N° 1584 - Rapport de M. Hervé de Charette sur le projet de loi autorisant l'approbation du protocole à la convention du 27 novembre 1992 portant création d'un fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (1510)




Document
mis en distribution
le 10 mai 2004

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N° 1584

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 5 mai 2004.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LE PROJET DE LOI (n° 1510) autorisant l'approbation du protocole à la convention du 27 novembre 1992 portant création d'un fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures ,

PAR M. HERVÉ de CHARETTE,

Député

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SOMMAIRE

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INTRODUCTION 5

I - LES INSUFFISANCES DE LA RÉGLEMENTATION DU TRANSPORT
      MARITIME ET DES SYSTÈMES D'INDEMNISATION
7

A - UNE RÉGLEMENTATION INTERNATIONALE INSUFFISANTE 7

B - LES LIMITES DU SYSTÈME D'INDEMNISATION EXISTANT 9

II - LES AMÉLIORATIONS APPORTÉES PAR LE PROTOCOLE 13

A - LE RELÈVEMENT DES PLAFONDS D'INDEMNISATION 13

B - UN ACCORD D'UNE PORTÉE LIMITÉE 14

CONCLUSION 17

EXAMEN EN COMMISSION 19

ANNEXE 1 - ÉTATS MEMBRES DU FONDS DE 1992 21

ANNEXE 2 - LISTE DES CONTRIBUTEURS ET
                     MONTANTS CORRESPONDANTS
23

Mesdames, Messieurs,

Depuis la catastrophe du Torrey Canyon qui frappa les îles britanniques en 1967, les marées noires se sont hélas succédé suscitant à la fois l'exaspération des populations et un sentiment d'impuissance et d'injustice face aux responsables de ces catastrophes. Amoco Cadiz (1978), Exxon Valdez (1989), Aegean Sea (1992), Nakhodka (1997), Erika (1999), Baltic Carrier (2001), Prestige (2002), cette liste démontre le caractère récurrent des catastrophes maritimes et l'insuffisance de la réglementation applicable au transport de matières dangereuses en mer.

Dans la période récente l'Assemblée nationale a créé deux commissions d'enquête sur ce sujet : la première en janvier 2000, suite au naufrage de l'Erika, la seconde en février 2003, après le naufrage du Prestige. Ces deux commissions ont insisté dans leurs recommandations sur la nécessité d'améliorer les systèmes d'indemnisation en vigueur.

Le protocole fait à Londres le 16 mai 2003 poursuit cet objectif. A cette fin, il vise à relever les plafonds d'indemnisations versées par le fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (FIPOL). Le présent projet de loi, déposé à l'Assemblée nationale le 2 avril 2004, vise à autoriser l'approbation de ce protocole à la convention du 27 novembre 1992 portant création du FIPOL. Son examen constitue une occasion opportune de faire le point sur la délicate question de la sécurité dans les transports maritimes et de s'interroger, au-delà de la question de l'indemnisation, sur les insuffisances de la réglementation internationale en la matière ainsi que sur la difficulté de faire jouer la responsabilité des différents opérateurs d'un secteur caractérisé par son opacité.

I - LES INSUFFISANCES DE LA RÉGLEMENTATION DU TRANSPORT MARITIME ET DES SYSTÈMES D'INDEMNISATION

Il serait faux de considérer que les zones maritimes, dans la mesure où elles échappent très largement à la souveraineté des Etats, sont pour autant des zones de non droit. Il n'en demeure pas moins vrai que les conventions internationales applicables en la matière, tout comme la réglementation en vigueur dans de nombreux Etats, constituent un cadre insuffisant. De même, le système d'indemnisation instauré en 1971 avec le FIPOL présente d'importantes lacunes, malgré les réformes successives tendant à en améliorer le fonctionnement.

A - Une réglementation internationale insuffisante

· L'Organisation maritime internationale

L'Organisation maritime internationale (OMI) est une institution spécialisée des Nations Unies chargée d'élaborer les normes relatives à la sécurité en mer. Elle regroupe aujourd'hui 162 Etats qui siègent au sien de l'Assemblée de l'Organisation. Cette Assemblée élit l'organe dirigeant de l'OMI, le Conseil, qui comporte 40 Etats, répartis en plusieurs collèges, représentant les Etats en fonction du tonnage de leur flotte ou de la longueur de leur littoral. Contrairement à une idée reçue très répandue, les droits de vote au sein de l'OMI ne sont pas proportionnels au tonnage de la flotte de chaque Etat : l'OMI fonctionne selon le système onusien « un pays, une voix » et l'usage implique que les décisions y soient prises par consensus.

