N° 2881 - Rapport de M. Pierre-Yves Le Borgn' sur la proposition de résolution européenne de M. Joaquim Pueyo et Mme Marie-Louise Fort, rapporteur de la commission des affaires européennes sur la révision de la politique européenne de voisinage (n°2772)




N
° 2881

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 17 juin 2015

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE, sur la révision de la Politique européenne de voisinage

PAR M. Pierre-Yves LE BORGN’

Député

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Voir les numéros : 2771, 2772.

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SOMMAIRE

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Pages

I. DOUZE ANS DE POLITIQUE EUROPÉENNE DE VOISINAGE : DES RÉSULTATS PEU PROBANTS 9

A. LE PARTENARIAT EURO-MÉDITERRANÉEN : LE COÛT POLITIQUE, DIPLOMATIQUE, ÉCONOMIQUE, SOCIAL ET SÉCURITAIRE DU NON ESPACE MÉDITERRANÉEN 9

1. Une stratégie qui fait appel à des outils et formats de coopération multiples, mais peu coordonnés 9

a. Des accords bilatéraux d’association principalement axés sur la libéralisation des échanges 9

b. D’autres formats de coopération viennent compléter la Politique européenne de voisinage au sud 10

2. La révision de 2011 en réponse aux « révolutions arabes » 11

3. Ni perspective d’adhésion, ni démarche partenariale claire et adaptée 12

a. Un manque de vision stratégique et de suivi politique à haut niveau 12

b. Une absence de priorités politiques partagées 12

B. LE PARTENARIAT ORIENTAL : SIX PAYS VISÉS, TROIS ACCORDS D’ASSOCIATION SIGNÉS 13

1. L’offre principale : des accords d’association comprenant une quasi-intégration économique 14

a. Une offre acceptée seulement par trois pays 14

b. Des accords d’association qui intègrent de fait les pays signataires au « marché unique » 14

c. Mais sans « perspective européenne » 15

d. Avec l’Ukraine, une négociation chaotique qui a joué un rôle dans le déclenchement des événements actuels 16

2. Le traitement à part de la question des visas 17

3. Une politique qui a accentué la confrontation avec la Russie 18

a. Une politique qui a contribué à « braquer » la Russie 18

b. La question des relations avec l’Union économique eurasiatique 19

c. Des pays signataires des accords d’association qui ont en commun de sérieux contentieux avec la Russie 20

i. Des séparatismes soutenus par la Russie à des degrés divers 21

ii. En réaction, une volonté commune de se rapprocher de l’OTAN 22

iii. Le traitement politique des crises : l’Union européenne trop souvent aux « abonnés absents » ? 23

d. Les relations de l’Union européenne avec les autres partenaires orientaux dans ce contexte 24

II. POURQUOI LA POLITIQUE EUROPÉENNE DE VOISINAGE A-T-ELLE ÉCHOUÉ ? 27

A. L’AMBIGUÏTÉ FONDATRICE SUR LES OBJECTIFS 27

B. UNE POLITIQUE BOUSCULÉE PAR L’HISTOIRE 28

C. UNE POLITIQUE TROP « EURO-CENTRÉE » 28

D. DES ACTIONS CONDUITES SANS VISION ET SANS DIRECTION POLITIQUES 29

E. DANS UN CONTEXTE DE MOYENS INSUFFISANTS, UN ÉQUILIBRE MAL RESPECTÉ ENTRE LES DIMENSIONS ORIENTALE ET MÉRIDIONALE 30

III. QUELLE POLITIQUE DE VOISINAGE POUR DEMAIN ? 33

A. LE POINT CENTRAL : UNE STRATÉGIE CLAIRE ET UNE VRAIE DIRECTION POLITIQUE 33

1. Des priorités claires et mieux ciblées 33

2. Une dimension « sécurité » repensée et renforcée 34

3. Une meilleure coordination avec la politique étrangère et de sécurité et un vrai pilotage politique 34

B. POUR UNE POLITIQUE PLUS PROCHE DES RÉALITÉS DES PARTENAIRES 34

1. La nécessité d’offres plus différenciées et plus transparentes 34

2. La prise en compte des « voisins des voisins » 35

3. Pour une promotion des valeurs européennes qui évite toute « condescendance » : parier sur les sociétés civiles 35

C. LA NÉCESSITÉ DE PRÉSERVER L’ÉQUILIBRE ENTRE LA DIMENSION MÉRIDIONALE ET LA DIMENSION ORIENTALE 36

IV. LA REPRÉSENTATION NATIONALE DOIT EXPRIMER FORTEMENT SES PRÉOCCUPATIONS 37

A. LA RÉSOLUTION ADOPTÉE PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES EUROPÉENNES 37

1. L’approbation de plusieurs éléments de la Politique européenne de voisinage actuelle 38

2. Plusieurs axes de réforme 38

B. LA RÉSOLUTION TELLE QU’AMENDÉE PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES 39

TRAVAUX DE LA COMMISSION 41

ANNEXE N° 1 : AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION 49

ANNEXE N° 2 : TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION 51

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le concept de « Politique européenne de voisinage » a été formalisé en 2003. Il vise à organiser les relations de l’Union avec seize partenaires de son « voisinage », dont dix situés au sud, autour de la Méditerranée, et six localisés à l’est. L’objectif qui lui a été donné à l’origine est de « créer un espace de prospérité et de bon voisinage – un "cercle d’amis" – caractérisé par des relations étroites et pacifiques fondées sur la coopération » (1).

Cette politique a ensuite reçu sa consécration dans le droit européen à l’occasion du traité de Lisbonne : l’article 8 du traité sur l’Union européenne dispose que « l’Union développe avec les pays de son voisinage des relations privilégiées, en vue d’établir un espace de prospérité et de bon voisinage, fondé sur les valeurs de l’Union et caractérisé par des relations étroites et pacifiques reposant sur la coopération ».

Les instruments principaux de la Politique européenne de voisinage (PEV) sont bilatéraux : ils prennent la forme d’accords de portée générale proposés aux partenaires – accords euro-méditerranéens établissant une association, accords d’association ou accords de partenariat et de coopération –, complétés éventuellement par des accords spécifiques, notamment en matière de mobilité des personnes. Toutefois, dans une volonté de promouvoir également les démarches d’intégration régionale, deux plateformes régionales ont progressivement été mises en place pour décliner, respectivement au sud et à l’est, la Politique de voisinage : l’Union pour la Méditerranée et le Partenariat oriental.

Douze ans plus tard, la Politique de voisinage a certes permis le développement de nombreux programmes de coopération avec les pays concernés, appuyés sur des fonds communautaires conséquents : 12 milliards d’euros sur la période 2007-2013. Elle a peut-être contribué à resserrer les liens humains et économiques intenses qui existent entre l’Union et son voisinage : plus de 250 milliards d’euros de flux commerciaux bilatéraux annuels ; 3,2 millions de visa Schengen délivrés annuellement (chiffre de 2012) à des ressortissants des pays du voisinage.

Mais, globalement, cette politique a, de toute évidence, échoué à créer l’« espace de prospérité et de bon voisinage » qu’elle ambitionnait. Bien au contraire, l’impression générale qui se dégage est celle d’un voisinage où, globalement – cela ne vaut évidemment pas pour tous les partenaires – jamais l’instabilité, la guerre, le mépris des droits humains fondamentaux ainsi que du droit international, l’extrémisme et le terrorisme n’ont été aussi présents : guerres civiles en Libye et en Syrie, montée de Daech, blocage du processus de paix israélo-palestinien, drames des migrants en Méditerranée, crises de Crimée et du Donbass, etc. La Politique de voisinage n’a certes aucune responsabilité dans la plupart de ces situations désolantes, mais elle ne paraît pas avoir non plus été très efficace pour y remédier.

Dans leur récent et très complet rapport d’information sur la question (2), nos collègues Joaquim Pueyo et Marie-Louise Fort portent un jugement sévère mais juste sur la Politique de voisinage : elle souffre selon eux « d’un certain flou conceptuel, de la tension perpétuelle entre valeurs politiques et intérêts économiques, de la modestie des crédits au regard des enjeux, de lourdeurs bureaucratiques, mais aussi des différences de positionnement stratégique et des divergences politiques – voire des conflits – entre les seize pays partenaires. Au final, après une décennie d’existence, elle ne s’est pas imposée comme antidote à la multiplicité de problèmes institutionnels, politiques, économiques, sociaux, environnementaux, migratoires et sécuritaires dont souffrent les pays de notre voisinage et dont l’Union européenne subit le contrecoup direct ».

Cet échec justifie pleinement un réexamen de la Politique de voisinage en vue d’une réforme profonde, sinon d’une refondation. Les instances européennes elles-mêmes en sont convaincues, de sorte qu’elles ont lancé, en mars 2015, une consultation publique sur la question (3).

C’est dans ce cadre que la commission des affaires européennes de l’Assemblée nationale a confié à nos collègues précités la rédaction d’une proposition de résolution européenne, dont la commission des affaires étrangères s’est ensuite saisie et qui est l’objet du présent rapport.

Comme il a été dit supra, la Politique de voisinage, visant deux groupes de pays en pratique assez différents, les uns au sud, les autres à l’est, a progressivement mis en place deux déclinaisons régionales, le Partenariat euro-méditerranéen et le Partenariat oriental.

La politique euro-méditerranéenne a d’abord suivi la voie d’accords bilatéraux signés avec les pays du voisinage, dans le cadre du processus de Barcelone lancé en 1995, avant de promouvoir une approche plus régionale.

Lancé en 2008, le « Partenariat euro-méditerranéen » englobe l’Algérie, l’Égypte, Israël, la Jordanie, le Liban, la Libye, le Maroc, les territoires palestiniens, la Syrie et la Tunisie, soit près de 220 millions de personnes. La politique de voisinage a été révisée en 2011 en réponse aux « révolutions arabes ».

Entre 1998 et 2006, dans le cadre du partenariat dit « processus de Barcelone », l’Union européenne a conclu des accords euro-méditerranéens établissant une association (AEMEA) avec sept pays du sud de la Méditerranée, successivement : la Tunisie en 1998 ; le Maroc en 2000 ; Israël en 2000 ; la Jordanie en 2002 ; l’Égypte en 2004 ; l’Algérie en 2005 ; le Liban en 2006. Un accord intérimaire a également été signé en 1997 avec l’Autorité palestinienne.

Leur objectif est de promouvoir :

– le respect des principes démocratiques et des droits fondamentaux ;

– le dialogue régulier en matière politique et sécuritaire, afin de favoriser la compréhension mutuelle, la coopération et les initiatives communes ;

– la coopération économique, commerciale et financière, visant notamment la libéralisation progressive des échanges, le développement durable de la région et les investissements ;

– la coopération sociale, culturelle et en matière d’éducation, particulièrement à travers le dialogue interculturel, l’organisation d’une migration circulaire, le développement des qualifications, la promotion du droit du travail ou l’égalité hommes-femmes.

Les AEMEA fixent les conditions de la coopération entre l’Union européenne et chaque pays partenaire dans les domaines économique, social et culturel, mais ont principalement servi de base à la libéralisation progressive des échanges dans l’espace méditerranéen. Ils prévoient l’établissement progressif d’une zone de libre-échange en Méditerranée, dans le respect des règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

L’Union européenne a, sur la base des accords bilatéraux d’association signés avec les pays de son voisinage sud, établi des « plans d’action » avec l’ensemble des pays riverains de la Méditerranée, à l’exception notable de l’Algérie, de la Libye et de la Syrie.

Dans la continuité du processus de Barcelone lancé en 2005, l’Union pour la Méditerranée (UpM) a vu le jour en juillet 2008. Elle réunit 43 pays membres de l’Union européenne et de la Méditerranée dans un cadre intergouvernemental.

Cependant, les événements politiques survenus au lendemain de sa création, notamment l’opération israélienne « Plomb durci » en décembre 2008, puis les « révolutions arabes » à partir de 2011, ont freiné son plein développement.

Néanmoins, l’UpM est parvenu à maintenir un dialogue politique en s’appuyant sur une « Méditerranée des projets » œuvrant au développement économique et social de la région, parmi lesquels l’initiative Med4jobs dans le domaine de l’emploi, la création d’une université euro-méditerranéenne à Fès, ou encore un Plan solaire méditerranéen.

À cela s’ajoute un cadre non-communautaire dynamique, mais dont les orientations ne s’articulent pas toujours parfaitement avec les instances du cadre communautaire.

Le « Partenariat de Deauville » a été lancé en 2011 par la présidence française du G8, en vue de soutenir économiquement la transition politique de cinq pays partenaires que sont la Tunisie, l’Égypte, le Maroc, la Jordanie et la Libye. Il faut cependant souligner que la promesse de « Plan Marshall » en faveur de ces pays, notamment de la Tunisie, n’a pas été tenue.

Citons également le « Dialogue en Méditerranée occidentale », dit « 5+5 », qui réunit la France, l’Espagne, l’Italie, Malte et le Portugal, au nord, l’Algérie, la Libye, le Maroc, la Mauritanie et la Tunisie au sud. Ce dernier est aujourd’hui considéré comme le véritable noyau dur de la coopération euro-méditerranéenne.

Au lendemain des événements qui ont secoué le monde arabe en 2011, deux documents ont été publiés par la Commission européenne en mars et mai de la même année, afin de refonder les relations de l’Union avec la Méditerranée (4).

