N° 3198 - Proposition de loi de M. Jean Dionis du Séjour visant à renforcer durablement la compétitivité de l'agriculture française



N° 3198

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 2 mars 2011.

PROPOSITION DE LOI

visant à renforcer durablement la compétitivité
de l’
agriculture française,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Jean DIONIS du SÉJOUR, Charles de COURSON, François SAUVADET, Jean-Pierre ABELIN, Christian BLANC, Pascal BRINDEAU, Hervé de CHARETTE, Stéphane DEMILLY, Raymond DURAND, Francis HILLMEYER, Michel HUNAULT, Olivier JARDÉ, Yvan LACHAUD, Jean-Christophe LAGARDE, Claude LETEURTRE, Hervé MORIN, Nicolas PERRUCHOT, Jean-Luc PRÉEL, François ROCHEBLOINE, Rudy SALLES, André SANTINI, Francis VERCAMER, Philippe VIGIER, Thierry BENOIT et Philippe FOLLIOT.

Michel DIEFENBACHER, Brigitte BARÈGES, Franck REYNIER, Jean-Paul ANCIAUX, Philippe Armand MARTIN, Antoine HERTH, Jean-François CHOSSY, François LOOS, Jean AUCLAIR, Alain JOYANDET, Yves ALBARELLO, Olivier DASSAULT, Alain SUGUENOT, Robert LECOU, Patrice MARTIN-LALANDE, Jean-Luc REITZER, Yannick FAVENNEC, Christian VANNESTE, Franck GILARD, Louis COSYNS, Jean-Yves COUSIN, Dominique DORD, Marguerite LAMOUR, Dino CINIERI, Jean-Marc LEFRANC, Jean-Claude BOUCHET, Daniel MACH, André FLAJOLET, Lionnel LUCA, Jean-Pierre GRAND, Patrick LABAUNE, Michel GRALL, Alain MARC, Alfred TRASSY-PAILLOGUES, François CALVET, Marie-Hélène THORAVAL, Paul DURIEU, Étienne PINTE, Louis GUÉDON, Nicolas DUPONT-AIGNAN, Philippe BOËNNEC, Didier JULIA, Alfred ALMONT, Christian MÉNARD, Christophe GUILLOTEAU, Dominique LE MÈNER, Jean-Marie BINETRUY, Jérôme BIGNON, Loïc BOUVARD, Pierre MOREL-A-L’HUISSIER, Alain FERRY, Rémi DELATTE, Bernard CARAYON, Marcel BONNOT, Michel HEINRICH, Jean-Pierre DECOOL, Daniel FIDELIN, Jean-Louis LÉONARD, Vincent DESCOEUR, Jean-Pierre SOISSON, Jacques LAMBLIN, Nicole AMELINE, Véronique BESSE, Jean-Marie MORISSET, Henriette MARTINEZ, Dominique SOUCHET, Jean-Michel FERRAND, Georges COLOMBIER et Yves BUR,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le coût élevé du travail agricole en France représente un handicap insoutenable pour la compétitivité de l’agriculture française au regard du coût très inférieur chez nos voisins européens.

On constate, en effet, une grande disparité du coût du travail agricole dans les différents États producteurs de l’Union européenne, qui favorise injustement les productions allemandes, espagnoles, italiennes ou polonaises au détriment des productions françaises. Ainsi, l’agriculture française connaît une érosion significative de ses parts de marché et une baisse continue de sa production comme des surfaces cultivées, en particulier dans les filières les plus intensives en main d’oeuvre (fruits et légumes en particulier).

Menacés d’asphyxie par cette distorsion de concurrence de la part de nos voisins européens, des pans entiers de notre secteur agricole s’effondrent et pourraient disparaître à court terme. Ce délitement de l’agriculture française aurait des conséquences économiques et sociales désastreuses en termes d’emploi, d’aménagement et de revitalisation des territoires ruraux, d’autonomie et de sécurité alimentaire, de balance commerciale, dans la mesure où le secteur agricole représente 3,5 % de la population active, 4,5 % du PIB et occupe 53,3 % du territoire français.

