N° 3709
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 28 avril 2016.
PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE
(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)
présentée par Mesdames et Messieurs
Alain SUGUENOT, Jean-Louis CHRIST, Édouard COURTIAL, Marc-Philippe DAUBRESSE, Jean-Marie SERMIER, Franck MARLIN, Damien ABAD, Jean-Michel COUVE, Jean-Claude BOUCHET, Éric STRAUMANN, Jean-Pierre VIGIER, Patrick HETZEL, Nicolas DHUICQ, Philippe VIGIER, Alain MARSAUD, Alain CHRÉTIEN, Jean-Pierre DECOOL, Valérie LACROUTE, Bernard ACCOYER, Fernand SIRÉ, Arlette GROSSKOST, Damien MESLOT, Lucien DEGAUCHY, Jean-Claude MATHIS, Catherine VAUTRIN, Jean-Claude GUIBAL, Michel ZUMKELLER, Luc CHATEL, Alain MOYNE-BRESSAND, Xavier BRETON, Bernard PERRUT, Bérengère POLETTI, Michel VOISIN, Alain MARTY, Virginie DUBY-MULLER, François SAUVADET, Philippe GOSSELIN, Michèle TABAROT, Frédéric REISS, Jean-Jacques GUILLET, Lionel TARDY, Michel HEINRICH, Bernard GÉRARD, Patrice VERCHÈRE, Jean-Pierre DOOR, Dominique NACHURY, Pierre LELLOUCHE, Bernard BROCHAND, Michel HERBILLON, Jean-Luc REITZER, Claude GOASGUEN, Philippe BRIAND, Thierry LAZARO, Marie-Louise FORT, Guillaume CHEVROLLIER, Marie-Jo ZIMMERMANN, Charles-Ange GINESY, Véronique LOUWAGIE, Guy TEISSIER, Yannick MOREAU, Alain MARLEIX et Laure de LA RAUDIÈRE,
députés.
EXPOSÉ DES MOTIFS
Mesdames, Messieurs,
La sécurité juridique est une condition essentielle au bon fonctionnement et au développement de l’économie d’un pays et au bon fonctionnement des sociétés. Elle repose sur la confiance dans les lois et le respect de la parole de l’État. Elle implique que les contribuables individuels et les opérateurs économiques puissent, à l’avance, connaître les avantages et les inconvénients de leurs actes, ainsi que leurs droits et obligations.
Malheureusement, en droit français, la sécurité juridique n’est pas garantie. Or, ce principe assure la stabilité des situations juridiques, notamment en s’opposant à leur remise en cause par des normes rétroactives.
Dans notre système fiscal, le caractère rétroactif d’une disposition présente différents aspects :
– la rétroactivité liée à la validation législative des conséquences de contentieux fiscaux ;
– la rétroactivité liée au mode de détermination de certains impôts. À titre d’exemple, le barème de l’impôt sur le revenu est fixé dans la loi de finances de l’année N (promulguée en décembre de l’année N - 1) et porte sur les revenus de l’année N - 1 ;
- la rétroactivité consistant à remettre en cause, avant le terme prévu, un avantage fiscal consenti à l’origine pour une période déterminée.
Le premier et le dernier aspect sont incontestablement choquants. La seule mention de la réduction de la durée d’exonération de taxe foncière pour les immeubles construits avant le 1er janvier de 25 à 15 ans par le gouvernement Mauroy en 1982 suffit à faire prendre conscience de l’iniquité des dispositions fiscales rétroactives.
La rétroactivité de la loi fiscale a deux conséquences préjudiciables pour notre système économique :
D’une part, elle décourage les initiatives des contribuables. L’instabilité de l’environnement juridique de l’entreprise ou du patrimoine rend délicate toute prévision rationnelle, et n’incite pas au développement de l’activité, ou à l’implantation d’entreprises étrangères en France.
D’autre part, la crédibilité et l’efficacité de la politique fiscale sont affaiblies par la multiplication des dispositions rétroactives ou interprétatives. Les contribuables individuels et les opérateurs économiques sont moins réceptifs à des incitations fiscales susceptibles d’être remises en cause dans le temps.
