N° 2055 - Proposition de loi de M. Guy Lefrand visant à améliorer l'indemnisation des victimes de dommages corporels à la suite d'un accident de la circulation



N° 2055

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 novembre 2009.

PROPOSITION DE LOI

visant à améliorer l’indemnisation des victimes de dommages corporels
à la suite d’un
accident de la circulation,

(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut
de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Guy LEFRAND, Jean-Pierre DOOR, Jean-Marie BINETRUY, Alfred ALMONT, Michel GRALL, Marc LE FUR, Jean-Claude FLORY, Jean UEBERSCHLAG, Alfred TRASSY-PAILLOGUES, Paul JEANNETEAU, Michel HEINRICH, Didier QUENTIN, André WOJCIECHOWSKI, Michel DIEFENBACHER, Jacques LAMBLIN, Yves ALBARELLO, Patrice CALMÉJANE, Pierre MOREL-A-L’HUISSIER, Jean-Pierre GIRAN, Marc BERNIER, Alain MOYNE-BRESSAND, Michel BOUVARD, Frédéric REISS, Dominique CAILLAUD, François CALVET, Jean-Louis CHRIST, Patrick BALKANY, Charles-Ange GINESY, Jean-Claude MATHIS, Jean-François CHOSSY, Louis GUÉDON, Daniel SPAGNOU, Jean-Philippe MAURER, Marie-Anne MONTCHAMP, Geneviève LEVY, Joëlle CECCALDI-RAYNAUD, Marie-Louise FORT, Isabelle VASSEUR, Marie-Jo ZIMMERMANN, Arlette GROSSKOST et Henriette MARTINEZ,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Par une politique très volontariste conduite par les gouvernements successifs, les pouvoirs publics ont obtenu des résultats très significatifs dans la lutte contre la violence routière.

Ainsi en 2008, pour la septième année consécutive, le nombre de personnes tuées sur la route a sensiblement baissé : au cours de l’année passée, 4 275 personnes ont perdu la vie contre 4 620 en 2007, soit une diminution de 7,5 %.

De même, le nombre de blessés victimes d’un accident de la circulation connaît une diminution sensible puisque l’on passe de plus 200 000 blessés en 1991 à encore près de 97 000 personnes blessées chaque année sur les routes de France, majoritairement des jeunes.

Ces derniers chiffres, dont nous pouvons tous nous féliciter, ne sauraient néanmoins occulter l’existence d’un problème parfois douloureux : celui de l’indemnisation des blessés victimes d’un accident de la circulation.

En effet, si la plupart des victimes ne souffre que de blessures légères, certaines d’entre elles gardent malheureusement de leur accident de sérieuses séquelles qui, dans bien des cas, condamnent tout espoir d’un retour à la vie normale, à la vie d’avant l’accident.

La loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 sur les accidents de la circulation a constitué une grande avancée pour l’indemnisation de ces victimes de la route.

• D’abord, parce qu’elle affirme le principe de la réparation intégrale des préjudices causés aux victimes d’un accident de la circulation.

• Ensuite, parce qu’elle a raccourci les délais de traitement des dossiers d’indemnisation en déléguant cette mission aux assureurs – près de 95 % des dossiers sont réglés dans le cadre de la procédure amiable contre seulement 85 % en 1985.

Les grands principes de cette loi votée il y a vingt-cinq ans méritent d’être réaffirmés. La mise en œuvre de cette loi a cependant fait apparaître un certain nombre de lacunes :

– l’absence d’outils communs d’évaluation du préjudice entre assureurs, juges et victimes qui est à l’origine de disparités importantes (entre les voies amiable et contentieuse, entre les tribunaux civil et administratif et d’une région à l’autre) : de nombreux rapports, et notamment les travaux du groupe de travail conduit par M. Jean-Pierre Dintilhac, ont formulé des propositions dans le respect de deux principes intangibles que sont la réparation intégrale et l’individualisation de la réparation ;

– le manque de respect du principe du contradictoire dans la procédure amiable qui a été largement souligné par le rapport de Mme Yvonne Lambert-Faivre de 2003 resté sans suite à ce jour : de fait, la loi n’a pas mis en place suffisamment de « garde-fous » pour garantir le respect des droits de la victime, à un moment où elle et sa famille se trouvent en situation de grande vulnérabilité ;

– les limites de l’expertise médicale actuelle avec un risque avéré de conflits d’intérêt entre les médecins conseil mandatés par les compagnies d’assurance, les médecins conseil de victimes et les médecins experts auprès des tribunaux, récemment dénoncé par le Médiateur de la République. Une clarification des rôles de chacun paraît nécessaire dans l’intérêt des victimes tant dans la procédure amiable que contentieuse.