La politique de voisinage au sud a été révisée afin de « soutenir les partenaires qui engagent des réformes en faveur de la démocratie, de la primauté du droit et des droits de l’homme, de contribuer à leur développement économique inclusif et de promouvoir un partenariat avec les sociétés parallèlement aux relations avec les gouvernements ».

Ce qui devait être un repositionnement de la Politique de voisinage au sud s’est articulé autour de trois axes : une transformation démocratique et un renforcement des institutions, un partenariat renforcé avec les populations et l’augmentation des échanges humains, enfin, un développement durable et inclusif, mettant l’accent sur les PME.

Les plans d’action signés depuis 2011, dits « de deuxième génération », reflètent les réorientations décidées lors de la première révision de la PEV. En outre, ils comprennent aussi un volet de coopération en matière de Politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Cette approche est fondée sur :

– une plus grande différenciation, pays par pays, des objectifs de coopération, notamment à travers les plans d’action nationaux, qui doivent être plus ciblés sur les spécificités de chaque partenaire et adaptables, le cas échéant, à de nouvelles priorités financières ;

– l’accroissement de la conditionnalité de l’aide financière, désormais susceptible d’être revue à la hausse ou à la baisse en fonction des progrès accomplis en faveur de la démocratie et des droits de l’homme, concept résumé par l’expression « more for more », que l’on peut traduire par « donner davantage pour recevoir davantage » ;

– le soutien au développement d’une économie solidaire, favorable au commerce, aux investissements, à la réduction du chômage et au développement durable ;

– le renforcement des synergies régionales entre les partenaires, au sein du Partenariat oriental et de l’UpM.

La détérioration de la situation au Sahel, en Libye et en Syrie a considérablement compliqué la donne en Méditerranée et au Proche-Orient, et justifie plus que jamais que l’Union européenne y déploie sa Politique de voisinage, sans compter la persistance de conflits lancinants, tels que les questions israélo-palestinienne et chypriote, et la montée de la menace terroriste partout dans la région méditerranéenne.

La multiplication des crises dans le voisinage sud de l’Union européenne plaide pour le renforcement du volet stratégique de la Politique de voisinage dans cette direction, volet aujourd’hui quasi-absent.

En outre, le suivi politique de la Politique de voisinage sud n’est pas toujours assuré au plus haut niveau. Une réunion informelle des ministres des affaires étrangères des Vingt-Huit et des huit pays partenaires du voisinage Sud actifs s’est tenue le 13 avril 2015 à Barcelone, à l’initiative de Mme Federica Mogherini, de M. Johannes Hahn, de la présidence lettone, du ministre des affaires étrangères et de la coopération espagnol, M. José Manuel Garcia Margallo, ainsi que des secrétaires généraux de la Ligue arabe et de l’Union du Maghreb arabe (UMA). Il faut souligner que cette réunion était la première sous ce format depuis 2008 et qu’aucune déclaration conjointe finale n’a été formulée, par crainte d’un échec des discussions. Il est regrettable que ce type de réunion ne soit pas organisé à un rythme plus régulier et selon un agenda politique clarifié.

La notion d’espace euro-méditerranéen existe dans les discours, mais elle peine à s’incarner, principalement par manque de priorités politiques partagées par nos partenaires du sud.

Les chantiers engagés en matière de mobilité, d’échanges commerciaux sont lents à mettre en œuvre, et les moyens financiers, malgré leur augmentation, demeurent limités. Le principe du « more for more », ou conditionnalité renforcée, à laquelle certain de nos partenaires portent un attachement légitime, peut être perçu par nos partenaires au sud comme infantilisant et s’avérer contre-productif. Enfin, si la Méditerranée des projets doit être consolidée et soutenue, elle ne peut faire office de politique euro-méditerranéenne.

Certes, la coordination dans la lutte contre le terrorisme, la stabilisation politique en Afrique du Nord et au Proche-Orient, la gestion des flux illégaux de migrants en provenance des pays du voisinage Sud ou transitant par leur territoire sont des questions cruciales. Mais l’Union européenne aurait tort de croire pouvoir imposer son seul agenda à des pays confrontés à des défis qui leur sont propres et qui ont noué des partenariats solides avec d’autres acteurs tels que la Chine ou les pays du Golfe.

De nombreux domaines offrent des perspectives encourageantes de coopération, qui pourraient œuvrer plus efficacement et durablement à la construction d’un espace méditerranéen de « paix et de prospérité » : la coproduction, la formation et l’emploi des jeunes, les investissements croisés et le partage de la valeur ajoutée, la mobilité des personnes, l’énergie. L’expérience tunisienne montre que, en plus d’être appuyée sur des moyens budgétaires crédibles, la Politique de voisinage doit reposer sur une approche globale des besoins – éducatifs, économiques et sociaux – des populations.

Il est enfin crucial de mobiliser tous les acteurs du changement : les sociétés civiles et les collectivités locales n’ont pas été assez être consultées dans leurs diverses composantes, ni associées à la mise en œuvre de la PEV, alors même qu’elles peuvent jouer un rôle moteur dans les transitions politiques soutenues par l’Union européenne.

Le « Partenariat oriental », déclinaison pour le flanc est de la Politique européenne de voisinage, a été lancé en 2009 en direction de six pays : Arménie, Azerbaïdjan, Biélorussie, Géorgie, Moldavie et Ukraine. Issue d’une initiative polono-suédoise, sa création s’inscrivait dans un contexte marqué, d’une part par la guerre russo-géorgienne d’août 2008, d’autre part, s’agissant du voisinage méridional, par la création la même année de l’Union pour la Méditerranée. Ses objectifs sont :

– le renforcement du dialogue politique via la conclusion d’accords d’association, destinés à remplacer les accords de partenariat et de coopération signés dans les années 1990 entre l’Union et les pays concernés ;

– la libéralisation des échanges commerciaux et la reprise d’une part significative de l’« acquis communautaire » par le biais d’accords de libre-échange « complet et approfondi », intégrés aux accords d’association ;

– la libéralisation, à terme, du régime des visas de court séjour ;

– le développement de la coopération régionale au moyen de rencontres politiques et techniques et de projets concrets.

Le Partenariat oriental n’a pas donné lieu à la création d’une organisation internationale ad hoc, mais comporte cependant une certaine institutionnalisation, avec notamment l’organisation de sommets tous les deux ans, dont le dernier s’est réuni à Riga le 21 mai dernier.

En dehors du fait de donner un cadrage politique aux coopérations développées par l’Union vers les pays concernés, la principale concrétisation du Partenariat oriental a été l’offre à ceux-ci d’accords d’association.

Les négociations de ces accords d’association ont débuté, avec les partenaires orientaux volontaires, entre 2007 et 2010 selon les cas (5) et se sont conclues, techniquement, en 2012-2013.

Ensuite, les accords d’association ont été paraphés avec la Géorgie et la Moldavie le 29 novembre 2013 à Vilnius, lors du troisième sommet du Partenariat oriental, et signés le 27 juin 2014. Avec l’Ukraine, comme on y reviendra, les choses ont été beaucoup plus chaotiques, mais l’accord d’association a pu être signé finalement en deux fois, les 21 mars et 27 juin 2014.

Trois partenaires orientaux sur six ont donc signé un accord d’association.

Ces accords, qui s’inscrivent tous dans un modèle défini à Bruxelles, posent un certaine nombre de valeurs communes (démocratie, droits de l’homme, économie de marché, État de droit, lutte contre la corruption, non-prolifération des armes de destruction massive et lutte contre le terrorisme et la grande criminalité, etc.) et instaurent une coopération politique qui comprend notamment une « convergence progressive » en politique étrangère et de sécurité. Ils prévoient aussi de nombreux domaines de coopération technique, ce qui donne un cadre juridique aux actions de coopération de l’Union.

Enfin et surtout, leurs stipulations les plus nombreuses et les plus opérationnelles sont économiques et commerciales : chacun de ces accords est aussi un « accord de libre-échange complet et approfondi » tel que les promeut désormais la politique commerciale de l’Union (et qu’en ont été signés ou sont en cours de négociation avec des pays tels que la Corée du Sud, le Canada, le Japon et les États-Unis). Les trois accords qui ont finalement été signés avec la Géorgie, la Moldavie et l’Ukraine comportent donc tous l’établissement d’une zone de libre-échange entre chacun de ces pays et l’Union : les droits de douane doivent être supprimés sur la quasi-totalité (entre 98 % et 100 % selon les cas) des flux commerciaux, avec seulement quelques dérogations et clauses de sauvegarde, généralement temporaires (6). Par ailleurs, conformément à la notion de libre-échange « complet et approfondi », ces accords traitent de toutes les questions non-tarifaires mais ayant trait plus ou moins directement au commerce en ce sens qu’elles sont susceptibles d’entraver son développement : procédures douanières, réglementations techniques, sanitaires et phytosanitaires, liberté d’établissement des entreprises et de prestation de services, accès non-discriminatoire à des marchés publics transparents, droit de la concurrence, protection de la propriété intellectuelle (en particulier des indications géographiques), liberté de change et de transfert de capitaux, etc. Sur toutes ces questions, les accords d’association imposent à des degrés divers, selon des échéanciers précis, un alignement des pays partenaires sur l’« acquis communautaire ».

Les accords d’association doivent donc avoir pour effet une quasi-intégration de fait des partenaires orientaux dans le « marché unique », leurs clauses économiques étant très précises et exigeantes. En revanche, en termes politiques, l’association reste beaucoup plus une coopération de principe autour de grandes valeurs partagées.

Une autre caractéristique commune des accords d’association signés réside dans le soin qu’ils mettent à ne pas ouvrir de perspective future d’adhésion à l’Union pour les pays signataires.

Cette question a été fortement débattue au cours des négociations avec chacune de ces pays, qui souhaitaient vivement se voir formellement reconnaître une telle perspective et étaient soutenus dans cette demande par des États membres de l’est et du nord de l’Europe. Mais ils se sont heurtés à l’opposition déterminée d’autres États membres, dont la France.

Les préambules des différents accords rendent compte de cette tension :

– d’un côté, ils mettent en exergue les « valeurs communes » partagées avec l’Union, l’« identité européenne », les « aspirations européennes » ou encore la situation de « pays européen » de chacun des partenaires orientaux ;

– de l’autre, il est toujours précisé que l’accord ne doit préjuger en rien du développement ultérieur des relations entre eux et l’Union. Il faut rappeler à cet égard qu’il a été clair dès les débuts que le Partenariat oriental visait non à une adhésion de ses bénéficiaires, mais seulement à « l’établissement d’une association politique et un approfondissement de l’intégration économique » avec l’Union européenne, pour reprendre les termes de la déclaration commune adoptée lors du sommet fondateur du Partenariat oriental, à Prague le 7 mai 2009. Ce document indique aussi très clairement que ce partenariat « sera développé sans préjudice des aspirations exprimées par les différents pays partenaires en ce qui concerne leur future relation avec l’Union européenne ».

Si la négociation des accords d’association finalement signés a été assez aisée avec la Géorgie et la Moldavie, qui sont clairement et totalement engagées depuis plusieurs années dans une démarche de rapprochement avec l’Union, les choses ont été beaucoup plus difficiles et chaotiques avec l’Ukraine. Il n’est pas inutile de revenir sur l’histoire de cette négociation, car elle illustre malheureusement un certain manque de vision politique de la Politique européenne de voisinage.

La négociation de l’accord d’association avec l’Ukraine a débuté dès mars 2007 et, lors du 15ème sommet Union européenne-Ukraine du 19 décembre 2011, un accord politique avait été annoncé concernant le texte de l’accord, ensuite paraphé en deux fois les 30 mars et 19 juillet 2012.

Cependant, entre-temps, les élections présidentielles de 2010 avaient vu la défaite des partis pro-européens issus de la « Révolution orange » de 2004 et amené au pouvoir M. Viktor Ianoukovytch, représentant du « Parti des régions », implanté dans l’est et le sud largement russophones du pays, lequel parti a ensuite remporté les élections législatives de 2012.

La situation du président Ianoukovytch, tiraillé entre, d’une part, les intérêts économiques et la sensibilité de ses mandants, d’autre part, la détermination pro-européenne de l’autre partie de l’opinion ukrainienne, était difficile et il a peut-être cru qu’il pourrait louvoyer entre Bruxelles et Moscou pour tirer le meilleur parti de l’« hésitation » ukrainienne entre ces deux pôles d’influence. Cette politique d’atermoiements a sans doute été encouragée par la position dure alors adoptée par l’Union, laquelle, tandis même que l’accord était finalisé, a décidé en décembre 2012 de subordonner sa signature définitive à un certain nombre de concessions du pouvoir ukrainien : ces demandes, telles que la fin de la « justice sélective » qui avait conduit l’ancienne première ministre Ioulia Tymochenko en prison et l’amélioration du système électoral (corrompu), étaient légitimes dans leur principe, mais ont entretenu le climat de marchandage et de tension au cours de l’année 2013. Par ailleurs et surtout, le projet d’accord d’association proposé –avec une marge de négociation limitée – à l’Ukraine, en intégrant en pratique celle-ci au « marché unique » européen, était incompatible avec l’offre économique concurrente de la Russie, l’Union économique eurasiatique (voir infra), et plus généralement remettait en cause la profonde imbrication entre les économies russe et ukrainienne héritée de l’URSS.

Tout cela s’est fini par l’annonce, le 21 novembre 2013, juste avant le sommet de Vilnius, que le gouvernement ukrainien suspendait le processus d’association, ce qui a déclenché les manifestations qui devaient conduire à la révolution de Maïdan en février 2014 et à la chute du président Ianoukovytch, à son tour suivie par l’annexion – brutale et contraire au droit international – de la Crimée par la Russie et par la rébellion dans le Donbass.

