N° 1814 - Proposition de loi de M. Germinal Peiro relative à la reconnaissance de l'exception d'euthanasie et de l'aide active à mourir



N° 1814

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 juillet 2009.

PROPOSITION DE LOI

reconnaissance de l'exception d'euthanasie
et de l'
aide active à mourir,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Germinal PEIRO,

député.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le droit français actuel, notamment le code de la santé publique et le code pénal, ne répond toujours pas de façon claire et satisfaisante aux cas des personnes qui sollicitent, en pleine conscience, une aide active à la mort pour abréger leurs souffrances.

Ce constat semble aujourd’hui encore plus évident depuis que la Mission parlementaire d’évaluation de la loi sur la fin de vie a rendu son rapport et ses conclusions au Premier ministre en décembre dernier. Cette Mission d’information a en effet rejeté toute légalisation de l’aide active à mourir, même pour les malades incurables réclamant la mort, et n’a préconisé aucune modification substantielle de la loi n° 2005-370 du 22 avril 2005, dite loi Léonetti. Certes, son rapport envisage la perspective de progrès intéressants : création d’un observatoire des pratiques de la fin de vie, instauration d’un médecin référent en soins palliatifs dans chaque département susceptible d’assurer un rôle de médiateur dans les situations complexes, mise en place d’un congé d’accompagnement d’un proche en fin de vie rémunéré par l’assurance maladie.

Mais il n’apparait aucune avancée significative concernant la reconnaissance d’une exception d’euthanasie. Il s’agirait alors dans ce cas d’accéder, sous conditions précises et exceptionnelles, à la demande d’un malade en situation d’incurabilité si celui-ci réclame la mort, en conscience.

Cette revendication, récurrente en France depuis plusieurs années et surtout depuis les bouleversantes affaires Vincent Humbert en 2003 et Chantal Sebire en 2008, semble particulièrement difficile à inscrire dans notre droit positif. La possibilité d’un recours à une aide active pour mourir est pourtant aujourd’hui soutenue par un grand nombre d’acteurs concernés et représentatifs de la question : associations spécialisées, praticiens médicaux et hospitaliers, patients et familles, intellectuels, élus,... qui ne trouvent pas dans la législation actuelle de réponses adaptées à certaines situations.

Certes, la loi du 22 avril 2005 et la loi n° 2002-303 du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé (loi Kouchner) permettent des initiatives, par exemple en matière de soins palliatifs pour l’accompagnement des mourants. Mais ces possibilités s’avèrent assez méconnues (y compris du corps médical), minimalistes, parfois même ambiguës, rendant aux citoyens le contexte de la fin de vie plutôt opaque et complexe. Et certaines situations extrêmes ou particulières n’entrent pas forcément dans leurs périmètres d’application. C’est le cas notamment de patients atteints de maladies incurables et invalidantes qui formulent expressément la volonté d’interrompre une vie insupportable ou dénuée de sens, et dont l’état végétatif empêche toute forme de suicide.

Le « statu quo » juridique recommandé par la mission de l’Assemblée nationale apparaît alors, à l’égard de certaines problématiques tout au moins, relativement décevant.

Surtout, ce cadre légal semble particulièrement modeste et en retrait par rapport à un certain nombre de pays occidentaux ayant eu le courage politique de légiférer sur la question.

Ainsi en Europe, les Pays-Bas, la Belgique et le Luxembourg reconnaissent désormais le droit à l’aide active à mourir et la dépénalisation de l’euthanasie. Les provinces du Québec et de l’Ontario au Canada, l’État d’Oregon aux États-Unis ou la Colombie en font de même.

Et si d’autres pays ne reconnaissent pas officiellement l’euthanasie, ils autorisent une forme d’aide à la mort à l’intérieur d’un environnement pénal assoupli et adapté. C’est le cas de l’Espagne et de la Suisse notamment. À l’inverse, le code pénal français n’établit aucune distinction entre la mort donnée à autrui par compassion et celle infligée intentionnellement, qualifiée d’assassinat et punie de la réclusion criminelle à perpétuité.

Aujourd’hui si la liberté représente en France une valeur fondamentale orientant la vie de chacun, il semble en revanche qu’elle soit particulièrement difficile à faire admettre quant au choix de sa fin de vie. Or, mourir peut s’avérer une épreuve longue et éprouvante, surtout lorsque cela s’accompagne de douleurs et de souffrances, physiques ou psychiques, indicibles.

C’est la raison pour laquelle il apparaît nécessaire de reconnaître et d’organiser, avec toutes les précautions qui s’imposent, les modalités de l’euthanasie active afin de préserver la dignité de la personne humaine en fin de vie.

Naturellement, ce texte ne souhaite ni encourager ni banaliser une décision et une pratique qui engagent profondément la responsabilité et l’éthique de chacun des acteurs concernés.

Et ces choix doivent, en toutes circonstances, être encadrés par des conditions rigoureuses, impératives et cumulatives : majorité du patient, consentement d’un médecin, diagnostic officiel du caractère incurable et terminal d’une pathologie, pleine capacité à formuler la demande, information du patient sur toutes les solutions alternatives telles que les soins palliatifs.

