N° 2973 - Rapport supplémentaire de M. Christian Vanneste sur le projet de loi , après déclaration d'urgence, relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information (n°1206)



Document mis

en distribution

le 17 mars 2006

N° 2973

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

DOUZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 17 mars 2006.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE
L'ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE SUR
l'article 7 du PROJET DE LOI (N° 1206) relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, faisant l'objet d'une seconde délibération, en application de l'article 101
du
Règlement,

PAR M. Christian VANNESTE,

Député.

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Voir les numéros :

Assemblée nationale : 1206, 2349.

MESDAMES, MESSIEURS,

L'examen par l'Assemblée nationale du projet de loi relatif aux droits d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information a démontré que ce texte concerne autant, sinon davantage, un phénomène de société, à savoir le développement d'Internet, que d'importants enjeux économiques et juridiques, dans le droit fil de la transposition de la directive 2001/29 du 22 mai 2001. L'interruption du débat, le 22 décembre 2005, a permis au Gouvernement d'engager une concertation utile, de manière à répondre aux légitimes interrogations qui se sont manifestées sur tous les bancs de l'hémicycle.

Cette phase de réflexion a débouché sur d'importantes amodiations, qui sont intervenues par voie d'amendements lors des séances de ce mois de mars 2006. Outre l'abandon du mécanisme dit de « licence globale », sur lequel beaucoup a déjà été écrit, le rapporteur se félicite notamment que les exceptions aux droits exclusifs de reproduction et de représentation aient été élargies aux copies, effectuées par une bibliothèque ou un service d'archives, d'_uvres protégées dont le support n'est plus disponible ainsi qu'à la reproduction intégrale ou partielle d'_uvres d'art lorsqu'il s'agit de rendre compte d'événements d'actualité. Il se réjouit tout autant de la sanction désormais graduée du contournement des mesures techniques de protection, un certain discernement se trouvant opéré entre les pratiques commerciales portant préjudice aux artistes ou aux interprètes et les comportements individuels des internautes, qui téléchargent des _uvres protégées par le biais de logiciels dits « pair à pair » (peer to peer).

La question de l'interopérabilité des dispositifs techniques de protection, dont les désormais fameuses drm (digital rights management systems), a été posée dès le mois de décembre lors du commencement de l'examen de l'article 7 du projet de loi. On rappellera seulement pour mémoire que cet article introduit dans le droit français l'autorisation et la protection des mesures techniques permettant de contrôler l'accès aux _uvres et aux autres objets de droits voisins. Il incite également les fabricants à garantir une certaine interopérabilité de leurs produits, sujet sur lequel il convient de rappeler que la directive ne prescrit absolument rien (1).

Plusieurs députés du groupe ump ont proposé un amendement n° 253 prévoyant plus explicitement, à cet article 7, que les mesures techniques de protection ne doivent pas empêcher la mise en _uvre de l'interopérabilité et sanctionnant ce principe, pour en assurer au besoin l'effectivité, par un droit de regard et d'injonction conféré au Conseil de la concurrence. Le débat sur l'article, clos en décembre après le vote de cet amendement par l'Assemblée nationale, n'a repris et ne s'est achevé que lors des deuxième et troisième séances du 14 mars.

Entre temps, la concertation initiée par le Gouvernement a, conduit l'auteur principal de l'amendement n° 253, M. Richard Cazenave, à infléchir sa position, puisqu'il a présenté, conformément à l'article 101, alinéa 2, du Règlement, une demande de seconde délibération portant sur l'article 7 et qu'il a déposé plusieurs amendements sur cet article. Soucieuse de tenir compte le plus possible des résultats de la réflexion engagée depuis trois mois sur le sujet, la Commission a accepté cette demande.

En conséquence, la Commission s'est réunie, le vendredi 17 mars 2006, en application du 3e alinéa de l'article 101 du Règlement pour procéder à cette seconde délibération et examiner les amendements dont elle a été saisie.

M. Richard Cazenave a indiqué qu'il souhaitait modifier la rédaction de l'article 7, telle qu'elle était issue du vote de l'Assemblée nationale, afin de préciser les conditions de mise en _uvre de l'interopérabilité.

M. Christian Paul a jugé indispensable, d'une part, de permettre la publication des codes source et, d'autre part, d'améliorer les garanties des utilisateurs quant à l'accès aux informations essentielles à l'interopérabilité auprès des fournisseurs de mesures techniques de protection.

M. Frédéric Dutoit a quant à lui fait valoir sa préoccupation au sujet d'un meilleur encadrement du coût de la fourniture des informations essentielles à l'interopérabilité.

Article 7

(art. L. 331-5 [nouveau] du code de la propriété intellectuelle)


Définition et régime des mesures techniques de protection des utilisations
autorisées par les titulaires des droits

La Commission a adopté l'amendement n° 1 de clarification rédactionnelle présenté par M. Richard Cazenave, afin de ne pas fragiliser les mesures destinées à protéger les chaînes cryptées prévues par la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986.

Elle a ensuite examiné l'amendement n° 2 du même auteur, visant à rendre plus lisible l'article L. 331-5 du code de la propriété intellectuelle.