Depuis sa création en 1948, l'OMI a permis la signature d'une quarantaine de conventions internationales encadrant le trafic maritime et définissant les grands principes du droit maritime international. Le premier FIPOL, créé en 1971, a ainsi été institué par les Etats membres de l'OMI sans pour autant être directement rattaché à l'Organisation. De même, la convention de 1971 définissant la responsabilité des transporteurs, dite CLC (Civil liability convention), a-t-elle été négociée dans le cadre de l'OMI. Plus récemment, l'OMI a modifié la convention MARPOL, afin d'appliquer à la flotte mondiale des pétroliers un régime similaire à celui mis en œuvre au sein de l'Union européenne interdisant le transport d'hydrocarbures lourds dans des pétroliers à simple coque. Cette interdiction devra être mise en œuvre au plus tard le 5 avril 2005.

L'implication de l'OMI en faveur d'une meilleure régulation du transport maritime est indéniable. Elle se heurte toutefois à d'importantes limites : elle n'a aucun moyen d'inciter les Etats à ratifier les conventions qu'elle adopte ; elle ne peut sanctionner les Etats ou les particuliers méconnaissant les règles qu'elle édicte, dont l'application est subordonnée à la bonne volonté de l'Etat du pavillon de chaque navire. Enfin, s'agissant de la qualification des gens de mer, l'OMI n'est pas compétente, puisqu'il s'agit d'une matière relevant d'une autre institution, l'Organisation internationale du travail (OIT).

· L'Organisation internationale du travail

Alors que 80 % des accidents maritimes résultent d'une défaillance humaine, la réglementation du travail des gens de mer apparaît comme un élément fondamental pour prévenir les catastrophes. Or cette réglementation est à bien des égards défaillante, le Bureau international du travail ayant estimé dans un rapport de mai 2002 que moins d'un tiers des Etats de libre immatriculation disposaient d'une législation nationale protégeant les gens de mer qui ne sont pas leurs ressortissants.

Pour cette raison, l'OIT a adopté une série de conventions visant à définir les droits minimaux applicables aux gens de mer et prévoyant la responsabilité de l'Etat du pavillon en la matière. La loi autorisant la ratification de huit conventions en ce sens a été définitivement adoptée par le Sénat le 5 février dernier1. La France devrait ratifier rapidement ces conventions, qui constituent une mesure essentielle en faveur d'une meilleure sécurité maritime.

Cette ratification constitue incontestablement un signe adressé aux Etats abritant des pavillons de complaisance. Il n'en demeure pas moins vrai que l'application de ces conventions demeure, une fois encore, subordonnée à la bonne volonté des Etats parties et qu'il n'existe pas dans ce domaine de mécanisme de sanction applicable directement par l'OIT ou par une juridiction internationale.

· L'Union européenne

L'Union européenne a réagi aux différentes catastrophes maritimes en mettant en œuvre une série de mesures prises lors du conseil des ministres des transports des 5-6 décembre 2002 et des 27-28 mars 2003.

L'Union a ainsi décidé de publier une lise noire de navires dans le but de dissuader les compagnies pétrolières de les affréter. Elle a décidé d'accélérer le calendrier de création de l'Agence européenne de sécurité maritime, qui doit être pleinement opérationnelle dès cette année. Elle a également adopté un calendrier rigoureux pour le retrait des navires à simple coque et elle a interdit le transport de produits pétroliers lourds dans ce type de navire à destination ou au départ des ports de l'Union. Elle a décidé d'instaurer un régime de responsabilité pénale au niveau européen, afin d'harmoniser les règles en vigueur en matière de lutte contre les pollutions maritimes, tant dans les eaux territoriales qu'en haute mer. Elle a enfin adopté le 4 avril 2001 une directive relative au niveau minimal de formation des gens de mer.

Si l'élargissement de l'Union permet d'appliquer ces règles à un plus grand nombre d'Etats, il n'en demeure pas moins que le caractère unilatéral des réglementations communautaires en limite la portée, alors même que le transport maritime obéit à une logique concurrentielle mondiale. L'engagement de discussions entre la Commission européenne et les compagnies pétrolières à la suite du naufrage du Prestige pour mettre en œuvre un code de bonne conduite a d'ailleurs échoué, les compagnies arguant d'éventuels risques de distorsion de concurrence avec les compagnies des Etats tiers. Il est donc essentiel que les Etats membres de l'Union coordonnent leurs positions, afin de peser dans les instances multilatérales compétentes en vue de renforcer le droit international en vigueur.

