N° 1543 - Rapport d'information de M. Jacques Grosperrin déposé en application de l'article 145 du règlement, par la commission des affaires culturelles, familiales et sociales, en conclusion des travaux d'une mission d'information sur les écoles de la deuxième chance et l'accès à l'emploi



INTRODUCTION 7

I.- LES CONSTATS 11

A. L’INSERTION DES JEUNES DANS L’EMPLOI : DES PERFORMANCES MÉDIOCRES, EN PARTICULIER POUR LES JEUNES ISSUS DE LA DIVERSITÉ 11

1. Au moins 120 000 jeunes qui sortent tous les ans du système scolaire sans aucune qualification reconnue 11

2. Des performances dans l’accès des jeunes à l’emploi qui restent en deçà de la moyenne européenne. 11

3. Une situation relative des quartiers populaires qui ne s’améliore pas 13

4. La réalité des discriminations liées à l’origine des personnes 15

a) Les différentes approches possibles pour mesurer les discriminations et la diversité 15

b) Les classifications ethno-raciales existant dans certains pays dans l’optique d’une mesure globale des discriminations dont les personnes sont l’objet 17

c) Les approches mises en œuvre en France 18

B. … MALGRÉ UNE MOBILISATION INDÉNIABLE DES POLITIQUES PUBLIQUES ET DES ACTEURS PRIVÉS 21

1. La mobilisation de l’éducation nationale 21

2. La priorité donnée au développement de l’alternance 22

3. De nombreuses expérimentations destinées à diversifier l’accès aux filières d’excellence 23

a) Les actions d’information, de « coaching » et de tutorat 23

b) Les actions de présélection 24

c) Les voies de recrutement parallèles 24

d) La réforme des concours 25

4. La mise en place de plusieurs dispositifs de « deuxième chance » 25

a) À la lisière de la « première » et de la « deuxième » chances : les dispositifs spécifiques de l’éducation nationale 25

b) Un dispositif généraliste, celui des missions locales et permanences d’accueil, d’information et d’orientation (PAIO) 26

c) Le développement du réseau des écoles de la deuxième chance 26

d) L’Établissement public d’insertion de la défense (EPIDE) 28

e) Le service civil volontaire 30

5. La relance de la politique de la ville 30

6. Une mobilisation croissante des entreprises 32

a) Plusieurs dispositifs de portée nationale 32

b) Une évolution mesurable des pratiques des grandes entreprises 32

c) … qui répond aussi à une contrainte économique 34

7. Le déploiement de dispositifs institutionnels 35

a) La Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) 35

b) Les nouvelles compétences du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) 35

C. LES LIMITES DES DISPOSITIFS EN PLACE 36

1. Un cadre juridique de la mesure de la diversité qui est appelé à évoluer 36

a) Les principes fondamentaux de la République 36

b) La loi « informatique et libertés » et son application par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) 36

c) La jurisprudence du Conseil constitutionnel 38

2. Plus généralement, un déficit de connaissance et d’évaluation 39

3. Un « millefeuille » de dispositifs et d’acteurs en manque de coordination 41

4. Une grande difficulté à repérer, aller chercher, prendre en charge, mobiliser les jeunes en difficulté 43

5. Un système scolaire et universitaire insuffisamment tourné vers l’emploi 44

6. Un marché du travail où l’intermédiation est faible 46

II.- LES PISTES DÉGAGÉES PAR LA MISSION D’INFORMATION 47

A. DÉVELOPPER LES OUTILS DE CONNAISSANCE DE LA DIVERSITÉ ET DES DISCRIMINATIONS 47

1. Clarifier le cadre législatif applicable aux traitements statistiques destinés à la lutte contre les discriminations 48

2. Systématiser l’obligation de rendre compte 51

a) Dans la sphère des politiques publiques 51

b) Dans la sphère des collectivités de travail (entreprises et administrations) 51

B. RENFORCER LES MOYENS DE LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS 52

C. LA FORMATION DES JEUNES : PENSER UN SYSTÈME PLUS OUVERT, PLUS DIVERS ET QUI NE LAISSE PERSONNE AU BORD DU CHEMIN 53

1. Coordonner et piloter les dispositifs 54

2. Assurer la continuité de la prise en charge des jeunes 55

3. Favoriser les contacts des jeunes avec l’extérieur, et en particulier le monde du travail 56

a) Promouvoir les actions d’information et de sensibilisation sur les parcours et les contacts avec le monde du travail 56

b) Développer l’alternance 57

4. Ouvrir le système scolaire et universitaire à toutes les diversités 59

5. Déployer les dispositifs de deuxième chance sans nuire à leur efficacité 60

a) Le réseau des écoles de la deuxième chance 60

b) L’EPIDE 61

D. RENFORCER LA MOBILISATION DES EMPLOYEURS, ENTREPRISES AUSSI BIEN QU’ADMINISTRATIONS 61

1. Passer par le dialogue social 62

2. Améliorer les processus de gestion des ressources humaines 62

3. Envisager des mesures incitatives 63

a) Inciter à l’accueil de jeunes en alternance 65

b) Développer les clauses d’insertion dans les marchés publics 65

c) Envisager une incitation financière à l’embauche des habitants des quartiers de la politique de la ville 66

RAPPEL DES PISTES DÉGAGÉES PAR LA MISSION 67

CONTRIBUTION PRESENTÉE PAR MME MARIE-RENÉE OGET ET M. JEAN-PATRICK GILLE, MEMBRES DE LA MISSION APPARTENANT AU GROUPE SOCIALISTE, RADICAL, CITOYEN ET DIVERS GAUCHE 71

TRAVAUX DE LA COMMISSION 77

ANNEXE N° 1 : COMPOSITION DE LA MISSION 91

ANNEXE N° 2 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 93

ANNEXE N° 3 : COMPTES RENDUS DES AUDITIONS DE MINISTRES PAR LA MISSION D’INFORMATION 97

Audition de M. Martin Hirsch, haut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté et haut commissaire à la jeunesse 97

Audition commune de M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale, et de M. Laurent Wauquiez, secrétaire d’État chargé de l’emploi 106

Audition de Mme Fadela Amara, secrétaire d’État chargée de la politique de la ville 113

ANNEXE N° 4 : COMPTE RENDU DE L’AUDITION DE M. YAZID SABEG, COMMISSAIRE À LA DIVERSITÉ ET À L’ÉGALITÉ DES CHANCES, PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES, FAMILIALES ET SOCIALES 121

INTRODUCTION

Le Président de la République a confié à M. Yazid Sabeg, qu’il a nommé commissaire à la diversité et à l’égalité des chances, la mission de proposer et présenter en mars 2009 un plan d’action dans ce domaine. La Commission des affaires culturelles, familiales et sociales de l’Assemblée nationale a procédé le 21 janvier 2009, conjointement avec la Commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire, à l’audition de M. Sabeg. Suite à cette audition, elle a souhaité, en constituant une mission d’information, apporter sa contribution, dans le champ « social » qui est le sien, à la réflexion sur l’égalité des chances dans l’accès à l’emploi, car elle partage la conviction qu’il est urgent de progresser dans cette voie ; cette démarche s’inscrit aussi dans une nouvelle conception des rapports entre l’exécutif et le Parlement, issue de la révision constitutionnelle (loi du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Vème République), qui trouve sa concrétisation dans la formule de la « coproduction législative ».

L’accès à l’emploi reste une difficulté majeure pour les jeunes de France et le sera d’autant plus dans le contexte économique très difficile que nous connaissons. Sans négliger cet aspect conjoncturel – qui ne rend que plus urgentes les réponses –, la mission d’information souhaite plutôt privilégier les réponses structurelles à quelques constats bien connus : 120 000 jeunes au moins, peut-être 150 000, sortent tous les ans du système scolaire sans qualification reconnue et avec donc des chances minimes d’accéder à des emplois de qualité ; 80 000 jeunes quittent de même l’université en situation d’échec tous les ans ; le taux de chômage est le double de la moyenne nationale dans les « quartiers de la politique de la ville » ; pour les jeunes originaires de ces quartiers, qui se trouvent souvent aussi être d’ascendance extra-européenne, l’obtention d’un diplôme universitaire n’accroît pas nécessairement les chances d’accès à l’emploi durable et qualifié, mais parfois en éloigne encore plus, ce qui dénote d’incontestables discriminations, qu’établissent aussi les opérations destinées à les mesurer, notamment par testing.

Le présent rapport laisse également de côté une question particulièrement sensible, celle de l’égalité des chances outre-mer et pour les ultramarins. Cette dimension doit naturellement être présente dans nos politiques publiques, et l’est d’ailleurs ; dans la nomenclature gouvernementale, la nomination de M. Patrick Karam en tant que délégué interministériel pour l’égalité des chances des Français d’outre-mer a ainsi précédé celle de M. Sabeg. Mais la largeur du champ que représente déjà la France « métropolitaine » et surtout l’extrême actualité de la question de l’outre-mer ont conduit la mission d’information à ne pas traiter de celle-ci « à chaud ».

Les auditions ont en particulier montré l’importance des enjeux de pilotage et de coordination des politiques, en vue d’assurer sur le terrain un repérage exhaustif et un suivi en continu des jeunes en difficulté ; elles ont également mis en lumière l’isolement social des jeunes issus de milieux défavorisés, a fortiori des enfants de travailleurs immigrés, leur manque de réseaux et de connaissance de ce que sont les parcours gagnants dans un système scolaire et universitaire qui, face à cette situation, n’est manifestement pas encore en mesure de jouer un rôle suffisant pour leur insertion professionnelle, faute de liens assez étroits avec les opérateurs des politiques de l’emploi et les employeurs. La mission d’information propose des pistes de réflexion visant à assurer un meilleur suivi et élargir l’accès à la « deuxième chance » pour ceux qui décrochent du système scolaire, à mieux connecter ce dernier avec le monde du travail, à développer l’alternance, plus généralement à ouvrir le système de formation initiale à la diversité, à mobiliser les entreprises et à renforcer la lutte contre les discriminations.

La mission a aussi abordé – inévitablement – la thématique de la « mesure de la diversité », qui suscite actuellement tant de prises de position passionnées. Avancer sur cette thématique particulièrement délicate implique de répondre à de multiples questions préalables et de prendre en compte les conséquences des choix que l’on propose :

– qu’est-ce que l’on veut mesurer : la diversité des origines ou toutes les diversités – chacun porte de multiples diversités –, ou encore les actes de discrimination, ou le nombre de personnes discriminées ? La mesure de la diversité ne se confond pas avec celle des discriminations ; le constat d’une diversité d’origines dans une entreprise, une administration, un groupe humain donnés n’y prouve pas l’absence de discriminations, et réciproquement ;

– si l’on se centre sur la diversité des origines, comment la qualifie-t-on ? À travers les « données objectives » que sont le lieu de naissance ou le patronyme des personnes et de leurs ascendants, au risque de les enfermer dans une identité imposée ? Ou à travers un « ressenti d’appartenance » subjectif au risque d’une validité scientifique discutable et de la valorisation des sentiments communautaires ?

– surtout, pourquoi cette mesure ? L’enjeu est bien de quantifier des inégalités de traitement injustifiées, des injustices ; c’est du débat entre une égalité « formelle » et une égalité « réelle » qu’il est question. Disposer d’outils statistiques ne permet pas seulement de mesurer des phénomènes, mais contribue aussi à « construire » des catégories, des « réalités sociales ». Cela débouche nécessairement sur des revendications, sur la demande de mesures correctives, pour passer de l’égalité devant la loi à l’égalité par la loi. Cela, du point de vue de la mission d’information, ne doit en aucun cas signifier des « quotas » de quoi que ce soit, mais ce refus légitime implique aussi que l’on s’explique clairement sur ce à quoi peut servir une meilleure connaissance des diversités.

Dans ce contexte et en prenant en compte toutes ces dimensions, l’intervention du législateur est attendue, et ce par toutes les sensibilités politiques – que l’on pense au discours du Président de la République à Palaiseau le 17 décembre 2008 ou au dépôt, par le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche, d’une proposition de loi traitant notamment de la question. D’une part, le cadre légal actuel apparaît vieilli et inadapté. D’autre part, dès lors qu’à tort ou à raison, certains estiment que les fondements de la République sont en jeu, c’est le rôle du Parlement que de se saisir de la question. Telle est du moins la conviction de la mission, même si elle prend acte par ailleurs de la nécessité d’affiner encore les solutions à proposer tout en faisant œuvre de pédagogie.

I.- LES CONSTATS

A. L’INSERTION DES JEUNES DANS L’EMPLOI : DES PERFORMANCES MÉDIOCRES, EN PARTICULIER POUR LES JEUNES ISSUS DE LA DIVERSITÉ

Le premier constat de la mission porte sur le bilan de l’accès des jeunes à la qualification et à l’emploi dans notre pays : il n’est pas satisfaisant.

1. Au moins 120 000 jeunes qui sortent tous les ans du système scolaire sans aucune qualification reconnue

En 2007, selon les documents budgétaires (1), 84 % des jeunes de 20 à 24 ans étaient en France titulaires (au moins) d’un diplôme de fin de second cycle de l’enseignement secondaire. Cela laisse tout de même 16 % d’une génération qui n’a pas de qualification reconnue par le système scolaire, ce qui représente environ 120 000 jeunes sortant par an du système dans cette situation (2). D’autres estimations sont même plus élevées.

Ce taux de 84 % de jeunes obtenant une qualification scolaire est supérieur à la moyenne de l’Union européenne (78,1 %), mais en deçà des performances de certains de nos partenaires, tels la Finlande, la Suède et l’Irlande, qui sont aux alentours de 87 % sur cet indicateur.

Ce que l’on appelle le « décrochage » scolaire, sur lequel on reviendra, concernerait 2,5 % des collégiens, 4,6 % des élèves des lycées généraux, 11 % de ceux des lycées professionnels.

2. Des performances dans l’accès des jeunes à l’emploi qui restent en deçà de la moyenne européenne.

Par ailleurs, si l’on s’intéresse maintenant à l’accès des jeunes à l’emploi, on voit que les performances de la France restent médiocres en comparaison de nos voisins européens : elles sont en deçà de la moyenne communautaire.

On peut mesurer ces performances en termes de taux d’activité des jeunes, de taux de chômage (rapporté au total des jeunes « actifs ») ou de taux de jeunes sans emploi rapporté à l’ensemble de leur population. Quel que soit l’indicateur retenu, notre pays apparaît en 2007 (dernière année connue) en retrait, avec 31,5 % seulement de jeunes actifs contre plus de 37 % dans l’ensemble de l’Union européenne, 19,4 % de chômage des jeunes contre 15,4 % pour l’UE, 7,3 % du total des jeunes en situation de chômage contre 6,8 % pour l’UE. Sur la base de ce dernier indicateur, la France est en vingt-troisième position sur 27 Etats-membres.

Situation des jeunes de 15-24 ans par rapport à l’emploi dans l’Union européenne en 2007 (Etats-membres rangés par taux croissant de chômage des jeunes rapporté à l’ensemble des jeunes)

(en %)

 

Taux d’emploi

Taux de chômage (par rapport aux actifs)

Taux de chômage sur l’ensemble des jeunes

Lituanie

25,2

8,2

2,2

République tchèque

28,5

10,7

3,4

Estonie

34,5

10,0

3,8

Luxembourg

22,0

17,5

4,1

Chypre

37,4

9,8

4,2

Slovénie

37,6

10,1

4,2

Pays-Bas

68,4

5,9

4,3

Bulgarie

24,5

15,1

4,4

Lettonie

38,4

10,7

4,6

Hongrie

21,0

18,0

4,6

Irlande

49,9

9,3

5,0

Autriche

55,5

8,6

5,3

Danemark

65,3

7,9

5,6

Allemagne

45,3

11,1

6,1

Roumanie

24,4

20,1

6,1

Italie

24,7

20,3

6,3

Belgique

27,5

18,8

6,4

Union européenne

37,2

15,4

6,8

Portugal

34,9

16,6

6,9

Slovaquie

27,6

20,3

7,0

Malte

46,0

13,1

7,1

Pologne

25,8

21,7

7,1

Grèce

24,0

22,9

7,1

France

31,5

19,4

7,3

Espagne

39,1

18,2

8,7

Royaume-Uni

52,1

14,4

8,8

Finlande

44,6

16,5

8,8

Suède

42,2

19,1

10,1

Source : Eurostat.

Une récente étude du CRÉDOC (3) portant sur les jeunes de 18 à 29 ans sortis du système scolaire et universitaire dénombre parmi eux en France :

– 2,4 millions de jeunes bénéficiant d’un contrat à durée indéterminée à temps plein ;

– 2,5 millions de jeunes plus ou moins éloignés d’un emploi « de qualité » : en temps partiel, contrats à durée déterminée, intérim, contrat aidé ou au chômage (cette dernière catégorie regroupant 860 000 personnes) ;

– 430 000 jeunes complètement hors du marché du travail.

Selon cette étude, une minorité des jeunes qui ne sont plus élèves ou étudiants sont donc véritablement insérés dans l’emploi stable. Les facteurs de pénalisation principaux, qui en éloignent, sont naturellement le fait d’être sorti du système scolaire sans qualification ou très peu qualifié, mais aussi d’avoir suivi une filière de formation générale. Les jeunes éloignés de l’emploi ont majoritairement un faible « capital » académique (scolaire) et socioculturel, mais ce n’est pas le cas de 40 % d’entre eux, qui sont des bacheliers, voire des diplômés de l’enseignement supérieur issus de milieux sociaux en général assez favorisés.

3. Une situation relative des quartiers populaires qui ne s’améliore pas

La mesure des situations sociales comparées de différents groupes selon leur « origine » se heurte, on y reviendra, à des obstacles juridiques et politiques. L’analyse « territoriale » offre un biais permettant d’approcher la réalité des populations à la fois socialement défavorisées et souvent issues de l’immigration qui sont concentrées dans certains quartiers. Le fait est que les ex-zones d’éducation prioritaire concentrent, selon le Centre d’études et de recherches sur les qualifications (CEREQ), 34 % des enfants d’origine maghrébine résidant en France, contre 12 % des enfants d’origine portugaise et 7 % seulement des enfants « français de souche » (sur le critère d’origine géographique des parents).

Grâce à la mise en place de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles (ONZUS), nous disposons de statistiques sur la situation comparée dans ces zones (les ZUS (4)) et sur le reste du territoire. Il en ressort un constat inquiétant. En 2007, la population des ZUS restait fortement touchée par le chômage et l’inactivité : près de 12 % des résidents de ces zones âgés de 15 à 59 ans étaient au chômage (contre 6 % au niveau national) et 33,6 % étaient inactifs, soit 8 points de plus qu’au niveau national. S’agissant du taux de chômage (rapporté donc au nombre d’actifs), il atteignait dans ces quartiers 17,9 %, soit plus du double de la moyenne nationale (8,1 %). Comme il ressort du tableau ci-après, qui compare la situation du chômage parmi les résidents des ZUS et parmi ceux des quartiers hors-ZUS des agglomérations comprenant une ZUS, la situation relative de l’emploi dans les ZUS s’est dégradée de 2004 à 2007, car le taux de chômage n’y a pas diminué alors qu’il diminuait dans la population générale.

Taux de chômage selon le niveau de diplôme et le lieu de résidence en 2004 et 2007

Niveau de diplôme

Chômage dans les zones urbaines sensibles (ZUS) (en %)

Chômage dans les quartiers hors ZUS des unités urbaines ayant une ZUS (en %)

Rapport des taux de chômage ZUS/hors ZUS

 

2004

2007

2004

2007

2004

2007

Diplôme supérieur

11,1

11

7,4

5,8

1,5

1,9

Bac + 2

10,4

13,2

6,1

5,6

1,7

2,4

Bac

15,4

15,9

9,1

8,1

1,7

2,0

CAP, BEP

14,6

16,5

8,6

8,4

1,7

2,0

BEPC

20,6

21,7

10,9

10,2

1,9

2,1

Aucun diplôme

23,9

22

14,2

15,7

1,7

1,4

Total

17,8

17,9

9,3

8,6

1,9

2,1

Source : Observatoire national des zones urbaines sensibles, rapport 2008.

Ce chômage des « quartiers » touche particulièrement les jeunes : le taux de chômage des 15-24 ans était en 2007 de 32 % en ZUS, contre 19,3 % dans le reste des agglomérations.

Les jeunes des ZUS sont en général moins diplômés que la moyenne : 32 % n’ont aucun diplôme, contre 14 % pour les jeunes hors ZUS ; 11 % ont validé un deuxième cycle de l’enseignement supérieur, contre 27 % pour les autres jeunes. Mais un niveau moyen de diplôme plus élevé ne résoudrait pas le problème du chômage dans les quartiers de la politique de la ville. Comme l’indique le tableau ci-avant, pratiquement à tous les niveaux de diplôme, les taux de chômage sont en ZUS deux fois plus élevé qu’hors ZUS ; paradoxalement, seuls les non-diplômés font exception à cette règle, avec un taux de chômage hors ZUS qui n’est « que » de 40 % supérieur au taux observé en ZUS. Le niveau moyen de diplôme ne paraît donc pas être le principal déterminant de la prégnance du chômage dans les « quartiers » : on doit aussi évoquer l’éloignement géographique par rapport aux opportunités d’emploi, l’isolement social des résidents, dépourvus de réseaux sociaux hors de leur cité, et bien évidemment diverses formes de discrimination en raison de leur origine supposée au simplement de leur lieu d’habitation. Tout cela est renforcé par l’intériorisation de cette situation, qui amène les individus à s’autocensurer, à se convaincre que l’emploi, ou du moins l’emploi stable, qualifié, valorisant, « ce n’est pas pour eux » et qu’il est donc vain de le rechercher (quel que soit le niveau de qualification).

Un autre indicateur, le taux d’illettrisme des adultes (18-65 ans) (5), est également significatif : il est en ZUS le double de la moyenne nationale (18 % contre 9 %).

Cela dit, si ce type d’indicateurs montre la concentration des difficultés dans certains quartiers, il convient de rester conscient que ces difficultés sont présentes sur tout le territoire. En effet, les ZUS regroupant environ 7,5 % de la population française, dire que le taux de chômage ou d’illettrisme y est le double de la moyenne nationale signifie que 15 % des demandeurs d’emploi ou des personnes en situation d’illettrisme y résident, 85 % résidant donc ailleurs. Pour prendre le cas de l’illettrisme, on sait qu’il est également surreprésenté dans les zones rurales (49 % des personnes en situation d’illettrisme vivent dans des villages ou villes de moins de 20 000 habitants). L’analyse des taux d’illettrisme chez les jeunes participant aux journées d’appel de préparation à la défense (JAPD) montre une évolution inquiétante – ce taux passant en moyenne nationale de 4,4 % à 4,9 % de 2004 à 2007 –, mais aussi des situations locales contrastées : le taux d’illettrisme de ces jeunes est très élevé (supérieur à 7 %) dans des départements urbains défavorisés comme la Seine-Saint-Denis, mais aussi dans quelques départements très ruraux comme l’Orne ou la Creuse ainsi que dans une vaste région nord (Picardie et Nord-Pas-de-Calais) qui comprend à la fois des bassins industriels appauvris et des zones rurales.

4. La réalité des discriminations liées à l’origine des personnes

Le cadre légal actuel, qui s’inscrit dans une tradition républicaine propre à notre pays et sera décrit ultérieurement, limite les possibilités de « mesure » de la diversité et des discriminations liées à l’origine. Il n’exclut pas, cependant, certaines formes de mesure des discriminations, différentes approches étant possibles.

a) Les différentes approches possibles pour mesurer les discriminations et la diversité

L’ambition de disposer d’éléments statistiques sur ce que l’on appellera de manière générique « l’origine » des personnes n’est pas neuve, y compris dans notre pays. Dès le milieu du XIXe siècle, les recensements effectués en France ont comporté une interrogation sur la nationalité, qui a évolué. Plus récemment, le Haut conseil à l’intégration a défini en 1991 la catégorie d’« immigré », caractérisée par le cumul d’un lieu de naissance et d’une nationalité de naissance l’un et l’autre étrangers. Diverses grandes enquêtes statistiques publiques comprennent désormais des questions sur le lieu et la nationalité de naissance non seulement des personnes interrogées, mais aussi sur ceux de leurs ascendants, permettant d’identifier les parcours des immigrés dits de « deuxième génération » et les difficultés qu’ils rencontrent.

Selon une analyse de l’Institut national d’études démographiques (INED) (6), trois grands types de démarches sont envisageables pour mesurer la diversité des origines et le cas échéant comparer la situation des groupes de résidents d’un pays qui sont d’origine différente :

– la première méthode repose sur le recueil et l’exploitation d’éléments objectifs tirés de l’état-civil ou relatifs à l’ascendance des personnes : nom et prénom, lieu de naissance et nationalité non seulement des personnes concernées, mais aussi de leurs parents, voire grands-parents ;

– une seconde approche repose sur la déclaration subjective d’une origine renvoyant à des réalités géographiques et/ou culturelles objectives (pays ou aire culturelle et/ou linguistique dont les personnes se considèrent originaires) ;

– la dernière approche repose enfin sur la déclaration d’une identité « ethno-raciale » (« blanc », « noir », « asiatique »…).

L’enquête précitée comprenait une question sur le sentiment de malaise des personnes interrogées par rapport aux trois méthodes : sans surprise, la première et la seconde suscitaient peu de réticences (4 % seulement des personnes se déclarant « mal » ou « très mal à l’aise »), la dernière nettement plus, même si ces réticences restaient minoritaires (avec 12 % de « mal à l’aise »), en particulier chez les personnes appartenant aux catégories qu’on peut supposer discriminées (d’ascendance étrangère ou se reconnaissant dans les types ethno-raciaux minoritaires).

De même, la réticence à répondre à des questions sur l’origine apparaissait variable selon l’objet des questionnaires : renseignement de fichiers d’entreprise ou administratifs, enquête scientifique, recensement… L’hostilité se manifestait particulièrement par rapport aux données qui seraient demandées dans le cadre de l’entreprise ou pour l’administration (un cinquième des personnes se refusant à donner dans ce cadre des informations sur leur ascendance ou leur origine subjective, un tiers à s’inscrire alors dans la classification ethno-raciale).

b) Les classifications ethno-raciales existant dans certains pays dans l’optique d’une mesure globale des discriminations dont les personnes sont l’objet

Les pays anglo-saxons disposent depuis longtemps (voire depuis toujours pour les États-Unis) de classifications ethno-raciales qui renvoient à des origines et/ou des types physiques ; en Europe, seule la Grande-Bretagne met en œuvre ce type de classification. Ces systèmes permettent naturellement la mise en place, avec des contraintes plus ou moins fortes, de systèmes dits d’« ethnic monitoring » mesurant et éventuellement sanctionnant la part de tel ou tel groupe, d’une part, dans la population générale, d’autre part, par exemple, dans le personnel d’une entreprise. De tels dispositifs donnent donc une vision de l’état global d’inégalités sociales injustifiées, donc de discriminations dont peut être victime tel ou tel groupe et fournissent des objectifs chiffrés pour d’éventuels programmes d’« affirmative action » ; la mesure d’un état global de discrimination permet de prendre en compte non seulement les discriminations directes, mais aussi l’effet des discriminations indirectes, c’est-à-dire, selon le droit communautaire, celles résultant de dispositifs « apparemment neutres » (ne faisant pas référence à un critère interdit de discrimination, comme le sexe, la « race » ou l’origine) et n’ayant pas nécessairement un objet discriminatoire, mais qui désavantagent de fait certaines catégories de personnes.

Toutefois, les catégorisations ethno-raciales peuvent être critiquées pour de multiples raisons :

– elles sont simplificatrices dans la mesure où elles retiennent un nombre limité de groupes ethniques ou raciaux ou communautés possibles (ou du moins « flèchent » vers les réponses proposées même quand elles laissent la liberté d’autres réponses) ;

– elles sont souvent incohérentes, car dans les pays où elles sont pratiquées, elles mêlent des critères d’apparence physique (« blanc »/« noir »), d’origine géographique (« asiatique »), de religion ou d’origine religieuse (« juif »), etc ;

– elles renvoient à une représentation des origines des personnes (sentiment d’appartenance à une « communauté ») qui n’aurait rien à voir avec l’« ethnicité », laquelle renvoie plus au partage d’une culture qu’à une origine commune ;

– elles sont subjectives (elles reposent sur les déclarations d’appartenance des personnes à tel ou tel groupe), alors même que la discrimination ne peut résulter que des comportements d’autrui, de l’interaction sociale ;

– s’agissant plus particulièrement des éléments de catégorisations renvoyant à l’apparence physique (notamment la couleur de peau), ils sont, par construction, inopérants car il n’est pas possible de « mesurer » scientifiquement celle-ci.

c) Les approches mises en œuvre en France

En France, dans le cadre juridique républicain que l’on présentera ultérieurement, il est, sauf exception, exclu de classer les personnes selon des critères « ethno-raciaux » et donc de parvenir à une mesure globale de la discrimination des personnes appartenant notamment à ce que l’on appelle les « minorités visibles ». La citoyenneté républicaine exclut les distinctions de race et d’origine. On doit donc, en règle générale, se contenter d’approches plus parcellaires ou indirectes.

● L’approche par le décompte d’actes de discrimination réels ou suscités

On peut ainsi s’efforcer de recenser les actes de discrimination à défaut de décompter les personnes qui en sont victimes et de qualifier pleinement l’ampleur des discriminations en cause. Il en est ainsi avec les statistiques produites par la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) sur la nature des motifs de discrimination dans les réclamations qui lui sont adressées. Les discriminations en fonction de l’origine réelle ou supposée arrivent en tête dans les motifs de ces réclamations, ainsi que le montre le tableau ci-après.

Part des différents motifs de discriminations dans les réclamations à la HALDE

(en %)

Motifs de discrimination invoqués

2006

2007

Origine

35

27

État de santé-handicap

19

22

Age

6

6

Activités syndicales

4

6

Sexe

5

6

Situation de famille

2

2

Orientation sexuelle

2

2

Convictions religieuses

1

2

Apparence physique

1

1

Opinions politiques

1

1

Autres critères et réclamations ne mettant pas en cause une discrimination

24

25

Total des réclamations

100

100

Source : HALDE, rapport d’activité 2007.

Les opérations de testing constituent un autre instrument. Elles permettent de mesurer, par exemple, les chances d’un candidat présentant diverses caractéristiques de décrocher un entretien d’embauche : une opération récente (7) a ainsi établi que lorsqu’un candidat virtuel à un ensemble d’offres d’emploi (plus de 1 300 dans cette enquête) adresse un curriculum vitae avec un nom et un prénom à consonances maghrébines, ses chances d’être convoqué à un entretien d’embauche ne représentent en moyenne que 36 % de celles d’un candidat « de référence » (masculin, jeune et doté d’un nom « français de souche »).

Pour les réponses aux offres d’emplois de cadre, ce taux tombe à 17 %, ce qui vient en résonance avec le constat fait supra qu’avoir un diplôme, quand on réside en ZUS, ne protège pas du chômage.

Ce testing a toutefois montré également l’ampleur des discriminations à l’embauche liées à d’autres facteurs que l’origine étrangère supposée, en particulier celles liées à l’âge, comme on le voit sur le tableau ci-après, extrait de cette enquête.

Taux moyen de réponses positives (entretiens d’embauche accordés)
selon les caractéristiques des CV testés, par rapport au « candidat de référence »

(en %)

Candidat « senior » (48-50 ans)

Candidat à nom et prénom « maghrébins »

Candidat handicapé

Candidat féminin avec trois enfants

Candidat au visage « disgracieux »

32

36

54

63

71

De manière générale, le testing présente toutefois d’importantes limites intrinsèques : s’il peut évaluer les discriminations dans l’accès à l’entretien d’embauche, il ne permet pas de mesurer les chances des candidats ayant différentes caractéristiques de passer avec succès cette phase et d’être embauchés ; a fortiori, après l’embauche, il ne permet pas d’évaluer les discriminations dans le déroulement des carrières professionnelles.

Plus généralement, l’approche par le décompte des actes de discrimination ne permet pas de quantifier les discriminations indirectes.

● L’approche fondée sur l’exploitation des « données objectives »

L’exploitation des données d’état-civil au sens large (nom, prénom, lieu de naissance, nationalité, adresse…) permet, surtout si l’on prend aussi en compte celles des parents, voire des grands-parents des personnes concernées, de cibler des groupes assez représentatifs de populations que l’on peut penser être l’objet de discriminations en raison de leur origine : par exemple les immigrés de la première et de la deuxième génération, ou plus précisément les immigrés issus du Maghreb. C’est ainsi qu’en 1992 a été conduite une enquête « Mobilité géographique et insertion sociale » comparant, sur de nombreux aspects sociaux, la situation d’immigrés, d’enfants d’immigrés et d’un échantillon témoin. Tout récemment, les services statistiques du ministère du travail ont réalisé une enquête sur les conditions de travail des 7 % de salariés immigrés (8), conditions qui ressortent dans l’ensemble plus pénibles, monotones et dépourvues d’autonomie que pour les autres salariés ; l’INSEE a par ailleurs constaté que leur taux de chômage est le double de celui des autres salariés. Le CEREQ se livre pour sa part à des enquêtes sur les études suivies par des « générations » en distinguant les jeunes selon l’origine géographique de leurs parents : on sait ainsi que 72 % seulement des enfants d’immigrés entrés en cours préparatoire en 1997 sont ensuite entrés en classe de sixième à l’échéance normale ou en avance, contre 84 % de ceux issus de familles non-immigrées, ou encore que les décisions d’orientation scolaire sont perçues comme injustes par 25 % des jeunes dont la famille provient du Maghreb, contre 17 % de ceux qui sont d’ascendance franco-française ou portugaise.

D’autres traitements statistiques plus anecdotiques ont pu être fondés sur des éléments inattendus tels que les patronymes et les prénoms. Ainsi, en 2006, l’Observatoire des discriminations du professeur Jean-François Amadieu a-t-il, sous l’intitulé « Olivier, Gérard et Mohammed ont-ils les mêmes chances de faire carrière ? », analysé la situation socioprofessionnelle de personnes répertoriées dans les enquêtes emploi de l’INSEE selon qu’elles portaient un prénom réputé « bourgeois », « populaire » ou « maghrébin ». Ce travail montre qu’à milieu social d’origine (catégorie socioprofessionnelle du père) équivalent, les porteurs de prénoms « bourgeois » auraient plus de chance de connaître une mobilité sociale ascendante que les porteurs de prénoms « populaires » et plus encore « maghrébins ». Le prénom serait donc un marqueur social entraînant une présomption d’appartenance à un milieu social ou d’origine, présomption qui pèserait sur la destinée sociale des intéressés.

● Un cas particulier : le comptage des « minorités visibles » sur les écrans de télévision

Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a créé en 2007 un « observatoire de la diversité » qui a fait réaliser en 2008 une étude par une équipe universitaire, consistant, sur une semaine de programmes de 16 chaînes, à décompter les individus apparaissant à l’écran en les qualifiant selon des critères de couleur de peau. Il en est ressorti que les personnes perçues comme « non blanches » représentaient 14 % des 42 500 individus visibles à la télévision cette semaine-là, ce taux variant selon la nature des émissions : 35 % dans les émissions musicales, 34 % dans celles de sport, 20 % dans celles de divertissement, mais 15 % seulement dans les journaux télévisés, 11 % dans les fictions françaises, 8 % dans la publicité et 7 % parmi les présentateurs et animateurs. Cette hétérogénéité de taux peut sans doute être rattachée à des stéréotypes qu’elle tend elle-même à renforcer (« les noirs sont doués pour le sport et la musique ») ; par ailleurs, la présence des minorités visibles est plus faible dans les productions françaises que celles importées des États-Unis, où s’appliquent de fait des quotas de visibilité.

Par rapport à une étude similaire conduite en 1999, l’amélioration de la visibilité des minorités a été faible, de l’ordre d’un point.

Plus généralement, cette démarche du CSA est intéressante parce qu’elle applique une méthode, le comptage explicite des minorités visibles par un tiers – et ce en étant conscient que cela repose sur une perception subjective –, qui est jugée inacceptable dans la plupart des domaines (les opérations de même nature menées pour mesurer la diversité parmi les élus politiques suscitant notamment de vives controverses). Mais l’audiovisuel est évidemment à cet égard un domaine à part : à l’écran, l’enjeu est nécessairement la diversité visible.

B. … MALGRÉ UNE MOBILISATION INDÉNIABLE DES POLITIQUES PUBLIQUES ET DES ACTEURS PRIVÉS

Les résultats insuffisants obtenus en matière d’égal accès des jeunes à la qualification et à l’emploi ne doivent pas occulter les politiques volontaristes d’égalité des chances et de lutte contre les discriminations qui ont été développées ces dernières années.

1. La mobilisation de l’éducation nationale

En premier lieu, il convient d’observer que les réformes en cours ou envisagées dans l’éducation nationale s’inscrivent dans une démarche forte d’égalité des chances :

– le « socle commun de connaissances et de compétences » vise à garantir à tous un acquis minimum ;

– la réforme de l’enseignement primaire, qui a introduit deux heures d’aide individualisée par semaine pour les élèves qui en ont besoin, le déploiement de l’accompagnement éducatif dans les collèges (221 527 collégiens de l’éducation prioritaire en ont bénéficié en 2007-2008 ; en 2008-2009, 710 227 collégiens sont concernés), enfin la prochaine réforme de l’enseignement professionnel qui comprend deux heures et demie d’aide personnalisée par semaine, mettent en place une logique de réponse individualisée qui doit permettre d’assurer l’égalité des chances pour ceux qui sont en difficulté.

La politique de réussite éducative menée par l’éducation nationale en liaison avec les municipalités est considérée comme efficace par des élus locaux rencontrés par la mission. Elle permet le signalement et le traitement rapides des problèmes, avec des interventions en direction des familles, ce qui est essentiel. Mais elle concerne surtout l’enseignement primaire et il ne semble pas exister de dispositif aussi performant s’agissant des adolescents.

2. La priorité donnée au développement de l’alternance

Les formules d’alternance présentent le triple mérite de donner à ceux qui s’y inscrivent une connaissance concrète de l’entreprise, de leur permettre de se constituer des réseaux dans le monde du travail (voire d’y trouver directement un emploi durable) et de leur apporter une rémunération : trois enjeux déterminants pour les jeunes les plus défavorisés et isolés socialement.

Le développement de l’alternance a été puissamment soutenu depuis cinq ans :

– des mesures importantes ont été mises en œuvre, notamment dans le cadre du plan de cohésion sociale, pour donner toute sa place à l’apprentissage : amélioration de la rémunération des apprentis ; création d’une carte d’apprenti donnant les mêmes avantages que la carte d’étudiant ; incitation des entreprises à l’embauche d’apprentis sur le mode bonus/malus avec l’instauration, d’une part, d’un crédit d’impôt, d’autre part, d’une majoration de la taxe d’apprentissage en cas d’effectifs insuffisants en alternance ; assouplissement de l’accès à l’apprentissage dans les formations supérieures ; dérogations aux conditions d’âge, etc. Ces mesures ont permis une véritable relance de l’apprentissage, même si l’objectif de 500 000 apprentis affiché dans le plan de cohésion sociale ne sera vraisemblablement pas atteint : alors que l’effectif de jeunes apprentis évoluait peu depuis de nombreuses années – en « stock » au 31 décembre, 347 000 en 1998, 362 000 en 2004 –, il a augmenté de 17 % depuis 2004, pour atteindre 403 000 fin 2006 et 425 000 fin 2008 ;

– s’agissant de l’alternance financée sur les fonds de la formation professionnelle, le contrat de professionnalisation, instauré en 2004 à l’initiative des partenaires sociaux, concernait fin 2008 plus de 181 000 jeunes ;

– la loi n° 2006-396 du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances a par ailleurs ouvert la voie à un encadrement des stages étudiants, qui faisaient l’objet de trop nombreux abus, en particulier aux dépens des jeunes les plus défavorisés pour lesquels la perception d’une rémunération est essentielle. Même si toutes les difficultés et tous les abus n’ont pas été surmontés, force est de prendre acte que ces stages doivent désormais être conventionnés ainsi que défrayés, dès le premier jour, lorsqu’ils durent plus de trois mois (la gratification minimale des stagiaires a été fixée en 2008 à 12,5 % du plafond de la sécurité sociale, soit environ 357 euros par mois début 2009) ;

– dans la fonction publique a été mis en place en 2006 le PACTE (« Parcours d’accès aux carrières de la fonction publique territoriale, hospitalière et d’État »). Ouvert aux jeunes de 16 à moins de 26 ans, c’est un contrat de droit public d’une durée d’un an à deux ans alternant formation et stage et permettant ensuite une titularisation, dans un emploi de catégorie C, à l’issue d’une vérification d’aptitude.

On relèvera enfin que l’accord national interprofessionnel du 7 janvier 2009 sur le développement de la formation tout au long de la vie professionnelle, la professionnalisation et la sécurisation des parcours professionnels, qui n’est pas encore appliqué, tend à réorienter les contrats de professionnalisation vers les publics les plus éloignés de l’emploi en instituant, pour certaines catégories de personnes (définies par leur qualification faible ou absente, le fait de bénéficier d’un minimum social ou de sortir d’un contrat aidé, etc.) bénéficiant de ces contrats une possibilité d’accompagnement spécifique par un tuteur externe à l’entreprise (en plus de leur tuteur dans l’entreprise).

