N° 4130 tome IV - Avis de M. François Lamy sur le projet de loi de finances pour 2017 (n°4061).



N
° 4130

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 octobre 2016.

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DE LA DÉFENSE NATIONALE ET DES FORCES ARMÉES
SUR LE PROJET DE LOI
de finances pour 2017 (n° 4061)

TOME IV

DÉFENSE

PRÉPARATION ET EMPLOI DES FORCES :

FORCES TERRESTRES

PAR M. François Lamy

Député

——

Voir les numéros : 4125 (annexe 12)

SOMMAIRE

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Pages

INTRODUCTION 9

PREMIÈRE PARTIE 11

I. LES CRÉDITS DE L’ARMÉE DE TERRE POURSUIVENT LEUR HAUSSE, CONFORMÉMENT À LA PROGRAMMATION MILITAIRE ACTUALISÉE 11

A. LA PROGRAMMATION MILITAIRE ACTUALISÉE ET LES DÉCISIONS DU CONSEIL DE DÉFENSE DU 6 AVRIL 2016 ONT REVU À LA HAUSSE LE FORMAT DE L’ARMÉE DE TERRE 11

1. Un contrat opérationnel redimensionné 11

a. Un niveau d’engagement qui justifie à nouveau le renforcement des effectifs des forces terrestres 11

b. Un effort continu en faveur des équipements 12

2. La mise en œuvre du nouveau modèle d’armée « Au contact » 13

a. La réforme du format de l’armée de terre en cours d’achèvement 13

b. Le programme SCORPION, clé de voûte du modèle « Au contact » 15

B. LE BUDGET 2017 EST CONFORME À LA LPM ACTUALISÉE 15

1. La hausse des effectifs des forces terrestres est financée 16

a. La croissance des recrutements sur la période 2016-2019 16

b. Un effort en faveur des personnels engagés sur le territoire national 17

2. Les dépenses de fonctionnement sont maîtrisées 17

II. L’INVERSION DES TENDANCES AMORCÉE EN 2016 SE POURSUIT 18

A. UNE « USURE OPÉRATIONNELLE » QUI S’ATTÉNUE 18

1. L’amélioration des capacités opérationnelles 19

a. L’insuffisance chronique des crédits d’entretien des matériels 19

b. Des besoins en entretien programmé des matériels insuffisamment financés à l’horizon 2022 19

2. La préparation opérationnelle des effectifs est encore affectée par le haut niveau d’engagement de l’armée de terre depuis 2015 20

B. RÉFLEXIONS EN VUE D’UNE NOUVELLE REFONTE DE LA PROGRAMMATION MILITAIRE 21

1. Réinvestir la préparation opérationnelle 21

2. Assurer la cohérence capacitaire de l’armée de terre 22

a. Combler les lacunes capacitaires actuelles 22

i. Des lacunes liées à l’extrême « étirement » des livraisons de matériels de nouvelle génération 22

ii. Des lacunes liées à la conjoncture 22

b. Accélérer la mise en œuvre du programme SCORPION 23

3. Poursuivre la réflexion sur l’évolution de l’opération Sentinelle 23

a. L’évolution des effectifs de l’opération Sentinelle 23

i. Les niveaux d’effectifs atteints 23

ii. La posture de la force 24

iii. Sur les prérogatives des militaires en matière d’« information d’intérêt opérationnel » 25

b. La planification de l’opération 25

i. Les procédures de décision et leurs possibles biais 25

ii. Le dialogue entre les ministères de la Défense et de l’Intérieur 26

c. Réflexions sur l’avenir de l’opération Sentinelle et les autres formes que pourrait prendre la posture de protection terrestre 27

SECONDE PARTIE L’AÉROCOMBAT 28

I. DES CAPACITÉS D’AÉROCOMBAT « CLÉS », MAIS ENTRAVÉES PAR LES DÉFAILLANCES DU SYSTÈME DE MAINTENANCE DES HÉLICOPTÈRES 28

A. UNE TROP FAIBLE DISPONIBILITÉ AU VU DE L’APPORT OPÉRATIONNEL DES HÉLICOPTÈRES 28

1. Une capacité désormais centrale dans l’organisation et dans les opérations de l’armée de terre 29

a. Nos capacités d’aérocombat sont devenues un élément déterminant pour le succès des opérations, tant conventionnelles que spéciales 29

i. Le rôle-clé de l’hélicoptère dans les opérations de l’armée de terre 29

ii. Le cas des opérations spéciales 30

b. Avec le modèle d’armée « Au contact », l’aérocombat a été érigé en « pilier » à part entière de l’armée de terre 32

i. Le commandement de l’ALAT 32

ii. Une chaîne de commandement spécifique pour les moyens d’aérocombat des forces spéciales 32

2. Une capacité parfois « bridée » par la faible disponibilité technique opérationnelle des hélicoptères 33

a. La disponibilité des hélicoptères est inégale, paradoxalement plus faible pour les matériels récents que pour les modèles plus anciens 33

i. Une disponibilité technique opérationnelle faible 33

ii. Un nombre d’heures de vol disponibles insuffisant pour l’entraînement des pilotes 35

b. La faible disponibilité des hélicoptères de nouvelle génération pèse sur le respect des contrats opérationnels et a pour effet pervers d’enrayer le renouvellement des compétences de l’ALAT 37

i. Des pertes « sèches » de capacités opérationnelles 37

ii. Le problème du renouvellement des pilotes de l’ALAT 38

B. DES BLOCAGES QUI TIENNENT DAVANTAGE À L’ORGANISATION DE LA MAINTENANCE AÉRONAUTIQUE QU’À SON FINANCEMENT 39

1. Une ressource financière sous contrainte, mais « juste suffisante » 39

a. Les ressources financières consacrées à l’entretien programmé du matériel aéroterrestre 39

b. Un effort financier « juste suffisant » 40

2. Une « chaîne » de maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques défaillante 41

a. La chaîne de maintien en condition opérationnelle des hélicoptères de l’armée de terre : une organisation complexe 41

b. Les défaillances des différents « maillons » de la chaîne de maintien en condition opérationnelle des hélicoptères de l’armée de terre 43

i. L’« immaturité » de certains matériels dits « de nouvelle génération » 43

ii. La lourdeur du dispositif contractuel sous-tendant le système de MCO aéronautique 44

iii. Les capacités des industriels 45

iv. L’emploi intense des hélicoptères sur des théâtres d’opérations plus « abrasifs » que ceux envisagés lors de leur conception 48

v. La surcharge d’activité des ateliers de l’ALAT 49

vi. Les pratiques des armées 52

vii. Des contrats « sous-calibrés » pour les pièces de rechange 53

viii. Les normes de navigabilité 54

ix. La place de la DGA dans le dispositif 55

x. La logique consistant à procéder par améliorations capacitaires progressives (« retrofit ») 55

II. CONSOLIDER NOS CAPACITÉS D’AÉROCOMBAT SUPPOSE UN EFFORT COMBINÉ DE DÉVELOPPEMENT CAPACITAIRE ET DE RÉORGANISATION DE LA MAINTENANCE AÉRONAUTIQUE 56

A. DES MESURES CORRECTRICES ET DES SOLUTIONS PALLIATIVES JUSQU’À PRÉSENT INSUFFISANTES 57

1. La simulation : un apport complémentaire davantage qu’un palliatif 57

a. La simulation comme moyen de substitution partiel 57

b. La simulation comme outil d’entraînement tactique à large échelle 57

2. Le recours à des hélicoptères « civils » de substitution : un palliatif par nature limité 59

a. Des vols de substitution et autres solutions palliatives 59

b. Un effet de substitution toutefois limité 60

3. L’idée de distinguer flotte d’entraînement et flotte d’opération : une option incompatible avec le volume actuel de nos flottes 60

4. Un « plan d’action “hélicoptères” » qui a paré au plus urgent : la disponibilité des hélicoptères en OPEX 61

B. PROPOSITIONS POUR L’AÉROCOMBAT DANS LA REFONTE À VENIR DE LA PROGRAMMATION MILITAIRE 63

1. Un effort de développement capacitaire à inscrire dans la prochaine programmation militaire 63

a. Des parcs d’hélicoptères à compléter 63

i. Pour l’ALAT dans son ensemble 63

ii. Pour les forces spéciales en particulier 64

b. Des moyens de transmission à améliorer 65

i. Des moyens aujourd’hui insuffisants 65

ii. Un élément-clé de l’« aérocombat de demain » 67

2. Un programme majeur : l’hélicoptère interarmées léger 69

a. Un programme ambitieux qui n’en est qu’à ses débuts 69

i. Un programme interarmées, motivé en partie par le souci d’un soutien plus simple 69

ii. Un programme encore au stade d’orientation 70

b. Les besoins de l’armée de terre 70

i. Une lacune capacitaire à combler entre le retrait des Gazelle et l’entrée en service des HIL 70

ii. L’armée de terre a besoin d’un appareil « simple » 71

c. La difficile synthèse des besoins des différentes forces 71

d. Les choix du (ou des) modèles 72

i. Faut-il vraiment un modèle unique ? 72

ii. Quel(s) modèle(s) pour le HIL ? 73

3. Un réexamen pragmatique de la pertinence des normes de navigabilité 74

a. Des normes perçues comme un « mal nécessaire » 75

b. Des assouplissements possibles 75

i. Une réduction de la charge de travail administrative découlant des normes de navigabilité 75

ii. Des aménagements des normes elles-mêmes 75

4. Une organisation du système de maintien en condition opérationnelle à refonder 76

a. Pour un assouplissement des règles 76

i. Les aménagements envisagés par la SIMMAD pour les plans recommandés d’entretien des matériels 76

ii. Vers une « logique de garage » pour la logistique des pièces détachées et autres solutions de rechange ? 77

b. Pour une amélioration des relations contractuelles 78

c. Pour un renforcement des moyens de la SIMMAD 79

d. La question du partage de la charge entre industriels public et privés 80

RECOMMANDATIONS DU RAPPORTEUR POUR AVIS 81

TRAVAUX DE LA COMMISSION 83

I. AUDITION DU GÉNÉRAL JEAN-PIERRE BOSSER, CHEF D’ÉTATMAJOR DE L’ARMÉE DE TERRE 83

II. EXAMEN DES CRÉDITS 111

ANNEXE : Liste des personnes rencontrées et auditionnées par le rapporteur pour avis 115

INTRODUCTION

Le budget de l’armée de terre proposé pour 2017 est conforme à la loi de programmation militaire, dont les dispositions ont été actualisées le 28 juillet 2015 et encore revues à la hausse par les décisions prises le 6 avril 2016 en Conseil de défense. Ce budget est cohérent avec les ajustements successifs du contrat opérationnel des forces terrestres et tient compte de l’augmentation de leurs effectifs ainsi que des besoins capacitaires qui en découlent.

Le rapporteur pour avis a tenu à assurer un suivi des recommandations qu’il a formulées l’an dernier quant à l’opération Sentinelle. Il en ressort que si la posture de la force est moins statique qu’auparavant, la grande majorité des missions confiées aux militaires ne permet toujours pas d’exploiter pleinement leurs savoir-faire professionnels, et que l’opération Sentinelle déséquilibre encore l’activité des forces terrestres, dont la préparation opérationnelle reste la variable d’ajustement. Il est temps de passer d’un modèle que l’on pourrait appeler « Vigipirate “puissance dix” » au véritable « Sentinelle de demain », conformément aux nouveaux documents de doctrine présentés en mars dernier devant le Parlement.

Le rapporteur pour avis a également tenu à consacrer une étude approfondie à nos capacités d’aérocombat. Elles sont devenues un élément clé des opérations : aujourd’hui, sans hélicoptère, pas d’opérations. Pourtant, nos capacités sont bridées par un niveau préoccupant de disponibilité technique des appareils ‒ 38 % ‒, qui résulte d’importants retards dans leurs opérations de maintenance. Les causes de ces défaillances sont multiples et les responsabilités très enchevêtrées, mais il apparaît clairement qu’elles tiennent moins à des difficultés de financement qu’à des problèmes d’organisation du maintien en condition opérationnelle des hélicoptères. Le rapporteur pour avis formule donc des propositions de simplification de ce système tout en appelant à ce que les leçons des difficultés actuelles soient bien prises en compte dans le prochain exercice de programmation militaire en général, et en particulier dans la définition du prochain grand programme d’hélicoptère interarmées léger.

Le rapporteur pour avis avait demandé que les réponses à son questionnaire budgétaire lui soient adressées au plus tard le 10 octobre 2016, date limite résultant de l’article 49 de la loi organique du 1er août 2001 relative aux lois de finances.

À cette date, 30 réponses sur 30 lui étaient parvenues, soit un taux de 100 %.

PREMIÈRE PARTIE

L’année 2016 a été marquée par la persistance de menaces terroristes d’une intensité jusqu’alors inégalée, justifiant la pleine mobilisation des forces terrestres sur le territoire national, afin tant de protéger que de rassurer. Alors que la loi du 28 juillet 2015 a profondément modifié les équilibres de la programmation militaire (LPM) pour les années 2014 à 2019 en faveur d’une réallocation de crédits et de ressources humaines à la mission « Défense », le projet de budget pour 2017 s’inscrit dans la continuité de ce tournant et permet la poursuite des efforts en faveur du renforcement des forces terrestres.

L’armée de terre est fortement sollicitée depuis le déploiement de l’opération Sentinelle en réaction aux attentats de janvier 2015. Depuis, 7 000 militaires sont constamment mobilisés pour assurer la sécurité du territoire national – effectif porté à 10 500 lors de grands événements tels que la COP 21 en 2015 et le championnat d’Europe de football à l’été 2016. Cette situation a conduit les pouvoirs publics à accorder aux armées des moyens supplémentaires, tant humains que financiers :

‒ une première fois avec l’actualisation de la programmation militaire ;

‒ une seconde fois selon des modalités annoncées par le président de la République devant le Congrès le 16 novembre 2015 et arrêtées précisément lors du Conseil de défense du 6 avril 2016.

Le projet de loi de finances pour 2017 traduit ainsi des efforts en faveur de la protection du territoire national, de l’équipement et de l’activité opérationnelle des forces terrestres.

Dans le cadre des « non-déflations » programmées par la loi du 28 juillet 2015 actualisant la loi de programmation militaire (LPM) 2014-2019, la « force opérationnelle terrestre » (FOT), voit sa capacité opérationnelle portée à 77 000 hommes en 2017, soit une augmentation de 11 000 hommes par rapport aux orientations initiales de la LPM. 224 emplois ont aussi été créés au titre du recrutement et de la formation initiale des nouvelles recrues. Cet effort majeur vise à rendre soutenable l’engagement des forces terrestres pour la protection du territoire national dans le cadre de l’opération Sentinelle, suivant un contrat opérationnel « de protection » redéfini à la hausse.

Pourtant, si ce contrat opérationnel prévoyait la mobilisation de 7 000 hommes sur le territoire national dans la durée, avec une hausse ponctuelle de cet effectif à 10 000 hommes perdant un mois au maximum, le niveau d’engagement de l’armée de terre a rapidement dépassé ce niveau. En effet, en 2016, les effectifs déployés sur le territoire national ont été maintenus à un plafond de 10 500 hommes pendant quatre mois.

Trois jours après les attentats du 13 novembre 2015, le président de la République a donc décidé de renoncer à toute déflation d’effectifs du ministère de la Défense et l’a annoncé devant le Congrès réuni à Versailles. Les modalités de cette décision ont été précisées lors du Conseil de défense du 6 avril 2016. Dans le même temps, des mesures de redéploiement interne ont été décidées. Il en résulte que le format de l’armée de terre et de la force opérationnelle terrestre a été précisé, ce qui se traduira dès 2017 par :

– le renforcement des unités de combat de la force opérationnelle terrestre et de sa composante « renseignement » ;

– le renforcement de la protection directe de sites sensibles, comme par exemple ceux du service interarmées des munitions (SIMu), du service de santé des armées (SSA) ou des lycées militaires ;

– le renforcement de ses moyens de commandement ;

– la consolidation de ses capacités de maintien en condition opérationnelle (MCO) afin de les adapter aux objectifs de disponibilité accrue des équipements et à la densification des unités de combat.

L’actualisation de la programmation militaire met également l’accent sur la hausse des crédits d’équipements de la mission « Défense » pour un milliard d’euros sur la période 2016-2019, affectés pour moitié à l’entretien programmé des matériels (EPM) et, pour le reste, à destination des « programmes à effet majeur ». Dans le même temps, l’évolution favorable des indices économiques doit offrir au ministère de la Défense un gain de pouvoir d’achat d’un milliard d’euros supplémentaire, redéployés au bénéfice des opérations d’armement.

La LPM actualisée fait en outre de la composante « hélicoptères » le principal bénéficiaire de l’effort financier, avec trois mesures principales :

– la commande de sept Tigre HAD supplémentaires dont les livraisons sont prévues entre 2017, pour deux appareils, et 2018, pour les cinq restants, portant l’effectif-cible du parc de soixante à soixante-sept hélicoptères ;

– le développement et intégration de la roquette de précision métrique (RPM) sur Tigre HAD avec livraison des premières roquettes en 2020 ;

– la commande de six NH90 TTH supplémentaires, portant le volume du programme à soixante-quatorze appareils dont trente-cinq seront livrés d’ici 2019.

L’anticipation du programme de l’hélicoptère interarmées léger (HIL) fait actuellement l’objet d’une étude. Il s’agit pour l’armée de terre de remplacer notamment les appareils d’« ancienne génération » Gazelle.

D’autres mesures sont également prévues, comme l’augmentation du volume du programme « armes individuelles futures ». De façon cohérente avec l’évolution des effectifs, le Conseil de défense du 6 avril 2016 a décidé l’achat de 117 000 nouveaux fusils au lieu des 90 000 initialement prévus en remplacement du FAMAS. Le programme « porteur polyvalent terrestre » (PPT) voit également son volume élargi, puisque 900 camions seront livrés d’ici 2019 et 700 de plus après cette date. Enfin, deux autres « programmes à effet majeur » sont en cours :

– le centre d’entraînement en zone bâtie et de restitution des engagements (Cerbere), qui constitue le principal programme de simulation du combat aéroterrestre adapté au programme SCORPION (1). Il doit remplacer les équipements de simulation des centres d’entraînement aux actions en zone urbaine à Sissonne et au combat à Mailly-le-camp ;

– 800 véhicules blindés légers (VBL) feront l’objet d’opérations de remise en état d’ici 2019, afin de traiter leurs obsolescences et de les remettre aux normes de sécurité. Le VBL ainsi « régénéré » permettra d’éviter toute lacune capacitaire d’ici l’arrivée de son successeur, le véhicule blindé d’aide à l’engagement (VBAE), à partir de 2027.

Présentée en février 2015, la réorganisation des fonctions stratégiques de l’armée de terre, suivant un modèle dénommé « Au contact », se poursuit. Ce nouveau modèle vise à simplifier l’architecture de l’armée de terre, avec un échelon de commandement divisionnaire et une meilleure distinction des principales fonctions opérationnelles, organisées en douze commandements.

« Au contact » met ainsi l’accent sur les capacités-clés de l’armée de terre, à savoir les forces spéciales, l’aérocombat, le renseignement, les systèmes d’information et de communication, la cyberdéfense ainsi que la logistique et les brigades interarmes. Comme le montre l’encadré ci-après, la phase de mise en œuvre du modèle, déjà bien avancée, devrait aboutir à l’horizon de l’été 2017. Pour l’heure, selon le ministère de la Défense, 90 % des transformations ont été mises en œuvre ; l’encadré ci-après en présente l’état d’avancement.

Les transformations mises en œuvre en 2016 au titre du modèle « Au contact »

● Création et dissolutions d’états-majors

Deux états-majors de division ont été créés et implantés à Besançon et Marseille en lieu et place des deux états-majors de force qui ont été dissous. L’état-major de la 4e brigade d’aérocombat a été créé et implanté à Clermont-Ferrand en lieu et place de l’état-major de la 3e brigade légère blindée qui a été dissoute.

L’état-major de la brigade de renseignement, à Haguenau, ainsi que l’état-major de la brigade des transmissions et de l’appui au commandement, à Douai, ont été dissous.

● Création des commandements de niveau divisionnaire 

Un commandement des forces spéciales « terre » a été créé à Pau en lieu et place de l’état-major de la brigade des forces spéciales « terre ». Dans le même temps, un commandement du renseignement ainsi qu’un centre renseignement de l’armée de terre ont été créés à Strasbourg. Un commandement de la maintenance des forces a été créé et implanté sur deux sites, à Lille et Versailles, et constitué à partir des effectifs de la division « maintenance » du commandement des forces terrestres (CFT) et d’une partie de ceux de l’état-major du service de la maintenance industrielle terrestre (SMITer) de Satory. À partir des effectifs de la division logistique du CFT, renforcés de personnels de l’état-major de la brigade logistique de Montlhéry, un commandement de la logistique a été créé à Lille. Un commandement des systèmes de communication et d’information a été créé et sera implanté à Cesson-Sévigné en 2017.

● Densification des unités 

La densification des formations se poursuit : trente-trois unités élémentaires sont créées dans les régiments d’infanterie, de cavalerie blindée et de génie. De plus, la 13e demi-brigade de la Légion étrangère (DBLE) a été transférée sur le camp du Larzac ; aux Émirats arabes unis, le 5e régiment de cuirassiers lui a succédé ; le 5e régiment de dragons, centre d’entraînement au combat implanté à Mailly, sera renforcé.

● Adaptation capacitaire

Les pelotons de régulation « ravitaillement » et « gestion » des régiments seront dissous en 2017 et remplacés dans certains régiments par un escadron d’escorte de convois.

La transformation des « batteries de renseignement » de brigade en « batteries d’acquisition et de surveillance » est en cours, comme le renforcement des détachements de liaison et d’observation des régiments d’artillerie. En 2016, la capacité des régiments de génie a été renforcée de quatre nouvelles compagnies de combat.

● Rationalisation de l’environnement de la force opérationnelle terrestre

La fusion du centre de doctrine d’emploi des forces (CDEF) et du centre d’études stratégiques de l’armée de terre (CESAT) a été menée à son terme. Dans le même temps, les effectifs du centre d’expertise de l’infovalorisation et de la simulation (CEISIM) ont été intégrés au sein de la section technique de l’armée de terre (STAT).

Source : ministère de la Défense.

L’année 2017 est une année importante pour l’armée de terre en matière d’équipements. Les premières commandes de production en série des véhicules du programme SCORPION seront en effet passées cette année. Elles représentent près de 1,2 milliard d’euros en autorisations d’engagement et permettent d’entamer la modernisation des équipements de l’armée de terre, dont la vétusté pèse aujourd’hui sur leur disponibilité opérationnelle.

SCORPION comprend quatre opérations en cours de développement : Griffon, Jaguar, Leclerc rénové et SICS (système d’information du combat SCORPION). Deux autres opérations ‒ le véhicule blindé multi-rôles (VBMR) léger et le système de préparation opérationnelle (SPO) ‒ verront leurs marchés notifiés en 2017. À ce stade, les calendriers sont respectés et la première tranche de production, comprenant 319 Griffon et vingt Jaguar, sera « affermie » en 2017. Le tableau ci-après présente ce calendrier.

CALENDRIER DES COMMANDES ET LIVRAISONS DE L’OPÉRATION SCORPION

   

2016

2017

Ultérieur.

Cible

GRIFFON

Commandes

 

319

461

780

Livraisons

   

780

780

VBMR léger

Commandes

   

400

400

Livraisons

   

200

400

JAGUAR

Commandes

 

20

90

110

Livraisons

   

110

110

Leclerc rénovés

Commandes

   

200

200

Livraisons

   

200

200

SICS

Commandes

   

1

2

Livraisons

   

2

2

Source : ministère de la Défense.

L’armée de terre devrait voir le SICS et les premiers postes radio Contact déployés en 2019, dans le même temps que la livraison des premiers Griffon. Les premiers chars Leclerc rénovés devraient être livrés fin 2020, les premiers Jaguar et les premiers véhicules blindés multi-rôles légers en 2021. Les objectifs capacitaires fixés restent inchangés : un groupement tactique interarmes (GTIA) SCORPION « projetable » en 2021 et une brigade interarmes en 2023.

     

LFI 2016

PLF 2017

Évolution 2016/2017

Programme

Action

Titre

AE

CP

AE

CP

AE

CP

212

55

2a

6 114,63

6 114.63

6 881,80

6 881,80

12,55 %

12,55 %

178

2

3b

1 313,57

1 142,18

1 243,86

1 102,31

-5,31 %

-3,49 %

178

2

5c

97,89

96,43

86,55

119,17

-11,58 %

23,58 %

178

2

6d

4,20

4,20

4,87

4,87

15,95 %

15,95 %

Total

   

7 530,29

7 357,44

8 217,08

8 108,15

9,12 %

10,20 %

a Dépenses de personnel ; b dépenses de fonctionnement ; c dépenses d’investissement ; d dépenses d’intervention

Source : ministère de la Défense.

Le renoncement aux suppressions de postes prévu en 2015 par la loi actualisant la programmation militaire et amplifié par les mesures arrêtées en Conseil de défense le 6 avril 2016 modifie profondément le schéma d’emplois du ministère de la Défense. En effet, alors que les orientations initiales de la LPM 2014-2019 prévoyaient la suppression de 7 397 postes en 2017, les effectifs du ministère seront augmentés de 400 équivalents temps plein (ETP).

L’armée de terre en est le principal bénéficiaire. Il en ressort que les crédits de personnel (dits « de titre 2 ») du programme 212 « Soutien de la politique de défense » concernant l’armée de terre augmentent de 12,55 % par rapport à 2016. Sur la période 2016-2019, les effectifs du personnel de l’armée de terre seront ainsi en hausse de 5,5 % – comme indiqué dans le tableau d’évolution prévisionnelle ci-après – afin de répondre aux besoins en recrutements de la FOT et des unités chargées de fonctions de renseignement et de cyberdéfense.

En 2016, les prévisions relatives au solde des flux d’entrées et de sorties des effectifs de l’armée de terre font apparaître une augmentation de l’ordre de 4 100 militaires. Cette hausse repose notamment sur des plans de recrutement ambitieux pour les militaires du rang et les sous-officiers, respectivement en hausse de 23 % et 29 % par rapport à 2015. Une meilleure prise en compte du taux d’attrition des effectifs dans leurs premiers mois de service (26 % en 2015) dans le plan de gestion 2016 devrait par ailleurs limiter l’effet d’attrition qui a compromis l’atteinte des cibles d’effectifs en 2015, sans cependant combler le déficit de 400 militaires du rang et sous-officiers constaté en fin d’exercice 2015. L’armée de terre devrait ainsi atteindre 99,7 % de ses objectifs d’effectifs en 2016. Le chef d’état-major de l’armée de terre (CEMAT) a toutefois assuré au rapporteur pour avis que des recrutements nécessaires seraient effectués dans les premières semaines de 2017.

ÉVOLUTION PRÉVISIONNELLE DES EFFECTIFS DE L’ARMÉE DE TERRE
POUR LA PÉRIODE 2016-2019

 

2016

2017

2018

2019

Effectif terminal

105 853

106 130

106 292

106 443

Source : ministère de la Défense.

Afin de compenser les fortes sollicitations qui pèsent sur le personnel de la défense, le budget 2017 finance une série de mesures inscrites au plan d’amélioration de la condition du personnel (PACP) :

– l’indemnité d’absence cumulée (IAC), complémentaire des dispositifs indemnitaires existants, destinée à compenser les services prolongés. Il s’agit d’une indemnité progressive mise en œuvre à partir de 2017, pour un coût annuel de 38,5 millions d’euros ;

– l’indemnisation de deux jours de permissions complémentaires planifiées (PCP) sur sept, « monétisés » en indemnité pour temps d’activité et d’obligations professionnelles complémentaires (ITAOPC). Pour un coût de 36 millions d’euros, elle représente un gain de 170 euros par militaire et par an ;

– la revalorisation de cinq à dix euros par jours de l’indemnité pour sujétion spéciale d’alerte opérationnelle (AOPER), pour un coût de 6,3 millions d’euros par an à compter de 2017. De même, le champ d’éligibilité à cette prime sera étendu : déjà ouvert aux personnels mobilisés pour l’opération Sentinelle, il sera étendu aux militaires intervenant dans la protection des infrastructures du ministère de la Défense.

Malgré les difficultés que rencontre le système Louvois dans le versement des soldes, ces mesures indemnitaires visent à compenser le « surabsentéisme » des militaires. Elles sont d’autant mieux venues que le chef d’état-major de l’armée de terre a estimé que, si le moral des effectifs restait plutôt bon, les familles constituent aujourd’hui le « maillon fragile de la chaîne ».

(crédits de paiement, en millions d’euros)

OS « Fonctionnement et activités spécifiques »

2013

2014

2015

2016

2017

 

115,3

83,8

92,8

76,9

78,4

Source : ministère de la Défense.

Alors que la charge opérationnelle de l’armée de terre s’alourdit du fait de la hausse de ses effectifs, le montant des dépenses de l’opération stratégique « Activités opérationnelles » (AOP) reste stable. Cela s’explique par l’adaptation des objectifs de préparation opérationnelle, qui, à quatre-vingt-cinq jours de préparation opérationnelle (JPO) par homme, restent inférieurs aux objectifs de la loi de programmation militaire, à savoir quatre-vingt-dix jours de JPO.

Le général Jean-Pierre Bosser a par ailleurs estimé que face au « suremploi, surrecrutement et surformation » dont souffre l’armée de terre, la « variable d’ajustement demeure la préparation opérationnelle ».

ÉVOLUTION DES DÉPENSES LIÉES À LA PRÉPARATION OPÉRATIONNELLE
DES FORCES TERRESTRES

(crédits de paiement, en millions d’euros)

OS « Activités opérationnelles » dont carburants opérationnels

2013

2014

2015

2016

2017

 

255,1

256,1

255,1

173,2

174,8

Source : ministère de la Défense.

Les ressources prévues en 2017 sont suffisantes pour couvrir les besoins de reconstitution des stocks, les surcoûts liés au vieillissement de parcs fortement sollicités et la hausse du format de la force opérationnelle terrestre. La revalorisation des crédits consacrés au maintien en condition opérationnelle prévue par l’actualisation de la programmation militaire doit ainsi permettre d’accroître les niveaux de disponibilité des matériels pour les opérations et la préparation opérationnelle des effectifs selon les objectifs suivants :

– les matériels terrestres devront atteindre un niveau de 65 % de disponibilité en métropole et de 90 % en OPEX ;

– les matériels aéroterrestres devront atteindre un niveau de 65 % de disponibilité en métropole et de 80 % en OPEX.

Si la disponibilité en OPEX a bien atteint 90 % pour les matériels terrestres et 70 % pour les matériels aéroterrestres, la disponibilité en métropole est jugée « juste satisfaisante » en 2016.

La seconde partie du rapport présente une analyse de l’évolution des crédits d’entretien des matériels aéroterrestres. Quant aux matériels terrestres, le financement « au juste niveau » de leur entretien est possible dans l’hypothèse de la réussite du plan de transformation du MCO terrestre (MCO-T 2025) qui vise à accroître le recours à des entreprises privées pour le soutien industriel. L’état-major de l’armée de terre précise toutefois que ce plan de transformation n’est pour l’instant pas financé au-delà de 2018.

 

2017

2018

2019

2020

2021

2022

TOTAL

Besoins EPM

936

1 020

1 009

1 042

1 154

1 056

6 217

Ressource programmée en VAR 16

904

943

1 088

986

1 065

1 107

6 094

Écart

-31

-77

78

-56

-88

51

-122

Source : ministère de la Défense

Constatée l’an dernier déjà par le rapporteur pour avis, la sous-réalisation récurrente des objectifs de préparation opérationnelle se traduit par une inadéquation du nombre de journées de préparation opérationnelle par homme et du nombre d’heures de vol (HdV) par pilote. En dessous du seuil de quatre-vingt-dix JPO et de 180 HdV, l’altération progressive du niveau opérationnel de l’armée de terre est supposée.