C’est pourquoi la présente proposition de loi a pour objectifs principaux d’affirmer les droits de l’individu sur le choix euthanasique, de définir les modalités et les conditions d’expression de la volonté des personnes concernées et enfin de délimiter le rôle et les missions dévolues au corps médical.

Les deux premiers articles du dispositif définissent ainsi le cadre général dans lequel peut être fait le choix d’une personne en faveur d’une assistance médicalisée pour mourir.

Les articles trois et quatre abordent l’expression consciente de la volonté des patients quant à leur fin de vie. Ils traitent du rôle, des responsabilités et des libertés reconnues aux professionnels de santé dans l’accompagnement et la prise en charge de la démarche.

Les articles cinq et six envisagent l’hypothèse de directives anticipées de la part d’un individu. Ils déterminent les conditions de désignation et les missions de la personne de confiance qui, en collaboration avec les équipes et les milieux médicaux, contribue à entériner le choix délibéré de la fin de vie de l’intéressé. Ils fixent les obligations respectives des différents intervenants dans la mise en œuvre de l’aide active à mourir.

L’article sept prévoit la mise en place de commissions (une nationale et plusieurs régionales) chargées d’apprécier le respect des exigences légales prévues par ce texte, tandis que l’article huit conclut à la mort naturelle de l’individu concerné pour les contrats auquel il était partie.

Enfin, les articles neuf et dix visent à entériner la dépénalisation de l’euthanasie dans le droit français, en apportant au code pénal les modifications et les précisions nécessaires.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

L’article L. 1110-2 du code de la santé publique est ainsi rédigé :

« La personne malade a droit au respect de sa liberté et de sa dignité. Elle peut bénéficier, dans les conditions prévues au présent code, d’une aide active à mourir. »

Article 2

L’article L. 1110-9 du code de la santé publique est ainsi rédigé :

« Toute personne malade dont l’état le requiert a le droit d’accéder à des soins palliatifs et à un accompagnement. Toute personne capable, en phase avancée ou terminale d’une affection reconnue grave et incurable ou placée dans un état de dépendance qu’elle estime incompatible avec sa dignité, peut demander à bénéficier, dans les conditions prévues au présent titre, d’une assistance médicalisée pour mourir. »

Article 3

Après l’article L. 1111-10 du code de la santé publique, il est inséré un nouvel article L. 1111-10-1 ainsi rédigé :

« Lorsqu’une personne, en phase avancée d’une affection grave et incurable, ou placée du fait de son état de santé dans un état de dépendance qu’elle estime incompatible avec sa dignité, demande à son médecin traitant le bénéfice d’une aide active à mourir, celui-ci saisit sans délai un confrère indépendant pour s’assurer de la réalité de la situation dans laquelle se trouve la personne concernée.

« Les médecins ont la faculté de faire appel à tout autre membre du corps médical susceptible de les éclairer, dans les conditions définies par voie réglementaire. Ils vérifient le caractère libre, éclairé et réfléchi de la demande présentée, lors d’un entretien au cours duquel ils informent l’intéressé des possibilités qui lui sont offertes par les soins palliatifs et l’accompagnement de fin de vie. Les médecins rendent leurs conclusions sur l’état de l’intéressé dans un délai maximum de huit jours. Lorsque les médecins constatent la situation d’impasse dans laquelle se trouve la personne ainsi que le caractère libre, éclairé, et réfléchi de sa demande, l’individu concerné doit, s’il persiste, confirmer sa volonté en présence de sa personne de confiance.

« Le médecin traitant respecte cette volonté. L’acte d’aide active à mourir pratiqué sous son contrôle ne peut avoir lieu avant l’expiration d’un délai de quinze jours à compter de la date de confirmation de la demande. Toutefois, ce délai peut être abrégé à la demande de l’intéressé si les médecins précités estiment que cela est de nature à préserver la dignité de celui-ci.

« L’intéressé peut à tout moment révoquer sa demande.

« Les conclusions médicales et la confirmation de la demande sont versées au dossier médical. Dans un délai de quatre jours ouvrables à compter du décès, le médecin qui a apporté son concours à l’aide active à mourir, adresse à la commission régionale de contrôle prévue à l’article L. 1111-14 un rapport exposant les conditions du décès. À ce rapport sont annexés les documents qui ont été versés au dossier médical en application du présent article. »

Article 4

Après l’article L. 1111-10-1 du code de la santé publique, il est inséré un nouvel article L. 1111-10-2 ainsi rédigé :

« Les professionnels de santé ne sont pas tenus d’apporter leur concours à la mise en œuvre d’une aide active à mourir. Le refus du médecin de prêter son assistance à une aide active à mourir est notifié sans délai à l’auteur de la demande. Dans ce cas, le médecin est tenu de l’orienter immédiatement vers un autre praticien susceptible de déférer à cette demande. »

Article 5

L’article L. 1111-11 du même code est ainsi rédigé :

« Toute personne majeure peut rédiger des directives anticipées pour le cas où elle se retrouverait dans l’incapacité d’exprimer sa volonté. Ces directives anticipées indiquent les souhaits de la personne relatifs à sa fin de vie. Elles sont révocables à tout moment. À condition qu’elles aient été établies moins de trois ans avant l’état d’inconscience de la personne, le médecin doit en tenir compte pour toute décision la concernant.

