N° 2955 - Proposition de loi de M. Rémi Delatte relative à la règlementation des sonneries des cloches à usage civil



N° 2955

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 novembre 2010.

PROPOSITION DE LOI

relative à la réglementation
des sonneries des cloches à usage civil,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Madame et Messieurs

Rémi DELATTE, Claude BODIN, Loïc BOUVARD, Jean-Pierre DECOOL, Daniel FASQUELLE, Sauveur GANDOLFI-SCHEIT, Claude GATIGNOL, Jacques GROSPERRIN, François GROSDIDIER, Jacques LAMBLIN, Laure de LA RAUDIÈRE, Guy LEFRAND, Céleste LETT, Jean-Claude MATHIS, Alain MOYNE-BRESSAND, Daniel POULOU, Jean-Pierre SCHOSTECK, Jean-Marie SERMIER, Fernand SIRÉ, Daniel SPAGNOU, Patrice VERCHÈRE et André WOJCIECHOWSKI,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Les sonneries des cloches dans les villes et villages de France sont, dans l’état actuel de la loi, sujettes à de nombreux conflits de voisinage. La justice y est souvent saisie, et celle-ci condamne régulièrement les maires à arrêter ces sonneries, amplifiant l’importance du contentieux de manière disproportionnée. Il convient donc, dans la mesure du possible, de modifier la loi afin de limiter ces « guerres de clocher ».

I) État du droit.

L’article 27 de la loi du 9 décembre 1905 relative à la séparation des églises et de l’État indique que « les sonneries des cloches seront réglées par arrêté municipal ». Le décret d’application du 16 mars 1906 qui en découle précise : « Les cloches des édifices servant à l’exercice public du culte peuvent être employées aux sonneries civiles dans les cas de péril commun qui exigent un prompt secours. Si elles sont placées dans un édifice appartenant à l’État, au département ou à la commune ou attribué à l’association cultuelle en vertu des articles 4, 8 et 9 de la loi du 9 décembre 1905, elles peuvent, en outre, être utilisées dans les circonstances où cet emploi est prescrit par les dispositions des lois ou règlements, ou autorisé par les usages locaux. » Actuellement, aucune disposition des lois ou règlements ne vient prescrire l’emploi des cloches à usage civil.

Le code général des collectivités territoriales vient quant à lui établir parmi les prérogatives du maire « le soin de réprimer les atteintes à la tranquillité publique » (art. L. 2212-2), mais l’utilisation des cloches pour un usage civil n’y est pas mentionné. Ces bruits de voisinage dont il est question sont définis en tant que tel par les articles R. 1334-30 à R. 1334-37 du code de la santé publique.

II) Des décisions de tribunaux administratifs hétérogènes.

La jurisprudence est venue préciser la loi au travers de plusieurs décisions en faveur des maires.

D’abord par un arrêt du Conseil d’État du 11 mai 1994 (Larcena) qui rappelle que le maire a autorité sur le maintien de la sonnerie des cloches « dès lors que cette pratique correspond à un usage local auquel les habitants de la commune sont attachés et malgré une interruption pendant plusieurs années ».

Ensuite, au travers de la décision de la cour administrative de Douai (arrêt commune Férin c/ époux Duavrant ; 26 mai 2005), qui a jugé que « si la pratique des sonneries civiles avait cessé lorsque les époux X ont acquis leur maison en 1997, ladite pratique a été rétablie, conformément au souhait d’une grande partie des habitants et avec l’accord du comité paroissial de Férin, au cours de l’année 2000 après réparation du mécanisme de fonctionnement de l’horloge installée dans le clocher de l’église »

À l’inverse, plusieurs décisions ont donné gain de cause aux plaignants. Les principaux motifs furent la difficulté des communes à prouver l’existence d’un « usage local » (Cour Administrative d’Appel de Lyon, le 25 mars 2010), et le rappel au code général des collectivités territoriales en terme de maintien de l’ordre public (Cour Administrative d’Appel de Nancy, le 24 septembre 2009).

III) Une difficile application de la loi

En l’état actuel, la loi semble poser deux problèmes majeurs.

Le premier est l’emploi du terme « usage local » à l’article 51 du décret du 16 mars 1906. Cette formule vague n’exprime pas à elle seule si, pour justifier l’emploi des cloches par décision du maire, il doit y avoir antériorité, tradition culturelle, ou encore approbation de la population dans l’usage civil de la sonnerie. De ce manque de clarté découle une difficulté pour les maires à savoir s’ils sont dans leur bon droit ou non.

Le seconde vient de l’inadéquation entre deux prérogatives du maire : celle de réglementation de la sonnerie des cloches et celle de maintien de la tranquillité publique. Les règles en matière de lutte contre les bruits de voisinage, édictées par le code de la santé publique, présentent des exceptions (infrastructures de transport, réseaux de distribution d’énergie...) dont les sonneries de cloches ne font pas partie. Le pouvoir du maire sur la sonnerie des cloches de sa commune est donc restreint par des motifs sanitaires univoques.

Ce sont par ces deux points que les maires limitent ou se voient limiter leurs attributions. Il est pourtant regrettable que la sonnerie des cloches civiles ne puissent rythmer la vie quotidienne. Les habitants de nombreuses communes, et principalement des petits villages ruraux, sont attachés à l’image d’authenticité que ces sonneries apportent à leur cadre de vie. Elles ont un effet rassembleur indéniable, et maintiennent une forme de cohésion entre les habitants.