Enfin, après la révolution, ce processus a pu être repris et parachevé avec le nouvel exécutif ukrainien, avec la signature dès le 21 mars 2014 du volet politique général de l’accord, puis de ses autres dispositions (libre-échange, « acquis communautaire » et coopérations diverses) le 27 juin de la même année.

Ce film des événements est intéressant, car il met en lumière la part de responsabilité de la Politique européenne de voisinage. Bien évidemment, la crise politique de novembre 2013-février 2014 en Ukraine, puis le conflit civil que connaît le Donbass depuis le printemps 2014 trouvent leurs sources profondes dans les clivages politiques et même identitaires profonds de l’Ukraine, dans la mauvaise gouvernance récurrente dont ce pays a souffert depuis son indépendance et dans la politique étrangère de plus en plus brutale de la Russie.

Mais le fait est que l’Union n’a pas su ou voulu percevoir la situation impossible dans laquelle son offre d’accord d’association comprenant une intégration économique plaçait la majorité au pouvoir à Kiev en 2012-2013. Personne, malheureusement, n’a été capable d’anticiper ce qui allait se passer. C’est à ce titre que la politique de l’Union a contribué au déclenchement des événements en Ukraine et à la crise actuelle.

La facilitation de la mobilité des personnes avec l’Union et à terme la suppression de l’obligation de visa pour les courts séjours (visas « Schengen », car de compétence communautaire, de moins de trois mois) constituent peut-être la première des demandes, le premier des espoirs pour la population des partenaires orientaux.

Il a été décidé de traiter cette question à part avec les partenaires orientaux :

– d’abord, en leur proposant des accords de « facilitation » des visas (réduction des tarifs et allégement des formalités), en contrepartie d’accords de réadmission (dans lesquels les pays s’engagent à faciliter le retour chez eux de leurs ressortissants en situation irrégulière dans l’Union) ;

– ensuite, en établissant avec eux des plans d’action en deux phases pour la libéralisation (suppression) des visas de court séjour, c’est-à-dire un processus contrôlé par l’Union dans lequel les pays engagés doivent d’abord mettre en place un certain nombre de législations et de réglementations concernant la gestion des flux migratoires et la fiabilité des documents tels que les passeports (première phase), puis se soumettre à la vérification de l’application effective de ces dispositifs (seconde phase).

Ce processus est arrivé à son terme pour un partenaire oriental, la Moldavie, qui est vraisemblablement celui présentant le moindre risque migratoire (7) : depuis le 28 avril 2014, les Moldaves porteur d’un passeport biométrique peuvent entrer sans visa, pour un court séjour, dans l’espace Schengen.

L’Ukraine et la Géorgie sont seulement entrées, respectivement depuis les 23 juin et 17 novembre 2014, dans la seconde phase de leur plan d’action pour la libéralisation des visas, après validation de leurs premières phases respectives. Les deux pays espèrent un achèvement du processus pour début 2016 (la déclaration finale du sommet de Riga du 21 mai 2015 n’est pas très explicite à cet égard mais entretient cette espérance en prenant acte de l’intention de la Commission européenne de vérifier les avancées des deux pays d’ici fin 2015).

S’agissant des autres partenaires orientaux, l’Arménie et l’Azerbaïdjan ont juste signé des accords de facilitation et de réadmission, entrés en application en 2014, tandis qu’avec la Biélorussie, ce sont seulement des discussions en vue de tels accords qui ont été entamées.

La formalisation du Partenariat oriental fait partie des initiatives européennes qui ont été très mal perçues à Moscou.

On sait que la Russie tend à considérer que les anciennes républiques soviétiques, qualifiées d’« étranger proche », doivent faire partie de sa zone d’influence, a fortiori si elles sont de langue slave, ont des liens très anciens avec elle et/ou ont une importante population d’origine russe ou russophone.

On sait aussi que ce pays a mal supporté les élargissements successifs à l’est de l’Union européenne et de l’OTAN, à l’occasion desquels les Occidentaux auraient, selon les Russes, profité de leur faiblesse des années 1990, voire n’auraient pas respecté des engagements qui auraient été pris au moment de la réunification allemande. Cette perception – qu’elle soit ou non fondée, là n’est pas la question – doit être prise en compte.

Dans ce contexte, la Russie ne pouvait pas voir avec sympathie une politique européenne visant à offrir une association politique et une quasi-intégration économique à six anciennes républiques soviétiques, tout en ignorant les liens de celles-ci avec la Russie.

Par ailleurs, les Russes ne manquent pas d’observer que les États membres à l’origine du Partenariat oriental – la Pologne et la Suède – ou qui en soutiennent activement la mise en œuvre – notamment les pays Baltes – sont aussi de ceux qui adoptent en général, dans les débats internes de l’Union (par exemple sur les sanctions liées à la crise ukrainienne), les positions les plus dures vis-à-vis de la Russie.

De plus, les accords d’association comprenant un volet de libre-échange « complet et approfondi » avec l’Union européenne signés par la Géorgie, la Moldavie et l’Ukraine remettent en cause les liens économiques traditionnels qui s’étaient maintenus dans l’espace post-soviétique et les tentatives actuelles d’intégration économique régionale.

Après la fin de l’URSS, les ex-républiques soviétiques ont maintenu, par de nombreux accords bilatéraux, des formes de libre-échange entre elles. En octobre 2011, les membres de la Communauté des États indépendants (CEI), qui regroupait alors l’ensemble des anciennes républiques soviétiques à l’exception des pays Baltes et de la Géorgie, ont signé un accord de libre-échange qui remplaçait ou complétait ces accords bilatéraux.

Voulant aller plus loin dans l’intégration économique, la Russie et ses alliés dans l’espace post-soviétique ont progressivement constitué une organisation régionale supranationale, l’Union économique eurasiatique, en place depuis le 1er janvier 2015 (elle avait été précédée par la Communauté économique eurasiatique, puis l’Espace économique eurasiatique) et qui regroupe à ce jour, outre la Russie, la Biélorussie, le Kazakhstan, l’Arménie et le Kirghizstan. L’Union économique eurasiatique comprend notamment une union douanière, donc une mise en commun de la politique commerciale extérieure de ses membres, auxquels il devient impossible de négocier des accords commerciaux qui leur seraient propres, ainsi qu’un équivalent de notre « marché unique » fondé sur l’harmonisation d’un certain nombre de législations économiques.

Le caractère d’union douanière de l’Union économique eurasiatique entraîne une stricte incompatibilité entre l’appartenance à cette organisation et l’éventuelle signature d’un accord d’association comprenant un volet commercial tel que ceux proposés dans le cadre du Partenariat oriental. Par ailleurs, le fait que ces accords impliquent aussi un alignement sur les réglementations communautaires (« acquis communautaire ») crée une autre contradiction dans la mesure où l’Union économique eurasiatique, de son côté, prévoit l’alignement sur un autre corpus réglementaire.

Les démarches parallèles, d’une part de l’Union européenne, du fait du type d’accord d’association promu par le Partenariat oriental, d’autre part de la Russie, dans le cadre de l’Union économique eurasiatique, ont donc pour effet d’obliger les ex-républiques soviétiques à choisir, sans conciliation possible, entre ces deux démarches. On a donc une situation qui concourt à inscrire le Partenariat oriental dans une logique de « bloc » et de confrontation qui ne fait pas partie de ses objectifs officiels. De plus, on constate que les institutions européennes continuent à être très réticentes quant au lancement d’un dialogue avec l’Union économique eurasiatique concernant ses champs de compétence (notamment les questions commerciales), alors que, pourtant, cette organisation a largement été inspirée par l’exemple européen (8) et qu’en principe l’Union soutient les formes d’intégration régionale.

Il faut toutefois se féliciter de ce que, s’agissant de l’Ukraine et malgré les crises de Crimée et du Donbass, des arrangements provisoires aient finalement pu être trouvés sur ces questions commerciales :

– suite des consultations trilatérales avec la Russie et l’Ukraine, l’Union européenne a décidé le 12 septembre 2014 de repousser jusqu’au 1er janvier 2016 l’application des clauses commerciales de l’accord d’association. De son côté, la Russie a confirmé que le régime préférentiel dont bénéficie l’Ukraine au titre de l’accord de libre-échange entre les États de la CEI continuera de s’appliquer ;

– en matière gazière, la médiation de l’Union dans les anciens et difficiles démêlés entre l’Ukraine et la Russie a facilité, après la suspension des livraisons russes en juin 2014, la conclusion en octobre de la même année d’un compromis provisoire qui a permis la reprise de ces livraisons en décembre 2014 et a été prolongé jusque fin juin 2015.

La Géorgie, la Moldavie et l’Ukraine ont en commun d’avoir de sérieux contentieux avec la Russie : pour les deux premières, ces contentieux sont antérieurs à la démarche du Partenariat oriental ; pour l’Ukraine, cette démarche a, on l’a dit, sa part de responsabilité dans les événements survenus.

Ces contentieux sont liés au soutien apporté par la Russie aux séparatismes locaux à l’œuvre dans les trois pays, auxquels s’ajoute dans le cas de l’Ukraine l’annexion de la Crimée.

La sécession des régions séparatistes remonte, s’agissant de la Géorgie et de la Moldavie, aux premières années qui ont suivi la fin de l’URSS et l’indépendance de ces pays en 1991 : le mouvement de dissociation de l’URSS entre ses quinze anciennes républiques a aussi suscité des mouvements centrifuges de plus petites unités territoriales, pour lesquelles la Russie est souvent apparue comme un recours, soit que leur population soit russophone, soit qu’elle soit russifiée comme c’était souvent le cas pour les petites minorités, soit parce que la Russie conservait un caractère multi-ethnique alors que les autres républiques étaient parfois tentées par un nationalisme centraliste.

La Géorgie

Les conflits d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie se sont principalement déroulés entre 1991 et 1994, puis en 1998, entre des régions sécessionnistes soutenues par la Russie et un gouvernement central géorgien qui voulait remettre en cause leur autonomie. Ils ont alors fait plus de 10 000 morts et 300 000 réfugiés.

À nouveau, du 7 au 16 août 2008, suite à divers incidents sur la ligne de cessez-le-feu en Ossétie du Sud, un violent conflit a opposé la Russie et la Géorgie, qui a vu les troupes russes déployées dans les deux régions séparatistes envahir une partie du reste de son territoire. La médiation de la France, exercée au nom de l’Union européenne dont elle assurait alors la présidence, a permis l’arrêt de l’avancée des troupes russes dès le 12 août 2008 et l’adoption d’un plan de résolution du conflit en six points.

Cependant, les discussions engagées n’ont pas abouti à un règlement. La reprise des contacts politiques entre les gouvernements russe et géorgien, consécutive à l’alternance politique qui a amené au pouvoir à Tbilissi une majorité moins hostile à la Russie en 2012-2013, n’a permis des avancées que sur des litiges secondaires, tels que les embargos « sanitaires » imposés par la Russie contre certains produits géorgiens.

Le 26 août 2008, la Russie a officiellement reconnu l’indépendance revendiquée par l’Ossétie du Sud et l’Abkhazie. Elle y maintient environ 10 000 soldats. Dans le contexte créé par la crise ukrainienne et la signature de l’accord d’association avec l’Union européenne par la Géorgie, la Russie a récemment renforcé ses liens avec les deux entités séparatistes en signant avec elles (le 24 novembre 2014 s’agissant de l’Abkhazie et le 18 mars 2015 s’agissant de l’Ossétie du Sud) des traités qui conduisent à une large intégration de fait de celles-ci à la Russie (création d’espaces de défense et de sécurité communs, union douanière…).

La Moldavie

En septembre 1991, la population de la rive orientale du Dniestr, en majorité slavophone, a proclamé la « république moldave du Dniestr », avec pour capitale Tiraspol. À l’issue d’un conflit armé qui a fait plus de 500 morts et impliqué directement les forces militaires russes présentes sur place aux côtés des séparatistes, un cessez-le-feu a été signé en juillet 1992. La Transnistrie a depuis lors tous les attributs d’un État de fait, même si elle ne bénéficie d’aucune reconnaissance internationale. L’armée russe est toujours présente, avec environ 1 400 personnels, notamment au titre du « maintien de la paix », mais de fait surtout pour garantir le maintien de la « république » séparatiste, que par ailleurs la Russie aide massivement sur le plan financier.

L’Ukraine

La Crimée a été annexée par la Russie suite à une opération militaire à peine déguisée qui a été menée le 27 février 2014, moins d’une semaine après la chute du président Ianoukovytch. Dès le 16 mars suivant, un referendum (invérifiable) approuvait le rattachement de la péninsule à la Russie, acté par un décret présidentiel russe le 20 mars, au mépris du droit international.

Dans le Donbass, les choses se sont passées différemment, débutant par des protestations populaires contre le changement de régime à Kiev et aboutissant en avril 2014 à la proclamation de « républiques populaires » à Donetsk et Louhansk et à une rébellion armée. Mais ensuite, quand celle-ci, à la fin du printemps 2014, a été confrontée à l’ « opération antiterroriste » du gouvernement ukrainien, la Russie a commencé à intervenir en envoyant en abondance des matériels et des hommes – jusqu’à 10 000 à 15 000 selon l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE).

Le conflit, apaisé grâce au processus de Minsk conduit en « format Normandie » associant les dirigeants français et allemands à leurs homologues ukrainiens et russes, est loin d’être réglé. Il a provoqué plus de 6 400 morts, 16 000 blessés et le déplacement de près de 2 millions de personnes.

