N° 3867 - Proposition de résolution européenne de M. Jean-Pierre Brard relative à la mise en place d'un Fonds européen de développement social, solidaire et écologique



N° 3867

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 octobre 2011.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENE

relative à la mise en place d’un Fonds européen
de développement social, solidaire et écologique,

(Renvoyée à la commission des affaires européennes.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Jean-Pierre BRARD, Jean-Claude SANDRIER, Roland MUZEAU, Marc DOLEZ, André CHASSAIGNE, Marie-Hélène AMIABLE, François ASENSI, Martine BILLARD, Alain BOCQUET, Patrick BRAOUEZEC, Marie-George BUFFET, Jean-Jacques CANDELIER, Jacques DESALLANGRE, Jacqueline FRAYSSE, André GERIN, Pierre GOSNAT, Jean-Paul LECOQ, Daniel PAUL et Michel VAXÈS,

député-e-s.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Après un an de débat, le Parlement européen a adopté, le 28 septembre dernier, le paquet législatif de six textes sur la « gouvernance économique » de l’Union européenne. Ces textes, qui forment le cœur du « Pacte pour l’euro », renforcent le pacte de stabilité, imposant aux États-membres le maintien de leur déficit en dessous de 3 % du PIB et leur dette publique en dessous de 60 % du PIB. Ils prévoient la surveillance et l’évaluation des budgets nationaux en amont par la Commission européenne qui aura le pouvoir de contrôler l’application de ses recommandations et d’imposer des sanctions.

Les gouvernements devront dorénavant se conformer strictement au paradigme de l’austérité : réduire les dépenses publiques et les allocations sociales, comprimer les salaires et les pensions, diminuer le secteur public et procéder à de nouvelles privatisations…

Ces nouvelles dispositions ne constituent pas seulement une attaque intolérable contre les principes démocratiques les plus élémentaires, puisqu’elles vont priver les peuples et les parlements de l’exercice de leur souveraineté, mais représentent une nouvelle étape dans la soumission des politiques économiques aux exigences irrationnelles des marchés financiers. Elles encouragent les gouvernements de l’Union européenne à poursuivre dans la voie de la rigueur budgétaire et salariale, au risque d’entraîner l’ensemble des pays de la zone euro dans une spirale de récession accompagnée d’une montée du chômage de masse et d’un recul considérable des droits sociaux.

Depuis le début de 2010, le climat économique est dominé, nous le savons, par l’inquiétude des investisseurs sur la capacité des grands pays industrialisés à rembourser leurs dettes publiques. Une inquiétude qui sert d’aiguillon à des mouvements spéculatifs d’ampleur, lesquels déstabilisent la zone euro et exercent une pression croissante sur les économies de nombreux pays : la Grèce, l’Irlande, le Portugal, l’Espagne et l’Italie.

La crise actuelle de la dette publique ne s’explique pas uniquement par les suites de la crise des subprimes. Elle s’inscrit dans la continuité d’une progression entamée dans les années 70 avec l’obligation faite aux États d’emprunter sur les marchés financiers à des taux parfois supérieurs à leur propre taux de croissance. Elle est également la résultante de la baisse continue des recettes fiscales aggravée dans des proportions considérables par les politiques libérales conduites depuis plus d’une décennie.

La crise est ainsi à la fois la conséquence de l’emprise croissante des marchés financiers et de la politique de coordination par la concurrence qui fut le fil conducteur de la mise en œuvre de la Stratégie de Lisbonne. Un mode de gouvernance qui, conjugué à la politique étroitement monétariste de la Banque centrale européenne, a incité les gouvernements nationaux des États membres à privilégier les stratégies non-coopératives, notamment la désinflation compétitive, et la concurrence fiscale et sociale.

Cette coordination non-coopérative a été le principal levier de la compétitivité allemande. Afin d’accompagner l’entrée de leur pays dans l’union monétaire avec une monnaie surévaluée, les gouvernements allemands successifs se sont en effet fixés pour tâche, dès le milieu des années 90, de soutenir les grandes entreprises du secteur exportateur dans leur stratégie de restauration de la compétitivité.

Les politiques conduites en particulier par le gouvernement Schröder dans le cadre de l’« Agenda 2010 » ont mis l’accent sur la compression des coûts salariaux, la déréglementation du marché du travail et la réduction drastique des dépenses publiques, dont la part dans le PIB a baissé de 10 % entre 1996 et 2007.

