N° 1257 - Proposition de résolution de M. Jacques Remiller tendant à la création d'une commission d'enquête sur le coût économique de l'instabilité juridique en matière fiscale et sociale



Document
mis en distribution

le 29 septembre 2009


N° 1257

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 14 novembre 2008.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

tendant à la création d’une commission d’enquête sur le coût économique de l’instabilité juridique en matière fiscale et sociale,

(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut
de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Jacques REMILLER, Jean-Pierre ABELIN, Nicole AMELINE, Pierre-Christophe BAGUET, Patrick BEAUDOUIN, Marc BERNIER, Véronique BESSE, Jean-Marie BINETRUY, Claude BIRRAUX, Étienne BLANC, Roland BLUM, Valérie BOYER, Françoise BRANGET, Xavier BRETON, Philippe BRIAND, Chantal BRUNEL, Dominique CAILLAUD, Patrice CALMÉJANE, François CALVET, Jean-François CHOSSY, Éric CIOTTI, Philippe COCHET, Georges COLOMBIER, François CORNUT-GENTILLE, Louis COSYNS, Jean-Yves COUSIN, Édouard COURTIAL, Jean-Michel COUVE, Marc-Philippe DAUBRESSE, Jean-Pierre DECOOL, Bernard DEFLESSELLES, Sophie DELONG, Bernard DEPIERRE, Vincent DESCOEUR, Jean-Pierre DOOR, Dominique DORD, Nicolas DUPONT-AIGNAN, Christian ESTROSI, Daniel FASQUELLE, Jean-Michel FERRAND, Jean-Claude FLORY, Nicolas FORISSIER, Marie-Louise FORT, Jean-Paul GARRAUD, Claude GATIGNOL, Bernard GÉRARD, Didier GONZALES, Jean-Pierre GORGES, Philippe GOSSELIN, François GOULARD, Jean GRENET, François GROSDIDIER, Arlette GROSSKOST, Louis GUÉDON, Jean-Claude GUIBAL, Michel HERBILLON, Francis HILLMEYER, Françoise HOSTALIER, Michel HUNAULT, Jacqueline IRLES, Denis JACQUAT, Paul JEANNETEAU, Marc JOULAUD, Fabienne LABRETTE-MÉNAGER, Yvan LACHAUD, Laure de LA RAUDIÈRE, Marc LE FUR, Jacques LE NAY, Jean-Claude LENOIR, Dominique LE MÈNER, Jean-Marc LEFRANC, Michel LEJEUNE, Céleste LETT, Gérard LORGEOUX, Lionnel LUCA, Alain MARC, Richard MALLIÉ, Thierry MARIANI, Muriel MARLAND-MILITELLO, Patrice MARTIN-LALANDE, Henriette MARTINEZ, Jean-Philippe MAURER, Damien MESLOT, Pierre MORANGE, Pierre MOREL-A-L’HUISSIER, Jean-Marie MORISSET, Alain MOYNE-BRESSAND, Jacques MYARD, Jean-Marc NESME, Jean-Pierre NICOLAS, Bernard PERRUT, Henri PLAGNOL, Jean-Frédéric POISSON, Christophe PRIOU, Didier QUENTIN, Michel RAISON, Frédéric REISS, Jean-Luc REITZER, Bernard REYNÈS, Jean ROATTA, Rudy SALLES, Dominique SOUCHET, Daniel SPAGNOU, Lionel TARDY, Jean-Charles TAUGOURDEAU, Guy TEISSIER, Michel TERROT, Dominique TIAN, Alfred TRASSY-PAILLOGUES, Georges TRON, Yves VANDEWALLE, Christian VANNESTE, Isabelle VASSEUR, Patrice VERCHÈRE, Jean-Sébastien VIALATTE, Philippe VIGIER, Philippe VITEL, Gérard VOISIN et André WOJCIECHOWSKI,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Dans sa « Recherche sur la nature et les causes de la richesse des nations », Adam Smith expliquait en 1776 que « la taxe ou portion d’impôt que chaque individu est tenu de payer doit être certain et non arbitraire ». Cette qualité essentielle de la fiscalité, la « certitude », est effectivement à la base du principe de sécurité juridique du contribuable en droit fiscal. Un tel principe de sécurité, partie intégrante du principe de sûreté figurant à l’article 2 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, suppose par conséquent que la réglementation qui impose les charges aux contribuables et aux entreprises doit être suffisamment claire et précise, afin que ces derniers puissent aisément se prévaloir de leurs droits et respecter leurs obligations.

Cependant, un constat sévère s’impose aujourd’hui en France : la multiplication des textes et de leur interprétation a progressivement transformé le droit fiscal et le droit social français en un droit volumineux, complexe et obscur. Il ne se passe pas une semaine sans que nous remettions en cause ici une exonération ou un abattement, là une niche ou un plafond, etc. La France compte quasiment autant d’impôts que de jours dans l’année. Le Code général des impôts (CGI) et le Livre des Procédures Fiscales contiennent près de 4 000 articles législatifs ou réglementaires. En outre, à l’accroissement du flux annuel de normes s’ajoute l’essor de textes fleuves : le CGI comporte désormais près de 3 000 pages dans son format traditionnel.

De ce fait, les particuliers comme les entreprises, se retrouvent dans une situation précaire, ne pouvant plus connaître avec certitude ni leur régime fiscal, ni les nouvelles règles régissant leur régime social. En conséquence, leur ignorance croissante du droit applicable les plonge chaque année un peu plus dans une instabilité totale.

