N° 3763 - Avis de M. Patrick Beaudouin sur la proposition de loi de M. Éric Ciotti visant à instaurer un service citoyen pour les mineurs délinquants (3707)



N° 3763

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

TREIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 27 septembre 2011.

AVIS

PRÉSENTÉ

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES,

sur la proposition de loi (N° 3707),
visant à instaurer un
service citoyen pour les mineurs délinquants,

PAR M. Patrick BEAUDOUIN,

Député.

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Voir les numéros :

Assemblée nationale : 3707, 3777

S O M M A I R E

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Pages

INTRODUCTION 5

I. — TRANSMETTRE SES VALEURS À LA JEUNESSE, UN DÉFI POUR NOTRE ARMÉE 7

A. L’ENCADREMENT MILITAIRE DES JEUNES : DES EXPÉRIENCES CONTRASTÉES 7

1. La nostalgie du service national 7

2. Le bilan mitigé de l’association « Jeunes en équipe de travail » 8

3. Le succès du service militaire adapté 9

B. « DÉFENSE DEUXIÈME CHANCE » : UN ENCADREMENT CIVIL, DES VALEURS MILITAIRES 10

1. Un dispositif original 10

2. Une montée en puissance réussie 12

II. —  FAIRE BÉNÉFICIER LES MINEURS DÉLINQUANTS D’UN SAVOIR-FAIRE RECONNU 15

A. DES MINEURS DÉLINQUANTS EN MANQUE DE REPÈRES 15

1. Le changement de visage de la jeunesse délinquante 15

2. Des réponses judiciaires plus adaptées à ces nouvelles caractéristiques 16

B. ACCUEILLIR LES MINEURS DÉLINQUANTS DANS LES EPIDE : UN CADRE STRUCTURANT POUR UN NOUVEAU DÉPART 16

1. Un nouvel outil à la disposition de la justice des mineurs 16

2. Réussir l’amalgame entre les délinquants et les volontaires 18

3. Assurer la pérennité des centres EPIDe 19

EXAMEN DE LA PROPOSITION DE LOI PAR LA COMMISSION 21

Article premier : Création d’une nouvelle mesure de composition pénale 31

Article 2 : Création d’une nouvelle mesure de placement suite à un ajournement du prononcé de la peine 33

Article 3 : Exécution d’un service citoyen dans le cadre d’une condamnation assortie d’un sursis avec mise à l’épreuve 34

Article 4 : Modalités d’exécution du service citoyen 36

Article 5 : Compensation financière 37

Titre de la proposition de loi 37

AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION 39

PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR 41

INTRODUCTION

La proposition de loi d’Éric Ciotti vise à compléter les solutions offertes à la justice en proposant, dans la lignée de son rapport sur l’exécution des peines remis au Président de la République le 7 juin 2011, l’instauration d’un service citoyen pour les mineurs délinquants.

Pour trouver des solutions pour des jeunes en manque de repères, proches d’une rupture irrémédiable avec la société, « il est parfois nécessaire de provoquer une rupture avec un environnement souvent enclin à accroître cette déviance et leur inculquer les notions qui leur font souvent défaut […] citoyenneté, respect de la règle collective et de l’autorité, sens de l’effort et récompense du mérite », comme l’indique l’exposé des motifs.

Le texte ne propose pas la création d’un nouveau type de centre pour accueillir la jeunesse délinquante mais s’appuie sur un dispositif qui fonctionne, « Défense deuxième chance », mis en œuvre par l’établissement public d’insertion de la défense (EPIDe).

Contrairement à ce que l’appellation pourrait suggérer, il ne s’agit pas de proposer aux jeunes un encadrement militaire. Cela ne fait pas partie des compétences de l’armée et les expériences de ce type se sont souvent avérées décevantes.

Ces établissements, civils, disposent d’un encadrement composé pour moitié d’anciens militaires. Chargés plus spécifiquement de la formation civique et comportementale, ils apportent un savoir-faire en matière de cohésion, d’esprit de groupe, d’apprentissage de la confiance en soi et de la confiance en les autres qui constituent les fondamentaux de la vie militaire.

La proposition de loi veut proposer ce socle de la vie de nos armées à la jeunesse délinquante. Elle institue ainsi une réponse nouvelle et adaptée au besoin de repères des mineurs délinquants en complétant le panel des outils à la disposition de la justice des mineurs. Il faudra veiller à ce que l’arrivée de ce nouveau public ne fragilise pas le fonctionnement de centres EPIDe, dont la vocation première est d’accueillir des jeunes qui ont effectué une démarche volontaire, et ne les empêche de continuer à grandir, pour répondre aux nombreuses demandes d’inscription non satisfaites.

Depuis sa suspension en 1996, le service militaire suscite chez nombre de nos concitoyens la nostalgie d’une époque où la République faisait connaître à ses enfants non seulement des droits, mais aussi des devoirs. Comme l’écrit Luc Ferry dans son rapport sur le service civique (1) « Brassage social, creuset républicain, autorité, discipline, instruction civique… Ces mots résonnent encore comme des éléments forts d’un passé tout proche dans le temps, mais désormais fort éloigné dans les mœurs autant que dans l’esprit. » S’il faut rappeler qu’avec la généralisation des dispenses et des sursis, 50 % seulement d’une classe d’âge masculine effectuait un service réellement militaire à la fin des années quatre-vingt (2), on ne peut nier les effets bénéfiques qu’apportait le service national à nombre de jeunes en difficulté, marginalisés et en rupture avec le système. Pour ces jeunes en manque de repères, il était l’occasion de se reconstruire et pouvait leur offrir de nouvelles perspectives d’avenir.

La suspension du service national a donc incontestablement supprimé cette seconde chance que pouvait représenter la conscription pour certains jeunes en difficulté. Il est en outre devenu difficile, pour une armée professionnelle, plus technique et au format réduit, d’assumer ce rôle auprès de la jeunesse de notre pays. Cette mission ne constitue pas son cœur de métier, d’autant plus qu’elle est actuellement très fortement sollicitée sur de nombreux théâtres d’opérations extérieures. Le rapporteur tient à insister sur ce point : nos armées n’ont plus vocation à endosser un rôle d’éducateur ou de redresseur de torts pour pallier les défaillances du système éducatif et de la famille. Cette caricature de la discipline militaire peut au final nuire à son image auprès de la population, et notamment des jeunes qui souhaiteraient rejoindre ses rangs. Séduits par l’aventure et la diversité des missions qui leur sont proposées, les jeunes qui s’engagent n’ont aucune envie de jouer les éducateurs sociaux.

Les armées restent néanmoins riches de cette expérience passée, et de ce lien particulier qu’elles avaient su tisser avec la jeunesse du temps du service national. Il est donc souhaitable qu’elles mettent à profit ce savoir-faire particulier. Mais ceci doit être fait dans le cadre de dispositifs prenant pleinement en compte la dimension désormais professionnelle de nos armées et la spécificité des publics concernés par ces dispositifs.

L’expérience de l’association « Jeunes en équipe de travail » (JET), qui a tourné court en 2004, illustre les difficultés pour l’armée, d’instituer un dispositif adapté à la jeunesse délinquante. Mis en place en 1986, il avait été pensé pour des jeunes délinquants, public très spécifique qui, en plus de connaître des difficultés d’insertion sociale et professionnelle, est également confronté à des problèmes d’ordre judiciaire. Les jeunes qui étaient pris en charge par l’association JET venaient en effet d’être condamnés ou de sortir de prison.

Créée par l’amiral Christian Brac de La Perrière, à l’initiative d’Albin Chalandon, garde des Sceaux et d’André Giraud, ministre de la défense, l’association JET proposait à ces jeunes délinquants, de nationalité française ou étrangère en situation régulière, des stages de rupture de quatre mois dans un des centres gérés et administrés par l’association. Ces stages pouvaient être proposés par le juge d’application des peines ou par le juge pour enfant, et visaient à permettre à ces jeunes délinquants de préparer leur réinsertion sociale et professionnelle. Les jeunes étaient internes dans l’un des centres JET et encadrés 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7. La formation dispensée devait leur faire acquérir les règles de la vie en collectivité et préparer leur réinsertion, notamment professionnelle, à la sortie du centre.

L’encadrement des jeunes délinquants était assuré par des militaires d’active volontaires, mis à disposition par les armées ou la gendarmerie. Les jeunes répartis en équipe, de quatre personnes, pour les mineurs, et de huit personnes pour les majeurs, étaient encadrés en permanence par un sous-officier et secondés par des éducateurs recrutés sous contrat par l’association JET. Chaque centre était dirigé par un officier en retraite du grade de colonel ou de lieutenant-colonel, rémunéré par l’association elle-même.

Le ministère de la défense était en charge d’une part importante de l’encadrement des centres et participait également au fonctionnement de l’association en mettant notamment à sa disposition des bureaux, des véhicules, du matériel informatique et des tenues pour les jeunes internes des centres.

Dès sa création, ce dispositif a fait l’objet de plusieurs critiques, liées notamment à son coût. La professionnalisation des armées, en resserrant leurs effectifs et en les poussant à se recentrer sur leur cœur de métier, n’a fait que les renforcer. La durée de prise en charge – quatre mois – était également jugée trop courte pour être réellement efficace. Enfin, pour beaucoup, le financement aurait dû être à la charge du ministère de la justice et non du ministère de la défense, puisqu’il s’inscrivait dans le cadre d’une sanction pénale. C’est d’ailleurs un problème statutaire concernant la mise à disposition du personnel militaire, qui ne reposait sur aucun fondement légal, qui a conduit à la disparition du dispositif en 2004 (3).