Par l’effet combiné d’une faible inflation et du transfert d’une partie des coûts fiscaux des entreprises vers les ménages, avec l’instauration en 2007 d’une TVA sociale, l’Allemagne a acquis en quelques années un énorme avantage compétitif sur l’ensemble des pays de la zone euro, qui s’est traduit par l’explosion de ses excédents commerciaux.

L’Allemagne n’en éprouve pas moins aujourd’hui de graves difficultés. Certaines tiennent à des facteurs historiques ou culturels, comme l’effondrement démographique, d’autres nous renseignent utilement sur les impasses où conduisent les politiques économiques fondées exclusivement sur l’offre.

L’Allemagne est ainsi le pays qui a créé le moins d’emploi depuis vingt ans. Il est aussi celui où la hausse des inégalités de revenus a été la plus élevée d’Europe ces dernières années, à l’exception de la Bulgarie et de la Roumanie. Celui encore où la part des salaires dans la valeur ajoutée a le plus baissé, où le pourcentage de chômeurs indemnisés a le plus fortement chuté, tout comme la part des investissements dans le produit intérieur brut. Un pays où le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté atteint 17 % contre 13 % en France. Un emploi sur trois n’y est ni à temps plein ni à durée indéterminée; un emploi sur dix est un « job » à moins de 400 euros par mois. Le pourcentage des emplois à bas salaires a augmenté de six points et 2,5 millions de personne travaillent aujourd’hui, en l’absence de salaire minimum, pour moins de cinq euros de l’heure...

En faisant entièrement reposer sa croissance économique sur la balance extérieure au détriment de la demande intérieure, l’Allemagne est devenue étroitement dépendante de ses excédents commerciaux et de la demande intérieure de ses voisins européens, avec lesquels elle réalise en effet 75 % de son excédent.

Nous mesurons ici le risque qu’il y aurait pour la France et pour l’ensemble des pays de l’union européenne à prendre exemple sur l’Allemagne en puisant au répertoire des recettes néo-libérales pour lesquelles elle est mise en avant. Nous prendrions le risque de déclencher une crise majeure dans la zone Euro par l’addition de politiques récessives sur la demande intérieure.

C’est pourtant la voie privilégiée par la Commission européenne et le tandem franco-allemand. Une voie qui encourage la fuite en avant dans le moins-disant fiscal et social, pourtant à l’origine de l’accroissement de la dette publique et de l’explosion des inégalités au sein de l’Union européenne.

La situation économique et budgétaire de la France en offre une parfaite illustration. La logique de concurrence fiscale et sociale dans laquelle se sont engagés les gouvernements français depuis plus d’une décennie ont tendu à faire peu à peu de la France un petit paradis fiscal pour les grandes entreprises et les ménages les plus riches. Depuis 2002 et plus encore depuis 2007, la multiplication des mesures en faveur des entreprises et des titulaires des plus hauts revenus s’est traduite par plusieurs dizaines de milliards d’euros de nouvelles dépenses fiscales, demeurées pour la plupart sans effets tangibles sur la croissance et l’emploi. Ces mesures ont consacré une dégressivité de l’impôt profondément injuste: si le taux d’imposition sur les sociétés est ainsi proche de 30 % pour les PME de moins de 10 salariés, il tombe à 20 % pour les entreprises de plus de 500 salariés, à 13 % pour les entreprises de plus de 2 000 salariés et enfin à 8 % pour les entreprises du CAC 40. Même constat concernant les personnes physiques : le taux effectif d’imposition des plus hauts revenus est aujourd’hui fort éloigné du taux marginal de l’impôt sur le revenu, actuellement fixé à 41 %. Il est de 25 % pour les 1 000 plus hauts revenus et tombe à moins de 17 % pour les dix plus hauts revenus. Ces cadeaux fiscaux ont eu une incidence considérable sur le déficit et l’aggravation de la dette publique. Sans eux, la France aurait connu un excédent budgétaire dans les trois années qui ont précédé la crise et les déficits auraient été probablement inférieurs à 3,5 % en 2009 au lieu de 7,5 %. Le fait est que la dette publique aura doublé en dix ans de gouvernement libéral, passant de moins de 900 milliards en 2002 à plus de 1 800 milliards d’euros en 2012 et que cette aggravation est pour une large part la conséquence du manque de recettes, combiné à la dégradation de l’emploi sous l’effet de politiques qui ont affaibli l’assiette des prélèvements sociaux.

