N° 2631 - Proposition de loi de M. Gabriel Serville portant diverses dispositions relatives à la Guyane



N° 2631

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 mars 2015.

PROPOSITION DE LOI

portant diverses dispositions relatives à la Guyane,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Gabriel SERVILLE,

député.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La présente loi a l’ambition de répondre au constat d’une nécessaire adaptation des normes au contexte amazonien.

Elle intervient alors que le Président de la République a fait de la lutte contre la fracture territoriale une de ses priorités et qu’il a annoncé la mise en place prochainement d’un « pacte pour la Guyane ». Elle est rendue nécessaire dès lors que les inégalités géographiques opposées à la Guyane se traduisent par des inégalités de destin entre citoyens du fait du territoire de naissance ou de résidence.

Article 1er

Cet article part du constat selon lequel l’Amazonie française constitue une entité géographique, économique et sociale où la mise en place d’une politique spécifique de développement, d’aménagement et de protection du patrimoine naturel et culturel est rendue nécessaire par les particularités attenantes aux climat, positionnement géographique et particularités économiques et sociales. Cette partie du territoire français se caractérise par des spécificités entraînant des conditions de vie parfois en marge de celles observées sur le reste du territoire national et restreignant l’exercice de certaines activités économiques qui se conjuguent avec une biodiversité exceptionnellement riche.

Ces spécificités sont notamment dues au fait que la Guyane se distingue par une population jeune et à la croissance soutenue, dont une part importante est immigrée. Cette population progresse en effet à un rythme six fois plus important qu’au niveau national et devrait naturellement plus que doubler en 30 ans, et dépasser le demi-million en 2040. Le solde migratoire est quant à lui particulièrement dynamique (30 % de la population est née à l’étranger) et procure à la Guyane une très grande diversité culturelle qui participe à sa richesse comme à la singularité des défis qu’elle doit affronter.

Si l’économie de la Guyane connaît depuis plusieurs années une expansion significative (+4,3 % par an en termes réels, soit le double de la moyenne nationale), cette vitalité est liée au dynamisme démographique qui nécessite d’importants investissements en matière d’équipement du territoire et du développement d’un tissu productif, condition sine qua none à l’autonomie économique. Or cette croissance ne permet pas de combler le retard par rapport à la moyenne nationale : le PIB par habitant ne représente toujours que la moitié du PIB par habitant français.

Par ailleurs, le contexte économique et social souffre d’un marché du travail affichant un taux de chômage élevé (22,3 % de la population active, plus de 50 % chez les moins de 25 ans) et d’un secteur informel toujours plus important.

Article 2

Cet article tend à permettre une adaptation des modalités d’affectation des crédits d’État en matière d’investissement dans les bâtiments et travaux publics ainsi que dans la filière bois aux conditions climatiques locales caractérisées par une saison des pluies s’étalant sur six mois de l’année et au cours de laquelle les activités précitées voient leurs rythmes de production et de livraison fortement ralentis.

Article 3

L’alinéa 4 de cet article tend à renforcer la législation existante en matière de gestion des déchets. Elle prévoit l’annexion au plan départemental de prévention et de gestion des déchets non dangereux un schéma de résorption des dépôts sauvages. Il se justifie par l’importance du phénomène sur le territoire de la Guyane où l’on recense plus de 150 sites de dépôts sauvages dont 63 % présentent un risque sanitaire évalué comme potentiellement élevé. Ce schéma contribue ainsi à la lutte contre les épidémies de dengues et de chikungunya en s’attaquant aux foyers larvaires. Il répond ainsi à des enjeux sanitaires, mais aussi environnementaux, économiques et sociaux.

L’alinéa 14 de cet article insère lui un nouvel article dans le code de l’environnement pérennisant l’interdiction de la culture, la commercialisation et l’utilisation d’organismes génétiquement modifiés en Guyane. Cette interdiction est justifiée par le caractère particulièrement fragile des écosystèmes amazoniens qui figurent parmi les plus riches de la planète. La forêt Guyanaise accueille à elle seule 98 % de la faune française et 96 % de sa flore. On y recense ainsi 5 500 espèces de végétaux, 740 espèces d’oiseaux, 1 600 espèces de vertébrés, 480 espèces de poissons d’eaux douces, 350 000 espèces d’insectes et 5 500 espèces végétales. Il est rendu particulièrement indispensable par l’application du principe de précaution tel que défini par l’article 5 de la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1er mars 2005 relative à la Charte de l’environnement sur un territoire couvert à près de 50 % par un outil de préservation de son patrimoine naturel.

Article 4

Cet article rétablit l’article L. 4436-4 du code des collectivités territoriales et le modifie de façon à instaurer une obligation de saisine par la collectivité de Guyane du conseil consultatif des populations amérindiennes et bushinengués pour avis sur tout projet ou proposition de délibération de la collectivité ayant des conséquences sur leur cadre de vie.

Cet article a pour objectif une meilleure prise en compte des avis des populations, évoluant dans un environnement fragilisé, directement impactées par les délibérations de la collectivité de Guyane

Article 5

Cet article vise à inscrire les langues des populations traditionnelles de Guyane au rang de langue régionale française et les insérer dans le patrimoine de France au titre de l’article 75-1 de la constitution. Il a pour objectif de protéger et promouvoir le patrimoine linguistique des populations amérindiennes et bushinengués. Il tend aussi à permettre une meilleure insertion de leurs 50 000 locuteurs, particulièrement les jeunes enfants qui entrent pour la plupart dans le système scolaire sans aucune connaissance du français.