3. De nombreuses expérimentations destinées à diversifier l’accès aux filières d’excellence

Depuis quelques années, des expérimentations ont été engagées pour parvenir à une plus grande « diversité » des jeunes accédant à certaines filières d’excellence. Ces opérations sont plutôt le fait de « grandes écoles » que d’universités, ces dernières ayant d’autres préoccupations plus pressantes et ne considérant pas qu’elles ont un « problème » avec la diversité de leurs étudiants. Ces actions ont parfois été engagées ou du moins sont souvent soutenues par de grandes entreprises. Au regard des analyse qui en ont été faites (9), elles se rattachent principalement à quelques grandes options : le tutorat ou « coaching » scolaire d’élèves de lycées situés dans des quartiers populaires ; la présélection d’élèves de ces lycées auxquels on assure une aide particulière afin qu’ils réussissent ensuite un concours de droit commun ; la mise en place de modalités parallèles de recrutement.

a) Les actions d’information, de « coaching » et de tutorat

Issues d’initiatives diverses d’associations d’élèves des grandes écoles ou de certaines écoles comme l’ESSEC, de multiples actions de tutorat et/ou de coaching au bénéfice de petits groupes d’élèves de lycées des quartiers populaires ont été engagées et généralisées à des degrés divers : sous l’appellation « Pourquoi pas moi ? », avec plus de 6 000 lycéens bénéficiaires actuellement, par la Conférence des grandes écoles ; sous l’appellation « Un pont pour l’avenir » par la Conférence des directeurs d’écoles et de formations d’ingénieurs ; sous le label des « Cordées de la réussite » lancé à la fin de l’année 2008, par le Gouvernement, etc. L’objectif de ce type d’opérations est d’abord d’organiser la rencontre de mondes différents de sorte que les jeunes issus de quartiers populaires prennent conscience de leurs capacités et de tout le champ des possibles, tout en faisant, selon une formule entendue par la mission, de la « musculation intellectuelle » afin de se préparer, pour ceux qui le pourront, à s’inscrire ultérieurement dans les filières prestigieuses de droit commun ; il s’agit à la fois d’ouvrir l’esprit et d’aider « à passer les haies plutôt qu’à en abaisser la taille ». Selon des personnes rencontrées par la mission, le tutorat assuré par exemple par des salariés de grandes entreprises ou des élèves de grandes écoles a aussi le mérite de lever les préjugés qui existent chez les tuteurs, de les ouvrir à la « diversité ».

b) Les actions de présélection

Comme celles de tutorat, ce type d’actions se place en amont de l’entrée en grande école et vise à favoriser la réussite d’élèves issus de lycées de quartiers de la politique de la ville aux concours de droit commun des grandes écoles. Mais elles comportent un accompagnement spécifique beaucoup plus fort et sont en contrepartie ciblées sur un nombre limité de jeunes présélectionnés. Par exemple, le programme du « Cercle passeport télécoms », que sponsorisent une dizaine de grandes entreprises appartenant principalement au secteur des télécommunications, propose à des élèves, notamment de BTS, une année préparatoire spécifique aux concours des écoles d’ingénieurs télécoms, des bourses, puis une aide à la recherche d’emploi ; 1 300 jeunes sont concernés durant l’année scolaire 2008-2009. Le développement actuel de classes préparatoires spéciales de « mise à niveau » par certains lycées, en vue de l’intégration ultérieure dans leurs « prépas » classiques, s’inscrit dans la même logique, de même que l’annonce, dans la fonction publique, de la création de classes préparatoires intégrées à divers de ses concours, dont les plus prestigieux comme ceux de l’École nationale d’administration et des instituts régionaux d’administration. Ce type de mesures, déjà plus ciblées, donc moins conforme à une certaine conception traditionnelle de l’égalité républicaine, suscite déjà plus de réticences que les actions d’information et de coaching, lesquelles font l’unanimité.

La mise en œuvre d’actions de présélection permet aussi de tester des critères de compétence moins « académiques » ou moins « scolaires », des capacités plutôt que des connaissances ; c’est ce que fait l’École nationale supérieure des arts et métiers (ENSAM) en testant des lycéens des quartiers populaires auxquels elle offre ensuite un accompagnement vers les concours des écoles d’ingénieurs.

c) Les voies de recrutement parallèles

Cette option est illustrée par la mise en place par des instituts d’études politiques d’une voie d’accès spécifique destinée aux élèves de lycées d’éducation prioritaire conventionnés. Option la plus audacieuse par rapport à la conception classique du concours « égal pour tous », elle est donc aussi la plus critiquée. Certains relèvent déjà les détournements auxquels elle donnerait lieu : des parents bien informés inscriraient leurs enfants dans les lycées conventionnés pour leur ouvrir un accès réputé plus facile à « Sciences Po ».

d) La réforme des concours

Une voie d’expérimentation paraît moins explorée car peut-être trop « radicale », celle consistant à faire évoluer le contenu des examens et concours les plus prestigieux pour y donner moins de poids aux critères les plus académiques, aux matières qui favorisent le plus la reproduction sociale, notamment la dissertation de culture générale (sans programme souvent) ou les épreuves de langue (qui favorisent ceux qui ont bénéficié de coûteux séjours linguistiques). On relève cependant, par exemple, que les administrations financières (« Bercy ») ont modifié leurs concours spécifiques, y compris ceux dits de catégorie A, notamment en y remplaçant l’épreuve de dissertation générale par une note sur dossier. Globalement, 180 concours administratifs sur 600 (hors éducation nationale) ont ainsi été revus selon une annonce des ministres en charge de la fonction publique, MM. Éric Woerth et André Santini.

4. La mise en place de plusieurs dispositifs de « deuxième chance »

La notion de « deuxième chance » peut être perçue de manière plus ou moins large. Dans son acception la plus générale, elle renvoie à l’idée que chacun doit avoir droit à une « deuxième chance » de se former et de réussir professionnellement, notamment grâce à la formation continue tout au long de la vie organisée par les partenaires sociaux. Ce droit à la deuxième chance a été affirmé par le Président de la République (10). Dans l’acception plus étroite qui correspond à l’objet du présent rapport, elle renvoie à l’offre d’une possibilité de « rebondir » aux jeunes sortis du système scolaire en situation d’échec et qui se retrouvent ensuite, le plus souvent, sans emploi (autre que très précaire).

a) À la lisière de la « première » et de la « deuxième » chances : les dispositifs spécifiques de l’éducation nationale

Depuis 1996, il existe au sein de l’éducation nationale une « mission générale d’insertion » (MGI) dont l’objectif est de prévenir les sorties du système scolaire sans diplôme. Son public prioritaire est constitué par les jeunes de plus de 16 ans en cours de « décrochage » ou sortis du système depuis moins d’un an. Elle mène une action de prévention du décrochage à travers des cellules de veille constituées dans les établissements scolaires, qui repèrent les « décrocheurs » et organisent des « entretiens de situation » avec eux ; ces entretiens ont concerné en 2005-2006 près de 60 000 jeunes. Des solutions peuvent être proposées aux jeunes à travers des plateformes d’accueil associant à l’éducation nationale d’autres organismes d’insertion (missions locales, centres de formation d’apprentis, protection judiciaire de la jeunesse, etc.) ; des actions de formation peuvent aussi être proposées par la MGI.

La MGI comprend des structures expérimentales destinées spécifiquement aux élèves en décrochage. Par exemple, il existe à Sénart, depuis 2000, un « micro-lycée », destiné à 60 élèves, les uns inscrits en terminale, les autres dans un niveau ad hoc de réparation scolaire préparatoire à la terminale. Son financement provient principalement du conseil régional.

b) Un dispositif généraliste, celui des missions locales et permanences d’accueil, d’information et d’orientation (PAIO)

Les missions locales et PAIO n’ont pas directement pour objet d’apporter une formation aux jeunes. On doit cependant les considérer comme des outils de la deuxième chance dans la mesure où leur objet est d’accueillir et d’aider les jeunes en difficulté.

Il s’agit du seul dispositif de deuxième chance qui a un déploiement massif. En 2007, 995 000 jeunes ont été reçus en entretien individuel par un conseiller d’une mission locale ou d’une PAIO ; 3,6 millions d’entretiens individuels ont été réalisés. Parmi les 452 000 jeunes accueillis pour la première fois en 2007, 26 % ont accédé à un emploi et 17 % à une formation dans les six mois suivant leur premier accueil.

Les missions locales et PAIO gèrent le dispositif CIVIS. Ce « contrat d’insertion dans la vie sociale » s’adresse à des jeunes de 16 à 25 ans révolus rencontrant des difficultés particulières d’insertion professionnelle ; en 2007, 54 % des entrants dans le dispositif n’avaient pas validé un niveau V de formation (CAP) et 17,9 % résidaient en ZUS. Le CIVIS n’est pas un contrat de travail, mais une mesure destinée à organiser et formaliser les actions nécessaires à la réalisation d’un projet d’insertion dans un emploi durable. La durée du contrat est d’un an renouvelable. Les titulaires sont accompagnés par un référent et peuvent bénéficier, lorsqu’ils sont majeurs, d’une allocation versée pendant les périodes durant lesquelles ils ne perçoivent ni une rémunération au titre d’un emploi ou d’un stage, ni une autre allocation. D’après les données de fin janvier 2009, 680 922 jeunes ont intégré le programme CIVIS depuis son lancement en avril 2005. 410 359 jeunes en sont sortis, dont 162 600 vers l’emploi durable (tout emploi, à l’exclusion d’un contrat d’accompagnement dans l’emploi ou d’un contrat d’avenir, d’une durée prévue ou réelle d’au moins six mois) soit 40 %. 278 716 jeunes étaient toujours suivis en janvier 2009 ; 55 956 d’entre eux ont travaillé au cours du mois et 42 081 ont eu accès à une formation.

c) Le développement du réseau des écoles de la deuxième chance

Issues d’une initiative communautaire portée par Mme Edith Cresson lorsqu’elle était membre de la Commission européenne, les « écoles de la deuxième chance » (E2C) se sont rapidement développées et ont reçu une consécration législative nationale dans la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance. Selon le dispositif alors adopté, ces écoles ont pour objet de proposer « une formation à des personnes de dix-huit à vingt-cinq ans dépourvues de qualification professionnelle ou de diplôme. Chacune [de ces personnes] bénéficie d’un parcours de formation personnalisé. Ces écoles délivrent une attestation de fin de formation indiquant le niveau de compétence acquis de manière à faciliter l’accès à l'emploi ou à une certification inscrite au répertoire national des certifications professionnelles (…) ». La démarche pédagogique se fonde sur l’analyse des souhaits des jeunes quant à l’emploi qu’ils veulent occuper, la construction d’un projet en conséquence et le recours important à l’alternance. La formation dure de neuf mois à un an.

Le réseau des E2C connaît un développement rapide et des résultats très appréciables :

– il compte à ce jour, pour 16 membres, 43 sites en fonctionnement dans 12 régions et 25 départements. Les E2C ont accueilli 4 100 jeunes en 2008, contre 1 000 en 2003 et 2 700 en 2006 : la progression des effectifs a été proche de 40 % par an depuis cinq ans ;

– sur les stagiaires accueillis en 2007, 51 % provenaient des quartiers de la politique de la ville et 93 % n’avaient pas validé le niveau V de formation (CAP) : le ciblage des jeunes « décrocheurs » et des territoires les plus en difficulté est donc beaucoup plus net que pour le dispositif CIVIS ;

– en 2007, on a relevé 19 % d’abandons en cours de formation. Parmi les jeunes ayant achevé leur cycle, 61 % ont connu une « sortie positive » : un accès à l’emploi dit durable (contrat à durée indéterminée ou temporaire d’au moins six mois) pour 32 %, à la formation ou à l’alternance.

En 2008, le budget total de fonctionnement des E2C a représenté environ 24 millions d’euros ; le coût médian annuel d’un parcours a été évalué à 8 100 euros. Globalement, en 2008, la clef de financement moyenne des E2C (la situation variant beaucoup entre les écoles) a été la suivante :

Sources de financement prévues en 2008 pour les E2C

(en % du total)

État

Régions

Départements

Villes et EPCI

Fonds social européen

Taxe d’apprentissage

Autres

3,7

36,7

9

13,3

27,3

4,7

5,3

Comme on le voit, le financement des E2C repose sur des sources très diversifiées, avec une prédominance toutefois des apports des collectivités territoriales, en particulier des régions au titre de leurs compétences en matière de formation professionnelle des jeunes, et du Fonds social européen (cette source de financement étant cependant en extinction progressive).

À l’initiative du Président de la République, un renforcement important des moyens des E2C est d’ores et déjà acquis (11) pour 2009 à travers deux mesures :

– d’une part, la loi de finances pour 2009 prévoit 3 millions d’euros pour le financement de l’ouverture d’E2C, 20 nouveaux projets devant être lancés. Cette enveloppe était de 0,95 million d’euros en 2007 et de 1,4 million d’euros en 2008 ;

– d’autre part, la loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie permet aux entreprises de financer les E2C labellisées au titre de la fraction « hors-quota » (c’est-à-dire libre d’usage et non obligatoirement affectée au Fonds national de développement et de modernisation de l’apprentissage ou à des centres de formation d’apprentis) de la taxe d’apprentissage – et plus exactement de la fraction A de ce hors-quota, destinée aux formations de niveau V et IV. Le décret d’application de cette mesure vient d’être publié (décret n° 2009-221 du 24 février 2009).

d) L’Établissement public d’insertion de la défense (EPIDE)

Institué en 2005 dans le cadre du plan d’urgence pour l’emploi du Premier ministre Dominique de Villepin, le dispositif « Défense, deuxième chance » a été confié à l’EPIDE, établissement public créé ad hoc. Inspiré par l’expérience du service militaire adapté outre-mer, qui obtient de bons résultats, il s’adresse à des jeunes de 18 à 22 ans qui soit sont « sans diplômes ou sans titres professionnels », soit sont « en voie de marginalisation sociale » (12).

Il existe 20 centres EPIDE sur le territoire métropolitain, le « grand sud-ouest » étant cependant presque complètement délaissé (avec un seul centre à Bordeaux). Ils disposaient à l’automne 2008 de 2 100 places, pour un budget annuel d’environ 90 millions d’euros, financé par plusieurs départements ministériels.

Les jeunes, dénommés « volontaires », sont accueillis pour 8 à 24 mois, pris en charge en internat et perçoivent une allocation de 300 euros par mois, dont 150 euros versés mensuellement et 150 euros capitalisés et remis en fin de parcours. Ils sont soit envoyés suite aux journées d’appel de préparation à la défense (JAPD), soit adressés par les missions locales, soit recrutés par candidature spontanée, cette dernière voie d’entrée prenant un poids grandissant, ce en quoi les responsables de l’EPIDE voient un signe encourageant. Plus de 3 000 volontaires ont intégré les centres en 2007. D’après les données fournies (année 2007 ou 2008 selon les cas) :

– 71 % des volontaires sont des garçons ;

– 70 % n’ont aucun diplôme à leur entrée à l’EPIDE ;

– 91 % sont nés Français, mais 70 % ont un parent né à l’étranger ;

– 39 % viennent des quartiers de la politique de la ville (l’objectif de l’EPIDE étant d’atteindre un taux de 50 %) ;

– 30 % des volontaires ont déjà été jugés, 15 % sont sous suivi judiciaire, 20 % ont fait une tentative de suicide.

L’EPIDE délivre à la fois une formation civique et comportementale (avec notamment pour objet d’apprendre à s’intégrer dans une équipe de travail), une remise à niveau scolaire et des prestations d’insertion professionnelle (orientation, pré-formation, stages en entreprise). Le développement de la confiance des jeunes en eux-mêmes est recherché à travers la pratique sportive et la préparation de petits examens comme l’attestation de sécurité routière, puis d’un projet professionnel. La formule, fondée sur l’internat et un encadrement d’inspiration militaire, apparaît adaptée pour des jeunes qui n’ont pas de véritables problèmes psychiques, mais sont dépourvus d’autonomie et/ou justifient une surveillance.

Les résultats et les coûts sont l’objet de débats :

– le cadre étant strict, il y a de nombreux abandons en cours de stage (41 % en 2007 ; en 2008, on serait tombé à 28 % avec un objectif à terme de 18 %), ce qui entraîne des résultats ambigus en termes d’insertion ultérieure : en 2007, les « sorties positives » (emploi ou formation qualifiante) ont représenté 73 % de ceux qui ont achevé leur parcours, mais seulement 41 % de toutes les sorties ;

– le coût par jeune et par an est d’environ 45 000 euros. Ce coût, lié au régime d’internat et d’indemnisation des jeunes, mais aussi aux dépenses immobilières et, selon certaines critiques, au dimensionnement du siège de l’EPIDE, doit en principe être ramené à moins de 40 000 euros en 2009 et 35 000 euros en 2011. On peut le comparer aux 8 000 euros constatés dans les E2C, mais aussi aux plus de 200 000 euros du coût annuel d’un centre éducatif fermé par jeune concerné… Bref, un tel coût peut être justifié pour autant que l’EPIDE, avec sa formule spécifique, veille à bien se concentrer sur les jeunes pour lesquels elle est la plus adaptée, ceux qui sont en voie de marginalisation. C’est du moins la conclusion à laquelle est arrivé le Conseil économique, social et environnemental dans un récent avis (13), selon lequel le seul fait d’être sans diplôme ou sans emploi ne saurait être un critère suffisant pour prescrire l’EPIDE à une jeune.

e) Le service civil volontaire

Créé par la loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances précitée, le service civil volontaire est destiné aux jeunes de 16 à 25 ans qui désirent s’engager dans une mission en faveur de l’intérêt général sur le territoire national ou à l’étranger. Cette mission se déroule sur une période déterminée : six, neuf ou douze mois. Le dispositif vise, par ailleurs, à favoriser l’insertion sociale et professionnelle des intéressés, en leur permettant de compléter leur expérience et leur formation, en particulier en intégrant différents corps de métier publics. Environ 2 500 jeunes sont concernés.

*

À coté des dispositifs publics décrits ci-dessus, il convient de signaler que des actions de type « deuxième chance » sont sponsorisées par des entreprises. Par exemple, la Caisse d’épargne mène une action « Savoir pour réussir » au bénéfice de jeunes très désocialisés sur une vingtaine de sites : 1 500 jeunes en ont bénéficié, dont 39 % ont connu une « sortie positive ».

Il y a enfin les initiatives des partenaires sociaux. L’accord national interprofessionnel du 7 janvier 2009 précité institue ainsi un dispositif spécifique qui s’assimile à la deuxième chance, la « préparation opérationnelle à l’emploi », qui consiste en une action de formation ne pouvant excéder 400 heures réalisée au bénéfice d’un demandeur d’emploi afin de lui donner le socle de compétences professionnelles nécessaires pour occuper un emploi identifié (dont l’offre a été déposée par un employeur à Pôle emploi).

5. La relance de la politique de la ville

La politique de la ville a été relancée notamment dans le cadre de la « Dynamique espoir banlieues ». Sans prétention à l’exhaustivité, on peut signaler, pour ce qui intéresse la thématique des jeunes et de l’emploi, les mesures suivantes de la période récente :

– 30 lycées ont été labellisés « site d’excellence » pour renforcer les apprentissages et améliorer l’image des établissements scolaires dans les quartiers de la politique de la ville ;

– sur la thématique de l’accès à l’emploi, des « équipes emploi-insertion » ont été créées dans 65 quartiers et intégrées en 2006 au sein des maisons de l’emploi afin d’en constituer des antennes de proximité. L’Agence nationale pour l’emploi (ANPE) a pour sa part lancé en novembre 2005 la « mission emploi quartiers ». Plus de 155 000 jeunes ont été reçus en entretien en 2007, chacun ayant bénéficié de deux ou trois entretiens ; 33 000 placements ont été réalisés et 23 000 jeunes ont été orientés vers une formation. La prestation « objectif placement », visant particulièrement l’accès à l’emploi durable pour une population souvent exclue des processus de recrutement a concerné, jusqu’à sa fermeture fin 2007, un peu plus de 5 000 jeunes, dont près de 50 % étaient sortis pour reprise d’emploi à fin décembre 2007. Plus généralement, le développement par l’ANPE (dans le cadre d’opérations de recrutement dans lesquelles elle assiste des entreprises) des tests de compétences par la méthode de la simulation offre aux jeunes des quartiers des opportunités de démontrer leurs capacités dans un cadre non scolaire ;

– le « contrat d’autonomie » est expérimenté dans 35 départements et vise à l’accompagnement vers l’emploi, en trois ans, de 45 000 jeunes issus de quartiers prioritaires particulièrement marqués par le chômage. Il doit s’agir d’un parcours d’autonomie court et intensif (un an), contractualisé entre le jeune et un organisme de placement (associatif ou privé) sélectionné suite à un appel d’offres effectué en 2008. Les opérateurs s’engagent sur des objectifs chiffrés et sont rémunérés au résultat ; ils doivent accueillir les jeunes dans des locaux situés dans les quartiers concernés, pour aller chercher les demandeurs d’emploi au plus près de leurs lieux de vie. Durant une première phase d’accompagnement de six mois au plus, sont proposées des actions de formation et de coaching ; les formations sont financées sur fonds publics et, en échange d’une bourse optionnelle de 300 euros mensuels, le jeune s’engage à les suivre. Au terme de cette première phase, le dispositif doit déboucher sur un accès à l’emploi durable, une création d’entreprise ou une entrée en formation professionnelle qualifiante ; l’opérateur doit alors encore assurer six mois de suivi du jeune. Les prestations ont démarré dès juillet 2008 dans certains départements, à l’automne dans la majorité des cas ; à ce jour, 6 000 contrats ont été signés ;

– dans le cadre de la politique de rénovation urbaine, l’Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) a instauré une clause d’insertion : elle exige que 5 % du volume horaire des travaux d’investissement des projets qu’elle finance soit réservé aux résidents des ZUS, ainsi que 10 % des embauches directes ou indirectes effectuées dans le cadre de la gestion urbaine de proximité et de la gestion des équipements que l’agence aide. Au 1er semestre 2008, 6 500 personnes (à 80 % âgées de moins de 40 ans et à 95 % de sexe masculin) avaient obtenu par ce biais un contrat de travail, dont 73 % issues des ZUS ou des quartiers concernés par le plan de rénovation urbaine ;

– la création d’entreprises dans les quartiers est également soutenue par l’implantation de réseaux d’appui à la création dans les quartiers, l’opération « Talents des cités », la mise en place de services d’amorçage par la Caisse des dépôts et consignations, le lancement par l’Association pour le droit à l’initiative économique (ADIE), en 2007, de « CréaJeunes », programme comportant une possibilité de financement avec une bourse de 500 euros et un microcrédit d’un montant maximum de 5 500 euros ;

– le programme des zones franches urbaines (ZFU) a été relancé avec la création en 2003 de 41 nouvelles ZFU en sus des 44 existantes depuis 1997, puis, en 2007, l’extension de 31 zones de la première génération, la création de 15 nouvelles zones et la prorogation du dispositif jusqu’en 2011.

6. Une mobilisation croissante des entreprises

a) Plusieurs dispositifs de portée nationale

La « charte de la diversité » élaborée en 2004 a constitué le premier dispositif national voulant engager des entreprises volontaires sur la voie de la promotion de la diversité. Dans ce document, les entreprises adhérentes s’engagent à : sensibiliser et former leurs dirigeants et collaborateurs impliqués dans la gestion des ressources humaines aux enjeux de la non-discrimination et de la diversité ; respecter et promouvoir l’application du principe de non-discrimination dans toutes les étapes de gestion des ressources humaines ; chercher à refléter la diversité de la société française et notamment sa diversité culturelle et ethnique dans leur effectif, aux différents niveaux de qualification ; communiquer auprès de l’ensemble de leurs collaborateurs ces engagements et informer sur les résultats obtenus ; faire de la politique de diversité un objet de dialogue social ; inclure dans leur rapport annuel un chapitre descriptif des actions dans ce domaine.

Un « accord national interprofessionnel relatif à la diversité dans l’entreprise », que doivent décliner les branches et les entreprises, a ensuite été conclu par les partenaires sociaux le 12 octobre 2006. Cet accord présente le concept de diversité comme une « approche complémentaire et dynamique » de l’obligation légale de non-discrimination. Tout en actant que la diversité est elle-même diverse (elle renvoie au sexe, à l’âge, à l’orientation sexuelle, aux opinions, aux croyances, etc.), les partenaires sociaux y assument le choix « d’aborder, dans un premier temps, les discriminations directes ou indirectes, conscientes ou inconscientes, relevant des origines réelles ou supposées, c’est-à-dire de s’engager en faveur de la diversité sociale, culturelle et ethnique dans l’entreprise ». L’accord privilégie une « approche qualitative plutôt que quantitative ». Il insiste sur la nécessaire mobilisation des acteurs, en premier lieu des chefs d’entreprise : l’accent est mis sur la nécessité des actions de sensibilisation, de formation, de lutte contre les stéréotypes et les bonnes pratiques doivent être recensées. Pour ce qui est des embauches, les entreprises doivent adapter leurs procédures pour éliminer toute discrimination et diversifier les sources de recrutement.

Un « label diversité », qui sera attribué suite à une évaluation par un organisme certificateur (l’AFNOR) et repose sur un cahier des charges, a enfin été lancé en septembre 2008.

b) Une évolution mesurable des pratiques des grandes entreprises

La HALDE a effectivement constaté une prise en compte croissante de la dimension de la non-discrimination dans les grandes entreprises : elle a mis en place un cadre méthodologique et réalise annuellement un guide qui dresse un état des lieux des actions et des bonnes pratiques à partir d’un questionnaire adressé aux grandes entreprises. Sur 251 entreprises sollicitées, 194 ont répondu au questionnaire préalable à la dernière édition, en décembre 2008, de ce guide. Sur cet échantillon, selon leurs déclarations portant sur l’exercice 2007 :

– 63 % des entreprises avaient formalisé une politique de non-discrimination et de promotion de l’égalité (au sens large : on dépasse la seule question de la diversité des origines pour couvrir aussi les problématiques de l’égalité hommes/femmes, du handicap, des seniors, etc.), contre 36 % en 2006 ;

– 51 % avaient mis en place un dispositif de suivi et d’évaluation de leurs actions en la matière, contre 38 % en 2006 ;

– 69 % avaient conclu ou négociaient un accord collectif (au moins) dans ce domaine, contre 43 % en 2006 ;

– 80 % avaient mené des actions de diagnostic, d’audit ou des testing internes ;

– 88 % avaient mis en place des actions de sensibilisation ou de formation, contre 57 % en 2006 ;

– 80 % avaient conduit des actions pour sécuriser leurs processus de gestion des ressources humaines ;

– 51 % avaient intégré le respect de la non-discrimination dans les critères d’évaluation des cadres, contre 29 % en 2006 ;

– 55 % avaient institué une procédure interne de recueil des plaintes des salariés se considérant discriminés (ou harcelés), contre 36 % en 2006 ;

– 38 % intégraient des clauses de non-discrimination dans leurs contrats avec leurs fournisseurs ou prestataires, contre 29 % en 2006.

Ces données montrent incontestablement une diffusion rapide des politiques de non-discrimination et d’égalité dans le monde de l’entreprise, du moins dans les grandes entreprises, accompagnées désormais d’une volonté réelle de formalisation et d’évaluation des résultats.

L’analyse des accords collectifs passés par un certain nombre de grandes entreprises ou de branches montre plusieurs tendances. Le plus souvent, ces accords ne traitent pas exclusivement de la diversité des origines, mais aussi d’autres questions comme celle du handicap et celle de la discrimination par l’âge, voire de l’égalité hommes/femmes (quand elle ne fait pas l’objet d’un accord spécifique). Le volet « diversité des origines » est souvent traité indirectement à travers la volonté de prendre en compte les « publics éloignés de l’emploi » et/ou une approche territoriale – s’ouvrir aux jeunes des quartiers – ; ce volet est surtout envisagé dans les mesures concernant les embauches, dans une optique de diversification des sources de recrutement, avec parfois des dispositifs assez peu précis par rapport à ceux, reposant sur des obligations et des engagements chiffrés, qui peuvent être prévus par exemple au bénéfice des travailleurs handicapés, des femmes ou des seniors.

On voit toutefois des entreprises prendre des engagements chiffrés de recrutements dans les quartiers de la politique de la ville et développer des partenariats, notamment avec des structures locales de ces quartiers, pour aller au devant des jeunes qui y résident. Le 15 février 2008, 37 entreprises, 2 associations d’entreprises et 4 fédérations professionnelles ont ainsi signé pour 2008-2010 un « engagement national pour l’emploi des jeunes des quartiers », s’engageant sur des objectifs de recrutement qui s’établissent pour la période à plus de 70 000 emplois, 9 000 contrats de travail en alternance et 36 000 stages.

Des engagements sont également formalisés et des actions menées dans le cadre de fédérations professionnelles, de chambres consulaires ou de structures ad hoc. Par exemple, s’est constitué en Auvergne un « club des 1 000 entreprises citoyennes » qui a conduit des actions concrètes comme la mise en place d’une formation de BTS bancaire spécifique aux personnes handicapées ou des forums de rencontre entre entreprises et jeunes des quartiers populaires.

La politique de diversification des sources de recrutement passe aussi par la recherche d’une plus grande diversité des formations des jeunes recrutés ou accueillis en stage (pour s’ouvrir plus aux jeunes issus de l’université plutôt qu’exclusivement de quelques grandes écoles, ou ayant un niveau moindre de diplôme, ou, dans le cas d’une banque, rééquilibrer les recrutements entre les filières financières et les filières littéraires au sens large…), ce qui peut donner lieu sans aucune difficulté à des indicateurs chiffrés et constitue indirectement un moyen de promouvoir une plus grande diversité sociale et d’origines.

D’autres « anonymisent » les CV ou du moins en suppriment certains éléments : la photo, l’adresse…

c) … qui répond aussi à une contrainte économique

Pour les entreprises, la diversification des sources de recrutement, le fait d’« aller chercher » les jeunes dans leur quartier, est et doit être perçu non seulement comme une obligation sociale, mais aussi comme une opportunité économique dans la perspective :

– de l’entrée d’un moindre nombre de jeunes sur le marché du travail ;

– de départs à la retraite en revanche de plus en plus massifs ;

– de l’intérêt qu’elles ont à valoriser des talents injustement écartés du marché du travail ;

– d’une mondialisation où émergent de nouvelles puissances économiques dont la population est assurément plus « diverse » que par le passé.

7. Le déploiement de dispositifs institutionnels

Le champ des discriminations et de la diversité a été concerné par l’évolution institutionnelle que constitue le déploiement depuis quelques décennies des « autorités administratives indépendantes » (AAI). Une AAI ad hoc a ainsi été créée.

a) La Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE)

Issue de la loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004, la HALDE a vu ses prérogatives renforcées par la loi n° 2006-396 du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances. Son déploiement a été rapide :

– la Haute autorité a enregistré 7 788 réclamations en 2008, contre 6 222 en 2007 et 4 058 en 2006 ;

– en 2007, son numéro « azur » (08 10 00 50 00) a reçu 32 557 appels ;

– un réseau de 50 correspondants a été mis en place dans 60 villes, 45 départements et 16 régions ; 18 correspondants sont en cours d’installation, avec un objectif de 125 correspondants d’ici à fin 2009 et de 180 correspondants à terme.

En 2007, le collège de la haute autorité a adopté 558 mesures, parmi lesquelles 332 recommandations adressées au Gouvernement, aux collectivités publiques ou aux entreprises, 115 interventions devant les tribunaux, 49 médiations, 28 transactions pénales et 2 saisines du parquet. Par ailleurs, près de 5 000 dossiers ont été réorientés vers d’autres administrations censées être compétentes.

b) Les nouvelles compétences du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA)

Une autre autorité administrative indépendante, le Conseil supérieur de l’audiovisuel, s’est vue confier des compétences dans le domaine de la diversité. La loi du 31 mars 2006 pour l’égalité des chances précitée, puis la loi n° 2009-258 du 5 mars 2009 relative à la communication audiovisuelle et au nouveau service public de la télévision qui en a renforcé les dispositions, lui ont en effet confié les missions de contribuer « aux actions en faveur de la cohésion sociale et à la lutte contre les discriminations dans le domaine de la communication audiovisuelle [et de veiller] auprès des éditeurs de services de communication audiovisuelle, compte tenu de la nature de leurs programmes, à ce que la programmation reflète la diversité de la société française ». En conséquence, les conventions passées avec les opérateurs doivent comprendre des « mesures en faveur de la cohésion sociale, de la diversité culturelle et relatives à la lutte contre les discriminations » ; s’agissant des chaînes publiques, s’y ajoute l’obligation de proposer une « programmation reflétant la diversité de la société française » ; France Télévisions doit « engager une action adaptée pour améliorer la présence de cette diversité dans les programmes ».

La concrétisation de ces dispositions en est encore à ces débuts. Comme on l’a dit, le CSA a fait réaliser en 2008 une étude sur les minorités visibles à l’écran. L’objectif est maintenant de pérenniser ce dispositif, en produisant deux baromètres de la diversité par an, après une concertation avec les professionnels sur cet instrument, qui doit être affiné par rapport à l’étude de 2008.

C. LES LIMITES DES DISPOSITIFS EN PLACE

L’efficacité des mesures engagées se heurte pourtant à des obstacles, juridiques, institutionnels et pratiques.

1. Un cadre juridique de la mesure de la diversité qui est appelé à évoluer

Le débat sur le cadre juridique de la mesure de la diversité des origines appartient à l’actualité après avoir brutalement émergé en 2005 et connu plusieurs rebondissements depuis : d’une part, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) a émis des recommandations en 2005, puis en 2007 ; d’autre part, une première tentative de le préciser dans la législation s’est heurtée à une décision du Conseil constitutionnel en 2007 ; enfin, les prises de position se sont multipliées, surtout depuis quelques mois.

a) Les principes fondamentaux de la République

Dans le champ qui nous concerne, ce cadre juridique renvoie d’abord à quelques principes républicains fondamentaux, posés notamment dans l’article 1er de la Constitution : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion (…) ».

b) La loi « informatique et libertés » et son application par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL)

Ce cadre est par ailleurs constitué par un texte législatif protecteur des libertés publiques mais complexe, la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés (14). L’article 8 de celle-ci commence par poser le principe selon lequel « il est interdit de collecter ou de traiter des données à caractère personnel qui font apparaître, directement ou indirectement, les origines raciales ou ethniques, les opinions politiques, philosophiques ou religieuses ou l’appartenance syndicale des personnes, ou qui sont relatives à la santé ou à la vie sexuelle de celles-ci ».

Le même article prévoit ensuite diverses dérogations à cette interdiction générale concernant ce que l’on appelle souvent les « données sensibles ». Seules certaines de ces exceptions sont susceptibles de s’appliquer à des opérations de mesure de la diversité et/ou des discriminations :

– des applications portant sur les données personnelles sensibles sont possibles sur simple déclaration (sans autorisation de la CNIL) si le « consentement exprès » des personnes concernées a été recueilli et « dans la mesure où la finalité du traitement l’exige ». Cependant le « consentement exprès » constitue une contrainte lourde sans être nécessairement protecteur dans certains contextes comme celui du monde du travail (compte tenu de la situation de subordination, juridique et pratique, des salariés). En outre, le recueil formel de ce consentement trouble nécessairement les réponses à une enquête (dans la mesure où le fait de signer un document écrit de consentement ne peut que faire douter les personnes concernées de l’anonymat réel de l’opération, quelles que soient les garanties données) ;

– toujours sous réserve que leur finalité l’exige, des traitements statistiques de l’INSEE ou de l’un des services statistiques ministériels peuvent porter sur les données sensibles sous réserve d’être autorisés par la CNIL (après avis du Conseil national de l’information statistique) ;

– la CNIL peut également autoriser des traitements informatiques prenant en compte les données sensibles si elles font l’objet d’une anonymisation à bref délai, le procédé pour ce faire étant soumis à la commission ;

– enfin, la commission peut autoriser des traitements des données sensibles qui sont « justifiés par l’intérêt public ». L’« intérêt public » est un concept qui laisse place à interprétation et est apprécié au cas par cas par la CNIL, des finalités positives comme la lutte contre les discriminations ou la recherche ne paraissant pas suffire, en elles-mêmes, à le qualifier. La CNIL a épisodiquement autorisé, notamment sur la base de l’intérêt public, des enquêtes faisant apparaître une origine communautaire, ethnique ou « raciale », notamment dans le cas d’opérations de recensement outre-mer (questions sur le statut civil à Mayotte, la « tribu » dans des collectivités d’Océanie…) ou pour des applications à objectif médical quand un lien est établi entre une appartenance ethnique et une pathologie ou une caractéristique physique. Elle admet également que des fichiers de police ou destinés au recrutement de professions spécifiques (mannequins, acteurs…) comprennent des données sur l’apparence physique, notamment la couleur de peau, des personnes ;

Par ailleurs, des données comme l’adresse, la nationalité et le lieu de naissance, bien qu’elles renseignent sur l’origine des personnes, ne constituent pas des données sensibles soumises au régime restrictif décrit ci-dessus, car ces données sont objectives et notoires (faisant partie de l’état-civil). Toutefois, la CNIL refuse l’enregistrement dans les fichiers de gestion des ressources humaines de la nationalité d’origine des personnes (devenues française) ou de l’état-civil de leurs ascendants, ces données étant certes objectives, mais étrangères à l’objet de ces fichiers.

c) La jurisprudence du Conseil constitutionnel

La loi relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile, telle que votée par le Parlement en novembre 2007, comportait un article 63 (15) qui tendait à ajouter, dans la liste des exceptions à l’interdiction de collecter et traiter les données personnelles sensibles, la « conduite d’études sur la mesure de la diversité des origines des personnes, de la discrimination et de l’intégration », sous réserve de l’autorisation de la CNIL et étant précisé que la présentation des résultats des enquêtes ne devait en aucun cas permettre l’identification directe ou indirecte des personnes concernées. Cet article élargissait par ailleurs le champ de l’exception au bénéfice de la statistique publique.

Cet article 63 a été censuré par le Conseil constitutionnel, saisi de la loi précitée, pour des raisons qui sont d’abord de procédure : l’amendement dont il était issu, « dépourvu de tout lien » avec l’objet du projet de loi initial, constituait donc un « cavalier législatif ». Ce motif de procédure, le Conseil le précise, suffit à justifier sa décision de non-conformité (décision n° 2007-557 DC du 15 novembre 2007).

Le juge constitutionnel a pourtant assorti cette décision d’un considérant de principe, disposant que « si les traitements nécessaires à la conduite d’études sur la mesure de la diversité des origines des personnes, de la discrimination et de l’intégration peuvent porter sur des données objectives, ils ne sauraient, sans méconnaître le principe énoncé par l’article 1er de la Constitution, reposer sur l’origine ethnique ou la race ».

Selon les Cahiers de jurisprudence du Conseil (commentaire qui n’engage évidemment pas le Conseil lui-même), manifestement inspirés par les positions de la CNIL, les « données objectives » susmentionnées pourraient, par exemple, se fonder sur le nom, l’origine géographique ou la nationalité antérieure à la nationalité française. En revanche, serait contraire à la Constitution la définition, a priori, d’un référentiel ethno-racial.

Selon la même source, le Conseil n’aurait pas jugé pour autant que seules les données objectives pourraient faire l’objet de traitements statistiques en vue de mesurer la diversité et les discriminations : il en irait de même pour des données subjectives, par exemple celles fondées sur le « ressenti d’appartenance ». Cette dernière analyse, qu’on peut fonder sur l’emploi du verbe « pouvoir » et non « devoir » dans la décision du Conseil (les études sur la diversité « peuvent porter sur des données objectives »), demande toutefois à être confirmée.

En tout état de cause, dans le contexte créé par les observations de la CNIL et la décision du Conseil constitutionnel, une clarification du cadre législatif apparaît nécessaire : outre que le droit en vigueur apparaît peu satisfaisant avec ses incertitudes (comme la notion d’intérêt public), il appartient de toute évidence au législateur d’assumer pleinement sa mission de fixer la « règle du jeu » sur un sujet qui intéresse les libertés publiques et suscite tant de débats.

2. Plus généralement, un déficit de connaissance et d’évaluation

Au-delà de la question de la mesure de la diversité, force est de constater que même en partant de critères de distinction qui ne sont pas problématiques, comme le critère territorial, qui apparaît comme l’un des meilleurs pour approximer les populations à la fois socialement défavorisées et souvent d’origine extra-européenne, nos outils de connaissance et d’évaluation restent à développer.

Ainsi, à titre d’exemple, les documents budgétaires dits transversaux consacrés à la « ville » et à l’ « orientation et insertion professionnelle des jeunes » comprennent-ils divers indicateurs et rendent-ils compte de l’action de chaque département ministériel pour ces politiques transversales.

Mais quelle est leur crédibilité ? Quelques éléments partiels dont on dispose tendent à montrer que le bilan des dispositifs publics, qu’ils soient généraux ou ciblés, est parfois incertain, notamment sur l’emploi des jeunes issus des quartiers de la politique de la ville. On peut en prendre deux exemples avec les contrats aidés « de droit commun » et les zones franches urbaines.

● Les dispositifs généraux de la politique de l’emploi : dans quelle mesure bénéficient-ils aux habitants des quartiers de la politique de la ville ?

Les données collectées par l’ONZUS font apparaître que l’accès des habitants des ZUS aux mesures de droit commun des politiques de l’emploi, telles que les « contrats aidés », n’est pas toujours particulièrement favorable, d’autant qu’ils semblent surtout accéder aux mesures les moins « porteuses » en termes de perspectives d’insertion.

En 2007, les habitants des ZUS ont ainsi représenté 12,5 % des embauches en contrat d’accompagnement dans l’emploi (CAE), mais seulement 10 % de celles en contrat initiative-emploi (CIE). Compte tenu des taux de chômage en ZUS et hors ZUS, il apparaît donc, selon l’ONZUS, que les chances d’accéder à un CAE pour un demandeur d’emploi sont identiques qu’il réside ou non en ZUS, mais qu’en revanche, les chances d’accéder à un CIE sont 1,25 fois inférieures pour les résidents des ZUS. Or, ces deux contrats aidés offrent des perspectives différentes :

– le CIE s’effectue dans le secteur marchand, en entreprise. En 2007, 86 % des CIE prenaient la forme d’un contrat à durée indéterminée (CDI). Leur durée hebdomadaire contractuelle moyenne du travail représentait 32,7 heures (16) (ce qui signifie que la majorité des CIE sont à temps plein). Enfin, d’après une enquête sur les salariés sortis en 2006 d’un contrat aidé du plan de cohésion sociale, 48 % de ceux qui étaient en CIE occupaient un emploi durable six mois après leur sortie (17;

– le CAE, effectué dans le secteur non-marchand, ne peut en revanche prendre la forme d’un CDI. La durée hebdomadaire moyenne du travail relevée en 2007 représentait seulement 23,8 heures. Quant à l’insertion dans l’emploi durable six mois après la sortie d’un CAE en 2006, elle n’atteignait que 24 %.

On voit donc que les résidents des ZUS accèdent surtout aux types de contrats aidés qui sont en général les moins à même de déboucher sur une insertion dans l’emploi durable.

De la même façon, l’ONZUS observe qu’en 2007, 21 % seulement des jeunes résidant en ZUS accueillis par les missions locales ont trouvé un emploi dans les six mois, contre 26 % en moyenne nationale, ce déficit persistant une fois neutralisées les différences de structure sociodémographique.