Ses résultats modestes ne militaient pas en sa faveur. En effet, en 2003, l’association estimait que près d’un tiers des détenus majeurs ne terminaient pas le stage en raison, soit de mauvais comportements ayant entraîné une exclusion définitive du centre, soit de leur évasion, soit d’une libération anticipée. Deux ans après la fin du stage, l’association tentait de reprendre contact avec les anciens stagiaires étant allés au bout du processus des quatre mois de stage : 20 % d’entre eux étaient de nouveau incarcérés, 45 % à 55 % semblaient réinsérés et 35 % à 45 % n’avaient pu être contactés. S’agissant de mineurs, il semblait selon l’association JET que 40 % parvenaient à se réinsérer (4). Ces chiffres démontrent surtout combien il est difficile d’accompagner ce type de population, très hétérogène, vers une réinsertion sociale et professionnelle.

La suspension du service national n’a pas été générale puisque les territoires ultramarins en ont maintenu une forme originale avec le service militaire adapté (SMA). Créé en 1961 par Michel Debré, Premier ministre, dans trois départements d’outre-mer (Guadeloupe, Martinique et Guyane), il a pour mission d’éduquer, de former, d’insérer, d’intervenir et de développer.

L’article premier de l’arrêté du 30 septembre 1991 portant mission et organisation du SMA indique qu’il s’agit d’une « forme du service militaire » ayant pour but « de dispenser aux appelés la formation militaire, civique et morale nécessaire à tout combattant ». Il vise également à préparer les volontaires à une meilleure insertion sociale en leur proposant une formation professionnelle adaptée. Il cherche enfin à les « faire participer à la mise en valeur des départements, des territoires et des collectivités territoriales d’outre-mer, ainsi qu’à l’exécution des plans de défense, des plans de protection, des plans de secours et des plans d’aides au service public ».

Depuis 1997, ce sont près de 3 000 volontaires par an qui ont suivi cette formation originale. Même si l’enjeu économique et professionnel a largement pris le dessus, l’aspect militaire et citoyen demeure. Il s’agit en effet d’un facteur déterminant dans le processus de resocialisation et d’apprentissage des règles de la vie en société. Dans son rapport d’information, Françoise Branget considérait que le succès de ce dispositif tient en grande partie « au statut militaire de l’encadrement [… ,] indissociable de l’apprentissage d’un comportement nouveau », les militaires disposant d’extraordinaires « qualités de meneurs d’hommes » et d’une rare « capacité à motiver » (5).

Il apparaît en effet que la socialisation et la cohésion sociale passent par une affirmation individuelle et constante de l’attachement au pacte républicain. Or, cet engagement est impossible, voire difficile pour des jeunes en voie de marginalisation, sans emploi et sans qualification. Grâce à l’intégration professionnelle proposée par le SMA, ces jeunes réussissent au final et durablement leur intégration citoyenne.

Fort de cette expérience, le ministère de la défense, en association avec les ministères sociaux, a décidé de développer en métropole un dispositif inspiré du SMA avec les centres « Défense deuxième chance ».

Le dispositif « Défense deuxième chance » a été mis en place en 2005 pour venir en aide à ces jeunes en difficulté qui se trouvent marginalisés ou sont en passe de le devenir. En 2010, 80 464 des 725 347 jeunes présents pour la Journée défense et citoyenneté (JDC), soit plus de 10 % d’une classe d’âge, avaient des problèmes pour la lecture et l’écriture (6). Ces difficultés scolaires s’accompagnent souvent d’une détresse sociale et professionnelle. « Défense deuxième chance » a été conçu pour donner à une jeunesse en rupture avec le système éducatif, son milieu familial et plus généralement la société dans son ensemble, les moyens de se réinsérer pleinement.

C’est l’établissement public d’insertion de la défense (EPIDe) qui est chargé de piloter le dispositif. Établissement public administratif créé par l’ordonnance du 2 août 2005, il est placé sous la triple tutelle des ministères chargés de la défense, de l’emploi et de la ville. Son budget de fonctionnement s’établissait à 83,4 millions d’euros pour 2010, dont 48,5 millions provenaient du ministère de l’emploi, 25 millions du ministère de la ville et 9,6 millions du fonds social européen. Le ministère de la défense a offert, à la création de l’établissement, de nombreux terrains et bâtiments, et continue à fournir régulièrement du matériel. Il existe désormais vingt centres EPIDe répartis sur l’ensemble du territoire métropolitain, offrant 2 250 places.

Répartition géographique
des centres EPIDe en 2011

Source : dossier de presse EPIDe du 6 avril 2011.

La mission de l’EPIDe consiste à assurer l’insertion sociale et professionnelle de jeunes adultes volontaires de 18 à 25 ans révolus (7). Le principe du volontariat des jeunes est au cœur de ce dispositif. C’est eux qui choisissent de signer un contrat d’insertion, dont la durée initiale est de huit mois renouvelable, pour une durée maximale de deux ans. Dans les faits, la durée de la formation pour 80 % des jeunes atteint les douze mois (8), durée qui semble être la plus pertinente pour parvenir à des résultats tangibles auprès de ce public fragile. Ce contrat n’est pas assimilable à un contrat de travail, c’est un contrat de droit public par lequel les jeunes s’engagent à suivre une formation globale, visant à leur faire acquérir les fondamentaux scolaires, ainsi qu’à leur apprendre le respect d’autrui et les règles élémentaires de la vie en collectivité. Ils reçoivent également une préformation professionnelle, qui leur donne les moyens de continuer par la suite leur apprentissage dans une filière classique ou leur permet d’intégrer directement le monde du travail.

Au sein des centres EPIDe les jeunes volontaires sont des civils, ils sont internes et disposent d’une protection sociale. Ils perçoivent également une allocation de 300 euros par mois dont une partie est capitalisée et leur est versée en fin de parcours. Ce dispositif n’est donc pas à proprement parler un encadrement militaire des jeunes en difficulté à l’inverse du SMA. Il s’inspire néanmoins des valeurs de l’armée et de ses compétences en matière d’intégration sociale et professionnelle mais l’encadrement est civil. Ce positionnement est justifié par le fait qu’il était nécessaire d’associer au maximum le dispositif piloté par l’EPIDe au monde civil et plus particulièrement à celui de l’entreprise, au regard de l’hétérogénéité de la population volontaire accueillie dans les centres et du contexte social et économique en métropole.

L’armée n’est présente dans ce dispositif qu’en raison de la complémentarité de son savoir-faire en matière d’intégration des jeunes. Cette présence se traduit notamment par des références aux valeurs militaires que sont le respect d’autrui, de la hiérarchie et le goût de l’effort collectif. Les jeunes volontaires portent un uniforme, mais c’est un uniforme non-militaire, qui vise à éliminer toute discrimination sociale. Enfin le personnel pédagogique et d’encadrement (9) se compose pour une part seulement d’anciens militaires, qui assurent par leur présence continue une remise à niveau scolaire et une formation civique et comportementale des jeunes internes. Il est important de souligner la diversité de l’encadrement des centres EPIDe, qui compte également dans ses rangs des enseignants de l’Éducation nationale mais aussi des éducateurs spécialisés, ainsi que des accompagnants en charge de l’insertion professionnelle des jeunes.

Dans son rapport public annuel pour l’année 2011, la Cour des comptes relève les difficultés que l’EPIDe a connues dans un premier temps, pointant certains dysfonctionnements de gestion et de gouvernance (10). En effet l’établissement public a eu du mal à s’adapter à la montée en puissance très rapide qui lui avait été initialement demandée par les pouvoirs publics. À la suite d’un référé de la Cour des comptes en 2008, ces faiblesses de gestion ont été progressivement corrigées. Les derniers chiffres mis en avant par l’EPIDe sont là pour le prouver et démontrent la pertinence de ce type d’action auprès de la jeunesse en difficulté. En 2010, les résultats consolidés et cumulés de l’établissement pour l’ensemble des promotions ayant 12 mois d’ancienneté portent sur un effectif de référence de 2 370 volontaires, dont 2 258 effectivement sortis des centres.

RÉsultats de lEPIDe en terme dinsertion des jeunes volontaires

Effectif de référence

Effectif toujours présent

Effectif sorti des centres

Sorties positives

Sorties négatives

Départs prématurés (excl./ dém.)

2 370

116

2 258

     
   

100 %

49 %

8,6 %

34 %

Source : dossier de presse de l’EPIDe en date du 6 avril 2011.

Le taux de sorties positives indique le pourcentage de jeunes qui réussissent leur entrée dans la vie active avec un contrat de travail ou la poursuite d’une formation qualifiante. Ce taux de 49 % s’élève à plus de 80 % si l’on ne prend en compte que les jeunes étant allés au bout de la formation, en excluant les démissions et les exclusions.

