N° 3708 - Proposition de loi constitutionnelle de M. Alain Suguenot limitant le recours aux dispositions fiscales rétroactives



N° 3708

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 avril 2016.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

limitant le recours aux dispositions fiscales rétroactives,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Alain SUGUENOT, Jean-Louis CHRIST, Édouard COURTIAL, Marc-Philippe DAUBRESSE, Jean-Marie SERMIER, Franck MARLIN, Damien ABAD, Jean-Michel COUVE, Jean-Claude BOUCHET, Éric STRAUMANN, Jean-Pierre VIGIER, Patrick HETZEL, Nicolas DHUICQ, Philippe VIGIER, Alain MARSAUD, Alain CHRÉTIEN, Jean-Pierre DECOOL, Valérie LACROUTE, Bernard ACCOYER, Fernand SIRÉ, Arlette GROSSKOST, Damien MESLOT, Lucien DEGAUCHY, Jean-Claude MATHIS, Catherine VAUTRIN, Jean-Claude GUIBAL, Michel ZUMKELLER, Luc CHATEL, Alain MOYNE-BRESSAND, Xavier BRETON, Bernard PERRUT, Bérengère POLETTI, Michel VOISIN, Alain MARTY, Virginie DUBY-MULLER, François SAUVADET, Philippe GOSSELIN, Michèle TABAROT, Frédéric REISS, Jean-Jacques GUILLET, Lionel TARDY, Michel HEINRICH, Bernard GÉRARD, Patrice VERCHÈRE, Jean-Pierre DOOR, Dominique NACHURY, Pierre LELLOUCHE, Bernard BROCHAND, Michel HERBILLON, Jean-Luc REITZER, Claude GOASGUEN, Philippe BRIAND, Thierry LAZARO, Marie-Louise FORT, Guillaume CHEVROLLIER, Marie-Jo ZIMMERMANN, Charles-Ange GINESY, Véronique LOUWAGIE, Guy TEISSIER, Yannick MOREAU, Alain MARLEIX et Laure de LA RAUDIÈRE,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« L’office de la loi est régler l’avenir, le passé n’est plus en son pouvoir. Partout où la rétroactivité serait admise, non seulement la sûreté n’existerait plus, mais son ombre même...

Que deviendrait donc la liberté civile si le citoyen pouvait craindre qu’après coup, il serait exposé au danger d’être recherché dans ses actions ou troublé dans ses droits acquis, par une loi postérieure ? ».

Ce principe, énoncé par Jean-Etienne Marie Portalis, au XVIIIe siècle pourrait aujourd’hui sembler être un vœu pieux pour nombre de contribuables assujettis aux règles du droit fiscal français. Simples citoyens ou opérateurs économiques, nombre de redevables français partagent actuellement le constat d’observateurs avisés de notre système fiscal selon qui, « les avocats ou conseils spécialisés en droit fiscal sont unanimes à dénoncer les conditions d’application dans le temps des lois fiscales françaises ; aux yeux de leurs clients étrangers, la rétroaction donne à la France, cet État de Droit, des discours officiels, l’image d’une République bananière ».

Dans son rapport de 1994, relatif à la fiscalité et à la vie des entreprises, le Conseil des impôts, après avoir relevé le nombre croissant de dispositions fiscales rétroactives dans notre droit, estimait d’ailleurs que « les lois fiscales rétroactives, notamment interprétatives, apparaissent soumises en France, à des exigences constitutionnelles moins sévères qu’à l’étranger ».

La rétroactivité fiscale semble donc être une exception française supplémentaire, au moment où la concurrence fiscale fait rage et où se pose de manière accrue la question de l’attractivité de notre territoire.

La jurisprudence du Conseil constitutionnel a, certes, restreint le champ de la rétroactivité fiscale dans ses décisions n° 80-126 DC du 30 décembre 1980, 86-223 DC du 29 décembre 1986, 95-369 DC du 28 décembre 1995, 98-404 DC du 18 décembre 1998 et 2002-458 DC du 7 février 2002.

Au demeurant, le sentiment d’insécurité juridique est de plus en plus présent chez les contribuables et opérateurs économiques.

Il est donc nécessaire de faire évoluer notre droit pour établir des relations plus transparentes et plus confiantes entre le citoyen et l’État, à l’instar de nos voisins européens qui appliquent le principe de sécurité juridique, notamment en matière fiscale.

Ce principe, consacré par la Cour de justice des communautés européennes (CJCE) dans ses arrêts du 9 juillet 1969 Portelange c/Smith corona Merchant International (Aff. C/10/69) et du 12 octobre 1978 Belbouab (Aff. C/10/69), implique que toute situation de fait soit normalement, et sauf indication contraire, appréciée à la lumière des règles de droit qui lui sont contemporaines. Les normes applicables au citoyen doivent, en conséquence, être claires et précises afin que l’administré puisse connaître sans ambiguïté ses droits et obligations.

Ce principe de sécurité juridique a pour corollaire la non-rétroactivité des actes communautaires et la confiance légitime des citoyens dans la stabilité des situations créées par un acte juridique. La CJCE a posé l’obligation, pour les États membres et leurs juridictions, de respecter les principes généraux du droit communautaire.

Une proposition de loi organique est déposée parallèlement afin d’affirmer le caractère annuel des règles de l’impôt.

Toutefois, au regard de la jurisprudence du Conseil relative au domaine des lois organiques, une révision constitutionnelle est nécessaire. C’est pourquoi cette proposition de loi constitutionnelle vise à modifier l’article 34 de notre texte suprême afin d’encadrer au plus haut niveau la rétroactivité fiscale.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Article unique

Le cinquième aliéna de l’article 34 de la Constitution est ainsi rédigé :

« L’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature, les règles relatives à l’assiette et au taux ne sont pas rétroactives, conformément au principe de sécurité juridique, sauf dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique. »


© Assemblée nationale