N° 3078 - Proposition de loi de M. Christian Estrosi visant à lutter contre les marges abusives afin d'aider nos éleveurs, renforcer le pouvoir d'achat et améliorer l'information du consommateur



N° 3078

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 29 septembre 2015.

PROPOSITION DE LOI

visant à lutter contre les marges abusives afin d’aider
nos éleveurs, renforcer le pouvoir d’achat et
améliorer
l’information du consommateur,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement

présentée par Mesdames et Messieurs

Christian ESTROSI, Damien ABAD, Bernard ACCOYER, Olivier AUDIBERT TROIN, Laurence ARRIBAGÉ, Marcel BONNOT, Jean-Claude BOUCHET, Éric CIOTTI, Édouard COURTIAL, Jean-Louis CHRIST, Marie-Christine DALLOZ, Jean-Pierre DECOOL, Bernard DEFLESSELLES, Nicolas DHUICQ, Lucien DEGAUCHY, Dominique DORD, Françoise GUÉGOT, Georges FENECH, Guy GEOFFROY, Charles-Ange GINESY, Jean-Claude GUIBAL, Thierry LAZARO, Véronique LOUWAGIE, Alain MARLEIX, Damien MESLOT, Pierre MOREL-A-L’HUISSIER, Dominique NACHURY, Yves NICOLIN, Bérengère POLETTI, Axel PONIATOWSKI, Josette PONS, Didier QUENTIN, Fernand SIRÉ, Claude STURNI, Alain SUGUENOT, Lionel TARDY, Jean-Luc REITZER, Patrice VERCHÈRE, Philippe VITEL, Michel VOISIN et Marie-Jo ZIMMERMANN,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Cette proposition reprend des éléments déjà proposés sous la précédente législature. Ce texte a aujourd’hui une signification toute particulière face à la crise majeure que connaît le monde agricole.

Face à celle-ci, le Gouvernement ne semble pas avoir pris conscience de la gravité de la situation, et cela malgré l’importante mobilisation des éleveurs ces dernières semaines. Il est temps d’agir : près de 10 % des exploitations d’élevage, soit entre 22 000 et 25 000, ont été au bord du dépôt de bilan ces derniers mois.

Au centre de cette crise, la question des prix agricoles et des marges est déterminante afin que les agriculteurs puissent vivre du fruit de leur travail et que nous mettions fin à l’opacité des prix fixés par la grande distribution et les intermédiaires. À cette fin, nous proposons notamment d’améliorer l’information du consommateur pour stopper les abus d’un rapport de force disproportionné au détriment des agriculteurs.

Si la négociation du prix par le client était encore envisageable à l’époque du troc, l’avènement du commerce de détail et plus particulièrement des grandes surfaces au milieu des Trente glorieuses a rendu difficile voire impossible la négociation du prix des produits de première nécessité.

Aujourd’hui, la France est le pays européen qui compte la plus forte concentration de grandes surfaces au mètre carré. Le pays compte 10 692 grandes surfaces alimentaires (1) et plus de 25 000 points de vente. Ce secteur employait plus de 630 000 personnes en 2007 (2). 90 % des achats en grandes surfaces se feraient aujourd’hui auprès des 5 centrales d’achats les plus importantes.

Ce monopole donne à la grande distribution un véritable pouvoir sur ses fournisseurs et sur ses producteurs. Nous avons le devoir de réduire ce rapport de force déséquilibré qui existe entre le petit producteur et la grande surface. Le consommateur serait également le grand gagnant d’une telle remise à plat. Il faut donc inciter à la transparence pour remettre de la confiance entre les acteurs.

Au regard de la fluctuation des prix qu’un client constate lorsqu’il va faire ses achats, chacun est en droit de se demander si la grande distribution répercute au centime près les hausses du cours des matières premières et répercute réellement les baisses ? Autrement dit, quelles sont les marges pratiquées par les grandes surfaces ?

Afin de tenter de répondre à ces questions, la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche du 27 juillet 2010 a créé un Observatoire des prix et des marges des produits alimentaires chargé de rendre un rapport annuel au Parlement sur ce sujet. Dès 2011, le premier rapport de cet observatoire dressait que « Les marges brutes de la distribution sur dix ans sont à la fois très confortables et peu influencées par l’effondrement des prix aux producteurs. » (3). Ce rapport concluait que la baisse des prix agricoles bénéficie systématiquement aux distributeurs qui paient moins cher leurs produits mais que ceux-ci ne répercutent pas pour autant la chute des prix au consommateur final.

