N° 2625 - Avis de Mme Annick Le Loch sur la proposition de loi de M. Bruno Le Roux et plusieurs de ses collègues relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d'ordre (2578)




N
° 2625

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 mars 2015

AVIS

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES SUR LA PROPOSITION DE LOI, relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre (n° 2578)

PAR Mme Annick LE LOCH,

Députée

——

Voir les numéros : 2578, 2628, 2627.

SOMMAIRE

___

Pages

INTRODUCTION 5

I. L’ABSOLUE NÉCESSITÉ DE LÉGIFÉRER POUR RESPONSABILISER LES SOCIÉTÉS MÈRES ET LES ENTREPRISES DONNEUSES D’ORDRES 7

A. UN DRAME HUMAIN 7

B. UNE PRISE DE CONSCIENCE INTERNATIONALE 8

1. Le multilatéralisme a débouché sur des instruments, qui demeurent toutefois non contraignants 8

2. Des États étrangers ont d’ores et déjà inscrit dans leur droit un devoir de vigilance 10

C. UN RÉGIME JURIDIQUE NATIONAL INSUFFISANT 11

II. LE TEXTE PROPOSÉ CONSTITUE UNE RÉPONSE ÉQUILIBRÉE ET JURIDIQUEMENT SOLIDE, AU SERVICE DES ENTREPRISES 13

A. UN JUSTE MILIEU ENTRE HARD LAW ET SOFT LAW 13

B. UN DISPOSITIF AU SERVICE DES ENTREPRISES 14

TRAVAUX DE LA COMMISSION 17

I. DISCUSSION GÉNÉRALE 17

II. EXAMEN DES ARTICLES 25

Article 1er(article L. 225-102-4 [nouveau] du code de commerce) : Obligation d’un plan de vigilance pour les sociétés mères et les entreprises donneuses d’ordres 25

Article 2 (article L. 225-102-5 [nouveau] du code de commerce) : Responsabilité des entreprises en cas de manquement au devoir de vigilance 29

Après l’article 2 30

Article 3 : Applicabilité à Wallis-et-Futuna 31

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES 33

Le drame du Rana Plaza, survenu le 24 avril 2013, nous a rappelé avec douleur l’urgence qui s’attache à l’adaptation de notre appareil juridique à la nouvelle donne de la mondialisation. L’allongement et la complexification des circuits de production et de commercialisation, ainsi que les disparités massives en termes de conditions de travail et de protection de l’environnement à l’échelle de la planète, autorisent des entreprises à laisser des catastrophes humaines, sanitaires et environnementales se produire, sans que leur responsabilité puisse être recherchée. Outre le Rana Plaza, dont le caractère tragique avait marqué l’opinion, citons le cas, qui se déroule sous nos yeux, de la Coupe du monde au Qatar, où des ouvriers népalais participent à la construction d’infrastructures sportives dans des conditions inhumaines, ou, si l’on remonte dans le temps, celui de la catastrophe de Bhopal, en Inde, en 1984.

La France, nation pionnière des droits des travailleurs, ne peut se désintéresser du sort des populations ainsi exploitées. D’une part parce que ce combat correspond à des valeurs que nous tenons pour universelles. D’autre part parce qu’il y va de notre intérêt, tant politique qu’économique.

La proposition de loi déposée par le groupe socialiste, républicain et citoyen est le fruit d’un long travail de réflexion, mené conjointement avec le Gouvernement et les autres groupes de gauche de notre Assemblée, ainsi qu’avec des organisations non gouvernementales et les organisations représentatives des salariés et du patronat. Elle tire les leçons des débats qui ont eu lieu récemment lors de l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation de la politique de développement et de solidarité internationale, et de la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, déposée par nos collègues du groupe écologiste. Elle constitue une réponse équilibrée et opérationnelle aux drames présents et à venir, et doit permettre d’engager une démarche européenne sur ces enjeux.

Votre rapporteure, en tant que membre de la commission des affaires économiques, voudrait souligner, surtout, qu’il s’agit d’un texte qui est également au service de nos entreprises et de leur compétitivité. L’introduction d’un plan de vigilance obligatoire permettra de récompenser les entreprises vertueuses, qui appliquent déjà des procédures d’identification et de réduction des risques d’atteintes aux droits de l’Homme et à l’environnement. Il rétablira des conditions de concurrence équitables entre ces entreprises et celles qui ne s’y astreignent pas, ou uniquement à des fins de communication, assurant une plus grande transparence sur les efforts consentis par les entreprises en ces matières, et une meilleure information du consommateur. À l’échelle internationale, l’obligation de vigilance permettra également de rétablir des conditions de concurrence plus équitables entre les entreprises produisant sur le sol français, et celles recourant au dumping sur les droits de l’Homme et l’environnement en localisant certaines de leurs activités dans des pays dont les normes sont moins rigoureuses. Enfin, le devoir de vigilance constitue un facteur de sécurité pour les entreprises. À l’heure où l’opinion publique est de plus en plus sensible au comportement des entreprises en matière éthique et environnementale, il leur fournit un cadre d’action clair qui leur permettra de réduire le risque d’atteinte à leur réputation. De plus, l’inscription dans la loi d’une procédure clairement définie leur fournit une plus grande sécurité juridique, dans un contexte où le devoir de vigilance commence à être reconnu par la jurisprudence, ainsi par la Cour de cassation dans l’affaire du naufrage de l’Erika.

Les transformations de l’économie mondiale au cours des trente dernières années ont entraîné une diversité croissante des modes d’organisation industrielle et commerciale. Les entreprises multinationales développent davantage leurs activités dans les pays émergents et en voie de développement, ce que traduit l’augmentation des flux mondiaux d’investissements directs à l’étranger. De plus, ces activités sont de nature de plus en plus diverse : loin de se cantonner à des activités d’extraction de matières premières, elles comprennent désormais des activités industrielles sophistiquées, des activités d’assemblage et de montage, et, de plus en plus, des activités de services. En conséquence, le champ d’influence et d’impact d’une société correspond de moins en moins à ses contours juridiques, qui les cantonnent à la seule personne morale.

Or les activités des entreprises transnationales peuvent provoquer des catastrophes en termes de respect des droits de l’homme, sanitaires ou environnementaux, en particulier dans certains pays émergents ou en voie de développement, dont les standards et les normes en ces domaines sont moins rigoureux que ceux des pays du Nord. Les exemples en ce sens ne manquent pas, dont celui du Rana Plaza a été, au cours des dernières années, celui qui a le plus vivement marqué l’opinion. Le 24 avril 2013, l’immeuble Rana Plaza, à Dacca, capitale du Bangladesh, s’est effondré, entraînant la mort de près de 1 200 personnes. L’immeuble abritait plusieurs ateliers de confection travaillant pour des marques internationales du secteur textile. Ses quatre étages supérieurs auraient été construits sans permis. Malgré des consignes d’évacuation données par les autorités civiles la veille de la catastrophe, les employés des ateliers ont été convoqués pour le lendemain. Des étiquettes de diverses enseignes françaises ont été retrouvées dans les décombres. Or la responsabilité des entreprises transnationales concernées ne peut, pour l’heure, être recherchée. Seule une initiative ponctuelle permet actuellement, avec difficulté, de faire contribuer les entreprises concernées à la réparation des dommages subis par les victimes et leurs familles, à travers un fonds d’indemnisation créé sous l’égide de l’Organisation internationale du travail, le Rana Plaza Donors Trust Fund.

Les travaux de construction des infrastructures en vue de la Coupe du monde de football de 2022 au Qatar continuent de donner à lieu à des conditions de travail proches de l’esclavage, malgré les vives inquiétudes exprimées par des organisations non gouvernementales de défense des droits de l’Homme, la Confédération syndicale internationale, la Fédération internationale de football (FIFA), ainsi que le Parlement européen (1). Ce dernier a rappelé que le Qatar devrait faire appel à au moins 500 000 travailleurs migrants supplémentaires pour accélérer les travaux de construction nécessaires à la préparation de la Coupe du monde. Le Qatar fait majoritairement appel à une main-d’œuvre immigrée en provenance de l’Inde, du Népal, du Bangladesh, du Pakistan, des Philippines et du Sri Lanka. En moyenne, d’après la Confédération syndicale internationale, 200 travailleurs en provenance de l’Inde et 200 travailleurs népalais mourraient chaque année au Qatar. Des conditions de travail difficiles et parfois dangereuses expliquent ce bilan, dont on ne peut que craindre qu’il s’aggrave, malgré les engagements des autorités qatariennes et de la commission nationale des droits de l’homme du Qatar. Des entreprises transnationales participent à ces travaux.

