N° 2486 - Proposition de loi de M. Michel Herbillon relative à l'équipement numérique des établissements de spectacles cinématographiques



N° 2486

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 29 avril 2010.

PROPOSITION DE LOI

relative à l’équipement numérique
des établissements de spectacles cinématographiques,

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Michel HERBILLON, Michèle TABAROT, Christian MÉNARD, Jacques GROSPERRIN, Lionnel LUCA, Éric STRAUMANN, Sébastien HUYGHE, Philippe GOUJON, Claude BODIN, Michel DIEFENBACHER, Dominique LE MÈNER, Jean-Claude FLORY, Jean-Sébastien VIALATTE, Christian KERT, Bernard PERRUT, Dominique DORD, Jean-Marie SERMIER, Joëlle CECCALDI-RAYNAUD, Jean-Claude GUIBAL, Françoise de PANAFIEU et Jacqueline IRLES,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le déploiement des technologies numériques dans le champ de l’exploitation cinématographique, et plus particulièrement la technologie de projection numérique qui est amenée à se substituer rapidement à la projection sur support pellicule, soulève plusieurs questions d’ordre économique et culturel pour l’avenir du parc de salles en France et les conditions de diffusion des films dans l’intérêt général.

L’équipement d’une salle de cinéma en projecteur numérique permet le passage de la copie photochimique, coûteuse à produire et à transporter, au fichier numérique, aisément réplicable et transportable. La diffusion sur support numérique des films en salles engendre ainsi une économie importante des frais de distribution, les coûts de fabrication et de transmission des fichiers numériques des films étant très inférieurs aux coûts de fabrication et de transport de copies photochimiques. Par contre, la diffusion numérique requiert un investissement significatif des exploitants de salles de cinéma, en rendant nécessaire l’achat d’équipements nouveaux et coûteux (projecteurs et serveurs) ainsi que la réalisation de travaux architecturaux pour adapter les cabines de projections (agrandissement, perçage de hublots, climatisation). En 2009, ces coûts étaient de l’ordre de 80 000 euros en moyenne par écran.

Ce paradoxe – investissements supportés par les exploitants et gains, pour l’essentiel, captés par les distributeurs – a conduit, depuis 2007, à des montages contractuels, pour l’essentiel intermédiés, permettant de transférer partiellement aux exploitants, pour leur permettre de financer l’investissement nécessaire à l’équipement numérique des salles, les gains obtenus par les distributeurs grâce à la distribution numérique.

Cette contribution des distributeurs, appelée communément VPF (« Virtual Print Fee » : frais de copie virtuelle) ou « contribution numérique » peut être versée soit directement par le distributeur à l’exploitant, soit par l’intermédiaire d’un tiers investisseur, qui propose une solution de financement à l’exploitant et prend à sa charge la collecte des contributions des distributeurs.

La participation au financement de l’équipement de l’exploitant par le tiers est ainsi fonction du montant des contributions numériques des distributeurs que le tiers investisseur estime pouvoir réunir. Selon les différents modèles économiques qui se sont mis en place, cette contribution numérique des distributeurs est due pour chaque placement d’un film en numérique dans l’établissement de spectacles cinématographiques équipé en numérique, au moins lors de la première semaine d’exploitation des films, mais aussi parfois sur les semaines cinématographiques suivantes.

Ce principe a pour conséquence que plus un exploitant programme de films nouveaux, plus il génère de contributions des distributeurs, qui viennent rembourser une partie de ses investissements. Ce système est donc particulièrement adapté pour les salles qui ont accès aux films dès la sortie nationale (exclusivité) ou qui programment un grand nombre de films nouveaux différents (complexes de plus de 3 ou 4 écrans).

En revanche les salles dites « de continuation » qui exploitent les films plusieurs semaines après leur sortie, ou les établissements pourvus de peu d’écrans, ne sont pas susceptibles de générer beaucoup de contributions numériques et ne peuvent pas assurer un remboursement suffisant de leurs investissements dans le matériel numérique.

Or ces salles doivent aussi s’équiper en numérique sous peine de ne plus avoir accès rapidement aux films, dont la distribution en copie photochimique devrait s’éteindre progressivement, ou de ne plus avoir le choix de leur programmation à cause des supports techniques disponibles des films.

Un premier objectif de cette proposition de loi est donc de permettre à l’ensemble du parc de salles françaises de pouvoir s’équiper en numérique, afin de maintenir le maillage dense du territoire en salles de cinéma, et également de permettre aux salles de continuer à offrir un choix large et diversifié de films, dans l’intérêt du public. Il s’agit de préserver l’aménagement culturel du territoire.

