N° 3226 - Rapport de M. Thierry Benoit sur la proposition de loi de M. Thierry Benoit et plusieurs de ses collègues proposant une nouvelle orientation de notre système de retraites (3144)



I. LE DÉFI DE LA PÉRENNISATION DE NOTRE SYSTÈME DE RETRAITES 9

II. L’IMPÉRIEUSE NÉCESSITÉ DE METTRE FIN AUX INIQUITÉS DE NOTRE SYSTÈME DE RETRAITES 11

A. LE POIDS DES DÉFICITS DES RÉGIMES SPÉCIAUX 11

B. UNE ANALYSE COMPARATIVE PAR RÉGIME DÉMONTRANT L’AMPLEUR DES INIQUITÉS 16

1. Le régime spécial de retraite des fonctionnaires civils et militaires de l’État 16

2. Le régime spécial des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers 18

3. Le régime spécial des ouvriers de l’État 19

4. Le régime spécial des agents de la SNCF 20

5. Le régime spécial des agents de la RATP 22

6. Le régime spécial des industries électriques et gazières (CNIEG) 24

7. Le régime spécial des mines 26

8. Le régime spécial des marins 27

9. Le régime spécial des clercs et employés de notaires 29

10. Le régime spécial des cultes 30

11. Le régime spécial de la Banque de France 31

III. L’EXIGENCE DE TRANSPARENCE ET DE LISIBILITÉ 33

TRAVAUX DE LA COMMISSION 37

DISCUSSION GÉNÉRALE 37

EXAMEN DES ARTICLES 45

Article 1er : Pilotage du système de retraites à moyen terme 45

Article 2 (art. L. 111-2-1 du code de la sécurité sociale) : Alignement progressif des règles des régimes spéciaux en matière de cotisations et de prestations sur celles du régime général 51

Article 3 (art. L. 111-2-1 du code de la sécurité sociale) : Création d’un régime universel de retraite par points à l’horizon de 2020 61

Article 4 : Rapport du Conseil d’orientation des retraites sur les modalités de mise en œuvre du régime universel de retraite par points 66

Article 5 : Gage 68

INTRODUCTION

Le 30 octobre dernier, les partenaires sociaux ont finalisé le projet d’accord national interprofessionnel relatif aux retraites complémentaires versées par l’Association générale des institutions de retraite des cadres (AGIRC) et par l’Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (ARRCO) (1).

Ce projet d’accord prévoit notamment qu’à compter de 2019, les générations nées en 1957 et après, qui auront atteint l’âge légal de départ en retraite (62 ans) et qui auront cotisé assez longtemps pour bénéficier d’une pension de retraite au taux plein au régime de base, se verront néanmoins appliquer un « malus » de 10 % du montant de leur retraite complémentaire pendant trois ans si elles prennent leur retraite entre 62 et 64 ans, sauf si elles sont exonérées de contribution sociale généralisée (CSG) ou si elles justifient avoir prolongé leur activité professionnelle pendant quatre trimestres au-delà de la date à laquelle elles avaient rempli les conditions d’obtention du taux plein au régime de base.

Le « coefficient de solidarité » ainsi créé par les partenaires sociaux signataires de l’accord montre que les Français, dans leur large majorité, sont prêts à accepter non seulement un report de l’âge légal de départ à la retraite, mais aussi, et d’une façon plus générale, une réforme en profondeur de notre système de retraites.

C’est précisément l’objet de la présente proposition de loi que d’impulser une modernisation et une réorientation ambitieuses de notre système de retraites sans modifier, pour l’heure, les bornes d’âge de la retraite.

En effet, si la question du report de l’âge légal d’ouverture des droits à la retraite se posera à moyen terme, encore faut-il que, d’ici là, les iniquités qui caractérisent notre système de retraites soient corrigées.

Car la loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014 censée garantir l’avenir et la justice de notre système de retraites a laissé survivre bien des iniquités, à commencer par les règles dérogatoires favorables dont bénéficient l’ensemble des personnes relevant des régimes spéciaux de retraite, et notamment (mais pas exclusivement) les fonctionnaires.

Votre rapporteur tient à souligner à cet égard que la présente proposition de loi n’entend nullement mettre en cause les fonctions publiques d’État, territoriale et hospitalière – qui sont indispensables à la bonne marche et à la réussite de notre pays –, mais seulement placer l’ensemble des personnes qui travaillent en France sur un pied d’égalité au regard des règles relatives aux droits à la retraite – ce qui pourrait, entre autres, se traduire par des mesures favorables aux agents et salariés du secteur public, comme l’intégration de primes dans le calcul de la retraite de base des fonctionnaires.

La création d’un régime universel de retraite par points d’ici 2020, qui est suggérée par la présente proposition de loi, pourrait aussi profiter aux agents et salariés du secteur public ayant effectué une partie de leur carrière dans le secteur privé, en facilitant le calcul de leurs droits à la retraite.

Si la loi du 20 janvier 2014 a permis quelques avancées dans le sens de la simplification de notre système de retraites, notamment en organisant la liquidation unique des régimes alignés (LURA) (2) et la mise en place du compte unique retraite (3), force est de constater qu’il existe encore des marges de progrès en la matière, quand on sait que la France compte plus d’une centaine de régimes de retraite.

Un régime universel de retraite par points, inspiré du modèle suédois, favoriserait la lisibilité de notre système de retraites, dont le moins que l’on puisse dire est qu’il est aujourd’hui très difficilement compréhensible pour nos concitoyens, particulièrement les « polypensionnés » dont le nombre devrait s’accroître à une époque où les carrières sont de moins en moins linéaires.

Par ailleurs, s’il est vrai qu’en créant le comité de suivi des retraites, la loi du 20 janvier 2014 précitée a marqué une avancée en matière de pilotage de notre système de retraites, celle-ci reste très insuffisante au regard des exigences de maîtrise de la dépense publique et en comparaison des bonnes pratiques développées par nos voisins.

Près d’un an et demi après la promulgation de la loi du 20 janvier 2014, le Conseil de l’Union européenne, dans sa recommandation concernant le programme national de réforme de la France pour 2015 et portant avis sur le programme de stabilité de la France pour la même année, a indiqué, le 13 mai dernier, que « le déficit du système de retraite pourrait continuer à se creuser dans les années à venir et [que] les réformes des retraites menées précédemment ne suffiront pas à le combler » (4).

La majorité a beau se targuer des prévisions de retour à l’équilibre de la branche « assurance-vieillesse » du régime général en 2016 – dont il faut reconnaître qu’il est en grande partie lié à la réforme des retraites entreprise par la précédente majorité (5) –, il n’en demeure pas moins que le déficit du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) continue de s’aggraver pour atteindre près de - 3,8 milliards d’euros en 2015 et 2016, selon la commission des comptes de la Sécurité sociale.

De son côté, le comité de suivi des retraites, dans le deuxième avis annuel qu’il a publié le 13 juillet dernier, chiffrait à – 2,9 milliards d’euros le solde négatif agrégé des régimes obligatoires de base et du FSV en 2018 et estimait qu’en l’absence d’accord, le solde négatif cumulé des régimes complémentaires AGIRC-ARRCO pourrait se situer entre – 8,4 et – 11,2 milliards d’euros en 2020 (6).

C’est dire si l’on est loin d’une amélioration nette et durable de l’équilibre financier de notre système de retraites. Votre rapporteur note à cet égard que, dans son rapport sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016, notre collègue Michel Issindou a souligné que l’équilibre financier de notre système de retraites était largement « tributaire de l’évolution de la conjoncture économique » (7). Le comité de suivi des retraites a en effet rappelé que « l’objectif, visé par la loi du 20 janvier 2014 pour l’avenir et la justice du système de retraite, de quasi-retour (– 300 millions d’euros) à l’équilibre des régimes de base et du FSV en 2020, après équilibrage par l’État des régimes concernés, nécessiterait une amélioration de la conjoncture et/ou des mesures nouvelles » (8).

Or, en avril dernier, le Haut conseil des finances publiques a revu à la baisse les perspectives de croissance de notre pays (1,5 % en 2016 et 2017, et 1,75 % en 2018 dans le programme de stabilité 2015-2018 – contre 1,7 % en 2015 et 2,25 % en 2016 et 2017 dans le programme de stabilité 2014-2017). Et pourtant, le comité de suivi des retraites, chargé de formuler des recommandations tendant à adapter à notre système de retraites en cas d’évolutions d’un certain nombre de paramètres, n’a, depuis sa création, jamais publié la moindre préconisation.

C’est le signe que le pilotage de notre système de retraites reste à parfaire.

La présente proposition de loi vous suggère de le faire en privilégiant le pragmatisme, l’équité et l’efficacité.

Votre rapporteur forme le vœu que notre Assemblée se montrera à la hauteur de ses responsabilités vis-à-vis de nos concitoyens et de nos partenaires européens et qu’elle adoptera, avec lucidité et sérénité, une proposition de loi porteuse d’une réforme systémique avant tout destinée à pérenniser, en le modernisant et en le réorientant, le précieux héritage que constitue notre système de retraites.

En cette année 2015 où l’on célèbre le soixante-dixième anniversaire de l’ordonnance du 4 octobre 1945 portant organisation de la Sécurité sociale, le poids de la responsabilité de la pérennisation de cet héritage se fait particulièrement sentir pour l’ensemble des élus de la Nation et pour le Gouvernement.

Or, si l’on peut se réjouir des prévisions de la commission des comptes de la Sécurité sociale publiées en septembre dernier, qui font état d’un retour à l’équilibre de la branche « assurance-vieillesse » du régime général en 2016
– auquel la réforme des retraites opérée par la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 est loin d’être étrangère – et si l’on peut également se réjouir de ce que, d’après le Conseil d’orientation des retraites (COR), à législation constante, et si l’on ne prend pas en compte les réserves accumulées par le Fonds de réserve des retraites (FRR) et par les différents régimes, le retour à l’équilibre des systèmes de retraite serait atteint au cours des années 2020 dans des hypothèses de croissance annuelle de la productivité du travail oscillant entre 1,5 % et 2 %, il faut garder à l’esprit que ces prévisions se fondent sur des hypothèses optimistes.

Comme le note notre collègue Michel Issindou dans son rapport sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016, « avec des hypothèses de croissance plus faibles (moins de 1,5 % d’augmentation de la productivité), l’équilibre ne serait pas atteint d’ici 2060 sans mesure complémentaire » (9).

C’est d’ailleurs ce qui a conduit le comité de suivi des retraites à souligner que la prudence invitait à prendre en compte les scénarios les moins optimistes du COR, tant « l’incertitude qui pèse sur la croissance est réelle » et tant « l’un des problèmes essentiels du système de retraite français demeure sa dépendance à la croissance » (10).

L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) ne s’y est pas trompée, elle qui annonçait dès 2013, dans son étude économique consacrée à la France, que « le système de retraites ne devrait, dans le meilleur des cas, revenir à l’équilibre qu’à long terme », que « le besoin de financement du système de retraites subsisterait jusqu’en 2060 » et qu’« entre 2012 et 2040, la dette accumulée du système de retraites serait de 15 % à 50 % du PIB [produit intérieur brut] » (11).

Dans ces conditions, l’enjeu de préserver la pérennité de notre système de retraites reste non seulement actuel et pertinent, mais même crucial.

Or ce système ne pourra être préservé que si son pilotage est renforcé.

À cet égard, les bonnes pratiques adoptées par nos voisins européens pourraient inspirer le législateur.

Exemples étrangers de dispositifs de pilotage

1) Allemagne (régime en points)

L’Allemagne a fait le choix de définir des seuils à ne pas franchir pour trois paramètres et de définir a priori les mécanismes d’équilibrage : i) le niveau de réserves de trésorerie doit être compris entre 0,2 et 0,5 mois (à défaut, adaptation des taux de cotisations) ; ii) le taux de cotisation (qui doit être inférieur à 20 % en 2020 et 22 % en 2030) ; iii) le taux de remplacement (qui ne doit pas être inférieur à 46 % en 2020 et 43 % en 2030).

Depuis 2004, la formule de revalorisation de la valeur du point dépend du ratio de dépendance démographique du régime (12) : la dégradation de ce ratio entraîne une moindre revalorisation du point de retraite. Le ratio est pondéré par un coefficient de 25 % dans la formule de revalorisation du point, soit un ajustement portant à la fois sur l’accumulation des droits à retraite des actifs et sur l’évolution des pensions des retraités : le point évolue comme les salaires nets minorés par le facteur de soutenabilité (13).

2) Suède (régime en comptes notionnels)

La réforme intervenue en Suède au cours des années 1990 a créé deux régimes à cotisations définies, l’un en répartition (comptes notionnels), l’autre en capitalisation (comptes capitalisés). Dans le premier, les cotisations sont inscrites au compte de l’assuré et, lors de la liquidation, la somme est convertie en pension, la masse des droits étant affectée d’un coefficient de conversion prenant en compte l’espérance de vie de la génération.

Les cotisations portées au compte sont revalorisées selon le salaire réel moyen et les pensions selon le taux de croissance annuel du salaire réel moyen. Des mécanismes d’ajustement ont été introduits en 2001 : lorsque les engagements du régime ne sont pas couverts, le taux de croissance du salaire réel moyen est pondéré jusqu’au retour à l’équivalence entre réserves et cotisations, d’une part, engagements de pension, d’autre part.

3) Canada (régime en annuités)

Le régime canadien fonctionne selon le principe d’une répartition partiellement provisionnée. Les cotisations doivent financer les pensions et des réserves existent afin d’assurer la viabilité du système à horizon de 75 ans. Lorsqu’un déséquilibre financier à long terme apparaît, le Parlement doit décider d’ajustements sur des leviers à définir. En l’absence de décision, un ajustement automatique intervient : relèvement du taux de cotisation et gel des pensions pendant trois ans, délai à l’issue duquel la situation est à nouveau examinée.

4) Japon (régime en annuités)

Un facteur démographique a été introduit au Japon dans le mode de revalorisation des pensions, qui évolue automatiquement lorsque la situation se dégrade. Ce facteur est égal à la somme du taux de croissance des cotisants et du taux de croissance de l’espérance de vie. L’indexation transitoire conduit à soustraire ce facteur de l’indice courant de revalorisation. En outre, des mécanismes d’ajustement automatique sont prévus. En premier lieu, en cas de déflation ou si le revenu disponible baisse, les pensions sont gelées ; en second lieu, si le taux de remplacement se dégrade trop, le mécanisme est suspendu et les pensions revalorisées selon l’inflation.

Source : Commission pour l’avenir des retraites, Rapport au Premier ministre, Nos retraites demain : équilibre financier et justice, juin 2013, p. 110.

Comme l’a fait remarquer, en 2013, la Commission pour l’avenir des retraites, au sujet de ces dispositifs étrangers, le pilotage des systèmes de retraites est d’autant plus efficace qu’il est « mis en œuvre dans le cadre de régimes unifiés ou limités en nombre, que les régimes soient par ailleurs en annuités, en points ou en comptes notionnels » (14).

Or force est de constater qu’en dépit de l’ambition affichée par la loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014 de garantir la « justice » de notre système de retraites, ce dernier compte beaucoup d’iniquités.

Déjà en 2013, dans sa recommandation du 29 mai, le Conseil de l’Union européenne énonçait que « le système de retraite sera[it] encore déficitaire en 2018, contrairement à l’objectif d’un retour à l’équilibre à cette date visé par la réforme de 2010 » et que « de nouvelles mesures [devaient] être prises d’urgence pour remédier à cette situation tout en préservant l’adéquation du système ». Et le Conseil d’ajouter à l’époque qu’« il pourrait notamment être envisagé […] de réexaminer les nombreuses dérogations au régime général de certaines catégories de travailleurs » (16).

En effet, alors que le maintien des régimes spéciaux était conçu, en 1945, comme provisoire, se sont pérennisés des régimes de sécurité sociale (et notamment de retraite) dont l’origine est parfois fort ancienne : les premières mesures de protection contre les risques encourus par les marins remontent au règne de Louis XIV, qui institua l’Établissement des invalides de la marine (actuel Établissement national des invalides de la marine – ENIM) tandis que les personnels de la Banque de France et de la Comédie française furent dotés d’un régime de retraite sous le Premier Empire (respectivement en 1806 et 1812). D’abord réservé aux seuls militaires (loi du 8 janvier 1831), le bénéfice des pensions fut étendu, progressivement, à l’ensemble des fonctionnaires de l’État au début du Second Empire (loi du 9 juin 1853). Le mouvement s’amplifia ensuite au cours de la seconde moitié du XIXsiècle au profit des salariés de certaines branches professionnelles en raison des risques particuliers que ceux-ci encouraient (mines) ou de l’intérêt que les pouvoirs publics attachaient à la pérennité d’activités jugées stratégiques (chemins de fer).

Outre l’ancienneté et l’étroitesse de leur assise, c’est aussi leur mode de financement qui caractérise la plupart des régimes spéciaux. Pour nombre d’entre eux, ce financement est fortement dépendant des sommes versées par les autres régimes au titre de la compensation démographique et financière, autant que des concours financiers de l’État, comme l’illustre le tableau ci-après.

PRESTATIONS VERSÉES, COTISATIONS, SUBVENTIONS D’ÉQUILIBRE OU TRANSFERTS REÇUS PAR LES PRINCIPAUX RÉGIMES SPÉCIAUX DE RETRAITE EN 2015

Régime

Nombre de bénéficiaires des pensions
(en milliers)

Nombre de cotisants
(en milliers)

Cotisations sociales des actifs (p)
(en millions d’euros)

Prestations légales « vieillesse » (p)
(en millions d’euros)

Cotisations ou subventions d’équilibre / transferts (p)
(en millions d’euros)

Fonctionnaires civils et militaires de l’État

2 122

2 030

13 613

48 038

37 780

Fonctionnaires des collectivités territoriales et des hôpitaux (CNRACL)

1 001

2 245

19 401

15 797

Ouvriers des établissements industriels de l’État (FSPOIE)

87

31

450

1 660

1 387

Chemins de fer (CRPSNCF)

268

152

2 010

5 280

3 271

Régie autonome des transports parisiens (CRPRATP)

48

42

464

1 064

633

Secteur du gaz et de l’électricité (CNIEG)

171

145

3 345

4 508

2 648

(prise en charge de prestations par la CNAV ou par les régimes complémentaires)

Mineurs (CANSSM)

285

2

14

1 571

1 348

Marins (ENIM)

113

29

112

1 070

853

Clercs et employés de notaire (CRPCEN)

69

44

742

808

Cultes (CAVIMAC)

47

15

50

200

161

(transferts d’équilibrage versés par la CNAV et prise en charge de prestations par le FSV)

Banque de France

15

11

43

455

409

Source : Commission des comptes de la Sécurité sociale, septembre 2015 (rapport, tome II).