Le nombre d’heures de vol en 2016 s’établit à 159 heures. S’agissant des JPO, les réalisations ont été très inférieures aux objectifs en 2015, – avec soixante-quatre JPO au lieu de quatre-vingt-trois prévues – et restent faibles en 2016 – avec une prévision de soixante-quinze jours. Cette situation s’explique par le fait que la préparation opérationnelle a servi de variable d’ajustement dans la gestion des ressources humaines de l’armée de terre quand celle-ci a dû être engagée massivement sur le territoire national sans disposer encore des effectifs correspondants. En effet, elle n’aura un effectif cohérent avec son contrat opérationnel qu’une fois ses personnels supplémentaires recrutés et formés, c’est-à-dire à l’été 2017 pour une opération telle que Sentinelle, et un an plus tard pour les OPEX les plus exigeantes. Les adaptations de ce type constituent des « renoncements », que présente l’encadré ci-après.

Nature et étendue des « renoncements » consentis en 2015 et 2016

● Une grande partie des exercices interarmées ou internationaux ont été soit annulés, soit dégradés. Sont concernés les exercices GRIFFIN RISE 2015, GRIFFIN STRIKE 2016, CITADEL JAVELIN 2016.

● La formation initiale des jeunes cadres est affectée par le manque de disponibilité des moyens et des personnels nécessaires à leur formation. À l’arrivée en unités, leur aptitude opérationnelle est donc moindre. La formation des militaires du rang fait en revanche l’objet d’une attention particulière depuis l’été 2015, en réponse à l’effort de recrutement lié à la remontée en puissance de FOT.

● La préparation opérationnelle « métier » (PO-M) connaît également un ralentissement important, faute de temps disponible.

● La préparation opérationnelle interarmes (PO-IA) est restreinte aux mises en condition finale avant projection (MCF) et à quelques évaluations, au détriment de l’entraînement générique qui constitue le socle opérationnel.

Source : ministère de la Défense.

Comme l’a souhaité devant la commission (3) le chef d’état-major des armées, « cet effort doit se traduire par une hausse progressive du budget de la défense pour […] rejoindre la cible de 2 % du PIB durant le prochain quinquennat et si possible dès 2020 ». Conformément aux dispositions de l’article 5 de la loi du 28 juillet 2015 actualisant la programmation militaire, un réexamen des orientations de la LPM aura lieu début 2017. C’est dans ce cadre qu’un consensus semble se dégager afin d’accroître le budget de la défense.

Intitulé

Description

2017

Série « A-CJEF »

Exercices de troupes aéroportées (TAP) franco-britanniques

1er semestre

Allied Spirit VII

Exercice US de niveau division

octobre à novembre 2017

Aurige BFA

Exercice de certification

mai 2017

AWA 18

Exercice d’interopérabilité organisé par l’US Army

octobre 2017

Bold Alligator

Exercice annuel amphibie réalisé avec l’US Marines Corps

octobre 2017

Bold Quest

Exercice annuel interallié et interarmées organisé par l’US Army

octobre 2017

Kolibri

Exercices TAP franco-allemand

octobre 2017

Trident Jaguar 2017

Exercice de certification du Corps de réaction rapide-France (CRR FR) impérative pour la prise d’alerte OTAN Joint task force headquarters (JTF HQ) 2017-18

1er au 17 mars 2017

GA1-EAOM

Campagne école d’application des officiers de la marine nationale

Participation des forces terrestres à certaines séquences

mars à juillet 2017

S-Jadex

Exercice artillerie sol-air interarmées

novembre 2017

Serpentex

Exercice interarmées organisé par l’armée de l’air

mars 2017

Source : ministère de la Défense.

La conception même de la loi de programmation militaire 2014-2019, sous forte contrainte budgétaire, a conduit à ce que les programmes d’équipement soient en grande partie « étirés » dans le temps, avec pour conséquence la coexistence de plusieurs générations de matériels. Si l’entretien des matériels « d’ancienne génération » entraîne des coûts supplémentaires à mesure que l’on reporte leur date de retrait de service, la coexistence de deux niveaux d’équipements pose aussi de grandes difficultés en matière d’interopérabilité, avec des conséquences négatives sur le potentiel opérationnel des forces : il faut souvent « s’aligner » sur le plus lent. À titre d’exemple, le système d’information et de communication « blue force tracking » du programme SCORPION ne peut être généralisé à l’ensemble des aéronefs de l’armée de terre, puisque les postes radio PR4G, encore en place sur certains appareils, ne permettent pas le « géo-référencement » et les contacts permanents, deux fonctions pourtant essentielles du nouveau SIC.

L’aérocombat souffre également de lacunes relevant bien plus de la faible disponibilité des appareils que d’un manque de commandes, que présente en détail la seconde partie du rapport. Enfin, d’autres champs sont également concernés par des difficultés bien connues, comme les capacités de maîtrise de l’information (4) et de coordination interarmées, ou les équipements dits « de cohérence », pourtant peu onéreux.

Il ressort des auditions du rapporteur pour avis que les circonstances actuelles paraissent à plusieurs égards favorables à une accélération de la mise en œuvre du programme SCORPION : le coût des facteurs de production est bas, et les industriels de l’armement terrestre possèdent des capacités de production disponibles ‒ c’est ce que le chef d’état-major de l’armée de terre a déclaré devant la commission le 11 octobre. De plus, accélérer les commandes permet d’augmenter les volumes de production annuels : en achetant chaque année des quantités supérieures, peut-être le coût unitaire des matériels peut-il être négocié à la baisse. Enfin, en limitant la période où coexisteront des matériels d’ancienne et de nouvelle génération, l’armée de terre pourrait simplifier le soutien des équipements et en réduire le coût. Pour toutes ces raisons, le rapporteur pour avis considère que l’accélération du programme SCORPION mérite d’être mise à l’étude.

Une telle accélération pourrait viser par exemple à ce que trois brigades interarmes soient complètement équipées en 2025 au plus tard.

Le général Thierry Burkhard a rappelé que le contrat opérationnel de protection assigné aux armées sur le territoire national constitue la référence de l’opération Sentinelle avec l’effectif maximal suivant : « 7 000 hommes dans la durée, effectif porté à 10 000 hommes pendant un mois en cas de crise majeure ». Il a rappelé que 10 000 militaires ont été déployés pendant environ trois mois en 2016 « au prix d’efforts considérables ».

Mais le général a fait valoir que si le contrat opérationnel est formulé en effectifs, cette formulation ne doit pas faire oublier que « si les armées engagent en apparence “10 000 fois un homme”, elles engagent en réalité 104 unités de forces militaires (UFM) de deux sections, ou 154 unités en cas d’événement grave, la réserve stratégique étant constituée de 50 UFM ». Pour la planification et la conduite de l’opération militaire, l’effort n’est pas calculé en hommes, mais en unités constituées capables de manœuvrer. Pour illustrer ces capacités de manœuvre, il a fait observer qu’« il suffit par exemple de comparer l’effet du déploiement d’une section à trois groupes de combat (soit 27 militaires) qui manœuvrent avec celui d’une patrouille isolée (doit quatre militaires), qui ne peut pas réellement “manœuvrer” ». C’est d’ailleurs le propre des savoir-faire des militaires, formés et entraînés à l’action collective pour obtenir un effet significatif sur le terrain : « les armées puisent donc leur force et leur efficacité dans l’action collective ».

L’effectif déployé a oscillé dans le temps avec des pics à 10 000 hommes, « mais dans l’ensemble, les effectifs-cible sont réalisés », grâce à une certaine « ingéniosité» du commandement des forces terrestres (CFT), qui a dû consentir à des renoncements dans le cycle d’activité des brigades au détriment de la préparation opérationnelle des forces, alors même que le niveau d’exigence de préparation aux opérations extérieures « se doit d’être élevé ». Ainsi, par exemple, pour maintenir un effectif de 10 000 hommes déployés après le 14 juillet 2016, il a fallu annuler les permissions de 2000 militaires au moins et avancer d’octobre à septembre la relève suivante. 

Concernant l’emploi de la force Sentinelle, les enseignements du début de l’opération ont été assez rapidement pris en compte. Il apparaît que dans le cas de grandes manifestations publiques, « aux militaires revient la “défense périmétrique” de la zone, et aux forces de sécurité intérieure la protection du “cœur” des grands événements ». Il en ressort aussi un rééquilibrage de la force entre Paris et la province.

Concernant la définition de la mission par les réquisitions préfectorales, le général Thierry Burkhard a observé que « les préfets admettent de mieux en mieux que la ressource militaire est limitée et doit être employée à bon escient », ce qui les porte à mieux comprendre la nécessité de « prioriser les effets à obtenir sur le terrain », et l’intérêt d’un mode d’action « dynamique à trois points de vue »:

‒ la réserve stratégique de 50 UFM, « qu’il faut savoir engager à bon escient » doit être considérée comme l’ultima ratio du dispositif ;

‒ « en cas de menace grave, il est possible d’obtenir des augmentations ponctuelles d’effectifs en élevant le taux d’emploi de nos unités déjà déployées », si nécessaire au détriment du repos des militaires, plutôt que d’engager de nouvelles unités. Pour le général, « cela doit être décidé de manière exceptionnelle, car ce taux d’emploi, parfois bien élevé, constitue un point d’attention de notre part ». En effet, les unités sont déployées pour deux mois dans le cadre de l’opération Sentinelle, et le taux d’« absentéisme » des garnisons « est révélateur d’un fort taux d’activité » ;

‒ au niveau tactique, « le mode d’action dynamique et l’exploitation des capacités de commandement permet de gagner en réactivité et en efficacité », en exploitant au mieux « la réflexion tactique, la capacité à anticiper et l’effet de surprise lié à l’imprédictibilité de l’action des forces ».

Le général a toutefois estimé qu’« il ne faut pas être défenseur à tout prix du “tout-dynamique” » : dans les missions de contrôle de zone, l’armée de terre ponctue toujours ses actions dynamiques de « phases statiques ».

Pour lui, « la vision dynamique des choses, c’est l’utilisation complète et optimale des savoir-faire militaires ». Il a jugé que le « dialogue civilo militaire », conduit entre les préfets et les officiers généraux de zone de défense et de sécurité, « a progressé ». L’expression des réquisitions préfectorales en termes d’« effets à obtenir » sur le terrain plutôt que de moyens à déployer « doit être systématiquement recherchée, à des fins d’efficacité ». Il s’y attache en effet un triple enjeu : que la manœuvre militaire soit « optimale », qu’elle s’inscrive réellement en complément des forces de sécurité intérieure et que les armées soient capables de « réorienter l’action des unités à effectif constant en fonction des priorités fixées par les autorités préfectorales ».

Le principal enjeu qui s’attache à la planification de l’opération tient à la question de savoir si les procédures applicables permettent de répondre de façon juste et suffisante aux besoins de protection. Les procédures actuelles peuvent comporter certains biais, peut-être inévitables :

‒ au niveau stratégique : l’allocation des moyens entre Paris et la province résulte d’un arbitrage clair, pas forcément lié à une analyse précise des besoins. Si le « rééquilibrage entre Paris et la province, suivant un schéma simple : moitié – moitié » est un des traits marquants de l’évolution de Sentinelle, une telle répartition procède davantage d’une logique de répartition de moyens que de réponse à des besoins analysés au préalable. L’allocation des moyens précède ainsi l’évaluation fine des besoins, ce qui, comme l’a rappelé le général Thierry Burkhard, est probablement inévitable dans l’urgence « post-14 juillet 2016 ». le général a souligné que « sachant que le terroriste peut frapper n’importe où sur le territoire national, les armées doivent agir au profit de toute la Nation » ;

‒ entre le niveau stratégique et le niveau opératif, l’arbitrage central suit parfois une logique allant à l’encontre de la réactivité. Par exemple, lorsqu’ont été découvertes des bonbonnes de gaz proximité de Notre-Dame-de-Paris, 500 militaires supplémentaires de la réserve stratégique ont été engagés dans l’urgence. Pourtant, il n’aurait pas été moins avisé d’augmenter ponctuellement le taux d’emploi des militaires déjà présents ;

‒ au niveau opératif : le même biais peut être à l’œuvre dans la répartition des moyens en province. Certes, la répartition entre zones de défense de l’effectif réservé à la province n’a pas été faite de façon strictement homothétique, mais il n’en demeure pas moins qu’« un préfet de zone peut se voir attribuer un volume d’hommes qui n’est pas la réponse à des besoins exprimés ». Dans certaines zones, le surcroît d’effectif du 14 juillet ne correspondait pas à une menace locale accrue ; « sans qu’il y ait à contester cette logique, il faut la constater ». Comme l’a rappelé le général Thierry Burkhard, « le dialogue civilo-militaire doit alors permettre de garantir une logique d’expression de besoins », consistant à définir et à prioriser les « effets à obtenir » sur le terrain, en complément des forces de sécurité intérieure, avant de déterminer les moyens à déployer. Il a jugé que la qualité de ce dialogue est globalement bonne ;

‒ au niveau tactique, les missions des unités « disponibles » sont parfois calibrées en fonction de leurs moyens, et non l’inverse. En effet, lorsqu’un chef est chargé d’une mission, il évalue les moyens et le nombre d’unités nécessaires pour la remplir, et peut les estimer à un niveau inférieur à ceux alloués ‒ l’encadrement peut, par exemple, estimer qu’une section (et non deux) suffit pour garder trois sites désignés par le préfet de zone. Pour le général, « il ne faut cependant pas tomber dans le travers consistant à tendre vers davantage de sites à protéger plutôt que de réduire les moyens disponibles dans la zone ». Utiliser cette ressource comptée à bon escient, car engagée également dans la « défense de l’avant » en opération extérieure, « doit être un maître mot ».

Conformément à l’une des recommandations formulées l’an passé par le rapporteur pour avis, un travail doctrinal a été conduit sur l’emploi des armées sur le territoire national pour des missions relevant de leur contrat opérationnel de protection. Il en ressort la définition d’une nouvelle « posture » des armées, la posture de protection terrestre, inspirée des postures de protection existant en milieu maritime ‒ la posture permanente de sauvegarde maritime (PPSM) ‒ et en milieu aérien ‒ la posture permanente de sûreté aérienne (PPSA).

À la question de savoir quelle serait la traduction concrète de cette nouvelle posture, le général Thierry Burkhard a indiqué que « comme il n’y a pas de manœuvre opérative lourde dans l’opération Sentinelle, le CPCO a surtout pour mission d’imaginer le “Sentinelle de demain” », partant du principe que tout dispositif militaire doit évoluer face à une menace « en perpétuelle évolution ». La posture de protection terrestre pourrait comprendre trois niveaux :

‒ un « socle » consistant en un maillage « un peu plus serré que celui de Vigipirate parce que la menace s’est aggravé », que le chef d’état-major de l’armée de terre a évalué à 3000 hommes par exemple lors de son audition par la commission ;

‒ une capacité d’engagement en réaction à deux niveaux.

*

* *

Aux yeux du rapporteur pour avis, les interrogations qu’il a formulées l’an dernier sur l’opération Sentinelle demeurent d’actualité.

En effet, cette opération fait peser de lourdes contraintes dans l’activité de l’armée de terre, dont la préparation opérationnelle reste la variable d’ajustement, au détriment du niveau de préparation des forces.

De plus, l’effet de Sentinelle sur le moral des hommes mérite toujours une attention particulière : tant que dure l’opération, le taux d’« absentéisme » ‒ c’est-à-dire le temps passé par les personnels hors de leurs quartiers, et donc loin de leurs familles, que ce soit en OPEX ou en mission intérieure ‒ reste élevé.

En outre, le risque n’est pas nul de voir le déploiement des militaires contesté, ou du moins son efficacité remise en cause, par la population.

Dans ces conditions, le rapporteur pour avis recommande que le « Sentinelle de demain » soit mis en œuvre rapidement, dès 2017.

SECONDE PARTIE
L’AÉROCOMBAT

Le rapporteur pour avis a choisi de consacrer cette année une part de ses travaux à une étude approfondie des capacités d’aérocombat de l’armée de terre, douze ans après les premières livraisons de l’hélicoptère Tigre.

En effet, si le rôle de l’ALAT est de plus en plus déterminant dans le succès des opérations extérieures, tant pour les opérations conventionnelles ‒ par exemple dans la bande sahélo-saharienne depuis 2013, en Afghanistan ou en Libye ‒ que pour les opérations spéciales, nos capacités sont encore « bridées » par la faible disponibilité de nos hélicoptères.

Quant aux causes de ces dysfonctionnements, elles tiennent davantage à l’organisation de la maintenance aéronautique qu’à son financement. Le rapporteur pour avis a fait un bilan des mesures propres à améliorer la disponibilité de nos flottes d’hélicoptères, ainsi que les modalités de renouvellement de certaines d’entre elles, notamment pour les hélicoptères dits « légers ».

Le rapporteur pour avis s’est attaché à analyser les retours d’expérience de ces opérations avec leurs responsables, par exemple lors de son déplacement à Étain au 3e régiment d’hélicoptères de combat (3e RHC). Le colonel Pierre Verborg, commandant ce régiment et par ailleurs auteur de « carnets de guerre » (5), a ainsi indiqué au rapporteur pour avis que le 3e RHC avait été engagé dans toutes nos opérations intérieures et extérieures : il a été « de tous les coups », de Barkhane à Héphaïstos, en passant par les opérations de libération d’otages en Somalie. Il en ressort que les personnels du régiment, âgés de 31 ans en moyenne, sont particulièrement aguerris ; « c’est une extraordinaire qualité de la ressource humaine », d’autant plus riche que la variété des missions renforce la polyvalence des hommes.

Le rapporteur pour avis a pu apprécier les compétences des pilotes par exemple en matière de vol tactique. Le colonel Pierre Verborg a souligné qu’il s’agit d’un domaine d’excellence française, indiquant que les Américains s’y étaient essayés avec moins de succès : « un hélicoptère au tapis par mois en moyenne » à l’époque de leur engagement en Yougoslavie. Il a insisté sur une autre dimension de l’activité du régiment, qu’il a appelée « la 4D » : « la force psychologique », c’est-à-dire l’impact qu’a sur le moral de l’ennemi l’intervention des hélicoptères, avec leur « important potentiel d’apparence agressive ».

L’importance des capacités d’aérocombat, démontrée en OPEX, a justifié la consolidation de ces capacités. Ainsi, selon le colonel Pierre Verborg, il y a encore neuf mois, le 3e RHC risquait d’être dissout, jusqu’à ce que le chef d’état-major de l’armée de terre annonce le 24 avril 2016 que le régiment était « sauvé », et que ses équipements seraient renouvelés avec la prochaine programmation militaire. Le colonel a fait valoir que le destin de son régiment a en quelque sorte suivi, en parallèle, celui de sa brigade : la brigade aéromobile a été dissoute en 2010, avant qu’une une brigade d’aérocombat soit recréée par le modèle d’armée « Au contact ». Pour lui, « ce mouvement est symptomatique du fait que l’ALAT a prouvé en OPEX que son intervention est décisive ».

Un rôle central dans les différents scénarios d’engagement des forces terrestres

Le colonel Pierre Verborg a présenté au rapporteur pour avis les trois principales catégories d’engagement prévisible des forces terrestres coordonnées par le programme SCORPION, catégories dont il a souligné qu’elles guident la préparation opérationnelle de l’ALAT :

‒ la défense de l’avant : suivant les éléments de renseignement et d’information générale disponibles, l’ALAT organise la préparation des unités à des scénarios d’OPEX envisageables, tels que le combat de jour et de nuit en milieu périurbain contre des groupes armés terroristes, l’intervention à partir de la mer contre de tels groupes, ou la confrontation de forces au centre de l’Europe ;

‒ la défense de l’intérieur : « sans communiquer beaucoup sur ce type d’exercices », le régiment s’entraîne à des scénarios de crise sur le territoire national, comme des catastrophes naturelles, industrielles ou d’autre nature, d’origine accidentelle, criminelle ou terroriste ;

‒ la surprise stratégique, c’est-à-dire l’entrée en premier sur un théâtre.

Le rapporteur pour avis s’est également rendu au 4e RHFS pour étudier la spécificité de l’emploi de l’hélicoptère dans les opérations spéciales. Il en ressort que les missions spécifiques des forces spéciales justifient l’existence d’un régiment d’hélicoptères distinct de ceux des forces conventionnelles.

Comme l’a fait observer le chef de corps du 4e RHFS, les moyens étant comptés, on aurait pu imaginer utiliser tous les équipages de l’ALAT pour les opérations spéciales, à l’image par exemple de ce que font les armées pour l’appui en hélicoptères des unités d’intervention des forces de sécurité intérieure (le RAID et le GIGN). Mais le maintien d’un « outil “hélicoptères” dédié aux forces spéciales » a paru plus pertinent.

En effet, un des savoir-faire spécifiques des opérateurs d’hélicoptères des forces spéciales tient à leur capacité à « travailler en module », c’est-à-dire à planifier et à conduire des missions en groupes constitués d’hélicoptères de différents modèles et de façon ad hoc pour chaque opération, intégrant l’ensemble des opérateurs des opérations spéciales. Les personnels du 4e RHFS ont aussi présenté comme une spécificité du régiment son caractère de « laboratoire d’innovation technique ».

Surtout, comme l’a fait valoir le chef de corps, « l’ADN du 4e RHFS, c’est la synergie avec les commandos ». L’hélicoptère « apporte au commando la liberté d’action, l’effet de surprise, la rapidité et puissance de feu » ; le 4e RHFS fournit ainsi un appui spécialisé aux commandos en matière de renseignement, d’« insertion » et d’« extraction » du théâtre des opérations. Son chef de corps a souligné sa « culture interarmées », précisant que ses personnels pouvaient prendre le commandement d’une task force interarmées. « Là réside la force du 4e RHFS : la connaissance mutuelle entre les commandos et leurs hélicoptères est un multiplicateur d’efficacité », comme l’ont montré, a contrario, certaines opérations. Ainsi, en 1980, l’opération américaine Eagle Claw visant à libérer les otages de l’ambassade américaine de Téhéran a été « un fiasco, faute de coordination et d’habitude de travail en commun entre les unités engagées » ; c’est à partir de cet échec que les Américains ont structuré un commandement spécifique des opérations spéciales.

Analysant les modalités envisagées de croissance des moyens des forces spéciales, conformément à l’orientation donnée par la loi de programmation militaire 2014-2019 dès sa version initiale de 2013, le rapporteur pour avis a pu constater que l’évolution programmée de nos forces spéciales va dans le sens d’un renforcement du 4e RHFS, comme le détaille l’encadré ci-après.

Vers un renforcement du 4e régiment d’hélicoptères des forces spéciales

Comme l’a expliqué le chef de corps du 4e RHFS, « le renforcement des forces spéciales décidé en 2013 ouvrait un grand champ de possibilités, mais l’armée de terre n’a pas voulu “jouer sur les volumes” ». Ainsi, il n’est pas envisagé de créer de nouveaux régiments, l’armée de terre privilégiant « un renforcement des moyens ici et là ». C’est dans ce cadre que le 4e RHFS a élaboré une « cible 2025 », et se trouve « dans une période de conquête de ressources ». Selon le chef de corps, « l’idée n’est pas de “piller” l’ALAT, mais de récupérer les ressources humaines, matérielles et financières nécessaires » à l’atteinte de cette cible, qui définit un modèle cohérent de capacités, où les effectifs, les infrastructures et les équipements sont équilibrés.

Ainsi, le 4e RHFS doit voir ses effectifs passer de 540 à 775 personnels d’ici 2025. Le chef de corps a précisé que « le renforcement des effectifs doit respecter un principe de cohérence », c’est-à-dire ne négliger ni les structures de commandement, ni les moyens de soutien. Là réside d’ailleurs l’objectif majeur du renforcement du régiment : repenser son organisation comme un tout cohérent et non comme un agrégat de capacités « sédimentées » au cours de son histoire. Ainsi, le 4e RHFS devrait gagner en autonomie pour une part de son soutien, la mutualisation de certaines prestations de soutien avec le 5e RHC s’étant avéré poser des difficultés non seulement du fait de la « concurrence » de deux régiments pour une ressource comptée, mais aussi en matière de « discrétion » des opérations. Le 4e RHFS vise donc la constitution d’un « échelon de soutien de proximité », tout en poursuivant la mutualisation d’autres capacités ‒ comme les pompiers ou les contrôleurs aériens ‒ avec le 5e RHC.

Dans le nouveau « modèle d’armée » mis en œuvre depuis 2015, appelé « Au contact », les capacités conventionnelles d’aérocombat ‒ 1er, 3e et 5e RHC et groupement d’appui à l’aérocombat (GAAC) ‒ sont rassemblées sous une seule et même brigade : la 4e brigade d’aérocombat (4e BAC). Cette brigade et les autres moyens de l’ALAT ‒ notamment le 9e bataillon de soutien aéromobile de Montauban et l’École de l’ALAT de Dax et du Cannet-des-Maures ‒ sont regroupés au sein d’un « pilier » de ce modèle intitulé « commandement de l’ALAT » (COMALAT), confié à un général de division. Comme le présente l’encadré ci-après, l’ALAT appartenait auparavant à la 4e brigade aéromobile, dissoute en 2010.

La place de l’ALAT dans l’organisation de l’armée de terre

En effet, depuis le début des années 2000, l’ALAT a fait l’objet de restructurations affectant aussi bien son format ‒ qui est passé en quinze ans de 4 400 hommes et 200 appareils à 3 100 personnels et 152 hélicoptères ‒ que son organisation. Jusqu’à l’été 2016, l’ALAT était organisée en deux entités :

‒ une entité « à vocation organique », déjà appelée COMALAT, dépendant directement du chef d’état-major de l’armée de terre et agissant en qualité d’état-major spécialisé en matière de combat aéromobile (doctrine, retour d’expérience, emploi), de sécurité des vols et de « coordination des intervenants dans la “troisième dimension” » ;

‒ une entité « à vocation opérationnelle » regroupant les régiments d’hélicoptères, placée sous l’autorité de la 4e brigade aéromobile de 1999 à 2010, puis, jusqu’en 2016, du commandement des forces terrestres, qui disposait d’une division « aéromobilité ».

Le nouveau modèle de l’armée de terre se traduit par la création d’un « pilier “aérocombat” » destiné notamment à « renforcer la combinaison des moyens et à assurer l’interface avec les autres armées ». Intégrée à ce nouveau pilier, la 4e brigade d’aérocombat a été créée le 1er juillet 2016. « Constituant le creuset des moyens nécessaires aux missions de la force aéroterrestre », cette grande unité à vocation interarmes est articulée autour :

‒ d’un état-major, capable de fournir une structure de commandement tactique de niveau 3 (brigade interarmes) et de se raccorder à des postes de commandement de niveau 1 (corps d’armée) et 2 (division) ;

‒ de trois régiments d’hélicoptères de combat (1er, 3e et 5e RHC) ;

‒ d’un groupe d’adaptation à l’aérocombat (GAAC) réparti au sein de l’état-major de la brigade et des régiments.

Source : ministère de la Défense.

Le 4e RHFS est placé à la fois « pour emploi » sous l’autorité du commandement des opérations spéciales (COS), et sous l’autorité « organique » du commandement des forces spéciales « terre » (CFST), qui constitue dans l’organisation de l’armée de terre un autre « pilier » du modèle d’armée, au même titre que le COMALAT, et distinct de ce dernier.

Selon le chef de corps du 4e RHFS, le fait que ce régiment soit placé sous l’autorité du COMFST se justifie par les spécificités des missions des forces spéciales, qui supposent « des effectifs limités, des moyens discrets, une projection “en avance de phase” et “derrière les lignes” » et pour lesquelles « l’hélicoptère est indispensable pour “insérer” comme pour “extraire” des commandos ; d’où la devise du 4e RHFS : “Nulle part sans nous” ». Ainsi, le 4e RHFS se place « à la croisée » de deux systèmes : l’ALAT et le CFST, ce qui suppose « des procédures spécifiques de fonctionnement, en cours de définition ».

 

Parc en service

en 2016

Âge moyen du parc en service au 1er janvier 2017

Disponibilité technique moyenne sur 12 mois

Fennec

18

22 ans

47 %

Gazelle

102

30 ans

46 %

Tigre

58

6 ans

24 %

Cougar

26

25 ans

21 %

Puma

70

42 ans

30 %

Caracal

8

11 ans

26 %

NH90 Caïman

21

2 ans

35 %

Total

303

25 ans

38 %

Source : ministère de la Défense.

Comme le présente l’encadré ci-après, les équipements de nouvelle génération donnent pleinement satisfaction aux forces lorsqu’ils sont disponibles. Mais le tableau précédent montre malheureusement que ce sont les équipements les plus modernes ‒ notamment le Tigre le Cougar rénové, le Caracal et le Caïman ‒ qui ont les taux de disponibilité technique opérationnelle (DTO) les plus faibles de la flotte.

Appréciation générale des hélicoptères de l’armée de terre

● Concernant le parc d’hélicoptères de reconnaissance et d’attaque (HRA)

Les Tigre sont des hélicoptères d’attaque « dont la plus-value opérationnelle est reconnue ». Depuis leur engagement en 2009, en Afghanistan, « aucune opération aéroterrestre n’est réalisée sans leur participation ». Leur version HAD, disposant des missiles air-sol Hellfire, permet de réaliser l’ensemble des missions d’un hélicoptère d’attaque, et l’intégration de la roquette guidée laser à compter de 2020 permettra de compléter encore ses capacités. Le système de numérisation qui y sera appliqué à la même date constituera une évolution intérimaire a minima, qui permettra de le faire évoluer au sein du système de combat numérisé de l’armée de terre ; une solution intégrée devrait succéder à cette première évolution lors de la rénovation « à mi-vie » du Tigre (standard 3), à l’occasion de laquelle il sera également procédé au remplacement du missile Hellfire.

Les Gazelle sont complémentaires des Tigre mais leurs caractéristiques de vitesse et d’autonomie ‒ ces appareils anciens sont plus lents que les appareils modernes ‒ ne permettent pas de suivre le rythme des hélicoptères de nouvelle génération (Tigre et Caïman). Cette limite se vérifie sur les théâtres d’opérations actuels, caractérisés par des distances significatives. De plus, le niveau de protection des équipages n’est plus conforme aux standards actuels et il n’est pas possible de l’améliorer beaucoup, du fait de la conception même de la Gazelle.

● Concernant le parc d’hélicoptères de manœuvre et d’assaut (HMA)

Les Caïman, tout comme les Caracal ou les Cougar rénovés, offrent des capacités opérationnelles bien supérieures à celles du Puma, appareil dont le soutien « devient de plus en plus problématique » compte tenu du vieillissement du parc et de l’obsolescence de certaines pièces. Les Caïman, Caracal et Cougar sont des appareils modernes, disposant de systèmes d’autoprotection complets et aptes à opérer (y compris de nuit) aux côtés des hélicoptères de reconnaissance et d’attaque. Le Caïman engagé en opérations dans la bande sahélo-saharienne depuis fin 2014 a « démontré de belles qualités de rusticité » dans un environnement très « abrasif ». Ses performances globales sont supérieures à un Caracal ou un Cougar rénové. La solution de numérisation simplifiée, développée a minima comme sur le Tigre, devra elle aussi, à terme, être remplacée par une solution intégrée.

Source : ministère de la Défense.

Lors de son déplacement à Pau, le rapporteur pour avis a pu prendre la mesure de la faible disponibilité des hélicoptères dits « de nouvelle génération » ‒ principalement les Tigre et les Caïman. À titre d’exemple, les graphiques ci-après présentent l’évolution de la disponibilité des appareils du 4e RHFS : seul un tiers du parc est effectivement disponible, et la disponibilité des hélicoptères de nouvelle génération est globalement orientée à la baisse.

DISPONIBILITÉ TECHNIQUE DES HÉLICOPTÈRES LÉGERS

Source : armée de terre.




Source : armée de terre.

DISPONIBILITÉ TECHNIQUE DES HÉLICOPTÈRES D’ATTAQUE

Source : armée de terre.

La faible disponibilité des hélicoptères crée d’importantes contraintes opérationnelles, avec des « effets de boucle » défavorables à l’entretien des compétences des pilotes.

En effet, suivant les standards de l’OTAN, la préparation opérationnelle des pilotes nécessite au minimum 180 heures de vol par an pour les forces conventionnelles et 200 heures pour les forces spéciales. Or, comme le montre le tableau suivant, le nombre d’heures de vol disponibles compte tenu de la faible disponibilité des hélicoptères n’est pas encore suffisant pour atteindre le niveau d’entraînement requis des pilotes spécialisés dans les parcs de nouvelle génération (Tigre et Caïman). Selon les précisions fournies par le ministère, l’activité de ces flottes a été revue à la hausse en 2014 mais cette hausse « ne devrait se faire que progressivement pour atteindre un niveau satisfaisant à compter de 2017 pour le Caïman et de 2020 pour le Tigre ».

