N° 746 - Proposition de loi de M. Jean-Pierre Gorges relative au développement, à l'encadrement et à la transparence des modes de financement des investissements des acteurs publics locaux



N° 746

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 27 février 2013.

PROPOSITION DE LOI

relative au développement, à l’encadrement et à la transparence des modes de financement des investissements
des acteurs publics locaux,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Jean-Pierre GORGES, Jean-Marie TETART, Paul SALEN, Éric STRAUMANN, Jean-Michel COUVE, Lionnel LUCA, Maurice LEROY, Jean-Luc REITZER, Jean-Claude GUIBAL, Guy GEOFFROY, Josette PONS, Gérald DARMANIN, Sauveur GANDOLFI-SCHEIT, Anne GROMMERCH, Jean-Claude MATHIS, Michel VOISIN, Philippe MEUNIER, Jean-Pierre VIGIER, Annie GENEVARD, Olivier AUDIBERT-TROIN, Jean-Charles TAUGOURDEAU, Damien ABAD, Marie-Louise FORT, Marcel BONNOT, Claude STURNI, Bernard PERRUT, Jean-Pierre DECOOL, Alain CHRÉTIEN, Philippe VIGIER, Jean-Frédéric POISSON, Patrick HETZEL, Yannick MOREAU et François SAUVADET,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La présente proposition de loi constitue l’un des aboutissements des travaux de la commission d’enquête sur les produits financiers à risques souscrits par les acteurs publics locaux, qui avait été créée par la résolution n° 675 adoptée par l’Assemblée nationale le 8 juin 2011 (1), et a achevé ses travaux le 6 décembre 2011.

Le rapport de la commission d’enquête, adopté à l’unanimité (2), comporte douze propositions, dont huit nécessitent l’intervention du législateur, et deux l’adoption d’un décret en Conseil d’État ou d’un arrêté relatif aux instructions budgétaires et comptables. Enfin, une décision ministérielle permet à elle seule la création du pôle d’assistance et de transaction proposé par la commission pour traiter le cas des collectivités qui détiennent des emprunts à risques.

En effet, dans son rapport, la commission d’enquête a examiné les réponses apportées par l’État depuis le déclenchement de la crise des emprunts toxiques, à partir de 2009 : la mise en œuvre de la charte de bonne conduite en 2009 et l’institution d’une médiation confiée à M. Éric Gissler. Il est apparu clairement que ces réponses n’étaient pas à la hauteur des besoins d’encadrement et de sécurisation du financement des acteurs locaux d’une part, et, d’autre part, de l’urgence à traiter de manière rapide de très nombreux dossiers d’emprunts dont les risques latents se révèlent actuellement ou vont se révéler l’année prochaine, puisque la période bonifiée de ces produits est sur le point de prendre fin.

C’est pourquoi la commission a élaboré une méthode pour traiter le cas des collectivités qui détiennent des emprunts à risques : elle propose la création d’un pôle d’assistance et de transaction auquel les acteurs publics locaux concernés pourraient donner mandat pour renégocier de façon groupée les encours d’emprunts structurés dont l’évolution ou l’imprévisibilité met en danger, ou risque de mettre en danger, l’équilibre financier de la collectivité locale ou de l’établissement public. A été choisi le principe d’un regroupement des acteurs publics locaux pour négocier avec leurs créanciers, non plus collectivité par collectivité, mais produit par produit. Le but est de convertir les prêts d’évolution dangereuse en prêts classiques, à taux fixe ou variable. L’apurement définitif des emprunts structurés a donc été privilégié, de préférence à la démarche qui aurait consisté à proposer aux emprunteurs en situation difficile une solution au cas par cas.