● Les zones franches urbaines et l’emploi des jeunes des quartiers de la politique de la ville : un bilan discuté

L’impact de la mise en place des zones franches urbaines sur l’emploi des jeunes des quartiers, tel qu’il peut être éclairé par l’ONZUS dans son rapport 2008 ou par un très récent avis du Conseil économique, social et environnemental (18), est également discuté, alors même que le coût des ZFU en exonérations sociales et fiscales est élevé et tend à augmenter ; après avoir oscillé de 2003 à 2006 entre 400 et 530 millions d’euros par an, ce coût a atteint 557 millions d’euros en 2007 :

– certes, en 2007, les 21 000 établissements d’entreprises qui bénéficient dans les ZFU (des trois « générations ») d’un allègement spécial de charges sociales employaient 127 000 salariés. Les embauches de ces salariés ont augmenté de 17 % par rapport à 2006 ; l’emploi dans les établissements exonérés a crû en 2007 de 5,3 % alors que l’emploi salarié du champ industrie-commerce-services augmentait de 1,8 % seulement sur l’ensemble de la France métropolitaine. Le taux d’implantation de nouveaux établissements est en constante augmentation et a été en moyenne la même année de 23 % à 27 % (selon la génération des ZFU), contre 16 % dans les unités urbaines entourant ces ZFU ;

– cependant, les taux de survie des entreprises implantées ou transférées en ZFU, d’après une analyse sur les implantations opérées dans les ZFU de première génération en 1997, sont un peu en deçà de ce que l’on constate dans les agglomérations auxquelles appartiennent ces ZFU : à 4,5 ans, 35,9 % en ZFU contre 39,7 % hors ZFU ; à 9,5 ans, 16,5 % contre 21,8 %. Certains s’interrogent sur les effets d’aubaine, voire les détournements du dispositif (domiciliations fictives d’entreprises qui n’ont qu’une boîte aux lettres dans la ZFU…) ;

– par ailleurs, la clause d’embauche locale est parfois jugée insuffisante. Applicable à partir de la troisième embauche et pendant cinq ans à compter de la création ou de l’implantation de l’établissement en ZFU, elle impose d’embaucher au moins 33 % de résidents de la ZFU ou des ZUS avoisinantes et, d’après les données statistiques pour 2006 (19), 30 % de ces embauches bénéficient à des jeunes de moins de 25 ans, tandis que 40 % des bénéficiaires étaient déjà en emploi. L’effet sur l’emploi effectif des jeunes des quartiers de cette clause doit donc être relativisé.

L’incertitude du bilan des dispositifs existants quant à leur impact sur l’emploi des jeunes des quartiers de la politique de la ville montre la nécessité d’un développement d’outils de connaissance, de suivi et d’évaluation centrés sur l’égalité des chances dans l’accès à l’emploi.

3. Un « millefeuille » de dispositifs et d’acteurs en manque de coordination

Les dispositifs concourant à l’égalité des chances décrits ci-dessus ont en commun d’être multiples et souvent éparpillés. Ils font intervenir de nombreux acteurs et financeurs : l’État, les régions, les autres collectivités territoriales, Pôle emploi, les organismes de formation, etc.

Entre les régions qui gèrent désormais la formation professionnelle, il n’existe pas de dispositif interrégional formalisé pour régler des cas de mobilité entre régions (pour des raisons propres aux intéressés ou pour suivre des formations rares dans une autre région).

À l’intérieur même de l’État et de ses démembrements, on décompte de nombreux services et établissements qui s’occupent de l’insertion des jeunes et des quartiers populaires (de l’éducation nationale à la protection judiciaire de la jeunesse en passant par l’ANRU et l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances-Acsé, etc.).

L’EPIDE est ainsi soumis à une triple tutelle des ministères chargés de l’emploi, de la ville et de la défense. Pour ce qui est de la deuxième chance, l’étude précitée du CRÉDOC évoque un « millefeuille » et relève que la dispersion et le manque de continuité des orientations politiques a conduit à un émiettement d’actions menées par une multitude d’acteurs. Les systèmes de financements croisés entraînent souvent des incertitudes sur la pérennité des structures, comme on le voit pour les écoles de la deuxième chance, dont les directeurs passent beaucoup de temps à rechercher des financements et dont plusieurs sont aujourd’hui menacées de disparition faute de ressources assurées.

Le constat de la mission est un peu le même pour ce qui est, par exemple, des dispositifs d’information ou de tutorat visant à établir des liens entre des collèges ou lycées des quartiers populaires et des grandes écoles ou des grandes entreprises : ils se sont multipliés et se concurrencent ; certains chefs d’établissement reçoivent de multiples propositions.

S’agissant de la politique de la ville, le fait est que certains des nombreux dispositifs ne concernent que de très petits effectifs : par exemple, seuls sept établissements testent actuellement le busing (scolarisation d’élèves de quartiers populaires dans d’autres quartiers grâce à la mise à disposition de transports scolaires). On a parfois l’impression de mesures juxtaposées, qu’en outre l’État déploie et retire les unes après les autres sans suffisamment prendre en compte les interventions des autres acteurs, tels que les collectivités locales. Ce type de constat n’est évidemment pas neuf. Déjà, en 2005, un rapport sénatorial consacré à la politique de la ville dénonçait « des procédures partenariales lourdes (…), des excès de "réunionite" (…), des [strates de] contrats trop nombreux [débouchant sur] une cohérence territoriale insuffisante (…) (20) ».

De leur côté, la justice des mineurs et la protection judiciaire de la jeunesse semblent fonctionner sans beaucoup de contacts avec le « terrain » ni d’échanges d’information avec les autres administrations, notamment les municipalités, pourtant engagées dans des actions de prévention de la délinquance.

Le même constat de dispersion et de manque de coordination vaut naturellement pour l’orientation, où il est particulièrement grave puisque c’est la capacité des jeunes à s’informer sur les parcours qui est en jeu. Il est ainsi regrettable de voir un opérateur en mesure de proposer des emplois et disposant de moyens importants, comme l’Association pour l’emploi des cadres (APEC), faire état de son incapacité à tisser efficacement des liens avec le monde universitaire pour la mise en place de bureaux d’aide à l’insertion professionnelle, ni avec les missions locales pour qu’elles lui adressent les jeunes diplômés qu’elles reçoivent…

Devant une telle situation, les progrès récents évoqués par certains intervenants devant la mission, notamment l’établissement de plus en plus fréquent de relations opérationnelles entre l’éducation nationale et les missions locales et la mise en place de cellules d’alerte sur le décrochage scolaire, ou encore la mise en œuvre d’expérimentations pour regrouper les services s’occupant d’orientation sur des plateformes communes, sont des réponses utiles, mais encore insuffisantes. Une question paraît s’imposer : qui est le responsable des jeunes (ou du moins des jeunes qui quittent le système scolaire, ceux qui y restent relevant de l’éducation nationale) dans l’organisation administrative déconcentrée (sur le terrain) ?

4. Une grande difficulté à repérer, aller chercher, prendre en charge, mobiliser les jeunes en difficulté

En corollaire du manque de coordination des dispositifs, on relève une grande difficulté à repérer, aller chercher, prendre en charge, mobiliser les jeunes en difficulté, en particulier quand ils sont issus de la diversité.

La difficulté du repérage des « décrocheurs », les élèves qui « décrochent » du système est connue. Il est vrai que le concept même est complexe : un jeune peut décrocher tout en continuant à assister passivement aux cours ; quant à ceux qui ne viennent plus en cours, leur absentéisme est souvent partiel, progressif, avant qu’ils ne sortent complètement du système.

Mais même en s’en tenant à ceux qui quittent définitivement les bancs de l’école, le repérage n’est pas assuré, ou ne l’était pas jusque récemment. Le rapport précité du CERC intitulé « L’insertion des jeunes sans diplôme » met ainsi en exergue la difficulté du système éducatif à identifier les jeunes qui sortent de ce système sans diplôme : les systèmes d’information des différentes branches de l’enseignement sont différents ; il existe certes une centralisation partielle au niveau des académies et, au moment de la rentrée scolaire, un dispositif de signalement par celles-ci aux chefs d’établissement des élèves sortis de leur établissement sans solution ou ayant échoué aux examens, afin qu’ils puissent être relancés et bénéficient d’un entretien de situation. Cependant, ce dispositif ne couvre pas tous les cas de figure ; en particulier, en cas d’entrée en apprentissage, la stabilisation des situations peut être longue (il y a beaucoup de ruptures en début de contrat d’apprentissage) et il conviendrait, selon le CERC, de mettre en place un suivi de situation un an après. En outre, les bases assurant le suivi des élèves dans les établissements ne semblent pas toujours être renseignées sérieusement. Les mêmes constats valent pour les étudiants.

Le CRÉDOC, dans sa récente étude précitée, souligne qu’il « reste beaucoup à faire pour aller chercher les " populations invisibles ", souvent les plus fragiles, qui ne se présentent pas spontanément aux portes des organismes ». De leur côté, lesdits organismes ont une tendance naturelle à suivre la pente de facilité consistant à s’occuper d’abord des jeunes qui leur sont adressés par les canaux habituels avant d’aller chercher ceux qui sont hors des circuits. Et cela a fortiori, selon des personnes entendues par la mission d’information, si ces organismes, s’occupant notamment de placement en emploi, sont financés en fonction des résultats obtenus : il devient alors pour eux contreproductif, d’un point de vue financier, d’essayer de rattraper les jeunes les plus difficiles à insérer.

Or, de même que pour les prédélinquants, il est important d’identifier rapidement et de suivre les décrocheurs, afin de leur proposer au plus vite des options alternatives, en particulier quand ils sont issus de milieux et de quartiers défavorisés. En effet, s’il est un point sur lequel les intervenants rencontrés par la mission ont presque tous insistés, c’est sur le fait que l’isolement social des jeunes issus de la diversité et/ou habitant des « quartiers », leur méfiance vis-à-vis d’un « système » qui déçoit leurs attentes même quand ils font des efforts (en parvenant à un haut niveau de diplôme) et l’image dégradée d’eux-mêmes qu’ils acquièrent très rapidement après quelques échecs se conjuguent pour les rendre très difficiles à aller chercher, mobiliser, ramener vers des démarches positives. Il faut pouvoir agir vite. Mais pour ce faire, il manque, pour les adolescents, des dispositifs de prise en charge aussi efficaces que peuvent l’être les écoles de la deuxième chance pour les jeunes majeurs (à partir de 18 ans).

Enfin, s’agissant de la difficulté d’assurer la prise en charge en continu des jeunes, un obstacle juridique concernant une catégorie particulière, à savoir certains jeunes étrangers, doit être signalé. Même lorsque leur famille est en situation irrégulière, ces jeunes sont scolarisés. Mais en revanche, quand la poursuite de leur cursus implique la signature d’un contrat de travail, ce qui est le cas pour les formules d’alternance qui ne sont pas sous statut scolaire (apprentissage ou contrat de professionnalisation), il est obligatoire non seulement qu’ils soient en situation régulière, mais en outre détenteurs d’une autorisation de travail. Certains titres de séjour valent autorisation de travail, mais pas tous : ce n’est pas le cas, notamment, des autorisations provisoires de séjour délivrées aux demandeurs d’asile pendant que l’Office français pour la protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) instruit leur demande ; en outre, on sait que des titres de séjour autorisant à travailler peuvent être délivrés à des étrangers sur le fondement d’un contrat de travail passé en France, mais il est précisé que cette possibilité ne s’applique pas aux contrats aidés, aux contrats d’apprentissage et à ceux de professionnalisation ; de même, il est interdit aux étrangers admis en tant qu’étudiants (détenteurs d’une carte de séjour « étudiant ») de conclure un contrat d’apprentissage, sauf pour certains masters (21). Ce régime restrictif, qui écarte de l’alternance des jeunes étrangers qui sont pourtant en situation régulière, ne connaît qu’une atténuation, au bénéfice des jeunes qui ont été pris en charge par l’aide sociale à l’enfance avant 16 ans, c’est-à-dire ceux que l’on appelle les « mineurs étrangers isolés » (22).

5. Un système scolaire et universitaire insuffisamment tourné vers l’emploi

Le système scolaire et universitaire est-il organisé pour former des jeunes aptes à occuper les emplois qui existent et à les accompagner vers l’emploi ?

Le législateur et le Gouvernement le souhaitent. La loi n° 2007-1199 du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités a ainsi inséré dans les missions de l’enseignement supérieur « l’orientation et l’insertion professionnelle ». Dans l’enseignement secondaire, le « parcours de découvertes des métiers », qui s’étale de la classe de cinquième à celle de troisième et comprend la visite d’un lycée professionnel ou centre de formation d’apprentis et un stage en entreprise, va prochainement être généralisé. Par ailleurs, des expérimentations sont conduites pour instaurer dans les académies des « banques de stages » pour aider les élèves ayant des difficultés à décrocher un stage, ces difficultés concernant en particulier ceux qui sont issus des milieux et/ou des quartiers défavorisés, isolés.

Cependant, de nombreuses faiblesses sont encore signalées :

– le poids excessif des critères académiques dans l’évaluation des jeunes, aux dépens des compétences, qui sont ce que recherchent les employeurs ;

– le manque de considération dont les filières « technologiques » continuent à souffrir par rapport aux filières « générales » (et en conséquence leur reconnaissance insuffisante dans les examens et concours d’entrée aux « grandes écoles ») ;

– les résistances que rencontre le développement de l’apprentissage dans l’enseignement supérieur, notamment dans les écoles d’ingénieur, dont une faible minorité (à la différence des écoles de commerce, plus ouvertes) acceptent la mise en œuvre ;

– l’indifférence qui semble continuer à régner dans l’université, selon plusieurs témoignages, par rapport à la préoccupation des débouchés, et concomitamment la difficulté très grande des acteurs de l’« aval » (employeurs, opérateurs des politiques de l’emploi) à établir des partenariats avec le monde universitaire ;

– l’inadéquation des formations aux besoins des employeurs.

D’après certaines estimations, environ 100 000 jeunes diplômés entrent annuellement sur le marché du travail avec des diplômes de niveau supérieur ou égal à « bac + 3 » et encourent pourtant des risques importants de chômage car leurs diplômes ne sont pas les plus adaptés à la demande des entreprises et celles-ci méconnaissent actuellement ce « vivier ». Il s’agit notamment de jeunes qui arrêtent leurs études avec seulement une licence généraliste ou un master 1, ainsi que de titulaires de diplômes professionnalisés (master 2 professionnel) mais à faibles débouchés compte tenu de la spécialisation choisie. Dans l’autre sens, de nombreuses sources font état de l’insuffisance de formation dans certains métiers par rapport aux offres d’emploi des entreprises, qu’il s’agisse des ingénieurs en général, des métiers du bâtiment ou des métiers des commerces alimentaires.

6. Un marché du travail où l’intermédiation est faible

Le marché du travail se caractérise en France par le poids des candidatures spontanées et des relations dans les processus de recrutement. Et l’on peut craindre que cette tendance ne se renforce avec le développement de pratiques formelles de cooptation (dans certaines entreprises, les salariés en place perçoivent une prime quand ils recommandent l’embauche d’une connaissance). Or, cette situation ne peut que réduire les chances de ceux qui n’ont pas de réseau, n’ont pas de proches occupant déjà des emplois stables et valorisés.

Cette réalité a été objectivée par une analyse récente (23) du Centre d’étude de l’emploi, laquelle fait apparaître le rôle prédominant en France des embauches sur candidature spontanée puis, en second lieu, des recrutements par relations personnelles. Dans l’enquête Emploi 2004 de l’INSEE, 37 % des personnes embauchées depuis moins d’un an déclaraient l’avoir été sur candidature spontanée, 22 % par relations, 16 % suite à un contrat antérieur (réembauche), 10,5 % seulement grâce à l’intermédiation des agences publiques (ANPE) ou d’un recruteur et 7 % par annonces. L’incidence des candidatures spontanées, si on analyse le profil des salariés ainsi recrutés, apparaît favoriser l’embauche de salariés jeunes et de nationalité française aux dépens des seniors et des étrangers. Des enquêtes comparables menées en Espagne et au Royaume-Uni donnent des résultats très différents ; les relations personnelles ont un caractère déterminant en Espagne (53 % des embauches), mais au Royaume-Uni, la situation est plus équilibrée, avec un poids significatif des dispositifs d’intermédiation « formels » : annonces d’offres d’emploi (28 % des embauches) et intermédiaires de placement (17 %).

La HALDE signale également ce problème, a fortiori, pour l’accès aux stages, où la règle de « préférence familiale » est assez générale tant dans les entreprises que dans les administrations.

II.- LES PISTES DÉGAGÉES PAR LA MISSION D’INFORMATION

Les auditions auxquelles a procédé la mission d’information ont mis en lumière quelques points forts, qui sont régulièrement revenus dans les réactions des intervenants : le caractère passionnel et souvent confus des échanges sur la notion de « mesure de la diversité », associé à un rejet assez général de tout ce qui apparaîtrait comme des « quotas » ; l’importance de la question du décrochage scolaire (et universitaire) et du gâchis qu’il représente ; l’approbation du principe de la « deuxième chance » et des méthodes mises en œuvre par les E2C ; le sentiment de dispersion, de manque d’évaluation, de coordination et de pilotage des politiques menées ; le sentiment d’isolement qui caractérise non seulement les jeunes des quartiers populaires face à un « système » dont ils ne connaissent pas les arcanes, mais aussi les acteurs de ce système les uns par rapport aux autres. Les pistes de réforme que propose la mission visent à prendre en compte ces constats.

A. DÉVELOPPER LES OUTILS DE CONNAISSANCE DE LA DIVERSITÉ ET DES DISCRIMINATIONS

La mission d’information considère qu’il est nécessaire de se donner les moyens de développer les outils de connaissance de la diversité, ou plutôt des diversités, et des discriminations.

Ceci appelle quelques observations liminaires. De même que les discriminations sont multiples (avec dans le code pénal près d’une vingtaine de motifs différents sur lesquels il est interdit de discriminer les personnes) et souvent croisées, chacun d’entre nous est en effet porteur de plusieurs « diversités ». Parmi celles-ci, le fait est que la diversité des origines est l’une des moins aisées à mesurer aujourd’hui, alors même que l’origine réelle ou supposée des personnes, dans les réclamations déposées auprès de la HALDE, arrive en tête des motifs de discrimination dénoncés.

Cependant, les autres « diversités » méritent aussi d’être documentées, d’autant qu’elles peuvent fournir des biais intéressants pour apprécier l’état de certaines discriminations, diversités et facteurs de discrimination se croisant de toute façon. Ainsi, il apparaît que le critère territorial, avec l’identification de quartiers populaires connaissant des difficultés particulières, dont ont peut quantifier la situation relative par rapport à la moyenne nationale, est particulièrement pertinent pour cibler des populations qui cumulent les handicaps d’une situation socioéconomique et socioculturelle défavorisée, de l’enclavement géographique et social et d’une origine fréquemment extra-européenne.

À quoi peut servir la mesure des diversités ? La question ne doit pas être éludée : si l’on se dote d’instruments, il faut dire pourquoi.

La mesure des diversités ne doit avoir qu’un seul objet, la lutte contre les discriminations et pour l’égalité des chances. Il ne saurait s’agir évidemment de constituer des « fichiers » où chacun serait recensé selon une soi-disant appartenance communautaire ou raciale, même « pour la bonne cause » : il ne peut s’agir de se donner les moyens d’instituer des « quotas » de présence de telle ou telle communauté dans les collectivités de travail ou ailleurs. Mais si l’on doit se doter d’instruments de mesure, c’est parce qu’à partir du moment où des politiques publiques (et des actions dans les entreprises) sont engagées pour assurer plus d’égalité des chances et réduire les discriminations, et ce en agissant de manière non-discriminatoire, il faut bien que les résultats, les progrès soient quantifiés et cette quantification ne peut reposer que sur l’analyse d’éléments de la situation sociale (accès à la formation et à l’emploi, revenus, etc.) de groupes témoins que l’on a identifiés comme représentatifs de ceux qui sont susceptibles d’être discriminés.

Encore bien sûr faut-il être conscient que les analyses quantitatives sont nécessaires mais ne suffisent pas, il faut aussi mettre en place des processus qualitatifs, notamment pour certifier la gestion non-discriminatoire des ressources humaines dans les entreprises et administrations : en effet, la mesure de l’évolution des diversités dans une collectivité donnée ne prouve rien quant à la présence ou à l’absence d’actes de discrimination ; mais elle seule permet de savoir si, globalement, le niveau de discriminations directes et indirectes diminue ou non.

1. Clarifier le cadre législatif applicable aux traitements statistiques destinés à la lutte contre les discriminations

La mission est convaincue qu’une modification de la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 est inévitable.  

Certes, il convient d’observer, comme la CNIL en 2007, que le cadre légal que cette loi offre comporte déjà de larges opportunités pour développer la mesure de la diversité des origines, opportunités qui ne sont pas pleinement valorisées. On pourrait ainsi, en restant dans ce cadre, qui a été décrit supra :

– rendre plus accessibles les bases de données statistiques publiques aux chercheurs ;

– mieux recueillir et surtout exploiter les données personnelles « objectives » déjà autorisées (nationalité et lieu de naissance des ascendants notamment) ;

– voire envisager, dans le cadre de l’exemption de portée générale dont bénéficie déjà la statistique publique par rapport à l’interdiction de collecter et traiter les données personnelles dites sensibles, le développement d’études dites de « ressenti » (voir infra sur ce terme) conduites par des organismes publics comme l’INSEE ou l’INED.

Néanmoins, plusieurs arguments justifient une révision de la loi de 1978 :

– ce cadre est peu satisfaisant d’après la CNIL qui, comme on l’a dit, a fait ressortir l’inadaptation de certaines formules existantes, comme les notions d’« intérêt public » et de « consentement exprès » ;

– le Conseil constitutionnel, en posant incidemment des principes de fond dans sa décision de 2007 alors qu’il aurait pu se contenter d’une censure pour vice de procédure législative, a en quelque sorte invité le législateur à agir, dans les limites du cadre constitutionnel ainsi précisé ;

– il n’existe pas dans la loi actuelle de disposition spécifique sur la mesure de la diversité des origines et la licéité des traitements menés jusqu’à présent a donc dû être appréciée par rapport à un cadre général laissant une large place à l’interprétation de la CNIL. Il est légitime que le législateur, en fixant un cadre légal ad hoc, assume sa mission dans un débat qui intéresse les libertés publiques et questionne même, selon certains, les principes de la République.

Ce point acquis, que faire ?

Deux « écoles » s’opposent quant à la manière la plus correcte de qualifier les personnes selon leur origine :

– la première prétend s’appuyer sur des données « objectives » : le lieu de naissance et la nationalité d’origine des personnes et de leurs ascendants ; éventuellement, encore que le traitement que l’on peut en faire apparaît vite plus discutable, leur patronyme ; leur adresse, etc. Outre qu’elles renvoient à des réalités objectives, ces données, qui sont notamment celles de l’état-civil, ont l’avantage d’être largement accessibles, déjà disponibles le plus souvent ; l’on n’a pas forcément à interroger les personnes et l’on peut envisager des traitements statistiques de masse. De fait, les données « objectives » sont les plus utilisées dans les études déjà existantes sur la situation des groupes d’origines diverses et celles qui suscitent le moins de polémiques ; leur exploitation a été explicitement validée par le Conseil constitutionnel en 2007. On entend pourtant un reproche à leur encontre : l’exploitation généralisée, répétée, de l’origine géographique des personnes et de leurs parents ne risque-t-elle pas à terme d’enfermer certains dans un statut d’immigré ou d’étranger héréditaire ? Par ailleurs, ce type de données ne permet, par rapport à des problématiques comme celle des « minorités visibles », que des approximations ;

– la seconde école propose de s’appuyer sur des questionnaires sur le « ressenti d’appartenance » des personnes. Cette notion est cependant très discutée car, même si les enquêtes comprenant de tels questionnaires restent ouvertes, il est difficilement évitable qu’elles proposent une palette de réponses possibles : on risque alors de ne guère être loin de la catégorisation ethno-raciale que refuse, à juste titre, le juge constitutionnel, qui ne s’est pas explicitement prononcé sur le « ressenti d’appartenance ». Par ailleurs, la pertinence scientifique du recours à des perceptions subjectives est naturellement contestée. Le fait est que l’on peu assez aisément imaginer des biais. Ainsi, le couplage de questions sur le ressenti d’appartenance et sur le sentiment de discrimination peut-il vraisemblablement conduire à surestimer les discriminations subies par des « communautés » : on peut craindre qu’une réponse positive à une question sur l’appartenance à une « communauté » minoritaire ne soit généralement couplée avec le sentiment d’être victime de discrimination, tandis qu’une réponse négative à la première question (indépendamment de la réalité de l’origine des personnes concernées) ira plus souvent de pair avec le sentiment de ne pas être discriminé.

Des variantes sont par ailleurs possibles sur la notion de « ressenti » : on peut par exemple, pour limiter les craintes de dérive communautariste, s’en tenir à un ressenti ciblé sur l’origine géographique, en excluant les catégorisations par la couleur de peau et, a fortiori, par l’appartenance religieuse. D’autres proposent de mettre en avant le « ressenti de discrimination », le questionnement – ouvert – sur les motifs pour lesquels les personnes se sentent discriminées ne venant qu’après. Cette méthode aurait le mérite de faire apparaître, du moins au niveau du ressenti, les discriminations croisées.

Ces différentes options ne sont pas nécessairement exclusives. Plusieurs peuvent être testées ; on peut aussi envisager des solutions différentes pour la statistique publique et pour les actions destinées à mesurer la diversité dans des collectivités de travail ou d’autres groupes de personnes. La concertation doit être poursuivie et un comité de réflexion a été constitué à l’initiative de M. Yazid Sabeg autour de M. François Héran, directeur général de l’INED. En outre, un effort massif de pédagogie de l’opinion publique est manifestement nécessaire.

La mission d’information ne considère donc pas être en mesure d’émettre des préconisations sur la meilleure manière de mesurer la diversité des origines et les conséquences à en tirer dans la rédaction de la loi.

Pour autant, quelques éléments des garanties qui devront de toute façon être apportées peuvent être identifiés :

– la finalité des travaux portant sur la mesure de la diversité des origines doit être claire : cela ne peut être que la lutte contre les discriminations et la promotion de l’égalité des chances et cela devra être affirmé dans la loi (pour conditionner la licéité de ces travaux) ;

– les enquêtes menées pour recueillir les données en vue de ces travaux devront être facultatives (les personnes étant informées de leur liberté de ne pas répondre) et auto-déclaratives (il appartient à chacun de qualifier son appartenance, pas à un tiers) ;

– les résultats publiés devront être strictement anonymisés (c’est-à-dire interdire l’identification directe ou indirecte des personnes concernées et de l’origine qui leur est associée), tandis que la collecte et le traitement des données devront être réalisés par des « tiers de confiance », donc, pour les opérations menées notamment dans les collectivités de travail, externalisés et confiés à des équipes offrant toutes les garanties d’expérience et de déontologie ;

– les travaux portant sur la mesure de la diversité des origines devront être soumis à un régime d’autorisation au cas par cas de la CNIL.

2. Systématiser l’obligation de rendre compte

Au-delà de la question de la mesure de la diversité des origines, sans doute faut-il systématiser l’obligation de mesurer, suivre, rendre publiques toutes les données faisant état des diversités, des discriminations et des progrès de l’égalité des chances.

a) Dans la sphère des politiques publiques

Dans l’attente d’un « baromètre » de la diversité des origines, le critère territorial – résider ou non dans un quartier populaire – apparaît, on l’a dit, comme l’un des plus pertinents pour « cibler » les populations qui cumulent handicaps sociaux et origine souvent étrangère. L’apport qu’a constitué à cet égard la mise en place de l’Observatoire national des zones urbaines sensibles est incontestable ; ses rapports comportent des éléments très intéressants. Mais il est temps de tirer toutes les conséquences de la « politique de la ville » : on a rapporté les analyses troublantes qui montrent, par exemple, que les contrats aidés de la politique de d’emploi « de droit commun » profitent en fait assez peu (peut-être moins qu’à la moyenne des Français) aux demandeurs d’emploi des quartiers les plus populaires. Afin que ce genre de situations puisse être connu et corrigé, il est souhaitable que le plus grand nombre de documents relatifs aux politiques publiques, notamment les documents budgétaires qui présentent des indicateurs (et en particulier ceux des ministères « sociaux »), identifient systématiquement la situation particulière des habitants des quartiers de la politique de la ville.

b) Dans la sphère des collectivités de travail (entreprises et administrations)

Dans son discours de Palaiseau le 17 décembre 2008, le Président de la République a voulu que les entreprises, à partir d’une certaine taille, soient obligées de présenter dans leur bilan social leurs actions pour développer la diversité. La mission d’information approuve le principe d’une obligation de rendre compte, pour les entreprises, de leurs actions de prévention de la discrimination et de promotion de l’égalité des chances et de la diversité des origines.

Elle souhaite que cette obligation s’applique également aux administrations, car leurs obligations doivent être les mêmes que pour les entreprises : il est hors de question d’attendre vingt ans, comme ce fut le cas pour l’insertion des personnes handicapées, pour imposer de fait les mêmes règles aux unes et aux autres.

Deux questions se posent par ailleurs s’agissant des entreprises.

La question du seuil d’assujettissement à l’obligation

Si l’on ne veut pas encore compliquer le code du travail, deux seuils d’effectif sont principalement envisageables :

– 50 salariés, ce qui correspond à l’obligation d’instituer un comité d’entreprise ;

– 300 salariés, car l’obligation d’établir le « bilan social » n’existe qu’à partir de ce seuil. De 50 à 300 salariés, les obligations d’information du comité d’entreprise sur la situation économique et sociale de l’entreprise sont en effet simplifiées, avec l’élaboration d’un « rapport unique » annuel. Il est cependant à noter que celui-ci doit déjà traiter de « la situation comparée des conditions générales d’emploi et de formation des femmes et des hommes » et des « actions en faveur de l’emploi des travailleurs handicapés », ce qui peut constituer un argument pour qu’il traite aussi du troisième grand champ d’inégalités et de discriminations, celui des origines.

 La question de l’entrée en vigueur

Si les plus grandes entreprises peuvent sans doute être très vite prêtes à rendre compte de leurs actions dans le champ qui nous intéresse (51 % de celles ayant répondu au questionnaire adressé par la HALDE à 251 entreprises avaient mis en place en 2007 un dispositif de suivi et d’évaluation de leurs actions en la matière), la chose est moins évidente pour les entreprises de taille moyenne.

Il y a aussi et surtout la question de la mesure de la diversité : si les entreprises (et administrations) peuvent d’ores et déjà rendre compte des actions qu’elles mènent, l’appréciation des résultats obtenus en termes de diversité des personnes et/ou de sentiment de discrimination implique que préalablement des outils de mesure fiables et consensuels, appuyés sur une législation claire, aient été élaborés.

B. RENFORCER LES MOYENS DE LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS

Le niveau des discriminations dans le domaine de l’emploi, qu’établissent notamment les opérations de testing ainsi que la concentration des réclamations à la HALDE sur ce domaine, qui a représenté 50 % des dossiers déposés en 2007, reste élevé. C’est pourquoi une meilleure égalité des chances dans l’accès à l’emploi continue à passer par un renforcement de l’arsenal de lutte contre les discriminations.

À ce titre, on peut notamment réfléchir aux pouvoirs de la HALDE. Ceux-ci sont déjà importants ; la haute autorité dispose en particulier de la faculté de mener des contrôles sur place, mais selon certaines règles. L’article 8 de la loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004 prévoit des vérifications sur place dans les locaux administratifs, professionnels ou ouverts au public, durant lesquelles les représentants de la HALDE peuvent « entendre toute personne susceptible de fournir des informations », ces vérifications s’opérant seulement « après avis adressé aux personnes intéressées et avec leur accord » ; en cas d’opposition, il est prévu que la HALDE puisse saisir le juge des référés. Reste la question de la sanction des personnes qui s’opposent aux contrôles. La CNIL, autre autorité administrative indépendante, dispose de ce point de vue d’un instrument de dissuasion puissant que n’a pas la HALDE : l’article 51 de la loi « informatiques et libertés » du 6 janvier 1978 punit en effet d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende « le fait d’entraver » son action, notamment en refusant de communiquer des renseignements et documents. L’entrave aux investigations de la HALDE, en particulier le refus de lui communiquer des documents, pourrait être sanctionnée dans les mêmes conditions, ou du moins être passible d’une amende substantielle (l’affichage de peines de prison qui ne sont pratiquement jamais prononcées n’étant peut-être pas nécessaire).

Par ailleurs, il n’est guère douteux que les discriminations dont sont l’objet à l’embauche les jeunes des quartiers populaires se fondent sur un ensemble de critères parmi lesquels on trouve certes la couleur de peau, le fait d’avoir un patronyme et/ou une apparence physique laissant supposer certaines origines, mais aussi le simple fait d’habiter tel ou tel quartier et la présomption d’appartenance à un milieu social défavorisé qui va avec. À cet égard, il pourrait être opportun d’insérer dans la liste des critères légaux (24) de discrimination interdite le lieu de domicile et l’origine sociale (en prévoyant naturellement des dérogations pour motifs d’intérêt général afin de ne pas priver de base légale les politiques publiques reposant sur des critères sociaux et territoriaux). Il s’agirait d’ailleurs en partie d’une mise en conformité avec la « Charte des droits fondamentaux » de l’Union européenne, signée et proclamée par les différentes institutions communautaires en 2000 et à laquelle le traité de Lisbonne a conféré une valeur juridiquement contraignante en 2007 : son article 21 mentionne l’origine sociale parmi les critères prohibés de discrimination.

C. LA FORMATION DES JEUNES : PENSER UN SYSTÈME PLUS OUVERT, PLUS DIVERS ET QUI NE LAISSE PERSONNE AU BORD DU CHEMIN

Comment parvenir à un système de formation initiale des jeunes qui soit plus divers – dans ses méthodes pédagogiques comme dans la valorisation des compétences, de sorte de diversifier aussi ceux qui en seront les élites –, plus mélangé, mais aussi mieux coordonné, afin que moins de jeunes ne soient laissés au bord du chemin, que ce soit en cours de scolarité ou à la fin, quand il s’agit d’accéder à un emploi ?

1. Coordonner et piloter les dispositifs

L’enjeu du décrochage scolaire est apparu déterminant à la mission d’information. Face à cet enjeu, une question se pose immédiatement : si l’éducation nationale est responsable des jeunes tant qu’ils sont scolarisés, qui est « responsable » de ceux qui sortent du système ? La désignation d’une autorité administrative responsable, sur les territoires (à l’échelon des départements, des académies ou des régions), des élèves en décrochage est nécessaire. Dans la mesure où la prise en charge de ces jeunes implique par construction de nombreux acteurs (et pas seulement l’éducation nationale), cette autorité doit sans doute appartenir à l’administration préfectorale ou être déléguée par elle. En tout état de cause, une personne (physique) responsable du pilotage de la politique du décrochage doit être désignée sur chaque territoire.

De manière plus générale, la mission d’information attend impatiemment la mise en place d’un véritable service public de l’orientation coordonné, qui ne repose pas sur les seules compétences des personnels de l’éducation nationale, mais associe aussi les opérateurs des politiques de l’emploi (missions locales, Pôle emploi, APEC…) et le monde professionnel (chambres consulaires, organisations professionnelles…). Ce service public pourrait reposer sur des plateformes où les jeunes pourraient contacter (physiquement ou virtuellement) l’ensemble des organismes et services concernés. Il devra assurer une mise en cohérence des informations mises à disposition (particulièrement pour ce qui est de l’enseignement supérieur) et permettre, pour les jeunes, la mise en œuvre du « droit à l’information et à l’orientation » prôné en matière de formation tout au long de la vie par le Président de la République dans son discours prononcé le 3 mars 2009 à Alixan.

Dans la même optique de coordination, d’autres pistes sont à explorer : alors que la coupure entre le monde scolaire et les acteurs publics intervenant en aval est souvent soulignée, ne pourrait-on prévoir systématiquement que des membres des conseils d’administration des établissements scolaires les représentent à ceux des missions locales, et réciproquement ?

Dans un autre champ, celui de la prévention de la délinquance (mais prévenir la délinquance, c’est aussi prévenir l’échec scolaire et social), il faut parvenir à organiser de meilleurs échanges d’information entre les services de la justice qui s’occupent des mineurs et les services sociaux des communes. Les obstacles juridiques de confidentialité ou de secret des informations nominatives et des décisions (quand elles n’ont pas vocation à être publiques) étant légitimes, cette question mérite d’être approfondie.

Enfin, sur un point plus particulier, la mission d’information, observant que la politique de la ville est, sur le terrain, conduite par deux agences, l’ANRU et l’Acsé, l’une chargée des travaux de rénovation urbaine, l’autre des mesures d’accompagnement social, estime que les conventions passées au titre de la rénovation urbaine (avec les collectivités locales) devraient obligatoirement associer les deux agences, afin que l’accompagnement social des opérations – qu’un intervenant a qualifié de « service après-vente » – soit garanti. Car sans cet accompagnement, les résidents restant les mêmes, les opérations de rénovation et de résidentialisation risquent de ne pas servir à grand-chose ; on pourrait rapidement retrouver le degré de dégradation qui préexistait à ces opérations.

2. Assurer la continuité de la prise en charge des jeunes

L’enjeu d’une meilleure coordination administrative, c’est d’assurer une meilleure prise en charge des jeunes ; cette prise en charge doit autant que possible être continue, même quand ils décrochent du système.

À ce titre, il est clair qu’il faut aller plus loin en matière de repérage et de suivi des décrocheurs. Les progrès récents et les expériences en cours ne sont pas à négliger. Mais sans doute est-il temps d’affirmer le principe selon lequel les établissements scolaires sont tenus de mettre en place un repérage des élèves en décrochage, tandis que la mise en place d’une autorité administrative responsable (voir supra) doit permettre la transmission de l’information aux acteurs publics positionnés en aval (les missions locales, Pôle emploi) afin qu’ils proposent sans tarder une prise en charge à ces jeunes. La nécessité d’une réaction précoce fait en effet consensus.

Faut-il mettre en place, pour les jeunes qui décrochent durant leurs études universitaires, un système aussi lourd ? La question est posée. Au minimum, il apparaît légitime de demander aux universités (au titre de leur nouvelle mission d’insertion dans l’emploi) l’établissement d’un partenariat, en particulier dans le cadre des bureaux d’aide à l’insertion professionnelle, avec les opérateurs du service public de l’emploi (Pôle emploi et APEC principalement).

Pour en revenir à ceux qui quittent l’enseignement secondaire, un débat existe sur l’opportunité de leur ouvrir dès 16 ans l’accès aux écoles de la deuxième chance (en droit celles-ci sont destinées à des majeurs ; des expérimentations d’accueil à 16 ans ont cependant été conduites). Certains font valoir que l’école de la deuxième chance peut être d’autant plus efficace que ceux qui y viennent ont connu une vraie rupture, une « galère », qui les a convaincus que leur seule chance était, d’une manière ou d’une autre, de retourner à l’école, même sous une forme très différente ; placée dans la suite de l’enseignement scolaire, l’E2C ne serait pour des jeunes devenus « anti-scolaires » que la continuation d’un système qu’ils rejettent. Dans l’autre sens, la continuité de la prise en charge des jeunes apparaît comme un enjeu essentiel et le fait est que l’on n’a pas un si grand nombre de solutions à proposer aux jeunes qui rejettent l’enseignement classique. C’est pourquoi l’ouverture des E2C aux jeunes de 16 à 18 ans ne doit pas être écartée, mais poursuivie dans un cadre prudent d’expérimentation et de dérogations.

Enfin, les intervenants rencontrés par la mission ont souligné la nécessité de mobiliser le milieu associatif local lorsque l’on veut repérer puis convaincre d’accepter une aide les jeunes qui, après un décrochage, se sont isolés dans leur quartier.

3. Favoriser les contacts des jeunes avec l’extérieur, et en particulier le monde du travail

Il existe un consensus sur le fait que l’une des difficultés majeures que rencontrent les jeunes qui habitent des quartiers populaires et/ou sont issus de l’immigration réside, par rapport à d’autres, dans la faiblesse des réseaux sociaux dont ils disposent d’une part pour être informés sur les parcours scolaires/universitaires « gagnants » (offrant les meilleures perspectives de carrière), d’autre part pour approcher le monde du travail.

Au cours de leurs études, ces jeunes ont parfois tendance à s’autocensurer, à limiter leurs ambitions (« ce n’est pas pour moi »), puis, une fois un diplôme obtenu, ils en attendent beaucoup (trop) pour l’accès à l’emploi, tout en commettant des fautes de comportement dans leurs contacts avec les employeurs (faute d’y avoir été préparés). Les échecs alors connus peuvent rapidement amener au repli sur soi. Ce type de constat ne vaut évidemment pas pour les seuls jeunes issus de milieux et de quartiers défavorisés, mais il s’applique d’autant plus qu’ils ne peuvent compter sur leur milieu familial pour compenser les insuffisances du système éducatif et leur ouvrir des portes dans le monde du travail.

C’est pourquoi tout ce qui peut ouvrir l’esprit, créer des contacts à l’extérieur du système éducatif, en particulier avec le monde professionnel, doit être privilégié.

a) Promouvoir les actions d’information et de sensibilisation sur les parcours et les contacts avec le monde du travail

Les personnes entendues par la mission ont généralement mis en avant la grande efficience (le faible coût pour un résultat appréciable) des opérations ciblées sur l’information et la mise en contact. Il convient de favoriser tout ce qui peut rendre plus accessible et plus claire l’information sur les parcours scolaires et universitaires (afin que la multiplicité des options, des parcours possibles grâce aux multiples passerelles, ne favorise pas excessivement les « initiés », notamment les enfants d’enseignants), faciliter l’accès aux stages en entreprise, permettre des contacts directs avec le monde du travail en organisant des « forums » ou « carrefours » de rencontre des jeunes avec les employeurs. Le parrainage est également une excellente formule.

Tout cela relève d’initiatives diverses qui n’ont pas nécessairement vocation à être organisées dans une politique publique d’ensemble, mais que les collectivités publiques se doivent de soutenir.

On peut cependant aussi identifier quelques actions de portée générale qui pourraient faire l’objet de mesures nationales :

– comme d’ailleurs y invite l’intégration de l’insertion professionnelle aux missions de l’université par la loi du 10 août 2007 relative aux libertés et responsabilités des universités, une valorisation systématique des démarches tournées vers l’orientation et les contact avec le monde du travail pourrait être envisagée dans les cursus scolaires et universitaires. Pourquoi pas, en fin de premier cycle de l’enseignement secondaire (brevet) et/ou au bac, la possibilité de se voir attribuer des points supplémentaires en fonction de la capacité à présenter un carnet qui rendrait compte des stages et des prises de contact avec les services d’orientation, ou de la présentation d’un premier projet professionnel qui aurait été construit durant la scolarité ? Pourquoi pas, à l’université, une unité de valeur obligatoire centrée sur l’analyse des opportunités d’emploi et la recherche pratique d’emploi, en lien avec l’apprentissage de l’autonomie qui constitue l’un des vrais problèmes en premier cycle universitaire ?