HEURES DE VOL DISPONIBLES POUR LES HÉLICOPTÈRES DE L’ARMÉE DE TERRE

Source : ministère de la Défense.

Ces volumes sont insuffisants pour permettre à l’ensemble des pilotes de d’hélicoptères de l’armée de terre de s’entraîner suffisamment pour être aptes aux OPEX. En effet, pour être « projetables » en OPEX, les pilotes sont soumis à des conditions réglementaires d’aptitude qui exigent notamment qu’ils aient effectué au (grand) minimum 140 heures de vol sur douze mois pour les forces conventionnelles, et 200 à 220 heures de vol dans les forces spéciales. Le graphique ci-après montre par exemple que, pour l’un des régiments d’hélicoptères le plus sollicités, entre un quart et un tiers des pilotes n’effectue même pas 140 heures de vol en douze mois.

RÉPARTITION PAR CAPITAL D’HEURES DE VOL DES PILOTES DITS « OPÉRATIONNELS » EN 2015

Source : armée de terre.

Le commandement du 5e RHC a donné au rapporteur pour avis une mesure chiffrée de l’écart entre les moyens dont il dispose et ceux dont il devrait disposer pour pouvoir remplir son contrat opérationnel : alors qu’il aurait dû « consommer » 984 heures de vol entre le 1er janvier et le 31 août 2016, il n’en a disposé que de 455,3 du fait d’un nombre important d’appareils indisponibles. Il en résulte une « perte sèche de potentiel opérationnel ».

Au sein d’un autre régiment d’hélicoptères, le commandement a expliqué que l’effectif « extrêmement réduit » d’appareils disponibles ne permet pas d’entraîner les personnels et d’ « “armer” deux théâtres d’opération » comme le prévoit le contrat opérationnel du régiment. « Avec les moyens actuels, “armer” un second théâtre supposerait de dégarnir de 50 % le premier », et si les moyens disponibles au titre de l’échelon national d’urgence permettent de répondre à une alerte, « pour une intervention plus durable, un “transbordement” d’un théâtre à un autre resterait indispensable ».

Le chef de corps a également souligné que le niveau d’entraînement insuffisant des pilotes ‒ que ce soit en matière de pilotage ou d’interopérabilité, par exemple avec les commandos ‒, se traduit nécessairement par des prises de risques en OPEX.

Cette situation conduit à engager en OPEX des personnels qui ne totalisent pas tout à fait l’ensemble des heures de vol requises, ce qui conduit les forces à achever leur entraînement directement sur le théâtre. Or cette solution palliative se traduit par une « perte “sèche” de capacité opérationnelle pour les détachements “hélicoptères” » sur les théâtres d’opération, car la durée de ce complément de formation est directement à imputer sur le temps de « projection » des personnels concernés. S’il est toujours utile de réaliser « un petit entraînement de “poser” sur sable », ce complément de formation peut conduire à rendre les hommes engagés en OPEX peu ou pas disponibles pendant une à deux semaines sur deux mois d’engagement, ce qui limite d’autant les capacités des forces déployées.

Ces pertes de capacités se traduisent dans le taux d’adéquation des matériels disponibles de l’ALAT aux exigences de son contrat opérationnel. Le tableau ci-dessous montre qu’en 2016, ce taux s’établit à seulement 49 % pour les hélicoptères de manœuvre et ne dépasse pas 58 % pour les hélicoptères d’attaque ou de reconnaissance.

ADÉQUATION DE LA DOTATION DE L’ALAT EN ÉQUIPEMENTS
AU SEUIL HAUT DE SES BESOINS

 

Besoin
(en nombre d’aéronefs disponibles)

Adéquation des moyens disponibles au seuil haut des besoins

 

seuil bas

(1)

seuil haut

(2)

2014

2015

2016

prévision initiale

2016

prévision actualisée

2017

prévision

hélicoptères de manœuvre

53

97

45 %

42 %

57 %

49 %

52 %

hélicoptères d’attaque ou de reconnaissance

56

111

59 %

59 %

75 %

58 %

59 %

(1) seuil haut : nombre d’équipements nécessaires pour répondre à l’hypothèse d’engagement majeur et d’intervention, soit l’hypothèse la plus contraignante associée à la situation opérationnelle de référence aménagée pour l’ALAT, et à la préparation opérationnelle nécessaire pour assurer la relève de la situation opérationnelle de référence (SOR) ;

(2) seuil bas : nombre d’équipements nécessaires pour cette SOR et la préparation opérationnelle requise pour assurer les relèves afférentes ; il s’agit ainsi d’un seuil minimum, en deçà duquel le « capital » de l’armée de terre s’éroderait.

Source : armée de terre.

Le déplacement à Pau a permis au rapporteur pour avis d’étudier le problème de la « régénération humaine » de l’ALAT. Il en ressort que le fort taux de projection de l’ALAT en OPEX ces dernières années a pour conséquence d’entamer le potentiel d’heures de vol des hélicoptères, déjà limité, privant une partie des pilotes de la possibilité d’atteindre le seuil de 140 heures de vol requis pour être engagés en OPEX. Ainsi, le commandement du 5e RHC a fait observer que « pour deux équipages en OPEX, on consomme autant que pour 10 à 12 équipages en métropole » et que « c’est ainsi de façon de plus en plus concentrée en OPEX que volent les personnels ». Or le nombre d’heures de vol disponible en métropole étant insuffisant pour assurer l’entraînement des pilotes qui y restent, le déficit d’heures de vol a pour conséquence que « le 5e RHC risque de projeter à peu près toujours les mêmes pilotes en OPEX ».

À terme, si perdure cette situation, risque de s’engager un cercle vicieux qui aboutirait à la formation d’un vivier de pilotes « à deux vitesses » avec :

‒ d’une part, des pilotes qui, faute d’entraînement, perdraient en compétence professionnelle voire en qualifications et, faute d’aptitude aux OPEX, seraient moins utiles à l’armée de terre ;

‒ d’autre part, un vivier de pilotes aptes aux OPEX plus réduit, donc sur-employé, et dont le renouvellement ne peut pas être assuré.

C’est pourquoi, à l’instar du 5e RHC, l’ensemble de l’ALAT est contrainte à « une gestion très fine des ressources humaines ». Ce type de gestion consiste à identifier un à un les pilotes appelés à être engagés en OPEX huit mois plus tard, et à concentrer sur eux les heures de vol disponibles en métropole. Quant aux autres pilotes ‒ généralement les plus jeunes ‒, il s’agit de « les faire patienter » en privilégiant les « heures de vol de substitution ». Le commandement du régiment souligne toutefois deux limites à cette méthode :

‒ elle « suppose des moyens qui ne sont pas toujours disponibles » ;

‒ elle conduit à organiser un cycle d’entraînement sur 18 à 24 mois, ce qui « est long avant de voler sur Tigre en OPEX ».

De plus, aux yeux du commandement du 5e RHC, le problème du renouvellement et de la diffusion des compétences se complique avec le départ de l’institution d’une génération de pilotes expérimentés ; « on ne peut pas se reposer longtemps sur leur capital d’expérience, à mesure qu’ils sont remplacés par des personnels plus jeunes ».

 

2012

2013

2014

2015

2016

dotation

exécution

dotation

exécution

dotation

exécution

dotation

exécution

dotation

autorisations d’engagement

263

245

416

388

359

388

431

424

420

crédits de paiement

239

232

345

316

318

270

341

421

345

Dotation : montant inscrit en loi de finances.

Exécution : consommation de crédits constatée en fin d’exercice budgétaire.

Source : ministère de la Défense.

Jusqu’en 2012, plusieurs facteurs participent à la tendance à la hausse du coût de l’entretien programmé des matériels aéroterrestres :

‒ des facteurs économiques, comme la hausse moyenne des indices économiques (charges, matières premières) et, d’après le ministère, « la faible concurrence au sein du secteur industriel de la maintenance » ;

‒ des facteurs matériels : le maintien en service de matériels anciens suppose de traiter certaines obsolescences et des pannes plus nombreuses, d’autant plus que les matériels ont fait l’objet d’un engagement intensif en opération ;

‒ des facteurs réglementaires, avec les modifications des matériels induites par les exigences liées à l’amiante, aux gaz à effet de serre, etc.

En 2015, l’actualisation de la loi de programmation militaire a consacré 500 millions d’euros supplémentaires à l’entretien programmé des matériels de la défense ; selon les précisions du ministère, 42 millions d’euros reviennent à l’ALAT, pour 21 millions d’euros en 2015 et pour la même somme en 2016.

Aussi le ministère de la Défense note-t-il que l’écart entre les crédits alloués et les besoins estimés pour l’entretien programmé des matériels aéroterrestres fait apparaître un solde négatif limité, de 18 millions d’euros. Des « ajustements » dans la gestion du budget opérationnel de programme (BOP) de l’armée de terre seront donc réalisés « afin d’éviter à la fois une baisse de l’activité, contraire aux objectifs de la loi de programmation militaire, et une réduction du renouvellement des stocks qui amènerait à une prise de risque » opérationnelle. En tout état de cause, « les ressources budgétaires disponibles pour le maintien en condition opérationnelle aéroterrestre suffisent pour permettre à l’ALAT de faire face aux contraintes opérationnelles actuelles, c’est-à-dire pour atteindre le seuil bas du contrat opérationnel ».

Ainsi, les moyens financiers consacrés à la maintenance aéronautique de l’armée de terre sont certes resserrés, mais ne suffisent assurément pas à expliquer la faible disponibilité des hélicoptères. D’ailleurs, le général Philippe Roos, directeur central de la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques du ministère la Défense (SIMMAD), a estimé que les difficultés de la chaîne de maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques ne tenaient pas seulement à des paramètres financiers et qu’un tel raisonnement était « faux, toxique et réducteur ».

L’organisation du MCO, assez complexe, a été rénovée suivant une « approche par milieu » – et non par armée –, avec la délégation d’un « milieu » (milieu terrestre, milieu marin, « troisième dimension ») à chaque chef d’état-major d’armée. Ainsi, le MCO des aéronefs de l’armée de terre est désormais assuré par la SIMMAD, placée sous l’autorité du chef d’état-major de l’armée de l’air.

Comme le présente de façon détaillée l’encadré ci-après, en aval du MCO dit « initial » pour lequel les prestations d’entretien sont prévues dans le cadre des marchés d’acquisition des matériels passés par la direction générale de l’armement (DGA), le MCO fait intervenir les acteurs suivants :

– des maîtres d’ouvrage : les états-majors d’armée, qui sont compétents pour l’expression des besoins des unités opérationnelles ;

– des maîtres d’ouvrage délégués (MOAD) : trois services spécialisés par milieu (6) (pour la « troisième dimension », il s’agit de la SIMMAD), qui planifient et coordonnent les opérations de MCO : ils passent les commandes et négocient les contrats avec les maîtres d’œuvre industriels ;

– des maîtres d’œuvre industriels : des entreprises privées ou publiques, ou des services en régie (7), qui réalisent les diverses prestations de MCO (fournitures de pièces et de services, opérations d’entretien et de réparation).

L’organisation du MCO aéronautique

1./ Organisation

L’organisation du maintien en condition opérationnelle des aéronefs de l’ALAT suit les principes d’organisation du MCO aéronautique définis par la note n° D-10-771/DEF/EMA/SLI/LIA/DR du 2 septembre 2010. Le MCO est ainsi organisé autour de trois niveaux de responsabilité : la maîtrise d’ouvrage, la maîtrise d’ouvrage déléguée et la maîtrise d’œuvre.

2./ Périmètre de compétence de la SIMMAD concernant les hélicoptères

Le périmètre de responsabilité de la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautique de la défense pour les matériels volants de l’armée de terre s’étend des hélicoptères aux drones ‒ système de drone tactique intérimaire (SDTI), drone de reconnaissance au contact (DRAC), mini drones ‒ ainsi qu’à certains matériels d’environnement aéronautiques. Relèvent ainsi de la SIMMAD les hélicoptères EC 665 Tigre, NH 90 Caïman, SA 342 Gazelle, SA 330 Puma, AS 332 Cougar, EC 725 Caracal et AS 555 Fennec.

3./ « Tuilage » entre le MCO initial et le MCO « en service »

L’organisation mise en place pour la conduite des opérations d’armement est censée faciliter la transition entre les phases de MCO initial et le MCO de soutien en service. Elle prévoit la désignation d’un « officier de préparation des forces » et d’un « responsable du soutien en service » appartenant à la SIMMAD, qui intègrent l’équipe de programme chargée de la conduite du programme d’armement à partir du stade de réalisation. Le service de soutien est sollicité dès les premiers stades de la conduite des programmes d’armement.

4./ Articulation de la maîtrise d’ouvrage et de la maîtrise d’œuvre industrielle

● La maîtrise d’ouvrage relève de la responsabilité de chacun des états-majors d’armées dont les formations utilisent des matériels aéronautiques. Elle en exprime les besoins à court, moyen et long termes à l’état-major des armées, qui alloue les ressources humaines et financières nécessaires au MCO des matériels. Elle participe à la définition de la politique de MCO. Elle fait valoir les objectifs annuels de performance du MCO attendus dans un « contrat unifié de gestion » élaboré par un secrétariat permanent interarmées placé sous l’autorité du chef d’état-major de l’armée de l’air. Ce secrétariat est responsable de la cohérence et de la performance de l’ensemble du MCO du milieu dont il contrôle l’atteinte des objectifs au travers des comités de direction ou de pilotage du MCO aéronautique et du conseil de gestion de la SIMMAD.

● La maîtrise d’ouvrage déléguée est entièrement confiée, pour le milieu aéronautique, à la SIMMAD. Celle-ci est responsable de la gestion globale du MCO des matériels aéronautiques. Cette structure, dite « intégrée » en ce qu’elle rassemble les compétences des armées, de la DGA et de la gendarmerie, est investie de toutes les fonctions qui y concourent : expression des besoins et passation des marchés d’acquisition de rechanges et de prestations de soutien, gestion financière des crédits alloués, réalisation de la logistique amont et, par délégation des états-majors d’armée, maîtrise d’ouvrage de la maintenance des matériels aéronautiques et de la distribution des pièces de rechange.

● Les maîtrises d’œuvre industrielles, publique ‒ c’est-à-dire le service industriel de l’aéronautique ‒ ou privées, les industriels privés ainsi que les maîtrises d’œuvre à caractère opérationnel des différentes armées, sont responsables devant la SIMMAD de la conduite et de l’exécution des travaux qu’elles effectuent en planifiant les opérations qui leur sont confiées et en coordonnant leur exécution.

5./ Rôle de la SIMMAD

La SIMMAD définit la stratégie et l’architecture globale du MCO des matériels de son domaine de compétence. Elle est garante de l’efficacité du dispositif, dans le cadre d’un lien contractuel vis-à-vis de chaque maître d’ouvrage (tel est l’objet du « contrat unifié de gestion »). Pour cela, elle planifie l’ensemble des ressources nécessaires ‒ rechanges et capacités de maintien en service ‒ et contractualise l’exécution des prestations avec différents maîtres d’œuvre, dont elle contrôle les prestations.

Pour réaliser sa mission, elle intervient à trois niveaux :

‒ les aspects contractuels et l’organisation globale ;

‒ le pilotage du soutien des matériels ;

‒ la conduite des opérations de maintenance, dans laquelle elle agit comme gestionnaire de biens et acheteur des matériels hors programme d’armement.

Un plan commun de contractualisation entre la DGA et la SIMMAD, portant sur l’horizon de la programmation budgétaire pluriannuelle établie lors des travaux annuels d’actualisation du référentiel, sert de support à l’analyse systématique de la mutualisation, au sein d’un contrat unique, de l’acquisition d’un système d’armes ou de sa rénovation avec une période de soutien en service. Ainsi, les deux entités partagent leurs contrats pour assurer des prestations sur leurs périmètres respectifs : définition de la réglementation relative au suivi de navigabilité pour la DGA et gestion du maintien de la navigabilité pour la SIMMAD.

La DGA est l’autorité technique chargée de la configuration de la majorité des matériels aéronautiques de l’État. En collaboration étroite avec la SIMMAD, elle définit les évolutions des matériels et entretient la connaissance de leur état. Elle participe ainsi à la maîtrise de leur soutien en service et contribue à la sécurité de leur emploi. La SIMMAD prend en compte ce référentiel de configuration pour assurer ses missions de maîtrise d’ouvrage du MCO aéronautique, en particulier sous les aspects techniques, logistiques et contractuels (suivi des configurations applicables, approvisionnement des nouveaux rechanges, intégration dans les contrats d’entretien). En retour, elle collecte et synthétise l’ensemble des données de suivi en service.

Source : ministère de la Défense.

C’est un fait bien connu dans la quasi-totalité de programmes d’armement : les coûts de MCO des équipements suivent dans le temps une courbe en « U » ‒ durant les premières années suivant leur mise en service et pendant les dernières années précédant leur retrait du service, les matériels militaires nécessitent les opérations de MCO les plus intenses. Cette mécanique est naturellement à l’œuvre pour les hélicoptères comme pour d’autres équipements, et contribue à expliquer la fréquence et la durée des opérations de MCO qui rendent indisponibles pour les unités les matériels les plus récents, comme les hélicoptères Tigre et Caïman, comme le montre le tableau ci-après.

INTENSITÉ DES OPÉRATIONS DE MAINTENANCE PAR FLOTTE D’HÉLICOPTÈRE

(en ratio heures de maintenance / heures de vol)

 

Fennec

Gazelle

Cougar

Puma

Caracal

Tigre

Caïman

heures de maintenance par heure de vol

4,81

9,06

19,08

16,81

24,70

36,15

46,15

heure de maintenance en régiment* par heure de vol

4,22

8,34

17,69

15,39

22,69

33,21

42,15

* au « niveau de soutien opérationnel » (NSO).

Source : ALAT.

Le directeur central de la SIMMAD a cependant fait valoir que si l’on évoque souvent des problèmes de « maturité » pour certains hélicoptères dits « de nouvelle génération » parmi lesquels se classe le Tigre, il faut garder à l’esprit que le Tigre « n’est pas si récent que cela : il a déjà une dizaine d’années, soit autant que le Rafale, que personne ne présente comme n’étant pas “mature” ». À l’inverse, le NH90 Caïman présente selon lui de « vrais problèmes de maturité, de fiabilité, et de confiance dans le constructeur », ce qui contribue à expliquer que près de 50 % de la flotte se trouvent immobilisés en maintenance au « niveau de soutien industriel » (NSI).

Le général Michel Grintchenko a cependant tenu à souligner qu’en dépit de sa faible disponibilité, le Tigre demeure un atout considérable pour l’ALAT : « c’est un outil formidable ; c’est certes “une danseuse” capricieuse, mais qu’on ne nous l’enlève pas ! ». Il a fait valoir que sans cet appareil, le désengagement d’Afghanistan aurait été nettement plus dangereux, car le Tigre a permis de « protéger activement des convois, engageant parfois des combats violents avec les Talibans qui auraient voulu nous faire rejouer le scénario de la RC4 dans la guerre d’Indochine » ; de même, l’autoprotection du Tigre contre les missiles sol-air pendant la tentative de libération de l’otage Denis Allex en janvier 2013 a été décisive. Il a également fait valoir qu’au Mali, les deux premiers hélicoptères engagés dans les Adrars ont été rudement touchés, mais qu’aucun ne s’est écrasé : si les djihadistes avaient abattu des appareils au moment où ils engageaient le combat dans la zone qui leur était favorable, l’intervention française aurait été un échec. Quant à la République centrafricaine, « un vol de Tigre calme les esprits... »

Le chef d’état-major de l’armée de terre a estimé que certains contrats de MCO sont « mal rédigés », et le général Michel Grintchenko, commandant l’ALAT, a souligné combien il est difficile d’imputer la responsabilité d’une défaillance à un industriel en particulier, tant leur imbrication est grande dans la construction d’aéronefs complexes : « si en apparence on a un seul contrat, en réalité, il y a multiplicité des responsables et ils se rejettent les responsabilités les uns sur les autres ».

Le secrétaire général chargé des affaires publiques du groupe Airbus, M. Philippe Coq, a expliqué lui aussi que « l’organisation complexe du MCO aéronautique » pesait lourdement sur la DTO des appareils. Il a rappelé que le MCO représentait actuellement « 80 contrats mobilisant au moins 15 intervenants » et que les armées avaient peut-être sous-estimé la « complexité du sujet “hélicoptères” » avant de lancer un groupe de réflexion sur le MCO aéronautique il y a deux ans. Selon les représentants du groupe Airbus, sur ce sujet, le dialogue avec le ministère de la Défense a connu « des hauts et des bas », et le cabinet du ministre de la Défense s’y implique.

D’ailleurs, M. Philippe Coq a estimé que l’organisation retenue pour la logistique du MCO aéronautique « complique les choses, au lieu de les fluidifier » en ce que l’industriel, cocontractant de l’État, ne dispose pas de stocks, comme le font par exemple les garages de maintenance industriels habituels ; « le système fait que l’industriel n’est pas responsable des stocks de pièces, et qu’il lui faut aller les chercher dans les armées ».

Un important goulot d’étranglement dans le circuit de maintenance des hélicoptères se situe au « niveau de soutien industriel » (NSI) ‒ c’est-à-dire les industriels qui effectuent pour les armées des opérations de maintenance, tels qu’Airbus Helicopters et le SIAé.

Ce goulot d’étranglement se traduit par des durées d’immobilisation des hélicoptères au « niveau de soutien industriel » qui excèdent largement les délais contractuels. Ainsi, le commandement du 5e RHC a indiqué que les visites périodiques des Puma, prévues pour durer 120 jours, duraient en réalité plus d’un an (370 jours en moyenne) ; pour les hélicoptères Tigre, les visites périodiques devraient durer 183 jours et en durent en réalité 383 en moyenne. Ainsi, sur les 11 hélicoptères Tigre du régiment, deux sont présents et disponibles à Pau, l’un subit des opérations de maintenance assurées sur le site de Pau par une équipe d’Airbus Helicopters qui est « expérimentée » et produit « un bon service », six appareils sont immobilisés au SIAé, et deux chez Airbus Helicopter. Le commandement du 4e RHFS a cité quant à lui le cas des hélicoptères Cougar, pour lesquels les visites périodiques devraient durer 90 jours, et prennent parfois dans les faits 18 mois, notant que « si le parc Cougar est le plus symptomatique des défaillances de la maintenance, les autres parcs se trouvent dans des situations comparables ».

Ces difficultés tiennent pour une large part à l’organisation même des industriels de la maintenance. Le directeur central de la SIMMAD a ainsi jugé que dans l’ensemble, le niveau de soutien industriel est « parfois défaillant » et « doit encore montrer sa capacité à améliorer ses capacités d’entretien et de réparation », ce qui ne peut d’ailleurs produire d’effets qu’à moyen terme.

S’agissant du principal opérateur privé, Airbus Helicopter, le secrétaire général chargé des affaires publiques du groupe Airbus a reconnu qu’Airbus Helicopters avait des « problèmes endogènes, qu’il lui appartient de résoudre ». Il a signalé qu’Airbus avait revu son organisation et ses processus de façon à réduire la durée des visites périodiques, notamment pour le Tigre, « de 30 % à 42 % pour ce qui ne dépend que d’Airbus ».

Par nature, un opérateur privé poursuit des objectifs de rentabilité qui ne rejoignent pas nécessairement les intérêts des armées, dont les budgets d’entretien programmé du matériel sont contraints. Le chef d’état-major de l’armée de terre a d’ailleurs évoqué l’idée que « lorsqu’un industriel reçoit un hélicoptère de Total et un autre de l’ALAT, il peut lui arriver de faire un choix économique… ». Le directeur central du SIAé a suggéré quant à lui que certains bureaux d’études privés puissent avoir « des priorités autres que la Défense », s’interrogeant sur le point de savoir si les problèmes de l’hélicoptère Tigre faisaient véritablement partie des priorités d’Airbus Helicopter. Revenant sur « l’ambiance concurrentielle » qui anime les relations entre le SIAé et Airbus Helicopter, l’ingénieur général Jean-Marc Rebert a expliqué que le marché du MCO représente pour certains industriels privés un nouveau gisement d’activité qu’ils tentent d’exploiter, alors qu’« il y a vingt ans, les concepteurs fabriquaient et fournissaient des pièces de rechange, mais ne fournissaient pas de prestations de maintenance ». Il a déclaré que « l’objectif du SIAé est de réparer des pièces ; celui d’un industriel, de vendre de nouvelles pièces ».

S’agissant de l’opérateur public, le SIAé, le général Michel Grintchenko a déclaré que lorsqu’il commandait la division « aéromobilité » du commandement des forces terrestres, à Lille, il avait été très défavorablement marqué par le fait qu’un Puma soit resté plus de deux ans immobilisé au centre du SIAé à Cuers-Pierrefeu. Une large part des responsables opérationnels interrogés par le rapporteur pour avis a émis des réserves sur la productivité de certains centres du SIAé. Le directeur central de la SIMMAD a d’ailleurs indiqué que les visites périodiques des Tigre hors réparations et opérations de mise à niveau à un standard plus avancé (dites opérations de retrofit), c’est-à-dire les « visites sèches » censées durer six mois, durent généralement dix mois au SIAé. Le tableau ci-après montre que les délais d’exécution des prestations du SIAé ne se sont pas réduits en 2016.

DÉLAIS D’EXÉCUTION DES PRESTATIONS DU SIAÉ

(en jours)

 

objectif

résultats en 2015

résultats en 2016

évolution 2015-2016

 

délais contractuels

délais réalisés par le SIAé

temps de « non-jouissance » en régiment

délais réalisés par le SIAé

temps de « non-jouissance » en régiment

Gazelle

35

NC

132

NC

154

+ 22

Puma

72

NC

341

NC

387

+ 46

Tigre

112 (1)

226 (2)

314

167 (2)

358

+ 44

(1) hors travaux supplémentaires ; (2) y compris travaux supplémentaires et hors jours de fermeture du SIAé.

L’écart entre la durée de prestations réalisées par le « niveau de soutien industriel » et le temps de « non-jouissance » pour les régiments s’explique par diverses manœuvres logistiques ainsi que par la mise à jour de la documentation des hélicoptères, qui doit être assurée par les escadrilles de maintenance au « niveau de soutien opérationnel » après toute intervention au « niveau de soutien industriel ».

Source : ALAT.

Pour le commandement du 5e RHC, il y a des différences de performance et de productivité d’un industriel à un autre, et le SIAé a été particulièrement cité comme présentant « des goulots d’étranglement », tandis que dans le secteur privé « les délais varient d’un industriel à un autre ». L’ingénieur général de l’armement Jean-Marc Rebert, directeur central du SIAé, n’a pas partagé ce constat pour ce qui concerne son service, estimant que le SIAé est « compétitif, aussi bien en matière de délais que de coûts » et « ne génère pas de point mort dans le système » puisque les « ordres de grandeur d’immobilisation sont comparables » à ceux des prestataires privés.

Les inconvénients d’un système mixte, reposant sur le partage du « niveau de soutien industriel » entre industriels privés et public

Si des études supplémentaires seraient nécessaires pour évaluer les performances relatives des opérateurs privés ‒ notamment Airbus Helicopters ‒ et de l’opérateur public, le rapporteur pour avis observe que le choix d’un partage de l’activité industrielle de MCO aéronautique entre ces deux systèmes comporte en soi et par nature des risques de pertes d’efficience, qui doivent appeler une grande vigilance.

En effet, la France a fait le choix d’un système mixte pour le soutien industriel de ses hélicoptères de nouvelle génération, alors que l’Allemagne, par exemple, a fait le choix inverse, confiant l’intégralité du MCO des hélicoptères Tigre à Airbus Helicopters. Le directeur central du SIAé a expliqué les raisons de ce choix, soulignant que la constitution du service en 2007 avait répondu à trois préoccupations de l’État :

‒ « jouer un rôle d’“aiguillon” » dans les rapports de l’État avec les industriels, en offrant à l’État une capacité d’expertise ;

‒ éviter « la constitution d’un monopole sur le marché du MCO » ;

‒ pallier l’absence d’offre de services privés pour certains segments du marché, comme l’hélicoptère Alouette III, qui ne sera retiré du service qu’en 2028 mais dont l’industriel privé n’assurera plus le MCO à partir de 2020.

Ainsi, l’ingénieur général Jean-Marc Rebert a défendu l’idée que l’enjeu actuel du MCO est celui de l’autonomie de l’État dans la gestion de son parc d’hélicoptères ; dans cette optique, les lignes de partage fondamentales de l’activité de MCO entre le SIAé et Airbus Helicopters ont été décidées conjointement par l’état-major des armées et la direction générale de l’armement « en fonction d’aspects économiques, mais aussi du degré d’autonomie que l’État veut garder ». En outre, il a reconnu qu’en matière de MCO des hélicoptères civils, le « jeu n’en vaut pas la chandelle » et que l’industriel privé devait rester l’unique prestataire de services de soutien.

Aux yeux du directeur général du SIAé, les relations du service avec Airbus Helicopters sont particulièrement compliquées dans la mesure où « Airbus Helicopters souhaite développer une capacité de maintenance pour l’export ». Il en résulte des rapports de concurrence, directe ou non, qui peuvent peser in fine sur la qualité du service fourni aux armées. Ainsi, par exemple, le SIAé dépend des industriels pour la fourniture de pièces détachées ou de solutions de réparation ; or le directeur central de la SIMMAD a indiqué que le SIAé était parfois confronté aux limites des capacités industrielles de production de pièces détachées, des lenteurs dans la fourniture de solutions de réparation par l’industriel concepteur. Le directeur central du SIAé a cité un autre exemple : pour accélérer le processus de remise en état des hélicoptères, le SIAé a besoin des « liasses de définition » ‒ c’est-à-dire des plans détaillés ‒ des appareils construits par Airbus Helicopter, mais a mis deux ans à les obtenir. En effet, en la matière, les intérêts de l’industriel privé et celui du maintenancier public ne se concilient pas nécessairement de façon aisée, compliquant le partage d’informations.

Les conditions d’emploi des appareils contribuent à accroître leurs besoins de maintenance. En effet, même les modèles les plus récents ont été conçus pour être employés dans des environnements très différents de nos théâtres d’opération actuels. Il en résulte une « surconsommation » de leur potentiel ‒ on parle de « suractivité » ‒, et ce d’autant que leurs conditions d’emploi, par exemple dans la bande sahélo-saharienne, sont « abrasives » ‒ on parle de « surintensité ».

Le commandement du 5e RHC a d’ailleurs donné au rapporteur pour avis des exemples concrets des défaillances liées à l’« abrasivité » de l’environnement des opérations dans la bande sahélo-saharienne. Ainsi, l’ensoleillement peut faire se fissurer les verrières des hélicoptères ; le roulage sur les pistes en latérite comportant des cailloux peut occasionner des chocs ; la climatisation d’appareils comme l’hélicoptère Tigre peut connaître des défaillances d’autant plus handicapantes qu’elle sert à rafraîchir les éléments informatiques du bord et que les pièces de rechanges sont rares et soumises à une normalisation européenne exigeante, etc. L’encadré ci-après rappelle aussi les difficultés des hélicoptères Caracal dans la bande sahélo-saharienne.

Les difficultés des hélicoptères Caracal dans la bande sahélo-saharienne

Dans un récent rapport d’information sur l’évolution du dispositif militaire français en Afrique et sur le suivi des opérations en cours (8), nos collègues Yves Fromion et Gwendal Rouillard indiquaient que les hélicoptères Caracal supportent très mal les chaleurs et la poussière du climat sahélien, au point que leurs turbines, pourtant prévues pour durer 3 000 heures, doivent être changées beaucoup plus régulièrement. Il a ainsi été indiqué aux rapporteurs pour avis que leur « espérance de vie » observée dans la bande sahélo-saharienne était comprise entre 60 et 106 heures. Cette défaillance a un double prix :

– financier : chaque turbine coûtant 850 000 euros, le coût induit en maintien en condition opérationnelle est très élevé ;

– opérationnel : le rythme de ces opérations d’entretien pèse sur la disponibilité technique des appareils.