Le soutien de l’État français au secteur agricole par la mise en oeuvre d’initiatives fortes pour atténuer cette distorsion de concurrence et renforcer ainsi la compétitivité de l’agriculture française s’avère donc indispensable. Concernant les travailleurs occasionnels, le gouvernement a déjà entrepris d’« offrir à l’agriculture française les moyens de se battre à armes égales en Europe », en mettant en œuvre, à la suite du discours du Président de la République à Poligny le 27 octobre 2009, l’exonération quasi-totale de leurs cotisations sociales patronales. Cette mesure était nécessaire, mais elle est nettement insuffisante au regard des enjeux, et pourrait induire par ailleurs une précarisation du salariat agricole.

La présente proposition de loi vise donc à amorcer un transfert du financement de la protection sociale agricole d’une assiette contributive pesant sur le coût du travail à une assiette fiscale basée sur la consommation. L’extension à l’ensemble des travailleurs salariés du secteur agricole du dispositif mis en place pour les travailleurs occasionnels réduirait mécaniquement l’injustice à laquelle sont confrontés nos agriculteurs, participerait à une reconquête de marchés et ferait bénéficier les salariés agricoles d’une sécurisation de leur protection sociale.

Le coût de cette mesure, évalué à environ 1 milliard d’euros, serait compensé par la création d’une « contribution pour la compétitivité durable de l’agriculture », inspirée de la « taxe poissons » introduite dans la loi de finances rectificative pour 2008. Elle serait ainsi assise sur la vente au détail, en grande et moyenne surface, de produits agro-alimentaires issus de l’agriculture et de l’élevage, et serait acquittée par les distributeurs. Le taux de cette taxe devrait avoisiner 1 %. Caractérisée par une assiette très large et un taux très faible, elle présente le double avantage d’assurer un financement pérenne et légitime au dispositif d’exonération et ferait participer les importations au financement de la protection sociale des salariés agricoles en France.

L’adoption de cette proposition de loi pourrait constituer la première étape d’une réforme globale du financement de la protection sociale agricole, dont le deuxième volet reposerait sur un allègement des cotisations des exploitants, financé par la création d’un taux de TVA intermédiaire sur les produits agroalimentaires.

Si le financement de la protection sociale par le travail est un poison pour toute l’économie française, il s’avère un poison mortel à court terme pour notre agriculture.

*

I. Le diagnostic : le coût élevé du travail agricole en france est insoutenable et menace à court terme notre agriculture

1) Les distorsions de concurrence intra-européennes en termes de coût du travail agricole et leurs conséquences sur la production française

Le fardeau que fait peser le coût élevé du travail agricole sur la compétitivité de l’agriculture française est un constat établi de longue date. Le député Jacques Le Guen, chargé en 2005 par le gouvernement d’examiner l’impact de la concurrence sur l’emploi agricole dans l’Union Européenne (1), a ainsi observé d’importantes distorsions de concurrence entre États européens en matière de coût du travail agricole.

Il a démontré leur impact négatif sur la compétitivité de l’agriculture française. Les professionnels des différentes filières agricoles ont également, depuis de nombreuses années, attiré l’attention de pouvoirs publics sur ce préjudice.

Ces distorsions de concurrence sont fondées sur une grande diversité des réglementations relatives au travail agricole dans les différents États européens.

En premier lieu, les principaux concurrents de l’agriculture française ont conservé une durée hebdomadaire légale du temps de travail supérieure aux 35 heures françaises. Par ailleurs, les réglementations relatives aux minima salariaux et /ou les dispositifs mis en place pour diminuer le coût du travail contribuent à d’importants écarts de coût de la main-d’œuvre :

– En Espagne, la compétitivité du secteur agricole est favorisée par un salaire minimal très inférieur au SMIC français (633 euros bruts en 2010, contre 1343 euros en France). Par ailleurs, la part des cotisations sociales payées par l’employeur s’élève à 22 %, et est calculée sur une base forfaitaire de 25 euros par jour pour les salariés agricoles temporaires.