– à plus court terme, la voie des « banques de stages », actuellement expérimentée par l’éducation nationale, doit absolument être développée. Dès lors qu’un stage est obligatoire dans un cursus (notamment le stage de découverte en classe de troisième, ou en BTS), il doit appartenir à l’éducation nationale de rechercher (en s’appuyant sur les chambres consulaires, les services municipaux, etc.) et proposer des stages à tous, afin que la réalisation de stages « intéressants » ne soit pas réservée à ceux dont les parents ont des relations ;

– enfin, on connaît l’impact que certaines fictions diffusées à la télévision peuvent avoir sur les choix professionnels des jeunes, bien plus que la communication institutionnelle. Depuis 2006, comme on l’a dit, le CSA doit demander dans les conventions passées avec les chaînes des « mesures en faveur de la cohésion sociale » et de la « diversité ». Favoriser la diffusion de fictions qui montreraient des exemples de la réussite que peuvent connaître des jeunes manifestement issus de « minorités visibles » dans des professions intellectuelles ou d’encadrement classiques (offrant vraiment des débouchés dans la « vraie vie ») pourrait constituer un engagement fort pour la cohésion sociale en suscitant des vocations réalistes et en montrant que l’ascenseur social républicain concerne tout le monde. Le CSA pourrait donc être invité à inscrire cette dimension dans ses relations avec les opérateurs.

b) Développer l’alternance

Dans la mesure où elle offre à ceux qui s’y inscrivent une connaissance concrète de l’entreprise, l’opportunité de se constituer des réseaux dans le monde du travail et une rémunération, l’alternance est une formule très adaptée aux jeunes issus de milieux défavorisés.

La mission d’information a dégagé plusieurs pistes concrètes d’amélioration (outre les éventuelles incitations financières aux employeurs, sur lesquelles on reviendra infra).

Dans l’enseignement supérieur, le développement de l’alternance semble entravé par diverses réticences et parfois pas des interprétations restrictives des textes qui l’autorisent. Ainsi, 50 % des écoles de commerce membres de la Conférence des grandes écoles ont-elles développé un accès à leur diplôme par la voie de l’apprentissage, mais seulement 11 % des écoles d’ingénieurs (et encore pour une proportion très réduite de leur effectif diplômé), ce qui tiendrait notamment à des positions restrictives de la Commission des titres d’ingénieur, qui impose aux écoles d’ingénieurs d’organiser l’apprentissage sur la totalité de la durée de leur cursus et restreint le nombre d’étudiants pouvant bénéficier de cette voie. Cette question mériterait d’être expertisée afin que soient levés les obstacles à l’acquisition des diplômes d’ingénieur par l’apprentissage.

D’autres obstacles financiers ou juridiques peuvent encore exister, notamment le coût des matériels que doivent acquérir les jeunes apprentis qui s’inscrivent en centre de formation (qui ne semble pas partout pris en charge), ou encore les limites d’âge. À cet égard, on sait que les limites d’âge d’entrée en apprentissage (signature d’un contrat) sont 16 et 25 ans, sauf dérogations.

Les dérogations aux règles d’âge pour l’entrée en apprentissage

La limite inférieure fixée à 16 ans dans le droit commun est selon le code du travail abaissée à 15 ans pour les jeunes ayant achevé leur premier cycle de l’enseignement secondaire ou en cours d’« apprentissage junior » (lequel se passe sous statut scolaire et peut être engagé à 14 ans).

La limite supérieure fixée à 25 ans comporte plusieurs dérogations :

– jusqu’à 30 ans, pour poursuivre un cycle d’apprentissage avec la signature d’un nouveau contrat en vue de l’obtention d’un diplôme plus élevé que celui précédemment acquis ;

– jusqu’à 30 ans, pour reprendre un apprentissage suite à la rupture accidentelle (maladie, cause de force majeure) d’un précédent contrat ;

– jusqu’à 30 ans, pour les personnes handicapées ;

– dans le cadre d’un projet de création/reprise d’entreprise impliquant l’obtention d’un diplôme.

La mission d’information s’interroge sur l’intérêt de conserver une limite d’âge supérieure pour l’entrée en apprentissage, laquelle connaît déjà diverses dérogations. Certes une généralisation de l’apprentissage par des adultes, en tant que « deuxième chance », imposerait une réflexion sur le financement de ces formations, mais on peut penser qu’une telle formule ne concernerait pas des effectifs très considérables, tout en offrant des opportunités supplémentaires.

La limité d’âge inférieure constitue un sujet plus sensible, qui a pu susciter des réactions passionnelles. Les possibilités actuelles de dérogation ne sont guère utilisées dans ce contexte. Dans un premier temps, l’enjeu est sans doute de parvenir à une meilleure mise en œuvre des facultés ouvertes par la législation en vigueur. Les esprits y sont peut-être prêts car on observe que certains avantages des formules de « pré-apprentissage » sont aujourd’hui salués même par des responsables de conseils régionaux qui y étaient a priori réticents : elles contribuent en particulier à ouvrir davantage, en aval, les centres de formation d’apprentis à des publics divers.

Par ailleurs, les fonctions publiques ne doivent pas rester à l’écart du mouvement. Le dispositif PACTE d’intégration sans concours par la voie de l’alternance doit être élargi ; la réflexion sur son extension aux emplois autres que d’exécution (« catégorie C ») doit être ouverte.

Enfin, la mission souhaite que les jeunes étrangers en situation régulière puissent plus aisément accéder aux formules d’alternance dans leur cursus de formation. Il s’agit de faire évoluer (par la création d’un titre de séjour « apprenti », comme il existe un titre « étudiant », ou par l’élargissement du champ de ce dernier et des droits qui y sont attachés ?) la réglementation, qui, au motif que les contrats d’apprentissage et de professionnalisation sont des contrats de travail, en écarte les étrangers que leur titre de séjour n’autorise pas à travailler en France et ne permet pas qu’un contrat d’alternance, à la différence d’un contrat de travail classique, puisse justement justifier la délivrance d’un titre de séjour autorisant à travailler.

4. Ouvrir le système scolaire et universitaire à toutes les diversités

Pour ouvrir et brasser plus le système scolaire et universitaire, la mission d’information partage tout d’abord pleinement les options exprimées à Palaiseau par le Président de la République :

– généraliser les internats d’excellence, qui permettent d’offrir un cadre propice au travail pour ceux qui sont issus de milieux modestes ;

– garantir que 5 % des élèves de terminale de tout lycée puissent s’inscrire dans une classe préparatoire aux grandes écoles (CPGE), ce qui paraît tout à fait accessible, et que 25 %, à la rentrée prochaine, puis 30 % de l’effectif de chaque classe préparatoire soit constitué de boursiers, ce qui demandera assurément aux proviseurs un plus gros effort (actuellement, le taux moyen de boursiers en CPGE est inférieur à 20 %, contre 30 % dans l’ensemble de l’enseignement supérieur). De telles mesures sont de nature à provoquer un brassage social massif dans le monde élitiste des classes préparatoires.

Une mesure de portée plus limitée apparaît par ailleurs intéressante : indépendamment du débat sur le montant des bourses, un intervenant de la mission a estimé qu’elles devraient être attribuées non annuellement, mais sur une base pluriannuelle (pour la durée d’un cycle scolaire ou universitaire, sous réserve naturellement que ce cycle soit poursuivi) : cela donnerait un horizon financier garanti à des jeunes dont la réticence par rapport à l’entrée dans des études longues est souvent liée à l’incertitude sur leur capacité à les financer.

Enfin, la réflexion sur les concours et examens est essentielle :

– le développement de dispositifs parallèles de recrutement des grandes écoles, à la manière de ce que font des Instituts d’études politiques au bénéfice d’élèves provenant de l’éducation prioritaire, suscitant des controverses, l’enjeu est peut-être plus de parvenir à une évolution du contenu des épreuves de droit commun qui privilégie moins les savoirs académiques et les matières socialement discriminantes (culture générale, langues…) ;

– les modes d’accès aux grandes écoles, les passerelles avec l’université sont déjà nombreux et leur développement, s’il diversifie le recrutement, peut aussi conduire à une complexité qui peut favoriser les jeunes les plus « initiés » et donc nuire à l’objectif de promotion sociale.

De manière générale, il est sans doute souhaitable, dans l’optique de diversification des recrutements, que les grandes écoles se dotent systématiquement de concours destinés aux jeunes issus des formations et classes préparatoires technologiques (parallèlement aux concours destinés aux jeunes « généralistes ») et accroissent leurs quotas de places pour ces filières technologiques. Dès lors que, selon des témoignages, les écoles d’ingénieur pourraient aujourd’hui accueillir plusieurs milliers d’élèves supplémentaires sans avoir à augmenter leurs moyens, cette voie est réellement prometteuse.

5. Déployer les dispositifs de deuxième chance sans nuire à leur efficacité

L’apport des dispositifs de deuxième chance est unanimement salué et ils doivent certainement être développés.

a) Le réseau des écoles de la deuxième chance

Comme l’ont indiqué MM. Laurent Wauquiez et Martin Hirsch devant la mission, l’État se fixe un objectif de 12 000 jeunes accueillis fin 2010 dans le réseau E2C et une programmation financière a été établie ; il convient de s’en féliciter. L’objectif est également de couvrir tout le territoire en ayant un site par département, principe qui pourrait recevoir une consécration législative, et de développer l’information des jeunes sur les opportunités de la deuxième chance.

Faut-il se fixer un objectif d’effectif à plus long terme, par rapport aux 120 000 jeunes ou plus qui sortent annuellement du système scolaire sans qualification reconnue ? La mission d’information appelle à une certaine prudence par rapport à tout ce qui ferait apparaître le deuxième chance comme un dispositif de masse, une sorte d’éducation nationale bis concurrente du système scolaire et des formules d’alternance classiques.

Il faut bien voir que le succès des écoles de la deuxième chance repose sur le respect de plusieurs pré-requis : la construction de solutions « sur mesure » adaptées aux publics et aux territoires ; la recherche de partenariats associant les collectivités ainsi que les entreprises locales. Ceci implique un développement du réseau qui soit mené sans que soit affichés d’avance un modèle unique et des ambitions trop systématiques.

On peut penser aussi que le développement du réseau doit reposer moins sur la création ex nihilo d’E2C que sur la reconnaissance des expériences locales, voire l’appel à celles-ci – y compris le cas échéant dans l’éducation nationale – à travers des appels d’offres et une démarche de labellisation.

Enfin, la diversité des pédagogies ne doit pas occulter qu’il faut que les résultats obtenus soient reconnus : les certificats qui sanctionnent le suivi de la formation des E2C doivent trouver une place dans la hiérarchie des diplômes et titres professionnels.

b) L’EPIDE

Comme y invite d’ailleurs le Conseil économique, social et environnemental, le coût par stagiaire très élevé de l’EPIDE, qui ne peut être justifié que par la formule de l’internat, doit trouver sa contrepartie dans un ciblage adéquat du public : il s’agit d’accueillir essentiellement des jeunes en très grande difficulté – ayant des problèmes comportementaux, sans abri, et/ou justifiant une surveillance particulière suite à des actes délictueux – pour lesquelles la formule d’internat est quasiment impérative.

D. RENFORCER LA MOBILISATION DES EMPLOYEURS, ENTREPRISES AUSSI BIEN QU’ADMINISTRATIONS

Le dernier volet des recommandations de la mission d’information porte sur la mobilisation des employeurs. Avant de présenter ces recommandations, quelques remarques préalables sont nécessaires :

– les mesures qui seront prises devront, sous réserve des ajustements imposés par les différences de règles de droit, s’appliquer aussi bien aux entreprises qu’aux administrations. Ces dernières ne doivent pas rester hors du champ des contraintes imposées aux entreprises comme cela a été le cas pour l’insertion des personnes handicapées de 1987 à 2005 ;

– les entreprises (du moins les grandes) ont jusqu’à présent privilégié l’engagement volontaire unilatéral ou le dialogue social pour formaliser leurs actions pour plus d’égalité des chances et de diversité des personnels. Dans un second temps, l’inscription de certaines règles dans la loi est inévitable si on veut réellement leur donner une portée obligatoire générale ;

– de même, les engagements des entreprises ont pour le moment privilégié les politiques qualitatives (notamment de sensibilisation, de formation, de révision des processus de gestion des ressources humaines pour en garantir le caractère non-discriminatoire) sur les politiques quantitatives et la fixation concomitante d’indicateurs et d’objectifs chiffrés. Mais les mentalités évoluent et la mission d’information pense qu’il est temps d’envisager aussi, en complément, le développement de cette approche quantitative (qui n’implique pas, il faut le répéter, des « quotas ») ;

– enfin, si l’on s’inscrit dans cette optique quantitative, on revient nécessairement sur la question du « baromètre » de la diversité qui n’est pas encore en place. Plus généralement, si on doit favoriser l’accès à l’emploi de telle ou telle catégorie de jeunes, se pose immédiatement la question de la discrimination ressentie par ceux qui ne feront pas partie de ces catégories. Pour ces deux raisons, les actions quantitatives doivent être envisagées par rapport à des ciblages objectifs et consensuels, mais susceptibles de faire réellement progresser l’égalité des chances : les jeunes en alternance, les jeunes issus des quartiers populaires indépendamment de leur couleur de peau et de l’origine de leurs parents…

1. Passer par le dialogue social

Il existe dans le code du travail des obligations d’engager des négociations entre employeurs et syndicats représentatifs, tous les trois ans dans les branches et annuellement dans les entreprises, qui portent notamment sur les mesures en faveur de l’égalité professionnelle des femmes et des hommes et de l’insertion professionnelle des travailleurs handicapés. Ce type d’obligations n’impose pas de signer un accord, ni même, au niveau des entreprises, de négocier effectivement si aucune des parties n’est demandeuse, mais oriente indéniablement le cours du dialogue social. L’obligation légale de négocier sur l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes a ainsi conduit de 2002 à 2008 inclus à la conclusion de 35 accords de branche et 159 d’entreprise (essentiellement dans des grandes entreprises) sur ce thème, selon un bilan de l’Observatoire sur la responsabilité sociale des entreprises.

Les thèmes de l’égalité hommes/femmes et du handicap étant présents dans le champ des négociations obligatoires, il peut sembler pertinent d’y ajouter celui de la prévention des discriminations (en général), de l’égalité des chances et de l’ouverture à la diversité des origines.

2. Améliorer les processus de gestion des ressources humaines

Dans le champ qualitatif, l’amélioration des processus de gestion des ressources humaines est un enjeu essentiel. Cela passe par un effort important, dans toutes les entreprises, de formation des recruteurs à la non-discrimination (et il ne s’agit pas seulement d’écarter la discrimination directe assumée, le racisme, mais aussi les discriminations induites, involontaires, indirectes…).

La question du curriculum vitae (CV) anonyme reste par ailleurs posée. Dans son discours de Palaiseau du 17 décembre 2008, le Président de la République est resté sur le champ de l’expérimentation volontaire par des grandes entreprises plutôt que sur celui de l’obligation. Cette option est partagée par la mission d’information car les opinions sont très partagées sur cet instrument, dont les opposants font observer qu’il ne fait qu’ouvrir la première porte dans un processus d’embauche et qu’il présente un caractère humiliant (il s’agit après tout d’accepter de gommer ou de laisser gommer son identité – son nom, sa photo – au motif qu’elle serait inopportune…). En tout état de cause, le CV anonyme ne peut être adapté qu’aux grandes entreprises. Des expérimentations pourraient être engagées dans quelques bassins d’emploi en s’appuyant sur Pôle emploi, qui pourrait jouer le rôle du tiers de confiance assurant l’anonymisation des CV.

3. Envisager des mesures incitatives

Avant d’évoquer quelles mesures de nature quantitative la mission d’information envisage éventuellement, il est nécessaire de rappeler encore, d’une part qu’il ne saurait s’agir de « quotas » impératifs, mais tout au plus d’incitations, d’autre part que le point d’entrée dans ces mesures ne peut être l’identification d’un public bénéficiaire sur la base de critères d’origine « ethnique » au sens le plus large (origine étrangère, couleur de peau…).

Il convient aussi de rappeler les limites des politiques quantitatives d’incitation financière qu’on peut envisager :

– elles peuvent être lourdes à gérer pour les employeurs, voire inapplicables. Des responsables des ressources humaines auditionnés par la mission ont ainsi fait part de leurs craintes quant à la multiplication d’« emplois réservés » sur différents critères. De manière générale, si l’on prend le cas des processus d’embauche, se fixer des objectifs chiffrés peut avoir un sens lors de recrutements de masse – par exemple lors de la création d’une nouvelle implantation d’une entreprise ou dans les grandes entreprises qui centralisent leurs embauches –, mais guère dans la gestion d’un flux continu d’embauches individuelles ;

– s’agissant des résultats quantitatifs obtenus, comme on l’a déjà dit, la présence d’un grand nombre de représentants de tel ou tel groupe réputé discriminé dans une entreprise, ou encore sa capacité à accueillir un grand nombre de jeunes en alternance, ne « prouvent » pas que cette entreprise ne pratique pas la discrimination ou fait tout pour s’ouvrir aux jeunes, et vice-versa. Les choses dépendent en effet aussi de nombreux facteurs externes ou sur lesquels l’entreprise a peu de prise : la population du bassin d’emploi, l’existence ou non de centres de formation d’apprentis pouvant prendre en charge des jeunes dans tel ou tel métier, la pyramide des âges de l’entreprise, les stéréotypes externes (il est alors regrettable que l’entreprise les renforce en interne) qui orientent certains groupes de la population vers certains métiers…

– enfin, les interrogations sur l’efficacité des dispositifs d’incitation financière à l’emploi privilégié de tel ou tel groupe de personnes sont légitimes au regard de la principale expérience de cette nature – la seule qui s’assimile à un « quota d’emploi » – menée dans notre pays, celle au bénéfice des personnes handicapées, dont le bilan est assez incertain même si l’emploi de ces personnes a progressé.

L’emploi des personnes handicapées : le bilan incertain d’un quota d’emploi
assorti d’une pénalité financière

La mise en œuvre de la loi du 10 juillet 1987, concernant les personnes handicapées, est la seule expérience de « quota » d’emploi à laquelle on puisse se référer dans notre pays. Cette loi impose aux employeurs d’au moins vingt salariés une obligation de comporter au moins 6 % de personnes handicapées (1) dans leur effectif, sauf à verser une pénalité financière, à passer des accords de sous-traitance avec des structures employant spécifiquement des personnes handicapées (les trois options étant combinables) ou à négocier un accord collectif ad hoc.

Le bilan de ce dispositif, qui a été réformé et renforcé par la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits, des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées (sans que l’on dispose encore de retours suffisants sur l’impact de ce renforcement, même si on observe apparemment en 2006 une nette accélération des recrutements de travailleurs handicapés), est incertain :

– le taux d’emploi de personnes handicapées dans les établissements assujettis a certes augmenté, mais sans atteindre l’objectif de 6 % : on est passé de 3,6 % (2) en 1989 à 4,5 % en 2005 (3). Ce progrès modéré de l’emploi direct de personne handicapées n’a pas été suffisant pour résorber le niveau de chômage très élevé de cette population, qui a constamment évolué depuis vingt ans moins favorablement que pour la population générale (le nombre de personnes handicapées au chômage est passé de 50 000 à 140 000 de 1990 à 2000 ; de 2002 à 2007, le taux de chômage des bénéficiaires de l’obligation d’emploi a augmenté de 3 points quand le taux de chômage global baissait de 1 point) ;

– en 2006, seuls 53 % des établissements assujettis réalisaient tout ou partie de leur obligation d’emploi par l’emploi direct de travailleurs handicapés, tandis que 35 % se contentaient exclusivement de verser la contribution financière, qui n’est donc pas apparue suffisamment « incitative » (à cet égard, il sera intéressant de suivre l’impact de l’augmentation du montant de la contribution consécutif à la loi de 2005) ;

– par ailleurs, on constate que dans la fonction publique, également tenue à l’obligation d’emploi mais sans sanction financière jusqu’en 2005, le taux d’emploi des personnes handicapées a également augmenté sous l’empire de la loi de 1987, passant de 1987 à 1998 de 3,4 % à 4,09 % dans les services de l’État et de 3 % à 5,73 % dans les hôpitaux.

Quelques actions volontaristes et plus généralement la plus grande sensibilisation aux problèmes du handicap ont donc peut-être fait autant, voire plus, que le mécanisme de pénalisation financière, dont l’effet propre est difficile à distinguer.

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(1) Etant rappelé que bénéficient également de cette obligation d’emploi, dans le cadre du même quota, des catégories résiduelles comme les veuves et orphelins de guerre.

(2) Taux d’« unités bénéficiaires proratisées », le mécanisme, assez complexe, conduisant à faire varier la prise en compte des personnes selon l’importance de leur handicap. Les données du présent paragraphe sont tirées notamment de diverses publications de la DARES.

(3) Le mode de décompte de l’obligation d’emploi ayant été réformé par la loi du 11 février 2005, la série statistique « taux d’emploi » n’est pas homogène au-delà.

Dans ces conditions, la mission d’information met en avant trois pistes possibles.

a) Inciter à l’accueil de jeunes en alternance

A titre d’incitation à l’embauche de jeunes en alternance et depuis la loi pour l’égalité des chances du 31 mars 2006, le taux de la taxe d’apprentissage due par les entreprises de 250 salariés et plus passe de 0,5 % à 0,6 % (de 0,26 % à 0,312 % en Alsace Moselle) lorsque leur nombre moyen annuel de jeunes de moins de 26 ans en contrat de professionnalisation et/ou en contrat d’apprentissage est inférieur à un seuil de 3 % (à partir de 2008) de l’effectif annuel moyen.

Le différentiel de taxe, 0,1 %, est faible. Par ailleurs, le taux de 3 % correspond grosso modo au niveau atteint aujourd’hui dans l’ensemble de l’emploi marchand par les contrats en alternance. Pour une plus grande incitation financière des entreprises à l’accueil de jeunes en alternance, qui est une nécessité du point de vue de la mission, ce dispositif pourrait donc être renforcé.

Cependant, dans le contexte économique actuel, un relèvement du taux de jeunes à accueillir, actuellement de 3 %, devrait être progressif (et programmé), afin de ne pas être incompatible avec les capacités d’embauche des entreprises. Quant au niveau d’incitation, il est vraisemblable que le différentiel en vigueur de 0,1 % sur le taux de la taxe d’apprentissage est insuffisant pour modifier réellement les comportements ; mais une éventuelle augmentation de ce différentiel de 0,1 % devrait se faire sans prélèvement global nouveau pour les entreprises, c’est-à-dire non seulement en augmentant le taux majoré de taxe, mais aussi en diminuant le taux normal afférent aux entreprises qui remplissent leur obligation d’accueil de jeunes.

Par ailleurs, afin de relancer spécifiquement les contrats de professionnalisation, un dispositif d’incitation pourrait être envisagé au bénéfice des petites entreprises, comme il en existe un en matière d’apprentissage (avec le régime de crédit d’impôt qui permet de réduire l’impôt sur les sociétés de 1 600 euros par apprenti présent dans l’effectif, voire 2 200 euros dans certains cas, dont 158 000 entreprises ont bénéficié en 2007).

b) Développer les clauses d’insertion dans les marchés publics

Là où elles sont pratiquées, notamment dans les travaux financés par l’ANRU, les clauses d’insertion (impliquant un recours partiel, direct ou indirect, à une main d’œuvre qui peut être définie sur un critère territorial et/ou de situation d’éloignement de l’emploi) dans les marchés publics semblent assez efficaces. Elles ne peuvent sans doute être généralisées à tous les types de marché et sont également susceptibles de poser des problèmes de compatibilité avec le droit communautaire. Sous ces réserves et sans les imposer systématiquement, les clauses d’insertion dans les marchés publics méritent d’être développées.

c) Envisager une incitation financière à l’embauche des habitants des quartiers de la politique de la ville

Enfin, alors que les zones franches urbaines vont venir à expiration, certains, notamment M. Fodé Sylla dans l’avis qu’il a rapporté au Conseil économique, social et environnemental, proposent d’en inverser la logique, en favorisant la mobilité des personnes, qui est clairement insuffisante dans les quartiers populaires. C’est le concept de « salarié franc » : indépendamment de leur lieu d’implantation, les entreprises bénéficieraient d’exonérations spécifiques pour toute embauche de personnes résidant dans les quartiers de la politique de la ville. Cette proposition mérite d’être testée, tout en gardant à l’esprit les critiques habituelles à l’encontre de tout dispositif d’allègement de charges ciblé (les effets d’aubaine pour les entreprises qui auraient embauché de toute façon ; les contournements ; le fait qu’ils conduisent à faire embaucher « X » plutôt que « Y » et n’améliorent donc pas la situation globale de l’emploi…).

RAPPEL DES PISTES DÉGAGÉES PAR LA MISSION

A. DÉVELOPPER LES OUTILS DE CONNAISSANCE DE LA DIVERSITÉ ET DES DISCRIMINATIONS

1. Clarifier le cadre législatif applicable aux traitements statistiques destinés à la lutte contre les discriminations

La mission d’information est convaincue qu’une modification de la loi « informatique et libertés » du 6 janvier 1978 est inévitable mais, au regard des différentes options possibles, principalement fondées l’une sur l’exploitation des « données objectives », l’autre sur le questionnement du « ressenti d’appartenance », ne considère pas être pour l’heure en mesure d’émettre des préconisations sur la meilleure manière de mesurer la diversité des origines et les conséquences à en tirer dans la rédaction de la loi. Pour autant, quelques éléments des garanties qui devront de toute façon être apportées peuvent être identifiés :

– la finalité des travaux portant sur la mesure de la diversité des origines doit être claire : cela ne peut être que la lutte contre les discriminations et la promotion de l’égalité des chances et cela devra être affirmé dans la loi ;

– les enquêtes menées pour recueillir les données en vue de ces travaux devront être facultatives et auto-déclaratives ;

– les résultats publiés devront être strictement anonymisés et la conduite des enquêtes être externalisée ;

– ces travaux devront rester soumis à un régime d’autorisation au cas par cas par la CNIL.

2. Systématiser l’obligation de rendre compte

Ø Identifier systématiquement dans les documents budgétaires qui présentent des indicateurs la situation particulière des habitants des quartiers de la politique de la ville

Ø Instaurer, aussi bien pour les entreprises d’une certaine taille que pour les administrations, une obligation de rendre compte de leurs actions de prévention de la discrimination et de promotion de l’égalité des chances et de la diversité des origines

B. RENFORCER LES MOYENS DE LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS

Ø Instaurer une sanction financière à l’entrave aux investigations de la HALDE, en particulier au refus de communication de documents

Ø Insérer dans la liste des critères légaux de discrimination interdite le lieu de domicile et l’origine sociale (en prévoyant naturellement des dérogations pour motifs d’intérêt général afin de ne pas priver de base légale les politiques publiques reposant sur des critères sociaux et territoriaux)

C. LA FORMATION DES JEUNES : PENSER UN SYSTÈME PLUS OUVERT, PLUS DIVERS ET QUI NE LAISSE PERSONNE AU BORD DU CHEMIN

1. Coordonner et piloter les dispositifs

Ø Désigner une autorité administrative responsable (avec une personne physique identifiée en tant que telle) des élèves en décrochage sur chaque territoire (à l’échelon des départements, des académies ou des régions)

Ø Mettre enfin en place un service public de l’orientation coordonné, qui ne repose pas sur les seules compétences des personnels de l’éducation nationale, mais associe aussi les opérateurs des politiques de l’emploi et le monde professionnel

Ø Prévoir systématiquement que des membres des conseils d’administration des établissements scolaires les représentent à ceux des missions locales, et réciproquement

Ø Organiser de meilleurs échanges d’information entre les services de la justice qui s’occupent des mineurs et les services sociaux des communes

Ø Disposer que les conventions passées au titre de la rénovation urbaine doivent obligatoirement associer l’ANRU et l’Acsé

2. Assurer la continuité de la prise en charge des jeunes

Ø Instaurer une obligation de repérage des élèves en décrochage par l’éducation nationale et de transmission de l’information aux acteurs publics positionnés en aval (missions locales, Pôle emploi), afin qu’ils proposent sans tarder une prise en charge à ces jeunes.

Ø Demander aux universités l’établissement d’un partenariat, en particulier dans le cadre des bureaux d’aide à l’insertion professionnelle, avec les opérateurs du service public de l’emploi (Pôle emploi et APEC principalement)

Ø Poursuivre l’expérimentation de l’ouverture des écoles de la deuxième chance aux jeunes de 16 à 18 ans

3. Favoriser les contacts des jeunes avec l’extérieur, et en particulier le monde du travail

a) Promouvoir les actions d’information et de sensibilisation sur les parcours et les contacts avec le monde du travail

Ø Rendre obligatoire et valoriser (noter) les démarches tournées vers l’orientation et les contacts avec le monde du travail dans les cursus scolaires et universitaires

Ø Développer les « banques de stages » dans l’éducation nationale et affirmer sa responsabilité dans la recherche, pour les élèves, des stages obligatoires dans les cursus

Ø Favoriser (dans le cadre des convention passées par le CSA avec les opérateurs de l’audiovisuel) la diffusion de fictions qui montreraient des exemples de la réussite que peuvent connaître des jeunes manifestement issus de « minorités visibles » dans des professions « classiques » et offrant des débouchés

b) Développer l’alternance

Ø Lever les obstacles à l’acquisition des diplômes d’ingénieur par l’apprentissage

Ø Envisager de supprimer la limite d’âge supérieure (25 ans) pour l’entrée en apprentissage

Ø Élargir le dispositif PACTE d’intégration par la voie de l’alternance dans la fonction publique

Ø Faciliter l’accès aux formules d’alternance des jeunes étrangers en situation régulière (en faisant évoluer la réglementation, qui, au motif que les contrats d’apprentissage et de professionnalisation sont des contrats de travail, en écarte les étrangers que leur titre de séjour n’autorise pas à travailler en France et ne permet pas qu’un contrat d’alternance, à la différence d’un contrat de travail classique, puisse justement justifier la délivrance d’un titre de séjour autorisant à travailler)

4. Ouvrir le système scolaire et universitaire à toutes les diversités

Ø Généraliser les internats d’excellence

Ø Garantir que 5 % des élèves de terminale de tout lycée puissent s’inscrire dans une classe préparatoire aux grandes écoles (CPGE) et que 25 %, à la rentrée prochaine, puis 30 % de l’effectif de chaque classe préparatoire soit constitué de boursiers

Ø Attribuer les bourses sur une base pluriannuelle (pour la durée d’un cycle scolaire ou universitaire, sous réserve naturellement que ce cycle soit poursuivi) 

Ø Poursuivre la réforme des épreuves des concours, qui doivent être moins discriminantes

Ø Obtenir des grandes écoles qu’elles se dotent systématiquement de concours destinés aux jeunes issus des formations et classes préparatoires technologiques (parallèlement aux concours destinés aux jeunes « généralistes ») et accroissent leurs quotas de places pour ces filières technologiques

5. Déployer les dispositifs de deuxième chance sans nuire à leur efficacité

Ø Pour reconnaître l’apport des écoles de la deuxième chance, accroître leur visibilité et couvrir le territoire, consacrer le principe d’un site-école par département

Ø Développer le réseau des écoles de la deuxième chance en procédant par appels d’offres, afin de mobiliser notamment les établissements existants

Ø Recentrer l’EPIDE sur les publics qui justifient le recours à sa formule spécifique d’internat

D. RENFORCER LA MOBILISATION DES EMPLOYEURS, ENTREPRISES AUSSI BIEN QU’ADMINISTRATIONS

Ø Insérer dans les thèmes obligatoires de négociation sociale (branches et entreprises) la prévention des discriminations, l’égalité des chances et l’ouverture à la diversité des origines

Ø Poursuivre l’expérimentation du curriculum vitae anonyme, notamment en choisissant quelques bassins d’emploi où Pôle emploi pourrait jouer le rôle du tiers de confiance assurant l’anonymisation des CV

Envisager des mesures d’incitation financière, en étant conscient d’une part qu’il ne saurait s’agir d’établir des « quotas », d’autre part que le point d’entrée dans ces mesures ne peut être l’identification d’un public bénéficiaire sur la base de critères d’origine « ethnique » au sens le plus large mais des ciblages objectifs et consensuels : les jeunes en alternance, les jeunes issus des quartiers populaires :

Ø Inciter à l’accueil de jeunes en alternance en jouant tout à la fois sur l’objectif actuel d’accueillir 3 % de jeunes en alternance dans les grandes entreprises et sur le niveau, actuellement faible à 0,1 %, de surcotisation de taxe d’apprentissage associé à cet objectif, mais ce sans augmenter globalement le prélèvement sur les entreprises

Ø Inciter spécifiquement à l’embauche de jeunes en contrat de professionnalisation par une mesure d’incitation destinée aux petites entreprises

Ø Développer les clauses d’insertion dans les marchés publics

Ø Envisager un allègement de charges spécifique pour l’embauche des habitants des quartiers de la politique de la ville

CONTRIBUTION PRESENTÉE PAR MME MARIE-RENÉE OGET
ET M. JEAN-PATRICK GILLE, MEMBRES DE LA MISSION APPARTENANT AU GROUPE SOCIALISTE, RADICAL, CITOYEN ET DIVERS GAUCHE

Les travaux de la mission d'information sur les écoles de la 2ème chance et l'accès à l'emploi appellent de notre part deux types de remarques tenant, d'abord, au périmètre de cette mission et à la façon dont se sont déroulés ses travaux et, ensuite, aux questions de fond se rapportant aux deux sujets abordés dans ce cadre, à savoir : l'évaluation des dispositifs de 2ème chance et la question de la lutte contre les discriminations dans l'accès à l'emploi, deux thèmes qui font ressortir l’urgence d'agir fortement pour résorber le chômage des jeunes.

1 – Sur le périmètre de la mission d’information

Initialement consacrée à l'évaluation des écoles de la 2ème chance et des différents dispositifs d'accès à l'emploi des jeunes sans qualification, cette mission d'information a vu son périmètre considérablement élargi, à la demande de M. le Président de la commission des affaires familiales, culturelles et sociales, suite à la nomination de M. Yazid Sabeg comme commissaire à la diversité et à l'égalité des chances. L'objectif de l'extension de ce champ d'investigation visait à donner une expression au Parlement sur ces questions avant la publication des recommandations de M. Sabeg, prévue pour le 21 mars 2009.

Dès lors, notre mission d'information s'est vue assigner l'objectif d'aborder simultanément et dans un délais d'un mois deux sujets particulièrement larges et revêtant une importance considérable pour les politiques publiques, l'avenir des jeunes et la cohésion de notre société.

Toutefois, ces deux sujets reflètent deux problématiques distinctes dans le sens où les écoles de la 2ème chance visent à permettre l'insertion professionnelle de jeunes peu ou pas qualifiés exclus du monde du travail, alors que la question des discriminations dans l'accès à l'emploi se pose de manière particulière pour des personnes diplômées maintenues à l'écart de l'emploi. Ces deux problématiques touchent donc des situations et à des publics sensiblement distincts et appellent, par conséquent, des solutions souvent différentes.

Cette raison aurait dû conduire à décider de la création de deux missions d'information distinctes – l'une consacrée aux dispositifs de la 2ème chance, l'autre aux discriminations – afin d'assurer une meilleure qualité du travail pour les parlementaires, ceci d'autant plus qu'il avait été décidé que cette mission d'information ne disposerait que d'un mois pour mener ses travaux.

Par ailleurs, la question des discriminations relevant également de la compétence de la commission des lois de notre assemblée, il eût été pertinent d'associer à ce travail nos collègues de cette commission, dont étaient d'ailleurs issus la rapporteure et les premiers signataires de la proposition de loi n° 1305 –Mme George Pau-Langevin, MM. Christophe Caresche et Victorin Lurel – déposée le 16 décembre 2008 par le groupe SRC et présentée dans le cadre de sa séance d'initiative parlementaire du 19 février 2009.

Aussi, malgré l'ampleur des auditions réalisées et l'esprit constructif ayant marqué le travail des quatre membres de cette mission d'information, nous regrettons que celle-ci se soit vue attribuer un périmètre trop large avec des conclusions à rendre dans un délai trop bref.

2 – Sur les questions de fond abordées dans le cadre de la mission d'information

L'accès des jeunes à l'emploi tout autant que la problématique des discriminations se doivent d'être des préoccupations majeures de nos politiques publiques. Ces questions suscitent de fortes attentes et reflètent, l'une et l'autre, une réelle urgence qui se trouve accentuée par la crise. Nous souhaitons à ce titre réaffirmer certaines propositions sur les deux champs d'investigation de la mission.

2.1 – Pour la lutte contre les discriminations, de nouveaux outils sont nécessaires

Les auditions réalisées ont fait ressortir le souhait de différents acteurs de la lutte contre les discriminations de voir renforcé et rénové notre arsenal législatif et de voir encouragées certaines pratiques ne relevant pas du domaine de la loi. Nous souhaitons, à ce titre, réaffirmer notre attachement à la prise en compte des réponses apportées sur différents points par la proposition de loi n° 1305 du groupe SRC relative à la lutte contre les discriminations, en prenant acte de l'adoption par la mission de l'essentiel de ses préconisations :

2.1.1 – Permettre l'évaluation scientifique des discriminations

Cette question épineuse appelle de notre part une réponse qui ne peut être ni l'immobilisme, qui nous priverait de tout outil d'évaluation efficace, ni les quotas fondés sur l'origine ethnique qui seraient contraires à l'esprit de nos valeurs républicaines, comme l'a rappelé le Conseil constitutionnel. Toute logique de quotas ou de référentiel ethno-racial ou religieux doit être rejetée. Cependant, dans l'hypothèse où des études visant à évaluer les discriminations venaient à être autorisées, se poserait la question de savoir dans quelles conditions elles pourraient être réalisées, par quels organismes et à quelles fins.

Nous confirmons notre position en faveur de la possibilité d'effectuer ce type d'études à condition qu'elles soient strictement encadrées :

– il convient de s'en tenir, comme le fait scrupuleusement la proposition de loi n° 1305, à la position du Conseil constitutionnel (décision n°2007-557 DC du 15 novembre 2007, voir le « Commentaire aux Cahiers ») : « les traitements nécessaires à la conduite d'études sur la mesure de la diversité des origines des personnes, de la discrimination et de l'intégration ( …) peuvent porter sur des données objectives mais ne sauraient, sans méconnaître le principe énoncé par l'article 1er de la Constitution, reposer sur l'origine ethnique ou la race » ; il précise que « ces données objectives pourront, par exemple, se fonder sur le nom, l'origine géographique ou la nationalité antérieure à la nationalité française », mais « le Conseil n'a pas jugé pour autant que seules les données objectives pouvaient faire l'objet de traitements » et qu'« il en va de même pour des données subjectives, par exemple celles fondées sur le "ressenti d'appartenance"  » ; ajoutant que « serait contraire à la Constitution la définition, a priori, d'un référentiel ethno-racial » ;

– ces études doivent rester limitées à l'évaluation des discriminations, à l'exclusion de tout autre objet ;

– elles ne pourront être effectuées que par des « tiers de confiance » qui pourraient être des organismes publics habilités à cet effet (CNRS, INED, instituts de recherche universitaires, Pôle emploi) ; elles ne pourraient donc être réalisées directement par les entreprises ;

– elles doivent recueillir l'autorisation de la CNIL et non seulement une déclaration auprès de celle-ci ;

– le recueil des données devra respecter le consentement, l'anonymat et l'auto-déclaration des personnes interrogées, qui auront la faculté de ne pas répondre à ces enquêtes ;

– ces études devront être fondées sur des notions telles que le « ressenti d'appartenance », dans le strict respect des limites fixées par le Conseil constitutionnel, ou le « ressenti de discrimination » qui tend à apparaître plus adapté aux objectifs d'évaluation des discriminations et moins porteur d'un risque de reconnaissance implicite de groupes selon un référentiel ethno-racial ou religieux ;

– enfin, ces études ne pourront donner lieu à la constitution de fichiers.

Nous prenons notamment acte de l'exigence d'une autorisation de la CNIL pour ces enquêtes.

2.1.2 – Expérimenter le CV anonyme

Cette disposition votée dans le cadre de la loi du 31 mars 2006, limitée aux entreprises de plus de 50 salariés, reste inapplicable faute de décret d'application et suscite des avis partagés. Le Gouvernement se doit donc d'ouvrir la voie à une expérimentation sur certains bassins d'emploi, d'autant plus que le récent accord interprofessionnel sur la diversité la prévoit. En outre, Pôle emploi s'est déclaré disponible pour organiser l'anonymisation des offres d'emploi.

En effet, limiter l'expérimentation aux entreprises volontaires, qui auraient mis en place des dispositifs de prévention ou de lutte contre les discriminations, priverait cette opération de son intérêt. Celui-ci réside surtout dans la possibilité de déceler des pratiques discriminatoires et d'identifier les publics discriminés sur un bassin d'emploi, tout en recensant les bonnes pratiques de certaines entreprises, en vue d'évaluer les discriminations et d'envisager des solutions adaptées à ce bassin d'emploi.

L'expérimentation du CV anonyme sur des bassins d'emploi requiert désormais du Gouvernement qu'il prenne le décret d'application de cet article de loi.

2.1.3 – Intégrer la question de la lutte contre les discriminations à la négociation d'entreprise

L'importance prise par la question de la lutte contre les discriminations justifie aujourd'hui qu'elle soit intégrée aux thèmes de la négociation annuelle obligatoire (NAO) dans les entreprises de plus de 50 salariés et dans les branches, au même titre que les salaires, le temps de travail, l'égalité entre les sexes, l'intégration des travailleurs handicapés et, tous les trois ans, la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences.

2.1.4 – Créer un délit d'entrave à l'action de la HALDE

Cette infraction existe en cas d'entrave à l'action de la CNIL et se justifie aussi pour la HALDE.

2.1.5 – Adapter les politiques de lutte contre les discriminations aux réalités locales

La diversité des situations locales justifie d'adapter les politiques aux données des territoires, de leurs populations et de leur tissu économique.

À ce titre, la désignation de délégués régionaux de la HALDE serait également souhaitable afin de mieux tenir compte du contexte socio-économique des territoires.

