont atteste l'ampleur de cette énumération qui a pu vous paraître fastidieuse. Le Comité devra lutter, en effet, non seulement contre la fraude, mais aussi contre le cloisonnement entre des services ou organismes. La manière dont notre première séance de travail s'est déroulée, l'engagement manifesté par chacun des participants, me rendent toutefois raisonnablement optimiste. Mais il nous reste encore à poursuivre notre travail d'inventaire, à bien poser les problèmes, à suivre l'application des mesures déjà prises et, surtout, à trouver ou à promouvoir de nouvelles solutions. Je sais que c'est à cela que vous êtes vous-mêmes attachés, et nous attendons beaucoup de votre rapport.

M. Olivier SELMATI : Je voudrais ajouter quelques compléments sur les fraudes dites identitaires, phénomène désormais clairement identifié par les organismes de sécurité sociale. L'assurance maladie a lancé une expérimentation dans cinq CPAM, notamment en Seine-Saint-Denis, en recourant à de simples lampes à UV - largement suffisantes, selon la police, pour détecter la plupart des faux documents. Un premier bilan sera fait au cours du premier trimestre 2007 ; s'il est concluant, l'expérience sera généralisée.

La branche vieillesse, quant à elle, est confrontée à la présentation de faux bulletins de paie, problème d'autant plus difficile à résoudre qu'il n'apparaît que dix, quinze voire vingt ans après. C'est pourquoi la CNAVTS a lancé une expérience destinée à détecter plus en amont ces faux bulletins.

La branche famille, enfin, envisage de faire l'acquisition d'un logiciel de détection de faux documents. Un des tout premiers bénéfices de la création du Comité est que la DICCILEC, ex-police de l'air et des frontières, lui a proposé d'étudier ce logiciel pour voir s'il correspond à ses besoins. Nous avons également reçu aussi une offre de services de la police nationale pour former les référents - fraude dont, conformément aux souhaits du ministre, chaque caisse locale de chacune des branches devra se doter, et qui devront à leur tour former leurs collègues aux techniques de lutte contre la fraude.

M. le Président : Je voudrais revenir un moment sur le problème du croisement des fichiers. Nous retirons des échanges que nous avons eus avec la CNIL qu'elle était d'accord pour donner aux administrations et aux organismes les moyens de lutter contre la fraude, mais que, faute de disposer d'un bilan de ce qui a été mis en place avec son autorisation, elle était relativement réticente à en accorder de nouvelles d'ordre très général

M. Bernard CIEUTAT : Mon sentiment personnel est que la CNIL a une position bien plus nuancée qu'on ne le croit, et qu'il s'agit bien souvent d'un épouvantail que l'on agite pour servir de prétexte à l'inaction. Ce qu'elle veut éviter, c'est qu'un identifiant unique permette de tout savoir sur les activités, les attaches, les liens d'une personne, dont la vie privée n'aurait ainsi plus de secrets pour l'administration. C'est ce qui justifie certains cloisonnements.

M. Olivier SELMATI : L'article L. 114-12 du code de la sécurité sociale, qui résulte de l'article 92 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2006, habilite les organismes de sécurité sociale à échanger des informations pour procéder à des contrôles et lutter contre la fraude. Il en est résulté une divergence d'interprétation sur la nature de l'acte réglementaire nécessaire à son application. La CNIL a d'abord considéré qu'il fallait un décret d'application général, avant de se ranger à l'analyse de la DSS, pour qui il s'agit simplement des actes réglementaires visés dans le cadre de la loi de 1978 modifiée. Cette analyse est désormais partagée par tous. Les organismes de sécurité sociale peuvent définir par la voie de conventions un mode de coopération, et si cette coopération passe par des échanges de fichiers, cela nécessite une autorisation par la voie d'un acte réglementaire.

M. Bernard CIEUTAT : C'est tout récent. C'est une information que nous avons eue hier, à la suite d'échanges avec la CNIL au cours des jours derniers.