– En Italie, où il n’existe pas de salaire minimal fixé par l’État, les minima salariaux font l’objet de négociations par branche entre les partenaires sociaux, et s’avèrent globalement inférieurs au SMIC français dans le secteur agricole. En revanche, la part des cotisations sociales acquittées par l’employeur reste élevée (environ 35 % du salaire brut).

– Aux Pays-Bas, des abattements sur le salaire minimum légal (à peu près équivalent au SMIC français) ont été mis en place pour les salariés de moins de 22 ans, qui constituent près d’un quart de la main-d’œuvre permanente ou temporaire du secteur agricole.

– En Allemagne, la situation est d’autant plus exacerbée car les employeurs agricoles ne sont pas contraints de se conformer aux minima conventionnels et s’acquittent de cotisations patronales équivalant à environ 20 % du salaire brut. Les emplois de salariés qui travaillent moins de 50 jours par an sont totalement exonérés de cotisations sociales. Par ailleurs, les exploitations allemandes ont bénéficié depuis les accords germano-polonais de 1990 d’une réglementation spécifique leur permettant de recourir massivement à la main d’oeuvre à bas coût originaire d’Europe de l’Est. Les Polonais représentent ainsi 30 à 40 % de la main-d’œuvre agricole des exploitations allemandes. La mise en oeuvre de la libre circulation de travailleurs dans l’Europe à 27 d’ici 2014 pourrait éventuellement rendre caducs ces dispositifs.

Le tableau ci-dessous récapitule la diversité des réglementations relatives au travail agricole dans les principaux pays producteurs de l’Union Européenne.

 

Durée hebdomadaire du travail

Salaire minimum légal ou conventionnel = horaire brut dans le secteur agricole
(en euros) (2)

Cotisations patronales de base rapportées au salaire brut, hors exonérations

Principaux dispositifs d’exonération nationaux applicables au secteur agricole

France

35

8,27 euros / heure

41,55 %

Allègement Fillon sur les bas salaires

Contrats vendanges

Exonération de cotisations patronales pour les travailleurs occasionnels

Espagne

40

3,2 euros / heure

21,25  %

Régime de cotisations spécifiques
à l’agriculture

Italie

39

Minima conventionnels par branche

35,10 %

 

Allemagne

40

De 4,46 euros / heure à 6,39 euros / heure selon les États

23,00 %

Exonération totale de cotisations patronales pour les saisonniers

Facilités d’emploi de travailleurs étrangers

Pays-Bas

38

8,13 euros / heure

18,34 %

Abattements sur le salaire minimum légal pour les moins de 22 ans

Roumanie

40

0,66 euro / heure

28,00 %

 

Pologne

40

1,66 euro / heure

19,89 %

 

La position de la France, championne des États européens pour le coût de la main d’œuvre agricole, s’avère ravageuse pour toutes les filières agricoles françaises, et en particulier pour les plus intensives en main-d’œuvre, telle la filière des fruits et légumes.

On constate ainsi une tendance de fond à la baisse structurelle de nombreuses productions fruitières et légumières (3) comme l’illustrent plusieurs exemples dans les tableaux et graphiques suivants :

On observe ainsi une tendance à la baisse structurelle de nombreuses productions fruitières et légumières comme l’illustrent les tableaux et graphiques suivants :

Production de fraises (en tonnes)

Production en tonnes

1990

2008

Évolution 1990-2008

France

87000

43541

-50,00 %

Allemagne

73973

150854

50,00 %

Pologne

241284

200723

-14,00 %

Production de pommes (en tonnes)

Production en tonnes

1990

2008

Évolution 1990-2008

France

2326000

1940200

-10,00 %

Italie

2050070

2208227

7,70 %

Pologne

812340

2830870

248,00 %

Production de tomates (en tonnes)

Production en tonnes

1990

2008

Évolution 1990-2008

France

838220

714635

-14,00 %

Espagne

3160300

3922500

24,00 %

Italie

5469068

5976912

9,20 %

En 20 ans, la compétition entre la France et l’Allemagne tourne clairement à l’avantage de l’Allemagne, quand bien même la France bénéficie d’avantages comparatifs non négligeables (surface agricole utile, climat, etc.) et a connu une hausse avérée des gains de productivité sur les autres facteurs que le travail.