Le dispositif « Défense deuxième chance », qui a su dépasser ses premières faiblesses en terme de gestion et de gouvernance, monte désormais en puissance et porte peu à peu ses fruits auprès de la jeunesse en difficulté. Il continue de se déployer sur l’ensemble du territoire, l’EPIDe prévoyant notamment l’ouverture prochaine de nouveaux centres à Lyon-Meyzieu, à Toulouse ou à Sarcelles, ce qui se traduira par une augmentation du nombre de places offertes aux jeunes volontaires et assurera un meilleur maillage du territoire.

Il faut également souligner la très nette réduction du coût unitaire du parcours des jeunes volontaires accueillis dans les centres : celui-ci est passé de 45 000 euros en 2008 à 32 000 euros par an en 2010. Ce chiffre, certes encore important, ne peut être comparé à celui des dispositifs traditionnels d’insertion sociale et professionnelle, car le parcours EPIDe inclut une pédagogie exigeant un taux d’encadrement très élevé – avec un encadrant pour deux jeunes – et assure un accueil des volontaires en internat. La formule porte donc ses fruits : les jeunes en difficulté, volontaires, qui passent par un des centres EPIDe, ont de réelles chances de se réinsérer socialement et de réussir leur projet professionnel. Le dispositif EPIDe a su combiner avec succès une méthode pédagogique inspirée de la culture militaire, une formation comportementale adaptée, et une remise à niveau scolaire ainsi qu’une formation professionnelle, assurant à cette population en souffrance une opportunité de se réintégrer au sein de la société.

La délinquance juvénile a changé de visage depuis la promulgation de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante. Si la nette croissance de la délinquance, à partir des années soixante, a constitué une rupture dans tous les pays occidentaux, l’analyse de la délinquance juvénile permet de dégager quelques spécificités.

La courbe de la délinquance augmente au début de l’adolescence et atteint son sommet vers 18-19 ans. En outre, plusieurs études ont souligné qu’une entrée précoce dans la délinquance favorisait l’aggravation et la répétition des actes commis plus tard.

Une minorité de jeunes est auteur d’une majorité d’actes : un petit nombre d’auteurs d’actes répétés, autour de 5 % d’une tranche d’âge, commet près de la moitié des actes de délinquance de l’ensemble de cette tranche d’âge.

Surtout, on peut souligner que les effets d’entraînement, par les « groupes de pairs », ont un impact très important sur la délinquance juvénile. Selon le rapport 2009 de l’Observatoire national de la délinquance, on considère comme membre d’une bande délinquante celui qui a un groupe d’amis qui existe depuis plus de trois mois, tolérant et commettant des délits ou des « choses illégales » (11), passant beaucoup de temps dans l’espace public. Les délits et incivilités commis par des jeunes en réunion le sont très majoritairement au sein de groupes de pairs qui ne relèvent pas d’une organisation permanente et structurée spécifiquement en vue de la réalisation de crimes ou de délits, à l’inverse des « gangs » américains, par exemple. Néanmoins, de nombreuses études ont démontré qu’au sein de ces groupes s’opère une socialisation, une valorisation, la construction de codes et de repères spécifiques, une forme de « patriotisme de cité » comme l’écrit Éric Ciotti dans l’exposé des motifs de sa proposition de loi.

Cette dimension sociale est à prendre à compte dans les réponses à apporter à la délinquance juvénile car cette socialisation se situe souvent en décalage avec les valeurs conventionnelles et les normes socialement acceptées. Elle témoigne d’une défaillance des rôles respectifs de la famille et de l’école dans l’éducation des enfants.

Les pouvoirs publics ont mis à la disposition de la justice des mineurs des outils à même de répondre à ce besoin de resocialisation des mineurs.

La loi d’orientation et de programmation pour la justice du 9 septembre 2002 a ainsi créé les centres éducatifs fermés. Ils se caractérisent par l’action éducative renforcée qui y est conduite, notamment dans sa dimension de socialisation des mineurs.

Dans le même esprit, les centres éducatifs renforcés ont vocation à prendre en charge des mineurs délinquants multirécidivistes en grande difficulté ou en voie de marginalisation ayant souvent derrière eux un passé institutionnel déjà lourd. Ils se caractérisent par des programmes d’activités intensifs pendant des sessions de trois à six mois selon les projets et un encadrement éducatif permanent. Ils visent à créer une rupture dans les conditions de vie du mineur et à préparer les conditions de sa réinsertion.

De nombreuses sanctions éducatives ont également été créées : l’exécution d’une mesure d’aide ou de réparation, ainsi que l’obligation de suivre un stage de formation civique ayant pour objet de rappeler au mineur les obligations résultant de la loi, par la loi du 9 septembre 2002 précitée ; l’exécution de travaux scolaires ou le placement dans un établissement scolaire doté d’un internat pour une durée correspondant à une année scolaire, par la loi du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance ; enfin, une interdiction pour le mineur d’aller et venir sur la voie publique entre vingt-trois heures et six heures sans être accompagné de l’un de ses parents ou du titulaire de l’autorité parentale, par la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure du 14 mars 2011.

Dans un souci de diversifier la réponse pénale apportée à la délinquance juvénile, la proposition de loi ajoute au catalogue de mesures actuellement proposées dans le cadre d’une composition pénale, d’un ajournement de peine ou d’un sursis avec mise à l’épreuve, une nouvelle possibilité, le séjour en EPIDe, à travers la création d’un « service citoyen ».

Le rapporteur est réservé quant à l’usage de ces termes de « service citoyen ». Dans son esprit, un service est avant tout une charge que l’on se fixe comme un devoir en dehors de toute obligation sociale ou professionnelle. La décision de servir est donc une obligation morale qui résulte d’une décision personnelle. Le terme de « service » devrait être, en conséquence, réservé aux jeunes qui font une démarche volontaire. Il ne faudrait pas en outre entraîner une confusion avec le service civique institué par la loi n° 2010-241 du 10 mars 2010. L’appellation « contrat d’éducation citoyenne » semblerait plus adaptée au contenu et aux objectifs du dispositif proposé.

L’article premier de la proposition de loi prévoit l’exécution du service citoyen dans le cadre d’une mesure de composition pénale. La composition pénale est une procédure qui permet au procureur de la République de proposer au mineur qui a commis un délit puni d’une peine d’emprisonnement inférieure ou égale à cinq ans d’exécuter certaines mesures. Si le mineur accepte, après validation du juge des enfants, l’exécution de cette mesure de composition pénale a pour effet d’éteindre l’action publique. Les mesures actuellement proposées dans ce cadre peuvent être une amende mais aussi l’accomplissement d’un travail au profit de la collectivité, un stage ou une formation dans un organisme sanitaire ou social, ou encore des activités d’insertion professionnelle ou de mise à niveau scolaire.

L’article 2 prévoit l’accomplissement du service en EPIDe dans le cadre d’un ajournement de peine. Une juridiction pénale pour mineurs peut ainsi, après avoir constaté que le mineur était coupable d’avoir commis les faits qui lui étaient reprochés, ajourner la peine pour une durée maximale de six mois. Cet ajournement peut être décidé si le reclassement du coupable est en voie d’être acquis, le dommage causé en voie d’être réparé et le trouble résultant de l’infraction en voie de cesser. Cette décision d’ajournement peut également être prise si les perspectives d’évolution de la personnalité du mineur le justifient.

L’article 3 prévoit enfin l’exécution du service citoyen dans le cadre d’un sursis avec mise à l’épreuve. Actuellement, les juridictions pour mineurs peuvent imposer à mineur un placement dans certains types de foyer ou le placement dans un centre éducatif fermé. Comme pour toutes les obligations d’une mise à l’épreuve, le non-respect de l’obligation d’accomplir le contrat de service pourra entraîner la révocation du sursis et l’exécution d’une peine d’emprisonnement.

Les modalités d’exécution du contrat sont précisées à l’article 4. Elles sont presque identiques à celles qui s’appliquent aux volontaires actuellement accueillis dans les EPIDe : régime de l’internat, allocation mensuelle de 210 euros et prime de 90 euros, capitalisée et remise en fin de parcours.

La différence la plus notable réside dans la durée du séjour des mineurs délinquants : quatre à six mois, contre six à vingt-quatre mois pour les volontaires, la durée moyenne du séjour se situant autour de dix-douze mois. Le rapporteur estime que cette durée de séjour est insuffisante pour permettre aux mineurs d’entreprendre une véritable démarche d’insertion. Les deux premiers mois en EPIDe sont en effet consacrés à l’acclimatation du jeune à son nouvel environnement et à l’apprentissage de règles et horaires qui peuvent représenter une véritable révolution culturelle par rapport à ses habitudes de vie. Ce n’est qu’au terme de ces deux mois que les jeunes entreprennent, avec l’appui des équipes de l’établissement, la mise en œuvre d’un projet professionnel. Quitter l’EPIDe au bout de quatre mois ne leur permettrait donc pas de tirer pleinement profit de la démarche entreprise.

Il est expressément prévu que le mineur délinquant signe un contrat qui vise à lui faire comprendre qu’il prend un engagement auprès de l’établissement public d’insertion de la défense, lui donnant droits et obligations.

