N° 1237 - Projet de loi tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle et portant diverses dispositions de procédure pénale



Document

mis en distribution

le 13 novembre 2008


N° 1237

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 novembre 2008.

PROJET DE LOI

tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle
et portant
diverses dispositions de procédure pénale,

(Renvoyé à la commission des lois constitutionnelles, de la législation
et de l’administration générale de la République, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉ

au nom de M. François FILLON,

Premier ministre,

par Mme Rachida DATI,

garde des sceaux, ministre de la justice.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le présent projet de loi a pour principal objectif de compléter les dispositions issues de la loi n° 2008-174 du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté et à la déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental afin, d’une part, de tirer les conséquences de la décision n° 2008-562 DC du Conseil constitutionnel du 21 février 2008 et, d’autre part, de prendre en compte les recommandations de nature législative figurant dans le rapport « Amoindrir les risques de récidive criminelle des condamnés dangereux » remis le 30 mai 2008 au Président de la République par M. Lamanda, premier président de la Cour de cassation.

L’article 1er du projet de loi tire les conséquences du considérant n° 21 de la décision du Conseil constitutionnel.

Dans ce considérant, le Conseil a relevé que plusieurs dispositions de la loi du 25 février 2008 précitée avaient pour objet de garantir que la rétention de sûreté n’avait pu être évitée par des soins et une prise en charge adaptée pendant l’exécution de la peine. Il a en conséquence indiqué, dans une réserve d’interprétation qui s’impose aux juridictions, qu’il appartenait à la juridiction régionale de la rétention de sûreté de vérifier que la personne condamnée a effectivement été mise en mesure de bénéficier, pendant l’exécution de sa peine, d’une prise en charge et des soins adaptés au trouble de la personnalité dont elle souffre.

Il paraît dans ces conditions nécessaire de compléter l’article 706-53-15 du code de procédure pénale afin de consacrer dans la loi cette importante réserve d’interprétation, en prévoyant que la juridiction régionale ne pourra prononcer une rétention de sûreté qu’après avoir vérifié que la personne condamnée a effectivement été mise en mesure de bénéficier, pendant l’exécution de sa peine, d’une prise en charge médicale, sociale ou psychologique adaptée.

L’article 2 traduit la recommandation n° 12 du rapport du premier président Lamanda. Il affirme clairement que le placement en rétention de sûreté d’une personne demeure l’ultime recours. Aussi, lorsqu’elle se trouve sous surveillance de sûreté, ce n’est que si un renforcement des obligations est insuffisant pour prévenir la récidive criminelle qu’un placement en rétention de sûreté pourra être envisagé.

Il en résulte par exemple que la juridiction régionale de la rétention de sûreté pourra décider de compléter les obligations d’une surveillance de sûreté par un placement sous surveillance électronique mobile qui n’avait pas déjà été ordonné si le comportement de la personne le justifie, avant de prononcer, dans le cas où ce renforcement des obligations ne produirait pas les effets escomptés, une rétention de sûreté.

L’article 3 précise que la rétention de sûreté et la surveillance de sûreté sont suspendues par toute détention intervenue au cours de leur exécution, comme c’est le cas en matière de sursis avec mise à l’épreuve en application de l’article 132-43 du code pénal. Tel sera le cas si une personne sous surveillance de sûreté est placée pendant un certain temps en détention provisoire ou doit exécuter une peine d’emprisonnement pour avoir commis une infraction sans rapport avec la mesure de sûreté.

Compte tenu de la spécificité de ces mesures, il est prévu que si la détention excède un délai d’un an, la mesure de sûreté devra être confirmée par la juridiction régionale de la rétention de sûreté lorsqu’elle sera remise à exécution à l’issue de la suspension.

L’article 4 intègre la recommandation n° 10 du rapport de M. Lamanda, en permettant que la surveillance de sûreté intervienne immédiatement à la suite de l’exécution de la peine de réclusion, à la libération du condamné, dans l’hypothèse où il s’agit d’un condamné précédemment libéré sous surveillance judiciaire, qui n’a pas respecté ses obligations et auquel toutes les réductions de peine ont été retirées.

Dans un tel cas en effet, il est indispensable qu’une surveillance de sûreté puisse être immédiatement exécutée, puisque une nouvelle surveillance judiciaire n’est plus possible, et que le non respect de cette première mesure laisse apparaître un risque encore plus grand de récidive.

L’article 5 complète la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique. Il est inséré un nouvel alinéa à l’article 64-3 afin de permettre son application aux avocats assistant des personnes retenues dans un centre socio-médico-judiciaire de sûreté lors des décisions prises à leur encontre pour assurer le bon ordre du centre.

