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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 27 février 2014.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ
PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES(1)
sur les nouvelles substances psychoactives,
ET PRÉSENTÉ
PAR Mme Sandrine DOUCET,
Députée
——
La Commission des affaires européennes est composée de : Mme Danielle AUROI, présidente ; Mmes Annick GIRARDIN, Marietta KARAMANLI, MM. Jérôme LAMBERT, Pierre LEQUILLER, vice-présidents ; MM. Christophe CARESCHE, Philip CORDERY, Mme Estelle GRELIER, M. André SCHNEIDER, secrétaires ; MM. Ibrahim ABOUBACAR, Jean-Luc BLEUNVEN, Alain BOCQUET, Jean-Jacques BRIDEY, Mmes Isabelle BRUNEAU, Nathalie CHABANNE, M. Jacques CRESTA, Mme Seybah DAGOMA, MM. Yves DANIEL, Bernard DEFLESSELLES, Mme Sandrine DOUCET, M. William DUMAS, Mme Marie-Louise FORT, MM. Yves FROMION, Hervé GAYMARD, Jean-Patrick GILLE, Mme Chantal GUITTET, MM. Razzy HAMMADI, Michel HERBILLON, Laurent KALINOWSKI, Marc LAFFINEUR, Charles de LA VERPILLIÈRE, Mme Axelle LEMAIRE, MM. Christophe LÉONARD, Jean LEONETTI, Arnaud LEROY, Mme Audrey LINKENHELD, MM. Lionnel LUCA, Philippe Armand MARTIN, Jean-Claude MIGNON, Jacques MYARD, Michel PIRON, Joaquim PUEYO, Didier QUENTIN, Arnaud RICHARD, Mme Sophie ROHFRITSCH, MM. Jean-Louis ROUMEGAS, Rudy SALLES, Gilles SAVARY.
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Pages
INTRODUCTION 7
I. FACE À UNE MENACE CROISSANTE POUR LA SANTÉ PUBLIQUE, LE CADRE JURIDIQUE APPLICABLE AUX NOUVELLES SUBSTANCES PSYCHOACTIVES EST INSUFFISAMMENT EFFICACE 9
A. UN MARCHÉ EN PLEIN ESSOR, QUI CONSTITUE UNE MENACE POUR LA SANTÉ PUBLIQUE 9
1. L’offre de nouvelles substances psychoactives est considérablement facilitée par l’utilisation d’internet 9
2. Des conséquences majeures sur la santé publique 11
B. LE CADRE JURIDIQUE ACTUEL NE PERMET PAS LA RÉACTIVITÉ NÉCESSAIRE FACE À CES NOUVELLES SUBSTANCES 12
1. Le cadre juridique issu de la décision de 2005 12
2. Des dispositifs hétérogènes ont été mis en place au niveau des États membres 13
II. LE « PAQUET LÉGISLATIF » PROPOSÉ PAR LA COMMISSION EUROPÉENNE : DES OBJECTIFS LOUABLES, UNE RÉPONSE INADAPTÉE 15
A. LA PROPOSITION DE LA COMMISSION EUROPÉENNE 15
1. La proposition de directive adapte la définition du terme « drogue » afin de mieux lutter contre les nouvelles substances psychoactives 15
2. La proposition de règlement refond en grande partie le cadre juridique actuel 16
B. CE PAQUET LÉGISLATIF NE PREND PAS SUFFISAMMENT EN COMPTE LES ENJEUX DE SANTÉ PUBLIQUE 17
1. La base juridique sur laquelle se fonde la proposition de règlement est contestable 17
2. L’efficacité de cette proposition est incertaine 20
CONCLUSION 23
TRAVAUX DE LA COMMISSION 25
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE 27
ANNEXES 29
ANNEXE NO 1 : LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LES RAPPORTEURS 31
Mesdames, Messieurs,
Le présent rapport examine le paquet législatif présenté le 17 septembre dernier par la Commission européenne sur les « nouvelles substances psychoactives ».
Que sont ces « nouvelles substances psychoactives » ? Il s’agit de psychotropes qui ne sont pas mentionnés par les conventions des Nations unies sur les drogues (la Convention unique sur les stupéfiants de 1961 et la Convention sur les substances psychotropes de 1971) mais qui peuvent constituer une menace pour la santé publique très similaire aux substances mentionnées par ces conventions. Souvent appelées « euphorisants légaux », ces substances agissent sur le système nerveux central. Elles peuvent être d’origine naturelle mais ce sont en général des produits de synthèse, qui copient des substances plus connues, comme le cannabis, la cocaïne ou l’ecstasy, en en modifiant seulement quelques molécules.
L’émergence de ces « nouvelles substances psychoactives » s’explique notamment par le flou juridique qui entoure leur statut. Ni véritablement légales, ni véritablement illégales, elles échappent dans leur grande majorité aux législations en vigueur sur les drogues, sans pour autant être explicitement autorisées à la vente puisqu’elles ne respectent pas les législations spécifiques aux aliments ou aux médicaments.
Parce qu’elles sont difficilement détectables et identifiables par les pouvoirs publics, le laps de temps entre leur mise sur le marché et leur interdiction est souvent très long, et les trafiquants de ces nouvelles substances ont toujours une longueur d’avance sur la règlementation, commercialisant de nouveaux types de drogues comparables dès que l’une d’entre elles est placée sous contrôle. De plus, l’essor de ces drogues est considérablement facilité par l’utilisation d’internet, qui les rend très accessibles.
La diffusion de plus en plus rapide de ces substances constitue l’un des défis majeurs auquel l’Union européenne et la France doivent faire face en matière de lutte contre la drogue aujourd’hui. Ainsi, en 2012, 73 nouvelles substances psychoactives ont été notifiées au niveau européen.