Par ailleurs, les régimes spéciaux offrent en général des prestations plus favorables dans le domaine de l’assurance-vieillesse : l’âge de départ à la retraite y est souvent inférieur à l’âge légal d’ouverture des droits et la pension moyenne servie souvent supérieure à celle versée aux salariés (cadres et non-cadres) du secteur privé.

Pour prendre l’exemple du régime de retraite des agents de la Société nationale des chemins de fer français (SNCF), alors même que le décret n° 2008-639 du 30 juin 2008 relatif au régime spécial de retraite du personnel de la SNCF a allongé la durée de cotisation de 37,5 années (en vigueur jusqu’au 30 juin 2008) à 41 ans (à compter de 2016), ce qui a eu pour conséquence pratique de rendre plus difficile l’obtention d’une retraite au taux plein à l’âge d’ouverture des droits (55 ans en principe, 50 ans pour les agents de conduite), il n’en demeure pas moins qu’en 2011, l’âge effectif de départ à la retraite des agents de la SNCF était en moyenne de 55,1 ans, contre 61,9 ans dans le régime général des salariés du secteur privé (17), 62,2 ans pour les commerçants et artisans dépendant du régime social des indépendants (RSI) (18) et 63,7 ans pour les adhérents du régime des professions libérales (médecins, pharmaciens, notaires, vétérinaires, etc.).

Tout comme dans la fonction publique, le salaire pris en compte pour le calcul de la pension des agents de la SNCF est celui reçu depuis au moins six mois au moment du départ à la retraite. Et dans le régime de la SNCF, ce calcul intègre une longue liste de primes (de travail, de fin d’année, etc.).

En 2013, selon les calculs publiés par un expert, la pension moyenne annuelle d’un agent de la SNCF avoisinait 23 000 euros, contre 20 000 euros pour les cadres du privé (retraites de base et complémentaire confondues) et 10 756 euros pour les non-cadres (retraites de base et complémentaire confondues) (19).

La même année, les montants moyens des pensions de retraite étaient de 1 932 euros en moyenne mensuelle (soit 23 184 euros par an) pour la fonction publique d’État, contre 1 281 euros par mois en moyenne (soit 15 372 euros par an) pour les salariés du secteur privé, cadres et non-cadres confondus (20).

Et la pension moyenne annuelle des fonctionnaires de l’État devrait atteindre 27 000 euros en 2050, alors que celle des cadres du privé devrait plafonner à 22 500 euros et celle des non-cadres à 14 152 euros.

La progression des pensions des régimes spéciaux de la SNCF et des industries électriques et gazières serait encore plus marquante : elles devraient presque doubler en quarante ans pour s’établir à 40 000 euros par an en 2050 (21).

RETRAITE MOYENNE MENSUELLE BRUTE DES FONCTIONNAIRES

Année

Fonctionnaires civils de l’État

Fonctionnaires des services territoriaux

Fonctionnaires des services hospitaliers

Ouvriers de l’État

Militaires

2000

1 765

1 049

1 105

1 425

1 464

2005

1 860

1 130

1 270

1 516

1 579

2010

2 035

1 250

1 404

1 715

1 555

2014

2 118

1 267

1 489

1 926

1 579

Source : Caisse des dépôts et consignations, Service des retraites de l’État, Le Figaro (26 octobre 2015)

Dans l’étude économique qu’elle a consacrée à la France en mars 2013, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a constaté que « les dépenses de retraite [y étaient] parmi les plus élevées de la zone de l’OCDE »  et que « des économies [pouvaient] être réalisées dans le régime des salariés des entreprises publiques, dont les retraites sont plus élevées que celles du secteur privé » (22). Et d’ajouter : « concernant le régime des fonctionnaires, les règles de calculs des pensions sont tellement différentes de celles qui s’appliquent au secteur privé qu’il est difficile d’avoir une appréciation d’ensemble sur le niveau de générosité relative. Même si le niveau des pensions peut être vu comme partie intégrante de la rémunération globale, les régimes spéciaux (y compris celui des fonctionnaires) non seulement rendent l’ensemble du système de retraite opaque et sans doute peu équitable, mais ils freinent aussi la mobilité entre secteurs soumis à des régimes différents et compliquent l’ouverture à la concurrence des entreprises publiques » (23).

Comme le note l’OCDE, « les régimes spéciaux de retraite (y compris les régimes de la fonction publique) concernent presque 4 millions de bénéficiaires, essentiellement d’anciens fonctionnaires, salariés d’entreprises publiques et salariés de secteurs spécifiques (mineurs, notaires, marins, par exemple), et les pensions versées chaque année représentent 3,5 % du PIB. Les régimes spéciaux offrent souvent des conditions plus généreuses que le régime général. Certaines catégories de fonctionnaires (en service « actif » comme les militaires, les policiers, les pompiers ou les gardiens de prison, et ceux qui effectuent des travaux insalubres) peuvent prendre leur retraite avant l’âge légal, et peuvent percevoir une retraite à l’issue d’une période de contribution plus courte. Les salariés des secteurs de l’électricité et du gaz, les cheminots (salariés de la SNCF) et les salariés de la RATP (Régie autonome des transports parisiens) bénéficient aussi de conditions de retraite favorables. […] De façon générale, on ne dispose d’aucune information fiable sur le coût des régimes spéciaux, mais l’une des conditions préalables à l’introduction en bourse d’EDF/GDF en 2005 a été l’intégration de son système de retraite au régime général. Comme les critères d’éligibilité sont restés les mêmes, l’État a dû verser en compensation à la Caisse nationale d’assurance-vieillesse (CNAV) un montant équivalent à environ 0,5 % du PIB et correspondant à la valeur actuelle nette des paiements des retraites futures compte tenu des conditions spéciales en vigueur ».

S’il est vrai qu’il est difficile de disposer d’une information vérifiable sur le coût global des régimes spéciaux, votre rapporteur s’est néanmoins efforcé de rassembler un certain nombre d’éléments sur la dizaine d’entre eux qui comptent le plus grand nombre d’affiliés.

Le régime spécial de retraite des fonctionnaires civils et militaires de l’État, qui trouve ses prémices sous l’Ancien régime, a été unifié pour la première fois par la loi du 8 juin 1853, laquelle a mis à la charge du Trésor le versement de l’ensemble des pensions des agents publics. Maintenu par l’ordonnance n° 45-2250 du 4 octobre 1945 portant organisation de la Sécurité sociale, le régime de retraite des fonctionnaires civils et militaires de l’État est défini par le code des pensions civiles et militaires de retraite (CPCMR). Il a été géré depuis 1972 par le service des pensions, auquel s’est substitué en 2009 le service des retraites de l’État (SRE), service central relevant du ministère chargé du budget.

Le SRE couvre les risques « vieillesse » et « invalidité » pour les agents civils et militaires de l’État et leurs ayants droit.

Les charges de pensions et les retenues pour pensions sont englobées dans les opérations du budget de l’État. En application de l’article 21 de la loi organique n° 2001-692 du 1er août 2001 relative aux lois de finances (LOLF), la loi n° 2005-1719 du 30 décembre 2005 de finances pour 2006 a créé un compte d’affectation spéciale (CAS) « Pensions » qui retrace toutes les opérations, tant en recettes qu’en dépenses, liées aux pensions civiles et militaires de retraite.

Le nombre de bénéficiaires des pensions civiles et militaires de l’État étant supérieur au nombre de cotisants et les cotisations sociales des actifs très inférieures au montant des prestations légales « vieillesse », le régime spécial des fonctionnaires de l’État bénéficie d’une cotisation d’équilibre de l’employeur (donc de l’État) qui représente près des trois quarts de ses ressources.

D’après les projections établies en mars 2013 par le Conseil d’orientation des retraites (COR) pour une vingtaine de régimes de retraites, dont celui des fonctionnaires de l’État, le déséquilibre entre le nombre de bénéficiaires et de cotisants « vieillesse » existant dans ce dernier régime devrait s’accentuer : « les effectifs de retraités de droit direct continueraient de croître à un rythme soutenu jusque vers 2035, en raison du départ à la retraite des générations nombreuses du baby boom. Ils devraient ainsi passer de 1,8 million en 2011 à environ 2,25 millions en 2035 » (24).

D’après ces mêmes projections, l’âge effectif moyen de départ à la retraite des fonctionnaires civils et militaires de l’État était de 57,1 ans en 2010 – âge « relativement bas du fait des militaires, des catégories dites actives qui peuvent liquider leurs droits à retraite avant l’âge minimum légal de droit commun (passant de 60 à 62 ans). […] Pour les fonctionnaires civils de catégorie sédentaire, il se situe en 2010 à 61,0 ans contre 61,5 ans au régime général. L’âge effectif moyen de départ à la retraite à la FPE [fonction publique d’État] progresserait d’un peu moins de deux ans en début de période pour se stabiliser à 58,7 ans vers 2025 » (25).

Par ailleurs, « la pension moyenne de droit direct servie aux anciens fonctionnaires d’État stagnerait en termes réels aux alentours de 23 000 euros par an jusqu’en 2025-2030, compte tenu notamment des évolutions du traitement moyen sur le passé récent et de celles projetées au cours des prochaines années. Elle augmenterait ensuite à nouveau. À l’horizon 2060, […] la pension moyenne atteindrait entre 28 000 et 34 000 euros par an » (26).

ÉVOLUTION DU RÉGIME DE RETRAITE
DES FONCTIONNAIRES CIVILS ET MILITAIRES DE L’ÉTAT DEPUIS 2013

Année

2013

2014

2015 (p)

2016 (p)

Cotisants vieillesse

2 058 009

2 046 363

2 030 738

2 028 899

Bénéficiaires vieillesse

2 076 685

2 100 914

2 122 844

2 143 919

Prestations légales « vieillesse »
(en millions d’euros)

46 699

47 442

48 038

48 774

Cotisations sociales des actifs
(en millions d’euros)

13 187

13 360

13 613

13 816

Cotisations d’équilibre de l’employeur principal
(en millions d’euros)

36 919

37 555

37 780

38 391

Source : Commission des comptes de la Sécurité sociale, septembre 2015 (rapport, tome II, p. 47).

Les agents titulaires des collectivités locales et leurs établissements publics administratifs et les agents titulaires de la fonction publique hospitalière, ainsi que leurs ayants droit, relèvent de la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales (CNRACL). Cette caisse, constituée en établissement public administratif et gérée par la Caisse des dépôts et consignations (CDC) assure le versement des pensions de vieillesse et d’invalidité et le recouvrement des cotisations de vieillesse. Les droits des ressortissants du régime sont définis par le décret n° 2003-1306 du 26 décembre 2003 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la Caisse nationale de retraites des agents des collectivités locales. Ils sont comparables à ceux du régime de retraite des fonctionnaires de l’État.

Les charges de la CNRACL sont financées par des cotisations assises sur le traitement indiciaire brut et la nouvelle bonification indiciaire (NBI). Les taux de cotisation (salariale et patronale) ont été relevés par la réforme des retraites de 2010, le décret n° 2012-847 du 2 juillet 2012 relatif à l’âge d’ouverture du droit à pension de vieillesse, la loi n° 2012-1404 du 17 décembre 2012 de financement de la sécurité sociale pour 2013 et la loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraites.

Ce régime est l’un des rares régimes spéciaux à être en excédent, depuis 2014, grâce aux hausses de taux de cotisation et au ralentissement de la croissance des prestations.

D’après les projections établies en mars 2013 par le COR, « les effectifs de retraités de droit direct augmenteraient à un rythme soutenu jusque vers 2025 (+ 3 % par an), plus lentement ensuite, en raison du départ à la retraite des générations nombreuses du baby boom, de l’augmentation récente des effectifs de la fonction publique territoriale liés aux transferts de décentralisation, et du dynamisme récent des recrutements dans les fonctions publiques territoriale et hospitalière. Ils passeraient ainsi de 0,9 million en 2011 à 1,6 million en 2030, puis ils tendraient à se stabiliser à environ 1,9 million vers 2060 » (27).

D’après ces mêmes projections, l’âge effectif moyen de départ à la retraite à la CNRACL était de 58,4 ans en 2010. Après 2012, l’âge effectif moyen de départ à la retraite à la CNRACL augmenterait encore d’un peu plus de deux ans, pour se stabiliser à environ 62,4 ans, sur la période 2025-2060.

Par ailleurs, « la pension moyenne de droit direct servie aux anciens fonctionnaires territoriaux et hospitaliers progresserait modérément en début de période (+ 0,2 % par an entre 2011 et 2030), se maintenant aux alentours de 15 000 euros par an, compte tenu notamment des évolutions du traitement moyen sur le passé récent et de celles projetées au cours des prochaines années. Elle augmenterait ensuite de plus en plus rapidement. À l’horizon 2060, […] la pension moyenne se situerait entre 20 000 et 25 000 euros par an » (28).

ÉVOLUTION DU RÉGIME DE RETRAITE
DES FONCTIONNAIRES TERRITORIAUX ET HOSPITALIERS DEPUIS 2013

Année

2013

2014

2015 (p)

2016 (p)

Cotisants vieillesse

2 194 861

2 223 211

2 245 443

2 265 652

Bénéficiaires vieillesse

929 061

963 792

1 001 088

1 039 400

Prestations légales « vieillesse »
(en millions d’euros)

14 545

15 170

15 797

16 493

Cotisations sociales des actifs
(en millions d’euros)

17 329

18 757

19 401

20 038

Résultat net (en millions d’euros)

– 105

432

315

168

Source : Commission des comptes de la Sécurité sociale, septembre 2015 (rapport, tome II, pp. 53-55).

Institué par la loi du 21 mars 1928, afin de créer un cadre commun à l’ensemble des ouvriers de l’État, le Fonds spécial des pensions des ouvriers des établissements industriels de l’État (FSPOEIE) assure, selon le principe de la répartition, la couverture des risques « vieillesse » et « invalidité » des ouvriers des établissements industriels de l’État. Régi par les décrets du 24 septembre 1965, du 18 août 1967 et du 5 octobre 2004, le fonds est géré par la Caisse des dépôts et consignations (CDC).

Les dépenses de ce fonds sont couvertes par :

– les cotisations salariales à la charge des ouvriers – les réformes des retraites de 2010 et 2014 et le décret du 2 juillet 2012 ayant prévu un relèvement progressif du taux de ces cotisations ;

– les cotisations patronales – qui étaient en 2008 de 24 % et qui ont été portées à 33 % au 1er janvier 2011 à raison d’une augmentation de trois points par an ;

– une subvention d’équilibre.

Cette subvention, qui est versée par les ministères employeurs au prorata de leurs effectifs de pensionnés, n’a cessé d’augmenter, les cotisations salariales et patronales ne permettant pas de couvrir les dépenses du programme budgétaire « 742 » correspondant aux « Ouvriers des établissements industriels de l’État ». Malgré l’augmentation de cette subvention, le régime a été déficitaire en 2014.

D’après les projections établies par le COR en mars 2013, « l’effectif de cotisants devrait diminuer jusqu’à ce qu’il n’y ait plus de cotisants (vers 2050). Il y a[vait] 43 000 cotisants en 2011 et il n’en resterait plus que 24 000 en 2020 et 8 000 en 2030 » (29), car le FSPOEIE est un régime fermé (il n’y a plus de nouveaux cotisants depuis 2011). Les effectifs de retraités de droit direct décroîtraient, passant de 70 000 en 2011 à 9 000 en 2060.

D’après ces mêmes projections, la pension moyenne de droit direct n’augmenterait pratiquement pas et se maintiendrait à environ 21 000 euros par an jusqu’en 2060.

ÉVOLUTION DU RÉGIME DE RETRAITE DES OUVRIERS DE L’ÉTAT DEPUIS 2013

Année

2013

2014

2015 (p)

2016 (p)

Cotisants vieillesse

38 727

35 772

31 560

27 765

Bénéficiaires vieillesse

88 060

87 821

87 205

87 314

Prestations légales « vieillesse » (en millions d’euros)

1 645

1 658

1 660

1 678

Cotisations sociales des actifs
(en millions d’euros)

498

485

450

410

Subventions d’équilibre
(en millions d’euros)

1 327

1 260

1 387

1 377

Source : Commission des comptes de la Sécurité sociale, septembre 2015 (rapport, tome II, pp. 58-61).

Le régime spécial des agents de la SNCF a été créé par les lois du 21 juillet 1909 et du 28 décembre 1911. Il gère l’ensemble des risques de la sécurité sociale des agents actifs et retraités et de leurs familles. Il finance un service médical gratuit pour les agents actifs du cadre permanent, c’est-à-dire sous statut SNCF.

Le régime était auparavant géré directement par l’entreprise. La mise en œuvre des normes comptables européennes au 1er janvier 2007 a conduit à la création d’une caisse de prévoyance et de retraite du personnel de la SNCF (30). Cette caisse, dotée de la personnalité morale, est un organisme de sécurité sociale de droit privé. Elle assure la gestion du régime spécial au titre :

– des pensions et prestations de retraite servies aux anciens agents du cadre permanent ;

– des prestations de prévoyance servies aux agents et anciens agents du cadre permanent pour eux-mêmes ou leur famille, notamment les prestations en nature des assurances maladie, maternité et décès.

La pension de retraite normale est accordée à partir de l’âge de 55 ans (50 ans pour les agents de conduite), après 25 années de service. Ces pensions ont fait l’objet de plusieurs réformes successives. En 2008, les règles de calcul ont été harmonisées avec les règles en vigueur dans la fonction publique d’État, en particulier en alignant progressivement la durée d’assurance applicable dans le régime spécial sur celle du régime de la fonction publique et en appliquant des barèmes de décote et de surcote identiques.

