N° 4560 - Proposition de loi de M. Lionnel Luca tendant à lutter contre les nouvelles formes d’esclavage



N° 4560

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 22 février 2017.

PROPOSITION DE LOI

tendant à lutter contre les nouvelles formes d’esclavage,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Lionnel LUCA, Jean-Luc REITZER, Jean-Pierre DECOOL, Jacques LAMBLIN, Arlette GROSSKOST, Laurent FURST, Jean-Claude MATHIS, Élie ABOUD, Guy TEISSIER, Éric STRAUMANN, Claudine SCHMID, Nicolas DHUICQ, Lionel TARDY, Bérengère POLETTI,

députés.

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Faisant suite à la loi reconnaissant la traite et l’esclavage comme un crime contre l’humanité, le Président de la République a décidé de faire du 10 mai la journée nationale commémorative de l’abolition de l’esclavage, ce qui est un juste devoir de mémoire envers nos compatriotes d’outre-mer.

Pourtant, en France diverses formes d’esclavage existent toujours. En juillet 2005, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a condamné la France, après avoir été saisie par une jeune togolaise, pour violation de l’article 4 de la Convention européenne des droits de l’homme, selon lequel « nul ne peut être tenu en esclavage ni en servitude ».

Ces dernières années, notre pays s’est doté d’un certain nombre de moyens pour lutter contre les formes modernes d’esclavage :

– la création en 1994 du Comité contre l’esclavage moderne (CCEM) qui a pris en charge 33 victimes pour la seule année 2005 ;

– le renforcement en 2003 des effectifs de l’Office central pour la répression de la traite des êtres humains ;

– la formation des magistrats, depuis les matières dispensées à l’École nationale de la magistrature jusque dans le cadre de leur formation continue au cours de la carrière, qui semble permettre aux juges de se spécialiser ou d’approfondir leur connaissance sur ce sujet ;

– notre législation actuelle, notamment grâce à l’adoption de la loi n° 2003-239 du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure :

• les articles 225-13 et 225-14 du code pénal, qui sanctionnent le « fait d’obtenir d’une personne, dont la vulnérabilité ou l’état de dépendance sont apparents ou connus de l’auteur, la fourniture de services non rétribués ou en échange d’une rétribution manifestement sans rapport avec l’importance du travail accompli » ainsi que le « fait de soumettre une personne, dont la vulnérabilité ou l’état de dépendance sont apparents ou connus de l’auteur, à des conditions de travail ou d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine », prévoient des peines qui ont été aggravées par la loi du 28 mars 2003 ;

• une infraction de traite des êtres humains est définie par cette loi (articles 225-4-1 et suivants du code pénal).

Ces moyens demandent toutefois à être complétés.

En effet, selon la CEDH « il découle nécessairement [des dispositions de l’article 4 de la convention] des obligations positives pour les gouvernements (...) d’adopter des dispositions en matière pénale qui sanctionnent les pratiques visées (...), et de les appliquer en pratique. (...) Ces obligations positives commandent la criminalisation et la répression effective de tout acte tendant à maintenir une personne dans ce genre de situation », l’« esclavage et la servitude ne sont pas en tant que tels réprimés par le droit pénal français ».

Or, nos articles 225-13 et 225-14 du nouveau code pénal « ne visent pas spécifiquement les droits garantis par l’article 4, mais concernent de manière beaucoup plus restrictive, l’exploitation par le travail et la soumission à des conditions de travail ou d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine ».

Les dispositions introduites dans le code pénal par la loi du 18 mars 2003 ont pour objet de condamner les passeurs et les intermédiaires des réseaux de traite d’êtres humains. Mais elles ne condamnent cependant pas l’esclavage en tant que tel, ce qui est beaucoup plus complexe et plus lourd de conséquences pour les personnes qui en sont victimes.

La présente proposition de loi a donc pour objet de criminaliser les actes d’esclavage et de servitude.

L’article 1er introduit dans le code pénal les crimes d’esclavage et de servitude. Il permet de répondre aux lacunes de notre droit et de nous mettre en conformité avec les obligations qui découlent de la convention européenne des droits de l’homme.

Les définitions qui sont ici proposées pour ces infractions s’inspirent à la fois du droit international et de la législation italienne, qui semble à ce jour être la seule en Europe à avoir répondu clairement au problème de l’esclavage moderne.

Les articles 2 et 3 complètent la lutte contre les crimes d’esclavage et de servitude. En effet, au-delà de la condamnation des auteurs de tels actes, il paraît souhaitable :

– de permettre aux associations de lutte contre l’esclavage ou la servitude d’exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne les infractions d’esclavage et de servitude (article 2) ;

– de prévoir la délivrance d’un titre de séjour aux étrangers victimes d’esclavage ou de servitude (article 3).

Tel est, Mesdames, Messieurs, l’objet de la présente proposition de loi que nous vous demandons de bien vouloir adopter.

PROPOSITION DE LOI

Article 1er

Après la section 1 bis du chapitre IV du titre II du livre II du code pénal, il est inséré une section 1 ter ainsi rédigée :


« Section 1 ter


« De l’esclavage et de la servitude

« Art. 224-5-3. – Le fait d’exercer sur une personne les attributs du droit de propriété ou certains d’entre eux, ou de maintenir une personne dans un état de sujétion continuelle en la contraignant à une prestation de travail ou sexuelle, ou à la mendicité ou à toute prestation non rémunérée est puni de quinze ans de réclusion criminelle.

« Art. 224-5-4. – Le fait de contraindre une personne à prêter ses services, en lui imposant des conditions de logement et en dirigeant sa vie de manière à lui faire perdre toute indépendance, est puni d’une peine de quinze ans de réclusion criminelle.

« Art. 224-5-5. – Les crimes d’esclavage et de servitude définis aux articles 224-5-3 et 224-5-4 sont punis de vingt ans de réclusion criminelle lorsqu’ils sont commis :

« 1° À l’égard d’un mineur ;

« 2° À l’égard d’une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse est apparente ou connue de l’auteur ;

« 3° À l’égard de plusieurs personnes ;

« 4° À l’égard d’une personne qui se trouvait hors du territoire de la République ou lors de son arrivée sur le territoire de la République ;

« 5° Avec l’emploi de menaces, de contraintes, de violences ou de manœuvres dolosives visant l’intéressé, sa famille ou une personne étant en relation habituelle avec lui ;

« 6° Par un ascendant légitime, naturel ou adoptif ou par une personne qui a autorité sur la victime ou abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions ;

« 7° Par une personne appelée à participer, par ses fonctions, à la lutte contre l’esclavage ou au maintien de l’ordre public. »

Article 2

Toute association reconnue d’utilité publique ayant pour objet statutaire la lutte contre l’esclavage ou la servitude peut exercer l’action civile, devant toutes les juridictions où cette action est recevable, en ce qui concerne les infractions d’esclavage ou de servitude prévues par le code pénal, ainsi que les infractions s’y rattachant directement ou indirectement, qui ont causé un préjudice direct ou indirect à la mission qu’elle poursuit.

Article 3

Dans la première phrase du premier alinéa de l’article L. 316-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, après la référence : « 225-4-6 », sont insérées les références : « , 224-5-3 à 224-5-5 ».


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