Le différentiel de coût du travail est donc objectivement un facteur d’explication de cette tendance.

Le tableau suivant montre le net décrochage des productions de fruits et légumes françaises par rapport aux productions allemandes :

 

France

Allemagne

 

Surface en 1997

Surface en 2007

Évolution sur 10 ans

Surface en 1996

Surface en 2006

Évolution sur 10 ans

Asperges

9700

5525

-43,00 %

13324

21815

64,00 %

Laitue

12900

12308

-4,50 %

8611

11747

36,00 %

Carottes

16600

13191

-20,00 %

8045

10043

25,00 %

Oignons

9600

7873

-18,00 %

6906

9893

43,00 %

Fraises

4500

3086

-31,50 %

8528

14100

65,00 %

Courgettes

3217

2875

-10,00 %

420

930

120,00 %

2) Le constat sans équivoque sur la gravité de la situation actuelle de l’agriculture française nécessite une réponse urgente

La menace que fait peser le coût élevé du travail agricole sur la soutenabilité de la production appelle ainsi un soutien urgent de l’État français pour renforcer la compétitivité du secteur agricole.

Quand bien même une harmonisation des salaires et des cotisations sociales est souhaitable à l’échelle européenne, elle n’est pas d’actualité à court ou moyen terme, dans la mesure où la protection sociale et la réglementation relative au travail n’entrent pas à l’heure actuelle dans le champ de compétences de l’Union Européenne.

De plus, les écarts en coûts salariaux dans l’Union Européenne sont tels que tout mécanisme de convergence salariale serait excessivement complexe à mettre en oeuvre. Les nouveaux membres de l’Union Européenne sont évidemment très loin de renoncer à l’un de leurs rares avantages comparatifs en matière de compétitivité agricole.

Ainsi, le coût élevé du travail agricole en France va constituer un handicap de plus en plus insoutenable pour notre agriculture, à mesure que les nouveaux États-membres d’Europe centrale et orientale, tels la Pologne et la Roumanie, développent leur production agricole et émergent comme des concurrents de premier plan de l’agriculture française.

Ensuite, les perspectives peu réjouissantes pour nos agriculteurs de la réforme de la PAC, en 2014, rend plus urgente encore la mise en oeuvre d’initiatives fortes en faveur du renforcement de la compétitivité de la production agricole française.

La réduction significative des aides accordées aux agriculteurs français, concentrées à l’heure actuelle sur certaines filières (grandes cultures, élevage), provoquera une baisse substantielle des revenus des agriculteurs concernés (dont les aides PAC représentent en moyenne 25 % du résultat, et jusqu’à 50 % pour certaines filières), et fragilisera davantage des exploitations agricoles déjà affaiblies.

Les terres cultivées, réparties en 527 350 exploitations, représentent plus de la moitié du territoire métropolitain (près de 32 millions d’hectares). Le secteur agricole compte pour environ 3,5 % de la population active, avec 1 200.000 d’actifs, dont près de 200 000 salariés permanents.

La disparition de pans entiers de notre agriculture aurait des conséquences économiques et sociales désastreuses en termes d’emplois, d’aménagement et de dynamisme des territoires, de balance commerciale, d’autonomie et de sécurité alimentaire et plus globalement de souveraineté nationale.

Le Président de la République et le Gouvernement ont pris la mesure du désavantage que représente le coût élevé du travail agricole pour la compétitivité de l’agriculture française, et ont entrepris de résorber l’injustice pour les salariés occasionnels.

Le Président de la République avait en effet annoncé à Poligny, le 27 octobre 2009, l’exonération quasi totale des cotisations sociales patronales pour les emplois saisonniers, adoptée dans le cadre du dernier projet de loi de finances rectificative pour 2010.

Cette exonération représente un coût d’environ 170 millions d’euros pour le budget de l’État et a pour conséquence une baisse significative du coût du travail temporaire, approximativement de 11,29 euros à 9,29 euros de l’heure.

Cette décision louable n’en reste pas moins nettement insuffisante au regard des enjeux de la compétitivité de l’agriculture française. Elle a par ailleurs comme effet collatéral un risque de précarisation du travail agricole, dans la mesure où les exploitants agricoles sont désormais incités à recourir davantage au travail occasionnel et à des contrats de travail précaires.