En l’ouvrant à de nouveaux publics, la proposition de loi reconnaît le savoir-faire de l’établissement public d’insertion de la défense dans l’encadrement des jeunes en voie de marginalisation sociale. Cela est assez rare pour être souligné, ce texte ne propose donc pas de créer une énième structure nouvelle mais s’appuie, au contraire, sur ce qui existe et fonctionne déjà. L’expérience acquise par les centres EPIDe pourra ainsi être mise à profit immédiatement. Le directeur de la protection judiciaire de la jeunesse, Jean-Louis Daumas, a indiqué au rapporteur que leur savoir-faire en matière de formation comportementale et civique était unique et parfaitement adapté à la jeunesse délinquante.

La sociologie des mineurs délinquants envoyés dans les centres EPIDe dans les cas de figure prévus par la proposition de loi ne devrait en effet pas être très éloignée de celle des volontaires déjà accueillis. L’apprentissage de la vie en communauté, du respect des règles et des horaires et de l’esprit de cohésion leur sera très bénéfique.

Si l’arrivée de ce nouveau public nécessitera naturellement l’adaptation de certaines règles de fonctionnement, il ne doit cependant pas remettre en cause les principes à l’origine du succès de l’EPIDe.

Il repose en effet sur l’amalgame réussi entre des jeunes aux origines et aux parcours très divers, engagés ensemble dans une démarche volontaire d’insertion. L’expérience des plus âgés permet généralement de canaliser les plus jeunes et de créer une véritable dynamique de groupe, sur laquelle il convient de s’appuyer.

Les mineurs délinquants devront donc trouver leur place aux côtés de ceux qui ont effectué une démarche volontaire. C’est pourquoi il faudra veiller à ce qu’ils restent numériquement minoritaires au sein des centres qui les accueilleront afin de bénéficier de la dynamique positive initiée par les volontaires. Le directeur général de l’EPIDe, Thierry Berlizot, a évoqué, au cours des entretiens qu’il a eus avec le rapporteur, une proportion d’un quart de délinquants et de trois quarts de volontaires. Même s’il n’a pas vocation à être gravé dans le marbre, il s’agit là probablement d’un équilibre raisonnable, à même de préserver la démarche d’insertion à l’œuvre dans les différents centres.

Si le rapporteur estime qu’il serait contraire à la philosophie de l’EPIDe de créer des centres réservés aux mineurs délinquants, rien ne s’opposerait en revanche à la création de centres dédiés aux seuls mineurs, volontaires et délinquants. La présence de mineurs, dont la plupart éprouvent plus de difficultés que leurs aînés à s’inscrire dans une démarche durable d’insertion, nécessite en effet un encadrement et des modes de fonctionnement sensiblement différents de la part de l’EPIDe. En tout état cause, les délinquants devraient rester minoritaires au sein de ces structures.

Alors que les volontaires retournent à leur domicile en fin de semaine, il pourrait également être profitable que les mineurs délinquants restent dans leur centre de façon continue, au moins les premières semaines. Cela permettrait de favoriser la rupture avec leur environnement habituel et les aiderait à s’acclimater plus vite à leur nouveau mode de vie. Dans le souci de couper rapidement avec leur environnement, on pourrait aussi envisager que les délinquants effectuent leur séjour dans un EPIDe éloigné de leur lieu de résidence.

Le principal défi à relever par l’établissement public d’insertion de la défense sera donc de repenser une partie de son fonctionnement tout en veillant à préserver la philosophie qui est la sienne. L’objet de la proposition de loi n’est en effet pas de transformer les EPIDe en « centres éducatifs fermés bis ».

Déjà soumis à un nombre croissant de demandes d’accueil non satisfaites, l’EPIDe ne doit pas être fragilisé par l’accueil de mineurs délinquants.

Le nombre de jeunes délinquants potentiellement concernés – un peu plus de 8 000 mineurs ont fait l’objet en 2010 de mesures de composition pénale, d’ajournement de peine ou de sursis avec mise à l’épreuve – excède largement les capacités d’accueil des centres, 2 250 places. Il ne faudrait pas que l’EPIDe se détourne de sa vocation initiale, l’accueil de volontaires, et que, par un effet d’éviction, les mineurs délinquants prennent leur place.

C’est pourquoi le rapporteur tient à ce que le financement de cette proposition de loi soit assuré par un abondement au budget de l’EPIDe de la part des ministères concernés : la justice, la ville, l’emploi mais aussi, pourquoi pas, s’agissant de mineurs suivant une remise à niveau scolaire, de l’éducation nationale. La défense, par les bâtiments et le matériel mis à disposition, contribue déjà largement au dispositif.

Il faut observer que pour l’année 2012, le Gouvernement a fixé pour objectif la création de 160 places pour mineurs délinquants (12), ce qui permettra, par une montée en charge très progressive, de répondre parfaitement à l’objectif de mixité des publics. Le financement supplémentaire, de 8 millions d’euros, serait partagé entre les ministères de la justice, de la ville, de l’emploi et de la défense.

Il faudra garder à l’esprit, dans les années futures, que le coût de l’encadrement d’un mineur, 50 000 euros (13) par an selon les projections effectuées par l’EPIDe, sera sensiblement supérieur au coût moyen actuellement constaté pour les volontaires, un peu plus de 34 000 euros, et en tenir compte dans les projections budgétaires. Il serait en effet dommage que le financement de cette mesure obère pour l’avenir la capacité de grandir de l’EPIDe, tant l’originalité de la démarche qu’il met en œuvre peut être profitable à la jeunesse de notre pays.

EXAMEN DE LA PROPOSITION DE LOI PAR LA COMMISSION

La commission examine la présente proposition de loi au cours de sa réunion du mardi 27 septembre 2011.

Un débat suit l’exposé du rapporteur pour avis.

M. le président Guy Teissier. Nous devons dans ce domaine être très prudents et ne pas nous tromper de cible.

Au début, l’idée d’Éric Ciotti était de mettre des jeunes délinquants dans des camps ou des casernes avec un encadrement militaire, un peu comme l’avait fait l’amiral Christian Brac de La Perrière. Sur un mode associatif de jeunes délinquants majeurs, déjà incarcérés, et considérés comme réinsérables par l’administration pénitentiaire, étaient accueillis avec un taux de réussite positif, de l’ordre d’un sur deux, comme pour les centres EPIDe. L’encadrement était assuré par des militaires volontaires.

Je pense qu’il ne revient pas aux militaires de faire un travail d’éducateur, de surveillant ou de « garde-chiourmes ». Ils n’entrent d’ailleurs pas dans l’armée pour cela, quel que soit leur grade. En outre, ils n’ont pas aujourd’hui beaucoup de moyens de coercition.

Pour avoir visité plusieurs centres EPIDe – notamment celui que nous avons la chance d’avoir à Marseille –, je trouve assez extraordinaire de voir ces jeunes hommes ou femmes qui y ont séjourné redonner un sens à leur vie, prendre conscience de la chance qui leur est offerte, trouver un emploi, aussi modeste soit-il, et renouer avec une existence normale. Le public en est très varié : des laissés-pour-compte, des délinquants, mais aussi des enfants martyrisés. Ces jeunes viennent volontairement dans les centres parce qu’on leur en a parlé lors de la journée défense et citoyenneté ou dans les pôles emplois, et il y a effectivement plus de demandes que d’élus.

L’encadrement de ces jeunes est assez exemplaire : ils sont volontaires, ils marchent au pas, chantent La Marseillaise, assistent à la levée quotidienne des couleurs, avec une discipline d’internat, un respect de l’autre et de soi, une hygiène de vie, le port de l’uniforme et des règles de vie en commun. Selon la formule, « le fort aide le faible » : comme les niveaux sont très disparates – certains sont allés jusqu’au baccalauréat, d’autres savent à peine lire et écrire –, les meilleurs encadrent les moins bons, au travers d’une sorte de tutorat. Ils passent un diplôme national reconnu, du niveau du certificat d’études. Tous s’inscrivent dans un parcours de vie, avec un objectif professionnel. L’EPIDe les aide à trouver un emploi en négociant avec des entreprises, avec le résultat positif qui vient d’être rappelé.

Il ne faut pas présenter aux mineurs délinquants les centres EPIDe comme une alternative à la prison ou à des travaux d’utilité publique – bref quelque chose d’obligatoire ou une punition –, mais comme une planche de salut, une nouvelle chance – ce qui n’est pas aisé à traduire dans la loi.

Le texte prévoit d’ailleurs une durée de présence de quatre mois à six mois, contre huit mois pour les actuels volontaires : cette dérogation n’est pas souhaitable, la finalité étant d’inscrire ces jeunes dans un parcours d’emploi et de réussite. Il convient donc qu’ils soient assujettis au régime général de l’EPIDe.

Il faut aussi que le dispositif soit équilibré : la répartition des 160 places prévues dans les 20 centres conduit à héberger en moyenne huit mineurs délinquants dans chacun d’eux, ce qui me paraît un maximum. Il ne faudrait pas que par un excès de générosité, on mette en péril le bon fonctionnement des centres, dont le public est fragile. Le travail des anciens militaires ou enseignants qui encadrent les jeunes n’est pas facile : il mérite d’ailleurs d’être salué.

M. Christophe Guilloteau. J’ai également un centre EPIDe dans ma circonscription, qui loue ses locaux au conseil général et fonctionne très bien.