L’ampleur des déficits et de la dette publique qui résulte autant de choix politiques que de facteurs liés à la crise, sert aujourd’hui de prétexte, en France comme dans tous les pays de l’Union européenne, à de nouvelles restrictions budgétaires et à de dangereuses mesures d’austérité.

La création du fonds de sauvetage européen, qui aurait pu marquer un tournant dans l’histoire de la construction européenne en ébranlant les dogmes inscrits dans les traités de Lisbonne et de Maastricht, aura finalement été l’instrument de promotion d’une gouvernance économique de l’Union toujours plus autoritaire et intransigeante, .

Au principe de coordination par la concurrence et son cortège de désastres sociaux succède à présent un centralisme technocratique rigoureux qui se traduit par une aggravation de la discipline budgétaire commune fixée par le pacte de stabilité.

Non seulement cette politique ne nous prémunit pas contre de nouvelles attaques des marchés financiers, mais elle renforce leur tutelle au prix de l’abandon de toutes les grandes avancées sociales du siècle précédent et du déssaisissement démocratique des citoyens et des peuples.

Le pacte de stabilité monétaire, qui avait été présenté comme indispensable à la cohésion de la zone euro, devait ouvrir une période de croissance soutenue accompagnée de la création de millions d’emplois. Il s’est avéré brider les investissements et les salaires, maintenir un chômage de masse, accroître les inégalités au sein de la zone euro tant entre pays qu’entre citoyens, freiner la croissance de notre continent au bénéfice exclusif des détenteurs du capital et autres investisseurs.

Il est aujourd’hui hors de question que les États et les peuples continuent de faire les frais d’une construction européenne fondée sur la mise en concurrence des salariés, le recul des droits sociaux et l’assèchement programmé des finances publiques et des comptes sociaux.

C’est une toute autre logique qui doit désormais guider la politique économique et monétaire de l’Union européenne : l’instauration de convergences sociales, l’harmonisation fiscale, un budget européen soutenant les filières industrielles, les investissements d’avenir, une solidarité et un rééquilibrage entre régions riches et pauvres, un pacte de croissance fondé sur la relance de la consommation intérieure en Europe et des protections ciblées pour contrecarrer les délocalisations et le dumping social ou environnemental.

C’est le sens des propositions formulées en commun par les député-e-s communistes républicains et du parti de gauche et leurs collègues du parti de La Gauche allemande.

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Ces propositions reposent en premier lieu sur la création d’un Fonds européen de développement social, solidaire et écologique dont l’objectif serait d’éviter la spéculation sur les dettes des États en permettant à ces derniers de ne plus dépendre pour leur financement des marchés financiers. Des titres publics pour le développement social seraient rachetés par la Banque centrale européenne et les banques centrales des États membres. Cette création monétaire allouée via le fonds de développement permettrait de répartir des masses volumineuses de financement à des taux d’intérêts nuls ou très bas, entre les pays membres de l’euro, en fonction de leurs besoins propres et, expressément, pour le développement des services publics nationaux et de leur coopération européenne. Le fonds financerait également des projets publics de création et de sécurisation des emplois, de développement de la formation et de la recherche, de protection de l’environnement.

Afin de ne pas alimenter une spirale inflationniste, le fonds européen de développement social, solidaire et écologique devra également s’appuyer sur une mobilisation de l’épargne populaire à l’échelle européenne. C’est notamment afin de répondre à cet objectif que nous estimons indispensable que les futures opérations de recapitalisation des banques européennes exposées à un risque de défaut de la Grèce, de l’Irlande ou du Portugal, s’accompagnent de prises de participation majoritaire des États au capital de ces banques afin de réorienter leur activité vers leur cœur de métier, c’est-à-dire le financement de l’économie.

Nous proposons également l’instauration d’une taxe sur les transactions financières qui s’appliquerait conjointement en Allemagne et en France dès 2012 sur tous les instruments financiers, à des taux d’imposition très faibles de 0,1 % pour les actions et les obligations et 0,05 % pour toutes les autres transactions, y compris les opérations sur devises. Le critère retenu serait, à l’instar de la proposition formulée par la Commission européenne, celui de la résidence fiscale et non du lieu où les opérations sont réalisées. Le produit de cette taxe pourrait être affecté pour moitié au budget général de l’Union européenne et pour l’autre moitié venir abonder les politiques de coopération avec les pays en voie de développement dans le cadre des programmes de lutte contre la pauvreté.

