N° 298 - Proposition de résolution de M. Jean-Marc Ayrault tendant à la création d’une commission d’enquête sur le rôle et le contrôle exercés par l’Etat sur l’évolution de l’actionnariat au sein d’EADS depuis novembre 2005



Document

mis en distribution

le 25 octobre 2007


N° 298

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 17 octobre 2007.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête
sur le
rôle et le contrôle exercés par l’État sur l’évolution de l’actionnariat au sein d’EADS depuis novembre 2005,

(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du Plan, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

PRÉSENTÉE

PAR MM. Jean-Marc AYRAULT, François HOLLANDE, Jérôme CAHUZAC, Didier MIGAUD, Michel SAPIN, François BROTTES, Henri EMMANUELLI, Jean-Pierre BALLIGAND, Arnaud MONTEBOURG, Philippe MARTIN, Mme Patricia ADAM, MM. Gérard CHARASSE, Jean-Louis IDIART, Mme Françoise IMBERT, MM. Pierre COHEN, Gérard BAPT, Mmes Catherine LEMORTON, Martine MARTINEL, Monique IBORRA, MM. Patrick LEMASLE, Alain VIDALIES, Michel MÉNARD, Mme Marie-Odile BOUILLÉ, M. Dominique RAIMBOURG, Mme Marie-Françoise CLERGEAU, MM. Dominique BAERT, Alain CLAEYS, Pierre-Alain MUET, Henri NAYROU, Mme Martine LIGNIÈRES-CASSOU, MM. Jean-Claude FRUTEAU, Jean-Yves LE DÉAUT, Mmes Sylvia PINEL, Dominique ORLIAC, et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche (1) et apparentés (2),

députés.

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(1)  Ce groupe est composé de : Mme Sylvie Andrieux, MM. Jean-Paul Bacquet, Claude Bartolone, Jacques Bascou, Christian Bataille, Mme Delphine Batho, M. Jean-Louis Bianco, Mme Gisèle Biemouret, MM. Serge Blisko, Patrick Bloche, Daniel Boisserie, Maxime Bono, Jean-Michel Boucheron, Christophe Bouillon, Mme Monique Boulestin, M. Pierre Bourguignon, Mme Danielle Bousquet, MM. Alain Cacheux, Jean-Christophe Cambadélis, Thierry Carcenac, Christophe Caresche, Mme Martine Carrillon-Couvreur, MM. Laurent Cathala, Bernard Cazeneuve, Jean-Paul Chanteguet, Jean-Michel Clément, Gilles Cocquempot, Mmes Catherine Coutelle, Pascale Crozon, M. Frédéric Cuvillier, Mme Claude Darciaux, MM. Michel Debet, Pascal Deguilhem, Mme Michèle Delaunay, MM. Guy Delcourt, Michel Delebarre, Bernard Derosier, Michel Destot, Marc Dolez, Julien Dray, Tony Dreyfus, Jean-Pierre Dufau, William Dumas, Jean-Louis Dumont, Mme Laurence Dumont, MM. Jean-Paul Dupré, Yves Durand, Mme Odette Duriez, MM. Philippe Duron, Olivier Dussopt, Christian Eckert, Mme Corinne Erhel, MM. Laurent Fabius, Albert Facon, Mme Martine Faure, M. Hervé Féron, Mmes Aurélie Filippetti, Geneviève Fioraso, M. Pierre Forgues, Mme Valérie Fourneyron, MM. Michel Françaix, Jean-Louis Gagnaire, Mme Geneviève Gaillard, MM. Guillaume Garot, Jean Gaubert, Mme Catherine Génisson, MM. Jean-Patrick Gille, Jean Glavany, Daniel Goldberg, Gaëtan Gorce, Mme Pascale Got, MM. Marc Goua, Jean Grellier, Mme Élisabeth Guigou, M. David Habib, Mmes Danièle Hoffman-Rispal, Sandrine Hurel, MM. Michel Issindou, Éric Jalton, Serge Janquin, Henri Jibrayel, Régis Juanico, Armand Jung, Mme Marietta Karamanli, M. Jean-Pierre Kucheida, Mme Conchita Lacuey, MM. Jérôme Lambert, François Lamy, Jack Lang, Jean Launay, Jean-Yves Le Bouillonnec, Mme Marylise Lebranchu, MM. Patrick Lebreton, Gilbert Le Bris, Michel Lefait, Jean-Marie Le Guen, Mmes Annick Le Loch, Annick Lepetit, MM. Bruno Le Roux, Jean-Claude Leroy, Bernard Lesterlin, Michel Liebgott, François Loncle, Victorin Lurel, Jean Mallot, Louis-Joseph Manscour, Mmes Jacqueline Maquet, Marie-Lou Marcel, M. Jean-René Marsac, Mme Frédérique Massat, MM. Gilbert Mathon, Didier Mathus, Mme Sandrine Mazetier, MM. Kléber Mesquida, Jean Michel, Pierre Moscovici, Philippe Nauche, Alain Néri, Mmes Marie-Renée Oget, Françoise Olivier-Coupeau, M. Michel Pajon, Mme George Pau-Langevin, MM. Christian Paul, Germinal Peiro, Jean-Luc Pérat, Jean-Claude Perez, Mme Marie-Françoise Pérol-Dumont, M. Philippe Plisson, Mme Catherine Quéré, M. Jean-Jack Queyranne, Mme Marie-Line Reynaud, MM. Alain Rodet, Bernard Roman, René Rouquet, Alain Rousset, Patrick Roy, Michel Sainte-Marie, Mme Odile Saugues, MM. Christophe Sirugue, Dominique Strauss-Kahn, Pascal Terrasse, Jean-Louis Touraine, Mme Marisol Touraine, MM. Philippe Tourtelier, Jean-Jacques Urvoas, Daniel Vaillant, Jacques Valax, André Vallini, Manuel Valls, Michel Vauzelle, Michel Vergnier, André Vézinhet, Jean-Michel Villaumé, Jean-Claude Viollet et Philippe Vuilque.