L’article 6 met notre droit en conformité avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui a jugé contraire à l’article 6 paragraphe 1 de la convention relatif au procès équitable les dispositions de l’article 505 du code de procédure pénale, qui ouvre au procureur général un délai spécifique de deux mois pour former appel contre les jugements des tribunaux correctionnels (au lieu du délai de droit commun de dix jours, applicable aux parties et au procureur de la République).

Dans une décision du 3 octobre 2006 (Ben Naceur c/France) la Cour européenne a condamné la France parce qu’un prévenu, dont le jugement avait été frappé d’appel par le procureur général dans ce délai de deux mois, n’avait pas pu former un appel incident à la suite de cet appel, les appels incidents n’étant en effet possibles, dans un délai de cinq jours, qu’à la suite des appel formés par le procureur de la République ou les parties dans le délai de dix jours. Selon la Cour, « le fait que le parquet bénéficie d’une prolongation du délai d’appel, conjugué à l’impossibilité pour le requérant d’interjeter un appel incident, a mis ce dernier dans une position de net désavantage par rapport au ministère public, contraire au principe de l’égalité des armes ».

Dans une seconde décision du 22 mai 2008 (Gacon c/France) la Cour a également jugé contraire à la convention le fait qu’une personne qui avait été relaxée en première instance ait été condamnée à la suite d’un appel formé par le procureur général dans le délai de deux mois. Elle a estimé que l’appel du procureur général, dans la mesure où il s’agissait d’un jugement de relaxe, « exposait la personne à un risque plus important encore [que celui de l’impossibilité d’appel incident], celui de l’infirmation du jugement de relaxe » et qu’il en résultait un « tel déséquilibre » que cette personne s’était trouvée « dans une position de net désavantage par rapport au ministère public contraire au principe de l’égalité des armes ».

Afin de tirer les conséquences de ces deux décisions, l’article 505 est réécrit pour restreindre l’appel de procureur général dans le délai de deux mois aux seuls jugements de condamnation, et non plus de relaxe, tout en reconnaissant dans un tel cas un droit d’appel incident au prévenu.

L’article 7 met en œuvre la recommandation n° 13 du rapport de M. Lamanda, afin de prévoir la possibilité pour la commission de révision des condamnations pénales de soumettre à un contrôle extérieur la personne dont elle suspend la peine privative de liberté dans l’attente de la décision ultérieure de la Cour de révision.

Une telle faculté est prévue pour la Commission de révision comme pour la Cour de révision et elle a été étendue aux procédures de réexamen après une décision de condamnation prononcée par la Cour européenne des droits de l’homme.

L’article 8 tire les conséquences du considérant n° 31 de la décision du Conseil constitutionnel, qui a estimé que les jugements ou arrêts de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental ne peuvent être inscrits au casier judiciaire que lorsqu’une ou plusieurs mesures de sûreté ont été prononcées afin de prévenir la récidive de la personne reconnue pénalement irresponsable.

L’article 9 prévoit l’application de ces dispositions sur l’ensemble du territoire, et donc dans les collectivités d’outre-mer, à l’exception de celle de son article 5, car la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique n’est actuellement pas applicable à Mayotte, à Wallis-et-Futuna et en Nouvelle-Calédonie.

PROJET DE LOI

Le Premier ministre,

Sur le rapport de la garde des sceaux, ministre de la justice,

Vu l’article 39 de la Constitution,

Décrète :

Le présent projet de loi tendant à amoindrir le risque de récidive criminelle et portant diverses dispositions de procédure pénale, délibéré en conseil des ministres après avis du Conseil d’État, sera présenté à l’Assemblée nationale par la garde des sceaux, ministre de la justice qui sera chargée d’en exposer les motifs et d’en soutenir la discussion.

Chapitre Ier

Dispositions relatives à la rétention de sûreté
et à la surveillance de sûreté

Article 1er

L’article 706-53-15 du code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° Il est inséré après le deuxième alinéa un alinéa ainsi rédigé :

« La juridiction régionale ne peut prononcer une rétention de sûreté qu’après avoir vérifié que la personne condamnée a effectivement été mise en mesure de bénéficier, pendant l’exécution de sa peine, d’une prise en charge médicale, sociale ou psychologique adaptée au trouble de la personnalité dont elle souffre. » ;

2° Le troisième alinéa, devenu le quatrième, est complété par les mots : « et de l’alinéa précédent. »

Article 2

I. – L’article 706-53-19 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Le placement en centre socio-médico-judiciaire de sûreté prévu à l’alinéa précédent ne peut être ordonné qu’à la condition qu’un renforcement des obligations de la surveillance de sûreté apparaisse insuffisant pour prévenir la commission des infractions mentionnées à l’article 706-53-13. »

II. – Au dernier alinéa de l’article 723-37 du même code, les mots : « du dernier alinéa » sont remplacés par les mots : « des deux derniers alinéas ».

