N° 3726
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 6 mai 2016.
RAPPORT
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LE PROJET DE LOI (n° 3204), ADOPTÉ PAR LE SÉNAT APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE, de modernisation de la justice du XXIème siècle
PAR M. Jean-Michel CLÉMENT et M. Jean-Yves LE BOUILLONNEC,
Députés
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Voir les numéros :
Sénat : 1ère lecture : 661 (2014-2015), 121 et 122 et T.A. 35 (2015-2016).
SOMMAIRE
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Pages
PRINCIPAUX APPORTS DE LA COMMISSION 15
INTRODUCTION 19
I. RAPPROCHER LA JUSTICE DU CITOYEN ET FAVORISER LES MODES ALTERNATIFS DE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS 21
A. RENDRE LA JUSTICE PLUS ACCESSIBLE 21
B. RENDRE LA JUSTICE PLUS RAPIDEMENT GRÂCE À LA PROMOTION DES MODES ALTERNATIFS DE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS 22
II. AMÉLIORER L’ORGANISATION ET LE FONCTIONNEMENT DU SERVICE DE LA JUSTICE 23
A. LA SIMPLIFICATION DE LA RÉPARTITION DES CONTENTIEUX ENTRE LES JURIDICTIONS 24
B. L’AMÉLIORATION DU FONCTIONNEMENT INTERNE DES JURIDICTIONS 25
C. LES DISPOSITIONS RELATIVES À LA PROCÉDURE PÉNALE 26
D. L’AMÉLIORATION DE L’ORGANISATION ET DU FONCTIONNEMENT DE LA JUSTICE DES MINEURS 27
E. LE RENFORCEMENT DE L’EFFICACITÉ DE LA RÉPRESSION DE CERTAINES INFRACTIONS ROUTIÈRES 28
F. LES DISPOSITIONS RELATIVES À LA PROCÉDURE DEVANT LA COUR DE CASSATION 29
III. RECENTRER LES JURIDICTIONS SUR LEURS MISSIONS ESSENTIELLES ET SIMPLIFIER LES DÉMARCHES DES CITOYENS 31
A. EN MATIÈRE CIVILE 31
1. Les successions 31
2. Les unions et les séparations 31
3. L’état civil 32
B. EN MATIÈRE DE CONSOMMATION 32
C. EN MATIÈRE D’URBANISME ET D’HABITAT 32
IV. DÉVELOPPER LES ACTIONS COLLECTIVES 33
A. L’ACTION DE GROUPE 33
1. La définition de règles procédurales communes devant le juge judicaire et le juge administratif 34
a. L’action de groupe devant le juge judiciaire 34
b. L’action de groupe devant le juge administratif 36
2. Les actions de groupe ouvertes dans de nouveaux domaines 36
a. La lutte contre les discriminations 36
b. L’environnement 38
c. La protection des données à caractère personnel 38
B. L’ACTION EN RECONNAISSANCE DE DROITS 39
V. RÉFORMER LA JUSTICE COMMERCIALE 39
A. LE RENFORCEMENT DU RÔLE ET DE LA LÉGITIMITÉ DES TRIBUNAUX DE COMMERCE 39
1. L’extension du champ de compétences des tribunaux de commerce 39
2. L’introduction d’un nouveau statut des juges de commerce 40
a. Les règles relatives à la durée de l’exercice de leur mandat par les juges consulaires 40
b. Les règles en matière de déontologie 41
c. Le renforcement du régime disciplinaire 41
3. La ratification d’une ordonnance portant sur les greffiers des tribunaux de commerce 41
B. LES MESURES EN FAVEUR DE L’INDÉPENDANCE DES ADMINISTRATEURS JUDICIAIRES ET DES MANDATAIRES JUDICIAIRES 42
VI. AMÉLIORER LE TRAITEMENT DES ENTREPRISES EN DIFFICULTÉ 42
VII. MESURES DIVERSES ET HABILITATIONS 43
A. MESURES DE SIMPLIFICATION ET DE PRÉCISION 43
B. HABILITATIONS 43
AUDITION DE M. JEAN-JACQUES URVOAS, GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE, ET DISCUSSION GÉNÉRALE 45
EXAMEN DES ARTICLES 69
TITRE IER – RAPPROCHER LA JUSTICE DU CITOYEN 69
Chapitre Ier – Renforcer la politique d’accès au droit 69
Article 1er(art. L. 111-2, L. 111-4, L. 141-1 et intitulé du titre IV du livre Ier du code de l’organisation judiciaire, art. 54, 55 et 69-7 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique) : Principe de l’accès au droit et de l’accès à la justice 69
Après l'article 1er 77
Chapitre II – Faciliter l’accès à la justice 80
Article 2 (art. L. 123-3 [nouveau] du code de l’organisation judiciaire) : Création d’un service d’accès unique du justiciable 80
Après l'article 2 87
Article 2 bis (nouveau) : Obligation pour les professionnels du droit et du chiffre de proposer à leurs clients une relation numérique dans un format garantissant l’interopérabilité des échanges 95
TITRE II – FAVORISER LES MODES ALTERNATIFS DE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS 97
Article 3 : Conciliation préalable à la saisine de la juridiction de proximité ou du tribunal d’instance 97
Article 4 (Ordonnance n° 2011-1540 du 16 novembre 2011 portant transposition de la directive n° 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale, art. L. 211-4, L. 771-3, L. 771-3-1 et L. 771-3-3 [nouveau] du code de justice administrative) : Extension du champ de la médiation administrative 108
Article 4 bis (nouveau) (art. 373-2-10 du code civil) : Absence d’injonction de médiation en cas de violences intrafamiliales 112
Article 4 ter (nouveau) (art. 373-2-13 du code civil) : Généralisation de l’expérimentation de la tentative de médiation obligatoire aux fins de modification d’une décision relative à l’exercice de l’autorité parentale ou à la contribution ou l’entretien de l’enfant 113
Après l'article 4 ter 115
Article 4 quater (nouveau) (art. 22-0 [nouveau] de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative) : Liste des médiateurs dressée par chaque cour d’appel 116
Article 5 (art. 2062, 2063, 2065 et 2066 du code civil) : Extension du champ d’application de la convention de procédure participative 118
Article 6 (art. 2044 et 2052 du code civil) : Clarification des règles applicables à la transaction 120
Article 7 (art. 1592, 2061 et titre XVI du livre III du code civil) : Précisions relatives à l’utilisation de la notion d’arbitrage 127
Après l'article 7 130
TITRE III – DISPOSITIONS TENDANT À L’AMÉLIORATION DE L’ORGANISATION ET DU FONCTIONNEMENT DU SERVICE PUBLIC DE LA JUSTICE 132
Chapitre Ier – Dispositions relatives à la compétence matérielle du tribunal de grande instance et du tribunal d’instance 132
Article 8 (art. L. 134-1, L. 142-1 à L. 142-28 [nouveaux] et L. 146-11 du code de la sécurité sociale, chapitre IV du titre III du livre Ier du code de l’action sociale et des familles, art. L. 261-1 et titre III du livre III du code de l’organisation judiciaire) : Attribution au tribunal de grande instance des compétences du tribunal des affaires de sécurité sociale et du tribunal du contentieux de l’incapacité et de certaines compétences de la commission départementale d’aide sociale 132
Article 9 (art. L. 221-4 du code de l’organisation judiciaire) : Transfert de la réparation des dommages corporels aux tribunaux de grande instance 147
Article 10 (art. 45, 521, 523 et 529-7 du code de procédure pénale, art. L. 211-1, L. 211-9-1 [nouveau], L. 212-6, L. 221-1, sous-section 4 de la section 1 du chapitre Ier du titre II et section 2 du chapitre II du titre II du code de l’organisation judiciaire et art. 1er de la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011) : Transfert des audiences du tribunal de police au tribunal de grande instance et régime juridique de certaines contraventions de la cinquième classe 149
Article 10 bis (nouveau) (art. 26, 26-1, 26-3, 31, 31-2, 31-3, 33-1, 365, 372, 386, 387-5, 412, 422, 511, 512 du code civil, art. L. 222-4 [nouveau] du code de l’organisation judiciaire, art. 242, 261-1 et 263 du code pénal) : Délégation de la délivrance des certificats de nationalité et de la réception des déclarations de nationalité à un directeur des services de greffe d’une autre juridiction du ressort de la cour d’appel ou au greffier en chef du tribunal d’instance 153
Chapitre II – Dispositions relatives au fonctionnement interne des juridictions 155
Article 11 A (nouveau) (chapitre 1erbis du livre Ier et art. L. 212-3-1, L. 222-1-1, L. 532-15-2, L. 552-8, L. 562-8 du code de l’organisation judiciaire ; art. 523, 847-4, 847-5, 1425-1 du code de procédure civile ; art. 41-2, 41-3, 535 et 538 du code de procédure pénale) : Suppression des mentions légales relatives aux « juges de proximité » 155
Article 11 (art. L. 137-1 et L. 137-1-1 du code de procédure pénale) : Modalités de remplacement du juge de la liberté et de la détention 156
Article 12 (art. L. 111-6 et L. 111-7 du code de l’organisation judiciaire) : Demande de récusation et obligation de déport d’un magistrat en situation de conflit d’intérêts 161
Article 12 bis (nouveau) (art. L. 251-5 du code de l’organisation judiciaire) : Modernisation de la prestation de serment des assesseurs du tribunal pour enfant 162
Article 12 ter (nouveau) (art. 382 du code de procédure pénale) : Possibilité de saisir un tribunal de grande instance limitrophe lorsque la victime d’une infraction est magistrat 163
Article 13 (art. 2 de la loi n° 71-498 du 29 juin 1971 relative aux experts judiciaires) : Durée d’inscription des experts judiciaires sur la liste nationale 164
Article 13 bis A (nouveau) (art. 17 et 21-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques) : Transmission au Conseil national des barreaux de la liste des avocats inscrits au tableau de l’ordre par les conseils de l’ordre et établissement d’un annuaire national numérique des avocats 166
Article 13 bis B (nouveau) (art. 17 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques) : Compétence du Conseil national des barreaux en matière de dématérialisation des échanges entre avocats 167
Article 13 bis (art. L. 123-4 [nouveau] du code de l’organisation judiciaire) : Mutualisation des effectifs des greffes 168
Article 13 ter (nouveau) (Chapitre III bis [nouveau] du titre II du livre Ier du code de l’organisation judiciaire) : Création d’un corps de juristes assistants auprès des juridictions judiciaires 172
Chapitre III – Simplifier la transmission des procès-verbaux en matière pénale 173
Article 14 (art. 19 du code de procédure pénale) : Dématérialisation des actes de procédure pénale effectués par les officiers de police judiciaire 173
Article 14 bis (nouveau) (chapitre III du titre Ier du livre Ier du code de procédure pénale) : Modification du système de collégialité des juges d’instruction 174
Article 14 ter (nouveau) (art. 706-2 du code de procédure pénale) : Extension des compétences des pôles de santé publique de Paris et Marseille 180
Article 14 quater (nouveau) (Titre XXVI du livre IV du code de procédure pénale) : Extension de la compétence des juridictions du littoral spécialisé (JULIS) aux atteintes aux biens culturels maritimes 181
Chapitre III bis – Dispositions tendant à l’amélioration de l’organisation et du fonctionnement de la justice des mineurs 182
Article 14 quinquies (nouveau) (art. L. 228-4 du code de l’action sociale et des familles) : Modification de la désignation du département compétent en matière d’aide sociale à l’enfance 182
Article 14 sexies (nouveau) (Ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, chapitre Ierbis du tire V du livre II du code de l’organisation judiciaire) : Suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs 183
Article 14 septies (nouveau) (Ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante) : Principe du cumul entre une condamnation pénale et des mesures éducatives 189
Article 14 octies (nouveau) (Ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante) : Rétablissement de la convocation par officier de police judiciaire aux fins de jugement devant le juge des enfants et facilitation de la césure du procès 190
Article 14 nonies (nouveau) (art. 24-5 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante) : Homogénéisation du régime de la césure du procès pénal des mineurs 191
Article 14 decies (nouveau) (art. 43 de de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante) : Possibilité de recours à la force publique pour l’exécution de mesures éducatives de placement prononcées par le juge 193
Chapitre IV – Dispositions améliorant la répression de certaines infractions routières 193
Article 15 A (nouveau) (art. L. 121-3, L. 121-6, L. 130-9, L. 143-1, L. 221-2-1 [nouveau] du code de la route ; art. 138, 530-3, 530-6, 530-7 du code de procédure pénale ; art. 132-45du code pénal) : Mesures de lutte contre l’insécurité routière 194
Article 15 : (suppression conforme) 202
Article 15 bis A (nouveau) (art. L. 221-2 et L. 324-2 du code de la route ; section 9 [nouvelle] du chapitre Ier du titre I du livre II du code de procédure pénale) : Application de la procédure de l’amende forfaitaire à certains délits routiers 202
Article 15 bis B (nouveau) (chapitre III bis [nouveau] du Titre II du Livre II et art. L. 225-3 à L. 225-5 et art. L. 311-2 et L. 322-1-1 [nouveaux] du code de la route) : Mesures de lutte contre les contournements de la loi en matière de contrôle automatisé 205
Chapitre V – Dispositions relatives à la procédure devant la Cour de cassation 206
Article 15 bis (nouveau) (art. 370, 567, 567-2, 574-1, 574-2, 584, 585, 585-1, 586 et 588 du code de procédure pénale) : Représentation obligatoire devant la chambre criminelle 207
Après l'article 15 bis 213
Article 15 ter (nouveau) (art. L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire) : Élargissement des hypothèses de cassation sans renvoi en matière civile 219
Article 15 quater (nouveau) (art. L. 431-3 du code de l’organisation judiciaire) : Possibilité pour la Cour de cassation de recourir à des amici curiae 220
Article 15 quinquies (nouveau) (art. L. 432-1 du code de l’organisation judiciaire) : Rôle du parquet général de la Cour de cassation 221
Article 15 sexies (nouveau) (art. L. 441-2 et L. 441-2-1 [nouveau] du code de l’organisation judiciaire) : Modalités de saisine pour avis de la Cour de cassation 222
Article 15 septies (nouveau) (art. L. 451-2 et L. 451-3 à L. 451-8 [nouveaux] du code de l’organisation judiciaire) : Réexamen en matière civile 223
Article 15 octies (nouveau) (art. 2-3 du code de procédure pénale) : Possibilité pour les fondations reconnues d’utilité publique de se constituer partie civile en cas d’atteintes volontaires à la vie et à l’intégrité d’un mineur 226
TITRE IV – RECENTRER LES JURIDICTIONS SUR LEURS MISSIONS ESSENTIELLES 227
Chapitre Ier – Dispositions relatives aux successions 227
Article 16 (art. 1007, 1008 (supprimé) et 1030-2 du code civil) : Suppression du recours systématique au juge dans la procédure d’envoi en possession et renforcement du rôle du notaire 228
Article 16 bis (art. 804 du code civil) : Simplification de la procédure de renonciation à succession 230
Article 16 ter (art. 788 du code civil) : Acceptation devant notaire d’une succession à concurrence de l’actif net 231
Article 16 quater (nouveau) (art. 809-1 du code civil) : Renforcement du rôle du notaire en cas de succession vacante 232
Après l'article 16 quater 232
Chapitre II – Unions et séparations 235
Article 17 (art. 461, 462, 515-3, 515-3-1, 515-7 et 2499 du code civil et art. 14-1 de la loi n° 99-944 du 15 novembre 1999 relative au pacte civil de solidarité) : Transfert de l’enregistrement des PACS aux officiers de l’état civil 236
Article 17 bis (art. L. 2121-30-1 [nouveau] du code général des collectivités territoriales) : Lieu de célébration des mariages 240
Article 17 ter (nouveau) (art. 229, 229-1, 229-2, 229-3, 229-4 [nouveaux] et 230, 247, 260, 262, 262-1, 265, 278, 279, 296 du code civil et art. 10 et art. 39-1 [nouveau] de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique) : Divorce par consentement mutuel 243
Chapitre III – Dispositions relatives à l’état civil 250
Article 18 (art. 40 [nouveau], 48, 49 et 53 du code civil et art. 1er de l’ordonnance du 26 novembre 1823 portant règlement sur la vérification des registres de l’état civil) : Tenue des registres de l’état civil 250
Article 18 bis A (nouveau) (art. 70 et 78 du code civil) : Simplification des démarches des usagers en matière d’état civil 254
Article 18 bis B (nouveau) (art. 101-1 et 101-2 [nouveaux] du code civil) : Publicité des actes de l’état civil 255
Article 18 bis (art. 55 du code civil) : Délai de déclaration de naissance 256
Article 18 ter (art. 76, 87, 91, 99, 99-1, 99-2 [nouveau], 100, 127 et intitulé du chapitre VII du titre II du livre Ier du code civil et art. 6 et 7 de la loi n° 68-671 du 25 juillet 1968 relative à l’état civil des Français ayant vécu en Algérie ou dans les anciens territoires français d’outre-mer ou sous tutelle devenus indépendants) : Simplification de la procédure de rectification d’erreur ou d’omission matérielle 258
Article 18 quater (nouveau) (art. 60 du code civil) : Changement de prénom 260
Article 18 quinquies (nouveau) (art. 61-3-1, 61-4, 311-23 et 311-24-1 [nouveaux] du code civil) : Changement de nom 261
Après l'article 18 quinquies 263
Chapitre IV – Dispositions relatives au surendettement 267
Article 18 sexies (nouveau) (art. L. 711-5 à L. 761-2 du code de la consommation) : Suppression de l’homologation judiciaire des décisions des commissions de surendettement 267
Chapitre V – Dispositions relatives au changement irrégulier d’usage d’un local 268
Article 18 septies (nouveau) (art. L. 651-2 du code de la construction et de l’habitation) : Changement irrégulier d’usage d’un local 268
TITRE V – L’ACTION DE GROUPE 269
Chapitre Ier – L’action de groupe devant le juge judiciaire 270
Article 19 : Champ d’application de la procédure d’action de groupe de droit commun 270
Article 19 bis : Application, sauf dispositions contraires, des règles du code de procédure civile 272
Section 1 : Objet de l’action de groupe, qualité pour agir et introduction de l’instance 272
Article 20 : Objet de l’action de groupe 272
Article 21 : Qualité à agir 275
Article 22 : Introduction de l’instance et mise en demeure préalable 280
Section 2 : Cessation du manquement 281
Article 23 : Injonction, prononcée par le juge, aux fins de cessation du manquement 281
Section 3 : Réparation des préjudices 282
Sous section 1 : Jugement sur la responsabilité 282
Article 24 : Jugement sur la responsabilité et définition du groupe des victimes 282
Article 25 : Mesures de publicité destinées à faire connaître le jugement aux membres du groupe des victimes 285
Article 26 : Possibilité de procédure collective de liquidation des préjudices 285
Sous section 2 : Mise en œuvre du jugement et réparation des préjudices 287
Paragraphe 1 : Procédure individuelle de réparation des préjudices 287
Article 27 : Adhésion au groupe et mandat aux fins d’indemnisation 287
Article 28 : Indemnisation par le défendeur des membres du groupe 287
Article 29 : Saisine du juge en l’absence d’indemnisation 288
Paragraphe 2 : Procédure collective de réparation des préjudices 288
Article 30 : Adhésion au groupe et mandat aux fins d’indemnisation 288
Article 31 : Encadrement de la négociation effectuée par le demandeur au nom du groupe 289
Sous section 3 : Gestion des fonds reçus au titre de l’indemnisation des membres du groupe 292
Article 32 : Gestion des fonds versés pour l’indemnisation 292
Section 4 : Médiation 294
Article 33 : Renvoi au droit commun de la médiation 294
Article 34 : Homologation par le juge de l’accord négocié au nom du groupe 295
Section 5 : Dispositions diverses 296
Article 35 : Suspension de la prescription pendant le cours d’une action de groupe 296
Article 36 : Autorité de la chose jugée 297
Article 37 : Droit au recours préservé pour la réparation des préjudices non réparés dans le cadre de l’action de groupe 297
Article 38 : Interdiction d’engagement d’une nouvelle action de groupe portant sur le même fondement qu’une précédente action de groupe 298
Article 39 : Substitution au demandeur défaillant 298
Article 40 : Interdiction des clauses de renonciation à une action de groupe 299
Article 41 : Appel en garantie de l’assureur de responsabilité civile 299
Article 41 bis (supprimé) : Interdiction faite à un membre d’une profession réglementée de solliciter l’engagement d’une action de groupe 299
Article 42 (art. L. 211-9-2 [nouveau] et L. 211-15 du code de l’organisation judiciaire et art. L. 623-10 du code de la consommation) : Tribunal compétent pour connaître des actions de groupe Coordinations dans le code de la consommation 301
Chapitre II – L’action de groupe devant le juge administratif 303
Article 43 (art. L. 77-10 à L. 77-10-24 [nouveaux] du code de justice administrative) : Reprise du socle commun dans le code de la justice administrative 303
Chapitre III – L’action de groupe en matière de discrimination 307
Section 1 : Dispositions générales 307
Article 44 (art. 4, 10, 11 et 12 [nouveaux] de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations) : Action de groupe en matière de discrimination 307
Section 2 : Action de groupe en matière de discrimination dans les relations relevant du code du travail 315
Article 45 (art. L. 1134-6 à L. 1134-10 [nouveaux] du code du travail) : Action de groupe en matière de discrimination causée par un employeur et portée devant la juridiction judiciaire 315
Section 3 : Action de groupe en matière de discrimination causée par un employeur et engagée devant la juridiction administrative 323
Article 45 bis (art. L. 77-11-1 à L. 77-11-4 du code justice administrative) : Action de groupe en matière de discrimination causée par un employeur et engagée devant la juridiction administrative 323
Chapitre III bis – L’action de groupe en matière environnementale 327
Article 45 ter (nouveau) (art. 142-3-1 [nouveau] du code de l’environnement) : Action de groupe en matière d’environnement 327
Chapitre III ter – L’action de groupe en matière de santé 329
Article 45 quater (nouveau) (art. L. 1143-1 à L. 1143-15 et art. L. 1521-6-1 [nouveau] du code de la santé publique) : Action de groupe en matière de santé 329
Chapitre III quater – L’action de groupe en matière de protection des données à caractère personnel 330
Article 45 quinquies (nouveau) (art. 43 bis [nouveau] de la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés) : Action de groupe en matière de protection des données à caractère personnel 330
Chapitre IV – Dispositions diverses 331
Article 46 : Conditions d’application 331
TITRE V BIS – L’ACTION EN RECONNAISSANCE DE DROITS 333
Article 46 bis (art. L. 77-12-1 à L. 77-12-5 [nouveaux] du code de justice administrative) : Création d’une action en reconnaissance de droits individuels devant le juge administratif 333
TITRE VI – RÉNOVER ET ADAPTER LA JUSTICE COMMERCIALE AUX ENJEUX DE LA VIE ÉCONOMIQUE ET DE L’EMPLOI 335
Chapitre Ier – Conforter le statut des juges de tribunaux de commerce 335
Article 47 A (art. L. 713.6, L. 713-7, L. 713-11, L. 713-12 et L. 713-17 du code de commerce) : Électorat et éligibilité des ressortissants du répertoire des métiers aux fonctions de délégué consulaire et de juge de tribunal de commerce 335
Article 47 (art. L. 721-3, L. 722-6, L. 722-6-1 à L. 722-6-3 [nouveaux], L. 722-17 à L. 722-22 [nouveaux], L. 723-1, L. 723-4, L. 723-5, L. 723-6, L. 723-7, L. 723-8, L. 724-1, L. 724-1-1 [nouveau], L. 724-3, L. 724-3-1 et L. 723-3-2 du code de commerce) : Incompatibilité , formation, déontologie et discipline des juges des tribunaux de commerce et compétence des tribunaux de commerce pour les litiges concernant les artisans 341
Article 47 bis (art. 20 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique) : Extension de la compétence de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique aux magistrats judiciaires et aux juges consulaires 370
Article 47 ter (art. L. 464-8 du code de commerce) : Recours des décisions du rapporteur général de l’Autorité de la concurrence 372
Chapitre II – Renforcer l’indépendance et l’efficacité de l’action des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires 373
Article 48 (art. L. 811-1, L. 811-2, L. 811-3, L. 811-10, L. 811-12, L. 811-15, L. 814-16 [nouveau] et L. 958-1 du code de commerce) : Conditions d’exercice, de contrôle et de discipline des administrateurs judiciaires et des mandataires judiciaires 373
Article 49 (art. L. 112-6-2 et L. 112-7 du code monétaire et financier) Modalités des paiements effectués par les administrateurs judiciaires et les mandataires judiciaires 385
Chapitre III – Adapter le traitement des entreprises en difficulté 386
Article 50 (art. L. 234-1, L. 234-2, L. 234-4, L. 526-1, L. 526-2, L. 526-3, L. 611-3, L. 611-6, L. 611-9, L. 611-13, L. 611-14, L. 621-1, L. 621-2, L. 621-3, L. 621-4, L. 621-12, L. 622-10, L. 622-24, L. 626-3, L. 626-12, L. 626-15 à L. 626-17, L. 626-18, L. 626-25, L. 626-30-2, L. 626-31, L. 631-9-1, L. 631-19, L. 632-1, L. 641-1, L. 641-2, L. 641-13, L. 645-1, L. 645-3, L. 645-8, L. 645-9, L. 645-11, L. 653-1, L. 653-8, L. 661-6, L. 662-7, L. 662-8, L. 663-2, L. 670-6, L. 910-1, L. 916-2 [nouveau], L. 950-1 et L. 956-10 [nouveau]du code de commerce, art. L. 351-6 du code rural et de la pêche maritime, art. 768 et 769 du code de procédure pénale et art. L. 3253-17 du code du travail) : Adaptations ponctuelles du droit des entreprises en difficulté 386
Article 50 bis (nouveau) (art. L. 742-1 du code de commerce) : Ratification de l’ordonnance n° 2016-57 du 29 janvier 2016 modifiant l’article L. 742-1 du code de commerce relatif aux conditions d’accès à la profession de greffier de tribunal de commerce 409
TITRE VII – DISPOSITIONS DIVERSES 410
Chapitre I – De la publicité foncière 410
Article 51 (art. 5 et 32 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière) : Compétences des avocats en matière de publicité foncière 410
Chapitre Ierbis – Du contentieux relatif au surendettement 414
Article 51 bis (art. 43 de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation) : Exceptions au traitement des situations de surendettement 414
Chapitre Ierter – Des conditions de sortie du territoire des mineurs 418
Article 51 ter (nouveau) (art. 371-5 du code civil) : Rétablissement de l’autorisation de sortie du territoire pour les mineurs 418
Chapitre Ierquater – De la procédure simplifiée de recouvrement des petites créances 419
Article 51 quater (nouveau) (art. L. 111-3 du code des procédures civiles d’exécution) : Suppression de l’homologation par le juge de l’accord résultant d’une procédure simplifiée de recouvrement de petites créances 419
Après l'article 51 quater 420
Article 51 quinquies (nouveau) (art. 21-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971) : Délivrance d’un titre exécutoire par le Conseil national des barreaux aux avocats à défaut de paiement de leurs cotisations annuelles 421
Chapitre Ierquinquies – Du gage des stocks 422
Article 51 sexies (nouveau) (ordonnance n° 2016-56 du 29 janvier 2016) : Ratification de l’ordonnance n° 2016-56 du 29 janvier 2016 relative au gage des stocks 422
Chapitre II – Des habilitations 423
Article 52 (art. 5 et 32 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière) : Habilitation à prendre par ordonnance diverses dispositions relevant du domaine de la loi 423
Article 52 bis (nouveau) : Habilitation à prendre par ordonnance les mesures nécessaires pour l’application du règlement (UE) n° 2015/848 du Parlement européen et du Conseil du 20 mai 2015 relatif aux procédures d’insolvabilité 429
Après l'article 52 bis 430
Chapitre III – Dispositions relatives à l’outre-mer 431
Article 53 : Dispositions relatives à l’outre-mer 431
Article 53 bis (nouveau) (Chapitre VII bis [nouveau] du titre II du livre VI du code de procédure pénale) : Adaptation de la procédure de pourvoi en cassation aux exigences géographiques de Mayotte 436
Après l'article 53 bis 437
Chapitre IV – Dispositions transitoires 439
Article 54 : Dispositions transitoires 439
Intitulé du projet de loi 445
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES PAR LES RAPPORTEURS 449
DÉPLACEMENTS EFFECTUÉS PAR LES RAPPORTEURS 457
PRINCIPAUX APPORTS DE LA COMMISSION
Lors de ses réunions des mardi 3 et mercredi 4 mai 2016, la commission des Lois a apporté au projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, relatif à l’organisation judiciaire et à l’action de groupe, les principales modifications présentées ci-après.
• Pour rapprocher la justice du citoyen et favoriser les modes alternatifs de règlement des différends, la Commission a :
– prévu qu’il serait possible au président du tribunal de grande instance et au procureur de la République de désigner plusieurs associations membres d’un conseil départemental de l’accès au droit, y compris une association œuvrant dans le domaine de la conciliation (article 1er) ;
– obligé les professionnels du droit et du chiffre de proposer à leurs clients une relation numérique dans un format garantissant l’interopérabilité des échanges (article 2 bis) ;
– autorisé la clause compromissoire dans les relations entre particuliers et précisé que celle-ci doit avoir été expressément acceptée par la partie à laquelle on l’oppose, à moins que celle-ci n’ait succédé aux droits et obligations de la partie qui l’a initialement acceptée (article 7) ;
– généralisé l’expérimentation de médiation obligatoire avant la saisine du juge par les parents aux fins de modification d’une décision fixant les modalités de l’exercice de l’autorité parentale ou la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant (article 4 ter), en écartant cependant la possibilité pour le juge d’enjoindre aux parties de procéder à une médiation familiale en cas de violences intrafamiliales commises sur l’un des parents ou sur l’enfant (article 4 bis) ;
– créé une liste de médiateurs établie par chaque cour d’appel pour éviter le risque de « faux » médiateurs, n’ayant ni l’expérience requise, ni la formation adéquate (article 4 quater).
• Pour améliorer l’organisation et le fonctionnement des juridictions, la Commission a :
– transféré le contentieux des tribunaux des affaires sociales (TASS), des tribunaux du contentieux de l’incapacité (TCI) et d’une partie du contentieux des commissions départementales d’aide sociale (CDAS) au tribunal de grande instance (article 8) ;
– permis aux chefs de cour de déléguer la délivrance des certificats de nationalité et la vérification des comptes de tutelle, à titre exceptionnel, en l’absence de directeur des services de greffe au tribunal d’instance, à un directeur des services de greffe d’une autre juridiction du ressort de la cour d’appel ou, à défaut, au greffier chef de greffe du tribunal d’instance (article 10 bis) ;
– privilégié le remplacement du juge des libertés et de la détention statutaire, par priorité, par un magistrat du premier grade et seulement, à défaut, par un magistrat du second grade, en cas de vacance d’emploi, d’absence ou d’empêchement (article 11) ;
– supprimé le dispositif de mutualisation des greffes sur décision du président du tribunal de grande instance (article 13 ter) ;
– supprimé toute référence aux juges de proximité désormais intégrés au corps des magistrats exerçant à titre temporaire (article 11 A) ;
– modernisé la prestation de serment des assesseurs du tribunal pour enfant en supprimant la référence à son caractère religieux (article 12 bis) ;
– imposé aux conseils de l’ordre de communiquer au Conseil national des barreaux la liste des avocats inscrits au tableau de l’ordre, ainsi que la mise à jour périodique de cette liste. A par ailleurs été confiée au Conseil national des barreaux la mission d’établir un annuaire national des avocats, consultable sur internet (article 13 bis A), et de déterminer, en concertation avec la Chancellerie, les modalités et conditions de mise en œuvre du réseau indépendant à usage privé des avocats aux fins d’interconnexion avec le réseau privé virtuel du ministère de la Justice (article 13 bis B) ;
– créé un corps de juristes assistants auprès des juridictions judiciaires, afin de permettre aux magistrats de se recentrer sur leur métier et de constituer des équipes autour d’eux (article 13 ter).
• En matière pénale, la Commission a :
– remplacé la collégialité obligatoire et systématique de l’instruction prévue à compter du 1er janvier 2017 par des dispositions permettant que seules les décisions essentielles de l’instruction puissent être prises par une formation collégiale, composée de trois juges d’instruction, soit à la demande des parties, soit à la demande des magistrats (article 14 bis) ;
– étendu les compétences des pôles de santé publique de Paris et Marseille aux pratiques médicales, paramédicales ou esthétiques et aux infractions de dopage (article 14 ter) ainsi que la compétence des juridictions du littoral spécialisé aux atteintes aux biens culturels maritimes (article 14 quater) ;
– adopté six articles additionnels relatifs à la justice des mineurs (articles 14 quinquies à nonies) pour supprimer les tribunaux correctionnels pour mineurs, réintroduire la convocation par officier de police judiciaire aux fins de jugement devant le juge des enfants, favoriser la césure du procès pénal des mineurs, poser le principe du cumul entre les peines et les mesures éducatives, autoriser le juge à recourir à la force publique pour l’exécution des mesures éducatives de placement ;
– adopté trois articles additionnels tendant à améliorer la répression de certaines infractions routières à travers des mesures de lutte contre l’insécurité routière (article 15 A), la forfaitisation du délit de conduite sans permis et sans assurance (article 15 bis A), et de nouvelles sanctions pour lutter contre les contournements de la loi (article 15 bis B).
• La commission des Lois a adopté cinq articles additionnels relatifs à la procédure devant la Cour de cassation, après avoir restreint le champ de la représentation obligatoire par un avocat au Conseil ou à la Cour de cassation devant la chambre criminelle (article 15 bis).
Elle a ainsi :
– élargi les cas de cassation sans renvoi en matière civile « lorsque l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie » (article 15 ter) ;
– autorisé la Cour de cassation à recueillir l’avis d’experts extérieurs (article 15 quater) ;
– consacré le rôle du parquet de la Cour de cassation (article 15 quinquies) ;
– simplifié les modalités de saisine pour avis de la Cour de cassation (article 15 sexies) ;
– introduit une procédure de « réexamen en matière civile » après un constat de violation de la Cour européenne des droits de l’homme ayant reconnu les droits des personnes concernées sans pour autant mettre fin en droit interne aux conséquences dommageables qu’elles ont subies.
• Poursuivant le triple objectif de simplifier les démarches des usagers, de faciliter la tâche des officiers de l’état civil et de recentrer les juridictions sur leurs missions essentielles, la Commission a :
– rétabli le transfert de l’enregistrement des pactes civils de solidarité aux officiers de l’état civil, qui avait été supprimé par le Sénat (article 17) ;
– créé une nouvelle procédure de divorce par consentement mutuel, ne nécessitant plus l’intervention du juge (article 17 ter) ;
– porté le délai de déclaration de naissance de trois à cinq jours (article 18 bis) ;
– simplifié les démarches de vérification de l’état civil à l’occasion des mariages et des décès (article 18 bis A) ainsi que les procédures en matière de changement de prénom (article 18 quater) et de nom (article 18 quinquies) ;
– précisé les règles de publicité des actes de l’état civil (article 18 bis B).
Dans le même souci d’allégement des procédures, la Commission a supprimé l’homologation judiciaire de certaines décisions des commissions de surendettement (article 18 sexies) et transféré au maire ou à l’Agence nationale de l’habitat la compétence aujourd’hui dévolue au ministère public dans le cadre de la procédure de remise en usage de logement des locaux irrégulièrement transformés.
• La Commission a précisé le cadre juridique de l’action de groupe, en retenant une acception plus large que le Sénat s’agissant du champ des victimes susceptibles d’être concernées (article 20) et des personnes ayant qualité à agir au nom du groupe (article 21).
Pour ce qui concerne, plus particulièrement, l’action de groupe en matière de discrimination (article 44), y compris celle visant un employeur (article 45 et 45 bis), la Commission a précisé le champ des personnes ayant qualité à agir et ajouté les préjudices moraux à la liste des préjudices pouvant faire l’objet d’une réparation dans ce cadre.
La Commission a, par ailleurs, complété la liste des motifs de discrimination établie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008, afin de l’harmoniser avec celle établie dans le code pénal.
La Commission a, enfin, ouvert la voie aux actions de groupe en matière d’environnement (article 45 ter) et de protection des données à caractère personnel (article 45 quinquies).
• En matière commerciale, la Commission a adopté un compromis sur le nombre de mandats successifs que peuvent exercer les juges des tribunaux de commerce et a introduit la possibilité d’une saisine directe par les justiciables de la commission nationale de discipline des tribunaux de commerce, sous certaines conditions (article 47). Elle est également revenue sur des dispositions adoptées par le Sénat qui auraient eu pour effet de limiter la portée de certaines procédures collectives, comme la procédure de sauvegarde. Enfin, elle a adopté plusieurs dispositions en faveur des agriculteurs en matière de traitement des difficultés des entreprises (article 50).
• Enfin, la Commission a modifié l’intitulé du projet de loi afin de mettre en exergue son objet : la modernisation de la justice du XXIème siècle.
Mesdames, Messieurs,
L’Assemblée nationale est saisie, en première lecture, du projet de loi relatif à l’action de groupe et à l’organisation judiciaire (1), adopté par le Sénat le 5 novembre 2015, et sur lequel le Gouvernement a engagé la procédure accélérée.
Avec le projet de loi organique relatif aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu’au Conseil supérieur de la magistrature (2), ce texte propose une réforme judiciaire d’ensemble, qui concrétise la réflexion lancée, en 2012, par Mme Christiane Taubira, alors garde des Sceaux, sur la justice du XXIème siècle.
Ce vaste chantier s’est appuyé sur les nombreuses contributions issues des juridictions et sur les études confiées à plusieurs institutions et groupes de travail (3), qui ont abouti à 268 recommandations, qui ont-elles-mêmes fait l’objet d’un débat national les 10 et 11 janvier 2014. Ces travaux se sont conclus par la présentation, le 10 septembre 2014, en Conseil des ministres, de quinze actions pour la justice du XXIème siècle.
Certaines de ces actions ont déjà trouvé une application concrète. Ainsi, plus d’une cinquantaine de juridictions expérimentent, depuis le mois de septembre 2014, le dispositif d’accueil unique du justiciable, l’assistance des magistrats par des greffiers ou encore le développement des partenariats avec les universités.
Il convient, désormais, de parachever cette réforme, en adoptant son volet législatif.
Alors que la dernière réforme de l’organisation judiciaire et de la procédure juridictionnelle date de 2011 (4), le projet de loi qui est aujourd’hui soumis à l’Assemblée nationale porte l’ambition d’une justice plus accessible, plus efficace et mieux adaptée à notre temps. Il vise ainsi à :
– rapprocher la justice du citoyen ;
– favoriser les modes alternatifs de règlement des différends ;
– recentrer le juge sur son cœur de métier ;
– améliorer l’organisation et le fonctionnement du service de la justice ;
– développer les actions collectives, que ce soit devant le juge judiciaire ou devant le juge administratif ;
– réformer la justice commerciale ;
– améliorer le traitement des entreprises en difficulté.
Votre commission des Lois a apporté de nombreuses modifications au texte adopté par le Sénat, afin d’en affermir l’ambition et de tenir compte des évolutions intervenues depuis le mois de novembre 2015 et des nouvelles priorités de la Chancellerie définies par M. Jean-Jacques Urvoas, devenu, en janvier 2016, ministre de la Justice.
À l’issue de la cinquantaine d’auditions qu’ils ont menées et des trois déplacements qu’ils ont effectués au service d’accès unique à la justice du tribunal de grande instance de Lorient, sis à la maison de justice et du droit de Pontivy, à la cour d’appel et au tribunal de grande instance de Poitiers ainsi qu’au tribunal de grande instance de Chalon-sur-Saône, vos rapporteurs considèrent que l’ambition portée par le présent projet de loi est désormais à la hauteur des défis auxquels la justice est confrontée. Ce projet de loi est bien celui de la modernisation de la justice du XXIème siècle.
Rapprocher la justice du citoyen en garantissant mieux l’accès au droit et à la justice est un objectif fondamental que l’État se doit d’assurer dans une démocratie (titre Ier). Cela impose, notamment, de permettre au citoyen de régler son litige le plus rapidement possible, le cas échéant de manière négociée avant la saisine du juge et même une fois ce dernier saisi (titre II).
La première ambition du présent projet de loi est d’améliorer l’accès des citoyens à la justice. 82 % des citoyens considéreraient que la justice doit être plus proche d’un point de vue géographique et plus accessible grâce aux outils technologiques actuels (5).
Le projet de loi propose ainsi de renforcer la politique d’accès au droit à travers la consécration des principes de l’égal accès au droit et à la justice et l’extension des missions et de la composition des conseils départementaux de l’accès au droit (article 1er). Pour faciliter l’accès des citoyens à la justice, il fait également le choix de généraliser sur l’ensemble du territoire l’expérience positive des services d’accueil unique du justiciable, dont la vocation est de gommer la complexité de l’organisation judiciaire pour nos concitoyens (article 2).
