N° 2543 - Proposition de loi de Mme Martine Billard visant à abroger le délit d'offense au Président de la République



N° 2543

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 20 mai 2010.

PROPOSITION DE LOI

visant à abroger le délit d’offense
au Président de la République,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Martine BILLARD, Marie-Hélène AMIABLE, François ASENSI, Alain BOCQUET, Jean-Pierre BRARD, Marie-George BUFFET, Jean-Jacques CANDELIER, André CHASSAIGNE, Jacques DESALLANGRE, Marc DOLEZ, Jacqueline FRAYSSE, André GERIN, Pierre GOSNAT, Maxime GREMETZ, Jean-Paul LECOQ, Roland MUZEAU, Daniel PAUL, Jean-Claude SANDRIER et Michel VAXÈS,

député-e-s.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La présente proposition de loi composée d’un article unique vise à abroger l’article 26 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse prévoyant un délit d’offense au Président de la République, puni d’une amende de 45 000 euros et qui s’apparente à une survivance incongrue du crime de lèse-majesté de l’ancien régime, abrogé du code pénal en 1830. Or, l’article 26 de la loi sur la liberté de la presse connaît un regain d’application sous l’actuelle présidence de Nicolas Sarkozy, alors que les trois Présidents de la République prédécesseurs, Valéry Giscard d’Estaing, François Mitterrand et Jacques Chirac n’y avaient jamais eu recours, garantissant ainsi la liberté d’expression politique à leur endroit. Auparavant, le Président Georges Pompidou n’y eut recours qu’une fois. Le caractère fluctuant de l’application pénale de ce délit illustre à la fois son ambiguïté et son caractère arbitraire et disproportionné.

Initialement puni de trois mois à un an d’emprisonnement ou de 300 à 300 000 francs d’amende, le délit d’offense au Président de la République a vu ses pénalités diminuer. Les peines planchers ont été supprimées par la loi du 16 décembre 1992, puis la loi du 15 juin 2000 a supprimé la peine de prison. Il n’en demeure pas moins la peine d’amende, convertie en euros par l’ordonnance du 19 septembre 2000.

La jurisprudence issue des nombreuses poursuites engagées sur la base de l’article 26 de la loi du 29 juillet 1881 sous la présidence de Charles De Gaulle permet de définir le délit d’offense au Président de la République de façon constante comme « toute expression offensante ou de mépris, toute imputation diffamatoire qui, à l’occasion tant de l’exercice de la première magistrature de l’État que de la vie privée du Président de la République antérieure à son élection, sont de nature à l’atteindre dans son honneur ou dans sa dignité. ».

Ainsi énoncée, l’offense peut se trouver constituée par des écrits ou des paroles dès lors qu’ils sont publics, mais également par un dessin ou un photomontage. Des membres d’un syndicat étudiant l’ont appris au cours de l’année 2009 alors qu’ils avaient été inquiétés pour une affiche représentant un photomontage du Président Sarkozy. Les mobiles du délit étant indifférents, une condamnation peut être prononcée à raison d’une controverse politique, voire d’une simple critique historique. Ainsi, un concitoyen a été condamné à trente euros d’amende avec sursis pour avoir brandi lors de la visite du président Sarkozy dans son département de la Mayenne, une pancarte sur laquelle étaient inscrites des paroles prononcées par le même Président Sarkozy en personne lors de la sa visite au salon de l’agriculture en février 2008 et devenues célèbres : « casse-toi pov’con ». Ce droit d’insulte asymétrique dans les propos publics entre le Président de la République et ses concitoyens illustre le caractère exorbitant de ce délit d’offense.

Le délit d’offense au Président de la République apparaît ainsi clairement comme une atteinte à la liberté d’expression et d’opinion politique. En effet, s’il a été instauré sous la IIIe République (et utilisé six fois), les règles institutionnelles d’alors faisaient du Président de la République une fonction arbitrale non élue au suffrage universel direct, au-dessus des débats politiques partisans. Tel n’est plus le cas du Président de la République de la Ve  République, en particulier depuis son élection au suffrage universel direct introduite en 1962, et notamment avec l’usage partial, partisan et particulièrement désacralisé qui est fait de cette fonction par le Président Nicolas Sarkozy. Le Président de la République est plus que jamais sur le devant de la scène publique, voire même omniprésent dans la sphère médiatique et n’est aucunement au-dessus de la mêlée politique. Si l’invocation du délit d’offense au Président de la République sous la présidence de Charles De Gaulle pouvait encore s’expliquer par le climat tendu lié à la guerre d’Algérie et aux menaces proférées par celles et ceux qui refusaient de reconnaître le processus d’indépendance de l’Algérie, aujourd’hui, l’invocation de ce grief par Nicolas Sarkozy – ou le pouvoir d’État en son nom – n’est pas de mise dans une démocratie.

La France a déjà dû abroger le délit d’offense à chef d’État étranger à l’occasion de la loi n° 2004-204 du 9 mars 2004 portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité (dite « loi Perben II »), suite à sa condamnation le 25 juin 2002 par la Cour européenne des droits de l’homme (« affaire Colombani et autres contre France »), selon un raisonnement pouvant exactement s’appliquer au délit d’offense au Président de la République. La 17e Chambre correctionnelle de Paris avait déjà déclaré ce délit contraire à l’article 10 de la Convention européenne des droits de l’homme défendant le droit à la liberté d’expression, constatant par conséquent sa désuétude, et déboutant les chefs d’État Idriss Déby, Denis Sassou Nguesso et Omar Bongo, à l’occasion de la sortie du livre Noir silence. Qui arrêtera la Françafrique ? de François-Xavier Verschave (2000). Quant à la Cour européenne des droits de l’homme, elle a clairement déclaré dans son jugement du 25 juin 2002 rendu à l’unanimité que le délit d’offense tend à porter atteinte à la liberté d’expression et ne répond à aucun « besoin social impérieux » susceptible de justifier cette restriction : le régime dérogatoire du délit d’offense à chef d’État est attentatoire à la liberté d’expression.

Afin de conformer la législation de notre pays avec les exigences démocratiques et ses engagements internationaux supérieurs, il est donc proposé d’en finir avec ce délit d’offense au Président de la République.

Tel est le contenu de la proposition de loi qu’il vous est demandé, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter

PROPOSITION DE LOI

Article unique

L’article 26 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse est abrogé.


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