Si le dispositif proposé aboutit, est-il prévu de créer d’autres centres ? Rien ne serait pire que d’offrir de nouvelles possibilités ou de susciter des envies sans pouvoir y répondre. D’autant que la différence avec les centres pénitentiaires tant en termes de coût que de réinsertion est éloquente.

M. le président Guy Teissier. Les publics de ces derniers ne sont pas les mêmes !

M. le rapporteur. Le dispositif sera d’abord expérimenté dans cinq centres EPIDe. S’il marche bien, le Gouvernement sera appelé à mettre davantage de moyens.

Il implique également un dialogue avec les magistrats pour qu’ils s’approprient l’opportunité qui leur est offerte et suscitent de la part des jeunes délinquants une démarche volontaire, même si celle-ci est contrainte, à la différence des stagiaires actuels, qui ont pu franchir la « ligne jaune », voire avoir été condamnés, mais ont payé leur dette à la société.

La force de l’EPIDe est l’insertion par la formation professionnelle. Au début, certains centres rencontraient des échecs faute de bassins d’emploi, mais ils sont aujourd’hui relativement assurés d’en avoir, grâce à des liens directs avec le monde du travail, au travers notamment de contrats de stage ou de formation, puis d’embauche, avec les entreprises.

Il faut naturellement que les jeunes volontaires ne soient pas trop mélangés avec des délinquants auteurs d’actes graves, qui peuvent relever de centres éducatifs fermés ou d’autres mesures pénales. Je rappelle que pour accueillir les mineurs délinquants, de nouvelles sections vont être créées au sein de l’EPIDe. Ceux-ci représenteraient environ un quart des effectifs, sachant qu’il n’y a pas lieu de fixer un quota.

M. Jean-Pierre Soisson. Le dispositif proposé est une fausse bonne idée, pour ne pas dire une mauvaise idée ! Il ne ressemble plus du tout à ce qui avait été prévu !

Les centres EPIDe sont des institutions fragiles : on risque de les désorienter totalement sans en tirer de bénéfice.

La démarche de volontariat sur laquelle ils s’appuient et les efforts consentis en leur faveur en font des novations intéressantes, même si certains marchent mieux que d’autres. Mais construire un mur avec deux sections ou deux internats de chaque côté va les dénaturer ! Cela reviendrait à les tuer !

De plus, la défense n’a rien à voir avec la réinsertion des mineurs délinquants.

Je voterai donc contre ce texte et je pense que le Sénat fera de même !

M. Jean-Claude Viollet. Nous avons été nombreux ici à soutenir le dispositif « Défense deuxième chance », y compris dans sa phase de développement.

Il me semble qu’il y a une confusion dans l’exposé des motifs entre les faits recensés – 214 612 en 2009 –, les mineurs mis en cause et les mineurs condamnés – 55 236 –, dont quasiment 97 % pour des délits – vols pour la plupart, coups et violences, dégradations, trafic de stupéfiants, infractions au code de la route, outrages et rébellions vis-à-vis de personnes détentrices de l’autorité. Les moins de 16 ans représentent 45 % des mineurs condamnés. Pourquoi dès lors le dispositif ne concerne que les plus de 16 ans ? Est-ce lié à l’âge de scolarité obligatoire ou à la majorité pénale ? On doit autant se préoccuper des uns que des autres, sachant que certains ne sont passibles que de contraventions de cinquième classe. Il faut sortir des logiques d’exclusion – dans l’esprit d’ailleurs du dispositif « Défense deuxième chance » – pour réinsérer ces jeunes le plus vite possible dans la vie normale.

L’objectif pour l’EPIDe était de 20 000 places fin 2008 ; or nous enregistrons aujourd’hui 2 500 jeunes : ce dispositif est fragile et on a du mal à le développer, à la fois parce qu’il porte sur des publics difficiles et qu’on est confronté à un manque de moyens. J’avais, dès sa création, interrogé le ministre de la défense pour lui dire que nous avions besoin de 160 millions d’euros alors que 50 seulement étaient prévus. Il m’avait répondu que nous disposions en réalité de 110 millions, avec les apports du FSE, des contrats aidés et de l’aide personnalisée au logement. Cela veut dire qu’on n’a jamais été capable de financer réellement ce dispositif avec une ligne dédiée. Et maintenant on veut y placer des mineurs délinquants en mettant à contribution le ministère de la justice ! Je n’ai pas entendu dire que le budget de celui-ci était excédentaire au point que ce qu’il ne pouvait faire avec ses propres moyens, il le ferait en participant au financement de l’EPIDe !

Je rappelle que l’expérience menée par l’amiral Brac de La Perrière, soutenue alors par André Giraud, ministre de la défense, et Albin Chalandon, ministre de la justice, a été arrêtée en 2004 : elle a permis d’accueillir 5 800 jeunes, dont plus de la moitié a pu se réinsérer socialement.

On nous dit que le coût prévu est beaucoup moins cher que le placement en centre pénitentiaire ou en centre éducatif fermé : or les 8 millions prévus pour les 160 places envisagées reviennent à 50 000 euros la place, soit un coût comparable à ce dernier !

Je regrette qu’on n’ait pas une étude d’impact sérieuse sur ce texte. Cet engagement est d’importance : on a trop l’habitude de prendre des mesures qui ne sont pas tenues et on n’a pas le droit de jouer avec notre jeunesse !

Je suis donc réservé sur ce texte, qui m’apparaît de circonstance, mal établi et non évalué.

M. Jean-Jacques Candelier. Je ne suis pas du tout convaincu par cette proposition de loi. La notion d’encadrement militaire ne me convient pas. Par ailleurs, le parrainage militaire des mineurs délinquants est une vieille recette qui a été abandonnée. L’action de l’association « Jeunes en équipe de travail » (JET), présidée par l’amiral Brac de La Perrière, s’est achevée par un demi-échec. Le rapport des sénateurs Michel Pelchat et Jean-Pierre Masseret du 3 juillet 2003 ne fait pas état d’un bilan très positif.

En outre, je ne vois pas l’intérêt de donner à l’EPIDe des missions que la justice et l’éducation nationale peinent à effectuer faute de moyens.

Je voterai donc contre ce texte.

M. Daniel Boisserie. On est toujours confronté au problème des moyens de la justice : la proposition de loi n’en dit pas grand-chose.

Par ailleurs, l’article 3 prévoit que l’obligation d’accomplir un contrat de service en établissement d’insertion de la défense ne peut être prononcée contre le prévenu qui la refuse ou qui n’est pas présent à l’audience. Pourquoi une telle retenue ?

M. le rapporteur. Un dialogue est prévu entre le magistrat et le prévenu afin de permettre de proposer l’alternative instaurée par le texte. Il est donc logique que le jeune soit présent à l’audience à cette fin. Un règlement général devrait être pris après le vote de la loi permettant au mineur délinquant de comprendre à quoi il s’engage. C’est une chance de plus qu’on lui offre de se réinsérer.

M. Patrice Calméjane.  Il faudra clarifier le dispositif proposé, qui s’ajoute à celui de l’EPIDe, d’autant qu’existent d’autres mesures telles que le travail d’intérêt général (TIG) ou le SMA outre-mer.

M. le président Guy Teissier. Le SMA est vraiment militaire, donc de nature différente.

M. Patrice Calméjane. Il existe aussi des centres de placement immédiat (CPI) - j’en ai d’ailleurs un dans ma circonscription – qui devraient faire l’objet d’un audit sur leur fonctionnement. Certains sont dirigés directement par la protection judiciaire de la jeunesse du ministère de la justice, d’autres délégués à des associations, ce qui conduit à des désordres. Celles-ci n’ont pas les outils de rétorsion vis-à-vis de jeunes particulièrement difficiles.

Il faut également comparer le coût des places envisagées avec celui, pour la société, d’un jeune qui ne se réinsérerait pas.

Je suis donc plutôt favorable à ce texte, sous réserve de clarifier le dispositif proposé par rapport à ceux qui existent déjà.

M. Marc Joulaud. Le dispositif de l’EPIDe s’inspire-t-il de modèles existant dans d’autres pays européens ? Comment ceux-ci traitent-ils ces questions ?

M. le rapporteur. Les jeunes qui vont aujourd’hui dans les EPIDe sont tous volontaires, à la suite souvent d’échanges qu’ils ont pu avoir lors de la journée défense et citoyenneté, au pôle emploi ou à la mission locale. Le texte propose d’ouvrir le dispositif essentiellement à des primo-délinquants pour leur permettre de se réinsérer, sachant que le cadre familial et les règles de savoir-vivre ensemble offerts par les centres ont montré leur utilité. Chaque jeune de l’EPIDe signe dans les deux mois un contrat de suivi du règlement intérieur, puis un contrat éducatif personnel pendant les huit, dix ou douze mois nécessaires pour aboutir à un débouché, grâce aux mesures de formation, de qualification ou de stage.

M. Jean-Pierre Soisson. Les mineurs délinquants seraient-ils prioritaires par rapport aux volontaires qui ne trouvent pas de place ?

M. le rapporteur. Non, le budget dévolu aux actuels volontaires serait maintenu. On ouvrirait des sections nouvelles permettant d’intégrer les mineurs délinquants aux centres.