Votre commission des Lois a renforcé cette démarche :
– en prévoyant, à l’article 1er, qu’il serait possible au président du tribunal de grande instance et au procureur de la République de désigner plusieurs associations membres d’un conseil départemental de l’accès au droit, y compris une association œuvrant dans le domaine de la conciliation ; elle a, en revanche, préféré les termes d’accès des citoyens au « service de la justice » à ceux proposés initialement par le Gouvernement, qui se référait au « service public de la justice », afin d’éviter toute confusion entre l’organisation des services de la justice, qui relève du service public, et le fonctionnement de la justice, fondé sur le principe d’indépendance des magistrats en raison de la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire ;
– en introduisant un article 2 bis faisant obligation aux professionnels du droit et du chiffre de proposer à leurs clients une relation numérique dans un format garantissant l’interopérabilité des échanges.
B. RENDRE LA JUSTICE PLUS RAPIDEMENT GRÂCE À LA PROMOTION DES MODES ALTERNATIFS DE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS
Les modes alternatifs de règlement des différends sont variés : conciliation, médiation, convention de procédure participative, transaction, arbitrage… Ils sont toutefois très peu utilisés alors qu’ils pourraient répondre à la demande des Français : 50 % d’entre eux considèrent qu’il n’est pas nécessaire d’avoir recours au juge pour certaines affaires civiles, et près des trois quarts se disent d’accord sur le fait de ne recourir au juge de façon systématique que dans les cas les plus graves dans le domaine pénal.
Le projet de loi propose donc de favoriser les modes alternatifs de règlement des différends en tirant les conséquences des conclusions de la mission interministérielle d’évaluation de la médiation et de la conciliation mise en place en partenariat avec l’inspection générale des services judiciaires et le secrétariat général pour la modernisation de l’action publique.
L’article 3 introduit l’obligation pour tout justiciable de procéder à une tentative de conciliation avant de saisir la juridiction de proximité ou le tribunal d’instance, sauf exceptions limitatives. L’article 4 étend le champ de la médiation administrative aux litiges nationaux et maintient la distinction entre la conciliation administrative – gratuite – et la médiation administrative – rémunérée. L’article 5 ouvre la possibilité de conclure une convention de procédure participative après la saisine du juge et élargit le champ de cette procédure à la mise en état du litige. L’article 6 clarifie les dispositions des articles 2044 et 2052 du code civil relatifs à la transaction pour tirer les conséquences des apports essentiels de la jurisprudence en la matière. De même, l’article 7 clarifie l’utilisation de la notion d’arbitrage dans le code civil pour éviter tout risque de confusion ou de mauvaise interprétation.
Votre commission des Lois s’est inscrite dans cette optique, en proposant de :
– simplifier la rédaction de l’alinéa 1er et supprimer l’alinéa 5 de l’article 3 relatif à la conciliation obligatoire avant la saisine du tribunal d’instance, sans en changer la portée ;
– rétablir le 5° de l’article 6 – qui avait été supprimé au Sénat – pour abroger les articles 2047 et 2053 à 2058 du code civil relatifs à la transaction, devenus inutiles ;
– compléter l’article 7 afin de réécrire l’article 2061 du code civil de manière à autoriser désormais la clause compromissoire dans les relations entre particuliers et préciser que la clause doit avoir été expressément acceptée par la partie à laquelle on l’oppose, à moins que celle-ci n’ait succédé aux droits et obligations de la partie qui l’a initialement acceptée.
Votre Commission a par ailleurs adopté trois articles additionnels visant à promouvoir l’utilisation des modes alternatifs de règlement des différends, sauf en cas de violences intrafamiliales :
– l’article 4 bis, introduit à l’initiative de Mme Catherine Coutelle, présidente de la Délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes, après avis favorable des rapporteurs et du Gouvernement, a en effet pour objet d’écarter la possibilité pour le juge d’enjoindre aux parties de procéder à une médiation familiale en cas de violences intrafamiliales commises sur l’un des parents ou sur l’enfant ;
– l’article 4 ter, introduit à l’initiative de vos rapporteurs, propose, malgré des réticences du Gouvernement, de généraliser l’expérimentation prévue par l’article 15 de la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 qui avait prévu que la saisine du juge par les parents aux fins de modification d’une décision fixant les modalités de l’exercice de l’autorité parentale ou la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant, devait être précédée, sous peine d’irrecevabilité, d’une tentative de médiation familiale ;
– l’article 4 quater, introduit à l’initiative de vos rapporteurs, contre l’avis du Gouvernement, propose de créer une liste de médiateurs établie par le premier président de la cour d’appel, répondant ainsi à une préoccupation de l’ensemble des médiateurs auditionnés qui les ont alertés sur le risque de « faux » médiateurs, n’ayant ni l’expérience requise, ni la formation adéquate.
Se fondant sur l’idée selon laquelle 96 % des Français estiment que les procédures doivent être simplifiées et l’information sur le fonctionnement de la justice en général améliorée, le titre III du présent projet de loi ambitionne d’améliorer l’organisation du service de la justice à travers :
– une simplification de la répartition des contentieux entre les juridictions (chapitre I ; articles 8, 9 et 10) ;
– la modernisation du statut des magistrats (articles 11 et 12), une précision concernant les modalités de désignation des experts judiciaires (article 13) et l’introduction d’un dispositif de mutualisation des greffiers (article 13 bis) au sein du chapitre II ;
– la dématérialisation des actes de procédure pénale effectués par des officiers de police judiciaire (chapitre III ; article 14) ;
– la représentation obligatoire devant la chambre criminelle de la Cour de cassation (chapitre V ; article 15).
Votre commission des Lois a, pour sa part, largement complété le titre III en adoptant 25 articles additionnels portant sur des sujets variés, comme par exemple la procédure pénale (chapitre III), l’organisation et le fonctionnement de la justice des mineurs (chapitre III bis), la répression de certaines infractions routières (rétablissement du chapitre IV) ou encore la procédure devant la Cour de cassation (chapitre V).
Le chapitre Ier du titre III du projet de loi propose principalement de simplifier l’organisation judiciaire à travers :
– le transfert des compétences des tribunaux des affaires de sécurité sociale (TASS), des tribunaux du contentieux de l’incapacité (TCI) et de certaines compétences des commissions départementales d’aide sociale (CDAS) au tribunal de grande instance : ainsi, sur proposition du Gouvernement et suivant l’avis favorable de vos rapporteurs, la Commission a réécrit l’article 8 du projet de loi. La différence essentielle entre ce nouveau texte et celui adopté par le Sénat tient au transfert du contentieux des TASS, des TCI et d’une partie du contentieux des CDAS au tribunal de grande instance et non à une nouvelle juridiction, dénommée par le Sénat « Tribunal des affaires sociales » ;
– le recentrage des tribunaux d’instance sur leur mission de proximité grâce au transfert de l’ensemble des contentieux en matière pénale au siège des tribunaux de grande instance : votre Commission a accordé une compétence d’attribution au tribunal de grande instance en matière de réparation des dommages corporels (article 9) et confirmé le transfert des audiences du tribunal de police du tribunal d’instance vers le tribunal de grande instance pour créer un véritable bloc de compétence en matière pénale au sein du tribunal de grande instance (article 10).
Votre Commission a également confirmé le dispositif de forfaitisation des contraventions de la cinquième classe instauré par le Sénat (article 10).
Elle a, enfin, adopté, sur proposition du Gouvernement, suivant l’avis favorable de vos rapporteurs, un article additionnel 10 bis, qui vise à pallier les difficultés de gestion rencontrées dans les tribunaux d’instance depuis les transferts d’attributions aux greffiers en chef – devenus « directeurs de service des greffes – de la délivrance des certificats de nationalité et de la vérification des comptes de tutelle prévues par la loi du 8 février 1995. Cet article modifie les occurrences de l’ancienne appellation de « greffier en chef » et permet aux chefs de cour, en gestion, de déléguer ces attributions, à titre exceptionnel, en l’absence de directeur des services de greffe au tribunal d’instance, à un directeur des services de greffe d’une autre juridiction du ressort de la cour d’appel ou, à défaut, au greffier chef de greffe du tribunal d’instance.
Le chapitre II du titre III du projet de loi adopté au Sénat comprenait quatre articles relatifs à la modernisation du statut du juge des libertés et de la détention (article 11), aux obligations de récusation et de déport des magistrats (article 12), aux modalités de désignation des experts judiciaires sur la liste nationale de la Cour de cassation (article 13), et à l’introduction d’un dispositif de mutualisation des greffiers (article 13 bis).
Votre commission des Lois n’a pas modifié l’article 12 et n’a apporté que des modifications rédactionnelles à l’article 13.
Elle a, en revanche, profondément modifié l’article 11 voté par le Sénat relatif au juge des libertés et de la détention. Ainsi, par coordination avec les amendements adoptés sur le projet de loi organique n° 3200 également soumis à l’examen de votre Commission, elle a adopté deux amendements identiques de Mme Cécile Untermaier et du Gouvernement, après avis favorable de vos rapporteurs, afin de rétablir la réforme du statut du juge des libertés et de la détention proposée dans le projet de loi initial (nomination par le Président de la République après avis du Conseil supérieur de la magistrature pour une durée de dix ans maximum), mais dans une rédaction améliorée pour :
– privilégier le remplacement du juge des libertés et de la détention statutaire, par priorité, par un magistrat du premier grade et seulement, à défaut, par un magistrat du second grade ;
– préciser les cas dans lesquels il revient au président du tribunal de grande instance de « remplacer provisoirement » le juge des libertés et de la détention statutaire. Il s’agit ainsi des cas de vacance d’emploi, d’absence ou d’empêchement.
Votre Commission a également, sur proposition de vos rapporteurs et de MM. Sergio Coronado et Paul Molac, supprimé l’article 13 bis qui introduisait un dispositif de mutualisation des greffes sur décision du président du tribunal de grande instance.
Enfin, votre Commission a complété le chapitre II en adoptant six articles additionnels :
– l’article 11 A, adopté sur proposition du Gouvernement après avis favorable de vos rapporteurs, supprime toute référence légale à la notion de « juge de proximité » à compter du 1er janvier 2017. Il tire ainsi les conséquences de l’intégration des juges de proximité dans le statut des magistrats exerçant à titre temporaire, prévue par le projet de loi organique également soumis à l’examen de votre Commission ;
– l’article 12 bis, adopté à l’initiative de vos rapporteurs après avis favorable du Gouvernement, modernise la prestation de serment des assesseurs du tribunal pour enfant en supprimant l’adverbe « religieusement » à l’article. L. 251-5 du code de l’organisation judiciaire, et l’aligne sur celle des magistrats professionnels prévue par le projet de loi organique précité ;
– l’article 12 ter, adopté à l’initiative de MM. Sergio Coronado et Paul Molac, après avis favorable de vos rapporteurs et du Gouvernement, permet à un magistrat d’un tribunal de grande instance, victime d’une infraction, de saisir un autre tribunal que ceux mentionnés par l’alinéa 1er de l’article 382 du code de procédure pénale, afin d’éviter tout risque de conflit d’intérêt ;
– l’article 13 bis A, adopté à l’initiative de vos rapporteurs après avis favorable du Gouvernement, impose désormais aux conseils de l’ordre de communiquer au Conseil national des barreaux la liste des avocats inscrits au tableau de l’ordre, ainsi que la mise à jour périodique de cette liste, et confie à ce dernier la mission d’établir un annuaire national des avocats consultable sur internet ;
– l’article 13 bis B, adopté à l’initiative du Gouvernement après avis favorable de vos rapporteurs, confère au Conseil national des barreaux le pouvoir de déterminer, en concertation avec le ministère de la Justice, les modalités et conditions de mise en œuvre du réseau indépendant à usage privé des avocats aux fins d’interconnexion avec le réseau privé virtuel du ministère de la Justice ;
– enfin, l’article 13 ter, adopté à l’initiative du Gouvernement après avis favorable de vos rapporteurs, propose de créer un corps de juristes assistants auprès des juridictions judiciaires, afin de permettre aux magistrats de se recentrer sur leur métier et de constituer des équipes autour d’eux.
Votre commission des Lois a complété le chapitre III du titre III du projet de loi, qui ne portait que sur l’article 14 relatif à la dématérialisation des actes de procédure pénale effectués par des officiers de police judiciaire et qu’elle n’a pas modifié, à travers l’adoption de trois articles additionnels :
– l’article 14 bis, introduit à l’initiative du Gouvernement après avis favorable de vos rapporteurs, reprend les dispositions du projet de loi n° 1323 déposé le 24 juillet 2013 sur le Bureau de l’Assemblée nationale afin de remplacer la collégialité obligatoire et systématique de l’instruction prévue à compter du 1er janvier 2017 par des dispositions permettant que seules les décisions essentielles de l’instruction puissent être prises par une formation collégiale composée de trois juges d’instruction, soit à la demande des parties, soit à la demande des magistrats ;
– l’article 14 ter, introduit à l’initiative du Gouvernement après avis favorable de vos rapporteurs, étend les compétences des pôles de santé publique de Paris et Marseille afin d’inclure dans leur champ les affaires concernant les pratiques médicales, paramédicales ou esthétiques réglementées qui constituent des infractions pénales, ainsi que les prestations de service médicales, paramédicales ou esthétiques réglementées, d’une part, et les affaires concernant les infractions de dopage prévues par le code du sport, d’autre part ;
– l’article 14 quater, introduit à l’initiative du Gouvernement après avis favorable de vos rapporteurs, étend la compétence des juridictions du littoral spécialisé aux atteintes aux biens culturels maritimes réprimées par la section 2 du chapitre 4 du titre IV du livre V du code du patrimoine afin de renforcer la protection du patrimoine subaquatique français.
À l’initiative du Gouvernement, et après avis favorable de vos rapporteurs, votre commission des Lois a introduit un chapitre III bis nouveau au sein du titre III relatif à l’amélioration de l’organisation et du fonctionnement de la justice des mineurs, qui comprend désormais six articles additionnels :
– l’article 14 quinquies, adopté à l’initiative du Gouvernement après avis favorable de vos rapporteurs, modifie la rédaction de l’article L. 228-4 du code de l’action sociale et des familles issue de l’ordonnance n° 2014-1543 du 19 décembre 2014 portant diverses mesures relatives à la métropole de Lyon, afin de rétablir la sécurité juridique nécessaire à la désignation du département compétent pour la prise en charge des frais d’aide sociale à l’enfance. Désormais, seuls les départements dont les ressorts des tribunaux de grande instance s’étendent sur plusieurs départements ou sur une métropole et un département seront concernés par l’évolution portée par l’ordonnance du 19 décembre 2014. Dans les autres cas, les prestations d’aide sociale à l’enfance seront prises en charge par le département du siège de la juridiction qui a prononcé la mesure en première instance, comme auparavant ;
– l’article 14 sexies, adopté à l’initiative du groupe Socialiste, républicain et citoyen et de M. Alain Tourret, après avis favorable de vos rapporteurs et du Gouvernement, supprime les tribunaux correctionnels pour mineurs institués par la loi n° 2011-939 du 10 août 2011, pour des raisons organisationnelles, juridiques et pratiques ;
– l’article 14 septies, adopté à l’initiative du Gouvernement après avis favorable de vos rapporteurs, tend à généraliser, aux fins de renforcement de la spécialisation de la justice des mineurs et d’amélioration de l’individualisation des réponses pénales apportées en la matière, un principe de cumul entre les peines et les mesures éducatives dans le cadre de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante ;
– l’article 14 octies, adopté à l’initiative du Gouvernement après avis favorable de vos rapporteurs, rétablit la convocation par officier de police judiciaire aux fins de jugement devant le juge des enfants, supprimée en 2011. Il promeut également la césure du procès pénal des mineurs ;
– l’article 14 nonies, adopté à l’initiative du Gouvernement après avis favorable de vos rapporteurs, favorise également la césure du procès pénal des mineurs et homogénéise son régime en fixant expressément l’échéance de la décision finale sur la sanction au plus tard un an après la première décision d’ajournement ;
– l’article 14 decies, adopté à l’initiative du Gouvernement après avis favorable de vos rapporteurs, rétabli un fondement légal au recours à la force publique pour l’exécution des mesures éducatives de placement prononcées par un juge dans le cadre pénal.
Le Sénat avait supprimé le chapitre IV du projet de loi initial relatif aux dispositions améliorant la répression de certaines infractions routières, qui ne comportait qu’un seul article 15.
Celui-ci proposait, initialement, de transformer en contraventions de la cinquième classe les délits de défaut de permis de conduire et de défaut d’assurance, et de les forfaitiser, lorsque ces faits seront constatés pour la première fois sauf dans certaines circonstances. Cette disposition, qui avait suscité un fort émoi de la part des associations de lutte contre l’insécurité routière en raison de la suppression de la nature délictuelle des faits reprochés, avait finalement été supprimée, à l’initiative du Gouvernement, au cours des débats.
Votre commission des Lois a maintenu la suppression de l’article 15 mais elle a rétabli le chapitre IV pour introduire trois articles additionnels tendant à améliorer la répression de certaines infractions routières :
– l’article 15 A, adopté à l’initiative du Gouvernement après avis favorable de vos rapporteurs, prévoit de nouvelles mesures de lutte contre l’insécurité routière proposées par le comité interministériel de sécurité routière le 2 octobre 2015 : extension des possibilités de contrôle-sanction automatisé et de vidéo-verbalisation ; obligation pour les personnes morales propriétaires ou locataires d’une flotte de véhicules de communiquer l’identité de la personne physique qui conduisait au moment des faits, afin d’éviter son impunité notamment en matière de perte de points, sous peine de contravention de la quatrième classe ; création d’un délit spécifique de conduite d’un véhicule en faisant usage d’un permis de conduire faux ou falsifié ; renforcement des possibilités d’immobilisation administrative, à titre provisoire, en cas de grands excès de vitesse ; généralisation de la mesure d’interdiction de conduire un véhicule non équipé d’un dispositif homologué d’anti-démarrage par éthylotest électronique ; précisions, dans le code de procédure pénale, nécessaires à la forfaitisation des contraventions de la cinquième classe ;
– l’article 15 bis A, adopté à l’initiative de vos rapporteurs après avis favorable du Gouvernement, propose d’appliquer la procédure d’amende forfaitaire aux délits de défaut de permis de conduire ou de défaut d’assurance. Pour le délit de conduite sans permis, l’amende forfaitaire est fixée à 800 euros, minorée à 640 euros et majorée à 1600 euros ; pour le délit de conduite sans assurance, l’amende forfaitaire est fixée à 500 euros, minorée à 400 euros et majorée à 1000 euros. Contrairement à l’article 15 du projet de loi initial, il ne prévoit plus de transformer en contravention les délits de conduite sans permis et de conduite sans assurance ;
– l’article 15 bis B, adopté à l’initiative du Gouvernement après avis favorable de vos rapporteurs, introduit diverses dispositions nouvelles pour lutter contre les contournements de la loi en matière d’infractions routières : création d’un permis à points virtuel pour les contrevenants non-résidents sur le territoire national ; amélioration de la connaissance statistique des accidents de la route ; possibilité, pour les forces de l’ordre notamment, d’accéder aux données et informations du véhicule et aux systèmes de diagnostic embarqués, dans le cadre du contrôle et du respect des dispositions techniques liées aux véhicules ; désignation d’une personne titulaire du permis de conduire correspondant au type de véhicule à immatriculer pour procéder à l’immatriculation de ce véhicule.
Le chapitre V du titre III, introduit par voie d’amendement en séance publique au Sénat, à l’initiative de MM. Jacques Mézard et Pierre-Yves Collombat, contre l’avis du rapporteur et du Gouvernement, s’intitulait : « Dispositions améliorant les procédures pénales ». Il ne comportait qu’un seul article 15 bis qui pose le principe de la représentation obligatoire devant la chambre criminelle de la Cour de cassation par un avocat au conseil.
Renommé à l’initiative du Gouvernement « Dispositions relatives à la procédure devant la Cour de cassation », le chapitre V comporte désormais sept articles, dont l’article 15 bis modifié et six articles additionnels (articles 15 ter à 15 octies).
S’agissant de l’article 15 bis, votre Commission a considéré, suivant l’avis de vos rapporteurs, qu’il ne pouvait être adopté en l’état compte tenu du risque d’entrave potentielle à l’accès au juge. Elle a donc adopté une rédaction alternative, proposée par le Gouvernement, qui limite la représentation obligatoire par un avocat en cas de pourvoi en cassation devant la chambre criminelle aux seules condamnations ayant prononcé une peine autre qu’une peine privative de liberté sans sursis. En outre, la déclaration de pourvoi prévue aux articles 576 et 577 du code de procédure pénale reste dispensée de représentation obligatoire.
L’article 15 ter, adopté à l’initiative du Gouvernement après avis favorable de vos rapporteurs, élargit les cas de cassation sans renvoi « lorsque l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie », afin de ne pas prolonger inutilement le litige et d’y mettre fin dans des cas où le renvoi à la juridiction ayant prononcé la décision cassée n’est pas opportun. Un décret en Conseil d’État déterminera les modalités d’application de cette disposition.
L’article 15 quater, adopté à l’initiative du Gouvernement après avis favorable de vos rapporteurs, permet à la Cour de cassation de solliciter, avant toute décision, un éclairage auprès de personnalités ou d’organismes extérieurs sur des questions de toute nature, pour évaluer au mieux les conséquences possibles d’une solution jurisprudentielle en matière économique, sociale ou éthique notamment.
L’article 15 quinquies, adopté à l’initiative du Gouvernement après avis favorable de vos rapporteurs, consacre le rôle du parquet de la Cour de cassation. Celui-ci est non seulement partie prenante du processus de décision et formule des avis dans l’intérêt de la loi mais est aussi jurisconsulte de la Cour, pouvant à ce titre prendre attache auprès des différentes parties prenantes pour anticiper l’impact des décisions prises par la Haute juridiction.
L’article 15 sexies, adopté à l’initiative du Gouvernement après avis favorable de vos rapporteurs, simplifie les modalités de saisine pour avis de la Cour de cassation.
L’article 15 septies, adopté à l’initiative de vos rapporteurs, après un avis de sagesse du Gouvernement, introduit une nouvelle procédure dans le code de l’organisation judiciaire, dite de « réexamen en matière civile », qui permet à toute personne de voir sa cause réexaminée en matière d’état des personnes après un constat de violation de la Cour européenne des droits de l’homme ayant donné lieu à une satisfaction équitable qui ne met pas fin aux conséquences dommageables.
Enfin, l’article 15 octies, relativement mal placé dans le texte adopté par votre Commission des Lois, est en réalité en lien avec le nouveau chapitre III bis relatif à l’amélioration de l’organisation et du fonctionnement de la justice des mineurs. Adopté à l’initiative de M. Philippe Gosselin après avis favorable de vos rapporteurs, il reconnaît explicitement aux fondations reconnues d’utilité publique le droit à se constituer partie civile en cas d’atteintes volontaires à la vie et à l’intégrité d’un mineur.
III. RECENTRER LES JURIDICTIONS SUR LEURS MISSIONS ESSENTIELLES ET SIMPLIFIER LES DÉMARCHES DES CITOYENS
Le présent projet de loi propose, dans son titre IV, de recentrer les juridictions sur leur fonction essentielle de jugement et de simplifier les procédures en matière civile, mais également, à l’initiative de votre commission des Lois, en matière de consommation, d’une part, et d’urbanisme et d’habitat, d’autre part.
L’article 16 prévoit de simplifier les règles de succession applicables au légataire universel en l’absence d’héritiers réservataires, en supprimant le recours systématique au juge dans la procédure d’envoi en possession et en renforçant le rôle du notaire.
Introduits à l’initiative du Sénat, les articles 16 bis et 16 ter ouvrent au notaire la possibilité de recevoir les déclarations de renonciation à succession et d’acceptation d’une succession à concurrence de l’actif net, qui sont aujourd’hui adressées au greffe du tribunal de grande instance.
À l’initiative du Gouvernement, votre Commission a, par ailleurs, renforcé le rôle du notaire dans la procédure de succession vacante (article 16 quater).
S’agissant des unions, votre Commission a rétabli l’article 17 supprimé par le Sénat, qui prévoit le transfert de l’enregistrement des pactes civils de solidarité des greffes des tribunaux de grande instance vers les officiers de l’état civil. Elle a, par ailleurs, précisé le sens de l’article 17 bis introduit par le Sénat, en indiquant qu’il revient au maire, et non au conseil municipal, d’autoriser l’usage d’un bâtiment communal autre que la mairie pour la célébration des mariages, sous le contrôle du procureur de la République.
Pour ce qui concerne les séparations, votre Commission a adopté, sur proposition du Gouvernement, l’article 17 ter, qui prévoit une nouvelle procédure de divorce par consentement mutuel, ne nécessitant plus l’intervention du juge, mais se traduisant par un acte sous signature privée contresigné par les avocats des parties et déposé au rang des minutes d’un notaire.
Tout un ensemble de dispositions sont prévues pour faciliter la tâche des officiers de l’état civil et des tribunaux de grande instance, mais aussi simplifier les démarches des usagers :
– la modernisation des règles de tenue des registres de l’état civil dans le cadre du développement des technologies de l’information (article 18) ;
– la simplification de la procédure d’erreur de rectification ou d’omission matérielle (article 18 ter), introduite par le Sénat ;
– la simplification des démarches de vérification de l’état civil à l’occasion des mariages et des décès (article 18 bis A), introduite par votre Commission ;
– la précision des règles de publicité des actes de l’état civil (article 18 bis B), introduite par votre Commission ;
– la simplification des procédures en matière de changement de prénom (article 18 quater) et de nom (article 18 quinquies), souhaitée par votre Commission.
Avec le même objectif de faciliter les démarches des usagers, l’article 18 bis porte le délai de déclaration de naissance, à l’initiative du Sénat, de trois à huit jours lorsque l’éloignement entre le lieu de naissance et celui de déclaration le justifie, et, à l’initiative de votre Commission, de trois à cinq jours s’agissant du droit commun.
Dans un objectif de simplification et d’accélération des procédures de traitement des cas de surendettement, l’article 18 sexies, introduit par votre Commission sur proposition du Gouvernement, supprime l’homologation judiciaire de certaines décisions des commissions de surendettement.
Dans le même objectif de simplification des procédures et d’allègement des tribunaux, l’article 18 septies, introduit par votre Commission sur proposition du Gouvernement, transfère au maire ou à l’Agence nationale de l’habitat (ANAH) la compétence aujourd’hui dévolue au ministère public dans le cadre de la procédure de remise en usage de logement des locaux irrégulièrement transformés.
Le présent projet de loi a comme priorité le développement des actions collectives.
À cet effet, son titre V est consacré à l’action de groupe, procédure qui permet à un même demandeur de représenter les intérêts en justice d’un groupe indéterminé d’individus lésés par le comportement d’une même personne. Il définit les règles procédurales communes ayant vocation à s’appliquer devant le juge judiciaire, d’une part, et devant le juge administratif, d’autre part, puis ouvre son champ à la lutte contre les discriminations, avec une déclinaison spécifique pour les discriminations au travail, mais également, à l’initiative de votre Commission, à l’environnement et à la protection des données à caractère personnel.
Avec le même objectif, son titre V bis crée, devant le juge administratif, l’action en reconnaissance de droits.
Deux actions de groupe ont été créées par la loi : en matière commerciale (6) et en matière de santé (7). La première connaît une montée en puissance certaine, la seconde n’entrera en vigueur que le 1er juillet 2016.
Si ces deux procédures présentent un grand nombre de similarités, il a été décidé, afin de prévenir le risque de multiplication de procédures d’action de groupe aux règles très différentes, de créer, dans le présent projet de loi, un cadre commun aux actions de groupe, qui va d’ailleurs, à l’initiative de votre Commission, trouver à s’appliquer à l’action de groupe en matière de santé (article 45 quater), celle en matière commerciale demeurant toutefois en dehors de ce cadre (article 46).
Le présent projet de loi ouvre par ailleurs la voie à des actions de groupe dans les domaines de :
– la lutte contre les discriminations ;
– la protection de l’environnement ;
– la protection des données à caractère personnel.
Les règles communes sont définies aux articles 20 à 42 s’agissant de l’action de groupe devant le juge judiciaire et à l’article 43 pour la procédure devant le juge administratif.
Elles s’appliquent, sauf disposition contraire, aux actions de groupe en matière de lutte contre les discriminations, ainsi, comme l’a ajouté votre Commission, qu’à celles en matière de santé, d’environnement et de protection des données à caractère personnel (articles 19 et 43).
Le champ d’application retenu est volontairement large : l’action peut être engagée dès lors que plusieurs personnes, placées dans une situation similaire, ont subi un dommage causé par une même personne, ayant pour cause un manquement de même nature aux obligations légales ou contractuelles du défendeur.
En outre, alors que les actions de groupe en matière de consommation et de santé sont uniquement des actions en responsabilité, destinées à obtenir réparation du dommage causé, le cadre général prévoit que l’action de groupe peut porter soit sur une action en responsabilité, soit sur une action en manquement, soit simultanément sur l’une ou sur l’autre (article 20).
Votre Commission a souhaité confirmer le caractère large du champ ainsi retenu, en revenant sur la restriction, apportée par le Sénat, du champ des victimes aux seules personnes physiques, ce qui excluait, de fait, les personnes morales. Elle a, dans la même logique, supprimé la référence au caractère individuel des préjudices qui pouvaient être réparés, qui avait été introduite par le Sénat.
La qualité à agir est reconnue aux associations (article 21). Là où le Sénat avait précisé que seules les associations agréées au niveau national étaient concernées, votre Commission a préféré retenir une acception plus large couvrant les associations agréées – sans préciser si c’est au niveau national ou régional – mais également les associations déclarées depuis au moins cinq ans et dont l’objet statutaire comporte la défense des intérêts auxquels il a été porté atteinte.
L’introduction de l’instance est subordonnée à une mise en demeure préalable (article 22).
Si l’action a pour objet la cessation d’un manquement, il revient au juge qui constate l’existence de ce manquement d’enjoindre au défendeur, le cas échant sous astreinte, d’y mettre fin (article 23).
Si l’action a pour objet la réparation des préjudices, la procédure comprend deux phases.
La première, dite du « jugement sur la responsabilité », conduit le juge à statuer sur la responsabilité du défendeur, à poser les critères permettant de définir le groupe des victimes, à fixer le délai ouvert à ces dernières pour adhérer au groupe (article 24) – à cet égard, votre commission des Lois a supprimé le délai d’adhésion de deux à six mois qui avait été ajouté par le Sénat –, mais également à ordonner les mesures de publicité destinées à faire connaître le jugement aux victimes (article 25).
La seconde phase, dite de « l’indemnisation des préjudices », recouvre l’adhésion au groupe et la liquidation des préjudices.
À cet égard, l’article 26 ouvre la possibilité au juge d’ordonner une procédure collective, plutôt qu’individuelle, de liquidation des préjudices, ce qui constitue une novation par rapport aux règles des actions de groupe existantes.
La procédure individuelle, définie aux articles 27, 28 et 29, reprend les dispositions régissant les actions de groupe existantes. Ainsi, l’adhésion des victimes au groupe défini par le juge prend la forme d’une demande de réparation adressée au défendeur ou au requérant, ce dernier recevant ainsi mandat aux fins d’indemnisation. Il revient au défendeur déclaré responsable d’indemniser chaque victime remplissant les critères de rattachement au groupe et ayant adhéré à celui-ci. En cas de refus de sa part, les personnes concernées peuvent saisir le juge ayant statué sur la responsabilité pour qu’il évalue leur préjudice individuel et ordonne sa réparation.
La procédure collective, posée par les articles 30 et 31, prévoit que l’adhésion au groupe résulte uniquement de la déclaration faite auprès du demandeur, excluant ainsi la possibilité, pour les personnes concernées, de lui adresser directement leur demande d’indemnisation. Cette adhésion vaut mandat au profit du demandeur à l’action aux fins d’indemnisation, le demandeur étant seul compétent pour négocier avec le défendeur le montant de celle-ci, dans les limites fixées par le jugement sur la responsabilité, et pour agir en justice, en cas de refus d’indemnisation. Si un accord intervient entre les parties et qu’il est accepté par les membres du groupe, il fait l’objet d’une homologation de la part du juge. Il ne s’agit pas d’une faculté, comme l’avait indiqué le Sénat, mais bien d’une obligation, comme votre Commission l’a précisé. A également été rétablie la possibilité ouverte au juge d’infliger une amende civile d’un montant maximum de 50 000 euros, au défendeur ou au demandeur, qui ferait obstacle, de manière dilatoire ou abusive, à la conclusion d’un accord, alors que le jugement fixant les préjudices ou en déterminant les règles d’évaluation n’a pas été contesté.
Votre Commission est par ailleurs revenue sur la rédaction retenue par le Sénat pour l’article 32 relatif à la gestion des fonds reçus au titre de l’indemnisation des membres du groupe, qui manquait de clarté. Ces fonds sont déposés, s’ils sont reçus par l’avocat du demandeur, sur son compte ouvert au nom de la caisse des règlements pécuniaires des avocats (CARPA), ou, s’ils sont reçus directement par le demandeur, sur un compte ouvert auprès de la Caisse des dépôts et consignations (CDC), ce compte ne pouvant faire l’objet de mouvements en débit que pour le règlement de l’affaire qui est à l’origine du dépôt.
Conformément à la volonté de promouvoir la médiation qui guide le présent projet de loi, une possibilité d’y recourir est ouverte (articles 33 et 34).
Enfin, l’article 35 prévoit que l’action de groupe suspend la prescription des actions individuelles en réparation des préjudices résultant des mêmes faits jusqu’au jugement sur la responsabilité. Votre Commission a précisé que la prescription était interrompue par l’accord issu d’une médiation. Les préjudices non couverts par l’action de groupe peuvent, par ailleurs, bien entendu faire l’objet d’une action autonome selon les voies de droit commun (article 37). En revanche, il ne peut y avoir plusieurs actions de groupe successives sur un même fondement (article 38).
L’article 41 bis, qui avait été introduit par le Sénat afin d’interdire à un membre d’une profession réglementée de solliciter l’engagement d’une action de groupe, a été supprimé par votre Commission qui considère qu’il convient, en la matière, de s’en remettre aux règles de déontologie de la profession.
L’article 43 transpose, dans le code de justice administrative, le socle commun de l’action de groupe défini en matière judiciaire, tout en tenant compte des spécificités du contentieux administratif.
Compte tenu du parallélisme ainsi introduit, votre Commission y a apporté les mêmes modifications qu’à la procédure devant le juge judiciaire.
● L’article 44 ouvre la voie à une action de groupe en matière de discrimination.
Il définit, à cet effet, les personnes ayant qualité à engager cette action de groupe. Le Sénat en avait restreint le champ aux seules associations titulaires d’un agrément national reconnaissant leur expérience ou leur représentativité dans la lutte contre les discriminations ou dans le domaine du handicap ainsi qu’à celles titulaires d’un agrément national reconnaissant leur expérience et leur représentativité et dont l’objet statutaire comporte la défense d’un intérêt lésé par la discrimination en cause. Votre Commission a considéré qu’en l’espèce la référence à un agrément n’était pas pertinente. Elle a, par conséquent, fait le choix de retenir les associations déclarées depuis au moins cinq ans et agissant pour la lutte contre les discriminations ou dans le domaine du handicap.
L’article 46 définit également l’objet de l’action, qui est la cessation du manquement et, le cas échéant, la réparation des préjudices subis. Votre Commission a, à cet égard, précisé que les préjudices ainsi visés pouvaient être moraux et qu’ils n’étaient pas, comme l’avait prévu le Sénat, nécessairement individuels.
Votre Commission a, par ailleurs, complété la liste des motifs de discrimination établie à l’article 1er de la loi n° 2008-496 du 27 mai 2008 portant diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de la lutte contre les discriminations, sur le fondement desquels l’action de groupe, mais également une action individuelle, peut être lancée. Elle a ainsi harmonisé cette liste avec celle définie par l’article L. 225-1 du code pénal, ce qui permet notamment de viser les discriminations fondées sur l’état de santé.
● L’article 45 ouvre la voie à une déclinaison spécifique de l’action de groupe en matière de discrimination : celle causée par un employeur et relevant du juge judiciaire.
Il définit, en particulier, les personnes ayant qualité à agir. Alors que le Sénat avait reconnu cette qualité aux seuls syndicats de salariés, qu’ils agissent au nom de candidats à un emploi ou à un stage ou bien au nom de salariés, votre Commission a fait un choix clair. Sont ainsi compétents pour les discriminations à l’embauche les syndicats et les associations déclarées depuis au moins cinq ans et agissant pour la lutte contre les discriminations ou dans le domaine du handicap, tandis que seuls les premiers le sont s’agissant des discriminations dans l’emploi.
L’article 45 établit également l’objet de l’action, qui est la cessation du manquement, mais aussi, le cas échéant, comme l’a ajouté votre Commission, la réparation des préjudices subis, quelle que soit leur nature.
Il organise enfin une procédure de négociation avec l’employeur, préalable à l’engagement de l’action de groupe.
Votre Commission a précisé que, sauf en ce qui concerne les candidats à un emploi ou à un stage, seuls sont indemnisables les préjudices nés après la réception de la demande de faire cesser la situation de discrimination adressée à l’employeur.
● L’article 45 bis ouvre la voie à une déclinaison spécifique de l’action de groupe en matière de discrimination : celle résultant d’un employeur et relevant du juge administratif.
La procédure est proche de celle prévue à l’article 45, si ce n’est que les personnes se voyant reconnaître qualité à agir sont, pour les syndicats, ceux de fonctionnaires et ceux, ainsi que l’a rétabli votre Commission, de magistrats.
Votre Commission a supprimé la disposition prévue à l’article 46, qui limitait le champ de l’ensemble des actions de groupe en matière de discrimination aux seuls préjudices qui trouvaient leur origine dans un fait générateur postérieur à l’entrée en vigueur de la loi.
Introduit par votre Commission, l’article 45 ter ouvre l’action de groupe en matière environnementale.
Il est ainsi prévu que lorsque plusieurs personnes physiques, placées dans une situation similaire, subissent des préjudices individuels résultant d’un dommage causé à l’environnement par une même personne, ayant pour cause commune un manquement de même nature à ses obligations légales ou contractuelles, une action de groupe peut être exercée devant une juridiction civile ou administrative.
Cette action peut tendre à la cessation du manquement, à la réparation des préjudices corporels et matériels résultant du dommage causé à l’environnement ou aux deux fins.
Peuvent seules exercer cette action les associations régulièrement déclarées depuis cinq ans au moins, dont l’objet statutaire comporte la défense des victimes de dommages corporels, et les associations agréées de protection de l’environnement.
Introduit par votre Commission, l’article 45 quinquies a pour objet d’ouvrir l’action de groupe en matière de protection des données personnelles.
Il est ainsi prévu que lorsque plusieurs personnes physiques, placées dans une situation similaire, subissent un dommage ayant pour cause commune un manquement de même nature aux dispositions de la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, par un responsable de traitement de données à caractère personnel ou un sous-traitant, une action de groupe peut être exercée devant une juridiction civile ou administrative.
Peuvent seules exercer cette action :
– les associations ayant pour objet statutaire la protection de la vie privée et la protection des données à caractère personnel ;
– les associations de défense des consommateurs représentatives au niveau national et agréées, lorsque le traitement de données à caractère personnel affecte des consommateurs ;
– les syndicats représentatifs de salariés, de fonctionnaires ou de magistrats, lorsque le traitement affecte les intérêts des personnes que leurs statuts les chargent de défendre.
Introduit à l’initiative du Sénat, l’article 46 bis crée une action en reconnaissance de droits individuels devant le juge administratif. Il s’agit d’une nouvelle action collective devant le juge administratif, destinée à traiter les contentieux sériels.
Conformément aux recommandations du rapport sur le rôle de la justice en matière commerciale de Mme Cécile Untermaier et M. Marcel Bonnot déposé en 2013 (8), le projet de loi introduit deux réformes en faveur du renforcement du rôle des tribunaux de commerce : en premier lieu, il étend leur champ de compétences aux litiges entre artisans et, en second lieu, il renforce la légitimité des juges des tribunaux de commerce en leur conférant un véritable statut, proche de celui des magistrats professionnels.
En l’état du droit, les litiges relatifs aux artisans relèvent des tribunaux d’instance. Toutefois, s’ils sont organisés sous la forme d’une société ou s’ils font l’objet d’une procédure collective, le tribunal de commerce devient compétent. Cette répartition des recours entre les juridictions judiciaire et commerciale est un facteur de complexité, peu justifié au regard de la compétence que les tribunaux de commerce ont d’ores et déjà en matière d’artisanat.
À l’initiative du Sénat, l’article 47 a ainsi été complété de manière à étendre les compétences des tribunaux de commerce aux litiges concernant les artisans. Par cohérence, un nouvel article 47 A a également été introduit de manière à rendre cette même catégorie professionnelle éligible aux fonctions de délégué et de juge consulaires. Le principe fondamental de la justice commerciale, à savoir l’élection des juges par leurs pairs, sera ainsi respecté dans le cadre de l’extension de leurs compétences aux artisans.