Comme il a été déjà mentionné, ce pôle d’assistance et de transaction peut être créé par une décision ministérielle. Ce pôle n’implique pas la création d’un établissement public, mais d’un regroupement de moyens humains mis à disposition par la direction générale des collectivités locales, la direction générale du Trésor et la direction générale des finances publiques, auxquelles peuvent être adjoints un représentant de la Cour des comptes et de la Caisse des dépôts et consignations. Son rôle sera d’établir avec les établissements bancaires les modalités de conversion des différentes catégories d’emprunts structurés à risque pour les emprunteurs, et la répartition de la charge de gestion des produits à risque entre emprunteur et établissement bancaire pour les années à venir.

Outre cette méthode de traitement des emprunts en cours, la commission a proposé des mesures pour une meilleure gouvernance budgétaire et comptable des collectivités, davantage de transparence et de contrôle pour leur politique d’endettement, ainsi que l’encadrement des modalités d’endettement. La présente proposition de loi comporte les aspects législatifs de cet ensemble de mesures.

Enfin, les propositions de la commission comportent un dernier volet, préconisant la création d’une structure mutualiste de financement obligataire des collectivités territoriales, selon le modèle d’établissements existant dans d’autres pays européens, et dont la création intéresse déjà tant les collectivités prêtes à en être membre que les investisseurs institutionnels envisageant d’entrer dans son capital.

La commission a estimé urgente l’adoption de plusieurs des mesures préconisées dans le rapport, afin qu’il soit possible d’une part, d’engager, avant l’interruption liée aux élections, le processus de renégociation groupée des emprunts structurés, et, d’autre part, de disposer à court terme d’une source de financement sûr et à des conditions favorables pour les collectivités, avec la création d’une structure mutualiste de financement obligataire.

Les mesures tendant à l’encadrement du crédit ne portent pas le même caractère d’urgence mais constituent selon nous un signal nécessaire à l’intention des établissements bancaires. Enfin, l’amélioration de la gouvernance budgétaire et comptable des collectivités pourrait entrer en vigueur en vue de l’adoption des budgets 2013, l’encadrement des conditions d’emprunt à l’approche des échéances électorales ayant ainsi force de loi pour le renouvellement des mandats municipaux en 2014.

Tel est l’objet de la présente proposition de loi.

Présentation des articles.

Les différents articles de la présente proposition de loi reprennent les huit propositions du rapport de la commission d’enquête nécessitant l’intervention du législateur.

L’article 1er encourage le recours aux emprunts obligataires et le développement d’une structure mutualiste de financement obligataire des collectivités territoriales, en demandant au Gouvernement de se prononcer clairement sur ce sujet, la création d’une telle agence ne pouvant faire l’objet d’une initiative parlementaire.

L’article 2 met en place un encadrement des modalités de prêts des collectivités territoriales et de leurs établissements publics en introduisant dans le code général des collectivités territoriales deux articles interdisant les produits structurés ou dérivés avec multiplicateur et mettant en place un capping global pour tous les prêts aux acteurs publics locaux.

En application des articles L. 421-19 et L. 421-21 du code de la construction et de l’habitation, ces dispositions financières et comptables, prévues par le code général des collectivités territoriales, seront applicables aux offices publics de l’habitat.

Le choix fait d’un capping fixé au double du taux d’intérêt versé lors de la première période de l’emprunt est inspiré de la solution retenue pour les établissements de santé par le décret n° 2011-1872 du 14 décembre 2011 relatif aux limites et réserves du recours à l’emprunt par les établissements publics de santé, publié pendant l’achèvement des travaux de la commission d’enquête, mais n’exclut pas d’autres formules, à déterminer par décret.

L’article 3 prévoit l’obligation, pour les collectivités territoriales, de provisionner les risques liés à la souscription de produits financiers à hauteur des charges financières supplémentaires potentielles, en faisant des provisions pour de tels risques une dépense obligatoire des communes, départements, régions et organismes en charge du logement social. En application de l’article L. 5211-36, les règles relatives aux communes sont applicables aux établissements publics de coopération intercommunale.

L’article 4 vise à instaurer un débat annuel des assemblées délibérantes sur la stratégie financière et le pilotage pluriannuel de l’endettement. Le choix fait a été de rattacher cette obligation à celle d’un débat d’orientation budgétaire dont l’organisation est obligatoire pour les communes et établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) de plus de 3 500 habitants, les départements et les régions.

