N° 1958 - Proposition de loi de M. Jean-Marc Ayrault visant à réguler la concentration dans le secteur des médias



N° 1958

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 octobre 2009.

PROPOSITION DE LOI

visant à réguler la concentration dans le secteur des médias,

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Jean-Marc AYRAULT, Patrick BLOCHE, Michel FRANÇAIX, Didier MATHUS, Marcel ROGEMONT, Martine MARTINEL, Christian PAUL et les membres du groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche (1) et apparentés (2),

députés.

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(1)  Ce groupe est composé de Mesdames et Messieurs : Patricia Adam, Sylvie Andrieux, Jean-Marc Ayrault, Jean-Paul Bacquet, Dominique Baert, Jean-Pierre Balligand, Gérard Bapt, Claude Bartolone, Jacques Bascou, Christian Bataille, Delphine Batho, Jean-Louis Bianco, Gisèle Biémouret, Serge Blisko, Patrick Bloche, Daniel Boisserie, Maxime Bono, Jean-Michel Boucheron, Marie-Odile Bouillé, Christophe Bouillon, Monique Boulestin, Pierre Bourguignon, Danielle Bousquet, François Brottes, Alain Cacheux, Jérôme Cahuzac, Jean-Christophe Cambadélis, Thierry Carcenac, Christophe Caresche, Martine Carrillon-Couvreur, Laurent Cathala, Bernard Cazeneuve, Jean-Paul Chanteguet, Alain Claeys, Jean-Michel Clément, Marie-Françoise Clergeau, Gilles Cocquempot, Pierre Cohen, Catherine Coutelle, Pascale Crozon, Frédéric Cuvillier, Claude Darciaux, Pascal Deguilhem, Michèle Delaunay, Guy Delcourt, Michel Delebarre, François Deluga, Bernard Derosier, Michel Destot, Julien Dray, Tony Dreyfus, Jean-Pierre Dufau, William Dumas, Jean-Louis Dumont, Laurence Dumont, Jean-Paul Dupré, Yves Durand, Odette Duriez, Philippe Duron, Olivier Dussopt, Christian Eckert, Henri Emmanuelli, Corinne Erhel, Laurent Fabius, Albert Facon, Martine Faure, Hervé Féron, Aurélie Filippetti, Geneviève Fioraso, Pierre Forgues, Valérie Fourneyron, Michel Françaix, Jean-Claude Fruteau, Jean-Louis Gagnaire, Geneviève Gaillard, Guillaume Garot, Jean Gaubert, Catherine Génisson, Jean-Patrick Gille, Jean Glavany, Daniel Goldberg, Gaëtan Gorce, Pascale Got, Marc Goua, Jean Grellier, Élisabeth Guigou, David Habib, Danièle Hoffman-Rispal, François Hollande, Sandrine Hurel, Monique Iborra, Jean-Louis Idiart, Françoise Imbert, Michel Issindou, Éric Jalton, Serge Janquin, Henri Jibrayel, Régis Juanico, Armand Jung, Marietta Karamanli, Jean-Pierre Kucheida, Conchita Lacuey, Jérôme Lambert, François Lamy, Jack Lang, Colette Langlade, Jean Launay, Jean-Yves Le Bouillonnec, Marylise Lebranchu, Patrick Lebreton, Gilbert Le Bris, Jean-Yves Le Déaut, Michel Lefait, Jean-Marie Le Guen, Annick Le Loch, Patrick Lemasle, Catherine Lemorton, Annick Lepetit, Bruno Le Roux, Jean-Claude Leroy, Bernard Lesterlin, Michel Liebgott, Martine Lignières-Cassou, François Loncle, Victorin Lurel, Jean Mallot, Louis-Joseph Manscour, Jacqueline Maquet, Marie-Lou Marcel, Jean-René Marsac, Philippe Martin, Martine Martinel, Frédérique Massat, Gilbert Mathon, Didier Mathus, Sandrine Mazetier, Michel Ménard, Kléber Mesquida, Jean Michel, Didier Migaud, Arnaud Montebourg, Pierre Moscovici, Pierre-Alain Muet, Philippe Nauche, Henri Nayrou, Alain Néri, Marie-Renée Oget, Françoise Olivier-Coupeau, Michel Pajon, George Pau-Langevin, Christian Paul, Germinal Peiro, Jean-Luc Pérat, Jean-Claude Perez, Marie-Françoise Pérol-Dumont, Philippe Plisson, François Pupponi, Catherine Quéré, Jean-Jack Queyranne, Dominique Raimbourg, Marie-Line Reynaud, Alain Rodet, Bernard Roman, René Rouquet, Alain Rousset, Patrick Roy, Michel Sainte-Marie, Michel Sapin, Odile Saugues, Christophe Sirugue, Pascal Terrasse, Jean-Louis Touraine, Marisol Touraine, Philippe Tourtelier, Jean-Jacques Urvoas, Daniel Vaillant, Jacques Valax, André Vallini, Manuel Valls, Michel Vauzelle, Michel Vergnier, André Vézinhet, Alain Vidalies, Jean-Michel Villaumé, Jean-Claude Viollet et Philippe Vuilque.