Afin de lever l’ensemble des obstacles constitutionnels et législatifs s’opposant à la limitation de dispositions fiscales rétroactives, une proposition de loi constitutionnelle et une proposition de loi organique doivent être déposées au Parlement et discutées par les Assemblées. C’est ainsi que nous avons déposé une proposition de loi constitutionnelle limitant le recours aux dispositions fiscales rétroactives.
Au moment où notre économie traverse une période de croissance molle, il est plus que jamais nécessaire d’adopter un environnement juridique propice au développement de l’activité économique. Au delà du débat sur les 35 heures, l’amnistie fiscale ou la réforme de l’impôt de solidarité sur la fortune, la garantie d’une certaine stabilité juridique et fiscale est indispensable au rétablissement de la compétitivité et de l’attractivité de notre pays.
Cette proposition de loi organique vise à limiter, en droit, les cas où le recours à une loi rétroactive est admissible en tenant compte à la fois de notre tradition juridique et de la spécificité de la technique fiscale. Les dispositions contenues dans cette proposition de loi ont vocation à s’appliquer aux lois ordinaires, aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale.
L’article premier propose ainsi de poser le principe de la non-rétroactivité des dispositions relatives aux prélèvements obligatoires, afin de renforcer la sécurité juridique dont bénéficient les contribuables. Il est assorti d’exceptions afin de respecter la tradition républicaine et les caractéristiques inhérentes à certains impôts.
L’article 2 vise à interdire toute rétroactivité dans le cours d’une procédure litigieuse en cours. Cette disposition, en mettant un terme aux validations législatives, contribuera à la fois à réduire le sentiment d’injustice ressenti par les contribuables et à responsabiliser l’administration.
L’article 3 prévoit de permettre à une opération engagée sous un régime fiscal déterminé de se poursuivre sous ce régime, quelles que soient les modifications législatives introduites postérieurement.
L’article 4 propose que, si le Parlement décide la mise en œuvre d’incitations fiscales pendant une certaine durée ou jusqu’à une certaine date, aucun texte législatif ultérieur ne puisse remettre en cause ce dispositif avant la date prévue initialement.
Le dernier article prévoit le renforcement de l’information du Parlement en exigeant que toute disposition à caractère rétroactif, susceptible d’être discutée à l’Assemblée Nationale ou au Sénat, soit accompagnée d’un exposé des motifs justifiant la rétroactivité de la mesure et évaluant ses conséquences financières.
Tel est l’objet de la présente proposition de loi organique.
PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE
Les dispositions législatives et réglementaires relatives à l’assiette et aux taux des impositions de toute nature ne s’appliquent que pour l’avenir.
Ont une portée rétroactive les dispositions qui s’appliquent en matière d’impôt direct à des périodes d’impositions déjà closes et en matière de droits d’enregistrement à des opérations déjà réalisées.
En matière de règles d’assiette, des dispositions peuvent, à titre exceptionnel, avoir une portée rétroactive lorsque l’intérêt général l’exige.
Les dispositions visant à diminuer l’assiette ou le taux d’impôts indirects peuvent s’appliquer rétroactivement.
Les dispositions en matière de règles de procédure d’imposition peuvent toujours avoir une portée rétroactive.
Aucune disposition législative ou réglementaire rétroactive ne peut s’appliquer aux litiges en cours sauf lorsqu’elle est moins sévère que les dispositions anciennes.
Les dispositions législatives et réglementaires modifiant l’assiette ou le taux d’une imposition de toute nature et qui bouleversent l’équilibre financier des contrats dont l’exécution s’étend sur plus d’une année et sur moins de quinze ans, ne s’appliquent pas aux contrats antérieurement conclus, lesquels se poursuivent sous le régime en vigueur à la date de ce contrat.
Les dispositions législatives et réglementaires à caractère incitatif instituées pour une durée déterminée ou jusqu’à une date déterminée, ne peuvent ultérieurement être modifiées, sauf à les rendre plus favorables aux contribuables, avant le terme prévu.
L’adoption de dispositions fiscales rétroactives dans les conditions prévues à l’article 1er doit être motivée par un exposé des motifs justifiant leur caractère rétroactif et par une évaluation des conséquences financières pour les contribuables. Ces dispositions doivent être assorties de mesures transitoires, d’accompagnement ou de compensation, lorsqu’elles ont pour effet d’empêcher l’exercice d’une activité professionnelle ou d’une liberté publique.
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