Vos rapporteurs soulignent, toutefois, que les dispositions adoptées par le Sénat devront être complétées à l’occasion de leur examen en séance pour assurer leur effectivité. Celles relatives à l’éligibilité des artisans aux fonctions de délégué consulaire et de juge devront être précisées de manière à permettre la tenue d’élections. Par ailleurs, pour donner toute sa portée à la réforme proposée, il conviendra d’étendre la compétence des tribunaux de commerce à l’ensemble des litiges relatifs à une activité artisanale, et non aux seuls litiges entre artisans.
L’article 47 introduit au code de commerce un statut pour les juges des tribunaux de commerce reposant sur un ensemble de règles, inspirées de celles applicables aux magistrats professionnels, permettant de mieux encadrer les conditions dans lesquelles ils exercent leurs mandats.
Selon l’article L. 723-7 du code de commerce, le nombre de mandats que peuvent briguer successivement les juges des tribunaux de commerce au sein d’un même tribunal est limité à quatre, ce qui porte le nombre total d’années d’exercice à quatorze au maximum. À l’issue de ces mandats, s’ils souhaitent se représenter, ils doivent respecter une période d’inéligibilité d’un an. Par ailleurs, l’éligibilité n’est soumise à aucune limite d’âge maximale.
Afin d’encourager le renouvellement des juges, le Gouvernement a proposé, dans le projet de loi initial, de supprimer toute possibilité d’exercer un nouveau mandat à la suite de quatre mandats et de plafonner l’âge maximal des candidats éligibles à ces fonctions à soixante-dix ans.
Toutefois, ces dispositions auraient eu pour conséquence de « décimer » les tribunaux de commerce, qui font face à des difficultés de recrutement croissantes et pour lesquels les candidats sont de plus en plus âgés. Par conséquent, le Sénat a souhaité alléger la réforme proposée par le Gouvernement en ne conservant que la seule limitation d’âge de soixante-dix ans.
Les auditions conduites par vos rapporteurs ont toutefois permis de constater que cette solution ne répondait qu’imparfaitement à ces difficultés. Par conséquent, la Commission a adopté une solution de compromis visant à rétablir la limitation à quatre mandats souhaitée par le Gouvernement et à fixer la limite d’âge autorisée pour l’exercice du mandat de juge consulaire à soixante-quinze ans.
De nouvelles obligations déontologiques sont introduites pour les juges des tribunaux de commerce, sur le modèle de celles applicables aux magistrats professionnels.
Les juges devront ainsi adresser une déclaration d’intérêts à leur autorité hiérarchique et se soumettre à un entretien déontologique. Le Sénat a, par ailleurs, introduit une obligation de déclaration de patrimoine pour les présidents de tribunal. Ceux-ci devront l’adresser à la Haute Autorité pour la transparence de la vie politique.
La Commission, qui a approuvé l’ensemble de ces dispositions sous réserve de quelques modifications mineures, les a complétées par un régime de sanctions applicables aux juges en cas de non-respect de leurs obligations déclaratives, semblable à celui prévu pour les magistrats professionnels.
La faible activité de la commission nationale de discipline des juges des tribunaux de commerce a conduit le Gouvernement à renforcer leur régime disciplinaire par une meilleure gradation des sanctions prononçables et à moderniser sa procédure en conférant notamment plus de pouvoirs aux premiers présidents des cours d’appel.
Par ailleurs, l’effectivité de ce nouveau régime disciplinaire est renforcée par le maintien des poursuites pour les juges démissionnaires, auparavant dégagés de toute sanction.
Cette réforme, qui s’inspire de précédents travaux parlementaires, devrait ainsi être bénéfique à la justice commerciale et aux justiciables.
La Commission a également adopté un nouvel article 50 bis qui ratifie l’ordonnance du 29 janvier 2016 relative aux conditions d’accès à la profession de greffier de tribunal de commerce, prise pour l’application de l’article 61 de la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.
B. LES MESURES EN FAVEUR DE L’INDÉPENDANCE DES ADMINISTRATEURS JUDICIAIRES ET DES MANDATAIRES JUDICIAIRES
L’article 48 précise les conditions dans lesquelles les administrateurs et mandataires judiciaires exercent leurs missions relatives aux procédures de traitement des difficultés des entreprises.
À cette fin, il introduit une obligation de formation, crée une spécialisation en matière civile et encadre le recours aux mandataires et administrateurs judiciaires « hors-liste ».
Il précise également le régime des incompatibilités de manière à prévenir tout conflit d’intérêts.
Enfin, il modifie le régime disciplinaire applicable à ces professionnels, en renforçant notamment le suivi de leurs activités par les magistrats inspecteurs régionaux et en précisant les sanctions applicables en cas de manquement.
La Commission a approuvé l’ensemble de ces dispositions tout en introduisant une précision sur les missions des administrateurs provisoires.
L’article 49, qui introduit l’obligation pour les administrateurs et les mandataires judiciaires d’effectuer certains paiements au profit de l’association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS), a été adopté sans modification.
L’article 50 a pour objet de permettre la ratification d’ordonnances relatives à la prévention des difficultés rencontrées par les entreprises, dont l’ordonnance n° 2014-326 du 12 mars 2014 qui réforme substantiellement le droit en la matière, et d’apporter des précisions sur la mise en œuvre des procédures collectives.
De manière à mieux protéger la situation financière des exploitants agricoles, la Commission a introduit un nouveau privilège pour les producteurs agricoles au titre des produits qu’ils auraient livrés à un donneur d’ordre faisant l’objet d’une procédure collective, au cours des trois derniers mois précédant l’ouverture de la procédure.
Elle est également revenue sur la suppression ou la modification de nombreuses dispositions adoptées par le Sénat qui avaient pour effet de fragiliser certaines procédures collectives, à l’instar de la procédure de sauvegarde.
Vos rapporteurs considèrent, en effet, qu’à la suite des nombreuses réformes menées au cours des dernières années pour renforcer ces procédures, il est à présent nécessaire d’assurer une certaine stabilité législative en la matière pour permettre aux entreprises en difficulté de se saisir des moyens mis à leur disposition par le législateur.
La commission des Lois a adopté sans modification plusieurs dispositions de précision ou de simplification à l’instar de celles prévues par :
– l’article 51 qui permet aux avocats de remplir les formalités de publicité foncière pour lesquelles les avoués pouvaient auparavant intervenir ;
– l’article 51 bis qui précise le champ d’application de l’article 43 de la loi n° 2014-344 du 17 mars 2014 relative à la consommation, qui prévoit la réduction de huit à sept ans de la durée des mesures prises pour résorber les situations de surendettement touchant des particuliers.
– l’article 51 ter qui précise les conditions dans lesquelles une autorisation de sortie du territoire pour un mineur peut être donnée par l’un des titulaires de l’autorité parentale ;
– l’article 51 quater qui supprime l’homologation par le juge de l’accord résultant d’une procédure de recouvrement de petites créances ;
– l’article 47 ter qui renforce les compétences de la cour d’appel de Paris en matière de contrôle des décisions prises par le Rapporteur général de l’Autorité de la concurrence.
De nombreuses demandes d’habilitation se sont ajoutées aux habilitations prévues par le texte initial au cours de son examen par la Commission, dans des domaines le plus souvent techniques et précis (articles 52 et 52 bis).
Vos rapporteurs soulignent toutefois la nécessité pour le Gouvernement d’informer le Parlement de l’état d’avancement de ses travaux et de lui transmettre les projets d’ordonnance en amont de leur publication. Le garde des Sceaux en a d’ailleurs pris l’engagement au titre des dispositions relatives à la formation des avocats, en cours de négociation avec la profession.
AUDITION DE M. JEAN-JACQUES URVOAS, GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE, ET DISCUSSION GÉNÉRALE
Lors de sa réunion du mardi 3 mai 2016, la commission des Lois auditionne M. Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux, ministre de la Justice, sur le projet de loi organique, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, relatif aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu’au Conseil supérieur de la magistrature (n° 3200) (Mme Cécile Untermaier, rapporteure) et le projet de loi, adopté par le Sénat après engagement de la procédure accélérée, relatif à l’action de groupe et à l’organisation judiciaire (n° 3204) (M. Jean-Michel Clément et M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteurs).
M. le président Dominique Raimbourg. Nous allons commencer cet après-midi l’examen de deux textes : le projet de loi organique relatif aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu’au Conseil supérieur de la magistrature et le projet de loi relatif à l’action de groupe et à l’organisation judiciaire, connu auparavant sous l’appellation « justice du XXIe siècle », ou « J21 ». Notre Commission a désigné trois rapporteurs : Mme Cécile Untermaier pour le projet de loi organique, MM. Jean-Michel Clément et Jean-Yves Le Bouillonnec pour le projet de loi ordinaire. 530 amendements ont été déposés : 130 sur le projet de loi organique, 400 sur le projet de loi ordinaire.
Nous avons le plaisir d’accueillir M. Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux, ministre de la justice, qui va participer à nos travaux. Je vais lui donner la parole, puis nous entendrons les rapporteurs et ouvrirons une discussion générale.
D’autres réunions sont prévues, ce soir et demain. Afin que nous ne terminions pas nos travaux trop tardivement dans la soirée de demain, je vous invite à être concis et à ramasser vos arguments. Je vous précise, néanmoins, que j’envisage de suspendre nos travaux vers 18 heures, puis de nouveau vers 18 h 45, afin que ceux qui le souhaitent puissent se rendre en séance pour aller voter sur les motions de procédure qui ont été déposées contre la loi réformant le code du Travail, qui est débattue en ce moment.
M. Alain Tourret. Je comprends parfaitement votre préoccupation, monsieur le président. Cependant, je regrette vivement que l’organisation du travail dans notre assemblée soit aussi difficile à saisir : tous nos collègues ne peuvent pas assister à l’audition du garde des Sceaux et à l’examen des amendements sur ce texte qui est, chacun en convient, très important. C’est d’autant plus vrai pour les groupes politiques les moins nombreux, où il est difficile de se répartir le travail.
M. le président Dominique Raimbourg. Dont acte, monsieur Tourret.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux, ministre de la justice. Vous connaissez la situation de la justice aussi bien que moi et, surtout, l’approche que nos concitoyens en ont. L’année dernière, dans le cadre des débats préparatoires à ces projets de loi, Mme Christiane Taubira, qui m’a précédé dans mes fonctions, avait présenté, lors d’une réunion qu’elle avait organisée à l’UNESCO, les résultats d’un sondage révélant l’avis des Français sur leur justice : 80 % d’entre eux estimaient que la justice était trop complexe et trop lente, et 60 % la jugeaient inefficace. Il est à craindre que ceux qui franchissent le seuil des palais de justice, souvent par contrainte, en tant que justiciables, ne partagent ce sentiment : certes, ils sont plus satisfaits des décisions de justice que l’ensemble des Français, mais ils trouvent les procédures longues et onéreuses.
À cette organisation complexe et au fonctionnement peu compréhensible pour nos concitoyens s’ajoute un troisième mal : la tension grandissante entre les moyens octroyés à la justice et les besoins nécessaires à la bonne mise en œuvre de ses missions.
Nous partageons, je le sais, ce diagnostic. Il est de la responsabilité du Gouvernement de vous proposer des remèdes. Tel est l’objet de ces projets de loi. Ils ont été adoptés en Conseil des ministres en juillet 2015 et débattus au Sénat au mois de novembre suivant. Il me revient de vous les présenter aujourd’hui et, surtout, de vous dire la philosophie qui m’a conduit à déposer, sur les 530 amendements que vient d’évoquer M. le président, 105 amendements au nom du Gouvernement : 22 sur le projet de loi organique et 83 sur le projet de loi ordinaire.
À travers ces amendements, je poursuis en réalité quatre objectifs.
En premier lieu, ne pas ouvrir de nouveaux chantiers en l’absence du temps et des finances qui seraient nécessaires. Je ne crois pas utile de semer l’illusion de nouvelles réalisations ; je crois, au contraire, que cela apporterait de la souffrance à ceux qui vivent déjà mal la lenteur de la justice.
En deuxième lieu, ne pas allumer non plus de nouveaux brasiers : ces textes se veulent des textes d’apaisement, qui résolvent, qui dénouent, qui répondent à des problèmes et à des besoins.
Troisième ambition : mieux utiliser les moyens de la justice pour la rendre plus efficace, moins complexe, plus lisible. Cela ne m’exonère naturellement pas de chercher à en obtenir de nouveaux. À cet égard, j’espère qu’il y aura des avancées notables dans le projet de loi de finances pour 2017.
Enfin, quatrième mission : recentrer l’intervention de la justice sur ses missions essentielles, à savoir prendre des décisions par l’application du droit aux litiges qui lui sont soumis. Dans cet esprit, l’un des amendements du Gouvernement vise à rebaptiser le texte « projet de loi de modernisation de la justice du XXIe siècle », afin qu’il retrouve sa filiation avec le projet présenté par Mme Christiane Taubira au Conseil des ministres l’année dernière. Toutes les mesures de ce texte ont vocation à réconcilier les Français avec leur justice.
Il convient de distinguer le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire. Je salue le travail de la rapporteure du projet de loi organique, Mme Cécile Untermaier, qui a déposé 59 amendements, et, avec le même enthousiasme, celui des rapporteurs du projet de loi ordinaire, MM. Jean-Yves Le Bouillonnec et Jean-Michel Clément, qui en ont déposé 132. Chacun a donc fait œuvre utile pour atteindre les objectifs que j’ai exposés.
Le projet de loi organique s’inscrit dans l’engagement du Président de la République de renforcer l’indépendance de la justice et de mettre en œuvre une République exemplaire. Cela passe par des questions statutaires. À ce titre, il vous est proposé, par amendement, de créer un statut pour le juge des libertés et de la détention (JLD), qui serait nommé comme juge spécialisé. C’est la suite logique de l’accroissement continu des pouvoirs qui lui ont été donnés depuis sa création, tant en matière pénale qu’en matière civile : en tant que juge protecteur des libertés individuelles, il contrôle de façon croissante les actes et les décisions les plus intrusives. Ce faisant, je ne fais d’ailleurs qu’engager un mouvement qui méritera d’être poursuivi, car je crois vraiment que le JLD sera le juge de demain. Toutes les réflexions qui viendraient corroborer ou renforcer cette intuition seront les bienvenues.
Un deuxième amendement important au projet de loi organique vise à créer un collège de déontologie des magistrats. Les magistrats disposeront ainsi d’une structure indépendante, dépourvue de pouvoir disciplinaire, qui sera à même de répondre à toutes les questions d’ordre déontologique auxquelles ils peuvent être confrontés dans l’exercice de leurs fonctions.
Troisième élément sur lequel je souhaite appeler votre attention dans ce propos liminaire : l’allongement de deux ans de la durée maximale d’exercice des fonctions des magistrats placés afin de pallier la désaffection pour cette fonction.
Le projet de loi organique est aussi porteur d’une ouverture du corps de la magistrature par la facilitation des détachements judiciaires et par l’élargissement des origines professionnelles permettant d’y accéder.
Il comporte évidemment bien d’autres dispositions, mais je ne veux pas me livrer à un inventaire à la Prévert. Ainsi que le disait Voltaire : « le secret d’ennuyer est celui de tout dire » !
Avec le projet de loi ordinaire, nous entendons rendre la justice plus simple, plus accessible, plus lisible, plus efficace. Si « J21 », le nom communément donné à ce texte, était un adjectif, je voudrais qu’il soit l’antonyme de « kafkaïen » ! Les justiciables ont des attentes et nous devons tenter d’y répondre. Les juridictions ont des besoins et nous devons les entendre. Je n’évoque, là encore, que quelques-unes des principales mesures du texte.
Avec le titre II, nous avons souhaité favoriser le recours aux modes alternatifs de résolution des litiges. À cette fin, nous vous proposons d’instaurer un préalable obligatoire de conciliation par un conciliateur de justice pour les litiges portant sur moins de 4 000 euros. Le juge n’aura donc à examiner que les affaires les plus contentieuses. Pour une meilleure conciliation dans les petits litiges, il faut donner à tous le choix d’organiser le recours à un tiers pour les trancher.
Par ailleurs, le texte vise à autoriser le recours à une convention de procédure participative, même si un juge est déjà saisi du litige. Cette convention peut, dès lors, tendre à la mise en état du litige. C’est dans ce cadre qu’est introduite la conclusion possible d’actes contresignés par avocats, préfiguration de l’acte de procédure d’avocats.
Enfin, nous élargissons les possibilités pour les parties, si elles le désirent, de recourir à une clause compromissoire, c’est-à-dire de faire appel à un arbitre.
Les titres II et IV visent à renforcer l’efficacité du fonctionnement de la justice. Nous vous proposons de travailler à droit constant, sans chercher à contraventionnaliser les délits routiers, en forfaitisant les sanctions pour certains de ces délits tout en respectant le droit actuel. Il s’agit d’un travail à droit constant : nous ouvrons une possibilité sans bouleverser l’existant.
Nous donnons à l’action de groupe un socle procédural commun, décliné en matière de discrimination, de discrimination au travail, mais aussi, désormais, de santé, d’environnement et de données numériques. Nous disposerons ainsi d’un vrai bloc cohérent plutôt que de dispositions éparses dans des textes thématiques.
Pour mieux traiter le contentieux social, nous proposons de regrouper l’ensemble du contentieux au sein d’une seule juridiction présente dans chaque département et comprenant des magistrats spécialisés. À cette fin, le texte prévoit des habilitations relatives, notamment, à la fusion des tribunaux des affaires de sécurité sociale (TASS) et des tribunaux du contentieux de l’incapacité (TCI). Cette mesure fait suite au rapport conjoint de l’inspection générale des services judiciaires et de l’inspection générale des affaires sociales. Le volume des contentieux concernés est important : 100 000 affaires pour les TASS en 2012, 42 500 pour les TCI en 2013.
Un mot particulier sur la justice des mineurs : j’avais déjà eu l’occasion d’indiquer que le Gouvernement était favorable à la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs. Je donnerai donc un avis favorable aux amendements déposés en ce sens par plusieurs groupes politiques.
Le titre IV tend à recentrer le juge sur ses missions essentielles.
Nous proposons de supprimer la procédure d’homologation des plans de surendettement, 98 % d’entre eux ne faisant l’objet d’aucun litige. Nous avons obtenu l’accord de principe de la Banque de France sur cette disposition.
Nous souhaitons transférer aux officiers d’état civil l’enregistrement des pactes civil de solidarité (PACS), ainsi que la procédure de changement de prénom. En 2013, 168 000 PACS ont été conclus. Les officiers d’état civil sont déjà associés à la procédure. En contrepartie, de nouvelles mesures de simplification en matière d’état civil sont proposées aux communes. J’ai évidemment présenté ces dispositions à M. François Baroin, président de l’Association des maires de France (AMF). J’ai veillé à ce que personne ne soit perdant, ni l’État, ni les collectivités territoriales. J’y reviendrai tout à l’heure.
Enfin, concernant le divorce, nous proposons qu’il ne soit plus nécessaire de passer devant un juge pour le divorce par consentement mutuel. Lorsque les parties sont d’accord pour divorcer, il suffira d’un acte signé par les deux avocats représentant chacune d’elles et enregistré par le notaire. Cela ne pourra se faire naturellement que dans certaines conditions, en présence des deux avocats et dans le respect du droit de chaque enfant à être entendu dans le cadre de la procédure.
L’objectif assigné à ce projet de loi de recentrer l’institution judiciaire sur ses missions essentielles vaut aussi pour les juridictions supérieures, notamment la Cour de Cassation. Celle-ci est en effet submergée par un nombre très important de pourvois et éprouve, de ce fait, des difficultés à assurer sa fonction de régulation de l’application du droit et d’unification de la jurisprudence à l’échelle nationale. À l’instar de ce qui a été fait pour ses homologues dans les pays voisins, je vous propose de mettre en place en son sein un système de filtrage des pourvois. En l’espèce, je souhaite soumettre les différentes possibilités au débat.
La justice du XXIe siècle doit être une justice faite pour l’homme, à la mesure de ses besoins, que ce soit en tant que justiciable ou en tant que professionnel. Mon ambition, je vous l’ai dit en préambule, est modeste : par ce texte, je ne cherche qu’à améliorer le service public rendu au justiciable. Il suffit parfois d’une évolution législative limitée ; nous proposons de nombreux amendements de cette nature. Sur d’autres points, l’évolution doit être plus importante ; dans ce cas, nous ne faisons qu’amorcer, avec ce texte, un mouvement qui sera accentué demain. Vous constaterez que de nombreux amendements traduisent cette envie d’avancer.
Je souhaite que le débat en commission prenne maintenant toute sa place. C’est pourquoi, monsieur le président, j’ai déposé la totalité des amendements du Gouvernement en commission. Mon intention est de n’en déposer aucun en séance publique.
M. le président Dominique Raimbourg. Merci, monsieur le garde des Sceaux. C’est l’application d’une jurisprudence constante et désormais célèbre…
Mme Cécile Untermaier, rapporteure du projet de loi organique. Je vous remercie, monsieur le garde des Sceaux, pour votre intervention, qui nous indique l’esprit dans lequel nous allons travailler pour améliorer la justice, qui nous tient tant à cœur. Je remercie très sincèrement mes collègues Jean-Michel Clément et Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteurs du projet de loi ordinaire, qui ont participé à mon travail, ainsi qu’Yves Goasdoué et Colette Capdevielle. Je remercie enfin les administrateurs du secrétariat de la commission et les membres de votre cabinet, qui ont fait preuve d’une grande disponibilité et d’une grande compétence.
Je poserai quelques questions complémentaires qui permettront d’éclairer le contenu du projet de loi organique.
Vous présentez, monsieur le garde des Sceaux, plusieurs amendements qui prennent acte, dans l’ordonnance statutaire des magistrats, de la fusion des actuelles inspections du ministère de la justice en une seule inspection, dénommée inspection générale de la justice. Je souhaiterais que vous nous donniez des précisions sur les modalités de cette réforme, attendue depuis longtemps, dont la nécessité a été encore rappelée récemment par la Cour des comptes.
En ce qui concerne l’élargissement des voies d’accès à la magistrature et d’ouverture de celle-ci à d’autres professionnels, je note l’effort que vous faites en faveur des doctorants, avec la mise en place de plus de juristes assistants. Je m’interroge, toutefois, sur deux points. D’une part, la formation de deux ans qui leur sera proposée à l’École nationale de la magistrature (ENM) n’est-elle pas trop longue ? Compte tenu de leur cursus prolongé – dix années d’études de droit et trois années de service en tant que juristes assistants –, ils pourraient peut-être bénéficier d’une formation raccourcie d’une année à l’ENM. D’autre part, contrairement à ce que nous souhaitions tous vivement au sein de la majorité, il n’est pas prévu d’élargissement des voies d’accès s’agissant des avocats. Des propositions vous seront sans doute faites à ce sujet, sinon en commission, du moins en séance publique. Pourront-elles prospérer ?
Concernant les magistrats recrutés par le concours complémentaire, quelles sont, au-delà des modifications proposées dans le texte organique, les améliorations que vous entendez apporter à leur mode de recrutement, qui s’avère décourageant pour nombre de candidats ?
J’ai déposé plusieurs amendements visant à rétablir la réforme du statut du JLD qui avait été proposée par le Gouvernement, mais vidée de son sens par le Sénat. Vous avez souligné l’importance de ce rétablissement, et nous vous remercions de cette décision. Au regard de l’accroissement des prérogatives du JLD, il convient, en effet, de lui conférer les garanties à même de lui assurer son indépendance.
Trois ans après les lois sur la transparence de la vie publique, dont vous avez été le rapporteur pour notre commission, je me félicite que la plupart des mesures déontologiques mises en place par ces lois soient aujourd’hui transposées aux magistrats judiciaires. C’est d’autant plus nécessaire que nous venons de renforcer le cadre déontologique applicable aux fonctionnaires et aux membres des juridictions administratives et financières dans la loi du 20 avril 2016.
Je pense malgré tout que le projet de loi organique pourrait aller encore plus loin en matière de déontologie. Il s’agirait, d’abord, de rapprocher ses dispositions de celles de la loi du 20 avril 2016, qui prévoient par exemple des sanctions pénales en cas d’absence de déclaration ou de déclaration incomplète. Je relève également que, en l’état actuel du texte, le premier président et le procureur général près la Cour de cassation ne sont pas tenus de déclarer leurs intérêts.
Il manquait également un organe de conseil en matière de déontologie, le rôle du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) ne pouvant s’étendre aux questions individuelles. Vous avez répondu sur ce point, puisque vous avez pris en considération notre démarche et admis l’idée d’un collège de déontologie, interne à la magistrature judiciaire, sur le modèle des collèges de déontologie de la juridiction administrative et des juridictions financières. Il pourrait notamment recevoir les déclarations des plus hauts magistrats.
Dans le même sens, ne devrait-on pas étendre l’obligation de déclarer leurs intérêts à tous ceux qui exercent la fonction de juger, y compris aux magistrats à titre temporaire et aux magistrats honoraires, ainsi qu’à l’ensemble des membres du CSM ? En outre, que pensez-vous de l’idée d’étendre aux membres du Conseil constitutionnel les obligations déclaratives prévues dans ce projet de loi organique, ainsi que le proposent, par un amendement, Yves Goasdoué et les membres du groupe Socialiste, républicain et citoyen ?
Enfin, dans plusieurs affaires récentes et médiatisées, des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC) ont été soulevées au tout dernier moment, en début d’audience, parfois dans le seul but d’obtenir un sursis à statuer. Pourtant, certaines de ces QPC auraient pu être déposées pendant l’instruction, laquelle dure souvent de longues années. De telles pratiques désorganisent le calendrier judiciaire et ralentissent encore un peu plus le fonctionnement de la justice. En matière criminelle, ce problème ne se pose pas, puisque, en 2009, le législateur organique a pris le soin d’interdire le dépôt de QPC devant les cours d’assises, ce moyen devant être soulevé pendant l’instruction. N’est-il pas temps de transposer ce système en matière correctionnelle, pour autant, évidemment, qu’il y ait bien une instruction préalable ?
La technicité de ce texte ne doit cacher ni l’importance de ses objectifs ni le caractère salutaire des avancées qu’il prévoit. Vous l’avez dit avec force, monsieur le ministre : la justice, c’est aussi une question de moyens. En plus de cette avancée législative, il nous faut donc poursuivre avec constance, chaque année, l’amélioration de la situation budgétaire de l’autorité judiciaire, en portant une attention particulière aux magistrats et aux personnels œuvrant dans ce domaine.
M. Jean-Michel Clément, rapporteur du projet de loi ordinaire. Les nombreuses auditions et les visites en juridiction que nous avons réalisées nous ont permis de mesurer l’engagement et la volonté constante de l’institution judiciaire et des auxiliaires de justice d’améliorer l’accès de nos concitoyens à la justice. Je souhaite dire ma reconnaissance à tous ceux qui s’engagent, souvent bénévolement, pour que notre justice au quotidien fonctionne mieux. Je remercie mes collègues Jean-Yves Le Bouillonnec et Cécile Untermaier, qui ont participé à toutes les auditions sur ce vaste chantier, ô combien nécessaire.
Le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire soumis à l’examen de notre commission ont pour objet de mettre en œuvre les préconisations issues des travaux menés depuis 2013 pour favoriser la justice du XXIe siècle. Avant toute chose, je veux rendre hommage à la démarche originale engagée par votre prédécesseur, Mme Christiane Taubira : il s’agit de définir ce que signifie l’accès à la justice pour nos concitoyens, de dire ce qu’est le véritable office du juge et de faire société en privilégiant le recours à des modes alternatifs de règlement des conflits, notamment de ceux du quotidien ; il s’agit de réformer en profondeur notre organisation judiciaire, de rapprocher la justice des citoyens, dont elle a été éloignée par une réforme drastique de la carte judiciaire, et d’améliorer l’efficacité des procédures judiciaires, facteur de justice sociale.
Vous avez parfaitement présenté, monsieur le garde des Sceaux, les principaux enjeux de ces deux projets de loi. Je souhaite vous poser quelques questions sur les sujets que j’ai suivis plus particulièrement, afin d’éclairer l’ensemble de nos collègues sur l’ambition de la discussion au sein de notre assemblée. Je précise que Jean-Yves Le Bouillonnec et moi-même avons conduit nos travaux ensemble et que nos analyses convergent sur tous les sujets abordés dans ce projet de loi.
L’un des objectifs de ce texte est de parachever la réforme des TASS, des TCI et des commissions départementales d’aide sociale (CDAS). Les juridictions sociales occupent une place de choix parmi les sujets essentiels abordés dans ce projet de loi. Cette justice des gens a été décrite avec beaucoup d’humanité et de pertinence par Pierre Joxe dans son livre Soif de justice. Une importante réforme de ces juridictions est à l’œuvre. Entre la lecture au Sénat et la présente lecture à l’Assemblée nationale, un rapport essentiel des inspections générales des services judiciaires et des affaires sociales vous a été remis. Vous nous proposez un amendement qui vient modifier substantiellement la réforme adoptée à l’initiative du Sénat. Pourriez-vous nous en préciser les grandes lignes ? Les inquiétudes sont en effet nombreuses, notamment parmi les agents des tribunaux spécialisés concernés, mais également parmi les justiciables en situation de précarité ou malades.
J’en viens à l’action de groupe. L’accès à la justice doit être facilité pour chacun de nos concitoyens, pris individuellement, mais aussi collectivement, tant les sujets susceptibles de les concerner ensemble sont nombreux. La « loi Hamon » a ouvert la possibilité d’une class action à la française dans le champ de la consommation. Mais, au-delà, c’est une définition claire, encadrée, précisant les droits et les protections de chacun qu’il nous fallait écrire. C’est chose faite avec ce texte, et nous saluons la définition des règles générales qui trouveront à s’appliquer à l’ensemble des actions de groupe. Toutefois, pouvez-vous nous expliquer pourquoi l’action de groupe en matière commerciale sera la seule à ne pas s’inscrire dans le cadre général ? D’autre part, pouvez-vous nous détailler les modalités des nouvelles actions de groupe spécifiques que vous proposez d’introduire dans le texte, notamment pour ce qui touche à l’environnement et à la protection des données personnelles ?
Concernant plus particulièrement l’action de groupe en matière de discrimination, il nous semble important, à l’issue de nos auditions, de prévoir dans ce texte, sans attendre l’examen du projet de loi « Égalité et citoyenneté », l’élargissement de la liste des motifs de discrimination fixée par la loi de 2008 à ceux qui sont aujourd’hui prévus par l’article 225-1 du code pénal. Il est en effet essentiel que l’état de santé soit retenu comme un motif sur le fondement duquel les discriminations sont prohibées. Nous suivrez-vous dans cette voie, monsieur le garde des Sceaux ?
S’agissant des actions de groupe qui pourront être engagées à la suite de discriminations pratiquées par un employeur, pouvez-vous expliciter le raisonnement sur lequel repose votre définition des personnes auxquelles la qualité à agir pourrait être reconnue ? Qu’en sera-t-il pour les syndicats et les associations ? Pour ces dernières, quels seront les critères retenus (agrément national ou régional, ancienneté) ? Par ailleurs, il nous semble essentiel que la réparation des préjudices, y compris moraux, soit envisagée comme objet de l’action de groupe en matière de discrimination, de manière générale et au travail en particulier. Partagez-vous notre opinion, monsieur le garde des Sceaux ?
Enfin, pourquoi limiter les déclinaisons de l’action de groupe en matière de discrimination dans les relations avec un employeur aux seuls préjudices qui trouvent leur origine dans un fait générateur ou un manquement postérieur à l’entrée en vigueur du présent projet de loi ? Cette disposition, souvent présentée comme destinée à limiter l’insécurité juridique pour les défendeurs, revient à priver d’action de groupe toutes les victimes identifiées à ce jour. Qui plus est, elle apparaît surprenante au regard de la jurisprudence du Conseil constitutionnel : ce dernier a considéré, dans ses décisions sur la loi relative à la consommation et sur la loi de modernisation de notre système de santé – qui ne prévoyaient, ni l’une ni l’autre, une telle disposition –, que les règles relatives à l’action de groupe, qui sont de nature procédurale, « ne modifient pas les règles de fond qui régissent les conditions de [la] responsabilité [du défendeur] ; que, par suite, l’application immédiate de ces dispositions ne leur confère pas un caractère rétroactif ». Elles peuvent, par conséquent, s’appliquer immédiatement aux préjudices déjà constitués. Pourquoi laisser en l’état l’article 46, ce qui limiterait singulièrement la portée des nouvelles actions de groupe en matière de discrimination ?
En matière de justice commerciale, plusieurs évolutions importantes ont été adoptées par le Sénat. Il nous revient de les compléter. J’ai participé aux travaux de la mission d’information sur le rôle de la justice en matière commerciale, aux côtés de mes collègues Cécile Untermaier et Marcel Bonnot. Certaines propositions ont déjà été prises en compte dans le cadre de la « loi Macron », mais il reste encore du chemin à parcourir : comme vous le savez, d’autres améliorations sont attendues.
En premier lieu, les artisans deviennent éligibles aux fonctions de délégués et de juges consulaires. Cette avancée, qui a fait l’objet de nombreux travaux au cours des précédentes années et qui avait notamment été recommandée par le rapport d’information précité, s’accompagne d’une extension des compétences de ces tribunaux aux litiges entre artisans. Sur ce point, nous vous proposons deux évolutions législatives : la première vise à étendre la compétence des tribunaux de commerce à tous les litiges relatifs à une activité artisanale, et non plus seulement à ceux qui sont constatés entre artisans ; la seconde, à revoir la définition des collèges électoraux.
En effet, les circonscriptions des chambres de commerce et d’industrie (CCI), qui ont actuellement la charge d’organiser les élections consulaires, ne sont compatibles ni avec celles des chambres de métiers et de l’artisanat (CMA) – lesquelles seront chargées, pour l’avenir, d’organiser ces élections pour les artisans –, ni véritablement avec le ressort des tribunaux de commerce. Il convient d’aller au bout de cette réforme en fixant le collège des électeurs en fonction du ressort des tribunaux de commerce, avec le soutien des chambres consulaires. D’ici à la séance publique, nous pourrons affiner, si besoin, le dispositif que nous proposons, notamment pour traiter la situation particulière des petits tribunaux.
Par ailleurs, nous avons déposé, de même que certains collègues, plusieurs amendements visant à renforcer encore la prévention des conflits d’intérêts, ainsi qu’un amendement de compromis tendant à limiter le cumul des mandats dans le temps et à instaurer une limite d’âge pour l’exercice des fonctions de juge consulaire.
Il nous semble que cette réforme, qui s’inspire de précédents travaux parlementaires, devrait ainsi être bénéfique à la justice commerciale et aux justiciables.
Enfin, au-delà de différentes mesures de simplification, par exemple en matière de surendettement ou de publicité foncière, le présent texte contient des dispositions importantes en faveur des entreprises en difficulté – sujet auquel je suis particulièrement attaché. Il conviendra toutefois de rétablir des dispositions supprimées ou modifiées par le Sénat, car le maintien du texte en l’état aurait pour effet, selon nous, de fragiliser certaines procédures collectives, à l’instar de la procédure de sauvegarde. En outre, je déposerai plusieurs amendements concernant le secteur agricole, lequel connaît en ce moment des difficultés particulières. Les périodes de crise mettent en évidence que les exploitants agricoles manquent cruellement de protections. Il faudra les rassurer sur ce point.
Je vous remercie par avance, monsieur le ministre, pour les réponses que vous nous apporterez sur ces différents points.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur du projet de loi ordinaire. Ce texte vise à réformer en profondeur notre organisation judiciaire, à rapprocher la justice des citoyens et à améliorer l’efficacité des procédures juridictionnelles. De même que mon collègue Jean-Michel Clément, je souhaite appeler votre attention et vous interroger sur un certain nombre de points particuliers, monsieur le garde des Sceaux. Je précise que Jean-Michel Clément et moi-même partageons la même vision de ce texte et que nos analyses n’ont jamais divergé sur la manière dont nous pouvons l’améliorer encore.
Concernant le renforcement de la politique d’accès au droit et la facilitation de l’accès à la justice, nous avons procédé à de nombreuses auditions et nous sommes rendus dans plusieurs palais de justice, ainsi qu’à la maison de justice et du droit (MJD) de Pontivy. Nous souhaiterions savoir si le Gouvernement envisage de développer un service d’accueil unique du justiciable (SAUJ) dans d’autres MJD et si, par la même occasion, il serait d’accord pour favoriser la tenue d’audiences foraines dans ces MJD, lesquelles représentent, du fait de leur proximité avec les citoyens, une très bonne solution alternative à la récente réforme de la carte judiciaire. D’autre part, pouvez-vous nous assurer que les moyens humains et techniques, notamment les dispositifs informatiques Portalis et Cassiopée, seront bien au rendez-vous pour garantir le succès des SAUJ ?
S’agissant de la conciliation et de la médiation, qui constituent un enjeu important, nous avons découvert le rôle primordial des conciliateurs de justice, qui interviennent à titre bénévole pour aider nos concitoyens à résoudre leurs litiges du quotidien – pour souligner leur engagement, on peut parler de « mécénat », au vrai sens du terme. Nous soutenons activement la réforme proposée par le Gouvernement, qui consiste à rendre la conciliation obligatoire pour les litiges dont l’enjeu est inférieur à 4 000 euros, sous peine d’irrecevabilité. Néanmoins, l’efficacité du dispositif repose sur les réponses que vous apporterez aux questions suivantes : comment réussir à attirer de nouveaux candidats à la fonction de conciliateur, sachant que leur activité pourrait augmenter de plus de 30 % avec ce nouveau dispositif ? De quelle manière envisagez-vous de revaloriser leurs défraiements, trop symboliques pour ne pas être ridicules ? Pourquoi ne pas avoir prévu, à ce stade, une formation initiale obligatoire à destination des conciliateurs ?
S’agissant de la médiation, nous comprenons que le Gouvernement choisisse de distinguer cette procédure de celle de la conciliation. Cependant, ne faudrait-il pas faire établir une liste des médiateurs pour chaque cour d’appel pour éviter le risque de recours à des personnes peu recommandables, voire à des charlatans, largement dénoncé lors des auditions auxquelles nous avons procédé ? En matière familiale, lorsqu’il s’agit de modifier une décision de justice relative à l’exercice de l’autorité parentale ou à la contribution à l’entretien des enfants, ne conviendrait-il pas de généraliser la tentative de médiation obligatoire expérimentée entre 2012 et 2014 dans plusieurs ressorts, et qui s’est alors révélée très intéressante ?
Enfin, si nous saluons la suppression de la juridiction de proximité, il nous paraît nécessaire de prendre certaines précautions vis-à-vis des nombreux juges de proximité – ils sont encore près de 500 – qui ont rendu d’éminents services au fonctionnement de nos juridictions.
Nous soutenons également la démarche que reflètent les nombreux amendements du Gouvernement tendant à améliorer la répression de certaines infractions routières. Nous vous proposerons pour notre part de forfaitiser certains délits routiers afin d’en faciliter le traitement et le recouvrement. Pouvez-vous nous présenter rapidement l’économie globale de la réforme que vous envisagez dans le domaine des infractions routières ?
Le Gouvernement a déposé plusieurs amendements destinés à améliorer l’organisation et le fonctionnement de la justice des mineurs. Or des amendements socialistes, écologistes ou radicaux proposent la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs. Là encore, comment la réforme qui en découlerait s’articulerait-elle avec vos amendements ?
En ce qui concerne les mesures de recentrage des juridictions sur leurs missions essentielles, nous sommes bien entendu très favorables au transfert de l’enregistrement du PACS des greffes des tribunaux de grande instance (TGI) aux officiers de l’état civil, et proposons un amendement destiné à rétablir cette mesure supprimée par le Sénat. Le risque de confusion entre PACS et mariage, avancé en 1999 pour justifier l’enregistrement au greffe du tribunal, est aujourd’hui entièrement écarté : le PACS est bien connu de nos concitoyens, qui ne le confondent aucunement avec le mariage. Par ailleurs, la loi du 17 mai 2013 a consacré le mariage des personnes de même sexe. Les obstacles symboliques allégués à l’époque ont donc totalement disparu. Il convient, en outre, de mieux affirmer le rôle d’officier de l’état civil dévolu au maire, auquel vos deux rapporteurs sont très attachés.
Vous proposez, monsieur le ministre, d’autres transferts de compétence des tribunaux vers d’autres professions, comme celle d’avocat, avec la nouvelle procédure de divorce par consentement mutuel. Quel en seront l’intérêt et le coût pour nos concitoyens ? Certains de nos collègues proposent également de transférer aux avocats la déclaration de procréation médicalement assistée avec recours à un tiers donneur, ou aux médecins le recueil du consentement en vue d’un don de moelle osseuse. Nous sommes quelque peu réservés à cet égard, mais nous estimons nécessaire de progresser dans la déjudiciarisation de ces formules de consentement ; nous formulerons nos propres propositions en ce sens.