(2)  Chantal Berthelot, Guy Chambefort, Gérard Charasse, René Dosière, Paul Giacobbi, Annick Girardin, Joël Giraud, Christian Hutin, Serge Letchimy, Albert Likuvalu, Jeanny Marc, Dominique Orliac, Sylvia Pinel, Martine Pinville, Simon Renucci, Chantal Robin-Rodrigo, Marcel Rogemont et Christiane Taubira.


EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Dans toutes les démocraties, la liberté de la presse et des médias est garantie.

Ce principe, qui trouve notamment son origine dans un décret du Parlement du Royaume de Suède de 1766, est, depuis la fin de la seconde guerre mondiale, reconnu par le droit international public et par le droit européen.

Ainsi, l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948 consacre le droit, pour tout individu, à la liberté d’opinion et d’expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre les informations et les idées par quelque moyen d’expression que ce soit. En 1966, ce droit a été codifié dans le droit international public par le Pacte international des droits civils et politiques.

Au niveau européen, la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 garantit, à son article 10, une large protection de la liberté d’expression, qui s’étend de la liberté d’information, qui englobe le droit de recevoir et de communiquer des informations, jusqu’à la liberté de communication, notamment des médias de masse – autrement dit, le droit européen protège la liberté de la presse, de la radio et de la télédiffusion.

La force de ces principes juridiques tient dans leur caractère contraignant pour les États signataires de la Convention de Rome, soumis à la juridiction de la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg, dont la jurisprudence protège, au nom de la liberté d’informer et de communiquer des médias, tant les modalités de transmission et de retransmission des informations que l’organisation même des entreprises de presse et de radiodiffusion.

En France, ces libertés ont été très récemment clairement réaffirmées dans notre droit constitutionnel. Comme le Conseil d’État l’a observé dans son arrêt d’Assemblée du 3 avril 2009 annulant une décision du Conseil supérieur de l’audiovisuel du 3 octobre 2007 refusant la prise en compte des interventions du président de la République dans les médias afin de faire respecter le pluralisme des expressions politiques à la radio et à la télévision, le pouvoir constituant a « solennellement rappelé l’importance de la liberté de la communication et de l’expression pluraliste des opinions par les dispositions introduites respectivement aux articles 4 et 34 de la Constitution par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 ».

Ainsi, aux termes de la nouvelle rédaction de l’article 34 de la Constitution, désormais, le législateur doit fixer les « règles concernant la liberté, le pluralisme et l’indépendance des médias ».

Or, la situation du marché français des médias exige aujourd’hui une intervention du législateur à ce titre.

En effet, il est connu et établi que, dans notre pays, de nombreuses entreprises éditant des titres de presse d’information politique et générale ou des services de radio ou de télévision à forte audience sont économiquement contrôlées par des groupes dont une part significative des revenus est générée par des contrats avec des organismes publics (État, collectivités locales, établissements ou entreprises publics).

Ces relations économiques entre décideurs publics, quels qu’ils soient, et décideurs privés possédant des intérêts importants à la fois dans des marchés publics, quelle que soit leur nature (au sens du code des marchés publics ou sous d’autres formes de contrats administratifs, telles que délégations de service public ou partenariats public-privé), et dans le secteur des médias, font nécessairement naître des doutes sur le degré réel de liberté et d’indépendance des titres de presse ou des chaînes de radio ou de télévision concernés.

De plus, l’expression d’opinions diverses et contradictoires dans les médias doit être non seulement permise, mais favorisée par l’environnement réglementaire encadrant l’édition de publications de presse et de services de radio ou de télévision. Le Conseil constitutionnel a ainsi estimé, en se prononçant sur la constitutionnalité des dispositions de la loi du 30 septembre 1986 dans sa décision n° 86-217 DC, que « la libre communication des pensées et des opinions [...] ne serait pas effective si le public auquel s’adressent les moyens de communication audiovisuelle n’était pas à même de disposer, aussi bien dans le cadre du service public que dans celui du secteur privé, de programmes qui garantissent l’expression de tendances à caractères différents dans le respect de l’impératif d’honnêteté de l’information ; qu’en définitive, l’objectif à réaliser est que les auditeurs et les téléspectateurs [...] soient à même d’exercer leur libre choix sans que ni les intérêts privés ni les pouvoirs publics puissent y substituer leurs propres décisions, ni qu’on puisse en faire les objets d’un marché ».