Les jeunes sont les plus vulnérables face à ces nouvelles drogues : selon l’Eurobaromètre de 2011 sur l’attitude des jeunes à l’égard de la drogue, 5 % des jeunes européens interrogés ont déclaré avoir consommé au moins une fois dans leur vie une substance de ce type. Cette tendance va bien au-delà de l’Union européenne : le rapport mondial sur les drogues présentée par l’ONUDC (Office national des Nations unies contre la drogue et le crime) en 2013 montre que si la consommation de drogues traditionnelles telles que l’héroïne et la cocaïne décline dans certaines régions du monde, l’usage de nouvelles substances psychoactives est en constante augmentation.
Pourtant, le cadre juridique en vigueur depuis 2005 au niveau de l’Union européenne est clairement insuffisant pour répondre à ce défi. Dès 2011, la Commission européenne soulignait dans une communication intitulée « Vers une approche plus ferme de l’Union européenne en matière de lutte contre la drogue » que le système actuel ne permet pas de faire face à la forte augmentation du nombre de nouvelles substances car il ne permet de traiter qu’une seule substance à la fois, en suivant une procédure longue. Il ne permet pas non plus d’agir préventivement en anticipant la mise sur le marché de certaines substances, et ne prévoit pas suffisamment d’options en matière de mesures règlementaires et de contrôle.
Malheureusement, si la Commission européenne pose le bon problème, la solution qu’elle y apporte avec ce paquet législatif n’apparaît pas à la hauteur des enjeux. Le projet de règlement examiné prévoit en effet de faire de la libre circulation de ces substances la règle, et de leur interdiction l’exception.
Ces deux projets de textes sont en cours d’examen par la commission LIBE (libertés civiles, justice et affaires intérieures) du Parlement européen, et pourraient donner lieu à une lecture en séance plénière dès le 3 avril prochain. En revanche, l’examen article par article du projet de règlement au niveau du Groupe horizontal drogues est toujours en cours. Il est donc possible que l’adoption de ce paquet législatif, initialement prévue avant la fin de la présidence grecque, soit in fine reportée.
La proposition de résolution européenne qui accompagne ce rapport réaffirme la nécessité d’agir contre les nouvelles substances psychoactives au niveau de l’Union européenne, mais s’oppose à cette vision économique prônée par la Commission européenne, qui ne prend pas suffisamment en compte le danger que font peser ces psychotropes sur la santé publique.
I. FACE À UNE MENACE CROISSANTE POUR LA SANTÉ PUBLIQUE, LE CADRE JURIDIQUE APPLICABLE AUX NOUVELLES SUBSTANCES PSYCHOACTIVES EST INSUFFISAMMENT EFFICACE
1. L’offre de nouvelles substances psychoactives est considérablement facilitée par l’utilisation d’internet
L’offre de nouvelles substances psychoactives est très dynamique. Ainsi, entre 1997 et 2013, 210 nouvelles substances ont été signalées par les États membres à l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT). Le nombre de ces notifications n’a cessé de s’accélérer, passant de 24 en 2009 à 41 en 2010 et 49 en 2011. Aujourd’hui, la Commission européenne estime à plusieurs milliers le nombre de substances de synthèse qui pourraient faire leur apparition.
Parmi ces nouvelles substances, plusieurs familles chimiques existent. Les cathinones de synthèse et les cannabinoïdes de synthèse représentent la majorité des substances identifiées sur le marché. Les cathinones ont des effets similaires à l’ecstasy, à la cocaïne ou aux amphétamines selon la substance et la quantité ingérée, et se présentent sous forme de poudre ou plus rarement de gélules. Les cannabinoïdes de synthèse imitent les effets du cannabis en se fixant sur les mêmes récepteurs que le THC.
Si les pratiques de consommation de ces drogues restent relativement marginales en France, elles ne doivent pas pour autant être sous-estimées. En 2011, 5 % des jeunes européens déclaraient avoir consommés ce type de substances. Alors que la France se situe dans la moyenne, cette proportion atteint 10 % en Pologne, au Royaume-Uni et en Lettonie, et jusqu’à 16 % en Irlande. L’étude d’impact de la Commission européenne évalue à 2,2 millions le nombre de consommateurs de ces substances dans l’Union européenne en 2012.
Il y a quelques années la majorité des nouvelles substances psychoactives étaient produites dans des laboratoires clandestins ou étaient issues de médicaments détournés, vendus ensuite comme des drogues illicites. Si cela reste en partie le cas, ces substances sont désormais le plus souvent produites en Chine et en Inde, avant d’être importées en Europe dans de grandes quantités et d’être traitées, conditionnées et vendues en tant qu’« euphorisants légaux ».
L’extension de ce marché est considérablement facilitée par le rôle d’internet. Selon l’Office européen de lutte contre les drogues, le nombre de boutiques vendant de telles substances en ligne est passé de 170 en 2010 à 693 en 2012. On estime à une trentaine le nombre de sites de vente en langue française. Ces sites sont pour la plupart animés par des personnes basées au Royaume-Uni et aux États-Unis, mais sont hébergés dans des pays qui leur permettent d’échapper aux règlementations internationales. En dehors de la vente sur internet, ces substances sont vendues dans des sexshops et des bureaux de tabacs, ou, dans certains pays, dans des magasins spécialisés dans la vente de produits liés aux drogues, les « head shops » (en Pologne, en Roumanie et en Irlande notamment). Elles circulent également dans des espaces festifs de type « rave parties ». Selon l’Eurobaromètre réalisé en 2011 sur l’attitude des jeunes européens face à la drogue, 36 % des jeunes ayant consommé une telle drogue se l’étaient vue proposer à une fête ou dans une discothèque, et 54 % par un ami.