En situation d’affrontement plus ou moins ouvert avec la Russie, les trois pays signataires des accords d’association lient leur engagement européen à un engagement atlantique.

La Géorgie a fait depuis une décennie le choix stratégique de la candidature à l’OTAN. En Ukraine, ce choix, déjà fait après la Révolution orange, avait été remis en cause avec l’élection du président Ianoukovytch en 2010, lequel avait fait voter une loi donnant à son pays un statut de neutralité « hors blocs ». Mais la révolution de Maïdan a conduit à réaffirmer la volonté du pays d’adhérer à l’Alliance atlantique et la loi « hors blocs » a été abrogée en décembre 2014.

Les deux pays se sont vus reconnaître une vocation à rejoindre l’OTAN lors de son sommet à Bucarest en avril 2008, leur éventuelle candidature étant cependant repoussée à une date indéterminée.

La position de la Moldavie reste différente : elle a un statut de neutralité inscrit dans sa constitution et n’a pas, à ce jour, affirmé de volonté d’entrer dans l’Alliance atlantique. Toutefois, la question est régulièrement évoquée dans certains partis de la majorité pro-européenne au pouvoir.

Il faut enfin observer la modestie de la contribution de l’Union européenne en tant que telle et de ses politiques au traitement des différents conflits qui concernent les partenaires orientaux.

Cette contribution n’est certes pas inexistante : outre ses soutiens financiers aux pays mis en difficulté par les crises – s’agissant de l’Ukraine, l’Union et les établissements financiers qui lui sont liés pourraient débloquer plus de 11 milliards d’euros sur 2014-2020 –, elle a notamment déployé :

– dans le Caucase, la Mission de surveillance de l’Union européenne, dont le mandat est régulièrement reconduit depuis 2008 et qui reste seule sur le terrain après le départ des missions des Nations-Unies et de l’OSCE. Toutefois, les résultats de l’action de cette mission sont limités : elle n’a pas accès au territoire des entités séparatistes et n’a pas réussi à promouvoir efficacement des « mesures de confiance » sur la ligne de cessez-le-feu ;

– depuis 2005, sur la frontière ukraino-moldave, c’est-à-dire en grande partie en pratique entre l’Ukraine et la Transnistrie, la Mission d’assistance au contrôle de la frontière entre la Moldavie et l’Ukraine (EUBAM), dont le mandat, plusieurs fois reconduit, court jusqu’au 30 novembre 2015. Cette mission a joué un certain rôle d’apaisement (par son soutien à la mise en œuvre de « mesures de confiance », son entremise pour organiser des rencontres entre les autorités moldaves et les autorités de fait transnistriennes sur des questions techniques, son rôle facilitateur pour rétablir le trafic ferroviaire entre Chisinau et Odessa via la Transnistrie…).

Mais les limites de la capacité de l’Union européenne et de ses institutions à jouer un rôle apparaissent bien dans la crise ukrainienne. C’est en effet l’initiative de gouvernants des États membres qui a joué le rôle le plus déterminant dans l’aide au règlement de celle-ci, dans ses différents aspects :

– c’est la médiation des ministres des affaires étrangères des trois pays du « triangle de Weimar » (France, Allemagne et Pologne) qui a facilité le 21 février 2014 la conclusion d’un accord qui fournissait une porte de sortie politique aux affrontements de plus en plus sanglants de la place Maïdan ;

– ce sont ensuite la France et l’Allemagne qui ont su établir, grâce à l’implication personnelle du Président de la République et de la Chancelière fédérale, un dialogue à quatre avec la Russie et l’Ukraine sur le Donbass, le « format Normandie ». Ce mode de dialogue s’est ensuite imposé pour conclure les différents accords de Minsk. Quant à l’organisation internationale choisie pour assurer la médiation entre les parties dans la mise en œuvre technique de ces accords et pour l’observer sur le terrain, on sait que ce n’est pas l’Union, mais l’OSCE.

Enfin, le centrage du Partenariat oriental sur l’offre d’accords d’association a conduit à laisser un peu à l’abandon les relations avec ceux des partenaires orientaux qui n’ont pas voulu conclure ces accords.

La Biélorussie

Il est vrai que les attentes étaient de toute façon limitées à l’endroit de l’un de ces pays, la Biélorussie. Compte tenu des choix politiques du régime biélorusse, le processus de mise en œuvre du cadre précédent des relations avec l’Union européenne est depuis longtemps gelé : l’accord de partenariat et de coopération signé avec ce pays, comme avec toutes les autres ex-républiques soviétiques, n’a jamais été ratifié ; le processus est stoppé depuis 1997.

Assez curieusement, il faut toutefois observer que la tension actuelle entre l’Occident et la Russie permet un certain réchauffement des relations européennes avec la Biélorussie : alliée traditionnelle de la Russie, celle-ci n’en est pas moins inquiète de la tournure présente de la politique étrangère russe et a adopté des positions modérées sur les questions concernant l’Ukraine. Ce n’est pas un hasard si c’est à Minsk que s’est noué le dialogue destiné à résoudre le conflit du Donbass.

L’Azerbaïdjan

De son côté, l’Azerbaïdjan a vite manifesté que le dialogue avec l’Union l’intéressait surtout dans certains domaines – en particulier l’énergie, avec la constitution du corridor de gazoducs permettant l’exportation de son gaz vers l’Europe via la Géorgie et la Turquie, qui répond aussi à un intérêt majeur de l’Union –, mais beaucoup moins dans d’autres – par exemple, les droits de l’homme. Ce pays, auquel sa richesse en hydrocarbures donne les moyens d’une réelle indépendance face aux « blocs », n’est donc pas demandeur d’un rapprochement global tel que les accords d’association le promeuvent.

Dans ces conditions, la négociation d’un accord de cette nature, engagée en 2010, s’est enlisée, d’autant que la non-appartenance du pays à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en bloque aussi le volet commercial.

Une négociation alternative a été lancée en 2013, celle d’un « partenariat stratégique pour la modernisation » qui serait centré sur les secteurs d’intérêt commun comme l’énergie et le développement économique.

L’Arménie

C’est dans les relations de l’Union avec l’Arménie que le manque d’adaptation du Partenariat oriental aux contraintes des partenaires a conduit, jusqu’à présent, à un manque d’avancées qui ne correspond pas aux attentes des deux parties.

D’un côté, ce pays a un « tropisme » européen et occidental très fort, lié au sentiment d’appartenance culturelle et entretenu par les liens humains que permet l’existence d’une diaspora très nombreuse (en particulier en France (9)).

De l’autre, il est dans une situation de réelle dépendance vis-à-vis de la Russie : cette dépendance n’est pas seulement économique, du fait notamment de l’importance des envois de fonds des travailleurs installés en Russie, mais aussi et surtout stratégique, l’Arménie ayant besoin – face à l’Azerbaïdjan et potentiellement à la Turquie – de la réassurance fournie par le maintien de militaires russes sur son territoire et l’appartenance à l’Organisation du traité de sécurité collective (l’alliance militaire des « amis de Moscou »), laquelle lui permet aussi de se fournir en armements russes à bon compte.

Dans ces conditions, il n’est pas étonnant que l’Arménie ait cédé à l’offre insistante de la Russie en annonçant, le 3 septembre 2013, son intention de rejoindre l’Union économique eurasiatique.

Mais, compte tenu de l’incompatibilité entre l’adhésion à cette organisation et la signature d’accords d’association tels que ceux proposés aux partenaires orientaux, ce choix a rendu caduc le projet d’accord d’association que pourtant l’Arménie avait également finalisé avec l’Union européenne.

Depuis, l’Union et l’Arménie ont convenu de rechercher un accord alternatif moins ambitieux, mais en sont encore aux préliminaires, ayant seulement lancé en novembre 2014 des discussions sur la définition des domaines de coopération possibles. Il est clair que beaucoup de temps a été perdu, alors que la volonté des deux parties de développer leurs relations est certaine.

Le bilan de l’action de l’Union européenne dans son voisinage ressort donc très décevant après douze ans de Politique de voisinage :

– au sud, tout à la fois les opportunités – avec le Printemps arabe – et les crises se sont multipliées. L’Union européenne a assisté à ces dernières sans être en capacité d’agir significativement pour aider à leur solution. Elle n’a pas non plus été en mesure d’apporter un appui décisif aux démocraties en construction, notamment à la Tunisie, alors que c’est là qu’elle était le plus attendue, car c’est là qu’une diplomatie d’influence agissant à travers des coopérations et dotée de moyens budgétaires pouvait être la plus efficace ;

– à l’est, l’offre assez rigide d’accords d’association très exigeants sur le volet économique a eu sa part dans le déclenchement de la crise ukrainienne, a entraîné une perte de temps avec un partenaire de bonne volonté mais qui ne pouvait pas accepter cette offre tel que l’Arménie et, plus généralement, n’a pas été une alternative crédible à l’élargissement.

En effet, cette offre n’a été saisie – et ne pouvait l’être – que par ceux des partenaires dont l’objectif central était et demeure l’adhésion à l’Union. L’intégration économique sans participation aux institutions communautaires est le choix de pays tels que la Norvège ou la Suisse pour lesquels cette intégration ne pose aucune problème et est immédiatement rentable compte tenu de leur développement économique et social, mais qu’une sensibilité particulière de leur population et quelques intérêts sectoriels conduisent à vouloir rester officiellement en dehors de l’Union. Mais cette option n’est pas « vendable » à des partenaires orientaux auxquels l’on demande, en vue de leur intégration économique, des efforts considérables d’adaptation.

Pourquoi est-on arrivé à ce qu’il faut bien appeler un échec ?

La première faiblesse de la Politique de voisinage tient au manque de clarté de ses objectifs.

Ceux affichés dans sa définition « officielle », gravée dans la marbre du traité de Lisbonne, sont à la fois très généraux et sans doute exagérément optimistes : prospérité, bon voisinage, coopération…

On sait qu’en fait, la Politique de voisinage a été pensée par certains comme une alternative à l’élargissement à un moment où l’on découvrait que le processus d’élargissement ne pouvait pas être indéfini et ne s’étendrait pas, en tout état de cause, à des pays géographiquement clairement non-européens (alors que le Maroc, par exemple, a manifesté dans le passé une intention d’adhésion). Mais, en l’absence de tout consensus entre les États membres sur le degré de poursuite de l’élargissement qui était souhaitable, cet objectif de la Politique de voisinage est resté inavoué et l’ambiguïté a été maintenue. Elle a même été délibérément entretenue avec le choix du rapprochement sous l’autorité du même commissaire européen des politiques d’élargissement et de voisinage : cette architecture, mise en place en 2009 dans le cadre de la Commission « Barroso II », a été conservée dans la Commission actuelle, où M. Johannes Hahn a les deux compétences.

Deuxième point : la Politique européenne de voisinage a été bousculée par l’Histoire, très agitée depuis une décennie dans les pays qu’elle cible.

Comme le rappelle M. Eneko Landaburu dans une tribune récente de Notre Europe (10), la Politique de voisinage a été conçue dans un contexte compatible géopolitique qui pouvait apparaître compatible avec son ambition d’établir un « cercle d’amis » autour de l’Union : en 2003-2004, la Russie n’était pas encore dans la logique de confrontation avec l’Occident qui la caractérise maintenant et les pays du monde arabe se caractérisaient sauf exception par des régimes stables, certes souvent très répressifs, mais qui contribuaient efficacement à la lutte contre l’islamisme radical et à la maîtrise des flux migratoires.

Mais les choses ont bien changé en quelques années : Printemps arabe, guerres civiles en Libye et en Syrie, apparition de Daech, choix par la Russie d’une politique assumée d’affrontement avec l’Occident et utilisation de la « manière forte » par ce pays contre la Géorgie et l’Ukraine… La Politique de voisinage n’est pas responsable de ces changements radicaux, mais n’était évidemment pas en mesure de peser sur eux. Et donc, comme le conclut M. Landaburu, « force est de constater que les objectifs prônés il y a dix ans se sont éloignés du champ des possibles ».

Face à l’évolution souvent très violente du voisinage de l’Union, il n’est pas certain qu’une Politique de voisinage conçue autrement aurait réellement pu influer sur le cours des choses.

Mais les erreurs de conception de la Politique de voisinage telle qu’elle a été mise en place ont certainement accru son impuissance. L’une de ces erreurs les plus fondamentales, qui a plusieurs conséquences, tient au caractère « euro-centré » de cette politique. La tribune précitée de M. Landaburu relève ainsi que « l’un des postulats sur lequel reposait cette politique était l’adhésion de ces partenaires aux mêmes valeurs et principes politiques que les nôtres (…). L’approche était (…) trop eurocentrée et unilatérale car elle visait à absorber nos voisins dans le giron européen et non à bâtir une coopération sur le respect des différences. Par ailleurs, la méthode choisie d’approximation législative et d’"institution building", proche de celle appliquée pour les adhésions à l’Union, s’est avérée dans ce contexte comme trop exigeante, irréaliste et ambitieuse pour fonctionner et porter des fruits ».

