N° 1617 - Proposition de résolution de M. Marc Dolez sur la proposition de règlement du Conseil relatif au statut de la société privée européenne du 27 juin 2008 COM(2008)0396 et sur la communication du 26 avril 2006 intitulée "Mettre en oeuvre le programme communautaire de Lisbonne - Les services sociaux d'intérêt général dans l'Union européenne" COM(2006) 177 final



N° 1617

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 avril 2009.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

sur la proposition de règlement du Conseil relatif au statut de la société privée européenne du 27 juin 2008 COM(2008)0396 et sur la communication de la Commission du 26 avril 2006 intitulée « Mettre en œuvre le programme communautaire de Lisbonne - Les services sociaux d’intérêt général dans l’Union européenne » COM(2006) 177 final,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire,
à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Marc DOLEZ, François ASENSI, Marie-Hélène AMIABLE, Alain BOCQUET, Patrick BRAOUEZEC, Jean-Pierre BRARD, Marie-George BUFFET, Jean-Jacques CANDELIER, André CHASSAIGNE, Jacques DESALLANGRE, Jacqueline FRAYSSE, André GERIN, Pierre GOSNAT, Maxime GREMETZ, Jean-Paul LECOQ, Roland MUZEAU, Daniel PAUL, Jean-Claude SANDRIER et Michel VAXÈS,

député-e-s.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La directive sur les services dans le marché intérieur (n° 2006/123/CE), également surnommée « directive Bolkestein » du nom de l’ancien commissaire chargé du marché intérieur, Frits Bolkestein, a été adoptée le 12 décembre 2006. Elle est parue au JOUE du 27 décembre 2006 et les États membres de l’Union européenne ont jusqu’au 28 décembre 2009 pour la transposer dans leurs législations nationales.

On se souvient que la proposition de directive présentée par la Commission européenne, le 13 janvier 2004, avait suscité légitimement de très nombreuses oppositions et de vives critiques.

Les Françaises et les Français avaient clairement exprimé leur refus de la suprématie du profit financier sur le social et sur le développement humain. Ils avaient rejeté massivement la Constitution européenne fondée sur le principe de la concurrence « libre et non faussée », principe appliqué à la lettre par la proposition de directive sur la libéralisation des services.

Après le vote au Parlement européen et la mobilisation sociale, le champ d’application de la directive Bolkestein avait été réduit, les services sociaux, notamment, tels que le logement social, les services à la petite enfance et à la famille avaient été exclus du champ d’application.

De même, face aux multiples contestations, le principe dit du « pays d’origine », selon lequel un prestataire qui souhaite fournir ses services temporairement dans un autre pays (i.e. sans s’y établir) peut le faire sans avoir à appliquer d’autres mesures que celles de son pays d’origine, avait été abandonné.

Pourtant, aujourd’hui, au mépris de la volonté des peuples et en dépit du rejet de ces dispositions par le Parlement européen, la Commission entend ressusciter ces deux principes.

Le principe du pays d’origine est réintroduit dans une proposition de règlement, du 27 juin 2008, relatif au statut de la société privée européenne.

La soumission des services sociaux d’intérêt général (SSIG) aux règles de la concurrence est affirmée dans une communication de la Commission, du 26 avril 2006, intitulée « Mettre en œuvre le programme communautaire de Lisbonne - Les services sociaux d’intérêt général dans l’Union européenne ».

Sur la proposition de règlement du Conseil relatif au statut de la société privée européenne du 27 juin 2008 COM(2008)0396

Le 25 juin 2008, la Commission européenne a publié une proposition de Règlement relatif au statut de la société privée européenne (SPE), transmis au Conseil de l’Union européenne le 26 juin 2008. Le 10 mars 2009, le Parlement européen, donnant son avis en lecture unique, a approuvé la proposition de règlement.

La proposition de statut de la société privée européenne fait partie d’un train de mesures conçu pour aider les petites et moyennes entreprises (PME), dénommé « Loi sur les petites entreprises pour l’Europe (Small business act) ». Son objectif est de faciliter les activités des PME dans le marché unique et partant, d’améliorer leurs performances.

La création d’une nouvelle forme juridique européenne est censée apporter des avantages aux PME qui exercent des activités commerciales transfrontalières.