Le Journal Les Échos, titrait, dans son édition du 29 janvier 2008 : « Complexité du droit social : les DRH n’en peuvent plus ». Termes abscons, contenus flous, mise en oeuvre difficile... Les textes régissant le droit social sont d’une complexité grandissante, au point que les juristes et les DRH eux-mêmes commencent à s’y perdre. Alors que la lecture du code du travail se doit d’être d’autant plus accessible à tous qu’il est fréquemment utilisé, il n’est devenu compréhensible que par de rares initiés.

En outre, alors même que nous traversons la plus grave crise financière depuis 1929, cette instabilité juridique en matière fiscale et sociale décourage toute initiative économique et provoque des changements notables dans les décisions stratégiques de nos entreprises, y compris à l’échelle internationale. En effet, confrontés à un changement incessant des « règles du jeu », les opérateurs économiques souffrent d’un sérieux manque de visibilité.

Notre pays serait-il parvenu, comme le redoutait Frédéric Portalis, au moment « où le grand nombre de lois rendues (…) ne présente plus qu’un inextricable labyrinthe, où l’esprit du juge s’égare au milieu d’un nombre infini de dispositions en désordre, souvent opposées entre elles » ?

Il est vrai que la fiscalité occupe une place à part dans le débat politique, étant à la fois omniprésente – l’annonce de « mesures » fiscales est la base de la communication gouvernementale – et absente – ces mesures ne sont jamais mises en cohérence dans un véritable programme fiscal qui exposerait une vision des enjeux, une stratégie avec des objectifs, une perspective à moyen terme et un chiffrage des réformes envisagées. L’insuffisance du débat préalable au débat sur les mesures précises, ajoutée à l’absence d’évaluation après la mise en oeuvre de ces mesures, expliquent en grande partie les dysfonctionnements de notre système fiscal.

L’enjeu économique est pourtant de taille : en matière de fiscalité, l’instabilité juridique a pour conséquence principale de favoriser l’évasion fiscale. À ce titre, l’exemple des « sociétés de base » (base companies) installées dans des pays à faible fiscalité (paradis fiscaux) est évocateur : ces sociétés n’ont pas d’activité propre, mais servent à concentrer et à gérer les bénéfices commerciaux et financiers réalisés dans le monde par leurs filiales et les établissements de leur groupe fondateur.

De plus, à côté de l’impôt calculé sur son bénéfice et de l’impôt sur la consommation qu’elle sont chargées de collecter, les entreprise françaises sont amenées à payer une multitude de taxes calculées sur des assiettes diverses – masse salariale, chiffre d’affaires, certains postes de frais – et qui constituent pour elles des charges de production qui ne peuvent pas être répercutées sur leurs clients. Ces taxes représentent pour elles à la fois un poids non négligeable (près de 40 milliards d’euros en 2007), et une lourde charge administrative. Il n’est dès lors pas étonnant que le magazine Forbes ait classé en 2007 la France en première position du classement mondial de la « misère fiscale », à savoir des pays dans lesquels les taux marginaux d’imposition sont les plus élevés.

Enfin, l’instabilité juridique en matière sociale et fiscale se nourrit également de la nature parfois rétroactive de la modification des textes. En 2003 par exemple, ce sont ainsi 160 nouveaux articles fiscaux qui ont été créés, tandis que 279 ont été modifiés. De même, la rétroactivité fiscale – véritable rupture anticipée du « contrat fiscal » – représente toujours un risque pour les contribuables : depuis 1982, près de 350 dispositions rétroactives peuvent être dénombrées, défavorables aux contribuables dans près d’un tiers des cas.

À ce jour, il n’existe pas de principe constitutionnel assurant la stabilité de notre système fiscal, alors même que la liberté d’entreprendre ne saurait être garantie sans sécurité juridique. Car, qui dit stabilité, dit prévisibilité à terme pour les investisseurs comme pour les contribuables.

Il convient donc d’évaluer et de déterminer le coût économique que représente l’instabilité juridique en matière fiscale et sociale pour la collectivité.

Quelles sont les sources de cette instabilité ? Comment font nos principaux concurrents pour empêcher un tel phénomène de se développer ? Quels sont les grands axes de la politique que notre pays doit mettre en œuvre pour remédier à cet état de fait ? De quels moyens, juridiques et matériels, ou de quelles structures devrait-il se doter ? Telles sont les principales questions auxquelles devra répondre la commission d’enquête. Au demeurant, pourquoi une Commission d’enquête ? Pour y voir clair.

Les citoyens, les contribuables, particuliers et entreprises, et les élus eux-mêmes éprouvent le besoin de faire le point et de prendre la mesure des bouleversements liés à la mondialisation, comme de la contribution de la politique fiscale et sociale à la compétitivité de notre économie.

Par ses pouvoirs d’investigation, la Commission d’enquête sera notamment à même d’obtenir des principaux acteurs concernés et de toutes les administrations, les informations qu’elles n’ont pas, ou que partiellement, communiquées jusqu’alors et, partant, de reconstituer la réalité du phénomène, d’en évaluer le coût et d’appréhender les moyens d’y mettre un terme.

Aussi, nous vous demandons, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter la proposition de résolution suivante.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

En application des articles 140 et suivants du Règlement de l’Assemblée nationale, est créée une commission d’enquête de trente membres chargée :

– d’établir précisément la réalité du phénomène de l’instabilité juridique en matière fiscale et sociale ;

– d’évaluer le coût de cette instabilité pour les acteurs économiques et la collectivité nationale ;

– et, à la lumière des politiques conduites par nos principaux concurrents, proposer les grands axes de la politique que notre pays doit mettre en œuvre pour remédier à cette situation.


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