M. Olivier SELMATI : La CNIL fait, entre la nécessité du contrôle et la préservation des garanties individuelles, des arbitrages dont on ne peut nier qu'ils apparaissent à certains, sur le terrain, comme un frein et une limite à l'action. En tout état de cause, la création dans la LFSS 2007 d'un répertoire commun, qui vise à permettre de structurer les échanges de données entre organismes de sécurité sociale, ne peut être mis en place sans que des garanties soient données à la CNIL, mais nous espérons que ce sera tout de même un outil efficace de contrôle.

M. le Président : Vous attendez donc beaucoup de l'amendement Morange ?

M. Olivier SELMATI : Oui, mais nous attendons aussi de voir quelle décision rendra demain le Conseil constitutionnel sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale...

M. le Président : L'Unédic était-elle représentée à la réunion d'hier ?

M. Olivier SELMATI : Oui.

M. le Président : A-t-elle pris part au débat ? Se sent-elle très concernée par le problème ?

M. Bernard CIEUTAT : Je n'ai pas le souvenir qu'elle soit intervenue.

M. Olivier SELMATI : Elle n'a pas non plus remis de contribution.

M. Bernard CIEUTAT : Cela dit, il serait très prématuré de tirer des conclusions de la participation des différents membres du Comité à telle ou telle de ses séances.

M. le Président : Avez-vous des estimations du montant de la fraude à la sécurité sociale ?

M. Bernard CIEUTAT : Selon certaines évaluations, la fraude fiscale et sociale (donc sur les impôts et cotisations) représenterait 3 % du PIB, soit autour de cinquante milliards d'euros. Mais il s'agit d'une évaluation très globale, la fraude étant, par essence, un phénomène occulte.

M. le Président : L'URSSAF de Paris estime jusqu'à 8 milliards d'euros l'évasion sociale, c'est-à-dire la fraude portant sur les cotisations.

M. Bernard CIEUTAT : Si on se fonde sur l'évaluation précédente, ce montant est un minimum.

M. le Président : Avez-vous, par ailleurs, des éléments sur la fraude aux prestations ? Le ministre a parlé de 100 millions d'euros par an.

M. Olivier SELMATI : En effet.

M. le Président : Autre question : comment se prémunir contre les types de fraude à venir, qui pourraient naître de l'imagination, toujours fertile, des fraudeurs ? Avez-vous une mission prospective à cet égard ?

M. Bernard CIEUTAT : Le fait que la police, la justice et la gendarmerie soient représentées au sein du Comité témoigne de cette préoccupation. Les fraudeurs ont toujours un temps d'avance sur les dispositifs de sécurité, mais on peut au moins commencer par boucher les fissures les plus béantes, celles par lesquelles les fraudeurs s'introduisent actuellement. Il est très important d'essayer d'anticiper, même si nous avons sans doute beaucoup de retard. Je suis très frappé, et inquiet, quand j'entends une magistrate du pôle financier parlant de deux dossiers de fraude à l'assurance chômage, concernant 2 000 et 3000 personnes. Il y a certes un début de prise de conscience, mais ces phénomènes complexes nécessitent une importante coopération, y compris internationale.

M. le Président : Je voudrais justement que nous en parlions. L'immatriculation en ligne des entreprises, désormais permise au nom de la simplification, a aussi pour effet de faciliter les fraudes, surtout quand une entreprise fictive s'immatricule en ligne depuis l'étranger. La DGI est-elle associée à vos travaux ?

M. Bernard CIEUTAT : Le problème de la coopération internationale a été soulevé par plusieurs membres du comité, notamment du côté des administrations.

Parmi elles, la DGI, qui a commencé à travailler avec l'ACOSS. C'est un élément très important, même si nous sentons bien qu'il reste des progrès à faire.