Dans ces conditions, la présente proposition de loi vise à compléter les dispositions de la loi « Badinter » de 1985 :

L’article 1er prévoit la création d’une base de données en matière de réparation du dommage corporel recensant les transactions et les décisions judiciaires et administratives.

L’article 2 propose de refondre les différents barèmes médico-légaux actuels en un barème médical unique qui serait publié dans un délai maximum de deux ans.

L’article 3 vise à rendre obligatoire la nomenclature dite Dintilhac recensant les différents chefs de préjudices indemnisables tant lors de la procédure amiable que contentieuse.

L’article 4 vise à prévoir une réactualisation du barème de capitalisation.

L’article 5 renforce les obligations d’information de la victime qui incombent à l’assureur par l’envoi d’une notice d’information sur leurs droits à peine de nullité de la transaction notamment. Il prévoit en outre un envoi systématique à la victime du procès-verbal de police ou de gendarmerie dès réception par l’assureur d’un tel document.

L’article 6 propose de rendre obligatoire une évaluation de la victime dans son environnement habituel dès lors qu’il est procédé à un examen médical. En outre, il rend obligatoire l’assistance de la victime par un médecin conseil en réparation du dommage corporel, si elle refuse d’être examinée par le seul médecin mandaté par l’assureur ou en cas de contestation des conclusions médicales du médecin de l’assureur.

L’article 7 prévoit, dans le souci de garantir aux victimes une totale indépendance des experts médicaux impliqués dans la procédure, qu’un médecin conseil mandaté par une compagnie d’assurance dans le cadre du règlement d’un litige ne peut concomitamment exercer la mission de médecin conseil de la victime tant par voie amiable que contentieuse. Chaque médecin est tenu de déclarer le nom des compagnies d’assurance pour lesquelles il travaille auprès du conseil départemental de l’ordre des médecins.

L’article 8 vise à rendre obligatoire le versement d’une provision par l’assureur dès que les constatations médicales permettent d’envisager que l’état de la victime nécessite un aménagement de son logement ou de son véhicule ou la présence d’une tierce personne.

L’article 9 allonge de 15 à 30 jours le délai de dénonciation de la transaction concluant la procédure amiable. Le délai actuel est considéré comme trop court dans certains cas pour permettre à la victime de prendre la décision appropriée.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

L’article L. 211-23 du code des assurances est ainsi modifié :

« Art. L. 211-23. – Sous le contrôle de l’État, une base de données en matière de dommage corporel est créée. Elle recense toutes les transactions conclues dans le cadre d’une procédure amiable entre les assureurs d’une part et les victimes d’autre part et toutes les décisions judiciaires et administratives ayant trait à un contentieux portant sur l’indemnisation du dommage corporel d’une personne victime d’un accident de la circulation. Elle fournit le détail des indemnités accordées pour chaque chef de préjudice de la nomenclature visée à l’article 31 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985. Les assureurs et les services du ministère de la justice alimentent, chacun dans leur domaine d’activité, cette base de données qui est accessible sur Internet au public. Une publication périodique rend compte de ces indemnités et donne lieu à l’élaboration d’un référentiel national indicatif de certains postes de préjudices corporels. Un décret précise les modalités d’application de ces dispositions. »

Article 2

Des missions types d’expertise médicale et un barème médical unique d’évaluation des atteintes à l’intégrité physique et psychique sont fixés par décret. Ils s’appliquent à tous les dommages résultant d’une atteinte à la personne quelle que soit la nature de l’événement ayant occasionné ceux-ci. Ce décret est publié au plus tard deux ans après la promulgation de la présente loi.

Un décret précise la composition de la commission ad hoc chargée de l’élaboration de ce barème et de ces missions.

Article 3

Le troisième alinéa de l’article 12 de la loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 est ainsi complété :

« Tant dans le cadre d’une transaction que d’une procédure contentieuse, les dommages pour lesquels la victime peut prétendre à indemnisation sont déterminés suivant une nomenclature non limitative des postes de préjudice en matière de dommage corporel. Un décret pris en Conseil d’État fixe cette nomenclature des chefs de préjudices. »

Article 4

La loi n° 85-677 du 5 juillet 1985 est ainsi modifiée :

1° L’intitulé de la section 5 du chapitre III est remplacé par l’intitulé suivant : « Du calcul des préjudices futurs et de la conversion en capital des rentes indemnitaires » ;

2° À l’article 44 de la section 5 du chapitre III :

a) Il est inséré au début de l’article deux alinéas ainsi rédigés :

« Les préjudices futurs de victimes d’accident, quel que soit leur mode de liquidation, ainsi que les prestations futures à la charge des tiers payeurs mentionnées à l’article 29 sont calculées, conventionnellement comme judiciairement, suivant une table de conversion fixée par décret.