Un second objectif de cette proposition de loi est de garantir la diversité de l’offre cinématographique, tant pour l’accès des films aux salles, que l’accès des salles aux films. Il s’agit, d’une part, de maintenir la liberté de programmation des exploitants, et, d’autre part, la maîtrise par les distributeurs de leurs plans de diffusion des films, alors que le système de financement pourrait favoriser le placement de copies numériques au détriment des autres films pendant la période de transition et entraîner une accélération de la rotation des films préjudiciable à leur bonne exposition.

Il importe donc de pouvoir s’assurer que la programmation, l’exposition ou la circulation d’un film n’a pas été entravée ou favorisée par des conditions imposées par les modèles financiers ou les contrats qui définissent les conditions de versement de la contribution des distributeurs. Dès lors, la négociation portant sur le montant de la contribution numérique doit être clairement distinguée de la négociation sur les conditions de location et d’exposition d’un film, afin de garantir la neutralité de cette évolution technologique dans la programmation et la circulation des films.

Les présentes dispositions législatives insèrent, dans l’article 1er, une nouvelle section dans le chapitre III du titre Ier du livre II du code du cinéma et de l’image animée, relative à l’équipement numérique des établissements de spectacles cinématographiques.

L’article L. 213-16 pose, dans son I, le principe d’une contribution obligatoire des distributeurs dès lors qu’ils livrent leurs films sous forme de fichier numérique dans un établissement.

Ce principe est essentiel pour s’assurer que la redistribution d’une partie des économies réalisées par les distributeurs constitue bien le socle du financement de la transition vers le numérique des équipements des exploitants. Le versement de la contribution est obligatoire pour le premier placement du film de long métrage inédit en numérique dans un établissement, lors des deux premières semaines après la sortie du film. Afin de ne pas entraver la circulation des films, cette contribution n’est pas due lorsque l’œuvre est mise à disposition dans le cadre dit d’une continuation, c'est-à-dire correspondant, pour le support argentique, à un déplacement de copie, puisqu’alors le distributeur ne réalise pas de nouvelle économie.

En outre, dans un objectif d’équité entre les programmes, la diffusion en salles, au moyen de fichiers numériques, d’évènements sportifs ou culturels donne également lieu à contribution au financement de l’équipement.

Ensuite, le II du même article précise que la contribution n’est plus requise une fois la couverture du coût de la transition numérique assurée, en tenant compte des autres sources de financement. En tout état de cause, elle n’est plus due au plus tard dix ans après l’installation de l’équipement.

Dans cette perspective, les contrats relatifs au versement de la contribution ainsi que les contrats relatifs au financement des équipements conclus entre exploitants et intermédiaires doivent prévoir les conditions dans lesquelles les distributeurs peuvent être informés du coût restant à couvrir des équipements.

L’article L. 213-17 pose le principe que le montant de la contribution est négocié entre les parties à des conditions équitables, transparentes et objectives.

Il importe en effet que la contribution des distributeurs réponde à des critères objectivables de besoin de financement de l’exploitant et d’économie réalisée par le distributeur sur des bases objectives et transparentes et ne soient pas fonction du potentiel commercial du film ou de la salle, qui font par ailleurs l’objet d’une négociation commerciale sur les conditions de location du film. L’objectif est ainsi de garantir que le versement ou l’absence de contribution, ainsi que son niveau, ne puissent entraîner un avantage ou désavantage concurrentiel dans l’accès des salles aux films et dans l’accès des films aux salles.

Dans cette optique, il est précisé que le montant de la contribution devra rester inférieur à la différence entre le coût de distribution de l’œuvre cinématographique sur support photochimique et le coût de distribution de l’œuvre cinématographique sous forme de fichier numérique.

L’article L. 213-18 prévoit que le médiateur du cinéma peut être saisi en cas de litige concernant le principe même ou le montant de la contribution prévue dans le cas de la mise à disposition d’œuvres cinématographiques. Dans le cadre de cette saisine, il pourra obtenir des parties au litige communication de tout document utile, notamment de nature contractuelle.

L’article L. 213-19 prévoit qu’afin de préserver la diversité de l’offre cinématographique, les clauses contractuelles qui feraient dépendre les choix de distribution ou de programmation, ou encore le taux de location, du versement d’une contribution ou du calcul du montant du financement pour l’équipement numérique, sont nulles de plein droit.

Il s’agit ainsi, objectif fondamental, de préserver la maîtrise par les exploitants de leur offre de films et par les distributeurs de leur plan de sortie.