2.1.6 – La démocratisation de l'accès à toutes les filières d'études

L'accès des meilleurs élèves de tous les établissements doit être favorisé pour l'ensemble des filières sélectives, au-delà des seules grandes écoles, une proposition que le rapport n'a pas souhaité retenir.

Les filières universitaires doivent également être mieux connues des élèves et des parents afin de faire diminuer les attitudes d'autocensure. Cela suppose que soit assurée dès le collège une meilleure connaissance des filières sélectives et de l'université comme des enjeux de l'orientation, notamment dans les territoires dans lesquels le taux d'accès aux études supérieures reste faible.

2.1.7 – L'urgence de la situation conduit à écarter le report de l'entrée en vigueur des dispositifs

La prise en compte de l'urgence et du malaise des victimes de discriminations conduit à écarter toute hypothèse d'ajournement de l'entrée en vigueur de nouveaux dispositifs de lutte contre les discriminations au prétexte de l'impact de la crise économique sur la situation des entreprises, une position à laquelle s'est ralliée la mission. En revanche, la riposte graduée pourrait être envisagée dans un premier temps à travers des avertissements adressés aux employeurs auteurs de discriminations, à l'image de l'action actuelle de la HALDE, doublée d'actions de sensibilisation qui seraient organisées en amont.

2.2 – Les écoles de la 2ème chance et autres dispositifs : des résultats concluants appelant au renforcement de ces structures et à une coordination

Le chômage des jeunes appelle des solutions urgentes. Cette exigence se trouve renforcée par les effets de la crise qui fragilise un peu plus la situation des jeunes, en particulier peu ou pas qualifiés. La réadaptation de certains dispositifs pourrait également se justifier dans la mesure où ceux-ci augmenteraient les obstacles à l’accès à l'emploi. La défiscalisation des heures supplémentaires en est un exemple dans la mesure où elle a pour effet de freiner les recrutements avec un effet désincitatif sur l'emploi des jeunes. Nous réaffirmons également notre opposition à l'idée d'un apprentissage à 14 ans qui n'a pas été retenue par la mission.

Quant aux dispositifs de 2ème chance, ils affichent certains résultats concluants qui justifient leur pérennisation. Néanmoins, le manque de coordination des acteurs de la formation apparaît comme l'un des aspects à corriger, avec l'exigence de tenir compte des expériences concluantes.

2.2.1 – Des résultats concluants justifiant la pérennisation des dispositifs 2ème chance

Les écoles de la 2ème chance, créées à l'initiative de Mme Édith Cresson dans ses fonctions de commissaire européen, représentent un outil de lutte contre le chômage des jeunes qui a fait ses preuves avec un taux élevé de « sorties positives » marqué par l'acquisition d'une formation ouvrant des perspectives d'emploi en vue d'une intégration durable dans le monde du travail.

Les régions ont considérablement soutenu ces dispositifs et nous prenons acte des annonces du Gouvernement en faveur d'un soutien accru de l'État aussi nécessaire qu'attendu de longue date.

Les autres dispositifs tels que les centres EPIDE, qui dépendent du ministère de la défense, se caractérisent par une moindre mixité dans la population accueillie et affichent des résultats moins concluants que les écoles de la 2ème chance au regard du taux de « sorties positives ». Ils continuent toutefois d'apparaître comme adaptés à certains jeunes. La poursuite de cette expérience se justifie donc malgré un coût de revient plus élevé que les écoles de la 2ème chance et suppose de mieux cerner le profil des jeunes pour lesquels ces structures seraient profitables.

2.2.2 – Mieux coordonner l'action des acteurs de la formation à l'échelle locale

Les auditions réalisées ont fait apparaître un manque de coordination entre les différents acteurs et l'absence de pilote pour ces dispositifs relatifs à l'accès des jeunes à la 2ème chance. Elles ont aussi illustré la nécessité de trouver un dispositif adapté pour les élèves les plus jeunes en situation de « décrochage » scolaire. Il convient à ce titre de distinguer la 2ème chance d'accès à la formation destinée aujourd'hui aux adultes et les situations de décrochage scolaire précoces qui appellent des solutions rapides.

Ces dispositifs doivent donc associer l’éducation nationale, chargée de l'instruction scolaire initiale, les entreprises destinées à offrir des débouchés aux jeunes, mais aussi les acteurs tels que les collectivités locales, les missions locales, les services publics de la formation professionnelle et de l'emploi, mais aussi un service public de l'orientation qui reste à créer.

L'efficacité de ces dispositifs dépend sans doute de la désignation d'un pilote, en tenant compte de la répartition des compétences des différents niveaux de collectivités. Confier ce rôle aux régions qui sont en charge de la formation professionnelle se justifie pour les jeunes au-delà de l'âge du collège. En revanche, dans le cas des jeunes en situation de « décrochage scolaire », si la diminution des crédits de la Mission générale d'insertion des jeunes de l'éducation nationale (MGIEN) n'incline pas à l'optimisme, l'évaluation des classes-relais et des expériences locales, notamment municipales, apparaît comme un préalable nécessaire à la désignation d'un pilote pour la prise en charge de ces jeunes de moins de 18 ans.

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POSITION DES MEMBRES SRC DE LA MISSION D'INFORMATION

Compte tenu de l'ensemble des éléments développés, les membres SRC de la mission d'information prennent notamment acte de la présence dans le rapport de plusieurs préconisations figurant dans la proposition de loi n° 1305 défendue le 19 février 2009 par le groupe SRC, mais qui avait été rejetée par la majorité parlementaire. Ils prennent également acte de l'engagement des ministres auditionnés de renforcer les financements d'Etat pour les dispositifs d'accès à la 2ème chance. Toutefois, malgré le caractère constructif du travail engagé entre les membres de la mission, le temps trop bref qui lui était imparti pour rendre ses conclusions n'a pas permis de poursuivre la réflexion pour dégager des propositions claires sur des questions aussi débattues que les conditions de réalisation d'études statistiques d'évaluation des discriminations, d'une véritable expérimentation du CV anonyme et du renforcement des dispositifs de formation des jeunes, sachant que le chômage des jeunes exige des solutions adaptée de façon urgente.

En conséquence, Marie-Renée Oget et Jean-Patrick Gille se sont abstenus sur le vote du rapport.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La Commission des affaires culturelles, familiales et sociales s’est réunie le mercredi 18 mars 2009, sous la présidence de M. Pierre Méhaignerie, président, pour examiner le rapport d’information de M. Jacques Grosperrin, député.

Un débat a suivi l’exposé du rapporteur.

M. le président Pierre Méhaignerie. Je remercie le rapporteur pour ce travail qui aborde deux sujets complexes : la mesure de la diversité, qui doit permettre d’apprécier les progrès réalisés dans le domaine de la lutte contre les discrimination, et l’insertion des jeunes dans l’emploi. Sur ce dernier sujet, on constate qu’en dépit des aides multiples existantes, détaillées par de non moins nombreuses directives des préfets, peu de collectivités et d’associations s’engagent dans cette politique ; les enveloppes de contrats aidés disponibles ne sont pas utilisées ; je me demande donc s’il ne serait pas plus utile de s’en tenir plutôt à une ou deux mesures simples.

M. Gérard Cherpion. La mission était difficile en raison des deux problèmes que vient d’énoncer M. le président, mais aussi du fait de l’existence d’une zone médiane, celle qui correspond à la période se situant entre le moment où des jeunes décrochent du système scolaire et celui où ils réintègrent la société. Ce moment de vide au cours duquel la rue peut devenir la famille de certains jeunes âgés de 12 à 18 ans constitue une préoccupation commune des maires des villes de banlieue qui y sont confrontés et qui, quelle que soit leur étiquette politique, partagent des méthodologies semblables.

Cette errance dans la société pose la question de l’orientation. Cette dernière ne doit pas être uniquement scolaire et ressortir de la seule compétence de l’éducation nationale mais doit être organisée en partenariat avec les entreprises et le service public de l’emploi. Pour ce qui est des jeunes qui décrochent du système, il faut mettre en place un dispositif qui assure leur signalement et dont la responsabilité incombe à une personne nommément désignée, sans doute dans les services de l’État. Des solutions adaptées doivent être trouvées. Il est vrai que les jeunes décrocheurs peuvent être « rattrapés » par le biais de l’école de la deuxième chance ; cependant, on considère qu’une rupture est souvent nécessaire avant d’accepter un retour à l’école. De la même façon, l’apprentissage peut être une solution, mais il faut sans doute réfléchir aux règles d’âge qui continuent à en freiner le développement.

Quoi qu’il en soit, les écoles de la deuxième chance apportent une réponse satisfaisante à un problème difficile et il est nécessaire de les développer, mais de manière maîtrisée et en liaison avec les territoires, en rapport avec les besoins identifiés localement. La démarche de labellisation est également nécessaire afin d’amoindrir les grandes diversités existant entre écoles selon les territoires. En outre, ce déploiement doit se faire sans opposition des écoles avec les centres de l’Établissement public d’insertion de la défense (EPIDE), dont le coût plus important s’explique par l’accueil en internat d’un public différent, qui a le plus souvent rencontré des problèmes avec la justice.

Enfin, il est essentiel que, quelles qu’elles soient, les mesures qui seront adoptées impliquent le secteur public aussi bien que les entreprises privées. Nous avons dû attendre la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées pour que les règles d’emploi des travailleurs handicapés soient les mêmes pour toutes les structures ; il ne faut pas qu’il en soit de même. Il convient d’intégrer les jeunes dans les entreprises privées comme dans le secteur public, lequel devrait offrir de nombreuses possibilités d’emploi dans les prochaines années.

M. Jean-Patrick Gille. En dépit de l’excellent climat régnant entre ses membres, cette mission a posé un problème de méthode tant en raison de la densité de ses travaux et du nombres d’auditions menées en un mois que du glissement de son champ sur trois thèmes différents : les écoles de la deuxième chance, la diversité et l’accès à l’emploi des jeunes.

Au sujet des écoles de la deuxième chance, une belle unanimité, dont je me félicite, semble s’être aujourd’hui constituée pour vanter leur action, rendant inutile toute confrontation. Cette dernière semaine, plusieurs membres du Gouvernement ont annoncé vouloir prendre des mesures en leur faveur et Laurent Wauquiez, secrétaire d’État chargé de l’emploi, nous a même fait des promesses « sonnantes et trébuchantes », qui auraient été négociées avec les régions, ce qui n’est pas certain. En outre, il ne faudrait pas que chaque ministre réinvente une institution qui a été créée et jusqu’à présent gérée de façon autonome par les collectivités territoriales, pas par un État qui se montre parfois un peu « impérial ». Ainsi, un débat légitime s’est-il ouvert avec Fadela Amara, secrétaire d’État chargée de la politique de la ville, qui souhaite ouvrir les écoles de la deuxième chance aux jeunes âgés de 16 à 18 ans et les spécialiser par métiers. Pour ma part, je suis opposé à ces deux propositions. L’école de la deuxième chance n’a pas à être dans la continuité de l’éducation nationale ; sa pédagogie repose sur le fait de dégager le « projet » de chaque jeune, ce qui est contradictoire avec une spécialisation sur un type de métiers.

Le traitement du deuxième sujet abordé par la mission, la mesure de la diversité, a agréablement surpris le groupe socialiste, radical, citoyen et divers gauche (SRC), puisqu’il a permis d’aboutir à la reprise de dispositions de la proposition de loi (n° 1305) déposée par Mme Pau-Langevin et visant à lutter contre les discriminations liées à l’origine, réelle ou supposée.

M. le président Pierre Méhaignerie. Elle reprenait elle-même des propositions antérieures.

M. Jean-Patrick Gille. La mission a ainsi repris les idées de création d’un délit d’entrave à l’action de la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE), d’institution de délégués régionaux de celle-ci et d’insertion du thème de la lutte contre les discriminations dans les négociations obligatoires d’entreprise. Un accord unanime s’est forgé sur un refus des quotas et de la mise en place de référentiels religieux ou raciaux alors qu’une interrogation demeure sur la notion de « ressenti d’appartenance » sur lequel existait d’ailleurs une forte opposition lors de la présentation de la proposition de loi. Je reste toutefois très déçu que la question soit renvoyée à la réflexion d’une autre commission, celle qui est présidée par M. Héran.

Le dernier thème, celui de l’entrée des jeunes dans l’emploi, examiné trop rapidement, a débouché sur des conclusions décevantes. Il me paraît nécessaire d’aller plus loin. J’approuve toutefois l’idée d’exonérer de charges sociales les employeurs recrutant des jeunes ou des adultes habitant des zones urbaines sensibles (ZUS). Une telle politique d’exonération serait nettement préférable à celle menée en matière d’heures supplémentaires dont l’abandon permettrait de la financer. Le régime d’exonération des heures supplémentaires a en effet un impact très néfaste sur l’emploi des jeunes : il assèche l’offre d’emplois temporaires et de contrats d’intérim, qui sont les principaux emplois offerts aux jeunes.

En tout état de cause, il est important de distinguer deux problématiques :

– celle de la sortie prématurée du système scolaire qui doit être traitée par l’éducation nationale – et notamment par la mission générale d’insertion (MGI) dont on semble redécouvrir soudainement les mérites après avoir sabré dans ses crédits – mais qui doit également être portée par d’autres intervenants sur le territoire car l’éducation nationale n’est sans doute pas le meilleur interlocuteur du jeune qui l’a quittée ;

– celle de la construction d’un vrai système de deuxième chance à travers l’affirmation d’un droit différé à la formation initiale, dans laquelle les régions ont un rôle prépondérant à jouer.

Je conclurai par un proverbe : « qui trop embrasse, mal étreint ». Outre un manque de temps certain entraînant une certaine précipitation, je regrette l’étendue même des sujets abordés qui auraient pu faire l’objet de deux ou trois missions d’information. Je constate que, de ce fait, nous avons parfois énoncé des propositions sans avoir réellement eu le temps d’en examiner toutes les implications, notamment sur l’accès des jeunes à l’emploi. C’est pourquoi, tout en saluant la qualité du travail effectué, le groupe SRC s’abstiendra lors du vote sur le présent rapport.

M. Bernard Perrut. Je tiens tout d’abord à saluer la qualité du travail du rapporteur. Il s’agit d’un document intense eu égard au nombre d’informations apportées. Je me permettrai quelques réflexions. Depuis plusieurs semaines, secrétaires d’État, ministres, personnalités qualifiées travaillent intensément sur ce sujet. On peut supposer qu’en sortiront différentes propositions, mais on peut surtout espérer que ces propositions seront communes et non pas divergentes. Cette réflexion commune s’impose à l’heure où le chômage des jeunes a bondi de 23 % en 2008. C’est une préoccupation constante dans chacun de nos départements, dans nos villes comme à la campagne.

Aujourd’hui, un jeune sorti de l’éducation nationale en relève encore pendant un an. Les centres d’information et d’orientation (CIO) doivent assurer son suivi durant ce laps de temps. Or chacun s’accorde à reconnaître que cela ne fonctionne pas puisque six jeunes sur dix ne trouvent aucun accueil auprès de l’éducation nationale et se retournent donc vers les missions locales, dont ce n’est pourtant pas le rôle… Il faut effectivement à l’avenir privilégier un système d’accueil unique, la diversité des lieux d’accueil étant nuisible à la lisibilité de l’action. Les chiffres sont là.

S’agissant de l’égalité des chances, je mets en garde contre tout clivage entre les jeunes fondé sur leur quartier d’habitation ou leur origine. Les difficultés des jeunes sont aussi très grandes à la campagne. L’égalité des chances doit donc aller bien au-delà de ces oppositions simplistes.

S’agissant de la connaissance des jeunes sur le terrain, les jeunes des zones urbaines sensibles (ZUS) doivent déjà être répertoriés, à la demande de l’État, par les missions locales. Par ailleurs, le dispositif « Parcours 3 » géré par la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) et l’assurance chômage est destiné aux jeunes les plus en difficulté. La connaissance de ces jeunes en décrochage existe donc, mais pas les solutions pour les sortir de là.

La semaine prochaine, le Conseil national des missions locales fera des propositions à Laurent Wauquiez, secrétaire d’État chargé de l’emploi. Il convient de développer les conventions avec les entreprises, afin de les aider et de les accompagner dans l’accueil de ces jeunes. Il convient également de développer les contrats de professionnalisation ou de formation en alternance. Enfin, le succès de cette politique passe aussi par un renforcement des aides aux employeurs.

Je souhaite donc que l’ensemble des intervenants qui réfléchissent sur ce sujet puisse arriver à se fixer quelques objectifs clairs et précis.

M. Dominique Dord. Je salue également le travail réalisé. Je tiens plus particulièrement à insister sur deux points. En premier lieu, une préoccupation générale : on est au cœur du sujet le plus explosif pour notre pays. En effet, sortir ces jeunes, vivant déjà dans des familles très en difficulté, de cette situation de rupture d’égalité, de ce sentiment de discrimination est le principal défi auquel est confronté notre pays. Il serait donc nécessaire de créer encore deux ou trois missions d’information pour approfondir cette question, d’autant plus que la crise actuelle aggrave la situation.

En second lieu, un point frappant n’est peut-être pas suffisamment développé dans le rapport de la mission : il s’agit de la représentation qu’ont les jeunes des possibilités de débouchés professionnels dans chacune de nos villes. Ainsi, à Aix-les-Bains, ils ont le sentiment que si la mairie ou AREVA ne les embauchent pas, ils sont l’objet de discriminations, alors même que les processus de recrutement sont transparents ! Tout le monde veut travailler dans ces deux organismes, bien que d’autres débouchés très intéressants existent. C’est un sentiment qui est d’ailleurs partagé dans toute la population ; il n’est pas propre à certains groupes. C’est un vrai sujet qui nécessite une meilleure communication du monde de l’entreprise et des collectivités. Cela permettrait de traiter de manière plus globale cette question de la discrimination. Je ne sais pas si c’est à l’éducation nationale, aux CIO, aux missions locales ou au volet local de la mission de l’Agence nationale de rénovation urbaine (ANRU) d’effectuer ce travail, mais quelqu’un doit absolument le faire.

M. le président Pierre Méhaignerie. Ce phénomène joue à la puissance dix dans les Antilles, où les sur-rémunérations dans la fonction publique tuent l’emploi privé.

Mme Marie-Renée Oget. Je n’interviendrai qu’en complément de ce qu’a dit notre collègue Jean-Patrick Gille. Je salue, moi aussi, le climat très positif dans lequel se sont déroulés notre mission, nos auditions et nos échanges. On ne peut plus rester dans cette impasse du chômage des jeunes qui, plus que d’autres, ont des emplois précaires et sont donc les plus touchés par la crise. Même les plus diplômés se rendent aujourd’hui dans les missions locales.

La mission s’est retrouvée sur des témoignages, des expérimentations. Les retours d’expérience positifs devraient servir de base à la réflexion et à l’action des politiques, des institutions et des entreprises. Lorsque des expériences fonctionnent bien, il conviendrait de pouvoir les évaluer, les approfondir et en tirer parti plus qu’on ne le fait aujourd’hui.

Les dispositifs de formation initiale et continue doivent évoluer en vue d’une personnalisation accrue et d’une meilleure adaptation des parcours des jeunes. Mais cela ne sera possible que si l’on débloque des moyens. C’est par exemple le cas du repérage de ces jeunes décrocheurs : s’ils étaient mieux repérés, ils auraient plus de chance de se réinsérer.

M. Jean-Frédéric Poisson. Mes trois remarques concerneront principalement les entreprises et plus largement les employeurs. En premier lieu, j’approuve l’idée d’appliquer aux administrations les mêmes obligations qu’aux entreprises privées. C’est une question de justice.

En deuxième lieu, le rapport proposant d’y insérer les thèmes de la diversité et de l’égalité des chances, je m’interroge sur la notion même de « négociation obligatoire ». Je comprends bien que, devant le peu d’enthousiasme des entreprises à aborder certains sujets qui font pourtant partie de ce que l’on appelle la « responsabilité sociale de l’entreprise », le législateur entende contraindre la négociation, mais je suis gêné par l’antinomie, qui est dans les termes mêmes, entre la négociation et l’obligation. C’est un concept un peu baroque. Le débat est, me semble-t-il, pollué : a-t-on obligation de conclure ou seulement de négocier ? Il s’agit par ailleurs d’une obligation sympathique mais obligeant peu les entreprises dans les faits : que se passe-t-il si la négociation n’a pas lieu ? Si aucune conséquence n’est prévue en cas de non-respect de cette obligation légale, la loi n’est plus la loi et il ne s’agit plus d’une obligation ! Le débat sur ce sujet sensible est fondamental mais il me semble que la négociation obligatoire, comme sur d’autres sujets du même ordre – handicap, discrimination hommes/femmes, etc. – n’est pas le bon format. En effet, le succès des négociations sur les discriminations hommes/femmes, que vous évoquez dans votre rapport, est tout relatif. Très peu d’entreprises ont signé un accord. Par ailleurs, est-ce l’obligation de négocier ou la menace de sanctions pécuniaires qui ont permis la signature d’accords ? L’interrogation est la même s’agissant de l’intégration des handicapés dans l’entreprise. C’est un problème général de conception du dialogue social : le dispositif des négociations obligatoires ne fonctionne pas. On peut « se faire plaisir » en élargissant leur champ, mais on n’est pas efficace.

En troisième lieu, je pense qu’il conviendrait de se focaliser davantage sur la politique de gestion des ressources humaines, qui est effectivement une des clés pour résoudre les problèmes d’égalité des chances, même si je partage les observations du rapport sur les limites opératives des actions qu’on peut mener. La non-discrimination est aussi un enjeu culturel et je suis d’avis que la formation initiale de tous devrait comporter aussi des enseignements obligatoires, des « unités de valeur » concernant les relations sociales et l’éthique du travail et de la gestion.

M. Christian Eckert. En premier lieu, je ne comprends pas la position de Jean-Frédéric Poisson, qui semble regretter que les obligations de négociation du code du travail soient dépourvues de sanctions alors qu’il s’est à plusieurs reprises, lors de l’examen de textes antérieurs, opposé au durcissement de sanctions contre ceux qui ne respectent pas ces obligations.

Deuxièmement, je suis surpris de la méthode retenue par la mission d’information. Qui trop embrasse mal étreint : en abordant autant de questions dans un délai aussi court, la mission ne dégage que trop peu de lignes d’action concrètes au regard de l’ampleur des problèmes. En tout état de cause, il y avait d’autres occasions de traiter la question des discriminations qu’au détour de ce rapport.

Ensuite, je souhaite exprimer mon ressenti, à partir de l’observation des écoles de la deuxième chance en Lorraine – où ces dernières couvrent l’ensemble des bassins d’emploi –, sur les raisons de leur réussite et les voies d’amélioration de leur dispositif. Il me semble que la réussite des écoles de la deuxième chance tient à quatre raisons principales. La première est qu’elles fonctionnent sur la base du volontariat des jeunes. Deuxièmement, le système est déconnecté de l’éducation nationale, pour laquelle j’ai au demeurant le plus grand respect, mais qui n’est pas adaptée pour les jeunes qui ont « décroché » ou ont développé un refus du système scolaire et ont par conséquent besoin d’être accueillis dans un système qui soit bien distinct des structures de l’éducation nationale, avec des locaux et des acteurs différents. Troisièmement, les écoles de la deuxième chance associent les organismes consulaires ; les professionnels ont donc un pied dans l’école. Ainsi des liens se créent plus facilement avec les entreprises, ce qui est positif tant que la vocation « généraliste » des écoles n’est pas remise en cause. Quatrièmement, le succès des écoles de la deuxième chance tient à leur ancrage local.

S’agissant de l’amélioration du dispositif, elle va se heurter à un problème budgétaire. La question du financement est donc essentielle. Par ailleurs, il faudrait mettre en place des mesures incitatives pour encourager les entreprises à jouer pleinement leur rôle en aval des écoles de la deuxième chance en multipliant les stages et en développant l’accueil des jeunes en difficulté. Ces mesures incitatives pourraient prendre la forme d’exonérations de cotisations sociales et de contrats particuliers. Enfin, il conviendrait de maintenir et de développer le maillage territorial des écoles de la deuxième chance. En conclusion, je regrette que l’élargissement de son champ d’investigation à trop de sujets, et ce en quelques semaines, ait fait dériver la mission loin de ces questions qui me paraissent essentielles.

M. Dominique Tian. Ce rapport est très intéressant, notamment dans le constat qu’il dresse du bon fonctionnement des écoles de la deuxième chance dont je rappelle que la première a été créée à Marseille sur décision d’Édith Cresson.

M. le président Pierre Méhaignerie. Comment est-elle financée ?

M. Dominique Tian. Par l’Union européenne et les entreprises.

Mme Marie-Renée Oget. Et par la région ?

M. Dominique Tian. Oui, les collectivités territoriales participent au financement. Nous sommes fiers de cette école qui ne manque pas d’être visitée lors des déplacements ministériels. Je tiens à souligner l’importance du lien entre cette école et les entreprises qui sont particulièrement impliquées. En revanche, j’ai relevé le bilan critique que dresse le rapport sur l’Établissement public d’insertion de la défense (EPIDE) en ce qui concerne ses résultats et ses coûts. Comme l’indique le rapport, le coût par jeune et par an est d’environ 45 000 euros, contre 8 000 euros pour les écoles de la deuxième chance, et ce avec un taux d’abandon en cours de stage qui est très élevé (41 % en 2007) alors même que les jeunes perçoivent une allocation de 300 euros par mois. Il y a donc là un problème de gestion de l’argent public et des réformes à envisager.

S’agissant du problème de la discrimination, j’observe en premier lieu qu’il y a souvent un sentiment fort en la matière, sentiment qui n’est pas toujours fondé sur des faits. C’est un sentiment que peuvent éprouver tous les jeunes, qu’ils soient ou non issus de l’immigration, lorsqu’ils n’ont pas la possibilité de travailler pour la ville, le port autonome, l’entreprise Eurocopter ou d’autres entreprises qui jouissent d’une très grande renommée. On entend souvent dire que les entreprises sont responsables des discriminations. Or, aujourd’hui, faute de statistiques ethniques, il ne nous est pas possible de mesurer la diversité au sein des entreprises ; je le regrette car je visite beaucoup d’entreprises qui emploient des personnes d’origines diverses, et de nombreux secteurs de notre économie, je pense par exemple au bâtiment, ne pourraient pas fonctionner sans la main d’œuvre issue de l’immigration. Il me semble aussi que le rapport devrait comporter une analyse des emplois non pourvus qui indique leur répartition par bassin d’emploi et explicite les problèmes d’appariement entre l’offre et la demande.

Je souhaite par ailleurs souligner les difficultés que rencontrent les entreprises à recruter des travailleurs handicapés afin de respecter le quota légal, notamment du fait de la modification récente des critères. Selon les entreprises, Pôle emploi et les autres organismes ne sont pas en mesure de leur proposer des travailleurs handicapés. Certaines entreprises envoient des lettres recommandées sans retour. La loi apparaît donc inadaptée et les entreprises s’exposent à une sanction financière injuste dont l’État s’exonère.

Mme Monique Iborra. Ce rapport doit être replacé dans le contexte de la politique générale qui est actuellement menée et de la situation économique et sociale. Il évoque le problème de l’orientation, qui est selon moi le problème essentiel, sans aller suffisamment loin dans ses préconisations. Sur le seul sujet de l’orientation, on pourrait faire une mission d’information. Le rapport propose la désignation sur chaque territoire d’une autorité administrative issue des services de l’État comme responsable des élèves en décrochage. Cependant, les services de l’État sur le terrain étant totalement dépecés, désigner en leur sein une autorité chargée de l’orientation me paraît irréaliste.

M. le président Pierre Méhaignerie. On pourrait certainement mobiliser davantage certains services.

Mme Monique Iborra. Les services de l’État ne répondent pas aux exigences qui devraient être les leurs. Nous le savons, le décrochage est très lié à la situation économique et sociale des parents. C’est l’éducation nationale qui devrait être responsable du suivi de ces jeunes. Or elle n’est plus en mesure d’assurer cette mission car on supprime les réseaux d’aides spécialisées aux élèves en difficultés (RASED), les subventions aux associations et des postes un peu partout. Contrairement à ce qui a été dit, ce ne sont pas les CIO qui assurent l’orientation de ces jeunes, mais la mission générale d’insertion (MGI), laquelle manque de moyens. S’agissant des missions locales, on les réhabilite aujourd’hui alors qu’avec le contrat d’autonomie, le suivi des jeunes en difficulté a été transféré au secteur privé.

Quant aux écoles de la deuxième chance, je constate que le Gouvernement reprend à son compte un dispositif qui a été mis en place à l’initiative des collectivités locales. Je rappelle que les régions, au titre de leur compétence en matière de formation professionnelle, sont le premier financeur de ces écoles. Dans ces dernières, les jeunes sont stagiaires de la formation professionnelle et ce sont les régions qui financent leur salaire. En annonçant lors de son audition par la mission que les régions ont accepté, à l’issue d’une consultation, de financer les écoles de la deuxième chance à hauteur de 9 millions d’euros en 2010, le secrétaire d’État chargé de l’emploi a menti. Les régions n’ont jamais été consultées. Seuls les directeurs d’école l’ont été, alors qu’ils n’ont aucun mandat pour décider du financement apporté par les régions. Je considère donc que le secrétaire d’État a fait preuve de malhonnêteté intellectuelle.

M. le président Pierre Méhaignerie. Peut-être pourrions-nous rappeler les chiffres.

M. le rapporteur. L’État mettra sur la table 9 millions d’euros en 2009, soit autant que les régions, auxquels s’ajouteront 6 millions du Fonds social européen (FSE). En 2010, l’État versera 16 millions d’euros, les régions 9 millions et le FSE 6,5 millions ; en 2011, ce seront respectivement 24, 13 et 7 millions. Je constate que lorsque le Gouvernement décide de développer une politique en accroissant son financement, on l’accuse de récupération et que lorsqu’il met fin à une politique mise en place, on l’accuse de désengagement. Je rappelle que c’est Édith Cresson qui est à l’origine des écoles de la deuxième chance. On ne peut tout de même pas reprocher à l’État de « récupérer » une politique parce qu’il met en place des financements supplémentaires. Il ne s’agit pas de récupération : on souhaite simplement aller plus loin.

Mme Monique Iborra. Ce que je reproche à Laurent Wauquiez, c’est d’avoir évoqué la participation financière des régions sans aucune concertation préalable avec ces dernières et sans être habilité à le faire. Il n’y a eu aucune négociation, le secrétaire d’État n’est donc pas en mesure d’avancer des montants pour les années à venir. En outre, il n’est pas question que le Gouvernement décide des formations que financeront les régions, qui relèvent exclusivement de leur compétence. Au lieu de faire des collectivités territoriales des boucs émissaires, le Gouvernement serait bien avisé de s’inspirer de leur action, aussi bien dans les maisons de l’emploi que dans les écoles de la deuxième chance.

M. Michel Heinrich. Je serai bref. Bien que ce ne soit pas l’objet du rapport, je souhaite revenir sur la question du décrochage des jeunes que l’on présente souvent comme une fatalité. Il faut se saisir de ce problème et réfléchir à la manière de diminuer considérablement le décrochage voire de le supprimer. Il existe des dispositifs qui peuvent être mis en place, comme les programmes de réussite éducative, et évalués. Par ailleurs, j’ai été surpris, ces derniers temps, de l’acharnement à réformer le lycée, alors qu’il aurait peut-être été plus judicieux de se poser la question de la réforme du collège. Concernant les écoles de la deuxième chance, ce dispositif donne globalement satisfaction et je n’ajouterai rien à ce qui a déjà été dit.

Le rapport aborde des problèmes plus larges, comme celui de l’emploi dans les quartiers. Sur ce point, je partage l’observation de Dominique Dord : souvent les jeunes veulent absolument être employés à la mairie ou dans une ou deux entreprises emblématiques, ce qui démontre l’insuffisance de l’information qui leur est donnée et des perspectives qui leur sont offertes. Par ailleurs, le concept du « salarié franc » me semble excellent et beaucoup plus pertinent que le dispositif actuel des zones franches, qui est souvent détourné de son objectif. Il est aussi très important que des agences d’intérim et des antennes de Pôle emploi et des maisons de l’emploi s’installent dans les « quartiers ». En effet, on constate souvent que lorsqu’une agence d’intérim, par exemple, déménage – ne serait-ce que d’un kilomètre –, elle cesse de recruter dans le secteur où elle était. J’en ai fait l’expérience.

J’ai par ailleurs été surpris de lire dans le rapport que la généralisation des clauses d’insertion, initiées dans le cadre de l’ANRU, serait difficile pour les collectivités. Je ne le pense pas. Cette généralisation me semble utile et possible au-delà des chantiers ANRU, par exemple aux marchés des offices HLM, et de manière plus générale aux secteurs public et parapublic. En effet, l’objectif de 5 % d’heures travaillées réservées aux habitants des quartiers, prévu dans le cadre des travaux de l’ANRU, est souvent dépassé et on atteint parfois 8 % à 9 %.

Enfin, la discrimination à l’embauche est une réalité. Il reste beaucoup à faire au niveau des entreprises, mais l’État aussi doit être exemplaire. Or j’ai pu constater, dans ma préfecture, que l’État ne semble pas jouer le jeu. Quant aux emplois aidés, notamment dans l’éducation nationale, l’État doit là aussi en prendre sa part, particulièrement dans le domaine de la formation. Ce n’est pas le cas aujourd’hui.

M. le président Pierre Méhaignerie. Sauf dans les hôpitaux.

M. Michel Heinrich. C’est vrai mais ça n’est pas le cas dans l’éducation nationale.

M. Frédéric Reiss. En lisant le rapport, que je trouve très bien documenté, je suis tombé sur un chiffre troublant : 10,5 % seulement des personnes trouvent leur emploi par l’intermédiaire de l’Agence nationale pour l’emploi (ANPE) ou d’un autre organisme de placement. Je m’étonne de ce chiffre très faible qui pose la question de l’efficacité de l’ANPE. Concernant l’orientation, j’avais commis un avis budgétaire sur le projet de loi de finances pour 2008 qui traitait spécifiquement de cette question. À cet égard, je pense qu’il faut créer un grand service public de l’orientation. Aujourd’hui celle-ci est revêtue d’une connotation négative alors qu’elle est essentielle. Il faut faire des efforts dans ce domaine. Nous avons raté l’étape de la décentralisation lorsque Luc Ferry était ministre de la jeunesse, de l’éducation nationale et de la recherche, car nous avons accepté que les conseillers d’orientation psychologues demeurent du ressort de l’éducation nationale, alors qu’il faut absolument les transférer aux régions. Avec les centres d’information et d’orientation (CIO) et les permanences d’accueil, d’information et d’orientation (PAIO), il faut mettre en place un accueil dans des locaux uniques qui soit tourné à la fois vers les scolaires et le grand public. Aujourd’hui, en province, il est difficile de trouver les locaux des CIO qui parfois, une fois qu’on les a trouvés, ne semblent pas dignes de la mission impartie à ces organismes. Je suis très favorable à un grand service public de l’orientation en France.

M. Gérard Cherpion. L’un des points importants du rapport est la question du partenariat qui doit être créé entre tous les acteurs, que ce soit l’éducation nationale, les missions locales ou le service public de l’emploi. L’objectif n’est pas d’opposer l’État aux régions. Lorsque Laurent Wauquiez se prononce pour le développement des écoles de la deuxième chance, il ne s’approprie pas cet outil et il ne cherche pas la confrontation avec les régions. Au contraire, les sommes qu’il a annoncées démontrent l’engagement de l’État car le développement de ce dispositif va entraîner des coûts supplémentaires.

M. le rapporteur. Je vais tâcher de répondre à tous. Je souhaite d’abord revenir sur la critique « sereine » qui a été adressée à la méthode suivie par la mission, notamment par Jean-Patrick Gille. Comme Bernard Perrut l’a rappelé, dès lors qu’il existait une urgence fondamentale, celle du traitement de l’augmentation du chômage des jeunes, il était légitime d’établir un lien entre la diversité, le chômage des jeunes et les écoles de la deuxième chance, et d’aller vite. La proposition de loi présentée par Mme Pau-Langevin nous avait déjà tous interpellés sur la question des discriminations et de la diversité et montrait que le groupe SRC aussi souhaitait avancer rapidement.

Le président Pierre Méhaignerie disait tout à l’heure que les collectivités locales, à ce jour, interviennent peu. Pour cette raison, le secrétaire d’État Laurent Wauquiez nous a présenté un plan pour développer les écoles de la deuxième chance. Le travail de la mission d’information a pu contribuer à orienter le secrétaire d’État dans cette direction.

Gérard Cherpion a évoqué la question du décrochage des jeunes. Il existe des dispositifs de prise en charge hors éducation nationale à partir de 16 ans, voire de 14 ou 15 ans avec des clauses dérogatoires. Mais on constate maintenant que le décrochage peut survenir à partir de l’âge de 12 ans, comme l’ont souligné les deux maires que la mission a auditionnés. C’est très inquiétant car que fait-on alors pour ces jeunes de 12 ans ?

Comme l’ont dit Frédéric Reiss, Jean-Patrick Gille, Gérard Cherpion ou Bernard Perrut, la création d’un accueil unique et d’un service public de l’orientation est nécessaire. Il faut aussi prendre en charge spécifiquement les décrocheurs. Mais se pose le problème du choix de la personne qui doit en avoir la responsabilité, car une personne doit être désignée. Il faut trouver la personne adéquate qui pourrait être un délégué du préfet plutôt qu’un membre du rectorat. L’éducation nationale ne peut pas gérer cela toute seule. Il existe des personnels compétents dans ce domaine dans les préfectures, qui pourraient en être chargés.

La question de l’« apprentissage senior », c’est-à-dire au-delà de 25 ans, a été mise en avant, à raison, par Gérard Cherpion. Il faut réfléchir à la question des limites d’âge.

Les centres de l’Établissement public d’insertion de la défense (EPIDE) ont également été évoqués. Dominique Tian s’interrogeait sur l’opportunité de les conserver. De mon point de vue, les différents dispositifs en place aujourd’hui apportent des solutions différentes à des publics spécifiques. Certes le coût moyen de l’EPIDE, de l’ordre de 45 000 euros par stagiaire, est élevé, mais une diminution est annoncée et vivement souhaitée par la mission. Par ailleurs, ce coût élevé est principalement dû à la pratique de l’internat et à la difficulté du public pris en charge, ce qui explique aussi les résultats moins positifs à la sortie du dispositif. Un effort financier doit donc être accompli mais les centres EPIDE doivent être maintenus car ils répondent à un problème de société.

Jean-Patrick Gille s’est déclaré opposé à l’ouverture des écoles de la deuxième chance aux jeunes de 16 à 18 ans, car il considère qu’une vraie rupture doit précéder l’accès à la deuxième chance. J’ai visité l’école de la deuxième chance de Marseille. Sur la question de l’élargissement de la prise en charge aux jeunes de 16 ans, son directeur a préconisé de conserver un caractère exceptionnel à cette prise en charge. La mission ne souhaite pas que les écoles de la deuxième chance se transforment en une éducation nationale bis qui se placerait dans son prolongement immédiat. Il nous faut aussi rappeler que l’éducation nationale est la « première chance ». Elle fonctionne plutôt bien en France.

Au sujet du concept de « salarié franc », tout le monde reconnaît qu’il s’agit d’une bonne idée qui peut offrir une solution au problème de l’emploi des jeunes.

Marie-Renée Oget a raison de souhaiter que l’on n’oublie pas les jeunes issus du monde rural. Tous les jeunes peuvent subir des discriminations. De même, Fadela Amara a souligné lors de son audition par la mission que le jeune « Benoît » d’un quartier populaire a tout autant de difficultés que les jeunes « Mamadou » ou « Mohammed », d’autant qu’il se comporte et s’exprime comme eux ; il ne faudrait pas qu’une politique favorisant la diversité conduise à l’écarter du bénéfice des mesures dites d’action positive.

Dominique Dord a insisté sur la gravité du problème de la crise et les risques que nous encourons. Comme l’ont signalé les maires que nous avons entendus, il existe un phénomène latent d’agitation dans les villes. Le chômage frappe d’abord les jeunes, avec le recul fort de l’intérim. L’explosion est possible.

Comme Marie-Renée Oget l’a fait valoir, une évaluation des expérimentations doit être menée pour remédier aux problèmes d’empilement et de pérennisation des dispositifs existants.

Jean-Frédéric Poisson a souhaité que l’on développe l’enseignement sur la responsabilité sociale et la gestion éthique. La mission s’est plutôt orientée vers l’idée qu’il faudrait imposer dans les cursus des modules de formation sur l’orientation, le contact avec les employeurs, la construction d’un projet professionnel.

Christian Eckert a évoqué le rôle des chambres de commerce et d’industrie dans le succès des écoles de la deuxième chance ; il a raison. Un ancrage local est nécessaire pour le bon fonctionnement et la réussite du dispositif.

Monique Iborra a évoqué le débat qu’elle a eu avec Laurent Wauquiez, secrétaire d’État chargé de l’emploi. Je tiens à réaffirmer que lorsque des politiques sont prolongées, il faut s’en féliciter et non pas parler de récupération. L’engagement de l’État dans le financement des écoles de la deuxième chance est un signe fort qui poussera les régions à s’engager aussi.

L’action menée par Michel Heinrich à Épinal constitue une expérience positive. Il a raison lorsqu’il constate que le collège est le maillon faible du système, ce qui rend sa réforme plus urgente que celle du lycée. Il a également raison quand il affirme que la délocalisation d’une agence locale de l’emploi ou d’une agence d’intérim a des répercussions sur tout le tissu social et économique d’un quartier. Cette question a été posée au président et au directeur général de Pôle emploi, Dominique-Jean Chertier et Christian Charpy, lors de leur audition, car avec la restructuration de Pôle emploi, certains craignent que les agences ne quittent les quartiers.

Frédéric Reiss a enfin parlé justement du problème de l’orientation. Il faut un vrai service public de l’orientation.

Pour ce qui est de la mesure de la diversité, je suis convaincu qu’au niveau des entreprises, il faut envisager des sortes de « photographies », à intervalle régulier, pour mesurer les progrès. Ces travaux ne doivent pas être effectués en interne, mais confiés à des tiers de confiance, en particulier des équipes des centres de recherche publics.

Je souhaite conclure en rappelant trois de nos pistes de réflexion qui me semblent particulièrement intéressantes. Il s’agit, tout d’abord, de la nécessité de repérer systématiquement les jeunes en décrochage et de désigner une personne ressource adéquate chargée de leur suivi : ce pourrait être un délégué du préfet. Il s’agit ensuite de l’opportunité de mettre en place un vrai service public de l’orientation qui regroupe tous les acteurs, que ce soit les missions locales ou Pôle emploi. Enfin, je souhaite insister sur la notion intéressante de salarié franc, qui permettrait une mobilité accrue pour les jeunes et pourrait peut-être - pourquoi pas ? –  être développée aussi au bénéfice de territoires ruraux.