De ce point de vue, l’implantation de nouveaux acteurs économiques, spécialisés dans l’édition de services de presse ou audiovisuels et susceptibles de contribuer à la pluralité des contenus éditoriaux et, enjeu primordial à l’heure de la révolution « numérique » de l’information, d’investir dans des technologies de communication innovantes, concourt de manière substantielle à la diversité des sources d’information.

C’est pourquoi il appartient au législateur de fixer des règles anti-concentration de nature à garantir l’effectivité des principes de liberté, de pluralisme et d’indépendance des médias.

Tel est l’objet de la présente proposition de loi, qui vise, tant dans le secteur de la communication audiovisuelle (à son article 1er) que dans celui de la presse (à son article 2), en complétant d’une part les dispositions de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication et d’autre part celles de la loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse, à proscrire la possibilité pour tout acteur privé entretenant des relations économiques significatives avec la puissance publique d’éditer, de manière directe ou indirecte, un service de radio ou de télévision ou un titre de presse d’information politique et générale

Ce dispositif, facilement lisible par l’opinion publique et relativement simple à mettre en œuvre, est le mieux à même de réconcilier les Français avec les journalistes et la presse en faisant disparaître le soupçon de soumission des rédactions aux desiderata d’actionnaires aux intérêts économiques puissants et ouvrant la possibilité à de véritables entreprises de médias d’investir dans le secteur sans être concurrencées par des conglomérats industriels cherchant uniquement à contrôler des vecteurs d’information au service de leur propre communication.

Tels sont les objectifs de la présente proposition de loi qu’il vous est demandé, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter.


PROPOSITION DE LOI

Chapitre Ier

De la régulation de la concentration
dans le secteur de la communication audiovisuelle

Article 1er

Après l’article 41 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, il est inséré un article 41-1 A ainsi rédigé :

« Art. 41-1 A. – Afin de prévenir les atteintes au pluralisme, aucune autorisation relative à un service de radio ou de télévision ne peut être délivrée à une personne appartenant à l’une des catégories suivantes :

« 1° les sociétés, entreprises ou établissements jouissant, sous forme de garanties d’intérêts, de subventions ou, sous forme équivalente, d’avantages assurés par l’État ou par une collectivité publique sauf dans le cas où ces avantages découlent de l’application automatique d’une législation générale ou d’une réglementation générale ;

« 2° les sociétés ou entreprises dont l’activité est significativement assurée par l’exécution de travaux, la prestation de fournitures ou de services pour le compte ou sous le contrôle de l’État, d’une collectivité ou d’un établissement public ou d’une entreprise nationale ou d’un État étranger ;

« 3° les sociétés dont plus d’un pour cent du capital est constitué par des participations de sociétés, entreprises ou établissements visés aux 1° et 2° ci-dessus.

« De même, est interdite, à peine de nullité, l’acquisition, la prise de contrôle ou la prise en location-gérance d’une personne titulaire d’une autorisation relative à un service de radio ou de télévision par les sociétés, entreprises ou établissements visés aux 1°, 2° et 3° ci-dessus.

« La prise de contrôle mentionnée à l’alinéa précédent s’apprécie au regard des critères figurant à l’article L. 233-3 du code de commerce ou s’entend de toute situation dans laquelle une personne physique ou morale ou un groupement de personnes physiques ou morales aurait placé un service de radio ou de télévision sous son autorité ou sa dépendance. »

Chapitre II

De la régulation de la concentration dans le secteur de la presse

Article 2

Après l’article 11 de la loi n° 86-897 du 1er août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse, il est inséré un article 11-1 ainsi rédigé :

« Art. 11-1. – Est interdite, à peine de nullité, l’acquisition, la prise de contrôle ou la prise en location-gérance d’une publication imprimée d’information politique et générale par toute personne appartenant à l’une des catégories suivantes :

« 1° les sociétés, entreprises ou établissements jouissant, sous forme de garanties d’intérêts, de subventions ou, sous forme équivalente, d’avantages assurés par l’État ou par une collectivité publique sauf dans le cas où ces avantages découlent de l’application automatique d’une législation générale ou d’une réglementation générale ;

« 2° les sociétés ou entreprises dont l’activité est significativement assurée par l’exécution de travaux, la prestation de fournitures ou de services pour le compte ou sous le contrôle de l’État, d’une collectivité ou d’un établissement public ou d’une entreprise nationale ou d’un État étranger ;

« 3° les sociétés dont plus d’un pour cent du capital est constitué par des participations de sociétés, entreprises ou établissements visés aux 1° et 2° ci-dessus.

« La prise de contrôle mentionnée à l’alinéa précédent s’apprécie au regard des critères figurant à l’article L. 233-3 du code de commerce ou s’entend de toute situation dans laquelle une personne physique ou morale ou un groupement de personnes physiques ou morales aurait placé une publication sous son autorité ou sa dépendance. »


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