L’alinéa 2 liste les langues entendues par amérindiennes au titre de l’alinéa 1, soient le kali’na (4 000 locuteurs), le lokono (1 000 locuteurs), le palikur (1 000 locuteurs), le teko (1 000 locuteurs), le wayampi (1 000 locuteurs), le wayana (1 000 locuteurs).

L’alinéa 3 liste les langues entendues par bushinengués au titre de l’alinéa 1, soient le saramaca (15 000 locuteurs) et la langue des alukus, ndjukas et paramacas (30 000 locuteurs).

PROPOSITION DE LOI

TITRE 1ER

DU DROIT À LA PRISE EN COMPTE DES DIFFÉRENCES

Article 1er

Les identités et les spécificités de la Guyane sont reconnues par la Nation et prises en compte par l’État, les établissements publics, les collectivités territoriales et leurs groupements dans les actions qu’ils conduisent.

Dans les limites posées par l’article 73 de la constitution, les dispositions de portée générale relatives au développement économique, social et culturel et à la protection du patrimoine naturel et culturel sont adaptées à la situation particulière de la Guyane.

Article 2

En Guyane, les procédures de mise en œuvre des crédits de l’État affectés à des investissements dans le domaine du bâtiment et des travaux publics ainsi que dans la filière bois tiennent compte des contraintes climatiques spécifiques locales.

TITRE 2

DE LA PROTECTION DE L’ESPACE AMAZONIEN

Article 3

I. – Le code de l’environnement est ainsi modifié :

« Après l’article L. 583-5, il est inséré un livre V bis ainsi rédigé :


« LIVRE V 
BIS

« Art. L.584. – L’État met en place un schéma de résorption des dépôts sauvages de déchets sur l’ensemble de la Guyane.

« Pour atteindre les objectifs visés à l’article L. 541-1 du présent code, le schéma

« 1° Dresse l’inventaire des dépôts sauvages de déchets sur l’ensemble de la Guyane ;

« 2° Recense les programmes locaux de résorption des dépôts sauvages de déchets des collectivités locales en charge de la collecte des déchets ménagers et assimilés ;

« 3° Fixe les objectifs en matière de résorption des dépôts sauvages de déchets ;

« 4° Énumère les solutions retenues afin d’éliminer les dépôts sauvages de déchets ;

« 5° Comporte un volet information et communication ;

« 6° Rappelle les sanctions encourues au titre des articles R. 632-1 et R. 635-8 du code pénal ;

« Le projet de schéma est soumis à enquête publique.

« Une fois adopté, le schéma est annexé au plan départemental de prévention et de gestion des déchets non dangereux prévus par l’article L. 541-14 du présent code.

« Art. L. 585. – Afin de permettre une protection optimale du patrimoine naturel et génétique exceptionnel présenté par l’espace amazonien, la culture, la commercialisation et l’utilisation d’organismes génétiquement modifiés, entendues au sens des articles L. 531-1 et D. 531-1, sont interdites sur l’ensemble du territoire guyanais, tant à des fins de recherches qu’à des fins d’exploitations commerciales. »

II. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par le produit saisi de l’exploitation aurifère illégale.

III. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

TITRE 3

DE LA PROTECTION DES DROITS
DES POPULATIONS TRADITIONNELLES

Article 4

Le chapitre VI du titre III du livre IV du code général des collectivités territoriales est ainsi rétabli :


« Chapitre VI


« Disposition particulières à la Guyane

« Art. L. 4436-1. – Il est institué en Guyane un conseil consultatif des populations amérindiennes et bushinengués.

« Art. L. 4436-2. – La composition, les conditions de nomination ou de désignation des membres du conseil consultatif des populations amérindiennes et bushinengués, son organisation et ses règles de fonctionnement sont fixées par décret.

« Art. L. 4436-3. – Les membres du conseil consultatif des populations amérindiennes et bushinengués sont désignés pour six ans.

« Toute personne désignée pour remplacer un membre du conseil exerce son mandat jusqu’à expiration du mandat de la personne qu’elle remplace.

« Le mandat des membres du conseil consultatif est renouvelable.

« Art. L. 4436–4. – Tout projet ou proposition de délibération de la collectivité de Guyane emportant des conséquences sur l’environnement, le cadre de vie ou intéressant les activités culturelles des populations amérindiennes ou bushinengués doit être soumis à l’avis préalable du conseil consultatifs des populations amérindiennes et bushinengués.

« Le conseil délibère sur le projet ou la proposition dans le mois de sa saisine. S’il ne s’est pas prononcé dans ce délai, son avis est réputé avoir été donné.

« Il est saisi, selon les cas, par le président de l’Assemblée de Guyane ou le représentant de l’État.

« Art. L. 4436-5. – Le conseil consultatif peut décider, à la majorité absolue de ses membres, de se saisir de toutes questions entrant dans le champ de compétences de la collectivité de Guyane et intéressant directement l’environnement, le cadre de vie ou les activités culturelles des populations amérindiennes et bushinengués. Il peut également être saisi de ces questions par le représentant de l’État.

« Art. L. 4436-6. – Le conseil consultatif des populations amérindiennes et bushinengués peut tenir des réunions communes avec le conseil économique, social et environnemental régional ou le conseil de la culture, de l’éducation et de l’environnement pour examiner des questions entrant dans leur champ commun de compétences ».

Article 5

Les langues amérindiennes et bushinengués sont reconnues comme langues régionales au titre de l’article 75-1 de la Constitution.

Sont entendues par langues amérindiennes les langues kali’na, lokono, palikur, teko, wayampi et wayana.

Sont entendues par langues bushinengués le saramaka et la langue des alukus, ndjukas et paramacas.


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