Il y a trente ans, le 3 décembre 1984, à Bhopal, en Inde, des échappées de gaz toxique d’une usine de pesticides filiale de la multinationale chimique Union Carbide causaient la mort de plus de 7 500 personnes, voire plus de 20 000 selon certaines associations de victimes, et plus de 300 000 malades. Les dommages écologiques font aujourd’hui encore sentir leurs effets. Le président-directeur général de la société, poursuivi par la justice indienne, s’est réfugié aux États-Unis et y est décédé en 2014, sans avoir été inquiété.

Ces quelques exemples démontrent l’urgence qui s’attache à un renforcement de la responsabilité des firmes transnationales. Le législateur français peut s’appuyer, à cet égard, sur des recommandations émises par des organisations internationales à destination des entreprises et des États.

Les Principes directeurs de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) à destination des entreprises multinationales, initialement adoptés en 1976 et nettement enrichis en mai 2011, constituent une déclaration de principes exprimant les valeurs partagées par ses États signataires. Ils prévoient notamment que les entreprises doivent exercer une diligence raisonnable fondée sur les risques afin d’identifier, de prévenir ou d’atténuer les incidences négatives de leurs activités, et rendre compte des démarches qu’elles engagent en ce sens. Elles doivent également s’efforcer d’empêcher ou d’atténuer une incidence négative, dans le cas où elles n’y ont pas contribué mais où cette incidence est directement liée à leurs activités, à leurs produits ou à leurs services en vertu d’une relation d’affaires (2). Il s’agit de recommandations adressées par les gouvernements aux entreprises multinationales situées ou exerçant leurs activités dans les pays adhérents de l’OCDE, dont la valeur n’est pas contraignante.

L’Organisation internationale du travail a adopté en 1977 une Déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale. Révisée en 2006, celle-ci contient des principes non contraignants destinés à guider les entreprises multinationales et les gouvernements en matière d’emploi, de conditions de travail et de vie et de relations professionnelles. Elle déclare notamment que les activités des entreprises multinationales devraient s’harmoniser avec les priorités du développement ainsi qu’avec les structures et les objectifs sociaux du pays où elles s’exercent.

Le Pacte mondial des Nations unies, lancé à New York le 26 juillet 2000 à la suite d’une initiative du Secrétaire général des Nations unies, M. Kofi Annan, s’attache à promouvoir la responsabilité civique des entreprises afin de les associer aux nouvelles difficultés posées par la mondialisation. Comprenant à l’origine neuf principes portant sur le respect des droits de l’Homme, du droit du travail et de l’environnement, il a été enrichi d’un dixième principe relatif à la lutte contre la corruption en juin 2004. Il invite notamment les entreprises à veiller à ne pas se rendre complices de violations des droits de l’Homme, à éliminer toutes les formes de travail forcé et obligatoire, à appliquer une approche de précaution en matière environnementale, et à agir contre toutes les formes de corruption. En matière de droit du travail, ses objectifs ont été précisés en 2010 par un Guide pour les entreprises rédigé par l’Organisation internationale du travail, élaboré conjointement avec l’Organisation internationale des employeurs et la Confédération syndicale internationale.

L’Organisation internationale de normalisation (ISO) a publié les Lignes directrices de la norme ISO 26 000 en décembre 2008. Celles-ci contiennent des règles d’action concernant notamment le respect des droits de l’Homme, la protection de l’environnement et la lutte contre la corruption. Elles définissent le devoir de vigilance comme une « démarche globale, proactive d’identification, visant à éviter et atténuer les impacts négatifs sociaux, environnementaux et économiques, réels et potentiels, qui résultent des décisions et activités d’une organisation ». Ce devoir peut excéder le strict périmètre juridique de la société, pour concerner l’ensemble de de la « sphère d’influence » d’une entreprise, définie comme les relations politiques, contractuelles et économiques à travers lesquelles une organisation a la capacité d’influer sur les décisions ou les activités de personnes ou d’autres organisations.

Faisant suite à une réflexion engagée dès 1993 à la Conférence mondiale des droits de l’homme de Vienne, le Conseil des droits de l’Homme de l’Organisation des Nations Unies a confié en 2005 à l’universitaire John Ruggie le mandat de représentant spécial pour les droits de l’Homme, les entreprises transnationales et les autres entreprises. Ses travaux et la concertation engagée avec d’autres institutions internationales et les organisations d’employeurs, de salariés et de défense des droits de l’Homme, ont dégagé un consensus sur des Principes directeurs sur les entreprises et les droits de l’Homme, adoptés à l’unanimité par le Conseil des droits de l’Homme le 17 juin 2011. Donnant la priorité à la prévention des violations des droits de l’Homme, et à une approche en termes de risque pour les entreprises, ces Principes étendent la responsabilité de l’entreprise à la partie de sa chaîne de valeur sur laquelle elle dispose d’une capacité d’action. Ils préconisent que les entreprises fassent preuve de diligence raisonnable en pratiquant un examen systématique des pratiques de leurs fournisseurs et clients. Elles doivent également définir une politique de respect des droits de l’Homme et inventorier de manière exhaustive les risques d’atteinte à ceux-ci susceptibles d’exister chez leurs fournisseurs et clients, et agir auprès d’eux pour prévenir leur réalisation.

L’ensemble de ces instruments, qui correspondent précisément à l’esprit de la présente proposition de loi, demeure non contraignant. Toutefois, les travaux conduits au sein des organisations multilatérales commencent à déboucher sur l’idée d’un instrument international contraignant visant à assurer le respect, par les entreprises multinationales, des droits de l’Homme, et tendant à engager leur responsabilité dans ce domaine. Le Conseil des droits de l’Homme des Nations Unies a ainsi adopté, le 26 juin 2014, une résolution constituant un groupe de travail intergouvernemental, chargé d’élaborer un tel instrument. Sa première réunion doit se tenir avant l’automne 2015.

En 2004, le Canada a adopté, à la suite du désastre de Westray Mine, ayant provoqué la mort de 26 mineurs imputée à des omissions de l’entreprise exploitante n’ayant pas permis d’assurer la santé et la sécurité de ses employés sur leur lieu de travail, un article 217.1 à son Code criminel, obligeant les personnes dirigeant un travail ou ayant autorité sur les modalités d’exécution d’un travail, de prendre les mesures nécessaires pour éviter que les personnes travaillant sous leur autorité ou sous leur direction ne subissent des blessures. Plusieurs condamnations ont été prononcées sur ce fondement, notamment en 2008 contre l’entreprise Transpavé Inc., fabricant de produits bétonnés, à la suite de la mort d’un ouvrier, et en février 2010 contre la société Millenium Crane, à la suite du décès d’un employé lors de travaux d’excavation.

Le Royaume-Uni a adopté en 2010 une loi ambitieuse contre la corruption, le Bribery Act, entrée en vigueur le 1er juillet 2011, couvrant les faits de corruption active comme passive commis à la fois au sein et hors du Royaume-Uni. Elle a innové en introduisant une obligation de prévention de la corruption pour les entités à vocation commerciale implantées au Royaume-Uni. La responsabilité pénale de la société peut être recherchée pour infraction de non-prévention de la corruption si une personne physique ou morale qui lui est associée commet l’infraction de corruption d’agent public étranger, dans le but d’obtenir ou de conserver à son profit un marché ou un avantage. Le seul moyen de défense admis consiste à montrer, pour la société qu’elle a mis en place des procédures adéquates destinées à prévenir la commission d’actes de corruption par les personnes qui lui sont associées. Ces dispositions revêtent une portée extraterritoriale : les juridictions britanniques sont compétentes pour connaître de cette infraction, quel que soit le lieu où elle a été commise, pour autant que l’entreprise exerce tout ou partie de son activité au Royaume-Uni, auquel cas elle y est soumise à raison de la totalité de ses activités exercées dans le monde.

Aux États-Unis, l’Alien Tort Claim Act de 1789 a longtemps été considéré par le juge comme admettant la compétence des juridictions américaines pour des recours en responsabilité civile dirigés par des étrangers victimes de dommages commis à l’étranger, contre des personnes situées sur le sol américain, en cas de violation du droit international. Même si la Cour suprême, par son arrêt Kiobel c/ Shell du 17 avril 2013, est revenue sur cette interprétation extensive, au motif que cette loi ne pouvait, en règle générale, s’appliquer à des actes commis en dehors du territoire américain, plusieurs victimes ont pu obtenir réparation de la part des entreprises reconnues responsables.