M. Richard Cazenave a fait valoir qu'il importait de ne pas assortir le principe selon lequel l'interopérabilité ne peut porter atteinte aux _uvres de conditions peu opérantes.

Après que le rapporteur eut souligné que cet amendement créait un équilibre bienvenu entre droit d'auteur et interopérabilité, M. Christian Paul s'est montré sceptique sur la portée pratique d'un tel dispositif.

M. Richard Cazenave a observé que cet amendement répondait à des réserves soulevées par des députés de tous horizons politiques lors de l'engagement du débat sur le projet de loi, en décembre 2005.

M. Bernard Carayon a précisé que cet amendement visait à démontrer que l'interopérabilité constitue autant une méthode qu'un principe qui ne souffre pas de limites.

La Commission a alors adopté l'amendement n° 2.

Le rapporteur ayant indiqué que le sous-amendement n° 7 de M. Pierre-Christophe Baguet était satisfait par l'amendement précédemment adopté, la Commission a rejeté ce sous-amendement.

La Commission a ensuite examiné les amendements n° 5 de M. Patrick Bloche, et n° 3, de M. Richard Cazenave.

M. Richard Cazenave s'est déclaré favorable à la possibilité de saisir le Conseil de la concurrence, en cas de pratiques anticoncurrentielles de la part d'un fournisseur de mesures techniques, sans condition de délai. Il a jugé que le dispositif proposé à l'amendement n° 3 présentait, de surcroît, davantage de garanties au regard des exigences du Conseil constitutionnel sur le droit de propriété.

Rappelant qu'il ne contestait en aucun cas le rôle du Conseil de la concurrence lorsque sont en cause des différends entre entreprises, M. Christian Paul a souligné que l'interopérabilité concernait tout autant les particuliers, ce qui justifiait que l'amendement n° 5 confie au président du Tribunal de grande instance, plutôt qu'au Conseil de la concurrence, le pouvoir d'imposer l'accès aux informations essentielles à l'interopérabilité.

Après que le rapporteur puis M. Richard Cazenave se furent déclarés susceptibles de se rallier à l'amendement n° 5, M. Bernard Carayon a souligné que cette procédure risquait de se heurter à l'engorgement déjà patent des tribunaux.

M. Richard Cazenave ayant fait part de son intention de retirer l'amendement n° 3, rendant ainsi sans objet le sous-amendement n° 8 à cet amendement de M. Frédéric Dutoit précisant que les informations essentielles sont fournies à un prix ne pouvant excéder les frais de logistique engagés, la Commission a adopté l'amendement n°5.

La Commission est ensuite passée à l'examen de l'amendement n° 4 présenté par M. Richard Cazenave, réaffirmant l'exception de « décompilation » sans l'assortir de conditions.

M. Christian Paul a souhaité savoir qui acquitterait les frais nécessaires de « décompilation » pour permettre aux personnes qui le souhaitent de disposer des informations essentielles à l'interopérabilité.

M. Bernard Carayon a indiqué que cette situation ne se rencontrerait que dans les contentieux, qui ne sont précisément pas visés par l'amendement n° 4.

La Commission a alors adopté l'amendement n° 4.

Elle a ensuite examiné l'amendement n° 6 présenté par M. Patrick Bloche, visant à préserver le secteur du logiciel libre des sanctions prévues pour le contournement des mesures techniques de protection et à éviter tout risque d'illégalité aux développeurs de ces mêmes logiciels utilisant des licences dites « gauche d'auteur ».

Après que le rapporteur et M. Bernard Carayon eurent respectivement jugé cet amendement excessif et redondant avec d'autres dispositions du projet de loi, M. Richard Cazenave a rappelé que l'Assemblée nationale avait adopté à son initiative des garanties en faveur de la recherche et de la sécurité informatique aux articles 13 et 14.

La Commission a rejeté l'amendement n° 6.

Elle a ensuite adopté l'article 7 ainsi modifié.

*

* *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République vous demande d'adopter en seconde délibération l'article 7 du projet de loi relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, modifié par les amendements figurant au tableau comparatif ci-après.

TABLEAU COMPARATIF

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Texte du projet de loi adopté par l'Assemblée nationale en première délibération

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Propositions de la Commission

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Article 7

Article 7

Dans la section 2 du chapitre Ier du titre III du livre III du même code, il est inséré un article L. 331-5 ainsi rédigé :

(Alinéa sans modification).

« Art. L. 331-5. -  Les mesures techniques efficaces destinées à empêcher ou limiter les utilisations non autorisées par le titulaire d'un droit d'auteur ou d'un droit voisin du droit d'auteur, d'une _uvre, autre qu'un logiciel, d'une interprétation, d'un phonogramme, d'un vidéogramme ou d'un programme, sont protégées dans les conditions prévues au présent titre.

« Art. L. 331-5. -  (Alinéa sans modification).