Un des principaux facteurs du succès de ces nouvelles substances psychoactives réside dans les stratégies commerciales offensives mises en place par les vendeurs, grâce notamment au prix abordable de ces substances, autour de 15 euros le gramme en moyenne, c’est-à-dire considérablement moindre que celui de l’ecstasy en poudre ou de la cocaïne (plus de 60 euros le gramme).
Les vendeurs de ces substances s’appuient également sur des méthodes marketing très élaborées. Si de nombreux sites s’adressent encore à un public averti, vendant les produits sans reconditionnement - dans des sacs en plastique -avec seulement les noms chimiques des molécules affichés, la majorité des sites adoptent une stratégie plus commerciale, en utilisant des designs attractifs, avec des emballages colorés et graphiques et des noms ludiques tels que « sels de bain », « miaou miaou » pour les cathinones en poudre ou « spice » (épices), « encens », « yucatan fire » pour les cannabinoïdes de synthèse.
Les indications sur ces emballages sont ambigües, et font allusion au véritable contenu de ces sachets sans jamais l’indiquer explicitement ni mentionner ses effets nocifs. La précision « non destiné à la consommation humaine » permet à ces produits d’échapper aux législations spécifiques aux aliments ou aux médicaments.
Un exemple : les « sels de bains »
Les produits vendus sous l’appellation « sels de bains légaux » sur internet sont en réalité des cathinones de synthèse. Ils portent des noms exotiques tels que « Ivory wave », « vanilla sky », « atomic blast ».
Dans la description du produit, on peut lire : « Vanilla sky amène les eaux vivifiantes des célèbres sources chaudes de la Grèce dans le confort de votre foyer. Il suffit d’ajouter le contenu à un bain chaud pour adoucir naturellement l’eau. En raison de la nature concentrée de ce produit, si vous n’avez jamais acheté de Vanilla sky précédemment, nous vous conseillons d’acheter le paquet de 200 grammes et de l’utiliser avec parcimonie. Une application de nos sels de bains dure pendant des heures, plusieurs utilisations ne sont donc pas nécessaires. Attendez plusieurs heures entre les applications pour assurer une expérience optimale de baignade. Ce produit n'est pas destiné à la consommation humaine. Pour des raisons de santé et de sécurité, éviter la consommation d'alcool et de médicaments en utilisant Vanilla Sky. Ne pas inhaler. »
Un paquet de 500 mg de « Vanilla Sky » coûte 35 euros sur internet.
Les connaissances scientifiques sur les risques associés à la consommation de ces nouvelles substances restent pour le moment limitées, seuls certains cannabinoïdes de synthèse ayant fait l’objet d’études pharmacologiques.
Il est toutefois possible de distinguer leurs effets nocifs les plus courants sur la santé, parmi lesquels figurent l’agitation, le délire, la tachycardie, l’hypertension, les problèmes psychiatriques et la dépendance. Plusieurs cas de décès liés à la consommation de nouvelles substances psychoactives ont été notifiés à l’Office européen de lutte contre la drogue et la toxicomanie entre 2011 et 2012, notamment liés à l’usage de la méphédrone (le premier cas mortel confirmé sur le plan toxicologique directement lié à la consommation de méphédrone a été enregistré en Suède en 2008).
Les risques sont accrus lorsque plusieurs substances sont consommées simultanément et combinées avec des drogues illicites ou de l’alcool. Or, les analyses de sang réalisées en France sur les victimes d’intoxication montrent de manière quasi-constante la présence de plusieurs substances (polyconsommation). Les informations inexistantes voire ambigües indiquées sur les emballages augmentent également les risques pris par les consommateurs de ces nouvelles substances : ainsi, dans le cas des cathinones de synthèse, leur utilisation procure une euphorie intense mais de courte durée, ce qui conduit en général les usagers à en consommer plusieurs doses à la suite.
Enfin, l’insuffisance des informations accompagnant l’achat de ces produits augmente la difficulté pour les professionnels de santé de réaliser un diagnostic rapide en cas d’hospitalisation d’urgence, puisque l’absence de lien entre le nom du produit et sa composition entraîne une forte incertitude sur ce qui a été consommé, d’autant plus que peu de laboratoires disposent de l’expertise nécessaire pour l’analyse toxicologique de ces nouvelles drogues (en France, seuls les laboratoires des douanes et de la police scientifique, ainsi que quelques laboratoires privés et les laboratoires partenaires de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies sont en mesure de réaliser de telles analyses).
Dès 1997, une « action commune » relative à l’échange d’informations, à l’évaluation des risques et au contrôle des nouvelles drogues de synthèse a été mis en place au niveau communautaire. Elle a été remplacée par la décision du Conseil du 10 mai 20052, qui constitue aujourd’hui le cadre de référence de l’action de l’Union européenne en la matière, et qui a mis en place un « système d’alerte précoce ».
Un mécanisme d’échange d’informations impose aux unités nationales d’Europol et aux représentants des États membres au sein du Reitox (Réseau Européen d' Information sur les Drogues et les Toxicomanies) de fournir des informations à Europol sur la fabrication, le trafic et l’utilisation de nouvelles substances psychoactives, y compris sur une éventuelle utilisation médicale de ces substances.
Lorsqu'une nouvelle substance soulève des inquiétudes, l’OEDT et Europol peuvent rédiger un rapport conjoint fondé sur les informations collectées à travers l’Union européenne au sujet de la substance en question. Sur la base de ce rapport conjoint, la Commission européenne peut demander une évaluation des risques de la substance.
Cette évaluation des risques est menée par le Comité scientifique de l’OEDT, composé de scientifiques mais également de la Commission européenne, d'Europol et de l'Agence européenne des médicaments. Cette dernière doit préalablement préciser si la substance incriminée a obtenu une autorisation de mise sur le marché ou fait l’objet d’une demande en ce sens. Le cas échéant, aucune évaluation des risques ne peut être réalisée. De même, aucune évaluation ne peut être réalisée si la substance a déjà fait l’objet d’une évaluation au niveau du système des Nations Unies.