En Suisse, l’article 102 du code pénal prévoit que le manque d’organisation d’une entreprise justifie qu’un crime ou un délit commis au sein d’une entreprise dans l’exercice de ses activités commerciales soit imputé à l’entreprise s’il ne peut l’être à une personne physique déterminée. La peine prévue est une amende de cinq millions de francs.

En droit français prévaut le principe de l’autonomie de la personne morale, qui fait écran à une remontée de la responsabilité de la filiale à la société mère, ou de la société sous-traitante ou fournisseuse à la société donneuse d’ordre. Quels que soient leurs liens commerciaux ou capitalistiques, les sociétés d’un même groupe ou coopérant au sein d’une chaîne de valeur sont considérées comme des entités séparées, chacune assumant la responsabilité de ses propres activités. Notre droit continue donc de méconnaître les solidarités et interdépendances croissantes qui régissent les liens entre les entreprises dans un contexte de mondialisation.

Il en résulte une dilution de la responsabilité en cas de dommages résultant de décisions prises par une société en situation dominante – société mère ou donneuse d’ordres – mais exécutées par une société qui lui est, de fait, subordonnée. Pour les victimes, la réparation des dommages subis se heurte ainsi à des obstacles juridiques infranchissables, particulièrement lorsque les dommages sont le fait d’une société établie à l’étranger. On sait que les citoyens des pays en voie de développement ne disposent souvent ni du même niveau de protection de leurs droits, ni d’un accès à la justice comparable à ceux dont bénéficient les citoyens français.

Certes, les drames les plus médiatisés suscitent des initiatives internationales, publiques comme privées, afin de venir en aide aux victimes. Mais les mécanismes mis en œuvre à cette occasion trouvent leurs limites dans l’absence de dispositif juridique contraignant. Ainsi, le fonds d’indemnisation mis en place à la suite du drame de Dacca, piloté par l’Organisation internationale du travail, n’a pour l’heure été abondé qu’à la moitié du montant nécessaire pour indemniser les victimes et leurs familles, soit 20 M$ au lieu de 40 M$. En tout état de cause, il est inacceptable de laisser perdurer un traitement au coup par coup de drames qui se renouvellent régulièrement. Le vide juridique actuel appelle un mécanisme systématique permettant de mettre en cause la responsabilité des entreprises effectivement responsables de dommages.

On a pu objecter que l’adoption par la France seule d’un tel mécanisme serait inefficace et placerait les entreprises françaises dans une situation défavorable par rapport à leurs concurrents. Outre que les entreprises ont directement à gagner à l’instauration du devoir de vigilance, comme votre rapporteure le montrera plus loin, ce serait méconnaître d’une part le mouvement international en faveur d’une responsabilité renforcée des entreprises dont l’activité se déploie à une échelle transnationale, à la mesure de leur puissance économique et financière, ainsi que la force d’attraction que l’adoption d’un tel dispositif par la France permettra d’exercer. Votre rapporteure rappelle que ce n’est pas la première fois que la France montrerait ainsi la voie, avant d’être rejointe par l’Union européenne. L’instauration, par la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, d’une obligation de publication, par les entreprises, d’informations relatives à l’impact social et environnemental de leurs activités, ainsi que sur leurs engagements en faveur du développement durable, a en effet directement inspiré l’institution d’une obligation, s’appliquant à l’échelle européenne, d’inclure dans le rapport de gestion « une déclaration non financière comprenant des informations […] relatives aux questions environnementales, aux questions sociales et de personnel, de respect des droits de l’homme et de lutte contre la corruption » (3). L’adoption de la présente proposition de loi, bien loin d’isoler la France et nos entreprises, peut et doit au contraire engager une spirale vertueuse sur nos partenaires européens.

L’inscription dans notre droit d’une obligation de vigilance des entreprises sur les activités de leurs filiales, sous-traitants et fournisseurs impose de trouver un équilibre entre une démarche incitative, dont les limites sont connues, et un dispositif par trop répressif, qui entraverait l’activité économique. Le texte déposé propose un juste point d’équilibre adapté à cet égard, à travers un dispositif en deux volets.

L’article premier propose d’introduire une obligation d’établir un plan de vigilance, comprenant des mesures de vigilance raisonnable permettant d’identifier et de prévenir la réalisation de risques d’atteintes aux droits de l’Homme et aux libertés fondamentales, de dommages corporels ou environnementaux graves ou de risques sanitaires. Les risques concernés résultent des activités de la société, de celles des sociétés qu’elle contrôle, ainsi que de celles de leurs sous-traitants ou fournisseurs sur lesquels elle exerce une influence déterminante. Il doit également viser à prévenir les comportements de corruption active ou passive au sein de la société ou des sociétés qu’elle contrôle. Il est publié et inclus dans le rapport de gestion de la société. La société doit rendre compte de sa mise en œuvre. Le défaut d’établissement ou de communication de ce plan, ainsi que l’absence de rapport sur sa mise en œuvre, expose la société à une amende civile de 10 M€ au plus.

Ce dispositif se concentre sur les grandes entreprises : comme le prévoit l’article 1er de la proposition de loi, l’obligation d’établir un plan de vigilance concerne exclusivement les entreprises employant :

– au moins 5 000 salariés, de façon directe ou à travers ses filiales, directes ou indirectes, lorsque le siège social est fixé en France ;

– ou au moins 10 000 salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes, que le siège social soit fixé en France ou à l’étranger.

Même si le choix de ces seuils peut faire l’objet de débats, il paraît essentiel à votre rapporteure que l’obligation d’établir un plan de vigilance se concentre sur les grandes entreprises, qui sont les plus directement concernées, et qui disposent par ailleurs des moyens humains et financiers suffisants pour les élaborer et les mettre en œuvre. Afin d’éviter que des variations minimes d’effectifs ne contraignent des entreprises à l’élaboration d’un plan de vigilance pour des périodes de temps réduites, il est prévu que l’obligation ne s’applique que lorsque ces seuils sont atteints à la clôture de deux exercices consécutifs.

C’est seulement en cas de manquement aux obligations relatives au plan de vigilance que la responsabilité de la société pourra être recherchée sur le fondement des articles 1382 et 1383 du code civil, ainsi que le prévoit l’article 2 de la proposition de loi. La responsabilité de la société pourra donc être recherchée dans les conditions du droit commun, donc à la condition que soit prouvée l’existence d’une faute, d’un préjudice, et d’un lien de causalité de l’une à l’autre.

Ce dispositif constitue une évolution par rapport à la proposition de loi discutée par notre Assemblée en janvier 2015. Celle-ci introduisait une présomption simple de faute de la part de l’entreprise. On pourra objecter que le déséquilibre des ressources entre plaignants et entreprises dans ce type d’affaires limite la portée du dispositif. Mais l’institution d’un plan de vigilance, dont l’effectivité pourra être contrôlée par le juge, constitue une première étape indispensable. Votre rapporteure souligne également qu’il s’agit d’une innovation, aucun pays n’ayant actuellement étendu le devoir de vigilance à un tel éventail de risques.

Lors de l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation de la politique de développement et de solidarité internationale, ainsi que de la première proposition de loi relative à la responsabilité des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, des voix se sont élevées, parmi nos collègues, pour affirmer que l’instauration d’un devoir de vigilance risquerait de grever la compétitivité de nos entreprises. Parmi les arguments avancés, figurent l’idée qu’un tel devoir constituerait un facteur de complexité, et celle qu’il placerait nos entreprises dans une situation désavantageuse par rapport à leurs concurrents étrangers qui n’y sont pas soumis.

Votre rapporteure est convaincue que la démarche proposée permettra justement de contribuer au renforcement de notre compétitivité.