« On entend par mesure technique au sens de l'alinéa précédent, toute technologie, dispositif, composant, qui, dans le cadre normal de son fonctionnement, accomplit la fonction prévue à l'alinéa précédent. Ces mesures techniques sont réputées efficaces lorsqu'une utilisation visée à l'alinéa précédent est contrôlée grâce à l'application d'un code d'accès, d'un procédé de protection, tel que le cryptage, le brouillage ou toute autre transformation de l'objet de la protection, ou d'un mécanisme de contrôle de la copie qui atteint cet objectif de protection.

(Alinéa sans modification).

« Un protocole, un format, une méthode de cryptage, de brouillage ou de transformation ne constitue pas en tant que tel une mesure technique au sens du présent article. Cette disposition ne concerne pas les chaînes de télévision.



... article.

(Adoption de l'amendement n° 1
de M. Richard Cazenave
)

« Les mesures techniques ne doivent pas conduire à empêcher la mise en _uvre de l'interopérabilité, pour autant que celle-ci ne porte pas atteinte aux conditions d'utilisation d'une _uvre, d'une interprétation, d'un phonogramme, d'un vidéogramme ou d'un programme.

... pas avoir pour effet d'empêcher la mise en _uvre effective de l'intéropérabilité, dans le respect du droit d'auteur.

(Adoption de l'amendement n° 2
de M. Richard Cazenave)

« On entend par informations essentielles à l'inter-opérabilité la documentation technique et les interfaces de programmation nécessaires pour obtenir dans un standard ouvert, au sens de l'article 4 de la 1oi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique, une copie d'une reproduction protégée par une mesure technique, et une copie des informations sous forme électronique jointes à cette reproduction.

(Alinéa sans modification).

« S'il constate des pratiques anticoncurrentielles de la part d'un fournisseur de mesures techniques, le Conseil de la concurrence ordonne l'accès aux informations essentielles à l'interopérabilité, dans des conditions, y compris de prix, équitables et non discriminatoires, lorsque le bénéficiaire s'engage à respecter dans son domaine d'activité les conditions garantissant la sécurité du fonctionnement des mesures techniques.

« Tout intéressé peut demander au président du tribunal de grande instance statuant en référé d'enjoindre sous astreinte à un fournisseur de mesures techniques de fournir les informations essentielles à l'interopérabilité. Seuls les frais de logistique sont exigibles en contrepartie par le fournisseur.

(Adoption de l'amendement n° 5
de M. Patrick Bloche)

« Les mesures prévues au présent chapitre sont sans préjudice des dispositions prévues par l'article L. 122-6-l.

« Toute personne désireuse de mettre en _uvre l'interopérabilité est autorisée à procéder aux travaux de décompilation qui lui seraient nécessaires pour disposer des informations essentielles. Cette disposition s'applique sans préjudice de celles prévues à l'article L. 122-6-1. »

(Adoption de l'amendement n° 4
de M. Richard Cazenave)

« Les mesures techniques ne peuvent faire obstacle au libre usage de l'_uvre ou de l'objet protégé dans les limites des droits prévus par le présent code ainsi que de ceux accordés par les détenteurs de droits. »

(Alinéa sans modification).

 

« Ces dispositions ne remettent pas en cause celles prévues aux articles 79-1 à 79-6 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication. »

(Adoption de l'amendement n° 1
de M. Richard Cazenave)

AMENDEMENTS NON ADOPTÉS PAR LA COMMISSION

Article 7

(art. L. 331-5 du code de la propriété intellectuelle)

Sous-amendement n° 7 présenté par M. Pierre-Christophe Baguet à l'amendement n° 2 de M. Richard Cazenave :

Compléter le dernier alinéa de cet amendement par la phrase suivante :

« Les fournisseurs de mesures techniques donnent l'accès aux informations essentielles à l'interopérabilité. »

Amendement n° 3 présenté par M. Richard Cazenave :

Rédiger ainsi le sixième alinéa de cet article :

« S'il constate des pratiques anticoncurrentielles de la part d'un fournisseur de mesures techniques, le conseil de la concurrence ordonne l'accès aux informations essentielles à l'interopérabilité. »

Sous-amendement n° 8 présenté par M. Frédéric Dutoit à l'amendement n° 3 de M. Richard Cazenave :

Compléter le dernier alinéa de cet amendement par la phrase suivante :

« Les informations essentielles sont fournies à un prix ne pouvant excéder les frais de logistique engagés, le cas échéant, pour leur mise à disposition. »

Amendement n° 6 présenté par M. Patrick Bloche :

Compléter cet article par l'alinéa suivant :

« On ne peut pas interdire la publication du code source et de la documentation technique d'un logiciel indépendant interopérant pour des usages licites avec une mesure technique de protection d'une _uvre. »

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N° 2973 - Rapport de M. Christian Vanneste fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l'administration générale de la République sur l'article 7 du projet de loi (n° 1206) relatif au droit d'auteur et aux droits voisins dans la société de l'information, faisant l'objet d'une seconde délibération, en application de l'article 101 du règlement

1 () Voir le rapport n° 2349 établi au nom de la commission des lois en vue de la première lecture du texte, enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 1er juin 2005, p. 85 à 89.


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