Au vu de l’évaluation des risques, la Commission européenne doit ensuite décider dans un délai de six semaines si les preuves fournies par le rapport d'évaluation des risques justifient l'interdiction de la substance. Le cas échéant, la Commission ou éventuellement un État membre peuvent soumettre une proposition de décision du Conseil pour contrôler la substance à l'échelle européenne. Après l’adoption d’une mesure de contrôle, les États membres disposent d’un an pour transposer ces dispositions dans l’ordre juridique interne.
Depuis 2005, neuf substances ont fait l’objet de rapports conjoints, huit d’une évaluation des risques, et quatre ont finalement donné lieu à des mesures de contrôle : la BZP, la méphédrone (cathinone), la 4-MA (dérivé de l’amphétamine) et le 5 – IT.
Le cas de la méphédrone a été le plus médiatisé, en raison de son lien supposé avec le décès de plusieurs jeunes au Royaume-Uni au début de l’année 2010 (aucune analyse n’a encore démontré que la méphédrone était directement responsable de ces décès). Cette substance, interdite dès 2008 au Danemark, a été par la suite interdite dans dix États membres, dont la France (arrêté du 11 juin 2010), avant de faire l’objet d’une décision d’interdiction au niveau européen en décembre 2010.
Cette procédure d’interdiction est très lente : la BZP a été mise sous contrôle quinze mois après le lancement du rapport conjoint, et la méphédrone douze mois après.
La décision du Conseil de 2005 n’a pas pour objectif de se substituer aux législations des États membres mais seulement de les compléter si besoin. Pour pallier les insuffisances du système européen, les États membres ont mis en place différentes approches pour limiter la diffusion des nouvelles substances psychoactives.
Une des difficultés majeures que rencontrent les États membres est d’interdire une substance de manière la plus réactive possible : actuellement, le délai moyen entre l’identification d’une substance et la prise de mesures de contrôle par les États membres est de vingt-quatre mois. En France, le temps nécessaire aux évaluations scientifiques des nouvelles substances psychoactives est estimé à trois mois minimum.
Pour permettre aux États membres d’agir de manière préventive et réactive, plusieurs États ont adopté une approche dite « générique », qui permet de classer toute une famille de drogues comme des stupéfiants sans avoir à réaliser des analyses au cas par cas sur les nouvelles substances apparaissant sur le marché. Ainsi, le Royaume-Uni a mis en place des mesures de classement générique qui couvrent une large partie des dérivés de la cathinone ainsi que les cannabinoïdes de synthèse.
La France a également recours à une approche générique depuis l’arrêté du 27 juillet 2012 du ministère de la santé dressant la liste des classes chimiques dérivant de la cathinone et par conséquent considérées comme stupéfiants. La vente de substances psychoactives non classées comme stupéfiants ne peut en revanche pas être sanctionnée, à moins de recourir- ce qui reste rare - à l’article L. 4223-1 du code de la santé publique relatif à l’exercice illégal de la pharmacie ou à l’article L. 3421-4 du même code qui punit la provocation « à l'usage de substances présentées comme ayant les effets de substances ou plantes classées comme stupéfiants ».
D’autres pays, comme l’Allemagne ou les Pays-Bas, ont eu recours à des mesures temporaires en cas d’urgence.
Au-delà de l’interdiction, d’autres mesures ont également été mises en place afin de mieux contrôler les nouvelles substances psychoactives. Ainsi, le Royaume-Uni, la Pologne, l’Italie, la Roumanie et l’Autriche ont eu recours pour certaines substances psychoactives à des lois fondées sur la législation communautaire imposant des normes en matière d’étiquetage des produits destinés à la consommation humaine, obligeant les producteurs à afficher les risques sanitaires sur les emballages. L’Autriche, la Finlande, le Royaume-Uni et les Pays-Bas ont appliqué à certaines substances la définition communautaire des substances médicamenteuses, permettant ainsi leur contrôle par les agences nationales de sécurité du médicament.
Cette disparité des systèmes juridiques entre les différents États membres est inefficiente. La liberté de circulation des marchandises au sein du marché intérieur plaide pour une réponse coordonnée au niveau de l’Union européenne : aujourd’hui, 80 % des substances notifiées à l’OEDT le sont par plusieurs États membres.
II. LE « PAQUET LÉGISLATIF » PROPOSÉ PAR LA COMMISSION EUROPÉENNE : DES OBJECTIFS LOUABLES, UNE RÉPONSE INADAPTÉE
Le « paquet législatif » proposé par la Commission européenne se compose d’une proposition de directive et d’une proposition de règlement.
L’étude d’impact réalisée par la Commission européenne distingue trois objectifs auxquels cette proposition doit répondre :
- « s’attaquer aux substances qui présentent des risques pour la santé, la société et la sécurité et suscitent des préoccupations immédiates de santé publique » ;
- « améliorer la capacité de recenser et d’évaluer rapidement les nouvelles substances psychoactives et prendre des mesures à leur égard, en fonction des risques qu’elles présentent » ;
- « faciliter le commerce légitime de ces substances sur le marché intérieur ».
1. La proposition de directive adapte la définition du terme « drogue » afin de mieux lutter contre les nouvelles substances psychoactives
La proposition de directive3 permet de soumettre les nouvelles substances psychoactives les plus nocives aux mêmes dispositions de droit pénal que les drogues règlementées par les conventions des Nations Unies, en modifiant la décision-cadre relative aux infractions et aux sanctions dans le domaine du trafic de drogue.