Tout d’abord, le devoir de vigilance permettra de récompenser les entreprises vertueuses, qui s’astreignent déjà à des mesures de diligence raisonnables afin de prévenir les dommages pouvant découler de leurs activités. Dans le cadre de leurs démarches de responsabilité sociale, des entreprises se sont déjà dotées de tels plans. Toutefois, ces démarches sont pour l’heure volontaires, et leur application n’est pas assortie de sanctions. En parallèle, d’autres entreprises élaborent de tels plans mais les appliquent de façon minimale, voire les publient à la seule fin d’améliorer leur image de marque auprès des consommateurs (pratiques du social washing, du green washing). Le citoyen et le consommateur ne sont donc pas en mesure de distinguer les entreprises dont les comportements sont réellement vertueux, de celles se contentant d’un simple affichage. Les entreprises vertueuses se trouvent ainsi désavantagées. L’institution d’une obligation générale de vigilance, assortie de sanctions dissuasives et de la possibilité, pour le juge, de publier sa décision, permettra d’apporter davantage de transparence sur les pratiques des entreprises, ce d’autant que les entreprises françaises ne seront pas les seules concernées.

De plus, le devoir de vigilance permettra de lutter contre les pratiques de dumping. De même qu’il existe un dumping social, il existe un dumping sur le respect des droits de l’Homme et de l’environnement : des entreprises localisent leurs activités dans des pays dont les normes sont moins rigoureuses et en tirent un avantage en termes de coûts. Le texte proposé sera donc un facteur d’équité entre les entreprises selon leurs lieux de production, et générera une égalisation relative des conditions de production. Les entreprises françaises, et a fortiori celles qui produisent sur le territoire français, ne pourront qu’en bénéficier.

L’instauration du devoir de vigilance devrait également être une mesure protectrice pour les entreprises. Elle leur permettra de se prémunir du risque en termes de réputation que peut potentiellement présenter pour elles toute production dans des pays où les conditions de travail sont moins favorables qu’en France. Son inscription dans la loi constitue également un facteur de sécurité juridique, à l’heure où le devoir de vigilance tend de toute manière à s’imposer, y compris dans les décisions des juridictions nationales. La Cour de cassation a ainsi reconnu, le 25 septembre 2012, dans l’affaire du naufrage de l’Erika, la responsabilité de la société mère pour les agissements de l’un de ses sous-traitants.

Enfin, il constitue un facteur d’équilibre entre grandes entreprises et petites et moyennes entreprises. Responsables au titre de leur devoir de vigilance, les grandes entreprises se montreront plus soucieuses d’assigner à leurs filiales, sous-traitants et fournisseurs des conditions contractuelles réalistes. Dans son inspiration, ce texte devrait remédier également, sur certains aspects, à la dissymétrie des relations entre grandes entreprises et PME.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

Mme Annick Le Loch, rapporteure pour avis. Le drame du Rana Plaza, survenu le 24 avril 2013, nous a rappelé avec douleur l’urgence qui s’attache à l’adaptation de notre appareil juridique à la nouvelle donne de la mondialisation. L’allongement et la complexification des circuits de production et de commercialisation ainsi que les fortes disparités en termes de conditions de travail et de protection de l’environnement à l’échelle de la planète autorisent les entreprises à laisser des catastrophes humaines, sanitaires et environnementales se produire sans que leur responsabilité puisse être recherchée. Outre l’effondrement du Rana Plaza, dont le caractère tragique avait marqué l’opinion, citons le cas des infrastructures sportives de la Coupe du monde de football au Qatar, pour la construction desquelles des ouvriers népalais travaillent dans des conditions inhumaines, ou la catastrophe de Bhopal en Inde en 1984.

La France, nation pionnière des droits de l’homme et des travailleurs, ne peut se désintéresser du sort des populations ainsi exploitées : d’une part, ce combat correspond à des valeurs que nous tenons pour universelles ; d’autre part, il y va de notre intérêt tant politique qu’économique et de la sauvegarde de l’environnement.

La proposition de loi déposée par le groupe socialiste, républicain et citoyen est le fruit d’un long travail de réflexion mené conjointement avec le Gouvernement et les autres groupes de gauche de notre assemblée ainsi qu’avec des organisations non gouvernementales (ONG) et des organisations représentatives des salariés et du patronat. Elle tire les leçons des débats qui ont eu lieu récemment lors de l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale, et de la proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, déposée par nos collègues du groupe écologiste. Je tiens ici à saluer le courage et la détermination de notre collègue Danielle Auroi, rapporteure de ce texte : elle a permis qu’un véritable débat s’engage dans notre assemblée sur cette question.

Le texte qui vous est proposé constitue une réponse équilibrée et opérationnelle aux drames présents et à venir. Il doit permettre, à terme, d’engager une démarche européenne autour de ces enjeux.

Il prend appui sur les déclarations de principe et les normes élaborées par des organisations internationales qui ont d’ores et déjà engagé des travaux essentiels sur cette question : principes directeurs de l’Organisation de coopération et de développement économique (OCDE) à destination des entreprises multinationales ; déclaration de principe tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale de l’Organisation internationale du travail (OIT) ; lignes directrices de la norme ISO 26 000 mise au point par l’Organisation internationale de normalisation ; principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’Homme adoptés à l’unanimité par le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies, le 17 juin 2011.

La France peut également s’appuyer sur les dispositifs adoptés dans les pays étrangers : au Canada, dont le code criminel prévoit depuis 2004 qu’une société est tenue de protéger ses employés et la population environnante contre le risque de dommages corporels et de prendre des mesures raisonnables en ce sens ; au Royaume-Uni, qui a adopté en 2010 une loi ambitieuse contre la corruption prévoyant que la responsabilité d’une entreprise est engagée dès lors qu’elle bénéficie des agissements répréhensibles d’un tiers ; en Suisse, enfin, dont le droit reconnaît que le manque d’organisation d’une entreprise est susceptible d’engager sa responsabilité pénale.

L’article 1er de la proposition de loi oblige les entreprises à établir un plan de vigilance comprenant des mesures de vigilance raisonnables permettant d’identifier et de prévenir la réalisation de risques d’atteinte aux droits de l’Homme et aux libertés fondamentales, de dommages corporels ou environnementaux graves ou de risques sanitaires. Les risques concernés résultent de l’activité tant de la société elle-même que des sociétés qu’elle contrôle ainsi que des sous-traitants ou fournisseurs sur lesquels elle exerce une influence déterminante. Le plan doit viser à prévenir les comportements de corruption active ou passive. Il est publié et la société doit rendre compte de sa mise en œuvre. Le défaut d’établissement ou de communication de ce plan ainsi que l’absence de rapport sur sa mise en œuvre exposent la société à une amende civile pouvant aller jusqu’à 10 millions d’euros.

Ce dispositif se concentre sur les grandes entreprises. Comme le prévoit l’article 1er, l’obligation d’établir un plan de vigilance concerne toute entreprise employant au moins 5 000 salariés en son sein et dans ses filiales, directes ou indirectes, lorsque le siège social est fixé en France, ou au moins 10 000 salariés en son sein et dans ses filiales directes ou indirectes, lorsque le siège social est fixé en France ou à l’étranger. Même si le choix de ces seuils peut faire l’objet de débats, il me paraît essentiel que l’obligation d’établir un plan de vigilance se concentre sur les grandes entreprises qui sont les plus directement concernées
– nous savons tous que les grandes multinationales représentent 80 % du commerce mondial. Ces entreprises disposent, par ailleurs, de moyens humains et financiers suffisants pour les élaborer et les mettre en œuvre. Afin d’éviter que des variations minimes d’effectifs ne contraignent des entreprises à l’élaboration d’un plan de vigilance pour une durée réduite, il est prévu que l’obligation ne s’applique que lorsque ces seuils sont atteints à la clôture de deux exercices consécutifs.

C’est seulement en cas de manquement aux obligations relatives au plan de vigilance que la responsabilité de la société pourra être recherchée sur les fondements des articles 1382 et 1383 du code civil, ainsi que le prévoit l’article 2 de la proposition de loi. La responsabilité de la société pourra ainsi être recherchée dans les conditions du droit commun, à la condition que soit prouvée l’existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité entre l’une et l’autre.

Ce dispositif constitue une évolution par rapport à la proposition de loi discutée en janvier dernier dans notre hémicycle, qui introduisait une présomption simple de faute de la part de l’entreprise. On pourra objecter que le déséquilibre des ressources entre plaignants et entreprises dans ce type d’affaires limite la portée de ce dispositif. Toutefois, l’instauration d’un plan de vigilance dont l’effectivité pourra être contrôlée par le juge constitue une première étape indispensable.

Je souhaite également souligner qu’il s’agit d’une innovation, aucun pays n’ayant actuellement étendu le devoir de vigilance à un tel éventail de risques.