M. Jean-Pierre Soisson. Je ne comprends pas comment cela peut marcher !

M. le rapporteur. Ce mécanisme a été étudié par les équipes de l’EPIDe, qui ont une expérience et une maturité remarquables. D’ailleurs, certaines entreprises - j’en connais une par exemple dans l’Est parisien - qui ne voulaient pas entendre parler de ces jeunes sont à présent heureuses de les accueillir, avant même ceux sortant d’un centre de formation d’apprentis (CFA). Les remises à niveau psychologique sont exceptionnelles et il faut les encourager autant que possible, même s’il est vrai qu’on est encore loin de l’objectif des 20 000, faute de moyens.

M. Laurent Cathala. Cette proposition de loi introduit beaucoup de confusion. Des réponses à des demandes de réparation pénale doivent-elles être apportées par des militaires ?

Peut-on, pour un même objectif de réinsertion, faire converger deux publics, l’un qui est volontaire et s’inscrit dans un parcours à cet effet, l’autre qui ne l’est pas et qui se place plutôt dans une situation de récidive ?

Il ne s’agit pas de mettre en cause les centres EPIDe, bien au contraire, mais je crains que cette confusion mette en question leurs résultats.

On peut enfin s’interroger sur les moyens dégagés pour faire fonctionner ce double dispositif.

M. le rapporteur. Ce ne sont pas des militaires d’active qui travaillent au sein des centres EPIDe, mais d’anciens soldats qui, ayant appris, dans leur métier, à mettre en place une chaîne de confiance pour aller au combat et une certaine discipline, donnent un encadrement et une formation. D’ailleurs, formateurs et jeunes se vouvoient en signe de respect.

Les mineurs délinquants qui seront accueillis dans les centres EPIDe ne sont pas auteurs de grands délits et constituent sociologiquement quasiment le même public qu’actuellement, les jeunes qui sont dans ces centres ayant frôlé la « ligne jaune », voire l’ont dépassée ou ont été condamnés par le passé.

Le nombre de bénéficiaires est plus important que le chiffre officiel du nombre de places, dans la mesure où un jeune peut sortir au bout de neuf mois, permettant ainsi à un autre, au cours de la même année, de bénéficier du dispositif.

Le coût moyen annuel d’accueil prévu pour les mineurs délinquants est de 50 000 euros, contre 32 000 euros pour les actuels volontaires des centres EPIDe, en raison du besoin d’équipements particuliers pour des mineurs et d’un contrôle plus étendu prévu à l’égard de ceux-ci par les textes en vigueur.

Monsieur Soisson, il ne s’agit pas de construire des murs ! Les deux publics communiqueront, l’expérience des plus âgés tirant souvent les jeunes vers la réussite.

Mme Michèle Alliot-Marie. Qu’il faille donner une deuxième chance, en les encadrant, à des jeunes qui ont franchi la « ligne jaune » de la délinquance, j’en suis d’accord. Que l’on choisisse un modèle inspiré de l’EPIDe, j’en conviens aussi – et je m’en réjouis dans la mesure où cela montre que ce dernier est reconnu.

Mais j’ai des réticences sur le fait qu’on fasse assumer par l’EPIDe ce type de public, car celui-ci n’est pas le même que l’actuel, qu’il donne lieu à des objectifs distincts et demande des formateurs aux capacités différentes.

L’objectif recherché n’est que partiellement le même : réinsérer par un apprentissage ou une remise à niveau d’abord comportementale est important de même que la remise à niveau scolaire, mais l’insertion professionnelle n’est pas prévue dans le dispositif proposé - cela est sans doute impossible du fait de l’âge des intéressés. Or celle-ci est un élément essentiel de réinsertion sociale dans les centres EPIDe.

Enfin, autant les militaires sont préparés à encadrer des jeunes, y compris des jeunes difficiles, autant ils ne le sont pas à encadrer des jeunes délinquants. D’ailleurs, en dehors de la Légion étrangère, les armées refusent ceux-ci, y compris ceux condamnés pour une consommation de drogue.

Il ne faut pas rattacher les structures où seraient accueillis les jeunes délinquants à l’EPIDe, ni, me semble-t-il, à la défense. On a retenu à l’origine l’appellation de centres d’insertion de la défense parce que j’en avais pris l’initiative et que j’étais allée chercher dans les autres ministères – qu’il s’agisse de l’éducation nationale ou des affaires sociales – les personnes dont j’avais besoin pour les faire fonctionner et l’argent nécessaire à cette fin.

Le ministère de la justice a en revanche un rôle particulier à jouer dans ce domaine.

Il conviendrait donc d’affirmer davantage l’aspect « justice » de cette question, ce qui n’empêche pas le recrutement d’anciens militaires qui le souhaitent – avec la réserve qu’on ne traite pas de la même manière des jeunes qui frôlent la délinquance et ceux qui l’ont pratiquée. Si l’insertion professionnelle a marché parce que les entreprises ont joué le jeu, on risque, pour cet autre public, de se heurter à de fortes réticences. Tout du moins dans un premier temps.

Le ministère de la justice doit être le pilier de ce dispositif, qui lui serait rattaché. Cela n’empêche pas de proposer, ensuite, dans un deuxième temps, aux jeunes concernés un accueil dans un centre EPIDe.

M. le rapporteur. Si l’insertion des mineurs délinquants ne se fera pas par l’insertion professionnelle, deux objectifs ont été fixés : le contrat d’apprentissage et le contrat de professionnalisation. Le contrat d’apprentissage pourra être une réponse adaptée pour les 16-18 ans.

Par ailleurs, la protection judiciaire de la jeunesse et le juge sont au cœur du dispositif prévu.

J’ai posé la question de savoir si l’on pouvait créer un centre spécifique sur le modèle des centres EPIDe pour les mineurs délinquants, mais on m’a répondu qu’il n’y avait pas de lieu disponible à cet effet. Cependant, comme on est en train de construire un centre EPIDe qui va en regrouper trois dans la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, il serait possible d’y héberger une structure spécifique.

Mme Michèle Alliot-Marie. Il ne faut pas parler d’EPIDe pour mineurs délinquants. On pourrait en revanche retenir l’appellation d’« EPIJ » pour montrer le rattachement à la justice, quitte à ce qu’il y ait une convention entre ce dernier et les EPIDe. Cela permettrait de répondre aux besoins, tout en préservant la spécificité des structures et en offrant une filière.

M. le président Guy Teissier. Nous devons néanmoins nous prononcer sur le texte dont nous sommes saisis.

M. Yves Fromion. Monsieur Candelier, on n’a pas mis fin aux équipes JET en raison de leur insuccès, mais parce que, avec la professionnalisation des armées, celles-ci n’ont plus été à même de prélever sur leurs effectifs les personnels d’encadrement nécessaires au fonctionnement des équipes. On demandait à des volontaires d’aller par exemple pendant six mois mener une vie quasi monacale sur une base, ce qui était à la fois usant et coûteux. À la fin, l’amiral Brac de La Perrière a rencontré de grandes difficultés pour poursuivre l’action de son association. Il ne s’agit donc pas d’un échec lié à l’expérience elle-même, mais au manque de moyens humains.

Mme Michèle Alliot-Marie. Il y avait aussi une interdiction européenne…

M. Yves Fromion. D’autres éléments ont sans doute joué, mais le problème tenait essentiellement à ce que je viens d’évoquer.

S’agissant de la proposition de loi, je partage l’avis de la plupart de nos collègues : ce texte n’est pas mature. L’idée de mélanger des publics de nature aussi différente n’est pas une bonne solution.

D’un côté, on veut donner une deuxième chance à des mineurs délinquants et, de l’autre, on n’a pas d’argent pour le faire. Alors on essaie de trouver une mesure palliative pour ne pas dire qu’on ne fait rien.

Je préférerais qu’on consacre le financement prévu pour mettre en place un centre spécifique – qu’il ne faut évidemment pas appeler EPIDe. Ce dispositif donnerait lieu à une expérimentation et, en fonction des résultats, si on disposait ultérieurement de moyens financiers, on pourrait le développer.

Si l’on adoptait les mesures proposées, on risquerait d’abîmer l’image des EPIDe et de créer de gros problèmes qui pourraient mettre en cause leur bien-fondé, alors qu’ils constituent aujourd’hui une réussite remarquable.

M. le président Guy Teissier. On est assez coutumier en France, lorsque quelque chose marche, de vouloir lui faire assumer d’autres missions, et ainsi de le rendre médiocre.

Manifestement, ce texte n’est pas abouti. Le fait, souligné par Jean-Claude Viollet, que 45 % de mineurs condamnés aient moins de 16 ans est essentiel. Ne doivent-ils être traités de manière prioritaire ?

En raison du manque de moyens, on essaye de greffer le dispositif proposé aux centres EPIDe, mais cela ne règle pas le problème de la délinquance exponentielle des mineurs.

M. le rapporteur. L’idée du texte était de tirer profit de quelque chose qui fonctionne bien, est arrivé à maturité, en en faisant profiter des mineurs délinquants dont la proportion ne représenterait jamais qu’un cinquième à un septième des effectifs.

La Commission procède ensuite à l’examen des articles de la proposition de loi.

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Article premier

Création d’une nouvelle mesure de composition pénale

Article 7-2 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945

Cet article crée une nouvelle mesure de composition pénale. Le recours à cette procédure peut être proposé par le procureur de la République aux mineurs à partir de l’âge de treize ans, du moment qu’elle apparaît comme adaptée à la personnalité de l’intéressé. Cette proposition doit être faite aux représentants légaux du mineur et doit obtenir l’accord de ces derniers en présence d’un avocat. Il revient au juge des enfants de valider la composition pénale. L’exécution de la composition pénale a pour effet d’éteindre l’action publique.