Nous sommes très favorables à l’allégement des formalités attachées à la tenue des actes de l’état civil par les mairies. Il convient toutefois à nos yeux de ne pas altérer la place privilégiée qu’occupe l’espace communal dans le quotidien des habitants. La connaissance d’événements aussi essentiels que les naissances, les mariages et les décès participe de la vie collective et marque la place que chacun peut y prendre. Il apparaît donc nécessaire de maintenir la transcription des actes sur les registres de la commune à laquelle les personnes concernées sont rattachées par leur domiciliation. Cette transcription permet une information publique essentielle et constitue, pour les communes et leurs habitants, un vecteur essentiel de relations et un grand sujet d’attention. Nous sommes donc défavorables à votre proposition de supprimer la transcription de l’acte de décès à la mairie du domicile du défunt.
En ce qui concerne la Cour de cassation, nous comprenons parfaitement qu’il faille faire évoluer les procédures pour la préserver en tant que telle. Toutefois – le président de la commission des Lois et les deux rapporteurs, ainsi que la rapporteure du projet de loi organique, le disent avec une certaine solennité –, il ne nous paraît pas possible de faire évoluer cette institution par la technique des règles de procédure. Nous devons veiller avec la plus grande attention à ce que la Cour de cassation conserve la vocation que lui confèrent l’institution et l’organisation judiciaires, à moins d’entrer dans des modifications institutionnelles, dont le support ne saurait être qu’un support législatif dédié tant il a des conséquences sur la place de la Cour de cassation au sein de nos institutions. Mais nous aurons certainement à ce sujet un beau débat, monsieur le garde des Sceaux, car nous connaissons vos réflexions fort pertinentes en la matière.
Enfin, pourriez-vous nous présenter vos nombreux amendements relatifs à des demandes d’habilitation et justifier ce recours à des ordonnances plutôt qu’à des dispositifs législatifs, à la lumière d’observations récurrentes de grands présidents de la commission des Lois (Sourires), dont notre président actuel ?
M. Yves Goasdoué. Aux yeux du groupe Socialiste, républicain et citoyen, la grande technicité de ce projet de loi organique ne doit pas masquer son importance. Ce texte modernise considérablement le statut des magistrats et du Conseil supérieur de la magistrature ; dans une période qui n’est pas facile pour les magistrats, il pourvoit à l’attractivité de ce corps auquel nous sommes tous attachés et organise son ouverture au monde et à d’autres professions. Il crée – vous l’avez dit d’emblée, monsieur le garde des Sceaux – un véritable statut pour le juge des libertés et de la détention. Enfin – car les droits y ont pour pendant les devoirs –, il veille à la prévention des conflits d’intérêts et à la transparence de ces personnages importants dans notre société que sont celles et ceux qui rendent la justice.
La diversification des recrutements ne saurait toutefois s’affranchir des exigences de la formation et de l’excellence. Pour le dire autrement, la diversification ne saurait passer par la banalisation ou par la perte de compétences des magistrats. Mme la rapporteure a parfaitement rappelé les limites de l’exercice.
Nous avons découvert l’existence, au côté des magistrats « de droit commun », si j’ose dire, des magistrats à titre temporaire, des juges de proximité, des magistrats honoraires exerçant des fonctions juridictionnelles réelles, avec tous une mission bien définie s’exerçant sur une période déterminée. Le texte clarifie leur situation ; leurs engagements sont davantage limités dans le temps, mais deviennent le cas échéant renouvelables.
Quant à l’extension de la mission de formation de l’École nationale de la magistrature, elle est essentielle : si on veut rendre la profession plus attractive et l’ouvrir davantage, il faut aussi former.
Le juge des libertés et de la détention doit devenir un juge spécialisé, nommé par le Président de la République sur votre proposition, monsieur le garde des Sceaux, après avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature, et dont l’exercice des fonctions dans une même juridiction est limité à dix ans. Pourquoi ? Parce qu’il sera certainement le juge de l’habeas corpus de demain, pour reprendre votre formule. Il n’est qu’à voir les attributions que nous lui avons données dans le cadre du droit des étrangers comme du projet de loi, encore en discussion, renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale. Une fonction particulière est sur le point de naître : la protection de la liberté et le contrôle du juge par le juge. C’est ce qui rend ce statut nécessaire.
En ce qui concerne les potentiels conflits d’intérêts des magistrats, nous proposerons d’aller plus loin que les sénateurs en instituant un collège de déontologie analogue à ceux qui ont été créés pour les membres des juridictions administratives et financières dans la loi du 20 avril 2016. Nous vous ferons la même proposition pour le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) et pour le Conseil constitutionnel. Les magistrats seront naturellement protégés par la confidentialité de leurs déclarations.
En ce qui concerne la déclaration de situation patrimoniale, le Sénat avait également durci le texte en étendant cette obligation aux présidents des tribunaux de première instance et aux procureurs de la République près les tribunaux de première instance et en prévoyant son envoi à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), à la différence du texte gouvernemental. Nous en sommes d’accord, et jugeons utile de soumettre aussi à cette obligation le CSM et le Conseil constitutionnel.
En contrepartie de ces obligations nouvelles, la loi organique reconnaît le droit syndical des magistrats, encadre par de nouvelles dispositions, y compris dans le temps, les poursuites disciplinaires dont ils peuvent faire l’objet et précise la protection fonctionnelle que l’État leur doit lorsqu’ils rencontrent des difficultés. C’est donc un texte équilibré que notre groupe soutiendra.
M. Alain Tourret. Je m’exprimerai au nom du groupe Radical, républicain, démocrate et progressiste.
Qu’est-ce que le juge ? C’est le juge du conflit : en cas de conflit, il doit trancher. Or, actuellement, le juge est là pour authentifier, pour certifier, pour donner acte. Tout cela doit être éliminé de sa fonction ; ainsi récupérera-t-on la moitié de son temps.
Ensuite, le juge doit motiver : c’est la contrepartie de son pouvoir de décision. L’importance de la motivation doit être à la mesure de celle que l’on accorde à la décision. Or la Cour de cassation ne motive plus ses décisions, même si l’on peut en percevoir les raisons dans les rapports. C’est toute notre construction judiciaire pyramidale qui s’effondre ! Je suis scandalisé que la Cour de cassation ne trouve pas nécessaire, n’ait pas l’obligation de dire à celui qui est allé jusque devant elle pourquoi il a raison ou tort. C’est un véritable déni de justice, organisé par notre plus haute juridiction !
Dans le domaine du divorce, il faut à l’évidence éliminer le rôle du juge lorsque les deux parties sont d’accord. Faut-il alors deux avocats ou un seul ? Ce point nous avait divisés. Vous avez opté pour deux avocats ; très bien. Les avocats vous en seront reconnaissants ; les bureaux d’aide juridictionnelle, peut-être un peu moins…
Par ailleurs, l’intervention du notaire sera-t-elle obligatoire pour enregistrer l’acte ? Il avait été prévu qu’elle le soit en présence d’un bien immobilier. Mais on a très longtemps estimé qu’elle était inutile dès lors que l’un des deux avocats pouvait s’en charger.
En ce qui concerne les délits routiers, l’affaire s’était terminée de manière délicate pour Mme Taubira. Les associations de victimes de la route sont extraordinairement puissantes – je le sais, ayant eu très souvent l’occasion de plaider pour elles. Elles sont persuadées que l’on fait d’autant plus diminuer le nombre d’accidents que l’on saisit la justice et que l’on plaide. J’appelle votre attention sur ce point.
Pourquoi perd-on automatiquement son permis de conduire lorsque celui-ci n’a plus de points ? Cette question nous ramène à l’obligation de motiver sa décision. Les décisions automatiques sont insupportables ; une motivation spécifique est toujours nécessaire. Il fut un temps où l’on parlait de permis blanc et où l’on envisageait que, dans des circonstances objectivement identiques, la situation subjective de l’individu puisse motiver des décisions différentes.
S’agissant des magistrats, vous avez formulé des propositions intéressantes. Je vous ai soumis l’idée – sans malheureusement avoir le temps de préparer des amendements en ce sens – selon laquelle les professeurs de droit devraient être obligatoirement intégrés à la magistrature, comme les professeurs des centres hospitaliers régionaux universitaires le sont à l’université depuis la grande réforme du professeur Robert Debré, qui a sauvé la médecine. D’un côté, ces médecins sont professeurs ; de l’autre, ils sont soignants. Ils sont alors « bi-appartenants » et peuvent toucher une retraite en conséquence. En contrepartie, l’interdiction serait faite aux professeurs de droit d’être avocats ou consultants. En effet, comment peuvent-ils plaider pour des clients devant des juridictions alors qu’ils sont chargés, en tant qu’enseignants, d’une mission de service public ? Il en va de même de tous les professeurs de droit fiscal qui passent leur temps à dispenser des consultations contre l’État dont ils sont des agents ! Mieux vaudrait qu’ils soient des magistrats et participent, ce faisant, à la notion de fonction publique.
En ce qui concerne l’action de groupe, je suis très sceptique. Les actions de groupe peuvent faire vaciller la République. Un exemple : le groupe de pression formé par les femmes fonctionnaires – je suis rapporteur pour avis du budget de la fonction publique – a démontré que leur rémunération était inférieure de 18 % à celle de leurs collègues hommes, à profession et statut équivalent. Il s’agit à l’évidence d’une discrimination. Imaginez qu’elles intentent une action de groupe sur ce fondement, avec succès : vous devrez verser 18 % de rémunération à chacune d’entre elles, sans compter des dommages-intérêts subséquents !
En réalité, le collectif ne peut pas toujours l’emporter sur l’individuel. Abandonner l’individuel face au collectif, c’est abandonner la notion même de responsabilité. Or le droit, c’est le droit de la responsabilité : le fondement du droit, c’est l’article 1382 du code civil, non l’article 1384.
Je suis également très sceptique vis-à-vis des conciliations obligatoires. Devant les conseils de prud’hommes, la conciliation aboutit rarement – dans moins de 10 % des affaires. En rendant la conciliation obligatoire, vous empêcherez que l’affaire soit plaidée immédiatement, vous provoquerez une saisine complémentaire de la justice, vous ferez durer les procédures – le tout avec la meilleure volonté du monde. Que veulent nos concitoyens sinon, à juste titre, des décisions rapides ? Or vous irez contre cette nécessité, et en parfaite bonne foi.
M. Guy Geoffroy. Monsieur le ministre, au nom du groupe Les Républicains, je salue votre ambition mesurée. Vous n’avez pas l’intention, dites-vous, d’ouvrir de nouveaux chantiers – mais que contient alors le texte ? N’en entrouvrez-vous pas tout de même quelques-uns ? – ni d’allumer de nouveaux brasiers. Intention louable, mais qui suggère que, depuis quelques années, c’est la tendance inverse qui prévalait en matière de justice… Je ne peux que noter le grand écart entre cette fameuse « justice du XXIe siècle » dont nous parlait Mme Taubira en nous présentant le projet, le 10 septembre 2014, et ce qu’il en reste aujourd’hui et qui, sans être négligeable, n’a plus rien à voir avec la grande ambition initiale. Nous ne comprenons donc pas que vous souhaitiez revenir rétablir le titre original, que nos collègues sénateurs avaient ramené à des proportions bien plus conformes à la réalité du texte.
Le projet de loi organique a pour objectif de modifier partiellement, mais sur des sujets importants, l’ordonnance du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature. Je souligne l’intérêt de ses dispositions sur la gestion du corps judiciaire et sur l’ouverture aux magistrats de nouvelles perspectives de carrière – de telles possibilités ne doivent jamais être négligées –, sur l’élargissement du recrutement judiciaire, sur le nouveau cadre déontologique – en espérant que la déontologie ne deviendra pas le sujet unique de discussion des parlementaires, si nous ne voulons pas nous perdre dans la déontologie de la déontologie ! – et sur le statut spécifique du juge des libertés et de la détention.
À ce propos, les plus petites juridictions n’auront-elles pas quelque difficulté à disposer en permanence d’un juge des libertés et de la détention, à la place d’un juge appelé à trois heures du matin pour une personne qui vient d’être déférée devant un juge d’instruction ?
Plus généralement, comment ne pas vous interroger sur le lien entre ce projet de loi organique et la réforme constitutionnelle en cours ? Celle-ci l’est-elle encore, d’ailleurs ? Certes notre Assemblée a voté le projet de loi constitutionnelle, manquant d’une ou deux voix les trois cinquièmes des suffrages. Nous avons cru comprendre que la majorité sénatoriale n’était pas très « chaude » pour aller au Congrès dans l’état actuel du texte. Or il paraît quelque peu ambigu de parler de la magistrature, de son indépendance et de son impartialité sans savoir ce qu’il va advenir de l’hypothèse d’une réunion du Parlement en Congrès à propos de la réforme constitutionnelle.
Quant au texte relatif à l’action de groupe et à l’organisation judiciaire, il ne contient qu’un ensemble, qui n’a en soi rien de méprisable, mais rien de bien révolutionnaire, de mesures de portée somme toute limitée, sans lien évident entre elles. Bref, on a l’impression d’examiner en fin de quinquennat une sorte de loi portant diverses dispositions relatives à la justice, plutôt que des mesures fortes et structurantes organisant la justice du XXIe siècle.
J’aimerais vous poser trois questions.
En ce qui concerne en premier lieu la justice des mineurs, vous avez manifesté votre soutien, comme dans vos fonctions antérieures, à la suppression des tribunaux correctionnels mis en place pendant la précédente législature. Cela pose un problème évident : comment accepter qu’il existât des cours d’assises pour mineurs tout en étant à ce point hostile à l’idée de prévoir, dans la chaîne du traitement des mineurs, le maillon correspondant aux délits que ces derniers peuvent commettre ? À cette question, je n’ai obtenu pour l’heure aucune réponse recevable.
Ensuite, je rejoins mon collègue à propos de la Cour de cassation. Pourquoi avoir pris l’initiative de déposer des amendements tendant à faire évoluer son statut et la portée de son travail, alors même que le premier président a lancé une concertation sur la Cour, sa situation actuelle et ce qu’elle devrait peut-être devenir, et annoncé qu’il rendrait un rapport en juin afin de bâtir une réforme dans un esprit « participatif » ? La question mérite probablement une approche propre au sein d’un projet de loi traitant de l’ensemble du sujet, car bien des aspects en seraient éludés si l’on se contentait d’adopter vos amendements.
Au Sénat, à propos de la représentation obligatoire devant la chambre criminelle, vous vous êtes opposé à un amendement présenté par le président Mézard et qui a cependant été adopté. Il semble que vous ayez depuis changé d’avis. Est-ce bien le cas, ou avons-nous mal interprété votre position ? Pouvez-vous nous rassurer eu égard à ce qui peut apparaître comme une forme de fébrilité à ce sujet ?
Troisièmement, en ce qui concerne l’extension de l’action de groupe, je ne reprends pas entièrement à mon compte les propos de M. Tourret. Je note toutefois que l’amendement CL203 va plus loin que le texte d’origine en intégrant les préjudices moraux au champ de la réparation en matière de discrimination, et que les amendements CL196 et CL202 donnent qualité pour agir aux associations agréées ayant cinq ans d’ancienneté, mais suppriment en parallèle l’exigence d’un agrément national. L’action de groupe est ainsi étendue – pourquoi pas ? –, mais peut-être aussi fragilisée. J’aimerais que le Gouvernement prenne clairement position sur ce point.
L’ambition affichée au départ était grandiose : nous allions mettre en place la justice du XXIe siècle. Vous revenez plus lucidement, sans pour autant remettre en cause l’intitulé de ce texte, à des proportions plus raisonnables ; en attendant, à défaut d’avoir l’occasion de soutenir vigoureusement un tel texte, notre groupe, selon le sort réservé aux amendements, notamment sur les questions sensibles comme celle des tribunaux correctionnels pour mineurs, s’orientera vers l’abstention, à regret, ou vers une franche opposition. Car il suscite toujours de notre part une série d’interrogations qui n’ont rien de mineur.
La réunion, suspendue à 18 heures 15, est reprise à 18 heures 35.
M. le président Dominique Raimbourg. Mes chers collègues, je vous invite à reprendre nos travaux après cette suspension qui a permis à chacun d’aller voter dans l’hémicycle, mais en regrettant, comme M. Tourret tout à l’heure, de devoir travailler dans de telles conditions.
M. Olivier Dussopt. Monsieur le garde des Sceaux, je voudrais aborder la question du transfert de l’enregistrement des PACS des tribunaux d’instance vers les officiers d’état-civil. Quelques-uns d’entre nous cumulent encore un mandat de député avec un mandat de maire, et s’intéressent donc de près à la situation financière des collectivités locales.
Vous avez évoqué des mesures de compensation, sous forme de mesures de simplification, notamment, qui pourraient engendrer des économies. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur ce point ? Vos assurances nous permettront de soutenir cette mesure avec enthousiasme. Ce ne serait en effet que justice : la loi du 17 mai 2013 a ouvert le mariage à tous les couples ; il serait normal que cet autre type d’union qu’est le PACS puisse être enregistré en mairie, au plus près des habitants.
Je souhaite également m’assurer que l’ensemble des officiers d’état-civil seront concernés par cette mesure, autrement dit que les PACS pourront être enregistrés dans toutes les communes. En effet, lorsque les passeports biométriques ont été introduits, il y a de cela quelques années, les communes qui supportaient des charges de centralité ont dû accueillir des bornes destinées à l’établissement de ces passeports. L’installation de ces équipements s’est accompagnée d’une subvention de l’État, mais celle-ci a disparu au bout de quatre ou cinq ans. Aujourd’hui, seules les communes supportant des charges de centralité établissent ces passeports, ce qui les amène à mobiliser des agents durant un nombre d’heures souvent important ; elles se retrouvent à remplir cette mission pour tout leur bassin, sans aucune compensation ni des autres communes, ni de l’État. Il ne faudrait pas que cette situation se reproduise dans le cas des PACS.
M. Patrick Verchère. J’ai pu constater que la voie de la résolution amiable est une très bonne chose pour les litiges du quotidien : comme beaucoup d’élus, je renvoie souvent des gens vers le conciliateur. Je suis donc favorable à l’élargissement de la conciliation.
Néanmoins, les conciliateurs m’ont fait savoir qu’ils disposaient de moyens très limités. L’an dernier, ma commune a versé une subvention à l’association départementale des conciliateurs de justice, afin qu’ils puissent acheter ne serait-ce que du papier, des gommes et des stylos. Ils sont déjà quasiment bénévoles ! Or leur charge de travail va s’accroître. Quels moyens prévoyez-vous de leur apporter afin qu’ils puissent remplir leur mission dans des conditions correctes ?
Vous venez d’arriver au ministère et vous-même n’êtes donc pas en cause, mais vous avez récemment indiqué être à la tête d’un ministère « en faillite ». Vous comprendrez donc mes inquiétudes…
M. Joaquim Pueyo. Je ne reviens pas ici de façon générale sur les clarifications et simplifications apportées par ces deux textes, mais seulement sur quelques points.
L’introduction, après l’article 28-3 de l’ordonnance du 22 décembre 1958, du juge des libertés et de la détention, à l’instar des autres juges spécialisés du siège, me paraît une bonne chose. Le Sénat, vous l’avez signalé, a modifié le texte du Gouvernement sur ce point.
J’ai moi-même bien connu la situation à laquelle on peut être confronté lorsqu’il est difficile de trouver un JLD disponible… Il faudra, je crois, des postes supplémentaires pour assurer, dans les tribunaux importants, une astreinte vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Dans le cas des petits tribunaux, il y aura sans doute un poste, mais ce ne sera pas suffisant pour que la fonction soit assurée de façon permanente : des suppléants pourraient être pris parmi les juges du siège, mais quel sera leur statut ?
L’unification des différentes inspections du ministère me paraît une bonne chose. Comment, concrètement, cette unification va-t-elle s’organiser ? Ces magistrats seront indépendants, ce qui est bien, mais le ministre pourra-t-il encore, comme c’est le cas aujourd’hui, saisir l’inspection générale ?
Enfin, vous proposez de prolonger les efforts déjà consentis pour élargir le recrutement des magistrats. Il faut toutefois, à mon sens, continuer de préférer – en nombre de postes ouverts – les recrutements par concours, interne et externe. On pourrait en effet imaginer, à l’avenir, un garde des Sceaux qui privilégierait les accès directs… Votre idée est très juste ; mais prenons garde à ne pas mettre en danger les concours, qui demeurent la voie d’accès la plus égalitaire à la magistrature.
M. Lionel Tardy. Le rapport de M. Pierre Delmas-Goyon intitulé « Le juge du XXIe siècle. Un citoyen acteur, une équipe de justice » a été remis en décembre 2013. Il contenait de nombreuses propositions : création au sein du ministère de la justice d’un centre de veille et de recherche sur les nouvelles technologies, gestion électronique des audiences, possibilité de recevoir les avis et notifications procéduraux par voie électronique, création d’audiences virtuelles dans les contentieux de masse, création d’une plateforme en ligne de règlement des litiges, etc. Toutes ces propositions ne sont pas d’ordre législatif ; et pour celles qui le sont, une concertation avec les acteurs concernés s’impose.
Quelles suites entendez-vous donner à ce rapport ? Mes questions écrites, posées il y a plus de deux ans, n’ont toujours pas reçu de réponse. Ce rapport est-il, comme j’en ai le sentiment, resté au fond d’un tiroir ? Cela me porte à croire que le projet de loi initialement appelé « justice du XXIe siècle » ne comprend que peu de dispositions de modernisation de l’institution judiciaire qui feraient appel aux nouvelles technologies. C’est sans doute pour cette raison que le Sénat a retenu un titre plus réaliste.
M. Patrick Mennucci. Ce projet de loi modernise la justice de façon importante, notamment en accroissant la transparence pour les magistrats. C’est une garantie pour les justiciables – vous remarquerez que c’est de ce lobby-là que je fais partie, et pas de celui des avocats.
M. Alain Tourret. Si c’est une attaque contre moi, elle est basse ! (Sourires.)
M. Patrick Mennucci. Pas du tout ! Mais méfiez-vous : à Marseille, comme en Normandie, on dit que la première poule qui chante, c’est celle qui a pondu l’œuf ! (Rires.)
Vous prévoyez, monsieur le garde des Sceaux, de moderniser l’ENM et d’améliorer en particulier la formation continue. Comment ces dispositions seront-elles mises en œuvre ? Vous en connaissez toute la difficulté, puisque c’est à Bordeaux que vous avez effectué votre premier déplacement après votre nomination à la chancellerie. De quels moyens nouveaux pourra-t-elle bénéficier, d’autant qu’elle doit aussi former les nouveaux magistrats dont le recrutement était indispensable pour réparer les dommages de la politique du président Sarkozy ? Comment pensez-vous assurer la formation permanente dans ce cadre ?
M. le garde des Sceaux. De nombreux sujets, très différents, viennent d’être abordés – tous traités par les deux textes que nous discutons. Tous les points soulevés font l’objet d’amendements et seront donc examinés de façon précise au fur et à mesure de nos débats : je m’en tiendrai, pour cette réponse liminaire, aux plus grandes lignes.
Je ne suis pas en désaccord avec la présentation générale de Guy Geoffroy. Non, je ne veux pas ouvrir de nouveaux chantiers : ceux qui sont ouverts sont déjà bien trop nombreux ! Je n’ai pas besoin de me forcer beaucoup pour parler de sujets très divers, puisque tout est sur la table depuis très longtemps. Je veux plutôt clarifier et apporter des réponses.
Ainsi, la question de la collégialité de l’instruction est posée depuis l’affaire d’Outreau. Plusieurs fois, on a repoussé la décision, et aujourd’hui, nous sommes face à un mur. Je ne veux pas me contenter d’un énième moratoire : je crois de ma responsabilité d’apporter une réponse qui permette une clarification de l’action des magistrats. L’instabilité actuelle est néfaste pour tout le monde : pour les magistrats qui ne savent pas ce qu’ils vont devenir, pour les juridictions qui se demandent si elles vont perdre leurs juges d’instruction, pour les justiciables qui s’interrogent… J’ai essayé de peigner l’ensemble des sujets pour, à chaque fois, apporter une réponse.
Je ne veux pas allumer de nouveaux brasiers : l’institution judiciaire, que je découvre au quotidien depuis maintenant cent jours, a besoin de sérénité. Les personnels sont traumatisés. Quant aux juridictions, j’ai déjà beaucoup qualifié leur état : je n’ajouterai pas cet après-midi de nouveau terme.
Enfin, je ne veux pas ouvrir de nouveaux chantiers parce que je ne veux pas nourrir d’illusions : l’essentiel de mon activité à la chancellerie consiste à essayer de simplifier, mais aussi à rechercher des moyens supplémentaires.
J’espère finir par convaincre, comme je l’ai dit au président de votre Commission ainsi qu’à celui de la commission des Lois du Sénat, M. Philippe Bas : le Parlement a un rôle majeur à jouer pour que la société comprenne quel effort nous devons faire afin de donner aux juridictions les moyens de fonctionner. Il ne s’agit pas de faire plaisir à tel ou tel. C’est simplement l’intérêt général : les citoyens devraient être rassurés lorsqu’ils pénètrent dans un palais de justice ; or, aujourd’hui, ils se sentent plutôt inquiets ! Le simple état des bâtiments dit beaucoup des conditions dans lesquelles travaillent les personnels. Les justiciables peuvent légitimement s’interroger sur la sérénité dans laquelle les décisions judiciaires sont rendues.
Voilà pourquoi ce texte est volontairement modeste. Il est pourtant aussi, sur bien des aspects, assez audacieux, comme l’a dit Yves Goasdoué. S’il n’invente pas la justice du XXIe siècle, il pose quelques jalons que je crois féconds.
C’est le cas notamment de ce qui touche au juge des libertés et de la détention. Ce qui a été dit est juste : cette fonction doit être attractive pour des magistrats confirmés ; ils doivent jouir de larges pouvoirs. D’autres réformes, statutaires et procédurales, seront d’ailleurs nécessaires.
Ce juge devra, comme l’a dit Joaquim Pueyo, être disponible vingt-quatre heures sur vingt-quatre ; il devra statuer en temps réel. Mais il faut commencer par lui donner un statut. Les présidents des tribunaux de grande instance se sont interrogés, tout comme vous, monsieur Pueyo, sur la place de ce nouveau juge spécialisé. Les juges spécialisés existent déjà dans les petites juridictions, et elles arrivent à trouver les moyens de fonctionner. Vous me rétorquerez que leur multiplication va compliquer ce fonctionnement… Je ne nie pas la difficulté, bien au contraire.
En tout cas, parmi les efforts que nous n’avons plus à faire, il y a les créations de postes. Pour la première fois cette année, il y aura plus de magistrats qui arrivent que de magistrats qui partent : l’étau se desserre. C’est une question d’années. Mais nous posons un jalon.
L’action de groupe est un sujet essentiel. Cette législature l’a créée dans le domaine de la consommation, et parce qu’elle commence à bien fonctionner, on en sent une appétence dans tous les domaines. Le Gouvernement pouvait choisir de créer des actions de groupe dans différentes lois – à peu près toutes – ou bien d’établir un socle commun. C’est ce second choix que nous faisons.
Je ne suivrai pas sur ce sujet toutes les propositions des rapporteurs. Il faut d’abord, je crois, installer des procédés, quitte à élargir leur usage par la suite. Avec ce texte, la marche est déjà très haute. Je serai bien sûr favorable à certaines modifications : ainsi, je suis favorable à la possibilité pour les associations – sous certaines conditions d’agrément, d’ancienneté – d’engager une action de groupe. Elles auront évidemment leur mot à dire : on ne peut pas se contenter de donner aux seules organisations syndicales les moyens d’agir.
Un mot sur les collectivités locales, en réponse à Olivier Dussopt et, à travers lui, à tous les élus attentifs à cette question. Nous proposerons, par exemple, par amendement, la suppression du double original de l’état civil, ou encore la généralisation du dispositif COMEDEC (Communication électronique des données de l’état-civil), avec une aide pour les collectivités qui n’y adhèrent pas encore. Les notaires seront invités à le rejoindre rapidement. Ce système permet des économies substantielles lors de l’établissement d’actes de mariages ou de décès.
Je n’ai pas voulu sombrer dans la facilité en reportant sur les collectivités locales des charges que l’État n’a pas les moyens d’assumer. Nous avons calculé que le transfert des PACS vers l’état-civil représente 79 emplois équivalent temps plein pour nos quelque 36 000 communes : c’est quelque chose que nous devrions arriver à gérer.
Peut-être souhaitez-vous suspendre la séance, monsieur le président : je crois deviner chez vous une certaine impatience…
M. le président Dominique Raimbourg. Je vous remercie de votre compréhension, monsieur le garde des Sceaux : nous allons devoir effectivement retourner en séance. (Sourires.)
Lors de sa seconde réunion du mardi 3 mai 2016, la Commission en vient à l’examen des articles du projet de loi ordinaire relatif à l’action de groupe et à l’organisation judiciaire (n° 3204) (M. Jean-Michel Clément et M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteurs).
TITRE IER
RAPPROCHER LA JUSTICE DU CITOYEN
Chapitre Ier
Renforcer la politique d’accès au droit
Article 1er
(art. L. 111-2, L. 111-4, L. 141-1 et intitulé du titre IV du livre Ier du code de l’organisation judiciaire, art. 54, 55 et 69-7 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique)
Principe de l’accès au droit et de l’accès à la justice
Le présent article poursuit un double objectif : d’une part, intégrer, au titre des grands principes directeurs des juridictions, le principe de l’accès au droit et de l’égal accès à la justice et consacrer la notion de « service public de la justice » (I), d’autre part, décliner ces principes au niveau territorial en accroissant les missions des conseils départementaux de l’accès au droit, dont la composition est élargie, afin de rapprocher la justice des citoyens (II).
1. La consécration des principes de l’égal accès au droit et à la justice et d’un « service public de la justice »
Actuellement, les principes généraux de l’organisation judiciaire sont déclinés aux articles L. 111-1 à L. 111-10 du code de l’organisation judiciaire qui disposent que :
– les juridictions judiciaires rendent leurs décisions au nom du peuple français (article L. 111-1) ;
– la gratuité du service de la justice est assurée selon les modalités fixées par la loi et le règlement (article L. 111-2);
– les décisions de justice sont rendues dans un délai raisonnable (article L. 111-3) ;
– la permanence et la continuité du service de la justice demeurent toujours assurées (article L. 111-4) ;
– l’impartialité des juridictions judiciaires est garantie (article L. 111-5) ;
– la récusation d’un juge peut être demandée dans certains cas limitatifs (article L. 111-6) et le déport volontaire du juge est autorisé (article L.111-7) ;
– le renvoi du procès à une autre juridiction de même nature peut être ordonné sous certaines conditions limitatives (article L. 111-8) ;
– un juge ayant déjà connu une affaire ne peut appartenir à une autre formation de jugement saisie de la même affaire (article L. 111-9) ;
– les conjoints, les parents et alliés jusqu’au troisième degré inclus ne peuvent, sauf dispense, être simultanément membres d’un même tribunal ou d’une même cour en quelque qualité que ce soit (article L. 111-10).
Le I du présent article propose de compléter ces grands principes directeurs de l’organisation judiciaire, à l’article L. 111-2 du code de l’organisation judiciaire, en consacrant solennellement le « service public de la justice » qui concourt à « l’accès au droit et assure un égal accès à la justice », dans un alinéa nouveau.
Le débat sur le « service public de la justice » est extrêmement sensible dans l’Union européenne (9), plus encore en France où la notion même de service public résulte d’un long héritage historique de rapport à l’État. Comme le souligne M. Jean-Paul Jean, avocat général près la cour d’appel de Paris, la spécificité du service de la justice est réelle, et il faut distinguer les fonctions de la justice qui sont communes à tout service public ordinaire, de celles qui composent l’essence même des fonctions judiciaires et qui doivent préserver l’indépendance du juge (10).
Derrière cette notion de « service public de la justice », certains magistrats craignent une remise en cause de leur statut et de la répartition des blocs de compétences entre justice administrative et justice judiciaire ainsi qu’une tendance à conduire une politique centrée sur la performance en appliquant des logiques managériales à l’activité judicaire faisant du justiciable un usager.
Dans l’étude d’impact annexée au présent projet de loi, le Gouvernement a rappelé que la notion de « service public de la justice » n’est pas nouvelle dans notre droit. Dès 1952, le tribunal des conflits l’utilisait déjà pour distinguer explicitement l’organisation du « service public de la justice » de l’exercice de la fonction juridictionnelle des magistrats (11). La loi organique n° 79-43 du 18 janvier 1979 l’a également consacrée en complétant l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, à travers l’introduction de l’article 11-1 qu’elle a introduit (12). Cette expression est également utilisée dans différentes lois ordinaires, comme à l’article L. 411-4 du code de l’organisation judiciaire, ou par la jurisprudence du Conseil d’État (13), de la Cour de cassation (14) et du Conseil constitutionnel (15).
Ce débat a bien évidemment eu lieu au Sénat, lors de l’examen en première lecture du présent projet de loi. La commission des Lois a en effet adopté un amendement de son rapporteur, M. Yves Détraigne, visant à supprimer le mot « public » afin de s’en tenir à la notion de « service de la justice », suivant en cela les arguments développés lors de leurs auditions par les représentants de l’union syndicale de la magistrature, de la conférence nationale des procureurs généraux, du Conseil supérieur de la magistrature, de la Cour de cassation et de la conférence nationale des premiers présidents de cour d’appel. En séance publique, le Sénat a finalement adopté, après avis favorable du Gouvernement, deux amendements identiques du groupe communiste, républicain et citoyen et du groupe socialiste et républicain rétablissant la notion de « service public de la justice ».
Vos rapporteurs partagent, pour leur part, l’avis du rapporteur du Sénat. C’est la raison pour laquelle, à leur initiative, la Commission a supprimé la mention « public » pour s’en tenir à la référence au « service de la justice », après un avis favorable du Gouvernement, afin d’éviter toute confusion entre l’organisation des services de la justice, qui relève du service public, et le fonctionnement de la justice, fondé sur le principe d’indépendance des magistrats en raison de la séparation des pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire.
En revanche, il leur semble tout à fait opportun d’inscrire parmi les grands principes de l’organisation judiciaire le fait que le « service la justice » concourt à l’accès au droit et assure un égal accès à la justice, ces deux principes étant des éléments fondamentaux de la citoyenneté.
L’égal accès des citoyens à la justice est d’ores et déjà consacré au plus haut niveau de la hiérarchie des normes que ce soit en droit interne, par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, ou en droit européen, par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Par ailleurs, de façon complémentaire trouve à s’appliquer le principe de l’égalité des armes, principe non écrit d’origine anglo-saxonne, « clé de voûte de la notion de procès équitable ». La référence au principe d’égal accès à la justice dans les grands principes de l’organisation judiciaire apparaît dès lors justifiée.
L’aide à l’accès au droit est quant à elle définie à l’article 53 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique modifiée par la loi n° 98-1163 du 18 décembre 1998 relative à l’accès au droit et à la résolution amiable des conflits et emporte le droit de bénéficier :
– d’une information générale sur ses droits et ses obligations et d’une orientation vers les organismes chargés de leur mise en œuvre ;
– d’une aide dans l’accomplissement de toute démarche en vue de l’exercice d’un droit ou de l’exécution d’une obligation de nature juridique et d’une assistance au cours de procédures non juridictionnelles ;
– de consultations juridiques ;
– d’une assistance pour la rédaction et la conclusion d’actes juridiques.
Aux termes de l’article 54 de la loi du 10 juillet 1991, il est institué, dans chaque département, un conseil départemental de l’accès au droit (CDAD) chargé de la mise en œuvre de ce droit que le II du présent article propose de renforcer. L’accès au droit constitue désormais une dimension à part entière du service public de la justice et permet d’enrichir la conception de ce service public au-delà de sa dimension de base – l’activité régalienne juridictionnelle.
2. L’extension des missions et de la composition des conseils départementaux de l’accès au droit (CDAD)
Le II du présent article modifie la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique afin de renforcer la politique d’accès au droit en élargissant les missions du conseil départemental de l’accès au droit et en impliquant désormais le procureur de la République à sa gouvernance.
a. L’élargissement des missions des CDAD
Le 1° du II du présent article modifie l’article 54 de la loi du 10 juillet 1991 précitée afin d’étendre les missions du CDAD à la « mise en œuvre d’une politique locale de résolution amiable des différends » et lui permettre de « développer des actions communes » avec d’autres CDAD.
Actuellement, les missions du CDAD sont les suivantes : recenser les besoins, définir une politique locale, dresser et diffuser l’inventaire de l’ensemble des actions menées. Le conseil est saisi, pour information, de tout projet d’action préalablement à sa mise en œuvre et, pour avis, de toute demande de concours financier de l’État préalablement à son attribution. Il procède à l’évaluation de la qualité et de l’efficacité des dispositifs auxquels il apporte son concours. Il peut participer au financement des actions poursuivies. Il établit chaque année un rapport sur son activité. Il existe aujourd’hui 101 CDAD.
Ainsi, les CDAD peuvent créer des structures d’accès au droit accueillant de manière régulière, gratuite, anonyme et confidentielle, tous les publics par le biais de prestations de qualité. Selon l’étude d’impact du présent projet de loi, 1 250 lieux d’accès au droit ont été recensées, dont 154 se trouvent au sein d’établissements pénitentiaires.
L’assistance juridique dédiée aux justiciables a été renforcée par la loi du 18 décembre 1998 relative à l’accès au droit et au règlement amiable des conflits précitée et par le décret du 29 octobre 2001 (16), qui ont consacré l’existence des maisons de justice et du droit (MJD) placées sous l’autorité des chefs du tribunal de grande instance dans le ressort duquel elles sont situées. Ces établissements, au nombre de 137, assurent une présence judiciaire de proximité et concourent à la prévention de la délinquance, à l’aide aux victimes et à l’accès au droit. Les mesures alternatives de traitement pénal et les actions tendant à la résolution amiable des conflits peuvent y prendre place.
Conformément à l’une des recommandations de l’inspection générale des services judiciaires dans son rapport d’avril 2015(17), le a) du 1° du I du présent article propose d’élargir les missions du CDAD à la mise en œuvre d’une politique locale de résolution amiable des différends.
L’objectif de cette disposition est de promouvoir auprès des justiciables qui s’adressent aux CDAD l’existence de modes alternatifs de règlement des différends (MARD). Le rapport précité rappelle qu’une information des usagers en amont de la saisine du juge, par le biais de campagnes dédiées, est nécessaire et que les CDAD sont des acteurs essentiels de tout partenariat et doivent être reconnus comme des ressources pour le développement des procédures négociées. Il faut souligner que les CDAD sont ainsi associés à la mise en œuvre de la résolution amiable des différends mais n’ont pas vocation à participer à sa définition.
Le b) du 1° du II du présent article autorise désormais expressément un CDAD à développer des actions communes avec d’autres CDAD afin d’améliorer le maillage territorial de l’aide à l’accès au droit et de développer les bonnes pratiques expérimentées par certains.
b. La participation du procureur de la République à la gouvernance du CDAD
L’article 55 de la loi du 10 juillet 1991 précitée précise que le CDAD doit être constitué sous forme de groupement d’intérêt public et précise qu’il est composé d’un représentant de l’État, du département, de l’association départementale des maires, de l’ordre ou, si le département compte plus d’un barreau, de l’un des ordres des avocats établis dans le département choisi par leurs bâtonniers respectifs, de la caisse des règlements pécuniaires de ce barreau, de la chambre départementale des huissiers de justice, de la chambre départementale des notaires, à Paris, de l’ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation et d’une association œuvrant dans le domaine de l’accès au droit, désignée conjointement par le président du tribunal de grande instance du chef-lieu du département et les membres du GIP autre que l’État, sur proposition du préfet. Le CDAD est présidé par le président du tribunal de grande instance du chef-lieu du département, qui a voix prépondérante en cas de partage égal des voix. Le procureur de la République près le tribunal de grande instance du chef-lieu du département exerce la fonction de commissaire du Gouvernement.
Le 2° du II du présent article modifie la gouvernance du CDAD en prévoyant que :
– pourra également être désigné une association œuvrant dans les domaines de l’aide aux victimes ou de la médiation (alinéa 16) ;
– le procureur de la République près ce tribunal participera également à la désignation de l’association œuvrant dans le domaine de l’accès au droit (alinéa 16) et deviendra vice-président du CDAD (alinéa 19).
À l’initiative de vos rapporteurs et suivant l’avis favorable du Gouvernement, la commission des Lois a précisé qu’il serait possible au président du tribunal de grande instance et au procureur de la République de désigner plusieurs associations membres du CDAD, y compris une association œuvrant dans le domaine de la conciliation.
Le procureur ne pouvant plus, dès lors, exercer la fonction de commissaire du Gouvernement, cette fonction sera dévolue à un magistrat du siège ou du parquet de la cour d’appel en charge de la politique associative, de l’accès au droit et de l’aide aux victimes, désigné conjointement par les chefs de la cour d’appel de rattachement en qualité de commissaire du Gouvernement (alinéa 20).