La conception « euro-centrée » de la Politique de voisinage a plusieurs conséquences dommageables :

– le refus de prendre en compte les différences de valeurs et de sensibilités, de même d’ailleurs que les différences d’intérêts objectifs et de situations géopolitiques, entre l’Europe et ses partenaires et parmi ces derniers, a conduit à proposer à tous les mêmes formules sans différenciation ;

– cette approche a légitimement été perçue comme condescendante par de nombreux partenaires, notamment au sud ;

– pour d’autres, a priori bien disposés vis-à-vis de l’Union et désireux de s’en rapprocher, elle a tout simplement été jugée trop exigeante car elle heurtait des intérêts fondamentaux (cf. le cas de la renonciation de l’Arménie à l’accord d’association, évoquée supra : ce pays ne peut pas se permettre de distendre ses liens stratégiques avec la Russie) ;

– enfin, cette manière de procéder ne pouvait conduire qu’à ignorer le second cercle, celui des « voisins des voisins », et leurs interactions avec les partenaires du premier cercle. Or, ce second cercle comprend des pays tels que la Russie dont on ne peut pas raisonnablement ignorer les intérêts et les exigences, qu’elles soient ou non fondées. Il comprend aussi des pays, comme ceux du Sahel, dont la stabilité est étroitement corrélée à celle de pays du voisinage (si l’on pense par exemple aux interactions évidentes entre la chute du régime Kadhafi et les poussés djihadistes au Mali et au Niger) et qui sont aussi des maillons essentiels si l’on veut maîtriser les flux migratoires incontrôlés.

Si la Politique de voisinage a été si peu capable de prendre en compte les différences de sensibilités et de situation objective des partenaires ciblés, ainsi que leurs interactions avec leur propre environnement régional, bref si elle a été menée d’une manière bien peu « diplomatique », c’est sans doute en raison de son mode de gestion :

– comme l’observent nos collègues Joaquim Pueyo et Marie-Louise Fort dans leur rapport d’information précité, cette politique est « menée "à la Bruxelloise", c’est-à-dire organisée en fonction de rapports bureaucratiques de la Commission européenne, avec un faible pilotage politique ». Le choix de lier la Politique de voisinage à celle d’élargissement sous l’autorité d’un commissaire chargé des deux a probablement contribué à éloigner la première de la Politique étrangère et de sécurité de l’Union – donc des préoccupations « diplomatiques » – et à faire prévaloir un fonctionnement plus bureaucratique, inspiré de celui des processus d’élargissement dans lesquels l’on évalue à grand renfort de rapports l’alignement des candidats sur les exigence européennes. A fortiori, ce choix a rendu plus improbable toute coordination avec les diplomaties nationales des États membres ;

– cette gestion bureaucratique – et non pas politique – s’est d’autant plus facilement imposée que la Politique de voisinage n’est pas appuyée sur une réflexion stratégique claire. Ses objectifs officiels sont, on l’a dit, extrêmement généraux, et, pour reprendre les mots de nos collègues précités, « elle pâtit de l’absence de réflexion géopolitique sous-jacente : elle a été construite sans réelle prise en considération du contexte géopolitique de 2003-2004 et a continué d’être gérée de façon relativement imperméable à des événements comme la guerre en Géorgie ou les printemps arabes ».

Depuis le 1er janvier 2007, la Politique de voisinage est financée au moyen de l’Instrument européen de voisinage et de partenariat (IEVP). Lors de la négociation de celui-ci, la France a obtenu, par une déclaration de la Commission, que celle-ci s’appuie, dans sa programmation, « sur le niveau d’aide fournie aux pays et régions bénéficiaires au titre des perspectives financières actuelles ». De plus, un critère dit de « poids du passé », dégressif dans le temps, est également pris en compte. Enfin, l’article 7 du règlement CE 1638/2006 arrêtant « des dispositions générales instituant un instrument européen de voisinage et de partenariat » du 24 octobre 2006 indique que la Commission devra prendre en compte, dans ses propositions d’allocations, « le niveau d’ambition du partenariat de l’Union européenne avec un pays donné, les progrès accomplis en vue de la réalisation d’objectifs communs ».

Les crédits de la politique de voisinage sont globalement répartis entre les pays du sud et les pays de l’est selon un partage « deux tiers/un tiers ». Cet équilibre acquis sous la programmation budgétaire antérieure a été préservé pour la période 2014-2020, notamment pour accompagner au mieux les transitions politiques en cours après les « révolutions arabes ». Mais bien que cette répartition ait été prorogée, elle demeure sujette à discussion parmi les États membres (certains pays du nord et de l’est de l’Europe militent en faveur d’un investissement accru en faveur du partenariat oriental).

En 2014, le principe des « deux tiers/un tiers » a sans doute été exactement respecté pour les crédits d’engagement (1 456,8 millions d’euros engagés au sud pour 730,4 millions à l’est), mais pas pour les crédits payés, du fait de taux d’exécution différents : avec 927,3 millions d’euros au sud pour 548,1 millions à l’est, les pays méditerranéens ont obtenu seulement un peu moins de 63 % des paiements.

De plus, cette clef « deux tiers/un tiers », qui n’est donc même pas pleinement respectée, est discutable. En effet, si, en valeur absolue, le soutien accordé aux pays méditerranéens est supérieur à l’effort financier consenti à l’est, en valeur relative, l’équilibre financier est plus favorable au voisinage est.

En effet, la population globale des partenaires du sud étant de l’ordre de 225 millions, contre 73 millions pour les partenaires de l’est, une répartition « per capita » devrait plutôt donner une clef « trois quarts/un quart ». Le principe « deux tiers/un tiers » conduit en moyenne à attribuer plus de 1,50 euro par habitant dans le voisinage est pour un euro attribué dans le voisinage sud.

Or, il ne paraît pas que les différences de niveau de développement économique justifient de favoriser particulièrement le flanc est : quand, d’après les statistiques du FMI, le PIB per capita en parité de pouvoir d’achat peut être estimé à environ 10 500 dollars en moyenne chez les partenaires orientaux, il ressort juste un peu plus élevé chez les partenaires du sud, à 12 500 dollars, Syrie non comprise (en l’absence de données ayant un sens sur le PIB, et même la population, d’un pays frappé par une guerre civile généralisée) ; il va de soi que la prise en compte de la réalité syrienne, si elle était possible, réduirait ce montant. Bien sûr ces moyennes recouvrent de très fortes disparités entre partenaires, le chiffre afférent au voisinage sud étant en particulier tiré vers le haut par le très haut niveau de développement économique de l’un des partenaires méridionaux, Israël. Mais on voit que, globalement, les niveaux moyens de développement économique ne sont pas fondamentalement différents entre les deux voisinages, dont la plupart des pays peuvent être considérés comme à revenu intermédiaire.

Il faut enfin signaler qu’il est aujourd’hui d’autant plus important de mettre l’accent sur l’équilibre à préserver entre les moyens affectés au sud et à l’est que les besoins considérables d’un pays, l’Ukraine, pourraient accroître la tentation de modifier cet équilibre.

On sait que ce pays est aujourd’hui confronté à une crise politique mais aussi économique très grave. Pour ne rappeler que quelques chiffres, son PIB devrait baisser en cumul de 12 % à 15 % sur les deux années 2014 et 2015, sa monnaie a perdu plus de la moitié de sa valeur et son ratio dette publique/PIB devrait en deux ans, de 2013 à 2015, passer de 40 % à 94 %.

L’Ukraine ayant par ailleurs fait très clairement le choix de l’Europe en signant finalement l’accord d’association qui lui était proposé, il est normal que l’Union contribue assez massivement à l’aide de la communauté internationale au pays : elle pourrait lui apporter, directement ou par le biais de ses institutions financières, plus de 11 milliards d’euros d’ici 2020. Mais il ne serait pas acceptable que cette aide exceptionnelle soit rendue possible par une réduction des moyens disponibles pour la coopération euro-méditerranéenne.

Au regard de ces constats, votre rapporteur appelle à une complète refondation de la Politique européenne de voisinage, qui pourrait s’articuler autour de quelques principes :

– d’abord, la Politique de voisinage doit devenir une vraie « politique », pilotée, recentrée, assise sur une doctrine claire ;

– ensuite, comme elle vise à développer une relation de partenariat, donc une relation entre égaux, elle doit mieux prendre en compte les spécificités et les attentes des partenaires ;

– enfin, l’équilibre entre les dimensions méridionale et orientale doit être préservé et même « sanctuarisé ».

Pour être claire et pour que ces résultats puissent être évalués, une action politique doit se fixer un nombre limité de priorités et d’objectifs susceptibles d’être atteints.

La Politique de voisinage ne peut plus se suffire d’objectifs aussi vagues et donc, finalement, triviaux, que la paix et la prospérité partagées. Elle ne doit plus entretenir l’ambiguïté entre perspective d’adhésion et partenariat en se plaçant dans un « entre-deux » entre politique étrangère et stratégie d’élargissement. Elle doit enfin déterminer un nombre limité de priorités réalistes car correspondant aux attentes centrales aussi bien de l’Union que des partenaires. Parmi celles-ci devraient notamment figurer, de toute évidence :

– la gestion de la mobilité des hommes, qui recouvre la maîtrise des flux migratoires irréguliers, mais aussi l’ouverture contrôlée des frontières de l’Union aux citoyens des pays partenaires qui souhaitent s’y rendre ;

– le développement économique et l’emploi, en particulier des jeunes, qui sont les corollaires nécessaires d’une plus grande ouverture des frontières ;

– la sécurité des approvisionnements énergétiques, qui intéresse l’Union, mais aussi, on le voit bien, un partenaire tel que l’Ukraine, de même qu’elle peut intéresser des partenaires exportateurs de produits énergétiques à la recherche de débouchés réguliers ;

– plus généralement, les questions sécuritaires, alors que, malheureusement, les voisinages sud et est de l’Europe sont aujourd’hui parmi les régions du monde les plus durement frappées par la violence politique, la faillite des États, l’extrémisme, le terrorisme, la guerre, les violations du droit international et des droits humains fondamentaux.

Pour que la Politique de voisinage prenne une plus grande dimension sécuritaire et plus généralement qu’elle apparaisse comme une vraie « politique étrangère » de l’Union pour sa proximité, et non comme l’addition de processus bureaucratiques de coopération, elle devrait pouvoir s’appuyer sur une doctrine claire de politique étrangère et de sécurité.

En 2003, sous l’autorité de M. Javier Solana, Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune, l’Union avait fait cet exercice en élaborant une « Stratégie de sécurité », qui a ensuite été vaguement actualisée en 2008. Vu l’évolution massive de la situation géopolitique et la montée des menaces dans le voisinage de l’Union, il est plus que temps de mener à nouveau cet exercice, ce à quoi la Haute représentante Federica Mogherini semble d’ailleurs décidée.

Enfin, l’application efficace d’une Politique de voisinage recentrée, dotée d’un volet sécuritaire renforcé, appuyée sur une doctrine claire, nécessite un pilotage politique fort et une étroite coordination avec l’ensemble de l’action diplomatique de l’Union européenne. La Haute représentante de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité paraît la mieux à même de jouer ce rôle de pilotage.

La prise en compte des spécificités des partenaires implique d’abord une bien plus grande différenciation des formes et domaines de coopération qui peuvent leur être proposés. Certains peuvent être intéressés par l’offre globale de rapprochement que comportent les accords d’association, d’autres, n’ayant aucune intention et aucune chance de rejoindre jamais l’Union, préféreront s’en tenir à des coopérations sectorielles.

Il faudrait sans doute, à cet égard, assumer plus de transparence et d’honnêteté intellectuelle en indiquant clairement à certains partenaires – notamment au sud – que, n’étant pas géographiquement « européens », ils n’ont par nature pas vocation à adhérer à l’Union.

Quant aux partenaires orientaux, l’effort de clarification qui devrait être fait à leur égard consisterait à bien afficher les conditions préalables à une éventuelle candidature à l’Union : il ne suffirait pas, pour que celle-ci soit recevable, qu’ils remplissent des conditions d’alignement sur des standards politiques et économiques et que l’Union, de son côté, ait décidé de relancer le processus d’élargissement (en ayant surmonté ses difficultés internes).

Il faudrait en outre que cela soit compatible avec leur environnement géopolitique. C’est naturellement la question des relations avec la Russie qui est posée là. Il ne s’agit pas de reconnaître un quelconque droit de blocage à ce pays contre le processus d’élargissement : l’Union et ses partenaires orientaux, qui sont des États souverains, sont seuls juges de l’opportunité de celui-ci. Mais il s’agit seulement d’être réaliste : sauf à vouloir ressusciter la « Guerre froide » et en assumer les conséquences, qui peut imaginer raisonnablement que l’Union européenne souhaiterait s’étendre, avec tout ce que cela implique d’intégration politique et économique, à des pays qui seraient dans une sorte d’état de guerre virtuel avec la Russie ?

La mention de la Russie nous amène à un autre point de passage obligé pour une Politique de voisinage qui se voudrait plus en phase avec les réalités des partenaires : leurs voisins, les « voisins des voisins », ne peuvent plus être ignorés.

On ne peut pas espérer stabiliser les flux migratoires à travers le Sahara sans veiller au développement et à la stabilisation des pays sahéliens. On ne peut pas prétendre apporter une contribution, aussi modeste soit-elle, au règlement de l’effroyable guerre civile syrienne – la Syrie appartenant au « voisinage » – sans prendre en compte la situation de l’Irak – « voisin de voisin » –, également attaqué par Daech. On ne peut pas envisager la perspective d’un éventuel élargissement à certains des partenaires orientaux sans chercher parallèlement à rétablir un dialogue avec la Russie qui permette de trouver un modus vivendi.

Il faut enfin poser les questions de la diffusion des valeurs européennes et de la conditionnalité des coopérations.