Ensuite, les mesures adoptées dans le cadre de la réforme des retraites de 2010 pour la fonction publique d’État ont été transposées également au régime spécial de la SNCF, ce qui a conduit au relèvement progressif de deux ans des bornes d’âge, à la mise en extinction du départ anticipé des parents de trois enfants et au rapprochement des règles en matière de minimum de pension sur celles applicables dans le régime général. Ces dispositions commenceront à s’appliquer en 2017, afin de tenir compte de la montée en charge de la réforme précédente de 2008. Enfin, les mesures adoptées dans le cadre de la réforme des retraites de 2014 ont été transposées au régime spécial de la SNCF (31), comme pour les autres régimes spéciaux, notamment l’augmentation progressive de la durée de services et bonifications, le décalage d’avril à octobre de la date de revalorisation des pensions (à l’exception des pensions d’invalidité) et la création d’un abattement forfaitaire permettant de réduire le coût du rachat des années d’études pour les jeunes actifs. Par ailleurs, à compter du 1er janvier prochain, les pensions ne seront plus versées par trimestre d’avance, mais par mois d’avance (32).

Le nombre de cotisants étant largement inférieur au nombre des bénéficiaires des pensions de retraite, le régime spécial de la SNCF reçoit une subvention de l’État qui représente près des deux tiers de ses ressources.

Toutefois, d’après les projections établies en mars 2013 par le COR, les effectifs de retraités de droit direct devraient décroître, passant de 182 000 en 2011 à 102 000 en 2060. « Cette diminution reflète[rait] avec retard celle des effectifs d’actifs de la SNCF depuis plus de 60 ans, et s’explique[rait] aussi en projection par le recul de l’âge de départ à la retraite » (33).

Par ailleurs, l’âge effectif moyen de départ à la retraite à la CPRPSNCF était de 55,1 ans en 2011 et il augmenterait d’environ 6 ans en projection, pour se stabiliser à long terme à 61,2 ans à l’horizon de 2060.

D’après le COR, « le report de l’âge serait principalement la conséquence de la réforme intervenue en 2008 et des mesures d’accompagnement. La réforme de 2008 a notamment consisté à harmoniser les modalités de calcul des pensions avec les réformes intervenues pour les fonctionnaires lors de la réforme de 2003 (instauration d’une décote et allongement de la durée d’assurance exigée pour le taux plein…). L’effet de cette réforme sur l’âge de départ serait beaucoup plus marqué à la SNCF que dans la fonction publique » (34).

Par ailleurs, la pension moyenne de droit direct servie aux anciens salariés de la SNCF progresserait modérément jusqu’en 2030 (+ 0,9 % par an), compte tenu notamment des évolutions du salaire moyen par le passé récent et de celles projetées au cours des prochaines années. La pension moyenne, proche de 23 000 euros par an en 2011, se situerait en 2060 entre 41 000 euros et 47 000 euros par an, selon les scénarios.

ÉVOLUTION DU RÉGIME DE RETRAITE DES AGENTS DE LA SNCF DEPUIS 2013

Année

2013

2014

2015 (p)

2016 (p)

Cotisants vieillesse

155 467

153 611

152 508

150 943

Bénéficiaires vieillesse

276 394

271 972

268 148

264 499

Prestations légales « vieillesse »
(en millions d’euros)

5 295

5 294

5 280

5 268

Cotisations sociales des actifs
(en millions d’euros)

1 958

1 990

2 010

2 015

Subventions d’équilibre
(en millions d’euros)

3 334

3 299

3 271

3 252

Source : Commission des comptes de la Sécurité sociale, septembre 2015 (rapport, tome II, pp. 63-67).

Le régime spécial de la Régie autonome des transports parisiens (RATP) a été créé par la loi n° 48-506 du 21 mars 1948 relative à la réorganisation et à la coordination des transports de voyageurs dans la région parisienne. Les personnels ont conservé la protection sociale dont ils bénéficiaient auparavant à la Compagnie du métropolitain de Paris.

Depuis le 1er janvier 2006, la gestion du régime spécial de retraite dont relèvent les agents et anciens agents du cadre permanent de la RATP, ainsi que leurs ayants droit, a été reprise par une caisse de sécurité sociale, créée par le décret n° 2005-1635 du 26 décembre 2005 relatif à la caisse de retraites du personnel de la Régie autonome des transports parisiens. En vertu de l’article 3 de ce décret, la caisse de retraite est chargée :

– de procéder, pour l’ouverture des droits aux pensions servies aux affiliés, à l’immatriculation et à la radiation de ses affiliés ;

– de recouvrer le produit des cotisations dues par les salariés de la RATP et par l’entreprise ainsi que les contributions sociales dues par les pensionnés ;

– d’assurer la liquidation et le service des pensions ainsi que la gestion de trésorerie.

Le financement du régime spécial de retraite de la RATP repose actuellement sur :

– le produit des cotisations des salariés (taux de 12,15 % en 2014) et de l’employeur (taux de 18,39 % en 2014) ;

– un versement de l’État qui doit assurer l’équilibre entre les recettes et les charges de la caisse de retraite, selon des modalités fixées par une convention financière conclue le 20 décembre 2007.

Le régime spécial de retraite de la RATP a été réformé en 2008 en vue de son harmonisation avec celui de la fonction publique d’État, en particulier en alignant progressivement la durée d’assurance applicable dans le régime spécial sur celle du régime de la fonction publique et en appliquant des barèmes de décote et de surcote identiques.

Comme pour les autres régimes spéciaux, les mesures adoptées dans le cadre de la réforme des retraites de 2010 pour la fonction publique d’État ont été transposées au régime spécial de la RATP (notamment le report progressif de deux ans des bornes d’âge, la mise en extinction du départ anticipé des parents de trois enfants et le rapprochement des règles en matière de minimum de pension sur celles applicables dans le régime général). Ces dispositions seront applicables dans le régime spécial à partir de 2017 afin de tenir compte de la montée en charge de la réforme de 2008. Les dispositions du décret du 2 juillet 2012, qui a élargi la retraite anticipée pour longues carrières en ouvrant la possibilité d’un départ à 60 ans aux assurés qui justifient de la durée requise de cotisation et d’un début de carrière avant 20 ans, sont également applicables au régime spécial de retraite de la RATP. Ces dispositions n’auront toutefois un impact sur le régime qu’à compter de la mise en œuvre du recul de l’âge légal, au 1er janvier 2017.

Enfin, les mesures adoptées dans le cadre de la réforme des retraites de 2014 ont également été transposées au régime spécial de la RATP par le décret n° 2014-668 du 23 juin 2014 relatif au régime spécial de retraite du personnel de la Régie autonome des transports parisiens, comme pour les autres régimes spéciaux (augmentation progressive de la durée de services et bonifications, décalage de la date de revalorisation des pensions d’avril à octobre, hausses de taux de cotisations vieillesse…).

Alors même que le nombre de bénéficiaires des pensions de retraite du régime spécial de la RATP n’est pas beaucoup plus élevé que le nombre de cotisants, l’État verse au régime une subvention d’équilibre qui ne cesse de croître et qui représente aujourd’hui plus de la moitié des recettes dudit régime.

D’après les projections établies en mars 2013 par le COR, « les effectifs de retraités de droit direct, actuellement de 37 000, oscilleraient entre 37 000 et 40 000 entre 2011 et 2045, avant de descendre à 34 000 en 2060 » (35).

L’âge effectif moyen de départ à la retraite à la CRPRATP était de 54,4 ans en 2011 et devrait augmenter pour se stabiliser à environ 59 ans entre 2030 et 2045 et à environ 62 ans entre 2050 et 2060. Comme l’explique le COR, « il est relativement bas du fait de l’existence de catégories actives dont l’âge d’ouverture actuel est de 50 ou 55 ans » (36).

La pension moyenne, proche de 22 000 euros par an en 2011 et de 25 000 euros en 2020, se situerait entre 28 000 et 31 000 euros par an à l’horizon de 2060.

ÉVOLUTION DU RÉGIME DE RETRAITE DES AGENTS DE LA RATP DEPUIS 2013

Année

2013

2014

2015 (p)

2016 (p)

Cotisants vieillesse

42 688

42 483

42 483

42 483

Bénéficiaires vieillesse

47 883

47 885

48 265

48 630

Prestations légales « vieillesse »
(en millions d’euros)

1 026

1 042

1 064

1 086

Cotisations sociales des actifs
(en millions d’euros)

442

459

464

472

Subventions d’équilibre
(en millions d’euros)

611

619

633

646

Source : Commission des comptes de la Sécurité sociale, septembre 2015 (rapport, tome II, pp. 69-73).

Depuis la loi du 8 avril 1946 de nationalisation de l’électricité et du gaz et le décret du 22 juin 1946 approuvant le statut national du personnel des industries électriques et gazières (IEG), les agents statutaires actifs, inactifs et pensionnés ainsi que leurs ayants droit relèvent d’un régime spécial de sécurité sociale : la Caisse nationale des industries électriques et gazières (CNIEG).

Les modalités de gestion et de financement du régime ont été modifiées à compter du 1er janvier 2005, avec l’adossement financier du régime à la Caisse nationale d’assurance-vieillesse (CNAV), à l’Association générale des institutions de retraite des cadres (AGIRC) et à l’Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (ARRCO). Depuis, la part des pensions de vieillesse équivalente aux régimes de droit commun (CNAV pour la part de base et AGIRC-ARRCO pour la part complémentaire) est identifiée.

Les pensions dites « équivalentes » au droit commun sont prises en charge par la CNAV, l’AGIRC et l’ARRCO – qui versent le montant correspondant à la CNIEG. En contrepartie, la CNIEG leur verse des cotisations équivalentes au droit commun, celles-ci étant calculées en reconstituant des taux à appliquer à l’assiette du régime spécial en fonction des taux et des assiettes plafonnées et déplafonnées de droit commun. En 2014, les taux équivalents à appliquer à l’assiette du régime spécial étaient de 12,33 % pour les cotisations salariales (au taux fixe) et de 26,67 % pour les cotisations patronales (taux calculé pour générer des cotisations équivalentes à celles du droit commun, une fois les cotisations salariales perçues).

Comme les autres régimes spéciaux, le régime spécial de retraite des IEG a été réformé en 2008 (allongement progressif de la durée d’assurance, création d’un mécanisme de décote/surcote, création d’un dispositif de retraite anticipée pour carrière longue), puis en 2011, lors de la transposition au régime spécial des mesures adoptées pour la fonction publique dans le cadre de la réforme des retraites de 2010 (relèvement progressif des âges de départ en retraite de deux ans, mis en œuvre à compter du 1er janvier 2017). Le régime de retraite des IEG est également concerné par le décret du 2 juillet 2012, qui a assoupli le dispositif de retraite anticipée pour carrières longues, mais ce dernier ne produira ses effets pour les assurés du régime qu’à partir du report progressif de l’âge de départ en retraite de 60 à 62 ans, qui débutera le 1er janvier 2017.

Les mesures adoptées dans le cadre de la réforme des retraites de 2014 ont été transposées au régime spécial des IEG par le décret  2014-698 du 25 juin 2014 relatif au régime spécial de retraite du personnel des industries électriques et gazières. Elles prévoient notamment une augmentation progressive de la durée de services et de bonifications, le décalage de la date de revalorisation des pensions (d’avril à octobre) et la création d’un abattement forfaitaire permettant de réduire le coût du rachat des années d’études pour les jeunes actifs. Par ailleurs, les cotisations des employeurs sont relevées chaque année entre 2012 et 2017, afin de prendre en compte les hausses de cotisations patronales et salariales prévues pour la CNAV dans le cadre du décret n° 2012-847 du 2 juillet 2012 relatif à l’âge d’ouverture du droit à pension de vieillesse (les cotisations salariales devant augmenter en 2017).

L’accord AGIRC-ARRCO du 18 mars 2013 et la réforme des retraites du 20 janvier 2014 prévoient également des hausses de taux de cotisations salariales et patronales à compter de 2014, qui seront répercutées sur les taux du régime.

D’après les projections du COR publiées en mars 2013, « les effectifs de retraités de droit direct à la CNIEG devraient compter plus de 35 000 personnes supplémentaires entre 2011 et 2021, passant de 115 000 à 140 000 environ. Ensuite, les effectifs de pensionnés devraient diminuer jusqu’en 2050 pour retrouver leur niveau de 2011. Ces inflexions refléteraient avec retard les vagues de recrutement successives dans les industries électriques et gazières » (37).

La pension moyenne de droits directs servie par la CNIEG passerait de près de 30 000 euros par an en 2011, à un niveau oscillant entre 42 000 et 50 000 euros en 2060, selon les scénarios.

ÉVOLUTION DU RÉGIME DE RETRAITE
DES INDUSTRIES ÉLECTRIQUES ET GAZIÈRES DEPUIS 2013

Année

2013

2014

2015 (p)

2016 (p)

Cotisants vieillesse

144 482

145 518

145 518

145 518

Bénéficiaires vieillesse

165 954

168 446

171 268

174 547

Prestations légales « vieillesse »
(en millions d’euros)

4 265

4 381

4 508

4 679

Cotisations sociales des actifs
(en millions d’euros)

3 043

3 214

3 345

3 468

Transferts nets reçus
(en millions d’euros)

2 606

2 625

2 648

2 700

Source : Commission des comptes de la Sécurité sociale, septembre 2015 (rapport, tome II, pp. 75-79).

La protection sociale des mineurs a fait l’objet de mesures dès l’époque d’Henri IV. Il avait alors été ordonné aux exploitants de mines de soigner gratuitement les blessés et d’avoir un chirurgien sur place. Une loi de 1894 a rendu obligatoire la création dans chaque exploitation d’une société de secours minière chargée de distribuer des soins et des secours en cas de maladie, d’infirmité et de décès. La même loi obligeait les employeurs à constituer une retraite pour les mineurs. La caisse autonome de retraites des ouvriers mineurs pour le risque « vieillesse » a été créée par une loi de 1914, l’assurance-maladie restant confiée aux sociétés de secours. C’est le décret n° 46-2769 du 27 novembre 1946 qui a fondé le régime actuel de sécurité sociale des mines.

Depuis le décret du 30 août 2011 portant réforme du régime de sécurité sociale dans les mines, la Caisse autonome nationale de la sécurité sociale dans les mines (CANSSM) gère, avec les six caisses régionales (CARM), devenues des services territoriaux de la caisse autonome nationale, l’assurance maladie et « accidents du travail – maladies professionnelles » (AT-MP). La gestion de l’assurance-vieillesse-invalidité et du recouvrement des cotisations est assurée par la Caisse des dépôts et consignations depuis le 1er janvier 2005.

La branche « vieillesse-invalidité » du régime spécial de la sécurité sociale dans les mines est quasi intégralement financée par une subvention d’équilibre versée par l’État et calculée de manière à équilibrer la branche. Des cotisations sont toutefois prélevées : pour le régime minier stricto sensu, le taux de la part salariale s’élève à 7,85 %, celui de la part patronale à 7, 75 % (plafonné) et 1,60 % (déplafonné).

D’après les projections du COR établies en mars 2013, les effectifs de retraités, de droits directs et de droits dérivés, diminueraient de 2010 à 2060, avec une décroissance nettement plus forte pour les droits directs. En 2060, il resterait un peu plus de 11 000 retraités dans le régime (dont 83 % de droits dérivés) (38).

La pension moyenne de droits directs évoluerait peu en termes réels sur l’ensemble de la période de projection (jusqu’en 2060).

ÉVOLUTION DU RÉGIME DE RETRAITE DES MINEURS DEPUIS 2013

Année

2013

2014

2015 (p)

2016 (p)

Cotisants vieillesse

3 196

2 683

2 410

2 163

Bénéficiaires vieillesse

303 970

293 918

285 223

276 351

Prestations légales « vieillesse »
(en millions d’euros)

1 679

1 625

1 571

1 511

Cotisations sociales des actifs
(en millions d’euros)

17

15

14

12

Subvention d’équilibre
(en millions d’euros)

1 328

1 385

1 348

1 293

Source : Commission des comptes de la Sécurité sociale, septembre 2015 (rapport, tome II, pp. 80-85).

Les marins français bénéficient d’un régime de sécurité sociale considéré comme le plus ancien : sa création remonte à 1670, sous le règne de Louis XIV, quand une ordonnance royale a institué un secours viager de deux écus par mois aux anciens militaires, y compris les marins. À compter de cette date, les gens de mer ont été progressivement dotés d’un statut social particulier, maintenu lors de la généralisation de la sécurité sociale en 1945.

Le statut de l’Établissement national des invalides de la marine (ENIM)
– jusqu’alors à la fois direction d’administration centrale du ministère chargé de la marine marchande, et établissement public administratif – a été réformé par le décret n° 2010-1009 du 30 août 2010 requalifiant l’ENIM exclusivement en établissement public de l’État à caractère administratif. Ce décret vise à doter l’ENIM d’un statut conforme aux modes de gouvernance des établissements publics gérant des régimes de sécurité sociale. À ce titre, il a notamment créé un conseil d’administration au sein de cet établissement et prévu la conclusion de conventions d’objectifs et de gestion entre l’établissement et les ministères de tutelle, dont la première a été conclue pour la période 2013-2015.

Relèvent de l’ENIM : les marins des cultures marines (conchyliculteurs, pisciculteurs, aquaculteurs, etc.), les marins embarqués à bord des navires de commerce, de pêche, de plaisance, ainsi que les marins autorisés à valider des services à terre (qu’ils soient salariés, artisans, chefs d’entreprise ou travailleurs indépendants) ; les élèves de l’enseignement maritime (écoles nationales de la marine marchande, lycées professionnels maritimes) ; les marins devenus pensionnés ; leurs ayants droit.

La protection de l’ENIM s’exerce pour les risques maladie, maternité, invalidité, décès et accidents du travail, ainsi que pour le risque « vieillesse », qui relève du code des transports.

En matière d’assurance-vieillesse, les ressources sont notamment constituées des cotisations salariales et patronales et d’une subvention d’équilibre versée par l’État (qui représente près de 80 % desdites ressources).

D’après les projections établies par le COR en mars 2013, les effectifs de retraités de droits directs à l’ENIM baisseraient continûment jusqu’en 2060, passant d’environ 70 000 à 40 000 personnes. Cette baisse refléterait la contraction de l’activité maritime depuis la fin des années 1970 (39).

La pension moyenne de droit direct baisserait en termes réels jusqu’en 2027, du fait d’une augmentation de la part des pensions versées aux marins ayant eu une durée d’activité inférieure à 15 ans. La pension moyenne de droits directs des marins augmenterait progressivement ensuite. Elle passerait de 11 000 euros en 2011, à environ 10 700 euros en 2027, puis augmenterait pour atteindre 13 000 à 15 000 euros en 2060, selon les scénarios.