Le ministère des affaires étrangères est également représenté, et c'est très important aussi, car notre réseau à l'étranger doit se voir chargé de procéder à un certain nombre de contrôles, en particulier sur les identités. Il faut d'autre part établir des relations entre administrations chargées de combattre la fraude au sein de chaque pays, membre de l'Union européenne ou non.

M. Olivier SELMATI : La DSS a organisé en septembre dernier un séminaire réunissant les directeurs de la sécurité sociale des États membres de l'Union européenne. A sa grande surprise et à sa grande satisfaction, le thème de la fraude y est apparu comme une priorité quasi commune, et il n'est pas impossible que, lorsqu'il reviendra à la France d'assurer la présidence de l'Union, la question soit inscrite à l'ordre du jour.

Par ailleurs, nous avons conclu un accord de coopération avec la République tchèque, en vue de développer les échanges sur la fraude aux cotisations, aux prestations, à l'enregistrement des entreprises, sur le recouvrement des cotisations. Il s'agit d'un accord-type, qui a vocation à être conclu également avec d'autres pays. Nous sommes d'ailleurs en train de négocier avec la Pologne, et le Royaume-Uni a également marqué son intérêt. Il y a donc de sérieuses perspectives de coopération.

J'ajoute, s'agissant de l'affaire, qui a défrayé la chronique, des Anglais vivant en Dordogne du RMI, que les CPAM concernées ont pu mettre en place une coopération fructueuse avec les services fiscaux britanniques, coopération qui sera généralisée, à terme, à toutes les CPAM. Dès lors que l'on a identifié le bon interlocuteur, l'information arrive.

M. le Président : Vous m'en voyez ravi, car dans le rapport que j'ai remis en 2005 au nom de la commission des affaires sociales sur la fraude au RMI, j'avais demandé qu'on y mette fin.

Les représentants du ministère de la justice ont-ils pris part aux débats ?

M. Bernard CIEUTAT : Oui, surtout pour rappeler la nécessité de respecter les procédures, par exemple en matière de secret de l'instruction.

M. le Président : La question de la réponse pénale, qui doit être dissuasive, se pose, ainsi que ce qui a trait aux aspects matériels du traitement des affaires. L'avez-vous évoqué ?

M. Olivier SELMATI : Non, si ce n'est à propos de la fraude aux médicaments, qui semble se répandre sur l'ensemble du territoire, ce qui pose des problèmes d'organisation car les dépôts de plainte doivent émaner des organismes victimes, la CNAMTS ne pouvant elle-même déposer plainte que pour le préjudice moral. Les parquets locaux se sentent un peu démunis.

M. le Président : C'est un sujet qui mérite réflexion. L'Unédic rencontre une difficulté similaire, dans la mesure où plusieurs juges peuvent être saisis dans le cadre d'une affaire de dimension nationale. Il se pose, en outre, des problèmes d'organisation matérielle, quand il faut juger 600 prévenus dans une seule affaire.

Il nous reste, Messieurs, à vous remercier pour les éléments très intéressants que vous nous avez fournis.

