N° 3819 - Proposition de loi de M. Bernard Debré visant à contraventionnaliser la consommation de cannabis



N° 3819

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 juin 2016.

PROPOSITION DE LOI

visant à contraventionnaliser la consommation de cannabis,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Bernard DEBRÉ,

député.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La France compterait environ 550 000 consommateurs réguliers de cannabis, plaçant notre pays au premier rang des consommateurs d’Europe.

Une majorité des pays européens n’incriminent pas directement la consommation de cannabis, les pays la punissant étant la Belgique (dans un contexte d’usage collectif), l’Espagne (lorsque la consommation se fait en public), la Finlande (sauf pour un usage médical), la France et la Suède.

À l’heure où certains prônent la légalisation du cannabis, permettant ainsi d’organiser la distribution et de créer de nouvelles recettes pour l’État, il convient de tordre le cou à cette idée fausse.

En effet, une étude de Terra Nova estime que l’État pourrait tirer 1,5 milliard d’euros de recettes nouvelles grâce à la légalisation du cannabis. Mais face à cette étude, un rapport de l’Observatoire français des drogues et toxicomanies (OFDT) publié en septembre 2015 estime, quant à lui, que le coût social des drogues illicites s’élève en France à 8,7 milliards d’euros et le coût social par «consommateurs à problèmes» rapporté au nombre de consommateurs serait de près de 29 000 € par an.

Si en 2010, les dépenses nettes de l’État liées aux drogues se sont élevées à 22 milliards d’euros dont près de 5 milliards d’euros pour l’alcool, 15 milliards pour le tabac, plus 2,3 milliards d’euros ont été dépensés s’agissant des drogues illicites.

Par ailleurs, ce rapport estime que la taxation des drogues licites et illicites ne résout rien, les recettes de taxation étant inférieures au coût des soins. La taxation sur les alcools ne représente que 37 % du coût des soins des maladies engendrées par l’alcool, 40 % pour le tabac. Ainsi, l’idée que les drogues comme le tabac et l’alcool rapporteraient à l’État des recettes est donc infondée et il en sera bien évidemment de même pour les drogues illicites, et donc pour le cannabis.

Aucun pays de l’Union européenne n’a légalisé la possession de cannabis. Certains pays, comme l’Espagne ou les Pays-Bas, la tolèrent et l’encadrent (usage dans des lieux privés en Espagne, quantité à ne pas dépasser aux Pays-Bas, etc.).

Si douze pays européens ont fait le choix de la dépénalisation (Allemagne, République tchèque, Belgique, Danemark, Italie, Lettonie, Lituanie, Luxembourg, Malte, Croatie, Portugal et Slovénie), le cannabis n’y est pas toléré, mais des amendes plus légères sont prévues, les législations de ces pays se construisant sur le principe de la différence entre drogues dites « douces » et « dures ».

Ainsi, au Danemark, si une personne est arrêtée avec une quantité de cannabis inférieure à 9,99 grammes, elle payera une amende de 260 € sans finir en prison. Cependant, si elle est arrêtée à nouveau pour le même motif, l’amende sera augmentée de 50 % (ou de 100 % à partir de la troisième fois).

En Italie, la loi interdit toute possession de drogues, mais prévoit des peines différentes pour la possession à usage personnel et le trafic. La possession de plus de 5 grammes de cannabis est assimilée à du trafic. En-dessous de 5 grammes, la personne arrêtée recevra un simple avertissement et elle sera interrogée par les services de police.

En République tchèque, la possession de cannabis (jusqu’à 15 grammes) est officiellement toujours punie par la loi et avec un avertissement ou une amende de 550 €. En pratique, cette consommation est largement tolérée par les autorités et les poursuites pour détention de cannabis sont rares.

Beaucoup mettent en avant le cas des Pays-Bas, expliquant qu’il s’agit d’un modèle à suivre. Mais il faut savoir que le cannabis y demeure illégal, à ceci près qu’on y tolère que les gens achètent des petites quantités de cannabis dans des coffee shops et que les citoyens aient une petite quantité de cannabis sur eux, pour autant que celle-ci ne dépasse pas 5 grammes. La police confisque toute quantité de cannabis détenue : en cas de possession de plus de 5 grammes, la peine sera une amende, et en cas de possession de plus de 30 grammes, des poursuites judiciaires seront engagées.

