N° 3082 - Proposition de loi de M. Guillaume Larrivé renforçant la lutte contre le hooliganisme



N° 3082

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 29 septembre 2015.

PROPOSITION DE LOI

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mesdames et Messieurs

Guillaume LARRIVÉ, Damien ABAD, Élie ABOUD, Bernard ACCOYER, Julien AUBERT, Jean-Pierre BARBIER, Jean-Claude BOUCHET, Valérie BOYER, Luc CHATEL, Alain CHRÉTIEN, Dino CINIERI, Philippe COCHET, Marc-Philippe DAUBRESSE, Jean-Pierre DECOOL, Laurent DEGALLAIX, Daniel FASQUELLE, Georges FENECH, Marie-Louise FORT, Yves FOULON, Laurent FURST, Guy GEOFFROY, Bernard GÉRARD, Daniel GIBBES, Claude GOASGUEN, Philippe GOSSELIN, Patrick HETZEL, Marc LE FUR, Pierre LELLOUCHE, Lionnel LUCA, Alain MARLEIX, Damien MESLOT, Pierre MOREL-A-L’HUISSIER, Bernard PERRUT, Bérengère POLETTI, Josette PONS, Didier QUENTIN, Jean-Luc REITZER, François SAUVADET, Éric STRAUMANN, Lionel TARDY, Guy TEISSIER, Patrice VERCHÈRE et Philippe VIGIER,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le début de la saison de football 2015-2016 a été marqué par divers incidents.

Mais les événements qui se sont déroulés le week-end des 19 et 20 septembre à Reims et surtout à Marseille, à l'occasion du match Marseille-Lyon, sont d'une toute autre gravité. Ils impliquent sans délai une remobilisation de tous les acteurs pour mettre hors d'état de nuire ces individus qui donnent la plus mauvaise image du football, du sport en général et plus globalement de notre pays.

Le dispositif législatif doit être renforcé pour permettre aux clubs d'assurer concrètement toutes leurs responsabilités et, en particulier, pour interdire l'accès aux stades de ces individus indésirables.

Il faut également renforcer le régime de l’interdiction administrative de stade.

À quelques mois de l'Euro 2016, il est absolument indispensable que notre pays démontre sa capacité à assurer en toutes circonstances la sécurité aux abords et dans les stades à l'occasion des matchs de football. Il en va de sa crédibilité.

En 2009 et en 2010, à la demande du Président de la République Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux, ministre de l’intérieur, prit tout un ensemble de mesures pour lutter contre le hooliganisme en liaison étroite avec la ligue professionnelle de football et avec les acteurs du monde de football :

- des mesures opérationnelles avec la création de la division nationale de lutte contre le hooliganisme en octobre 2009, laquelle fut confiée à un commissaire de la police nationale expérimenté : cette division nationale est chargée, au sein de la direction centrale de la sécurité publique, de coordonner les capacités de renseignement, d’identifier les cas individuels à risque et d’apporter aux préfets un appui renforcé pour l’organisation des dispositifs d’ordre public lors des matchs de football. Dans le même temps, furent mises en place des unités spécialisées pour l’intervention dans les stades ;

- des mesures législatives et réglementaires, lesquelles ont sensiblement renforcé les dispositions susceptibles d’être prises en matière de police administrative pour prévenir les troubles à l’ordre public : allongement de la durée des interdictions administratives de stade, obligation en cas d’interdiction administrative de stade de pointage au commissariat, possibilité de rendre cette obligation de pointage obligatoire au moment où certaines manifestations sportives se déroulent sur le territoire d’un État étranger, possibilité pour le ministre de l’intérieur d’interdire le déplacement individuel et collectif de personnes se prévalant de la qualité de supporters ou se comportant comme tels et dont la présence est susceptible d’occasionner des troubles graves pour l’ordre public, possibilité autour d’un stade de définir un périmètre dont l’accès est interdit aux supporters ou prétendus tels, susceptibles de créer des troubles graves à l’ordre public, communication de l’identité des personnes faisant l’objet d’une interdiction administrative de stade aux autorités d’un pays étranger lorsque celui-ci accueille une manifestation sportive à laquelle participe une équipe française.