« Dans ces directives, la personne indique ses souhaits en matière de limitation ou d’arrêt de traitement. Elle peut également indiquer dans quelles circonstances elle désire bénéficier d’une aide active à mourir telle que régie par le présent code. Elle désigne dans ce document la personne de confiance chargée de la représenter le moment venu.

« Les directives anticipées sont inscrites sur un registre national automatisé tenu par la Commission nationale de contrôle des pratiques en matière d’aide active à mourir. Toutefois, cet enregistrement ne constitue pas une condition de validité du document. Les modalités de gestion du registre et la procédure de communication des directives anticipées à la Commission susvisée ou au médecin traitant qui en fait la demande sont définies par décret en Conseil d’état. »

Article 6

Après l’article L. 1111-13 du même code, il est inséré un nouvel article L. 1111-13-1 ainsi rédigé :

« Lorsqu’une personne, en phase avancée ou terminale d’une affection grave et incurable, se trouve dans l’incapacité d’exprimer une demande libre et éclairée, elle peut néanmoins bénéficier d’une aide active à mourir à la condition que cette volonté résulte de ses directives anticipée établies dans les conditions mentionnées à l’article L. 1111-11. La personne de confiance fait part de la demande au médecin traitant, qui la transmet sans délai à un confrère indépendant. Après avoir consulté l’équipe médicale et les personnes qui assistent au quotidien l’intéressé, et tout autre membre du corps médical susceptible de les éclairer dans les conditions définies par voie réglementaire, les médecins établissent, dans un délai de quinze jours au plus, un rapport déterminant si l’état de la personne concernée justifie qu’il soit mis fin à ses jours.

« Lorsque le rapport conclut à la possibilité d’une aide active à mourir, la personne de confiance doit confirmer sa demande en présence de deux témoins dépourvues d’intérêt matériel ou moral au décès de l’individu concerné. Le médecin traitant respecte cette volonté. L’acte d’aide active à mourir ne peut intervenir avant l’expiration d’un délai de quinze jours à compter de la date de confirmation de la demande. Toutefois ce délai peut être abrégé à la demande de la personne de confiance si les médecins précités estiment que cela est de nature à préserver la dignité de la personne.

« Le rapport mentionné des médecins est versé au dossier médical de l’individu concerné. Dans un délai de quatre jours ouvrables à compter du décès, le médecin qui a apporté son concours à l’aide active à mourir adresse à la commission régionale de contrôle prévue à l’article L. 1111-14 un rapport exposant les conditions dans lesquelles celui -ci s’est déroulé.

« À ce rapport sont annexés les documents qui ont été versés au dossier médical en application du présent article, ainsi que les directives anticipées. »

Article 7

Après l’article L. 1111-13-1 du code de la santé publique, il est inséré un nouvel article L. 1111-14 ainsi rédigé :

« Il est institué auprès du Garde des Sceaux, ministre de la justice, et du ministre chargé de la santé, un organisme dénommé “Commission nationale de contrôle des pratiques en matière d’aide active à mourir”. Il est institué dans chaque région une commission régionale présidée par le préfet de région ou son représentant. Elle est chargée de contrôler, chaque fois qu’elle est rendue destinataire d’un rapport d’aide active à mourir, si les exigences légales ont été respectées.

« Lorsqu’elle estime que ces exigences n’ont pas été respectées ou en cas de doute, elle transmet le dossier à la Commission susvisée qui, après examen, dispose de la faculté de le transmettre au Procureur de la République. Les règles relatives à la composition ainsi qu’à l’organisation et au fonctionnement des commissions susvisées sont définies par décret en Conseil d’État. »

Article 8

L’article L. 1111-15 du même code est ainsi rédigé :

« Est réputé décédée de mort naturelle s’agissant des contrats où elle était partie, la personne dont la mort résulte d’une aide active à mourir mise en œuvre selon les conditions et procédures prescrites par le code de la santé publique. Toute clause contraire est réputée non écrite. »

Article 9

L’article 221-1 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Toutefois, l’aide active à mourir, pratiquée sur la demande de la personne concernée, par un médecin ou sous sa responsabilité, dans les conditions prévues par la loi, n’est pas considérée comme un meurtre. »

Article 10

L’article 221-5 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Toutefois, l’aide active à mourir, pratiquée sur la demande de la personne concernée, par un médecin ou sous sa responsabilité, dans les conditions prévues par la loi, n’est pas considérée comme un empoisonnement. »

Article 11

Les charges éventuelles qui résulteraient pour l’État de l’application de la présente loi sont compensées à due concurrence par la création de taxes additionnelles aux droits prévus par les articles 402 bis, 438 et 520 A du code général des impôts.


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