Cette décision-cadre de 2004 invite chaque État membre à prendre les mesures nécessaires pour qualifier d’infraction la production et la vente de drogues, pour sanctionner de manière effective et dissuasive ces infractions ainsi que pour confisquer les substances concernées. Elle prévoit que des peines maximales de cinq à dix ans d’emprisonnement soient instaurées si l’infraction porte sur des grandes quantités de drogues ou sur des drogues parmi les plus dommageables sur la santé, et d’au minimum dix ans lorsque ce trafic a lieu dans le cadre d’une organisation criminelle. Les personnes morales peuvent également être sanctionnées, notamment par des mesures d’interdiction d’exercer une activité commerciale. Sauf exception, un État membre est compétent si l’infraction a été commise au moins en partie sur son territoire, si l’auteur de l’infraction est l’un de ses ressortissants ou si l’infraction a été commise pour le compte d’une personne morale établie sur son territoire.
La proposition de directive permet d’inclure dans la définition du terme « drogue » prévue par la décision cadre « toutes les nouvelles substances psychoactives présentant de sérieux risques pour la santé, la société et la sécurité soumises à une restriction permanente ».Toutes les nouvelles substances psychoactives déjà interdites depuis 2005 ainsi que celles qui feront l’objet d’une restriction permanente en vertu de l’article 13 de la proposition de règlement qu’accompagne cette proposition de directive (cf. infra) seront donc considérées comme des drogues au même titre que celles mentionnées par les conventions des Nations Unies. Elles seront soumises aux dispositions minimales en matière d’infractions et de sanctions mentionnées par la décision-cadre de 2004.
Les États membres devront mettre en vigueur les mesures nécessaires à l’application des dispositions de la décision-cadre relative à ces substances « dans les douze mois suivant l’entrée en vigueur de la restriction de commercialisation permanente », et communiquer immédiatement le texte de ces mesures à la Commission européenne.
Cette directive se fonde sur l’article 83 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) qui habilite le Parlement européen et le Conseil à établir des règles minimales relatives à la définition des infractions pénales et des sanctions liées à la « criminalité particulièrement grave revêtant une dimension transfrontière ». Comme la décision du Conseil de 2005, elle relève donc du domaine de la Justice et des Affaires intérieures (« JAI »).
La proposition de règlement4se fonde sur l’article 114 du TFUE, qui permet d’adopter des mesures relatives au rapprochement des dispositions des États membres qui ont pour objet l’établissement et le fonctionnement du marché intérieur. Elle consacre en effet un principe de libre circulation des nouvelles substances psychoactives sur le marché intérieur, disposant dès son article 3 que « les nouvelles substances psychoactives et les mélanges utilisés à des fins industrielles, ainsi qu’à des fins de recherche et de développement scientifiques, circulent librement dans l’Union ».
Par ailleurs, cette proposition de règlement maintient les bases du système actuel en matière d’échange d’informations et de système d’alerte, avec un mécanisme similaire de rapport conjoint et d’évaluation des risques, mais elle renforce le pouvoir de la Commission européenne, qui est désormais compétente à la place du Conseil pour demander à l’OEDT de réaliser une évaluation.
Innovation importante par rapport au règlement précédent, elle permet à la Commission européenne de mettre en œuvre des mesures temporaires d’interdiction d’une substance soupçonnée de présenter un risque immédiat pour la santé publique suite à des signalements de décès ou de conséquences graves pour la santé, mais également si la prévalence ou les habitudes de consommation de cette substance indiquent l’existence d’un risque majeur. La durée de cette restriction ne peut pas être supérieure à douze mois (article 9).
Aucune restriction ne sera imposée aux substances qui présentent un risque considéré comme faible pour la santé par la Commission européenne (article 11). En cas de risques modérés, les substances feront l’objet d’une restriction d’accès au marché de consommation mais leur échange à des fins commerciales, industrielles et scientifiques sera autorisé (article 12). Enfin, en cas de risques graves pour la santé, les substances psychoactives concernées seront interdites par une décision de la Commission européenne (article 13), tout en restant accessibles pour des utilisations spécifiques (scientifiques, médicales).
Les régimes de sanction mis en œuvre par les États membres devront être efficaces, proportionnés et dissuasifs, et faire l’objet d’une notification à la Commission européenne.
Enfin, la proposition de règlement instaure un système plus complet de suivi et de réexamen des risques, en imposant à l’OEDT et à Europol une surveillance de toutes les nouvelles substances psychoactives qui ont fait l’objet d’un rapport conjoint (articles 15 et 16).
Votre rapporteure partage le constat de la Commission européenne sur l’insuffisance du système issu de la décision du Conseil de 2005, et sur la nécessité de mener une action plus coordonnée au niveau de l’Union européenne.
Il convient également de signaler que des interdictions trop strictes peuvent avoir des conséquences involontaires négatives sur la santé publique, notamment en induisant le remplacement de la substance nouvellement contrôlée par une autre substance aux effets plus graves. Ainsi, selon l’OEDT5, la mise sous contrôle du GHB a pu entrainer une augmentation du recours à son précurseur chimique, le GBL, qui est au moins aussi dangereux.
L’interdiction n’apparaît donc pas toujours comme la solution la plus efficace en matière de lutte contre les nouvelles substances psychoactives.
Toutefois, la proposition de la Commission européenne va à l’inverse très loin dans l’autorisation de la circulation des nouvelles substances psychoactives. Elle fait de l’objectif de facilitation du commerce légitime de ces nouvelles substances psychoactives une priorité, l’objectif de protection de la santé publique et de lutte contre le trafic de drogue n’apparaissant que de manière subsidiaire. Ainsi, l’exposé des motifs accompagnant la proposition de règlement dispose-t-il que celle-ci « vise à améliorer le fonctionnement du marché intérieur en ce qui concerne les utilisations licites des nouvelles substances psychoactives, en aplanissant les obstacles au commerce, en prévenant leur apparition et en renforçant la sécurité juridique pour les opérateurs économiques, tout en réduisant les possibilités de se procurer des substances à risque au moyen d’une action plus rapide, plus efficace et plus proportionnée de l’Union ».
