N° 452 - Proposition de loi de M. Sauveur Gandolfi-Scheit visant à faire de la date du 5 mai une journée uniquement dédiée à la mémoire et au recueillement des victimes de Furiani



N° 452

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 27 novembre 2012.

PROPOSITION DE LOI

visant à faire de la date du 5 mai une journée uniquement dédiée à la mémoire et au recueillement des victimes de Furiani,

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Sauveur GANDOLFI-SCHEIT, Camille de ROCCA SERRA, Laurent MARCANGELI, Damien ABAD, Yves ALBARELLO, Julien AUBERT, Xavier BERTRAND, Jean-Claude BOUCHET, Dino CINIERI, Jean-François COPÉ, Marie-Christine DALLOZ, Lucien DEGAUCHY, Nicolas DHUICQ, Jean-Pierre DOOR, David DOUILLET, Christian ESTROSI, Georges FENECH, Marie-Louise FORT, Marc FRANCINA, Claude GOASGUEN, Jean-Claude GUIBAL, Christophe GUILLOTEAU, Patrick HETZEL, Christian JACOB, Denis JACQUAT, Marc LAFFINEUR, Guillaume LARRIVÉ, Geneviève LEVY, Alain MARC, Patrick MENNUCCI, Philippe MEUNIER, Jean-Luc MOUDENC, Josette PONS, Didier QUENTIN, Bernard REYNÈS, Franck REYNIER, Arnaud ROBINET, Paul SALEN, Fernand SIRÉ, Michèle TABAROT, Jean-Charles TAUGOURDEAU, Dominique TIAN, Patrice VERCHÈRE, Philippe VITEL et Marie-Jo ZIMMERMANN,

députés.


EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le 5 mai 1992, à quelques minutes du coup d’envoi de la rencontre de demi-finale de la Coupe de France de football devant opposer le Sporting Club de Bastia à l’Olympique de Marseille, s’est produit ce qui demeure encore aujourd’hui la plus grande catastrophe que le sport français ait connu.

L’effondrement de la partie haute d’une tribune provisoire, édifiée à la hâte dans l’enceinte du stade Armand-Cesari de Furiani (Haute-Corse), provoquait la chute simultanée de plusieurs milliers de personnes dans le vide.

Le bilan sanitaire faisait état de 18 morts et de plus de 2 300 blessés, chiffres colossaux au regard de la population de la Corse. En impactant directement près d’1/100ème des habitants de l’île (ce qui aurait représenté plus de 20 000 blessés à Paris intra-muros), ce que l’on a très vite appelé « le drame de Furiani » engendre, encore aujourd’hui, de nombreuses traces, tant physiques que psychologiques, chez plusieurs centaines de personnes, tant en Corse que sur le continent.

Face à l’ampleur de la tragédie qui est présentée, à l’époque, comme « nationale », le Président de la République François Mitterrand et le Président de la Fédération Française de Football annoncent que « plus aucune rencontre officielle ne serait organisée un 5 mai en France ».

Le pays prend, en cette occasion, conscience de la nécessité de renforcer de manière drastique les règles de sécurité autour des manifestations sportives, ce qui se traduit rapidement par l’intervention du législateur, par le biais de la loi n° 92-652 du 13 juillet 1992 qui vient modifier la loi du 16 juillet 1984 relative à l’ « organisation et à la promotion des activités physiques et sportives ». Un chapitre spécifique à la « sécurité des équipements et des manifestations sportives » intègre dès lors le droit positif, conditionnant l’homologation même des enceintes destinées à recevoir du public. Initialement circonscrite au seul domaine du sport, c’est ensuite toute la réglementation, ayant trait à l’accueil du public et aux conditions de sécurité dans les lieux accueillant des spectacles, qui a été réformée autour de ce qu’on appelle, de manière générique, les « normes Furiani ».

De fait, l’engagement présidentiel qui apparaissait alors naturel a été globalement respecté par les instances du football.

Ce n’est qu’à l’orée des années 2000 et sous l’influence de ce que l’on appelle aujourd’hui le « football business » que la donne a commencé à changer, les intérêts économiques prenant progressivement le pas sur le souvenir et le devoir de mémoire.

Ainsi, et malgré les protestations du « Collectif des victimes du 5 mai », la finale de la Coupe de la Ligue 2001 opposant Lyon à Monaco était fixée à la date anniversaire. L’année suivante, lors du match Lyon-Lens, la minute de silence organisée en hommage aux disparus était sifflée. En 2006 (37ème journée de championnat de Ligue 2) et en 2007 (35ème journée de championnat de Ligue 1), de nouvelles étapes étaient franchies vers la « désacralisation » définitive par les instances.

Ces différentes atteintes à la parole donnée par les autorités en 1992, ont toujours été très difficilement vécues par les victimes et par leurs proches, qui ne comprenaient pas comment on pouvait faire la fête dans des stades, un jour comme celui-là.

Ce sentiment, très diffus en Corse, a été particulièrement prégnant lorsque le 5 mai 2010, l’Olympique de Marseille, pourtant protagoniste de la demi-finale de triste mémoire, a fêté son titre de champion de France devant son public. Ce contraste terrible entre la joie des partisans du club le plus populaire du pays, face à la détresse des victimes dans l’île, a constitué une sorte de point de non-retour.