Une réduction plus significative du préjudice du coût élevé du travail agricole en France est donc clairement indispensable. N’oublions jamais que notre agriculture constitue un enjeu stratégique majeur pour l’ensemble de la société et de l’économie française.

Cette situation appelle donc une initiative structurelle urgente pour un renforcement global, légitime et durable de la compétitivité de notre agriculture et de la protection sociale de nos agriculteurs.

II. L’exonération de cotisations constitue une solution équitable, simple et efficace à court terme pour répondre aux enjeux contemporains de l’agriculture française

1) L’extension du dispositif pour les travailleurs saisonniers à la totalité des salariés agricoles

La proposition de loi a pour objet d’étendre aux salariés permanents de la production agricole le dispositif d’exonération de cotisations sociales patronales mis en place pour les travailleurs occasionnels par la dernière loi de finances rectificative pour 2010, afin de diminuer le coût du travail agricole et de renforcer la compétitivité de notre agriculture.

Elle s’inscrit ainsi dans la continuité directe du discours de Poligny du Président de la République.

L’exonération de cotisations concernerait toutes les filières agricoles. En effet, il est impossible, du fait de la polyculture pratiquée par de très nombreux exploitants, d’isoler l’emploi permanent par filière. En outre, la concentration des exonérations sur une filière en particulier risquerait de constituer une entorse aux réglementations européennes.

Cette exonération serait limitée en revanche au secteur de la production, le plus exposé aux distorsions de concurrence européenne, et exclurait ainsi le secteur agro-alimentaire ou le tertiaire agricole.

Cette exonération présente le double avantage, d’une part, de réduire immédiatement une partie du handicap compétitif que représente le coût global élevé du travail agricole en France, et d’autre part, d’être une première étape vers l’harmonisation de ce même coût global du travail à l’intérieur de l’Union européenne.

Elle se substituerait aux différentes mesures d’allègement ou d’exonération partielle dont bénéficient certains segments de l’emploi agricole, telles l’allègement Fillon sur les bas salaires ou l’exonération sur les embauches par les groupements d’employeurs et simplifierait considérablement le droit social en consolidant toutes les différentes mesures.

Les modalités de mise en œuvre de l’exonération seraient calquées sur le dispositif retenu pour les travailleurs occasionnels :

– dégressivité de l’exonération selon le niveau de rémunération (totale jusqu’à 2,5 SMIC, dégressive de 2,5 à 3 SMIC et nulle au delà de 3 SMIC)) ;

– prise en charge de certaines cotisations conventionnelles par la MSA, cotisations au titre de la formation professionnelle et de la retraite complémentaire, cotisations à l’Association pour la gestion du fonds de financement (AGFF), pour l’Association nationale pour l’emploi et la formation en agriculture (ANEFA), pour l’Association pour le financement de la négociation collective en agriculture (AFNCA), pour le conseil des études, recherches et prospectives pour la gestion prévisionnelle des emplois en agriculture (PROVEA) et cotisations dues au titre du fonctionnement du service de santé et sécurité au travail (SST);

– exonération des cotisations légales de sécurité sociale (assurances sociales agricoles : maladie, maternité, invalidité, vieillesse, décès, allocations familiales et accidents du travail).

2) La création d’une « contribution pour la compétitivité durable de l’agriculture » acquittée par la grande et moyenne distribution pour assurer un financement légitime

Cette extension du dispositif d’exonération représenterait un coût important pour les comptes sociaux agricoles, de l’ordre d’un milliard d’euros (4), qu’il est exclu de financer par le budget de l’État sans proposer de compensation, compte tenu de la nécessité de maîtriser l’endettement public.

Pour financer légitimement cette mesure, nous proposons la création d’une taxe appelée « contribution pour la compétitivité durable de l’agriculture » d’un taux avoisinant 1 % sur la consommation de produits agroalimentaires, similaire à la « contribution pour une pêche durable », dite « taxe poissons », adoptée dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2008.

