N° 4052 - Proposition de loi de M. Christian Estrosi visant à accélérer le renouvellement de la classe politique en limitant le nombre de mandats consécutifs



N° 4052

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 décembre 2011.

PROPOSITION DE LOI

visant à accélérer le renouvellement de la classe politique
en limitant le nombre de mandats consécutifs,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus
par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Christian ESTROSI, Christian MÉNARD, Laure de LA RAUDIÈRE, Alfred ALMONT, Marie-Christine DALLOZ, Étienne MOURRUT, Alain FERRY, Louis GUÉDON, Jean-Charles TAUGOURDEAU, Pierre MOREL-A-L’HUISSIER, Jean-Pierre DECOOL, Jean-Marc ROUBAUD, Maryse JOISSAINS-MASINI, Françoise HOSTALIER, Daniel SPAGNOU, Jean-Marc LEFRANC, Marianne DUBOIS, Françoise BRANGET, Joëlle CECCALDI-RAYNAUD, Jean AUCLAIR, Jacques LAMBLIN, Muriel MARLAND-MILITELLO, Edwige ANTIER, Jacques PÉLISSARD, Étienne BLANC, Dino CINIERI et Marcel BONNOT,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le cumul des mandats est un débat récurrent sous la Ve république. Cette controverse est d’ailleurs plus ancienne, très ancrée dans la tradition française depuis la monarchie de Juillet au XIXe siècle. À cette époque, de nombreux pairs de France étaient aussi titularisés comme préfets. Cependant, c’est à l’avènement de la IIIRépublique que le phénomène prend toute sa réalité, lorsque les conseillers généraux et municipaux sont élus au suffrage universel, soit respectivement en 1871 et en 1882.

Le sujet a été maintes fois abordé. Le non-cumul des mandats est souvent promis même si plusieurs raisons logiques s’y opposent. Néanmoins il demeure au cœur du débat politique a fortiori alors que la démocratie connaît une crise de confiance.

En effet, selon un récent sondage Opinionway sur un échantillon représentatif de 1 540 personnes, un peu moins d’un français sur deux est peu ou pas du tout intéressé par la politique. Plus de 80 % des français pensent que leur avis n’est pas pris en compte et 40 % d’entre eux se décrivent comme « méfiants » à l’égard de la politique en France.

Plus de 50 % n’ont pas confiance dans leur maire, plus de 55 % dans les conseillers généraux et régionaux, plus de 60 % dans les députés et plus de 65 % dans les députés européens(1).

Cette crise de confiance s’explique en partie par l’image que les français se font des femmes et hommes politiques : des élus qui cumulent et pensent davantage à leur réélection qu’à leur action.

Selon une étude de Vincent Loonis entre 1871 et 2002, la proportion des députés qui n’ont jamais eu d’expérience locale simultanée est de l’ordre de un cinquième à un tiers des députés(2).

L’ex-ministre Paul Quilès relevait d’ailleurs, qu’en 1936, environ 33 % des députés exerçaient un mandat local, sous la IVe République, ce chiffre est monté à 40 %, et il a dépassé aujourd’hui 80 %.(3)

C’est ainsi qu’en 2008, d’après le New York Times, 85 % des parlementaires français exercent un second mandat électif, contre bien moins de 20 % en Allemagne, en Italie ou au Royaume-Uni.

C’est un constat pratiquement similaire qui a été dressé par la Commission Balladur.

En effet, en juillet 2007, juste après son élection, le président de la République, Nicolas Sarkozy, a mis en place un comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le rééquilibrage des institutions. Ce comité, présidé par Édouard Balladur, a remis un rapport en 2008.

Dans cette étude, la question du cumul des mandats a été abordée. La synthèse des travaux indique qu’au début de la législature 259 des 577 députés sont des maires, 21 sont présidents de conseil général, 8 sont présidents de conseil régional.