En tant que membre de la commission des Affaires économiques, je voudrais insister sur le fait que ce texte est au service de nos entreprises et de leur compétitivité. L’introduction d’un plan de vigilance obligatoire permettra de valoriser les efforts des entreprises vertueuses qui appliquent déjà des procédures d’identification et de réduction des risques d’atteinte aux droits de l’Homme et à l’environnement – elles sont au nombre d’une centaine en France.

En outre, en assurant une plus grande transparence sur les efforts consentis par les entreprises en ces matières et une meilleure information du consommateur, ce texte rétablira des conditions de concurrence équitables entre ces entreprises et celles qui ne s’astreignent pas aux mêmes obligations ou qui ne s’y conforment qu’à des fins de communication. À l’échelle internationale, l’obligation de vigilance permettra également de rétablir des conditions de concurrence plus équitables entre les entreprises produisant sur le sol français et celles qui recourent au dumping sur les droits de l’Homme et l’environnement en délocalisant certaines de leurs activités dans des pays dont les normes sont moins rigoureuses.

Enfin, le devoir de vigilance constitue un facteur de sécurité pour les entreprises. À l’heure où l’opinion publique est de plus en plus sensible au comportement des entreprises en matière éthique et environnementale, il leur fournit un cadre d’action clair qui leur permettra de réduire le risque d’atteinte à leur réputation. De plus, l’inscription dans la loi d’une procédure clairement définie leur apporte une plus grande sécurité juridique dans un contexte où le devoir de vigilance commence à être reconnu par la jurisprudence, ainsi par la Cour de cassation, comme on l’a vu dans son jugement sur l’affaire du naufrage de l’Erika en septembre 2012.

Telles sont, en substance, les dispositions contenues dans cette proposition de loi, que nos débats permettront d’enrichir. Elle me semble d’ores et déjà constituer une étape essentielle dans la responsabilisation des grandes entreprises transnationales.

M. Dominique Potier. Mme Le Loch a parfaitement défini l’enjeu du débat qui nous réunit aujourd’hui. La proposition de loi que nous examinons constitue une avancée singulière : pour la première fois, la France va montrer l’exemple en ce domaine en proposant des dispositions législatives qui couvrent un champ complet de risques, des atteintes aux droits de l’Homme en passant par les risques pour l’écosystème jusqu’à la corruption.

Ce dispositif s’attache aux plus grandes de nos entreprises, qui, d’elles-mêmes, ont déjà mis en œuvre des principes de vigilance. Il repose sur une démarche dynamique d’adhésion que nous espérons voir partagée à l’échelle européenne. Par ce biais, pourront être instaurées des règles de commerce engendrant une mondialisation plus heureuse, plus humaine, plus régulée. Tel est le dessein de cette proposition de loi.

Il ne s’agit pas d’un grand soir mais d’un petit matin.

Le texte donne aux entreprises la capacité de garantir l’effectivité des dispositifs de prévention en établissant une possibilité de sanction par les juges. En cas de dommages, il permet d’établir un lien de causalité entre le non-respect du devoir de vigilance et la réparation due aux victimes.

Certes, il ne réglera pas tout, tout de suite. Toutefois, à l’instar du combat contre les paradis fiscaux, il enclenche une dynamique que nous souhaitons irréversible, celle de la défense d’une saine économie, qui ne méprise pas l’homme et met en valeur la production et le juste échange, loin des logiques spéculatives qui considèrent les hommes comme des déchets.

M. Jean-Marie Tetart. Lors de la discussion de la proposition de loi du groupe écologiste, nous avions souligné que l’intégration progressive et concrète de la responsabilité sociale et environnementale (RSE) dans la stratégie de nos entreprises était absolument nécessaire. Elle constitue, d’ailleurs, l’une des conditions pour donner une réalité aux politiques d’aide au développement ainsi qu’à l’efficacité de ces politiques sur le terrain. Toutefois, de telles dispositions peuvent conduire à réduire la compétitivité de nos entreprises par rapport à leurs concurrents qui ne seraient pas soumis aux mêmes obligations. Elles risquent également de complexifier encore leur gestion en ajoutant une strate de contraintes administratives et de risques au plan pénal. Je reconnais cependant que l’enjeu peut en valoir la peine.

Voilà que six semaines à peine après le renvoi en commission du texte de nos collègues du groupe écologiste, nous examinons une proposition de loi qui porte sur le même sujet. Certes, le contenu a quelque peu changé : d’une responsabilité juridique permanente des entreprises, on passe à l’obligation d’élaborer et de rendre public un plan de vigilance ; des précisions ont été apportées quant aux seuils et quant aux conditions de contestation. Nous prenons acte de cette évolution, mais déplorons que ce texte, pas plus que le précédent, ne se soit appuyé sur une étude d’impact comme on pourrait s’y attendre s’agissant de dispositions comportant de lourdes conséquences pour les entreprises. Cette absence conduit à se demander quel type de dialogue a pu être mené durant ces six semaines d’intervalle avec les entreprises potentiellement concernées.

Combien de sociétés se verraient appliquer l’obligation d’un plan de vigilance ? Où en sont-elles en matière de vigilance ? Combien ont déjà adopté la norme ISO 26000 ? Quelle est leur situation financière ? Quels délais auraient-elles pu demander pour se conformer aux obligations que le texte veut leur imposer ? Quel travail représenterait pour elles l’élaboration de plans de vigilance et leur mise en œuvre ? Quelles obligations s’imposent à leurs concurrents directs, dont le siège se situe hors de France ? Poser ces questions aurait permis de mieux éclairer la discussion à laquelle vous nous invitez aujourd’hui.

Si nous soutenons le principe d’un devoir de vigilance sans doute davantage aujourd’hui qu’il y a six semaines au vu de la forme qu’il prend, nous estimons ne pas avoir suffisamment d’éléments pour juger des conséquences de ces nouvelles dispositions pour les entreprises.

Le devoir de vigilance qui s’appliquera à nos entreprises peut se heurter, sur le terrain, à un cadre réglementaire qui n’y est pas favorable, à un droit du travail qui ne serait pas compatible avec les exigences qu’il imposerait, à certaines règles relatives à l’environnement. L’obstacle des réglementations locales pourrait toutefois être contourné si l’on autorise les entreprises à tenir compte dans leur plan des spécificités propres à chaque pays où elles sont présentes.

Ironie de notre calendrier, le 29 janvier, lors de la discussion de la proposition de loi écologiste, le Premier ministre était en Chine, accompagné d’une délégation d’industriels. Dans la presse, il n’a été mentionné nulle part qu’il aurait évoqué le respect du droit du travail, la protection de l’environnement ou la lutte contre la corruption, volets pourtant indispensables à la mise en œuvre de la RSE. Tout cela me fait dire que nous devons non seulement placer nos entreprises dans une position d’exemplarité mais aussi nous assurer que les pays où elles sont implantées font le même chemin dans leur législation.

Pour toutes ces raisons, nous voterons contre cette proposition de loi.

Mme Brigitte Allain. La proposition de loi déposée par le groupe SRC fait un petit pas vers l’introduction d’un devoir de vigilance qui s’imposerait aux grandes entreprises, aux très grandes entreprises même, car le seuil de 5 000 salariés envisagé est dix fois supérieur à celui proposé par l’Europe.

L’initiative est exceptionnelle, certes ; elle répond aussi aux attentes de la société civile. Rappelons que 160 000 citoyens ont soutenu la démarche du groupe écologiste et que, selon un sondage CSA commandé par le Forum citoyen pour la RSE, publié mardi 27 janvier, 80 % des Français interrogés estiment que les multinationales doivent être tenues responsables juridiquement des catastrophes humaines et environnementales provoquées par leurs filiales et sous-traitants. Preuve est faite que nos concitoyens soutiennent une initiative visant la justice et l’équité et que nul n’est dupe du chantage que tentent d’exercer les multinationales qui ne cherchent qu’à conforter leur impunité. Des drames comme le Rana Plaza ne peuvent se reproduire sans conséquences pour les sociétés mères.

Si l’intention de cette proposition de loi est louable et partagée, son contenu reste très en deçà de la proposition de loi déposée par les quatre groupes de gauche il y a plus d’un an et défendue le 29 janvier dernier par ma collègue Danielle Auroi dans le cadre de la niche du groupe écologiste.