À l’origine, le projet de statut de société privée européenne était présenté par la Commission européenne comme un élément de la «Loi sur les petites entreprises pour l’Europe (SBA) ». Dans ce cadre, il s’agissait, initialement, de favoriser l’accès des petites et moyennes entreprises aux marchés publics, ce qui constituait un objectif tout à fait louable.

Mais, malheureusement, la proposition de règlement relatif au statut de la société privée européenne ne vise pas à faciliter l’accès des PME aux commandes publiques.

Elle entend « améliorer les conditions-cadres pour les entreprises dans le marché unique ».

L’objectif de départ a donc été vicié et la lecture du texte suscite de vives inquiétudes.

Inquiétudes d’autant plus grandes que la Commission européenne n’a pas consulté les partenaires sociaux, conformément à l’article 138 du traité CE, avant d’adopter sa proposition, se contentant d’une consultation en ligne de pure forme.

Tout d’abord, le champ d’application de la proposition de règlement constitue un problème, en raison de sa trop grande étendue.

Alors que ce projet s’inscrit dans le cadre d’un ensemble de réformes mis en place pour favoriser le développement des PME, on aurait pu s’attendre, en tout logique, à ce que le texte vise en priorité les PME. Or, si l’exposé des motifs indique que la SPE a pour objectif de faciliter les activités des PME, il spécifie, ensuite, que ce statut « pourrait également profiter à des sociétés et à des groupes de plus grande dimension ».

Seules les entreprises cotées semblent exclues du champ d’application de la proposition de règlement, puisqu’il est indiqué qu’une SPE ne peut pas faire un appel public à l’épargne et que ses actions ne doivent pas être librement négociables sur le marché.

Cette extension du champ d’application est dangereuse.

Les multinationales qui réclament depuis longtemps un statut unique, moins contraignant que ceux dont elles disposent aujourd’hui, pour les filiales qu’elles contrôlent dans différents pays européens pourront avoir recours à ce statut. Au final, on peut légitimement craindre que ce statut soit avant tout utilisé par les grosses structures.

Ensuite, les règles uniformes relatives au statut de SPE posent de nombreuses difficultés.

Concernant la détermination du siège statutaire de la SPE, l’article 7 de la proposition de règlement prévoit que « le siège statutaire et l’administration centrale ou le principal établissement de la SPE doivent être établis dans la Communauté » et, dans le même temps, qu’« une SPE n’est aucunement tenue d’établir son administration centrale ou son principal établissement dans l’État membre de son siège statutaire ».

Toutes les sociétés privées européennes pourraient donc avoir leur siège dans un pays et leurs activités réelles dans un autre. Elles pourraient également transférer leur siège dans un État membre de leur choix (article 35).

Il s’agit là d’une disposition particulièrement dangereuse qui permettrait aux entreprises concernées de créer des sociétés-boite aux lettres et de se soustraire aux législations les plus protectrices puisque l’exposé des motifs précise que « La loi applicable est celle de l’État membre du siège statutaire de la SPE relative aux sociétés à responsabilité limitée. »

Il s’agit ni plus ni moins d’une nouvelle mouture du tristement fameux « principe du pays d’origine » qui consacre le choix de la dévotion aux règles du marché et du nivellement de la protection sociale par le bas.

Il y a un réel danger pour le droit des employés qui consiste au contournement des législations nationales sur la participation des travailleurs.

La proposition de règlement (article 34) prévoit de soumettre la SPE au régime de la participation des travailleurs de l’État membre dans lequel est établi son siège statutaire. Cette disposition risque d’entraîner un dumping juridique entre États membres, susceptible d’abaisser le niveau global de protection dans l’Union européenne.

La SPE pourrait devenir un moyen pour les sociétés de faire du shopping partout en Europe en quête du plus faible niveau du règlement commercial et de tous types de normes protectrices. Le statut de la SPE rendrait très facile pour les petites et les grandes entreprises de créer des sociétés boîte aux lettres pour éluder les formes juridiques nationales, les dispositifs requis, les normes et particulièrement le droit national sur la participation des travailleurs ou la codécision.