C’est cette nouvelle approche que reflète le changement de base juridique, du domaine de la Justice et des affaires intérieures vers le domaine du marché intérieur.
Ce choix d’un changement majeur d’approche s’appuie pourtant sur très peu de données concrètes.
En effet, l’étude d’impact qui accompagne les propositions de la Commission européenne souligne paradoxalement l’insuffisance des connaissances scientifiques sur les utilisations légitimes des nouvelles substances psychoactives, et affirme que « les informations existantes à ce sujet dans l’Union européenne sont incomplètes » et que l’« on suppose que le marché des utilisations légitimes est de taille considérable en raison du nombre de substances psychoactives qui sont présentes sur celui-ci ou qui peuvent encore y être lancées, et en raison de leur potentiel de faire l’objet d’un double usage (usage récréatif et usage dans le secteur industriel) ».
Il semble difficilement acceptable de s’appuyer sur de simples « suppositions » pour justifier un changement majeur de politique publique avec des impacts potentiels sur la santé publique, d’autant plus que, selon le Gouvernement français, cette vision ne reflète pas la réalité d’un marché au sein duquel l’usage licite reste très marginal et concentré dans les domaines médical et de la recherche. En France, l’utilisation licite des précurseurs chimiques de drogues par les opérateurs économiques (substances utilisées pour la fabrication de psychotropes) doivent faire l’objet d’un agrément de la Mission nationale de contrôle des précurseurs chimiques, qui permet aux industriels d’utiliser ces produits tout en s’assurant qu’ils ne soient pas détournés vers les réseaux de fabrication illicite de drogues. En 2013, 985 opérateurs économiques étaient enregistrés auprès de cette Mission rattachée à la direction générale de la compétitivité, de l’industrie et des services.
Le cadre juridique en vigueur actuellement ne semble pas être un véritable frein à des usages industriels ou scientifiques des nouvelles substances psychoactives, et le rapport de la Commission européenne sur l’évaluation du fonctionnement de la décision de 2005 ne fait nullement mention d’un tel problème6.
Par ailleurs, comme cela a été rappelé, une nouvelle substance psychoactive ne peut actuellement pas faire l’objet d’une évaluation des risques si elle est utilisée pour fabriquer un médicament qui dispose d’une autorisation de mise sur le marché ou pour fabriquer un médicament qui a fait l’objet d’une demande d’autorisation de mise sur le marché.
Au vu du faible nombre de substances psychoactives interdites depuis 2005, il est par ailleurs difficile de penser que ces décisions constituent un véritable obstacle au marché intérieur et à l’innovation.
Ce changement d’approche a pourtant des implications majeures, puisqu’il induit un renversement de la charge de la preuve : il reviendrait aux États membres de démontrer que ces substances sont dangereuses, et non plus aux vendeurs de démontrer qu’elles ne le sont pas.
Ce changement de base juridique a également des impacts institutionnels importants.
Tout d’abord, il renforce significativement les pouvoirs de la Commission européenne, qui dispose seule du pouvoir d’initiative, alors que les États membres partagent avec elle ce droit dans le domaine de la justice et des affaires intérieures. Alors que dans le domaine de la coopération judiciaire en matière pénale, l’article 83 du TFUE ne permet d’adopter que des directives, qui laissent une marge de manœuvre aux États sur la forme et les moyens utilisés pour mettre en œuvre les objectifs fixés par le texte, un règlement est nécessairement plus contraignant, puisqu’il est « obligatoire dans tous ses éléments » et « directement applicable dans tout État membre » (article 288 du TFUE). Par ailleurs, l’article 83 du TFUE prévoit que si un État membre estime qu’un projet de directive porterait atteinte aux aspects fondamentaux de son système de justice pénale, il peut demander que le Conseil européen soit saisi, ce qui interrompt la procédure législative. Aucun mécanisme aussi protecteur des spécificités nationales n’est prévu par l’article 114 du TFUE.
Enfin, les mesures nationales plus contraignantes risquent d’être considérées comme des « obstacles à la libre circulation », et donc comme des « règles techniques » au sens de la règlementation du marché intérieur7. Ces mesures nationales devraient donc faire l’objet d’une procédure de notification et d’autorisation. Les justiciables pourraient également former des recours contre les législations nationales en se prévalant du niveau de risque déterminé par la Commission européenne pour demander l’inapplicabilité de mesures nationales plus strictes. Les États membres seraient en revanche libres de prendre des mesures en cas d’inaction de la Commission européenne (article 4).
Lors des négociations, la Commission européenne a souligné qu’elle pourrait autoriser certains systèmes de contrôle plus contraignants au niveau des États membres après notification de ceux-ci. Toutefois, rien n’empêcherait dans ce cas la Commission européenne de revenir sur cette autorisation.
Au-delà du problème majeur de la base juridique, la proposition de règlement reste lacunaire.
Le mécanisme de contrôle proposé reste particulièrement complexe. Les différents niveaux de risque proposés par la Commission européenne sont définis de manière relativement floue voire tautologique et un tel classement pourrait s’avérer difficile à mettre en place compte tenu du peu d’information disponible sur ces substances.