Compte tenu de l’asymétrie des rapports de force entre la grande et moyenne distribution et nos agriculteurs, il est à la fois pertinent et légitime de prévoir une assiette fiscale de la taxe liée à l’agriculture. D’abord pour garantir la conformité aux normes européennes en vigueur (5), et surtout pour mettre à contribution les distributeurs et faire ainsi participer l’aval de la filière agricole et agro-alimentaire (les distributeurs) au soutien de l’amont de la filière (les producteurs).

La contribution proposée reprend donc globalement les modalités de mise en oeuvre de la « taxe poissons ». Elle serait assise sur les ventes au détail de produits alimentaires à base de produits de l’agriculture et de l’élevage, et serait due par les distributeurs en position de force lors des négociations, c’est à dire ceux qui réalisent un chiffre d’affaires supérieur à 766 000 euros par an.

La contribution proposée a l’avantage de présenter une assiette très large et un taux réduit, et ne s’applique qu’aux distributeurs en mesure de supporter une très légère réduction de leurs marges.

Ensuite, le dispositif proposé participe donc d’un mouvement de modification de l’assiette du financement de notre protection sociale, et ainsi est précurseur de l’évolution que l’économie française va nécessairement devoir connaître.

En effet, une réforme globale du financement de la protection sociale par un transfert des prélèvements sur le travail vers des assiettes fiscales différentes est à terme inévitable pour faire face à la concurrence, comme l’a notamment montré les deux rapports de la Commission Attali.

Le refus du gouvernement d’ouvrir le débat sur l’instauration d’une TVA sociale en 2007 et 2010 montre toutefois qu’elle reste improbable à court terme. Il est donc nécessaire de parer à l’urgence de la situation de l’agriculture française en proposant une application sectorielle.

En effet, malgré les gains de productivité avérés réalisés par nos agriculteurs, ils ne pourront pas lutter à armes égales avec leurs concurrents tant qu’ils seront pénalisés par ce handicap structurel.

Cette mesure pourrait donc constituer la première étape d’un ambitieux projet de renforcement global de la compétitivité de l’agriculture française. À moyen terme, il conviendrait ainsi de réfléchir aux modalités d’une réforme globale du financement de la protection sociale agricole, qui pourrait inclure les cotisations exploitants dans le champ des exonérations et être financée par la création d’un taux intermédiaire de TVA sur les produits agroalimentaires à taux réduit.

Si le financement de la protection sociale par le travail est un poison pour toute l’économie française, il s’avère un poison mortel à court terme pour notre agriculture.

III. Étude d’impact du dispositif : les deux doubles effets vertueux sur la concurrence et la croissance

1) Les répercussions de la mesure sur les canaux de distribution

La contribution pour la compétitivité durable de l’agriculture serait assise sur les ventes au détail, en grande et moyenne surface, de produits agro-alimentaires à base de produits de l’agriculture et de l’élevage (eaux minérales/boissons non alcoolisées et pêche exclues).

D’après les comptes de l’INSEE, la consommation de ces produits représente près de 154 milliards d’euros en 2009, dont 65 % dans les grandes et moyennes surfaces d’alimentation générale concernées par cette contribution.

Son assiette serait ainsi proche de 100 milliards d’euros, ce qui implique que son taux, qui serait précisé par décret en fonction des simulations établies par les organismes compétents, devrait avoisiner 1 % pour compenser l’extension du dispositif d’exonération.

Les entreprises de la grande et moyenne distribution touchées par cette contribution vont la répercuter de trois façons différentes :

– en exerçant une pression à la baisse sur les prix d’achat des produits agro-alimentaires, ce qui pourrait impacter indirectement les prix de vente de produits agricoles ;

– en diminuant les marges importantes qu’elles réalisent sur la vente de produits agricoles, notamment dans les bassins de vie où la concurrence entre les différents groupes de la distribution (et la concurrence avec les circuits courts) est effective et vertueuse sur les prix (cf. études DGCCRF – UFC) ;

– en augmentant les prix de vente des produits agro-alimentaires inclus dans l’assiette de la taxe.