Jusqu’en 1985, il n’existait aucune limite de cumul des mandats et des fonctions. Et même, entre 1972 et 1984, les députés et les sénateurs avaient l’obligation de cumuler puisqu’ils étaient automatiquement membres du conseil régional correspondant à leur circonscription d’élection.

Les lois de décentralisation des 2 mars 1982(4), du 7 janvier 1983(5) et du 22 juillet 1983(6) ont permis d’aborder ce débat. C’est notamment la loi organique n° 85-1405 du 30 décembre 1985 tendant à limiter le cumul des mandats électoraux et des fonctions électives qui est venue apporter une réponse et a rendu incompatible un mandat parlementaire avec l’exercice de plus d’un mandat électoral ou d’une fonction élective suivant : député européen, conseiller régional ou conseiller à l’Assemblée de Corse, conseiller général, conseiller de Paris, maire d’une commune de plus de 20 000 habitants autre que Paris, adjoint au maire d’une commune de plus de 100 000 habitants autre que Paris.

Les dispositions concernant le cumul de plusieurs fonctions électives ont été définies par la loi organique n° 2000-294 du 5 avril 2000 relative aux incompatibilités entre mandats électoraux et par la loi n° 2000-295 du 5 avril 2000 relative à la limitation du cumul des mandats électoraux et des fonctions électives et à leurs conditions d’exercice(7).

Il est désormais interdit d’exercer plus d’une des fonctions suivantes: maire, président de conseil régional et président de conseil régional. Il est également interdit d’exercer plus de deux des mandats suivants : conseiller régional, conseiller général, conseiller municipal.

Par ailleurs, le cumul peut être limité par la loi afin de réduire les risques de conflits d’intérêts entre les différentes fonctions exercées.

Néanmoins le débat subsiste. Plusieurs propositions ont été émises.

Ainsi, dès son arrivée au poste de Premier ministre en juin 1997, Lionel Jospin avait lui interdit aux membres de son gouvernement de cumuler le mandat de maire et celui de ministre. Pourtant à l’approche des municipales en 2002, la règle a volé en éclat, Lionel Jospin ayant reconnu lui même que cette règle était une règle « d’opportunité » qui n’est donc basée sur une aucune logique. D’ailleurs, Élisabeth Guigou, avant de remplacer Martine Aubry, expliquait dans son livre de l’époque que « Le fait d’exercer un mandat permet justement de garder le contact avec les réalités, avec la vie des gens »(8) .

Il y a déjà eu plusieurs propositions de loi sous la 13e législature sur la limitation du cumul des mandats. Le dernier débat parlementaire a eu lieu il y a tout juste un an. Une proposition de loi très restrictive présentée par le groupe socialiste(9) a alors été largement rejetée par les députés y compris par des députés socialistes. Il faut dire que près des deux tiers des députés, et 6 sénateurs sur 10, occupent également au moins une fonction exécutive locale.

Pour ses adversaires, le cumul des mandats aurait pour effet d’affaiblir la démocratie en réduisant la légitime compétition politique car les candidats qui exercent plusieurs mandats auraient davantage de ressources que leurs concurrents.

Par ailleurs, et c’est souvent la raison majeure invoquée, le cumul des mandats entrainerait un fort absentéisme des élus, et notamment, des députés, des sénateurs et des députés européens.

Or, le cumul entre plusieurs mandats est certes fréquent mais il est surtout indispensable.

Et c’est la raison pour laquelle ce débat n’a jamais véritablement abouti. Il faut maintenir ce rapprochement, ce lien entre les élus locaux et les élus nationaux. Il ne faut pas séparer la vie politique nationale de la vie politique locale, cela serait une grave erreur.

Par ailleurs, cette limitation entre le national et le local pourrait entrainer une certaine rivalité entre les élus locaux et nationaux qui ne serait pas bénéfique à la vie politique. Elle induirait une scission entre les élus siégeant au niveau national, coupé des réalités du terrain et les élus du terroir conscients des réalités mais trop peu entendus.