La question des moyens alloués à cette nouvelle procédure est également source d’inquiétudes. Cette question avait déjà été mise en exergue par le rapport de la Commission européenne de 2011, dans lequel le comité scientifique et les États membres soulignaient la nécessité « de disposer de ressources supplémentaires en appui du processus d’évaluation des risques, pour mener, par exemple, des tests toxicologiques ». Dans son avis du 21 janvier 2014 sur le paquet législatif, le Comité économique et social européen se montre « particulièrement préoccupé par le fait qu’aucun financement supplémentaire n’a été prévu pour ces travaux ». En, effet, alors que l’adoption de la proposition constituerait une charge de travail particulièrement lourde pour l’OEDT, ses moyens n’ont pas été augmentés. Au contraire, l’OEDT est directement concerné par les restrictions imposées au budget de l’Union européenne pour 2014 : alors que sa dotation s’élevait à 15,55 millions d’euros en 2013, elle ne sera que de 14,794 millions en 20148.
L’article 6 de la proposition de règlement prévoit qu’un rapport conjoint de l’OEDT et d’Europol peut être réalisé sur des nouvelles substances psychoactives de structure chimique analogue. Toutefois, la Commission européenne refuse d’aller plus loin en mettant en place un véritable classement générique, qui apparaît pourtant comme la solution la plus efficace pour anticiper l’apparition de nouvelles substances sur le marché. En effet, elle considère qu’un tel classement ne respecte pas le principe de proportionnalité, puisqu’il conduit à interdire des substances n’ayant pas fait l’objet d’analyses poussées. Lors des négociations, elle a souligné qu’elle n’avait jamais rejeté les mesures nationales de classement générique, mais elle a refusé à plusieurs reprises d’insérer cette approche dans sa proposition.
Le rapport de la Commission européenne sur l’évaluation du dispositif actuel publié en 2011 souligne qu’une des principales lacunes du système actuel réside dans le fait que la décision du Conseil ne puisse traiter qu’une seule substance à la fois, empêchant ainsi de prendre des mesures à l’égard de drogues combinant différentes substances, ce qui explique par exemple l’absence de mesures prises au niveau de l’Union européenne sur le « spice ». Pourtant, si la proposition de règlement prévoit explicitement que la libre circulation concerne les mélanges (article 3), et que les échanges d’information doivent inclure ces mélanges (article 5), les articles relatifs à l’évaluation des risques et à l’interdiction de substances n’en font plus mention, et disposent seulement que la Commission européenne interdit ou non « la » nouvelle substance psychoactive. La possibilité d’interdire non pas une seule substance mais un mélange devrait être prévue explicitement par le règlement.
Depuis le début des négociations, le gouvernement français s’est opposé de manière très ferme à ce projet de règlement. Lors des réunions du Groupe horizontal drogues le Royaume-Uni, la Belgique, l’Italie, l’Autriche, les Pays-Bas, le Danemark et la Suède se sont également opposés à la nouvelle base juridique choisie par la Commission européenne. L’Autriche, la Finlande, le Danemark, l’Irlande ont exprimé aux côtés de la France leurs inquiétudes sur la pertinence du classement en quatre niveaux distincts de risques. Plusieurs délégations, dont la France, ont demandé un avis écrit du service juridique du Conseil. En revanche, la Grèce, la Pologne, la République tchèque et la Finlande soutiennent la position de la Commission européenne.
Le Comité économique et social européen, dans son avis du 21 janvier 2014, a également adopté une position très critique sur la proposition de règlement, affirmant que « le caractère indispensable et la forme de la présente législation sont loin d’être clairs ».
Enfin, la Chambre des Communes et la Chambre des Lords britanniques ainsi que le Sénat italien ont également fait part de leurs réserves sur ce projet de règlement. De même que le présent rapport, la Chambre des Communes a principalement mis en exergue les dangers associés à ces substances, soulignant le manque de données précises fournies par la Commission européenne sur les utilisations légitimes de celles-ci pour justifier le choix de la libre circulation.
En revanche, les députés de la commission LIBE du Parlement européen se sont pour le moment montrés favorables à ce paquet législatif. Le projet de rapport de Teresa Jiménez-Becerril Barrio (PPE, Espagne) accueille favorablement la proposition de directive. Sur la proposition de règlement, le projet de rapport de Jacek Protasiewicz (PPE, Pologne) approuve implicitement le choix de la base juridique en affirmant que « la méthode communautaire, si elle est mise en place correctement, fournira une réponse structurelle et efficace » au défi posé par ces nouvelles substances. Il souligne cependant qu’il « ne devrait pas exister d’interdiction pour les États membres d’adopter ou de maintenir les mesures appropriées concernant les risques spécifiques que présente une nouvelle substance psychoactive sur leur territoire même si elle a été classée comme présentant un risque faible ou modéré par la Commission » et insiste sur la nécessité de mieux prendre en compte les mélanges, ainsi que d’octroyer les ressources nécessaires au bon fonctionnement du règlement.
En conclusion, il convient de réaffirmer que la lutte contre la diffusion et la consommation de nouvelles substances psychoactives doit être une priorité en matière de lutte contre la drogue en Europe. Une telle action, pour être le plus efficace possible, doit être coordonnée et prise en charge au niveau de l’Union européenne.
Cependant, l’harmonisation des législations nationales ne doit en aucun cas se faire au détriment de la protection de la santé publique et du respect du principe de précaution.
Votre rapporteure considère que le paquet législatif présenté par la Commission européenne ne répond pas à cette exigence, et envoie un signal pour le moins ambigu en consacrant dans sa proposition de règlement le principe de libre circulation des nouvelles substances psychoactives.
Lors de la présentation de ces textes par la Commission européenne, la commissaire chargée de la justice Viviane Reding a déclaré que cette « législation rigoureuse » permettrait s’attaquer au « fléau » des nouvelles substances psychoactives. Votre rapporteure estime que ce n’est pas le cas de la proposition examinée, et invite le Parlement européen, la Commission européenne et les États membres à adopter une législation qui soit véritablement à la hauteur du défi auquel elle doit faire face.
La Commission s’est réunie le 26 février 2014, sous la présidence de M. Jérôme Lambert, vice-Président, pour examiner le présent rapport d’information.