Sur la communication de la Commission du 26 avril 2006 intitulée « Mettre en œuvre le programme communautaire de Lisbonne - Les services sociaux d’intérêt général dans l’Union européenne » COM(2006) 177 final

Les services sociaux d’intérêt général (SSIG) recouvre, selon la Commission européenne, « les services prestés directement à la personne (et qui jouent) un rôle de prévention et de cohésion sociale (...) pour faciliter et garantir l’accomplissement de leurs droits fondamentaux ». Sont évoqués parmi ces services sociaux : « le logement social, la garde d’enfants, l’aide aux familles et aux personnes dans le besoin ».

Ces services risquent de devoir se plier aux règles de la concurrence comme c’est déjà le cas des grandes entreprises de service public dans les secteurs de l’énergie, des télécoms, des transports ou des services postaux.

La Commission européenne persiste en effet à vouloir libéraliser le secteur social, au nom des traités communautaires (art.43 et 49 traité CE) et en dépit du rejet de cette disposition par le Parlement européen.

Dans sa communication du 26 avril 2006, après avoir constaté « qu’une part croissante des services sociaux dans l’Union européenne, jusqu’alors gérés directement par les autorités publiques, relèvent dorénavant des règles communautaires régissant le marché intérieur et la concurrence », elle indique ensuite que s’agissant de « la libre prestation de services et la liberté d’établissement, la Cour a établi que doivent être considérées comme activités économiques au sens du traité, les prestations fournies normalement contre rémunération. Le traité n’exige pas, néanmoins, que le service soit payé directement par ceux qui en bénéficient. Il s’ensuit que la quasi-totalité des services prestés dans le domaine social peuvent être considérés comme des “activités économiques” au sens des articles 43 et 49 du traité CE. »

Enfin, pour être parfaitement claire elle rappelle que « les services exclus du champ d’application de la directive relative aux services dans le marché intérieur, continueront de relever de l’application des […] règles et principes » du doit communautaire et plus particulièrement des principes généraux du traité relatifs à la libre prestation de services (art. 49 traité CE) et à la liberté d’établissement (art. 43 traité CE).

Ces dispositions sont inacceptables.

Les services sociaux d’intérêt général constituent une question centrale du développement des pays européens. Ils participent du choix fondamental entre deux conceptions, celle d’une Europe libérale dominée par les marchés financiers et celle d’une Europe des peuples, sociale et solidaire.

Il est urgent que la Commission européenne reconnaisse pleinement les caractéristiques spécifiques des services sociaux. Il s’agit d’une activité de service public, et non d’une activité commerciale.

De manière générale, l’Union européenne doit décider une nouvelle négociation sur ses institutions et sur les politiques économiques et sociales. Cette nouvelle discussion doit s’ouvrir aux exigences des peuples, qui doivent être associés et consultés. Il faut réorienter la construction européenne dans le sens d’une Europe des peuples, démocratique, synonyme de progrès social, de coopération et de paix.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu la directive 2006/123/CE du Parlement européen et du Conseil, du 12 décembre 2006, relative aux services dans le marché intérieur,

Vu le vote du Parlement européen, le 16 février 2006 en vue de l’adoption de la directive du Parlement européen et du Conseil relative aux services dans le marché intérieur (P6_TC1-COD(2004)0001),

Vu la résolution du Parlement européen contenant des recommandations à la Commission sur le statut de la société privée européenne (2006/2013(INI)),

Vu le projet de résolution législative du Parlement européen sur la proposition de règlement du Conseil relatif au statut de la société privée européenne [COM(2008)0396-C6-0283/2008-208/0130(CNS)],

Sur la proposition de règlement du Conseil relatif au statut de la société privée européenne du 27 juin 2008 COM(2008)0396

– Demande résolument que le statut de la SPE empêche les entreprises de contourner les législations nationales les plus protectrices.

– Demande que des règles standard sur les droits de participation des employés accompagnent le statut de la SPE.

Sur la communication de la commission du 26 avril 2006 intitulée « Mettre en œuvre le programme communautaire de Lisbonne - Les services sociaux d’intérêt général dans l’Union européenne » COM(2006) 177 final

– Rappelle que la directive relative aux services dans le marché intérieur prévoit, suite au vote du Parlement européen, une exclusion des services sociaux d’intérêt général de son champ d’application.

– Demande que la Commission européenne s’engage à proposer une directive sur les services d’intérêt général qui reconnaisse pleinement les caractéristiques spécifiques des services sociaux et les protège explicitement contre l’application des règles de la concurrence.


© Assemblée nationale