Ces mesures prévues par le code du sport (art. L. 332-16 et suivants) ont été validées par le Conseil constitutionnel lors de l’examen de la loi du 14 mars 2011 sur la sécurité intérieure (cf. Décision n° 2011-625 DC du 10mars 2011(1).

Sept associations de supporters ou groupements de fait ont été dissous par décrets en date du 28 avril 2010, l’ensemble de ces dissolutions ayant été confirmées par le Conseil d’État statuant au contentieux (Conseil d’État, 7 juin 2010).

Ces mesures, la mobilisation des forces de police et de gendarmerie, la multiplication des interdictions administratives de stade ainsi que les dispositions prises par plusieurs clubs ont eu d’incontestables résultats. Comme le ministre de l’intérieur de l’époque l’avait voulu, les familles ont pu revenir dans les stades sans crainte pour leur sécurité.

Ces résultats ont d’ailleurs été reconnus par le Gouvernement actuel puisque dans un communiqué de presse en date du 14 janvier 2014 celui-ci indiquait : « la lutte contre le hooliganisme et les violences périsportives, menée par les pouvoirs publics en partenariat constant avec l’ensemble des acteurs du monde de football, a permis d’enregistrer ces quatre dernières années des progrès notables dans la pacification des stades de ligues 1 et 2 ainsi que de leurs abords ».

Cependant, périodiquement, des groupes radicaux et violents de prétendus supporters s’illustrent encore, bien loin des valeurs sportives. Le bilan de la saison 2014-2015 des championnats professionnels des ligues 1 et 2 établi par la division nationale de lutte contre le hooliganisme fait ainsi état « d’une recrudescence des comportements incivils des supporters ultras… ainsi que de la radicalisation du comportement d’une frange de supporters issus de la mouvance ultra ».

Il est donc indispensable d’éradiquer les comportements haineux intolérables d’une minorité d’individus qui gangrènent encore les travées de certains stades ou tentent d’y pénétrer et qui ne sont évidemment pas représentatifs de l’immense majorité des supporters.

À ce titre, il convient de régler dès maintenant deux séries de questions.

D’une part, il faut donner aux clubs de football la capacité effective d’exercer les responsabilités qui sont les leurs en matière de sécurité dans les stades : ceci implique en particulier qu’ils puissent refuser l’accès à l’enceinte sportive aux personnes qui, en raison de leur comportement, ont porté atteinte ou sont susceptibles de porter atteinte à la sécurité des personnes et des biens et au bon déroulement de ces manifestations, et puissent tenir un fichier de ces personnes.

D’autre part, il est nécessaire d’aller plus loin en ce qui concerne la prévention des comportements violents répétés et l’éloignement des manifestations sportives de leurs auteurs afin d’assurer la sécurité dans le stade et le respect des spectateurs, des joueurs et des arbitres.

Tel est l’objet de la présente proposition de loi.

L’article 1 donne la possibilité pour les clubs de football professionnel de refuser la vente de billets à certains spectateurs et de mettre en place un fichier des hooligans, qui ne sont pas de vrais supporters puisqu'ils méconnaissent totalement les valeurs sportives.

Les clubs de football, en tant qu’organisateurs de manifestations sportives à but lucratif, ont des responsabilités en matière de sécurité de ces manifestations, ainsi qu’il résulte des articles L. 332-1 et suivants du code du sport : organisation d’un service d’ordre, notamment article L. 332-1 du code du sport.

Par ailleurs, différents faits ou comportements sont pénalement sanctionnés:

- le fait d'introduire ou de tenter d'introduire par force ou par fraude dans une enceinte sportive, lors du déroulement ou de la retransmission en public d'une manifestation sportive, des boissons alcooliques (article L. 332-3) ;

- le fait d'accéder en état d'ivresse à une enceinte sportive lors du déroulement ou de la retransmission en public d'une manifestation sportive (article L. 332-4) ;

- le fait d'avoir, en état d'ivresse, pénétré ou tenté de pénétrer par force ou par fraude dans une enceinte sportive lors du déroulement ou de la retransmission en public d'une manifestation sportive (article L. 332-5) ;