L’article 5 encadre la conclusion des contrats d’emprunt avant les échéances électorales, en fixant l’échéance des délégations consenties à l’exécutif à l’ouverture de la campagne électorale pour le renouvellement de l’assemblée délibérante des communes, départements, régions et EPCI, soit deux semaines avant la date du scrutin. En cas de nécessité, il restera ainsi loisible à l’exécutif de la collectivité de réunir l’assemblée pour demander l’autorisation de prendre des mesures ponctuelles, tels que l’autorisation exceptionnelle de souscrire un emprunt, mais dans des conditions permettant l’exercice du contrôle démocratique jusqu’à la fin des mandats locaux en cours.

L’article 6 étend le contrôle de légalité à l’ensemble des contrats de prêt, qu’ils soient de nature publique ou privée, afin que le contrôle préfectoral puisse s’exercer sur le respect des nouvelles règles d’encadrement des emprunts des collectivités et de leurs groupements.

L’article 7 précise le contenu du rapport annuel au Parlement sur la dette locale, qui a été prévu par l’article 108 de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012.

L’article 8 clarifie les prérogatives des commissions d’enquête parlementaires à l’égard des établissements de crédit, en prévoyant que le secret bancaire ne leur est pas opposable.

L’article 9 fixe à trois mois le délai laissé aux collectivités et aux EPCI pour choisir de confier un mandat au pôle d’assistance et de transaction et prévoit que le choix ou non fait par les collectivités et EPCI de recourir à cette solution mutualisée pour leurs emprunts devra faire l’objet d’un débat et d’un vote de leur assemblée ou organe délibérant, afin que cette décision puisse faire l’objet d’un débat démocratique.

L’article 10 rend applicable les dispositions utiles de la présente proposition de loi aux communes et EPCI de la Polynésie française, ce qui nécessite une mention expresse en vertu du principe de spécialité législative.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur la création d’une agence publique de financement des investissements des collectivités territoriales, établissement public local à caractère industriel et commercial détenant un établissement de crédit, dont les collectivités territoriales membres garantissent solidairement, dans la limite de leurs encours respectifs, les crédits proposés par l’agence.

Article 2

I. – Le titre Ier du livre VI de la première partie du code général des collectivités territoriales est complété par un chapitre IX ainsi rédigé :

« CHAPITRE IX

« Régime général des emprunts des collectivités territoriales
et de leurs établissements publics

« Art. L. 1619-1. – Les collectivités territoriales et leurs établissements publics ne peuvent souscrire d’emprunt dont le taux d’intérêt variable présente des variations supérieures à celles de l’indice sur lequel il est indexé.

« Art. L. 1619-2. – Les collectivités territoriales et leurs établissements publics ne peuvent souscrire d’emprunt dont le taux d’intérêt variable peut, durant la vie de l’emprunt, devenir supérieur au double du taux d’intérêt nominal appliqué au cours de la première période de l’emprunt ou à un taux dont la formule d’indexation est déterminée par décret.

« Le premier alinéa n’est pas applicable aux emprunts dont le taux d’intérêt variable est défini comme l’addition, d’une part, d’un taux usuel du marché interbancaire, du marché monétaire de la zone euro, du marché des valeurs de l’État français, de l’indice du niveau général des prix, de la variation du livret A ou de l’indice harmonisé des prix à la consommation de la zone euro, défini à l’article D. 112-1 du code monétaire et financier et, d’autre part, d’une marge fixe exprimée en point de pourcentage. »

Article 3

I. – Le code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :

1° Au 29° de l’article L. 2321-2 et au 20° de l’article L. 3321-1, après le mot : « provisions », sont insérés les mots : « , notamment pour risques liés à la souscription de produits financiers ».

2° L’article L. 4321-1 est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« 10° Les provisions, notamment pour risques liés à la souscription de produits financiers.