DÉPLACEMENTS DE LA MISSION

●  Le 23 novembre 2006

Assédic de l'Est Francilien - Créteil

- Mme Claire Gizard, directrice

Assédic de Paris

- M. Hervé Chapron, directeur

●  Le 30 novembre 2006

Assédic Vallées du Rhône et de la Loire

- M. Bernard Chauleur, directeur

GLOSSAIRE

ACOSS 

Agence centrale des organismes de sécurité sociale

AGS 

Assurance de garantie des salaires

ANPE 

Agence nationale pour l'emploi

BRDA 

Brigade de répression de la délinquance astucieuse

CFE 

Centre de formation de entreprises

CNAF 

Caisse nationale d'allocations familiales

CNAM 

Caisse nationale d'assurance maladie

CNAV 

Caisse nationale d'assurance vieillesse

CNIL 

Commission nationale de l'informatique et des libertés

COLTI 

Comités opérationnels de lutte contre le travail illégal

CPAM 

Caisse primaire d'assurance maladie

DCPJ 

Direction centrale de la police judiciaire

DGI 

Direction générale des impôts

DILTI 

Délégation interministérielle de lutte contre le travail illégal

DNA 

Déclaration nominative des assurés

DPAE 

Déclaration préalable à l'embauche

DUDE 

Dossier unique du demandeur d'emploi

GARP 

Groupement des assédic de la Région parisienne

GIP-MDS 

Groupement d'intérêt économique - Modernisation des déclarations sociales

MECSS 

Mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la sécurité sociale

NIR 

Numéro d'inscription au répertoire

URSSAF 

Union pour le recouvrement des cotisations de sécurité sociale et d'allocations familiales

1 () Étude sur les nouveaux phénomènes d'évasion sociale. Mars 2006. URSSAF de Paris et de la Région parisienne.

2 () Communiqué démentant une information de presse faisant état d'une fraude aux Assédic d'une ampleur de 3 à 4 milliards d'euros.

3 () Audition du 27 septembre 2006 et du 6 décembre 2006.

4 () Didier Duval, responsable du pôle de lutte contre la délinquance financière à la Direction Centrale de la Police Judiciaire, audition du 4 octobre 2006.

5 () Audition du 25 octobre 2006.

6 () Sauf pour les intermittents du spectacle depuis 2004. Les rapprochements sont également possibles pour les intérimaires.

7 () Ce chiffre ne porte pas que sur des affaires de fraude en réseau mais sur l'ensemble des dossiers de fraude à l'assurance chômage dont la direction centrale de la police judiciaire est saisie.

8 () Audition du 18 octobre 2006.

9 () Parti des travailleurs du Kurdistan.

10 () Audition du 4 octobre 2006

11 () Dans ses réquisitions, sur l'affaire de fraude actuellement en jugement devant le tribunal correctionnel de Paris, le représentant du parquet dénonce une fraude « facile » et « industrielle ».

12 () Audition du 8 novembre 2006.

13 () Cour de Cassation, chambre criminelle, arrêt n° 80.525.

14 () Audition du 18 octobre 2006.

15 () Numéro d'Inscription au Répertoire.

16 () Mme Annie Thomas, audition du 27 septembre 2006.

17 () Audition du 22 novembre 2006.

18 () Auditions du 18 octobre 2006.

19 () Sauf pour les intermittents du spectacle.

20 () Décret n°2004-401 du 7 mai 2004 complétant l'article R. 351-3 du code du travail.

21 () L'évolution de l'assurance chômage : de l'indemnisation au retour à l'emploi - mars 2006.

22 () Audition du 15 novembre 2006.

23 () Cet office, créé en 2005 et confié à la gendarmerie a vocation à traiter des infractions relevant du travail illégal, en traitant des infractions particulièrement graves ou de dimensions nationale, voire internationale.

24 () Audition de Mme Sylvia Caillard, magistrat, du 25 octobre 2006.

25 () Audition du 13 décembre 2006.

26 () M Bernard Cieutat, président du Comité national de lutte contre la fraude en matière sociale, audition du 13 décembre 2006.

27 () Articles L. 114-9 à L. 114-17 du code de la sécurité sociale.

28 () L'évolution de l'assurance chômage : de l'indemnisation à l'aide au retour à l'emploi, mars 2006.

29 () Audition du 15 novembre 2006.

30 () M. Jean-Pierre Revoil, Secrétaire général de l'Unédic, Audition du 6 décembre 2006.

31 () Mme Annie Thomas, présidente de l'Unédic, audition du 27 septembre 2006.

32 ()Mme Annie Thomas, présidente de l'Unédic, audition du 27 septembre 2006.

33 () Décision du 8 novembre 2006.

34 () Audition du 11 octobre 2006.

35 () « L'évolution de l'assurance chômage : de l'indemnisation à l'aide au retour à l'emploi » mars 2006.