Dans son dernier rapport au Parlement (2015), l’Observatoire constatait qu’après des années de hausse globale des prix agricoles et alimentaires, l’année 2014 se caractérise par un recul des prix à la production (à l’exception, notamment, du lait de vache et du blé dur), de l’ordre de - 5 % par rapport à 2013. Un repli global s’observe également en 2014 pour les prix des produits des industries alimentaires qui diminuent en moyenne de près de 2 %, et pour les prix à la consommation alimentaire qui baissent en moyenne de 0,7 %, première baisse annuelle observée depuis plusieurs années.

Alors, que faire face à cette situation ? Peut-on envisager d’encadrer les prix de certains produits ?

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’ordonnance de 1945 fixait une longue liste de produits (huile, carburant, pain...) dont les prix étaient administrés par le Gouvernement.

C’est en 1978 que René Monory, alors ministre du commerce et de l’industrie libéra les prix de ces produits. Cette libéralisation sera rendue effective par l’ordonnance du Gouvernement Chirac du 1er décembre 1986 qui pénalisait également la revente à perte. Cependant, le prix de l’eau, du gaz et des livres par exemple restait encadré.

En 1997, la loi Galland réduit la concurrence en retirant les marges arrières dans les critères d’interdiction de vente à perte. Cette loi imposait aux fournisseurs de publier officiellement un tarif unique pour leurs produits pour tous les distributeurs. Cette loi, fixait un prix minimum légal aux articles et a conduit à une uniformisation, en France, des prix de vente des biens de grande consommation, ne laissant aux distributeurs que les importations et les marques distributeurs pour se différencier par le prix.

Très décriée et accusée d’être responsable de la hausse des prix, cette loi est aménagée et partiellement remplacée en janvier 2006 par la loi Jacob-Dutreil qui ne fixait plus un seuil maximal mais un seuil plancher des prix.

Afin de réduire les marges des distributeurs et donc les prix de vente, ce qui permet d’accroître le pouvoir d’achat des ménages, deux lois sont encore votées en 2008.

La loi du 3 janvier 2008 pour le développement de la concurrence au service du consommateur permet aux distributeurs de transposer la totalité des marges arrières dans les prix de vente.

La loi de modernisation de l’économie (LME) d’août 2008, inspirée par la commission Attali, instaure la négociabilité des tarifs d’achat entre fournisseurs et distributeurs.

Enfin, suite la crise agricole en 2010, Bruno Le Maire, ministre de l’agriculture et de la pêche est parvenu à faire signer un accord le 17 mai 2010 entre les distributeurs et les producteurs sur une réduction des marges en période de crise. Il s’agit d’un engagement des distributeurs à « maintenir le taux de marge brute qu’ils ont pratiqué, en moyenne, au cours des trois dernières campagnes de commercialisation précédentes sur le rayon fruits et légumes ». Cet accord, signé entre l’État et le distributeur, ne vaut qu’en « situation de crise conjoncturelle constatée sur un produit », c’est-à-dire « lorsque le prix de vente par le producteur sera significativement inférieur à la moyenne des prix de vente sur les cinq dernières années en retirant la plus mauvaise et la meilleure ». En cas de non-signature, « les distributeurs, dont le chiffre d’affaires en fruits et légumes excède 100 millions d’euros, seront soumis à une taxe additionnelle à la taxe sur les surfaces commerciales ».

Malgré ces avancées significatives, le problème de la transparence des marges dans la grande distribution demeure.

S’ajoute à celui-ci un problème identique concernant les marges des industriels intermédiaires. Selon la filière, nos agriculteurs ne vendent pas directement leur production à la grande distribution mais à des intermédiaires qui transforment celle-ci. La crise agricole de cet été a montré que nos éleveurs étaient confrontés à une situation oligopolistique de certains de ces intermédiaires, venant fausser la négociation entre le producteur et l’intermédiaire. Or la baisse durable des prix des produits agricoles à la production a pour conséquence dramatique que les coûts de la production des éleveurs ne sont plus couverts. Pour protéger nos éleveurs, il est nécessaire également de réguler ces marges avec les acheteurs intermédiaires.

Afin d’agir concrètement pour nos producteurs et les consommateurs, cette proposition envisage plusieurs mesures.