ÉVOLUTION DU RÉGIME DE RETRAITE DES MARINS DEPUIS 2014

Année

2014

2015 (p)

2016 (p)

Cotisants vieillesse

30 045

29 719

29 394

Bénéficiaires vieillesse

111 685

113 393

111 999

Prestations légales « vieillesse »
(en millions d’euros)

1 084

1 070

1 059

Cotisations sociales des actifs
(en millions d’euros)

115

112

112

Subvention d’équilibre
(en millions d’euros)

820

853

822

Source : Commission des comptes de la Sécurité sociale, septembre 2015 (rapport, tome II, p. 86-91).

Le régime de retraite et de prévoyance des clercs et employés de notaires a été instauré par la loi du 12 juillet 1937. Il est géré depuis 1939 par la Caisse de retraite et de prévoyance des clercs et employés de notaires (CRPCEN), organisme de sécurité sociale de droit privé en charge de la gestion des risques vieillesse, maladie, maternité, invalidité et décès et de l’action sanitaire et sociale. Les clercs, employés et personnels d’entretien des études notariales, des chambres de notaires, des caisses de garantie, de la CRPCEN ainsi que des organismes professionnels assimilés sont affiliés à la CRPCEN, sous réserve d’exercer leur activité à titre principal.

D’après les projections publiées par le COR en mars 2013, le nombre de retraités de droit direct à la CRPCEN, qui s’élevait à 57 000 en 2011, devrait diminuer pour s’établir à 53 000 en 2017 avant d’augmenter à nouveau et d’atteindre 76 000 en 2060 (40).

Les cotisations perçues par le régime se composent :

– de cotisations multirisques, assises sur les salaires, dont les taux sont de 13,43 % (pour la part salariale) et 29,15 % (pour la part patronale) ;

– d’une cotisation d’assurance-maladie au taux de 1 % sur les pensions de retraite (depuis 2011) ;

– d’une cotisation au taux de 4 % versée par les notaires sur leurs émoluments et honoraires.

Le régime spécial de retraite des clercs et employés de notaires a été réformé en 2008, essentiellement dans le sens d’une harmonisation avec celui de la fonction publique d’État. Ainsi, la durée d’assurance de 150 trimestres a été relevée de manière progressive afin de rejoindre la durée applicable au régime général et dans la fonction publique. Une décote de 0,125 % par trimestre manquant a été instaurée à compter du 1er juillet 2010 pour les assurés n’ayant pas la durée suffisante pour une retraite au taux plein. Cette décote augmente de 0,125 % chaque année pour atteindre 1,25 % au 1er juillet 2019.

L’âge d’ouverture des droits est de 60 ans pour tous les assurés, et pour ceux justifiant d’au moins 25 ans de cotisations dans le régime, leur âge de départ, qui était de 55 ans, est relevé progressivement jusqu’à atteindre 60 ans en 2017.

Le décret n° 2011-1112 du 16 septembre 2011 relatif au régime spécial de retraite des clercs et employés de notaires a transposé à ce régime spécial les mesures adoptées pour la fonction publique dans le cadre de la réforme des retraites de 2010 (relèvement progressif de l’âge normal de départ en retraite de 60 à 62 ans, à raison de 4 mois par génération annuelle à partir de la génération de 1957). Comme pour les autres régimes spéciaux, cette réforme commencera à s’appliquer à la CRPCEN en 2017, afin de tenir compte de la montée en charge de la réforme précédente de 2008.

Les mesures adoptées dans le cadre de la réforme des retraites de 2014 ont été également transposées au régime spécial des clercs et employés de notaires (41), comme pour les autres régimes spéciaux, notamment l’augmentation progressive de la durée d’assurance, le décalage d’avril à octobre de la date de revalorisation des pensions, etc.

ÉVOLUTION DU RÉGIME DE RETRAITE
DES CLERCS ET EMPLOYÉS DE NOTAIRES DEPUIS 2013

Année

2013

2014

2015 (p)

2016 (p)

Cotisants vieillesse

45 592

45 259

44 792

44 747

Bénéficiaires vieillesse

67 402

68 407

69 248

70 578

Prestations légales « vieillesse »
(en millions d’euros)

786

798

808

819

Cotisations sociales des actifs
(en millions d’euros)

709

730

742

749

Résultat net (en millions d’euros)

- 25

- 32

- 48

- 45

Source : Commission des comptes de la Sécurité sociale, septembre 2015 (rapport, tome II, pp. 92-95).

Le régime des cultes a été créé par la loi du 2 janvier 1978. Il est géré par la Caisse d’assurance-vieillesse, invalidité et maladie des cultes (CAVIMAC), organisme de sécurité sociale de droit privé créé par la loi du 27 juillet 1999 afin de regrouper, à partir du 1er janvier 2000, les anciennes caisses d’assurance-maladie (CAMAC) et vieillesse (CAMAVIC) des cultes.

La CAVIMAC gère les risques vieillesse, invalidité et maladie pour les ministres des cultes et les membres des congrégations et collectivités religieuses. Les ressortissants du culte catholique représentent environ 80 % de l’effectif de la CAVIMAC qui est intégrée financièrement et, depuis la loi de financement de la sécurité sociale pour 2006, juridiquement, dans le régime général qui prend en charge son financement.

Les effectifs d’assurés diminuent régulièrement du fait de leur faible renouvellement. L’âge moyen des ressortissants de ce régime est élevé. Ainsi, parmi les bénéficiaires de la branche maladie, un sur trois a plus de 80 ans, et seul un sur six a moins de 50 ans.

Les cotisations sont prélevées sur une assiette forfaitaire pour l’ensemble des cotisations correspondant au SMIC pour une base horaire mensuelle de 151,66 heures.

Depuis le 1er janvier 1998, les taux des cotisations d’assurance-vieillesse sont alignés sur ceux du régime général, sauf quelques modalités particulières en fonction de l’appartenance cultuelle et du mode d’exercice de l’activité cultuelle. Toutefois, seuls les ministres des cultes cotisent au titre de la retraite complémentaire, les membres des congrégations et collectivités religieuses n’y étant pas soumis.

Les pensions de retraite sont calculées selon les mêmes règles que celles du régime général, sur la base de l’assiette forfaitaire des cotisations.

Le régime d’assurance-vieillesse des cultes ayant été juridiquement intégré au régime général, les réformes prévues par la loi du 9 novembre 2010 et relevant progressivement les bornes d’âge de deux ans, s’appliquent aux ministres des cultes. Il en va de même pour l’augmentation progressive de la durée d’assurance et le décalage d’avril à octobre de la revalorisation des pensions prévus par la loi du 20 janvier 2014 précitée.

ÉVOLUTION DU RÉGIME DE RETRAITE
DES CULTES DEPUIS 2013

Année

2013

2014

2015 (p)

2016 (p)

Cotisants vieillesse

15 249

15 647

15 960

16 056

Bénéficiaires vieillesse

51 444

49 534

47 981

46 770

Prestations légales « vieillesse » (en millions d’euros)

215

205

200

196

Cotisations sociales des actifs
(en millions d’euros)

46

48

50

51

Transferts nets reçus
(en millions d’euros)

178

168

161

156

Source : Commission des comptes de la Sécurité sociale, septembre 2015 (rapport, tome II, pp. 96-99).

La Caisse de réserve des employés (CRE) de la Banque de France, créée par l’article 23 du décret impérial du 16 janvier 1808 et gérée par l’institution, couvre les risques vieillesse-invalidité et accidents du travail-maladies professionnelles. La caisse assure le service des pensions de retraite et d’invalidité aux agents titulaires de la Banque de France et à leurs ayants droit.

Les pensions servies aux retraités sont financées par les revenus d’intérêts et de dividendes du fonds de capitalisation du régime, complétés par une contribution annuelle d’équilibre versée par la Banque de France et comptabilisée en « contribution de l’employeur ». Les cotisations retenues sur la rémunération des agents, au taux de 8,54 % en 2014 et 8,86 % en 2015, sont assises sur une assiette indiciaire et alimentent le fonds de capitalisation.

Depuis le 1er avril 2007, les règles du régime sont fixées par le règlement annexé au décret du 27 février 2007 modifié qui a élargi la base des cotisations et a réformé le règlement des pensions de retraite en reprenant l’ensemble des mesures applicables à la fonction publique, notamment celles qui résultent des réformes des retraites de 2003, 2 010 et 2014. En particulier, la durée d’assurance a été portée progressivement à 160 trimestres et évolue depuis comme celle en vigueur dans la fonction publique. En outre, depuis 2013, le taux de cotisations salariales augmente de 0,27 point par an afin d’aligner, au terme de 10 ans, ce régime sur le régime général. À cette hausse, s’ajoute le relèvement programmé dans le cadre de la réforme des retraites de 2014 (+ 0,15 point en 2014 et 0,05 point en 2015, 2016 et 2017). Une troisième série de hausses du taux de cotisation entrera en vigueur à compter de 2016, afin de financer l’extension du dispositif de retraite anticipée pour carrières longues : la première hausse sera de 0,1 % en 2016.

D’après les projections établies par le COR en 2013, les effectifs des retraités de droits directs à la Banque de France devraient compter environ 3 000 personnes supplémentaires en 2011 et 2032, passant de 12 000 à 15 000 environ. Ensuite, les effectifs de pensionnés devraient baisser entre 2033 et 2060, pour se stabiliser autour de 9 500 (42).

D’après ces mêmes projections, l’âge moyen de départ à la retraite était de 59,8 ans en 2011, soit un âge légèrement inférieur à l’ouverture des droits (60 ans), du fait des possibilités de départs anticipés au titre des carrières longues, de la pénibilité, ou de l’invalidité, ou offertes aux parents de trois enfants réunissant 15 annuités de services effectifs. Du fait de l’entrée de plus en plus tardive dans la vie active, l’âge de départ en retraite devrait reculer à 64,7 ans en 2060.

La pension moyenne de droits directs augmenterait, en termes réels, jusqu’en 2060, passant de 30 000 euros par an en 2011 à un niveau oscillant entre 39 000 et 43 000 euros en 2060, selon les scénarios.

ÉVOLUTION DU RÉGIME DE RETRAITE
DE LA BANQUE DE FRANCE DEPUIS 2013

Année

2013

2014

2015 (p)

2016 (p)

Cotisants vieillesse

12 029

11 693

11 350

10 997

Bénéficiaires vieillesse

14 891

15 054

15 205

15 608

Prestations légales « vieillesse » (en millions d’euros)

441

448

455

469

Cotisations sociales des actifs
(en millions d’euros)

41

42

43

44

Contribution d’équilibre
(en millions d’euros)

369

393

409

429

Source : Commission des comptes de la Sécurité sociale, septembre 2015 (rapport, tome II, pp. 100-102).

*

* *

En conclusion, comme le note l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), il y a lieu de considérer que « la structure du système français des pensions de vieillesse est très complexe et comprend environ 40 régimes obligatoires qui sont assortis de critères d’éligibilité divers et qui recouvrent des prestations différentes. La simplification d’une telle structure est essentielle pour garantir une certaine transparence aux salariés qui changent de secteur d’activité et de régime de retraite au cours de leur carrière et, plus important encore, pour accroître l’équité du système grâce à une réduction des avantages dont bénéficient ceux qui sont couverts par des régimes spéciaux. Cette transparence accrue pourrait en outre permettre d’atteindre plus facilement l’équilibre financier du système. Un système par points ou en comptes notionnels est probablement la solution qui offre le plus de souplesse dans son pilotage » (43).

Le besoin de simplification de notre système de retraites se fait aujourd’hui criant. La Cour des comptes l’a encore rappelé en septembre dernier, dans son rapport sur l’application des lois de financement de la Sécurité sociale (44), au sujet des dispositifs de réversion dont la complexité est si grande, selon la Cour, qu’ils sont aujourd’hui incompréhensibles pour leurs bénéficiaires potentiels et que leurs règles d’attribution et de calcul des pensions créent de fortes disparités qui ne sont pas toujours justifiées par des différences objectives de situations entre les assurés.

Votre rapporteur ne peut qu’approuver les efforts fournis par le Gouvernement pour faciliter la compréhension par nos concitoyens des règles de notre système de retraites, tout en rappelant que, dès 2003, la précédente majorité s’était attelée à cette lourde tâche en créant le groupement d’intérêt public (GIP) « Info-retraite » afin d’effectuer les rapprochements et les démarches permettant l’information systématique des actifs, au moins tous les cinq ans, sur leur situation au regard de leurs droits à la retraite (45).

Votre rapporteur se réjouit de ce que, comme l’explique notre collègue Michel Issindou, dans son rapport sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2016, la mise en œuvre du compte unique retraite, créé par l’article 39 de la loi du 20 janvier 2014 pour simplifier les relations entre les assurés et les régimes de retraite, particulièrement pour les assurés polypensionnés, soit « en bonne voie » (46).

Toutefois, votre rapporteur estime qu’il faut aller plus loin en matière de simplification que la création d’un portail commun, dont il convient de rappeler qu’il n’a pas vocation à se substituer aux portails des différents régimes, mais de proposer aux usagers un point d’accès privilégié à des informations générales sur la retraite et à une offre de services inter-régimes en ligne (accès aux téléservices relatifs au droit à l’information, à des simulations, aux pièces justificatives détenues par les régimes, etc.).

Là encore, la France gagnerait à s’inspirer des exemples étrangers, et notamment du modèle du système de retraite mis en place par la Suède à la suite de la grave crise économique que ce pays a connue dans les années 1990 et qui l’a conduit à s’engager dans une réforme complète de son système de retraites.

Après vingt ans de travail et de négociation, la Suède est passée d’un système analogue au nôtre, structurellement déficitaire et incapable d’assurer l’avenir des retraites, à un système non seulement capable de dégager des excédents, mais aussi et surtout plus juste.

Ce système repose sur un dispositif appelé le « compte notionnel », qui permet de déterminer le montant d’une pension de retraite en fonction de la contribution réelle d’un salarié tout au long de sa vie… de sorte que, comme le note la Fondation iFrap pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques, « chaque individu sait, dès le départ, que sa pension sera proportionnelle au travail qu’il aura fourni toute sa vie » (47).

Le régime de retraites suédois est un système hybride entre répartition et capitalisation reposant sur :

– un régime par répartition à cotisations définies (48) fonctionnant selon un principe de compte notionnel par des cotisations sociales égales à 16 % du salaire brut ;

– un régime par capitalisation abondé par des cotisations sociales de 2,5 % du salaire dans des fonds de capitalisation agréés choisis par chaque individu ;

– un départ à la retraite à la carte à partir de 61 ans.

Ce régime permet de faire en sorte que le montant des pensions soit en parfaite adéquation avec la croissance du pays car si la croissance baisse, le niveau des pensions diminue également, et inversement.

Comme le note la Fondation iFrap, « à la fois plus juste dans ses fondements, plus rentable pour la Nation et plus généreux pour les individus, le système suédois semble une réussite qui devrait mettre au moins d’accord l’ensemble de la classe politique française », car ce système « est de loin bien plus équitable que le nôtre, puisque les pensions sont calculées au prorata des cotisations versées, au même taux pour toute la population (18,5 % pour les personnes du secteur privé comme pour les fonctionnaires) » (49).

C’est précisément pour répondre aux exigences d’équité et de pérennité financière de notre système de retraites que la présente proposition de loi vous propose de créer, d’ici 2020, un régime de retraite universel par points inspiré du modèle suédois.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

DISCUSSION GÉNÉRALE

La Commission des affaires sociales examine, sur le rapport de M. Thierry Benoit, la proposition de loi proposant une nouvelle orientation de notre système de retraites (n° 3144), au cours de sa première séance du mercredi 18 novembre 2015.

Mme la présidente Catherine Lemorton. La commission est maintenant saisie de la proposition de loi, déposée par M. Thierry Benoit, visant à proposer une nouvelle orientation de notre système de retraites, qui sera également inscrite dans le cadre de la niche du groupe Union des démocrates et indépendants, jeudi 26 novembre.

M. Thierry Benoit, rapporteur. Je suis heureux de rejoindre la commission des affaires sociales, que je remercie de son accueil, pour aborder cet important sujet des retraites. Nous avons plus que jamais conscience de notre chance de vivre dans un État de droit fondé sur un socle de valeurs – liberté, égalité et fraternité – dont les trois textes examinés ce matin sont le reflet. Présentée par Laurent Grandguillaume, la première proposition de loi est un texte généreux qui tend à venir en aide à nos concitoyens en recherche d’emploi. Celle de Yannick Favennec s’intéresse aux bénévoles des associations et propose de leur reconnaître des trimestres supplémentaires de cotisations d’assurance vieillesse. Quant à celle que je présente, qui aborde un sujet majeur, elle s’inscrit dans la droite ligne de travaux engagés par mon groupe au temps où il s’appelait encore Union pour la démocratie française (UDF).

Comme l’indique le titre du texte, nous voulons de nouvelles orientations pour notre système de retraite. Héritage précieux et incontesté du Conseil national de la Résistance (CNR), ce dernier mérite d’être réformé et modernisé car la donne a changé depuis 1945. Sur le plan démographique, le nombre d’actifs par retraité est passé de 3 à 1,3 entre 1975 et 2015. Sur le plan financier, notre pays affiche une dette de 2 200 milliards d’euros. La ministre des affaires sociales nous explique que le régime général tend à s’équilibrer, mais il ne faut pas oublier le Fonds de solidarité vieillesse (FSV) dont le déficit dépasse 3 milliards d’euros. Il reste donc du travail à faire.

Je reconnais que les gouvernements successifs, et notamment celui de M. François Fillon avec la réforme portée par M. Xavier Bertand, ont apporté des réponses. Pour être juste, je dois aussi citer la loi du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraite, portée par Mme Marisol Touraine. La convergence des régimes de retraite s’est améliorée sous l’effet de ces lois, mais elle demeure insuffisante. Nos concitoyens sont désormais prêts pour un régime de retraite plus simple, plus compréhensible, plus juste et plus équitable.