On peut raisonnablement penser que le recours à ces trois canaux sera équilibré. Cela limitera l’impact de la contribution sur une baisse éventuelle des revenus des agriculteurs.

Mais cette contribution favorisera surtout une saine concurrence sur les produits agricoles car elle aura également un effet vertueux sur le développement des autres canaux de distribution et notamment des circuits courts (marchés, AMAP, à la ferme, vente à distance, etc.) dont les prix seront relativement moins chers puisqu’ils sont exclus de l’assiette de la taxe.

En effet, mécaniquement plus compétitifs, les circuits courts seront favorisés, ce qui renforcera la concurrence sur l’achat de produits agricoles et par conséquent limitera la grande et moyenne distribution à la fois sur les possibilités de marges indues (vente) mais également sur le rapport de force asymétrique qu’elles entretiennent avec les agriculteurs (achat).

Pour répondre à « une demande croissante des consommateurs à la recherche de produits authentiques, de saisonnalité, de proximité et de lien social » (Michel Barnier), tout en permettant aux agriculteurs une meilleure rémunération et une meilleure valorisation de leur production, les conclusions d’un groupe de travail mis en place dans le prolongement des Assises de l’Agriculture et du Grenelle de l’environnement avaient montré l’importance du développement des circuits courts.

Ainsi, sans pouvoir s’appuyer sur des simulations précises et incontestables, il est rationnel d’estimer que l’effet inflationniste de cette mesure sur le prix de vente des produits agro-alimentaires par le secteur de la grande et moyenne distribution se situera entre 0,3 % et 0,5 %.

2) Une baisse infime du pouvoir d’achat en France et le rééquilibrage de la balance commerciale de la France

Nous savons que la part de l’alimentation (eaux minérales et boissons non alcoolisées inclues) dans le budget moyen des ménages en France avoisine 11 % et que 65 % des produits agroalimentaires sont vendus dans la grande et moyenne distribution.

Si nous considérons, dans une hypothèse haute, la plus pessimiste en termes de hausse des prix, une inflation de 0,5 % des produits agro-alimentaires, l’impact moyen sur le pouvoir d’achat des ménages en France sera alors proche de 0,035 % (et même inférieur puisque les eaux minérales et boissons non alcoolisées ne sont pas comprises dans l’assiette de la taxe mais inclues dans le budget moyen alimentaire des ménages).

À titre de comparaison, les dépenses médias et multimédias représentent 8,4 % du revenu moyen des ménages français et connaissent une inflation sans commune mesure depuis plus de 10 ans.

Ainsi, ce chiffre d’une inflation maximum de 0,035 % du coût de la vie nous paraît raisonnable car imperceptible, et à mettre en perspective des effets vertueux de la mise en oeuvre de cette mesure structurelle pour notre agriculture.

Les externalités positives importantes pour l’ensemble de la France sont en effet stratégiques : emploi, aménagement et dynamisme des territoires ruraux, sécurisation de la protection sociale des salariés agricoles, concurrence saine et équitable, balance commerciale et autonomie et sécurité alimentaire.

L’extension du dispositif d’exonération de cotisations sociales patronales à la totalité des emplois salariés agricoles va d’abord contribuer à une baisse significative du coût du travail et donc du coût de production des produits agricoles français.

À titre de comparaison, la mise en place du dispositif TO/DE (travailleurs occasionnels) a permis de diminuer le coût horaire du travail saisonnier de près de 25 %.

La suppression quasi-totale des exonérations de cotisations sociales patronales dégagerait ainsi d’importants revenus complémentaires pour les exploitations agricoles employant des salariés, que l’on peut évaluer en moyenne à près de 5000 euros par an et par salarié.

Elle se traduira par des arbitrages économiques divers, suivant la filière et la santé financière des exploitations concernées : baisse des prix des produits agricoles, hausse des investissements, revalorisation des salaires travailleurs agricoles et/ou augmentation de l’offre de travail.

Elle contribuerait dans tous les cas à renforcer la compétitivité et la rentabilité de la production agricole française et à diminuer le désavantage de départ que doivent surmonter nos agriculteurs.