Cette coordination a permis d'obtenir de l'OMI l'accélération du calendrier de retrait des navires à simple coque transportant du pétrole lourd. Elle a également débouché sur l'adoption par la conférence diplomatique de l'OMI du 16 mai 2003 du protocole relevant les plafonds d'indemnisation du FIPOL, dont l'Assemblée nationale est saisie. L'Union joue donc un rôle essentiel en édictant des mesures améliorant la prévention et la répression des sinistres et en coordonnant la position des Etats membres de telle sorte qu'ils offrent un front uni dans les instances internationales compétentes. Mais l'Union ne peut agir seule en la matière, faute de quoi les mesures prises n'auraient qu'un impact très limité, voire même des incidences économiques négatives sur les opérateurs communautaires, qui seraient soumis à des règles plus strictes que leurs concurrents.

B - Les limites du système d'indemnisation existant

Le régime international en vigueur dissocie le droit à l'indemnisation des victimes de marées noires de la détermination des responsabilités. Les catastrophes de l'Erika et du Prestige ont montré les limites de ce système, qui n'incite pas les opérateurs à améliorer la sécurité des navires sans pour autant permettre d'indemniser de manière satisfaisante les victimes des sinistres.

· La convention de 1992 sur la responsabilité civile

La convention de 1992 sur la responsabilité civile a été conclue au sein de l'OMI et succède à la convention dite CLC ouverte à la signature en 1969 après la catastrophe du Torrey Canyon. Cette convention s'applique aux dommages par pollution résultant du déversement d'hydrocarbures persistants provoqués par des navires citernes survenus sur le territoire et dans la zone économique exclusive d'un Etat partie à cette convention. L'Etat du pavillon du navire impliqué ou la nationalité de son propriétaire est sans incidence pour l'application de cette convention.

Si le champ d'application territorial de la convention est large, elle n'en retient pas moins une conception restrictive du dommage par pollution et des navires concernés. En effet, les hydrocarbures non persistants ne relèvent pas de la convention et de ce fait les déversements d'essence, d'huile diesel légère, de kérosène échappent donc aux mécanismes de responsabilité qu'elle institue. En outre, elle ne vise que les navires transportant des hydrocarbures en vrac (navires citernes) et laisse de côté les déversements d'hydrocarbures de soute provenant des cargos ou porte-conteneurs.

Les possibilités de mettre en cause la responsabilité des armateurs sont réduites. La convention institue un régime de responsabilité sans faute, assorti de montants strictement plafonnés en fonction du tonnage du navire s'échelonnant approximativement entre 4 et 80 millions d'euros. Pour le Prestige, la responsabilité de l'armateur a ainsi été engagée à hauteur de 24 millions d'euros. La convention CLC en vigueur prévoit par ailleurs que les demandes d'indemnisation ne peuvent être formées qu'à l'encontre du seul armateur, afin d'éviter de longues procédures judiciaires aux victimes. Ce mécanisme est particulièrement déresponsabilisant pour les autres opérateurs de la chaîne maritime.

Limites de responsabilité du propriétaire résultant
de la convention de 1992 sur la responsabilité

Jauge brute (tonneaux)

Montants en DTS

Montants en euros

Jusqu'à 5 000 tjb

3 millions

3,7 millions

Entre 5 000 et 140 000 tjb

3 millions

+ 420 par tonneau

3,7 millions

+ 516 euros par tonneau

A partir de 140 000 tjb

59,7 millions

73 millions

Source : FIPOL

Afin d'engager la responsabilité de l'armateur au-delà du plafond prévu par la convention, il doit être prouvé que le dommage « résulte du fait ou de l'omission personnels du propriétaire du navire, commis avec l'intention de provoquer un tel dommage ou commis témérairement et avec conscience qu'un tel dommage en résulterait probablement ». De même, pour faire jouer la responsabilité des opérateurs ayant affrété le navire sinistré, il convient de prouver qu'ils ont commis une faute inexcusable et intentionnelle. Enfin, la convention institue pour l'armateur une obligation de souscrire une assurance, mais l'attestation d'assurance exigée ne garantit pas la solvabilité de l'assureur en cas de sinistre.