(2)  Mme Chantal Berthelot, MM. Guy Chambefort, René Dosière, Paul Giacobbi, Mme Annick Girardin, MM. Joël Giraud, Christian Hutin, Serge Letchimy, Albert Likuvalu, Mmes Jeanny Marc, Martine Pinville, M. Simon Renucci, Mme Chantal Robin-Rodrigo, M. Marcel Rogemont et Mme Christiane Taubira.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le pacte d’actionnaires initial d’EADS est fondé sur l’ambition de construire un groupe à dimension européenne reposant sur un équilibre franco-allemand de la gouvernance et l’exclusivité de l’engagement des opérateurs. Il s’agit de combiner une logique politique de long terme et une logique industrielle et technologique d’excellence.

Aujourd’hui, la société Airbus, présentée à juste titre comme un exemple de réussite d’intégration et de coopération européenne, apparaît comme la victime de plusieurs décisions successives, et pour le moins contestables, qui n’ont fait que fragiliser le pacte d’actionnaires initial d’EADS.

Les conditions de la nomination en juin 2005 de Noël Forgeard en remplacement de Philippe Camus, qui occupait le poste depuis juillet 2000, ont été mal ressenties par les responsables allemands du groupe. Les conditions très contestables du départ de Noël Forgeard à l’été 2006 n’ont fait qu’accentuer la crise de confiance au sein du groupe.

La décision du groupe Lagardère de céder la moitié de sa participation au sein d’EADS, quelles qu’en soient les motivations, a fragilisé d’autant plus la structure de l’actionnariat d’EADS qu’elle répond à la volonté d’Arnaud Lagardère de recentrer les activités de son groupe sur les médias.

La représentation nationale doit s’interroger en particulier sur le comportement et l’attitude de l’État face aux évolutions de l’actionnariat. Sans préjuger des enquêtes en cours suite aux investigations de l’autorité des marchés financiers, le Parlement doit exercer sa mission de contrôle des entreprises au sein desquelles l’État exerce des responsabilités stratégiques pour l’avenir de notre pays.

Au sein d’EADS, l’État a un rôle particulier à jouer parce qu’il est actionnaire, mais aussi parce qu’il s’agit de l’avenir d’un grand groupe industriel européen dans des secteurs stratégiques de la défense nationale et de l’aéronautique, et de milliers d’emplois directs et indirects dans de nombreuses régions de notre pays.

Pourtant, il apparaît que l’État actionnaire n’a pas, au cours des années 2005 et 2006, véritablement rempli son rôle stratégique au sein du capital d’EADS, par le biais de la SOGEADE, société qui porte la participation de l’État et du groupe Lagardère au sein d’EADS. Il semble également qu’il n’ait pas exercé de vigilance sur le plan industriel pendant la même période.