L’article 1 contraint la grande distribution à mettre à la disposition du consommateur un cahier qui indique le triple affichage pour les produits de première nécessité c’est-à-dire l’affichage du prix d’achat aux producteurs par les distributeurs et le cas échéant par les intermédiaires et producteurs aux agriculteurs lorsqu’il y a transformation, du prix de vente des distributeurs aux grandes et moyennes surfaces, ainsi que du prix de vente au consommateur. Le consommateur pourra ainsi disposer d’une information réelle et fiable sur les marges de la grande distribution et des intermédiaires.

L’article 2 suggère d’imposer aux grandes surfaces de donner annuellement leur marge nette à l’Observatoire des prix et marges des produits alimentaires afin de disposer d’une vision objective des marges qu’elles prennent. Le montant de la taxe additionnelle serait égal à trois fois le produit entre d’une part le montant dû au titre de la taxe sur les surfaces commerciales (TASCOM) et d’autre part le rapport entre le montant total des ventes du produit et le chiffre d’affaires total. Il est à noter que cette taxe additionnelle est déjà due par les grandes surfaces qui ne respectent pas ou ne signent pas d’accord de modération des marges.

L’article 3 vise à limiter la marge des grandes surfaces et des industriels à 20 % pour chaque produit de première nécessité vendu et dont la liste sera définie par décret pris après avis du Conseil national de la consommation.

S’agissant de la compatibilité de cette dernière mesure avec le droit communautaire, la Cour de justice des Communautés européennes (CJCE ) considère que « les dispositions du droit communautaire laissent intact le pouvoir des États membres, sans préjudice d’autres dispositions du Traité, de prendre les mesures appropriées en matière de formation des prix aux stades du commerce de détail et de la consommation, à condition qu’elles ne mettent pas en danger les objectifs ou le fonctionnement de l’organisation commune de marché en question » (CJCE 23 janvier 1975, aff. 31/74, Galli).

La CJCE a ainsi précisé que « la fixation d’une marge commerciale maximale à prélever par le détaillant dans la vente au consommateur final n’est pas de nature, en principe, à mettre en danger les objectifs et le fonctionnement [de l’OCM], dès lors que la marge est pour l’essentiel calculée à partir des prix d’achat, tels qu’ils sont pratiqués aux stades de la production et du commerce de gros » ; (CJCE, Dechmann précité, voir aussi CJCE 5 juin 1985, aff. 116/84 Roelsraete, et CJCE 17 janvier 1980 aff. 95/79 et 96/79 Keffer et Delmelle).

Enfin l’article 4 propose d’imposer la communication des marges des intermédiaires à l’Observatoire des prix et marges des produits alimentaires afin que le consommateur soit en capacité de pouvoir comparer les prix d’achat et de vente. De plus, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) aura ainsi les moyens de pouvoir comparer les marges et sanctionner les comportements abusifs.

Ces mesures de justice sociale qui ont vocation à redistribuer les fruits du travail plus équitablement contribueront également à apaiser les relations entre clients et fournisseurs.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

L’article L. 113-3 du code de la consommation est complété par quatre alinéas ainsi rédigés :

« Les moyennes et grandes surfaces doivent tenir à la disposition de leur client, pour les produits de première nécessité dont la liste est fixée par décret après avis du Conseil national de la consommation, un tableau comparatif comprenant :

« 1° le prix d’achat aux producteurs par les distributeurs et le cas échéant par les industriels intermédiaires aux agriculteurs ;

« 2° le prix de vente des distributeurs aux moyennes et grandes surfaces ;

« 3° le prix de vente au consommateur ».

Article 2

Le I de l’article 302 bis ZA du code général des impôts est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« – elles refusent d’indiquer leurs marges nettes à l’Observatoire des prix et des marges des produits alimentaires prévu à l’article 691-1 du code rural et de la pêche maritime ».

Article 3

Après le deuxième alinéa de l’article L. 410-2 du code du commerce, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les marges brutes des distributeurs et des industriels ne peuvent dépasser 20 % pour chaque produit de première nécessité vendu figurant sur une liste fixée par décret pris après avis du Conseil national de la consommation ».

Article 4

Après le troisième alinéa de l’article L. 692-1 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les industriels, intermédiaires agricoles et distributeurs ont obligation de transmettre annuellement leurs marges à l’Observatoire. Celles-ci sont collectées dans une base de données informatiques publiées sur Internet. La Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF) a autorité pour s’assurer de cette transmission. »

1 () Atlas de la distribution paru en 2008

2 () Source INSEE

3 () Rapport au Parlement de la formation de observatoire des prix et des marges des produits alimentaires de juin 2011-07-10.


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