Il ne s’agit pas de discriminer telle ou telle profession, mais nous constatons que de nombreux signes d’inégalité persistent, notamment quant au montant moyen des pensions de retraite : environ 23 000 euros par an pour les personnels de la fonction publique d’État en 2013 contre 15 000 euros pour les salariés du secteur privés, cadres et non-cadres confondus, la même année. La pension moyenne annuelle des fonctionnaires d’État devrait atteindre 27 000 euros en 2050, alors que celle des cadres du privé devrait plafonner à 22 500 euros et celle des non-cadres à environ 14 000 euros.

Autre disparité et inégalité dans le calcul des retraites : les pensions de retraite des fonctionnaires sont calculées sur les six derniers mois de traitement et celles des salariés du secteur privé sur les salaires des vingt-cinq meilleures années de la vie professionnelle. Je ne m’attarderai pas sur les jours de carence qui ont fait débat, il y a quelques années : zéro pour le secteur public et trois pour le secteur privé. Nous devons corriger ces inégalités car nous militons collectivement pour plus de justice, particulièrement quand les temps sont difficiles sur le plan financier. Je suis convaincu que chacun est prêt à faire des efforts pour aller vers plus de justice et d’équité. Il en va de la solidarité intergénérationnelle, notamment en ce qui concerne les petites retraites qui représentent un véritable enjeu.

Les prévisions de la Commission des comptes de la sécurité sociale, publiées en septembre dernier, font état d’un possible retour à l’équilibre de la branche vieillesse du régime général en 2016, à condition de retenir des hypothèses de croissance optimistes. Le retour à l’équilibre dont se réjouit le Gouvernement ne concerne que le régime de base puisque le FSV est toujours déficitaire, je le répète. S’agissant des plus démunis, rappelons que le revenu moyen à soixante ans tourne autour de 915 euros, que la pension de base des femmes atteint 932 euros et que le seuil de pauvreté est fixé à 993 euros. Préserver la pérennité de notre système de retraite reste un objectif actuel et pertinent mais il ne pourra être atteint si son pilotage n’est pas renforcé.

Le texte qui vous est soumis propose d’instaurer une règle de confiance en créant un montant minimum de pension de retraite, afin de protéger le pouvoir d’achat des retraités actuels et futurs. Nous proposons aussi de retenir un objectif de limitation de taux de cotisation afin de préserver la compétitivité des entreprises.

Plusieurs institutions internationales nous ont appelés à faire évoluer notre système de retraite. Dans sa recommandation du 13 mai dernier concernant le programme national de réforme de la France pour 2015, le Conseil de l’Union européenne a souligné que : « le déficit imputable aux régimes des agents de l’État et des salariés des entreprises publiques continue de peser sur le déficit global du système de retraite ». Dès 2013, le Conseil de l’Union européenne avait recommandé à notre pays de « réexaminer les nombreuses dérogations au régime général de certaines catégories de travailleurs ». Notre proposition de loi vise bien à mettre fin aux régimes dérogatoires dits « spéciaux ». Comme cette séance est publique, j’en profite pour indiquer à nos concitoyens que j’intègre dans ma réflexion le régime de retraite des parlementaires, qui est bien sûr un régime dérogatoire spécial, même s’il ne peut être réformé par un tel texte de loi. C’est en effet le bureau de l’Assemblée nationale qui, seul, peut faire évoluer le régime de retraite des députés.

Dans l’étude économique qu’elle a consacrée cette année à la France, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a constaté que les dépenses de retraites sont dans notre pays « parmi les plus élevées de la zone de l’OCDE », que des économies peuvent être réalisées « dans le régime des salariés des entreprises publiques, dont les retraites sont plus élevées que celles du secteur privé », et que les régimes spéciaux créent de l’opacité. Ces constats prouvent bien qu’il y a matière à moderniser.

La proposition de loi tend à nous orienter vers un régime unique de retraite par points que pratiquent déjà d’autres pays européens. Notre système actuel associe à la fois des régimes de base, obligatoires et par répartition, des régimes complémentaires obligatoires, des régimes surcomplémentaires facultatifs et enfin des régimes spéciaux. Nous pourrions, à travers un régime de retraite par points, connecter la durée de cotisation de nos concitoyens à celle de l’espérance de vie. L’OCDE a recommandé à la France « de rendre véritablement automatique le lien entre les gains d’espérance de vie et la durée de cotisation donnant droit à la retraite à taux plein, comme c’est déjà le cas en Lettonie, en Pologne, en Suède et en Norvège ».

En effet, à la suite de la grave crise économique qu’elle a connue dans les années 1990 et qui l’a conduite à s’engager dans une réforme complète de son système de retraites, la Suède est passée d’un système analogue au nôtre, structurellement déficitaire et incapable d’assurer l’avenir des retraites, à un système non seulement capable de dégager des excédents, mais aussi et surtout plus juste. Si la Suède a réussi à relever ce défi, il n’y a pas de raison que nous n’y parvenions pas : nous sommes un pays de « râleurs » mais qui peuvent aussi être précurseurs dans nombre de domaines.

Ce système repose sur un dispositif appelé le « compte notionnel » qui correspond à un compte individuel théorique où les cotisations alimentent un capital qui, à la date de liquidation de la pension, est divisé par l’espérance de vie à la retraite de la génération à laquelle appartient l’assuré. Chaque assuré sait ainsi, dès le départ, que sa pension sera proportionnelle au travail qu’il aura fourni toute sa vie. Ce mécanisme permet une parfaite adéquation entre la croissance du pays et le montant des pensions : si la croissance baisse, le niveau des pensions diminue et inversement.

C’est la raison pour laquelle, afin de faciliter le pilotage de notre système de retraites et de compléter les mesures d’équité et de simplification que constitue l’extinction progressive des régimes spéciaux, la proposition de loi suggère de créer, à l’horizon de 2020, un régime universel de retraite par points, inspiré du modèle suédois. Pour résumer, la proposition de loi vise trois objectifs : instaurer un régime unique universel de retraite par points ; faire converger les régimes de retraite des secteurs public et privé ; parvenir à l’extinction des régimes spéciaux.

Ce texte est porté par le groupe de l’Union des démocrates et indépendants, et notamment par Francis Vercamer qui a déposé avec constance des amendements sur le sujet lors de l’examen des projets de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) successifs.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je vais maintenant donner la parole aux représentants des groupes : M. Michel Issindou pour le groupe Socialiste, républicain et citoyen, M. Arnaud Robinet pour le groupe Les Républicains, et M. Francis Vercamer pour le groupe de l’Union des démocrates et indépendants.

M. Michel Issindou. Sans vouloir être désagréable, une réforme aussi majeure du système de retraite que celle que vous prônez ne peut prendre la forme d’une proposition de loi de quelques articles, rédigée sans consulter personne. Les propositions de loi traitent de sujets importants – ils le sont tous à l’Assemblée nationale – mais tout de même pas habituellement d’une telle ampleur. Il serait insultant de légiférer ainsi, compte tenu du travail qu’il y a lieu de faire – et que nous avons fait – quand il s’agit de réformer les retraites.

Comme vous êtes député depuis un bon moment, monsieur Benoit, j’ai une question à vous poser très amicalement : cet enthousiasme, que ne l’avez-vous manifesté plus tôt, notamment lors de la réforme de 2010 ? En outre, votre proposition de loi tombe au mauvais moment : grâce à la réforme de 2014, le système va être à l’équilibre ; et les régimes complémentaires sont en train de trouver des solutions à leurs difficultés.

Sur le fond, et même si les Français ne veulent pas l’entendre, certaines comparaisons sont faussées. En fait, le taux de rendement des retraites est sensiblement le même dans le public et dans le privé, même si le calcul s’effectue sur les six derniers mois d’activité dans un cas et sur les vingt-cinq meilleures années dans l’autre. Lisez les très bonnes analyses comparatives du Conseil d’orientation des retraites (COR). Et si les retraites des ex-fonctionnaires peuvent paraître plus élevées que celles des ex-salariés du privé, cela tient essentiellement à une chose : la fonction publique compte plus de fonctionnaires de la catégorie A – à cause de l’armada des enseignants – que le secteur privé ne compte de cadres de niveau équivalent.

Quant à la convergence que vous prônez, elle se met en place peu à peu, au fil des réformes : la mutualité sociale agricole (MSA) et le régime social des indépendants (RSI) sont alignés sur le régime général ; les taux et les durées de cotisations sont uniformisés. Certes, il subsiste des régimes spéciaux, mais le bénéficiaire d’un régime spécial ne pourra percevoir une retraite à taux plein tant qu’il n’aura pas les quarante-trois annuités requises. C’est une manière de reporter l’âge du départ et de répondre à vos inquiétudes. Changer de système maintenant n’apporterait pas un centime de plus au système et, contrairement à ce que vous avez dit, cela n’élèverait pas le niveau global des pensions. Celles-ci seraient seulement réparties d’une manière différente.

Notre réforme de 2014 a été bâtie sur un autre schéma que celui que vous prônez, qui a sa pertinence et qui est appliqué dans certains pays. L’allongement progressif de la durée de cotisation – quarante-trois annuités à l’horizon 2035 – n’est pas brutal mais il porte ses effets et il suffira vraisemblablement à rétablir les équilibres. Rien ne démontre que c’est insuffisant. Vous pouvez arguer que cela ne va pas durer mais l’équilibre est atteint, c’est un fait incontestable.

Il fallait remettre de l’équité et de la justice dans notre système et nous l’avons fait en prenant des mesures qui tiennent compte de la situation des femmes, des personnes handicapées, des agriculteurs, et de la pénibilité de certains métiers. Il ne nous semble pas nécessaire de revenir sur cette réforme, en tout cas pas par le biais d’une proposition de loi. Si votre objectif est d’en reparler une énième fois, nous en reparlerons bien volontiers le 26 novembre. Mais quoi qu’il en soit, nous proposons de rejeter cette proposition de loi.

M. Arnaud Robinet. Monsieur Benoit, vous avez rendu hommage à notre collègue Vercamer. Permettez-moi d’avoir une pensée pour Jean-Luc Préel qui était membre de votre groupe et qui prônait, lui aussi, un système de retraite par points. C’était son dossier, son chantier.

Votre proposition de loi consiste à réformer notre système de retraite en fixant trois objectifs : réaffirmer le principe de solidarité intergénérationnelle auquel nous sommes tous attachés ; supprimer les régimes spéciaux alors que la réforme entrée en vigueur en 2014 tend à en recréer certains ; préparer la mise en place d’un régime universel par points qui, à défaut d’assurer l’équilibre financier, apporterait une véritable transparence, plus d’équité et d’égalité, et permettrait de redonner confiance à nos concitoyens.

Ces trois chantiers d’importance sont traités sous la forme d’une proposition de loi, vecteur législatif adéquat pour aborder les sujets en commission des Affaires sociales. Pour parler franchement, le principal intérêt de cette proposition de loi est de susciter une prise de conscience : il est nécessaire de continuer à réformer notre système de retraite.

S’agissant des perspectives financières, il est urgent de rappeler à la majorité qui se gargarise de présenter une branche vieillesse à l’équilibre dans le PLFSS pour 2016, que la pérennité du système est loin d’être acquise. Si la branche vieillesse devrait en effet être à l’équilibre en 2016 après onze années de déficit, c’est uniquement grâce à de moindres départs à la retraite du fait du relèvement de l’âge légal de soixante ans à soixante-deux ans. Il faut avoir le courage et l’honnêteté de le dire. En revanche, FSV compris, la branche vieillesse connaîtra un déficit de plus de 3,5 milliards d’euros.

Cette accalmie sera de courte durée. Selon le rapport annuel du COR sur les évolutions et perspectives du régime de retraites, le besoin de financement s’établirait encore à 0,4 % du PIB en 2020, soit à près de 10 milliards d’euros. À plus long terme, le retour à l’équilibre serait possible vers 2030 dans le scénario B du COR qui prévoit un taux de croissance de 1,5 % et un taux de chômage de 4,5 %, autrement dit le plein-emploi. Nous espérons tous que ces perspectives se réaliseront mais il faut bien reconnaître qu’elles sont très optimistes.

L’accord sur les retraites complémentaires montre bien que la famille politique qui arrivera au pouvoir en 2017 devra prendre ses responsabilités. Les partenaires sociaux ont fait des choix difficiles : instauration d’un bonus-malus dès 2019 pour les actifs partant en retraite avant soixante-trois ans ; désindexation de moins un point par rapport à l’inflation pendant trois ans ; report des revalorisations du 1er avril au 1er octobre.

Comme on le voit, les perspectives financières ne sont pas aussi bonnes que celles que vient de nous décrire M. Issindou. Il ne faut pas mettre la poussière sous le tapis. Nous devons dès à présent prendre des mesures qui garantissent un système de retraite efficient et soutiennent notre système de solidarité intergénérationnelle.

Venons-en au chantier de la convergence. En la matière, nous avons fait une part importante du chemin entre 2002 et 2012, au point que la majorité actuelle n’a pas jugé utile d’y revenir à la faveur de la loi garantissant l’avenir et la justice du système de retraites de 2014 : la réforme de 2003 a rapproché certains paramètres des régimes de la fonction publique de ceux du régime général ; la réforme de 2008 a étendu cet alignement aux régimes spéciaux ; la réforme de 2010 a aligné le taux de cotisation salarial des fonctionnaires sur celui du privé.

Mais des disparités entre public et privé demeurent, notamment pour la définition de la durée d’assurance, des salaires de référence, de l’âge légal d’ouverture des droits. Selon la Fondation pour la recherche sur les administrations et les politiques publiques (iFRAP), si l’on calculait les retraites des agents publics sur les vingt-cinq meilleures années, on réaliserait une économie de 2,6 milliards d’euros à horizon 2030 rien que pour la fonction publique d’État. De même, la suppression des catégories actives dans les trois fonctions publiques permettrait une économie de 3,2 milliards d’euros à horizon 2020. Selon les prévisions de certains think tanks et même du COR, dans quelques années, les écarts vont se creuser entre les salariés du privé et les fonctionnaires au moment du départ à la retraite.

À l’issue de nos journées parlementaires de septembre 2013, nous avions fait trois propositions que je tiens à rappeler : faire évoluer l’âge légal de départ à la retraite afin de poursuivre l’effort initié en 2003 et 2010 ; renforcer l’équité entre le secteur public et le secteur privé en harmonisant les règles de constitution et de liquidation des pensions ; réaliser l’acte II de l’épargne retraite.

Pour conclure, je vais donner la position de mon groupe sur la proposition de loi du groupe Union des démocrates et indépendants. Ce texte va clairement dans le bon sens. Dans un contexte de forte dégradation des comptes des régimes de retraites complémentaires, d’incertitudes sur la situation financière de l’ensemble des régimes à horizon 2020 et de gel des prestations, il apparaît important de relancer le chantier de la convergence entre les retraites du public et du privé, dans une recherche tant d’équité que d’apaisement. Alors que les retraites du public sont financées sur le budget de l’État, il convient de mettre à plat l’ensemble de notre système et de renforcer la cohésion nationale. Pour ces raisons, le groupe Les Républicains votera pour la proposition de loi déposée et rapportée par notre collègue Thierry Benoit.

M. Francis Vercamer. Compte tenu de l’excellent travail de Thierry Benoit, qui nous a présenté la proposition de loi de manière à la fois synthétique et précise, mon intervention ne sera pas très longue.

Depuis que les centristes existent, si j’ose dire, ils défendent cette réforme systémique des régimes de retraite. Pour ma part, j’ai déposé des amendements à l’occasion de l’examen des PLFSS et de la loi dite « Macron ». Avant moi, Jean-Luc Préel proposait systématiquement l’instauration d’un régime de retraite par points, système le plus transparent et le plus équitable. Or, pour notre cohésion sociale, il est important que les Français ressentent cette volonté d’équité. Dans notre système par répartition, les générations actives financent les retraités qui ont cotisé pendant toute leur vie professionnelle. Encore faut-il que des règles équitables s’appliquent pour le calcul des cotisations et le montant des pensions, ainsi que pour la fixation de l’âge de départ en retraite.

Cette proposition de loi est la bienvenue alors que vont bientôt entrer en vigueur les dernières dispositions du compte personnel de prévention de la pénibilité, ce qui va affecter le système de retraite. Puisque les régimes spéciaux avaient été créés pour prendre en compte la pénibilité de certains métiers, il nous paraît nécessaire de les réformer. Le rapporteur propose un système par points transparent qui permettrait à chacun de connaître son niveau de retraite et sa situation au fur et à mesure de sa carrière et du paiement de ses cotisations.

Signe politique fort, un tel régime universel permettrait d’affirmer l’égalité de la valeur travail dans les secteurs privés et public. L’unification des différents régimes permettrait aussi d’améliorer l’efficacité, la gestion et les équilibres financiers. Nul doute que ces réformes demanderont du courage et de la volonté mais le groupe Union des démocrates et indépendants n’en manque pas et il votera naturellement pour cette proposition de loi.

Mme la présidente Catherine Lemorton. Je vous remercie d’avoir rappelé la forte présence de M. Jean-Luc Préel dans cette commission, au cours de la précédente législature.

La Commission en vient à l’examen des articles.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er
Pilotage du système de retraites à moyen terme

Cet article vise à définir les objectifs du pilotage, à moyen terme, du système de retraite par répartition.

Dès 2003, le législateur a entrepris d’ébaucher un dispositif de pilotage de notre système de retraites en créant une « commission de garantie des retraites » qui, présidée par le vice-président du Conseil d’État et composée du président du Conseil économique, social et environnemental, du premier président de la Cour des comptes et du président du Conseil d’orientation des retraites, était chargée :

– de constater « l’évolution respective des durées d’assurance ou de services nécessaires pour bénéficier d’une pension de retraite à taux plein ou obtenir le pourcentage maximum d’une pension civile ou militaire de retraite ainsi que l’évolution de la durée moyenne de retraite » ;

– de proposer, dans un avis rendu public, les conséquences qu’il y avait lieu d’en tirer au regard de l’article 5 de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites prévoyant que « la durée d’assurance nécessaire pour bénéficier d’une pension de retraite au taux plein et la durée des services et bonifications nécessaire pour obtenir le pourcentage maximum d’une pension civile ou militaire de retraite […] évoluent de manière à maintenir constant, jusqu’en 2017, le rapport constaté, à la date de publication de la présente loi, entre ces durées et la durée moyenne de retraite ».