- lors d'une manifestation sportive ou de la retransmission en public d'une telle manifestation dans une enceinte sportive, le fait de provoquer, par quelque moyen que ce soit, des spectateurs à la haine ou à la violence à l'égard de l'arbitre, d'un juge sportif, d'un joueur ou de toute autre personne ou groupe de personnes (article L. 332-6) ;

- le fait d'introduire, de porter ou d'exhiber dans une enceinte sportive, lors du déroulement ou de la retransmission en public d'une manifestation sportive, des insignes, signes ou symboles rappelant une idéologie raciste ou xénophobe (article L. 332-7) ;

- le fait d'introduire, de détenir ou de faire usage des fusées ou artifices de toute nature ou d'introduire sans motif légitime tous objets susceptibles de constituer une arme au sens de l'article 132-75 du code pénal dans une enceinte sportive lors du déroulement ou de la retransmission en public d'une manifestation sportive (article L. 332-8) ;

- le fait de jeter un projectile présentant un danger pour la sécurité des personnes dans une enceinte sportive lors du déroulement ou de la retransmission en public d'une manifestation sportive (article L. 332-9) ;

- le fait d'utiliser ou de tenter d'utiliser les installations mobilières ou immobilières de l'enceinte sportive comme projectile (article L. 332-9) ;

- le fait de troubler le déroulement d'une compétition ou de porter atteinte à la sécurité des personnes ou des biens, en pénétrant sur l'aire de compétition d'une enceinte sportive (article L. 332-10).

Autant de faits ou comportements qui obligent les clubs à prendre des mesures pour prévenir de tels faits ou comportements et pour ne pas voir, en l’absence de telles mesures, leur responsabilité engagée à un titre ou à un autre pour complicité ou inaction.

Par ailleurs, est sanctionné le fait de participer au maintien ou à la reconstitution, ouverte ou déguisée, d'une association ou d'un groupement dissous en application de l'article L. 332-18, ainsi que le fait de participer aux activités qu'une association suspendue d'activité s'est vue interdire en application du même article (article L. 332-19).

Ceci implique pour les clubs qui ont eu de tels groupes dissous une vigilance particulière pour ne pas être mis en cause, directement ou indirectement, lors de telles actions de maintien ou de reconstitution.

Ces différentes obligations - sans parler de l’image du club, ni de sa raison d’être qui est d’accueillir dans les meilleures conditions le maximum de spectateurs et de supporters - conduisent les clubs à fixer des conditions générales pour la vente des billets pour prévenir et/ou éviter la reproduction de faits de la nature de ceux évoqués ci-dessus. Ceci les conduit aussi, pour mettre en œuvre leurs obligations en matière de sécurité, à souhaiter disposer de fichiers des personnes ayant ou susceptibles d’avoir les comportements répréhensibles évoquées ci-dessus, et donc d’avoir des fichiers dits d’exclusion. Ces fichiers sont notamment indispensables lorsque de tels faits ont été commis pour prévenir de nouveaux faits dans l’attente de la mise en œuvre des sanctions administratives et/ou pénales pour les faits initiaux.

Si la détention de fichiers des interdits de stade communiqués par l’autorité judiciaire ou administrative ne semble pas soulever de difficultés compte tenu de l’obligation faite aux autorités de communiquer ces interdictions aux clubs concernés notamment en application de l’article L. 332–16 du code du sport, en revanche la création de fichiers pour des personnes ayant ou susceptibles d’avoir les comportements répréhensibles évoquées ci-dessus se heurte à de réelles difficultés juridiques.

Dans le principe, la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL) ne semblait pourtant pas écarter, bien au contraire, de tels fichiers ainsi qu’il résulte d’une mise en demeure datée du 16 septembre 2013 concernant le PSG : « Au mois de novembre 2012, la CNIL a effectué un contrôle dans les locaux de la société Paris Saint-Germain Football. Ce contrôle a révélé la mise en œuvre de deux systèmes d'exclusion des personnes des rencontres auxquelles l'équipe du PSG participe.

Le premier se fonde sur les interdictions de stade prononcées par les autorités compétentes. Toute personne qui achète un billet se voit refuser l'entrée de l'enceinte sportive si elle est interdite de stade.