C’est le cas aux États-Unis où le gouverneur d’un État ne peut en être sénateur, et profite donc de sa position de gouverneur comme le meilleur chemin pour le sénat. Le sénateur quant à lui doit passer plus de temps dans son État que dans son assemblée pour assurer sa réélection.

Le cumul permet, avant tout, un meilleur ancrage des parlementaires sur le terrain, une meilleure connaissance des problèmes locaux, et une plus grande proximité avec les citoyens.

Pour renforcer ce lien, certains parlementaires exercent également une fonction dans l’exécutif d’un établissement public de coopération intercommunale. Cet établissement n’étant pas une collectivité territoriale mais simplement un outil de coopération avec un partage de compétences, il est donc normal et logique que l’on puisse exercer les deux mandats en parallèles.

Et pour autant, le cumul des mandats engendre, c’est indéniable, un vide générationnel.

En effet, la moyenne d’âge des représentants politiques en France est aujourd’hui de 60 ans et l’on sait qu’aujourd’hui 239 députés ont entre 50 et 59 ans, 167 députés entre 60 et 69, contre 2 députés entre 20 et 29 ans ou encore 21 députés entre 30 et 39 ans.

Le rapport entre les députés de plus de 60 ans et ceux de 40 ans a subi une augmentation très forte ces dernières années. En 1970 il y avait seulement 2 députés de plus de 60 ans pour 1 député de moins de 40 ans(10), en 2007, il y a 10 députés de plus de 60 ans pour 1 député de moins 40 ans.

Mais aujourd’hui il est impératif de renouveler la classe politique de manière plus rapide, afin de la rendre plus représentative de la population française. Par exemple, en 2002 61,4 % des députés étaient déjà présents dans la législature précédente et en 2007 75,3 % étaient déjà élus en 2002. C’est à dire que près de 50 % des députés sont dans leur 3e mandat consécutif(11).

Cela a été l’un des objectifs de la loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République(12) dont l’article 2 a inscrit dans la constitution française à l’article 6 l’interdiction de plus de 2 mandats consécutifs pour le Président de la République.

Le projet de loi constitutionnelle justifiait, dans son exposé des motifs, la limitation du nombre de mandat consécutif par cette phrase : « Afin de garantir une respiration démocratique dans l’exercice des fonctions suprêmes et d’inviter leur titulaire à agir plutôt qu’à chercher à se maintenir au pouvoir »(13).

Ce principe a guidé la réforme du Conseil Économique, Social et Environnemental. En effet, la loi organique n° 2010-704 du 28 juin 2010 relative au Conseil économique, social et environnemental (CESE)(14) dans son article 8, dispose que les mandats des membres du CESE sont limités à deux mandats consécutifs.

Le principe, consacré en droit romain et en droit public, du parallélisme des formes pourrait ici prendre toute sa place. Il revient donc à aligner les différents régimes d’élection pour les parlementaires ainsi que les exécutifs locaux et celui de l’élection à la présidence de la république, avec l’interdiction d’exercer plus de 2 mandats consécutifs.

Afin de garantir ce nouveau souffle démocratique et de permettre aux nouvelles générations dans toutes leurs diversités de s’engager dans la vie politique de notre pays, de nos collectivités sans craindre une rupture entre le local et national, je vous propose de limiter à deux, le nombre de mandats consécutifs pour les mandats nationaux et les mandats dans les exécutifs locaux. Ce dispositif ne s’appliquerait qu’à compter des prochains renouvellements.

Dans ce contexte,

L’article 1 de la présente proposition de loi tend à limiter à 2, les mandats consécutifs pour les maires de commune de plus 3 500 habitants. Cet article conduit également à limiter à 2, le cumul consécutif de mandats des président d’établissement public de coopération intercommunal car l’article L. 5211-2 du code général des collectivités territoriales dispose que « À l’exception de celles des deuxième à quatrième alinéas de l’article L. 2122-4, les dispositions du chapitre II du titre II du livre Ier de la deuxième partie relatives au maire et aux adjoints sont applicables au président et aux membres du bureau des établissements publics de coopération intercommunale, en tant qu’elles ne sont pas contraires aux dispositions du présent titre. »

L’article 2 de la présente proposition de loi tend à limiter à 2, les mandats consécutifs pour les maires d’arrondissement.