Constatant dix ans plus tard qu’« il n’exist[ait] pas en France de dispositif de pilotage du système de retraite assurant l’adaptation au fil du temps nécessaire pour garantir que le système atteigne les objectifs qui lui sont assignés » et que « la programmation par la loi de 2003 de rendez-vous périodiques n’a pas débouché sur un dispositif permanent », la Commission pour l’avenir des retraites présidée par Mme Yannick Moreau a recommandé en 2013 « l’intervention d’une structure permanente […] pour que le pilotage soit opérationnel » (50).

Selon cette commission, les objectifs tels qu’ils étaient exprimés dans le code de la sécurité sociale demeuraient généraux et n’étaient associés à aucun mécanisme en assurant la traduction concrète : maintien d’un niveau de vie satisfaisant des retraités, lisibilité, transparence et équité intergénérationnelle, solidarité intra-générationnelle, pérennité financière, progression du taux d’emploi des plus de 55 ans, réduction des écarts de pension entre hommes et femmes.

Or, la trajectoire financière devant être pilotée et l’équilibre financier garanti par des mécanismes d’adaptation des recettes et des dépenses permettant de neutraliser les chocs économiques et démographiques, la Commission pour l’avenir des retraites a préconisé en 2013 la création d’un « comité de pilotage des retraites » qui ne serait pas une autorité administrative indépendante, mais un comité de sages et d’experts, ayant un rôle technique et de réflexion, et chargé d’assurer :

– un pilotage structurel ayant pour objet de préciser et de garantir le respect des objectifs assignés par la loi au système de retraites ;

– un pilotage conjoncturel ayant pour finalité de débattre des modes de rééquilibrage de la trajectoire financière et notamment de présenter les résultats des données déterminant le déclenchement éventuel d’un certain nombre de modes d’indexation.

Ces indicateurs de suivi devaient, toujours selon la Commission pour l’avenir des retraites, répondre prioritairement à des objectifs sociaux en matière de taux de remplacement à la liquidation, de niveau de vie des retraités tout au long de leur retraite (et donc de montant des pensions), d’âge de cessation d’activité et de liquidation des pensions, de protection de certaines catégories d’assurés par des mécanismes de solidarité.

Selon la commission, le « comité de pilotage des retraites » devait utiliser les travaux du Conseil d’orientation des retraites (COR) pour préparer un projet d’avis au Gouvernement qui inscrirait dans la loi de financement de la sécurité sociale soit l’indexation proposée par le comité, soit des mesures d’effet équivalent.

L’article 4 de la loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraites a donné une traduction législative aux recommandations de la Commission pour l’avenir des retraites, en introduisant dans le code de la sécurité sociale un article L. 114-4 définissant la composition et les missions du « comité de suivi des retraites », chargé de formuler, en toute indépendance, un certain nombre de recommandations concernant la situation de notre système de retraite, afin d’en améliorer le pilotage.

Le comité de suivi des retraites (article L. 114-4 du code de la sécurité sociale)

Composé de deux femmes et de deux hommes, désignés en raison de leurs compétences en matière de retraite, nommés pour cinq ans par décret, et d’un président nommé en conseil des ministres, le comité de suivi des retraites est chargé de rendre, au plus tard le 15 juillet de chaque année, en s’appuyant notamment sur les documents du Conseil d’orientation des retraites, un avis annuel et public :

1° indiquant s’il considère que le système de retraite s’éloigne, de façon significative, des objectifs d’équité, de solidarité intergénérationnelle et de pérennité (notamment financière) de notre système de retraites par répartition, au regard d’un certain nombre d’indicateurs de suivi, prenant notamment en considération la pénibilité au travail, la situation comparée des droits à pension dans les différents régimes de retraite et les dispositifs de départ en retraite anticipée ;

2° analysant la situation comparée des femmes et des hommes au regard de l’assurance vieillesse, en tenant compte des différences de montants de pension, de la durée d’assurance respective et de l’impact des avantages familiaux de vieillesse sur les écarts de pensions ;

3° analysant l’évolution du pouvoir d’achat des retraités, avec une attention prioritaire à ceux dont les revenus sont inférieurs au seuil de pauvreté.

Dans le cadre de l’élaboration de son avis, le comité peut adresser au Parlement, au Gouvernement, aux caisses nationales des régimes obligatoires de base d’assurance vieillesse, aux services de l’État chargés de la liquidation des pensions et aux régimes de retraite complémentaire légalement obligatoires, des recommandations, rendues publiques, destinées à garantir le respect des objectifs d’équité, de solidarité intergénérationnelle et de pérennité (notamment financière) de notre système de retraites. Le comité peut également remettre, au plus tard un an après avoir adressé les recommandations précitées, un avis public relatif à leur suivi.

Ces recommandations portent notamment sur :

– l’évolution de la durée d’assurance requise pour le bénéfice d’une pension sans décote, au regard notamment de l’évolution de l’espérance de vie, de l’espérance de vie à soixante ans en bonne santé, de l’espérance de vie sans incapacité, de la durée de retraite, du niveau de la population active, du taux de chômage, en particulier des jeunes et des seniors, des besoins de financement et de la productivité ;

– les transferts du Fonds de réserve pour les retraites (FRR) vers les régimes de retraite, tenant compte de l’ampleur et de la nature d’éventuels écarts avec les prévisions financières de l’assurance retraite ;

– en cas d’évolutions économiques ou démographiques plus favorables que celles retenues pour fonder les prévisions d’équilibre du régime de retraite par répartition, des mesures permettant de renforcer la solidarité du régime, prioritairement au profit du pouvoir d’achat des retraités les plus modestes, de l’égalité entre les femmes et les hommes et de la prise en compte de la pénibilité et des accidents de la vie professionnelle ;

– le niveau du taux de cotisation d’assurance vieillesse, de base et complémentaire ;

– l’affectation d’autres ressources au système de retraite, notamment pour financer les prestations non contributives.

Ces recommandations ne peuvent tendre à :

– augmenter le taux de cotisation d’assurance vieillesse, de base et complémentaire, au-delà de limites fixées par décret ;

– réduire le taux de remplacement assuré par les pensions, tel que défini par décret, en deçà de limites fixées par décret.

Le Gouvernement, après consultation des organisations représentatives des employeurs et des salariés, présente au Parlement les suites qu’il entend donner aux recommandations du comité de suivi des retraites qui est par ailleurs accompagné dans ses travaux par un jury citoyen constitué de neuf femmes et de neuf hommes tirés au sort.

À ce jour, le comité de suivi des retraites n’a formulé aucune recommandation – ce qui montre que le pilotage à moyen terme de notre système de retraites est perfectible.

Votre rapporteur note en outre que, contrairement à ce que préconisait le rapport remis en 2013 par Mme Yannick Moreau, aucun objectif de pension de retraite minimale n’a été fixé par la loi qui s’est contentée d’interdire au comité de suivi des retraites de formuler des recommandations tendant à modifier les taux de cotisation maximale et taux de remplacement minimal déterminés par le Gouvernement.

Le décret n° 2014-654 du 20 juin 2014 relatif au comité de suivi des retraites a pour sa part introduit dans le code de la sécurité sociale :

– un article D. 114-4-0-13 précisant que les recommandations du comité de suivi des retraites ne peuvent tendre à augmenter au-delà de 28 % la somme des taux de cotisation d’assurance vieillesse assise sur les rémunérations ou gains pour un salarié non cadre, à carrière ininterrompue, relevant du régime général d’assurance vieillesse et d’une institution de retraite complémentaire et dont la rémunération mensuelle est égale au salaire moyen du tiers inférieur de la distribution des salaires ;

– un article D. 114-4-0-14 énonçant que ces mêmes recommandations ne peuvent tendre à diminuer en deçà des deux tiers le rapport, pour une année donnée et pour un assuré tel que défini à l’article D. 114-4-0-13, entre la moyenne des avantages de vieillesse perçus l’année de la liquidation et le revenu moyen d’activité perçu pendant la dernière année d’activité.

Ce sont donc, en l’état du droit, des dispositions réglementaires –  et donc susceptibles d’être modifiées à la guise du Gouvernement, sans débat au Parlement – qui fixent indirectement une forme de taux de cotisation plafond et de taux de remplacement plancher… Mais il ne s’agit là que de prescriptions à l’endroit du comité de suivi des retraites : c’est à lui seul qu’il est interdit de formuler des recommandations ayant pour effet de dépasser (à la hausse ou à la baisse, selon le cas) le maximum en matière de taux de cotisation et le minimum en matière de taux de remplacement.

Rien n’interdit donc au Gouvernement de présenter un texte qui augmenterait ce taux de cotisation de 28 % ou abaisserait ce taux de remplacement des deux tiers.

Par ailleurs, la loi ne comporte plus de disposition prévoyant un minimum de pension, l’article 4 de la loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites étant devenu obsolète puisqu’il dispose que « la Nation se fixe pour objectif d’assurer en 2008 à un salarié ayant travaillé à temps complet et disposant de la durée d’assurance nécessaire pour bénéficier du taux plein un montant total de pension lors de la liquidation au moins égal à 85 % du salaire minimum de croissance net lorsqu’il a cotisé pendant cette durée sur la base du salaire minimum de croissance ». Cet objectif à l’horizon de 2008, prolongé jusqu’en 2012, n’a pas été réaffirmé depuis.

C’est une nouvelle fois l’illustration de ce que le dispositif de pilotage de notre système de retraites est perfectible.

Ce besoin de pilotage est d’ailleurs si prégnant qu’après que la loi en a prévu un pour les régimes de retraite de base, le projet d’accord national interprofessionnel AGIRC-ARRCO du 30 octobre dernier propose d’en instaurer un également pour les régimes de retraites complémentaires.

En effet, l’article 11 de ce projet d’accord prévoit la mise en place, à compter du 1er janvier 2019, d’un pilotage pluriannuel de la retraite complémentaire « fondé sur des objectifs explicites et des indicateurs pertinents en vue d’assurer la pérennité de la retraite complémentaire » et tenant compte des impératifs liés à l’exigence d’un niveau de réserves suffisant et aux évolutions démographiques (allongement de l’espérance de vie, etc.) et économiques (croissance, niveau de chômage, inflation, etc.).

Les organisations représentatives au niveau national et interprofessionnel devront mettre en œuvre, dans le cadre du futur régime unifié de retraite complémentaire, un pilotage « stratégique » fondé sur des critères de soutenabilité appréciés sur une durée de 15 ans (niveau des réserves de financement, etc.) et sur des paramètres tels que le taux dit « contractuel » des cotisations, le taux d’appel de ces cotisations, les valeurs d’achat et de service du point, les coefficients de solidarités, etc.

Il reviendra au conseil d’administration du futur régime unifié de la retraite complémentaire d’arrêter chaque année le pilotage « tactique » du système de retraites complémentaires en ajustant, en tant que de besoin, ses paramètres de fonctionnement, et en alertant les organisations représentatives dès lors que les éléments de cadrage retenus pour le pilotage stratégique ne sont pas respectés.

Le projet d’accord ajoute qu’« en cas de changement significatif de la conjoncture économique, les partenaires sociaux engagent des négociations en vue d’ajuster les ressources et charges du régime unifié » de retraite complémentaire (51).

Votre rapporteur forme le vœu que ce dispositif de pilotage fonctionne mieux que celui instauré par le Gouvernement en 2014, à travers la création du comité de suivi des retraites – qui n’a proposé aucun ajustement de notre système de retraites après que le Haut conseil des finances publiques a pourtant procédé, en avril dernier, à une révision à la baisse des prévisions de croissance rendant fort peu probable l’objectif, visé par la loi du 20 janvier 2014 pour l’avenir et la justice du système de retraite, de quasi-retour à l’équilibre des régimes de retraite base et du Fonds de solidarité vieillesse (FSV) d’ici 2020.

C’est précisément pour corriger ces défauts que le présent article de la proposition de loi suggère de définir les objectifs du pilotage à moyen terme de notre système de retraite par répartition.

Le présent article propose d’inscrire dans la loi les objectifs que devra viser le pilotage à moyen terme de notre système de retraite par répartition et que devront respecter non seulement le comité de suivi des retraites, dans le cadre de ses recommandations, mais aussi et surtout l’ensemble des acteurs concernés.

Les 1°, 2° et 3° du présent article fixent respectivement des objectifs de :

– taux de cotisation plafond ;

– taux de remplacement plancher ;

– pension de retraite minimale.

Le dernier alinéa du présent article renvoie à un décret en Conseil d’État le soin de définir ces maxima et minima, après négociation avec les partenaires sociaux.

Il reviendra donc au Gouvernement de fixer le taux de cotisation plafond, le taux de remplacement plancher et le montant minimal de pension de retraite auquel tout assuré aura droit.

Le Gouvernement déterminera enfin l’année à laquelle ces objectifs devront être atteints.

Ce dispositif sera donc plus contraignant que le cadre juridique qui régit aujourd’hui le pilotage de notre système de retraites et qui, comme expliqué plus haut, ne lie guère que le comité de suivi des retraites, pour ce qui concerne le taux de cotisation maximal et le taux de remplacement minimal, ne détermine aucun objectif légal de minimum de pension de retraite et n’assigne a fortiori aucune date pour l’accomplissement de tels objectifs.

Le présent article paraît donc de nature à satisfaire les exigences formulées en 2013 par la Commission pour l’avenir des retraites qui estimait que le pilotage de notre système de retraites devait permettre de porter une ambition collective pour ce dernier et de « rétablir le consensus et la confiance autour de nos retraites » (52).

Car c’est bien une « règle de confiance » qu’il est proposé d’instaurer, l’objectif d’un montant minimal de pension de retraite étant de nature à protéger le pouvoir d’achat des retraités, actuels et futurs, tandis que l’objectif de limitation du taux de cotisation devrait permettre de préserver la compétitivité de nos entreprises.

*

La Commission est saisie de l’amendement AS1 de M. Michel Issindou.

M. Michel Issindou. Cet article prévoit la création d’un dispositif de pilotage alors qu’il en existe déjà un qui remplit bien son rôle : le comité de suivi des retraites, qui a une mission d’alerte du Gouvernement et qui peut faire des recommandations tout à fait utiles. Nous pensons qu’il n’est pas nécessaire de créer un autre dispositif que celui que nous avons mis en place et auquel nous croyons. C’est pourquoi nous demandons la suppression de cet article 1er.

M. Thierry Benoit, rapporteur. Je suis naturellement défavorable à cet amendement. Depuis qu’il a été créé, le comité de suivi des retraites n’a fait aucune préconisation. On peut s’interroger sur la pertinence et l’efficacité de cette structure.

Pour répondre à votre précédente intervention, Monsieur Issindou, je vous rappelle que j’ai déjà présenté ce type de proposition de loi au cours de la dernière législature, au nom du groupe Nouveau Centre et apparentés. Souvenons-nous des débats sur les retraites en 2008, 2009 et 2010, sous le gouvernement de M. François Fillon. À l’époque, nous avons réussi à modifier les bornes d’âge et à engager la convergence des taux, ce qui représentait déjà un effort considérable, mais nous n’avions pas pu adopter le régime universel de retraite par points.

La Commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 1er est supprimé et l’amendement AS6 tombe.

Article 2
(art. L. 111-2-1 du code de la sécurité sociale)

Alignement progressif des règles des régimes spéciaux en matière de cotisations et de prestations sur celles du régime général

Le présent article vise à organiser l’alignement progressif, à l’horizon de 2020, des règles de fonctionnement des régimes spéciaux de retraites des salariés du secteur public comme du secteur privé, en matière de cotisations et de prestations, sur celles du régime général des salariés du secteur privé.

L’article L. 711-1 du code de la sécurité sociale, issu de l’article 17 de l’ordonnance n° 45-2250 du 4 octobre 1945 portant organisation de la sécurité sociale, dispose que « parmi celles jouissant déjà d’un régime spécial le 6 octobre 1945, demeurent provisoirement soumises à une organisation spéciale de sécurité sociale, les branches d’activités ou entreprises énumérées par un décret en Conseil d’État » et que « des décrets établissent pour chaque branche d’activité ou entreprise mentionnées à l’alinéa précédent une organisation de sécurité sociale dotée de l’ensemble des attributions définies à l’article L. 111-1 (53). Cette organisation peut comporter l’intervention de l’organisation générale de la sécurité sociale pour une partie des prestations ».

L’article R. 711-1 du même code dresse une liste des branches d’activité ou entreprises qui « restent soumis[es] à une organisation spéciale de sécurité sociale, si leurs ressortissants jouissent déjà d’un régime spécial au titre de l’une ou de plusieurs des législations de sécurité sociale, [à savoir] :

1°) les administrations, services, offices, établissements publics de l’État, les établissements industriels de l’État et l’Imprimerie Nationale, pour les fonctionnaires, les magistrats et les ouvriers de l’État [régime des fonctionnaires de l’État, Fonds spécial des pensions des ouvriers de l’État – FSPOEIE – et Caisse nationale militaire de sécurité sociale – CNMSS] ;

2°) les régions, les départements et communes [Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales – CNRACL] ;

3°) les établissements publics départementaux et communaux n’ayant pas le caractère industriel ou commercial ;

4°) les activités qui entraînent l’affiliation au régime d’assurance des marins français institué par le décret-loi du 17 juin 1938 modifié [Établissement national des invalides de la marine – ENIM] ;

5°) les entreprises minières et les entreprises assimilées, définies par le décret n° 46-2769 du 27 novembre 1946, à l’exclusion des activités se rapportant à la recherche ou à l’exploitation des hydrocarbures liquides ou gazeux [caisse autonome nationale de sécurité sociale dans les mines – CANSSM] ;

6°) la société nationale des chemins de fer français [SNCF] ;

7°) les chemins de fer d’intérêt général secondaire et d’intérêt local et les tramways ;

8°) les exploitations de production, de transport et de distribution d’énergie électrique et de gaz [régime des industries électriques et gazières, doté de plusieurs caisses, dont la caisse nationale des industries électriques et gazières – CNIEG] ;

9°) la Banque de France ;

10°) le Théâtre national de l’Opéra de Paris et la Comédie Française ».