M. le Président Pierre Méhaignerie. Je suis admiratif du travail abattu par la mission d’information et cependant sensible aux critiques qui ont été émises concernant le calendrier retenu, ainsi que sur la concomitance de ses travaux avec ceux de la mission sur la réforme du lycée. Il faudra voir, à la fin du mois de mars, s’il y a lieu de décider de donner un prolongement aux travaux de l’une de ces missions.

Les questions très sensibles et importantes relatives à la condition des jeunes, particulièrement dans le contexte actuel, méritent une grande attention de notre part et devront être traitées dans les mois qui viennent. Il faut, à cet égard, souligner l’intérêt de l’idée de créer un fonds d’investissement social ; nous pourrons nous inscrire dans ce cadre.

M. Jean-Patrick Gille. En tout état de cause, compte tenu de ce que nous avons dit précédemment, le groupe SRC s’abstient sur le rapport.

*

* *

La Commission a autorisé, en application de l’article 145 du Règlement, le dépôt du rapport d’information en vue de sa publication.

ANNEXE N° 1

COMPOSITION DE LA MISSION

 

Groupe politique

M. Jacques Grosperrin, président-rapporteur

UMP

M. Gérard Cherpion

UMP

M. Jean-Patrick Gille

SRC

Mme Marie-Renée Oget

SRC

ANNEXE N° 2

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES

(par ordre chronologique)

Ø Réseau E2C France – M. Alexandre Schajer, président du réseau et directeur de l’école de la deuxième chance de Châlons-en-Champagne, et M. Jonathan Lécuyer, assistant

Ø Association pour faciliter l’insertion professionnelle des jeunes diplômés (AFIJ) – Mme Naouel Amar, directrice déléguée

Ø Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances (Acsé) – Mme Alix de la Bretesche, présidente, et M. Dominique Dubois, directeur général

Ø Délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle (DGEFP) – M. Laurent Weill, chef de la mission « insertion des jeunes »

Ø Délégation interministérielle à la ville (DIV) – M. Pascal Florentin, adjoint du délégué interministériel, et Mme Sabine Thibaud, chef de mission « emploi économie »

Ø Conférence des grandes écoles – M. Christian Margaria, président, et M. Pierre Aliphat, délégué général

Ø Agence nationale de lutte contre l’illettrisme (ANLCI) – Mme Marie-Thérèse Geffroy, directrice, et Mme Emmanuelle Unal, chargée de mission

Ø Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) – Mme Marie-Hélène Mitjavile, commissaire chargée du secteur « recherche et statistiques », et Mme Sophie Vulliet-Tavernier, directrice des affaires juridiques, internationales et de l’expertise

Ø Établissement public d’insertion de la défense (EPIDE) – M. Thierry Berlizot, directeur général, et Mme Estelle Piernas, chargée d’études au département d’aide à la décision

Ø Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) – M. Marc Dubourdieu, directeur général

Ø Conférence des présidents d’universités (CPU) – Mme Simone Bonnafous, vice-présidente

Ø Association pour l’emploi des cadres (APEC) – M. Jacky Chatelain, directeur général

Ø Chambre de commerce et d’industrie de Paris (CCIP) – Mme Danièle Dubrac, vice-présidente de la délégation de la chambre en Seine Saint-Denis chargée de la politique de la ville, de l’emploi et de la formation, M. Xavier Cornu, directeur de l’enseignement, et M. Marc Canaple, responsable du pôle affaires sociales

Ø Audition commune de représentants du monde de l’entreprise :

• Cofiroute – M. Stéphane Gérard, directeur des ressources humaines

• HSBC-France – Mme Valérie Glory, responsable « emploi et diversité » à la direction des ressources humaines

• L’Oréal – M. Jean-Claude Le Grand, directeur mondial de la diversité, et Mme Emmanuelle Lièvremont, directrice « diversité et apprentissage » France

• SNCF – M. Pierre Mathey, responsable de la mission RSE (responsabilité sociale et environnementale), Mme Sophie Lévy, chargée de mission « diversité et égalité des chances », et Mme Karine Grossetête, conseillère parlementaire

• Confédération de l’artisanat et des petites entreprises du bâtiment (CAPEB) – Mme Roselyne Lecoultre, membre du conseil d’administration, présidente de la commission nationale des femmes d’artisans, M. Olivier Weber, chargé de mission « formation et apprentissage », et M. Dominique Proux, chargé des relations institutionnelles

• Fédération des entreprises de la propreté – M. Bertrand Castagné, président de la commission sociale, et Mme Fabienne Estrampes, responsable « emploi-formation »

• Professionnels de l’intérim, services et métiers de l’emploi (PRISME) – M. Arnaud de la Tour, président, et M. François Roux, délégué général

Ø Agence nationale pour la rénovation urbaine (ANRU) – M. Gérard Hamel, député, président, et Mme Carine de la Maisonneuve, assistante

Ø Direction générale de l’enseignement supérieur (DGES) – M. Claude Jolly, sous-directeur des formations post-baccalauréat, et M. Jean-Michel Hotyat, chef du bureau de l'apprentissage, de la formation continue et de la validation des acquis de l'expérience.

Ø Audition commune sur la mesure de la diversité des origines :

• M. Jean-François Amadieu, professeur à l’université Paris-I-Panthéon-Sorbonne et directeur de l’Observatoire des discriminations

• M. Alain Blum, directeur de recherche à l’Institut national d’études démographiques (INED)

• Conseil représentatif des associations noires (CRAN) – M. Patrick Lozès, président

• Ligue des droits de l’homme (LDH) – M. Malik Salenkour, vice-président

• Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme (LICRA) – Mme Barbara Lefebvre, présidente de la commission « éducation »

• Mouvement contre le racisme et pour l'amitié entre les peuples (MRAP) – Mme Bernadette Hetier, co-présidente, et M. Bernard Schmid, conseiller juridique

• SOS Racisme – M. Guillaume Ayné, directeur général

Ø Audition commune de syndicats représentatifs nationaux de salariés :

• Confédération française démocratique du travail (CFDT) – Mme Catherine Ducarne, secrétaire confédérale en charge de la formation, et M. Omar Benfaid, secrétaire confédéral en charge de la diversité et des discriminations

• Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) – Mme Évelyne Isinger, conseillère confédérale

• Confédération générale du travail (CGT) – M. Jean-Philippe Revel, responsable national pour la branche des missions locales et PAIO (Fédération nationale des personnels des organismes sociaux)

• Confédération générale du travail-Force ouvrière (CGT-FO) – M. Claude Charmont, secrétaire fédéral de la branche « enseignement et formation professionnelle » et Mme Sylvia Veitl, assistante confédérale « emploi et formation professionnelle »

Ø Audition commune d’organisations nationales d’employeurs :

• Assemblée des chambres françaises de commerce et d’industrie (ACFCI) – M. Hamid Berkani, élu de la chambre de Clermont-Ferrand et président de l’école de la deuxième chance locale, et M. Bernard Legendre, directeur général adjoint en charge de la formation

• Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) – M. Georges Tissié, directeur des affaires sociales

• Mouvement des entreprises de France (MEDEF) – M. Bernard Falck, directeur de l’éducation et de la formation, Mme Valérie Corman, directrice des entreprises et de la société, et Mme Audrey Herblin, chargée de mission à la direction des affaires publiques

• Union professionnelle artisanale (UPA) – M. Pierre Burban, secrétaire général, et Mme Caroline Duc, chargée des relations avec le Parlement

Ø Direction générale de l’enseignement scolaire (DGESCO) – M. Jean-Louis Nembrini, directeur général, et Mme Marie-Véronique Samama-Patte, chef du bureau « formation professionnelle »

Ø Conférence des directeurs d’écoles et de formations d’ingénieurs (CDEFI) – M. Alexandre Rigal, directeur exécutif

Ø Ministère de l’économie, de l’industrie et de l’emploi et ministère du budget, des comptes publics et de la fonction publique – M. Didier Hüe, délégué à la formation, à la diversité et à l’égalité professionnelle

Ø Association des régions de France (ARF) – Mme Marie-Laure Meyer, membre de la commission « formation professionnelle » de l’association, secrétaire de la commission « formation professionnelle et apprentissage » de la région Ile-de-France et présidente de mission locale

Ø SFR (Société française du radiotéléphone) – Mme Marie-Christine Théron, directrice générale « ressources humaines », Mme Antonella Desneux, directrice de la citoyenneté, M. Jérémie Boroy, responsable du programme « diversité », et M. Alexandre de Montesquiou, consultant

Ø Haut commissariat aux solidarités actives contre la pauvreté et haut commissariat à la jeunesse – M. Martin Hirsch, haut commissaire

Ø Conseil national des missions locales (CNML) – Mme Pierrette Catel, chargée de mission

Ø Audition commune d’élus locaux :

• M. Pierre Cardo, député, maire de Chanteloup-les-Vignes

• M. François Pupponi, député, maire de Sarcelles

Ø Pôle Emploi – M. Dominique-Jean Chertier, président, et M. Christian Charpy, directeur général

Ø Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) – M. Michel Boyon, président, et M. Alain Méar, conseiller

Ø Délégation interministérielle à l’orientation (DIO) – M. Bernard Saint-Girons, délégué interministériel, et M. Jean-Marie Lenzi, chargé de mission

Ø Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH) – M. Pascal Bernard, vice-président, président de la commission nationale « égalité professionnelle et diversité », et Mme Catherine Tripon, déléguée générale adjointe

Ø Conseil économique, social et environnemental – M. Fodé Sylla, rapporteur en 2008 de l’avis : « L’emploi des jeunes des quartiers populaires », et M. Aouchiche, collaborateur

Ø Audition commune de deux ministres :

• M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale

• M. Laurent Wauquiez, secrétaire d’État chargé de l’emploi

Ø Secrétariat d’État à la politique de la ville – Mme Fadela Amara, secrétaire d’État

ANNEXE N° 3

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS DE MINISTRES
PAR LA MISSION D’INFORMATION

(par ordre chronologique)

Audition de M. Martin Hirsch,
haut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté
et haut commissaire à la jeunesse

Mardi 10 mars 2009

L’audition débute à seize heures quinze, sous la présidence de M. Jacques Grosperrin, président-rapporteur de la mission d’information sur les écoles de la deuxième chance et l’accès à l’emploi. La mission est élargie aux membres de la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. le président-rapporteur Jacques Grosperrin. Mes chers collègues, je suis heureux d’accueillir M. Martin Hirsch, haut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté et haut commissaire à la jeunesse.

Au fil de ses travaux, la mission assignée par la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales à quatre députés de droite et de gauche – au titre de ce qui est désormais la « coproduction législative » – s’est progressivement orientée vers la diversité, l’égalité des chances et l’emploi. Le rapport sera rendu le 18 mars, pour venir à l’appui du plan d’action que Yazid Sabeg doit proposer au Président de la République. À ce jour, nous avons auditionné près d’une centaine de personnes. Au cours des tables rondes que nous avons tenues, les échanges, parfois vifs, ont toujours été cordiaux et courtois.

Nous souhaitons pouvoir proposer des pistes permettant de répondre à des constats désormais bien connus. Bien que les chiffres soient parfois difficiles à mesurer, on considère que 120 000 jeunes au moins, et peut-être même 150 000, sortent du système scolaire sans qualification reconnue et avec des chances minimes d’accéder à des emplois qualifiés. De même, on estime à 80 000 le nombre de jeunes qui sortiraient de l’université sans diplôme. Dans les quartiers relevant de la politique de la ville, le taux de chômage est deux fois plus élevé que la moyenne nationale et, pour les jeunes de ces quartiers, qui sont souvent d’ascendance extra-européenne, l’obtention d’un diplôme universitaire n’accroît pas nécessairement les chances d’accès à un emploi durable et qualifié. Parfois, les chiffres divergent plus encore, ce qui dénote une incontestable discrimination. Par ailleurs, dans la situation présente, se pose nécessairement la question de la mesure de la diversité – comme le confirme chaque jour la presse.

Peut-être voudrez-vous, monsieur le haut commissaire, avant de répondre aux questions de mes collègues, nous présenter l’état de vos réflexions d’ensemble sur la politique de la jeunesse, dont vous êtes chargé, et les mesures qui vous paraissent les plus déterminantes, le tout en perspective avec les missions de M. Sabeg et de Mme Amara.

M. Martin Hirsch, haut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté et haut commissaire à la jeunesse. Vous avez justement souligné, monsieur le président, qu’il est difficile de dénombrer précisément les jeunes qui sortent de l’école sans qualification validée ou sans diplôme, ou qui échouent à l’université.

Les programmes des deux candidats à l’élection présidentielle affirmaient que pas un jeune ne serait laissé sans emploi ou sans formation. C’est un bon slogan, mais l’objectif – qui s’impose à quiconque s’occupe de la jeunesse – n’est pas atteint et on a même du mal à évaluer la distance à parcourir pour y parvenir. On gagnerait à élargir la formule et à affirmer qu’aucun jeune ne doit être laissé sans emploi, sans formation, sans ressources ou sans accompagnement. De fait, certains jeunes ont besoin d’accompagnement, mais pas tous, certains ne sont pris en charge nulle part – situation qui peut parfois se prolonger indéfiniment – et on observe par ailleurs une discontinuité dans les parcours et dans la prise en charge. On rencontre ainsi dans les missions locales, comme le sait M. Pinte, de nombreux jeunes qui y ont été conduits par le bouche-à-oreille ou qui s’y rendent après avoir épuisé d’autres voies. Avant que nous ne puissions juger de l’efficacité des missions locales se pose donc le problème du temps qui s’écoule avant d’être pris en charge par celles-ci.

Afin de connaître le nombre de jeunes hors parcours et les raisons de cette situation, nous nous proposons d’examiner trois territoires – respectivement urbain, semi-urbain et rural – et d’y étudier les mesures propres à permettre une prise en compte de tous les jeunes. L’idée n’est pas si naïve qu’il y paraît et il s’agit là de l’un des programmes expérimentaux que nous entendons lancer pour combler les lacunes des données dont nous disposons. De fait, une proportion de 0,3 % ou 0,5 % de la population française – qui serait couverte par cette étude expérimentale – représente un grand nombre de jeunes et il importe de pouvoir analyser les errances, les échecs et l’absence de prise en charge.

À la problématique classique des jeunes en échec ou en difficulté s’ajoute aujourd’hui la situation de ceux qui, après avoir suivi un parcours plus normal dans des filières considérées comme bonnes et sans s’être risqués dans des filières réputées sans débouchés, rencontrent eux aussi des difficultés, que la crise aggrave encore. Il est indispensable d’adopter une approche à spectre large, y compris dans les discours que nous tenons aux jeunes, car il est trop facile d’imputer leurs difficultés à une conduite d’échec de leur part : on peut se trouver hors des parcours malgré une conduite de réussite.

Vous soulignez à juste titre, monsieur le président, que ce phénomène peut être accentué par les origines sociales plus modestes ou l’origine immigrée de ces jeunes, mais le phénomène est difficile à quantifier. Il serait nécessaire de disposer de données statistiques plus précises et plus fournies en la matière, établies de telle sorte que, sans forcer quiconque à se définir contre son gré, on puisse mesurer le chemin parcouru.

Une commission de concertation a été installée hier en vue de définir les enjeux des politiques consacrées à la jeunesse – sur lesquelles aucune nouvelle réflexion collective n’a été lancée depuis plusieurs années. En particulier, la prise en charge des jeunes relève d’une responsabilité moins clairement définie que pour d’autres catégories de la population, comme par exemple les allocataires de minima sociaux, dont les administrations référentes sont bien définies (à l’exception jusque récemment des bénéficiaires de l’allocation parent isolé, dont aucune instance ne prenait en charge l’insertion avant que nous n’y remédiions dans le cadre de la loi généralisant le revenu de solidarité active-RSA).

Il convient donc de mettre tout le monde autour de la table. C’est ce que nous avons voulu faire en lançant une réflexion associant l’ensemble des partenaires sociaux et des représentants des jeunes – étudiants ou non –, des réseaux de collectivités territoriales, des ministères et des grands services publics concernés, comme les missions locales ; nous présenterons à la fin du mois de mai un « livre vert » qui rendra compte des idées et des options proposées. Le Parlement a été associé à cette réflexion et les présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat ont bien voulu désigner quatre parlementaires de la majorité et de l’opposition – qui étaient d’ailleurs tous présents hier à l’ouverture des travaux de cette commission de concertation –, afin de permettre des échanges réguliers permettant de tenir compte de vos travaux et de vos approches.

Lors du lancement de la commission de concertation, j’ai souligné que son mot d’ordre était celui de « FORCES » : il s’agit de prendre en charge la Formation, l’Orientation, les Ressources, la Citoyenneté, l’Emploi et la Santé en considérant les jeunes comme une force de la nation plutôt que comme un point vulnérable.

M. Gérard Cherpion. Les propositions que nous avons entendues au cours des auditions auxquelles nous avons procédé montrent que certaines mesures sont envisagées en direction des entreprises. Faut-il fixer un quota minimum de jeunes dans les entreprises et, le cas échéant, à quel niveau faut-il le fixer ? Quels doivent être les engagements des entreprises ?

Nous avons, par ailleurs, peu de visibilité quant aux engagements des fonctions publiques en la matière. Comment envisagez-vous le rôle de l’État, des collectivités publiques et des différentes fonctions publiques dans le recrutement des jeunes et leur capacité à aller les chercher pour les conduire vers ces emplois ? À titre de comparaison, les quotas instaurés par la loi de 1987 sur le handicap ont rarement été atteints et une grande entreprise française indiquait tout à l’heure encore que le taux de personnes handicapées en son sein était de 2,5 %, ce qui n’est pas une grande réussite. Évitons de nous trouver dans une telle situation pour les jeunes. Pour ce faire, les fonctions publiques doivent être contraintes à appliquer la même politique que les entreprises.

M. le haut commissaire. Il est vrai que, par rapport à ce que l’État demande aux entreprises, les fonctions publiques ne sont pas toujours exemplaires, notamment pour ce qui concerne le traitement des stagiaires. Du côté des entreprises, il faut aller plus loin encore car, en période de crise, le recours aux stagiaires en tant que main-d’œuvre à très bon marché et comme alternative à l’embauche est de nouveau un risque réel, qu’il faut écarter rapidement. Or, il est difficile de progresser du côté du secteur privé si la question n’est pas résolue pour le secteur public, qui doit être exemplaire – ou, à tout le moins, appliquer les règles en vigueur.

La question de savoir s’il fallait, à l’instar de ce qui s’impose pour les handicapés, appliquer des quotas d’insertion prioritaire a été largement débattue durant le Grenelle de l’insertion, mais sans qu’une convergence se fasse jour en ce sens : les organisations patronales y étaient opposées – ce qui n’est pas étonnant – et les autres partenaires sociaux ne manifestaient pas un intérêt suffisant pour justifier que l’État tranche au profit des quotas. Ont donc été privilégiées les solutions relevant du contrat ou de l’engagement.

Le « play or pay » me semble cependant une bonne approche ; on peut s’inspirer du mode de calcul des cotisations pour accidents du travail, qui varient en fonction des résultats de l’entreprise en matière de sécurité. Cette approche est nécessaire et plus facile à adopter que l’application de quotas par catégorie, notamment du fait du risque de saturation liée aux différents publics concernés. En effet, si l’emploi en alternance venait en concurrence avec la nécessité d’embaucher les allocataires du RSA, plus âgés, le mécanisme pourrait se retourner contre les publics fragiles.

M. le président-rapporteur Jacques Grosperrin. Il s’agit donc d’un système incitatif.

M. le haut commissaire. C’est un système incitatif contractuel. Il est difficile d’appliquer une règle de proportion d’embauche. Il est en revanche normal de fixer la part de la masse salariale qui doit être consacrée à l’insertion, à la formation, au tutorat ou à l’alternance. Faire payer les entreprises où l’insertion est insuffisante afin de pouvoir financer le développement des entreprises qui la favorisent est un mécanisme vertueux, préférable à la définition d’une règle de recrutement fixant des quotas par catégorie de personnes en difficulté.

Mme Marie-Renée Oget. Les personnes ou les structures que nous avons auditionnées ont souvent mis en cause les insuffisances, voire les carences, de l’éducation nationale vis-à-vis des publics en insertion. Que pensez-vous des parcours individualisés et du renforcement de l’accompagnement – par l’éducation nationale, les partenariats, les missions locales ou d’autres structures ?

M. le haut commissaire. Dans ce secteur, tous les acteurs présentent des carences, et l’éducation nationale n’échappe pas à la règle. On regarde toujours plus volontiers la paille dans l’œil de son voisin que la poutre qu’on a dans le sien. L’éducation nationale est souvent réticente à participer aux discussions sur ce thème, de crainte de se voir accuser de tous les maux – mais on profite généralement de son absence pour dire du mal d’elle. Or, personne n’est exempt de responsabilité et les carences de l’éducation nationale sont souvent accusées à bon compte, comme le montrent les difficultés d’insertion que rencontrent aussi les jeunes qui n’ont pas subi de carence éducative.

Des passerelles pourraient de toute évidence être organisées entre l’éducation nationale et les missions locales. Nous sommes en train de mettre la dernière main à un accord-cadre entre ces deux acteurs, auquel ils ont contribué et qui devrait être prêt dans quelques semaines. Il sera l’un des éléments qui permettront à la fois de repenser la notion de service public d’orientation, qui doit se concrétiser, et d’assurer la continuité du parcours d’accompagnement. Un tel instrument est donc tout à fait indispensable. L’éducation nationale redoute que les missions locales ne s’adressent qu’aux jeunes en difficulté ou en échec – tout comme elle associe les grandes entreprises aux questions d’argent. Les missions locales doivent donc faire œuvre de pédagogie auprès des différents acteurs pour montrer que, de même que Pôle emploi n’est pas le lieu de l’échec, elles répondent à une mission de service public d’emploi et d’accompagnement.

M. Gérard Cherpion. Cela plaide pour la transmission aux missions locales des coordonnées des jeunes qui ont décroché.

M. le haut commissaire. C’est évident. Un jeune qui sort d’une institution doit être transmis à l’institution suivante, et ses coordonnées avec lui – même s’il peut le refuser. Ne pas assurer la continuité, c’est condamner de nombreux jeunes à l’échec.

Mme Claude Greff. Les droits à formation sont portables, et il est donc difficile pour une entreprise de constituer une enveloppe englobant la formation, l’insertion et le tutorat.

Il importe par ailleurs d’accorder une attention particulière à la question du premier logement pour une jeunesse en difficulté ou qui, même en situation de réussite, ne parvient pas à franchir le cap de l’emploi. Il faut développer davantage les auberges de jeunesse ou d’autres structures susceptibles de les accueillir pour les aider à trouver un emploi. Les foyers de jeunes travailleurs ne sont pas nécessairement adaptés aux besoins des jeunes qui cherchent un emploi. En termes de mobilité géographique et professionnelle, il faut donner la priorité à la jeunesse.

M. le haut commissaire. Les foyers de jeunes travailleurs sont souvent assez adaptés à la diversité de leurs publics – c’est le cas, par exemple, de celui que j’ai visité avant-hier à Châtillon, dont les publics présentaient une grande diversité d’origines, de diplômes ou de filières. Il est vrai, cependant, qu’il n’existe pas assez de structures pour les jeunes. En outre, à revenu égal, un jeune se verra demander des garanties de cautionnement bien plus importantes qu’une personne moins jeune. Dans une situation où la demande est supérieure à l’offre, la discrimination anti-jeunes est patente.

La construction de places est, vous l’avez justement souligné, un enjeu important et mon équipe s’efforce, en lien avec celles du ministre chargé de la mise en œuvre du plan de relance (M. Patrick Devedjian) et de la ministre du logement (Mme Christine Boutin), de faire en sorte que la proportion de logements adaptés aux jeunes dans leur plan de relance soit aussi importante que possible, que les opérations déjà fléchées voient le jour et que certaines opérations de vente en état futur d’achèvement (VEFA) puissent être orientées vers des programmes applicables aux jeunes. Il est important que l’application de la garantie des risques locatifs (GRL) permette aux jeunes d’être dispensés de caution. Je suis en outre favorable à ce que, sans faire peur aux propriétaires, on établisse un lien entre la GRL et la modération des loyers car, les populations jeunes connaissant un fort turn-over, il serait tentant pour les propriétaires de profiter du changement de locataire pour augmenter le loyer. Une régulation est donc souhaitable lors de la mise en place de la GRL.

Mme Monique Iborra. Il est difficile d’évoquer la situation des jeunes sans évoquer aussi l’orientation, qui ne progresse guère. Allez-vous prendre en main ce problème délicat et définir enfin une politique de l’orientation ?

Vous avez dit, par ailleurs, qu’il n’y avait pas de pilote – ou, plus précisément, que, bien que tout le monde s’occupe des jeunes, personne ne s’en occupait réellement. Prévoyez-vous de préciser, dans le cadre de vos propositions, qui doit être le pilote ?

Enfin, les accords-cadres – entre l’éducation nationale et les missions locales, entre les missions locales, Pôle emploi et l’ANPE, avec les régions ou avec les conseils généraux – ne suffisent pas : une déclinaison locale est indispensable. L’emploi des jeunes devrait être une occasion de remettre à plat ces mécanismes et de désigner courageusement un pilote – ce qui ne signifie nullement que ce dernier ne travaillerait pas avec les autres acteurs. En matière d’orientation et d’emploi des jeunes, il faut savoir qui fait quoi.

M. le haut commissaire. Selon vous, madame Iborra, quel est pourrait être ce pilote ?

Mme Monique Iborra. Une tentative a déjà été faite pour confier ce rôle aux régions, mais elle a été rejetée par le Sénat.

Dans le cas de l’apprentissage, qui ne fonctionnait pas bien, le Gouvernement a fait preuve de beaucoup de volonté – je pense en particulier aux contrats d’objectifs et de moyens que M. Borloo a fait signer. Cependant, la situation ne s’est améliorée que lorsqu’un responsable unique a été désigné. Il s’agissait des régions, mais ce pourrait tout aussi bien être l’État ou les conseils généraux.

M. le haut commissaire. Lors de la création du RSA, la politique d’emploi était nationale, la politique d’aide sociale et d’insertion était majoritairement départementale ou, dans une moindre mesure, communale, et l’indispensable politique de formation était majoritairement régionale. Nous avons organisé un système qui affirme le rôle de chef de file des départements et qui a été accepté par ces derniers et voté par le Parlement, un système de cofinancement original – avec une seule prestation et deux modes de financement, l’un d’État et l’autre départemental – et une connexion contractuelle entre les services publics d’État et les différents services locaux. Nous avons également proposé un mode de contractualisation un peu plus large pour les objectifs d’insertion, par l’intermédiaire des pactes territoriaux pour l’insertion rendus obligatoires par le Parlement et dont les collectivités territoriales se saisissent plus vite que prévu. On peut, sans l’imiter, s’inspirer de cette approche pour les jeunes.

Les populations concernées ont besoin d’éducation initiale et continue, d’éducation primaire et universitaire et, à moins de créer un no man’s land pour les jeunes de 16 à 25 ans, il faudra aménager des carrefours où se croiseront des compétences différentes.

Nous avons demandé à l’Association des régions de France (ARF) de participer à la commission de concertation et avons assuré son président – qui proposait, en retour, que les régions se voient attribuer, entre autres, le service public de l’orientation et le service public de l’emploi – que nous n’avions aucun a priori et que, projet pour projet, il convenait avant tout de déterminer le plus efficace. En tout état de cause, chaque acteur doit cesser de camper sur ses propres compétences.

Le service public de l’orientation maintes fois annoncé doit se mettre en place, ce qui interdit d’esquiver ces questions. À cet égard, il peut être utile de mettre en œuvre des programmes expérimentaux, qui permettent de tester des continuités de parcours sans préjuger de la répartition des compétences : après avoir mis en place des systèmes aussi coordonnés que possible, on réexamine les dispositifs au vu des résultats. De nombreuses collectivités territoriales sont volontaires. Le fait de définir un pilotage de ces mécanismes permet de limiter la désorientation et les échecs.

Les incidences de la crise sur les jeunes de 16 à 25 ans suscitent certes des inquiétudes légitimes, mais de nombreux dispositifs de formation ne sont pas saturés – ce qui peut être dû à la méconnaissance qu’en ont les publics concernés, à des abandons prématurés qui immobilisent des places ou à une inadéquation de l’offre de formation à la demande. C’est inacceptable dans une période où de nombreux jeunes sont demandeurs de formation. Plutôt que d’imposer une solution par circulaire ou par accord-cadre, il paraît préférable de chercher des territoires qui seraient volontaires pour organiser une « centrale de réservation », afin que les missions locales puissent connaître en temps réel les places disponibles ou que l’on puisse, sur la base d’accords conclus avec les organismes dispensant les formations, éviter de perdre les places abandonnées. Le confort acceptable en temps ordinaire n’est plus de mise en temps de crise.

La création de centrales de réservation exige la création d’un outil définissant les relations entre les collectivités et le service public de l’emploi, qui dépend de l’État. L’expérience du RSA prouve qu’il est préférable de disposer à la fois d’un accord-cadre national (associant les organisations de collectivités territoriales et Pôle emploi) et d’accords locaux, les uns se nourrissant des autres.

M. Jean-Patrick Gille. Il est notoire que l’orientation est un problème, car les dispositifs existants servent essentiellement à s’orienter dans un dispositif de formation, au lieu de permettre une sorte d’éducation au choix. D’un point de vue structurel, nous n’avons pas de visibilité quant aux besoins de l’économie. L’orientation est pensée en termes d’adaptation, alors que cette approche fait depuis trente ans la preuve de son échec et que la visibilité est de plus en plus faible.

Deux autres pistes peuvent peut-être être explorées. La première est celle des accords de branche, qui suppose d’impliquer fortement les partenaires sociaux. En effet, de part et d’autre, ceux-ci n’ont pas pris toutes leurs responsabilités, les employeurs se situant dans des logiques contraintes de flux tendus, catastrophiques pour les jeunes, qui sont utilisés comme marge d’adaptation, et les syndicats étant plutôt à l’écoute de leurs mandants, qui sont les inclus du monde du travail. L’autre piste consiste à expérimenter sur des territoires – ce qui pourrait convenir particulièrement à la région, qui gère l’information, l’économie, l’apprentissage et les lycées. Il faut, bien évidemment, que les régions veuillent jouer le jeu et il faut aussi croiser les deux approches.

Je constate cependant avec inquiétude que, tandis que le dispositif de formation professionnelle est censé fonctionner en combinant des logiques de branche et une montée en puissance de la région, la loi qui se prépare sur la formation professionnelle se présente plutôt comme une remise en cause de ce mécanisme.

Monsieur le haut commissaire, je livre tout cela à votre sagacité et je vous souhaite bonne chance.

J’en viens à la question de l’accès des jeunes au travail, qui se pose à deux niveaux. Le premier est celui de l’accès au travail, notamment pour les jeunes en difficulté, qui demandent qu’on leur donne déjà une première chance de mettre un pied dans l’entreprise. Face à la montée du chômage, il va être urgent de prendre des mesures en ce sens. Le deuxième niveau est celui de l’accès à l’emploi, c’est-à-dire à un travail stable. Pour ainsi dire, si le travail consiste à mettre un pied dans l’entreprise, l’emploi consiste à y mettre les deux pieds. Cette question suppose peut-être des mesures plus structurelles, permettant d’éviter que la jeunesse serve de variable d’ajustement. Peut-être faut-il moduler les cotisations sociales en fonction du type de contrat. Il faut, en tout cas, réfléchir à ce problème.

Certains jeunes ne vont jamais en entreprise, et sont soumis à une logique de discrimination très forte, liée par exemple au lieu où ils habitent, puis se pose le problème de la stabilisation des jeunes dans l’emploi.

M. le haut commissaire. Comme l’éducation, l’orientation a parfois bon dos. Notre pays se caractérise par ce mécanisme de sélection implicite qu’est le refus de l’effort d’adaptation. Si, dans une période d’incertitude sur les besoins à venir, on ne doit recruter que celles et ceux qui ont été formés parfaitement pour les emplois auxquels ils postulent, on s’expose à de sérieux problèmes. Alors que le premier but de la formation est précisément d’apprendre à s’adapter, il arrive encore que les entreprises fassent la « fine bouche » et refusent les candidats dont la formation n’est pas immédiatement adaptée. Peut-être la solution est-elle purement économique et consiste-t-elle à accepter pendant quelques mois une productivité un peu plus faible de la part d’une personne formée dans une filière et appelée à travailler dans une autre. Le fait d’avoir passé deux ans dans une filière de formation à l’âge de 19 ans n’a jamais condamné personne à être incapable de toute adaptation ultérieure. Cette conception doit être défendue.

Une bonne manière de mettre le pied dans l’entreprise est la formation en alternance, qui doit continuer de se développer. Les difficultés que connaissent les contrats de professionnalisation, qui sont un bon moyen d’organiser l’alternance, suscitent de fortes inquiétudes. Ces contrats sont en effet identifiés comme des variables d’ajustement, au même titre que l’intérim ou les CDD. Le rythme d’entrée est actuellement deux fois moindre qu’il y a un an – date à laquelle tous les acteurs s’accordaient, lors du Grenelle de l’insertion, pour augmenter ce flux. Peut-être de légers ajustements sont-ils donc nécessaires, consistant par exemple à octroyer des primes. Des engagements par branches sont nécessaires dans ces secteurs, sous peine d’exclure des jeunes encore plus nombreux.

Vous soulignez également à juste titre qu’en cette période de crise, au-delà des systèmes d’adaptation, il nous faut être capables de proposer aux jeunes des réponses de masse.

M. Étienne Pinte. Parlant de solutions « de masse », il me semble que nous serons obligés, même si ce n’est pas dans l’air du temps, de revenir sous une forme ou sous une autre aux « emplois-jeunes », aux emplois aidés. À une période où les difficultés économiques étaient moins graves que celles que nous connaissons aujourd’hui, les emplois-jeunes ont représenté une extraordinaire source d’emplois et ont massivement permis à des jeunes d’entrer dans des entreprises ou dans des collectivités nationales ou locales. Le dispositif offrait un horizon de cinq ans, assez rassurant, et prévoyait une dégressivité de l’aide en fonction du nombre d’années du contrat. En tant que maire, j’y ai eu très souvent recours et ai pu mettre ainsi le pied à l’étrier à de nombreux jeunes. Lorsque se présentait l’occasion d’entrer dans une entreprise ou de répondre à une offre d’emploi correspondant à leur formation, les jeunes démissionnaient et entraient en 15 jours dans l’économie de marché. Un certain nombre d’entre eux, qui se sont formés et ont découvert dans les institutions publiques des emplois auxquelles ils n’avaient jamais pensé, ont été si performants qu’ils ont pu être titularisés lorsqu’ils remplissaient les conditions requises. Le reste – d’ailleurs assez mince au bout de cinq ans – a dû s’adapter. Pourquoi, dans les circonstances économiques actuelles, ne reviendrions-nous pas à ce type d’emplois aidés ?

M. le haut commissaire. Sans doute faut-il examiner cette idée, à condition de ne pas s’exposer au reproche de créer de l’emploi artificiel ou de différer les problèmes.

Une façon de procéder consiste à se projeter dans le temps. Avant la crise – voilà six mois encore – les branches professionnelles se plaignaient de ne pas pouvoir satisfaire leurs besoins de recrutement. Ainsi, le secteur de la métallurgie cherchait à pourvoir 100 000 emplois. Dans le secteur public, les perspectives démographiques font également apparaître certains besoins de recrutement très élevés à un horizon de cinq ans.

Dans le secteur privé, la seule approche possible consiste à conclure des accords de branche prévoyant à terme l’embauche définitive d’une proportion importante de celles et ceux qui seraient introduits dans le cadre d’un dispositif subventionné. Aujourd’hui, les grands barons de l’UIMM ne sont pas en période de recrutement et sont plutôt enclins à fermer tous les sas. Il serait cependant possible de leur proposer d’embaucher 30 000 jeunes au titre d’emplois jeunes ou de contrats aidés du secteur marchand, contre l’engagement que, dès le retour de la bonne fortune – dans un délai encore inconnu – et sauf cas d’inaptitude, ils en intégreront 90 %, chiffre cohérent avec les besoins de recrutement qu’ils brandissaient voici quelques mois.

Du côté des fonctions publiques, il conviendrait de recourir à des recrutements en surnombre, comme on sait déjà le faire lorsque le tableau des emplois et bloqués et que l’on recrute du personnel qui sera absorbé au fil des départs en retraite. On peut concevoir des systèmes permettant d’éviter le reproche de créer des emplois artificiels pour des personnes destinées à être renvoyées au terme de leur contrat ou de détourner les règles intangibles de l’emploi public. Il s’agirait de dispositifs de masse adaptés face à la crise. Si nous n’y parvenons pas, nous serons en mauvaise posture.

M. le président-rapporteur Jacques Grosperrin. Monsieur le haut commissaire, quel est votre avis sur les écoles de la deuxième chance et les centres de l’Établissement public d’insertion de la défense (EPIDE) ? Ne serait-il pas possible d’étendre ce dispositif et d’en accélérer le déploiement, notamment en envisageant que l’on mobilise des établissements scolaires existants à travers des appels d’offres ?

Mme Monique Iborra. Les centres EPIDE et les écoles de la deuxième chance sont deux choses différentes.

Quant aux emplois jeunes, ils concernaient surtout le secteur marchand et visaient principalement à permettre l’émergence de nouveaux métiers. Si un certain nombre des emplois ainsi créés répondaient à cette exigence, d’autres y répondaient beaucoup moins. En tout état de cause, il ne s’agissait pas d’un dispositif purement utilitaire.

Un autre élément important est l’obligation de qualification dont il convient d’assortir ces emplois, car il n’est pas question que les jeunes qui entrent dans les entreprises ou dans le secteur public se contentent d’attendre que le temps passe.

Enfin, la pérennisation des emplois est indispensable, sous peine d’avoir créé des emplois aidés dans le secteur marchand qui déboucheront sur des licenciements au terme de la période prévue.

M. le haut commissaire. Nous aurons certainement l’occasion de revenir sur ce point. Les perspectives d’évolution au cours des prochains mois risquent de faire croître considérablement le nombre de jeunes au chômage. Si nous ne sommes pas capables de concevoir des mesures assez simples et assez rapides pour contrebalancer cet effet, j’aurai manqué à ma mission. Ces questions font l’objet d’une réflexion active et nous ne nous interdisons aucune formule.

Nous sommes favorables aux écoles de la deuxième chance, qui devraient accueillir 7 500 jeunes d’ici à la fin de 2010 si le développement en cours suit la tendance actuelle. L’objectif du Gouvernement est d’atteindre à cette échéance 12 000 places, avec un site par département et une école par région. À cette fin, les écoles de la deuxième chance seront notamment financées, grâce à la disposition qui a été votée, par la taxe d’apprentissage. Au vu des informations qui remontent des projets, ce ne devrait pas être trop difficile – et il vous reviendra de nous rappeler régulièrement cette nécessité.

Il faudra également, et c’est peut-être là le plus difficile, que ce dispositif s’articule avec l’éducation nationale, afin d’éviter une hostilité de celle-ci envers un système qui pourrait être interprété comme la preuve de l’échec les écoles de la première chance, ce qui n’est pas notre propos.

M. le président-rapporteur Jacques Grosperrin. Monsieur le haut-commissaire, nous vous remercions.

La séance est levée à dix-sept heures quinze.

Audition commune de
M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale,
et de M. Laurent Wauquiez, secrétaire d’État chargé de l’emploi

Mercredi 11 mars 2009

L’audition débute à seize heures quinze, sous la présidence de M. Jacques Grosperrin, président-rapporteur de la mission d’information sur les écoles de la deuxième chance et l’accès à l’emploi. La mission est élargie aux membres de la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. le président-rapporteur Jacques Grosperrin. Merci, messieurs les ministres, d’avoir répondu à l’invitation de notre mission d’information, qui doit achever ses travaux très bientôt. Nous avons souhaité vous auditionner ensemble pour comprendre comment se fait la coordination entre l’éducation nationale et « l’aval » – dispositifs de la deuxième chance, opérateurs de placement ou entreprises.

Plusieurs questions se posent. D’abord, n’est-il pas temps de désigner un « pilote », aussi bien au niveau national que sur le terrain, pour tout ce qui concerne les jeunes « décrocheurs » ? Ne faut-il pas mettre en place un système de repérage et transmettre leurs coordonnées aux organismes intéressés afin qu’ils soient rapidement pris en charge ? L’un des principaux problèmes des jeunes issus de milieux défavorisés, même brillants, étant l’absence de réseau et de connaissance des parcours scolaires, pourrait-on envisager des modules d’orientation et de préparation à la recherche d’un emploi au cours des études secondaires et supérieures ? Quelles sont, ensuite, les perspectives des écoles de la deuxième chance : faut-il accroître le nombre de leurs élèves, les ouvrir aux 16-18 ans, recourir à des appels d’offres, plus souples, notamment en direction des établissements scolaires ? Et comment mobiliser les partenaires sociaux ? Le nouveau fonds de sécurisation des parcours professionnels ne doit-il pas aussi servir aux jeunes ? De nombreuses autres questions se posent, en particulier la mesure de la diversité des origines, mais je m’arrêterai là.

M. Xavier Darcos, ministre de l’éducation nationale. Dans ce domaine où les intervenants sont multiples, l’action du ministère de l’éducation nationale se mène souvent en partenariat. De plus, la fonction première de l’école n’est pas la re-scolarisation mais bien la scolarisation, c’est-à-dire la préparation des enfants à la vie sociale et professionnelle. Le mécanisme de la deuxième chance reste toutefois un enjeu majeur pour l’éducation nationale.

Pour y faire face, nous cherchons tout d’abord à mettre fin à l’isolement de l’école, en créant des liens avec le monde économique et en mettant en place des banques de stages par exemple. Nos académies, souvent sous l’impulsion des régions agissant dans le cadre de leurs compétences en matière de formation professionnelle, organisent des réseaux et des partenariats pérennes – particulièrement celles de Caen et d’Aix-Marseille. Nous veillons aussi à nous adapter en permanence à l’évolution des bassins de formation et d’emploi ; les changements peuvent être très rapides, en particulier en période de crise. L’académie de Nancy-Metz est pilote dans ce domaine. Enfin, nous renouvelons sans cesse nos diplômes afin qu’ils restent porteurs d’emplois à une époque où les métiers changent très vite. C’est le cas par exemple pour la filière sanitaire et sociale ou dans le domaine des énergies nouvelles.