L’article 3 de la présente proposition de loi tend à limiter à 2, les mandats consécutifs pour les présidents de conseils généraux. En effet, le renouvellement étant triennal à la moitié du mandat de conseiller général, il convient donc d’adapter le dispositif.

L’article 4 de la présente proposition de loi tend à limiter à 2, les mandats consécutifs pour les présidents de conseils régionaux.

L’article 5 de la présente proposition de loi tend à limiter à 2, les mandats consécutifs pour les présidents de Conseils de Corse.

L’article 6, prévoit les dispositions transitoires et l’entrée en vigueur de la présente proposition de loi.

Tels sont les motifs pour lesquels il vous est demandé de bien vouloir adopter les dispositions suivantes.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Après le premier alinéa de l’article L. 2122-4 du code général des collectivités territoriales, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Nul ne peut accomplir plus de deux mandats de maire d’une commune de plus de 3 500 habitants consécutifs. »

Article 2

Après le premier alinéa de l’article L. 2511-25 du code général des collectivités territoriales, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Nul ne peut accomplir plus de deux mandats de maire d’arrondissement consécutifs. »

Article 3

L’article L. 3122-1 du code général des collectivités territoriales est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Nul ne peut accomplir plus de quatre mandats de président consécutifs. »

Article 4

L’article L. 4133-1 du code général des collectivités territoriales est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Nul ne peut accomplir plus de deux mandats de président consécutifs. »

Article 5

Après le quatrième alinéa de l’article L. 4422-18 du code général des collectivités territoriales, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Nul ne peut accomplir plus de deux mandats de président consécutifs. »

Article 6

La présente loi s’applique pour l’avenir, à compter de sa promulgation. Le décompte ne sera appliqué qu’à compter des prochains renouvellements.

1 () Baromètre confiance en politique – Opinionway Laboratoire CEVIPOF – Décembre 2010.

2 () Loonis, V. (2006). « Les déterminants de la réélection des députés français de 1871 à 2002 ». Histoire et Mesure, 21, p. 221-254.

3 () Paul Quilès, rejet de la loi hadopi : où étaient les 541 députés absents ? [archive], rue 89, 11 avril 2009.

4 () Loi n° 82-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions.

5 () Loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entres les communes, les départements et les régions de l’état

6 () Loi n° 83-663 du 22 juillet 1983 complétant la loi 838 du 07-01-1983 relative a la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l’état.

7 () Loi organique n° 2000-294 du 5 avril 2000 relative aux incompatibilités entre mandats électoraux.

8 () Élisabeth Guigou, « une femme au cœur de l’État », entretiens avec Pierre Favier et Michel Martin-Rolland, Fayard.

9 () Proposition de loi organique n° 2776 de Jean-Marc Ayrault visant à interdire le cumul du mandat de parlementaire avec l’exercice d’une fonction exécutive locale.

10 () Louis Chauvel, « L’âge de l’Assemblée (1946-2007). Soixante ans de renouvellement du corps législatif : bientôt, la troisième génération », La Vie des idées, 22 octobre 2007. ISSN : 2105-3030.

11 () Abel François & Emiliano Grossman, « Qui sont les députés français de la Ve République ? », La Vie des idées, 21 janvier 2011. ISSN : 2105-3030. URL : http://www.laviedesidees.fr/Qui-sont-les-deputes-francais-de.html.

12 () Loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République.

13 () Rapport fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la république sur le projet de loi constitutionnelle (n° 820) de modernisation des institutions de la Ve République, par M. Jean-Luc Warsmann, p. 415.

14 () Loi organique n° 2010-704 du 28 juin 2010 relative au Conseil économique, social et environnemental.


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