La procédure de composition pénale, instituée par la loi n° 99-515 du 23 juin 1999 renforçant l’efficacité de la procédure pénale, est codifiée aux articles 41-2 et 41-3 du code de procédure pénale. Elle a été rendue applicable aux mineurs par la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance, qui l’a insérée à l’article 7-2 de l’ordonnance du 2 février 1945. La liste générale des mesures pouvant être proposées dans le cadre d’une composition pénale est prévue à l’article 41-2 du code de procédure pénale. Cette liste générale comprend notamment le versement d’une amende de composition (1°), l’accomplissement au profit de la collectivité d’un travail non rémunéré pour une durée maximale de soixante heures (6°), le suivi d’un stage ou d’une formation dans un service ou un organisme sanitaire, social ou professionnel pour une durée qui ne peut excéder trois mois (7°), l’accomplissement d’un stage de citoyenneté (13°) ou d’un stage de sensibilisation aux dangers de l’usage de produits stupéfiants (15°), l’exécution d’une mesure d’activité de jour consistant en la mise en œuvre d’activités d’insertion professionnelle ou de mise à niveau scolaire (16°) ou la soumission à une mesure d’injonction thérapeutique (17°).

Cette liste générale est complétée, pour les mineurs, par une liste spécifique prévue à l’article 7-2 de l’ordonnance du 2 février 1945. Le procureur de la République peut ainsi proposer à l’intéressé plusieurs mesures relevant de la composition pénale : un stage de formation civique (1°), le suivi de façon régulière d’une scolarité ou d’une formation professionnelle (2°), lui demander de respecter une décision précédemment prononcée par le juge, de placement dans une institution ou un établissement public ou privé d’éducation ou de formation professionnelle habilité (3°), lui demander de consulter un psychiatre ou un psychologue (4°), lui demander d’exécuter une mesure d’activité de jour (5°).

L’article premier de la présente proposition de loi complète cette liste et permettra au procureur de la République de proposer à un mineur âgé de plus de seize ans, qui reconnaît avoir commis certains délits ou contraventions punis d’une peine d’emprisonnement inférieure ou égale à cinq ans, d’exécuter un contrat de service en établissement d’insertion de la défense (EPIDe).

Placé sous la triple tutelle des ministères de la défense, de la ville et de l’emploi, l’EPIDe accueille aujourd’hui des jeunes sans qualification et en risque de marginalisation sociale. La mission de l’EPIDe consiste à assurer l’insertion sociale et professionnelle de jeunes adultes volontaires de 18 à 25 ans révolus. Le principe du volontariat des jeunes est au cœur de ce dispositif. En vertu des articles L. 130-1 à L. 130-4 du code du service national, les jeunes volontaires signent un « contrat de volontariat pour l’insertion », contrat de droit public qui n’est pas un contrat de travail. La présente proposition de loi vise à créer un nouveau type de contrat s’apparentant à ce dernier, comprenant des modalités spécifiques pour les jeunes délinquants.

Le présent article permettra ainsi, dans le cadre d’une mesure de composition pénale, de faire bénéficier de jeunes délinquants d’un encadrement et d’une formation qui leur permettront d’acquérir les règles de vie en société, d’avoir les moyens d’accéder à l’apprentissage d’un métier et de se réinsérer socialement.

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La Commission est saisie de l’amendement DF 1 du rapporteur.

M. le rapporteur. Je ne souhaite pas que l’on crée une confusion avec la notion de service, qui suppose un certain engagement moral, ni avec celle de service civique. Cet amendement tend donc à baptiser le dispositif « contrat d’éducation citoyenne en établissement de la défense » – qui traduit davantage la mission éducative du dispositif et marque la volonté de la société d’engager ces jeunes dans un processus de reconstruction - plutôt que « contrat de service ».

M. Michel Grall. Je voterai contre cet amendement, non pour mettre en cause la qualité éminente du travail du rapporteur, mais parce que je suis opposé au texte dans son ensemble, lequel me paraît inachevé.

Mme Michèle Alliot-Marie. Cet amendement me conviendrait si l’on supprimait les mots « de la défense », pour les raisons que j’ai déjà évoquées. Se pose par ailleurs la question du traitement réservé aux mineurs délinquants de moins de 16 ans.

M. Jean-Claude Viollet. Je salue le travail accompli par le rapporteur dans un délai très bref. Mais si l’on adopte les amendements, on va dans le sens du texte. Or il semble se dégager un avis général selon lequel celui-ci est inabouti et mérite d’être revu sur le fond et non, seulement, dans la forme. Nous sommes tous d’accord pour exclure les centres EPIDe du dispositif.

Il faut donc revoir entièrement le texte en s’appuyant sur une étude d’impact et de véritables ressources financières et humaines.

Je m’abstiendrai donc sur les amendements par respect pour le rapporteur, mais je voterai contre le texte.

Mme Françoise Briand. Sommes-nous obligés de nous prononcer sur les amendements ? N’y a-t-il pas lieu de prendre tout de suite une position sur le texte ?

M. le président Guy Teissier. Par respect pour le travail du rapporteur, la moindre des choses est d’examiner ses amendements.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle émet un avis défavorable à l’adoption de l’article 1er.

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Article 2

Création d’une nouvelle mesure de placement suite à un ajournement du prononcé de la peine

Article 20-7 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945

À titre liminaire, votre rapporteur indique que l’article 20-7 de l’ordonnance du 2 février 1945 – que le présent article modifie – a été abrogé, après le dépôt de la présente proposition de loi, par l’article 47 de la loi n° 2011-939 du 10 août 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs. Les dispositions prévues à l’article 20-7 ont été reprises et complétées dans le nouveau chapitre III ter de l’ordonnance relatif à la césure du procès pénal des mineurs, cette « césure » permet à la juridiction de se prononcer immédiatement sur la culpabilité du prévenu tout en reportant à une audience ultérieure la décision sur la peine. Les modifications prévues par l’article 2 de la présente proposition de loi auront donc leur place, non plus dans l’article 20-7 de l’ordonnance, mais dans son nouvel article 24-6.

En vertu de l’article 24-5 de l’ordonnance du 2 février 1945, les dispositions relatives à l’ajournement de peine, prévues à l’article 132-62 du code pénal, sont applicables aux mineurs. La juridiction de jugement pour mineurs – juge des enfants ou tribunal pour enfants, ainsi que, à compter du 1er janvier 2012, le tribunal correctionnel pour mineurs – peut, après avoir constaté que le mineur est coupable d’avoir commis les faits qui lui sont reprochés, décider d’une « césure » de la procédure, c’est-à-dire décider d’ajourner la décision sur la peine et en reporter le prononcé à une audience ultérieure devant avoir lieu dans un délai de six mois maximum.

Le mineur concerné doit avoir plus de seize ans. En vertu de l’article 132-60 du code pénal, il est possible pour une juridiction de jugement de recourir à un ajournement lorsqu’il apparaît que le reclassement du coupable est en voie d’être acquis, que le dommage causé est en voie d’être réparé et que le trouble résultant de l’infraction va cesser. L’article 24-5 de l’ordonnance du 2 février 1945 prévoit également deux autres cas, spécifiques aux mineurs, dans lesquels il est possible pour la juridiction de jugement de recourir à l’ajournement : soit parce que « les perspectives d’évolution de la personnalité du mineur le justifient » (1°), soit parce que « des investigations supplémentaires sur la personnalité du mineur sont nécessaires » (2°).

Durant cette « césure », entre la reconnaissance de la culpabilité du mineur et le prononcé de la peine à son encontre, il est possible pour la juridiction de jugement, à titre provisoire, d’ordonner à l’égard du mineur, son placement dans un établissement public ou habilité à cet effet, une mesure de liberté surveillée préjudicielle, ou encore une mesure ou une activité de jour. L’objet du présent article est de permettre de surcroît à la juridiction de jugement d’ordonner, le cas échéant, à l’égard d’un mineur âgé de plus de seize ans, d’exécuter un contrat de service en EPIDe. Même s’ils n’accomplissent pas une démarche volontaire, les mineurs délinquants devront donner leur accord et signer un contrat qui les engage auprès de l’EPIDe. L’exécution de ce contrat permettra ainsi à la juridiction de se prononcer sur la peine au vu des conditions du déroulement du contrat au sein du centre EPIDe et de l’implication du jeune dans le programme d’insertion qui lui est proposé. Le mineur concerné

Comme le contrat de service exécuté dans le cadre d’une composition pénale (article premier de la proposition), le contrat de service exécuté dans le cadre d’un ajournement de peine s’effectuera dans des conditions similaires à celles que connaissent les volontaires accueillis depuis 2005 dans les centres EPIDe, sous réserve des dispositions spécifiques pour les mineurs délinquants prévues à l’article 4 de la proposition de loi.

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La Commission rejette l’amendement DF 2 de coordination du rapporteur.

Puis elle émet un avis défavorable à l’adoption de l’article 2.