Selon le Gouvernement, ce magistrat aurait en effet une parfaite connaissance du réseau d’accès au droit et associatif en matière d’aide aux victimes et de médiation. Cette modification permettrait aux chefs de cour d’avoir une meilleure connaissance de la politique d’accès au droit de l’ensemble de leur ressort et de renforcer la pertinence de leurs propositions d’arbitrage budgétaire. Il ne pourrait, en outre, y avoir de conflit d’intérêt dès lors qu’il n’est pas membre du CDAD.
Enfin, le 2° du II procède à des modifications légistiques (alinéas 13 à 17) puisque le 9° de l’article 55 devient le 8°, le 10° devient le 9° et le 10° est abrogé en conséquence à la suite d’un amendement adopté en première lecture au Sénat.
Le 3° du II du présent article prévoit les mêmes modifications à l’article 69-7 de la loi du 10 juillet 1991, pour le CDAD de Polynésie française (alinéas 22 à 27).
Dans son avis sur les crédits de la mission Justice pour 2015 (18), l’un de vos rapporteurs, M. Jean-Michel Clément, avait proposé d’étudier une autre option, consistant à confier une vice-présidence du CDAD au préfet ou à son représentant. Ce vice-président, représentant de l’État, pourrait décharger les présidents de TGI d’une partie de leurs attributions, en particulier de celles relatives à la recherche de cofinancements, qui sont lourdes et ne paraissent pas toujours pleinement compatibles, d’un point de vue déontologique, avec leur statut de chef de juridiction.
Néanmoins, il observe aujourd’hui que le représentant de l’État siège de droit au sein des CDAD et que les dispositifs d’accès au droit ne s’attachent plus seulement à dispenser de l’aide à l’accès au droit, mais également à intégrer l’ensemble des dimensions de l’information juridique et de l’aide aux démarches dans toutes les autres politiques partenariales des juridictions. Parmi celles-ci, peuvent être mentionnées la prévention de la délinquance et l’aide aux victimes, étroitement associées à l’action des procureurs de la République. Ces actions, dont certaines sont exercées dans les maisons de justice et du droit, font partie de la politique judiciaire des tribunaux de grande instance.
Il lui paraît donc désormais justifier de confier la vice-présidence du CDAD au procureur de la république afin de renforcer son implication dans l’animation de la politique d’accès au droit du département et d’améliorer l’articulation entre les missions propres du parquet en matière de politique d’aide aux victimes et celles du CDAD en matière d’accès au droit. Par ailleurs, ce nouveau statut favorisera l’articulation des CDAD et des maisons de justice et du droit, ces établissements judiciaires ayant une part d’activité importante dans les domaines de la prévention de la délinquance et de la mise en œuvre de mesures alternatives aux poursuites.
*
* *
La Commission est saisie de l’amendement CL339 des rapporteurs Jean-Yves Le Bouillonnec et Jean-Michel Clément.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Il a paru nécessaire de supprimer la mention « public » au sujet du service de la justice, considérant que l’expression « service public de la justice » est impropre lorsqu’elle veut évoquer l’autorité judiciaire, alors qu’elle demeure pertinente s’agissant de l’organisation des services au quotidien.
Si la formule existe dans certaines dispositions législatives, elles sont cependant fort peu nombreuses. Il est donc proposé de revenir à la rédaction que je qualifierai de traditionnelle.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux, ministre de la justice. Dans la mesure où il ne modifie rien au droit existant, le Gouvernement est favorable à l’adoption de cet amendement.
La Commission adopte l’amendement.
Puis elle adopte l’amendement rédactionnel CL340 des rapporteurs.
La Commission examine ensuite l’amendement CL299 de M. Alain Tourret.
M. Alain Tourret. Cet amendement propose que les associations d’avocats médiateurs soient également membres de droit des conseils départementaux de l’accès au droit (CDAD), à l’instar des associations œuvrant dans le domaine de l’accès au droit.
M. le garde des Sceaux. Avis défavorable.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Avis défavorable également dans la mesure où les associations œuvrant dans le domaine de la médiation peuvent être désignées, ce qui implique la présence d’une association d’avocats s’il en existe une dans le périmètre du CDAD.
L’amendement est retiré.
La Commission est saisie de l’amendement CL341 rectifié des rapporteurs.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Cet amendement propose de laisser la possibilité au président du tribunal de grande instance et au procureur de la République de désigner conjointement, sur proposition du représentant de l’État dans le département, non pas une, mais plusieurs associations membres des centres départementaux d’accès au droit. Il importe, en effet, de garantir une diversité égale à celle des territoires.
M. le garde des Sceaux. Dans la mesure où il s’agit d’une possibilité laissée au président du tribunal de grande instance ou au procureur, le Gouvernement est favorable.
La Commission adopte l’amendement.
Elle passe ensuite à l’examen de l’amendement CL342 des rapporteurs.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Nous proposons d’inclure les associations de conciliateurs dans le champ des associations qui seraient susceptibles d’être membre de droit du CDAD.
M. le garde des Sceaux. Avis favorable.
La Commission adopte l’amendement.
Ensuite, elle adopte l’amendement rédactionnel CL343 des rapporteurs.
Puis elle étudie l’amendement CL50 de M. Sergio Coronado.
M. Sergio Coronado. Le délégué local du Défenseur des droits est prévu à l’article 37 de la loi organique relative au Défenseur des droits. Ces délégués sont actuellement au nombre de 397.
Cet amendement propose qu’un délégué local siège dans chaque conseil départemental de l’accès au droit. Le rôle du Défenseur des droits et sa sensibilité aux problématiques d’accès au droit et de défense des libertés rendraient la présence des délégués locaux dans les CDAD particulièrement pertinente.
M. le garde des Sceaux. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement, car il estime que les délégués du Défenseur des droits peuvent déjà être amenés à siéger dans les CDAD, en application de l’article 56 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique. Je précise d’ailleurs, comme l’indique l’exposé des motifs de l’amendement, que, sur 397 représentants du Défenseur des droits, 198 interviennent déjà dans 1 250 points d’accès au droit, 30 dans les antennes de justice et 139 dans les maisons de justice et du droit.
L’amendement est retiré.
La Commission adopte successivement les amendements rédactionnels CL344, CL345, CL346 des rapporteurs et l’amendement CL347 du rapporteur Jean-Yves Le Bouillonnec.
Puis elle adopte l’article 1ermodifié.
Après l’article 1er
La Commission examine l’amendement CL17 de M. Éric Ciotti.
M. Éric Ciotti. Le présent amendement propose de mettre en place le principe d’une participation financière des détenus aux frais de leur incarcération, ce qui constituerait une nouveauté dans notre pays. Un tel dispositif, qui représenterait une mesure de justice, est à l’étude aux Pays-Bas. Il prendrait en compte les ressources et le patrimoine, parfois conséquents, des intéressés.
Je rappelle que le coût moyen de l’incarcération s’élève à 106 euros par jour, soit 36 000 euros par an. Même si le lien peut sembler ténu, la comparaison peut être établie avec le ticket modérateur acquitté par les personnes hospitalisées.
M. le garde des Sceaux. Avis défavorable.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Chacun mesure le caractère punitif de cette mesure. Plus d’un quart des détenus connaissent une situation de grande précarité et sont sans ressources. Par ailleurs, le taux d’activité en détention n’est que de 52,6 % pour les détenus exécutant leur peine et de 28,4 % pour ceux qui sont en maison d’arrêt. La rémunération moyenne est inférieure à 550 euros. En outre, l’article 717-3 du code de procédure pénale, que vous n’avez pas prévu de modifier, dispose que le produit du travail des détenus ne peut faire l’objet d’aucun prélèvement pour frais d’entretien en établissement pénitentiaire.
Enfin, nous ne pouvons préjuger de l’appréciation que porterait la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) sur une telle disposition, alors même que l’État français, à plusieurs reprises, a été condamné à indemniser des personnes détenues en raison de leurs conditions de détention. Pour toutes ces raisons, l’avis est défavorable.
M. Joaquim Pueyo. À une époque, les détenus participaient à leurs frais de détention lorsqu’ils travaillaient, ce qui les a incités à ne plus travailler. La mise en œuvre d’une telle mesure serait très complexe. Du reste, beaucoup de détenus sont indigents et l’administration pénitentiaire leur a même proposé une aide, notamment pour financer leur formation initiale.
J’ignore quels sont les pays ayant expérimenté une disposition équivalente à ce que propose M. Ciotti ; aux Pays-Bas, ce n’est qu’une réflexion en cours. Aucun Etat membre de l’Union européenne ne fait participer les détenus à leur entretien. D’ailleurs, ceux-ci participent en payant la location de la télévision, par exemple.
Si le travail en détention était mieux rémunéré, on pourrait reconsidérer la question, mais en raison des contraintes pesant sur les employeurs, la rémunération atteint à peine 30 % à 40 % du SMIC. Même si la responsabilité de la personne détenue doit toujours être mise en avant, je suis défavorable à cette proposition.
M. Guy Geoffroy. Cet amendement ne propose pas de prélever une part du revenu provenant du travail effectué par les détenus, il y est question du patrimoine. Il serait très choquant que des délinquants notoirement enrichis par leurs méfaits ne soient pas, à un titre ou un autre, appelés à contribuer aux frais qu’ils occasionnent à la société du fait de leurs actes délictueux qui leur rapportent beaucoup. On constate, d’ailleurs, qu’à leur sortie de prison, ils n’ont guère besoin d’être aidés pour retrouver dans la vie libre une place du même rang que celle qui était la leur avant leur incarcération.
M. Alain Tourret. Les frais de justice doivent pourtant être payés. En allant plus loin dans le raisonnement, on en dispense tout le monde. Seuls les individus disposant d’un patrimoine et de ressources importantes sont visés par cet amendement, ce qui fait tomber tout argument misérabiliste. À titre personnel, je considère la criminalité en col blanc comme la plus grave, et j’ai du mal à concevoir que les intéressés puissent ne pas être punis. La mesure proposée est punitive, certes, comme le sont les dommages et intérêts. J’estime donc que cette proposition ne peut pas simplement être rejetée par principe. Il conviendrait d’approfondir la réflexion, car l’appel de M. Ciotti est pleinement justifié.
Je connais bien la maison d’arrêt de Caen, si insalubre que l’État a été condamné des dizaines de fois – à la suite, d’ailleurs, de demandes que mon cabinet d’avocat avait défendues. Dans ce cas, bien sûr, on ne peut pas demander une quelconque indemnisation. Mais sur le principe, si le maintien en état de la prison est à la charge de tous les citoyens, ceux qui s’y retrouvent en sont en quelque sorte responsables, et doivent en prendre leur part s’ils en ont les moyens.
Je suis donc favorable à une nouvelle rédaction de cet amendement qui ne me semble pas pouvoir être balayé d’un revers de main.
M. Guillaume Larrivé. Le rapporteur a considéré que la mesure proposée revêtait un caractère punitif : c’est le cas de l’ensemble de la question pénitentiaire, car, par définition, la prison a une fonction punitive. Ne pourrions-nous pas, monsieur le ministre, travailler cet amendement pour la séance publique, en prévoyant une application expérimentale dans certains établissements pénitentiaires ?
M. Joaquim Pueyo. Le prix de journée d’un détenu en France s’élève à 106 euros en maison d’arrêt et à 200 euros en centrale ; il est du double aux Pays-Bas. Une partie du pécule des détenus est déjà prélevée, y compris sur les mandats qu’ils reçoivent, aux fins de réparation des parties civiles, mais ce n’est pas suffisant. Pour rendre le détenu responsable de ses actes, il faut qu’il répare le préjudice causé aux victimes. J’entends le souhait de M. Ciotti de responsabiliser les détenus en leur faisant acquitter une partie de leurs frais d’entretien, mais il me semble qu’une première étape pourrait consister à leur faire payer la réparation des préjudices qu’ils ont causés.
M. le président Dominique Raimbourg. Je rappelle que l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués, l’AGRASC, a constitué une avancée importante, puisqu’elle permet la saisie des avoirs criminels. En outre, certaines dispositions de la loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales, dite « loi Taubira », prévoient la non-restitution de la somme consignée pour les parties civiles à la fin de l’incarcération, lorsque la trace de celles-ci est perdue, et le virement des sommes dans un fonds.
Une étude d’impact serait nécessaire pour savoir qui serait susceptible de payer la participation suggérée par M.Ciotti. Empiriquement, ceux qui seraient à même de le faire sont les détenus retraités puisqu’ils font partie des rares catégories continuant à percevoir un revenu régulier.
Il y a parfois des bonnes surprises, monsieur Ciotti : nous sommes prêts à vous suivre dans cette direction, en examinant toutefois les modalités d’une telle disposition. L’indigence dans laquelle se trouvent beaucoup de détenus, rappelée par le rapporteur, rend, en l’état, votre amendement inapplicable.
M. Éric Ciotti. Je remercie les intervenants pour l’intérêt qu’ils portent à ce débat. J’ai bien conscience d’ouvrir un champ d’exploration nouveau, qui peut apporter des réponses à une attente de réparation globale de la société. Le budget de l’administration pénitentiaire est de plus de 3 milliards d’euros, et le coût de la détention toujours plus élevé, jusqu’à 700 euros par jour en centre éducatif fermé.
Mon amendement évoque aussi la responsabilité parentale et préserve le principe d’individualisation à travers l’évaluation du patrimoine et des revenus des intéressés. Il ouvre un débat important dont vos remarques ont montré l’intérêt, même si j’entends les oppositions qui peuvent s’exprimer. Nous devons à la société d’appeler en responsabilité ceux qui disposent d’un patrimoine important. L’AGRASC, instituée sous la précédente majorité par le président de la commission des Lois de l’époque, M. Jean-Luc Warsmann, constitue un progrès considérable ; elle pourrait permettre d’évaluer ces patrimoines. En tout cas, je vous remercie de ne pas balayer cet amendement d’un revers de main.
La Commission rejette l’amendement.
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Chapitre II
Faciliter l’accès à la justice
Article 2
(art. L. 123-3 [nouveau] du code de l’organisation judiciaire)
Création d’un service d’accès unique du justiciable
Le présent article généralise le service d’accès unique du justiciable (SAUJ), expérimenté dans le ressort de certains tribunaux de grande instance depuis 2014, afin de faciliter l’accès du citoyen à la justice tant d’un point de vue géographique que fonctionnel. Désormais, chacun, où qu’il réside ou travaille, pourra se rendre dans un SAUJ pour s’informer de ses droits, engager des formalités et des démarches, se renseigner sur les procédures ou suivre le traitement de ses affaires, y compris celles relevant d’une autre juridiction.
1. La nécessité de créer un lieu d’accueil unique du justiciable pour neutraliser la complexité de l’organisation judiciaire
L’organisation juridictionnelle française est complexe. L’on distingue tout d’abord les juridictions administratives – chargées de juger et de contrôler l’administration et de régler les conflits avec celle-ci – et les juridictions judiciaires, compétentes pour régler les litiges opposant les personnes privées et pour sanctionner les auteurs d’infractions aux lois pénales.
Au sein même des juridictions judiciaires, l’on distingue également les juridictions civiles, qui tranchent les litiges mais n’infligent pas de peines (loyer, divorce, consommation, etc.), et les juridictions pénales, seules compétentes pour juger et sanctionner les personnes soupçonnées d’une infraction (conduite sans permis, vol, meurtre...). En outre, certaines affaires sont examinées par des juridictions spécialisées (conseils de prud’hommes, tribunal de commerce, tribunal des affaires sociales, juridictions pour mineurs…).
Enfin, pour chaque ordre juridictionnel, il existe trois niveaux de juridictions : les juridictions de première instance, les juridictions d’appel et les juridictions suprêmes (Conseil d’État et Cour de cassation).
En application de l’article L. 123-1 du code de l’organisation judiciaire, « La Cour de cassation, les cours d’appel, les tribunaux de grande instance, les tribunaux d’instance, les tribunaux d’instance ayant compétence exclusive en matière pénale, les juridictions de proximité et les conseils de prud’hommes comprennent un greffe composé de fonctionnaires de l’État ». Par définition, chaque greffe n’est compétent que pour les actes de procédure relevant de sa juridiction (voir le schéma ci-après).
SCHÉMA DE L’ORGANISATION JURIDICTIONNELLE FRANÇAISE
La complexité de cette organisation juridictionnelle est une difficulté. Comme l’indique l’exposé des motifs du projet de loi, « à peine la moitié des français disent connaître le tribunal de grande instance et le tribunal d’instance. Une large proportion d’entre eux indique ne pas savoir quelle est la juridiction compétente pour certains contentieux courants ».
Il devient impératif de faciliter les démarches des citoyens, nonobstant la complexité de l’organisation judiciaire, pour leur permettre d’exercer leur droit à un recours effectif devant un juge tel qu’il résulte de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
Plusieurs rapports en ce sens se sont succédés (19) et des démarches ont été entreprises depuis quelques années mais sont insuffisantes. S’il n’existe aucun cadre juridique actuellement, des guichets uniques de greffe (GUG) ont parfois été créés dans certaines juridictions sont affectés des agents qui assurent un service d’accueil mutualisé au profit de plusieurs juridictions implantées sur un même site (cour d’appel, tribunal de grande instance, tribunal d’instance, conseil de prud’hommes).
De plus, une expérimentation d’un « service d’accueil unique de la justice » (SAUJ) a été engagée dans plusieurs ressorts judiciaires depuis l’automne 2014 (Privat, Bobigny, Dunkerque, Brest, Saint-Denis-de-la-Réunion, Vesoul et Pontivy) par la voie d’arrêtés ministériels. En pratique, les SAUJ sont le plus souvent installés dans les locaux des tribunaux de grande instance ou des tribunaux d’instance.
Vos rapporteurs se félicitent néanmoins de la création d’un SAUJ dans la maison de justice et du droit (MJD) de Pontivy le 28 août 2015, qui consacre la proposition n° 8 que M. Jean-Michel Clément avait émise dans son avis sur les crédits de la mission Justice dans le cadre du projet de loi de finances pour 2015 en faveur de MJD de « troisième génération » (20). En effet, il leur semble très important de privilégier le maillage territorial, afin d’offrir aux justiciables un point d’accueil de la justice à proximité de son domicile, qui peut parfois s’avérer éloigné du tribunal d’instance, et plus encore du tribunal de grande instance. La déclinaison de cette expérimentation dans les autres MJD de France, qui sont déjà dotées d’un personnel de greffe, pourrait être utilement privilégiée, même si, à l’occasion de leur déplacement à Pontivy, vos rapporteurs ont constaté que le succès de cette expérimentation dépendait largement de la mobilisation des élus locaux, qui avaient préalablement créé un centre d’accès au droit à Pontivy depuis plusieurs années, et de celle des magistrats et greffiers du TGI de Lorient qui avaient eux-mêmes lancé une expérimentation d’accueil individualisé des justiciables dès le mois de mai 2015.
L’expérimentation du SAUJ se déroule en trois étapes complémentaires :
– le SAUJ doit permettre de diffuser des informations générales de sorte qu’il n’est plus nécessaire de se déplacer dans la juridiction territorialement compétente pour obtenir l’information concernée ou retirer un imprimé, permettant de faciliter les démarches judiciaires (PACS, tutelle, juge des affaires familiales, saisine de la juridiction de proximité du tribunal d’instance etc.) ;
– le SAUJ doit ensuite diffuser des informations personnalisées sur les procédures de chaque justiciable : les justiciables doivent pouvoir se rendre au SAUJ pour obtenir des informations sur l’accès à la justice et éventuellement sur les procédures qui les concernent ;
– le SAUJ doit enfin pouvoir accomplir des actes de procédure quelle que soit la juridiction de l’arrondissement compétente pour trancher le litige, alors qu’ils ne peuvent actuellement être faits qu’au greffe de la juridiction compétente. Cette dernière étape suppose une modification législative. En effet, actuellement, la compétence des greffiers est limitée à double titre : leur compétence d’attribution dépend du tribunal dans lequel ils sont affectés, de sorte qu’un greffier en tribunal d’instance ne peut, en principe, procéder à des actes de procédures relevant de la compétence du tribunal de grande instance ; sa compétence dépend également de son lieu d’affectation et s’entend dans les limites de l’arrondissement de sa juridiction.
2. La réforme proposée : un premier pas prometteur pour rapprocher les citoyens de la justice
Le I du présent article introduit un nouvel article L. 123-3 au sein du code de l’organisation judiciaire pour consacrer l’existence des SAUJ dans la loi.
Sans modifier l’organisation interne des juridictions, cet article étend, par exception à l’article L. 123-1 du même code, la compétence du greffe au-delà de sa juridiction d’origine, afin de permettre au SAUJ de pouvoir accomplir des actes de procédure, quelle que soit la juridiction de l’arrondissement compétente pour le litige considéré. Cet article introduit une dérogation à la double limitation de la compétence des greffes, au bénéfice de ceux qui seront affectés dans les SAUJ, afin de permettre aux fonctionnaires concernés de pouvoir recevoir les actes de procédure relevant d’autres juridictions que celle où le SAUJ est implanté, certains SAUJ pouvant d’ailleurs ne pas être implantés au siège d’une juridiction, comme celui de Pontivy.
Cet article définit la mission du SAUJ de la manière suivante : « le service informe les personnes sur les procédures qui les concernent et reçoit de leur part des actes afférents à ces procédures ».
Chaque citoyen pourra désormais, où qu’il réside ou travaille, s’adresser au SAUJ de son choix pour s’informer sur sa procédure et y faire enregistrer et recevoir les actes afférents à sa procédure, même si celle-ci relève d’une autre juridiction.
Le 1° du II du présent article modifie l’article 48-1 du code de procédure pénale relatif au bureau d’ordre national automatisé des procédures judiciaires afin de permettre aux agents habilités auprès d’un SAUJ d’avoir accès à l’application informatique Cassiopée au-delà du ressort de sa propre juridiction d’affectation pour les seuls besoins de fonctionnement du service, et ce dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État.
Il faut rappeler que l’application Cassiopée est utilisée dans toute procédure pénale. Elle contient des informations relatives aux plaintes enregistrées par les magistrats dans le cadre de procédures judiciaires ainsi que l’état civil, les données bancaires, les coordonnées de prévenus, témoins ou encore des victimes et parties civiles, etc.
La double garantie proposée par le présent article permet de limiter le nombre d’agents du SAUJ ayant accès à Cassiopée, et de s’assurer que si le greffier du SAUJ pourra informer le mis en cause ou la victime du déroulement de la procédure et recevoir et transmettre les actes liés à cette procédure, il ne pourra pas enregistrer de nouvelles informations ou modifier les informations existantes sur cette application (21). En effet, cet enregistrement ou modification ne peut être effectué que sous la responsabilité du procureur de la République ou du magistrat du siège de la seule juridiction compétente.
Le 2° du II du présent article est une disposition de coordination insérée en première lecture au Sénat à l’initiative du rapporteur de la commission des Lois.
Le III du présent article modifie l’article 13 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l’aide juridique afin d’étendre la compétence des SAUJ à la réception des demandes d’aide juridictionnelle, qui en principe sont adressées au bureau d’admission de l’aide juridictionnelle compétent (BAJ). Ces BAJ étant installés au siège du tribunal de grande instance, la modification proposée devrait simplifier les procédures en permettant aux justiciables de déposer leur demande au SAUJ de la juridiction la plus proche de leur domicile ou de leur travail.
Vos rapporteurs considèrent que la consécration légale du SAUJ et sa généralisation constituent une avancée certaine en faveur d’une justice plus proche des citoyens et plus accessible. Toutefois, pour être pleinement efficace, cette démarche devra être approfondie.
D’une part, le greffier nécessairement affecté au SAUJ devra à l’avenir être formé à la maîtrise de l’ensemble des procédures civiles, pénales et des procédures spécialisées pour pouvoir rendre le meilleur service au justiciable alors que, jusqu’à présent, les greffes des tribunaux s’en tenaient à connaître les seules procédures pour lesquelles leur juridiction était compétente.
L’étude d’impact précise en outre que les besoins en effectifs seront importants : fixée initialement à 220 emplois dont 80 créations nettes d’emplois de greffiers, cette évaluation sera fonction du périmètre d’intervention des SAUJ et de leur articulation avec les maisons de justice et du droit.
D’autre part, un obstacle de taille reste à surmonter, qui tient à l’organisation informatique des juridictions. Pendant très longtemps, chaque juridiction disposait de ses propres applications informatiques de sorte qu’il n’était pas possible pour le greffe d’une juridiction donnée d’accéder à distance aux traitements informatiques d’une autre juridiction. Le projet Cassiopée a permis de concevoir un outil commun à toutes les juridictions pénales, rendant possible cet accès à distance. Toutefois, il n’existe pas de dispositif similaire pour les procédures civiles. En conséquence, soit les SAUJ pilotes se contentent de donner des informations générales, compte tenu de l’impossibilité d’avoir des informations fiables sur les procédures relevant d’autres juridictions ou d’enregistrer des requêtes à leur profit, ce qui n’améliore pas la situation antérieure ; soit ils sont obligés d’appeler par téléphone les juridictions concernées pour informer les justiciables, recevoir et transmettre par courrier les requêtes à enregistrer, ce qui génère une perte de temps importante et des risques d’erreur, outre un besoin en personnel supplémentaire, tant pour l’accueil unique que pour la juridiction concernée par la procédure.
Conscient de cette difficulté majeure, le ministère de la justice a lancé un vaste chantier informatique, Portalis, destiné à créer une chaîne applicative civile unique, mais celui-ci débute à peine et ne devrait remplacer les applications existantes qu’à l’horizon 2021.
Pour accompagner cette expérimentation, un greffier a été nommé dans le ressort de chaque cour d’appel concernée. Son rôle est de favoriser le développement de lien entre les services d’accueil et d’assurer un appui des juridictions du ressort. Sa mission consiste à rapprocher les pratiques des différentes juridictions, et à participer au processus d’homogénéisation du niveau d’information délivrée. Formé et pratiquant les procédures des différentes juridictions, il est positionné en appui technique des équipes d’accueil.
Selon les informations transmises à vos rapporteurs par le Gouvernement, en 2016, trente nouveaux emplois de greffiers placés pour le développement de l’expérimentation de l’accueil unique du justiciable ont été offerts à la mobilité pour les ressorts non renforcés à ce titre en 2015. Par ailleurs, la réforme statutaire des greffes, dont les décrets ont été publiés le 13 octobre 2015, s’est attachée à revaloriser les emplois de responsable d’un service d’accueil unique du justiciable, en leur permettant d’accéder au statut d’emplois de greffier fonctionnel des services judiciaires du deuxième groupe (article 7 du décret du 13 octobre 2015). Au total, un budget d’un million d’euros a été prévu en 2016 au titre de cette expérimentation.
Vos rapporteurs souhaitent vivement qu’avec la généralisation du SAUJ au niveau national, les mêmes précautions soient prises afin d’assurer l’efficacité de ce nouveau dispositif.
D’après le Gouvernement, une demande de 24 millions d’euros a été sollicitée au titre des mesures nouvelles pour l’année 2017. De plus, dans le cadre des programmes immobiliers, en phase de conception ou réalisation, les travaux d’aménagement nécessaires à la mise en place d’un SAUJ ont été programmés.
Nos collègues sénateurs ont salué cette réforme tout en considérant qu’un autre outil devrait être mis en place pour assurer le succès des SAUJ, à savoir la mutualisation des greffes afin de permettre une allocation optimale des moyens en fonction des besoins. Cette proposition a conduit à l’adoption d’un amendement du rapporteur, M. Yves Détraigne, portant article additionnel – à l’article 13 bis – instaurant une mutualisation des effectifs des greffes du tribunal de grande instance, des tribunaux d’instance et du conseil de prud’hommes (22).
Vos rapporteurs réitèrent la proposition formulée dans l’avis sur les crédits de la mission Justice pour 2015 consistant à autoriser la tenue d’« audiences foraines » dans les maisons de justice et du droit, s’agissant de certains contentieux simples aux enjeux limités afin de rapprocher encore davantage la justice des citoyens (23). Ils observent que, comme l’a indiqué le Gouvernement au cours de la réunion de la commission des Lois, l’article R. 124-2 du code de l’organisation judiciaire ouvre déjà la possibilité au premier président de la Cour d’appel, après avis du procureur de la République, de tenir des audiences foraines « en des communes de leur propre ressort autres que celle où est fixé leur siège ». Il leur semble néanmoins souhaitable de préciser, expressément, à l’article R. 131-1 du même code relatif aux maisons de justice et du droit, que ces audiences peuvent se tenir en ces lieux. Ils souhaiteraient également que le Gouvernement simplifie la procédure prévue à l’article R. 124-2 précité afin de donner compétence au seul président du tribunal de grande instance pour organiser de telles audiences foraines.
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La Commission adopte successivement les amendements de précision CL348 et CL349 du rapporteur Jean-Yves Le Bouillonnec.
Puis elle adopte l’article 2 modifié.
Après l’article 2
La Commission examine l’amendement CL15 de M. Philippe Gosselin.
M. Philippe Gosselin. Par un arrêt du 7 novembre 2013, la Cour de Justice de l’Union européenne a réaffirmé le principe du libre choix de l’avocat par une personne bénéficiant d’une assurance de protection juridique. Cet amendement vise à réaffirmer ce principe en droit interne.
Très souvent, aujourd’hui, les assurés se trouvent coincés par la compagnie d’assurances qui ne leur laisse pour seul choix – qui est plus exactement un non-choix – que de prendre l’avocat qu’elle leur impose sous peine de mettre un terme au processus. Dans ces conditions, il n’y a plus de défense des intérêts libre et autonome.
M. le garde des Sceaux. Le Gouvernement souhaite le retrait de cet amendement. Le droit en vigueur est déjà largement satisfaisant puisque l’article L. 127-3 du code des assurances, dans sa rédaction issue de la loi du 19 février 2007 portant réforme de l’assurance de protection juridique, affirme le principe du libre choix de l’avocat par l’assuré.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. La préoccupation de notre collègue est partagée, car la liberté du choix de l’avocat doit être totale. Le code des assurances prévoit, en effet, que l’intéressé doit pouvoir choisir son avocat. Toute compagnie d’assurances qui ne respecte pas cette prescription se met donc en infraction. À mon sens, cet amendement est redondant.
M. Philippe Gosselin. Je le retire, mais je n’exclus pas de le redéposer en séance publique, car la liberté de choix est en réalité très hypothétique, pour ne pas dire nulle.
M. Sébastien Huyghe. Un certain nombre de compagnies d’assurances exercent une réelle pression pour imposer l’avocat avec qui elles ont passé des accords. Cela n’est un secret pour personne, et nos concitoyens nous le disent souvent dans nos permanences.
Le Règlement de l’Assemblée nationale m’empêchant de reprendre son amendement, j’incite Philippe Gosselin à revenir sur sa décision de le retirer. À mon sens, la mention récurrente de la liberté du choix de l’avocat dans les textes ne nuirait pas à la qualité de la législation ; surtout, elle permettrait à nos concitoyens que leur assureur renverrait à tel ou tel article de loi de constater que ce libre choix existe bien.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Théoriquement, l’article L. 127-3 précité devrait apporter totale satisfaction à M. Gosselin et répondre à sa légitime préoccupation. Il dispose que « tout contrat d’assurance de protection juridique stipule explicitement que lorsqu’il est fait appel à un avocat ou à toute autre personne qualifiée par la législation ou la réglementation en vigueur pour défendre, représenter ou servir les intérêts de l’assuré dans les circonstances prévues à l’article L. 127-1, l’assuré a la liberté de le choisir ».
M. Philippe Gosselin. Le cadre juridique semble effectivement bien posé. Il n’empêche qu’aujourd’hui, en réalité, les compagnies d’assurance font ce qu’elles veulent et la liberté de choix n’existe pas.
L’amendement est retiré.
La Commission examine l’amendement CL350 des rapporteurs.
M. Jean-Michel Clément, rapporteur. Cet amendement reprend une recommandation que j’ai émise dans mon avis budgétaire sur les crédits de la mission justice pour 2015, afin de rapprocher la justice des citoyens. Il permet au président du tribunal de grande instance d’organiser des audiences foraines au siège des maisons de justice et du droit situées dans le ressort de son tribunal, lorsqu’il s’agit de traiter des contentieux simples aux enjeux limités, lesquels seraient précisés par décret. Cette proposition est le fruit d’un échange que nous avions eu avec la présidente du tribunal de grande instance de Chartres. Elle suppose que les maisons de justice et du droit remplissent certaines conditions, tant matérielles que d’encadrement humain.
M. le garde des Sceaux. Le Gouvernement n’a aucune opposition de principe à la diversification des lieux dans lesquels pourraient se tenir des audiences foraines. Il considère cependant que le droit existant le permet déjà, notamment à l’article R. 124-2 du code de l’organisation judiciaire, qui autorise la tenue d’audiences foraines dans une commune du ressort du tribunal de grande instance autre que celle où il siège, le choix du lieu étant laissé aux soins du premier président de la cour d’appel, après avis du procureur général près de cette cour. Une telle disposition ne relève donc pas de la loi. C’est pourquoi je demande le retrait de l’amendement.
M. Jean-Michel Clément, rapporteur. J’entends ces remarques judicieuses, mais, dans ce texte qui vise à rapprocher les citoyens de leur justice, identifier clairement la maison de justice et du droit comme le lieu où se tiendraient les audiences est symboliquement important.
Si le dispositif réglementaire en vigueur fait référence aux maisons de justice et du droit, je pourrais néanmoins retirer l’amendement.
M. le garde des Sceaux. Le texte ne les vise pas explicitement : il laisse le choix du lieu à la discrétion du premier président.
M. Jean-Michel Clément, rapporteur. J’accepte de retirer mon amendement, mais je me propose de le revoir pour la séance.
L’amendement est retiré.
Puis la Commission est saisie de l’amendement CL18 de M. Éric Ciotti.
M. Éric Ciotti. Cet amendement vise à rétablir le dispositif que l’on appelle sommairement et de façon réductrice les peines planchers, malheureusement supprimé par la prédécesseure de M. le garde des Sceaux.
M. le garde des Sceaux. Tout a été dit sur le sujet. Avis défavorable.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Même avis. La loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines a supprimé les peines planchers pour des raisons d’inefficacité contre la récidive, d’allongement de la durée des peines et de surpopulation carcérale.
M. Guy Geoffroy. Tout a été dit, et même des mensonges que je voudrais dénoncer, notamment celui selon lequel les peines planchers seraient automatiques. L’un des arguments utilisés de manière fallacieuse pour supprimer ce dispositif était pourtant que les peines planchers n’avaient été appliquées que dans 50 % des cas où elles auraient pu l’être. Le dispositif est utile en ce qu’il adresse des messages clairs : le jour venu, il sera bon de le rétablir.
La Commission rejette l’amendement.
Elle discute ensuite de l’amendement CL23 de M. Éric Ciotti.
M. Éric Ciotti. Cet amendement vise à revenir sur une des dispositions de la loi pénitentiaire de 2009. Je le dépose systématiquement depuis cette date, avec une constance qui n’a, jusqu’ici, pas été couronnée de succès, mais je ne désespère pas. Nous proposons de ramener de deux ans à un an le seuil d’emprisonnement à partir duquel une peine peut être aménagée.
Paré des vertus attachées au principe de réinsertion positive des détenus, l’aménagement des peines est en fait un mode de gestion de la surpopulation carcérale. Y recourir est donc une forme d’hypocrisie qu’il faut dénoncer.
Les aménagements rendent la peine illisible. Ils suscitent l’incompréhension des victimes qui, à l’audience, entendent prononcer une condamnation qui ne sera jamais appliquée parce qu’elle sera déconstruite par le juge de l’application des peines, dans l’anonymat de son cabinet. Pour les mêmes raisons, ils engendrent aussi une certaine défiance de la société à l’égard de la justice.
Il convient donc de rétablir la lisibilité et la clarté de la peine. Il revient à l’audience de jugement de prononcer la peine adaptée, et la déconstruction systématique et automatique de toutes les peines inférieures à deux ans de prison ferme me paraît inopportune.
M. le garde des Sceaux. Le Gouvernement a toujours été défavorable à la proposition d’Éric Ciotti et le sera jusqu’à la fin de la législature. Nous considérons, au contraire, que l’aménagement de peine est un facteur utile de lutte contre la récidive. Il semblerait d’ailleurs que les aménagements de peine aient plutôt tendance à baisser, ce qui, non seulement risque de renforcer la surpopulation carcérale, mais n’est pas non plus un bon signe pour la réinsertion des détenus condamnés à de courtes peines. Tous n’ont pas vocation à finir leurs jours en prison, rappelons-le.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Même avis défavorable. Personne, depuis que la loi de 2009 est revenue dessus, n’a pu démontrer l’inutilité de ce dispositif. De surcroît, à quoi rime de ramener de deux ans à un an le seuil d’aménagement de peine ? Soit on maintient cette faculté, soit on la supprime.
M. Alain Tourret. J’ai du mal à comprendre qu’une telle proposition puisse être autre chose qu’un repli par rapport à un amendement tendant à supprimer tout seuil. Sachant qu’Éric Ciotti est partisan de la tolérance zéro, tant qu’il n’arrivera pas à supprimer tout seuil, il fera preuve de ce qu’il considère comme du laxisme et sera en effroyable contradiction avec sa position.
M. Joaquim Pueyo. L’aménagement de peine n’est pas automatique. Il est laissé à l’appréciation du juge de l’application des peines, en fonction des garanties que présente le condamné et sous réserve d’obligations. Trois options sont possibles : le placement sous surveillance électronique, le travail d’intérêt général - d’un maximum de 240 heures - et la semi-liberté. Je crois beaucoup en cette dernière mesure, car elle permet au détenu de travailler ou de suivre une formation.
Il serait d’ailleurs intéressant d’évaluer le rapport entre aménagements de peine et récidive : on se rendrait probablement compte qu’il y a beaucoup moins de récidive parmi les détenus qui en bénéficient que parmi ceux qui sortent sèchement de prison. Il me paraît nécessaire de maintenir cette faculté d’aménagement tout en l’assortissant d’un maximum de garanties. Le juge de l’application des peines peut notamment prévoir une obligation d’apporter réparation à la partie civile.
Enfin, je précise que lorsque le juge décide d’un aménagement de peine, le détenu n’est pas écroué. Il comparaît généralement libre devant le tribunal, sans avoir fait l’objet d’un mandat de dépôt auparavant.
M. Éric Ciotti. Certes, ces aménagements ne sont juridiquement pas automatiques, mais ils sont devenus de plus en plus fréquents. Compte tenu de la surpopulation carcérale, ils deviennent une variable d’ajustement démographique, s’éloignant ainsi de leur motivation première. Je ne remets pas en cause le principe fondamental de l’aménagement de peine, qui est un élément important de la réinsertion. Ce que je conteste, c’est son utilisation de plus en plus fréquente et hypocrite, sous quelque majorité que ce soit, qui suscite l’incompréhension de nos concitoyens et des victimes. Alors qu’une peine de deux ans de prison ferme sanctionne des faits déjà graves, il arrive que pas un jour de prison ne soit effectué par le condamné !
À l’origine, le seuil d’aménagement était à six mois ; il a été porté à un an par la « loi Perben », puis à deux ans par la loi de 2009. Un seuil de six mois m’irait très bien, mais je ne veux pas vous heurter trop brutalement et vous propose de procéder par étapes.
Du reste, Monsieur le garde des Sceaux, la position du Gouvernement n’a pas toujours été aussi figée. Il me semble que le texte initial du projet de loi défendu par Mme Taubira prévoyait un seuil d’un an, ce qui avait alors conduit le Premier ministre à souligner une forme de laxisme passé. C’est la navette parlementaire qui a rétabli un seuil de deux ans. Même dans vos rangs, la question a fait débat.
La Commission rejette l’amendement.
Elle aborde l’amendement CL21 de M. Éric Ciotti.
M. Éric Ciotti. Cet amendement, issu des propositions de mon rapport de 2011 sur l’exécution des peines, vise à rendre plus fluide et plus efficace toute la chaîne de l’exécution des peines en la plaçant sous la responsabilité du parquet. En 2011, le stock de peines de prison ferme non exécutées fluctuait entre 80 000 et 100 000 ; j’ignore à combien il s’élève aujourd’hui. L’une des raisons expliquant cette situation particulièrement choquante réside dans la multiplicité des intervenants, notamment dans la relation entre le juge de l’application des peines et le parquet.
M. le garde des Sceaux. Avis défavorable. L’article 700-1 du code de procédure pénale précise déjà que le parquet est chargé de l’exécution des sentences pénales. Cette modification apparaît donc inutile.
Pour lui être agréable, je renseignerai le député Ciotti sur le nombre de peines non exécutées : le dernier chiffre disponible est de 89 068 peines en attente d’exécution au sein des services d’exécution des peines des parquets ; 88 013 d’entre elles concernent des peines aménageables, prononcées à 90 % hors récidive. Contrairement au message qui pourrait être relayé sur le laxisme des magistrats, ce chiffre ne doit pas être considéré comme un volume des peines d’emprisonnement jamais exécutées mais bien comme un stock en renouvellement permanent, le délai moyen de mise en exécution d’une peine étant d’environ neuf mois. Ce délai tient en grande partie à l’absence des prévenus aux audiences qui allonge l’effet de signification des jugements, aux nécessités de transférer les dossiers d’exécution des peines au lieu du domicile des condamnés, voire à la difficulté de localisation d’un nombre important de ceux-ci, nécessitant une diffusion au fichier des personnes recherchées.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Même avis défavorable. J’ajoute que le procureur de la République et le chef d’établissement pénitentiaire siègent à la commission de l’application des peines que préside le juge de l’application des peines.