L’article L. 213-20 dispose que le président du Centre national du cinéma et de l’image animée réunit un comité de concertation professionnelle, composé de représentants des organisations professionnelles représentatives des distributeurs et des exploitants, qui puisse édicter des recommandations de bonne pratique afin d’assurer, dans ce nouveau cadre de la projection numérique, la plus large diffusion des films conforme à l’intérêt général, et dès lors de préserver la diversité offerte au public en termes d’œuvres et de salles.

Des dispositions transitoires sont prévues à l’article 2 : compte tenu des objectifs d’intérêt général poursuivis et dans un souci d’égalité de traitement, les dispositions introduites à l’article L. 213-19 valent également pour tous les contrats qui ont été conclus avant l’entrée en vigueur de la loi

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Après la section 3 du chapitre III du titre Ier du livre II du code du cinéma et de l’image animée, il est inséré une section 4 ainsi rédigée :

« Section 4

« Équipement numérique des établissements
de spectacles cinématographiques

« Art. L. 213-16. – I. – Sont tenus de contribuer, soit directement, soit par un intermédiaire, au financement des investissements nécessaires à l’installation initiale des équipements de projection numérique dans la ou les salles des établissements de spectacles cinématographiques :

« 1° Les distributeurs qui, dans le cadre du contrat de concession des droits de représentation cinématographique mentionné à l’article L. 213-14, mettent à disposition de l’exploitant de l’établissement concerné, sous forme de fichier numérique, des œuvres cinématographiques de longue durée inédites en salles. Cette contribution est due lors des deux premières semaines suivant la date de sortie nationale de l’œuvre cinématographique, telle que définie par les usages professionnels, pour la première mise à disposition de l’œuvre dans l’établissement. Toutefois, la contribution n’est pas due lorsque les œuvres cinématographiques sont mises à disposition pour une exploitation en continuation, telle que définie par les usages professionnels ;

« 2° Les personnes qui, dans le cadre de contrats de représentation, mettent à disposition de l’exploitant de l’établissement concerné, sous forme de fichier ou de données numériques, des œuvres ou documents audiovisuels consistant dans la retransmission, en direct ou en différé, de spectacles vivants ou de manifestations sportives. Cette contribution est due au titre de chaque retransmission.

« II. – La contribution prévue au I n’est plus requise une fois assurée la couverture du coût des équipements de la ou des salles de l’établissement de spectacles cinématographiques concerné, compte tenu des autres financements et au plus tard dix ans après l’équipement de l’établissement.

« Les contrats relatifs au montant et aux conditions de versement de la contribution prévue au 1° du I ainsi que les contrats relatifs au financement des équipements de projection numérique conclus entre les exploitants d’établissements de spectacles cinématographiques et les intermédiaires mentionnés au I prévoient les conditions dans lesquelles les exploitants rendent compte, directement ou indirectement, aux distributeurs du coût des équipements restant à couvrir.

« Art. L. 213-17. – Le montant de la contribution prévue à l’article L. 213-16 est négocié entre les parties à des conditions équitables, transparentes et objectives, afin notamment qu’il reste inférieur à la différence entre le coût de la mise à disposition d’une œuvre sur support photochimique et celui de la mise à disposition d’une œuvre sous forme de fichier numérique.

« Art. L. 213-18. – En cas de litige concernant l’application du 1° du I de l’article L. 213-16 et de l’article L. 213-17, le médiateur du cinéma peut être saisi sur le fondement de l’article L. 213-1.

« Il requiert des parties au litige communication de tout renseignement ou document qu’il estime utile, notamment des contrats mentionnés au II de l’article L. 213-16.

« Art. L. 213-19. – Est réputée non écrite toute clause contractuelle de nature à rendre dépendants des conditions de fixation, de versement de la contribution ou de financement des équipements de projection numérique, soit les choix de distribution ou de programmation en salles des œuvres cinématographiques, soit la détermination du taux de la participation proportionnelle prévue aux articles L. 213-9 à L. 213-11.

« Art. L. 213-20. – Le président du Centre national du cinéma et de l’image animée réunit un comité de concertation professionnelle chargé d’élaborer des recommandations de bonne pratique permettant d’assurer, dans le cadre de la projection numérique, la plus large diffusion des œuvres cinématographiques conforme à l’intérêt général ainsi que la diversité des œuvres cinématographiques et des établissements de spectacles cinématographiques.

« Ce comité est composé de représentants des organisations professionnelles représentatives d’exploitants d’établissements de spectacles cinématographiques ainsi que de représentants des organisations professionnelles représentatives de distributeurs d’œuvres cinématographiques.

« Sa composition et son organisation sont précisées par décision du président du Centre national du cinéma et de l’image animée. »

Article 2

Les dispositions de l’article L. 213-19 du code du cinéma et de l’image animée s’appliquent aux contrats conclus avant l’entrée en vigueur de la présente loi.


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