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Article 3

Exécution d’un service citoyen dans le cadre d’une condamnation assortie d’un sursis avec mise à l’épreuve

Article 20-10 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945

Dans le cas d’une condamnation par une juridiction spécialisée pour mineurs à une peine d’emprisonnement assortie d’un sursis avec mise à l’épreuve, la juridiction de jugement peut notamment, si la personnalité du mineur le justifie, assortir cette peine des mesures suivantes : le remettre à ses parents, à son tuteur, à la personne qui en avait la garde ou à une personne digne de confiance ; ordonner le placement dans une institution ou un établissement, public ou privé, d’éducation ou de formation professionnelle, habilité ; ordonner le placement dans un établissement médical ou médico-pédagogique habilité ; ordonner le placement dans une institution publique d’éducation surveillée ou d’éducation corrective ; donner à l’intéressé un avertissement solennel ou encore l’astreindre à exécuter une activité de jour – c’est-à-dire lui demander de participer à des activités d’insertion professionnelle ou scolaire auprès d’une institution spécialisée. Elle peut également décider de le placer dans un centre éducatif fermé. Le juge des enfants peut modifier pendant toute la durée de l’exécution de la peine la mesure prononcée.

Le présent article permet à une juridiction de jugement spécialisée pour mineurs, en cas de condamnation d’un mineur âgé de plus de seize ans à une peine d’emprisonnement assortie d’un sursis avec mise à l’épreuve, de l’astreindre pour un délai donné à l’obligation d’exécuter un contrat de service dans un centre géré et administré par l’EPIDe.

La juridiction de jugement peut donc surseoir à l’exécution de la peine d’emprisonnement si le mineur condamné s’engage à exécuter un contrat de service au sein d’un centre EPIDe dans lequel il recevra une formation générale et professionnelle. Si le mineur condamné qui a accepté l’exécution dudit contrat ne se conforme pas à cette obligation, ce manquement pourrait entraîner la révocation du sursis avec mise à l’épreuve et l’exécution de la peine d’emprisonnement.

Le contrat de service exécuté dans le cadre d’un ajournement de peine s’effectuera là encore dans des conditions similaires à celles que connaissent les volontaires accueillis depuis 2005 dans les centres EPIDe, sous réserve des dispositions spécifiques pour les mineurs délinquants prévues à l’article 4 de la proposition de loi.

Cette obligation ne peut être prononcée contre le prévenu s’il la refuse ou s’il n’est pas présent à l’audience. Le prévenu est informé, avant le prononcé du jugement, par le président du tribunal de son droit de refuser l’exécution dudit contrat et lui donne sa réponse. Le recueil du consentement du mineur condamné est nécessaire sur un plan juridique, notamment pour se conformer à l’article 4, paragraphe 2, de la Convention européenne des droits de l’homme aux termes duquel « Nul ne peut être astreint à accomplir un travail forcé ou obligatoire ». Le recueil du consentement du mineur est également indispensable pour assurer l’efficacité de la mesure. En effet le succès de l’exécution d’un séjour au sein d’un centre EPIDe est conditionné à une adhésion et une participation pleines et entières du jeune concerné.

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La Commission rejette l’amendement DF 3 de coordination du rapporteur.

Puis elle émet un avis défavorable à l’adoption de l’article 3.

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Article 4

Modalités d’exécution du service citoyen

Article L. 130-5 (nouveau) du code du service national

Cet article a pour objet de préciser, dans le titre III du code du service national, consacré au volontariat, les modalités de déroulement du contrat de service en établissement d’insertion de la défense créé par la proposition de loi.

Le paragraphe I du nouvel article L. 130-5 du code précise tout d’abord que le nouveau contrat de service en établissement public d’insertion de la défense (EPIDe) est une modalité particulière d’exécution du contrat de volontariat pour l’insertion prévu par les articles L. 130-1 à L. 130-4 du même code. Son déroulement s’effectuera donc de manière presque identique.

Créé en 2005, le contrat de volontariat pour l’insertion est le contrat signé par les volontaires qui intègrent un EPIDe après avoir fait acte de candidature. Il permet aux jeunes retenus de recevoir, selon l’article L. 130-1 du code du service national, « une formation générale et professionnelle dispensée par l’établissement public d’insertion de la défense. » Initialement réservé aux jeunes âgés de 18 à 25 ans, il a été étendu en 2009 aux mineurs de 16 ans et plus. Les volontaires qui souscrivent ces contrats ont souvent été détectés à l’occasion de la Journée défense et citoyenneté et présentent des difficultés d’insertion sociale et professionnelle particulières.

À la différence du contrat de volontariat pour l’insertion, les jeunes qui souscriront un contrat de service en EPIDe ne seront pas volontaires, l’accomplissement de ce contrat ayant été prescrit par un magistrat ou une juridiction, dans les conditions fixées par les articles premier à 3 de la présente proposition de loi.

Autre différence notable, la durée d’accomplissement de ce nouveau contrat sera plus courte que celle des contrats de volontariat pour l’insertion : quatre à six mois, contre six mois à un an, deux ans dans certains cas.

Le mineur pourra toutefois prolonger son contrat, à sa demande, et basculer ainsi vers le régime « normal » de l’EPIDe. Il s’agira alors pour lui d’une démarche volontaire, sur laquelle l’établissement d’accueil se prononcera.

Comme le prévoit l’article 4-1 de l’ordonnance du 2 février 1945, tout mineur poursuivi doit être assisté d’un avocat. Le paragraphe II du même article L. 130-5 précise donc que l’accord du jeune qui souscrira un contrat de service en EPIDe et de ses parents doit être recueilli en sa présence.

Enfin, dernière particularité de ce nouveau contrat, le contenu du projet sera validé par le magistrat ou la juridiction qui prescrit l’exécution du service sur proposition de la protection judiciaire de la jeunesse, reconnaissant par là l’expérience et la compétence de cette dernière en matière d’orientation des mineurs.

Le paragraphe III prévoit le versement d’un pécule aux jeunes qui accompliront leur contrat de service en EPIDe, à l’image de ce qui est déjà prévu pour les volontaires.

Ces derniers perçoivent en effet, en application de l’article L. 130-3 du code du service national, une allocation mensuelle, dont le montant a été fixé par décret à 210 euros, et une prime, de 90 euros par mois également, capitalisée et remise à l’issue de leur parcours.

Ces mêmes sommes devraient donc être versées aux mineurs délinquants, leur faisant ainsi bénéficier des mêmes conditions financières que les volontaires.

Par ailleurs, comme les volontaires, les mineurs souscrivant un contrat de service en EPIDe bénéficieront pour eux-mêmes et leurs ayants droit des prestations en nature de l’assurance maladie, maternité et invalidité du régime général de sécurité sociale, la couverture de ces risques étant assurée par le versement de cotisations à la charge de l’EPIDe.

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La Commission rejette l’amendement DF 4 de coordination du rapporteur.

La Commission émet un avis défavorable à l’adoption de l’article 4.

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Article 5

Compensation financière

Cet article prévoit le gage financier assurant la recevabilité financière de la proposition de loi.

La Commission émet un avis défavorable à l’adoption de l’article 5.

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Titre de la proposition de loi

La Commission est saisie de l’amendement DF 6 du rapporteur.

M. le rapporteur. Il s’agit de substituer aux mots « service citoyen » les mots « contrat d’éducation citoyenne », en cohérence avec les amendements précédents.

La Commission rejette l’amendement.

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La Commission émet un avis défavorable à l’adoption de la proposition de loi.

AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION

Amendement DF1 présenté par M. Patrick Beaudouin, rapporteur pour avis

Article premier

À l’alinéa 2, substituer aux mots : « de service », les mots : « d’éducation citoyenne ».

Amendement DF2 présenté par M. Patrick Beaudouin, rapporteur pour avis

Article 2

Substituer aux mots : « de service », les mots : « d’éducation citoyenne ».

Amendement DF3 présenté par M. Patrick Beaudouin, rapporteur pour avis

Article 3

À l’alinéa 2, substituer, par trois fois, aux mots : « de service », les mots : « d’éducation citoyenne ».

Amendement DF4 présenté par M. Patrick Beaudouin, rapporteur pour avis

Article 4

Aux alinéas 2, 3, 5 et 6 substituer aux mots : « de service », les mots : « d’éducation citoyenne ».

Amendement DF6 présenté par M. Patrick Beaudouin, rapporteur pour avis

Titre de la proposition de loi

Substituer aux mots : « service citoyen », les mots : « contrat d’éducation citoyenne ».

PERSONNES ENTENDUES PAR LE RAPPORTEUR

(par ordre chronologique)

– déplacement au centre EPIDe de Val-de-Reuil : rencontre avec la direction, le personnel d’encadrement ainsi que des jeunes volontaires du centre ;

 M. Thierry Berlizot, directeur général de l’Établissement public d’insertion de la défense (EPIDe) ;

 M. Jean-Louis Daumas, directeur de la protection judiciaire de la jeunesse du ministère de la justice et des libertés, accompagné de Mme Kristelle Hourques, conseillère parlementaire au cabinet du ministre et de Mme Annabelle Philippe, conseillère chargée des mineurs ;

 M. Hugues de la Giraudière, conseiller social au cabinet du ministre de la défense et des anciens combattants, accompagné de M. Fabien Ganivet, conseiller pour les affaires juridiques.

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