La Commission rejette l’amendement.
Elle en vient à l’amendement CL20 de M. Éric Ciotti.
M. Éric Ciotti. Cet amendement vise à confier, pour les faits les plus graves, au tribunal de l’application des peines le soin de prononcer les décisions d’aménagement des peines. Il s’agit, en d’autres termes, de conférer un caractère collégial à ces décisions, lorsqu’elles concernent des personnes incarcérées condamnées pour des infractions de nature sexuelle ou définies par la législation sur les stupéfiants ou encore constituant des actes de terrorisme ; des personnes incarcérées pour des peines d’une durée d’au moins cinq ans ; enfin, des personnes incarcérées condamnées en état de récidive légale. L’aménagement des peines ne peut relever du seul juge de l’application des peines, qui prendrait sa décision dans le secret de son cabinet d’instruction.
M. le garde des Sceaux. Avis défavorable. La répartition des rôles entre le juge de l’application des peines et le tribunal de l’application des peines a été faite de manière consensuelle en 2004 par le Parlement. Il n’y a pas de raison objective de la changer. Et je rappelle que la collégialité est tout à fait possible en appel.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Mêmes observations et même avis.
La Commission rejette l’amendement.
Elle examine l’amendement CL19 de M. Éric Ciotti.
M. Éric Ciotti. Toujours afin d’améliorer la lisibilité des peines, il est proposé de supprimer les crédits de réduction de peine, aujourd’hui appliqués à plus de 99 %, et qui revêtent donc dans les faits un caractère quasi-automatique. Mieux vaudrait que les juridictions de jugement prononcent des peines faibles mais qui soient totalement appliquées. Car ces réductions – de trois mois pour la première année, deux mois pour les années suivantes et sept jours par mois pour une peine de moins d’un an – suscitent, elles aussi, de l’incompréhension. Concrètement, une personne condamnée à trois ans et demi de prison pourra bénéficier d’une remise de peine égale à trois mois la première année, auxquels s’ajouteront quatre mois les deuxième et troisième années et quarante-deux jours les six mois restants.
M. Joaquim Pueyo. Si Éric Ciotti était à la place du ministre de la justice, il refuserait cet amendement de crainte qu’il ne suscite une explosion sociale dans les établissements pénitentiaires. Du reste, c’est sous une majorité qu’il soutenait que les modalités du dispositif ont changé. Auparavant, on parlait de remise de peine : au bout d’une année de détention, la situation personnelle du détenu était examinée par le chef d’établissement, le juge de l’application des peines et le procureur, dans le cadre d’une commission. C’est au vu de son comportement qu’il pouvait bénéficier au maximum de trois mois de remise. Vous avez ensuite dénaturé l’esprit de la règle en attribuant d’office au détenu trois mois de crédit de peine pouvant lui être appliqués en fin de parcours. L’effet psychologique était complètement différent. J’étais plutôt partisan de conserver les remises de peine.
Les crédits de réduction de peine ne sont pas automatiquement attribués. Lorsqu’un détenu commet des fautes disciplinaires, l’établissement lui retire automatiquement des jours de crédit. Quant aux crédits de peine pour la réinsertion, ils sont encore moins automatiques, car seule une minorité de détenus en bénéficie : le détenu doit s’engager à suivre une formation et des activités culturelles, et à travailler. Ayez confiance dans le personnel, le juge de l’application des peines et le parquet : les commissions de l’application des peines font preuve de rigueur.
Il faut donner aux détenus une perspective, sans quoi leur comportement sera ingérable. Je puis vous assurer que les personnels pénitentiaires dans leur ensemble, du surveillant au directeur, tiennent beaucoup à ce dispositif. Je peux comprendre que vous exigiez de la rigueur dans le fonctionnement des commissions – c’est le rôle d’un politique. Mais tel est le cas dans la plupart des établissements pénitentiaires.
M. le garde des Sceaux. Je n’ai rien à ajouter au plaidoyer de M. Pueyo. Avis défavorable.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rappporteur. Même avis. Je rappelle que la dernière étape du dispositif remonte au 15 août 2014 : nous n’allons pas remettre en chantier tous les ans les dispositions législatives adoptées par notre assemblée.
La Commission rejette l’amendement.
Elle est ensuite saisie de l’amendement CL22 de M. Éric Ciotti.
M. Éric Ciotti. Cet amendement vise à limiter les aménagements de peine aux personnes poursuivies présentes à l’audience.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rappporteur. Avis défavorable.
La Commission rejette l’amendement.
Elle en vient à l’amendement CL14 de M. Philippe Gosselin.
M. Philippe Gosselin. Nous avions constaté, avec George Pau-Langevin, du temps où elle n’était pas encore ministre, que de sérieuses divergences existent entre les différents bureaux d’aide juridictionnelle quant aux modalités pratiques d’application de la loi et à l’évaluation des ressources du demandeur. Il convient d’uniformiser les critères d’appréciation des conditions de ressources permettant de prétendre à l’aide juridictionnelle. Aussi l’amendement CL14 tend-il à compléter l’article 5 de la loi relative à l’aide juridique par la prise en compte de critères déterminants tels que la propriété de la résidence principale et la possession de dépôts bancaires et de titres.
M. le garde des Sceaux. Avis défavorable. Les critères que sont la résidence principale et les produits financiers du demandeur sont d’ores et déjà couverts par la loi du 10 juillet 1991.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. La loi de 1991 cite très exactement les éléments que vous souhaitez y introduire. Son article 5 dispose que sont pris en considération les ressources de toute nature dont le demandeur a directement ou indirectement la jouissance ou la libre disposition, les éléments extérieurs du train de vie et l’existence de biens meubles ou immeubles, même non productifs de revenus. Il est même tenu compte, dans l’appréciation des ressources, de celles du conjoint du demandeur à l’aide juridictionnelle ainsi que de celles des personnes vivant habituellement à son foyer.
Ce que vous critiquez, ce sont les modalités d’application de la loi selon les territoires et les bureaux d’aide juridictionnelle. Ce problème ne sera pas réglé par la réitération des dispositions déjà en vigueur. D’ailleurs nombre de rapports ont conclu à la nécessité d’adopter un processus d’attribution de l’aide juridictionnelle différent.
M. Philippe Gosselin. Dans ce cas, comment le Gouvernement compte-t-il faire converger les décisions d’attribution de l’aide juridictionnelle des différents bureaux ?
M. le garde des Sceaux. Nous pourrions éventuellement préciser les modalités d’application réglementaires de cet article 5, qui datent du 19 décembre 1991. Cela étant, il nous serait difficile de n’aborder que cet aspect sans traiter globalement la question de l’aide juridique.
La Commission rejette l’amendement.
Puis elle est saisie de l’amendement CL16 de M. Philippe Gosselin.
M. Philippe Gosselin. En l’état actuel du droit, aucun texte ne fixe l’objet ni les finalités de la consultation juridique. La définition de son contenu et de son objectif résultant de l’article 53 de la loi relative à l’aide juridique est assez floue, si bien que chaque praticien fait à peu près ce qu’il veut. Dans ces conditions, la consultation juridique peut revêtir un caractère relativement informel et diverger d’un département à un autre.
L’amendement CL16 a pour objet de la définir clairement en fixant des exigences minimales, telles que la garantie d’une consultation assurée par un professionnel du droit et portant sur des éléments précis – rappel des droits, analyse du litige, évaluation – permettant au justiciable de s’y retrouver.
M. le garde des Sceaux. Il est vrai que la définition de la consultation juridique est liée à la jurisprudence. Néanmoins, la réglementation est devenue très précise et le périmètre de cette consultation est assez stabilisé. Le Gouvernement ne ressent donc pas le besoin d’élaborer une définition légale, d’autant que celle que vous proposez est tout à la fois plus restrictive et plus extensive que la jurisprudence ; elle nous paraît donc plus génératrice d’instabilité juridique que de précision. De surcroît, vous omettez le fait que la consultation juridique puisse, sous certaines conditions, être délivrée par une personne non soumise au contrôle d’un ordre. Avis défavorable.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. La définition du contenu et des objectifs de la consultation juridique est assurée par les conseils départementaux de l’accès au droit, conformément à l’article 53 de la loi du 10 juillet 1991. Nous partageons les observations du garde des Sceaux sur votre amendement. Tous les professionnels que nous auditionnons les uns et les autres revendiquent leur spécificité à l’égard du citoyen justiciable ou demandeur de l’information juridique. La définition que vous proposez me semble par trop serrée ou par trop élargie, selon les cas. Nous vous invitons donc à retirer votre amendement, sans quoi nous y serons défavorables.
M. Alain Tourret. Si l’on suivait la définition proposée par M. Gosselin, les professeurs de droit ne pourraient plus donner de consultation.
La Commission rejette l’amendement.
Article 2 bis (nouveau)
Obligation pour les professionnels du droit et du chiffre de proposer à leurs clients une relation numérique dans un format garantissant l’interopérabilité des échanges
Cet article additionnel, adopté à l’initiative du Gouvernement, après avis favorable de vos rapporteurs, propose de créer des chaînes juridiques totalement numériques en imposant aux professionnels du droit et du chiffre d’investir dans des systèmes informatiques permettant d’établir une relation numérique avec leurs clients dans un format garantissant l’interopérabilité de l’ensemble des échanges.
Les I et IV du présent article précisent quels sont les professionnels du droit et du chiffre concernés. Il s’agit d’une part des huissiers de justice, notaires, commissaires-priseurs judiciaires, avocats, avocats au conseil, commissaires aux comptes et experts-comptables (I) ; d’autre part, des administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires, dans les limites de ce que leur permet leur mandat de justice, et pour les besoins de celui-ci (IV). Il faut souligner que les administrateurs judiciaires et mandataires judiciaires utilisent déjà pour leur relation avec les créanciers un portail numérique qui permet notamment à ces derniers de déclarer leur créance selon un système sécurisé.
Le II impose aux professionnels mentionnés au I de rendre librement accessibles les données figurant dans leurs annuaires et tables nationales de manière à garantir cette interopérabilité, notamment au moyen d’un standard ouvert et réutilisable, exploitable par un traitement automatisé.
Le III ajoute que ces mêmes professionnels peuvent recourir à la sollicitation personnalisée, notamment par voie numérique, et proposer des services en ligne. Il est toutefois précisé que les conditions d’application de cette disposition, notamment les adaptations nécessaires aux règles déontologiques applicables à ces professions dans le respect des principes de dignité, de loyauté, de confraternité et de délicatesse, seront fixées par décret en Conseil d’État.
Cet article est motivé par le fait qu’aujourd’hui les principales professions du droit et du chiffre ont mis en place des systèmes d’identification de leurs membres (identités numériques professionnelles) et parfois des « réseaux privés virtuels » (avocats, huissiers de justice, notaires) afin de communiquer de façon sécurisée entre eux. Toutefois, les différents systèmes demeurent non interopérables ce qui impose aux acteurs économiques d’utiliser des formats différents de transmission de pièces et documents selon leurs interlocuteurs et de recourir à une ou plusieurs re-matérialisation de ces documents numériques. Les coûts financiers et de temps induits par la non interopérabilité sont ainsi très importants.
*
* *
La Commission examine l’amendement CL158 du Gouvernement.
M. le garde des Sceaux. Pour que leurs membres communiquent entre eux, les professions du droit et du chiffre ont souvent créé des « réseaux privés virtuels » qui, pourtant, ne peuvent être connectés les uns aux autres. C’est pourquoi cet amendement technique vise, par souci de fluidité, à les décloisonner pour les rendre interopérables.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Avis favorable. J’espère que les professions en question donneront suite à cette intention.
La Commission adopte l’amendement. L’article 2 bis est ainsi rédigé.
TITRE II
FAVORISER LES MODES ALTERNATIFS DE RÈGLEMENT DES DIFFÉRENDS
Article 3
Conciliation préalable à la saisine de la juridiction de proximité
ou du tribunal d’instance
Le présent article introduit l’obligation pour tout justiciable de procéder à une tentative de conciliation avant de saisir la juridiction de proximité ou le tribunal d’instance, sauf exceptions limitatives.
1. Le droit en vigueur
a. La compétence de la juridiction de proximité et du tribunal d’instance est limitée aux litiges du quotidien
i. Le juge de proximité, compétent pour les litiges d’un montant inférieur à 4 000 euros
La loi n° 2002-1138 du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice a instauré une juridiction de proximité statuant à juge unique pour les petits litiges du quotidien en matière civile et pénale, dont l’enjeu n’excède pas une valeur de 1 500 euros, portée depuis à 4000 euros (24). Cette juridiction siège au sein du tribunal d’instance sous l’autorité du juge d’instance. Cette loi a été complétée par la loi organique n° 2003-153 du 26 février 2003 relative aux juges de proximité qui composent cette juridiction.
La loi n° 2005-47 du 26 janvier 2005 relative aux compétences du tribunal d’instance, de la juridiction de proximité et du tribunal de grande instance a étendu les compétences de la juridiction de proximité et a permis aux juges de proximité de siéger en qualité d’assesseurs aux audiences correctionnelles. Le juge de proximité est alors placé sous l’autorité du président du tribunal de grande instance dans le ressort duquel est située sa juridiction de proximité.
Au 1er janvier 2016, il existe 491 juges de proximités dans 248 juridictions, dont le secrétariat est assuré par le secrétariat-greffe du tribunal d’instance où la juridiction de proximité est située. Nommé pour une durée de 7 ans non renouvelable, tout comme les magistrats de carrière, par décret du Président de la République après accord du conseil supérieur de la magistrature, le juge de proximité est un magistrat à temps partiel, recruté sur dossier. Ce juge à part entière n’est pas un juge de carrière, mais reste soumis au statut de la magistrature ; il est inamovible, évalué par le premier président de la cour d’appel dont il relève après avis du juge d’instance dont il dépend et, le cas échéant du président du tribunal de grande instance. En cas de manquement professionnel, il peut être déféré devant la formation du conseil supérieur de la magistrature compétente pour les magistrats du siège en matière disciplinaire. Sous réserve de compatibilité avec ses fonctions judiciaires, il peut exercer une autre activité professionnelle et est payé à la vacation (200 par an au maximum). Il bénéficie d’une formation continue équivalente à celle dispensée aux magistrats de carrière. Au 1er janvier 2016, 53,56 % d’entre eux sont en retraite, 36,66 % sont en activité et 9,78 % sont sans activité professionnelle ; l’âge moyen des juges de proximité est de 61,31 ans.
La loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles avait prévu la suppression des juridictions de proximité à compter du 1er janvier 2013. Un premier report de cette suppression au 1er janvier 2015 avait été voté par la loi n° 2012-1441 du 24 décembre 2012 relative aux juridictions de proximité. À partir de janvier 2015, les compétences des juridictions de proximité devaient être confiées aux tribunaux d’instance ou de police et les juges se voir octroyer de nouvelles missions. Tel n’a pas été réellement le cas et un second report de la suppression des juridictions de proximité a été voté en loi de finances pour 2015, afin que les transferts de compétences induits par la suppression des juges de proximité ne soient pas réalisés en 2015 mais puissent être organisés par le présent projet de loi à compter du 1er janvier 2017.
La suppression de la juridiction de proximité au 1er janvier 2017 est en effet confirmée par le I de l’article 54 du présent projet de loi mais rien n’est dit sur l’évolution des fonctions des juges de proximité après cette échéance. Selon les informations transmises par le Gouvernement, ils seraient intégrés au statut des magistrats à titre temporaire ; leur participation aux audiences correctionnelles des tribunaux de grande instance augmenterait et il serait prévu de leur attribuer de nouvelles compétences (participation aux audiences collégiales civiles, traitement des injonctions de payer).
ii. Le tribunal d’instance, compétent pour les litiges compris entre 4 000 et 10 000 euros.
Proche et accessible, le tribunal d’instance traite, en application des articles L. 221-1 à L. 222-3 du code de l’organisation judiciaire, la plupart des petits litiges civils de la vie quotidienne qui ne relèvent plus de la compétence des juges de proximité.
Ainsi, ce tribunal juge toutes les affaires civiles pour lesquelles la demande porte sur des sommes comprises entre 4 000 et 10 000 euros : litiges liés aux accidents de la circulation, conflits relatifs au paiement des charges de copropriété, dettes impayées, livraisons non conformes, travaux mal exécutés, demandes de dommages et intérêts ou de remboursement d’un produit ou d’un service…
Le tribunal d’instance est par ailleurs seul compétent pour certains litiges en matière civile, quel que soit le montant de la demande : les litiges entre propriétaires et locataires relatifs au logement d’habitation (paiement des loyers, résiliation du bail...), contestations en matière de funérailles ou relatives aux frais de scolarité ou d’internat, litiges relatifs à l’élagage des arbres et des haies et les actions en bornage pour fixer les limites de deux propriétés, contestations en matière d’élections politiques (établissement des listes électorales) et d’élections professionnelles au sein des entreprises...
Le tribunal d’instance traite également les litiges relatifs aux crédits à la consommation d’un montant inférieur ou égal à 75 000 euros (ex : crédit pour l’acquisition d’une voiture ou d’une cuisine équipée, etc.). Il exerce enfin les fonctions de juge des tutelles des personnes majeures.
Le tribunal d’instance comprend un ou plusieurs juges professionnels. Les affaires sont toujours jugées par un seul juge d’instance qui préside les audiences et prend seul sa décision, assisté d’un greffier. Le ministère public n’est pas nécessairement présent aux audiences, mais il y exerce ses attributions civiles : requérir l’application de la loi et veiller aux intérêts de la société.
b. La procédure de conciliation est insuffisamment utilisée
La procédure de conciliation est un mode alternatif de règlement des différends au sens de la directive du 21 mai 2008 (25) qui permet de trancher rapidement, à l’amiable, un différend civil simple entre deux personnes physiques ou morales, en présence d’un tiers : le juge de proximité, le juge d’instance ou un conciliateur de justice.
Cette procédure est gratuite et ne requiert pas le ministère d’avocat. Sauf en matière de divorce, elle est facultative avant le recours au juge.
Créé par un décret n° 78-381 du 20 mars 1978, le conciliateur de justice est un auxiliaire de justice bénévole (26), chargé de faciliter l’émergence d’une solution négociée satisfaisante pour chacune des parties en conflit. Il organise le plus souvent les réunions de conciliation sur le lieu même où il tient ses permanences, à la mairie, au tribunal d’instance où à la maison de la justice et du droit même s’il peut aussi se déplacer sur le lieu du différend.
Peuvent être nommées conciliateurs de justice les personnes justifiant d’une expérience en matière juridique d’au moins trois ans, que leur compétence et leur activité qualifient particulièrement pour l’exercice de ces fonctions. Au nombre de 1 800 environ, les conciliateurs de justice sont quasiment tous retraités, l’âge moyen se situant entre 66 et 70 ans, 17,6 % d’entre eux ayant plus de 76 ans.
Le conciliateur de justice peut être saisi :
– par le justiciable lui-même, en dehors de toute procédure judiciaire, par courrier, par téléphone ou à l’occasion d’un rendez-vous (article 1530 du code de procédure civile). ;
– par le juge d’instance, dans le cadre d’une procédure devant le tribunal d’instance, lorsque ce dernier estime qu’il est utile de tenter un règlement à l’amiable avant de poursuivre l’instruction d’une affaire. Dans ce cas, la mission du conciliateur ne peut excéder un mois ;
– par le tribunal de commerce ou le tribunal paritaire des baux ruraux, lorsque le litige concerne des artisans, des commerçants, ou encore des exploitants agricoles.
En application de l’article 1529 du code de procédure civile, relèvent du champ de la conciliation, les différends d’ordre familial, professionnel ou de consommation (troubles de voisinage, conflit entre un propriétaire et un locataire, divorce, créances impayées, malfaçons, difficultés à faire exécuter un contrat...). Sont en revanche exclus les questions pénales, les affaires liées à l’état-civil et les litiges avec l’administration.
Le décret n° 2015-282 du 11 mars 2015, relatif à la simplification de la procédure civile, à la communication électronique et à la résolution amiable des différends, pose l’obligation à toute partie introduisant une demande initiale en justice par assignation, requête ou déclaration, de préciser les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du conflit. En pratique, les parties peuvent se limiter à l’envoi d’une mise en demeure par lettre recommandée avec avis de réception. Toutefois, le juge peut leur proposer une mesure de conciliation ou de médiation (voir le commentaire de l’article 4).
Selon l’étude d’impact du présent projet de loi, le nombre de tentatives de conciliation effectuées par les tribunaux d’instance et les juridictions de proximité, soit directement par le juge soit par l’intermédiaire d’un conciliateur de justice, reste faible. Devant ces deux juridictions, ce sont uniquement entre 0,5 et 2,2 % des affaires qui font l’objet d’une tentative préalable de conciliation, comme le montre le tableau suivant.
Source : étude d’impact du présent projet de loi.
2. La réforme proposée
L’alinéa 1er du présent article propose de rendre obligatoire la procédure de conciliation avant toute saisine de la juridiction de proximité ou du tribunal d’instance, pour les litiges dont le montant n’excède pas 4 000 euros, à peine d’irrecevabilité de la saisine que le juge peut relever d’office.
Il faut en effet rappeler qu’à compter du 1er janvier 2017, les juridictions de proximité seront supprimées. Un troisième report de leur suppression n’est plus envisagé comme le confirme l’article 54 du présent projet de loi. Il s’ensuit que les tribunaux d’instance se verront transférés, à cette date, les contentieux préalablement confiés aux juridictions de proximité.
L’introduction d’une obligation préalable de conciliation avant la saisine du juge poursuit un double objectif :
– accélérer la résolution des litiges du quotidien de faible envergure grâce à l’intermédiation d’un tiers gratuit ;
– désengorger les tribunaux d’instance des contentieux relevant préalablement des juridictions de proximité et susceptibles d’être traités par la voie de la conciliation.
Si aucune norme constitutionnelle ne s’oppose à la création d’un dispositif de règlement amiable des différends, encore faut-il que le droit à un recours effectif devant un juge tel qu’il résulte de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme de 1789 soit préservé. Dès lors, le Conseil constitutionnel rappelle régulièrement qu’il ne doit pas être porté d’atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction. Cela signifie que s’il peut être imposé aux parties de tenter au préalable une conciliation avant de saisir le juge, deux conditions doivent être remplies :
– d’une part, la procédure de conciliation doit être aisément accessible, ce qui signifie qu’elle doit pouvoir être rapidement disponible pour pouvoir recevoir les parties qui doivent justifier au moins d’une tentative de conciliation ou de médiation ;
– d’autre part, le coût de cette conciliation doit être nul ou d’un montant très modique. Par la réunion de ces deux conditions, il est garanti que l’étape obligatoire de tentative de conciliation et de médiation ne retardera pas outre mesure la saisine du tribunal pas plus qu’elle ne constituera une charge supplémentaire à supporter en plus de celles relatives à la procédure judiciaire.
L’accès direct au juge doit par ailleurs être assuré pour des cas d’urgence.
Le présent article s’inscrit dans ce cadre constitutionnel puisque la procédure de conciliation demeure gratuite. En outre, l’obligation de recourir préalablement à la conciliation avant la saisine de la juridiction de proximité ou du juge d’instance n’est pas absolue puisque sont prévues quatre exceptions :
– si l’une des parties au moins sollicite l’homologation d’un accord (alinéa 2) : la saisine du juge est directe s’il s’agit de faire homologuer un accord résultant d’une procédure de conciliation, de médiation ou une convention de procédure participative (article 1565 du code de procédure civile), ou encore une convention de divorce (article 1100 du même code) ;
– si les parties justifient d’autres diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable à leur litige (alinéa 3) conformément au décret n° 2015-282 du 11 mars 2015 précité. En 2013, 54 856 affaires portées devant un conciliateur n’ont pas abouti à un accord (41,1 %) ;
– si l’absence de recours à la conciliation est justifiée par un motif légitime ; il appartiendra au juge de définir au cas par cas un tel motif (alinéa 4) ;
– si cette tentative de conciliation risque, compte tenu des délais dans lesquels elle est susceptible d’intervenir, de porter atteinte au droit des intéressés d’avoir accès à un juge dans un délai raisonnable (alinéa 5).
Vos rapporteurs observent que les alinéas 2, 4 et 5 sont directement inspirés des exceptions prévues en matière de médiation familiale par l’article 15 de la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles.
Selon l’étude d’impact annexée au présent projet de loi, l’institution d’un préalable obligatoire de conciliation porterait sur 90 000 affaires par an.
Il apparaît effectivement que 120 647 déclarations au greffe ont été enregistrées en 2013, représentant 59,2 % des saisines du juge de proximité et 17,8 % des saisines du juge d’instance. Tant devant le juge de proximité que devant le juge d’instance, il s’agit pour l’essentiel de demandes relatives à des contrats. Devant le juge d’instance, il s’agit cependant également de demandes relatives à la procédure de surendettement introduites en application de l’article R. 331-9 du code de la consommation. Ces litiges doivent cependant être écartés dans la mesure où ils n’entrent pas dans le champ d’application de l’article 843 du code de procédure civile et ne se prêtent pas à une tentative préalable de conciliation ordinaire, la phase conventionnelle ayant déjà eu lieu ou ayant été écartée par la commission de surendettement (environ 30 000 affaires).
Étant donné les quatre exceptions prévues par le présent article, le Gouvernement estime que seulement la moitié, soit 45 000 affaires, viendront accroître la charge des conciliateurs de justice, soit une hausse de leur activité de 33 %.
Vos rapporteurs s’inquiètent de la capacité des 1 800 conciliateurs de justice – au demeurant très mal répartis sur le territoire (de 3/100 000 habitants en moyenne) – à absorber cette nouvelle charge et s’interrogent sur la capacité du ministère de la Justice à attirer de nouveaux candidats pour cette fonction bénévole et en manque de reconnaissance.
En effet, actuellement, les conciliateurs peuvent se faire rembourser leurs frais de mission à hauteur 232 euros par an, pour le forfait de base, et de 438 euros par an, pour le forfait sur justificatifs. Ces montants n’ont pas été réévalués depuis 2006 et il a été indiqué à vos rapporteurs que ces remboursements de frais ne couvraient pas les fournitures de bureau, l’affranchissement de courriers, les équipements matériels (ordinateur, imprimante…). Un rapport de la direction générale des services judiciaires avait d’ailleurs pointé cette faiblesse comme un frein important au recrutement. Interrogé sur ce sujet le 27 octobre 2015, M. Jean-Marie Le Guen, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargé des relations avec le Parlement, avait répondu à une question orale du sénateur des Côtes d’Armor Yannick Botrel, que le Gouvernement étudiait un doublement des bases actuelles de remboursement (27).
En outre, l’absence de formation obligatoire des conciliateurs constitue un obstacle de plus à l’efficacité du dispositif proposé. Rappelons en effet qu’en 2014, seuls 762 conciliateurs ont suivi un module de formation dédié à l’école nationale de la magistrature.
Vos rapporteurs souhaitent relever à l’occasion de ce rapport la forte implication au service de notre justice d’hommes et de femmes, aux horizons professionnels divers, mais tous animés de la même volonté de participer à une vraie mission de service public. La coordination de leurs actions et leurs liens avec la juridiction en font aujourd’hui un maillon essentiel sur lequel il faut s’appuyer pour rendre la justice du quotidien.
Suivant la proposition de vos rapporteurs et l’avis favorable du Gouvernement, la commission des Lois a supprimé :
– à l’alinéa 1er, la référence à la juridiction de proximité, laquelle disparaît au 1er janvier 2017, et la référence à une disposition règlementaire, l’article 843 du code de procédure civile ;
– l’alinéa 5 (4° du présent article), qui dispense les parties de la conciliation préalable lorsque les délais dans lesquels la conciliation était susceptible d’intervenir apparaissent excessifs. En effet, cette hypothèse est déjà couverte par l’alinéa 4 (3° du même article) qui permet aux parties de ne pas procéder à une conciliation préalable lorsqu’il existe un motif légitime : le fait de ne pas retarder excessivement, notamment à des fins dilatoires, l’accès au juge constitue bien un motif légitime.
La médiation judiciaire : une autre voie de règlement amiable des différends
À côté de la procédure de conciliation effectuée par le juge ou déléguée à un conciliateur de justice, la médiation s’est développée depuis les années 1990, plus particulièrement en matière familiale où un diplôme d’État a été créé. La médiation professionnelle se développe aussi, de façon moins encadrée, dans les autres matières civiles et en matière commerciale depuis la transposition de la directive n° 2008/52/CE du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale.
Cette directive a eu pour objet d’encourager le recours à la médiation, regardée comme « une solution extrajudiciaire économique et rapide aux litiges en matière civile et commerciale » (considérant 6 de son préambule). Elle donne de la médiation et du médiateur une définition assez large : ainsi l’article 3 définit-il la médiation comme « un processus structuré, quelle que soit la manière dont il est nommé ou visé, dans lequel deux ou plusieurs parties à un litige tentent par elles-mêmes, volontairement, de parvenir à un accord sur la résolution de leur litige avec l’aide d’un médiateur ». Le médiateur peut être « tout tiers sollicité pour mener une médiation avec efficacité, impartialité et compétence, quelle que soit l’appellation ou la profession de ce tiers dans l’État membre concerné et quelle que soit la façon dont il a été nommé (…) ». Ainsi définie, la médiation, d’une part, est susceptible d’intervenir en dehors de toute instance, par convention entre les parties, mais également dans un cadre judiciaire. En droit national, la directive recouvre notamment la conciliation actuellement prévue en droit interne et la médiation.
Les processus de médiation et de conciliation sont de même nature dans la mesure où il s’agit à chaque fois pour un tiers d’intervenir pour aider les parties à résoudre leur litige. Ce tiers peut être choisi par les parties dans un cadre extrajudiciaire ou désigné par le juge mais toujours avec l’accord des parties. Cependant, la différence entre médiation et conciliation réside dans le fait que le juge ne peut pas procéder lui-même à une médiation. La médiation correspond par conséquent à des contentieux dans lesquels le juge estime opportun de désigner nécessairement un tiers pour aider les parties à résoudre leur litige. En outre, la médiation est payante puisqu’il s’agit d’une activité libérale, alors que la conciliation exercée bénévolement est gratuite.
La désignation d’un médiateur nécessite l’accord des parties. À défaut, le processus de médiation est nécessairement voué à l’échec.
C’est pourquoi, en matière familiale, l’article 373-2-10 du code civil prévoit que le juge aux affaires familiales peut enjoindre aux parties de rencontrer un médiateur familial qui les informera sur l’objet et le déroulement de cette mesure. L’objectif de cet entretien ordonné par le juge est de lever les réticences des parties et d’obtenir leur accord sur une mesure de médiation judiciaire. Plus encore, l’article 15 de la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 a prévu que la saisine du juge par les parents aux fins de modification d’une décision fixant les modalités de l’exercice de l’autorité parentale ou la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant, doit être précédée, sous peine d’irrecevabilité, d’une tentative de médiation familiale. L’expérimentation menée dans deux tribunaux de grande instance (Arras et Bordeaux) entre 2012 et 2014 a montré que cette tentative de médiation préalable obligatoire était très efficace puisqu’elle a abouti à près de 77 % d’accord.
De même, l’article 22-1 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative permet à tout juge, dans les cas de tentative préalable de conciliation prescrite par la loi, d’enjoindre aux parties de rencontrer un médiateur pour qu’il les informe sur l’objet et le déroulement d’une mesure de médiation. Le recours à la médiation reste néanmoins très marginal et comparable à celui de la conciliation, puisqu’il concerne entre 0,5 et 2 % des affaires portées devant les tribunaux de grande instance et les cours d’appel, selon l’étude d’impact.
La médiation en matière de consommation : un dispositif rénové dans lequel les conciliateurs de justice ont toute leur place
L’ordonnance n° 2015-1033 du 20 août 2015 relative au règlement extrajudiciaire des litiges de consommation et ses décrets d’application ont transposé la directive n° 2013/11/UE du 21 mai 2013 relative au règlement extrajudiciaire des litiges de consommation (RELC). Ce dispositif impose aux professionnels de proposer aux consommateurs un mécanisme gratuit ou à faible coût de RELC, les consommateurs restant évidemment libres d’y recourir ou non. La directive impose aux entités en charge de ces RELC des critères de qualité qu’une commission d’évaluation et de contrôle de la médiation de la consommation est chargée de faire respecter (concrètement les entités doivent solliciter de la commission un "label" attestant qu’elles respectent ces critères, ce label pouvant être retiré).
Il convient de rappeler qu’en France, avant l’adoption de cette directive, existaient déjà ce qu’on appelle « les médiateurs d’entreprise », institués par des dispositions législatives ou règlementaires ou volontairement par les professionnels d’un secteur donné, étant souligné que ces médiateurs sont rémunérés par les professionnels. La plupart des secteurs d’activité (banque, assurance, énergie, etc.) étaient déjà couverts par un dispositif de médiation que la directive impose de mettre en place. Ces « médiateurs d’entreprise » vont solliciter leur « labellisation » par la commission.
Les conciliateurs de justice, auxiliaires du service public de la justice, peuvent exercer leur mission dans un cadre extrajudiciaire ou judiciaire. Dans le domaine extrajudiciaire, ils sont saisis directement par les parties qui souhaitent tenter une conciliation en matière civile et commerciale, avant de saisir le juge.
Le champ d’intervention des conciliateurs de justice dans un cadre extrajudiciaire est plus large que celui des médiateurs de la consommation. En effet, la directive n° 2013/11/UE du 21 mai 2013 ne concerne que les litiges entre professionnels et consommateurs.
Ceci étant rappelé, les conciliateurs de justice ne sont nullement exclus de ce dispositif de médiation de la consommation.
D’une part, le consommateur qui souhaite tenter un règlement amiable du litige l’opposant à un professionnel peut très bien proposer que ce règlement amiable s’effectue auprès d’un conciliateur de justice. En effet, la directive 2013/11/UE du 21 mai 2013 impose uniquement au professionnel de proposer un dispositif de médiation au consommateur mais les parties sont libres d’avoir recours à un tiers autre qu’un médiateur de la consommation.
D’autre part, rien n’interdit que les conciliateurs de justice soient désignés comme médiateurs de la consommation. Il suffit qu’ils présentent leur candidature à la commission d’évaluation et de contrôle de la médiation de la consommation, pour obtenir le label « directive RELC ».
Une fois ce label obtenu, il appartiendra aux professionnels intéressés de désigner les conciliateurs de justice comme entité de « RELC », pour leur secteur d’activité. Cette désignation des conciliateurs de justice présente d’ailleurs un intérêt particulier pour certains secteurs (PME, artisans, commerçants) où il n’y a pas de dispositif préexistant de médiation « d’entreprise ».
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La Commission est saisie de l’amendement CL298 de M. Alain Tourret.
M. Alain Tourret. L’irrecevabilité qui sanctionnerait l’absence de tentative de règlement amiable du litige par un conciliateur de justice est une sanction trop lourde face à l’importante marge d’appréciation laissée au juge afin qu’il détermine si les autres diligences entreprises pour parvenir à une résolution amiable permettent d’écarter l’exigence de conciliation préalable obligatoire.
M. le garde des Sceaux. Avis défavorable. L’introduction d’une obligation de tentative de conciliation préalable à la saisine du tribunal d’instance par déclaration au greffe a pour objectif de permettre aux parties de trouver elles-mêmes une solution amiable à leurs litiges avec l’aide d’un conciliateur de justice.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. M. Tourret craint la nature obligatoire de la tentative de conciliation. Or cette disposition vise précisément à souligner la nécessité d’entamer un processus de conciliation. En outre, les alinéas 1, 3, 4 et 5 – même si je proposerai de supprimer ce dernier – allègent et encadrent le caractère contraignant qui vous gêne, monsieur Tourret. Votre amendement ôterait tout effet à la disposition ; je vous propose donc de le retirer.
L’amendement est retiré.
La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL351 du rapporteur Jean-Yves Le Bouillonnec.
Elle examine ensuite l’amendement CL352 des rapporteurs.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Cet amendement tire les conséquences de la suppression de la juridiction de proximité par la loi du 13 décembre 2011, à compter du 1er janvier 2017.
M. le garde des Sceaux. Avis favorable.
La Commission adopte l’amendement.
Elle en vient à l’amendement CL353 du rapporteur Jean-Yves Le Bouillonnec.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Cet amendement de conséquence se justifie dans la mesure où il n’y a pas lieu de conférer une existence légale à l’article 843 du code de procédure civile, qui est de nature réglementaire.
La Commission adopte l’amendement.
Elle examine l’amendement CL297 de M. Alain Tourret.
M. Alain Tourret. Cet amendement tend à supprimer l’alinéa 3 de l’article, car il sera impossible de justifier « d’autres diligences entreprises pour parvenir à une résolution amiable » lorsque celles-ci auront été effectuées par l’intermédiaire des conseils des parties, les communications d’avocat à avocat étant couvertes par la confidentialité.
M. le garde des Sceaux. Avis défavorable.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Avis défavorable. Le dispositif actuel consacre le décret du 11 mars 2015 relatif à la simplification de la procédure civile, à la communication électronique et à la résolution amiable des différends, qui impose à toute partie introduisant une demande initiale en justice par assignation, requête ou déclaration, de préciser les diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du conflit.
L’amendement est retiré.
La Commission examine l’amendement CL354 rectifié des rapporteurs.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. L’article 3 prévoit plusieurs conditions permettant d’écarter l’irrecevabilité que le juge a la possibilité de relever d’office. La dernière d’entre elles – si la « tentative de conciliation risque, compte tenu des délais dans lesquels elle est susceptible d’intervenir, de porter atteinte au droit des intéressés d’avoir accès au juge dans un délai raisonnable » – ne me semble pas nécessaire ; mieux vaut laisser au juge la capacité d’apprécier les éléments factuels – ceux que contient cet alinéa et d’autres – pouvant le conduire à estimer que la solution de la conciliation a été largement utilisée et qu’elle est épuisée, ou au contraire que les parties ont à dessein tenté d’écarter cette voie. Cet amendement vise donc à supprimer l’alinéa 5 de l’article, qui est non seulement superfétatoire mais dangereux en raison des effets qu’il pourrait produire sur la jurisprudence à venir.
M. le garde des Sceaux. On peut effectivement supprimer l’alinéa 5.
La Commission adopte l’amendement.
Puis elle adopte l’article 3 modifié.
Article 4
(Ordonnance n° 2011-1540 du 16 novembre 2011 portant transposition de la directive n° 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale, art. L. 211-4, L. 771-3, L. 771-3-1 et L. 771-3-3 [nouveau]
du code de justice administrative)
Extension du champ de la médiation administrative
Cet article tend à promouvoir la procédure de médiation devant le juge administratif.
1. Les différents modes de règlement amiable des différends devant le juge administratif
Le souci de procéder à un règlement amiable des conflits a été à l’origine de nombreuses pratiques dans les matières relevant du juge administratif.
Une mission de conciliation a ainsi été confiée aux juges administratifs par la loi n° 86-14 du 6 janvier 1986 fixant les règles garantissant l’indépendance des membres des tribunaux administratifs. Cette mission de conciliation est actuellement régie par l’article L. 211-4 du code de justice administrative, lequel prévoit, dans sa version issue de la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles, que « dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel, les chefs de juridiction peuvent, si les parties en sont d’accord, organiser une mission de conciliation et désigner à cet effet la ou les personnes qui en seront chargées. »
De plus, le Conseil d’État a encouragé le développement de modes alternatifs de règlement des conflits dans l’étude adoptée le 4 février 1993 par son Assemblée générale, « Régler autrement les conflits ».
Dans cette optique, différentes procédures, qualifiées de « médiation », ont été introduites, qu’elles soient menées par des autorités indépendantes (d’abord le Médiateur de la République devenu le Défenseur des droits), des autorités administratives indépendantes (médiateur de l’Autorité des marchés financiers, Médiateur du cinéma), des commissions instituées par la loi (commission de médiation pour le droit au logement opposable, par exemple) ou qu’elles soient traitées au sein des ministères (ministère de l’économie et des finances ; ministère de l’éducation nationale ; ministère de l’intérieur par exemple).
De plus, l’introduction, dans plusieurs matières, d’un recours administratif préalable obligatoire participe également de cet objectif de règlement alternatif des litiges (commission des recours des militaires…).
Enfin, depuis la circulaire du 6 avril 2011 relative au développement du recours à la transaction pour régler amiablement les conflits, l’administration est invitée à transiger dans tous les cas, notamment, où il apparaît clairement que l’État a engagé sa responsabilité et où le montant de la créance du demandeur peut être évalué de manière suffisamment certaine (28).