Aussi, lorsqu’au printemps 2011 la FFF annonçait que la finale de la Coupe de France 2012, se déroulerait le 5 mai - 20 ans jour pour jour après le drame - au stade de France, de nombreux Corses ont estimé que les limites avaient été dépassées. Une mobilisation, tant de la société civile que du monde politique, a commencé à prendre forme, ce qui a rapidement contraint la Fédération à déprogrammer cette manifestation, pour la fixer au 28 avril. Or, alors que la population et les victimes éprouvaient une légitime satisfaction, contre toute attente, la Ligue de Football Professionnel décidait unilatéralement de « récupérer » le créneau laissé libre pour y fixer la 36ème journée de championnat de Ligue 1 !

Face au tollé suscité par cette nouvelle, la ministre des Sports de l’époque, Chantal Jouanno, était alors directement saisie du dossier. Soucieuse de « la mémoire des victimes et du respect dû aux familles », cette dernière sollicitait par courrier le Président de la LFP afin que la journée de championnat soit reportée. Dans sa réponse datée du 3 mai 2011, le Président Thiriez, bien qu’évoquant « la forte charge émotionnelle de cet anniversaire » se bornait pour sa part à préciser avoir « demandé aux services de la Ligue d’être particulièrement vigilants pour qu’aucun club de football professionnel corse ne soit conduit à évoluer, précisément le 5 mai 2012, date de la célébration de la tragédie ».

Niant une nouvelle fois le caractère national de la tragédie et la parole des différentes autorités, les instances tendaient donc à faire de la date du 5 mai une affaire « corso-corse ». C’est pourquoi, à partir de l’automne 2011, un vaste rassemblement s’est opéré autour du collectif des victimes qui avait pris l’initiative de lancer une pétition. Recueillant rapidement plus de 40 000 signatures émanant de toute la France et du monde sportif, la revendication était aussi portée par l’ensemble de la classe politique insulaire.

Saisi par les 4 députés de la Corse, le nouveau ministre des Sports David Douillet en référait au Président de la République, Nicolas Sarkozy, qui faisait part de son soutien à l’initiative en cours. Une rencontre était ensuite organisée le 31 janvier entre les 4 députés de la Corse, le ministre et les présidents de la FFF et de la LFP. C’est finalement au terme d’une mobilisation sans précédent que la décision était prise de décaler la journée de championnat prévue le 5 mai 2012.

Lors de sa visite à Bastia en février 2012, le Président de la FFF, Noël Le Gräet, a ensuite annoncé la création d’un « comité de suivi » sur le sujet. Or, malgré plusieurs mois de travaux, ce comité qui rendra ses conclusions dans le courant de l’automne, ne tiendra visiblement pas compte de la demande des victimes et de leurs nombreux soutiens, à savoir la sacralisation définitive. Considérant qu’il a seulement été proposé de « ne pas faire évoluer les clubs corses à cette date », il est, dès à présent, évident que la question va continuer à demeurer sensible et inutilement douloureuse.

Loin d’être isolé, le Collectif du 5 mai 1992 a, au contraire, obtenu le soutien explicite du Président de la République, Nicolas Sarkozy, en janvier 2012 et du candidat François Hollande en mars 2012 lors de sa visite à Bastia, de trois ministres des Sports successifs (Chantal Jouanno, David Douillet et aujourd’hui Valérie Fourneyron), de plusieurs parlementaires et d’un nombre conséquent de clubs professionnels français, dont les trois plus populaires (Olympique de Marseille, AS Saint-Etienne, Olympique Lyonnais), le champion de France sortant (Montpellier) et l’actuel sélectionneur de l’équipe de France, Didier Deschamps.

Les victimes de Furiani n’ont rien contre le football et comprennent parfaitement les impératifs financiers induits par le football moderne. Elles ont calculé que, d’ici 2045, seules une dizaine de dates concerneront des matchs du calendrier professionnel.

Une mesure confinée aux clubs corses, uniquement basée sur le bon vouloir des instances, est à la fois inacceptable et insuffisante. Il est en effet plus que temps aujourd’hui que la parole de l’État et des instances soit une fois pour toute respectée, sans risque de modification ultérieure pour des raisons mercantiles ou d’opportunité. La représentation nationale s’honorerait donc de trancher définitivement une polémique inutile, qui ternit l’image de notre football et porte atteinte au devoir de mémoire, qui devrait prévaloir dans notre pays.

C’est pourquoi il convient de graver aujourd’hui dans le marbre le principe de la sacralisation de la date du 5 mai dans les calendriers du football national (amateurs et professionnels), pour laisser la place au recueillement, en mémoire des 18 disparus et des centaines de personnes qui souffrent encore aujourd’hui dans leur chair de ce drame, dont l’ensemble de la société de l’époque, y compris l’État, porte la responsabilité.


PROPOSITION DE LOI

Article unique

Le livre IV du code du sport est complété par un titre III ainsi rédigé :

« TITRE III

« DISPOSITIONS APPLICABLES
À LA FÉDÉRATION FRANÇAISE DE FOOTBALL
ET À LA LIGUE DE FOOTBALL PROFESSIONNEL

« Chapitre unique

« Section unique

Instauration d’une journée sans match le 5 mai dans les règlements des compétitions nationales édictés par la fédération française de football
et la ligue de football professionnel

« Art. L. 426-1. – En mémoire du drame de Furiani, qui causa le 5 mai 1992 la mort de 18 personnes et plus de 2 300 blessés, aucune rencontre de championnat national ni de coupe nationale ne peut avoir lieu à la date anniversaire.

« Les calendriers du football doivent tenir compte de cette interdiction, pour faire place, chaque 5 mai, au recueillement et à la commémoration de ce qui demeure la plus grande catastrophe de l’histoire du sport en France.

« Cette date anniversaire sans match doit être intégrée dans les règlements des compétitions nationales édictés par la fédération française de football et la ligue de football professionnel. »


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