Cette liste est au demeurant loin d’être exhaustive car, comme le notent MM. Xavier Prétot et Thierry Tauran, respectivement conseiller à la Cour de cassation et maître de conférences à l’Université Paul Verlaine de Metz, « il existe, en pratique, une centaine de régimes spéciaux » (54). Outre ceux qui sont mentionnés à l’article R. 711-1 précité, on peut citer :

– le régime de la Régie autonome des transports parisiens (RATP) ;

– la Caisse de retraite et de prévoyance des clercs et employés de notaires (CRPCEN) ;

– la Caisse d’assurance vieillesse des officiers ministériels, des officiers publics et des compagnies judiciaires (CAVOM) ;

– le régime des cultes (CAVIMAC) ;

– le régime de la Chambre de commerce et d’industrie de Paris ;

– les régimes des ports autonomes de Bordeaux et de Strasbourg ;

– les régimes des élus et du personnel de l’Assemblée nationale et du Sénat ;

– la Caisse de retraite du Conseil économique, social et environnemental ;

– divers régimes gérés par la Caisse des dépôts et consignations (une dizaine environ).

Parmi tous ces régimes spéciaux, seule une douzaine peuvent revendiquer plus de 10 000 affiliés : il s’agit des régimes des fonctionnaires civils et militaires de l’État, du FSPOEIE, de la CNRACL, de la CANSSM, des régimes des industries électriques et gazières, de la SNCF et de la RATP, de l’ENIM, de la CRPCEN, de la CAVIMAC et de la Banque de France.

On ne peut plus se satisfaire, en 2015, de la survivance de régimes spéciaux dont certains datent du règne de Louis XIV, car, comme le notent MM. Xavier Prétot et Thierry Tauran, « dès l’origine, les régimes spéciaux s’avèrent en porte-à-faux, du fait même de leurs principes constitutifs, au regard de la volonté d’universalisation et d’harmonisation de la couverture des risques que portent, sinon le mouvement en faveur des assurances sociales entre les deux guerres mondiales, du moins l’institution de la Sécurité sociale au lendemain de la Seconde guerre mondiale » (55).

Contrairement à l’actuelle majorité, la précédente majorité a engagé des réformes ambitieuses des régimes spéciaux, afin de les faire converger progressivement vers le régime général et de tendre ainsi vers l’objectif d’universalisation et d’harmonisation de la couverture des risques qui présidait à l’organisation de la Sécurité sociale, il y a soixante-dix ans.

La loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites a ainsi aligné la durée de cotisation des fonctionnaires sur celle des salariés du secteur privé : la durée de cotisation requise des fonctionnaires pour prétendre, après 60 ans (âge légal d’ouverture des droits, à l’époque), à une retraite au taux plein est ainsi progressivement passée de 37,5 années en 2004 à 40 années en 2008.

Par ailleurs, cette loi a prévu l’allongement, à compter de 2009, de la durée de cotisation requise aussi bien des fonctionnaires que des salariés du secteur privé pour bénéficier d’une retraite au taux plein en la portant à 164 trimestres (soit 41 ans) en 2012.

Enfin, cette loi a créé pour les fonctionnaires un régime complémentaire obligatoire par points (la retraite additionnelle de la fonction publique – RAFP) et a indexé la revalorisation annuelle des pensions des fonctionnaires sur l’inflation (et plus précisément sur l’évolution des prix à la consommation, et non plus sur l’évolution du point d’indice de la fonction publique) – comme c’était déjà le cas pour les pensions des salariés du secteur privé depuis la loi n° 93-936 du 22 juillet 1993 relative aux pensions de retraite et à la sauvegarde de la protection sociale.

En 2008, plusieurs décrets ont amorcé une réforme ambitieuse d’un certain nombre de régimes spéciaux dont les quatre principes directeurs furent les suivants :

– passage progressif de la durée de cotisation requise pour bénéficier d’une retraite au taux plein de 37,5 ans (soit 150 trimestres) à 40 ans (soit 160 trimestres) puis évolution de cette durée de cotisation comme dans le régime de la fonction publique ;

– instauration d’un mécanisme de décote pour les salariés relevant de ces régimes qui cessent leur activité sans avoir cotisé pendant la durée d’assurance requise – étant précisé que la décote ne s’appliquerait pas aux salariés qui augmenteraient leur durée d’activité proportionnellement à l’augmentation de la durée d’assurance requise ;

– instauration d’un mécanisme de surcote pour les salariés qui poursuivent leur activité au-delà de l’âge légal de départ à la retraite et de la date à laquelle ils justifient avoir cotisé pendant la durée d’assurance requise ;

– indexation de la revalorisation des pensions sur l’évolution des prix à la consommation (et non plus sur celle des agents publics en activité), à partir du 1er janvier 2009.

Ces quatre principes directeurs ont été édictés pour le régime spécial :

– des agents de la SNCF (décrets n° 2008-47 du 15 janvier 2008 et n° 2008-639 du 30 juin 2008 relatifs au régime spécial de retraite des personnels de la Société nationale des chemins de fer français) ;

– des agents de la RATP (décret n° 2008-48 du 15 janvier 2008 relatif au régime spécial de retraite du personnel de la Régie autonome des transports parisiens) ;

– des salariés des industries électriques et gazières (décret n° 2008-69 du 22 janvier 2008 modifiant le statut national du personnel des industries électriques et gazières) ;

– des clercs et employés de notaires (décret n° 2008-147 du 15 février 2008 relatif au régime spécial de retraite des clercs et employés de notaires) ;

– des personnels de l’Opéra national de Paris (décret n° 2008-240 du 6 mars 2008 relatif au régime spécial de retraite et au statut des personnels de l’Opéra national de Paris) ;

– des personnels de la Comédie française (décret n° 2008-239 du 6 mars 2008 relatif au régime spécial de retraite des personnels de la Comédie-Française).

Pour autant, comme l’ont souligné MM. Xavier Prétot et Thierry Tauran, « la réforme n’est toutefois pas globale, étant donné que seuls les régimes de la SNCF, des IEG (industries électriques et gazières), de la RATP, des clercs et employés de notaire, de la Comédie française et de l’Opéra national de Paris sont concernés » (56). Les régimes spéciaux des mines et des marins n’ont notamment pas été concernés par les réformes de 2008.

Par ailleurs, même pour les régimes concernés, de nombreux avantages statutaires ont été maintenus, ce qui fait écrire à MM. Xavier Prétot et Thierry Tauran que s’« ils effectuent un alignement des régimes spéciaux concernés sur le régime des retraites des fonctionnaires de l’État, sur le plan financier, l’impact réel des décrets de 2008 va être extrêmement réduit [et ces décrets] ne ramèneront pas à l’équilibre les régimes visés, pas plus qu’ils ne leur rendront leur capacité à s’autofinancer » (57).

Ainsi que l’écrivent MM. Xavier Prétot et Thierry Tauran, « lorsque, dans un régime, on ne recense qu’un cotisant pour 3, 4, 5 retraités, voire davantage dans le régime minier, le retour à l’équilibre est impossible à réaliser par le seul jeu de cette réforme. La seule solution pour y parvenir serait que les employeurs recrutent massivement des salariés afin que l’on compte dans les régimes spéciaux au moins un cotisant pour un retraité, prévisions d’embauche impossibles à réaliser dans les secteurs professionnels concernés (énergie, transports ferroviaires, fonction publique…) » (58).

En somme, même après l’édiction des décrets de 2008, l’égalité entre les régimes de retraite reste un « mythe » (pour reprendre la formule de MM. Xavier Prétot et Thierry Tauran). Ces décrets « n’ont pas repris dans leur ensemble les éléments retenus dans le calcul de la pension. Seule la durée de cotisation a été abordée, et non le salaire de référence pris en compte dans ce calcul. De ce point de vue, un écart considérable sépare encore les régimes spéciaux du régime général. Dans ce dernier, c’est la moyenne des salaires des vingt-cinq meilleures années qui est prise en compte, alors que dans les régimes spéciaux, c’est le salaire que le cotisant a perçu pendant au moins six mois avant de prendre sa retraite. Cette règle est lourde de conséquences : dans le secteur privé, les salariés ne disposent d’aucune sécurité de l’emploi et alternent souvent des périodes de travail et de chômage. La moyenne des salaires est donc tirée vers le bas. Dans les régimes spéciaux, au contraire, les cheminots, électriciens et gaziers etc. sont des salariés dont le statut est proche de celui de la fonction publique. À ce titre, le salaire qu’ils perçoivent à la fin de leur carrière est le plus élevé de toute leur vie active. Cette considération a pour conséquence de tirer leur pension vers le haut. […] Qui l’aurait cru en 1945 à l’époque où la survie des régimes spéciaux n’était officiellement que “provisoire” ? […] S’il est vrai qu’elle contribue à rapprocher les conditions d’attribution de leurs prestations des principes retenus pour le régime général, la réforme de 2008 n’en préserve pas moins des régimes spéciaux que leur assise étroitement professionnelle inscrit, plus encore que les régimes propres aux travailleurs indépendants ou aux exploitants agricoles, en marge d’un système de sécurité sociale dont le législateur a pourtant entendu énoncer qu’il procède des exigences de la solidarité nationale » (59).

La loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites a organisé le relèvement progressif de l’âge légal de départ à la retraite, de façon à ce qu’il atteigne 62 ans en 2018 (60), et elle a prévu que cette mesure concernait aussi bien les salariés du secteur privé que ceux du secteur public et, plus généralement, toutes les personnes relevant de régimes spéciaux – avec toutefois des calendriers de mise en œuvre différents.

Ainsi, à partir de juillet 2011, le relèvement progressif de deux ans des bornes d’âge a concerné aussi bien les salariés du secteur privé que les fonctionnaires pour lesquels l’âge légal de départ à la retraite est désormais de 62 ans et pour lesquels la limite d’âge de fin de la décote (61) est aussi de 67 ans (contre 65 ans auparavant).

Par ailleurs, cette loi a mis fin au dispositif de départ anticipé sans condition d’âge jusqu’alors permis pour les fonctionnaires qui avaient effectué 15 ans de service et qui étaient parents de trois enfants.

Cette réforme a désormais pour conséquence qu’« alors que l’âge [effectif] de départ en retraite dans le secteur privé a toujours oscillé aux alentours des 62 ans entre 1990 et 2014, les fonctionnaires quittent désormais leur emploi à 60 ans et 10 mois », - tandis qu’en 1990, « ils prenaient leur retraite à 57 ans et quelques mois ». Il faut cependant noter que « ce calcul exclut le personnel militaire de l’État, lié à des conditions particulières de liquidation, dont le départ en retraite s’effectue aux alentours de 45 ans. Mais il inclut les services de police et de secours qui cessent de travailler à 57 ans. Quant aux fonctionnaires sédentaires dans les services territoriaux, hospitaliers ou de l’État, ils partent en retraite durant leur 62e année, en moyenne. L’âge moyen de départ entre salariés du secteur privé et sédentaires de la fonction publique est donc quasiment égal » (62).

Dans le rapport qu’elle a remis au Premier ministre en 2013, la Commission pour l’avenir des retraites constatait que « les réformes de 2003 et de 2010 ont initié un processus de convergence entre les régimes de la fonction publique et des salariés du secteur privé, notamment sur des paramètres essentiels tels que les durées d’assurance et les taux de cotisation », mais que « les régimes de la fonction publique présentent encore certaines spécificités, relatives notamment au mode de calcul de la pension et à l’attribution de bonifications » (63).

La Commission pour l’avenir des retraites a également relevé qu’elle estime « nécessaire de poursuivre la démarche de convergence entreprise depuis 2003 pour remplir trois objectifs principaux :

• Un objectif de lisibilité : bien que les taux de remplacement observés pour les salariés du privé et les fonctionnaires soient proches, les différences de mode de calcul sont mal comprises et tendent à nourrir un sentiment d’injustice ;

• Un objectif d’équité : la part croissante des primes dans la rémunération des fonctionnaires et sa variabilité entre les différents corps aboutissent à une diminution des taux de remplacement et à des inégalités entre fonctionnaires ;

• Un objectif de pilotage » (64).

Malgré ces préconisations de la Commission pour l’avenir des retraites, le Gouvernement n’a inscrit, dans la loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014 garantissant l’avenir et la justice du système de retraites, aucune mesure destinée à aligner progressivement les régimes spéciaux (du secteur public notamment) sur le régime général.

Neuf décrets parus en juin 2014 se sont contentés de transposer certaines des mesures de cette réforme à un certain nombre de régimes spéciaux, à savoir ceux des fonctionnaires territoriaux et hospitaliers (CNRACL), de la RATP, de la SNCF, des industries électriques et gazières (CNIEG), des ouvriers de l’État (FSPOEIE), de la Comédie-Française, de l’Opéra national de Paris et de la Banque de France.

Ces décrets ont prévu que, dans ces neuf régimes spéciaux :

– la durée de cotisation requise pour bénéficier d’une retraite au taux plein serait allongée au même rythme que dans les autres régimes, pour s’établir à 172 trimestres à partir de la génération née en 1973 ;

– la date de revalorisation annuelle des pensions serait décalée du 1er avril au 1er octobre (sauf pour les pensions d’invalidité) ;

– les jeunes pourraient racheter des trimestres d’études à un tarif préférentiel, dans les 10 ans suivant leur entrée dans la vie active.

Si, au gré des réformes de 2003, 2008 et 2010, des efforts considérables ont été fournis par la précédente majorité pour parvenir, d’une part, à aligner progressivement les règles applicables dans un certain nombre de régimes spéciaux en matière de durée de cotisation ainsi que de décote, de surcote et de revalorisation des pensions, sur celles applicables à la fonction publique, et, d’autre part, à aligner les règles des régimes de retraite des fonctionnaires sur celles du régime général des salariés du secteur privé, l’actuelle majorité n’a engagé aucune réforme pour compléter ces mesures par l’alignement progressif des règles de calcul des pensions des fonctionnaires (et, plus généralement, de l’ensemble des personnes relevant des régimes spéciaux de retraite) sur celles applicables dans le régime général des salariés du secteur privé.

2. Les mesures proposées

Votre rapporteur n’ignore pas que les taux de remplacement constatés dans les secteurs public et privé sont proches désormais, ni que, d’après les travaux du Conseil d’orientation des retraites (COR), pour la génération née en 1946, le taux de remplacement médian à l’issue d’une carrière complète est de 73,9 % du dernier salaire dans le secteur public et de 75,2 % du dernier salaire dans le secteur privé.

Mais, comme l’a fort bien noté la Commission pour l’avenir des retraites, « les taux de remplacement actuels étant similaires entre secteur privé et secteur public, l’objectif d’un changement du mode de calcul n’est pas de réaliser des économies budgétaires (65), mais de favoriser la lisibilité et la fixation d’objectifs communs aux régimes » (66).

C’est pour permettre de fixer des objectifs communs aux différents régimes de retraite que le présent article propose d’unifier la centaine de régimes de retraite que compte notre pays en procédant à un alignement progressif de leurs règles de fonctionnement, en matière de cotisations et de prestations, sur celles du régime général des salariés du secteur privé.

C’est la raison pour laquelle le présent article propose de compléter en conséquence l’article L. 111-2-1 du code de la sécurité sociale, qui fixe les grandes orientations de notre système de retraites.

Cet article prévoit en effet en son II que :

– « la Nation réaffirme solennellement le choix de la retraite par répartition au cœur du pacte social qui unit les générations » ;

– « les assurés bénéficient d’un traitement équitable au regard de la durée de la retraite comme du montant de leur pension, quels que soient leur sexe, leurs activités et parcours professionnels passés, leur espérance de vie en bonne santé, les régimes dont ils relèvent et la génération à laquelle ils appartiennent » ;

– « la Nation assigne également au système de retraite par répartition un objectif de solidarité entre les générations et au sein de chaque génération, notamment par l’égalité entre les femmes et les hommes, par la prise en compte des périodes éventuelles de privation involontaire d’emploi, totale ou partielle, et par la garantie d’un niveau de vie satisfaisant pour tous les retraités » ;

– « la pérennité financière du système de retraite par répartition est assurée par des contributions réparties équitablement entre les générations et, au sein de chaque génération, entre les différents niveaux de revenus et entre les revenus tirés du travail et du capital ».

Il s’agirait de compléter ce II de l’article L. 111-2-1 précité par un alinéa prévoyant qu’à l’horizon de 2020, les règles de fonctionnement des régimes spéciaux de retraites des salariés du secteur public comme du secteur privé qui ne sont pas intégrés au régime général sont progressivement alignées, tant en matière de cotisations que de prestations, sur celles dudit régime général.

Votre rapporteur tient à souligner que cet alignement progressif des règles des régimes spéciaux sur celles du régime général ne vise aucunement à stigmatiser ou à défavoriser telle ou telle catégorie d’assurés.

L’alignement des règles de calcul des pensions de retraite des régimes spéciaux du secteur public pourrait même être profitable aux personnes relevant de ces régimes, car, comme l’a souligné en 2013 la Commission pour l’avenir des retraites, « le mode de calcul actuel [fondé sur le traitement indiciaire détenu depuis au moins 6 mois à la date de la radiation des cadres] conduit à une baisse des taux de remplacement et à des inégalités au sein de la fonction publique » (67).

La commission a alors ajouté que « la règle actuelle nuit à la lisibilité du système de retraites et isole fortement les régimes de la fonction publique, alors qu’elle n’avantage pas les fonctionnaires en termes de taux de remplacement compte tenu de l’assiette restreinte prise en compte pour le calcul des droits à pension. Dans un souci d’équité et de lisibilité, la Commission propose de faire évoluer le mode de calcul de la pension en le faisant progressivement reposer sur une période de référence plus longue que 6 mois, et en élargissant de façon corollaire l’assiette de cotisations à une partie des primes. Ce double mouvement permettrait de rapprocher les règles applicables aux fonctionnaires des règles en usage dans les régimes alignés, et d’engager une harmonisation des conditions de liquidation des pensions entre fonctionnaires. […] Le passage à une durée de référence longue impliquerait l’intégration d’une part de primes nettement supérieures à 10 % du traitement, que n’ont pas tous les fonctionnaires. […] Dans le cas d’un allongement de la durée de référence aux 10 dernières années avec une revalorisation des traitements portés au compte analogue à celle du régime général (sur les prix), la perte de pension, sans intégration de primes, est estimée en moyenne à 3,6 %. Avec une intégration des primes dans la limite de 5 % du traitement, cette perte serait donc plus que compensée » (68).

Votre rapporteur fait sienne cette conclusion de la Commission pour l’avenir des retraites, qui atteste du fait que la mise en extinction progressive des régimes spéciaux qu’il préconise est motivée, non pas tant par la volonté de faire des économies et de « spolier » les assurés relevant de ces régimes, que par la volonté de rendre plus effectif, au regard des droits à la retraite, le principe d’égalité qui est au fondement de notre République.