Le second est un système d'exclusion des personnes indésirables, considérées par le PSG comme ayant un comportement non conforme aux valeurs du club à l'occasion des rencontres de football ou de handball.

Aucun de ces deux systèmes d'exclusion ne pouvait être légalement mis en œuvre, faute d'avoir été préalablement autorisé par la CNIL. S'agissant particulièrement du second système d'exclusion, non prévu par des dispositions légales, le PSG aurait dû déposer une demande d'autorisation en démontrant notamment que le dispositif se fonde sur des critères déterminés, explicites et légitimes….

Il convient par ailleurs de rappeler aux organismes, en particulier du secteur sportif, que les traitements d'exclusion sont soumis à l'autorisation préalable de la CNIL et ne peuvent être mis en œuvre que dans le respect des garanties de la loi “informatique et libertés”. »

Rien dans cette mise en demeure n’excluait un fichier des « indésirables » ; au contraire le mode d’emploi était indiqué. Dans la pratique cependant, le fichier des interdits a été autorisé, mais pas celui dit des « indésirables ».

La CNIL a en effet sensiblement restreint la portée de cette liste d’exclusion. Par une délibération du 30 janvier 2014, la CNIL a, sur le fondement des dispositions de la loi du 6 janvier 1978, autorisé un club à mettre en œuvre un traitement automatisé de données à caractère personnel pour constituer une liste d’exclusion des clients ayant contrevenu aux conditions générales de vente et au règlement intérieur du stade, mais la CNIL a, cependant, limité cette autorisation aux seules données relatives à l’existence d’un impayé, au défaut de respect des règles de billetterie, à l’exercice d’une activité commerciale interdite dans l’enceinte sportive et à celle de l’exercice de paris dans l’enceinte sportive sur le match en cours et a, par ailleurs, limité la durée d’exclusion des clients figurant sur la liste pour ne pas avoir payé leurs billets à la durée du défaut de paiement.

La CNIL a estimé qu’un club de football « en l’absence d’une disposition législative spécifique, ne peut être autorisé à mettre en œuvre un traitement de données à caractère personnel relatif à des infractions, condamnations ou mesures de sûreté pour sanctionner de sa propre initiative des infractions pénales supposées, ou pour prévenir la survenance de troubles à l’ordre public.

Au regard de ces éléments, la Commission considère que seuls les motifs suivants peuvent donner lieu à un enregistrement dans le traitement automatisé de données à caractère personnel soumis à son examen :

- existence d’un impayé ;

- non-respect des règles de billetterie (prêt et revente d’un abonnement ou d’un titre d’accès en violation des conditions générales de vente) ;

- activité commerciale dans l’enceinte sportive en violation des conditions générales de vente ;

- paris dans l’enceinte sportive sur le match en cours… ».

Ces seuls motifs sont loin, cependant, de couvrir à eux seuls les différentes obligations qui pèsent sur les clubs de football précédemment évoquées.

Saisi d’un référé contre cette délibération de la CNIL, le Conseil d’État a considéré que la condition d’urgence n’était pas remplie et a rejeté la requête en référé du club (ordonnance du 9 mai 2014 n° 377193 du Conseil d’État).

Contrairement à ce qui a pu être indiqué ici et là, la récente autorisation du fichier « STADE » de la préfecture de police ne règle pas le problème posé aux clubs de football.

Ce fichier, autorisé par arrêté du ministre de l’intérieur du 15 avril 2015, a pour objet d’autoriser le préfet de police (direction de la sécurité de proximité de l'agglomération parisienne) à mettre en œuvre un traitement automatisé de données à caractère personnel dénommé « fichier STADE », afin de prévenir les troubles à l'ordre public, les atteintes à la sécurité des personnes et des biens ainsi que les infractions susceptibles d'être commises à l'occasion :

- des manifestations sportives et des rassemblements en lien avec ces manifestations se tenant dans le ressort des départements de Paris, des Hauts-de-Seine, de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne ;

- des manifestations sportives du club du « Paris–Saint-Germain » et des rassemblements liés à ces manifestations se tenant à l'extérieur des départements précités.