« Un décret détermine les modalités d’application du présent article. »

II. – Le 3° de l’article L. 421-16 du code de la construction et de l’habitation est complété par les mots : « , notamment pour risques liés à la souscription de produits financiers ».

Article 4

Le code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :

1° Au deuxième alinéa de l’article L. 2312-1, après le mot : « envisagés », sont insérés les mots : « et l’évolution et les caractéristiques de l’endettement de la commune » ;

2° Le premier alinéa de l’article L. 3312-1 est complété par les mots : « et l’évolution et les caractéristiques de l’endettement du département » ;

3° Le premier alinéa de l’article L. 4312-1 est complété par les mots : « et l’évolution et les caractéristiques de l’endettement de la région ».

Article 5

Le code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :

1° L’article L. 2122-22 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les délégations consenties en application du 3° du présent article prennent fin dès l’ouverture de la campagne électorale pour le renouvellement du conseil municipal. »

2° L’article L. 3211-2 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les délégations consenties en application du 1° du présent article prennent fin dès l’ouverture de la campagne électorale pour le renouvellement du conseil général. »

3° L’article L. 4221-5 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les délégations consenties en application du 1° du présent article prennent fin dès l’ouverture de la campagne électorale pour le renouvellement du conseil régional. »

4° L’article L. 5211-10 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les délégations relatives à la réalisation des emprunts destinés au financement des investissements prévus par le budget et aux opérations financières utiles à la gestion des emprunts, y compris les opérations de couverture des risques de taux et de change, consenties en application du présent article, prennent fin dès l’ouverture de la campagne électorale pour le renouvellement général des conseils municipaux. »

Article 6

Au 4° de l’article L. 2131-2, au 4° de l’article L. 3131-2 et au 3° de l’article L. 4141-2 du code général des collectivités territoriales, après le mot : « emprunts », sont insérés les mots : « relevant du droit public ou du droit privé ».

Article 7

L’article 108 de la loi n° 2011-1977 du 28 décembre 2011 de finances pour 2012 est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est complété par les mots : « et de leurs établissements publics, ainsi que des établissements de santé et des organismes chargés du logement social » ;

2° Au deuxième alinéa, le nombre : « 50 000 » est remplacé par le nombre : « 3 500 ».

Article 8

Le deuxième alinéa de l’article L. 511-33 du code monétaire et financier est complété par les mots : « , ni aux commissions d’enquête créées en application de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires ».

Article 9

Dans un délai de trois mois à compter de la création d’un pôle d’assistance et de transaction chargé de la renégociation des emprunts structurés, les conseils municipaux, les conseils généraux et les conseils régionaux, les organes délibérants des établissements publics de coopération intercommunale et les organes délibérants des établissements publics se prononcent, pour chaque emprunt structuré d’un montant supérieur à 150 000 euros, sur l’opportunité de donner un mandat de renégociation au pôle d’assistance et de transaction, dans des conditions déterminées par décret.

Article 10

I. – Le titre VII du livre VIII de la première partie du code général des collectivités territoriales est complété par un chapitre VI ainsi rédigé :

« Chapitre VI

« Régime général des emprunts des collectivités territoriales
et de leurs établissements publics

« Art. L. 1876-1. – Les articles L. 1619-1 et L. 1619-2 sont applicables aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale de la Polynésie française. »

II. – Les articles 3 à 6 et 9 de la présente loi sont applicables aux communes et établissements publics de coopération intercommunale de la Polynésie française.

Article 11

Les charges qui pourraient résulter pour les collectivités territoriales de l’application de la présente loi sont compensées à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et corrélativement pour l’État par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

1 () Proposition de résolution n° 3396, déposée le 5 mai 2011, et rapport n° 3464 du 25 mai 2011.

2 () Rapport n° 4030 Emprunts toxiques du secteur public local : d’une responsabilité partagée à une solution mutualisée, fait au nom de la commission d’enquête sur les produits financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux, du 6 décembre 2011.


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