36 () Décision relative au projet de décret n° 93-1319 pris en application de l'article L.351-21 du code du travail qui prévoit que : « Les informations détenues par les organismes de sécurité sociale peuvent être rapprochées de celles détenues par [les organismes chargés du recouvrement des contributions de l'assurance chômage] pour la vérification du versement des contributions mentionnées à l'article L.351-3 et la vérification des droits du salarié au revenu de remplacement prévu à l'article L.351-2 ».

37 () Audition du 25 octobre 2006.

38 () M. Olivier Selmati, chargé de mission à la direction de la sécurité sociale, audition du 13 décembre 2006.

39 () Auditions du 25 octobre et du 15 novembre 2006.

40 () Introduit par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2006.

41 () M. Thierry Priestley, audition du 22 novembre 2006.

42 () Audition du 4 octobre 2006.

43 () La loi n° 2003-721 du 1er août 2003 pour l'initiative économique qui a permis la libre détermination du montant du capital social des SARL (la SARL à un euro).

44 () Article 2 du décret du 26 décembre 2000 de simplification administrative.

45 () M. Christian Kalck, chef de la brigade de répression de la délinquance astucieuse (BRDA) à la Préfecture de police de Paris,audition du 18 octobre 2006.

46 () M. Gérard Larcher, audition du 15 novembre 2006.

47 () Audition du 11 octobre 2006.

48 () M. Christian Kalck, chef de la la brigade de répression de la délinquance astucieuse (BRDA) à la Préfecture de police de Paris, Audition du 18 octobre 2006.

49 () M. André Marin, service de la prévention des fraudes à l'Unédic, Audition du 6 décembre 2006.

50 () Audition du 8 novembre 2006.

51 () Audition du 11 octobre 2006.

52 () Audition du 25 octobre 2006.

53 () Décret n° 2006-679 du 9 juin 2006 modifiant le décret n° 96-650 du 19 juillet 1996 relatif aux centres de formalités des entreprises.

54 () Audition du 18 octobre 2006.

55 () Audition du 8 novembre 2006.

56 () Audition du 11 octobre 2006.

57 () SNCAED : Syndicat national des centres d'affaires et de domiciliation.

58 () Audition du 18 octobre 2006.

59 () Étude sur les nouveaux phénomènes d'évasion sociale, mars 2006.

60 () Décret n° 85-12580 du 5 décembre 1985 relatif à la domiciliation des entreprises et modifiant le décret n°84-406 du 30 mai 1984 relatif au registre du commerce et des sociétés.

61 () M. Gérard Larcher : audition du 15 novembre 2006.

62 () Article L. 114-14 du code de la sécurité sociale.

63 () Audition du 6 décembre 2006.

64 () La fraude aux allocations chômage est punie de 4 000 euros d'amende (article L. 365-1 du code du travail), sauf si le délit d'escroquerie est constitué. La fraude est alors punissable des peines beaucoup plus lourdes prévues par les articles 313-1 et 313-3 du code pénal : 5 ans d'emprisonnement et 375 000 euros d'amende, voire 10 ans d'emprisonnement et 1 million d'euros d'amende si l'escroquerie est commise en bande organisée

65 () Audition du 13 décembre 2006.

66 () Audition du 25 octobre 2006.

67 () M. Gérard Larcher, audition du 15 novembre 2006.

68 () Numéro d'Identification au Répertoire.

69 () Association de gestion de la sécurité sociale des auteurs.

70 () Caisse de compensation des VRP.

71 () Direction de l'animation, de la recherche, des études et des statistiques (ministère de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement

72 () Le répertoire SIRENE est un outil de connaissance du système productif. Créé par le décret n° 73-314 du 14 mars 1973, il constitue une base de données des entreprises et des établissements.

73 () AGEFIPH : Association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées

74 () CNAV : Caisse nationale d'assurance vieillesse

75 () CNAF : Caisse nationale d'allocations familiales

76 () ACOSS : Agence centrale des organismes de sécurité sociale