Le général Philippe Roos est revenu sur cette difficulté, expliquant que, concrètement, l’obstruction des manches à air par l’« herbe à chameau » a pour conséquence une mauvaise filtration de l’air, et le passage de sable dans turbines entraîne la détérioration par abrasion des aubes de compresseurs. Des mesures immédiates ont été prises avec le motoriste Turboméca : des filtres à sable ont été posés sur les entrées d’air, et des tapis de sol ont été fournis pour limiter la dispersion de sable tapis dans les zones de posée. Si la coopération avec Turboméca s’est avérée « très positive », il est à noter qu’Airbus Helicopters, chargé de redessiner les manches à air de l’appareil pour contribuer à résoudre cette difficulté, aura mis 18 mois à effectuer ce travail de « design » : « c’est beaucoup, d’autant qu’en attendant, les surcoûts s’accumulent ».

M. Philippe Coq a fait observer que l’emploi des hélicoptères intervenant dans des conditions très différentes de ce qui était prévu lors de leur conception : on envisageait une flotte de 240 hélicoptères Tigre destinés à la défense de nos frontières européennes, tandis que le parc a été réduit de plus de la moitié, pour être employé en Afrique ou en Afghanistan. À ses yeux, un tel changement nécessite légitimement un « “sur-effort” financier », compensé par une réduction du volume des flottes concernées, qui s’analyse en quelque sorte comme « un transfert implicite du programme 146 au programme 178 ».

D’après le commandant de l’ALAT, l’armée de terre a drastiquement réduit ses recrutements de mécaniciens aéronautiques dans les années 2000, au titre de sa contribution à la réduction des effectifs des armées. Or il y a un « effet de report » de cette politique : « des mécaniciens non-embauchés au début des années 2000, ce sont des cadres qui manquent quinze ans après, d’où un phénomène de sous-encadrement des ateliers ».

De plus, l’armée de terre rencontre des difficultés pour « fidéliser » ses personnels de maintenance aéronautique : pour éviter que les mécaniciens expérimentés ne quittent les armées pour des carrières financièrement plus attractives dans le secteur civil, il faudrait selon le général Michel Grintchenko pouvoir leur offrir des rémunérations et des primes plus substantielles, ce que ne permettent aujourd’hui ni les grilles indiciaires des fonctionnaires, ni les règles de rémunération des personnels contractuels de l’État. Il en résulte une perte de compétence, car les mécaniciens de l’ALAT sont volontiers recrutés par les industriels de la maintenance aéronautique. Le général Michel Grintchenko a souligné que pourtant, « les sommes en question ne sont pas énormes, et le problème est récurrent » : il faudrait entre 500 et 1 000 euros de plus par mois et par mécanicien ; une prime d’ensemble d’abord, et des primes en fonction de la prise de responsabilités.

Le rapporteur pour avis a pu constater sur le terrain la réalité de ces difficultés, que présente l’encadré ci-après. Ces raisons expliquent, pour le directeur central de la SIMMAD, un « déficit structurel de maintenanciers ». Il a précisé que si l’ALAT s’est donnée pour objectif de recruter 135 maintenanciers supplémentaires dans les trois prochaines années, cet objectif bien que vertueux « reste insuffisant ». En effet, il ne permettra à l’armée de terre d’atteindre qu’un ratio de huit maintenanciers par hélicoptère de nouvelle génération, contre environ dix pour l’armée de l’air et douze pour la marine. Cela explique que, quelque effort de productivité que fasse l’ALAT, ses moyens comptés font peser une contrainte sur l’efficacité de sa maintenance opérationnelle. Le général Michel Grintchenko a d’ailleurs estimé que « la productivité des ateliers a atteint une asymptote », découlant notamment de l’organisation interne du travail et d’un nombre trop limité de mécaniciens par appareil.

Les tensions dans la gestion des ressources humaines de la maintenance aéronautique : l’exemple des régiments de Pau

● Le commandement du 4e RHFS a fait valoir que les moyens de maintenance du régiment étaient sous-dimensionnés par rapport à l’intensité des engagements extérieurs de l’unité. L’outil de maintenance de la base de Pau, commun aux 4e RHFS et au 5e RHC, est en effet sollicité en opération extérieure alors même que ses moyens sont « strictement calibrés à une juste mesure pour les heures de vol effectuées au sein des régiments ».

Ainsi, l’escadrille de soutien des hélicoptères Cougar du 4e RHFS consacre l’essentiel de ses personnels disponibles à la maintenance de ces appareils dans la bande sahélo-saharienne ; elle ne peut dans le même temps soutenir aucun Cougar des forces conventionnelles. Cette escadrille a été transférée depuis Phalsbourg, mais avec des effectifs réduits, qui conduisent le 4e RHFS à demander une augmentation de ses moyens.

● En outre, le commandement du 5e RHC a appelé l’attention du rapporteur pour avis sur la « fragilité » des ressources humaines de la maintenance opérationnelle. Si les effectifs concernés ne présentent pas de déficit majeur par rapport au référentiel des effectifs en organisation (REO), ils n’en présentent pas moins ce que le commandant en second a appelé « un problème de jeunisme ». En effet, ces effectifs comptent peu de maintenanciers « anciens », alors même que les « anciens » sont les détenteurs de spécialités critiques (par exemple en matière de gestion de la documentation des appareils). Les déficits de main-d’œuvre dans ces spécialités critiques « ralentissent la sortie des machines ».

Cette pyramide des âges biaisée s’explique en partie par des difficultés de fidélisation des personnels concernés. Le commandement du 5e RHC observe en effet des « fuites vers le privé », voire vers le 4e RHFS. Dans le premier cas, ces comportements s’expliquent par l’« usure » liée aux OPEX et par la demande de main-d’œuvre dans le secteur civil, abondante et attractive. La durée moyenne d’engagement d’un maintenancier n’excède pas huit ans ; or il faut deux à trois ans pour qu’un de ces personnels soit pleinement opérationnel. Aussi, dans la situation actuelle, l’ALAT « investit » en quelque sorte dans le perfectionnement de ses personnels de maintenance pendant deux à trois ans pour un « retour sur investissement » limité dans le temps.

Le général Michel Grintchenko a expliqué que l’intensité des engagements en OPEX contribue à accroître la charge de travail des ateliers de l’ALAT. En effet, le rythme des relèves est tel que pour engager de façon continue une trentaine d’hélicoptères en OPEX, il faut disposer d’environ 90 appareils ; or leurs rotations créent une charge de travail conséquente pour leur conditionnement, leur transport, ou leur maintenance au retour d’OPEX. Même si cette charge ne se traduit pas en heures de vol consommées, elle « pèse beaucoup sur les ateliers ».

Il a aussi indiqué que « l’éparpillement » de la force fait peser une contrainte sur ses ressources humaines. Les hélicoptères ont pu être déployés sur sept théâtres d’opération à la fois, ce qui nécessite de projeter pour chaque théâtre d’opération une équipe de maintenance (mécaniciens, documentalistes, etc.), « émiettant » ainsi une ressource humaine déjà comptée : « l’armement des plots d’hélicoptères en OPEX accapare une importante partie de la ressource humaine de l’ALAT ».

Le directeur central de la SIMMAD a ajouté que compte tenu du rythme et de la géographie des OPEX, l’armée de terre a dû opérer de profonds changements dans sa logistique et en particulier sa reverse logistic (c’est-à-dire ses dispositifs de rapatriement des matériels hors service en métropole). Ses délais étaient particulièrement élevés : 25 jours contre 10 pour l’armée de l’air, ce qui était difficilement compatible avec ses besoins opérationnels lorsqu’il s’agissait de turbines à changer toutes les cinquante ou soixante heures.

Le commandant de l’ALAT a expliqué que les hélicoptères de nouvelle génération sont conçus de telle façon que leur soutien suppose des moyens et des compétences dont l’ALAT, dans son organisation actuelle, ne dispose pas en quantité suffisante. Selon lui, « les hélicoptères de nouvelle génération nous font découvrir une nouvelle façon de voir les aéronefs, qui ne correspond pas aux structures existantes ». Il a cité l’exemple de l’hélicoptère NH90 Caïman : il s’agit d’un appareil « connecté à l’industriel quasiment en temps réel » ‒ une large partie de la documentation est dématérialisée ‒, ce qui suppose « des réseaux informatiques, des informaticiens, et toutes autres compétences de “back office” que l’ALAT ne possède plus depuis qu’elles ont été mutualisées » au sein de structures interarmées.

En conséquence, « aujourd’hui, un cadre mécanicien passe une large part de son temps à des saisies informatiques, tâche qui devrait relever par nature de personnels placés à des échelons plus bas dans la classification ». De même, selon le général, « les procédures de documentation ne suivent pas : le transfert d’un aéronef revenant d’OPEX à un site français nécessite des recopies ubuesques de données » ; le plus logique serait que « le Tigre, en lui-même pensé et construit de façon parfaitement cohérente, puisse passer d’une OPEX, chez l’industriel puis en régiment sans recopies de documentation ». Il a estimé que l’ALAT est confrontée à des référentiels cohérents mais disjoints, engendrant une importante somme de travail pour passer de l’un à l’autre.

En outre, le général a souligné des « problèmes de mentalités » dans l’emploi des hélicoptères de nouvelle génération. Constatant qu’« entre la norme (c’est-à-dire ce qui est expressément autorisé) et l’interdit, il y a souvent une zone grise, de prise de risque contrôlé et de prise corollaire de responsabilité », il a estimé qu’« avec les nouveaux matériels, on a réduit cette zone grise à l’extrême, suivant une logique de normalisation très poussée, à l’instar de ce que l’on connaissait, par exemple, dans le domaine nucléaire ». Pour lui, les marges d’initiative des personnels ont été réduites aux échelons subsidiaires, ce qui se traduit par de longues « attentes de décision ».

Le général Michel Grintchenko a toutefois indiqué que la place faite à l’ALAT dans le nouveau modèle d’armée « Au contact » de l’armée de terre confère à présent au commandant de l’ALAT, général de division, « toutes les clés nécessaires pour proposer des nouveautés et adapter le système aux enjeux ».

M. Philippe Coq a déclaré que les régiments de l’ALAT ne prennent pas toujours toutes les dispositions permettant à leur cocontractant industriel de respecter ses délais de prestation.

Il a indiqué, par exemple, qu’Airbus Helicopters recevait régulièrement des hélicoptères Tigre par camion, ce qui ne permet pas à l’industriel chargé de la maintenance de les considérer comme étant en état de vol. D’ailleurs, souvent, les appareils en question ont été « cannibalisés » au profit d’autres machines restant en régiment ‒ c’est-à-dire que certaines de leurs pièces ont été prélevées au profit d’autres appareils. Cela crée pour l’industriel une charge de travail supplémentaire pour « ausculter » l’appareil reçu, ce qui contribue à expliquer certains retards.

Le général Michel Grintchenko a également expliqué qu’à ses yeux, la faible disponibilité des certains moyens s’explique en quelque sorte par le fait que l’« on paie les dettes des années des “dividendes de la paix” ». En effet, lorsque les budgets de la défense ont connu des limitations importantes, à partir des années 1990, « on a voulu avant tout “sauver” les grands programmes d’armement », quitte à être « un peu moins ambitieux qu’avant dans la présentation de certains de leurs volets », avec « une estimation parfois basse de certains besoins, par exemple en matière de pièces de rechange, de moyens de simulation ou de munitions ». Il a cité l’exemple du programme Tigre : faute de ressources, l’ALAT s’était résolue à ne pouvoir « soutenir » qu’une quarantaine d’hélicoptères Tigre, et a calibré ses commandes de lots de pièces de rechange en conséquence. Or, avec l’emploi plus intensif que prévu de ces appareils, elle en vient à manquer de pièces de rechange et d’autres stocks divers. Le commandement du 5e RHC a fait valoir que « s’agissant particulièrement du Tigre, les armées ont “rogné” sur les achats de lots de pièces détachés, et “réamorcer la pompe” demande du temps ».

On constate d’ailleurs aujourd’hui que tant le niveau de soutien industriel que les régiments de l’ALAT rencontrent des difficultés d’approvisionnement en pièces de rechange pour lesquelles les armées ne disposent pas de stocks. Selon le commandement du 5e RHC, le « taux de service en première lecture » ‒ c’est-à-dire le taux de satisfaction des demandes de pièces dans des délais raisonnables ‒ progresse : il atteint 82,5 % pour la Gazelle, 76 % pour le Tigre, mais il est plus faible (60 %) pour le Cougar, appareil sur lequel a été récemment découvert un problème inattendu. Néanmoins, certaines pièces sont identifiées comme étant indisponibles, c’est-à-dire que soit la SIMMAD n’a pas anticipé le besoin, soit elle éprouve de grandes difficultés pour les trouver ‒ dans ce cas, « si un appareil en a besoin, il est très probable qu’il ne volera pas ». Selon le chef d’état-major de la 4e brigade d’aérocombat, « certaines de ces pièces intéressent peu les industriels, car ils ont peu d’intérêt à investir dans la production de pièces de petite série en priorité par rapport à de gros marchés civils ».

Au nombre des pièces concernées, on citera les vérins contre fiche d’hélicoptères Puma ou les pare-brises de Tigre. Leur indisponibilité fait subir aux unités une sorte de « triple peine », par les faits cumulés de la faible fiabilité des pièces en question, de temps de réparation longs et de difficultés d’approvisionnement.

Les armées ont modifié les normes de navigabilité de leurs aéronefs dans les années 2000, au terme d’un processus (présenté par l’encadré ci-après) qui a conduit à soumettre les équipements des armées à des normes inspirées de celles applicables à l’aéronautique civile.

Les normes de navigabilité applicables à l’ALAT

Depuis la convention de Chicago en 1944 créant l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), les aéronefs d’État n’entrent pas dans le champ des réglementations de l’aviation civile. Comme plusieurs partenaires (tels le Royaume-Uni et les Pays-Bas), la France a cependant défini des normes de navigabilité pour ses aéronefs d’État à la suite de l’accident d’un avion Nimrod de la Royal Air Force survenu en 2006 en Afghanistan.

La France s’est alors engagée dans une transposition pour les aéronefs de l’État des normes définies au niveau européen par l’Agence européenne de sûreté aérienne (European aviation safety agency, EASA), transposition effectuée « en tenant dûment compte, dans la mesure du possible, des objectifs » des règlements européens.

Un décret de 2006 a ainsi porté sur la mise en place d’une organisation et de processus lisibles, fondés sur une identification claire et nominative des responsables, une garantie de traçabilité des actions techniques et une surveillance de ces activités. D’autres textes ultérieurs ont poursuivi ce mouvement de transposition.

Les nouvelles règles ont largement modifié l’environnement dans lequel la maintenance est réalisée :

‒ séparation des responsabilités entre l’ordonnateur des travaux à exécuter et les ateliers qui les réalisent ;

‒ formalisation du processus d’élaboration des directives techniques, ces dernières étant émises par une personne habilitée au sein d’un service agréé, et appliquées de façon à en faciliter le contrôle ;

‒ octroi et contrôle régulier d’agréments aux organismes, qu’ils soient industriels ou étatiques, de conception, de formation ou d’entretien ;

‒ formation technique du personnel de certification par un organisme agréé.

Ainsi, les règles applicables à l’aviation d’État (dites « FRA ») ne sont pas une application stricte des normes civiles européennes (dites « PART ») (9), mais constituent le cadre réglementaire adapté à l’emploi des aéronefs de l’État, « s’approchant au maximum du cadre civil et visant les mêmes objectifs de sécurité ».

Source : ministère de la Défense.

L’application à l’ALAT de ces normes suppose ainsi d’appliquer aux matériels certains standards, de doter les mécaniciens de certaines qualifications, et de pouvoir justifier toutes les modifications apportées à chaque appareil ‒ alors qu’il y a eu, selon le général Michel Grintchenko, plus de 2 000 modifications sur les Gazelle depuis trente ans. Pour le commandant de l’ALAT, ces normes de navigabilité « créent en cela une charge de travail supplémentaire dans les ateliers de l’ALAT, charge qui pèse d’ailleurs par nature sur les cadres, catégorie pour laquelle les effectifs sont particulièrement déficitaires faute de recrutements suffisants de mécaniciens il y a quinze ans ».

Parmi les causes des dysfonctionnements actuels du MCO aéronautique, le secrétaire général chargé des affaires publiques du groupe Airbus a évoqué un « problème de culture » propre aux armées françaises : pour lui, le véritable « point noir » se trouve dans la « forte imbrication entre conduite des programmes et soutien en service », imbrication qui résulte des options prises par la DGA.

Il a cité l’exemple de la faible disponibilité des hélicoptères Tigre et Caïman du fait du MCO : pour Airbus, il s’agit avant tout d’un problème relatif à la coopération entre les industriels et la DGA puisqu’« une large part de ces opérations de MCO est conduite dans le cadre des programmes d’armement » et non en tant que « soutien en service », ce qui suppose des « procédures lourdes ». En effet, pour nombre de modifications, « il faut souvent l’autorisation de la DGA ou de l’Organisation conjointe de coopération en matière d’armement (OCCAr) pour tout ce qui n’est pas strictement prévu dans le programme ».

Le directeur central de la SIMMAD a fait valoir que la succession rapide des retrofits des nouveaux modèles d’hélicoptères conduisait à allonger leurs durées d’indisponibilité. Si cette démarche de retrofits successifs résulte d’un choix de la direction générale de l’armement et de l’état-major des armées, il n’en fait pas moins peser des contraintes sur la chaîne de maintenance : il a pour conséquence des périodes supplémentaires d’indisponibilité des appareils, entraînant par suite une baisse apparente de la performance du MCO. Il en va ainsi, par exemple, pour la mise à niveau des Tigre HAP (appui-protection) au standard HAD (appui-destruction). « Les programmes étant ainsi conçus, ils génèrent de l’indisponibilité structurelle ».

En effet, les hélicoptères NH90 et Tigre ont été livrés dans un premier « standard » qui, bien que présentant un certain nombre de problèmes techniques toujours fréquents jusqu’à ce qu’un équipement atteigne une certaine « maturité », est appelé à connaître des versions successives suivant une logique de « développement incrémental ». Dans ce cadre, lors de la mise en production d’appareils à certains « standards », les anciennes générations du même type d’appareils sont remises à niveau à l’occasion d’opérations de « retrofit » effectués par le « niveau de soutien industriel ». Le 5e RHC, par exemple, ne possède d’hélicoptères Tigre qu’au standard HAP (appui-protection), qui doivent être portés au standard HAD (appui-destruction) à l’image, par exemple, de ceux du 1er RHC de Phalsbourg.

Or chaque « retrofit » se traduit par un retour de l’appareil dans les ateliers de l’industriel compétent pour un délai contractuel théorique, « mais le démontage réserve souvent des surprises et les modifications permanentes des standards alourdissent les passages chez les industriels ». Dans ce système, l’ALAT se trouve en quelque sorte « “prisonnière” : il lui faut des mises à jour de ses appareils, mais il lui faut dans le même temps des appareils disponibles ».

Les opérations de « retrofit » sont conduites conjointement avec celles de maintenance régulière, occasion qui est également saisie pour réparer les dommages subis en opérations extérieures, particulièrement important pour les théâtres extérieurs présentant un environnement « abrasif ». Le cumul de ces interventions conduit à des délais d’immobilisation souvent longs.

Par ailleurs, le directeur central du SIAé a précisé que même en dehors des opérations de « retrofit », la coexistence de plusieurs standards pour un même modèle d’hélicoptère complique son soutien ; l’industriel doit alors gérer « une collection de micro-flottes », tant les appareils sont différents d’un standard à un autre pour le même modèle d’hélicoptère. Il a cité l’exemple de l’hélicoptère Tigre, pour lequel « les choses n’avaient pas été pensées avec suffisamment de précision par l’EMA, les industriels et la DGA ». le soutien du Tigre est d’autant plus compliqué pour l’industriel public qu’une flotte réduite présente trois standards différents : le standard « appui protection » (HAP), le standard « appui destruction » (HAD) d’ailleurs décliné en plusieurs versions, le standard « reconnaissance armée » (Armed Reconnaissance, ARH) développé spécifiquement pour l’Australie. Autant de standards et de versions pour lesquelles l’industriel doit élaborer des processus et concevoir des pièces spécifiques, ce qui allonge les délais du MCO.

L’ingénieur général Jean-Marc Rebert a d’ailleurs souligné que la même logique était à l’œuvre pour le NH 90 Caïman, pour lequel « on a accepté des livraisons partielles parce que le développement n’était pas terminé ». Si l’entretien de l’hélicoptère Tigre nécessite en moyenne près d’un an d’immobilisation, le modèle NH90 fait à peine mieux, avec sept mois d’immobilisation en moyenne.

Le recours à la simulation de vol est parfois présenté comme un moyen de compenser la faible disponibilité des appareils, en substituant des heures de vol simulé à des heures de vol « réel ». Pour le rapporteur pour avis, l’intérêt de la simulation est quelque peu différent : certes, cet effet de substitution peut jouer en partie, mais le vol « réel » demeure indispensable et les moyens de simulation peuvent apporter davantage à l’entraînement des équipages.

Le rapporteur pour avis a pu observer le fonctionnement concret des installations de simulation du 3e RHC. Ces installations sont de deux ordres : des simulateurs de vol « classiques », et des simulateurs tactiques appelés EDITH (pour : « entraîneur didactique interactif tactique pour hélicoptère »).

Le rapporteur pour avis a pu étudier le système de simulation de la Gazelle lors de son déplacement au 3e RHC. Ces simulateurs de vol « classiques » reproduisent le poste de pilotage d’un hélicoptère, sans toutefois être montés sur des vérins qui en modifient l’assiette, contrairement aux dispositifs les plus modernes. Pour le chef de corps, le système dont dispose le 3e RHC a cependant l’avantage d’une certaine robustesse : les dispositifs plus sophistiqués appellent souvent davantage d’entretien, et s’avèrent donc in fine moins disponibles. De même, le centre de simulation que partagent le 4e RHFS et le 5e RHC et dont le rapporteur pour avis a pu observer le fonctionnement possède un simulateur de cockpit d’hélicoptère Gazelle et un simulateur de cockpit d’hélicoptère Tigre.

Le chef de corps du 3e RHC a insisté sur le fait que fort de son expérience opérationnelle, il considère que « la simulation a sauvé des vies », car la préparation sur simulateur « est une garantie d’efficacité ».

Le système EDITH vise à entraîner les personnels à la manœuvre globale des appareils et des unités au sol ‒ communication, usage des systèmes d’information et de communication, coordination des actions et des décisions ‒ davantage qu’au pilotage. L’encadré ci-après présente son fonctionnement.

Le système EDITH

Les simulateurs tactiques EDITH reproduisent sur des écrans les postes de pilotage de tous types d’appareils ainsi que, sur de grands écrans, l’environnement virtuel de la mission simulée, tiré d’une base de données variée. Ils offrent ainsi au militaire qui s’entraîne un champ de vision de 160 degrés. Ils peuvent ainsi être programmés pour représenter les consoles de pilotage des Gazelle comme des Puma, mais aussi de matériels terrestres : le tableau de bord simulant la position du fantassin place le militaire qui s’entraîne dans la position d’un chef de section communicant avec les hélicoptères pour coordonner les appuis feu, et il comprend jusqu’au télémètre de visée.

Ainsi, le système EDITH est adapté à l’entraînement interarmes, et permet de sensibiliser fantassins et pilotes d’hélicoptères aux différences de perception du champ de bataille selon les points de vue, ce qui est utile ne serait-ce que pour éviter les tirs fratricides. Dans ce système, l’infanterie et l’artillerie peuvent en effet être intégrées au scénario d’engagement afin que les pilotes s’entraînent à la coordination des « appuis feux » (suivant des techniques de « close contact airborne »). Le 3e RHC, par exemple, dispose de six cabines interconnectées, grâce auxquelles six équipes peuvent s’entraîner à manœuvrer de façon coordonnée tant au sol que dans la « 3D ». Ces simulateurs ne servent donc pas à l’entraînement au pilotage, mais à l’entraînement tactique en groupe, concernant des procédures tactiques ou des missions de combat. C’est en outre sur ces postes de simulation tactique que, lorsque la DIRISI peut mettre à leur disposition les liaisons de données adéquates, les militaires d’un régiment peuvent s’entraîner de façon coordonnée avec ceux d’autres régiments de l’ALAT, qui disposent eux aussi de postes EDITH.

Le chef de corps du 3e RHC a souligné l’intérêt de cet équipement. Il permet en effet de programmer des attaques très exigeantes ‒ les missions menées dans le cadre des opérations Harmattan et Serval avaient d’ailleurs été simulées plusieurs mois auparavant ‒ dans des situations très variées, mais réalistes, car les environnements virtuels sont établis notamment sur la base de données satellitaires. Le système de simulation tactique présente plusieurs avantages, dans la mesure où il permet de : 

‒ s’entraîner en face d’une force adverse réaliste et qui ait « du répondant », davantage que ce qui est possible dans des conditions réelles ;

‒ modéliser cet ennemi avec une grande souplesse et anticiper la configuration de l’adversaire, plutôt que de reprendre les modèles passés ;

‒ anticiper l’ensemble d’une mission, y compris la manœuvre des soutiens et le « système D » pour les « entrées en premier » dans des environnements « dégradés » ;

‒ préparer les personnels à l’environnement d’une mission, ce qui, selon le colonel Pierre Verborg, peut faire gagner jusqu’à quinze jours de reconnaissance dans des environnements complexes et mal connus d’eux comme l’Afghanistan ;

‒ aller nettement plus loin dans l’erreur qu’on ne pourrait le faire dans des conditions réelles, ne serait-ce que pour la sécurité des hommes et du matériel, ce qui permet d’apprendre d’autant plus de ses erreurs ;

‒ simuler des imprévus (action de l’ennemi, pannes d’hélicoptères, etc.) permettant aux pilotes de s’entraîner à faire face à des « cas non conformes » (c’est-à-dire des situations imprévues) beaucoup plus graves que ce qu’ils peuvent se permettre de tester en conditions réelles. En ce sens, la simulation permet de réagir mieux à des situations graves, et d’éviter ainsi des pertes ;

‒ nourrir l’examen du retour d’expérience de chaque exercice, dans la mesure où le système fait des enregistrements systématiques des commandes.

Si le système EDITH coûte à peu près deux millions d’euros en frais d’investissement pour un régiment, il s’avère très rentable, dans la mesure où l’heure de simulation ne revient pas à plus de 65 euros.

Le régiment a recours à un « parc “blanc” » d’hélicoptères EC120 Colibri et AS332 Super Puma fournis par la société Hélicoptères de France, qui n’est utilisé qu’en métropole. Pour le 5e RHC, ce parc « fournit des heures de vol » et « permet certains entraînements, mais pas tous ». Le bilan de cette démarche est néanmoins jugé « très positif », car il permet de réserver pour l’entraînement aux savoir-faire spécifiquement militaires les appareils « d’arme », moins disponibles et pour lesquels l’heure de vol est plus coûteuse. D’ailleurs, le Cougar civil ‒ dit « Cougar blanc » ‒ loué par le 5e RHC à Hélicoptères de France possède un potentiel de 500 heures de vol par an au prix moyen de 10 000 euros par heure de vol, maintenance comprise, « ce qui est très rentable ». Le 4e RHFS a d’ailleurs demandé des heures de vol de substitution supplémentaires sur EC225, la version civile du Caracal.

Cette logique est à l’œuvre dans toutes les unités de l’ALAT. Ainsi, par exemple, la base-école de Dax réalise son activité aérienne sur des hélicoptères EC120 de la société Hélidax dans le cadre d’un partenariat public-privé. Selon le ministère, « ce partenariat permet de garantir une disponibilité des appareils pour optimiser la formation à Dax sans pour autant hypothéquer le parc de l’armée de terre ». De même, compte tenu de l’immobilisation d’une part importante du parc de Cougar en chantier de rénovation « à mi-vie », des heures de vol sur un appareil civil ont été acquises en septembre 2015 et pour une durée de deux ans.

Le ministère de la Défense indique qu’en dépit de ces mesures, les équipages d’hélicoptères Tigre et Caïman « ne peuvent pas tous être amenés à ce stade au seuil des 140 heures de vol annuelles », seuil minimal établi au sein de l’armée de terre pour autoriser un équipage à être engagé en opérations extérieures. Les équipages qui se préparent à une projection ou qui sont en alerte sont donc entraînés prioritairement.

Ainsi, les régiments de l’ALAT restent contraints d’opérer dans la gestion de leurs ressources humaines ce que le commandement du 5e RHC a appelé une démarche de « priorisation en permanence » : les équipages sont « gérés très individuellement », de façon à « concentrer les heures de vol disponibles sur les personnels appelés à être engagés en OPEX ».

Le général Michel Grintchenko a expliqué que dans le « cycle de vie » des hélicoptères, il est par nature indispensable qu’alternent des périodes d’emploi et des périodes dites de « carence » ‒ c’est-à-dire d’indisponibilité en raison des entretiens préventifs ou curatifs, de la réparation des dommages de combat, ou de retrofit. Comme l’a dit le général, « si le système est sain, le nombre d’entrées et de sorties s’équilibrent entre le “référentiel” militaire et le “référentiel” industriel ; tel n’est pas le cas aujourd’hui ». Dans l’absolu, deux logiques différentes peuvent sous-tendre deux types de cycles d’emploi des hélicoptères :

‒ une « logique de flottes d’aéroclub », qui consiste à exploiter intensivement des flottes restreintes en nombre d’appareils ;

‒ une « logique de flottes de combat », consistant à disposer de flottes relativement importantes en nombre mais utilisées de façon moins intense, de façon à rester disponibles pour les opérations dans la meilleure condition opérationnelle possible.

Comme l’a expliqué le général, l’organisation de la gestion d’une flotte suivant l’une ou l’autre de ces deux logiques dépend de la mission assignée à la force qui l’exploite. L’armée de terre, elle, a pour spécificité d’employer les hélicoptères pour des missions d’attaque de masse, jouant sur « l’effet de meute » : « pour faire la guerre, il faut de la masse ». En effet, selon lui, il faut entre vingt et trente appareils pour conduire une mission de guerre ; c’est en tout cas ce que montrent Harmattan et Serval. La masse de manœuvre constitue donc un paramètre important dans la gestion de sa flotte, et ce d’autant qu’il faut pouvoir remplacer rapidement les appareils perdus au combat ‒ le général rappelant que l’ALAT a perdu treize hélicoptères depuis 2008. Ainsi, la nécessaire disponibilité de l’ALAT pour les opérations est largement incompatible avec le mode de gestion d’une « flotte d’aéroclub ».

En outre, à la question de savoir si, pour assurer l’entraînement des pilotes, il serait envisageable de spécialiser certains appareils pour des activités d’entraînement et de les soumettre à un rythme d’entretien moins contraignant que les appareils exposés aux dommages liés aux opérations extérieures, le commandement du 5e RHC a répondu que l’effectif de son parc d’aéronefs ne lui laissait pas suffisamment de marge à l’heure actuelle pour pouvoir réserver ainsi quelques appareils pour le territoire national. Tout au plus cette méthode peut-elle être appliquée pour des appareils de substitution destinés à l’entraînement.

Seule exception selon le commandant de l’ALAT, « la “logique d’aéroclub” fonctionne à l’école de formation des pilotes à Dax : l’ALAT achète des heures de vol à une société privée, qui exploite intensivement ses appareils ».

Le directeur central de la SIMMAD a expliqué que ce plan d’action définit trois axes d’effort : le soutien opérationnel dans la bande sahélo-saharienne ; l’amélioration des performances du « niveau de soutien opérationnel » ; la réduction progressive des parcs immobilisés chez les industriels.

Le plan identifiait ainsi six domaines d’action : la performance des entités qui contribuent au soutien des hélicoptères, comme la chaîne logistique et la chaîne des ressources humaines ; le partage des informations entre tous les acteurs ; la performance et l’intégration des systèmes d’information logistique ; la surveillance des processus critiques ; au besoin, « une approche nouvelle des concepts de soutien » ; l’adaptation de l’organisation du MCO aux conditions d’emploi actuelles des appareils.

Selon la SIMMAD, un effort financier de 64 millions d’euros sur quatre ans a été consenti, et ce plan a préparé l’acquisition de sept hélicoptères Tigre et six Caïman supplémentaires (à livrer entre 2017 et 2018) décidé par la loi actualisant la programmation militaire.