Le 28 novembre 2005, les groupes Lagardère et Daimler Chrysler annoncent publiquement leur intention de réduire leur participation au sein du capital d’EADS.

En janvier 2006, l’Agence française des participations de l’État recommande à l’État de céder une partie des actions qu’il détient au sein d’EADS. L’Agence mentionne le fait que d’autres actionnaires de référence comme les groupes Daimler Chrysler et Lagardère envisagent de procéder à des cessions de même nature.

Sur quelles bases économiques objectives l’Agence fonde-t-elle alors ses conseils de cession ?

Le 28 mars 2006, la Caisse des dépôts et consignations signe une lettre d’engagement avec le groupe Lagardère. Le 12 avril 2006, la Caisse des dépôts et consignations se porte acquéreur de titres détenus par le groupe Lagardère dans le capital d’EADS. L’opération s’effectue sous la forme d’émission d’obligations remboursables en actions à parité ajustable EADS qui seront souscrites par la banque IXIS CIB. Celle-ci a prévu de placer préalablement la plus grande partie des actions EADS en question auprès d’investisseurs institutionnels français au moyen d’une vente à terme. Les modalités de la transaction permettent notamment au groupe Lagardère d’éviter une surtaxation de sa plus value de cession.

Compte tenu du pacte d’actionnaires qui inclut un droit de préemption, la cession des actions du groupe Lagardère ne peut pas être effectuée sans que l’État soit informé, notamment du montant et de la nature de la transaction, voire de l’identité de l’acheteur.

Le 3 avril 2006, le conseil d’administration de la SOGEADE, au sein duquel siègent des représentants de l’État et notamment du ministère des finances, approuve cette opération en insistant notamment sur la nécessité que de tels mouvements au sein de l’actionnariat ne soient pas interprétés comme « une défiance à l’égard du groupe et plus particulièrement d’Airbus, sachant que le groupe aéronautique va entrer dans une phase plus agitée ».

À ce moment précis de la vie d’EADS, l’État, informé du souhait des actionnaires, ne peut plus ignorer la nature de l’opération de cession des actions détenues par le groupe Lagardère, ni même le montant de la transaction et le nom de l’acheteur.

Par conséquent, pour quelles raisons l’État, à qui l’Agence française des participations conseille la vente de ses propres actions, ne manifeste finalement aucune objection lorsque la Caisse des dépôts et consignations se porte acquéreur quelques jours plus tard ?

Cette cession permet à un actionnaire privé de se désengager du capital d’une entreprise où l’État est actionnaire et ainsi de faire porter à un organisme public les pertes liées aux difficultés du groupe. La vente à terme, effectuée en avril 2006, a d’ores et déjà nécessité pour la Caisse une provision de 191 millions d’euros. La Caisse des dépôts a finalement réalisé une mauvaise opération.

Bien évidemment, la Caisse des dépôts et consignations n’a pas statutairement à informer l’État et a fortiori à demander son autorisation pour réaliser une opération d’investissement. Elle prend acte de l’approbation du conseil d’administration de la SOGEADE, en application des règles issues du pacte d’actionnaires, mais le gouvernement, par l’intermédiaire du directeur du Trésor, qui siège au sein du conseil de surveillance de la Caisse, peut ne pas rester muet ou inactif.

En la matière, l’État met-il à la disposition du marché, et donc des acquéreurs potentiels, institutionnels ou non, l’ensemble des informations dont il dispose sur la situation économique du groupe EADS et de sa filiale ?

Pendant cette période cruciale pour l’avenir du groupe EADS et d’Airbus, l’attitude de l’État actionnaire pose donc de sérieuses questions. Aucun titre détenu directement par l’État n’a été cédé, mais cela n’exonère pas le gouvernement de l’époque de toute responsabilité. Il lui appartenait notamment d’exercer un contrôle sur les mouvements d’actions envisagés ainsi que sur les raisons de ces mouvements.

Les choix de production et de montage de l’A380 n’ont pas véritablement tenu compte de l’organisation industrielle du groupe Airbus entre ses différents sites. Les incompatibilités apparues dans la chaîne de production et d’assemblage ont constitué des alertes sérieuses des difficultés industrielles. Le gouvernement de l’époque ne pouvait pas ne pas être informé des difficultés financières et techniques du groupe. Cela ne paraît pas vraisemblable.