Nous proposons conjointement à la mise en œuvre d’une taxe sur les transactions financières l’instauration d’une taxe exceptionnelle sur le patrimoine des personnes physiques dont le stock de patrimoine excède un million d’euros. Cette taxe perçue au taux de 5 % s’appliquerait dans les 27 pays de l’Union européenne. L’intégralité des ces ressources fiscales serait affectée au budget général des États membres. Compte tenu que le patrimoine des millionnaires européens représentait 7 688 milliards d’euros en 2010, une telle taxe représenterait pour la seule zone euro une recette de plusieurs centaines de milliards d’euros propre à permettre aux États membres de réduire significativement leur déficit.

En ce qui concerne la lutte contre la spéculation sur les dettes souveraines, nous jugeons que trois mesures complémentaires sont aujourd’hui prioritaires : l’interdiction des ventes à découvert, qui permettent de spéculer sur la vente d’un titre dont on ne dispose pas. Une telle interdiction a été prise en Allemagne, elle doit être généralisée à l’ensemble des pays de l’Union ; la fermeture des marchés de gré à gré qui échappent à toute surveillance et ont pourtant été encouragés par la directive sur les marchés d’instruments financiers. Les CDS (Credit default swaps), instruments privilégiés de la spéculation sur les dettes publiques, n’ont, malgré leurs conséquences désastreuses, pas été proscrits. Ils doivent être rigoureusement interdits et avec eux l’ensemble des transactions « over the counter ». Nous préconisons également, pour des motifs analogues, l’interdiction du « trading » haute fréquence. Nous estimons enfin que les agences de notation ont eu une responsabilité majeure dans le déroulement de la crise des dettes souveraines en Europe. Le placement des agences de notation sous la tutelle de l’European Securities and Markets Authority est insuffisante. Le constat s’impose de la nécessité d’aller plus loin et, considérant leur logique purement spéculative, de leur interdire de noter les dettes souveraines.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu l’article 151-5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu le projet de programme de stabilité européen transmis par le gouvernement français à la commission européenne,

Vu la résolution du Parlement européen du 8 mars 2011 sur les financements innovants à l’échelon mondial et à l’échelon européen,

Vu la proposition de règlement modifiant le règlement (CE) n° 1467/97 du Conseil visant à accélérer et à clarifier la mise en œuvre de la procédure concernant les déficits excessifs,

Vu la proposition de directive du Conseil sur les exigences applicables aux cadres budgétaires des États membres COM (2010) 523,

Vu la proposition de règlement sur la mise en œuvre efficace de la surveillance budgétaire dans la zone euro COM (2010) 524,

Vu la proposition de règlement établissant des mesures d’exécution en vue de remédier aux déséquilibres macroéconomiques excessifs dans la zone euro COM (2010) 525,

Vu la proposition de règlement modifiant le règlement CE n° 1466/97 relatif au renforcement de la surveillance des positions budgétaires ainsi que la surveillance et la coordination des politiques économiques COM (2010) 526,

Vu la proposition de règlement sur la prévention et la correction des déséquilibres macro-économiques COM (2010) 527,

Recommande au gouvernement d’engager, conjointement avec le gouvernement allemand, au plus tard lors du prochain Conseil européen, des négociations avec nos partenaires européens visant à :

– L’instauration d’un Fonds européen de développement social, solidaire et écologique afin de financer des projets publics de création et de sécurisation des emplois, de développement de la formation et de la recherche, de protection de l’environnement.

– La prise de participation majoritaire des États membres au capital des banques européennes exposées à un risque de défaut de la Grèce, de l’Irlande ou du Portugal, afin de réorienter l’activité de ces établissements vers leur cœur de métier, c’est à dire le financement de l’économie.

– L’instauration d’une taxe sur les transaction financières sur tous les instruments financiers à des taux d’imposition très faibles de 0,1 % pour les actions et obligations et 0,05 % pour toutes les autres transactions, y compris les opérations sur devises.

– L’instauration d’une taxe exceptionnelle sur le patrimoine des personnes physiques dont le stock de patrimoine excède un million d’euros. Une taxe que serait perçue au taux de 5 % dans les 27 pays de l’Union européenne.

– L’interdiction des ventes à découvert, qui permettent de spéculer sur la vente d’un titre dont on ne dispose pas, des CDS (Credit default swaps), instruments privilégiés de la spéculation sur les dettes publiques et du « trading » haute fréquence.

– La fermeture des marchés de gré à gré qui échappent à toute surveillance et ont pourtant été encouragés par la directive sur les marchés d’instruments financiers et l’interdiction pour les agences de notation de noter les dettes souveraines.


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