Ce traitement a également pour finalité de faciliter la constatation de ces infractions et la recherche de leurs auteurs. En application de l’article 5 de l’arrêté, peuvent notamment être destinataires des données et informations du traitement les associations et sociétés sportives, ainsi que les fédérations sportives agréées.

Toutefois, ce fichier comporte de nombreuses limites:

- d’abord, il ne concerne que la préfecture de police : ainsi que la CNIL l’a indiqué dans son avis du 4 décembre 2014, « la commission prend acte qu'en dehors du périmètre de compétence de la préfecture de police de Paris, seules les manifestations sportives du club du Paris-Saint-Germain et les rassemblements liés à ces manifestations seront concernés par le traitement STADE, quelles que soient les équipes et les disciplines concernées, à l'exclusion de tout autre club » ;

- en deuxième lieu, ce fichier ne vise que les supporters entendus strictement ainsi que le note également la CNIL : ne relèvent pas de ce fichier « les personnes qui seraient susceptibles de troubler l'ordre public lors d'une manifestation sportive ou d'un rassemblement en lien avec cette manifestation, mais qui ne se prévaudraient pas de la qualité de supporter d'un club ou ne se comporteraient pas comme tel » ;

- en troisième lieu, toutes les données et informations du fichier ne seront pas communicables au club concerné ou, lors d’un déplacement, aux autres clubs. Ainsi que l’a précisé dans la presse le commissaire Boutonnet, le responsable de la division nationale de lutte contre le hooliganisme, seules les données sur les interdits de stade seront communiquées aux clubs. Il convient, en outre, de souligner que présentement ce fichier ne peut, en tout état de cause, produire des effets juridiques puisque par une ordonnance du 13 mai 2015, association de défense et d’assistants juridiques des intérêts des supporters et autres, le juge des référés du Conseil d’État a suspendu l’utilisation du fichier « STADE » jusqu’à ce que le Conseil d’État statue au contentieux sur sa légalité ;

- enfin, et en tout état de cause, cet arrêté n’autorise nullement les clubs de football à créer un fichier d’exclusion ; tout au plus permet-il de leur transmettre certaines informations.

Au total, pour nécessaire que soit ce fichier pour l’autorité administrative, par lui-même ce fichier ne règle concrètement pour les clubs aucun des problèmes précédemment évoqués.

Ainsi, concrètement si des « supporters » sont mis en cause lors d’un déplacement d’un club (par exemple comme au printemps 2015 à Nantes pour avoir pénétré dans le stade, puis dans une tribune nantaise alors même qu’ils auraient appartenu à un groupe dissous), le club n’en sera officiellement informé que s’il y a interdiction de stade et donc vraisemblablement, compte tenu des délais de procédure, après le prochain match voire après le prochain déplacement ; et s’il n’y a pas d’interdiction de stade, le club n’en sera pas informé au titre du fichier « STADE », et ne pourra en tout état de cause pas introduire alors leur nom dans un fichier qu’il tiendrait , et ce alors même que le comportement de ces personnes justifierait que le club prenne des dispositions préventives.

Outre qu’ils sont indispensables pour les clubs pour les raisons indiquées précédemment pour assurer leurs obligations en matière de sécurité, la constitution de fichiers d’exclusion et la possibilité de refuser la délivrance de titres d’accès ne se heurtent ni aux obligations prévues par le code la consommation en matière de vente de billets, ni à l’existence de mesures d’interdiction de stade décidées par les pouvoirs publics.

Aux termes de l’article L. 122-1 du code la consommation, « il est interdit de refuser à un consommateur la vente d'un produit ou la prestation d'un service, sauf motif légitime, et de subordonner la vente d'un produit à l'achat d'une quantité imposée ou à l'achat concomitant d'un autre produit ou d'un autre service ainsi que de subordonner la prestation d'un service à celle d'un autre service ou à l'achat d'un produit dès lors que cette subordination constitue une pratique commerciale déloyale au sens de l'article L. 120-1. »

Or il ressort des commentaires de la doctrine sur cet article, et en l’absence, semble-t-il, de toute jurisprudence, que la sécurité est un motif légitime au sens de ces dispositions pour refuser une vente.