Il n’est pas un secret que les élèves en difficulté se trouvent majoritairement dans les filières professionnelles. La rénovation de ces filières est donc un bon moyen d’agir. Nous constatons depuis plusieurs années une détérioration du niveau V, c’est-à-dire des CAP et BEP, notamment en matière d’insertion professionnelle : un élève titulaire du BEP a 43 % de chances de recevoir une proposition d’emploi dans les mois qui suivent, contre 62 % pour un bac professionnel. Un redressement est donc nécessaire et c’est pourquoi nous avons institué le « bac pro » en trois ans, qui fonctionne bien puisqu’à la dernière rentrée, alors que le dispositif n’était pas généralisé, nous avons compté quarante mille élèves supplémentaires. A cette action s’ajoutent toutes sortes de dispositifs d’accompagnement personnalisé – c’est un axe majeur de la politique du Gouvernement – tels que l’accompagnement éducatif au collège, les diverses formes de soutien ou la mission générale d’insertion (MGI), qui permettent aux élèves, en marge des cours, de découvrir les voies et moyens de leur insertion future.

Le dispositif de la deuxième chance constitue un droit nouveau pour les élèves. Nous travaillons pour commencer avec la Fédération des établissements scolaires publics innovants (FESPI), avec laquelle nous mettons en place des structures entièrement nouvelles s’appuyant sur l’article 34 de la loi de 2005. Deux mille élèves sont concernés. Nous travaillons également avec l’Établissement public d’insertion de la défense (EPIDE), financé par les politiques de la ville et de l’emploi, le Fonds social européen (FSE) et la taxe d’apprentissage, et qui réunit 2 100 élèves. Enfin, les 43 écoles de la deuxième chance, qui sont des associations « loi de 1901 » financées par les collectivités locales, la délégation interministérielle à la ville (DIV) et la taxe d’apprentissage, comptent 4 500 élèves. Ces structures peu connues aident donc plus de 8 000 jeunes. Nous comptons doubler le nombre des élèves des écoles de la deuxième chance. Grâce à Laurent Wauquiez, elles sont habilitées à recevoir la taxe d’apprentissage et le ministère participe à la labellisation des nouveaux projets. Plusieurs dispositifs permettent donc de favoriser l’insertion professionnelle par des moyens moins classiques que le lycée traditionnel.

Le deuxième grand axe de notre action est la lutte contre le « décrochage », qui est un phénomène propre à la France. 2,5 % des collégiens, 4,6 % des élèves de lycées généraux et 11 % des élèves de lycées professionnels ne fréquentent plus ou quasiment plus leur établissement scolaire. Ce sont des chiffres considérables. Le proviseur du lycée de Gagny, où vient d’avoir lieu une agression, me disait hier qu’environ 15 % de ses élèves ne venaient plus en classe ! La lutte contre le décrochage est donc une priorité. Dans le cadre du plan de relance, nous avons décidé de recruter 5 000 médiateurs de réussite scolaire, qui iront dans les quartiers rechercher ces élèves. Ces emplois aidés dépendent de mon ministère, mais il s’agit en réalité d’une mission de politique de la ville. Les établissements, chargés du recrutement, ont déjà recruté plus de mille médiateurs et devraient très vite recruter les autres, maintenant que les vacances d’hiver sont terminées. Par ailleurs, Fadela Amara et moi avons repéré 215 quartiers à l’absentéisme particulièrement marqué et lancé dans 102 établissements une expérimentation de mobilisation locale contre le décrochage. Nous encourageons également la mise en place d’un dispositif de repérage informatique, le système JASMIN, expérimenté dans l’académie de Nantes depuis la rentrée dernière. Sont la cible principale de cette mobilisation les élèves de plus de 16 ans en filière professionnelle : c’est là que les décrochages sont les plus importants. Il faut remotiver ces jeunes qui n’ont guère d’enthousiasme pour leur orientation. Les moyens qui ont été dégagés dans le cadre du bac pro en trois ans sont donc réinjectés dans des dispositifs d’aide personnalisée ou de travail en petits groupes par exemple. J’en profite pour souligner le travail formidable qu’accomplissent les professeurs des lycées professionnels, qui sont de véritables laboratoires d’idées où s’inventent sans arrêt de nouvelles solutions. Mais on ne peut encore tirer de résultats de ces expérimentations, qui datent de septembre 2008.

Notre troisième grand axe est l’orientation, question clef du système éducatif français. Tous les grands pays qui ont réformé leur système éducatif de manière brutale, ce que nous n’avons pas voulu, se sont fondés sur une nouvelle conception de l’orientation. Nous avons commencé, en accord avec Martin Hirsch, par créer un site unique d’information sur les formations. Le principal problème aujourd’hui étant de savoir où s’adresser, ce système de « géo-localisation » pourra non pas donner toutes les informations, mais dire à chacun où aller se renseigner. Cette plateforme unique sera expérimentée grâce au site rénové de l’Office national d’information sur les enseignements et les professions (ONISEP) du 23 mars à fin juillet dans l’académie d’Amiens, une académie importante qui connaît des difficultés d’insertion. Nous avons mobilisé les personnels, mis sur pied des équipes mixtes, créé des plateformes décentralisées, bref consacré à ce projet des moyens très substantiels. D’autre part, dans le cadre de la réforme globale conduite depuis deux ans, nous avons accentué les dispositifs de découverte professionnelle au collège, en cinquième et en troisième, avec la mise en place de « parcours de découverte des métiers et des formations ». L’idée est que tout élève de 12-13 ans soit sorti au moins une fois de l’école pour voir ce que c’est qu’un métier – ou qu’un lycée professionnel, les élèves en ayant souvent une idée fausse alors que ces lycées sont souvent, grâce aux régions, extrêmement bien équipés et très dynamiques. Un bilan personnel d’orientation, systématique, sera aussi expérimenté à partir de la rentrée dans l’académie de Limoges, permettant aux élèves, par des discussions avec différents intervenants, d’imaginer relativement précocement leur avenir.

Nous essayons donc de mettre en place un système plus simple et mieux piloté, en passant dans un certain nombre de cas par l’expérimentation.

M. Laurent Wauquiez, secrétaire d’État chargé de l’emploi. Ainsi que l’a dit Xavier Darcos, nous travaillons sur ces sujets en étroite collaboration. Je voudrais souligner que la crise actuelle a une double conséquence. D’un part, les jeunes sont les premières victimes de la crise – alors que, pour la première fois, les seniors ne sont pas davantage touchés que la moyenne. Les jeunes se heurtent à un plafond de verre d’autant plus difficile à crever que le parcours menant de la formation initiale au premier emploi à durée indéterminée est en France particulièrement long. D’autre part, les entreprises qui avaient eu des pratiques assez innovantes de recrutement pendant la période d’expansion en direction de jeunes issus des quartiers ou de territoires ruraux défavorisés risquent de les abandonner. Ce serait une grosse erreur, ne serait-ce que du point de vue de leur propre intérêt : L’Oréal, Bouygues ou certaines PME qui ont su faire confiance à ces jeunes peu diplômés profitent deux ou trois ans plus tard d’équipes mixtes qui leur apportent un véritable supplément d’énergie et de ressources.

L’un des leviers que nous mobilisons le plus possible pendant la crise est le contrat d’insertion dans la vie sociale (CIVIS), qui débouche dans un tiers des cas sur un emploi durable. Ce n’est jamais assez, mais c’est tout de même un bon résultat. De plus, nous avons réservé un quart des contrats aidés aux jeunes pour leur permettre d’acquérir une première expérience professionnelle – dont le manque est un des obstacles essentiels à leur entrée sur le marché du travail. Les dispositifs publics doivent les aider à faire tourner le compteur de l’expérience professionnelle. Enfin, Fadela Amara et moi pilotons conjointement le développement des contrats d’autonomie, avec pour objectif 18 000 contrats d’ici à la fin de l’année et 45 000 jeunes concernés en trois ans. La montée en puissance se poursuit de façon satisfaisante ; d’ores et déjà, 6 000 jeunes sont entrés dans le dispositif. D’autres outils ont été considérablement renforcés, telles les écoles de la deuxième chance, qui peuvent bénéficier désormais de la taxe d’apprentissage, laquelle devrait représenter en moyenne 10 % de leur budget. L’objectif est de 12 000 élèves d’ici à fin 2010.

Nous voulons aussi développer la professionnalisation, la formation sur le terrain. Les contrats de professionnalisation ont un très bon taux d’insertion ; c’est le plus performant des différents outils s’adressant aux publics en difficulté, mais il est très difficile de trouver des entreprises qui acceptent de s’engager. Nous avons donc lancé une réflexion sur les voies d’incitation et sur la valorisation de ces contrats, le but étant de renforcer l’efficacité du dispositif d’ici deux mois. Mais il y a aussi des idées simples et de bons sens qui peuvent donner de grands résultats. On peut, plutôt que d’écrire une grande loi sur l’emploi, essayer de tisser des partenariats locaux. L’agglomération lyonnaise, à l’initiative du préfet de région, a ainsi fédéré les entreprises qui se sont engagées à réserver des emplois à des jeunes sans CV : le taux d’accès à l’emploi des jeunes dans les quartiers a été amélioré de 25 % en deux ans. Pas de grande mesure législative, simplement un partenariat sur le terrain ! Autre exemple : l’association « Nos quartiers ont des talents » met en contact des personnes issues des quartiers, qui ont de très bons parcours professionnels, avec des jeunes qui ont des diplômes mais dont les CV sont systématiquement écartés. Elles les aident à se présenter, remédient à de petites lacunes, forcent les portes, et ces jeunes voient leurs chances d’accès à l’emploi quasiment doubler. Je crois beaucoup à de telles initiatives très concrètes, qu’on a sans doute un peu trop longtemps sous-estimées.

Mais il faut un chef de file. En France, le délai entre le moment où un jeune décroche – ce qui existe dans tout système scolaire – et celui où il va être repris en charge par le service public de l’emploi est trop long. Or, les mois ou même les années qui sont perdues ne se rattrapent pas : la cassure est trop importante. Nous avons donc besoin de coupler les deux ministères et d’élaborer un dispositif de détection afin que les jeunes qui sortent de l’éducation nationale se voient immédiatement proposer des alternatives par le service public de l’emploi, telles qu’apprentissage, contrat de professionnalisation, contrat aidé ou chantier d’insertion. Il ne faut pas les laisser s’isoler. Xavier Darcos et moi avons développé des expérimentations en ce sens, notamment dans les régions Provence-Alpes-Côte-d’azur (PACA), Basse-Normandie et Haute-Normandie, qui améliorent très nettement les taux de prise en charge et de retour à l’emploi. Il faut avancer dans cette direction en prenant pour exemple, bien que ce ne soit pas mon habitude, ce qui se fait en Grande-Bretagne avec le système de la September guarantee, qui vise à ce qu’un jeune qui décroche en septembre se voie tout de suite proposer autre chose.

Mme Monique Iborra. Monsieur le ministre de l’éducation nationale, nous disposons d’une évaluation très précise de la sortie en emplois des jeunes issus des écoles de la deuxième chance, mais qu’en est-il pour l’EPIDE ? Par ailleurs, je rappelle que les écoles de la deuxième chance ont été créées à l’initiative des collectivités locales, et non de l’État, et sont financées par elles, en particulier les régions. Au-delà de la taxe d’apprentissage, que certaines avaient d’ailleurs obtenue avant l’intervention de M. Wauquiez, une aide financière de l’État est-elle envisagée ?

En ce qui concerne l’orientation, j’espère que votre plateforme unique n’est pas la seule mesure prévue. Si cela suffisait, on le saurait depuis longtemps, d’autant qu’un certain nombre de régions en ont déjà mis en place. Le Gouvernement mène toujours une politique très verticale qui ne tient aucun compte de ce qui existe déjà, des expériences qui ont été menées sur le terrain en associant l’ensemble des acteurs. Ainsi, en Midi-Pyrénées, 140 structures font de l’information et de l’orientation, et cependant la nouvelle plateforme de l’éducation nationale va les ignorer ; or rien ne marchera si l’éducation nationale est complètement isolée.

Enfin, si les contrats de professionnalisation donnent de bons résultats, il y en a de moins en moins. A quoi attribuez-vous cette désaffection, et que comptez-vous faire pour y remédier ? Quant aux contrats d’autonomie, pourquoi leur mise en œuvre a-t-elle été confiée à des organismes privés de placement, et non aux missions locales ? Pour participer régulièrement au comité de pilotage des contrats d’autonomie, je sais à quel point l’intervention des missions locales est nécessaire ; je déplore cette gabegie dans l’utilisation de l’argent public.

Mme Michèle Delaunay. Dispose-t-on de chiffres sur la répartition des « décrocheurs » entre garçons et filles ? Les modalités de remise sur les rails sont très différentes, ainsi peut-être que les partenariats à instituer. Et le taux de « raccrochage » est-il différent selon les sexes ? Par ailleurs, vous nous avez parlé de partenariats locaux avec les entreprises, mais en existe-t-il avec les collectivités publiques ou des institutions telles que les hôpitaux ? Je regrette par exemple que les structures de mon quartier populaire de Bordeaux n’emploient jamais de jeunes qui en sont issus et qui pourraient servir de moteur pour les autres. Je suis persuadée que l’emploi local serait un vecteur très utile.

M. le ministre de l’éducation nationale. Je ne dispose pas de chiffres précis concernant l’EPIDE, que mon ministère cofinance mais qui est piloté par celui de la défense. Je sais que le coût annuel de chaque élève avoisine 45 000 euros et qu’un gros tiers des élèves réussissent leur insertion.

Mme Monique Iborra. C’est moins que pour les écoles de la deuxième chance.

M. le secrétaire d’État chargé de l’emploi. Mais ce n’est pas le même public.

M. le ministre de l’éducation nationale. Quant à l’orientation, je peux vous assurer qu’elle occupe une place considérable dans notre budget, à travers de nombreuses actions, mais une plateforme nous apparaît néanmoins nécessaire. C’est une question de bon sens. D’innombrables initiatives sont prises sur le terrain par les associations, chambres de commerce et de métiers, institutions diverses ; tout le monde fait quelque chose. Le but de la plateforme est d’en avoir connaissance et de servir de relais. Elle pourra répondre à certaines questions, mais surtout renvoyer à des services partenaires. Nous verrons ce qui ressortira de l’expérience mais en tout état de cause, c’est précisément parce qu’il y a des initiatives partout qu’il faut une adresse centrale.

Madame Delaunay, les décrocheurs sont plutôt des garçons – environ aux deux tiers. Vous connaissez le paradoxe français : les filles sont meilleures élèves dans le second degré mais leurs chances de réussite professionnelle sont moindres. Et lorsqu’elles font aussi bien qu’eux, elles sont moins payées… Il y a donc toute raison de s’alarmer. Par ailleurs, il est vrai que les structures présentes dans les quartiers en sont assez déconnectées. Cela renvoie à des politiques qui ne font pas partie de mon ministère, comme les contrats urbains de cohésion sociale.

M. le secrétaire d’État chargé de l’emploi. Je voudrais d’abord répondre sur le financement des écoles de la deuxième chance. Je sais combien Mme Iborra est attentive au rôle des régions. Dans la période de crise actuelle, il va d’ailleurs de soi que tous les acteurs doivent travailler en commun. On ne sait pas si la montée en puissance des écoles de la deuxième chance sera aussi rapide que nous l’espérons, auquel cas elles fonctionneront à plein dès 2010, ou un peu plus lente. Quoi qu’il en soit, l’État mettra sur la table 9 millions d’euros en 2009, soit autant que les régions, auxquels s’ajouteront 6 millions du Fonds social européen. En 2010, l’État mettra 16 millions d’euros, les régions 9 millions et le FSE 6,5 millions ; en 2011, ce seront respectivement 24, 13 et 7 millions ; enfin, en 2012, l’État mettra 29 millions et les régions 19 millions.

Mme Monique Iborra. C’est de la fiction ! Comment pouvez-vous vous prononcer à la place des régions ?

M. le secrétaire d’État chargé de l’emploi. Parce que nous avons travaillé avec elles sur la répartition des engagements !

S’agissant des contrats de professionnalisation, ils ont augmenté de 6 % en 2008, soit 170 000 contrats au total. Je ne parlerais pas de désaffection, mais il est vrai qu’on pourrait faire encore mieux.

Mme Marie-Renée Oget. Nos auditions ont souvent fait apparaître le problème de la coordination des actions. Quel pilote pourrait l’assurer sur le terrain ?

M. Jean-Patrick Gille. Je suis très heureux d’avoir des précisions sur le financement annoncé des écoles de la deuxième chance ! Pourriez-vous en revanche détailler les actions qui sont ciblées sur les publics les plus en difficulté ? Par ailleurs, j’ai le sentiment d’une certaine confusion entre la question du décrochage et celle de la deuxième chance. Ce n’est pourtant pas la même chose. Nous devons d’abord construire un droit à la deuxième chance, pas seulement pour les jeunes d’ailleurs, et le concrétiser. Je ne suis pas sûr que ce soit à l’éducation nationale de le faire. Quant à la lutte contre le décrochage, on peut aussi s’interroger sur la place qu’elle doit y tenir. Je ne suis d’ailleurs pas persuadé que l’expression « décrocheurs », si elle est pratique, ne soit pas un piège : elle donne la conviction qu’en quittant l’« autoroute » de l’éducation nationale, on va droit à la catastrophe. Le drame de notre pays, c’est peut-être justement que le décrochage du système scolaire plonge si vite dans de graves difficultés.

M. le président-rapporteur Jacques Grosperrin. Que pensez-vous de l’idée d’assouplir les appels d’offres pour les écoles de la deuxième chance et de les orienter vers les établissements scolaires existants ? L’école de la première chance fonctionne tout de même bien ! Que penseriez-vous d’un module de formation à la recherche d’emploi, en troisième ou en terminale ? Enfin, que pensez-vous de la proposition de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) d’une prime de 1 000 euros par contrat de professionnalisation, ou d’un allègement de charges ?

M. Gérard Cherpion. Nous n’avons pas d’outil efficace pour détecter le moment du décrochage, mais il semble qu’il se produise de plus en plus précocement. Le dispositif de la deuxième chance ne peut donc pas agir dans la continuité. Il faut mettre en place un suivi des parcours qui permettrait aux jeunes qui quittent le système scolaire, quel que soit leur âge, d’enchaîner sur un parcours professionnel.

M. le ministre de l’éducation nationale. Madame Oget, le pilotage est une question récurrente. Peut-être progresserons-nous en la matière, mais je ne crois pas à un pilote unique. Je ne pense même pas que ce soit souhaitable, tant est grande la disparité des situations, des publics, des environnements, des associations. Quant aux actions ciblées, monsieur Gille, c’est le fondement de notre action. L’éducation nationale fait porter son effort sur les quartiers, les établissements et les publics que nous avons identifiés avec Fadela Amara, où la concentration de problèmes est grave. En ce qui concerne le mot « décrocheurs », j’ai hésité à le retenir mais il me semble finalement que c’est le bon ; en effet il ne s’agit pas d’élèves absents, mais d’élèves « tombés du tapis roulant », qui continue sans eux. Enfin, concernant les appels à projets, monsieur Grosperrin, nous avançons dans le sens que vous avez évoqué – modestement, dans la mesure des possibilités. Des expérimentations sont lancées, nous demandons aux établissements de nous faire des propositions, notamment à Besançon.

M. le secrétaire d’État chargé de l’emploi. Madame Oget, nous avons la même approche : il faut pouvoir décliner les dispositifs en fonction de chaque territoire. Un des principaux problèmes auxquels nous nous heurtons est celui des passerelles, car il faut que les jeunes qui quittent l’éducation nationale soient immédiatement pris en charge par un autre système. Il faut donc instituer un comité de pilotage conjoint, qui réunisse tous les acteurs autour de la table. Les choses fonctionnent bien lorsque la direction du travail travaille en partenariat avec le rectorat ; mais il faut aussi mobiliser les collectivités locales, le service public de l’emploi, les missions locales. Je suis convaincu qu’un tel comité de pilotage est la bonne solution, tant au niveau national que localement. Enfin, M. Gille a fait une distinction importante: il faut à la fois pouvoir proposer quelque chose tout de suite à un jeune qui sort du système et donner une deuxième possibilité plus tard à ceux qui n’ont pas utilisé tout leur « quota » de formation initiale payée par les acteurs publics. Un des enjeux de la réforme de la formation est de réserver plus de crédits à de tels dispositifs de deuxième chance afin de remettre en route l’ascenseur social républicain.

M. le président-rapporteur Jacques Grosperrin. Merci, messieurs les ministres, d’avoir répondu à notre invitation, surtout ensemble, ce qui montre bien qu’une connexion est en train de se mettre en place et que nous sommes sur la bonne route.

L’audition s’achève à dix-sept heures quinze.

Audition de Mme Fadela Amara,
secrétaire d’État chargée de la politique de la ville

Mercredi 11 mars 2009

L’audition débute à dix-sept heures trente, sous la présidence de M. Jacques Grosperrin, président-rapporteur de la mission d’information sur les écoles de la deuxième chance et l’accès à l’emploi. La mission est élargie aux membres de la Commission des affaires culturelles, familiales et sociales.

M. le président-rapporteur Jacques Grosperrin. Madame la ministre, je vous remercie d’avoir répondu à l’invitation de notre mission d’information. Celle-ci a été constituée afin de venir en appui au plan d’action de M. Yazid Sabeg, qui devrait être présenté le 21 mars.

Je rappelle quelques chiffres bien connus : entre 120 000 et 150 000 jeunes sortent tous les ans du système scolaire sans qualification ; dans les quartiers que l’on pourrait qualifier de « populaires », le taux de chômage est le double de la moyenne nationale ; pour les jeunes qui y ont grandi, l’obtention d'un diplôme universitaire n'accroît pas nécessairement les chances d’accès à l’emploi durable et qualifié, et parfois les réduit, ce qui dénote d'incontestables discriminations.

Face à cette situation, nos interrogations sont les suivantes.

N’est-il pas temps de désigner clairement, au niveau national et sur le terrain, un « pilote » responsable des « décrocheurs » ?

Quelles sont les perspectives pour les écoles de la deuxième chance ? Faut-il accroître leur nombre d’élèves ? Faut-il prévoir une école de la deuxième chance par agglomération ou par département ? Faut-il permettre aux 16-18 ans d’accéder aux écoles de la deuxième chance? Faut-il développer les appels d’offres pour accroître le réseau de ces écoles ?

Il convient par ailleurs de s’interroger sur la pertinence d’une mesure de la diversité : est-il utile d’avoir un « baromètre » ? Celui-ci doit-il prendre en compte l’origine géographique des personnes et de leurs parents, se baser sur des enquêtes sur le « ressenti d'appartenance » ou sur le « sentiment de discrimination » ?

Comment, enfin, renforcer la lutte contre les discriminations ? Que peut-on faire pour inciter les entreprises et les administrations à s’ouvrir davantage à la diversité ? Faut-il introduire dans les marchés publics des clauses d'insertion, comme le fait l’ANRU ? Faut-il inverser la logique des zones franches urbaines en favorisant l’embauche de « salariés francs », comme le suggère M. Fodé Sylla dans son rapport au Conseil économique et social ?

Mme Fadela Amara, secrétaire d’État chargée de la politique de la ville. Je participe à vos travaux aujourd’hui avec beaucoup de plaisir et d’intérêt. La question de la sortie vers le monde de l’apprentissage, de l’emploi et de la formation professionnelle est en effet au cœur de mes préoccupations, dans le cadre des missions qui sont les miennes.

Cette thématique correspond à un engagement fort du Président de la République. Dans son discours du 8 février 2008, définissant les objectifs et les priorités d’action d’une nouvelle politique de la ville, alors qu’il lançait officiellement la « dynamique espoir banlieues », M. Nicolas Sarkozy a appelé à un essaimage des écoles de la deuxième chance en faveur des jeunes des quartiers. Il a annoncé un engagement financier de l'État, ainsi que l’ouverture des écoles à tout jeune de plus de 16 ans sorti du système scolaire sans qualification. Il a ainsi marqué son ambition que « la deuxième chance devienne un droit pour tous et que l’école de la deuxième chance devienne pour notre République, en ce début du XXIème siècle, une priorité, comme l’école primaire le fut jadis pour la IIIème République ».

Il s’agit d’imaginer et de mettre en œuvre un dispositif à l’attention des 130 000 à 150 000 jeunes qui quittent chaque année le système scolaire sans qualification et se trouvent jetés dans le monde du travail dans les pires conditions : ils ne maîtrisent souvent pas les savoirs fondamentaux de base ; ils sont en situation personnelle d’échec par rapport à notre système scolaire traditionnel ; dans l’incapacité d’accéder à une filière de formation professionnelle, ils ne disposent d’aucune perspective d'emploi.

En période de croissance économique, cette situation personnelle des jeunes – qui s’ajoutait souvent à des situations familiales, sociales et de logement difficiles – faisait déjà d’eux les oubliés de la croissance. En période de grave crise économique, une telle situation ne peut que les conduire à davantage d’exclusion et de désespérance. Parmi les 16-25 ans issus des quartiers de la politique de la ville, le taux de chômage est, hélas, le double de la moyenne nationale ; dans la conjoncture actuelle, ce taux explose et constitue, dès à présent, une source potentielle de graves troubles, au sein d’une population qui aspire à trouver un emploi, à pouvoir vivre de son travail et à s’intégrer au sein de notre société. C’est ce constat, ce sont ces risques, ce sont ces menaces pour notre République et pour nous tous qui ont justifié prioritairement la mise en place du dispositif des écoles de la deuxième chance, au bénéfice des jeunes issus des quartiers de la politique de la ville ; c’est cela qui explique l’engagement personnel du Président de la République.

La deuxième chance, qui illustre parfaitement la dynamique espoir banlieues, est une priorité de mon administration. Il s’agit de réduire les écarts constatés dans l’accès au savoir et la réussite du parcours scolaire et professionnel entre les jeunes issus des quartiers et ceux bénéficiant, du fait de situations sociales et familiales et de conditions de vie plus favorables, de parcours plus sécurisés.

Il s’agit également de rassembler autour d’un projet commun l’ensemble des partenaires de la politique de la ville. L’école de la deuxième chance n’est pas uniquement l’affaire de spécialistes, elle doit être au cœur des actions communes : les services de l’État, ceux des collectivités locales, les associations, les entreprises et les partenaires de la formation doivent adhérer au projet. Les dispositifs spécifiques doivent tenir compte du public visé, des territoires concernés, du monde de l’entreprise, de l’offre de formation et des perspectives d’emploi. Cette spécificité est le gage de la réussite. Il ne s’agit pas de construire une éducation nationale bis, mais de traiter « sur mesure » un public en situation particulière d’exclusion et dont la réussite suppose qu'on lui offre d’autres méthodes, d’autres moyens et d’autres objectifs que ceux fournis par l’éducation nationale « traditionnelle ».

Le Président de la République a fixé un objectif clair. Ma volonté et mon engagement personnel d’offrir à nos jeunes des perspectives d’avenir s’accompagnent de l’obligation pour l'ensemble des élus, le monde associatif et le monde de l’entreprise de proposer à nos jeunes non pas des conditions privilégiées d’intégration, mais des conditions adaptées à leur histoire, à leur parcours personnel, à leur structure familiale. Que deviendrait notre République si devait perdurer l’exclusion brutale et définitive d’une partie importante de notre jeunesse ? Au nom de quoi nos concitoyens les plus défavorisés se verraient-ils définitivement fermer la porte de l’éducation, de l’emploi, de la vie en société ?

La volonté qui est la mienne, qui est aussi celle qui vous anime, est heureusement partagée par beaucoup. Dans le cadre de votre mission, vous avez entendu de très nombreux acteurs de la dynamique de l’école de la deuxième chance. Leur qualité et leur multiplicité démontrent que la question est complexe et qu’elle implique la mobilisation de tous : l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances, la délégation générale à l’emploi et à la formation professionnelle, la délégation interministérielle à la ville, l’Agence nationale de lutte contre l’illettrisme, l’Établissement public d’insertion de la défense, l’Association pour l’emploi des cadres, l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, la direction générale de l’enseignement supérieur, la direction générale de l’enseignement scolaire, Pôle emploi, la délégation interministérielle à l’orientation…

Mais cette mobilisation ne peut réussir qu’avec par un partenariat avec le monde de l’entreprise – réseau des chambres de commerce, dirigeants de grandes entreprises, réseaux de services, Mouvement des entreprises de France (MEDEF), Union professionnelle artisanale… Ce sont les entreprises qui créent les emplois, ce sont les métiers et les filières qu’elles comportent qui permettent de définir les pistes de travail. Les politiques de formation scolaire et de formation professionnelle ne peuvent s’ignorer ; elles doivent être complémentaires et tenir compte des besoins des filières professionnelles, de l’attractivité des territoires, des conditions générales de vie et des conditions de travail. A cet égard, les points de vue des grandes organisations syndicales ouvrières, des élus locaux, des missions locales, sont essentiels ; une politique, quelle qu’elle soit, un plan d’action, aussi ambitieux soit-il, ne peuvent réussir que portés par tous.

La lutte contre les discriminations et pour l’égalité des chances est un thème qui me tient à cœur et qui sous-tend, au quotidien, ma pratique et les actions déployées dans le cadre de la dynamique espoir banlieues. Il n’est pas question pour moi de lancer des actions de communication ou de manier des concepts généraux qui ne se traduiraient pas dans les faits, de manière concrète et pragmatique. L’école de la deuxième chance, dans le cadre de la dynamique espoir banlieues, ce sont, fin 2008, 43 sites, 12 régions et 25 départements concernés, 4 800 jeunes accueillis, d’un âge moyen de 20,5 ans, dont 45 % de garçons et 55 % de filles, pour la moitié issus directement des quartiers prioritaires de la politique de la ville. On dénombre 60 % de sorties « positives » – 18 % vers des formations qualifiantes, 29 % vers l'emploi et 13 % vers un contrat de travail en alternance. Ces résultats sont la conséquence d’une stratégie maîtrisée, qui consiste à connaître les besoins locaux, les potentiels d’emploi et la capacité d’accueil des bassins d’emploi. Pour implanter une école de la deuxième chance sur mesure, il convient de s’assurer de sa pertinence et de son caractère opérationnel, selon un cahier des charges et une labellisation. Un dispositif trop généraliste et trop systématique sur le territoire, qui doublonnerait l’éducation nationale, ne serait pas adapté aux enjeux. Il faut également impliquer les conseils régionaux – compétents en matière de formation professionnelle – mais aussi les grandes entreprises et l’artisanat, et raisonner en termes de filières professionnelles.

Les dispositifs concrets et pertinents mis en place dans le cadre de la lutte contre les discriminations et pour l’égalité des chances doivent pouvoir profiter prioritairement aux plus défavorisés, mais il doivent aussi être ouverts à ceux qui ont la volonté de donner au concept de deuxième chance une réalité pour leur vie personnelle. Cette mixité est aussi un gage de réussite. Il ne s’agit pas de démultiplier à l’infini des dispositifs s’adressant à des minorités réelles ou supposées, mais d’offrir à tous nos concitoyens qui se trouvent dans une situation sociale défavorisée les mêmes chances de « rattraper » les autres, les mêmes perspectives de s’intégrer dans notre projet républicain. Il faut, le Président de la République l’a rappelé, « donner plus à ceux qui ont le moins » afin de rétablir un équilibre, garant de notre cohésion sociale.

Votre mission d’information est partie d’un double constat : 130 000 à 150 000 jeunes sortent chaque année de notre système éducatif traditionnel, sans qualification et sans maîtrise des savoirs de base ; il y a inadéquation entre le monde de la formation et celui de l’emploi. Ce constat n’emporte pas la condamnation des systèmes et institutions existants, mais il ne peut que nous interpeller. C’est le sens de votre mission et le fondement de mon action politique. Il nous faut développer des dispositifs sur mesure, adaptés aux disparités sociales et améliorer le partenariat existant. Le principe de réalité qui doit nous guider est celui de l’adaptation à un jeune public laissé « sur la touche » et de l’adéquation aux besoins de nos territoires et de nos entreprises.

L’école de la deuxième chance, la sécurisation du parcours de formation scolaire et professionnelle, l’accès à la formation et à l’emploi, c’est bien, comme le rappelait le Président de la République, une priorité et un droit pour tous. Satisfaire cette priorité, respecter ce droit, c’est bien partir d’une analyse concrète et sans concession de la situation et favoriser le déploiement de dispositifs aptes à répondre à la variété des situations individuelles. Parce que nous ne pouvons nous résoudre à la situation actuelle, nous devons nous montrer pragmatiques, concrets, opérationnels et ambitieux. C’est sur notre attitude dans ce combat que nous attendent les générations montantes.

Laissez-moi vous redire ma conviction : l’instrument « école de la deuxième chance » est une bonne réponse, mais son développement doit être maîtrisé, en adéquation avec les bassins d’emploi et en partenariat avec l’ensemble des acteurs concernés. Récemment, nous avons travaillé avec l’entreprise Vinci : si le groupe finance une école de la deuxième chance spécialisée dans les métiers du bâtiment, le taux de sortie positive pourrait avoisiner les 98 %. Il serait souhaitable d’explorer la piste des filières, afin de trouver de nouvelles sources de financement.

M. Jean-Patrick Gille. Je me réjouis d’entendre nos ministres prononcer les uns après les autres un plaidoyer pour les écoles de la deuxième chance. On finirait par croire que ce sont eux qui ont inventé le dispositif !

Je ne suis pas persuadé qu’il faille ouvrir les écoles de la deuxième chance aux 16-18 ans, après l’expérience qui a été menée dans celle de Tours-Val-de-Loire, qui n’a pas été concluante. Outre le fait que cela crée des tensions avec le système scolaire traditionnel, qui craint un effet de « pompe aspirante », je pense que les jeunes doivent avoir une certaine maturité pour tout reprendre à zéro.

Je crois aux écoles de la deuxième chance, mais il ne faut pas tout attendre d’elles, ni trop dériver du concept. Le critère de réussite des écoles de la deuxième chance, c’est leur proximité avec le monde de l’entreprise et la qualité des partenariats qu’elles ont pu nouer. Pouvoir placer un jeune en stage sans le contraindre à des démarches personnelles permet de ne pas le confronter à des discriminations.

Enfin, lors de la discussion à l’Assemblée nationale de la proposition de loi de Mme Pau-Langevin, nous avons débattu de la nécessité de mesurer les discriminations. J’aimerais entendre votre point de vue sur ce sujet.

Mme Monique Iborra. J’avoue que je suis très choquée de votre présentation, madame la ministre. Il n’est pas honnête de laisser entendre que M. Sarkozy est à l’origine de la création des écoles de la deuxième chance. Ce sont les collectivités locales, avec l’aide de financements européens, sous l’impulsion d’Edith Cresson – alors commissaire européenne –, qui ont pris le risque, y compris financier, des les mettre en place, et non l’État, qui a d’ailleurs tardé à s’y intéresser. Qu’il le fasse aujourd’hui et que, par votre intermédiaire, le Gouvernement soutienne enfin ce dispositif nous réjouit néanmoins.

L’école de la deuxième chance dont je suis présidente, qui se trouve au cœur des quartiers du Mirail, dans la maison de l’emploi, et dont le taux de sorties positives atteint 75 %, a été entièrement financée par la région Midi-Pyrénées. Si on nous impose demain qu’une école de la deuxième chance labellisée soit dirigée par une entreprise, nous nous y opposerons. Ce qui sous-tend la mise en place de ces écoles, c’est un projet politique, et non l’opportunité de fournir de la main d’œuvre aux entreprises qui en exprimeraient le besoin.

Mme la secrétaire d’État. Je n’accepte pas que l’on mette en doute mon honnêteté. Je n’ai jamais dit que c’était Nicolas Sarkozy qui avait créé les écoles de la deuxième chance, et je n’ai jamais eu la prétention de m’en attribuer le mérite. Vous avez dû mal entendre. Vous devriez plutôt vous réjouir que l’État décide de reprendre et de démultiplier les bonnes pratiques.

Si certains jeunes des quartiers populaires, diplômés, connaissent quelques difficultés pour s’insérer, d’autres sont beaucoup plus éloignés du marché de l’emploi. C’est la raison pour laquelle j’ai mis en place, dans le cadre de la dynamique espoir banlieues, le « contrat autonomie », qui consiste à mener un coaching, sur la base d’une sorte d’audit personnel. Dans la palette des dispositifs qu’il faut pouvoir proposer pour répondre aux différents profils de jeunes, l’école de la deuxième chance est un outil ; c’est pourquoi j’ai décidé de financer le dispositif sur le budget de la politique de la ville.

Il ne s’agit pas de former de la main d’œuvre à bon marché pour le « grand patronat », mais de faire en sorte de créer des écoles par filières de métier. La formation continue – qui est un acquis de la gauche – n’est pas toujours une réalité dans les quartiers. Nous devons faire en sorte que le monde de l’entreprise s’implique, au travers d’un parrainage, dans le financement des écoles de la deuxième chance.

Mme Monique Iborra. Il y a la taxe d’apprentissage !

Mme la secrétaire d’État. Nous connaissons aujourd’hui une crise majeure, qui n’épargne pas les quartiers populaires. Transformons cette terrible situation en opportunité et préparons la sortie de crise, de sorte que chaque jeune, quel que soit son profil, puisse trouver un emploi dès l’embellie. Nous nous honorerions à trouver un dispositif qui corresponde à la réalité des besoins et mette en adéquation le monde de la formation et celui de l’entreprise.

Monsieur Gille, je pense qu’il est utile d’expérimenter l’ouverture des écoles de la deuxième chance aux jeunes de 16 ans. Dans le cadre de la dynamique espoir banlieues, nous avons beaucoup travaillé avec l’éducation nationale à la sécurisation du parcours éducatif, afin que chaque jeune qui décroche soit repéré et suivi. Mais à 16 ans, les jeunes échappent au maillage institutionnel et c’est à ce moment-là qu’ils tombent dans l’économie parallèle. C’est pourquoi il faut démultiplier – de façon pragmatique – les dispositifs existants d’accueil.

S’agissant de la lutte contre les discriminations, je pense qu’il faut donner plus de moyens à la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) et observer le développement des bonnes pratiques et des dispositifs récents, portés par une dynamique nouvelle. Dans le cadre d’espoir banlieues, nous avons nommé et formé 350 délégués du préfet, destinés à devenir des « vigies de la République ». Il faut appliquer l’arsenal législatif important dont nous disposons ; je ne suis pas convaincue de la nécessité d’une nouvelle loi. La proposition de loi de Mme Pau-Langevin était intéressante, mais limitée aux critères ethniques. Or la lutte contre les discriminations doit viser toutes les discriminations – la question du sexe, transversale, devant être traitée séparément.

Le sujet des « statistiques ethniques » est clos, le Président de la République, dans son discours à l’Ecole polytechnique, ayant annoncé clairement que l’on se fonderait sur des critères sociaux. Je suis pour ma part convaincue qu’il faut faire fonctionner l’ascenseur social pour les enfants d’ouvriers et non pas mettre en place des politiques de discrimination positive fondées sur des critères ethniques. C’est la raison pour laquelle nous nous attachons, au travers de la dynamique espoir banlieues, à réduire les écarts territoriaux. Tout ce qui concourrait, dans un contexte de crise tel que nous le connaissons, à favoriser des catégories de population en fonction de l’origine ethnique contribuerait à émietter le projet républicain et à mettre en danger la cohésion nationale. Cela ne serait pas supporté par le petit Benoît, qui vit les mêmes difficultés et connaît les mêmes souffrances que les petits Mohammed et Mamadou. Diverses initiatives ont été prises, notamment la Charte pour la promotion de l’égalité dans la fonction publique.

M. le président-rapporteur Jacques Grosperrin. Au moins, votre propos est clair ! Pour ce qui est des écoles de la deuxième chance, il faut se réjouir que ce dispositif soit repris et soutenu par la majorité actuelle, alors que l’on reproche souvent aux gouvernements de jeter aux orties ce qui a été fait auparavant.

M. Gérard Cherpion. Même si vous ne faites que reprendre et soutenir – à juste titre – le dispositif des écoles de la deuxième chance, il faut rappeler que c’est bien le Président de la République et vous-même qui êtes à l’origine de la dynamique espoir banlieues, lancée en février 2008. Vous avez parlé avec raison de développement maîtrisé : cela suppose-t-il que les écoles soient créées selon les spécificités économiques et sociales de leur territoire ? Le partenariat avec le monde de l’entreprise est important : à ce titre, je me réjouis que les entreprises lorraines, au travers des chambres de commerce et d’industrie, s’impliquent dans la formation des jeunes. Alors qu’il y a un financement sur la taxe d’apprentissage, le contraire serait injuste.

MM. Cardo et Pupponi, respectivement maires de Chanteloup-les-Vignes et de Sarcelles que nous auditionnions ce matin, nous ont indiqué que le décrochage peut intervenir dès l’âge de 12 ans. Comment articuler les dispositifs afin de suivre ces jeunes, très tôt éloignés du système scolaire et pas assez âgés pour être pris en charge par les écoles de la deuxième chance ?

Une grande entreprise nous a parlé des questionnaires anonymes qu’elle a distribués auprès de ses salariés, portant sur leur ressenti des discriminations. Les réponses lui ont permis de faire évoluer sa politique sociale. Dans le même ordre d’idées, que pensez-vous du CV anonyme ?

Mme la secrétaire d’État. Lorsque j’étais membre de la HALDE, nous avons débattu de cette question. Je conçois que le CV anonyme puisse être un outil, mais je n’y suis pas favorable à titre personnel car j’estime que c’est une forme de stigmatisation des personnes potentiellement victimes de discriminations.

Les réponses que nous apportons à ces débats de fond sont susceptibles de changer la face de notre pays. Ce n’est pas en mettant en place des politiques de quotas que l’on convaincra la communauté nationale d’accepter les gens de couleur différentes. Il ne faut pas imposer les choses. Notre projet républicain, auquel j’adhère entièrement, comporte des dysfonctionnements auxquels il faut remédier, mais en faisant évoluer les mentalités. C’est avec ceux qui montrent quelque frilosité à l’idée que je m’appelle Fadela  que je veux travailler ! Il faut, par notre action, aider toutes les catégories de population à adhérer au projet républicain. Lorsque l’intervention de Tsahal à Gaza a créé des tensions, les actes d’antisémitisme ont été condamnés. C’est ainsi que l’on affirme la nécessité de lutter contre toutes les discriminations. Je n’admettrai jamais que l’on crée des divisions et des tensions entre enfants d’ouvriers. Quand il est issu des mêmes quartiers, le petit Benoît a les mêmes difficultés que Mohammed ou Mamadou à trouver du travail ; il ne faut pas casser et démoraliser les gens en mettant en place des dispositifs spécifiques, même si cela part d’un sentiment généreux. En voulant régler des injustices, on en crée d’autres, d’autant plus déstabilisantes que nous sommes dans une crise économique majeure.