Préparé en étroite concertation avec les ONG et soutenu par 250 d’entre elles, ce texte s’inscrivait dans la droite ligne des principes directeurs fixés par les Nations unies et l’OCDE en instaurant une obligation de vigilance assortie d’une obligation de moyens pour les grands groupes. Son dépôt avait enclenché une dynamique collective comme l’ont montré les initiatives du groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste et du groupe de la Gauche démocrate et républicaine. Nous espérons vivement que nos débats permettront de créer les conditions d’une convergence avec le groupe majoritaire. C’est dans cette perspective que nous présenterons des amendements conjoints pour améliorer le contenu du texte actuel et lui donner davantage de force.

Les bonnes pratiques et l’adoption de principes ne suffisent pas. Il est impératif pour l’accès des victimes à la justice de mettre en place des outils permettant d’identifier les responsabilités tout au long de la chaîne de valeur. Or, ce principe de responsabilité solidaire, nous ne le retrouvons pas dans la rédaction actuelle de la proposition de loi. Son inscription dans la loi est pourtant une étape essentielle à franchir pour éviter que la responsabilité des puissants ne se dilue dans la chaîne de production. Nous avons déposé un amendement pour combler cette lacune. Madame la rapporteure, c’est la responsabilité criminelle des multinationales que nous devons faire valoir quand elle est en cause.

D’autres questions se posent. Je pense en particulier aux seuils fixés pour déterminer quelles entreprises doivent être soumises à l’obligation d’élaborer un plan de vigilance, au renvoi au Conseil d’État des modalités d’application ou encore à la définition des liens de sous-traitance. C’est en fonction des avancées qui seront apportées en commission et en séance, et donc des éventuelles convergences qui se dessineront avec la proposition de loi que nous avions déposée, que le groupe écologiste arrêtera sa position finale.

M. Hervé Pellois. Nous voici réunis pour examiner une proposition de loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre moins de deux mois après celle qui avait été défendue par le groupe écologiste.

Je tiens tout d’abord à remercier nos deux collègues, Dominique Potier et Philippe Noguès, qui, depuis de longs mois, travaillent sur ce texte. Tout en poursuivant le même objectif que la précédente, cette seconde proposition de loi est dotée d’un dispositif plus resserré, plus clair, plus précis, donc plus sûr et plus efficace. En effet, si le travail accompli pour la rédaction de la première avait été remarquable en ce que son élaboration avait réuni Parlement et société civile, le groupe socialiste a jugé que certains points méritaient d’être repris. Après analyse, le dispositif proposé s’était révélé fragile sur le plan constitutionnel et complexe sur le plan juridique.

Le présent texte définit plus précisément les nouvelles obligations incombant aux entreprises donneuses d’ordre ; il établit clairement un lien entre le défaut de plan de vigilance et le préjudice constaté ; enfin, il rend possible l’application du droit commun de la responsabilité pour faute.

De bonnes pratiques ont déjà émergé depuis la mise en place de la Plateforme nationale d’action globale pour la responsabilité sociétale des entreprises. Il s’agit d’intégrer dans notre droit le recours à des règles de bonne conduite auxquelles la majorité des entreprises souscrit déjà, dans le respect de notre modèle juridique. Aux termes de l’article 1er, les sociétés anonymes d’une certaine taille seront désormais tenues de mettre en œuvre un plan de vigilance comportant des mesures raisonnables propres à prévenir les atteintes et les risques préalablement identifiés à travers, notamment, une cartographie des risques pays par pays, une contractualisation des obligations RSE ou encore des audits sociaux et environnementaux à tous les niveaux de la chaîne de valeur. Ainsi, nous passerons de ce que l’on appelle la soft law au droit pur et ferons de la vigilance un devoir véritable, en en tirant toutes les conséquences sur le plan juridique.

L’efficacité de la présente proposition de loi doit être garantie par sa publicité qui permet un contrôle par les personnes justifiant un intérêt à agir de même que par le pouvoir conféré aux juges, soit pour vérifier le contenu et la qualité du plan de vigilance, soit, en urgence, pour s’assurer de son existence et du sérieux de sa mise en œuvre. La société négligente pourra se voir infliger une amende civile susceptible d’atteindre 10 millions d’euros.

L’article 2 permet, quant à lui, d’engager la responsabilité civile d’une société concernée par un dommage qu’elle aurait raisonnablement pu éviter. Si le juge établit que la mise en œuvre d’une mesure de prévention aurait pu éviter ou minimiser le préjudice causé, alors la responsabilité de la société pourra être établie dans la limite classique du principe général de territorialité. En d’autres termes, des sanctions pénales s’appliqueront si la victime est française, si l’auteur est français et coupable d’un crime ou encore si l’auteur est français et coupable d’un délit également existant dans le pays où il a été commis.

Afin de fournir à la justice les moyens dont elle a besoin pour faire de la vigilance un devoir réel pour l’ensemble des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, je vous invite donc, chers collègues, à voter la présente proposition de loi. Ainsi ferons-nous un pas vers une nouvelle génération de droits garants du principe de loyauté et de réciprocité dans un monde globalisé. Ainsi ferons-nous avancer la moralisation des échanges économiques qui fait encore tant défaut aujourd’hui.

Mme Audrey Linkenheld. Dominique Potier est peut-être trop modeste : ce sera un petit matin plutôt qu’un grand soir, mais ce sera un beau matin. Le mieux est parfois l’ennemi du bien. Il faut savoir avancer par petits pas, car leur addition peut mener à de grands pas.

Pour faire un parallèle avec un sujet de nature différente, les avancées en matière de lutte contre le recours illégal aux travailleurs détachés ont pris du temps. C’est étape après étape que nous avons réussi à déterminer les responsabilités au bon niveau, y compris celles des donneurs d’ordre vis-à-vis de sous-traitants qui se retrouvaient coincés entre les obligations qui leur étaient imposées et les pressions économiques ou commerciales qu’ils subissaient par ailleurs.

De même, en matière de responsabilité sociale et environnementale des entreprises, nous avons trouvé la bonne manière d’avancer et je suis convaincue que nous arriverons un jour à nos fins – le plus rapidement possible, je l’espère, pour que des drames comme celui du Rana Plaza ne se reproduisent pas.

Mme la rapporteure pour avis. Tout le monde connaît l’attachement particulier de Dominique Potier à la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, et la fougue avec laquelle il défend cette proposition de loi pour faire avancer la moralisation de la vie économique et la régulation des échanges mondiaux. Nous ne pouvons que partager son ambition.

M. Tetart, vous avez souligné l’absence d’étude d’impact. Vous le savez, il est rare d’accompagner une proposition de loi d’une telle étude. Du reste, ce texte est équilibré, pragmatique et immédiatement applicable. Les entreprises françaises potentiellement concernées, au nombre de 150, sont déjà en mesure d’élaborer des plans de vigilance. Les efforts très concrets que nombre d’entre elles ont déjà fournis, en s’appuyant sur les avancées internationales que nous avons rappelées, vont trouver une formalisation juridique avec l’intégration dans notre droit des règles de bonne conduite.

Brigitte Allain a pointé la taille des entreprises visées par le texte. Il s’agit, en effet, de grandes entreprises telles qu’elles sont définies dans notre droit. Quant à la responsabilité juridique des entreprises, elle peut être pleinement établie grâce à notre texte alors que la proposition de loi de janvier 2015 ne prévoyait qu’une présomption de responsabilité.

M. Hervé Pellois s’est félicité de l’intégration dans notre droit des règles de bonne conduite. Il s’agit, en effet, d’une étape significative. Nous espérons que la France sera rejointe dans sa position pionnière par plusieurs pays de l’Union européenne.

Article 1er
(article L. 225-102-4 [nouveau] du code de commerce)
Obligation d’un plan de vigilance pour les sociétés mères et les entreprises donneuses d’ordres

La Commission est saisie de l’amendement CE1 de Mme Danielle Auroi.

Mme Brigitte Allain. Le seuil prévu réduit à très peu le nombre de sociétés devant prévoir un plan de vigilance. Nous proposons donc de l’abaisser en le rapprochant de celui prévu dans la directive sur le reporting extra-financier du 15 avril 2014, qui oblige les entreprises d’une certaine taille à inclure dans leur rapport de gestion une déclaration non financière comprenant des informations relatives aux questions environnementales, sociales et de personnel, ainsi qu’au respect des droits de l’Homme et à la lutte contre la corruption.