C’est aussi dans le cadre de ce plan qu’a été décidée la rationalisation des flottes d’hélicoptères de manœuvre consistant à ce qu’à terme, l’armée de terre n’utilise plus que des Cougar rénovés et des Caïmans, et l’armée de l’air des Caracal et des Super Puma. Ainsi, les Caracal de l’armée de terre doivent être transférés à l’armée de l’air. Le schéma directeur de l’ALAT prévoit la cession des Caracal du 4e RHFS à l’armée de l’air dès que ces appareils pourront être remplacés par des NH90 Caïman, mais pour le commandement du régiment, « cette manœuvre elle aussi pose des problèmes », car le Caracal répond actuellement bien aux besoins des forces spéciales.

Selon le directeur de la SIMMAD, le plan d’action a permis dans un premier temps de « stabiliser la capacité projetée en opération ». Les hélicoptères engagés ont une disponibilité qui s’établit entre 73 % et 80 %, les régiments sont en mesure de fournir des renforts temporaires, et « le niveau de préparation opérationnelle des équipages est en progression ».

Cependant, compte tenu des besoins liés aux rotations, l’effort consenti pour les appareils déployés en OPEX est indissociable d’un effort de même nature pour les appareils restant en métropole : « pour pouvoir disposer du niveau nécessaire de disponibilité en OPEX, il faut a minima stabiliser celui de la métropole ». À cet égard, selon le général Philippe Roos, une « amélioration continue de la disponibilité globale est constatée sur les six premiers mois de l’année 2016 mais les résultats sont encore insuffisants ».

La SIMMAD fait toutefois valoir que l’atteinte des objectifs du plan d’action requiert « avant tout un engagement fort de l’industrie : réduction de la durée des chantiers, correction des difficultés d’approvisionnement en rechanges, réduction de la charge de maintenance au “niveau de soutien opérationnel” et au “niveau de soutien industriel” ».

L’article 5 de la loi n° 2015-917 du 28 juillet 2015 actualisant la programmation militaire pour les années 2015 à 2019 comporte une « clause de revoyure » : il prévoit que le Gouvernement remettra dans les trois premiers mois de 2017 un rapport d’évaluation sur les dispositions de la loi de programmation militaire relative aux effectifs et aux crédits du ministère de la Défense, et ce « en vue, le cas échéant, d’une nouvelle actualisation » de cette programmation. Ainsi, qu’il s’agisse d’une « réactualisation » ou d’une nouvelle loi, la programmation militaire est appelée à être réexaminée à partir de 2017.

C’est dans ce cadre que mérite d’être inscrit un effort en vue de la consolidation de nos capacités d’aérocombat, effort pour lequel le rapporteur pour avis formule plusieurs propositions.

L’actualisation de la loi de programmation militaire en 2015 a porté la cible du parc de Tigre HAD de 60 à 67 et celle du parc de Caïman de 68 à 74. Aujourd’hui, le 1er RHC est en cours d’équipement en hélicoptères Caïman, qui remplaceront d’ici 2017 les Puma dont il est doté. Le 5e RHC sera doté de d’hélicoptères et de simulateurs Caïman à compter de 2017, tandis que les Puma du 3e RHC seront remplacés à compter de 2021 par des Caïman.

Toutefois, considérant la faible disponibilité des hélicoptères actuels, les états-majors et de la 4e brigade d’aérocombat des régiments de Pau estiment que, sauf à retirer le groupe interarmées d’hélicoptères (GIH) de l’ALAT, celle-ci ne pourrait remplir pleinement son contrat opérationnel que si la prochaine LPM programme l’acquisition de quinze à vingt NH90 Caïman supplémentaires. Ainsi, l’ALAT pourrait être équipée comme le présente le schéma ci-après.

ÉQUIPEMENT SOUHAITABLE DE L’ALAT

Source : ministère de la Défense.

Le chef de corps du 4e RHFS a fait observer que contrairement aux forces spéciales américaines, les forces spéciales françaises utilisent des appareils développés en premier chef pour les forces conventionnelles. Néanmoins, les forces spéciales expriment des besoins spécifiques dans les domaines suivants :

‒ la logistique : coffres, configuration des appareils, etc. ;

‒ les transmissions ;

‒ l’optronique, pour répondre aux exigences de « fulgurance » et d’ascendant technologique sur l’ennemi qui sont propres aux opérations spéciales.

Le commandement des opérations spéciales (COS) plaide en faveur de ce qu’à tout le moins, les forces spéciales ne perçoivent pas les équipements de nouvelle génération après les forces conventionnelles, comme ce sera le cas, notamment, pour le Caïman. Surtout, le 4e RHFS considère que cet appareil doit subir des adaptations pour être employé dans des opérations spéciales. Son chef de corps a formulé à cet égard quatre impératifs pour le NH90 Caïman livré aux forces spéciales :

‒ « pas de régression capacitaire » : le NH90 Caïman ne saurait être moins performant que les hélicoptères actuels des forces spéciales, le Cougar de nouvelle génération et le Caracal ;

‒ son architecture générale doit être suffisamment ouverte pour permettre des évolutions, car il est appelé à être utilisé pendant plusieurs décennies ;

‒ il doit être adapté à tous les savoir-faire des forces spéciales : le combat au contact, l’aérolargage, l’aérocordage, l’infiltration de nuit, etc.

Aux yeux du chef de corps du 4e RHFS, les hélicoptères de manœuvre disponibles ne permettent pas de répondre à ces besoins des forces spéciales, comme le montre le tableau ci-après. C’est pourquoi les forces spéciales plaident en faveur d’une adaptation du NH90 Caïman à leurs besoins.

LE NH90 CAÏMAN DES FORCES SPÉCIALES

 

Critère 1

Puissance

Critère 2

Pénétration

Critère 2

Aérocordage

Critère 3

C3I (1)

Critère 4

Combat de contact

Critère 5

Adaptation

Cougar NG

Dégradée

-400kg/ag

Oui

Minimale

Pas de potence

Non

Ky 100, pas de satcom

Minimale

Incompatibilité aérocordage

Non

(dernière rénovation)

Caracal

Non

Makila 2b

Oui

Oui

Oui

Oui

Non

(fin de cycle)

Caïman TTH

Oui

Non

Flir mission

Non

Trappe

Non

Ky 100, pas de satcom

Minimale

Incompatibilité aérocordage

Oui

Caïman « FS »

Oui

Oui

Oui

Oui

Oui

Oui

(1) Command, Control, Communications and Intelligence (commandement, contrôle, communications et renseignement).

Source : 4e RHFS.

D’ailleurs, les processus d’acquisition et d’évolution des équipements sont vus comme mal adaptés aux spécificités des forces spéciales. Selon les responsables de l’innovation du 4e RHFS, la section technique de l’armée de terre (STAT) et la DGA « sont calibrés pour les gros programmes, pas pour les petits programmes qui caractérisent les forces spéciales ». Ils ont cité l’exemple de l’armement aux sabords des Gazelle : le besoin d’armer les Gazelle par des mitrailleuses M134 de type Gatling a été identifié dès les opérations conduites à Abidjan en 2004, il est désormais « reconnu par tous », mais demeure « bloqué par la DGA » jusqu’en 2017. Il en va de même de l’utilisation du laser de vision, qui permet de mieux distinguer amis et ennemis sur le champ de bataille, à l’entraînement sur le territoire national : la STAT a donné son accord de principe, mais la DGA met des obstacles à une telle utilisation.

Pour le rapporteur pour avis, une meilleure prise en compte des spécificités des forces spéciales en matière d’équipements est légitime. Elle va d’ailleurs dans le sens d’une évolution de long terme : la consolidation de cet outil récent ; en outre, les montants financiers en jeu sont relativement limités.

L’ALAT a créé un système de numérisation de l’espace de bataille dont l’encadré ci-après présente les modalités, et qui a d’ailleurs été choisi comme base pour le développement du système d’information du combat SCORPION.

Les moyens actuels d’intégration des hélicoptères dans le combat aéroterrestre

Les moyens actuels de transmission des hélicoptères sont les suivants :

‒ lorsqu’il est déployé, le kit HMPC (10), qui offre une capacité de commandement des hélicoptères et de coordination avec les unités au sol, soit par communication vocale, soit par des systèmes d’informations permettant des échanges de données tactiques : le SIR (11) avec les unités terrestres et le SIT ALAT (12) avec les hélicoptères équipés de ce moyen, à savoir les Gazelle et les Cougar ;

‒ des échanges directs entre hélicoptères et unités au sol par poste radio de 4génération (PR4G).

Néanmoins, il ressort des déplacements et des entretiens du rapporteur pour avis sur le terrain que la situation actuelle des transmissions dans l’ALAT est très préoccupante. Ainsi, le commandement du 3e RHC l’a-t-il décrite comme « une calamité » : il y a « un décalage parfois usant entre l’état de nos transmissions et la technologie environnante dans l’appareil », à tel point qu’au Mali, les personnels ont dû s’équiper de cartes prépayées vendues par Orange Mali… En quelque sorte, « ce sont les 10 centimes qui manquent pour faire un euro ». Le chef de corps a d’ailleurs souligné que cette situation a quelque chose de paradoxal : « le commandement n’admet pas que l’on ne rende pas compte step by step, mais ne nous en donne pas les moyens ».

Comme le détaille l’encadré ci-après, le sous-équipement en transmissions concerne non seulement l’activité opérationnelle et les hélicoptères, mais aussi l’ensemble de l’infrastructure des bases.

Les réseaux de communication des bases ‒ le cas du 3e RHC

Le colonel Verborg a insisté sur l’« enjeu stratégique de développement » que revêt l’équipement de la base en fibre optique pour l’accès à internet. En effet, la base était il y a deux ans « un désert numérique », ce qui posait toutes sortes de difficultés :

‒ du point de vue des conditions de vie, car les 400 soldats vivant sur la base sont contraints de « payer 80 euros de leur poche pour rester connectés » ;

‒ du point de vue des conditions de travail, dans la mesure où « aujourd’hui, l’entretien des hélicoptères se fait sur ordinateur » : les échanges avec Airbus se font par voie informatique, or ils représentent des flux de données importants, « trop importants pour les « tuyaux » du régiment en journée ». Aussi, actuellement, les personnels concernés effectuent les transmissions « de chez eux le soir à Metz… ».

Or le plan départemental d’ingénierie ne prévoyait le déploiement de la fibre aux alentours de la base qu’en 2020 : « c’est beaucoup trop tard ». D’où un projet d’équipement intitulé « fibre optique 2017 », qui poursuit plusieurs objectifs :

‒ fournir un accès aisé à l’internet « récréatif » ;

‒ faciliter les transmissions professionnelles aujourd’hui ralenties ;

‒ mettre en réseau les installations militaires de toute la région.

La présentation des équipements de simulation a permis au rapporteur pour avis de mesurer un des intérêts d’une telle mise en réseau. En effet, si l’équipement actuel du régiment permet déjà à six équipes de simuler une situation tactique, élargir le champ de ces exercices de simulation à un plus grand nombre d’équipages ou à des personnels d’autres régiments se heurte à un problème de disponibilité des réseaux. À titre d’exemple, faute d’infrastructure adéquate, les personnels du 3e RHC ne peuvent s’entraîner sur simulateur avec les spécialistes des drones de l’armée de terre du 61e régiment d’artillerie de Chaumont que lorsque la direction interarmées des réseaux d’infrastructure et des systèmes d’information de la Défense (DIRISI) peut leur allouer des canaux spéciaux, ce qui n’est pas automatique.

Les véhicules blindés SCORPION livrés à compter de 2018 seront équipés du système d’information SICS et du nouveau poste radio CONTACT. Ils évolueront, pendant une période de transition, au sein de brigades interarmes qui seront aussi dotées de véhicules d’anciennes générations équipés de SICS et de postes radio CONTACT et / ou « de génération » (PR4G). L’interopérabilité entre les unités équipées de postes de générations différentes sera assurée au cours de cette période de transition.

Dans le même temps, il est prévu d’étendre aux hélicoptères Tigre et Caïman un système d’information associé au PR4G et interopérable avec le SICS. Ceci permettra des échanges de données tactiques entre les hélicoptères et les unités SCORPION au sol équipées du PR4G ou de CONTACT. Le système de commandement en vol, dont le développement est prévu dans les prochaines années, permettra de renforcer les capacités de commandement en vol des hélicoptères et de coordination avec les unités SCORPION.

À l’horizon 2025, la version aéronautique du poste CONTACT permettra d’intégrer ce système dans les Tigre, Caïman et Cougar, qui pourront ainsi exploiter les avantages de l’« infovalorisation » (13). Les hélicoptères d’anciennes générations, équipés de PR4G, continueront toutefois d’être interopérables.

Un besoin opérationnel qui dépasse les développements prévus dans le cadre du programme SCORPION

S’agissant des systèmes de télécommunication, comme l’a dit le chef de corps du 3e RHC, le besoin opérationnel est simple : « il faut pouvoir appeler l’Élysée depuis un hélicoptère à 15 000 km ». Des transmissions fluides, rapides et sécurisées sont particulièrement importantes pour l’ALAT, dont la plus-value opérationnelle tient par nature à sa vitesse, sa puissance et sa « fulgurance ». Ce besoin opérationnel est particulièrement fort pour les forces spéciales. Comme l’a fait valoir le chef de corps du 4e RHFS, la nature même des opérations spéciales rend nécessaire un contrôle des opérateurs le plus étroit possible : « le pouvoir politique doit pouvoir dire “stop” le plus tard possible », ce qui suppose des moyens de transmission complexes et redondants.

Comme l’a fait observer le colonel Pierre Verborg, la technologie adéquate est disponible : les liaisons satellitaires, et son coût n’est « pas élevé rapporté à l’enjeu » ‒ du moins pour les offres civiles. À défaut d’équiper nos 200 hélicoptères de combat, de tels systèmes pourraient, au moins, être fournis en kits et installés sur les aéronefs préparés pour les OPEX. De même, pour le chef de corps du 4e RHFS, à l’avenir, la « bulle “forces spéciales” » ne pourra être pleinement interconnectée que par des liaisons satellitaires.

Une perspective pour l’« aérocombat de demain » : l’intégration de l’ensemble des opérateurs de la « troisième dimension »

Selon le ministère de la Défense, l’intégration du poste CONTACT dans les hélicoptères simplifiera la coordination avec les troupes au sol et facilitera les échanges de niveau tactique avec les différents acteurs de la « 3e dimension » de l’armée de terre comme de l’armée de l’air. Le ministère présente d’ailleurs comme un des objectifs de la création d’un nouveau « pilier » de l’armée de terre spécialisé dans l’aérocombat le fait de « mieux intégrer la dimension interarmes à la manœuvre des hélicoptères ». La création d’un groupement d’adaptation à l’aérocombat (GAAC), chargé de « conduire l’intégration interarmes des capacités des hélicoptères avec les autres capacités de l’armée de terre », y contribue aussi. Le ministère indique donc qu’« à plus long terme, la collaboration déjà existante au sein des forces terrestres entre drones tactiques et hélicoptères sera renforcée » : en plus de l’acquisition du renseignement, elle « s’étendra progressivement au guidage et à la délivrance de feux dans la profondeur ». L’action combinée de drones et d’hélicoptères constitue ainsi un axe à étudier pour pouvoir accomplir des missions d’attaque complexes dans un ciel contesté par l’ennemi.

La coordination nécessaire à ce type d’engagement sera facilitée par une intégration accrue des systèmes d’information et de communication de la chaîne de commandement et de coordination, rassemblant l’ensemble des intervenants dans la « troisième dimension » ‒ c’est-à-dire non seulement les moyens de l’armée de terre, mais aussi ceux de l’armée de l’air. « Pleinement intégré à la manœuvre infovalorisée, l’aérocombat contribuera ainsi à l’accélération du tempo opérationnel ».

En effet, comme l’a souligné le colonel Pierre Verborg, la connexion entre hélicoptères de l’ALAT et drones de l’artillerie constitue un savoir-faire rare ‒ ne le maîtrisent que trois États : la France, les États-Unis et Israël ‒, mais indispensable à l’avenir. Pour développer ce savoir-faire, l’ALAT possède tous les éléments nécessaires : les zones d’entraînement, la piste, les compétences. Dès lors, rien n’interdirait de déployer très rapidement sur les bases de l’ALAT des drones SDTI et, le moment venu, Patroller, ce qui ne se fait toutefois pas encore. Aux yeux du rapporteur pour avis, il s’agit d’un domaine dans lequel notre expertise mérite d’être entretenue et approfondie.

L’hélicoptère interarmées léger est un programme d’acquisition d’aéronefs destinés à remplacer six types d’hélicoptères représentant plus de 190 appareils actuellement en service dans les trois armées (les Alouette III, Dauphin, Panther, Gazelle, Fennec et Puma) et dont le retrait de service est programmé entre 2015 et 2035. L’objectif de ce programme est de moderniser les moyens et de rationaliser les flottes d’hélicoptères des trois armées. L’acquisition d’une plate-forme commune devrait permettre de réduire sensiblement les coûts de soutien, de mutualiser les stocks de rechanges et la formation des équipages et des mécaniciens.

Les hélicoptères du programme HIL sont ainsi destinés à réaliser un large spectre de missions opérationnelles : aérocombat, combat aéromaritime, lutte antinavire, action de l’État en mer, surveillance et défense de l’espace aérien national (MASA), recherche et sauvetage (SAR).

Pour l’armée de terre, le projet HIL est un programme majeur :

‒ il doit compléter les missions d’aérocombat, avec des missions de renseignement, de reconnaissance, d’appui-feu ou d’insertion de forces spéciales. Il doit donc permettre d’optimiser l’engagement des hélicoptères Tigre et Caïman, qui pourrait être recentré sur des missions prioritaires, suivant le principe de différenciation. Pour remplir ce rôle, le HIL devra être armé ;

‒ il doit également permettre de soutenir les forces dans des missions logistiques et d’évacuation sanitaire et assurer les missions d’assistance sur le territoire national.

Le rapport annexé à la loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014 prévoyait que l’ensemble de la flotte d’hélicoptères légers ou moyens sera progressivement remplacé à partir de 2015. Un programme global centré sur un hélicoptère (ou une famille d’hélicoptères) de la classe de quatre tonnes portera sur la livraison de 188 unités à partir de 2018. Toutefois, ces dispositions n’ont pas été reprises par la loi de programmation militaire 2014-2019.

Selon le chef de corps du 4e RHFS, l’avancement actuel du projet de HIL permet d’envisager un lancement en 2020, ce qui ne permet d’espérer les premières livraisons qu’en 2028 et une mise en service en 2030, sauf à acquérir un appareil « sur étagère ». Or, entre-temps, l’hélicoptère Gazelle aura connu une forte attrition ‒ son retrait de service a débuté en 2012 et doit s’achever en 2025 ‒, ce dont résulterait une importante lacune capacitaire. Les forces spéciales plaident donc en faveur d’une solution intérimaire permettant de combler ce déficit prévisible. Parmi les appareils disponibles « en catalogue », le choix doit, aux yeux du commandement du 4e RHFS, répondre à plusieurs critères :

‒ par souci de « continuité des capacités sur tout le spectre des missions », le successeur des Gazelle devra être adapté à l’ensemble de ce spectre, des missions d’insertion aux opérations d’appui-destruction, en passant par les missions d’appui-feu par tireur embarqué, d’appui de courte portée par une mitrailleuse de type Gatling, d’évacuation médicale, de transport de petites équipes commandos, de « command and control », etc. ;

‒ la cohérence des performances des différentes flottes constitue également un impératif : « sinon c’est le plus lent qui donne son rythme ». Or « le Caïman va déjà plus vite que les Tigre : il faudra donc que le remplaçant de la Gazelle aient des capacités de vitesse comparables », c’est-à-dire environ 250 kilomètres par heure et deux heures et demie d’autonomie, avec des équipements de liaison à longue distance, une faible empreinte au sol, une certains agilité et une « faible signature » radar.

Le général Michel Grintchenko a estimé à titre personnel que dès lors que le HIL doit reprendre les missions des appareils « d’ancienne génération », il doit en reprendre certaines caractéristiques clés : être « rustique », « peu coûteux à l’heure de vol » et relativement simple à soutenir, à défaut de quoi l’équilibre financier de l’ALAT s’en trouverait déplacé, puisque l’armée de terre « n’a pas les moyens de financer une masse de manœuvre hyper-technologique ».

Le commandement du 5e RHC a ajouté que si la Gazelle est « très appréciée », il n’en demeure pas moins que ce format d’hélicoptère ne sera plus adapté, dans l’avenir, aux nouveaux standards de l’aérocombat. En effet, cet hélicoptère offre peu de capacité d’emport, sa motorisation « monomoteur » est faible, ses dispositifs d’autoprotection sont insuffisants, etc. Aussi, à ses yeux, « il faudra en tout état de cause changer de “classe” d’hélicoptère ».

Comme l’a fait valoir le commandant de l’ALAT, chaque armée possède des hélicoptères pour des raisons et des emplois différents :

‒ dans la marine nationale, l’hélicoptère est conçu, schématiquement, comme l’extension d’un système d’armes ;

‒ pour l’armée de l’air, l’hélicoptère constitue un outil de poursuite de l’action dans son milieu de référence à vitesse plus modérée que les avions et à plus basse altitude ;

‒ pour la gendarmerie nationale et la protection civile, l’emploi des hélicoptères est lié à la proximité des besoins dans une logique d’éparpillement des moyens ;

‒ les forces spéciales, elles, ont besoin de matériels de haute technologie, « pour des missions improbables, mais toujours dans une logique de hit and run ».

Pour l’armée de terre, l’emploi d’un hélicoptère léger s’inscrit dans une logique de « masse de manœuvre » qui permet « de dynamiser la manœuvre au sol et de s’inscrire dans la durée ».

Ces modes d’action différents se traduisent aussi par des besoins différents : le général Michel Grintchenko a fait observer par exemple que si l’armée de l’air estime avoir besoin de doter ses hélicoptères de capacités de ravitaillement en vol pour ses missions de recherche et de sauvetage au combat (RESCO), tel est nettement moins le cas de l’armée de terre ; de même, il a jugé que les besoins des forces spéciales présentaient de réelles spécificités par rapport aux autres unités de l’ALAT.

Le remplacement de six flottes d’hélicoptères par un seul modèle a :

‒ pour principal avantage attendu : la rationalisation de la maintenance aéronautique et, de ce fait, une réduction des coûts d’entretien ;

‒ pour principal inconvénient : une difficulté à opérer une synthèse satisfaisante entre les besoins des trois armées, qui peuvent conduire à ce que les flottes ne soient pas parfaitement adaptées aux besoins des forces.

Le rapporteur pour avis s’est toutefois interrogé sur le point de savoir si cet avantage est suffisamment certain pour compenser cet inconvénient.

Or le directeur central du SIAé a fait valoir que le coût du soutien du HIL dépendrait en réalité de deux variables : le poids de l’appareil et la taille de la flotte. En effet, pour le même nombre d’hélicoptères, le coût du MCO de « micro-flottes » est toujours plus élevé que celui d’une flotte homogène. Cela plaide en défaveur non seulement du maintien de nombreux modèles, mais aussi de la déclinaison d’un modèle unique en plusieurs versions : « si les versions d’un même appareil diffèrent fortement, cela devient des micro-flottes ».

L’ingénieur général Jean-Marc Rebert a ajouté que « le coût de la maintenance d’un hélicoptère est largement corrélé à son poids » : l’expérience montre que plus un hélicoptère est « lourd », plus son MCO est cher ‒ et plus le bénéfice de l’industriel est élevé. Or le poid des hélicoptères que le programme HIL vise à remplacer est très variable : il va, par exemple, de 2,1 tonnes pour la Gazelle à plus de sept tonnes pour les Puma de l’armée de l’air. En tout état de cause, il semble que le HIL ne soit pas conçu comme ayant une masse inférieure à quatre tonnes, et l’appareil promu par Airbus Helicopters comme candidat au marché à venir, le H160, a une masse de six tonnes.

Aussi, rien ne permet d’affirmer a priori que le choix d’un modèle unique pour le HIL permettra nécessairement de réduire les coûts de maintenance de l’ALAT. Si un modèle unique est plus lourd que les modèles légers qu’il remplace, l’effet peut même être l’inverse ; et la déclinaison d’un modèle unique en différentes versions ne va pas non plus dans le sens d’une maîtrise des coûts d’entretien de la flotte. M. Philippe Coq, représentant du groupe Airbus, a d’ailleurs indiqué et jugé regrettable que les réflexions des autorités militaires aillent plutôt « dans le sens d’un scénario à deux ou trois hélicoptères, ou de trois versions très différentes du même hélicoptère ». Il a rappelé le rôle de l’EMA dans la convergence des points de vue, faute de quoi les armées « paieraient dans la durée un coût d’exploitation très important » car « le vrai problème, ce sont les micro-flottes ».

Si l’avantage tiré de l’homogénéisation des parcs en matière de réduction des coûts d’entretien ne peut pas être établi sur des bases certaines, peut-être faut-il n’envisager qu’avec une grande prudence le remplacement des six flottes actuelles par une seule.

Une hypothèse alternative pourrait consister à recentrer le programme HIL sur le « segment moyen » du poids des modèles d’hélicoptères à remplacer, et à acquérir, au moins pour l’une des extrémités du spectre des besoins, un autre type d’appareil, pour une vingtaine d’unités par exemple.

Aux yeux du rapporteur pour avis, cette situation comporte par nature le risque de « brider » les armées dans l’expression de leurs besoins et donc, par la suite, dans leurs capacités opérationnelles. En effet, dans le souci de préserver la base industrielle et technologique de défense française, le choix des armées pourrait être largement guidé par les propositions que fera le principal fournisseur européen du secteur, Airbus Helicopters, voire placer cette société en bonne position pour promouvoir un modèle en particulier.

Le commandant de l’ALAT a relativisé la portée de ce risque. Selon lui, pour l’ALAT en général et pour le projet de HIL en particulier, les rapports entre les armées et les industriels s’ordonnent davantage sous l’angle de la communauté d’intérêts et de la « dépendance vertueuse, mutuelle et consentie » que de la confrontation. D’ailleurs, le maintien et la stimulation d’une robuste base industrielle et technologique de défense (BITD) française ou européenne en matière d’hélicoptères entre aussi dans les intérêts des armées. Le général Michel Grintchenko a ainsi souligné la « valeur patrimoniale » de l’hélicoptère, autour duquel se retrouvent tant les militaires que les industriels dans une même et légitime fierté.

Il a aussi rappelé que la Gazelle, à laquelle l’ALAT est aujourd’hui très attachée, est elle-même dérivée d’un modèle civil. Pourtant, c’est sur la base de cet appareil civil que, moyennant près de 2 000 modifications, les armées ont développé un appareil militaire donnant toute satisfaction et dont la dernière version (la Gazelle SITALAT) est « un formidable appareil hyper-connecté ».

Pour le rapporteur pour avis, en tout état de cause, il faudra veiller à ce que les besoins opérationnels des armés ne soient pas « éclipsés » par les considérations industrielles, aussi légitimes qu’elles puissent être.

Le secrétaire général des affaires publiques du groupe Airbus a présenté l’hélicoptère civil H160 comme le modèle le plus approprié pour servir de base à l’appareil dont ont besoin les armées, d’autant que d’après lui, l’État a déjà commencé à investir en programme d’études amont (PEA) pour sa militarisation. Il s’agit donc d’une opportunité pour la France d’être « le leader de sa militarisation ».

Il a également décrit comme une sorte de « fantasme » l’idée, exprimée par certains, que le HIL pourrait ressembler à l’actuel hélicoptère Gazelle, de la maniabilité duquel les militaires vantent souvent les mérites : « les exigences ont changé depuis le programme Gazelle » et le HIL semble s’éloigner de cette ultra-légèreté, compte tenu de besoins tels que deux turbines pour assurer sa rapidité et un système de protection garantissant sa survie en cas d’accident.

Le rapporteur pour avis a passé en revue plusieurs modèles existants proposés par Airbus Helicopter. Aux yeux de ses interlocuteurs :

‒ le H125 Écureuil présente pour inconvénient dirimant de ne pas permettre d’embarquer des commandos, ce qui est rédhibitoire pour les forces spéciales : les deux membres d’équipage et les différents systèmes à embarquer suffisent à saturer sa capacité d’emport (limitée par son train d’atterrissage) ;

‒ le H135 présente des capacités vues par certains observateurs comme « limitées dans les environnements difficiles » ;

‒ le H145 « répond au besoin », mais certains jugent sa structure « un peu ancienne ». Il est toutefois à noter que ce modèle est assemblé en Allemagne et non en France.

Les avis sont partagés sur le H160 :

‒ les uns le voient comme « un peu trop lourd » : avec une masse de six tonnes, il a presque le format d’un hélicoptère de manœuvre. Il présenterait également un « risque de surqualification », facteur de difficultés de maintenance comme pour tout appareil moderne. De plus, sa commercialisation est envisagée pour 2018 pour la version civile, ce qui laisse envisager des livraisons de versions militaires à l’horizon 2020 ‒ au mieux ;

‒ d’autres soulignant que le H160 est innovant : pour un appareil qui sera conservé pendant trente à quarante ans, « autant acheter high tech ».

Le commandement du 4e RHFS a souligné les « côtés vertueux » de l’adoption par les militaires de normes de navigabilité issues du secteur civil, concernant notamment le suivi des machines et de tous les actes, pour la sécurité des personnels et d’une ressource comptée. Aussi, « les régiments jouent pleinement le jeu ». En effet, les normes applicables sont issues de celles établies par l’Union européenne en 2003, étendues à l’ALAT en 2006 par décret.

L’application de ces normes n’en fait pas moins peser de lourdes contraintes en générant des charges administratives importantes. À titre d’exemple, le général Philippe Roos a indiqué que chaque heure de vol d’un NH90 a pour corollaire 22 heures de travail (14) de maintenance, et 19 homme-heures de travail administratif, ce qui est « colossal » et parfois critiquable, lorsqu’il s’agit de « doubles saisies papier et informatique ».

Les règles de navigabilité des appareils reposent sur des procédures de suivi d’une grande quantité de données, ce qui suppose des dispositifs de recueil, de transmission et de traitement de l’information très complexes. Comme l’a dit M. Philippe Coq, « pour une heure de vol de Caïman, il y a encore plus d’heures de documentation que de maintenance... c’est une situation très difficile ».

En la matière, la SIMMAD a pour objectif de simplifier les démarches administratives et documentaires afférentes au vol des hélicoptères, en éliminant progressivement les procédures non-dématérialisées, à l’instar de ce qui est déjà fait pour le suivi du moteur du Rafale. « Dans l’idée, il faudrait supprimer la documentation papier ». Cela suppose toutefois, dans le cas des hélicoptères, que les industriels disposent des systèmes informatiques adéquats de traitement des informations dématérialisées.

Le général Philippe Roos a souligné l’enjeu opérationnel de ces démarches : « si un hélicoptère a une panne à Tessalit mais que sa documentation de suivi technique n’est pas disponible sur place ou ne peut pas être mise à jour, l’hélicoptère ne vole pas… ainsi, on ne peut pas dissocier le travail administratif et la disponibilité pour le vol ».

Le chef de corps du 4e RHFS a jugé qu’un assouplissement des règles serait pertinent, car « les règles civiles ont été calquées avec rigidité », et l’« on demande aux régiments de se situer dans l’épure de certains standards sans qu’ils en aient toujours les moyens ». Ce constat a été partagé par M. Philippe Coq, pour lequel les normes de navigabilité « devenues extrêmement complexes » constituent une « perturbation supplémentaire » dans le MCO des hélicoptères.

À ses yeux, « la France a peut-être fait “le très bon élève” en matière de normes de navigabilité ». La SIMMAD s’attache elle aussi à vérifier si les autorités militaires « n’en ont pas fait “un peu trop” » dans la transposition des normes de navigabilité aux armées. D’ailleurs, comme l’a fait valoir le chef de corps du 4e RHFS, « l’ALAT a une culture spécifique : si les hélicos de l’armée de l’air se déplacent, de fait, de base en base, ceux de l’ALAT sont engagés dans des conditions plus rustiques », or la direction de la sûreté aéronautique de l’État (l’autorité de contrôle) « a une culture plus proche de celle de l’armée de l’air que de celle de l’ALAT ».