· L'indemnisation au titre du FIPOL

Compte tenu du caractère limité de l'indemnisation pouvant être obtenue au titre de la convention CLC, une deuxième convention datant de 1971 et modifiée en 1992 a été conclue en vue d'instituer le FIPOL. Ce fonds est alimenté par les contributions des compagnies pétrolières calculées sur la base des importations de pétrole par voie maritime dans chacun des Etats membres du fonds2. Il s'agit d'une organisation intergouvernementale, distincte de l'OMI et dotée d'une assemblée et d'un conseil exécutif élu par cette dernière. Ce conseil, composé de quinze Etats, a pour principale fonction l'examen des demandes d'indemnisation. Ce sont donc les Etats membres du fonds qui décident de la politique d'indemnisation mise en œuvre.

Le FIPOL assure une indemnisation complémentaire de celle de l'assurance de l'armateur. Il intervient pour indemniser les victimes de dommages dus à des pollutions par hydrocarbures qui ne sont pas pleinement indemnisés dans le cadre des mécanismes de responsabilité civile prévus par la convention CLC pour les raisons suivantes :

-  le propriétaire du navire est dégagé de sa responsabilité dans les cas prévus par la convention de 1992 (acte de guerre, catastrophe naturelle, négligence des autorités publiques responsables de la circulation maritime...) ;

-  le propriétaire du navire ou son assureur n'est pas solvable ;

-  les dommages excèdent la responsabilité du propriétaire du navire telle qu'elle est définie dans la convention CLC.

Les montants payables par le Fonds sont eux aussi plafonnés. En 1992, les indemnités payables par le Fonds étaient plafonnées à 135 millions de Droits de tirage spéciaux (DTS). Compte tenu des variations de change, ce plafond a respectivement été porté à 184 millions d'euros pour l'Erika et à 171 millions d'euros pour le Prestige.

Le plafond des indemnités au titre du FIPOL étant très insuffisant en cas de marée noire majeure, les pays membres du fonds ont adopté en octobre 2000 des résolutions dans le cadre du comité juridique de l'OMI pour le relever. Il a ainsi été décidé une majoration de plus de 50 % des indemnités portant le plafond à 203 millions de DTS, soit 250 millions d'euros, pour les sinistres survenant à compter du 1er novembre 2003 (voir les tableaux page suivante). A cette occasion le FIPOL a cependant exclu tout caractère rétroactif du nouveau barème d'indemnisation.

Les plafonds existants limitent considérablement le montant des indemnités pouvant être versées et ils impliquent un examen très strict de la recevabilité des requêtes, qui est souvent mal ressenti par les victimes de marées noires, d'autant que les critères de recevabilité et la procédure d'examen des demandes ne sont pas suffisamment transparents.

Compte tenu des moyens limités du fonds, celui-ci procède à une proratisation des créances. Le rapport de la Commission d'enquête parlementaire du 10 juillet 2003 indique ainsi que pour le naufrage de l'Erika, le FIPOL a pu indemniser à 100 % les préjudices jugés recevables en raison de la renonciation de l'Etat et de la compagnie Total à leur indemnité à hauteur de 190 millions d'euros pour le premier et de 170 millions d'euros pour la seconde.

Dans le cas du Prestige, les quinze Etats membres du Comité exécutif du fonds ont décidé en mai 2003 de verser, compte tenu du plafond de 171 millions d'euros en vigueur, les indemnités à hauteur de 15 % du total des dommages prévisibles susceptibles d'être remboursés. Le fonds a expliqué cette décision en raison de l'importance des créances de l'Etat espagnol, estimées à hauteur de 700 millions d'euros, et par l'impossibilité d'évaluer rapidement l'ampleur des préjudices subis, notamment au titre de l'activité touristique. Si cette position s'explique par une logique de prudente gestion, elle n'en a pas moins soulevé une importante émotion en Espagne, en France et au Portugal, tous trois touchés par la catastrophe du Prestige.

Cette situation d'insuffisance des indemnités versées par le FIPOL a conduit l'Union européenne à réfléchir à la mise en place d'un fonds européen supplémentaire, dénommé fonds COPE, qui serait destiné à dédommager les victimes de marée noire dans les eaux européennes. En définitive, la coordination des Etats membres de l'Union européenne sur cette question a permis l'adoption lors de la conférence diplomatique de l'OMI du 16 mai 2003 du protocole relevant les fonds d'indemnisation du FIPOL par la création d'un fonds complémentaire. Cette avancée laisse cependant entière la question de la création d'un fonds européen spécifique.