L’exposé de la rapporteure a été suivi d’un débat.
M. Jacques Myard. Quelle est la position des Pays-Bas sur ce projet ?
Mme Sandrine Doucet, rapporteure. Les Pays-Bas sont tout à fait réticents vis-à-vis de la position française, qui est beaucoup plus préventive, dans la mesure où elle vise à interdire les substances génériques classés comme dangereuses, plutôt que des analyses systématiques sur chaque produit, lesquelles prennent davantage de temps et n’interdisent pas les mélanges.
En outre, il convient de souligner que, en cas de large diffusion de ces produits, les services médicaux se retrouveraient démunis en cas d’urgence.
La Commission a ensuite adopté, à l’unanimité, la proposition de résolution suivante :
PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE
L’Assemblée nationale,
Vu l’article 88-4 de la Constitution,
Vu les articles 83 et 114 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne,
Vu la décision 2005/387/JAI du Conseil du 10 mai 2005 relative à l’échange d’informations, à l’évaluation des risques et au contrôle des nouvelles substances psychoactives,
Vu la communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil du 25 octobre 2011 « Vers une approche plus ferme de l’UE en matière de lutte contre la drogue » [COM(2013) 689],
Vu le rapport de la Commission du 11 juillet 2011 sur l’évaluation du fonctionnement de la décision 2005/387/JAI du Conseil relative à l’échange d’informations, à l’évaluation des risques et au contrôle des nouvelles substances psychoactives [COM(2011) 430],
Vu la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil du 17 septembre 2013 modifiant la décision-cadre 2004/757/JAI du Conseil du 25 octobre 2004 concernant l’établissement des dispositions minimales relatives aux éléments constitutifs des infractions pénales et des sanctions applicables dans le domaine du trafic de drogue, en ce qui concerne la définition du terme « drogue » [COM(2013) 618],
Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil du 17 septembre 2013 sur les nouvelles substances psychoactives [COM(2013) 619],
Vu l’analyse d’impact du 17 septembre 2013 accompagnant ces propositions [SWD(2013) 319],
Vu l’avis du Comité économique et social européen du 21 janvier 2014 (SOC/497),
Vu le rapport conjoint de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies et d’Europol du 28 mai 2013 sur l’application de la décision 2005/387/JAI du Conseil en 2012,
Considérant que la protection de la santé publique doit primer sur le principe de libre circulation des marchandises,
1. Partage les inquiétudes de la Commission européenne face à la diffusion de plus en plus rapide de nouvelles substances psychoactives au sein de l’Union européenne ;
2. Accueille favorablement la présentation par la Commission européenne de deux propositions visant à pallier les insuffisances du système actuel ;
3. Rappelle qu’une action coordonnée au niveau de l’Union européenne est nécessaire afin de lutter efficacement contre la diffusion de nouvelles substances psychoactives ;
4. Déplore le choix fait par la Commission européenne de consacrer le principe d’une libre circulation des nouvelles substances psychoactives et conteste la base juridique choisie par la Commission européenne pour la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil du 17 septembre 2013 sur les nouvelles substances psychoactives précitée ;
5. Souhaite que cette proposition de règlement garantisse explicitement la possibilité pour les États membres de maintenir ou d’introduire des mesures nationales de contrôle des nouvelles substances psychoactives plus strictes que celles décidées au niveau de l’Union européenne ;
6. Accueille très favorablement la possibilité pour la Commission européenne d’interdire de manière temporaire une nouvelle substance psychoactive lorsque des raisons d’urgence impérieuses l’exigent ;
7. Souhaite qu’un classement générique des nouvelles substances psychoactives soit mis en place au niveau de l’Union européenne afin de lutter contre ces drogues plus efficacement en agissant de manière préventive ;
8. Recommande que les mélanges ou solutions contenant plusieurs nouvelles substances psychoactives puissent, en tant que tels, faire l’objet d’une évaluation des risques et d’une décision d’interdiction ;
9. Appelle la Commission européenne à réaliser une étude approfondie des utilisations commerciales, industrielles et scientifiques des nouvelles substances psychoactives et des obstacles juridiques à celles-ci ;
10. Appelle à un renforcement des moyens matériels et humains de l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies afin qu’il soit en capacité de remplir efficacement les missions qui lui sont attribuées.
ANNEXE NO 1 :
LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LES RAPPORTEURS
Mercredi 12 janvier 2014
Mission interministérielle de lutte contre la drogue et les toxicomanies
Danièle Jourdain Menninger, Présidente
Laura D’Arrigo, Conseillère diplomatique
Elisabeth Pfletschinger, Chargée de mission santé
1 () La composition de cette Commission figure au verso de la présente page.
2 Décision 2005/387/JAI du Conseil du 10 mai 2005 relative à l’échange d’informations, à l’évaluation des risques et au contrôle des nouvelles substances psychoactives
3 COM(2013) 618, proposition de directive du Parlement européen et du Conseil modifiant la décision-cadre 2004/757/JAI du Conseil du 25 octobre 2004 concernant l’établissement des dispositions minimales relatives aux éléments constitutifs des infractions pénales et des sanctions applicables dans le domaine du trafic de drogue.
4 COM(2013) 619, proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil sur les nouvelles substances psychoactives.
5 « Objectif drogues » no 22, 2011, Observatoire européen des drogues et des toxicomanies
6 COM(2011) 4230 du 11 juillet 2011
7 La direction 98/34/CE met en place une procédure qui oblige les États membres de l’Union européenne à notifier à la Commission et aux autres États membres tout projet de règle technique relatif aux produits avant que ceux-ci ne soient adoptés dans leurs droits nationaux
8 EMCDDA/28/13, EMCDDA draft budget for 2014