« Ce barème de capitalisation est basé sur un taux d’intérêt officiel défini par décret et actualisé chaque année civile et les dernières évaluations statistiques de l’espérance de vie publiées par l’Institut national des statistiques et des études économiques pour les trois dernières années. »

b) Au troisième alinéa nouveau, les mots : « une table de conversion fixée par décret » sont remplacés par les mots : « cette même table de conversion ».

Article 5

L’article L. 211-10 du code des assurances est ainsi modifié :

« Art. L. 211-10. – À l’occasion de sa première correspondance avec la victime, l’assureur est tenu, à peine de nullité de la transaction qui pourrait intervenir :

« – de lui adresser une notice d’information sur ses droits établie selon le modèle-type défini par décret ;

« – de lui rappeler qu’elle peut à son libre choix se faire assister d’un avocat et, en cas d’examen médical, d’un médecin.

« Sous la même sanction, cette correspondance porte à la connaissance de la victime les dispositions du troisième alinéa de l’article L. 211-9 et celles de l’article L. 211-12.

« L’assureur transmet à la victime une copie du procès-verbal d’enquête de police ou de gendarmerie dès qu’il en obtient la communication. »

Article 6

Il est inséré un article L. 211-10-1 dans le code des assurances ainsi rédigé :

« Art. L. 211-10-1. – L’examen médical réalisé par le médecin conseil de l’assureur prend en considération l’environnement habituel de la victime. Dès que les constatations médicales permettent d’envisager la présence d’une tierce personne à titre viager, la victime peut obtenir à sa demande un bilan situationnel.

« En cas de refus par la victime d’être examinée par le seul médecin mandaté par l’assureur ou en cas de contestation des conclusions médicales du médecin mandaté par l’assureur, ce dernier propose systématiquement à la victime un examen médical contradictoire.

« Dans ce cas, et sauf si elle manifeste par écrit son souhait contraire, la victime est assistée d’un médecin conseil en réparation du dommage corporel de son choix, dans les limites fixées par l’article L. 211-10-3.

« Le médecin conseil de la victime rend un avis sur les conclusions de l’examen médical réalisé par le médecin conseil de l’assureur. L’offre d’indemnité proposée par l’assureur comporte en annexe le rapport d’examen médical réalisé par le médecin mandaté par l’assureur et, le cas échéant, l’avis du médecin conseil de la victime.

« Les frais engagés à l’occasion de cet examen médical contradictoire sont avancés par la victime et sont pris en compte dans l’évaluation du dommage. »

Article 7

I. – Il est inséré un article L. 211-10-2 dans le code des assurances ainsi rédigé :

« Art. L. 211-10-2. – Dans le cadre des procédures amiables ou contentieuses tendant à la réparation de dommages corporels à la suite d’un accident de la circulation, un médecin exerçant une activité de conseil en matière de réparation du dommage corporel ne peut assister la victime dès lors que l’assureur en charge du règlement du litige fait habituellement appel à ses services.

« Un médecin exerçant des missions de conseil auprès de compagnies d’assurance est tenu de déclarer au Conseil départemental de l’Ordre des médecins où il est inscrit le nom des compagnies d'assurances auxquelles il prête habituellement le concours. Ces informations peuvent être consultées par le public sur simple demande. »

II. – Les professionnels de santé concernés disposent d’un délai de deux ans à compter de la promulgation de la présente loi pour se mettre en conformité avec les dispositions prévues à l’article L. 211-10-2.

Article 8

À la fin du troisième alinéa de l’article L. 211-9 du code des assurances, il est inséré une phrase ainsi rédigée :

« Dans le cadre de la procédure amiable, dès que les constatations médicales permettent d’envisager que l’état de la victime nécessite un aménagement de son logement ou de son véhicule ou la présence d’une tierce personne, la victime obtient de droit, dans le mois qui suit sa demande, une provision de l’assureur. »

Article 9

Dans le premier alinéa de l’article L. 211-16 du code des assurances, il est substitué au nombre : « quinze » le nombre : « trente ».

Article 10

Les charges qui pourraient résulter pour l’État de l’application de la présente loi sont compensées à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.


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