La directive n° 2008/52/CE du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale, précitée (29), est venue compléter ces dispositifs de règlement amiable des différends entrant dans le champ de compétence du juge administratif. Ainsi, l’ordonnance n° 2011-1540 du 16 novembre 2011 portant transposition de la directive 2008/52/CE introduit-elle un dispositif de médiation pour « les différends transfrontaliers relevant de la compétence du juge administratif, à l’exclusion de ceux qui concernent la mise en œuvre par l’une des parties de prérogatives de puissance publique ». Cette ordonnance fixe le régime de la médiation administrative en conformité avec les exigences du droit de l’Union (qualité du médiateur ; caractère exécutoire des accords ; confidentialité de la médiation ; suspension du délai de prescription…).
Il en résulte une multitude d’outils de règlement amiable des différends à la disposition du justiciable dans certaines matières relevant de la compétence du juge administratif, dont les caractéristiques divergent, et qui, alors même que certains entrent dans le champ de la directive n° 2008/52/CE, ne répondent pas à l’ensemble des exigences de cette dernière.
2. La réforme proposée
Le présent article propose tout d’abord de ratifier l’ordonnance n° 2011-1540 du 16 novembre 2011 portant transposition de la directive n° 2008/52/CE du 21 mai 2008 (alinéa 1).
Il propose également d’assurer une meilleure coordination entre la procédure de médiation, qui a seule vocation à transposer cette directive, mais dont le champ d’application est considéré comme excessivement restreint au titre de l’article L. 771-3 du code de justice administrative, et la procédure de conciliation devant le juge administratif prévue par l’article L. 211-4 du même code.
Aussi, les alinéas 3 et 4 complètent l’article L. 211-4 qui dispose actuellement que : « Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d’appel, les chefs de juridiction peuvent, si les parties en sont d’accord, organiser une mission de conciliation et désigner à cet effet la ou les personnes qui en seront chargées. ». Alors que le projet de loi initial entendait imposer un critère de distinction organique entre la procédure de conciliation (qui ne serait plus opérée que par le juge administratif) et la procédure de médiation (qui serait confiée à tiers), le Sénat a jugé plus pertinent de fonder la distinction sur le caractère gratuit ou non de la procédure. C’est pourquoi il est désormais précisé que lorsque la mission de conciliation est confiée par le juge administratif à un tiers, ce dernier exerce ses missions à titre bénévole, comme en matière civile et commerciale. La gratuité devient l’élément fondamental de dissociation entre la procédure de conciliation et la procédure de médiation, qui, elle, est rémunérée. Le choix opéré au Sénat, à l’initiative du rapporteur, repose sur une note transmise par le vice-président du Conseil d’État qui contestait la disposition initiale en ce qu’elle « priverait le juge du pouvoir de confier la réalisation concrète de la mission de conciliateur à une personne extérieure à la juridiction, alors même que la diversité des outils mis à la disposition du juge doit conduire à donner la priorité aux procédures amiables "externalisées". Il serait souhaitable que le juge administratif puisse disposer d’une procédure de règlement alternatif des différends confiée à un tiers non rémunéré. Par conséquent, la juridiction administrative est défavorable à la modification proposée de l’article L. 211-4 du code de justice administrative » (30).
En revanche, comme l’avait proposé initialement le Gouvernement, le Sénat a maintenu les alinéas 5 à 7 qui étendent, à l’article L. 771-3 du même code, la possibilité de recourir à la médiation aux litiges nationaux (et ne la réserver plus seulement aux litiges transfrontaliers). En effet, la directive de 2008 précise, dans son considérant n° 8, que, si « les dispositions de la présente directive ne devraient s’appliquer qu’à la médiation des litiges transfrontaliers, rien ne devrait empêcher les États membres de les appliquer également aux processus de médiation internes ». Il s’ensuit que le champ matériel de la médiation administrative recouvre désormais celui de la conciliation administrative.
Les alinéas 8 et 9 confirment que la médiation administrative est rémunérée en précisant les modalités de répartition des frais entre les parties à l’article L. 771-3-1 du même code. Il est ainsi renvoyé aux conditions prévues aux trois premiers alinéas de l’article 22-2 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative. Ces dispositions prévoient que les parties fixent la répartition de ces frais librement, mais qu’à défaut d’accord, ces frais sont répartis à parts égales, à moins que le juge n’estime qu’une telle répartition est inéquitable au regard de la situation économique des parties, y compris si l’une d’entre elles ou les deux bénéficient de l’aide juridictionnelle. Dès lors, ces dispositions ouvrent le bénéfice de l’aide juridictionnelle aux parties qui ont recours à la médiation administrative. Dans ce cas, les frais sont pris en charge par l’État.
Les alinéas 10 et 11 insèrent ensuite un nouvel article L. 771-3-3 dans le code de justice administrative qui prévoit l’interruption des délais de recours lorsqu’une médiation est initiée par les parties. Les délais de recours courent à nouveau à compter de la date à laquelle l’une au moins des parties ou le médiateur déclare que la médiation est terminée.
Actuellement, rien n’est prévu pour les délais de forclusion, ce qui peut avoir pour effet de décourager les justiciables de recourir à la médiation pour préserver leurs délais de recours. Selon les éléments transmis à vos rapporteurs par le vice-président du Conseil d’État, cette disposition est « très attendue » et permettra de favoriser la médiation « préventive », préservant la possibilité pour les parties d’une saisine ultérieure du juge.
Enfin, l’alinéa 12 offre aux juridictions administratives spécialisées, qui ne sont pas régies par le code de justice administrative, la possibilité de recourir à la médiation (31) tandis que l’alinéa 13 prévoit une mesure transitoire permettant de poursuivre une mission de conciliation confiées à un tiers non bénévole avec l’accord des parties, même après l’entrée en vigueur de la présente loi.
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La Commission adopte les amendements rédactionnels CL355 et CL356 du rapporteur Jean-Yves Le Bouillonnec ainsi que l’amendement de coordination CL357 des rapporteurs.
Puis elle adopte l’article 4 modifié.
Article 4 bis (nouveau)
(art. 373-2-10 du code civil)
Absence d’injonction de médiation en cas de violences intrafamiliales
Cet article additionnel, adopté à l’initiative de Mme Catherine Coutelle, présidente de la Délégation aux droits des femmes, après avis favorable des rapporteurs et du Gouvernement, a pour objet d’écarter la possibilité pour le juge d’enjoindre aux parties de procéder à une médiation familiale en cas de violences intrafamiliales commises sur l’un des parents ou sur l’enfant.
Si la médiation doit être encouragée comme moyen de régler des différends, elle ne peut s’appliquer aux cas de violences et mettre en présence la victime et son agresseur.
Cette disposition répond à la volonté de ne pas placer sur un pied d’égalité l’auteur des violences et les autres membres de la famille, en partant du constat que la victime peut se trouver sous l’emprise de son agresseur. En effet, quelle que soit la nature des violences, le parent victime ne doit pas être placé dans une situation où l’autre parent pourrait à nouveau exercer une pression sur lui.
La convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, ratifiée par la France le 4 juillet 2014, demande d’ailleurs aux États de prendre des mesures législatives pour interdire les modes alternatifs de résolution des conflits obligatoires, y compris la médiation, dans un tel contexte de violences. Il est apparu opportun de préciser que le juge ne peut pas enjoindre aux parties de recourir à la médiation dans cette situation.
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La Commission examine l’amendement CL287 de Mme Catherine Coutelle.
Mme Cécile Untermaier. Cet amendement vise à écarter la possibilité de procéder à une médiation familiale en cas de violences intrafamiliales commises sur l’un des parents ou sur l’enfant. S’il faut encourager la médiation comme moyen de régler les différends, elle ne saurait s’appliquer en cas de violences et mettre la victime en présence de son agresseur.
Cette proposition répond à la volonté de ne pas placer sur un pied d’égalité l’auteur des violences et les autres membres de la famille, dans la mesure où la victime peut se trouver sous l’emprise de son agresseur. Quelle que soit la nature des violences, le parent victime ne doit pas être placé dans une situation où l’autre parent pourrait à nouveau exercer une pression contre lui.
J’ajoute que la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, ratifiée par la France en juillet 2014, oblige les États parties à prendre des mesures législatives pour interdire les modes alternatifs de résolution des conflits obligatoires, y compris la médiation, dans un tel contexte de violences. Il convient dès lors de préciser que le juge ne peut pas enjoindre aux parties de recourir à la médiation dans cette situation.
M. le garde des Sceaux. Le Gouvernement est favorable à cet amendement de clarification. Il va de soi qu’en cas de violences avérées dans un couple, la conciliation est une procédure inadaptée.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Même avis.
La Commission adopte l’amendement. L’article 4 bis est ainsi rédigé.
Article 4 ter (nouveau)
(art. 373-2-13 du code civil)
Généralisation de l’expérimentation de la tentative de médiation obligatoire aux fins de modification d’une décision relative à l’exercice de l’autorité parentale ou à la contribution ou l’entretien de l’enfant
Cet article additionnel, adopté à l’initiative de vos rapporteurs, propose de généraliser l’expérimentation prévue par l’article 15 de la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 qui avait prévu que la saisine du juge par les parents aux fins de modification d’une décision fixant les modalités de l’exercice de l’autorité parentale ou la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant devait être précédée, sous peine d’irrecevabilité, d’une tentative de médiation familiale.
Cette expérimentation, menée dans deux tribunaux de grande instance (Arras et Bordeaux) entre 2012 et 2014, a montré son efficacité puisqu’elle a abouti à près de 77 % d’accords (voir l’encadré supra). Il est proposé de la généraliser.
Le présent article modifie en conséquence l’article 373-2-13 du code civil pour prévoir cette tentative de médiation obligatoire avant saisine du juge de manière pérenne sauf dans deux cas :
– si la demande émane conjointement des deux parents afin de solliciter l’homologation d’une convention selon les modalités fixées à l’article 373-2-7 du code civil ;
– si l’absence de recours à la médiation est justifiée par un motif légitime : tel peut notamment être le cas lorsque cette tentative de médiation préalable risque, compte tenu des délais dans lesquels elle est susceptible d’intervenir, de porter atteinte au droit des intéressés d’avoir accès au juge dans un délai raisonnable.
Le Gouvernement a néanmoins précisé qu’il entendait déposer un amendement, en séance publique, visant à poursuivre l’expérimentation menée entre 2012 et 2014 au sein de dix tribunaux de grande instance pendant deux ans, avant une généralisation totale du dispositif.
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La Commission examine l’amendement CL358 des rapporteurs.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Cet amendement vise à généraliser les expériences déjà conduites dans deux juridictions, qui consistent à imposer une tentative de médiation familiale avant la saisine du juge par l’un des parents en vue de modifier la décision fixant les modalités de l’exercice de l’autorité parentale ou la contribution à l’entretien et à l’éducation de l’enfant. En effet, là où elles ont eu lieu, ces expériences ont eu pour effet considérable de réduire l’intervention du juge à une simple homologation des nouvelles dispositions convenues lors de la médiation. Autrement dit, cet amendement vise à ramener le champ de la décision du juge au règlement des différends que les parties n’ont pas réussi à surmonter par la médiation, plutôt qu’à l’ensemble des différends.
M. le garde des Sceaux. Il est vrai que les deux expériences conduites entre 2012 et 2014 dans les tribunaux de grande instance d’Arras et de Bordeaux ont été concluantes, puisque le taux de succès de la médiation a atteint 77 %. Cependant, la généralisation du dispositif que propose le rapporteur est extrêmement onéreuse ; compte tenu des contraintes actuelles, je ne saurais y être favorable.
Plutôt que d’imposer au Gouvernement de remettre un rapport – vous savez combien ce mot me heurte – au Parlement, je propose d’étendre cette expérimentation, dans un premier temps, à dix tribunaux de grande instance, et d’en prévoir la généralisation au 1er janvier 2019. D’ici là, le Gouvernement aura sans aucun doute réussi à faire aboutir la réflexion en cours sur le financement des médiateurs.
Sous réserve de la suppression de son dernier alinéa et de son remplacement, lors du débat en séance publique, par les dispositions susmentionnées, j’émets donc un avis favorable à cet amendement.
M. Erwann Binet. Pour mémoire, la proposition de loi relative à l’autorité parentale et à l’intérêt de l’enfant, que l’Assemblée nationale a adoptée en première lecture et qui, depuis, est en attente d’examen par nos collègues sénateurs, allait au-delà de la proposition que vous faites, monsieur le garde des Sceaux, puisqu’elle visait déjà à généraliser le dispositif. Or, à l’époque, votre collègue Laurence Rossignol avait accepté de lever le gage.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Tout d’abord, je rappelle que la médiation est à la charge des parties. Le problème de son coût ne se pose donc que dans les cas où l’aide juridictionnelle intervient.
M. Philippe Gosselin. C’est un cas fréquent !
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Nous ne disposons pas des éléments permettant d’en mesurer le volume dans les juridictions où se sont déroulées les expérimentations. Le fait est que la médiation – contrairement à la conciliation – n’entraîne aucune charge publique.
Quoi qu’il en soit, le garde des Sceaux ayant accepté d’étendre puis, à terme, de généraliser le dispositif, je propose de supprimer le dernier alinéa de cet amendement, dans l’attente d’un amendement que le Gouvernement déposera en séance publique.
La Commission adopte l’amendement ainsi rectifié. L’article 4 ter est ainsi rédigé.
Après l’article 4 ter
La Commission est saisie de l’amendement CL24 de M. Éric Ciotti.
M. Éric Ciotti. Cet amendement vise à attribuer aux directeurs d’établissements pénitentiaires et aux chefs de détention la qualité d’officier de police judiciaire. Cette qualification, réclamée par les syndicats et les directeurs d’établissement, permettrait de doter l’administration pénitentiaire de moyens d’enquête dans chacun des établissements qu’elle gère, dans un contexte où le phénomène de radicalisation se développe. J’ai cru comprendre à la lecture de la presse que M. le garde des Sceaux n’y était pas défavorable.
M. le garde des Sceaux. Je ne me suis jamais prononcé dans la presse sur cette question, au sujet de laquelle je ne me suis d’ailleurs pas encore forgé de conviction. Cette revendication a, en effet, été formulée par quelques représentants syndicaux ; à ce stade, le Gouvernement y est défavorable.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rappporteur. Avis défavorable.
La Commission rejette l’amendement.
Article 4 quater (nouveau)
(art. 22-0 [nouveau] de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative)
Liste des médiateurs dressée par chaque cour d’appel
Cet article additionnel, adopté à l’initiative de vos rapporteurs, contre l’avis du Gouvernement, propose de créer une liste de médiateurs établie par le premier président de la cour d’appel, sur le modèle de la liste des experts judiciaires près la cour d’appel prévue par la loi n° 71-498 du 29 juin 1971. Il répond à une préoccupation de l’ensemble des médiateurs auditionnés par vos rapporteurs qui les ont alerté sur le risque de « faux » médiateurs, n’ayant ni l’expérience requise, ni la formation adéquate. Ce risque a été confirmé par certains présidents de cour d’appel qui ont considéré qu’ils étaient tout à fait en mesure de pouvoir établir une liste de médiateurs, sur le modèle de celle des experts judiciaires.
L’objectif de cet article additionnel est double :
– garantir aux personnes qui ont recours à la profession de médiateur un service de qualité rendu par des professionnels qualifiés ;
– protéger la profession de médiateur.
Pour y parvenir, le I du présent article prévoit qu’il est établi, pour l’information des juges, une liste de médiateurs dressée par chaque cour d’appel.
Le II précise les modalités d’inscription sur cette liste. L’inscription initiale en qualité de médiateur sur la liste dressée par la cour d’appel est faite, dans une rubrique particulière, à titre probatoire pour une durée de trois ans. À l’issue de cette période probatoire et sur présentation d’une nouvelle candidature, le médiateur peut être réinscrit pour une durée de cinq années, après avis motivé d’une commission associant des représentants des juridictions et des médiateurs. À cette fin sont évaluées l’expérience de l’intéressé et la connaissance qu’il a acquise des principes directeurs des modes alternatifs de règlement des différends, du procès et des règles de procédure applicables aux mesures d’instruction confiées à un technicien. Les réinscriptions ultérieures, pour une durée de cinq années, sont soumises à l’examen d’une nouvelle candidature dans les conditions prévues à l’alinéa précédent.
Le III impose, conformément à la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, que la décision de refus d’inscription ou de réinscription sur la liste soit motivée.
Le IV prévoit que les médiateurs inscrits sur la liste doivent prêter serment, devant la cour d’appel du lieu où ils demeurent, d’accomplir leur mission, de faire leur rapport et de donner leur avis en leur honneur et conscience. Le serment doit être renouvelé en cas de nouvelle inscription après radiation.
Le V ajoute que les médiateurs inscrits sur la liste ne peuvent faire état de leur qualité que sous la dénomination : « de médiateur près la cour d’appel de ... », éventuellement suivie de l’indication de la spécialité du médiateur.
Le VI fixe les modalités de retrait de la liste soit à la demande du médiateur, soit par le premier président de la cour d’appel si le retrait est rendu nécessaire par des circonstances telles que l’éloignement prolongé, la maladie ou des infirmités graves et permanentes.
Le VII sanctionne des peines prévues aux articles 433-14 et 433-17 du code pénal celui qui se prétend faussement médiateur.
Enfin, le VIII renvoi à un décret en Conseil d’État le soin de fixer les conditions d’application du présent article et de déterminer la composition et les règles de fonctionnement de la commission prévue au II.
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La Commission examine l’amendement CL359 rectifié des rapporteurs.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. La médiation étant appelée à monter en puissance, y compris grâce aux dispositions annoncées à l’instant, cet amendement vise à établir une liste des médiateurs auprès de chaque cour d’appel. En effet, on peut s’interroger sur la qualité et les capacités de certains médiateurs, comme le confirment les informations que nous avons recueillies. Une liste des médiateurs par cour d’appel permettrait d’y remédier et fournira, en outre, une information de nature plus officielle sur l’identité des personnes habilitées à exercer la médiation.
M. le garde des Sceaux. Si j’entends les arguments du rapporteur, je n’ignore pas que de nombreux professionnels du droit – avocats, huissiers de justice, notaires – sont susceptibles d’effectuer des médiations. Il ne me semble pas envisageable de faire figurer tous les médiateurs sur une telle liste, dont le coût ne saurait incomber aux cours d’appel, comme le suggère pourtant cet amendement. Si le souhait de sécuriser le recours à la médiation en permettant aux usagers de savoir qui sont les médiateurs se justifie, je suis défavorable à la solution proposée.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Avec les progrès de l’informatique, le coût induit par l’établissement d’une simple liste devrait être abordable. En outre, cette liste serait très utile aux magistrats comme aux particuliers. Il pourrait éventuellement être précisé qu’elle ne comporte pas les noms des professionnels du droit susceptibles d’assumer une mission de médiation, ce qui, en pratique, semble être assez rare.
M. Jean-Michel Clément, rapporteur. Là où existent des centres de médiation, les professionnels du droit se concertent et sont naturellement des médiateurs autorisés dont l’intervention est régie par des règles. La difficulté qui nous a été signalée tient aux individus qui s’autoproclament médiateurs sans présenter de garanties de moralité ou de probité ni de garanties financières.
La Commission adopte l’amendement. L’article 4 quater est ainsi rédigé.
Article 5
(art. 2062, 2063, 2065 et 2066 du code civil)
Extension du champ d’application de la convention
de procédure participative
Cet article a pour objet d’une part, d’ouvrir la possibilité de conclure une convention de procédure participative après la saisine du juge et d’autre part, d’élargir le champ de cette procédure, qui vise actuellement exclusivement la résolution d’un différend, à la mise en état du litige.
1. Le droit en vigueur
La loi n° 2010-1609 du 22 décembre 2010 relative à l’exécution des décisions de justice, aux conditions d’exercice de certaines professions réglementées et aux experts judiciaires a introduit en droit français la convention de procédure participative, régie par les articles 2062 à 2068 du code civil.
Cette procédure s’inspire du droit collaboratif nord-américain. Elle permet aux parties à un différend de s’engager, avant tout procès et dans le cadre d’une convention, à rechercher une solution amiable à ce différend, chacune avec l’assistance de son avocat (article 2062 du code civil). La convention de procédure participative doit, à peine de nullité, être contenue dans un écrit qui précise son terme, l’objet du différend, les pièces et informations nécessaires à la résolution du différend et les modalités de leur échange (article 2063 du même code).
Sauf mesures urgentes, pendant l’exécution de la convention de procédure participative, les parties sont irrecevables à saisir le juge de leur litige (article 2065 du même code).
À l’issue de cette convention de procédure participative, si les parties parviennent à un accord total ou partiel, elles peuvent saisir le juge pour en obtenir l’homologation afin qu’il soit exécutoire. S’il reste tout ou partie du litige à trancher, le juge compétent peut être saisi selon un mode simplifié. Les parties sont alors dispensées de la mise en état de l’affaire puisqu’elle a, a priori, été effectuée au cours des échanges entre avocats pendant la procédure participative ; elles sont également dispensées d’une éventuelle tentative préalable de conciliation et de médiation dans la mesure où elles ont déjà tenté de résoudre amiablement leur différend (article 2066 du même code). Cette dernière simplification n’est toutefois pas applicable aux litiges en matière prud’homale.
Il faut en effet rappeler que depuis la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, la procédure participative, qui s’applique uniquement dans un cadre extrajudiciaire, concerne tous les contentieux portant sur des droits dont les parties ont la libre disposition, y compris les litiges entre salarié et employeur et s’élevant à l’occasion d’un contrat de travail (alors qu’auparavant ce champ était exclu de la procédure participative).
Cette procédure semble très peu utilisée : selon l’étude d’impact, on dénombre moins de 50 demandes d’homologation d’une convention de procédure participative par an devant le tribunal d’instance et le tribunal de grande instance depuis 2013. Néanmoins, il n’existe pas de statistiques concernant le nombre de conventions de procédure participative conclues dans la mesure où elles relèvent de la liberté contractuelle des parties. Les statistiques dont dispose le ministère de la justice n’incluent pas les conventions de procédure participative qui n’ont pas fait l’objet d’une homologation par les parties (soit parce qu’elles estiment que ce n’est pas nécessaire, soit parce que l’accord est exécuté sans difficulté), ni les conventions de participation pour lesquelles les parties ne sont parvenues à aucun accord.
2. La réforme proposée
Pour développer le recours à la procédure participative, le présent article propose de permettre aux parties d’avoir recours à cette procédure, même après la saisine du juge pour régler leur différend (alinéas 1 à 5).
Il propose également que les avocats puissent, dans le cadre de cette convention de procédure participative, effectuer des actes de mise en état du litige, le cas échéant par des actes contresignés par avocats (alinéas 6 et 7), dans des conditions prévues par décret en Conseil d’État (alinéa 8), et ce, que la convention de procédure participative soit conclue avant ou après la saisine du juge (alinéas 9 et 10).
Selon les informations transmises par le Gouvernement, le décret mentionné à l’alinéa 8 déterminera les actes contresignés par avocats que les parties seront susceptibles de s’accorder à établir dans le cadre d’une convention de procédure participative.
L’acte contresigné par avocats a été instauré par la loi n° 2011-331 du 28 mars 2011 qui a introduit, dans la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, les articles 66-3-1 à 66-3-3. Cet acte a pour objet de conférer une force probante renforcée à un acte sous seing privé. Il peut avoir n’importe quel objet et peut ainsi porter sur le fond du droit, la preuve ou encore sur la procédure.
Le projet de décret en cours d’élaboration par les services de la Chancellerie vise à introduire dans le code de procédure civile la notion d’« acte de procédure d’avocat ». Il s’agira d’actes contresignés par avocats ayant un objet procédural, afin de donner aux parties un rôle plus actif dans la résolution de leur litige ou dans la mise en état de celui-ci. Ces actes pourront consister, soit en la désignation d’un conciliateur ou d’un médiateur (actes tendant à la résolution du litige), soit en la désignation d’un technicien pour effectuer des constatations, consultations ou expertises ou encore en la fixation d’un cadre pour la communication de pièces (actes d’administration de la preuve).
Il est évidemment nécessaire que les deux parties, chacune obligatoirement assistée de leur avocat, soient d’accord pour procéder à de tels actes de mise en état. Enfin, rien ne s’oppose à ce que le juge saisi du litige décide de procéder lui-même à des actes de mise en état supplémentaires, s’il considère que les actes d’ores et déjà effectués par les parties ne sont pas suffisants et ne permettent pas de juger l’affaire.
Il faut également préciser que les actes d’avocats ne seront pas interruptifs de la péremption d’instance, dans la mesure où elle n’est acquise qu’au bout de deux ans, ce qui apparaît largement suffisant pour permettre aux parties, assistées de leurs avocats, de procéder aux actes de procédure nécessaires.
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* *
La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL360 des rapporteurs.
Puis elle adopte l’article 5 modifié.
Article 6
(art. 2044 et 2052 du code civil)
Clarification des règles applicables à la transaction
Cet article vient clarifier les articles 2044 et 2052 du code civil relatifs à la transaction, qui est, depuis 1804, un contrat écrit par lequel les parties terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître.
Les articles que le code civil consacre au contrat de transaction n’ont quasiment pas été modifiés depuis 1804. Le Gouvernement a souhaité à juste titre, tirer les conséquences des apports essentiels de la jurisprudence depuis cette date, suivant en cela les propositions de la doctrine (32).
Il en est ainsi, par exemple de l’exigence de concessions réciproques, qui a acquis une place fondamentale dans le régime de la transaction, mais ne figure pas dans la loi en vigueur. C’est la raison d’être des alinéas 1er et 2 du présent article qui modifient l’alinéa 1er de l’article 2044 du code civil, afin que celui-ci dispose que : « la transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître ».
Il est par ailleurs proposé, aux alinéas 3 et 4, d’énoncer clairement que la transaction fait obstacle à l’introduction ou à la poursuite d’une action en justice ayant le même objet, conformément à une jurisprudence constante.
Vos rapporteurs observent que ces précisions améliorent l’intelligibilité de la loi et y souscrivent.
Ils constatent également qu’à l’initiative du rapporteur au Sénat, le cinquième alinéa du présent article, qui proposait l’abrogation des articles 2047 et 2053 à 2058 du code civil, a été supprimé faute de pouvoir en évaluer les conséquences sur le régime applicable à la transaction. Comme le souligne le tableau ci-après transmis aux rapporteurs par le Gouvernement, cette abrogation relève bien de la simplification législative. Les dispositions abrogées sont redondantes, ou moins bien formulées que d’autres articles du code civil ou de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations.
PROPOSITION DE SUPPRESSION DE CERTAINS ARTICLES DU CODE CIVIL APPLICABLES AU CONTRAT DE TRANSACTION
Articles du Titre XV du Livre Troisième « Des transactions » dont la suppression étaient envisagée dans le PJL initial |
Articles actuels du Titre III du Livre Troisième « Des contrats ou des obligations conventionnelles en général » |
Articles issus de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations |
Commentaires du Gouvernement |
Art. 1107 : « Les contrats, soit qu’ils aient une dénomination propre, soit qu’ils n’en aient pas, sont soumis à des règles générales, qui sont l’objet du présent titre. Les règles particulières à certains contrats sont établies sous les titres relatifs à chacun d’eux; et les règles particulières aux transactions commerciales sont établies par les lois relatives au commerce ». |
Art. 1105 : « Les contrats, qu’ils aient ou non une dénomination propre, sont soumis à des règles générales, qui sont l’objet du présent sous-titre. Les règles particulières à certains contrats sont établies dans les dispositions propres à chacun d’eux. Les règles générales s’appliquent sous réserve de ces règles particulières ». |
Conformément à l’article 1107, repris dans l’ordonnance portant réforme du droit des contrats, les contrats spéciaux sont soumis aux règles générales relatives aux contrats. Seules les règles spécifiques à ces contrats ont donc à figurer dans les dispositions qui leur sont consacrées. | |
Art. 2047 : « On peut ajouter à une transaction la stipulation d’une peine contre celui qui manquera de l’exécuter » |
Art. 1152 : « Lorsque la convention porte que celui qui manquera de l’exécuter payera une certaine somme à titre de dommages-intérêts, il ne peut être alloué à l’autre partie une somme plus forte, ni moindre. Néanmoins, le juge peut, même d’office, modérer ou augmenter la peine qui avait été convenue, si elle est manifestement excessive ou dérisoire. Toute stipulation contraire sera réputée non écrite ». |
Art. 1102 alinéa1er : « Chacun est libre de contracter ou de ne pas contracter, de choisir son cocontractant et de déterminer le contenu et la forme du contrat dans les limites fixées par la loi ». Art. 1231-5 : « Lorsque le contrat stipule que celui qui manquera de l’exécuter paiera une certaine somme à titre de dommages et intérêts, il ne peut être alloué à l’autre partie une somme plus forte ni moindre. Néanmoins, le juge peut, même d’office, modérer ou augmenter la pénalité ainsi convenue si elle est manifestement excessive ou dérisoire. Lorsque l’engagement a été exécuté en partie, la pénalité convenue peut être diminuée par le juge, même d’office, à proportion de l’intérêt que l’exécution partielle a procuré au créancier, sans préjudice de l’application de l’alinéa précédent. Toute stipulation contraire aux deux alinéas précédents est réputée non écrite. Sauf inexécution définitive, la peine n’est encourue que lorsque le débiteur est mis en demeure ». |
Le principe de liberté contractuelle, que la réforme du droit des contrats codifie, permet aux parties d’insérer une telle clause pénale dans tout contrat. Le régime de la clause pénale est défini dans le code civil. Le projet ne modifie pas ce régime. |
Art. 2052 alinéa 2 : « Elles ne peuvent être attaquées pour erreur de droit, ni pour cause de lésion » |
Sur l’erreur : Art. 1110 : « L’erreur n’est une cause de nullité de la convention que lorsqu’elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l’objet . Elle n’est point une cause de nullité, lorsqu’elle ne tombe que sur la personne avec laquelle on a intention de contracter, à moins que la considération de cette personne ne soit la cause principale de la convention ». Sur la lésion : Art. 1118 : « La lésion ne vicie les conventions que dans certains contrats ou à l’égard de certaines personnes, ainsi qu’il sera expliqué en la même section ». |
Sur l’erreur : Art. 1130 : « L’erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes. Leur caractère déterminant s’apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné ». Art. 1131 : « Les vices du consentement sont une cause de nullité relative du contrat ». Art. 1132 : « L’erreur de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant ». Sur la lésion : Art. 1168 : « Dans les contrats synallagmatiques, le défaut d’équivalence des prestations n’est pas une cause de nullité du contrat, à moins que la loi n’en dispose autrement ». |
Cet article 2052 alinéa 2 est abrogé, de fait, par l’article 6 troisième alinéa (2°) du PJL, qui n’a pas été remis en cause par le Sénat. En dépit des termes de l’article 2052 alinéa 2, la Cour de cassation admet en réalité l’erreur de droit dans la transaction, soit sous couvert d’une autre qualification, soit en retenant l’existence d’une erreur sur l’objet de la contestation : « L’erreur, fût-elle de droit, qui affecte l’objet de la contestation défini par la transaction […] justifie la rescision d’une transaction » (Civ. 1re, 22 mai 2008, Bull. civ. I n°151). En tout état de cause, comme le relève la doctrine, aucun motif convaincant ne justifie d’exclure la nullité de la transaction pour erreur de droit. S’agissant de la lésion, son régime restera identique : la lésion est en effet déjà admise par la jurisprudence comme cause de nullité lorsqu’une loi spéciale le prévoit (transaction portant sur un partage successoral ; transaction conclue par un incapable). |
Art. 2053 : « Néanmoins une transaction peut être rescindée, lorsqu’il y a erreur dans la personne ou sur l’objet de la contestation. Elle peut l’être dans tous les cas où il y a dol ou violence » |
Art. 1109 : « Il n’y a point de consentement valable, si le consentement n’a été donné que par erreur, ou s’il a été extorqué par violence ou surpris par dol ». Art. 1110 : « L’erreur n’est une cause de nullité de la convention que lorsqu’elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l’objet. Elle n’est point une cause de nullité, lorsqu’elle ne tombe que sur la personne avec laquelle on a intention de contracter, à moins que la considération de cette personne ne soit la cause principale de la convention ». |
Art. 1130 : « L’erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes. Leur caractère déterminant s’apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné. Art. 1131 : « Les vices du consentement sont une cause de nullité relative du contrat ». Art. 1132 : « L’erreur de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant ». |
Si l’article 2053 semble ne viser que l’erreur sur l’objet de la contestation, la jurisprudence interprète ce texte largement, appréciant l’erreur dans les mêmes conditions qu’en droit commun. En outre, le terme « rescindé » pourrait être source de confusion, dans la mesure où ce terme désigne en principe au sens strict la nullité pour cause de lésion uniquement. |
Art. 2054 : « Il y a également lieu à l’action en rescision contre une transaction, lorsqu’elle a été faite en exécution d’un titre nul, à moins que les parties n’aient expressément traité sur la nullité » |
Art. 1109 : « Il n’y a point de consentement valable, si le consentement n’a été donné que par erreur, ou s’il a été extorqué par violence ou surpris par dol ». Art. 1110 alinéa1 : « L’erreur n’est une cause de nullité de la convention que lorsqu’elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l’objet ». |
Art. 1130 : « L’erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes. Leur caractère déterminant s’apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné ». Art. 1131 : « Les vices du consentement sont une cause de nullité relative du contrat ». Art. 1132 : « L’erreur de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant ». Art. 1135 alinéa 1er : « L’erreur sur un simple motif, étranger aux qualités essentielles de la prestation due ou du cocontractant, n’est pas une cause de nullité, à moins que les parties n’en aient fait expressément un élément déterminant de leur consentement ». |
L’article 2054 ne vise en réalité qu’une hypothèse d’erreur particulière (quant à la validité du titre en exécution duquel les parties ont transigé), déjà couverte par le droit commun des vices du consentement. |
Art. 2055 : « La transaction faite sur pièces qui depuis ont été reconnues fausses est entièrement nulle » |
Art. 1109 : « Il n’y a point de consentement valable, si le consentement n’a été donné que par erreur, ou s’il a été extorqué par violence ou surpris par dol ». Art. 1110 alinéa1 : « L’erreur n’est une cause de nullité de la convention que lorsqu’elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l’objet ». |
Art. 1130 : « L’erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes. Leur caractère déterminant s’apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné ». Art. 1132 : « L’erreur de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant ». Art. 1135 alinéa 1er : « L’erreur sur un simple motif, étranger aux qualités essentielles de la prestation due ou du cocontractant, n’est pas une cause de nullité, à moins que les parties n’en aient fait expressément un élément déterminant de leur consentement ». |
L’article 2055 vise également une hypothèse particulière d’erreur (erreur sur la véracité des pièces sur lesquelles les parties ont transigé), déjà couverte par le droit commun des vices du consentement. |
Art. 2056 : « La transaction sur un procès terminé par un jugement passé en force de chose jugée, dont les parties ou l’une d’elles n’avaient point connaissance, est nulle. Si le jugement ignoré des parties était susceptible d’appel, la transaction sera valable » |
Art. 1109 : « Il n’y a point de consentement valable, si le consentement n’a été donné que par erreur, ou s’il a été extorqué par violence ou surpris par dol ». Art. 1110 alinéa1 : « L’erreur n’est une cause de nullité de la convention que lorsqu’elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l’objet ». |
Art. 1130 : « L’erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes. Leur caractère déterminant s’apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné ». Art. 1131 : « Les vices du consentement sont une cause de nullité relative du contrat ». Art. 1132 : « L’erreur de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant ». Art. 1135 alinéa 1er : « L’erreur sur un simple motif, étranger aux qualités essentielles de la prestation due ou du cocontractant, n’est pas une cause de nullité, à moins que les parties n’en aient fait expressément un élément déterminant de leur consentement ». |
L’article 2056 règle également une hypothèse particulière d’erreur (erreur sur l’existence d’un jugement mettant fin au litige : on a transigé sur une contestation qui n’existait plus), déjà couverte par le droit commun des vices du consentement. |
Art. 2057 : « Lorsque les parties ont transigé généralement sur toutes les affaires qu’elles pouvaient avoir ensemble, les titres qui leur étaient alors inconnus, et qui auraient été postérieurement découverts, ne sont point une cause de rescision, à moins qu’ils n’aient été retenus par le fait de l’une des parties. Mais la transaction serait nulle si elle n’avait qu’un objet sur lequel il serait constaté, par des titres nouvellement découverts, que l’une des parties n’avait aucun droit » |
Art. 1109 : « Il n’y a point de consentement valable, si le consentement n’a été donné que par erreur, ou s’il a été extorqué par violence ou surpris par dol ». Art. 1110 alinéa 1 : « L’erreur n’est une cause de nullité de la convention que lorsqu’elle tombe sur la substance même de la chose qui en est l’objet ». |
Art. 1130 : « L’erreur, le dol et la violence vicient le consentement lorsqu’ils sont de telle nature que, sans eux, l’une des parties n’aurait pas contracté ou aurait contracté à des conditions substantiellement différentes. Leur caractère déterminant s’apprécie eu égard aux personnes et aux circonstances dans lesquelles le consentement a été donné ». Art. 1131 : « Les vices du consentement sont une cause de nullité relative du contrat ». Art. 1132 : « L’erreur de droit ou de fait, à moins qu’elle ne soit inexcusable, est une cause de nullité du contrat lorsqu’elle porte sur les qualités essentielles de la prestation due ou sur celles du cocontractant ». Art. 1135 alinéa 1er : « L’erreur sur un simple motif, étranger aux qualités essentielles de la prestation due ou du cocontractant, n’est pas une cause de nullité, à moins que les parties n’en aient fait expressément un élément déterminant de leur consentement ». Art. 1137 : « Le dol est le fait pour un contractant d’obtenir le consentement de l’autre par des manœuvres ou des mensonges. Constitue également un dol la dissimulation intentionnelle par l’un des contractants d’une information dont il sait le caractère déterminant pour l’autre partie ». Art. 1169 : « Un contrat à titre onéreux est nul lorsque, au moment de sa formation, la contrepartie convenue au profit de celui qui s’engage est illusoire ou dérisoire ». |
L’article 2057 alinéa 1 in fine relève du dol (manœuvres ou réticence dolosives). L’article 2057 alinéa 2 relève, comme les précédents, de l’erreur vice du consentement (erreur sur les titres dont est titulaire l’une des parties). Par ailleurs, le nouvel article 1169 issu de l’ordonnance portant réforme du droit des contrats, qui permet d’assurer le maintien des solutions jurisprudentielles qui étaient adoptées sur le fondement de l’erreur sur la cause, malgré la disparition de cette notion, pourra également servir de fondement à l’annulation d’un contrat lorsque dès l’origine la contrepartie convenue n’existe pas, ce qui pourra s’appliquer au contrat de transaction dans les hypothèses visées aux articles 2054 à 2057. |
Art. 2058 : « L’erreur de calcul dans une transaction doit être réparée » |
Art. 1156 : « On doit dans les conventions rechercher quelle a été la commune intention des parties contractantes, plutôt que de s’arrêter au sens littéral des termes ».
Art. 1157 : « Lorsqu’une clause est susceptible de deux sens, on doit plutôt l’entendre dans celui avec lequel elle peut avoir quelque effet, que dans le sens avec lequel elle n’en pourrait produire aucun ».
Art. 1158 : « Les termes susceptibles de deux sens doivent être pris dans le sens qui convient le plus à la matière du contrat ».
Art. 1159 : « Ce qui est ambigu s’interprète par ce qui est d’usage dans le pays où le contrat est passé ».
Art. 1160 : « On doit suppléer dans le contrat les clauses qui y sont d’usage, quoiqu’elles n’y soient pas exprimées ».
Art. 1161 : « Toutes les clauses des conventions s’interprètent les unes par les autres, en donnant à chacune le sens qui résulte de l’acte entier ».
Art. 1162 : « Dans le doute, la convention s’interprète contre celui qui a stipulé et en faveur de celui qui a contracté l’obligation ».
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Art. 1188 : « Le contrat s’interprète d’après la commune intention des parties plutôt qu’en s’arrêtant au sens littéral de ses termes. Lorsque la commune intention des parties ne peut être décelée, le contrat s’interprète selon le sens que lui donnerait une personne raisonnable placée dans la même situation ». Art. 1189 : « Toutes les clauses d’un contrat s’interprètent les unes par rapport aux autres, en donnant à chacune le sens qui respecte la cohérence de l’acte tout entier. Lorsque, dans l’intention commune des parties, plusieurs contrats concourent à une même opération, ils s’interprètent en fonction de celle–ci ». Art. 1190 : « Dans le doute, le contrat de gré à gré s’interprète contre le créancier et en faveur du débiteur, et le contrat d’adhésion contre celui qui l’a proposé ». Art. 1191 : « Lorsqu’une clause est susceptible de deux sens, celui qui lui confère un effet l’emporte sur celui qui ne lui en fait produire aucun ». |
La Cour de cassation estime que les juges ne peuvent réparer qu’une erreur de calcul purement arithmétique dans la transaction elle-même, et non apprécier l’erreur sur certains éléments ayant fondé l’estimation d’une des parties. Il s’agit en fait d’une transposition au contrat de transaction de l’article 462 du code de procédure civile qui permet la rectification des erreurs matérielles dans les jugements. Si l’erreur de calcul n’est pas visée dans le titre III relatif au droit général des contrats, on ne perçoit pas l’utilité d’un tel article. En effet les textes sur l’interprétation des contrats permettent déjà au juge de corriger une erreur de calcul. La jurisprudence admet d’ailleurs déjà que des erreurs matérielles soient rectifiées dans un contrat (Cass. 3e civ., 15 janvier 2003, n°01-01563) |
Source : réponses du Gouvernement au questionnaire des rapporteurs.