Le ministère de l’économie participait en effet aux discussions entre les actionnaires soucieux de vendre rapidement une partie de leur participation. Le ministère de la défense ne pouvait pas ne pas être informé compte tenu des implications en matière de politique de défense. Le ministère de l’intérieur exerçant la tutelle directe sur les préfets ne pouvait pas ne pas être informé des difficultés économiques et sociales au sein d’Airbus et des réactions suscitées sur les différents sites de production. Le ministère des transports ne pouvait pas ne pas être informé des difficultés industrielles et technologiques d’Airbus.

Des choix de valorisation patrimoniale d’actionnaires privés ne peuvent faire office de politique industrielle dans des secteurs stratégiques. Le pacte initial d’actionnaires ne justifie en aucune façon l’inaction des pouvoirs publics, ni la collusion entre la défense des intérêts privés et les choix stratégiques d’un groupe européen de la défense et de l’aéronautique.

L’attitude passive du gouvernement, une fois les retards de production de l’A380 révélés officiellement en juin 2006, confirme l’absence de véritable volonté d’apporter des réponses industrielles aux difficultés d’Airbus et aux défis de la concurrence avec Boeing et par conséquent des réponses sociales aux salariés et aux élus des territoires concernés.

Aujourd’hui, l’attitude du Président de la République et des membres du gouvernement se limite à dénoncer les délits d’initiés présumés que révèle l’autorité des marchés financiers, sans évoquer leurs propres responsabilités dans l’exercice du contrôle de l’État à la fin de l’année 2005 et au cours de l’année 2006 sur les mouvements au sein de l’actionnariat d’EADS.

Le gouvernement ne semble pas vouloir s’opposer au fait qu’Arnaud Lagardère devienne président de la SOGEADE en remplacement de l’actuel titulaire atteint par la limite d’âge en octobre 2007 et membre du conseil d’administration du groupe EADS.

Face à la nécessité de conserver et de renforcer la compétitivité et le savoir faire technologique d’Airbus, il est indispensable de s’interroger sur les conditions d’évolution de l’actionnariat au sein d’EADS, sur l’attitude à l’époque de la direction du groupe EADS, sur le comportement des actionnaires de référence et sur la stratégie de l’État, sur la circulation des informations et les prises de décision au sein du conseil d’administration d’EADS, qui, au total, conduisent à la situation économique et sociale difficile que nous connaissons aujourd’hui.

En effet, le groupe EADS doit faire face aujourd’hui à un vaste plan de restructuration. En octobre 2006, le conseil d’administration d’European Aeronautic Defense and Space company (EADS) a présenté le plan dit power 8, dont l’objet principal est de réaliser des économies face aux difficultés industrielles et financières de l’entreprise.

Il s’agit pour la direction de l’entreprise de faire face notamment aux retards de production et de livraison de l’A380. Ce plan doit générer des économies de trésorerie de 5 milliards d’euros d’ici 2010. Il conduit inévitablement à des suppressions d’emplois au sein du groupe et à une pression très forte sur tous les sous-traitants et équipementiers, essentiellement des PME et PMI déjà en grande difficulté.

Ce plan cherche à réduire les coûts de fonctionnement et de structure, à réorganiser la chaîne des fournisseurs, à charge pour eux d’assumer les coûts qui en découlent. Ce plan semble répondre en réalité à une logique purement financière en lien direct avec les préoccupations patrimoniales au détriment de l’intérêt stratégique. Compte tenu de sa contribution aux résultats d’EADS, Airbus est la filiale qui participe le plus aux efforts de restructuration.

Plusieurs questions sont posées concernant les réductions d’activité et la fermeture de sites de production. Des milliers d’emplois sont en jeu. En 2006, les salariés d’Airbus ont finalement renoncé à leurs primes.

Pour ces raisons, nous vous demandons, Mesdames et Messieurs, de bien vouloir adopter la présente proposition de résolution.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

Il est créé, en application des articles 140 et suivants du règlement de l’Assemblée nationale, une commission d’enquête de trente membres sur le rôle et le contrôle exercés par l’État sur l’évolution de l’actionnariat au sein d’EADS depuis novembre 2005.


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