Plafonds d'indemnisation après relèvement décidé en octobre 2000

Régime de 1992 applicable aux sinistres, survenant à partir du 1er novembre 2003

DTS

Euros

US$

Propriétaire du navire
Navire ayant une jauge égale ou inférieure à 5 000 tonneaux

4,5 millions

5,5 millions

6,7 millions

Navire dont la jauge brute est comprise entre 5 000  
et 140 000 tonneaux

4,5 millions plus 631
pour chaque tonneau supplémentaire

5,5 millions plus 777
pour chaque tonneau supplémentaire

6,7 millions plus 938
pour chaque tonneau supplémentaire

Navire d'une jauge brute supérieure à 140 000 tonneaux

89,8 millions

110,6 millions

133,5 millions

Fonds de 1992
Montant maximal (y compris la part du propriétaire du navire)

203 millions

250 millions

302 millions

Régime de 1992 applicable aux sinistres ayant eu lieu avant le 1er novembre 2003

DTS

Euros

US$

Propriétaire du navire
Navire ayant une jauge brute ou
inférieure à 5 000 tonneaux

3 millions

2,9 millions

4,5 millions

Navire dont la jauge brute est 
comprise entre 5 000 et
140 000 tonneaux

3 millions plus 420
pour chaque tonneau supplémentaire

2,9 millions plus 415
pour chaque tonneau supplémentaire

4,5 millions plus 625
pour chaque tonneau supplémentaire

Navire d'une jauge brute
supérieure à 140 000 tonneaux

59,7 millions

73,5 millions

88,8 millions

Fonds de 1992
Montant maximal (y compris la part du propriétaire du navire)

135 millions

166 millions

201 millions

Source : FIPOL

II - LES AMÉLIORATIONS APPORTÉES PAR LE PROTOCOLE

A - Le relèvement des plafonds d'indemnisation

Le protocole du 16 mai 2003 constitue une première étape dans l'amélioration de l'indemnisation des préjudices subis au titre des marées noires. Son entrée en vigueur doit permettre de porter le plafond des indemnités versées par le FIPOL de 250 millions d'euros à 900 millions d'euros (soit 750 millions de DTS). Un tel plafond aurait permis d'indemniser l'intégralité des préjudices subis par l'Etat lors du naufrage de l'Erika, alors qu'il avait dû renoncer à sa créance pour permettre l'indemnisation complète des particuliers et des collectivités territoriales.

Certes la révision des plafonds du fonds de 1992 aurait permis d'atteindre un objectif similaire. Mais de nombreuses divergences sont apparues entre les Etats membres du Fonds, certains d'entre eux estimant que les plafonds révisés en 2000 sont suffisants pour couvrir les sinistres susceptibles de les affecter. Aussi, la conférence diplomatique de l'OMI a-t-elle pris la décision de créer un nouveau fonds dénommé « fonds complémentaire international d'indemnisation de 2003 pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures ».

Ce fonds doit intervenir en cas de dépassement des plafonds du fonds de 1992. A ce titre, il ne procédera pas à un réexamen des demandes d'indemnisation ni à une nouvelle évaluation des dommages subis. En revanche, il interviendra en cas de proratisation des créances. Il lui reviendra alors de verser la part restante.

Une fois ce protocole entré en vigueur, les dommages résultant d'un sinistre seront donc indemnisés comme suit :

-  par le propriétaire du navire à hauteur de 90 millions de DTS, au titre de la convention CLC ;

-  par le fonds de 1992, qui peut porter les sommes disponibles jusqu'à 203 millions de DTS ;

-  enfin, le cas échéant, par le fonds complémentaire, qui pourra couvrir les dommages jusqu'à 750 millions de DTS.

Le protocole vise en outre à corriger certains dysfonctionnements apparus dans le fonctionnement du FIPOL.

Tout d'abord, il répartit plus équitablement la charge entre les Etats membres du Fonds. En effet, certains d'entre eux n'y contribuent pas, faisant ainsi peser sur les entreprises des autres Etats la charge du financement du fonds. L'exposé des motifs du projet de loi souligne sur ce point que les industriels français participent à hauteur de 10 % de l'indemnisation de chaque sinistre survenant dans l'un des Etats parties au fonds. Aussi, le présent protocole prévoit-il que tout Etat membre du fonds complémentaire sera présumé recevoir un million de tonnes d'hydrocarbures par an et devra contribuer au fonds sur cette base. En outre, les Etats défaillants ne pourront bénéficier d'une indemnisation en cas de sinistre tant qu'ils n'auront pas régularisé leur situation vis-à-vis du fonds complémentaire.