Dans sa tribune précitée pour Notre Europe, M. Landaburu estime que « l’axiome selon lequel les partenaires à l’est comme au sud sont engagés à partager les mêmes valeurs doit être réexaminé. Il n’en est pas moins essentiel que l’UE les promeuve quand cela est possible à travers les programmes d’aides et la politique de défense des droits de l’homme, dans les limites permises par les pays concernés. Elle se doit aussi de développer une politique déterminée de soutien à la société civile ». Il considère aussi que « l’UE se doit donc d’inciter les gouvernements à une meilleure gouvernance en évitant que la conditionnalité politique bloque de plus étroites relations ».

Tel est en effet l’enjeu : comment l’Union peut-elle diffuser ses valeurs tout en évitant d’apparaître comme « condescendante » et de se heurter à des blocages politiques ? Sans doute en développant les outils de dialogue non seulement avec les gouvernements, mais aussi les sociétés civiles, et en aidant celles-ci à se structurer et à prendre la parole. L’incitation financière, c’est-à-dire l’application du principe « more for more », est également un outil qui permet de privilégier les partenaires les plus coopératifs.

Enfin, il faut insister sur le respect de l’équilibre entre les flancs sud et est dans l’attribution des financements de la Politique de voisinage. Comme on l’a dit, le principe du partage sur la base « deux tiers/un tiers » n’est même pas vraiment appliqué, alors qu’à certains points de vue, on peut déjà le considérer comme défavorable au voisinage sud. Il risque de plus d’être menacé du fait du coût probablement très important de la remise sur pied de l’économie ukrainienne.

La France doit donc veiller à ce que cette clef de répartition soit en quelque sorte sanctuarisée et effectivement appliquée, y compris en exécution des crédits.

Il est important de bien prendre en compte le contexte dans lequel s’inscrit la présente résolution : c’est celui d’une consultation publique engagée par les instances de l’Union elles-mêmes sur la révision de la Politique de voisinage.

Le fait même que ce processus de révision ait ainsi été lancé montre bien que la conscience des échecs de cette politique est largement partagée. Les responsables européens eux-mêmes ont pris leurs distances avec la Politique de voisinage telle qu’elle a été appliquée, qu’ils n’ont pas hésité à critiquer en creux en soulignant les ruptures qu’une politique réformée devrait permettre, ce même dans des déclarations faites dans un cadre tout à fait officiel et rapportées sur le site internet de la Commission européenne. Ainsi la Haute représentante Federica Mogherini a-t-elle déclaré le 4 mars dernier : « l’évolution récente de la situation régionale a eu pour effet d’amplifier les défis qui se posent à nous tous, qu’il s’agisse de pressions économiques, de migrations clandestines ou de menaces pour notre sécurité. Nous avons besoin d’une politique forte pour être à même de résoudre ces problèmes. Nous avons également besoin de mieux comprendre les différents intérêts, aspirations et valeurs de nos partenaires ». Le 10 avril, de même, le commissaire compétent Johannes Hahn observait : « nos voisins méridionaux sont des partenaires essentiels (…). Dans sa version actuelle, la PEV n’exploite pas pleinement le potentiel de nos relations avec ces partenaires et la révision en cours a pour objectif de changer la donne (…) ».

Par ailleurs, il est probable que cette consultation suscitera un grand nombre de contributions, en provenance de nombreuses autorités.

Dans ce contexte, la contribution de l’Assemblée nationale à ce débat se doit, pour être écoutée, d’être percutante et ciblée sur les points qui lui apparaissent les plus importants, sans craindre un positionnement critique qui fait largement consensus.

La proposition de résolution adoptée par la commission des affaires européennes le 19 mai dernier suite à la communication de nos collègues Joaquim Pueyo et Marie-Louise Fort a pour objet de répondre à la consultation publique susmentionnée de la Commission européenne.

Dans cette optique, elle s’efforce d’apporter des réponses à l’ensemble des questions posées dans le document de consultation publié le 4 mars dernier, dont elle prend d’ailleurs acte.

En conséquence, après un préambule critique qui rappelle notamment que la Politique de voisinage « souffre d’un certain flou conceptuel, de la tension perpétuelle entre valeurs politiques et intérêts économiques, de la modestie des crédits au regard des enjeux et de lourdeurs bureaucratiques » et « ne s’est pas imposée comme antidote à la multiplicité de problèmes institutionnels, politiques, économiques, sociaux, environnementaux, migratoires et sécuritaires dont souffrent les pays de notre voisinage et dont l’Union européenne subit le contrecoup direct », ce texte comprend deux types de dispositions :

– les unes destinées à manifester un soutien à un certain nombre d’éléments de la Politique européenne de voisinage en vigueur ;

– les autres donnant des axes de réforme souhaités.

Au nombre des éléments de la Politique de voisinage actuelle que la commission des affaires européennes propose de conserver, on relève notamment :

– le périmètre géographique de celle-ci, « dont la pertinence est avérée » ;

– le principe de l’unicité de la stratégie de voisinage pour les flancs sud et est ;

– sous réserve d’une certaine flexibilité, « l’économie générale de l’Instrument européen de voisinage, outil de financement bien conçu combinant équilibre entre subventions accordées au titre d’actions bilatérales et régionales, valorisation des progrès réalisés par chaque pays et juste répartition des allocations entre les deux zones géographiques couvertes ».

La commission des affaires européennes prend par ailleurs parti pour plusieurs axes de réforme, demandant :

– un approfondissement des synergies politiques avec les « voisins des voisins » ;

– une affirmation claire de la distinction entre partenariat et élargissement « sans pour autant fermer définitivement à certains pays du voisinage la perspective d’adhésion à l’Union européenne » ;

– une plus grande différenciation politique selon les partenaires ;

– une action pour améliorer le taux d’exécution des crédits engagés ;

– une appropriation de la Politique européenne de voisinage par les pays partenaires et leur société civile ;

– une révision, voire un abandon de la procédure des plans d’action et des rapports annuels de suivi ;

– un recentrage de la Politique de voisinage sur des priorités plus restreintes, notamment sur les questions de l’emploi et du développement économique, des flux migratoires et de la mobilité, et de la gestion durable des ressources énergétiques ;

– enfin un renforcement de son volet sécurité, en s’appuyant sur une refondation de la réflexion stratégique.

Les amendements adoptés par la commission des affaires étrangères le 17 juin, à l’initiative de votre rapporteur, n’avaient pas pour objet de remettre en cause les orientations du texte de la commission des affaires européennes, qu’il partage globalement, mais de le rendre plus percutant pour les raisons indiquées supra : si l’Assemblée nationale veut être entendue à Bruxelles, elle doit dire clairement ses insatisfactions et ses priorités de réforme.

C’est pourquoi les considérants de la présente résolution ont été enrichis : il s’agit de dire clairement que la Politique de voisinage a échoué, pourquoi, et ce que sont à la fois les intérêts essentiels et les attentes de l’Union européenne et plus particulièrement de la France dans cette politique.

S’agissant du dispositif du texte tel qu’amendé par la commission des affaires étrangères, il reprend l’essentiel des préconisations de la commission des affaires européennes :

– le principe d’unicité de la stratégie de voisinage ;

– mais l’exigence d’une forte différenciation selon les partenaires ;

– la nécessaire association plus grande des sociétés civiles et des collectivités locales, afin que la Politique de voisinage soit mieux appropriée par les partenaires ;

– la prise en compte des « voisins des voisins » ;

– l’établissement d’une distinction claire entre partenariat et élargissement ;

– le recentrage des priorités ;

– dans ce cadre, le renforcement du volet sécuritaire, en lien avec une véritable réflexion stratégique ;

– le principe de juste répartition des moyens entre les flancs Sud et Est, qui renvoie au principe « deux tiers/un tiers » auquel la France est attachée.

Le texte adopté par la commission des affaires étrangères complète ces recommandations centrales par plusieurs demandes complémentaires :

– s’agissant de la prise en compte des « voisins des voisins », un focus particulier sur la Russie, avec laquelle il est nécessaire de retrouver à terme un dialogue constructif, et sur l’Union économique eurasiatique, dont l’Union européenne ne pourra pas éternellement ignorer l’existence ;

– au sud, un focus sur la problématique de l’intégration politique et économique de l’espace méditerranéen, trop fragmenté ;

– un vrai pilotage politique de la Politique de voisinage refondée, qui devrait être confié à la Haute représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, ce qui assurerait aussi son étroite coordination avec la politique étrangère générale de l’Union ;

– nécessité complémentaire, une étroite coordination entre la Politique européenne de voisinage et celle de développement ;

– enfin, au regard des enjeux déterminants de la Politique de voisinage, une augmentation de ses moyens.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

La commission examine, sur le rapport de M. Pierre-Yves Le Borgn’, la proposition de résolution européenne sur la révision de la Politique européenne de voisinage au cours de sa séance du mercredi 17 juin 2015 à 16 heures 30.

Après l’exposé du rapporteur, un débat a lieu.

Mme Élisabeth Guigou, présidente. Je suis en parfait accord avec votre diagnostic et vos préconisations.

Mme Nicole Ameline. L’échec de la politique de voisinage est malheureusement patent et il est important de réagir. Je suis d’accord avec le texte que vous proposez. Peut-être faudrait-il actualiser le rapport que nous avions fait ensemble sur le SEAE, car sans vision politique et stratégique, la politique de voisinage est erratique. Il est essentiel que nous ayons des objectifs communs à l’Europe, même s’ils sont restreints, avec une vision commune.

En second lieu, il y a une urgence économique et politique sur le sud, sur lequel il faut insister. La réorientation de la politique de voisinage doit s’accompagner d’une nouvelle articulation des fonds d’intervention nationaux, européens et multilatéraux. Il faut aussi repenser la structure de l'aide au développement, car il y a une déperdition d’énergie. Il faut enfin refonder cette politique indispensable pour lui donner de l’efficacité. Elle est indispensable, cela doit être souligné pour la protection de nos intérêts et pour proposer un modèle soutenable vis-à-vis de nos périphéries.

M. Kader Arif. Je parlerai de manière sans doute plus brutale. Dans le débat sur la politique de voisinage, le sud a perdu par rapport à l’est : la répartition entre deux-tiers au sud et un-tiers à l’est n’a en fait jamais existée. L’Allemagne, entre autres, a beaucoup fait pour tourner cette politique en direction de ses intérêts à l’est et cela a contribué à un abandon de plus en plus perceptible du sud.

En second lieu, je suis d’accord avec l’idée de rapprocher politique de voisinage et politique d’aide au développement, mais celle-ci n’est pas budgétisée et la commission du développement du parlement européen n’a pas de mot à dire sur cette question ; il faut revenir sur cela et insister.

Ensuite, la prise en compte des « voisins des voisins » représente une approche juste mais, quand il y a eu des débats sur la Libye au Parlement européen concernant le régime Kadhafi, il a été impossible de prendre des sanctions. La Libye nous servait alors à nous protéger des migrants d'Afrique subsaharienne et on lui a demandé de régler la question sur son sol avant qu’ils ne soient en mer.

Il faut aussi rapprocher la politique de voisinage de la politique commerciale. Cela a été oublié. Quand la Commission a proposé les accords de partenariats économiques, on est allé à l’échec compte tenu de l’hétérogénéité des pays concernés et de l’absence de compensation des pertes de recettes subies. Les intérêts de l’UE ont toujours été défendus, de sorte que l’impact sur le développement des partenaires n’est pas évident.

Enfin, s’agissant du SEAE, il faut faire attention : il a été affaibli par la volonté des États membres et la marge de manœuvre est réduite pour la Haute représentante. Il faudrait aussi s’appuyer sur les commissions du Parlement européen pour une parole démocratique plus forte.

M. Guy-Michel Chauveau. C’est un excellent rapport. En ce qui concerne la politique de voisinage, l’association avec la société civile et la coopération décentralisée, avec les acteurs locaux d’une manière générale, sont essentielles et n’ont pas été assez prises en compte jusqu’à aujourd’hui.

Pour ce qui est des « voisins des voisins », tout le monde reconnaît maintenant la faillite de cette politique car on n’y a pas associé ceux avec qui on aurait dû travailler. Il y a l’exemple de la Russie, mais il y en a d’autres aussi. Il faudrait insister sur la Méditerranée et le flanc sud, plus que ne le fait le rapport de Joaquim Pueyo et Marie-Louise Fort – Michel Vauzelle le dit souvent, à juste titre. Il faudrait compléter l’axe « 5 + 5 » pour en faire un axe « 5 + 5 + 5 » qui inclue le sud du Sahara. Sur les problématiques sahéliennes, on a vu que divers pays européens ne se sentaient pas concernés. Si on avait eu cette politique des « voisins des voisins », les choses auraient été sans doute différentes.

Enfin, en ce qui concerne le SEAE, il y a aujourd’hui une lettre de mission sur la réforme, nécessaire, et sur les stratégies à mener. Vis-à-vis du sud, quand il n’y a pas de quantitatif, il faut mettre du qualitatif ; mais ce n’est pas le cas.

M. Jacques Myard. Il y a ambiguïté car l’ambiguïté vient de l’Union européenne elle-même ! Jacques Delors nous a dit ici même qu’il n’y aurait jamais de politique étrangère commune car l’Europe puissance est un mythe. Il avait raison. La politique de voisinage est un ersatz de politique étrangère. Ça ne peut fonctionner car, à 28, et même à 6, on n’est pas d’accord sur les crises ; la politique étrangère est l’affaire des États, pas de l’UE.