Montrons la réussite des personnes issues des quartiers, quelle que soit leur couleur de peau : c’est une manière de dire que tout est possible. Même moi, d’origine étrangère, sans diplôme, considérée en échec scolaire, j’ai la chance extraordinaire d’être membre du Gouvernement français. Une classe moyenne, issue de l’immigration, a émergé ; des enfants d’immigrés exercent des professions libérales, sont élus de la République. Certes trop peu sont députés ; l’Assemblée nationale devrait être plus représentative, mais là encore, cela ne dépend pas de mesures – la parité, dont je soutiens le principe, l’a démontré a contrario. Il faut que les mentalités évoluent, que les bonnes pratiques essaiment. Accompagnons cette dynamique, mais ne culpabilisons pas les gens ; quand on dit que dans toutes les entreprises on ne veut pas recruter des gens de couleur, ce n’est pas vrai.

Mme Monique Iborra. Je n’ai jamais dit que les écoles de la deuxième chance ne devaient pas nouer de partenariats avec les entreprises. A l’école de la deuxième chance du Mirail, nous disposons d’un réseau de 1 000 entreprises. Mais la maîtrise d’ouvrage ne doit pas être confiée aux chambres de commerce et d’industrie. En voulant créer des écoles par filières, vous risquez de promouvoir des métiers en déficit d’image ; cela ne fonctionnera pas, car vous ne pourrez pas contraindre un jeune à aller dans cette voie.

Mme la secrétaire d’État. Je parlais du financement.

M. le président-rapporteur Jacques Grosperrin. Merci pour la qualité et la franchise de vos réponses. Nous sommes très fiers de l’image que vous donnez de votre action.

La séance est levée à dix-huit heures quarante-cinq.

ANNEXE N° 4

COMPTE RENDU DE L’AUDITION DE M. YAZID SABEG, COMMISSAIRE À LA DIVERSITÉ ET À L’ÉGALITÉ DES CHANCES, PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES CULTURELLES, FAMILIALES ET SOCIALES

Mercredi 21 janvier 2009

La séance est ouverte à neuf heures trente, sous la co-présidence de M. Pierre Méhaignerie, président de la Commission, et de M. Patrick Ollier, président de la Commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire.

M. le président Pierre Méhaignerie. Je suis heureux d’accueillir M. Yazid Sabeg, commissaire à la diversité et à l’égalité des chances, et je suis heureux de pouvoir lui annoncer que le bureau de la Commission des affaires, culturelles, familiales et sociales a créé hier une mission d’information sur les écoles de la deuxième chance et l’accès à l’emploi. Cette mission, composée de deux membres de la majorité et de deux membres de l’opposition, remettra ses travaux rapidement. Le Parlement contribuera ainsi à la réflexion de M. Sabeg. La majorité a désigné M. Jacques Grosperrin, passionné par les écoles de la seconde chance, et M. Gérard Cherpion, qui s’est intéressé de près au contrat de transition professionnelle ; les groupes de l’opposition désigneront deux membres dans les tout prochains jours.

Monsieur Sabeg, la mission que vous a confiée le Président de la République a donné un espoir à tous ceux qui sortent du système éducatif sans formation, mais d’autres barrières existent. Certains jeunes considèrent être l’objet de discriminations et ne pas avoir les mêmes chances que leurs compatriotes car de multiples obstacles entravent leur accès à l’emploi. À cet égard, la mise au point d’un outil statistique permettant de cerner la réalité des discriminations serait, à mon sens, un élément de progrès.

M. Patrick Ollier, président de Commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire. Je remercie le président Pierre Méhaignerie d’avoir accepté la tenue de cette audition conjointe. La Commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire souhaite en effet contribuer elle aussi aux travaux confiés à M. Sabeg par le Président de la République. Je connais, Monsieur Sabeg, votre humanité, votre sens de la justice et de l’équité, votre goût du consensus et votre ardeur au travail, et je sais que vous veillerez à ce que l’on aboutisse vite.

Je tiens l’accès au logement comme le premier vecteur d’intégration sociale. Or une discrimination de fait empêche souvent la constitution d’une réelle mixité générationnelle et sociale. Vous qui présidez le comité d’évaluation et de suivi de l'Agence nationale pour la rénovation urbaine – l’ANRU – depuis 2004, quelles solutions souhaiteriez-vous voir mises en œuvre pour remédier à cette situation ? Comment votre action s’articulera-t-elle avec celles de la ministre du logement et de la secrétaire d’État chargée de la politique de la ville ?

On sait que l’accès à un premier emploi pose souvent problème aux jeunes gens issus de la diversité ; quelle est votre opinion sur le curriculum vitae anonyme, dont le Président de la République voudrait qu’il devienne un « réflexe » pour les employeurs ? Par quels moyens le remarquable chef d’entreprise que vous êtes imagine-t-il favoriser la création d’entreprises par ces jeunes ? Comment, enfin, comptez-vous collaborer avec la HALDE, à laquelle le Président de la République souhaite confier de nouvelles responsabilités ?

La Commission des affaires économiques, de l’environnement et du territoire qui vous souhaite un plein succès, souhaite nouer avec vous un partenariat étroit.

M. Yazid Sabeg, commissaire à la diversité et à l’égalité des chances. Je suis très heureux d'être entendu par vos deux commissions réunies. Le Président de la République a pris devant les Français des engagements forts en matière de promotion de l'égalité des chances et de la diversité ; il les a rappelés le 17 décembre dernier à l'École polytechnique et m'a nommé commissaire à la diversité et à l'égalité des chances. C'est une noble cause, conforme à l'idéal républicain. L'égalité des chances doit cesser d'être théorique ; nous devons préparer la France de demain, celle qui émergera de la crise actuelle, et saisir cette occasion pour accélérer les changements de notre société en tirant avantage de sa diversité.

Il me revient d'établir d'ici à la fin mars un programme d'action très détaillé. Je veux être un prescripteur de la rénovation de l'action publique en matière d'égalité des chances et de diversité. Je souhaite aussi que des résultats rapides et visibles traduisent la dynamique à l'œuvre. C'est pourquoi j'ai demandé à pouvoir conduire, chaque fois que nécessaire, des expérimentations ponctuelles pour tirer profit des nombreux succès constatés au plan local. Ces expérimentations démontreront, j’en suis sûr, que notre société peut affermir ses principes fondateurs, au bénéfice de tous. Des moyens de droit commun mais aussi des moyens spécifiques pourront être mobilisés au service des objectifs du programme, sans que les seconds ne se substituent aux premiers.

Mon programme portera sur tous les domaines dans lesquels, faute d'égalité des chances, nous nous sommes privés de la richesse que nous devrions tirer de notre diversité. Dans le contexte très particulier que nous connaissons, mes priorités porteront sur l’éducation, l'emploi et la formation professionnelle, le logement et enfin la promotion de la diversité et le suivi des progrès enregistrés.

La crise frappe durement notre pays, comme d’autres. Il n'est pas interdit d'espérer en sortir rapidement, sans doute à partir de 2010. A ce moment, notre pays sera confronté à un « papy-crack » qui précipitera 2,3 millions de personnes vers la retraite en moins de cinq ans. Prenons le cas des ingénieurs, ces soldats de la guerre économique. Chaque année, il en sort 42 000 de nos écoles, et ce nombre ne couvre pas les besoins. Or plus de 65 000 partiront bientôt chaque année à la retraite ; autant dire que nos besoins en formation ne sont même pas couverts à moitié. À l'autre extrémité du spectre, 25 à 30 % des jeunes sont exclus du système, dévalorisés, déqualifiés, victimes d'un chômage qui touche particulièrement ceux qui vivent dans les quartiers les moins favorisés.

Il nous faut prendre, d’urgence, des mesures correctrices mais il faut aussi le temps de les mettre en œuvre. En raison des départs massifs à la retraite, nous serons donc affectés par notre relatif manque d'anticipation, car il ne me semble pas acceptable de recourir, comme certains le suggèrent, à une main d'œuvre étrangère de 1,5 million de personnes alors que nous n'avons pas su donner les chances nécessaires aux enfants de ceux qui sont arrivés sur notre sol il y a quarante ou cinquante ans.

Notre système de formation initiale convient-il encore aux défis qui se posent à notre pays, aux besoins de nos entreprises ? En tant que citoyen, industriel et parent d’élève, j'exprime quelques doutes. Notre système éducatif est tout entier fondé sur un processus de sélection qui permet d'amener les meilleurs ou plutôt les plus forts en thème à l'École normale supérieure. Il est teinté d'encyclopédisme, ne fait la part belle ni au développement personnel des jeunes ni à celui de leurs qualités les plus marquées. Pourtant, le monde du travail a adopté des modèles fondés sur la spécialisation des individus.

Notre croissance économique ne pourra réaliser tout son potentiel que si nos entreprises trouvent demain les compétences et les idées qui leur sont nécessaires chez les jeunes en formation aujourd’hui à l’école, au collège, au lycée, à l’université. Il faut donc garantir la compensation des inégalités sociales ou culturelles en permettant aux enfants de développer leur potentiel au-delà de leurs seuls résultats scolaires, et ce le plus tôt possible au cours de la scolarité car, chacun le sait, tout se fige entre la dixième et la douzième année.

Je proposerai des solutions pour ouvrir les systèmes de formation de nos élites aux élèves issus des quartiers aujourd'hui en difficulté, par le soutien individualisé des lycéens, la simplification des filières du lycée, la modification des modes de sélection et de recrutement dans les grandes écoles, le doublement des promotions tant le besoin est criant, cela en partenariat avec la conférence des grandes écoles ou des universités.

S'agissant de l'emploi, de nombreuses propositions peuvent être faites pour améliorer la formation professionnelle. Ainsi faut-il travailler avec les partenaires sociaux, le service public de l’emploi et les régions sur les conditions et moyens d'activer massivement les contrats de professionnalisation, l’objectif devant être de passer de 170 000 contrats conclus en 2007 à 600 000 en 2012. Les entreprises doivent des contreparties à la collectivité - pourquoi ne pas les définir dans le cadre d'un pacte pour l'emploi des jeunes, grands perdants parmi les générations ?

Il faudra aussi profiter de la dynamique créée, favorable à tous les jeunes, pour réorienter fortement le dispositif vers les plus de 26 ans et les moins qualifiés, et jouer de tous les atouts de la personnalisation des formations. Il conviendra encore d’articuler la formation professionnelle et l'emploi en liant systématiquement l’amont – évaluations et actions pré-formatives – et l'aval – connaissance des emplois futurs, gestion prévisionnelle de l’emploi et des compétences (GPEC), suivi dans l'emploi ou encore tutorat. L'articulation devra aussi se faire avec l'ensemble des dispositifs existants, tels le programme « zones urbaines sensibles » (ZUS). Dans le même temps, conformément à la volonté du Président de la République, il faudra travailler, avec les mêmes partenaires, à faire monter en puissance des dispositifs de transition professionnelle, car les deux chantiers sont intriqués.

Je suis persuadé qu'un progrès considérable est possible si l’on rapproche le système de formation générale et celui de la formation professionnelle, aujourd’hui complètement déconnectés. Je pense notamment aux école de la deuxième chance et à la possibilité pour les professeurs d'exercer leurs talents dans les deux systèmes.

En matière de logement et de rénovation urbaine, vraiment beaucoup reste à faire, mais quelle cohérence voit-on à l'action publique ? L'approche actuelle, fondée sur six types de zonage différents, rend impossible toute vision synthétique et toute gestion des priorités. L'approche géographique est fondée mais elle doit être simplifiée, rationalisée et articulée avec la dotation de solidarité urbaine (DSU), en liaison avec les élus.

Je souhaite une meilleure synergie entre les moyens alloués à la rénovation urbaine et ceux consacrés à l'accompagnement des populations des quartiers défavorisés. Il ne suffit pas de rénover le bâti et l'environnement urbain, il faut aussi renforcer le lien social et soutenir l'égalité des chances. L'ouverture de crédits supplémentaires à l'ANRU est l'occasion de mieux faire prendre en compte l'impératif de diversité sociale pour reconstruire, hors zone, les immeubles démolis.

En liaison avec la ministre du logement, les collectivités locales concernées pourront mettre en œuvre rapidement les dispositions relatives à la mixité sociale et à la diversité des habitats de la loi de mobilisation pour le logement et de lutte contre l'exclusion. Le texte offre de nombreuses possibilités. Ainsi pourrait-on reconstruire les logements sociaux détruits à raison de deux tiers hors quartiers ; ce n'est ni le cas en Seine-Saint-Denis, où la proportion n’est que de 20 %, ni en Seine-et-Marne, où elle est de 18 % à peine.

A cette fin, diverses mesures réglementaires devront être appliquées : traiter toutes les nouvelles conventions ANRU au niveau intercommunal ; prévoir dans les programmes locaux de l’habitat (PLH) les secteurs de reconstitution à 1 pour 1 ; lancer des procédures de vente en état futur d’achèvement (VEFA) auprès des promoteurs pour aller vers la mixité sociale dans les programmes privés de construction ; mettre en œuvre les nouveaux schémas de cohérence territoriale prévus par la loi Grenelle II pour améliorer l'homogénéité sociale des quartiers et agir sur le désenclavement des ZUS.

En Île-de-France, où sont concentrées près du tiers des ZUS, il faudra prendre en compte les 155 ZUS dans le cadre du schéma directeur de l'Île-de-France, en particulier en y installant certaines gares du projet de rocade « Métrophérique ». Je suis revenu sur ce point hier, lors du comité interministériel sur la ville.

Enfin, l'affirmation de la diversité comme conséquence de l'égalité des chances exige de la promouvoir en tant que telle mais aussi d'en mesurer l'évolution. Je me propose donc de faire s’engager des entreprises pour la diversité, sur la base de l'accord conclu en 2007 entre les partenaires sociaux, mais aussi autour de propositions plus ambitieuses, telles que la mesure de la promotion active de la diversité et sa prise en compte au titre de la responsabilité sociale des entreprises. Je développerai le label « diversité », afin de donner un contenu plus incitatif, et au besoin normatif, à la charte sur la diversité dont je suis l'instigateur.

Le curriculum vitae anonyme est une bonne chose, mais ce n'est sans doute pas suffisant. La question de la diversité se pose avec acuité dans les médias, compte tenu de leur impact immédiat, et je ne pense pas que la loi de 2005 ait produit tous les effets escomptés. L’élaboration du futur statut de France-Télévisions devrait être l’occasion de durcir les exigences.

J’en viens, pour conclure, à l'observation des progrès par le recours à la statistique. L'organe administratif existe pour développer des activités en la matière : sans doute l'observatoire de la parité, dont les missions seraient élargies. Pour la statistique, il n'y a pas de problème de fond pourvu que nous puissions garantir la confidentialité des déclarations individuelles. Les conditions me semblent donc réunies pour passer à l'acte - car comment œuvrer pour la diversité et l'égalité des chances s'il est impossible d'évaluer les résultats de cette politique publique ?

M. le président Pierre Méhaignerie. Votre champ d’action est très vaste. S’il n’y avait dans votre rapport qu’un élément clé, quel serait-il ?

Mme Françoise de Panafieu.  Dans un article paru dans Le Figaro ce matin, vous faites part de votre volonté d’accroître la représentation politique des minorités visibles. Il est vrai que notre Assemblée, qui devrait être exemplaire en cette matière, ne l’est pas. Il semble que nous trouvions difficile de nous appliquer à nous-mêmes les lois que nous votons… Comment comptez-vous faire évoluer l’entreprise et le monde politique ? Le président Patrick Ollier a évoqué le curriculum vitae anonyme. En ma qualité de rapporteure du projet de loi de programmation pour la cohésion sociale présenté par M. Jean-Louis Borloo en 2004, j’ai porté cette idée, ce qui a conduit à un débat de fond. Certains, très réticents aux mesures de discrimination positive, rangeaient l’idée du CV anonyme dans cette catégorie. Pourtant, il s’agit aux États-Unis d’une disposition légale, et d’autres pays, y compris des pays européens, ont adopté cette mesure. Qu’en pensez-vous ?

M. Michel Ménard. Lorsque nous nous sommes rencontrés, il y a quelques semaines, à l’occasion de la réunion du comité de suivi de l’ANRU, vous nous avez dit qu’il manquait 1,5 milliard à l’agence pour lui permettre de mener à bien sa mission. Ce n’est pas, semble-t-il, l’avis de la secrétaire d’État chargée de la politique de la ville, selon laquelle les ressources disponibles sont suffisantes pour mettre en œuvre la rénovation des quartiers. Comment s’explique cette différence d’opinion ? Votre avis semble le plus proche de la réalité, puisque des maires reçoivent des courriers leur expliquant qu’on ne peut financer les projets qu’ils proposent, car il n’y a plus de moyens pour ce faire…

Comme vous, je pense qu’il faut reconstruire les logements sociaux hors des quartiers où il y en a déjà beaucoup. Mais de telles opérations ne peuvent se concevoir à l’échelon d’une commune. Que proposerez-vous pour garantir que chaque commune respecte l’article 55 de la loi « SRU » au lieu que certaines croient pouvoir s’exonérer de leurs obligations ? Comme l’a dit Mme de Panafieu, il y a des lois qui ne sont manifestement pas respectées. Dans le cas qui nous occupe, l’État doit se substituer aux maires récalcitrants, et les préfets imposer aux communes qui ne le font pas de respecter la loi.

S’agissant de l’école, j’aimerais connaître votre avis sur la suppression de la carte scolaire. Alors qu’elle nous avait été présentée comme un grand progrès, j’ai lu qu’elle conduisait à une ghettoïsation croissante, les enfants des familles les plus en difficulté demeurant dans leur quartier d’origine, les autres changeant d’établissement. Il ne me semble pas que cette évolution favorise l’égalité des chances à l’école. Or, vous l’avez dit, tout commence à l’école.

Mme Monique Iborra. Vous avez fait référence au contrat de professionnalisation comme possibilité d’intégration professionnelle. Soit, mais si l’entreprise décide de ne pas garder le jeune concerné, il se trouve sans emploi. En revanche, vous n’avez rien dit des contrats d’apprentissage, une voie difficile d’accès mais mieux adaptée à l’objectif recherché. D’autre part, on sait combien il est difficile d’accroître l’appétence de ces jeunes pour la formation ; vouloir les faire entrer dans un dispositif classique est donc voué à l’échec. Quant aux contrats d’autonomie, ils proposent certes un accompagnement, mais cet accompagnement, parce qu’il a été confié à des entreprises au lieu de l’être aux missions locales qui en ont pourtant la compétence, est inadapté. En bref, une série d’erreurs stratégiques a été commise, ce qui fait que l’on n’avance pas. Je ne dis pas que le problème trouvera une solution facile, mais les choix proposés me paraissent beaucoup trop classiques.

M. Daniel Goldberg.  La dernière fois que je vous ai entendu, c’était quelques heures avant que vous ne soyez nommé commissaire à la diversité et à l’égalité des chances. Qu’en sera-t-il aujourd’hui ? (Sourires). Votre exposé, impliquant comme il l’a fait l’ensemble des pouvoirs publics, embrassait en effet un champ d’action si vaste qu’il pourrait être celui d’un Premier ministre … Pourriez-vous préciser le cadre de votre travail ? En votre qualité de « commissaire », êtes-vous solidaire des décisions du Gouvernement ? Il faut, en effet, s’attaquer aux barrières qui continuent d’entraver la progression sociale et professionnelle de tant de jeunes de notre pays, remettre en marche « l’ascenseur social » et briser « le plafond de verre ». Mais avez-vous tranché le débat sur ce que signifie exactement la discrimination positive ?

Notre collègue Michel Ménard a rappelé l’article 55 de la loi SRU. Chacun a conscience que le problème du logement ne se réglera que lorsque toutes les communes respecteront la loi – or, nous ne savons pas quelles sont les intentions du Gouvernement à cet égard ni comment elles se traduiront dans la future loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion. Il serait pourtant nécessaire d’inciter les maires à ne pas se contenter des 20 % de logements sociaux prévus dans la loi, mais à porter cette proportion à 30 %. Le groupe socialiste, qui a déposé une proposition de loi sur l’égalité des chances, est prêt à s’en entretenir avec vous.

Mme Pascale Crozon.  Je confirme ce qu’a dit notre collègue Monique Iborra à propos de la carte scolaire : on assiste bel et bien à une ghettoïsation croissante, les meilleurs élèves quittant les établissements situés dans les quartiers en difficulté.

Comme le président Patrick Ollier, je m’interroge sur l’articulation de vos travaux avec ceux de Mme Fadela Amara. A vous entendre, il semble que vous allez vider de sa substance, s’il en a une, le secrétariat d’État chargé de la politique de la ville. De plus, les attributions de M. Martin Hirsch ont été élargies, puisqu’il est désormais aussi commissaire à la jeunesse, un public qui vous intéresse au premier chef. Comment tout cela va-t-il fonctionner ?

S’agissant du logement, je rappelle que le parc est, en grande majorité, privé. En ma qualité d’administratrice d’un office HLM, je puis dire qu’il n’y a pas de discrimination à l’accès dans les logements sociaux, sinon à la marge ; il en va autrement pour le parc privé. Il faut donc s’en préoccuper, car il y a là un gisement de logements inexploité. Or, sauf discrimination évidente, on laisse les propriétaires privés agir à leur guise. La mixité sociale passe aussi par le logement privé.

Enfin, j’ai cru comprendre que vous vous apprêtez à proposer la transformation de l’observatoire de la parité en observatoire de la parité et de la diversité. Mais ces deux notions n’ont rien à voir l’une avec l’autre !

Mme Catherine Vautrin.  Je tiens à vous dire ma satisfaction personnelle de vous voir remplir une si éminente fonction, car je sais votre engagement au sein de l’ANRU. Les programmes de l’agence commencent à sortir de terre mais la situation sociale des habitants des quartiers concernés ne s’est pas miraculeusement améliorée pour autant. Un immense travail reste à faire, et on doit s’interroger sur les moyens d’avancer.

En matière de formation, des dispositifs ont été mis en œuvre bien avant les contrats de transition professionnelle : ainsi des équipes de réussite éducative, mais aussi des internats, une mesure qui n’a pas fonctionné, ce qui est regrettable car il y a une forte demande des parents à ce sujet. Pourrez-vous vérifier la mise en œuvre de ces dispositifs et leur effet ?

S’agissant des liens avec les entreprises, où en est-on de l’accompagnement dans l’accès à l’emploi ? Chacun le sait, la difficulté est immense quand on ne parvient pas à trouver des stages. Votre expérience vous permet-elle d’envisager des hypothèses nouvelles ?

Un débat s’est engagé sur les relations entre parité et diversité ; les deux notions sont certes très différentes, mais elles sont aussi complémentaires. On ne peut se voiler la face : quand on est une femme habitant un quartier défavorisé et que l’on vient d’ailleurs, on se heurte à des difficultés parfois inextricables. Quelles solutions entrevoyez-vous ?

Mme Claude Greff.  Je suis ravie de vous rencontrer dans vos nouvelles fonctions. Je suis membre du Haut comité à l’intégration, et le Premier ministre m’a aussi confié une mission parlementaire sur la mobilité professionnelle et géographique. Vous pouvez compter sur mon entier soutien et je souhaite vous faire part de mes expériences.

Mme Christiane Taubira.  J’aimerais savoir ce que vous envisagez de mesurer : les personnes victimes de discrimination ou les actes de discrimination ? À mon sens, ce sont les actes discriminatoires qui doivent être mesurés, mais comment s’y prendre ? Envisagez-vous de faire évoluer la charte de la diversité, d’identifier les freins à l’intégration, de mesurer ce qui est fait pour fluidifier l’accès des exclus à certains postes, d’évaluer la politique des zones d’éducation prioritaire (ZEP), désormais vieille de vingt ans ? Envisagez-vous d’apprécier l’action menée par la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) et la politique de la ville ?

Vous vous ferez, nous avez-vous dit, « prescripteur d’actions publiques » : aurez-vous alors l’audace de faire des propositions de calendrier et de moyens ?

M. Gérard Cherpion.  Monsieur le commissaire, la mission qui vous a été confiée est très belle, difficile, et essentielle pour l’avenir de notre pays. Le point de départ, c’est la jeunesse. Tout se joue au cours de la première enfance et lors de la première scolarisation. Envisagez-vous un système éducatif qui ne serait plus fondé sur la sélection mais sur l’orientation dès l’école primaire ? Quand vient le moment d’articuler enseignement et emploi, ne pourrait-on faire davantage que ce qu’apportent les contrats de professionnalisation et d’apprentissage, en généralisant l’école de la deuxième chance ?

En matière de logement, j’appelle à la prudence. J’habite une petite ville qui compte des logements sociaux de qualité et je pense qu’il faut prendre garde, si l’on ne veut pas mettre en péril la mixité sociale actuelle, à ne pas exclure des logements sociaux certaines catégories de leurs habitants.

M. le président Pierre Méhaignerie. On constate, dans les quartiers défavorisés, soit une grande résignation, soit de la révolte, soit du fatalisme et parfois l’abandon de tout sens des responsabilités. Si l’on voulait provoquer un déclic, quelles mesures symboliques faudrait-il prendre ?

M. Yazid Sabeg. Je répondrai d’abord à M. Daniel Goldberg, qui m’a interrogé sur le cadre de mon action par rapport à l’action gouvernementale, puis j’évoquerai la synthèse, par le Président de la République, du débat public sur la manière de réaliser l’égalité en France : est-ce un processus spontané ou faut-il le forcer par la discrimination positive ?

Je n’ai pas souhaité entrer au Gouvernement. Cela m’a été proposé, mais je ne veux pas quitter mon entreprise. J’ai donc accepté une mission temporaire non rémunérée, à durée limitée. Je n’ai pas pour projet une carrière politique ; si c’était le cas, je l’aurais entreprise depuis longtemps. Je n’ai pas ce désir dans l’immédiat. M. Sarkozy veut aller très loin en matière de diversité et d’équité, il me l’a dit. Il a considéré que je pourrais porter un regard neuf sur ces questions, celui du chef d’entreprise. J’en accepte l’augure. Je ne suis plus que président du conseil d’administration de ma société, ce qui me permet de dégager le temps nécessaire pour cette mission. Elle correspond à un engagement très ancien de ma part puisque, Raymond Barre étant Premier ministre, je m’intéressais déjà au code de la nationalité. Il faut mettre fin à de faux débats. Beaucoup reste à faire pour renforcer l’équité et aussi pour faire comprendre à tous que la France a changé. Dans notre pays, 25 à 30 % des 18-25 ans sont désormais d’origine étrangère. C’est un phénomène nouveau que la France ne sait pas gérer. Le sujet m’intéresse depuis longtemps, et c’est pourquoi j’ai accepté la mission que le Président de la République a bien voulu me confier.

Le Gouvernement prend de multiples décisions relatives au logement, à l’éducation et à l’emploi. J’ai toujours eu une grande liberté de langage, j’ai l’esprit critique et je resterai critique. Je considère que ne pas s’être occupé des jeunes pendant des décennies est une erreur grave que nous paierons, comme celles de ne pas nous être attaqués aux discriminations et de ne pas avoir vérifié que les deniers publics étaient utilisés à bon escient, laissant notre système éducatif devenir inadapté aux besoins de l’économie.

Comme Mme Fadela Amara, je pense qu’il faut passer de l’espoir à l’action. Des ressources existent qui ne sont pas utilisées comme elles devraient l’être car l’État est extraordinairement désorganisé ; c’est parfois un « foutoir ». Je le dirai à la secrétaire d’État chargée de la politique de la ville. Le système éducatif a pour particularité d’exclure une partie de notre jeunesse de l’emploi et, dans le même temps, de ne fournir ni en nombre ni en qualité les compétences dont nos entreprises ont besoin. Le moins que l’on en puisse dire est qu’il y a là un vrai problème. Quant à la politique de la ville, c’est le seul outil dont nous disposons, mais comment peut-on obtenir des résultats tangibles alors que 2 300 quartiers sont concernés, qui sont classés en six types de zonage ? Cela ne peut pas fonctionner ! Il ne peut être question de rivalités entre individus ; il faut ouvrir les yeux et traiter ces sujets. À cet égard, je suis heureux d’apprendre que le parti socialiste a enfin une vision dans le domaine de l’égalité et de la parité.

M. Daniel Goldberg. Vous faites preuve d’un réel esprit d’ouverture !

M. Yazid Sabeg. Il y a une France conservatrice et une France du progrès. J’ai de nombreux amis socialistes mais je pense que le conservatisme est malheureusement aussi pesant à droite qu’à gauche. Je vous le dis en ma qualité de membre d’une minorité, cette question doit être dépolitisée.

Mme Christiane Taubira.  Au contraire, elle doit être repolitisée !

M. Yazid Sabeg. D’une certaine manière, c’est exact car si nous ne menons pas une action de fond, la situation s’aggravera encore ; c’est donc notre dernière chance. Il faut « désidéologiser » la question de la diversité et de l’égalité des chances, comme l’a dit le Président de la République lors de son discours à l’École Polytechnique. Il a très clairement affirmé vouloir conduire une politique sociale mais il veut pouvoir en mesurer les effets. Mon rôle est celui du démineur. Je suis chargé de définir comment on peut parvenir à cet objectif, dont je suis certain qu’il est le vôtre malgré tout.

M. Daniel Goldberg. « Malgré tout » est de trop !

M. Yazid Sabeg. Mme Françoise de Panafieu a évoqué la représentation politique des minorités visibles. Je pense que la lutte contre les discriminations demande une approche normative et qu’il faut donc pouvoir mesurer l’impact des politiques décidées. La question doit être débattue par les parlementaires puisque, actuellement, nous ne disposons d’aucun instrument permettant de quantifier la diversité. Cette question est fondamentale.

Le curriculum vitae anonyme n’est pas le seul instrument possible, mais c’est une des manières, pour les entreprises, de procéder à des recrutements non discriminatoires. Ce procédé est généralisé aux États-Unis – où il s’agit d’une obligation légale – au Canada et en Scandinavie et il a été mis en œuvre au Royaume-Uni. Qui recrute doit le faire en fonction des compétences et non du faciès ou du sexe. Il est donc très important de faire entrer dans les mœurs le CV anonyme selon des modalités simples qui ne représentent pas une contrainte pour les entreprises. C’est possible : des entreprises l’ont expérimenté. Ainsi, AXA, qui recrute notamment aux États-Unis, considère que l’obligation de recrutement à partir de CV anonymes a eu pour effet d’accroître le recrutement de femmes. Je suis convaincu que l’idée doit être creusée et je suis attaché à ce que l’on aille au terme des expérimentations menées pour pouvoir en proposer la généralisation à toutes les entreprises.

Mme Catherine Vautrin pense que parité et diversité sont étroitement imbriquées. L’observatoire de la parité a acquis une expérience notable ; utiliser cette expérience en faveur de la diversité serait une évolution de bon aloi. Cela éviterait aussi de créer une nouvelle structure. Je sais que des courants féministes cherchent à maintenir la singularité de l’observatoire de la parité mais je ne pense pas qu’étendre ainsi son champ d’action poserait problème.

Mme Pascale Crozon. Je ne suis pas de cet avis.

M. Yazid Sabeg. On a évoqué l’ANRU. La question est complexe. L’agence fonctionne parfaitement et commence à avoir des résultats. Seulement, les programmes décidés ne seront complètement réalisés que dans quinze ans et les conséquences sociales ne seront perceptibles que dans vingt ans. Étant donné la longueur de processus, et l’action menée par l’agence étant fondamentale, le premier objectif doit être qu’elle puisse agir à l’abri des vicissitudes politiques et budgétaires.

Il est évident que l’ANRU ne dispose pas de ressources suffisantes pour traiter tous les cas. Elle a traité 60 à 70 % des urgences, mais beaucoup reste à faire. Il est certain qu’un deuxième programme national de rénovation urbaine sera nécessaire. Le Gouvernement a pris la sage décision d’octroyer 350 millions d’euros de capacité d’engagement supplémentaire à l’ANRU, ce qui aura un effet de levier appréciable, mais ce ne sera pas suffisant. Pour faire face aux besoins, les subventions publiques supplémentaires devront être comprises entre 1,5 et 2 milliards d’euros.

S’agissant des modalités d’intervention et notamment des reconstructions « hors sites », une réunion pourrait être consacrée à ce seul sujet tant les problèmes sont nombreux. Dans tous les cas, l’État doit renforcer très sensiblement la coercition en conditionnant les concours de l’ANRU à l’application de la loi, et veiller à son application de plus près qu’il ne le fait actuellement. L’agence a pris conscience des risques de reconstitution des quartiers difficiles et elle oppose une résistance réelle aux élus pour ne pas recréer un ghetto sur l’ancien ghetto. Mais elle ne parviendra pas à ses fins sans les élus ni sans une certaine vision de l’intercommunalité. La décentralisation oblige à changer les règles et l’intercommunalité, notamment en Île-de-France, est l’un des enjeux de la rénovation urbaine. Par ailleurs, en Île-de-France particulièrement, la question du foncier est fondamentale ; puisque certains élus se comportent très mal, l’État doit avoir une politique de préemption beaucoup plus dynamique.

M. Daniel Goldberg. Le groupe socialiste déposera d’excellents amendements à ce sujet lors de l’examen de la loi à venir.

M. Yazid Sabeg. Sur l’école, il y a beaucoup à dire. La création des ZEP a été une idée généreuse, mais elle a échoué. Il aurait fallu doter les ZEP de moyens considérablement plus élevés et en faire des zones d’excellence prioritaire. Je suis contre la double peine. Autrement dit, je pense que l’on ne peut contraindre des parents qui habitent les quartiers défavorisés à envoyer leurs enfants dans une école qui ne fonctionne pas bien. Sait-on assez qu’il n’y a que 12 lycées pour 560 ZEP ?

M. Marcel Rogemont.  Alors, la solution doit être de supprimer la mauvaise offre pour tous !

M. Yazid Sabeg. Je suis d’accord avec vous, il faut modifier l’offre scolaire : si elle est de qualité, tous les enfants resteront.

M. Daniel Goldberg.  Mais quelle est votre opinion sur la carte scolaire ?

M. Yazid Sabeg. Pour moi, le problème n’est pas que les meilleurs s’en aillent mais que la mauvaise qualité de l’offre les pousse à partir.

Mme Pascale Crozon.  En réalité, le problème de fond est celui du logement. À force de constituer des ghettos en multipliant les logements sociaux dans certains quartiers, on a créé les problèmes que l’on sait. Quand un quartier compte de 74 à 80 % de logements sociaux, on ne peut s’étonner que des difficultés surgissent. Voilà qui nous ramène au projet de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion qui, en baissant le plafond de ressources autorisant l’accès aux logements sociaux, aura pour effet de désagréger davantage encore la mixité sociale.

M. Yazid Sabeg. Il faut, en effet, veiller au maintien de la mixité sociale et des mesures doit être prises au plus vite à cette fin. Comme l’a dit Mme Catherine Vautrin, la politique d’accompagnement doit être amplifiée car elle fonctionne bien. Au collège, le « busing » ne suffirait pas. Au lycée, il ne faut pas multiplier les filières mais les faire converger pour ne pas distinguer les jeunes qui suivent l’enseignement général et ceux qui vont en apprentissage. L’offre scolaire dans les quartiers défavorisés doit être transformée. Une réflexion doit être menée à ce sujet, à laquelle il faudra associer le corps enseignant, qui a sa part de responsabilité, et les parents. Je rappelle que la politique de réussite éducative engagée dans les quartiers défavorisés il y a vingt-cinq ans aux États-Unis – en mettant l’accent sur l’apprentissage de l’anglais, comme nous devrions le faire pour le français – a coûté cher mais qu’elle a donné de si bons résultats que des blancs parfois sont venus d’autres quartiers suivre cet enseignement de qualité. Ce fut le cas, notamment, à Austin, au Texas.

On peut agir, sans que cela demande beaucoup d’argent, pour offrir des conditions égales d’accès à l’éducation et à la formation.

S’agissant des contrats de professionnalisation, des politiques de droit commun doivent être mises en œuvre de manière impérative. Si l’on ne veut pas voir augmenter le chômage des jeunes dans des proportions considérables, il faut favoriser l’accès des jeunes à l’entreprise tout en leur permettant de se former. Plusieurs secteurs industriels vont demander des concours financiers à l’État ; en contrepartie, on devrait exiger qu’ils recrutent des jeunes. On pourrait leur demander de s’engager à ce que 5 % de leur effectif soient des stagiaires de la formation en alternance – les 3 % prévus par la loi de 2005 ne sont pas suffisants.

Je maintiens qu’il faut mesurer la discrimination. Quant à la HALDE, elle se disperse au lieu de se concentrer sur sa mission, qui est de réprimer les cas de discrimination avérés. À mon avis, la HALDE devrait travailler en collaboration plus étroite avec les magistrats. Ses procédures sont très lourdes ; pour ne pas décourager les victimes, mieux vaudrait donc traiter les problèmes au civil qu’au pénal. Un recentrage est nécessaire.

Mme Christiane Taubira. Et les actions symboliques évoquées par le Président Pierre Méhaignerie ?

M. Yazid Sabeg, commissaire à la diversité et à l’égalité des chances. Le président Pierre Méhaignerie m’a en effet interrogé sur ce que pourraient être les actions symboliques envisageables. Il en est plusieurs, dont certaines doivent être engagées très vite : que l’État s’ouvre à la diversité, que ses grands corps élargissent leur recrutement, que l’on mesure la diversité et les progrès de la lutte contre la discrimination – ce sont là autant de mesures sans conséquences budgétaires, qui ne risquent pas d’aggraver le déficit.

M. le président Pierre Méhaignerie. Je salue la passion et la conviction qui se sont exprimées par votre voix. Cette passion et cette conviction, le Parlement souhaite les accompagner. Ce sera, je vous l’ai dit, le rôle confié à quatre de nos collègues car notre Assemblée souhaite s’engager ; c’est une exigence de la jeunesse et un devoir pour nous. Monsieur Sabeg, je vous remercie.

La séance est levée à onze heures.

1 () Il s’agit d’un des indicateurs associés à la mission « Enseignement scolaire » du budget de l’Etat.

2 () Présentées notamment dans le rapport n° 9 du Conseil de l’emploi, des revenus et de la cohésion sociale (CERC) : « L’insertion des jeunes sans diplôme ».

3 () Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie, publication « Consommation- modes de vie », n° 218, février 2009.

4 () Les quelques 750 ZUS, peuplées de 4,65 millions d’habitants, ne constituant qu’un des multiples zonages de la politique de la ville : elles intègrent une centaine de zones franches urbaines (ZFU) et plus de 400 zones de redynamisation urbaine (ZRU), les unes et les autres bénéficiant de régimes d’incitation fiscale particulièrement attractifs ; elles représentent en revanche un champ moindre que les 2 400 quartiers couverts par les contrats urbaines de cohésion sociale (CUCS).

5 () Ces données proviennent d’analyses de l’ANLCI tirées de l’exploitation de l’enquête « vie quotidienne » de l’INSEE de 2004-2005. On rappelle qu’il ne faut pas confondre l’illettrisme, qui caractérise la situation de personnes qui ont été scolarisées, avec l’analphabétisme, qui s’applique à la situation des personnes qui n’ont jamais été scolarisées, non plus naturellement qu’avec la non-maîtrise du français pour des personnes d’origine étrangère. Les trois quarts des adultes en situation d’illettrisme parlaient exclusivement français dans leur enfance.

6 () Retracée dans « Populations et sociétés », n° 425, 2006.

7 () Cette opération a été réalisée par le Baromètre Adia-Observatoire des discriminations en 2006.

8 () DARES, Premières synthèses, n° 09-2, février 2009.

9 () Notamment par l’Institut Montaigne dans son rapport de janvier 2006 : « Ouvrir les grandes écoles à la diversité ».

10 () Notamment dans ses vœux aux forces vives de la Nation le 17 janvier 2008.

11 () Indépendamment des mesures par ailleurs annoncées, lors de leur audition par la mission dont le compte-rendu est annexé au présent rapport, par les membres du Gouvernement, MM. Xavier Darcos, Laurent Wauquiez et Martin Hirsch.

12 () Ordonnance n° 2005-883 du 2 août 2005 relative à la mise en place au sein des institutions de la défense d’un dispositif d’accompagnement à l’insertion sociale et professionnelle des jeunes en difficulté.

13 () « Défense 2ème chance, bilan et perspectives », janvier 2009, rapporté par Mme Françoise Geng.

14 () Le présent développement sur la loi « informatiques et libertés » est pour l’essentiel inspiré des travaux de la CNIL, en particulier le rapport de Mme Anne Debet préalable aux recommandations de la CNIL de mai 2007.

15 () Inséré suite à un amendement parlementaire défendu par les députés Michèle Tabarot et Sébastien Huyghe.

16 () DARES, Premières synthèses, décembre 2008, n° 51-4.

17 () DARES, Premières synthèses, août 2008, n° 35-1.

18 () « Les entreprises dans les zones franches urbaines : bilan et perspectives », rapporté par Mme Fatiha Benatsou, février 2009.

19 () DARES, Premières synthèses, novembre 2008, n° 47-3.

20 () Rapport d’information n° 402 (2004-2005) « Contrats de ville : rénover et simplifier » de M. Pierre André, fait au nom de la commission des affaires économiques, déposé le 15 juin 2005.

21 () Articles R. 5221-6 et R. 5221-7 du code du travail.

22 () Article R. 5221-22 du code du travail, issu à l’origine d’une initiative des députés Jean-Marie Rolland et Marc Bernier à l’occasion du projet de loi de programmation pour la cohésion sociale.

23 () « Connaissance de l’emploi », n° 47, octobre 2007.

24 () On rappelle qu’il existe déjà dans le code pénal 18 critères – il est vrai souvent redondants – sur lesquels traiter distinctement les personnes constitue une discrimination condamnable : l’origine, le sexe, la situation de famille, la grossesse, l’apparence physique, le patronyme, l’état de santé, le handicap, les caractéristiques génétiques, les mœurs, l’orientation sexuelle, l’âge, les opinions politiques, les activités syndicales, l’appartenance ou la non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée.


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