Par ailleurs, l’existence de mesures de police administrative d’interdictions de stade ou de décisions de justice comportant notamment des interdictions judiciaires de stade ne saurait être interprétée ou avoir pour effet de dispenser les clubs de leurs obligations : les clubs agissent en amont et pour des degrés de gravité moindre que les mesures de police administrative ou judiciaires, lesquelles sont en outre soumises à des règles de procédure qui impliquent des délais.

Considérer que, dès lors que l’action publique peut s’exercer, cela empêche les clubs d’agir, serait :

- mêler deux niveaux de responsabilité différents ;

- obliger la puissance publique à intervenir elle-même pour des niveaux d’incident pour lesquels elle n’a pas les moyens de se mobiliser - c’est d’ailleurs pour cette raison que le législateur a fixé des obligations aux organisateurs de manifestations sportives -, et donc remettre en cause la logique de partage des responsabilités voulue par le législateur et qui prévaut en la matière maintenant depuis plusieurs décennies ;

- perdre de l’efficacité opérationnelle, laquelle impose une riposte graduée.

Il convient d’ailleurs d’observer que la CNIL retient, dans la délibération précitée, au titre des motifs pouvant justifier l’enregistrement dans un fichier d’exclusion non seulement des motifs liés à la billetterie mais aussi des motifs qui ne sont pas sans lien avec l’ordre public et en tout cas pas en lien avec la billetterie : paris dans l’enceinte sportive sur le match en cours… Ainsi, d’ores et déjà, la CNIL, elle aussi, admet que la puissance publique ne peut pas tout faire.

Les pouvoirs publics sont bien conscients des limites actuelles de la législation au regard du comportement de certains individus et en particulier des manœuvres dites de « contre-parcages » destinées à contourner les systèmes de billetterie. Ainsi que le relève à ce propos le dernier rapport de la division nationale de lutte contre le hooliganisme : « Bien que la billetterie soit l’une des principales ressources financières des clubs, elle conditionne également les flux de supporters et par voie de conséquence la sécurité dans et aux abords des stades. La législation ne permet pas d’éviter ce type de manœuvre dans la durée et il conviendrait d’engager une réflexion sur le sujet afin d’éviter que cette méthode ne se pérennise et ne s’étende à d’autres groupes de supporters. »

Pour ces raisons, il paraît impérieux de reconnaître aux clubs la possibilité, d’une part, de mieux contrôler la délivrance des titres d’accès aux manifestations sportives et, d’autre part, de rendre possible la création d’un fichier d’exclusion des personnes ne respectant pas les conditions générales de vente de leur billetterie dont le comportement porte atteinte à la sécurité des personnes ou des biens, au bon déroulement de ces manifestations ainsi qu’au respect des joueurs, des arbitres et des spectateurs.

À défaut d’être consacrée par la CNIL, cette question doit trouver sa solution dans la loi, solution à laquelle la CNIL fait d’ailleurs expressément référence dans délibération du 30 janvier 2014, prise « en l’absence d’une disposition législative spécifique ».

Régler cette question est une nécessité pour les clubs de football pour leur permettre d’assurer leurs obligations en matière de sécurité et de bon déroulement des manifestations sportives, et d’accueillir dans les meilleures conditions le maximum de supporters : il faut combler la faille qui existe dans le dispositif actuel.

Régler cette question est aussi une nécessité pour l’État : si les clubs ne jouent pas leur rôle en la matière parce qu’ils ne peuvent pas le jouer faute d’outils adaptés, l’État sera contraint de les suppléer d’une façon ou d’une autre, ce qui serait un recul au moment où les forces de police et de gendarmerie ont des missions plus prioritaires et où, grâce aux efforts conjoints clubs et État, les formes violentes de hooliganisme ont très sensiblement régressé à Paris tout spécialement.

L’article 2 prévoit un renforcement des mesures de prévention des comportements violents répétés.

Le 14 janvier 2014, dans le communiqué de presse précité, le Gouvernement avait fait part de son intention de renforcer l’efficacité des mesures administratives et des sanctions judiciaires tout particulièrement les interdictions individuelles de stade, dont la durée, soulignait-il, gagnerait à être augmentée à l’instar de ce qui se pratique dans d’autres pays européens.