Enfin, le protocole prévoit un système de plafonnement des contributions, limitant à 20 % la part pouvant être versée par un Etat en cas de sinistre. Cette stipulation a été introduite, afin de permettre l'adhésion rapide du Japon à ce protocole, car sa part contributive au fonds de 1992 est de 20,53 %. Cette règle devrait également bénéficier à l'Italie, puisque celle-ci devrait supporter à elle seule 23 % de la charge si le fonds complémentaire n'était abondé que par les seuls Etats de l'Union européenne.

Pour entrer en vigueur, huit Etats doivent avoir déposé leur instrument d'approbation. En outre, le protocole ne produira d'effet que lorsque les quantités d'hydrocarbure réceptionnées dans les Etats parties auront atteint 450 millions de tonnes au cours de l'année civile précédente. Pour information, le total d'hydrocarbures réceptionnés dans les Etats parties au fonds de 1992 s'élève pour sa part à 1,240 milliard de tonnes. Enfin, le protocole cesse de produire des effets dans deux cas : si le nombre d'Etats parties devient inférieur à sept ; si la quantité d'hydrocarbures soumise à contribution est inférieure à 350 millions de tonnes.

A ce jour, seuls le Danemark et la Norvège ont déposé leur instrument de ratification. Compte tenu de la décision communautaire demandant aux États membres de déposer leur instrument de ratification avant juin 2004 et de l'annonce faite par le Japon qu'il entendait avoir accompli les formalités de ratification dans le courant de l'été, le protocole devrait entrer en vigueur vers le mois de novembre 2004.

B - Un accord d'une portée limitée

Si le présent protocole constitue incontestablement une amélioration du système d'indemnisation en cas de marée noire, il laisse cependant certaines questions entières. Tout d'abord, il ne permet pas d'améliorer la procédure d'examen des demandes d'indemnisation, qui demeure particulièrement lourde et opaque. En effet, le fonds complémentaire n'intervient que de manière subsidiaire par rapport au fonds de 1992, et il ne pourra indemniser que les demandes jugées recevables par ce dernier. De même, le fonds complémentaire ne pourra réviser l'estimation du préjudice subi, qui est particulièrement délicate et sujette à caution.

Plus grave encore, en l'absence de révision de la convention de 1992 sur la responsabilité civile des propriétaires de navires, le présent protocole aura pour conséquence de conforter l'irresponsabilité des armateurs en les déchargeant de la quasi-totalité du poids de l'indemnisation sur le FIPOL et le nouveau fonds complémentaire. Un tel système n'est pas de nature à favoriser l'amélioration de la qualité de la flotte des pétroliers ni à encourager une meilleure formation des gens de mer.

En outre, en privilégiant la rapidité de l'indemnisation sur la détermination des responsabilités en cas de sinistre, l'absence de révision de la convention CLC aurait pour conséquence d'éloigner davantage encore le régime de responsabilité en cas de marée noire du principe du « pollueur-payeur » qui figure actuellement dans le projet de loi constitutionnelle relatif à la charte de l'environnement et selon lequel « toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à l'environnement, dans les conditions définies par la loi. » Il accroîtrait en outre l'écart entre les pays membres du FIPOL et les Etats-Unis, qui ont adopté en 1990 leur propre loi en la matière avec l'Oil pollution act, qui autorise les Etats fédérés à instaurer dans leur législation une responsabilité illimitée des transporteurs d'hydrocarbure. Pour ces raisons, il est donc essentiel de réviser rapidement la convention de 1992 sur la responsabilité civile des transporteurs, ce qui serait facilité par l'adoption d'une position commune des Etats membres de l'Union européenne sur ce sujet.

CONCLUSION

L'entrée en vigueur du présent protocole doit permettre d'améliorer rapidement le montant des indemnités versées aux victimes des marées noires. Mais il doit également être accompagné d'un renforcement des normes en vigueur au sein de l'OMI, tendant à améliorer l'état des navires assurant le transport de matières dangereuses. Il doit également être assorti d'une révision de la convention CLC sur la responsabilité civile des transporteurs, faute de quoi l'amélioration des indemnités versées au titre du FIPOL pourrait renforcer l'irresponsabilité des armateurs. Enfin, il est essentiel que notre pays ratifie rapidement la convention sur la responsabilité et l'indemnisation pour les dommages liés au transport par mer de substances nocives et potentiellement dangereuses conclue à Londres en 19963, car à l'heure actuelle aucun dispositif d'indemnisation n'existe en droit international en cas de pollution maritime due à des produits toxiques.