Selon lui, les textes actuels permettent en l’état des allégements normatifs, cohérents avec la sécurité que garantit l’unicité de la formation des personnels de l’ALAT dans une seule et même école.

Pour le rapporteur pour avis, la pertinence des normes de navigabilité mérite de faire l’objet d’un examen pragmatique. L’ALAT disposant d’un siège au comité de direction de la direction de la sûreté aéronautique de l’État, elle est bien placée pour veiller à l’évolution de ces normes ou pour prendre l’initiative d’adaptations de ces normes à ses spécificités, par exemple pour ce qui est des règles de formation ou de progression de carrière des personnels de la maintenance.

La SIMMAD a d’ores et déjà entamé un travail de rationalisation des plans recommandés d’entretien des matériels, qui suit, schématiquement, deux lignes principales :

‒ espacer les visites dites « calendaires » au « niveau de soutien industriel ». Pour le Tigre, ces visites sont actuellement programmées tous les deux ans, et ce délai pourrait être porté à trois ans moyennant l’organisation de visites intermédiaires plus légères au « niveau de soutien opérationnel », c’est-à-dire en régiment. En effet, si une visite chez l’industriel dure dix mois au lieu des six prévus (comme cela arrive fréquemment aujourd’hui) et que l’échéance de la visite suivante est calculée à compter du début de cette visite qui prend du retard, le temps pendant lequel l’appareil est disponible pour les forces s’en trouve réduit. Repousser les visites calendaires permet donc de placer davantage d’aéronefs « en ligne ». Cela suppose toutefois de faire porter une charge supplémentaire de travail sur les unités de l’ALAT, qui se trouvent déjà en sous-effectif. Suivant une logique comparable, les plans de maintenance du NH90 Caïman vont être refondus de façon à passer de 600 à 900 heures de vol la périodicité des visites intermédiaires au NSI : l’effet est important sur la disponibilité des appareils, moyennant une charge supplémentaire pour le NSO ;

‒ modifier les critères de décompte du potentiel de vol d’un appareil suivant une logique dite « T0 », consistant à décompter ce potentiel à compter de la fin d’une visite « calendaire » et non au début ou en cours de visite, de façon à « disposer d’un plein potentiel de vol » à la sortie des établissements industriels.

Pour le général Philippe Roos, le gain de disponibilité qui pourrait résulter de ces mesures serait important, notamment pour le Tigre, dont la conception prévoit un nombre de visites très important ‒ peut-être trop. Ces mesures font actuellement l’objet d’un dialogue « bien engagé » avec Airbus Helicopters visant à optimiser les plans d’entretien des matériels, qui doit permettre de rééquilibrer les opérations d’entretien entre maintenance préventive et maintenance curative. Le rapporteur pour avis ne peut que souhaiter que ce dialogue entre la SIMMAD et Airbus Helicopters permette d’exploiter au mieux les marges de progression existantes.

En matière de logistique, le groupe Airbus plaide en faveur d’une « logique de garage » pour le MCO aéronautique, avec des changements de pièces programmées en fonction d’un nombre d’heures de vol défini à l’avance.

M. Philippe Coq a fait valoir que cette organisation est celle retenue pour la maintenance des flottes d’hélicoptères civils, et qu’elle offre à ceux-ci une disponibilité technique de l’ordre de 80 %, même lorsqu’ils sont utilisés dans des environnements corrosifs comme le milieu marin pour les hélicoptères des sociétés d’exploitation des plateformes offshore. Il a ainsi plaidé en faveur de « contrats de rechanges à l’heure de vol », dans le cadre desquels l’industriel pourrait être responsable de la gestion des stocks de pièces.

Une telle organisation permet à l’industriel de disposer d’une certaine visibilité concernant le plan de charge de ses ateliers de fabrication des pièces. L’impact économique de cette option mérite toutefois d’être examiné : si elle rend les opérations plus prévisibles, évitant ainsi des retards très pénalisants pour les forces, elle peut conduire à consommer davantage de pièces de rechange qu’il n’est réellement nécessaire.

Il ressort des travaux du rapporteur pour avis que si les responsabilités sont très imbriquées dans les retards accumulés par la chaîne de MCO aéronautique, les responsables des retards ne se voient guère imposer de pénalités. Le commandant de l’ALAT a ainsi souligné la difficulté qu’il y a à mettre en jeu la responsabilité des industriels de la maintenance aéronautique ‒ privés ou non ‒ dans les retards accumulés au cours de ces opérations. « Comment en effet sanctionner la non atteinte d’un résultat par un organisme d’État, tel que le SIAé, ou par un industriel en difficulté ? » Selon lui, la nature de l’exercice et l’enjeu opérationnel qui s’y attache devraient placer les industriels dans une logique « d’obligation de résultat », sanctionné de manière motivante et dissuasive. Ce point mérite d’être approfondi par la SIMMAD.

Le directeur central du SIAé a plaidé lui-même en faveur d’une responsabilisation des acteurs du MCO ‒ y compris pour les industriels qui fournissent des pièces de rechange. Aujourd’hui, à ses yeux, « tout le monde peut se renvoyer la balle » et « aucun acteur n’est complètement responsabilisé ». Afin qu’« un acteur soit véritablement responsable de la fourniture aux réparateurs des pièces adéquates, en temps utiles et en bon état », il a évoqué une redéfinition des contrats suivant une logique « pièces plus MCO », qui garantirait la fluidité des opérations par des « mécanismes de responsabilisation ».

Pour le rapporteur pour avis, les contrats doivent probablement être affermis pour ce qui concerne les mécanismes de responsabilisation.

L’amélioration des relations contractuelles constitue, selon les explications du général Philippe Roos, une autre voie d’amélioration possible de la DTO. Pour le Tigre, la maintenance fait l’objet d’une trentaine de contrats passés par l’organisation conjointe de coopération en matière d’armement (OCCAr) : il faut donc que le ministère de la Défense convainque ses homologues étrangers parties au programme Tigre du bien-fondé de sa démarche. Celle-ci est « bien engagée », et permettra de « changer de portage dans les relations avec Airbus Helicopters », en vue d’« engager davantage Airbus Helicopters dans l’atteinte des objectifs de performance du MCO » et d’en faire un véritable partenaire.

En effet, l’industriel peut être vu, en l’espèce, comme davantage un fournisseur qu’un véritable partenaire des armées, à l’instar de ce qu’est par exemple Dassault avec les contrats « Care ».

M. Philippe Coq a estimé qu’aujourd’hui, dans l’organisation générale du MCO aéronautique, la SIMMAD ne se trouve pas « au centre du dispositif », plaidant en faveur d’une meilleure répartition des rôles entre :

‒ les états-majors, qui doivent « exprimer leurs besoins et faire connaître les ressources dont ils disposent » ;

‒ la SIMMAD, qui devrait d’être « l’unique coordinatrice du MCO » ;

‒ la DGA (voire l’OCCAr), qui doit « sortir du dispositif », mettant de facto un terme à l’imbrication des contrats de programmes et de MCO.

Il ressort des travaux du rapporteur pour avis que pour assumer une direction plus efficace des opérations de maintenance, la SIMMAD a besoin d’outils nouveaux, notamment informatiques.

Le général Philippe Roos est en effet revenu sur le processus de transformation de la SIMMAD elle-même, dont sont attendus des gains de productivité et qui s’est traduit notamment par une mutualisation des stocks de pièces entre armées. Cet axe majeur de gains de productivité suppose de disposer d’un système d’information unique et global, adapté à la gestion d’une supply chain interarmées, pour être fonctionnel.

Un chantier de système d’information et d’interfaces diverses (y compris avec le logiciel Chorus) a été lancé dès 2009, avec la notification de marchés associant plusieurs industriels (dont Airbus) et leurs sous-traitants (dont Sopra-Steria) et une structure ministérielle de suivi du contrat « légère ». Le système d’information qui en est issu, appelé Comp@s, a été expérimenté sur une flotte de 14 Lynx, et s’est avéré très dysfonctionnel : même pour une flotte aussi limitée, il ne peut être exploité que moyennant des mesures de contournement quasi-systématiques et la mobilisation de 13 personnels en permanence. Au regard du volume de la flotte en question, cet effectif paraît incompatible avec les exigences de productivité de la SIMMAD, et les dysfonctionnements du logiciel étaient nombreux ; ce projet a donc été « gelé » en mars 2016. En attendant de savoir si l’outil pourrait être amélioré et l’établissement d’une équipe de gouvernance complètement intégrée SIMMAD-DGA pour dialoguer avec les industriels, la SIMMAD continue d’exploiter la quarantaine de systèmes d’information historiques, vieillissants et organisés selon une logique d’armées, ce qui est incompatible avec l’exploitation des gisements de productivité résidant dans la mutualisation des stocks : l’éclatement de ces systèmes ne permet pas d’administrer la supply chain de façon prévisionnelle, optimisée, et précise pour la gestion des flux. Tout en se refusant à comparer Comp@s à Louvois, dans la mesure où l’activité de la SIMMAD n’a pas été affectée.

Le directeur central de la SIMMAD a indiqué que ce projet de système d’information, vecteur d’optimisation, constituait pour lui une priorité.

Le rapporteur pour avis constate le caractère mixte du niveau de soutien industriel de l’aéronautique, partagé entre industriel public et industriels privés, et s’interroge sur le point de savoir si un système unifié ne serait pas plus efficace.

À cette question, le directeur central du SIAé a répondu par la négative et fait valoir que :

‒ le tarif des prestations en pâtirait, car la main-d’œuvre qualifiée d’Airbus Helicopters est nettement plus chère que celle du SIAé ;

‒ il n’est pas certain qu’Airbus Helicopters soit capable de « monter en gamme » à court terme.

Le secrétaire général du groupe Airbus chargé des affaires publiques a souhaité quant à lui une meilleure répartition des responsabilités dans l’organisation du MCO aéronautique. Il s’agit pour lui de « placer le curseur entre armées et industriels » dans une logique de « juste milieu » qui articule :

‒ un industriel, qui estime pouvoir assurer une logistique entièrement externalisée à l’image de ce que fait Nexter pour les pièces du char Leclerc ;

‒ une armée, qui pourrait prendre en charge le MCO en OPEX via des structures militarisées « en bout de chaîne ».

Il est cependant à noter qu’Airbus n’envisage en aucun cas de prendre en charge le MCO des hélicoptères en OPEX : « “en bout de chaîne”, il faudra toujours des structures militaires de maintenance » pour la réception des pièces détachées et les opérations de maintenance près de la ligne de front. Or, pour que les armées disposent de spécialistes de la maintenance « en bout de chaîne », elles doivent pouvoir entretenir leurs compétences en base arrière, en métropole, ce qui suppose de confier à leurs personnels une part de la charge du MCO en régiment.

À la question de savoir si les maintenanciers militaires pourraient travailler au sein des ateliers des industriels privés pendant qu’ils sont en métropole, M. Philippe Coq a jugé que rien ne s’y opposerait et a rappelé que cela se pratiquait déjà en Allemagne.

Pour le rapporteur pour avis, la question du partage des tâches dans la maintenance industrielle des hélicoptères mérite d’être étudiée avant la prochaine actualisation de la programmation militaire, que ce soit pour renforcer le rôle de l’industriel privé ou celui de l’industriel public.

RECOMMANDATIONS DU RAPPORTEUR POUR AVIS

1. Faire évoluer dès 2017 le dispositif de l’opération Sentinelle, pour sortir de la logique « Vigipirate “puissance dix” » et, de ce fait, rendre à l’armée de terre les moyens d’assurer sa préparation opérationnelle aux opérations les plus exigeantes.

2. Reprendre les recrutements dans les ateliers de maintenance de l’ALAT et, pour « fidéliser » cette main d’œuvre qualifiée, trouver les voies et moyens de rémunérations et de parcours de carrière plus attractifs.

3. Investir dans les systèmes d’information logistiques de la SIMMAD et des régiments, pour optimiser la charge de travail des équipes de maintenance.

4. Exploiter les marges de manœuvre que laissent les règlements internationaux pour assouplir les normes de navigabilité.

5. Adapter les équipements de l’ALAT à la réalité de son niveau d’engagement en OPEX, en augmentant le cas échéant son parc de quinze à vingt hélicoptères NH90 Caïman supplémentaires.

6. Conduire un programme d’adaptation des hélicoptères de manœuvre aux besoins spécifiques des forces spéciales.

7. Investir dans des équipements de transmissions satellitaires pour les hélicoptères, de façon à permettre l’intégration de l’ensemble des opérateurs de la « troisième dimension ».

8. Recentrer le programme HIL sur le « segment moyen » des six types d’hélicoptères qu’il doit remplacer, et acquérir un autre type modèle d’appareil pour l’une (au moins) des extrémités du spectre des besoins.

9. Refondre le dispositif contractuel sous-tendant le maintien en condition opérationnelle des hélicoptères, de façon à responsabiliser les différents acteurs.

10. Réexaminer la pertinence d’un partage de la charge industrielle de la maintenance aéronautique entre industriel public et industriels privés.

La commission de la défense nationale et des forces armées a entendu le général Jean-Pierre Bosser, chef d’état-major de l’armée de terre, sur le projet de loi de finances pour 2017 (n° 4061), au cours de sa réunion du mardi 2 novembre 2016.

Mme la présidente Patricia Adam. Mes chers collègues, nous accueillons aujourd’hui le général Jean-Pierre Bosser, chef d’état-major de l’armée de terre, sur le projet de loi de finances pour 2017.

Général, merci de votre présence. Vous êtes le premier à vous lancer dans cet exercice budgétaire. Et comme nous sommes en fin de législature, je pense qu’il était également important, pour chacun d’entre nous, de faire le point de ce qui a été fait tout au long de cette période : les décisions qui ont été prises, leur suivi, les effectifs, la réserve, mais aussi le programme SCORPION, vos attentes, les premiers véhicules Griffon et Jaguar, etc. Les sujets ne manquent pas, et j’imagine que les questions seront nombreuses.

Général Jean-Pierre Bosser, chef d’état-major de l’armée de terre. Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les parlementaires, la dernière fois que je suis intervenu devant vous, c’était il y a exactement un an, le 13 octobre, juste avant les attentats du Bataclan, de Nice et Saint-Étienne du Rouvray, une année où le risque et la menace n’ont cessé d’augmenter sur le territoire national. Dans le même temps, le 12 avril, nous avons perdu trois soldats au Mali : le maréchal-des-logis Damien Noblet, le brigadier Michaël Chauvin et le soldat de 1re classe Mickaël Poo-Sing. Ils luttaient contre le terrorisme, là-bas, à la racine. Toujours dans le même temps, le service militaire volontaire et la réserve donnaient des premiers signes de réussite.

Dans une première partie, je reviendrai sur cette année écoulée, marquée, pour l’armée de terre, par une véritable inversion de tendance, sur laquelle il me semble important de s’attarder un peu.

Dans une deuxième partie, j’aborderai les perspectives pour 2017. Je souhaite une poursuite de la dynamique positive de 2016, tout en appelant à la vigilance, notamment au travers de deux points durs que j’ai identifiés, l’infrastructure et le MCO, et d’une préoccupation majeure que je fais mienne : le moral.

La troisième et dernière partie de mon propos sera un peu plus prospective. Elle portera sur l’après 2017, les 2 %, mes objectifs et les orientations sur lesquelles je fais travailler l’état-major, pour donner sa pleine puissance au nouveau modèle « Au contact ». C’est la condition nécessaire pour que nous ayons une armée de terre performante et efficace.

L’année 2016 porte donc le sceau d’une « inversion de tendance ». C’est une année charnière dans trois domaines.

Tout d’abord, 2016 est une année de recrutement historique, avec des objectifs quantitatifs deux fois plus élevés qu’en 2014, et 1,5 fois plus élevés qu’en 2015. La force opérationnelle terrestre – FOT – se trouvera densifiée par le recrutement de 11 000 hommes et femmes en deux ans, ce qui se traduit par des unités élémentaires supplémentaires dans les régiments. Ainsi, 17 compagnies et escadrons supplémentaires ont été formés. En avril 2017, nous en aurons 40.

Je rappelle toutefois que « recruté » ne veut pas dire « instruit », et qu’« instruit » ne veut pas dire « entraîné ». Je me suis engagé à recruter ces 11 000 hommes pour la fin de l’année, et l’objectif sera atteint. Mais bien évidemment, cette force ne sera ni complètement instruite, ni totalement entraînée. J’estime qu’elle sera complètement instruite à l’été 2017 et pleinement entraînée – sous réserve qu’il n’y ait pas de nouveau pic d’engagement à 10 000 sur le territoire national – mi-2018.

Ensuite, 2016 est une année charnière sur le plan capacitaire. C’est l’année des gros programmes, à mi-chemin entre la notification du programme SCORPION en 2014 et le début des livraisons attendues en 2018. C’est l’année du 60e Tigre et du 20e Caïman. C’est aussi une année de commandes de court terme, dont les livraisons commenceront dès 2017 : je pense notamment à celles du successeur du FAMAS et des premiers véhicules légers tactiques, en remplacement de la P4.

Enfin, 2016 est l’année du rééquilibrage des opérations, entre l’extérieur et l’intérieur, parce que la menace militarisée est désormais continue, elle aussi, entre l’intérieur et l’extérieur.

Je crois qu’on n’aura jamais autant écrit sur le territoire national que cette année passée et que, globalement, en deux ans, on en aura fait davantage qu’en vingt-cinq. Il me semble, très honnêtement, que nous avons bien rattrapé le retard. Je n’énumérerai pas les divers rapports, mais je considère que les études et les travaux parlementaires qui ont été menés nous ont beaucoup aidés, s’agissant d’un sujet qui, depuis la chute du Mur de Berlin, restait à défricher.

Par-delà les écrits, dans le domaine des actes, sur le territoire national, nous avons déployé de 7 000 à 10 000 hommes et femmes tout au long de l’année. Le plafond de 10 000 – évoqué par le dernier Livre blanc, sur une durée maximum d’un mois – a été tenu en 2016 pendant un tiers de l’année, ce qui n’est pas anodin.

Inflexion des effectifs, des équipements et des missions : 2016 consacre bel et bien un « changement d’époque » pour l’armée de terre, dont l’emploi est désormais structuré au travers de trois champs d’action.

Le premier champ d’action, le plus traditionnel, est celui du « Combattre là-bas », qui s’exprime au travers de trois types d’opérations.

Le premier type est celui des opérations classiques. On pense immédiatement au Mali, qui demeure un théâtre dangereux. Ce week-end encore, deux véhicules ont sauté sur un IED (Improvised Explosive Device, en français Engin explosif improvisé), qui a fait six blessés à sept kilomètres au sud d’Abeïbara. On pense aussi à l’Irak, où nos canons CAESAR tirent quasiment quotidiennement de jour comme de nuit.

À côté de ces opérations classiques, nous participerons bientôt à des opérations de réassurance qui contribueront à ce que j’appellerais une nouvelle forme de dissuasion face à l’Est. Ainsi, nous allons engager un sous-groupement tactique en 2017 en Estonie – aux côtés des Britanniques – et en 2018 en Lituanie – aux côtés des Allemands.

Enfin, il ne faut pas oublier de mentionner toutes nos actions de prévention dans l’arc de crise, ce que l’on appelle l’assistance militaire opérationnelle, ou la participation à des missions comme la MINUSMA – Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali. Tout cela passe par une étroite coopération avec nos alliés, notamment au G5 Sahel dont le CEMA vous parlera largement demain.

Le deuxième champ d’action, le territoire national, est celui du « Lutter ici », qui nous impose de relever simultanément trois défis.

Le premier défi est d’assurer la protection du territoire et des Français. Protéger la Cité et ses habitants est la raison d’être, la vocation première de toute armée. Ce défi se traduit, au-delà de l’effet de loupe médiatique dont bénéficie l’opération Sentinelle, par la construction en marche d’une véritable posture de protection terrestre – PPT – qui viendra s’intercaler entre les postures permanentes de sûreté des deux autres armées. Elle est évaluée à 10 000 hommes et doit s’entendre comme un savant dosage entre des effectifs déployés ou en alerte face à une menace très actuelle, et des effectifs en préparation opérationnelle, s’entraînant face à aux nouvelles menaces potentielles.

Le deuxième défi consiste à participer à la connaissance-anticipation, aux côtés des forces de sécurité intérieure – FSI – pour mieux appréhender le continuum de cette « menace militarisée », et mieux anticiper les changements de posture et de modes d’action de l’adversaire. Il s’agit en somme de « faire changer l’incertitude de camp » et, nous concernant, de dissiper au mieux le « brouillard de la guerre ».

Le troisième et dernier défi du « Lutter ici » est d’œuvrer à renforcer la résilience de la Nation. L’armée de terre a, à cet égard, deux responsabilités : stimuler la cohésion nationale et incarner certaines valeurs que l’on identifie aujourd’hui comme des valeurs refuges. Son action s’appuie à la fois sur des initiatives au profit de la jeunesse, comme le service militaire adapté – SMA – ou le service militaire volontaire – SMV – qui est toujours en expérimentation, ainsi que sur la réserve opérationnelle dont nous poursuivons la montée en puissance à marche forcée, dans une pleine et vertueuse intégration à l’armée de terre d’active. L’objectif est d’atteindre 24 000 réservistes opérationnels sous contrat fin 2018.

Le troisième champ d’action est le renforcement de l’armée de terre, qui porte trois enjeux majeurs.

Le premier enjeu est de disposer d’hommes et de femmes en quantité, mais aussi en qualité. Recruter 11 000 personnes, c’est bien, mais il faut recruter 11 000 personnes dans le but bien précis d’en faire des soldats.

L’armée de terre marque un effort majeur sur la formation initiale de ses recrues, et y consacre un encadrement de l’ordre d’un instructeur pour quatre jeunes. Au quotidien, cela représente un volume équivalent à celui d’une brigade – 7 500 hommes – consacré à la formation initiale. Nous veillons enfin, en portant une attention particulière à la condition du personnel, à préserver dans la durée notre ressource. Pour le moment, aucun indicateur ne me laisse entrevoir une baisse de la fidélisation qui pourrait être due, notamment, à la suractivité ou à l’emploi dans le cadre de Sentinelle.

Le deuxième enjeu du renforcement est d’augmenter l’entraînement. Cette année, le nombre des jours de préparation opérationnelle – JPO – de l’armée de terre restera inférieur à la cible qui est de 90. Il devrait être entre 70 et 75. Néanmoins, il a légèrement augmenté par rapport à l’an dernier, où il était de 65.

Le troisième enjeu est de fournir les équipements nécessaires à nos soldats. Je reviendrai sur ce point plus en détail tout à l’heure. Je pense qu’une accélération, une densification des programmes, notamment du programme SCORPION, mériterait une réflexion plus poussée qu’elle ne l’a été ces dernières années.

De ce triple engagement « là-bas », « ici » et « en interne » découle l’équation de la suractivité que vit aujourd’hui l’armée de terre : « sur-recrutement » plus « sur-emploi opérationnel » égal « sous-entraînement » et « sur-absentéisme de la garnison ». Et cette suractivité se traduit budgétairement par quelques tensions en fin de gestion.

Des tensions de fin de gestion, c’est vrai, traduisent budgétairement la suractivité. Mais je souhaiterais rappeler à nouveau l’effort budgétaire qui a été accompli en 2016, notamment grâce à l’actualisation de la loi de programmation militaire – LPM – en juillet 2015. Cet effort visait à mettre en cohérence globale les ambitions et les moyens. Le résultat est largement positif. Les efforts consentis, et c’est pour moi le plus important, sont d’ores et déjà perceptibles par nos hommes au quotidien. Ils leur permettent de mesurer la contrepartie de l’engagement que l’on exige d’eux.

D’une part, ils constatent physiquement l’arrivée de nouveaux équipements « individuels » ou « de proximité » qui exercent un effet très positif sur leur moral. Souvenons-nous de ces mots du général de Gaulle dans Vers l’Armée de métier : « c’est au goût des belles mécaniques que le service dans les troupes de métier offrira pleine satisfaction ». Ainsi, en fin d’année, les 1 000 Ford Ranger auront été livrés, ainsi que les 3 500 premiers gilets de combat SMB – faisant désormais partie du paquetage individuel – qui équiperont une compagnie par régiment d’infanterie. 1 000 terminaux Auxylium ont également été livrés en 2016 et améliorent de façon significative les capacités de communication des unités Sentinelle engagées en Île-de-France. Ce ne sont pas les seuls exemples, mais les exemples les plus « visibles » pour nos soldats.

D’autre part, nos hommes sont attentifs à l’attention qu’on leur porte. Dans ce cadre, les mesures liées à la condition du personnel sont très positivement perçues. Parmi d’autres mesures, je voudrais évoquer l’effort en matière d’infrastructures conduit dans le cadre de la remontée en puissance. Entre « rénover le vieux pour faire du neuf » et « faire du totalement neuf durable », nous avons choisi une solution intermédiaire avec la livraison, en fin d’année, grâce à l’entreprise Bouygues, de neuf bâtiments modulaires durables CATALPA sur les quinze bâtiments commandés en janvier 2016. Les premiers ont été livrés fin août-début septembre.

Je voudrais également évoquer les deux premières mesures indemnitaires liées à la suractivité, qui arriveront concrètement sur le compte en banque de tous les militaires d’ici à la fin de l’année : le paiement de deux jours d’indemnité pour TAOPC – temps d’activité obligatoire complémentaire – pour 2016, soit un montant annuel de 170 euros – ce qui est important pour un jeune qui gagne l’équivalent du SMIC, et le doublement de l’indemnité pour sujétion d’alerte opérationnelle – AOPER – qui passe de 5 à 10 euros par jour, avec effet rétroactif à compter de juin 2016.

Je voudrais toutefois appeler votre attention sur les contraintes qui pèsent sur le budget en cette fin d’exercice. Ce sont toujours les mêmes : levée de la réserve de précaution ; couverture interministérielle des surcoûts OPEX/MISSINT – opérations extérieures/missions intérieures.

Quant à l’armée de terre, elle rencontre à ce stade de gestion des insuffisances préoccupantes, évaluées à plus de 100 millions d’euros sur le BOP « Préparation des forces terrestres » du programme 178. Elles sont la conséquence du sur-engagement opérationnel, des nouveaux besoins liés à la remontée en puissance de la force opérationnelle terrestre et d’une tension excessive sur l’entretien programmé des matériels, en particulier aéroterrestres. Ces insuffisances, si elles n’étaient pas couvertes, pèseraient sur la prochaine annuité et fragiliseraient l’équilibre de la construction budgétaire 2017, sur laquelle je vais maintenant venir.

L’année 2017 poursuivra, nous l’espérons, la dynamique positive initiée en 2016. Mais elle appelle toutefois à la vigilance.

En construction, globalement, on peut se satisfaire de ce qui nous est présenté.

2017 décline, tout d’abord, les décisions entérinées dans la loi de programmation militaire actualisée, puis lors du conseil de défense du 6 avril dernier par le président de la République.

L’armée de terre voit ses principaux objectifs validés, que ce soit en termes d’effectifs – y compris dans le domaine de la condition du personnel – ou en termes d’équipements. Je pense tout spécialement à la reconnaissance du besoin de mobilité de la force opérationnelle terrestre avec, en particulier, la validation du renouvellement de la P4à hauteur de 3 800 unités, et l’augmentation de la cible VBMR-léger de 200 unités.

Le PLF 2017 devrait permettre à l’armée de terre de faire face à ses besoins en titre 2, avec notamment un BOP « Personnel militaire de l’armée de terre » doté à hauteur de 7,8 milliards d’euros. Nous pourrons ainsi poursuivre la montée en puissance du personnel d’active, augmenter la réserve opérationnelle et, surtout, ce qui est très important pour le moral, achever la transposition du « nouvel espace statutaire de catégorie C » (NES-C), revaloriser le point d’indice, mettre en place le plan d’amélioration de la condition du personnel – PACP – et enfin, nous l’espérons – cela fait partie des mesures qui devraient être annoncées à la fin de l’année – initier la mise en place du protocole « parcours professionnels, carrières et rémunérations » (PPCR).

Dans le domaine capacitaire, 2017 sera au croisement vertueux des commandes et des livraisons d’équipements : des commandes pour préparer l’avenir avec, en particulier, celles des 319 premiers Griffon, des 20 premiers Jaguar mais aussi de 12 000 AIF – armes individuelles futures, qu’on peut désormais appeler HK 416 ; des livraisons pour traduire concrètement les décisions récentes avec, en particulier : six Tigre, sept Caïman, cinq Cougar rénovés, 379 porteurs polyvalents terrestres ainsi que les 500 premiers véhicules légers tactiques polyvalents non protégés (VLTP-NP).

Aux côtés des équipements majeurs, je souhaite également mentionner tous les équipements d’environnement qui permettront de donner de la cohérence capacitaire à l’armée de terre et sont en cela indispensables, bien que moins visibles. Je pense à certains équipements, en particulier dans le domaine optronique, comme les viseurs infrarouges ou les lunettes thermiques, qui accompagneront la remontée en puissance de la FOT.

Je pense également aux munitions, domaine dans lequel l’enjeu est de taille, à la fois qualitativement avec l’entrée en service de systèmes nouveaux – comme les missiles moyenne portée, MMP, dont les 150 premiers exemplaires seront livrés en 2017 – et quantitativement avec la densification de certains stocks critiques – à l’instar des roquettes de LRU (lance-roquettes unitaire) et des missiles Hellfire pour l’hélicoptère Tigre. Ce sujet des munitions est véritablement sensible. L’effort financier, qui s’élève à 200 millions d’euros en 2017, devra être amplifié dans le futur pour que nous puissions remonter le stock critique de nos munitions, notamment missiles et roquettes, tout en honorant pleinement notre contrat opérationnel.

En termes d’entraînement, le PLF est également satisfaisant. Il fixe à 81 le volume des journées de préparation opérationnelle, ce qui est cohérent avec l’ambition de 90 journées, à terme, pour les 77 000 soldats de la FOT, mais surtout avec nos capacités actuelles, liées à la remontée en puissance de celle-ci. De la même façon, j’estime difficile de pouvoir réaliser davantage que les 164 heures de vol budgétées en 2017, à mettre en regard des 180 heures affichées en LPM. Ainsi, vous constaterez que dans le domaine de l’entraînement, nos ambitions ne sont pas tant dégradées par des insuffisances budgétaires que par des contraintes liées au sur-emploi opérationnel ou à l’insuffisante disponibilité technique de nos parcs de matériels.

Globalement, donc, le PLF 2017 est plutôt positif pour l’armée de terre, dans la mesure où il permet de confirmer physiquement l’inversion de tendance de 2016.

Je voudrais toutefois souligner un risque portant sur la déclinaison budgétaire de ces engagements, et notamment des engagements présidentiels du 6 avril dernier. En effet, d’une part, pour ces derniers, seuls 40 % des ressources octroyées proviennent de crédits budgétaires, le reste étant de fait incertain ; d’autre part, au-delà de 2017, le financement demeure soumis à des arbitrages politiques, dans la mesure où il n’est pas à ce jour gravé dans la loi. L’élan ne devra pas être brisé !

Cela étant posé, je souhaite maintenant mettre en avant deux « points durs » financiers, et une « attention particulière » du CEMAT.

Le premier point dur est l’infrastructure.

Depuis quelques années, celle-ci demeure le talon d’Achille de l’armée de terre, en dépit d’une véritable volonté à la fois politique et de commandement. Il convient à cet effet de noter les résultats positifs du plan d’urgence « condition du personnel » déclenché à l’été 2014 par le ministre de la Défense pour corriger les « points noirs » ; ils sont réalisés à hauteur de 82 % pour le ministère, et de 75 % pour l’armée de terre. De même, le logement des nouvelles unités de la FOT a bien été pris en compte, notamment grâce au projet CATALPA. Enfin, l’infrastructure liée à Sentinelle a bénéficié d’un effort notable, puisque plus de 20 millions d’euros ont été investis pour améliorer les conditions de logement de nos soldats.

Toutefois, ces actions « coup de poing » ne doivent pas masquer une situation globalement préoccupante.

Pour ce qui concerne les acquisitions, certains besoins prioritaires ont été repoussés : par exemple, l’accueil du SDT, le futur drone tactique, à Chaumont, ou le renforcement des capacités des forces spéciales à Pau. Cette situation reste à surveiller.