La législation n’a cependant pas encore été modifiée à cet effet.

En l’état actuel des dispositions applicables telles qu’elles résultent de l’article L. 332–16 du code du sport dans sa rédaction issue de la loi n° 2011–267 du 14 mars 2011, les mesures d’interdiction administrative de stade ne peuvent excéder une durée de douze mois, cette durée pouvant toutefois être portée à vingt-quatre mois si dans les trois années précédentes la personne en cause a déjà fait l’objet d’une mesure d’interdiction.

Dans la pratique, cette durée plafond de douze mois ne permet pas toujours de tenir compte de la diversité des situations individuelles rencontrées, rend difficile la possibilité de prendre une mesure valant pour la fin d’une saison sportive mais également pour toute la saison sportive suivante, ne rend pas aisée une gradation dans les mesures susceptibles de concerner une même personne. En effet, les autorités ne retiennent pas d’emblée la durée maximale de 12 mois et sont souvent retenues des durées d’interdiction trop courtes pour être pleinement efficaces et dissuasives.

Pour les cas les plus graves survenant en début de saison - période durant laquelle il est très important de ne pas laisser s’installer des comportements violents -, l’autorité administrative doit avoir la possibilité de prendre une mesure couvrant la saison en cours et la saison suivante. D’où la durée maximale de vingt-quatre mois.

Il convient par ailleurs de noter qu’au plan européen la durée de ces interdictions administratives de stade est généralement supérieure à un an et est souvent de deux années.

Il apparaît donc nécessaire de donner plus de latitude pour la mise en œuvre du dispositif d’interdiction administrative de stade et de renforcer ainsi son efficacité.

Conformément à ce qu’avait annoncé le Gouvernement en janvier 2014, il est donc proposé de porter à vingt-quatre mois la durée maximale d’une première interdiction administrative de stade et à trente-six mois en cas de récidive.

Il paraît impérieux de régler cette question sans tarder dans la perspective de la saison en cours et des saisons à venir et de celle de l’Euro 2016 de façon à disposer du dispositif le plus dissuasif possible.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

L’article L. 332-1 du code du sport est complété par l’alinéa suivant :

« Aux fins d’assurer la sécurité des manifestations sportives, les organisateurs de ces manifestations à but lucratif peuvent refuser ou annuler la délivrance de titres d’accès à ces manifestations, ou en refuser l’accès aux personnes qui, en raison de leur comportement, ont porté atteinte ou sont susceptibles de porter atteinte à la sécurité des personnes ou des biens ou aux dispositions prises par les organisateurs pour assurer le bon déroulement de ces manifestations. À cet effet, les organisateurs de ces manifestations sont autorisés à établir un fichier de données pertinentes relatives à ces personnes, et à les conserver pendant une durée maximale de trois ans. »

Article 2

À la deuxième phrase du deuxième alinéa de l’article L. 332-16 du code du sport, le mot : « douze » est remplacé par le mot : « vingt-quatre » et, à la troisième phrase du même alinéa du même article, le mot : « vingt-quatre » par le mot : « trente-six ».

1 () « 50. Considérant que les dispositions contestées renforcent les pouvoirs de police administrative en cas de grands rassemblements de personnes, à l'occasion d'une manifestation sportive, qui sont susceptibles d'entraîner des troubles graves pour l'ordre public ; qu'il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge, de définir, à partir de critères objectifs et avec précision, les personnes ou catégories de personnes faisant l'objet des mesures de restriction de déplacement ; que ces mesures doivent être justifiées par la nécessité de sauvegarder l'ordre public et ne pas porter une atteinte disproportionnée à la liberté d'aller et venir ; qu'elles peuvent être contestées par les intéressés devant le juge administratif, notamment dans le cadre d'un référé-liberté ; qu'eu égard aux objectifs que s'est assignés le législateur et à l'ensemble des garanties qu'il a prévues, les dispositions contestées sont propres à assurer, entre le respect de la liberté d'aller et venir et la sauvegarde de l'ordre public, une conciliation qui n'est pas manifestement déséquilibrée ».


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