Mme la rapporteure pour avis. Avis défavorable. Si la discussion sur les seuils doit demeurer ouverte, je crois important que nous disposions d’une expertise plus précise sur le nombre et le type d’entreprises qui seraient concernées par le seuil proposé dans l’amendement. Le seuil de 5 000 salariés est celui qui est retenu dans notre droit pour distinguer les entreprises de taille intermédiaire des grandes entreprises. Or ce sont ces dernières que nous devons viser. De plus, il est reproché au texte d’introduire davantage de complexité dans la vie des entreprises, ce qui ne correspond pas à l’objectif que nous nous sommes fixé. C’est pourquoi il est préférable, à ce stade, de maintenir un seuil élevé, car nous sommes certains que les entreprises concernées disposent de moyens financiers et humains suffisants pour élaborer le plan de vigilance.

Mme Brigitte Allain. On ne peut accepter un tel seuil ; les très grandes entreprises ne peuvent être les seules concernées. Les entreprises impliquées dans le drame du Rana Plaza ne seraient pas visées par le texte tel qu’il nous est proposé. Je maintiens donc mon amendement.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CE17 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. Le texte prévoit que le périmètre du plan de vigilance couvre les activités des filiales directes ou indirectes d’une société, c’est-à-dire les sociétés dont elle possède plus de la moitié du capital social. Or ce périmètre paraît trop restreint, une entreprise transnationale pouvant fort bien déterminer la conduite d’une autre sans pour autant contrôler plus de la moitié de son capital. Nous proposons donc d’élargir le périmètre du plan de vigilance aux sociétés sur lesquelles est exercé un contrôle exclusif tel qu’il est défini à l’article L. 233-16 du code du commerce. Ce contrôle résulte de la détention de la majorité des droits de vote ou de la désignation pendant deux exercices successifs de la moitié des membres des organes d’administration, de direction ou de surveillance d’une autre entreprise ou encore du droit d’exercer une influence dominante en vertu d’un contrat ou de clauses statutaires.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle examine, en discussion commune les amendements CE2 de Mme Danielle Auroi et CE18 de la rapporteure pour avis.

Mme Brigitte Allain. L’alinéa 3 dispose que le plan de vigilance doit couvrir les activités des sous-traitants et des fournisseurs sur lesquels la société exerce une « influence déterminante ». Cette notion est trop restrictive. L’intention des auteurs de la proposition de loi est sans doute de limiter les controverses nées lors du drame du Rana Plaza sur la portée de la notion de « relation d’affaires » liant la société à ses fournisseurs, qui permet de déterminer le périmètre de la « diligence raisonnable ». Mais cet alinéa risque de produire des effets pervers, car les sociétés mères pourraient décider de limiter leurs relations avec certains sous-traitants et fournisseurs afin de réduire leur exposition aux risques. C’est pourquoi nous proposons de retenir la notion plus large de relation d’affaires, en référence aux principes directeurs de l’OCDE.

Mme la rapporteure pour avis. Avis défavorable à l’amendement CE2. L’amendement CE18 tend à substituer au critère, de fait trop restrictif, de l’influence déterminante, celui de l’existence d’une relation commerciale établie, définie par la jurisprudence comme « une relation durable dont chaque partenaire peut raisonnablement anticiper la poursuite pour l’avenir ». En effet, lorsque les commandes d’un fournisseur sont dispersées entre plusieurs donneurs d’ordre – ce qui était le cas dans l’affaire du Rana Plaza –, aucun d’entre eux n’exerce réellement une influence déterminante.

Mme Brigitte Allain. La notion de relation commerciale établie n’est pas clairement définie. Je maintiens donc mon amendement et je m’abstiendrai sur celui de Mme la rapporteure pour avis.

M. Dominique Potier. Je souhaiterais rassurer Mme Allain : le critère de « l’existence d’une relation commerciale établie » est plus large que celui de « l’influence déterminante ».

Mme la rapporteure pour avis. La relation commerciale établie est mentionnée à l’article L. 442-6 du code de commerce, et elle est définie par la jurisprudence comme « une relation durable dont chaque partenaire peut raisonnablement anticiper la poursuite pour l’avenir ».

Mme Brigitte Allain. Cette notion suscite des interrogations. On connaît, hélas ! la roublardise de certaines sociétés, qui pourraient échapper à l’obligation prévue dans le texte en n’entretenant avec des entreprises que des relations ponctuelles pour l’exécution d’un contrat très important.

La Commission rejette l’amendement CE2.

Puis elle adopte l’amendement CE18.

Elle examine ensuite, en discussion commune, les amendements CE3 de Mme Danielle Auroi et CE27 rectifié de la rapporteure pour avis.

Mme Brigitte Allain. Outre qu’une telle disposition peut avoir un aspect dilatoire, il n’y a pas lieu de préciser les modalités d’application du plan de vigilance par un décret en Conseil d’État, car celles-ci découlent de l’application de principes directeurs d’organisations internationales dont la France est membre. L’article 8 de la loi d’orientation et de programmation relative à la politique de développement et de solidarité internationale dispose ainsi que « la France encourage les sociétés ayant leur siège sur son territoire et implantées à l’étranger à mettre en œuvre les principes directeurs énoncés par l’Organisation de coopération et de développement économiques à l’intention des entreprises multinationales et les principes directeurs sur les entreprises et les droits de l’Homme adoptés par le Conseil des droits de l’Homme de l’Organisation des nations unies. »

Mme la rapporteure pour avis. Avis défavorable à l’amendement CE3. L’amendement CE27 rectifié réduit le champ d’application du décret en Conseil d’État que Mme Allain propose de supprimer, en en excluant notamment le contenu du plan de vigilance. Il prévoit, en effet, que ce décret en précisera les modalités de présentation et d’application. Cette précision est d’autant plus utile que des modalités de présentation homogènes faciliteront la comparaison des plans de vigilance publiés par les entreprises.

La Commission rejette l’amendement CE3.

Puis elle adopte l’amendement CE27 rectifié.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CE22 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. Il n’y a pas lieu de déroger aux règles de compétence juridictionnelle de droit commun en précisant que seules les juridictions civiles ou commerciales sont compétentes.

La Commission adopte l’amendement.

Elle en vient à l’amendement CE4 de Mme Danielle Auroi.

Mme Brigitte Allain. Pour que le devoir de vigilance des sociétés mères soit effectif, le juge doit pouvoir demander que le plan de vigilance soit mis en œuvre. En outre, s’il constate qu’un dommage est imminent, il doit pouvoir enjoindre à la société mère de prendre toutes les mesures possibles pour l’éviter. N’oublions pas, en effet, qu’il s’agit avant tout de prévenir la réalisation de dommages.

Mme la rapporteure pour avis. Avis défavorable. L’amendement CE4 est satisfait par la rédaction actuelle de la proposition de loi, qui permet au juge d’enjoindre à la société de rendre compte de la mise en œuvre du plan conformément au I de l’article 1er. Par ailleurs, le texte prévoit un recours en référé qui est précisément destiné à permettre au juge d’exiger de l’entreprise qu’elle prenne les mesures réclamées par une situation d’urgence.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CE23 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. Il s’agit de supprimer la faculté pour les parties de demander au juge d’infliger une amende civile. Ce dernier est seul compétent pour prononcer une telle amende ; il ne peut être sollicité en ce sens par des parties.

La Commission adopte l’amendement.

Elle est ensuite saisie de l’amendement CE5 de Mme Danielle Auroi.

Mme Brigitte Allain. La proposition de loi prévoit une amende civile dont le montant ne peut être supérieur à 10 millions d’euros. Un tel plafond garantit implicitement les sociétés concernées contre la prise en charge des catastrophes les plus coûteuses, qui sont aussi a priori les plus graves. Nous proposons donc de supprimer ce plafond et de prévoir une sanction financière en rapport avec le chiffre d’affaires du groupe concerné afin de permettre au juge de tenir compte de la capacité financière des entreprises concernées.

Mme la rapporteure pour avis. Avis défavorable. L’amende civile de 10 millions d’euros prévue par le texte n’est pas destinée à indemniser des victimes ou à réparer des dommages ; elle vise à inciter les entreprises à se conformer à leurs obligations en matière d’établissement, de publication et de mise en œuvre du plan de vigilance. Les dispositions relatives à la réparation des préjudices subis du fait des activités d’une entreprise figurent, quant à elles, à l’article 2. Le montant de l’amende, de 10 millions au plus, qui devra être déterminé par le juge en fonction de la situation de l’entreprise et de l’importance des manquements constatés, est suffisamment dissuasif.