La situation est également préoccupante en ce qui concerne l’entretien du parc immobilier – notamment celui de nos quartiers, qui constituent de plus en plus la maison de nos soldats, qui reviennent s’y installer. Le parc se détériore au fil du temps, du fait d’un effort de maintenance qui est passé progressivement, en dix ans, de six euros du mètre carré en 2007 à deux euros aujourd’hui. Les crédits accordés au titre du PLF 2017 permettront tout juste de freiner la dégradation du patrimoine.

Le deuxième point dur que j’identifie concerne le MCO terrestre et aéroterrestre.

Le MCO terrestre est le cœur de la réforme « Au contact ». Cette réforme est la conséquence de trois réalités.

Une réalité opérationnelle, d’abord, liée à l’usure accélérée du matériel en particulier du fait du caractère abrasif des OPEX. En 2016, ce sont près de 3 000 matériels majeurs de l’armée de terre qui auront été engagés en opérations extérieures, outremer et à l’étranger, soit l’équivalent de 20 régiments – sur 80.

Une réalité technologique, ensuite, car aujourd’hui cohabitent dans les forces quatre générations de matériels avec des parcs anciens extrêmement hétérogènes – il existe par exemple plus de 50 configurations différentes de VAB, les véhicules de l’avant blindé – et des parcs de nouvelle génération faisant appel à une maintenance d’un autre type.

Une réalité humaine, enfin, du fait du départ, d’ici à 2025, de 2 400 agents civils de maintenance du ministère de la Défense, atteints par l’âge de la retraite. Ce sont des spécialistes de la maintenance, dont le départ n’est que partiellement compensé par un flux de recrutement annuel moyen estimé à 160.

Face à cette triple réalité, le projet MCO-T 2025, l’une des principales déclinaisons de « Au Contact », apporte une réponse qui s’inscrit dans une approche duale, séparant d’un côté la maintenance industrielle (étatique et privée) en charge de la régénération, et de l’autre la maintenance opérationnelle en charge de la disponibilité. En l’état, le financement permet globalement d’initier le projet sur 2017-2018 mais il n’est absolument pas garanti au-delà. Il faudra absolument assurer la continuité de ce projet. Du côté des hélicoptères, le MCO aéroterrestre est « le » point dur.

Le modèle économique est, en l’état, non viable. Avec 70 % des voilures tournantes du ministère, l’armée de terre est la plus grande entreprise d’hélicoptères lourds d’Europe. Cependant, 100 seulement décollent au quotidien pour un contrat opérationnel de 149 machines. Je ne peux me satisfaire de cette situation.

C’est un problème économique et opérationnel. C’est aussi un problème de formation. Et cela induit des coûts supplémentaires, puisque, pour permettre à mes équipages d’être engagés en opération, je suis parfois obligé d’externaliser une partie des heures de vol.

Avec 338 millions d’euros de crédits de paiement, le MCO aéroterrestre est considéré comme tout juste suffisant. Je pourrai vous en reparler.

Après ces deux points durs, l’infrastructure et le MCO, j’en viens au moral, auquel nous devons porter une attention spécifique.

Selon moi, c’est une responsabilité du CEMAT et du commandement. Il conditionne notre capacité opérationnelle. J’estime le moral de l’armée de terre plutôt bon. Il est soutenu par la dynamique positive dans laquelle se trouve l’armée de terre en matière d’effectifs et d’équipements. Il ne semble pas, pour le moment, être affecté à l’excès par les deux « vents contraires » que constituent la sur-absence de la garnison et le problème Louvois. Il convient toutefois d’être vigilant. Culturellement, le militaire est peu enclin à se plaindre. Mais le maillon fragile auquel il faut prêter une oreille attentive est constitué par les familles. L’absence de la maison et la solde en fin de mois touchent principalement la « base arrière ». Or il se peut que cette « base arrière » ait moins de retenue que nos soldats.

En 2016, 50 % de la FOT aura passé plus de 150 jours de mission hors garnison, certains allant même jusqu’à 220 jours, ce qui n’est pas anodin. Il n’est pas non plus indolore qu’au moment où je pensais lever la garde à l’issue de l’Euro et du 14 juillet, j’aie dû, en raison des attentats de Nice, rappeler 2 000 hommes de permission – des soldats qui avaient programmé leurs congés estivaux et qui sont rentrés en moins de 24 heures.

Aujourd’hui, financièrement parlant, cette sur-absence est globalement bien prise en compte. Dans la droite ligne des annonces ministérielles et présidentielles des deux dernières années, les mesures de condition du personnel liées à la suractivité sont financées sur le PLF 2017 – dont 35 millions d’euros pour l’indemnisation d’absence cumulée. Dans le même esprit, l’armée de terre sera très attentive aux annonces qui pourraient être faites au prochain Conseil supérieur de la fonction militaire – CSFM. Pour autant, et il faut que vous le sachiez parce que vous allez les rencontrer, nos militaires attendent le versement de ces primes.

En effet, il reste un obstacle majeur sur le chemin entre la décision et la mise en œuvre : le logiciel Louvois, deuxième « vent contraire ». Celui-ci continue de poser des problèmes chaque fin de mois, pour 15 % des soldes. Mais surtout, il est extrêmement instable. Qu’en sera-t-il de la mise en œuvre des nouvelles primes ? Cela risque d’être très compliqué.

On peut donc s’attendre à un délai important entre la prise de décision politique, la prise de décision « militaire » sur la mise en œuvre, et la capacité de l’outil à verser ces primes. Il est exact qu’aujourd’hui, à part les deux jours d’ITAOPC, aucun militaire n’a bénéficié des primes annoncées soit par moi-même, soit par le ministre. On diffère le versement de ces primes, mais au bout d’un an, d’un an et demi, nous risquons de devoir faire face à un problème de crédibilité. Et je n’évoque pas le retrait à la source sur un logiciel non stabilisé. Cela inquiète beaucoup nos soldats…

Comme je l’ai dit l’an dernier et comme vous l’avez constaté, nos soldats ont le cuir épais. Ils nous ont « bluffés ». Beaucoup des 10 000 hommes qui ont patrouillé cet été à Paris et en province étaient des jeunes recrues. Or ils se sont remarquablement bien comportés. Certains soldats ont fait 12 semaines de missions consécutives entre mi-juin, avant l’Euro, et le 3 septembre, la rentrée scolaire. Mais je n’ai pas eu de problème de discipline et je n’ai eu que des échos favorables sur leur comportement et leur tenue.

Pour résumer cette partie, je qualifierai donc ce PLF de plutôt satisfaisant, mais on ne doit pas faire l’économie de quelques points d’attention et de vigilance, que j’ai essayé d’évoquer de façon objective. 2017 sera une année de transition. Les enjeux sont surtout postérieurs – 2017/2018. Je souhaite donc, pour terminer, vous parler de l’avenir.

J’ai coutume de présenter l’avenir de l’armée de terre en trois dimensions : l’organisation, l’équipement et l’orientation.

Premièrement, le modèle « Au contact » dont la vocation est d’organiser l’armée de terre. Le modèle est désormais en place à plus de 90 %, et il sera finalisé à l’horizon 2017. Il fallait trois années pour une telle ambition : 2014-2015 pour concevoir, 2015-2016 pour mettre en place, 2016-2017 pour mettre en œuvre et aujourd’hui, l’oreille sur le capot, on écoute le moteur tourner pour procéder à quelques réglages. À l’été 2017, j’estime que le modèle sera entièrement en place.

Deuxièmement, le programme SCORPION, vu comme l’emblème de la transition capacitaire en cours. Il sert à outiller l’armée de terre qui, du point de vue de ses équipements, aura davantage changé en quinze ans, entre 2010 et 2025, qu’en quarante ans, entre 1970 et 2010.

Troisièmement, cette transition doit être appuyée par une réflexion sur le cap et la distance, et soutenue par une vision prospective. J’ai donc l’intention de sortir mi-octobre ce petit document intitulé « Action terrestre future ». Celui-ci met en avant huit facteurs de supériorité opérationnelle. Il doit guider notre réflexion sur les 2 %.

Je voudrais maintenant aborder un point qui me tient à cœur, qui porte sur un nouveau modèle économique, ou un modèle économique d’un nouveau genre pour l’armée de terre.

Il s’agit de chercher à saisir les opportunités, dès lors qu’elles sont à la fois soutenables financièrement et faisables techniquement, pour accélérer l’arrivée des nouveaux parcs, et ne plus entretenir de façon dépensière les anciens. Il faut savoir que reconstruire une P4, c’est 300 heures de travail et 27 000 euros, et que remplacer six chargeurs de FAMAS, c’est le même prix qu’un HK 416, etc. Cela m’interroge. Mais cela pose plusieurs questions que j’aurai l’occasion d’évoquer dans l’année qui vient.

Je me doute qu’à l’occasion de cette réflexion sur un nouveau modèle économique, vous allez me parler de patriotisme économique, du « made in France ». Certes, le fusil nous oriente un peu vers l’Est, les P4, dans l’immédiat, plutôt vers l’Afrique du Sud ou du côté d’un pays asiatique. Certes, vous souhaitez que la défense soutienne les acteurs économiques. J’y souscris pleinement. Pour autant, j’appelle les acteurs économiques à soutenir notre effort de défense. C’est ce que l’on pourrait appeler, en regard du « patriotisme économique », une « économie patriote ».

Pour cela, il faut que l’on agisse ensemble. Il faut que l’on communique avec les industriels davantage que par le passé. Je suis convaincu que si l’on avait dit, il y a quelques années, à nos industriels, que nous allions avoir besoin de P4, ils se seraient mis en ordre de bataille pour nous les fournir. Mais si on se réveille un beau matin en disant que 600 de nos P4 « meurent » chaque année, l’industrie automobile française n’est pas forcément capable de fournir le nécessaire.

Ce modèle économique est pour moi quelque chose de central, qui viendra accompagner à la fois l’organisation, l’outillage, ainsi que le cap et la distance d’Action terrestre future.

Je pense que dans le cadre espace-temps qui nous attend, au moins les cinq prochaines années, l’armée de terre devra porter davantage son effort dans le champ des équipements que dans le champ des effectifs.

Mon but est de donner toute sa puissance au modèle. Et s’il y avait une ambition de 2 %, dans les prochaines années autour de la défense, je formule, pour l’armée de terre, le souhait que les équipements rattrapent désormais les effectifs.

Je revendique surtout une ambition capacitaire pour nos forces terrestres. Cela se traduit par un effort à marquer dans les domaines des acquisitions d’équipements, de l’infrastructure associée et du maintien en condition opérationnelle.

Pour conclure ce propos avant de répondre à vos questions, je voudrais vous remercier, Madame la présidente, Mesdames et Messieurs les députés, puisque c’est probablement ma dernière audition au cours de cette législature. Je reconnais à cette commission une grande qualité : celle de placer les intérêts supérieurs de la Nation au-dessus de toute considération partisane. Pour cette raison, le chef militaire que je suis s’est toujours senti à l’aise et en phase parmi vous et avec vous.

Je voudrais enfin vous dire combien les hommes et les femmes de l’armée de terre méritent cette union nationale sur les questions de défense. Nous avons une armée de terre exceptionnelle, vous le constatez d’ailleurs quand vous les rencontrez sur le terrain. J’étais avec eux la semaine dernière, je pourrai vous en parler.

Mme la présidente Patricia Adam. Merci, général, et sachez que la réciproque est vraie. Nous avons eu nous aussi beaucoup de plaisir à travailler avec vous au cours de cette législature. Mais peut-être que beaucoup d’entre nous seront toujours là après les élections. C’est du moins ce que je souhaite aux uns comme aux autres, en tant que présidente de commission. Car l’Histoire ne se termine pas aujourd’hui.

Je voulais aussi vous dire que chacun d’entre nous a pu vérifier sur le terrain la présence de vos hommes sur le territoire national, apprécier leur professionnalisme, leur grande maîtrise et leur engagement, notamment au cours des opérations extérieures. Mais cette reconnaissance des parlementaires est aussi le fait des Français, tout simplement. Je vous charge de le leur dire. Je pense que cela constituera pour eux la plus grande des reconnaissances.

M. François Lamy, rapporteur spécial. Mon général, comme il a été précisé au début de cette audition, c’est la dernière audition du quinquennat, mais peut-être aussi celle qui annonce le futur. Cette rencontre éclairera sur certains domaines le prochain mandat législatif, quel que soit d’ailleurs ceux qui l’exerceront.

J’ai trois questions à vous poser sur des sujets importants, dont je pense connaître les réponses, mais je crois qu’il serait bon que vous apportiez à la commission certaines précisions.

D’abord, quelle est votre vision de l’évolution du dispositif Sentinelle ? On sait que la menace sera présente encore pendant plusieurs années, quelle que soit l’évolution au Levant. Comment le dispositif pourrait-il évoluer de la façon la plus efficace possible, et la moins coûteuse humainement pour vos troupes ? 

Ensuite, vous avez abordé partiellement une question. Je souhaiterais que vous nous apportiez des précisions : il s’agit du rapport entre les besoins en effectifs, et les besoins en équipements. Il est vrai que l’on a tendance, en cas de problème, à dire qu’il faut augmenter les effectifs alors que j’ai cru comprendre que vous aviez une autre vision de la question.

Enfin, puisque le sujet fait partie du débat politique et que ce sont les responsables politiques qui auront à trancher : j’aimerais que vous me donniez votre avis sur ce que pourrait être et sur ce que signifierait, pour l’armée de terre, un rétablissement partiel ou total du service national.

Mais une dernière question se pose, sur laquelle il n’est pas besoin de s’étendre longtemps : l’aéromobilité. C’est moins un problème d’argent que d’organisation. Si jamais vous aviez une piste nous permettant de prendre des décisions, nous serions « preneurs ».

Général Jean-Pierre Bosser. En premier lieu, Sentinelle est un dispositif qui évolue quasiment de semaine en semaine, et qui est passé du « tout statique » au « tout dynamique ». Il y a un peu plus d’an, l’emploi était dilué au profit des forces de l’ordre. Il est maintenant plus concentré, avec des zones de responsabilité qui sont imparties aux militaires, en étroite collaboration avec les forces de l’ordre.

Cette nouvelle situation correspond bien plus à notre manière de commander. Plutôt que d’avoir des hommes dilués et placés sous l’autorité hiérarchique d’une patrouille de police ou d’un commissariat, nos hommes ont pour chefs, sur le terrain, leur chef de section, leur capitaine et leur chef de corps. Les modes d’action tactiques ressemblent désormais à ceux de notre quotidien en opérations, je pense notamment au contrôle de zone ou aux patrouilles. L’exécution de la mission est ainsi, aujourd’hui, beaucoup plus militaire qu’elle ne l’était il y a deux ans.

Pour moi, cette évolution est très saine. Je rappelle au passage que la relation d’homme à homme entre policiers et militaires est excellente. Qu’entre lieutenant de police et chef de section, elle est parfaite. Qu’entre commissaire, chef de corps et sous-préfet, elle est également très bonne. D’ailleurs on n’a pas – ou peu – entendu de policiers émettre des réserves à ce propos. Voilà où l’on en est aujourd’hui.

Demain, je souhaiterais que l’on fasse encore différemment. Pour les années qui viennent, je pense nécessaire que l’on conserve ce capital de 10 000 hommes, mais qu’on l’emploie autrement. Je voudrais que l’on prépare la guerre ou les crises de demain, que l’on prenne en compte l’ensemble des risques évalués par le SGDSN, et que l’on travaille ces scénarios en collaboration avec d’autres ministères et d’autres forces – les douanes, les forces de sécurité intérieure au sens large.

L’idéal serait que le curseur des forces déployées dans le cadre de Sentinelle soit réduit à sa plus simple expression si la menace venait à se réduire ; mais que le complément à 10 000 hommes soit réemployé pour faire de la présence sur le territoire national et préparer les scénarios de demain.

C’était le thème de l’exercice Minerve, que nous avons mené avec les gendarmes, sur un cas de contrôle de zone en moyenne et haute montagne, et qui combinait l’intervention du préfet, de la gendarmerie, des douanes, de la police de l’air et des frontières et des militaires. Voilà comment on peut, dans une zone qui n’est pas facile, utiliser les compétences et les capacités des militaires.

J’ai beaucoup de projets de ce genre. Nous allons bientôt faire un exercice avec l’armée de l’air. Comment faire voler nos drones en commun, comment contrôler l’espace aérien ? On va le faire dans une zone où les forces françaises ne se sont pas déployées depuis longtemps, en plein cœur du territoire national. Pour ma part, je ne plaide pas pour un retrait du territoire national, en disant que maintenant que j’ai engrangé 11 000 hommes, je vais les concentrer sur les OPEX. Je plaide pour capitaliser ces 10 000 hommes, soit en alerte, soit en entraînement pour préparer les scénarios futurs, soit en déploiement dans la mesure où l’on n’échappera pas à un déploiement minimum, que j’évalue à 3 000 hommes – la répartition serait donc de 3 000 et 7 000 hommes.

J’en viens aux besoins en effectifs et en équipements. Dans ce domaine, j’aurai besoin de tout votre soutien. On a déconstruit l’armée de terre au travers de ses effectifs. Certains s’imaginaient que l’armée de terre aurait comme ambition de se reconstruire – objectif des 2 % et signal des 11 000 – au travers de ses effectifs. En fait, mon ambition en matière d’effectifs, que je suis en train d’évaluer, est somme toute assez faible.

Quel est aujourd’hui mon objectif ? Nous avons 11 000 hommes en plus. Je cherche à équiper mes soldats de façon homogène et à les entraîner de façon correcte. Je cherche à régler mes problèmes de MCO et d’infrastructure. Si j’avais une vision « effectifs » – plus 15 000 hommes, plus 30 000 hommes, reconstruction de l’armée de 2008 ou d’avant – j’accentuerais cet écart entre une partie importante de l’armée mal équipée, mal entraînée et une autre partie, plus resserrée, qui serait plus homogène, mieux équipée et plus cohérente.

Je sais que cela va surprendre. J’étais la semaine dernière à Toulouse et pour me faire plaisir, l’adjoint au maire m’a dit : « Mon général, on veillera à ce que vous remontiez en effectifs ». Je lui ai répondu de ne pas se précipiter, et que ce n’était pas du tout mon orientation. Je ferai ce que l’on me dira, mais très clairement, je suis plutôt pour un mode d’action visant, au moins dans le cadre espace-temps à venir, à rétablir les équilibres.

Vous avez parlé du service national. Pour moi, c’est un sujet politique. Nous avons la capacité de faire beaucoup, avec le SMA et le SMV : on fait rentrer des garçons et des filles, et ils sortent avec un emploi. Je veux bien augmenter les volumes du SMV de 1 000, de 10 000, de 20 000, mais je rappelle que le but du SMV est de réussir le retour à l’emploi. Aujourd’hui, il permet 72 ou 73 % de retour à l’emploi, ce qui est un beau résultat. Mais je ne suis pas certain qu’en industrialisant le SMV, le résultat soit aussi satisfaisant.

S’il n’y a plus de point de sortie, le point d’entrée peut être largement augmenté. Mais alors, pour répondre à votre question, ce n’est plus le même modèle d’armée. Si nous prenons demain un virage consistant à rétablir un service militaire obligatoire, ou un service militaire où l’on s’occupe des décrocheurs pris en masse, ce ne sera pas la même armée, clairement. Ce sera autre chose.

Aujourd’hui, pour vous donner un ordre de grandeur, pour 1 000 garçons et filles au SMV, il y a 250 cadres, soit un pour quatre. C’est le volume de cadres d’un régiment. Si vous voulez 10 000 ou 100 000 garçons et filles, faites le calcul. À 100 000, vous atteignez l’armée de terre au complet. Donc, ce n’est plus une armée de terre qui fait la guerre, c’est une armée de terre qui ne fait plus que de la cohésion sociale. C’est un choix politique. Je sais faire. À partir de là, quelle armée veut-on ? Où met-on le curseur ?

À propos de l’aéromobilité, beaucoup de choses ont été dites. Je vous précise qu’aujourd’hui, c’est le cœur de la capacité militaire. On ne fait plus rien sans hélicoptères, que ce soit sur le territoire national ou en opérations extérieures. Il y a donc un lien très fort entre l’aéromobilité et l’opérationnel.

L’hélicoptère moderne n’est plus celui d’autrefois, qui était techniquement assez simple. Les hélicoptères,aujourd’hui, ce sont des outils numériques, un système de pièces de rechange extrêmement pointu, au moins aussi pointu que celui de l’automobile. C’est de la navigabilité, de la sécurité aérienne.

Quand on raisonne « hélicoptères », il faut aller bien au-delà des machines. Il faut raisonner « chaîne de maintenance ». Or la chaîne est ce qu’elle est : il y a des intervalles. Faut-il autant d’intervalles entre les différents acteurs ? La question est posée. Cependant, la réponse ne doit pas se focaliser sur tel ou tel acteur (utilisateurs, BSAM, SIAé, SIMMAD et Airbus Helicopters) : il faut raisonner « global ». Donc, si vous nous aidez à diagnostiquer encore mieux cette chaîne dans sa globalité, vous serez clairement les bienvenus.

M. Michel Voisin. Mon général, j’ai été le rapporteur de la loi qui a aboli ou plutôt qui a suspendu – c’est mon amendement – le service militaire. Le sujet est politique, mais je pense aussi que les moyens actuels dont nous disposons ne permettront jamais son rétablissement. À l’époque, on nous avait répondu qu’il faudrait attendre soixante-quinze ans pour que la suspension du service permette de faire des économies au niveau du budget de nos armées. On peut aujourd’hui se poser la question …

Mais je voudrais vous interroger à propos des batteries qui ont été déployées en Irak. Je crois qu’il y a là-bas à peu près 200 hommes qui servent à terre. Je suis surpris, en raison des règles que nous avons édictées, que le débat sur un tel engagement ne soit jamais venu au Parlement.

Général Jean-Pierre Bosser. Sur le plan purement opérationnel, la question devra être posée au chef d’état-major des armées. Ce que je peux vous dire, c’est que ces unités ont été mises en alerte cet été, et qu’on a pu les déployer dans un cadre espace-temps qui correspondait à la volonté politique de mise en place de ces moyens.

À propos du service militaire, je tiens à faire le point. J’ai dit que ce serait un autre modèle. Mais ce ne serait pas uniquement un modèle d’instructeurs : 250 instructeurs multipliés par 10, par 100, etc. Il faut également tenir compte des seuils critiques, sur lesquels on a déjà buté pour le SMV. Il faut y être attentif. J’avais été un des premiers à parler de remontée en puissance, et j’avais très vite vu les seuils critiques : ce peut être l’alimentation, ou l’habillement, ou l’infrastructure, etc. Aujourd’hui, ce ne sont pas des contingences secondaires. Par exemple, je crois que je n’ai plus qu’un seul quartier de disponible, celui de Châlons-en-Champagne, à la suite de la dissolution du 1er régiment d’artillerie de marine.

Donc, vous avez raison, il y a une notion de seuils critiques à prendre en compte, et qui dépasse le simple problème des instructeurs.

M. Philippe Nauche. Merci, Mon général, pour votre exposé liminaire qui faisait preuve d’équilibre et de la plus grande objectivité possible.

Vous nous avez dit que la formation initiale, puis l’entraînement des nouvelles recrues, étaient très consommateurs en termes de moyens. Vous avez également remarqué qu’il n’y avait pas de baisse de la fidélisation. Selon vous, quels moyens permettraient d’augmenter la fidélisation et, par là même, de consommer moins de moyens au moment de l’instruction initiale ?

Ensuite, quand espérez-vous que les premiers Griffon et Jaguar seront disponibles pour les OPEX sur le terrain ?

Enfin, vous avez parlé d’aéromobilité. Je souhaiterais savoir où en sont les troupes aéroportées. Je pense à toutes les vicissitudes que l’on a connues avec l’A400M. Quelles sont les perspectives en la matière ?

M. Olivier Audibert-Troin. Je voudrais revenir un instant sur ce que vous avez appelé la nouvelle posture de protection terrestre, qui viendrait s’intercaler entre les différentes postures. Vous nous avez dit également que vous ne plaidiez pas pour un retrait, mais pour un meilleur emploi.

J’ai deux remarques à faire et une question à vous poser.

Premièrement le contrat opérationnel prévoit la fameuse règle des quatre i : l’insuffisance, l’indisponibilité, l’incapacité et l’inadaptation. Si l’on souhaite pérenniser sur le territoire national la présence et l’emploi de nos forces armées, il faut déjà revoir ce contrat opérationnel parce que l’on ne pourra pas parler indéfiniment d’insuffisance, d’indisponibilité, d’incapacité à agir de nos forces de sécurité intérieure, etc. Ce serait en effet un bel aveu de faiblesse. Je pense donc qu’il faudra revoir la doctrine en la matière, et je voudrais avoir vos observations là-dessus.

Deuxièmement, pérenniser la présence de nos forces sur le territoire national, mieux employer nos hommes sur le terrain, passe inévitablement par l’octroi de nouvelles prérogatives à nos armées. Or il nous est apparu, à mon collègue Christophe Léonard et à moi-même, lorsque nous avons rédigé le rapport sur la présence et l’emploi des forces armées sur le territoire national, que vous n’étiez pas très favorable à de nouvelles prérogatives. Où en êtes-vous aujourd’hui de cette réflexion ?

Nous voyons là un danger. Sans de nouvelles prérogatives, et c’est la question que j’ai posée cet après-midi au ministre de la Défense, nous risquons d’assister, à terme, au renversement de l’opinion vis-à-vis de notre armée et le lien entre l’armée et la Nation pourrait en être affecté. En effet, la population ne comprendrait pas que les hommes déployés sur le territoire national pour assurer sa propre sécurité n’aient pas de véritables prérogatives pour agir et lutter efficacement.

Je terminerai par une question très rapide sur le service national. On évalue entre cinq et sept milliards d’euros par la remise en place du service national, sur une classe d’âge estimée entre 600 000 et 800 000 jeunes par an. Confirmez-vous, ou non, un tel montant ?

M. Charles de la Verpillière. À la différence de mon collègue et ami Michel Voisin, je n’ai pas une grande expérience à la commission de la Défense nationale, puisque je n’y siège que depuis 2012. Néanmoins, je commence à comprendre qu’en matière budgétaire, lorsque les chefs d’état-major s’expriment, il faut être très attentif : tout va toujours très bien, mais ils sèment quelques petits cailloux, qui ne sont pas des cailloux blancs, dans leur exposé. Je vous ai donc écouté avec beaucoup d’attention, Mon général, et j’ai relevé cinq motifs d’inquiétude dans votre exposé.

Le premier est classique : vous avez parlé de tensions en fin de gestion, et j’ai cru comprendre que, s’agissant de l’armée de terre, l’incertitude portait sur 100 millions d’euros.

Deuxième motif d’inquiétude : vous avez dit que le budget 2017 vous permettrait de renforcer l’entraînement des forces en passant de 70 à 75 JPO en 2016, à 81 en 2017. Certes, mais on n’est toujours pas aux 90 JPO qui sont votre objectif.

Troisième motif : vous avez remarqué que les engagements du 6 avril – qu’ils viennent du président de la République ou du Gouvernement – sur la condition matérielle et financière des troupes, ne seraient pas totalement budgétés en 2017. J’ai cru entendre, ce qui m’a surpris, qu’ils ne seraient budgétés qu’à hauteur de 40 %.

M. le général Jean-Pierre Bosser. En effet.

M. Charles de la Verpillière. Quatrième motif d’inquiétude : en évoquant le maintien en condition opérationnelle des hélicoptères, vous avez dit qu’il n’y a que 100 hélicoptères sur 300 de disponibles en permanence.

Cinquième et dernier motif d’inquiétude : vous nous avez indiqué que l’entretien du parc immobilier était l’un de vos points durs, précisant que les sommes qui lui étaient consacrées ne s’élevaient plus qu’à deux euros du mètre carré, après avoir culminé à six euros. D’où ma question : avez-vous le sentiment que les sommes consacrées aux infrastructures, qui sont de toute évidence insuffisantes, vont permettre d’accompagner la remontée des effectifs, suite à l’actualisation de la loi de programmation militaire ?

Général Jean-Pierre Bosser. Je commencerai par répondre sur la formation initiale. Si j’ai appuyé sur l’accélérateur des 11 000 recrutements en deux ans, c’était pour éviter qu’il n’y ait davantage de soldats expérimentés qui partent que de jeunes inexpérimentés qui arrivent ; c’est ce qui se serait passé si ces recrutements avaient été étalés dans le temps. J’ai pris en compte le fait que la durée de vie moyenne d’un engagé varie entre cinq et huit ans et j’ai souhaité concentrer cet espace pour que les uns et les autres « se superposent ».

Mais j’ai demandé en contrepartie que l’on veille à la qualité de la formation des soldats – savoir être et savoir-faire. D’où le ratio d’un instructeur pour quatre recrues, ce qui n’est pas classique. Vous vous souvenez sans doute que l’on m’avait demandé ici même si la quantité des recrutements ne risquait pas de se faire au détriment de la qualité. J’ai fait le pari de « la quantité plus la qualité », en deux ans, avec un ratio de formateurs de un pour quatre. Je suis en train de gagner ce pari. Je pense que j’aurai recruté 11 000 soldats fin décembre-début janvier. Et comme je vous l’ai dit, les premiers d’entre eux, engagés à Sentinelle, se sont comportés remarquablement bien, patrouillant dans les rues de France, avec armement et munitions, sans problème particulier.

Il est vrai que l’on m’a beaucoup dit qu’avec Sentinelle, tout le monde allait partir. Or aujourd’hui, je n’ai pas d’indicateur de baisse de la fidélisation. J’espère que cela n’arrivera pas. Je ne sais pas encore comment il faut l’interpréter, mais ce qui est sûr, c’est que nos hommes ont besoin d’action. Si en plus ils sont célibataires, ce qui est le cas d’environ 70 % d’entre eux, ils sont très clairement heureux d’être en mouvement. Et pour l’instant, il n’y a pas d’usure.

Ensuite, le premier GTIA SCORPION est prévu être projetable en 2021, et la première brigade SCORPION en 2023. Mais les premières livraisons interviendront dès 2018. Pour moi, SCORPION, ce n’est pas tant le véhicule en lui-même que son environnement.

On a fait un programme global, ce qui est une force pour l’armée de terre, qui n’en avait jamais eu. Mais c’est aussi une fragilité, dans la mesure où il y a plusieurs intervenants. Le Griffon, ce n’est pas qu’un véhicule, c’est aussi la numérisation tactique, la simulation, les munitions, etc. Voilà pourquoi j’appelle de mes vœux la coordination des industriels pour éviter un trop grand échelonnement des livraisons dans le temps.

Aujourd’hui, je ne m’inquiète pas à propos de Scorpion. Ce qui pourrait arriver, et ce serait une bonne chose, c’est qu’au lieu de dépenser de l’argent pour faire durer les VAB, on en dépense pour acquérir davantage de véhicules SCORPION. Cela ne devrait pas entraîner de difficulté majeure, puisque c’est le même industriel. Le seul problème qui pourrait se poser est que, en accélérant le processus, l’environnement ne suive pas. C’est mon souci sur le Griffon.

J’en viens aux troupes aéroportées. J’ai des inquiétudes qui sont liées à l’A400M et à sa capacité à larguer des parachutistes. En revanche, je n’ai pas de souci s’agissant du parachutage de matériel depuis cet avion. Avec l’acquisition par l’armée de l’air des C-130J, je m’y retrouverai globalement.

C’est un savoir-faire qu’il faut que l’on entretienne. Aujourd’hui, on largue toutes les semaines par air, de l’eau, du carburant à nos soldats en opération. À Abeïbara, nous assurons toutes les semaines une mission de livraison par air. On a largué des bulldozers pour refaire des pistes pour la force Serval. C’est un savoir-faire important sur lequel, honnêtement, je n’ai pas d’inquiétude majeure mais que j’entends conserver. D’ailleurs, sur les six brigades, une brigade parachutiste demeure dans le modèle « Au contact ».

Monsieur le député Audibert-Troin, vous avez parlé de la PPT et de la règle des quatre i. C’est un peu l’ancien temps. Cela ne veut pas dire que l’on va balayer les quatre i en même temps. Il y en a sans doute quelques-uns qui ont encore du sens. En revanche, au regard de la mission que l’on mène actuellement, certains ont effectivement perdu de leur validité.