Votre Rapporteur vous propose donc d'adopter le présent projet de loi, tout en insistant sur la nécessité pour notre pays de poursuivre ses efforts au sein de l'Union européenne en vue d'améliorer la régulation du transport maritime de matières dangereuses.

EXAMEN EN COMMISSION

La Commission a examiné le présent projet de loi au cours de sa réunion du mercredi 5 mai 2004

Après l'exposé du Rapporteur, et suivant ses conclusions, la Commission a adopté le projet de loi (no 1510).

*

* *

La Commission vous demande donc d'adopter, dans les conditions prévues à l'article 128 du Règlement, le présent projet de loi.

NB : Le texte du protocole figure en annexe au projet de loi (n° 1510).

ANNEXE 1

Etats Membres du Fonds de 1992

au 1er avril 2004

85 Etats (86 au 04/07/04) sont Parties à la convention du 27 novembre 1992 portant création d'un fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures :

Algérie, Allemagne, Angola, Antigua et Barbuda, Argentine, Australie, Bahamas, Bahreïn, Barbade, Belgique, Belize, Brunei, Cambodge, Cameroun, Canada, Cap vert (entrée en vigueur le 04/07/04), Chine (région administrative spéciale de Hong Kong), Chypre, Colombie, Comores, Congo, Croatie, Danemark, Djibouti, République dominicaine, la Dominique, Fidji, Finlande, France, Gabon, Géorgie, Ghana, Grèce, Grenade, Guinée, Islande, Inde, Irlande, Italie, Jamaïque, Japon, Kenya, Lettonie, Liberia, Lituanie, Madagascar, Malte, les Iles Marshall, l'Ile Maurice, Mexique, Monaco, Maroc, Mozambique, Namibie, Pays-Bas, Nouvelle-Zélande, Nigeria, Norvège, Oman, Panama, Papouasie Nouvelle Guinée, Philippines, Pologne, Portugal, Qatar, République de Corée, Russie, St Vincent et les Grenadines, Samoa, les Seychelles, Sierra Leone, Singapour, Slovénie, Espagne, Sri Lanka, Suède, Tanzanie, Tonga, Trinidad et Tobago, Tunisie, Turquie, Émirats arabes unis, Royaume-Uni, Tanzanie, Uruguay, Vanuatu, Venezuela.

ANNEXE 2

Liste des contributeurs et montants correspondants.

L'article 34-6 de la convention portant création du Fonds international d'indemnisation interdit la divulgation par celui-ci de données concernant les contributaires. Il n'est donc pas possible de donner la liste des principaux contributaires, abstraction faite de leur pays d'appartenance.

Concernant la France les données suivantes peuvent être fournies. Ces données sont toutefois sujettes à des variations annuelles.

TOTAL environ 45 millions de tonnes
ESSO environ 15 millions de tonnes
SHELL environ 13 millions de tonnes
SPSE (FOS) environ 10 millions de tonnes
BP environ 9 millions de tonnes
MOBIL environ 700 000 tonnes
SARA (Antilles) environ 600 000 tonnes

Parmi les États parties à la convention le classement en part relative s'établit comme suit :

Japon 20%
Italie 10%
République de Corée 10%
Pays Bas 8%
France 8%
Royaume-Uni 6%
Singapour 5%
Espagne 5%
Canada 5%
Autres pays 23%

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N° 1584 - Rapport sur le projet de loi autorisant l'approbation du protocole à la convention portant création d'un fonds international d'indemnisation pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures (M. Hervé de Charette)

1 Rapport de M. Guy Lengagne, n° 759, au nom de la Commission des Affaires étrangères, déposé le 26 mars 2003.

2 Voir la liste des 85 Etats membres du Fonds en annexe au présent rapport.

3 A ce jour au niveau international, seuls la Russie et l'Angola ont ratifié ce texte qui présente de grandes difficultés d'application. En France, plusieurs tentatives ont eu lieu pour sensibiliser les milieux industriels à ce texte mais sans résultat.


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