M. Dominique Potier. Le juge peut également prononcer une astreinte dont le montant n’est pas plafonné. Le souci manifesté par Mme Allain de prévoir une sanction proportionnelle à la dimension de l’entreprise et à la défaillance constatée pourra donc être pris en compte dans ce cadre.

Mme Brigitte Allain. Nous faisons bien la distinction entre l’indemnisation du préjudice et l’amende civile. Mais il me paraît dangereux de prévoir un plafond dès lors que l’on ne connaît pas les capacités financières des entreprises concernées.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine l’amendement CE29 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. Certaines charges peuvent être déduites du résultat fiscal d’une entreprise. Afin de lever toute ambiguïté sur ce point, nous proposons d’inscrire dans le texte que l’amende civile infligée pour manquement à l’obligation d’établir un plan de vigilance n’est pas déductible du résultat fiscal.

La Commission adopte l’amendement.

Elle émet ensuite un avis favorable à l’adoption de l’article 1ermodifié.

Article 2
(article L. 225-102-5 [nouveau] du code de commerce)
Responsabilité des entreprises en cas de manquement au devoir de vigilance

La Commission est saisie de l’amendement CE7 de Mme Danielle Auroi.

Mme Brigitte Allain. La proposition de loi présente un risque, car les sociétés mères pourraient tenter de s’exonérer de leurs responsabilités en prouvant que le dommage survenu n’est pas la conséquence du non-respect de leur obligation de vigilance. Les articles 1382 et 1383 du code civil obligeant à réparer les dommages causés par son seul fait, ces sociétés auront beau jeu de démontrer que le dommage est dû à une faute du sous-traitant. Or ces derniers ont beaucoup moins de moyens financiers et ne pourront pas réparer intégralement les préjudices causés. C’est pourquoi cet amendement vise à tenir les sociétés mères pour solidairement responsables lorsqu’elles n’auront pas respecté leur engagement. La probabilité est forte, en effet, que les dommages auraient pu être évités ou atténués si elles avaient respecté leur devoir de vigilance.

Mme la rapporteure pour avis. Avis défavorable. L’amendement vise à introduire une présomption de responsabilité de la société mère. Or, au moins dans un premier temps, ce dispositif paraît trop sévère pour les entreprises. S’agissant de la responsabilité solidaire de la société, le droit commun de la responsabilité, auquel renvoie la proposition de loi, est suffisamment protecteur. Il permet, par exemple, au juge d’imputer la charge de la réparation du préjudice à la société la plus solvable, qui peut ensuite se retourner contre ses partenaires. Il permet donc d’obtenir la réparation du préjudice de façon sûre et rapide sans que la responsabilité solidaire de la société mère doive être mentionnée dans la loi.

La Commission rejette l’amendement.

Puis elle examine les amendements CE24 et CE25 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. L’amendement CE24 est un amendement de cohérence, compte tenu de l’adoption de l’amendement CE22.

Par ailleurs, les associations étant des personnes au sens juridique du terme, il est inutile de les mentionner explicitement dans le texte. C’est pourquoi l’amendement CE25 vise à supprimer les mots : « ou toute association » à l’alinéa 3.

La Commission adopte successivement les amendements CE24 et CE25.

L’amendement CE6 de Mme Danielle Auroi est retiré.

La Commission examine l’amendement CE26 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. Il s’agit de préciser, en cohérence avec l’ajout effectué au dernier alinéa de l’article 1er, que l’amende fiscale prévue à l’article 2 ne peut constituer une charge déductible du résultat fiscal.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle émet un avis favorable à l’adoption de l’article 2 modifié.

Après l’article 2

La Commission est saisie de l’amendement CE8 de Mme Danielle Auroi.

Mme Brigitte Allain. Par cet amendement, nous proposons de rendre les victimes de la négligence des multinationales éligibles au fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions.

Mme la rapporteure pour avis. Avis défavorable. Le fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions est alimenté par un prélèvement sur les contrats d’assurance de biens. Il n’a donc pas vocation à indemniser les dommages résultant des activités d’une entreprise.

La Commission rejette l’amendement.

Article 3
Applicabilité à Wallis-et-Futuna

La Commission est saisie de l’amendement CE30 de la rapporteure pour avis.

Mme la rapporteure pour avis. La proposition de loi prévoit explicitement l’applicabilité de son article 1er à Wallis-et-Futuna, mais non celle de son article 2, qui est pourtant tout aussi justifiée. Cet amendement vise à réparer cet oubli, en étendant aux îles Wallis-et-Futuna la possibilité de demander réparation des dommages commis par une société lorsqu’elle a manqué aux obligations relatives au plan de vigilance.

La Commission adopte l’amendement.

Puis elle émet un avis favorable à l’adoption de l’article 3 ainsi rédigé.

M. Jean-Marie Tetart. Je m’abstiendrai sur l’avis rendu par la Commission, le groupe UMP réservant son choix en attendant la lecture du texte qui sortira de la Commission des Lois.

Mme Brigitte Allain. Je regrette qu’aucune ouverture n’ait été possible. J’espère que, d’ici à l’examen de la proposition de loi en séance publique, nous pourrons travailler ensemble pour la rapprocher du texte qu’avait présenté le groupe écologiste. En l’état, celui-ci s’abstiendra sur l’avis rendu par la Commission.

La Commission émet un avis favorable à l’adoption de l’ensemble de la proposition de loi modifiée.

Table ronde réunissant des syndicats de représentants de salariés

● CFE-CGC

– M. Jean-Frédéric Dreyfus, expert confédéral RSE

● CFDT *

– M. Gérald Dumas, secrétaire confédéral au développement durable

● CGT

– Mme Fabienne Cru-Montblanc, membre de la commission exécutive

● CFTC

– M. Anthony Ratier, conseiller technique IRES/International/RSE

Table ronde réunissant des représentants d’entreprises

● Association française des entreprises privées (AFEP) *

– Mme Stéphanie Robert, directrice

– Mme Elisabeth Gambert, directrice RSE et affaires internationales

● Mouvement des entreprises de France (MEDEF) *

– Mme Catherine Minard, directrice des affaires internationales

– Mme Isabelle Tremeau, directrice adjointe à la direction des affaires juridiques

– M. Matthieu Pineda, chargé de mission à la direction des affaires publiques

● Centre international de recherche agronomique pour le développement (CIRAD)

– M. Patrick Caron, directeur général délégué à la recherche et à la stratégie

● Entreprise VEJA

– M. Sébastien Kopp, co-fondateur

Table ronde réunissant des organisations non gouvernementales (ONG)

● Amnesty International

– Mme Muriel Treibich, coordinatrice Acteurs économiques et droits humains

● Sherpa

– Mme Sandra Cossart, responsable du programme Globalisation et Droits humains (RSE)

● Les Amis de la Terre France

– Mme Juliette Renaud, chargée de campagne sur les industries extractives et la RSEE

● Collectif Éthique sur l’Étiquette

– Mme Nayla Ajaltouni, coordinatrice

● CCFD – Terre Solidaire

– Mme Mathilde Dupré, chargée de plaidoyer RSEE, coordinatrice du forum citoyen pour la RSE

Table ronde réunissant des universitaires

– M. Armand Hatchuel, Professeur à MINES ParisTech, directeur adjoint du centre, Professeur, CGS, ingénierie de la conception

– M. Guillaume Delalieux, responsable du cycle master stratégie et communication des organisations et du master commerce et finance internationale à l’IEP de Lille

– M. Olivier Favereau, directeur de l’école doctorale « Économie, organisations, société » à l’Université de Paris X

– Mme Cécile Renouard, philosophe, enseignante-chercheuse à ESSEC IRENE (Institut de recherche et d’enseignement sur la négociation)

Table ronde réunissant des juristes

– M. Nicolas Cuzacq, maître de conférences HDR en droit privé, agrégé d’économie et gestion et normalien

– Mme Anne Danis Fatôme, maître de conférences-HDR à l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense

– Pr. Charley Hannoun, professeur à l’Université Cergy-Pontoise, avocat au barreau de Paris

Vigeo

– Mme Nicole Notat, présidente-fondatrice

* Ces représentants d’intérêts ont procédé à leur inscription sur le registre de l’Assemblée nationale, s’engageant ainsi dans une démarche de transparence et de respect du code de conduite établi par le Bureau de l’Assemblée nationale.

© Assemblée nationale