Personnellement, je n’ai pas changé de ligne en matière de prérogatives. Je ne suis toujours pas favorable, à ce stade, à ce que nos soldats aient des pouvoirs à caractère judiciaire. Je pense que ce qui fait notre force, c’est aussi de ne pas avoir les mêmes prérogatives, les mêmes modes d’action, les mêmes finalités que nos amis des forces de sécurité intérieure. Je suis plutôt pour la complémentarité des forces, plutôt que d’avoir deux forces munies des mêmes pouvoirs sur le terrain. Maintenant, le risque que vous soulevez existe. Je ne vous dirais pas la vérité si je vous cachais que certains de nos hommes souhaitent, ou attendent peut-être, l’élargissement de leur mission au travers de nouveaux pouvoirs particuliers.

Vous avez compris que je m’oriente plutôt sur une posture de protection terrestre. En fait, le grand intérêt de cette posture, c’est d’aligner le milieu terrestre sur les autres milieux. Il y avait, hier, deux PPS – postures permanentes de sûreté – de deux armées, et au milieu, le vide était comblé par un « pied de colonne » de 10 000 hommes pour un mois, résultant des travaux du Livre Blanc. D’ailleurs, très peu de gens étaient capables d’expliquer clairement pourquoi 10 000 hommes, quand, comment, etc.

Aujourd’hui, on a une case au milieu, que l’on appelle « posture de protection terrestre » que l’on va construire brique par brique et dont je vous ai défini les grandes lignes. Avec cette posture, si la situation venait à empirer, si l’on avait à faire face à une menace terroriste d’une plus grande ampleur et d’une plus grande intensité, je pense que l’on s’adapterait plus efficacement.

Sur le contexte budgétaire, tout ce que vous avez rapporté, Monsieur de la Verpillière, est juste : c’est exactement ce que j’ai dit.

J’ai dit également que pour 2017, on n’atteindra pas les cibles en matière d’heures de vol et d’entraînement opérationnel, parce que la FOT ne sera pas encore en état de pouvoir consommer ce qui nous aurait été normalement alloué pour 90 jours de terrain. On ne le fera pas pour des questions pratiques.

S’agissant de l’infrastructure, je remarque que c’est l’entretien qui pose problème. Tous ceux qui sont propriétaires de biens savent que si on n’entretient pas sa maison au fur et à mesure, le jour où il faut la réparer, la somme est trop élevée. En fait, je veille à ce que la dégradation ne nous amène pas à un point de non-retour. Deux euros du mètre carré, c’est insuffisant.

Nous sommes en train d’essayer d’évoluer sur la manière de dépenser physiquement les budgets qui sont consacrés à l’infrastructure. J’ai demandé, par exemple, au Service d’infrastructure de la défense – SID – de libérer un peu les énergies, de permettre à la main-d’œuvre d’être plus active, de faire davantage appel à des entreprises locales. Ainsi, les entreprises autour du Larzac pourraient nous aider à installer la 13e DBLE, même si elles ne peuvent probablement pas tout faire, parce qu’elles n’ont pas forcément la dimension ou les compétences suffisantes. En tout cas, c’est un sujet sur lequel il faut encore travailler, d’autant plus que les habitudes ont changé depuis 1996.

En 1996, les soldats, généralement les appelés, logeaient au quartier. Au fur et à mesure de la montée en puissance de la professionnalisation, beaucoup se sont logés à l’extérieur. Et puis, sans doute pour des raisons économiques, peut-être aussi, pour des raisons de sécurité, on assiste à un retour au quartier. C’est une tendance extrêmement lourde, qui nous impose d’imaginer une vie au régiment comme une vie à la maison : des infrastructures de qualité, avec des espaces de détente, de lavage du linge, etc. C’est sans doute une des évolutions majeures dont il faudra tenir compte dans les cinq années qui viennent.

M. Jean-François Lamour. Mon général, je voudrais vous interroger à propos du MCO et de l’aéromobilité.

Je comprends que le matériel ancien coûte cher. Je pense au Puma, et à un degré moindre au Caracal. Mais il semblerait qu’il y ait aussi des problèmes avec l’hélicoptère NH90. On nous dit qu’il faut s’approprier l’équipement. Est-ce simplement un problème d’apprentissage, ou un problème plus grave ? Le MCO ne serait-il pas calibré au bon niveau pour faire face à un emploi assez intensif, même si le NH est davantage conçu pour une utilisation intensive dans des conditions atmosphériques difficiles au Sahel ? N’y a-t-il pas un problème de conception du MCO, si ce n’est par l’industriel, en tout cas par celles et ceux qui ont travaillé à la conception de cet hélicoptère moderne ?

Ensuite, vous avez évoqué à demi-mot une accélération, une densification du programme SCORPION, versus le maintien en condition du VAB. Qu’est-ce que cela suppose comme effort de la part de l’industriel, ou comme effort budgétaire, d’aller plus vite dans la production des deux véhicules blindés du programme SCORPION ?

Enfin, vous évoquez un nouveau modèle économique. Pouvez-vous nous dire un peu plus de ce que vous entendez par là, s’agissant d’une entreprise comme l’armée de terre ?

M. Jean-Jacques Candelier. Mon général, je vous ai écouté avec beaucoup d’attention. J’aurais quelques questions à vous poser.

D’abord, si j’en crois la presse, des chasseurs alpins se sont retrouvés au Mont-saint-Michel. Pouvez-vous m’en donner les raisons ? Est-ce un canular ?

Ensuite, des journalistes qui reviennent de théâtres d’opérations nous ont dit avoir été frappés par la paupérisation de nos soldats. Chaque jour, ceux-ci doivent faire l’impossible, et je les en félicite. Mais quelles sont les mesures prévues pour améliorer leur moral et leurs conditions de vie ? Vous avez déjà répondu en partie sur le sujet, mais je voudrais avoir un peu plus de précisions.

Maintenant, je pense que nous faisons fausse route en augmentant les crédits du nucléaire dans le budget 2017. Pour moi, et je ne suis pas le seul, il faut rééquilibrer le budget au profit du conventionnel, des effectifs et de la relance des filières industrielles.

Allez-vous, Mon général, continuer à acheter « sur étagères » ? Ne mettez pas en danger notre liberté d’action et de décision en signant avec des entreprises à l’étranger des contrats d’entretien de trente ans !

Enfin, le légendaire FAMAS sera remplacé par le HK 416. J’estime que nous avons commis là une grosse erreur, et que tout aurait dû être mis en place pour que ce nouveau fusil d’assaut soit fabriqué dans notre pays.

M. Yves Fromion. En matière de service national, il faut savoir ce que l’on veut. Ou il s’agit de répondre à une vraie menace – et il faudra dire laquelle – de nature à contraindre 600 000 jeunes à venir se former pendant six mois pour devenir des combattants approximatifs. Ou il s’agit de suppléer une éducation nationale défaillante, qui fait que les jeunes sont en déshérence, n’ont plus d’esprit civique, etc. Cela n’a rien à voir, et ce n’est pas le rôle de l’armée. Il faut que l’on soit clair là-dessus, car c’est une aberration totale de laisser prospérer cette question du service national.

Cette observation faite, j’en viens à mes questions. Mon général, la presse a laissé filtrer que nous aurions eu des blessés dans le cadre de Chammal. Pouvez-vous en dire un mot ?

Pourriez-vous nous dire ce que représenterait financièrement l’accélération de SCORPION ?

Ensuite, Mon général, je crois que vous avez raison de faire évoluer l’opération Sentinelle, non seulement dans sa forme, mais aussi dans son esprit. Pour ma part, je pense que la guerre de demain, si elle doit avoir lieu, se fera essentiellement en zone urbaine. Il faudrait donc que l’on apprenne à nos soldats à se mouvoir et à se battre dans le milieu urbain. En effet, les soldats s’entraînent principalement dans les camps, dans la campagne, à la montagne ou ailleurs. Mais le milieu de vie de presque 80 % des Français, c’est la ville. Il serait bon qu’il y ait une présence militaire dans les villes ou dans les quartiers, pour montrer que l’armée est partout chez elle. Je pense que cela ferait beaucoup de bien à notre société, et notamment à de nombreux jeunes.

Vous nous avez parlé des problèmes de MCO. Sauf erreur de ma part, il apparaît que le basculement légitime d’effectifs au sein de l’armée de terre pour réaliser la FOT s’est fait au détriment d’un certain nombre de dispositifs administratifs, d’entretien, de soutien, etc. puisque l’on joue à enveloppe constante. L’armée n’a pas augmenté, on a supprimé la déflation mais on est resté, à peu de choses près, aux éléments de départ. Cela signifie qu’il y a eu un jeu interne. Ne s’est-il pas trop fait au détriment de ceux qui sont chargés d’entretenir et de faire marcher la machine ?

Enfin, j’ai déjà posé la question à un autre de nos interlocuteurs, mais je n’ai pas encore obtenu la réponse : quel est le salaire d’un soldat et d’un sergent-chef, et quelles surrémunérations touchent-ils lorsqu’ils sont en OPEX ?

M. Francis Hillmeyer. Je voulais également parler du MCO des hélicoptères. On m’a parlé de dix mois, tous les deux ans, pour entretenir un hélicoptère. Les dix mois d’entretien étant défalqués sur les deux ans, l’engin n’est même pas utilisé pendant un an et demi. C’est tout de même assez étonnant, comparé, par exemple, au MCO du Charles-de-Gaulle – toutes proportions gardées.

Ensuite, vous avez parlé du tiers du parc disponible. Je crois qu’il y a des problèmes avec l’avionneur. Avez-vous engagé des discussions à ce propos ? Quelles pistes se dégagent pour mieux utiliser ces hélicoptères ?

Enfin, la question du patriotisme industriel a été évoquée, notamment à propos du remplacement du FAMAS. Mais dans le FAMAS, on utilise des munitions. Pensez-vous que les munitions de petit calibre pourraient de nouveau revenir à l’industrie française ?

Général Jean-Pierre Bosser. Vos questions sont nombreuses. Je vais essayer d’y répondre le mieux possible, en regroupant certaines d’entre elles.

Commençons par le MCO « aéro ». Il est vrai que nos hélicoptères de nouvelle génération se comportent comme des avions. Et quand on considère le temps qu’il a fallu au Rafale pour se stabiliser, on se rend compte que le Tigre, ou peut-être le Caïman demain, mettra autant de temps.

Le VAB n’a pas été conçu pour l’Afghanistan ni pour le Mali, mais pour la Centre-Europe. Mais il dure, il vieillit et donne encore satisfaction. Je ne sais pas si les hélicoptères auront la même capacité d’adaptation et d’évolution. Ce qui est sûr, c’est que lorsque l’on utilise au Nord-Mali un hélicoptère comme le Caracal, qui n’est pas un hélicoptère issu d’un programme militaire et qui était prévu initialement pour les plateformes pétrolières, on rencontre quelques problèmes – de filtres notamment.

Mais c’est le NH90 que vous avez évoqué, Monsieur le député. À son propos, je n’ai vraiment pas de crainte. L’an dernier, trois ont été déployés au Mali, ils sont rentrés en France, sont passés en révision et ont redécollé quasiment dans la foulée. Il est vrai qu’il y a beaucoup d’optronique dans le NH90 et que c’est ce qui souffre le plus dans les zones chaudes. Mais honnêtement, j’ai bon espoir que cet hélicoptère donne vraiment le maximum.

En fait, mon souci actuel est de mettre ensemble des hélicoptères de générations différentes, la Gazelle avec le Tigre et le Caïman, pour conduire des opérations.. Et mon objectif se porte donc aujourd’hui sur le remplacement de la Gazelle.

Pour revenir et conclure sur le MCO, je vous parlerai des pistes possibles. Selon moi, il faut d’abord s’intéresser à la verticalité des acteurs du soutien : la 9e BSAM, le SIAé, la SIMMAD et Airbus Helicopters. Il faut notamment que nous soyons très attentifs à la mise à jour de la documentation des hélicoptères. J’ai dit que lorsqu’un hélicoptère ne décollait pas, ce n’était pas forcément lié au moteur, mais que ce pouvait être tout simplement parce que sa documentation électronique n’était pas à jour. C’est donc important.

Ensuite, on va vers une extension des intervalles de mise en grande visite chez l’industriel, ce qui fait que l’on va diminuer la durée d’immobilisation. On a déjà gagné 20 % pour le Tigre, et 15 % pour le NH90.

Enfin, il faudra peut-être regarder du côté des contrats qui nous lient aux industriels. Est-ce que ces contrats prennent suffisamment en compte les retards que peut générer le passage d’un de nos hélicoptères dans leurs entreprises ? Lorsque l’immobilisation passe de six à neuf, voire à douze semaines, que prévoir ?

Voilà quelques pistes. Je suis prêt à échanger avec vous sur ce sujet.

J’en viens à l’accélération de SCORPION et au modèle économique, parce que les deux sont liés.

On ne peut pas dire que l’on est en guerre, qu’on a des besoins urgents, et ne pas acquérir le matériel nécessaire à conduire cette guerre, même s’il n’est pas français. Aujourd’hui, avec Sentinelle, nous avons un grand besoin de mobilité sur le territoire national. Quand on a évoqué la succession de la P4, il n’y avait pas, sur le marché français, de véhicule correspondant à nos besoins. Mais encore une fois, la responsabilité est partagée : si on avait attiré l’attention d’un industriel, il y a trois ou quatre ans, peut-être qu’il aurait réfléchi en amont et que les bureaux de recherche se seraient mis en route.

Je souhaiterais d’abord, à travers le modèle économique, qu’on se rapproche de l’industriel. Pour ne rien vous cacher, j’ai été très surpris de mon positionnement de chef d’état-major dans le domaine des équipements. Finalement, l’employeur est absent. Je n’ai d’ailleurs aucune responsabilité contractuelle dans l’acquisition des équipements, qui incombe à la DGA et aux industriels. Je ne compte pas révolutionner la planète, mais j’ai l’intention d’être « accepté » comme un acteur à part entière.

M. Yves Fromion. Même la STAT ne peut pas servir d’interface ?

Général Jean-Pierre Bosser. Si, elle sert d’interface puisqu’en même temps, elle expérimente nos équipements. Mais je veux être davantage présent. Par exemple, je n’imaginais pas qu’on remplace le fusil, quel qu’il soit, sans que le chef d’état-major de l’armée de terre soit concerné. C’est tout de même important. Mais je vous reparlerai du FAMAS.

Pour terminer sur le modèle économique, je suis pour une relation plus étroite à trois : DGA, industriels et armée de terre. Je suis favorable à ce que l’on donne de la lisibilité aux industriels, car ils en ont absolument besoin. Je suis pour leur dire, au travers d’« Action terrestre future », quels seront demain nos besoins : par exemple, comment on voit l’accompagnement des forces, les nouvelles énergies. Il y a beaucoup à faire. Avant d’être au pied du mur et de se rendre compte que l’on n’a pas de matériel français parce que l’on n’a pas anticipé, il faut s’y prendre en amont, et susciter de l’intérêt et de l’attention chez nos industriels.

Maintenant, vous m’avez demandé combien coûterait l’accélération de SCORPION. Pour le moment, je suis sur un calcul à périmètres identiques, et il s’agit encore d’un travail de recherche pour mon état-major. Mais je vous donne trois cas.

Premier cas : l’industriel est le même. Celui qui entretient le VAB est celui qui construit un véhicule de SCORPION. Donc, je m’adresse à lui et je demande si, au lieu de dépenser sur les VAB, on ne pourrait pas accélérer SCORPION ? L’industriel doit se préoccuper de la faisabilité, parce que cela lui impose une réorganisation au sein de son entreprise, et parce qu’il va devoir transformer des savoir-faire – de l’entretien du VAB à la construction de SCORPION.

Aujourd’hui, nous travaillons d’abord et avant tout sur la faisabilité. Mais on peut penser raisonnablement que si l’industriel ne fait pas effort sur le MCO, autrement dit si le maintien en condition des parcs anciens ne lui rapporte pas plus que la construction des nouveaux, ce modèle à périmètre financier identique est tout à fait envisageable. Les premiers contacts que j’ai eus avec l’industriel me font penser qu’on peut raisonnablement imaginer accélérer SCORPION, autrement dit qu’une chaîne qui va produire 29 véhicules de ce programme chaque année peut en produire 50. C’est la première approche.

Deuxième cas : nous n’avons pas d’acteur industriel capable de fournir. C’est le cas pour le remplaçant de la P4, dont on a un besoin immédiat. Là, le « made in France », je ne sais pas faire. On a des schémas qui passent par l’UGAP, même si on va tout de même lancer un programme avec la DGA par la suite.

Troisième cas, c’est celui du remplacement de la Gazelle, c’est-à-dire un hélicoptère dit léger, pour trois armées. Mais la notion de « léger » entre trois armées, cela va de quatre à huit tonnes. Donc, comment faire ? Il faut se concerter, et cela prend du temps.

La Gazelle est encore aujourd’hui un très bon appareil. Elle permet à nos pilotes de piloter le jour et la nuit. C’est probablement l’hélicoptère avec lequel nous effectuons le plus d’heures de vol, ce qui a un avantage. Mais sur le plan opérationnel, elle est dépassée. Or la finalité ce sont tout de même les opérations. Donc, dans le modèle économique futur, il faudra réfléchir sur le HIL, l’hélicoptère interarmées léger, et voir comment régler le problème.

En contrepartie, je me propose d’aider les industriels, notamment en développant davantage encore la participation des forces armées au soutien aux exportations (SOUTEX). D’ailleurs, l’enjeu aux Émirats arabes unis, avec la mise en place d’un GTIA à dominante blindée, est d’ouvrir en quelque sorte une vitrine technologique avec nos Leclerc, nos VBCI, nos CAESAR, des éléments du génie, etc.

Venons-en au moral. On pourrait penser qu’il évolue positivement grâce aux trois inversions de tendance, plutôt positives, dont nous avons parlé. Ce serait assez logique. Mais en fait, face à ces inversions de tendance, il y a deux « vents contraires » : l’absence de la garnison et le logiciel Louvois.

Je suis convaincu que les processus d’évaluation du moral dans l’armée de terre ne sont plus adaptés à la réalité.

Par exemple, traditionnellement, dans l’armée de terre, on apprécie le moral au plan catégoriel : les militaires du rang, les sous-officiers et les officiers. Or les actions sur le territoire national nous incitent à voir les choses différemment. Le moral ne se décline plus en grades, mais selon la situation de l’intéressé : s’il est chargé de famille, s’il a des enfants, l’absence lui pèse ; s’il est célibataire, qu’il soit officier, sous-officier ou homme du rang, l’absence ne lui pèse pas.

On n’intègre pas non plus dans l’évaluation du moral la mobilité, le travail du conjoint qui sont devenus aujourd’hui fondamentaux. Et on n’a pas assez intégré l’accélération des affaires par les réseaux sociaux. Ainsi, il y a quinze jours ou trois semaines, le « buzz » s’est créé autour de la solde au 93e RAM, des épouses s’étant plaintes sur Facebook que leurs maris n’avaient pas été payés.

Je suis en train de mettre en place une réflexion visant à modifier les capteurs d’évaluation du moral, et permettant de voir comment, en temps réel, nous pourrions mieux anticiper et faire face à une baisse brutale de moral. Franchement, ce n’est pas en évaluant le moral avec des questionnaires standardisés que nous disposerons d’une bonne vision. Il y a donc une réflexion en cours et je pourrai vous en reparler la prochaine fois.

Je terminerai sur le FAMAS, sujet d’importance car on ne change pas de fusil tous les ans. Tous les soldats de l’armée de terre seront équipés d’un nouveau fusil. C’est un sujet de fond avant d’être un sujet de souveraineté nationale. Le FAMAS a quarante ans, et ses obsolescences coûtent très cher. Avec trois percuteurs, on peut acheter une nouvelle arme parce qu’aujourd’hui on sous-traite et qu’une entreprise est en situation de monopole ; un percuteur coûte 330 euros et peut tirer entre 3 000 et 4 000 cartouches. En fait, avec trois percuteurs ou six chargeurs de FAMAS, on s’achète une nouvelle arme. Dans ces conditions, doit-on continuer à entretenir ce fusil ?

Il est important de souligner que le fusil d’aujourd’hui n’est pas le Lebel d’il y a cent ans. Le Lebel, c’était alors l’outil maître du combat, c’était la souveraineté nationale. Aujourd’hui, le canon représente 30 % du prix de l’arme. Ce n’est plus le canon qui compte, puisque l’on est capable de fabriquer des canons qui tirent juste dans n’importe quel pays du monde. En revanche, on a besoin d’éléments nouveaux dans l’environnement du fusil.

Pourquoi a-t-on voulu changer le FAMAS ? Ensuite, pourquoi a-t-on choisi le HK 416 ? Parce qu’il était le meilleur sur le marché.

D’abord, on a voulu améliorer la sécurité. Le FAMAS était une belle évolution après le pistolet-mitrailleur et le FSA. Le HK 416 représente à nouveau un gain en termes de sécurité. Ensuite, les munitions du FAMAS étaient particulières. Elles étaient fabriquées en France avec un métal de qualité spéciale pour l’étui. Dès que l’on a dû s’approvisionner à l’étranger avec des munitions standards, on a commencé à avoir des problèmes. Avec le fusil futur, la compatibilité sera totale avec les munitions de l’OTAN. N’importe où dans le monde, on pourra prendre de la 5,56 mm et tirer avec ce fusil. On pourra aussi tirer des grenades à fusil, en tir tendu, et des grenades de 40 mm. Et au lieu d’avoir, comme aujourd’hui, six chargeurs à 25 cartouches, on en aura dix à 30 cartouches, ce qui va accroître l’autonomie de nos soldats.

Enfin, et c’est le plus important, bien qu’on n’en parle jamais : le HK est un fusil avec une crosse réglable télescopique, avec un bipied, une sangle adaptée, avec des rails qui permettent d’installer toutes les aides de visée dont nous avons besoin. C’est cela, le fusil des temps modernes.

Je n’ai donc aucun état d’âme à quitter le FAMAS. C’est une excellente arme, mais ce n’est plus l’arme dont on a vraiment besoin. Je précise à nouveau que l’acier du canon du nouveau fusil sera fabriqué en France, et que cela représente 30 % du coût de l’arme.

Je pense donc qu’il ne faut pas donner à cette affaire l’importance qu’on lui a donnée et qu’aujourd’hui, un système numérique, un système de contre-mesure électronique, un système de livraison par air, ont au moins autant d’importance que le fusil lui-même. Tel est mon point de vue.

Dernière question : est-ce que, demain, nous fabriquerons à nouveau des munitions de petit calibre en France ? Si c’est rentable économiquement et que des industriels se portent volontaires, pourquoi pas ?

Mme la présidente Patricia Adam. Je vous remercie.

Après l’audition de M. Jean-Yves Le Drian, ministre de la Défense, lors de la commission élargie (voir le compte rendu de la réunion du 2 novembre 2016 à 21 heures (15)), la commission de la Défense examine, pour avis, les crédits de la mission « Défense » pour 2017.

Article 29 : État B – Mission « Défense »

La commission examine l’amendement DN9 de M. Jean-Jacques Candelier.

M. Jean-Jacques Candelier. Je vous ferai grâce de la lecture des exposés sommaires en cette heure tardive. Le premier amendement concerne l’augmentation de la subvention consacrée à l’office national d’études et de recherche aérospatiale (ONERA).

Mme Isabelle Bruneau, rapporteure pour avis. Je suis défavorable à cet amendement pour deux raisons. Premièrement, vous souhaitez ôter à cet effet des crédits à la simulation, qui est pourtant la seule alternative aux essais nucléaires. C’est donc peu cohérent. Deuxièmement, vous faites état d’une subvention réajustée de soixante-douze millions d’euros. Il se trouve cependant que le chiffre que vous évoquez ne correspond pas aux besoins qui m’ont été décrits lors des auditions. Je le trouve en effet disproportionné. D’autant que j’ai moi-même proposé l’année dernière d’accroître le budget de l’ONERA de quinze millions d’euros supplémentaires, ce qui me semblait à l’époque être davantage en adéquation avec sa situation.

M. Jean-Jacques Bridey, rapporteur pour avis. Je suis également défavorable à une ponction de soixante-douze millions d’euros des crédits alloués à la simulation nucléaire pour accroitre la subvention accordée à l’ONERA. Les crédits de la simulation sont justement nécessaires à la crédibilité de notre dissuasion nucléaire et permettent de financer une alternative aux essais atmosphériques ou souterrains. Il faut donc continuer à investir dans la simulation nucléaire et je plaide en faveur d’une augmentation des crédits de recherche amont à cet effet, comme j’ai pu le rappeler aujourd’hui, lors d’un déplacement à Valduc avec mon collègue Jacques Lamblin. Nous avons ainsi pris connaissance des dernières avancées technologiques et scientifiques, dont les retombées sur l’emploi sont conséquentes pour un certain nombre d’entreprises françaises, notamment des PME.

Suivant l’avis défavorable des rapporteurs pour avis, la commission rejette l’amendement DN9.

Article additionnel : après l’article 55 – Mission « Défense »

La commission examine l’amendement DN11 de M. Jean-Jacques Candelier.

M. Jean-Jacques Candelier. Il s’agit d’une demande de rapport tendant à renforcer les crédits destinés à l’équipement conventionnel de nos armées, en particulier la rénovation des hélicoptères Cougar.

M. François Lamy, rapporteur pour avis. Je ne suis pas favorable à cet amendement.

M. Jean-Jacques Bridey, rapporteur pour avis. Je souhaiterais exprimer deux remarques, également valables pour les trois prochains amendements. Tout d’abord, les crédits de la dissuasion nucléaire correspondent à une juste suffisance, conformément à notre stratégie nucléaire. De plus, la loi de programmation militaire (LPM) ne prévoit aucune éviction du nucléaire par rapport aux armes conventionnelles et aux équipements de nos armées. Sacrifier les crédits consacrés à la dissuasion ne permettra pas de mieux équiper nos armées. J’émets donc un avis défavorable.

Mme la présidente Patricia Adam. Je vous remercie. La commission attend avec impatience les conclusions de la mission d’information que vous conduisez avec Jacques Lamblin à ce sujet.

Suivant l’avis défavorable des rapporteurs pour avis, la commission rejette l’amendement DN11. Elle examine ensuite l’amendement DN13 de M. Jean-Jacques Candelier.

M. Jean-Jacques Candelier. Il s’agit d’une demande de rapport tendant à la construction et la présence d’un remorqueur de haute-mer à la Rochelle.

M. Gwendal Rouillard, rapporteur pour avis. Premièrement, je rappelle qu’en plus des navires affrétés, les Abeille, nos forces disposeront de huit bâtiments de soutien et d’assistance hauturiers (BSAH) à la fin de la programmation : quatre civils affrétés et quatre militaires. Deux affrétés doivent être livrés en 2017 et les deux suivants en 2018. Pour les BSAH militaires, deux seront livrés en 2018 et les deux suivants en 2019. La LPM a donc bien pris en considération les enjeux capacitaires dans ce domaine. La question qui est posée est la suivante : faudrait-il, à temps plein, un navire de type remorqueur à La Rochelle ? C’est en réalité une question complexe. En effet, en fonction des conditions opérationnelles, direction et force des vents dominants par exemple, une intervention à partir de Brest peut s’avérer plus rapide qu’à partir de La Rochelle pour effectuer une mission dans le golfe de Gascogne. Je crois me rappeler que La Rochelle a disposé d’un remorqueur jusqu’en 2011. Le sujet peut être mis en débat mais pour ce soir, l’avis sera défavorable. Par ailleurs, je remercie notre collègue M. Candelier pour sa solidarité vis-à-vis de Lorient, mais l’invite à se tourner vers les bons canaux d’information et je lui signale que le plan de charge de Lorient est assuré pour dix ans.

Suivant l’avis défavorable des rapporteurs pour avis, la commission rejette l’amendement DN13. Elle examine ensuite l’amendement DN15 de M. Jean-Jacques Candelier.

M. Jean-Jacques Candelier. Il s’agit d’une demande de rapport tendant à acquérir des hélicoptères NH90 pour renforcer la surveillance des zones maritimes dans plusieurs départements et collectivités d’outre-mer.

M. Gwendal Rouillard, rapporteur pour avis. Je partage une partie du constat de notre collègue Candelier puisque je l’ai moi-même exprimé. Les moyens de surveillance maritime, qu’il s’agisse d’ailleurs des moyens navals ou des aéronefs, sont trop modestes par rapport aux étendues à surveiller et par rapport aux intérêts à protéger. En revanche, je ne partage pas sa position concernant la dissuasion nucléaire. L’avis est défavorable.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement DN15. Elle examine ensuite l’amendement DN17 de M. Jean-Jacques Candelier.

M. Jean-Jacques Candelier. Il s’agit d’une demande de rapport tendant à maintenir la proposition initiale de douze frégates européennes multi-missions (FREMM) aux chantiers navals de Lorient. Une frégate est nécessaire dans les plus brefs délais.

M. Gwendal Rouillard, rapporteur pour avis. Tout d’abord mon cher collègue, sachez que vous êtes dorénavant un invité permanent à Lorient (sourires). Quels que soient nos successeurs, je souhaite livrer un message : à titre personnel, je suis favorable à une augmentation du nombre de FREMM – du moins du nombre de frégates premier rang –, me faisant ainsi l’écho de l’état-major de la marine, eu égard au besoin opérationnel. Mon avis concernant cet amendement est cependant défavorable.

Suivant l’avis défavorable du rapporteur pour avis, la commission rejette l’amendement DN17.

Mme la présidente Patricia Adam. Nous allons maintenant passer aux votes sur les crédits de la mission « Défense »

Conformément aux conclusions du rapporteur pour avis, la commission émet un avis favorable à l’adoption les crédits « Préparation et emploi des forces : Forces terrestres » de la mission « Défense ».

ANNEXE
Liste des personnes rencontrées et auditionnées
par le rapporteur pour avis

(Par ordre chronologique)

  M. le général Michel Grintchenko, commandant de l’aviation légère de l’armée de terre ;

—  M. le général Philippe Roos, directeur central de la structure intégrée du maintien en condition opérationnelle des matériels aéronautiques du ministère la Défense et M. le capitaine de vaisseau Sébastien Fabre, chef de la division « stratégie ‒ méthodes ‒ réglementation » ;

—  M. Philippe Coq, secrétaire général des affaires publiques du groupe Airbus, M. le général (2S) Jean-Tristan Verna, conseiller « terre » du président du groupe, et Mme Annick Perrimond-du Breuil, chargée des relations avec le Parlement * ;

—  M. l’ingénieur général de l’armement Jean-Marc Rebert, directeur central du service industriel de l’aéronautique, M. l’ingénieur en chef Pascal Marchandin, chargé de mission « transformation », et M. Sylvain Blothiaux, chef de cabinet du directeur central ;

—  M. le général Jean-Pierre Bosser, chef d’état-major de l’armée de terre, M. le colonel Tandeau de Marsac, chef du bureau de la programmation, des finances et du budget de l’état-major de l’armée de terre, et M. le lieutenant-colonel Olivier Pinard-Legry, conseiller du chef d’état-major de l’armée de terre ;

—  M. le général Patrick Bréthous, commandant les forces spéciales « terre », et M. le lieutenant-colonel Pierre Desquesses, chargé des relations avec le Parlement ;

—  M. le général Thierry Burkhard, chef « conduite » du centre de planification et de conduite des opérations de l’état-major des armées, et M. le colonel Tony Maffeis, chef du bureau « opérations sur le territoire national ».

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de l’Assemblée nationale, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.

Déplacements

—  le 8 avril 2016 : déplacement au 3e régiment d’hélicoptères de combat à Étain (Meuse) : entretiens avec le colonel Pierre Verborg, chef de corps, son état-major et les personnels du régiment ;

—  le 19 septembre 2016 : déplacement au 4e régiment d’hélicoptères des forces spéciales à Pau (Pyrénées atlantiques) : entretiens avec le chef de corps, son état-major et les personnels du régiment ;

—  le 20 septembre 2016 : déplacement au 5e régiment d’hélicoptères de combat à Pau (Pyrénées atlantiques) : entretiens avec le lieutenant-colonel Jérôme Thiébault, commandant en second et chef de corps par suppléance, l’état-major et les personnels du régiment.

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