En outre, l’inclusion des produits agro-alimentaires importés (qui représentent près de 40 milliards d’euros en 2009) dans l’assiette de la taxe contribuerait directement à renforcer doublement la compétitivité relative des productions françaises.

En effet, elles sont à l’heure actuelle pénalisées par l’impact des prélèvements sociaux sur les coûts de production et les prix à la vente. La création de cette contribution comportera donc le double avantage de réduire les distorsions de concurrence entre les pays européens sur le coût du travail et de faire participer au financement de la protection sociale agricole en France les productions importées.


PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Le code rural et de la pêche maritime est ainsi modifié :

1° L’article L. 741-16 est ainsi modifié :

a) Les deux premiers alinéas du I sont ainsi rédigés :

« I. – Les employeurs relevant du régime de protection sociale agricole sont exonérés de cotisations patronales dues au titre des assurances sociales pour les travailleurs salariés qu’ils emploient à des tâches liées au cycle de la production animale et végétale, aux travaux forestiers et aux activités de transformation, de conditionnement et de commercialisation des produits agricoles lorsque ces activités, accomplies sous l’autorité d’une exploitant agricole, constituent le prolongement direct de l’acte de production.

« Cette exonération s’applique à tous les travailleurs agricoles définis au premier alinéa du I, quel que soit le type de contrat conclu entre l’employeur et le salarié. »

b) Le III est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les travailleurs occasionnels agricoles sont des salariés dont le contrat de travail relève du 3° de l’article L. 1242-2 du code du travail ou de l’article L. 1242-3 du code du travail pour des tâches temporaires liées aux activités définies au I.

c) Au premier alinéa du VI, les mots : « , notamment la durée maximale d’exonération par année civile » sont supprimés et le deuxième alinéa du VI est supprimé.

2° Au premier alinéa du II de l’article L. 741-16-1, les mots : « et le barème dégressif prévus » sont remplacés par le mot : « prévues ».

Article 2

Après l’article 302 bis KI du code général des impôts, il est inséré un chapitre VII decies ainsi rédigé :

« Chapitre VII decies

« Contribution pour la compétitivité durable de l’agriculture »

« Art. 302 bis KJ. – Les ventes en France métropolitaine à des personnes autres que des personnes assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée agissant en tant que telles, de produits alimentaires à base de produits de l’agriculture et de l’élevage sont soumises à une taxe.

« La taxe ne s’applique pas aux produits de la mer et aux eaux minérales et boissons rafraîchissantes.

« Le taux de la taxe est fixé par décret, dans la limite de 1,2  % du montant hors taxe des ventes des produits visés au premier alinéa.

« La taxe est due par les personnes dont le chiffre d’affaires de l’année précédente a excédé le premier des seuils mentionnés au 1 de l’article 302 septies A.

« Le fait générateur et l’exigibilité de la taxe interviennent dans les mêmes conditions que celles applicables en matière de taxe sur la valeur ajoutée. La taxe est constatée, liquidée, recouvrée et contrôlée selon les mêmes procédures et sous les mêmes sanctions, garanties, sûretés et privilèges. Les réclamations sont présentées, instruites et jugées selon les règles applicables à cette même taxe.

« Le produit de la taxe est affecté aux caisses de mutualité sociale agricole mentionnées à l’article L. 741-1 du code rural et de la pêche maritime. »

Article 3

L’article 1er s’applique aux cotisations dues au titre des rémunérations versées à compter du 1er janvier de l’année suivant la promulgation de la présente loi.

Article 4

L’article 2 s’applique aux ventes réalisées à compter du 1er janvier de l’année suivant la promulgation de la présente loi.

Article 5

La perte de recettes pour les organismes de sécurité sociale résultant de l’article 1er est compensée par la création de la taxe mentionnée à l’article 2.

1 () Jacques Le Guen, « L’impact de la concurrence sur l’emploi dans le secteur agricole – Étude comparée au niveau européen », La Documentation Française – 2005.

2 () Au 1er juillet 2007. Source : Agri-info.eu

3 () Source : statistiques FAO.

4 () Chiffrage MSA 2009.

5 () Cf. condamnation par la Commission européenne de la taxe sur les services fournis par les opérateurs de communications électroniques.


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