D’autre part, il est assez étonnant qu’au sein de notre République laïque les sonneries des cloches pour motifs religieux (mariage, angélus...) soient autorisées, alors que, lorsqu’il s’agit d’un usage civil, les pouvoirs décisionnels du représentant de l’État qu’incarne le maire soient limités.

Enfin, inscrire dans la loi, et de manière claire, les prérogatives du maire en la matière n’est pas une forme d’autoritarisme. Le maire étant élu par ses concitoyens, les heures de sonnerie des cloches deviendront par la suite un enjeu politique, notamment lors des élections, et les décisions prises seront donc en plus grande conformité avec la volonté de la majorité des habitants.

IV) Explication des articles (articles 1er et 2)

L’article 1er inscrit dans le code général des collectivités territoriales le principe de la seule compétence du maire pour les sonneries civiles. Y est ajouté, dans un souci de probité, le contrôle du conseil municipal sur les décisions du maire. Enfin, conformément à la loi du 9 décembre 1905 et à son décret d’application, le desservant local du culte est consulté lorsque les cloches en question font partie d’un édifice cultuel.

L’article 2 indique que les définitions scientifiques des bruits de voisinage telles qu’elles sont inscrites dans le code de la santé publique ne s’appliquent pas aux sonneries des cloches. En revanche, une réglementation spécifique et moins contraignante sera mise en place par décret. Cela afin d’éviter tout abus, comme par exemple l’emploi de sonneries nocturnes.

V) Le cas de la Moselle, du Haut Rhin et du Bas Rhin (articles 3, 4 et 5)

Les trois départements de l’Alsace et de la Moselle ne sont pas soumis à la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des églises et de l’État, mais à celle du 18 germinal de l’an X relative à l’organisation des cultes. Ainsi, sur cette partie du territoire, l’évêque et le préfet ont autorité sur les heures de sonnerie. Cette situation particulière, qui correspond difficilement aux réalités actuelles, amène à des conflits sur le sujet plus important que partout ailleurs, le préfet pouvant par exemple imposer une réglementation particulière à l’ensemble du département.

Dans un souci de cohérence, et parce que ces départements sont sans doute ceux qui nécessitent le plus un remaniement de la loi, les articles 3, 4 et 5 leur proposent les mêmes modifications qu’à l’ensemble du territoire.

L’article 3 remplace l’autorité du préfet par celle du maire, et celle de l’évêque par celle du desservant local du culte.

Les articles 4 et 5 sont la transcription des articles 1er et 2 dans la partie du code général des collectivités territoriales qui s’adresse à ces trois départements.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Après l’article L. 2122-21-1 du code général des collectivités territoriales, il est inséré un article L. 2122-21-2 ainsi rédigé :

« Art. 2122-21-2. – Il appartient au maire, sous le contrôle du conseil municipal, de déterminer l’horaire des sonneries des horloges apposées sur les bâtiments publics ou sur les édifices cultuels de la commune, après avis du desservant local du culte lorsqu’il s’agit d’un édifice cultuel. »

Article 2

Après l’article L. 2122-21-2 du code général des collectivités territoriales, il est inséré un article L. 2122-21-3 ainsi rédigé :

« Art. L. 2122-21-3. – Les dispositions des articles R. 1334-30 à R. 1334-37 du code de la santé publique relatifs aux bruits de voisinage ne s’appliquent pas aux sonneries de cloches ou de carillons des bâtiments publics ou des édifices cultuels de la commune. Les définitions de l’atteinte à la tranquillité du voisinage dont peuvent relever ces sonneries sont caractérisées dans des conditions fixées par décret, au travers de dispositions moins contraignantes qui permettent l’application des pouvoirs du maire mentionnés à l’article L. 2122-21-2 du code général des collectivités territoriales. »

Article 3

La première phrase de l’article organique 48 de la loi relative à l’organisation des cultes du 18 germinal, an X, est remplacée par deux phrases ainsi rédigées :

« Les sonneries des cloches sont réglées par arrêté municipal, et, en cas de désaccord entre le maire et le président ou directeur de l’association cultuelle, par arrêté préfectoral. »

Article 4

Après l’article L. 2542-3 du code général des collectivités territoriales, il est inséré un article L. 2542-3-1 ainsi rédigé :

« Art. 2542-3-1. – Il appartient au maire, sous le contrôle du conseil municipal, de déterminer l’horaire des sonneries des horloges apposées sur les bâtiments publics ou sur les édifices cultuels de la commune, après avis du desservant local du culte lorsqu’il s’agit d’un édifice cultuel. »

Article 5

Après l’article L. 2542-3-1 du code général des collectivités territoriales, il est inséré un article L. 2542-3-2 ainsi rédigé :

« Art. L. 2542-3-2. – Les dispositions des articles R. 1334-30 à R. 1334-37 du code de la santé publique relatifs aux bruits de voisinage ne s’appliquent pas aux sonneries de cloches ou de carillons des bâtiments publics ou des édifices cultuels de la commune. Les définitions de l’atteinte à la tranquillité du voisinage dont peuvent relever ces sonneries sont caractérisées dans des conditions fixées par décret, au travers de dispositions moins contraignantes qui permettent l’application des pouvoirs du maire mentionnés à l’article L. 2542-3-1 du code général des collectivités territoriales. »


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