S’agissant de la politique d’aide au développement, elle a été corrélée avec le voisinage des pays en crise. L’UE est devenue une vache à lait, qui ne cesse par exemple de reconstruire sans arrêt ce qui est régulièrement détruit à Gaza. L’ambiguïté relève donc de l’UE elle-même : elle est tout à fait légitime sur des questions comme l’ouverture des marchés, mais sur le traitement des crises et le développement, il faut faire autre chose de plus efficace en rapatriant les financements de la politique de voisinage au niveau des États dans une politique multi-bilatérale. Sinon, on n’y arrivera jamais, car le problème est structurel.

M. Christophe Premat. Je suis d’accord avec la clarification que propose ce rapport après un diagnostic radical. La politique de voisinage contribue à l’invisibilité de la politique extérieure de l’UE, qui se situe aussi au niveau des ambiguïtés lexicales. La proposition fait par exemple la distinction entre partenariat et élargissement. Il y a eu aussi le partenariat privilégié, dont la Turquie n’a jamais voulu, pour cette raison. Le rapport à l’adhésion est donc fondamental et il y a malheureusement beaucoup d’ambiguïtés lexicales. Comment appréhender ces questions ? La proposition de résolution va dans le sens d’une clarification opportune que je salue.

M. Philip Cordery. Je voudrais revenir sur le principe de différenciation, car il doit y avoir une différence entre les pays de l’est et ceux du sud, qu’on ne peut pas traiter de manière équivalente. En ce sens, la politique méditerranéenne est du devoir de la France, car personne ne la fera à sa place. Il est essentiel de recentrer les priorités. La politique de voisinage c’est de la stabilité, de la sécurité, des partenariats économiques. Il y a par exemple la politique énergétique à renforcer.

Enfin, en ce qui concerne l’élargissement, les idées de François Mitterrand sur les cercles concentriques restent d’actualité et doivent être remises à l’ordre du jour, car les vocations des différents pays vis-à-vis de l’UE sont différentes. Cela étant, je regrette que l’amendement 2 du rapporteur réécrive toute la proposition initiale. On aurait pu préférer de simples ajouts, qui auraient mieux rendu compte de la qualité du travail fait par Marie-Louise Fort et Joaquim Pueyo en commission des affaires européennes.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. La commission des affaires européennes pourrait sans doute se rapprocher de nous en amont, au lieu de nous envoyer des textes que nous découvrons ; cela éviterait une réécriture complète. Ce n’est pas la première fois qu’un tel cas se présente. Parfois nous avons laissé passer, mais là le sujet est trop important. Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’indiquer à la présidente de la commission des affaires européennes, cette commission ne sera pas simplement une chambre d’enregistrement.

M. Jean-Pierre Dufau. Je partage totalement les objectifs tels qu’ils ont été clarifiés par le rapporteur, en particulier la nécessité d’une unité de la stratégie de voisinage, mais aussi d’une mise en œuvre différenciée. Il convient également de faire la distinction entre la notion de partenariat et celle d’élargissement, afin d’éviter des situations où chacun n’entend que ce qu’il souhaite.

Il faut aussi insister sur la question de la répartition des fonds, dont les deux tiers doivent aller aux pays du sud. Lorsque l’Union pour la Méditerranée a été lancée, chacun se souvient de la réaction des pays du nord de l’Europe qui voulaient être totalement associés, considérant que cette politique ne devait pas concerner uniquement les pays riverains, mais l’Europe entière. Il faut traduire ces discours en actes.

Le fait que l’Europe ait dicté ses conditions lors de la négociation des accords de partenariat et de coopération avec d’autres pays, notamment en Afrique, présentant les accords comme à prendre ou à laisser, explique l’échec de cette politique placée sous l’autorité de la direction générale du commerce de la Commission européenne. Nous devons repartir sur de nouvelles bases, comme le propose cette résolution européenne.

Quant à la nouvelle forme de coopération inventée par Jacques Myard, à la fois multi et bilatérale, il faut reconnaître que notre aide au développement se perd parfois dans l’anonymat. Il conviendrait parfois de la réorienter vers une action bilatérale beaucoup mieux identifiée. L’argent étant rare, il conviendrait d’engager une réflexion sur cette question.

M. Pierre-Yves Le Borgn', rapporteur. Sur la longueur de l’amendement 2, qui commence à l’alinéa 9 pour aller jusqu’à la fin de la proposition de résolution, je voudrais dire qu’il ne s’agit pas de porter un jugement de valeur sur le travail accompli par Joaquim Pueyo, Marie-Louise Fort et plus généralement la commission des affaires européennes. Cela traduit plutôt la volonté de vous proposer un ensemble cohérent au lieu d’une multitude d’amendements ponctuels. J’ai dit à quel point le diagnostic de nos collègues me paraît juste, en ajoutant seulement quelques éléments complémentaires dans mon propos.

Nicole Ameline soulignait la nécessité de réécrire le rapport sur le SEAE qu’elle avait précédemment co-écrit. C’est probablement nécessaire au vu des développements récents.

Vous avez été nombreux à insister sur le sud. C’est pour cette raison que je souhaitais mettre l’accent sur la différenciation, qui vaut autant entre l’est et le eud qu’entre pays. On ne peut pas considérer de la même manière des régions aussi différentes.

S’agissant des notions de partenariat et d’élargissement, tant que l’on choisira de ne pas choisir et que l’on projettera une sorte de halo étrange en la matière, en laissant entendre que le partenariat est une sorte d’antichambre de l’élargissement, on ne prendra pas les décisions qui s’imposent et l’on ne mènera pas les politiques nécessaires. L’élargissement conduit à balayer un spectre considérable de sujets, alors qu’il faudrait se recentrer sur des priorités moins nombreuses mais plus fortes afin d’éviter le saupoudrage. Philip Cordery a raison de dire que l’une d’entre elles devrait être la politique de l’énergie, en particulier avec les partenaires du sud.

Le sud a-t-il perdu par rapport à l’est ? Il a certainement moins bénéficié de la politique de voisinage qu’il n’aurait dû. Mais la répartition « deux tiers/un tiers » a-t-elle jamais vraiment existé ? C’est une règle ardemment défendue par la France, mais je n’ignore pas, comme l’observait Kader Arif, les jeux d’influence, notamment au sein de la Commission.

Il faut bien sûr rapprocher la politique de voisinage et celle de développement. A défaut de budgétisation, en effet, il est très difficile d’avoir le contrôle parlementaire qu’il faudrait. Il faut aussi un rapprochement avec la politique commerciale. On ne peut pas se permettre des logiques de silos parallèles à destination des mêmes zones.

L’absence d’association des sociétés civiles est peut-être l’un des défauts les plus marquants de la politique de voisinage. On ne parle pas aux gens et, au-delà des sociétés civiles, à tous ceux qui font vivre l’économie, la société, la culture dans chacun de ces pays. On ne peut pas en rester à un exercice « top-down ». L’association des sociétés civiles, mais aussi des collectivités locales, me paraît l’accroche d’une politique de voisinage refondée.

On n’a pas assez pris en compte les « voisins des voisins », à l’évidence. Je n’ai parlé que de la Russie, afin d’être concis, mais j’aurais pu parler aussi du Sahel.

Pour Jacques Myard, la politique de voisinage est vouée à l’échec parce qu’il s’agit d’un ersatz de politique étrangère européenne, laquelle par définition ne peut pas exister. C’est un débat qui n’est pas médiocre mais sur lequel nous pourrions sans doute être d’accord sur notre désaccord. Je ne crois pas que la politique de voisinage soit condamnée à l’échec. Une politique recentrée sur des priorités moins nombreuses et affichant clairement la couleur peut être couronnée de succès. Mais cela implique des changements majeurs.

Christophe Premat a évoqué la question des ambiguïtés lexicales et s’est interrogé sur la définition du partenariat privilégié. Il faudrait peut-être commencer par dire aux pays de l’extrême est de l’Europe, en particulier dans le Caucase, que la perspective d’une candidature n’est pas proche, ni même peut-être souhaitable à ce stade, pour nous comme pour eux, et qu’il est possible de réaliser dans le cadre de la politique de voisinage les pas nécessaires, notamment le développement de l’économie. Si j’ai mis l’accent sur cette question, c’est qu’il y a l’emploi derrière elle, en particulier l’emploi des jeunes. Cela me paraît plus efficace qu’une perspective fumeuse, lointaine et arbitraire d’entrée dans l’Union.

Comme Philip Cordery l’a rappelé, la Méditerranée et le sud en général ne sont pas la priorité de tous. Il ne faut pas se cacher derrière la réalité. C’est le rôle de la France et de ce Parlement de mettre l’accent sur une préoccupation et des objectifs méditerranéens.

La théorie des cercles concentriques, qui nous ramène à l’époque du Président Mitterrand, après la chute du mur de Berlin, reste profondément actuelle.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. Je partage les vues du rapporteur. Il me semble pour ma part que la politique de voisinage doit répondre à quatre exigences.

La première, c’est la clarification entre voisinage et élargissement, à l’est et au sud. Il faut certes se résigner à un certain flou car nous ne pouvons dénier à des pays souverains le droit d’avoir des aspirations européennes, mais il faut aussi savoir adapter notre politique à ceux qui n’ont pas vocation à intégrer l’Union européenne, ou ne le souhaitent pas. Raison de plus pour entretenir un véritable partenariat. C’est une des raisons fondamentales pour lesquelles on ne peut traiter de la même façon est et sud. À l’est, les pays des Balkans ont vocation à devenir des États membres de l’Union, cela a été confirmé par plusieurs conseil européens. Encore faut-il qu’ils puissent remplir les conditions. La Turquie, même si cela est parfois contesté, est aussi engagée dans le processus d’adhésion. Pour les autres, tout dépend des conditions géopolitiques. L’Ukraine, la Géorgie, la Moldavie sont des pays européens, qui peuvent donc être considérés comme de possibles candidats à l’adhésion. À l’Union européenne d’apprécier si cela est possible et souhaitable, en fonction de facteur géostratégiques tels que l’évolution de nos relations avec la Russie.

Il y a par ailleurs une question de méthode. L’Union européenne doit définir des priorités pot-pourri actuel qui ne peuvent se limiter à la seule politique commerciale, ou aux investissements croisés au. Il me semble également crucial de se concerter d’avantage avec nos partenaires, leurs sociétés civiles.

Troisièmement, l’articulation de la politique de voisinage avec la politique de développement et la politique extérieure et de défense commune doit être renforcée. Cela pose un problème de financement, car il ne faudrait pas que l’aide apportée à l’Ukraine, au demeurant légitime, se fassent au détriment des crédits apportés au sud. Pourquoi les outils de financement de la BEI sont-ils par exemple adaptés au sud ? C’est une vraie question. Je ne reviens pas sur la question fondamentale des « voisins de nos voisins », mais aussi veiller à l’équilibre entre notre voisinage est et sud, ou encore adapter nos outils à un monde qui change.

Enfin, la nouvelle stratégie que nous devons définir devra s’articuler autour de quelques priorités et donner lieu à des initiatives concrètes et tangibles, auxquelles il faut donner le plus de visibilité possible, dans des domaines qui répondent à de réels besoins tels que l’énergie, la circulation des personnes.

Il est évident que l’on ne peut traiter ces questions de manière univoque et bureaucratique, sans vision stratégique. La prise de conscience est là, reste à la traduire dans les faits et à encourager Federica Mogherini, qui a clairement marqué sa volonté de coordonner l’action des différents commissaires, à s’en donner les moyens. Ce n’est pas demain que l’Union européenne sera dotée d’une politique étrangère, il faut se garder de faire de grandes déclarations sur le sujet. La remise à jour des travaux de M. Solana devrait y contribuer.

Enfin, en termes de méthode, il me semble qu’il serait judicieux de travailler en meilleure intelligence avec la commission des affaires européennes. Je ne doute pas que nous puissions à l’avenir mieux coordonner nos travaux sur des sujets qui concernent nos deux commissions. Cela nous évitera des malentendus. Je remercie notre collègue pour l’important travail qu’il a effectué.

La commission est saisie de l’amendement AE1.

M. Pierre-Yves Le Borgn', rapporteur. Mon premier amendement est très court, il vise à faire mention du document «  Une Europe sûre dans un monde meilleur – Stratégie européenne de sécurité » du 12 décembre 2003 rédigé sous l’autorité du Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune.

M. Jacques Myard. Simple remarque formelle, les visas ne peuvent viser que des textes législatifs, des traités, non des documents administratifs.

Mme la présidente Élisabeth Guigou. N’est-ce pas là une approche trop bureaucratique ? En matière de textes européens, il me semble que nous ne sommes pas tenus par de telles règles.

M. Pierre-Yves Le Borgn', rapporteur. Le paragraphe suivant du texte initial fait état des communications de la Commission européenne. Il me semble utile de mentionner ces documents importants.

La commission est saisie de l’amendement AE2.

M. Pierre-Yves Le Borgn', rapporteur. Le deuxième amendement vise à reprendre l’essentiel des préconisations de la proposition de la commission des affaires européennes, tout en y ajoutant notamment la nécessité de coordonner politique européenne de voisinage et politique de développement ainsi que la question du nécessaire leadership politique, qui devrait reposer sur la Haute représentante. Par ailleurs, la rédaction enrichit les considérants de la résolution.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte les amendements AE1 et AE2.

Suivant l’avis du rapporteur, la commission adopte la proposition de résolution européenne (n° 2772) ainsi modifiée.