Cet encadrement très strict n’a pas permis de faire diminuer le commerce illicite de cannabis ni de faire diminuer le trafic intra-européen. Il suffit, en effet, pour un jeune Français de se rendre en voiture aux Pays-Bas, et il sera rapidement abordé par des dealers afin de lui proposer de la drogue.

Face à un tel constat, et au fait que la justice de notre pays n’applique que trop rarement (voire jamais) la législation en vigueur s’agissant des simples consommateurs de cannabis, la présente proposition de loi prévoit une solution alternative : la contraventionnalisation de la consommation de cannabis. Celle-ci n’est ni la dépénalisation, ni la légalisation, et présente l’avantage de sanctionner immédiatement le consommateur, tout en évitant le traumatisme d’un procès et d’une inscription au casier judiciaire de ce dernier.

Ainsi, à l’instar des contraventions de voiries routières, cette mesure permettrait de contrôler de manière plus efficace la consommation en frappant directement le consommateur au portefeuille.

Outre les troubles psychiques et les conséquences sur l’état de perception immédiat du consommateur, le cannabis reste la première étape avant la consommation de drogues « dures ».

On ne peut mettre de côté que, depuis plusieurs années, la France est confrontée à une montée impressionnante de la consommation de cocaïne et de drogues de synthèse (ecstasy et méthamphétamine), dont les effets sont dévastateurs sur notre jeunesse. Il suffit à chacun d’entre nous de se rendre dans un service d’urgence d’une grande ville une nuit de week-end pour constater le nombre de jeunes qui perdent la vie ou qui gardent des séquelles importantes pour le reste de leurs jours, à la suite de la prise de ce type de drogues.

C’est la raison pour laquelle cette contraventionnalisation ne s’appliquerait qu’à la première infraction. En cas de récidive, le consommateur qui se sera acquitté une première fois d’une contravention de 2ème classe (150 €), sera déféré devant un juge, risquant jusqu’à un an de prison et 3 750 € d’amende. La consommation régulière, la promotion de la consommation, la culture, le transport et la revente de cannabis ou de résine de cannabis demeuraient donc totalement pénalisés, le régime des peines actuellement prévu restant inchangé.

Le système de peines actuel n’étant pas appliqué car inadapté à la situation réelle de la consommation de cannabis dans notre pays, et devant lutter davantage encore contre le trafic et la consommation de drogues qui détruisent notre jeunesse, ce texte propose tout simplement de renforcer notre arsenal de peines tout en simplifiant celui-ci. Loin de dépénaliser la consommation de cannabis, cette proposition de loi rend le droit applicable en la matière plus restrictif, permettant réellement de la sanctionner et de lutter efficacement contre celle-ci.

PROPOSITION DE LOI

Article unique

Le chapitre Ier du titre II du livre IV de la troisième partie du code de la santé publique est ainsi modifié :

I. – L’article L. 3421-1 est ainsi modifié :

1° – Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« L’usage illicite de cannabis ou de résine de cannabis est, quant à lui, puni d’une contravention de deuxième classe telle que prévue par l’article 131-13 du code pénal. En cas de récidive, le contrevenant encourt jusqu’à un an d’emprisonnement et 3 750 euros d’amende. »

2° – Au deuxième alinéa, les mots : « ce délit » sont remplacés par les mots : « des délits et infractions susmentionnés ».

3° – Le début de la première phrase du troisième alinéa est ainsi rédigé :

« Si ces infractions sont commises dans » (et le reste sans changement).

II. – Au premier alinéa de l’article L. 3421-2 du même code, les mots : « le cas prévu » sont remplacés par les mots : « les cas prévus ».

III. – À la première phrase du premier alinéa de l’article L. 3421-4, les mots : « au délit prévu » sont remplacés par les mots : « auxdits délits et infractions prévus ».


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