III. – Au second alinéa de l’article 763-8 du même code, le mot : « cinquième » est remplacé par le mot : « septième ».

Article 3

L’article 706-53-21 du même code devient l’article 706-53-22 et après l’article 706-53-20, l’article 706-53-21 est rétabli dans la rédaction suivante :

« Art. 706-53-21. – La rétention de sûreté et la surveillance de sûreté sont suspendues par toute détention intervenue au cours de leur exécution.

« Si la détention excède une durée d’un an, la reprise de la rétention de sûreté ou la surveillance de sûreté doit être confirmée par la juridiction régionale de la rétention de sûreté au plus tard dans un délai de trois mois après la cessation de la détention, à défaut de quoi il est mis fin d’office à la mesure. »

Article 4

L’article 723-37 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« La juridiction régionale peut également, selon les modalités prévues à l’article 706-53-15, ordonner une surveillance de sûreté à l’égard d’une personne placée sous surveillance judiciaire à laquelle toutes les réductions de peine ont été retirées, en application du premier alinéa de l’article 723-35 à la suite d’une violation des obligations auxquelles elle était soumise dans des conditions qui font apparaître des risques qu’elle commette à nouveau l’une des infractions mentionnées à l’article 706-53-13. La surveillance de sûreté s’applique dès la libération de la personne. »

Article 5

La loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique est ainsi modifiée :

1° L’intitulé de la troisième partie est complété par les dispositions suivantes : « et aux personnes placées en rétention de sûreté » ;

2° Après le deuxième alinéa de l’article 64-3, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les dispositions du premier alinéa sont également applicables aux missions d’assistance d’une personne retenue dans un centre socio-médico-judiciaire de sûreté lors des décisions prises à son encontre pour assurer le bon ordre du centre. »

Chapitre II

Dispositions diverses

Article 6

L’article 505 du code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° Il est inséré au début de l’article les mots suivants : « Sauf s’il s’agit d’un jugement de relaxe, » ;

2° L’article est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Sans préjudice de l’application des dispositions des articles 498 à 500, les autres parties ont alors un délai de cinq jours pour interjeter appel incident. »

Article 7

I. – L’article 624 du même code est complété par quatre alinéas ainsi rédigés :

« La commission ou la cour de révision qui ordonne la suspension de l’exécution de la peine peut décider que cette suspension sera assortie de l’obligation de respecter tout ou partie des conditions d’une libération conditionnelle, y compris le cas échéant celles résultant d’un placement sous surveillance électronique mobile.

« Elle précise dans sa décision les obligations et interdictions auxquelles est soumis le condamné, en désignant le juge de l’application des peines sous le contrôle duquel celui-ci sera placé.

« Ces obligations et interdictions s’appliquent pendant une durée d’un an, qui peut être prolongée, pour la même durée, par la commission ou la cour de révision.

« En cas de violation par le condamné de ses obligations, le juge de l’application des peines saisit la commission ou la cour pour qu’elle mette fin, éventuellement, à la suspension de la peine. Il peut décerner les mandats prévus par l’article 712-17 et ordonner l’incarcération provisoire du condamné conformément aux dispositions de l’article 712-19. La commission ou la cour doit alors se prononcer dans un délai d’un mois. »

II. – L’article 626-5 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les dispositions des troisième à sixième alinéas de l’article 624 sont applicables aux suspensions ordonnées par la commission ou la Cour de cassation. »

Article 8

I. – Le 10° de l’article 768 du même code est ainsi rédigé :

« 10° Les jugements ou arrêts de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, lorsqu’une ou plusieurs des mesures de sûreté prévues par l’article 706-136 a été prononcée. »

II. – L’article 769 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :

«  Les fiches relatives aux jugements ou arrêts de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental, lorsque les mesures de sûreté prévues par l’article 706-136 ont cessé leurs effets. »

III. – Le 16° de l’article 775 du même code est supprimé.

IV. – L’article 775-1 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les dispositions du présent article sont également applicables aux jugements ou arrêts de déclaration d’irresponsabilité pénale pour cause de trouble mental. »

Article 9

La présente loi, à l’exception de l’article 5 en ce qui concerne Mayotte, les îles Wallis et Futuna et la Nouvelle-Calédonie, est applicable sur l’ensemble du territoire de la République.

Fait à Paris, le 5 novembre 2008.

Signé : François FILLON

Par le Premier ministre :
La garde des sceaux,
ministre de la justice

Signé :
Rachida DATI


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