*

La Commission examine l’amendement AS2 de M. Michel Issindou.

M. Michel Issindou. Nous demandons la suppression de cet article qui propose d’aligner les règles de fonctionnement des régimes spéciaux sur celles régissant le régime général des salariés. Vous avez du mal à l’entendre mais les situations entre les secteurs privé et public ne sont pas aussi dissemblables que l’on pourrait le croire au vu du mode de calcul des pensions de retraite. Vous le savez, une aide-soignante travaillant à l’hôpital n’a pas une retraite plus élevée que celle d’un salarié du privé. Le taux de remplacement se situe en 73 % et 75 % pour l’une comme pour l’autre. Ce que vous préconisez ne permettra pas de rendre le système plus équitable.

M. Thierry Benoit, rapporteur. Je suis naturellement défavorable à cet amendement. Pour reprendre l’un des arguments qu’a excellemment présentés Arnaud Robinet, j’indique que le COR lui-même nous précise que le besoin de financement s’élèvera à 10 milliards d’euros à l’horizon 2019-2020. Je comprends que s’acheminer vers l’extinction des régimes spéciaux, la convergence entre public et privé et la création d’un régime universel de retraite ne fasse pas partie des projets du Président de la République et de la majorité présidentielle. Pourtant, nous devrons y venir. D’ailleurs, monsieur Issindou, je vous soupçonne de penser, au fond de vous-même, que la chose présente un réel intérêt.

La Commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 2 est supprimé et les amendements AS7 et AS8 tombent.

Article 3
(art. L. 111-2-1 du code de la sécurité sociale)

Création d’un régime universel de retraite par points à l’horizon de 2020

Le présent article propose la création, à l’horizon de 2020, d’un régime universel de retraite par points.

L’article L. 111-2-1 du code de la sécurité sociale dispose que « le choix de la retraite par répartition au cœur du pacte social qui unit les générations » et que « le système de retraite par répartition assure aux retraités le versement de pensions en rapport avec les revenus qu’ils ont tirés de leur activité ».

Notre système de retraite est en effet essentiellement organisé « par répartition », ce qui signifie que les cotisations d’aujourd’hui paient les retraites d’aujourd’hui. L’article L. 111-2-1 précité dispose d’ailleurs en ce sens que « la Nation assigne […] au système de retraite par répartition un objectif de solidarité entre les générations ».

Ce système de retraite se distingue des régimes « par capitalisation », dans lesquels les cotisations d’aujourd’hui paient les retraites de demain (grâce à une épargne placée à long terme) et les retraites d’aujourd’hui sont payées par les cotisations passées (en consommant le capital de l’épargne passée et des revenus qu’il a produits).

Le système français de retraites associe :

– des régimes de base, obligatoires et par répartition, à prestations définies (ce qui signifie que les assurés de ces régimes sont assurés de bénéficier d’un niveau de pension en fonction des règles de liquidation – durée et montant de cotisation, âge – applicables au moment où ils prendront leur retraite, indépendamment de l’équilibre financier desdits régimes) ;

– des régimes complémentaires obligatoires et (en général) par répartition, à cotisations définies (ce qui signifie que les assurés relevant de ces régimes ne bénéficient pas à l’avance d’une garantie quant au niveau de leur pension, qui dépendra en partie de la situation financière desdits régimes au moment de leur départ en retraite) ;

– des régimes spéciaux comprenant un régime de base et un régime complémentaire obligatoires ;

– des régimes surcomplémentaires facultatifs et par capitalisation, soit sous forme d’épargne retraite collective en entreprise (plan d’épargne retraite d’entreprise – PERE ; plan d’épargne pour la retraite collectif – PERCO), soit sous forme d’épargne retraite individuelle (PERP, PREFON pour les fonctionnaires).

Or, dans les régimes de base, obligatoires et en répartition, le décompte des droits à la retraite des assurés s’effectue sous forme de trimestres – à l’exception notable des régimes des professions libérales et des non-salariés agricoles où le décompte s’opère par points convertis en euros, en fonction de la valeur du point au moment de la liquidation de la pension.

Ce mécanisme de décompte par trimestres amène (ou à tout le moins devrait amener) le législateur à adapter régulièrement la durée d’assurance requise pour bénéficier d’une retraite au taux plein en fonction de l’évolution de l’espérance de vie.

C’est la raison pour laquelle l’article 5 de la loi n° 2003-775 du 21 août 2003 portant réforme des retraites a fixé des rendez-vous quadriennaux (en 2012 et en 2016) pour examiner l’opportunité d’allonger encore la durée de cotisation en fonction de l’évolution de l’espérance de vie.

L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a ainsi rappelé en 2013 qu’« aux termes de la réforme Fillon de 2003, le gouvernement peut modifier par décret la durée de cotisation minimale en se fondant sur les avis d’experts concernant l’évolution de l’espérance de vie à 60 ans. Ainsi, la durée d’assurance pour le taux plein, de 40 années au moment de la réforme, a été portée à 41,5 années pour la génération 1955 » (69).

Et l’OCDE a aussitôt ajouté qu’« il conviendrait de rendre véritablement automatique le lien entre les gains d’espérance de vie et la durée de cotisation donnant droit à la retraite à taux plein, comme c’est déjà le cas en Lettonie, en Pologne, en Suède et en Norvège. Ceux n’ayant pas cotisé suffisamment longtemps pour percevoir une pension à taux plein se voient appliquer une décote de 1,25 % par trimestre manquant. En revanche, quel que soit le nombre d’années travaillées, tout retraité qui prend sa retraite à 67 ans perçoit une pension à taux plein, sans décote, mais toujours proportionnelle à sa durée de cotisation » (70).

L’OCDE a également expliqué qu’« en juin 2012, le gouvernement a décidé d’abaisser l’âge minimum de départ à la retraite à 60 ans pour les personnes ayant (commencé à travailler tôt et) à cet âge cotisé la durée donnant droit à la retraite à taux plein, ce qui accroît l’équité car ceux-ci étaient injustement pénalisés par l’augmentation minimum à 62 ans. En même temps, cette modification impose au système de retraites et aux finances publiques une charge supplémentaire annuelle de 1,1 milliard d’euros à court terme mais qui pourrait atteindre quasiment 3 milliards d’euros en 2017, et a été financée par une augmentation des taux de cotisations. Globalement, il aurait été préférable de maintenir l’âge minimum légal à 62 ans et d’accorder aux salariés ayant effectué des carrières longues un bonus au titre des années supplémentaires ainsi travaillées » (71).

C’est précisément ce que permettrait un système de retraites universel par répartition et par points dont on pourrait par exemple imaginer qu’il comprenne des mécanismes de majoration de points au titre de la pénibilité.

Les données fournies par l’OCDE montrent qu’un tel régime universel de retraites par points n’accentue pas les inégalités, bien au contraire. Alors qu’en France, le taux de pauvreté des retraités est comparable à celui des actifs et qu’au milieu des années 2000, le taux de pauvreté des personnes âgées de 65 ans et plus dépassait 5 %, ce même taux était inférieur à 5 % en Suède, où a été instauré un système de retraite par points à travers le mécanisme des « comptes notionnels » (72).

2. Les mesures proposées

Afin de faciliter le pilotage à moyen terme de notre système de retraites tel qu’il est organisé par l’article 1er de la présente proposition de loi et afin de compléter les mesures d’équité et de simplification contenues dans l’article 2 de ce même texte, qui prévoit l’alignement progressif des régimes spéciaux sur le régime général des salariés du secteur privé d’ici 2020, le présent article propose de créer, également à l’horizon de 2020, un régime universel de retraite par points.

Le présent article suggère de compléter à cet effet l’article L. 111-2-1 du code de la sécurité sociale, qui définit les grandes orientations de notre système de retraites.

Il ne s’agirait en aucun cas de remettre en cause le principe d’un régime universel par répartition, auquel votre rapporteur réaffirme son attachement, mais de faire reposer le calcul des droits à la retraite, dans le cadre de ce régime, sur un décompte par points plutôt que par trimestres.

Alors que, dans un régime de retraites par trimestres, la pension est déterminée principalement par le nombre de trimestres validés et par le revenu de référence, dans un régime de retraites par points, la pension est déterminée à partir du nombre de points accumulés grâce aux cotisations versées.

Un système par points attribue donc des droits à pension mais ne fixe pas le niveau des pensions, qui dépend de la valeur des points, laquelle n’est pas donnée a priori, mais définie à la date de liquidation de la pension.

Il s’agirait, en d’autres termes, d’adapter à la France le régime suédois des comptes notionnels, qui repose sur un système de comptes individuels théoriques où les cotisations alimentent un capital qui, à la date de liquidation de la pension, est divisé par l’espérance de vie à la retraite de la génération à laquelle appartient l’assuré (73).

L’article L. 111-2-1 du code de la sécurité sociale serait complété en conséquence par un alinéa prévoyant qu’« afin d’assurer la pérennité du système de retraite ainsi que son équité et sa transparence, l’État et les autorités compétentes veillent à assurer une convergence progressive des régimes de retraite en vigueur en vue de la création d’un régime universel de retraite par points à l’horizon de 2020 ».

En proposant cet ajout à l’article L. 111-2-1 précité, le présent article ne fait que satisfaire une recommandation faite par l’OCDE à la France en 2013.

En effet, notant qu’« en France, les prestations de retraite sont, dans le cas du régime général, calculées sur la base des 25 années d’une vie professionnelle pendant lesquelles les revenus ont été le plus élevés », l’OCDE a estimé que « pour s’approcher de l’équité actuarielle, il conviendrait de prendre en compte l’ensemble de la carrière. […] Un système de retraite universel fondé sur un système par points ou en comptes notionnels faciliterait non seulement la neutralité et l’équité actuarielles, mais donnerait également la flexibilité nécessaire pour parvenir à l’équilibre financier au fur et à mesure du vieillissement de la population. Il rendrait également le système plus lisible pour les assurés. Les points peuvent être convertis en pensions de retraite grâce à un coefficient de conversion qui tient compte de l’espérance de vie au moment du départ à la retraite, de projections démographiques et de prévisions relatives aux recettes et aux dépenses du régime de retraite. Le coefficient de conversion peut être conçu de manière à ce que les dépenses soient équivalentes aux recettes. […] Le coefficient de conversion peut être révisé pendant la durée de vie des retraités » (74).

S’agissant du secteur public, la convergence avec le privé dans le cadre d’un nouveau régime par points est cohérente avec d’autres réformes essentielles : une plus grande mobilité, le décloisonnement des corps, la réduction du millefeuille administratif, une révision véritable de la dépense publique, un moratoire sur l’ensemble des prélèvements et leur décrue. Moins de fonctionnaires mais plus mobiles et mieux payés, selon des règles plus claires et ouvrant des droits homogènes par rapport à ceux acquis dans le privé : le régime de retraite par points s’insère dans une politique de réforme plus large. Il permet aussi de traiter les disparités au sein même de la fonction publique : les primes y sont un facteur important d’inégalités et un élément d’illisibilité par rapport au privé.

Dans ce système, les cotisations achètent des points. Ces points sont convertis en pension lors de la liquidation. Les gestionnaires déterminent la valeur d’achat du point (combien il coûte en cotisations) et sa valeur de service (combien il rapporte en pension). Modifier ces valeurs permet de protéger l’équilibre financier.

Les avantages de ce modèle sont nombreux. L’équilibre financier est plus facile à maîtriser. L’équité inter- et intragénérationnelle est plus forte. Le salarié conserve son capital cotisé et ses droits quels que soient ses changements de carrière ou de statut. Il part à la retraite quand il le souhaite. Les points prennent d’office en compte les carrières longues.

Il est possible d’inclure des « surpoints » pour les métiers particulièrement pénibles et pour compenser l’inégalité hommes-femmes. Ces surpoints bénéficieraient notamment aux métiers de manutention et aux interruptions de carrière destinées à élever des enfants en bas âge.

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La Commission examine l’amendement AS3 de M. Michel Issindou.

M. Michel Issindou. Cet article propose de créer un régime universel par points à l’horizon de 2020. Il me semble que c’est un peu rapide pour un chantier qui demande de la préparation et la consultation des acteurs de tous ces systèmes de retraite. L’objectif n’est pas réaliste. Pour cette raison et d’autres que j’ai évoquées précédemment, je demande la suppression de cet article.

M. Thierry Benoit, rapporteur. Avis défavorable. Cet article affirme notre volonté de mettre en place un régime de retraite par points.

La Commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 3 est supprimé.

Article 4
Rapport du Conseil d’orientation des retraites sur les modalités de mise en œuvre du régime universel de retraite par points

Complétant l’article 3 de la présente proposition de loi, le présent article propose qu’après concertation avec les représentants des salariés relevant des régimes spéciaux de retraite, et notamment de celui de la fonction publique, le Conseil d’orientation des retraites (COR), mentionné à l’article L. 114-2 du code de la sécurité sociale, publie, avant le 31 juillet 2016, un rapport :

– précisant les modalités de mise en œuvre, à l’horizon de 2020, du régime universel de retraite par points dont la création est prévue à l’article 3 ;

– fixant un calendrier adapté à la réalisation de cet objectif.

Votre rapporteur estime que le COR est l’instance la mieux à même de produire un tel rapport.

Créé par le décret n° 2000-393 du 10 mai 2000, le COR est une instance indépendante et pluraliste d’expertise et de concertation, chargée d’analyser et de suivre les perspectives à moyen et long terme du système de retraite français.

Sur l’ensemble des questions de retraite (équilibre financier, montant des pensions, âge et durée d’assurance, redistribution, etc.), le COR élabore les éléments d’un diagnostic partagé et formule, le cas échéant, des propositions de nature à éclairer les choix en matière de politique des retraites.

En effet, aux termes de l’article L. 114-2 du code de la sécurité sociale, le COR a pour missions :

1° de décrire les évolutions et les perspectives à moyen et long terme des régimes de retraite légalement obligatoires, au regard des évolutions économiques, sociales et démographiques, et d’élaborer, au moins tous les cinq ans, des projections de leur situation financière ;

2° d’apprécier les conditions requises pour assurer la viabilité financière à terme de ces régimes ;

3° de mener une réflexion sur le financement des régimes de retraite susmentionnés et de suivre l’évolution de ce financement ;

4° de produire, au plus tard le 15 juin, un document annuel et public sur le système de retraite, fondé sur des indicateurs de suivi définis par décret au regard des objectifs énoncés au II de l’article L. 111-2-1 ;

5° de participer à l’information sur le système de retraite et les effets des réformes conduites pour garantir son financement ;

6° de suivre la mise en œuvre des principes communs aux régimes de retraite et l’évolution des niveaux de vie des actifs et des retraités, ainsi que de l’ensemble des indicateurs des régimes de retraite, dont les taux de remplacement ;

7° de suivre l’évolution des écarts et inégalités de pensions des femmes et des hommes et d’analyser les phénomènes pénalisant les retraites des femmes, dont les inégalités professionnelles, le travail à temps partiel et l’impact d’une plus grande prise en charge de l’éducation des enfants.

Le COR peut formuler toutes recommandations ou propositions de réforme qui lui paraissent de nature à faciliter la mise en œuvre des objectifs et principes énoncés au II de l’article L. 111-2-1 (qui définit les grandes orientations de notre système de retraites) ainsi qu’aux I à V de l’article L. 161-17 (qui reconnaissent aux assurés le droit de bénéficier gratuitement d’informations sur le système de retraite par répartition, en garantissant notamment à toute personne le droit d’obtenir un relevé de sa situation individuelle au regard de l’ensemble des droits qu’elle s’est constitués dans les régimes de retraite légalement obligatoires).

Le COR est composé de 39 membres. Outre son président nommé en conseil des ministres (actuellement M. Pierre-Louis Bras, inspecteur général des Affaires sociales), il comprend des personnalités qualifiées et des représentants :

– des assemblées parlementaires ;

– des organisations professionnelles, syndicales, familiales et sociales les plus représentatives ;

– des départements ministériels intéressés.

Les administrations de l’État, les établissements publics de l’État et les organismes chargés de la gestion d’un régime de retraite légalement obligatoire ou du régime d’assurance chômage sont tenus de communiquer au COR les éléments d’information et les études dont ils disposent et qui sont nécessaires au conseil pour l’exercice de ses missions.

En raison de sa composition, des missions que la loi lui assigne et des pouvoirs qu’elle lui reconnaît, votre rapporteur estime que le COR est l’organisme le mieux adapté pour produire, d’ici le 31 juillet 2016, un rapport sur les modalités de création d’un régime universel de retraite par points.

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La Commission examine l’amendement AS4 de M. Michel Issindou.

M. Michel Issindou. Ce n’est pas le rôle du COR de préparer les réformes et, d’ailleurs, il s’y refuse. C’est une prérogative du Gouvernement. Nous proposons donc de supprimer cet article.

M. Thierry Benoit, rapporteur. Avis défavorable. Dans un rapport adopté le 27 janvier 2010, le COR évoque d’ailleurs les modalités techniques de mise en place d’un régime universel de retraite par points ou en comptes notionnels. Il s’agit avec l’article 4 de cette proposition de loi de demander une actualisation de ces données vieilles de cinq ans, sachant que le COR souligne l’intérêt de la transition immédiate d’un système à l’autre.

La Commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 4 est supprimé et l’amendement AS9 tombe.

Article 5
Gage

Le présent article a pour objet d’assurer la recevabilité financière de la présente proposition de loi.

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La Commission examine l’amendement AS5 de M. Michel Issindou.

M. Michel Issindou. Cet amendement vise à supprimer le gage financier de cette proposition de loi.

M. Thierry Benoit, rapporteur. Avis défavorable. Il existe des leviers – un point de TVA représente 6 à 7 milliards d’euros, et un point de CSG une dizaine de milliards d’euros – qui permettent de réfléchir au financement d’un tel projet.

La Commission rejette l’amendement.

En conséquence, l’article 5 est supprimé.

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Mme la présidente Catherine Lemorton. La totalité des articles de la proposition de loi ayant été supprimés, il n’y a pas lieu de mettre celle-ci aux voix.

En conséquence, aux termes de l’article 42 de la Constitution, la discussion en séance publique aura lieu sur le texte initial de cette proposition de loi.

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