ANNEXE N° 1 :
AMENDEMENTS EXAMINÉS PAR LA COMMISSION

Amendement AE1, présenté par M. Pierre-Yves Le Borgn’, rapporteur :

Après l’alinéa 5, insérer un alinéa ainsi rédigé :

« Vu le document : «  Une Europe sûre dans un monde meilleur – Stratégie européenne de sécurité » du 12 décembre 2003 rédigé sous l’autorité du Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune, »

*

Amendement AE2, présenté par M. Pierre-Yves Le Borgn’, rapporteur :

Substituer aux alinéas 9 à 29 les alinéas suivants :

« Considérant que la Politique européenne de voisinage souffre depuis sa mise en place d’une ambiguïté rédhibitoire, en ne se distinguant pas clairement de la politique d’élargissement et en associant dans la notion de voisinage des réalités et expériences qui n’ont rien de commun ;

« Considérant que la constitution au sein de l’actuel collège des commissaires d’un portefeuille mêlant l’élargissement et le voisinage, confié au commissaire Johannes Hahn, prolonge malheureusement cette ambiguïté ;

« Considérant qu’à l’issue d’une décennie d’existence, la Politique européenne de voisinage a échoué sur l’essentiel, n’offrant aucune alternative crédible à l’élargissement à l’Est et n’apportant pas les réponses attendues des pays du Sud et de leurs populations ;

« Considérant que les bouleversements politiques récents dans le Maghreb, au Proche-Orient, dans l’est de l’Europe et dans le Caucase, à l’origine de l’apparition ou de l’aggravation de plusieurs conflits violents, créent des zones de grande instabilité et que la Politique européenne de voisinage n’a pas été apte à répondre à ces nouveaux défis ; que le traitement politique des différentes crises concernant les pays du voisinage a dû être assuré par l’initiative d’États membres, en l’absence d’une capacité suffisante de l’Union européenne ;

« Considérant en particulier que la gestion bureaucratique, sans vision politique, de la Politique européenne de voisinage a une part de responsabilité dans le déclenchement de la crise politique en Ukraine ;

« Considérant en particulier l’engagement de la France, aux côtés de l’Allemagne et avec l’appui de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, dans la recherche d’un règlement du conflit dans le Donbass ;

« Considérant en particulier que la contribution de la Politique de voisinage au règlement des crises – syrienne, libyenne ou israélo-palestinienne – qui menacent la stabilité de son voisinage Sud et la sienne est insuffisante ;

« Considérant en particulier que le soutien politique et financier aux pays engagés sur la voie des réformes démocratiques depuis 2011 n’est pas à la hauteur des défis économiques, sociaux et sécuritaires auxquels ces pays sont aujourd’hui confrontés – notamment la Tunisie, dont le sort engage la crédibilité de la Politique européenne de voisinage ;

« Considérant en particulier l’engagement de la France pour le développement et la sécurité des pays du Sahel, qui sont également essentiels pour la sécurité de l’Europe et la maîtrise des flux migratoires ;

« Considérant donc, au regard de l’échec de la Politique européenne de voisinage à atteindre ses objectifs, malgré plusieurs tentatives de réforme, qu’il est impératif pour l’Union européenne de refonder cette politique pour qu’elle soit en mesure de contribuer utilement à la stabilité politique, au développement économique et à la promotion des valeurs de paix et de démocratie ;

« Recommande :

« 1. Que soit maintenue l’unicité de la stratégie de voisinage pour l’ensemble des pays des deux zones, à savoir le flanc Sud et le flanc Est, de même que l’unicité pour la gestion des budgets qui y sont affectés ;

« 2. Mais que cette Politique repose sur la différenciation entre l’Est et le Sud, comme également entre chacun des pays de ces deux zones, en fonction de l’intensité de leur engagement aux côtés de l’Europe, mais aussi de leurs attentes et de leur situation géopolitique ;

« 3. Que la Politique européenne de voisinage réformée associe étroitement les sociétés civiles de ces pays et s’appuie d’avantage sur la coopération décentralisée dans sa conception, sa mise en place et son exécution, afin d’établir des partenariats solides et durables, au plus près des besoins des populations ;

« 4. Que l’Union européenne approfondisse ses liens avec les « voisins des voisins », c’est à dire la Russie ainsi que les pays du Golfe arabo-persique, d’Afrique subsaharienne et d’Asie centrale ;

« 5. Qu’en particulier l’Union européenne cherche à rétablir, en lien avec sa Politique de voisinage, un partenariat et un dialogue de haut niveau avec la Russie ; qu’elle prenne également en considération les formes d’intégration régionale telles que l’Union économique eurasiatique ;

« 6. Que la distinction entre partenariat et élargissement soit clairement établie ;

« 7. Que la Politique européenne de voisinage au Sud favorise résolument l’intégration politique et économique d’un espace méditerranéen que la fragmentation menace ;

« 8. Que la Politique européenne de voisinage soit recentrée sur des priorités resserrées autour du développement économique, de l’emploi – en particulier des jeunes –, du partage de la valeur ajoutée, de la mobilité et des flux migratoires, de la sécurité et de la gestion durable des ressources énergétiques ;

« 9. Qu’en particulier le volet sécurité de la Politique européenne de voisinage soit renforcé, en s’appuyant sur la formulation d’une Stratégie européenne de sécurité adaptée aux défis actuels et en assurant un dialogue au plus haut niveau avec les partenaires au Sud, comme il en existe avec les partenaires à l’Est ;

« 10. Que soient conférés à la Haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité l’autorité et les moyens permettant un pilotage politique de la Politique européenne de voisinage, que seule une autorité unique en lien avec les diplomaties des États membres peut assurer ;

« 11. Que les moyens affectés à la Politique européenne de voisinage soient augmentés ;

« 12. Que des dispositions soient prises pour pérenniser la juste répartition de ces moyens entre les pays des flancs Sud et Est sur la base deux tiers/un tiers, ainsi que pour assurer le respect de cette répartition également en exécution ;

« 13. Que l’Union européenne collabore au plus près avec les institutions des pays partenaires dans la conduite de leurs réformes de bonne gouvernance, afin d’améliorer le taux d’exécution des crédits engagés ;

« 14. Que la procédure des plans d’action et des rapports annuels de suivi, qui n’a pas apporté la preuve de son efficacité, soit améliorée, en particulier grâce à un travail étroit avec les pays partenaires pour mieux en définir le contenu autour de quelques priorités ciblées ;

« 15. Que la Politique européenne de voisinage soit étroitement coordonnée avec la politique de développement, notamment concernant les pays du Sahel et d’Afrique subsaharienne. »

ANNEXE N° 2 :
TEXTE ADOPTÉ PAR LA COMMISSION

Article unique


L’Assemblée nationale,


Vu l’article 88-4 de la Constitution,


Vu les articles 8, 21 et 22 du Traité sur l’Union européenne (TUE),


Vu les articles 208 à 213 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE),


Vu la communication de la Commission au Conseil et au Parlement européen COM(2003) 104 du 11 mars 2003 : « L’Europe élargie - Voisinage : vers un nouveau cadre pour les relations avec nos voisins de l’Est et du Sud »,


Vu le document : « Une Europe sûre dans un monde meilleur – Stratégie européenne de sécurité » du 12 décembre 2003 rédigé sous l’autorité du Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune,


Vu la communication conjointe de la Commission européenne et de la Haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions COM(2011) 303 du 25 mai 2011 : « Une stratégie nouvelle à l’égard d’un voisinage en mutation »,


Vu le règlement (UE) n°232/2014 du Parlement européen et du Conseil du 11 mars 2014 instituant un instrument européen de voisinage,


Vu le document de consultation conjoint de la Commission européenne et de la Haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité JOIN(2015) 6 du 4 mars 2015 : « Vers une nouvelle politique européenne de voisinage »,


Considérant que la Politique européenne de voisinage souffre depuis sa mise en place d’une ambiguïté rédhibitoire, en ne se distinguant pas clairement de la politique d’élargissement et en associant dans la notion de voisinage des réalités et expériences qui n’ont rien de commun ;


Considérant que la constitution au sein de l’actuel collège des commissaires d’un portefeuille mêlant l’élargissement et le voisinage, confié au commissaire Johannes Hahn, prolonge malheureusement cette ambiguïté ;


Considérant qu’à l’issue d’une décennie d’existence, la Politique européenne de voisinage a échoué sur l’essentiel, n’offrant aucune alternative crédible à l’élargissement à l’Est et n’apportant pas les réponses attendues des pays du Sud et de leurs populations ;


Considérant que les bouleversements politiques récents dans le Maghreb, au Proche-Orient, dans l’est de l’Europe et dans le Caucase, à l’origine de l’apparition ou de l’aggravation de plusieurs conflits violents, créent des zones de grande instabilité et que la Politique européenne de voisinage n’a pas été apte à répondre à ces nouveaux défis ; que le traitement politique des différentes crises concernant les pays du voisinage a dû être assuré par l’initiative d’États membres, en l’absence d’une capacité suffisante de l’Union européenne ;


Considérant en particulier que la gestion bureaucratique, sans vision politique, de la Politique européenne de voisinage a une part de responsabilité dans le déclenchement de la crise politique en Ukraine ;


Considérant en particulier l’engagement de la France, aux côtés de l’Allemagne et avec l’appui de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, dans la recherche d’un règlement du conflit dans le Donbass ;


Considérant en particulier que la contribution de la Politique de voisinage au règlement des crises – syrienne, libyenne ou israélo-palestinienne – qui menacent la stabilité de son voisinage Sud et la sienne est insuffisante ;


Considérant en particulier que le soutien politique et financier aux pays engagés sur la voie des réformes démocratiques depuis 2011 n’est pas à la hauteur des défis économiques, sociaux et sécuritaires auxquels ces pays sont aujourd’hui confrontés – notamment la Tunisie, dont le sort engage la crédibilité de la Politique européenne de voisinage ;


Considérant en particulier l’engagement de la France pour le développement et la sécurité des pays du Sahel, qui sont également essentiels pour la sécurité de l’Europe et la maîtrise des flux migratoires ;


Considérant donc, au regard de l’échec de la Politique européenne de voisinage à atteindre ses objectifs, malgré plusieurs tentatives de réforme, qu’il est impératif pour l’Union européenne de refonder cette politique pour qu’elle soit en mesure de contribuer utilement à la stabilité politique, au développement économique et à la promotion des valeurs de paix et de démocratie ;


Recommande :


1. Que soit maintenue l’unicité de la stratégie de voisinage pour l’ensemble des pays des deux zones, à savoir le flanc Sud et le flanc Est, de même que l’unicité pour la gestion des budgets qui y sont affectés ;


2. Mais que cette politique repose sur la différenciation entre l’Est et le Sud, comme également entre chacun des pays de ces deux zones, en fonction de l’intensité de leur engagement aux côtés de l’Europe, mais aussi de leurs attentes et de leur situation géopolitique ;


3. Que la Politique européenne de voisinage réformée associe étroitement les sociétés civiles de ces pays et s’appuie d’avantage sur la coopération décentralisée dans sa conception, sa mise en place et son exécution, afin d’établir des partenariats solides et durables, au plus près des besoins des populations ;


4. Que l’Union européenne approfondisse ses liens avec les « voisins des voisins », c’est à dire la Russie ainsi que les pays du Golfe arabo-persique, d’Afrique subsaharienne et d’Asie centrale ;


5. Qu’en particulier l’Union européenne cherche à rétablir, en lien avec sa Politique de voisinage, un partenariat et un dialogue de haut niveau avec la Russie ; qu’elle prenne également en considération les formes d’intégration régionale telles que l’Union économique eurasiatique ;


6. Que la distinction entre partenariat et élargissement soit clairement établie ;


7. Que la Politique européenne de voisinage au Sud favorise résolument l’intégration politique et économique d’un espace méditerranéen que la fragmentation menace ;


8. Que la Politique européenne de voisinage soit recentrée sur des priorités resserrées autour du développement économique, de l’emploi – en particulier des jeunes –, du partage de la valeur ajoutée, de la mobilité et des flux migratoires, de la sécurité et de la gestion durable des ressources énergétiques ;


9. Qu’en particulier le volet sécurité de la Politique européenne de voisinage soit renforcé, en s’appuyant sur la formulation d’une Stratégie européenne de sécurité adaptée aux défis actuels et en assurant un dialogue au plus haut niveau avec les partenaires au Sud, comme il en existe avec les partenaires à l’Est ;


10. Que soient conférés à la Haute représentante de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité l’autorité et les moyens permettant un pilotage politique de la Politique européenne de voisinage, que seule une autorité unique en lien avec les diplomaties des États membres peut assurer ;


11. Que les moyens affectés à la Politique européenne de voisinage soient augmentés ;


12. Que des dispositions soient prises pour pérenniser la juste répartition de ces moyens entre les pays des flancs Sud et Est sur la base deux tiers/un tiers, ainsi que pour assurer le respect de cette répartition également en exécution ;


13. Que l’Union européenne collabore au plus près avec les institutions des pays partenaires dans la conduite de leurs réformes de bonne gouvernance, afin d’améliorer le taux d’exécution des crédits engagés ;


14. Que la procédure des plans d’action et des rapports annuels de suivi, qui n’a pas apporté la preuve de son efficacité, soit améliorée, en particulier grâce à un travail étroit avec les pays partenaires pour mieux en définir le contenu autour de quelques priorités ciblées ;


15. Que la Politique européenne de voisinage soit étroitement coordonnée avec la politique de développement, notamment concernant les pays du Sahel et d’Afrique subsaharienne.

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