À l’initiative de vos rapporteurs, et suivant l’avis favorable du Gouvernement, la commission des Lois a rétabli le 5° du présent article afin d’abroger les articles 2047 et 2053 à 2058 du code civil devenus inutiles.
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La Commission adopte l’amendement rédactionnel CL361 des rapporteurs.
Puis elle examine l’amendement CL362 des rapporteurs.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Cet amendement vise à rétablir l’abrogation des articles 2047 et 2053 à 2058 du code civil, redondants par rapport au droit existant.
M. le garde des Sceaux. Cet amendement donne au Gouvernement l’occasion de remercier l’Assemblée nationale de l’avoir habilité, contre l’avis du Sénat, à bâtir le droit des contrats par ordonnance. C’est ainsi que l’ordonnance du 10 février 2016 modifie profondément ce droit. Son impact n’est pas encore bien perçu, mais les professionnels en ont compris toute l’importance. Je viens de lancer le deuxième volet de ce processus, c’est-à-dire la modification du droit de la responsabilité civile. Depuis 1804, en effet, notre code ne consacre que quatre articles à ce droit qui, de ce fait, est surtout de nature jurisprudentielle. Il était temps d’en rétablir le contenu dans la loi.
Le Gouvernement est favorable à cet amendement qui vise à supprimer des dispositions dont le professeur Marcel Planiol, auteur du Traité élémentaire de droit civil, disait déjà en 1899 qu’elles sont inutiles. La patience est récompensée…
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Notre rapport comprendra un tableau comparatif des dispositions relatives au droit des contrats qui justifiera la suppression de ces articles du code.
La Commission adopte l’amendement.
Puis elle adopte l’article 6 modifié.
Article 7
(art. 1592, 2061 et titre XVI du livre III du code civil)
Précisions relatives à l’utilisation de la notion d’arbitrage
Cet article propose de clarifier l’utilisation de la notion d’arbitrage dans le code civil pour éviter tout risque de confusion ou de mauvaise interprétation.
L’alinéa 2 modifie l’article 1592 du code civil relatif à la détermination du prix d’une vente en précisant que celui-ci « peut être laissé à l’estimation d’un tiers » et non plus « à l’arbitrage d’un tiers », cette expression pouvant entraîner une confusion avec la procédure d’ « arbitrage » régie par le livre VI du code de procédure civile ou laisser penser qu’il existait une procédure d’arbitrage contractuelle différente de cette dernière. Il faut noter que le Gouvernement avait initialement proposé de remplacer le mot : « arbitrage » par le mot : « appréciation » mais qu’à l’initiative du rapporteur au Sénat, ce terme a été remplacé par celui d’ « estimation » par cohérence avec la deuxième partie de l’article 1592 qui dispose que : « si le tiers ne veut ou ne peut faire l’estimation, il n’y a point de vente ».
L’alinéa 3 réécrit l’intitulé du titre XVI du livre III du code civil relatif au « compromis » en matière civile, dans la mesure où cet intitulé ne correspond plus au contenu même de ce titre, qui traite non seulement du « compromis » mais aussi de la « clause compromissoire ». C’est pourquoi, il est proposé d’intituler ce titre : « De la convention d’arbitrage », qui permet de couvrir les deux notions et qui s’inscrit en cohérence avec le chapitre Ier du titre Ier du livre IV du code de procédure civile, dont l’article 1442 dispose que : « la convention d’arbitrage prend la forme d’une clause compromissoire ou d’un compromis ».
À l’initiative du Gouvernement et après avis favorable de vos rapporteurs, la commission des Lois a complété le présent article afin de réviser l’article 2061 du code civil.
Actuellement, cet article limite la validité de la clause compromissoire aux seuls contrats conclus à raison d’une activité professionnelle, c’est-à-dire en réalité entre professionnels.
Selon le Gouvernement, cette prohibition ne présente qu’une utilité très réduite, à deux égards. D’une part, elle ne concerne que les contrats internes et non les contrats internationaux. D’autre part, les articles L. 132-1 et R. 132-2 du code de la consommation réputent ce genre de clauses abusives, de sorte qu’elles sont nulles si le professionnel ne démontre pas qu’elles ne font pas naître un déséquilibre significatif entre les droits et obligations respectifs des parties.
La nouvelle rédaction de l’article 2061 du code civil autorise désormais la clause compromissoire dans les relations entre particuliers. Cela peut en effet être utile en matière immobilière : on peut ainsi la concevoir dans un règlement de copropriété, dans un cahier des charges de lotissement, dans une convention d’indivision, dans un pacte d’associés de sociétés civiles immobilières, etc. On pourrait également la concevoir dans les nouvelles relations économiques entre particuliers par internet, où cette procédure pourrait permettre le règlement des différends à moindre coût.
Toutefois, pour éviter que le consommateur ne soit obligé de discuter le caractère abusif de la clause devant l’arbitre, comme l’impose le principe selon lequel celui-ci est le juge de sa propre compétence, il est précisé que la clause compromissoire reste facultative. Ainsi, le consommateur aura le choix, soit de comparaître devant l’arbitre, soit d’agir devant un tribunal étatique
Enfin, la nouvelle rédaction proposée précise quelles personnes sont liées par la clause compromissoire. Aujourd’hui, une personne A, qui acquiert d’une personne B la créance qu’elle a contre une personne C, se trouve tenue par la clause stipulée dans le contrat conclu entre B et C. Cette solution est en contradiction avec la jurisprudence européenne rendue dans le domaine des clauses de choix de juridiction. En outre, elle pourrait aboutir à lier le consommateur dans ses actions en garantie. Il est précisé que la clause doit avoir été expressément acceptée par la partie à laquelle on l’oppose, à moins que celle-ci n’ait succédé aux droits et obligations de la partie qui l’a initialement acceptée.
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La Commission examine l’amendement CL159 du Gouvernement.
M. le garde des Sceaux. Comme je l’ai indiqué dans mon propos liminaire, cet amendement vise à étendre le champ d’application de la clause compromissoire.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rappporteur. Avis favorable.
La Commission adopte l’amendement.
Elle en vient à l’amendement CL160 du Gouvernement.
M. le garde des Sceaux. Il s’agit d’un amendement d’harmonisation terminologique.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rappporteur. Avis favorable.
La Commission adopte l’amendement.
Puis elle discute de l’amendement CL74 de Mme Élisabeth Pochon.
Mme Élisabeth Pochon. Cet amendement vise à mettre fin aux conflits de compétence entre la juridiction administrative et la juridiction judiciaire, que le tribunal des conflits se déclare souvent incapable de résoudre concernant certains arbitrages internationaux. Cette situation provoque du désordre et de l’incertitude, et l’insécurité juridique qui en résulte nuit à l’attractivité économique de la France.
Je propose donc de confier la compétence en matière d’arbitrages internationaux à la juridiction judiciaire, qui exerce déjà l’essentiel de la compétence relative à l’arbitrage.
M. le garde des Sceaux. La question soulevée est très importante. Il va sans dire que l’attractivité de la place de Paris aurait beaucoup à gagner de la désignation d’une seule juridiction compétente. Toutefois, cet amendement, tel qu’il est rédigé, soulève des problèmes d’ordre constitutionnel relatifs à la délimitation des compétences du juge administratif. Le Gouvernement peut néanmoins s’engager à approfondir la réflexion sur ce sujet difficile en l’entourant de toute la prudence requise.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Une réflexion est, en effet, en cours sur cette question complexe. Pour mémoire, le Conseil d’État a confirmé en 2015 la décision du tribunal des conflits.
Au-delà de la seule question, certes fondamentale, de l’attribution des compétences, je rappelle que ces conflits sont le plus souvent liés aux activités économiques de l’administration, en particulier les marchés publics ou les contrats passés par des établissements publics industriels et commerciaux. Compte tenu de la complexité de la question, mieux vaut s’assurer que la solution adoptée ne provoquera in fine aucune difficulté. Par prudence, je suggère donc, à ce stade, à Mme Pochon de retirer son amendement et de laisser la réflexion en cours aboutir.
Mme Cécile Untermaier. L’amendement de Mme Pochon est utile, car une véritable incertitude entoure la compétence des juridictions concernant le contentieux relatif aux arbitrages internationaux en matière administrative. Le juge administratif est, en effet, susceptible d’intervenir lorsque le litige porte sur une question de droit public, mais chacun sait que l’arbitrage porte avant tout sur la procédure, et non sur la nature du litige. S’agissant des arbitrages internationaux, c’est donc le juge judiciaire – président du tribunal de grande instance, cour d’appel ou cour de cassation – qui est compétent.
Aujourd’hui, la situation est figée. Le tribunal des conflits peine à résoudre ce conflit de compétences. Il nous semble donc salutaire de confier l’ensemble du contentieux relatif à l’arbitrage à la juridiction judiciaire, qui en traite déjà 90 %, parce que c’est elle qui, depuis deux siècles, a édifié une solide jurisprudence en matière d’arbitrage. C’est d’ailleurs la situation qui prévaut dans tous les pays du monde. En l’état, les acteurs économiques internationaux risquent de se détourner de la place de Paris, voire des contrats avec des personnes morales de droit public françaises. Comme Mme Pochon, je crois donc important, d’un point de vue à la fois juridique et économique, en attendant le débat en séance, de trancher cette question dès maintenant en favorisant la simplification.
M. le garde des Sceaux. Sans vouloir céder au pessimisme, je doute que nous puissions trancher la question avant le débat en séance. Il s’agit d’un véritable problème entre les deux cours suprêmes que nous ne saurions régler sans mener une réflexion plus approfondie.
M. le président Dominique Raimbourg. Précisons que le législateur a la possibilité de créer un bloc de compétences et de l’attribuer à l’une ou l’autre des deux juridictions, indépendamment du conflit de compétence – qu’il soit inspiré par des considérations juridiques ou non – qui les oppose. De ce point de vue, en confiant la compétence en matière d’arbitrage à la juridiction judiciaire, l’amendement qui nous est soumis présenterait le précieux avantage de développer l’arbitrage sur la place de Paris, même s’il faut sans doute affiner la réflexion en cours.
Mme Élisabeth Pochon. Dans ces conditions, j’accepte de retirer l’amendement, pour le redéposer ultérieurement.
L’amendement est retiré.
La Commission adopte l’article 7 modifié.
Après l’article 7
La Commission est saisie de l’amendement CL84 de M. Sergio Coronado.
M. Paul Molac. Lors du recouvrement à l’amiable d’une créance, un huissier peut intervenir afin de délivrer une sommation de payer au supposé débiteur avant toute procédure judiciaire. Toutefois, rien ne l’oblige à rappeler qu’il s’agit d’un recouvrement à l’amiable et que la sommation ne prive pas le débiteur de la possibilité de contester le principe de la créance ou son montant. Méconnaissant ainsi leurs droits, certains consommateurs renoncent à contester la créance. C’est pourquoi nous proposons que le caractère amiable de cette procédure soit mentionné dans la lettre recommandée envoyée par l’huissier et qu’il soit précisé qu’elle ne prive pas le débiteur de son droit de contester la créance.
M. le garde des Sceaux. Le Gouvernement est favorable au retrait de cet amendement, car les précisions que souhaite apporter M. Molac figurent déjà dans un décret d’application du dispositif en date du 9 mars dernier.
L’amendement est retiré.
La Commission examine l’amendement CL 25 de M. Éric Ciotti.
M. Éric Ciotti. Le présent amendement a pour objectif de permettre aux parties civiles d’interjeter appel des décisions d’acquittement ou de relaxe. Nous souhaitons rétablir ainsi l’équilibre entre la défense des intérêts du mis en cause, qui est actuellement privilégiée, et celle des intérêts de la victime, même si, j’en suis bien conscient, nous touchons là à des principes anciens du droit pénal.
M. le garde des Sceaux. Le Gouvernement est conservateur ; il est attaché aux principes généraux de la procédure pénale, en vigueur depuis plus d’un siècle, selon lesquels le parquet, qui représente la société, et la victime, ne sont pas sur le même plan.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rappporteur. Avis défavorable.
La Commission rejette l’amendement.
Puis elle examine, en discussion commune, les amendements CL295 et CL296 de M. Alain Tourret.
M. Alain Tourret. L’amendement CL295 tend à modifier l’article L. 111-3 du code des procédures civiles d’exécution, afin d’ajouter à la liste des titres exécutoires l’acte sous seing privé contresigné par avocat constatant un accord de médiation. Lorsque les parties souhaitent octroyer la force exécutoire à cet accord, elles peuvent demander une homologation par le juge, qui exerce alors un contrôle a priori minimal. Il s’assure de la conformité de l’accord avec les bonnes mœurs et l’ordre public, ainsi que de la réalité de l’accord et du consentement des parties. L’acte d’avocat de médiation, contresigné par l’avocat de chacune des parties, comporte par nature les garanties nécessaires.
M. le garde des Sceaux. Le Gouvernement est défavorable à cet amendement ainsi qu’à l’amendement CL296. Les professions juridiques qui sont actuellement habilitées à délivrer un titre exécutoire sont les officiers publics ou ministériels. Je rappelle que, sur la base d’un titre exécutoire, il peut être directement procédé à des mesures d’exécution forcée à l’encontre d’un débiteur. Il semble donc impossible, à ce stade, de permettre aux avocats de délivrer un tel titre sur la base d’un acte contresigné par avocat, compte tenu de son impact sur les règles juridiques. Par ailleurs, je souligne qu’un accord de médiation peut faire l’objet d’une homologation judiciaire selon une procédure sur requête simple et sans audience. Le fait de repousser l’entrée en vigueur de la disposition au 1er octobre 2016, comme il est proposé dans l’amendement CL296, n’est pas de nature à modifier l’avis du Gouvernement.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Avis défavorable aux amendements CL295 et CL296. Il est évident que si nous donnions cette possibilité aux avocats, nous modifierions leur statut, car ils ne sont pas des officiers ministériels mais des auxiliaires de justice. De ce fait, ils assument des responsabilités, exercent des compétences et jouissent de privilèges que n’ont pas les officiers ministériels. Il est donc, selon moi, impossible d’envisager de conférer aux actes d’avocat un caractère exécutoire. Il paraît préférable de maintenir l’ordonnancement actuel, afin qu’il n’y ait aucune ambiguïté sur le rôle de chacun et que la situation soit claire pour les justiciables.
M. Alain Tourret. Je regrette ces avis défavorables. Représentant d’un barreau un peu moderne, je suis confronté à un rapporteur un peu conservateur, même si nous exerçons la même profession… C’est sans doute ce que pensera le Conseil national des barreaux, qui m’a suggéré de déposer ces amendements.
Les amendements sont retirés.
TITRE III
DISPOSITIONS TENDANT À L’AMÉLIORATION DE L’ORGANISATION ET DU FONCTIONNEMENT DU SERVICE PUBLIC DE LA JUSTICE
Chapitre Ier
Dispositions relatives à la compétence matérielle
du tribunal de grande instance et du tribunal d’instance
Article 8
(art. L. 134-1, L. 142-1 à L. 142-28 [nouveaux] et L. 146-11 du code de la sécurité sociale, chapitre IV du titre III du livre Ier du code de l’action sociale et des familles, art. L. 261-1 et titre III du livre III du code de l’organisation judiciaire)
Attribution au tribunal de grande instance des compétences du tribunal des affaires de sécurité sociale et du tribunal du contentieux de l’incapacité et de certaines compétences de la commission départementale d’aide sociale
Cet article propose de regrouper, au sein du tribunal de grande instance, une juridiction sociale unifiée et échevinée de première instance, dénommée « tribunal des affaires sociales », qui reprendrait les attributions des tribunaux des affaires de sécurité sociale, des tribunaux du contentieux de l’incapacité, ainsi que les litiges relatifs à la sécurité sociale qui relèvent des commissions départementales d’aide sociale.
1. Le droit en vigueur
Le contentieux de la sécurité sociale est actuellement réparti, en première instance, entre les tribunaux des affaires sociales (TASS) compétents pour le contentieux général de la sécurité sociale, les tribunaux du contentieux de l’incapacité (TCI), compétents pour le contentieux technique de la sécurité sociale, et les commissions départementales d’aide sociale (CDAS), qui traitent notamment des litiges portant sur la protection complémentaire en matière de santé des personnes à faibles ressources (couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) et aide à l’acquisition d’une complémentaire santé (ACS)).
Selon un rapport de l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) et de l’inspection générale des services judiciaires (IGSJ) établi en février 2016 (33), ces juridictions, qui ont en charge un contentieux de masse, près de 150 000 affaires nouvelles par an reposent sur « une organisation complexe, source de difficultés :
– d’une part, ces juridictions possèdent un caractère hybride. Elles sont composées de magistrats qui relèvent du ministère de la justice tandis que les fonctions du greffe sont assurées par un peu plus de 700 agents, toutes juridictions confondues y compris les CDAS, qui relèvent, pour les uns, du ministère chargé des affaires sociales, pour les autres, des caisses de sécurité sociale, et sont gérés de manière autonome ; ce double rattachement ministériel crée des difficultés de pilotage ;
– d’autre part, cette organisation se traduit par un morcèlement du contentieux, difficilement lisible pour les usagers, contraints pour un même litige de porter leur demande devant trois juridictions distinctes et organisées selon des procédures hétérogènes ».
Le transfert des juridictions sociales est en germe depuis près de quinze ans. En 2003, le Conseil d’État évoquait déjà l’« écartèlement » du contentieux et l’hétérogénéité des juridictions sociales. À compter de 2007, les ministères en charge des affaires sociales et de la Justice ont commencé à échanger sur les conditions d’un transfert. En 2010, un rapport commun de l’IGAS, de l’IGSJ, de l’Inspection générale des finances (IGF) et du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux soulignait « la fragilité de l’organisation actuelle des juridictions sociales » et la nécessité d’une réforme urgente.
Cette nécessité a été renforcée par la décision du Conseil constitutionnel intervenue le 25 mars 2011 qui a censuré la composition des CDAS (comprenant notamment des fonctionnaires d’État et des conseillers généraux) au regard des principes d’indépendance des juges et d’impartialité des décisions (34). La composition des CDAS a été profondément modifiée dans l’article L. 134-6 du code de l’action sociale et des familles par la loi n° 2013-403 du 17 mai 2013. La formation de jugement n’est plus composée que d’un président, magistrat de l’ordre judiciaire, et d’un rapporteur, qui est également le secrétaire de la juridiction. Un rapporteur public chargé de « prononcer ses conclusions sur les affaires que lui confie le président » peut en outre être désigné sur certains dossiers.
En décembre 2013, le rapport du groupe de travail présidé par M. Didier Marshall sur les juridictions du XXIème siècle, mis en place par la garde des sceaux en vue de l’élaboration de la réforme de l’organisation judiciaire, proposait pour sa part de créer une « juridiction de première instance unifiée », incluant l’ensemble des juridictions actuelles de première instance au sein d’un « tribunal de première instance » (TPI) (35). Dans ce schéma, l’unification du contentieux de la sécurité sociale et son attribution au TGI pourrait contribuer à constituer, au sein des TGI, un « pôle social », en y adjoignant les compétences actuelles du TGI en matière de relations collectives du travail et d’élections professionnelles ainsi que les fonctions de juge départiteur dans les affaires prud’homales. Outre ce pôle social, pourraient être envisagés un pôle civil général, un pôle pénal ou encore un pôle familial. La constitution des pôles serait organisée par le chef de juridiction, en fonction des réalités locales du contentieux du ressort.
Cette proposition a finalement été abandonnée par le Gouvernement qui a recentré sa réflexion sur la création d’une juridiction sociale au sein du TGI, regroupant les contentieux des TASS, des TCI et de certains litiges portés devant les CDAS.
Vos rapporteurs observent, à l’issue des auditions qu’ils ont conduites, que la fusion des contentieux sociaux soulève plusieurs questions importantes.
Sur le fond, elle nécessite de prévoir une harmonisation des procédures, aujourd’hui très disparates. Au plan organisationnel, elle suppose de déterminer les conditions de ce transfert en intégrant l’ensemble des volets concernés : immobiliers, informatiques, budgétaires. Sur le plan fonctionnel, elle doit veiller à maintenir une justice accessible à des personnes souvent démunies. Enfin, sur le plan social, elle doit prendre en compte les différences de statut, de conditions de travail et de culture professionnelle entre les agents actuels des juridictions sociales et les personnels des greffes relevant du ministère de la justice.
Par ailleurs, cette réforme est susceptible d’entraîner des répercussions multiples, singulièrement sur l’organisation de l’appel et le sort des contentieux sociaux résiduels, non traités par le projet de loi.
Actuellement, l’appel du contentieux social est réparti entre trois juridictions : la Cour nationale de l’incapacité et de la tarification de l’assurance des accidents du travail (CNITAAT) qui traite le contentieux technique de la sécurité sociale, la Commission centrale d’aide sociale (CCAS) qui se prononce sur les décisions des CDAS, et les cours d’appel qui sont compétentes pour le contentieux général de la sécurité sociale. L’harmonisation des conditions d’appel, et, par voie de conséquence, le sort réservé aux juridictions spécialisées, sont deux questions qui doivent être clairement examinées dans le cadre du transfert proposé.
La réforme des juridictions sociales est également susceptible d’affecter le périmètre de compétence des pôles sociaux qui seront constitués au sein des TGI : si les contentieux administratifs, en particulier ceux du revenu de solidarité active (RSA) et de l’aide personnalisée au logement (APL), sont exclus du champ de la réflexion, en revanche, le sort du contentieux de l’aide sociale pris en charge par les CDAS est posé, au regard notamment de la fragilité de ces structures qui sera encore accentuée par la baisse d’activité résultant des transferts de la CMU-C et de l’ACS envisagés par le Gouvernement.
2. La réforme proposée dans le projet de loi initial
Le projet de loi initial prévoyait, à l’article 8, de fusionner les contentieux actuellement traités par les TASS et TCI, d’y adjoindre la partie des contentieux liés aux droits à la protection de la santé (CMU-c et ACS), et de transférer ce bloc de compétence au pôle social créé auprès d’au moins un tribunal de grande instance dans chaque département. La cour d’appel devait être la juridiction d’appel du contentieux technique de la sécurité sociale ainsi défini. Quant à la Cour nationale de l’incapacité et de la tarification des accidents du travail (CNITAAT), elle devait uniquement conserver sa compétence en premier et dernier ressort pour les questions liées à la tarification, la réflexion pouvant se poursuivre plus loin dans un second temps, dans un objectif de cohérence d’ensemble (organisation judiciaire/blocs de compétences/procédure simplifiée). L’organisation de ce transfert aurait été déterminée par une ordonnance prise en application du I de l’article 52 du présent projet de loi, pour une entrée en vigueur au plus tard le 31 décembre 2018 en application du I de l’article 54.
En parallèle, les directeurs de cabinet de la garde des sceaux, ministre de la Justice et de la ministre des Affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, ont missionné l’IGAS et l’IGSJ pour établir « un état des lieux actualisé » et proposer un « schéma d’ensemble du transfert ». Comme cela a été indiqué précédemment, ce rapport a été rendu en février 2016, c’est à dire postérieurement à l’examen du présent projet de loi par le Sénat en première lecture, qui a refusé le transfert par voie d’ordonnance et décidé de proposer une réforme globale.
3. La réforme adoptée par le Sénat
Sur la proposition de son rapporteur, en commission, le Sénat a choisi de créer une nouvelle juridiction sociale unifiée et échevinée de première instance, dénommée « tribunal des affaires sociales » (TAS). Selon le rapporteur, M. Yves Détraigne : « L’identité des actuels tribunaux sociaux serait ainsi conservée, sans préjudice d’une éventuelle intégration ultérieure plus poussée au sein du TGI, dans le cadre d’un éventuel TPI » (36).
Au I du présent article, le Sénat a modifié le chapitre II du titre IV du livre Ier du code de la sécurité sociale pour définir les compétences et la procédure devant ce nouveau tribunal.
La section 1 du chapitre II impose tout d’abord un recours amiable obligatoire avant toute saisine obligatoire du TAS (article L. 142-1) sur le modèle de l’article 3 du présent projet de loi qui rend la conciliation obligatoire avant toute saisine du tribunal d’instance ou de la juridiction de proximité. Cette procédure conforterait les actuelles commissions de recours amiable (CRA), composées au sein des caisses de sécurité sociale de membres de leur conseil d’administration. Néanmoins, le recours amiable obligatoire serait généralisé au contentieux technique et aux litiges relevant actuellement des CDAS.
La section 2 définit l’institution et fixe ses compétences. Ainsi, les articles L. 142-2 à L. 142-5 précisent qu’il est créé au siège de chaque TGI un TAS, soumis aux dispositions communes à toutes les juridictions, et compétent pour connaître en première instance des contestations relatives :
– au contentieux général de la sécurité sociale ;
– au contentieux technique de la sécurité sociale ;
– à l’admission à l’aide sociale.
Le projet de loi initial avait une ambition plus réduite puisqu’il ne proposait qu’un transfert de la compétence de la CDAS en matière de couverture maladie universelle complémentaire (CMU-C) et d’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé (ACS).
Selon le rapporteur du Sénat, cette réforme, « en unifiant au sein de l’ordre judiciaire les contentieux relatifs à la sécurité sociale et à l’aide sociale, serait conforme à la décision [n° 86-224 DC du 23 janvier 1987 sur la loi transférant à la juridiction judiciaire le contentieux des décisions du Conseil de la concurrence] du Conseil constitutionnel, car il s’agirait bien d’un « aménagement précis et limité des règles de compétence juridictionnelle, justifié par les nécessités d’une bonne administration de la justice » ».
L’article L. 142-6 indique néanmoins que le TAS n’est pas compétent pour connaître de certains contentieux : contrôle technique exercé à l’égard des praticiens, recours formés contre les décisions des autorités administratives ou tendant à mettre en jeu la responsabilité des collectivités publiques à raison de telles décisions, poursuites pénales engagées en application des règles de sécurité sociale ou de mutualité sociale.
L’article L. 142-7 ajoute que le TGI est compétent s’il n’est pas institué de TAS dans sa circonscription.
Enfin, en application de l’article L. 142-8, les cours d’appel, dotées d’une chambre sociale, comme c’est aujourd’hui le cas pour le contentieux général de la sécurité sociale, seraient compétentes pour connaître en appel des recours formés contre les jugements en premier ressort des TAS. Le contentieux technique de la sécurité sociale pourrait relever éventuellement d’une ou plusieurs cours spécialisées, sur le modèle de l’actuelle Cour nationale de l’incapacité et de la tarification de l’assurance des accidents du travail (CNITAAT), qui serait supprimée. S’agissant du contentieux de l’aide sociale, qui relève actuellement en appel d’une commission centrale d’aide sociale (CCAS), il relèverait aussi, en appel, des cours d’appel. L’appel serait organisé et se déroulerait dans les conditions de droit commun.
La section 3 précise l’organisation et le fonctionnement du TAS.
Selon, l’article L. 142-9, comme c’est aujourd’hui possible dans les trois juridictions concernées, le TAS serait présidé par un magistrat judiciaire, en activité ou honoraire, désigné par le président du TGI ou par un magistrat du siège désigné par lui. À sa demande, le premier président de la cour d’appel pourrait désigner un magistrat honoraire. La formation de jugement serait également composée d’un assesseur représentant les salariés et d’un assesseur représentant les employeurs et les travailleurs indépendants. Si le tribunal ne peut siéger dans cette formation, l’audience est reportée sauf accord des parties pour que le président statue seul, après avoir recueilli, le cas échéant, l’avis de l’assesseur présent (article L. 142-12).
L’article L. 142-10 impose au président du TAS des obligations déontologiques renforcées en application des articles 7-1 et 7-2 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 tandis que l’article L. 142-11 reprend les règles de désignation des assesseurs applicables dans les TASS lorsqu’il faut statuer sur le caractère agricole ou non du litige.
Les articles L. 142-13 à L. 142-15 reprennent les modalités actuelles de l’expertise médicale auprès des TCI, qui seraient conservées, aux mêmes conditions tarifaires, plus avantageuses pour les finances publiques que l’expertise judiciaire. Le TAS pourrait s’adjoindre les services de médecins-experts pour réaliser des expertises au siège du tribunal, comme c’est le cas actuellement dans les TCI.
L’article L. 142-16 précise que les recours devant les TAS ou la cour d’appel au titre de l’admission à l’aide sociale peuvent, comme aujourd’hui, être formés par le demandeur, ses débiteurs d’aliments, l’établissement ou le service qui fournit les prestations, le maire, le président du conseil départemental, le représentant de l’État dans le département, les organismes de sécurité sociale et de mutualité sociale agricole intéressés ou par tout habitant ou contribuable de la commune ou du département ayant un intérêt direct à la réformation de la décision.
Enfin, en application de l’article L. 142-17, le TAS soulève d’office les prescriptions prévues par le code de la sécurité sociale et celles mentionnées au livre VII du code rural et de la pêche maritime.
La section 4 fixe le mode de désignation et le statut des assesseurs aux articles L. 142-18 à L. 142-26. Par rapport au droit en vigueur, la réforme sénatoriale précise que les assesseurs seraient soumis à une obligation de formation, à l’instar des juges consulaires, et à un régime disciplinaire plus précis. Leur statut serait rapproché de celui des magistrats judiciaires.
Vos rapporteurs rappellent en effet qu’actuellement, l’école nationale de la magistrature (ENM) forme les magistrats professionnels au droit du travail (formation spécifique sur l’actualité jurisprudentielle en droit du travail, sur le droit européen du travail, colloque sur le droit du travail…) et plus particulièrement au contentieux de la sécurité sociale :
– durant la formation initiale des auditeurs et lors de la préparation aux premières fonctions : enseignements sur la procédure orale et la conciliation qui intéressent directement le TASS et conférences sur les problématiques liées aux aides sociales ; puis, séquences sur l’actualité de la jurisprudence de la chambre sociale et séquences de niveau I et II sur le TASS ;
– durant la formation continue, il est délivré des enseignements sur le contentieux de la sécurité sociale et de l’incapacité, en formation nationale ou déconcentrée (en déconcentré, formation sur la médiation et la conciliation en matière sociale, sur l’URSSAF et son contentieux, rencontre avec le président de la Chambre sociale de la Cour de cassation…). Ces formations sont ouvertes aux magistrats de juridictions traitant du contentieux de la sécurité sociale et de l’incapacité. La formation au changement de fonctions permet également aux magistrats de suivre un atelier spécifique sur le contentieux de la sécurité sociale.
En revanche, s’agissant des assesseurs, aucune formation obligatoire n’est délivrée par l’ENM. L’association nationale des membres des tribunaux de la sécurité sociale et du contentieux technique (ANTASS) dispense pour sa part des formations au profit d’assesseurs à raison de deux sessions par mois de vingt personnes et organise des colloques.
Vos rapporteurs considèrent que, si cette réforme est adoptée, il faudra renforcer la formation des assesseurs devenue obligatoire. Il faudra, en outre, prévoir et organiser la formation initiale et continue de l’ensemble des agents (personnels des services judiciaires et agents issus des TASS, des TCI et de la CNITAAT) qui rejoindront ou composeront les futurs pôles sociaux à partir du 1er janvier 2019, ce qui représente un coût à budgéter et une contrainte à prendre en compte dans le fonctionnement des pôles. Compte tenu notamment d’une procédure rénovée, il sera nécessaire de former l’ensemble des personnels, qu’il s’agisse de nouveaux agents, des greffiers en place ou des agents venant des TASS et TCI, même si pour ces derniers la formation pourrait être réduite. Ainsi, dès septembre 2017, la formation initiale devra être modifiée pour assurer des enseignements relatifs aux procédures applicables, si les textes de procédure sont votés. Il conviendra enfin de développer un réseau de formateurs occasionnels des personnels des TASS/TCI actuels pour aider à la formation continue des agents.
La section 5 reprend les règles d’assistance et de représentation actuellement applicables devant les TASS, les TCI et les CDAS, sans ministère d’avocat obligatoire, mais précise que les parties pourront être assistées ou représentées par :
– leur conjoint ou un ascendant ou descendant en ligne directe,
– leur concubin ou la personne avec laquelle elles ont conclu un pacte civil de solidarité,
– suivant le cas : un travailleur salarié ou un employeur ou un travailleur indépendant exerçant la même profession ou un représentant qualifié des organisations syndicales de salariés ou d’employeurs,
– un administrateur ou un employé de l’organisme partie à l’instance ou un employé d’un autre organisme de sécurité sociale,
– un délégué des associations de mutilés et invalides du travail les plus représentatives.
Enfin, la section 6 précise que les dépenses de contentieux résultant du présent chapitre seront prises en charge soit directement par la caisse nationale de sécurité sociale ou la caisse centrale de la mutualité sociale agricole, soit par une avance de la caisse primaire d’assurance maladie ou la caisse départementale ou pluridépartementale de la mutualité sociale agricole qui serait ensuite remboursée par la caisse nationale concernée, soit encore par la caisse nationale compétente du régime général du budget de l’État. Il est renvoyé à des arrêtés ministériels pour préciser les modalités de ces prises en charge.
Par coordination, les chapitres III et IV du titre V sont abrogés tandis que le titre VI du livre VIII du code de la sécurité sociale est modifié, de même que le code de l’action sociale et des familles (II du présent article) et le code de l’organisation judiciaire (III du présent article).
En conséquence, à l’article 52 du présent projet de loi, le Sénat a également réduit le champ de l’habilitation relative à la réforme des tribunaux sociaux aux seules mesures nécessaires à la mise en place des TAS et à la suppression des TASS, des TCI et des CDAS ainsi que de la CNITAAT et de la CCAS (37).
Enfin, il a modifié l’article 54 du présent projet de loi pour prévoir l’application du transfert aux TGI des nouvelles compétences en matière de contentieux de la sécurité sociale à une date fixée par décret et au plus tard au 1er janvier 2019. Pour tenir compte de la situation des personnels actuels employés dans les secrétariats des TASS et des TCI, ainsi qu’au secrétariat général de la CNITAAT, le Sénat a également prévu, à titre transitoire, le maintien de leur compétence au bénéfice du greffe du futur TAS et des éventuelles cours d’appel spécialisées, jusqu’au 1er janvier 2019 (38).
4. La réforme adoptée par la commission des Lois
Après avoir pris note du refus du Sénat de réformer le contentieux des juridictions sociales par voie d’ordonnance, le Gouvernement a décidé de suivre les recommandations formulées par l’IGASS et l’IGSJ dans le rapport de février 2016.
Le Gouvernement a proposé, en conséquence, d’amender le texte du Sénat en reprenant en grande partie celui-ci mais en l’adaptant aux recommandations contenues dans le rapport, après avis favorable de vos rapporteurs.
La différence essentielle entre le projet de réforme soumis à l’Assemblée nationale et celui envisagé par le Gouvernement tiend au transfert du contentieux des TASS, des TCI et d’une partie du contentieux des CDAS au tribunal de grande instance et non à une nouvelle juridiction, dénommée par le Sénat « Tribunal des affaires sociales ».
Le Gouvernement entend mener à bien une réforme qui mettra fin à un éclatement du contentieux, améliorera la lisibilité du droit, ainsi que la qualité de la justice rendue à des justiciables qui sont parfois parmi les plus vulnérables.
Pour simplifier l’accès à la justice des assurés et allocataires sociaux, il serait procédé au regroupement du contentieux général, du contentieux technique et d’une partie du contentieux de l’admission à l’aide sociale, au sein d’une formation échevinée du tribunal de grande instance.
a. Compétence des TGI en formation échevinée
Des TGI spécialement désignés, siégeant dans cette formation spéciale, reprendraient les attributions du tribunal des affaires de sécurité sociale (TASS), du tribunal du contentieux de l’incapacité (TCI), mais également de la commission départementale d’aide sociale (CDAS) pour les contentieux qui présentent une véritable adhérence avec celui de la sécurité sociale ou des obligations alimentaires.
Le contentieux de l’aide sociale non transféré (résultant de décisions prises par le préfet ou le président du conseil départemental) continuerait de relever du juge administratif. Précisément, continueraient de relever de la compétence de la juridiction administrative le contentieux relatif :
– à l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) à domicile (art. L. 231-1 et 2 du code de l’action sociale et des familles) ;
– à l’allocation personnalisée d’autonomie en établissement (art. L. 231-1 et L. 231-8 du même code) ;
– à l’aide-ménagère ou aide à domicile (art. L. 113-1 du même code) ;
– à l’aide sociale des personnes âgées et handicapées sans domicile fixe (art. L. 122-1 et L. 111-3 du même code) ;
– au RSA défini aux articles L. 262-2 et suivants du même code, qui relève de la compétence de la juridiction administrative ;
– à l’aide médicale d’État (AME) (art. L. 251-1 du même code).
b. Recours amiable et expertise médicale
Afin de favoriser le traitement amiable des contestations en matière d’aide sociale, le Gouvernement confirmerait la position du Sénat de généraliser le recours amiable obligatoire en l’appliquant au contentieux technique, à l’exception de celui de la tarification.
La spécificité de ce recours amiable dans le domaine médical permettrait au justiciable d’obtenir une nouvelle expertise, sans avoir, comme c’est le cas actuellement, à saisir le juge (TCI).
Le TGI ne serait saisi que des contestations perdurant, après que la commission médicale de recours amiable ne soit prononcée.
S’agissant des réclamations actuellement traitées par les CDAS, celles-ci relèveraient dorénavant de recours amiables. Cela concernerait, à périmètre constant :
– l’aide sociale aux personnes âgées (APA) : l’APA à domicile (art. L. 231-1 et 2 du code de l’action sociale et des familles), l’APA en établissement (art. L. 231-1 et L. 232-8 du même code), l’aide-ménagère ou aide à domicile (art. L. 113-1 du même code) ;
– l’aide sociale aux personnes handicapées : allocation compensatrice tierce personne (article 95 de la loi du 11 février 2005), prestation de compensation du handicap (art. L. 245-1 du code de l’action sociale et des familles), les recours contre légataire, donataire et succession et l’obligation alimentaire (art. L. 132-6 du même code) ;
– l’aide sociale aux personnes âgées ou handicapées sans domicile fixe (art. L. 122-1 et L. 122-3 du même code) ;
– l’aide sociale aux personnes en situation de précarité : RSA, CMU-c, ACS, et AME.
En revanche, il n’est pas prévu d’instituer un recours amiable pour les prestations sociales à l’enfance, l’article L. 134-1 du code de l’action sociale et des familles restant inchangé sur ce point.
Par ailleurs, en accord avec les préconisations formulées par la mission d’inspection IGSJ/IGAS précitée, le Gouvernement propose l’instauration d’une commission médicale d’expertise ad hoc qui serait saisie d’un recours médical préalable à la saisine du tribunal. Cela éviterait l’expertise médicale systématique organisée devant le TCI, tout en garantissant au justiciable le réexamen de sa situation médicale dans un cadre approprié. Au surplus, le maintien de l’expertise à l’audience serait difficile en raison de considérations immobilières (les TGI ne disposent pas de locaux aménagés, et les surfaces disponibles sont insuffisantes pour procéder aux aménagements idoines) et budgétaires.
c. Compétence des cours d’appel
Suivant les recommandations de l’inspection commune IGAS / IGSJ, le Gouvernement propose que les cours d’appel de droit commun connaissent des appels formés contre les décisions prises par le TGI. La CNITAAT disparaîtrait en tant qu’elle connaissait des appels en matière d’incapacité, ceux-ci relevant désormais de la compétence des cours d’appel de droit commun. L’inspection s’est en effet interrogée sur l’opportunité qu’il y aurait à spécialiser certaines cours d’appel mais a estimé que ce n’était pas justifié.
S’agissant plus particulièrement du contentieux de la tarification, relatif à la fixation des taux de cotisation des entreprises en matière d’accidents du travail, la mission commune estimait opportun de ne le confier qu’à une seule cour d’appel. En effet, le nombre réduit de dossiers et la spécificité du contentieux, qui vise essentiellement à fixer des barèmes de prise en charge, perdrait en clarté et en homogénéité s’il était réparti entre toutes les cours d’appel. Le Gouvernement partage ce point de vue. La cour d’appel d’Amiens, où siège actuellement la CNITAAT, reçoit ainsi une compétence spécifique pour connaître en premier et dernier ressort du contentieux de la tarification de l’assurance des accidents du travail.
d. Représentation et assistance des parties
La réforme envisagée désormais par le Gouvernement tend à préserver l’accessibilité des juridictions sociales tout en en rationalisant le fonctionnement.
Il est proposé que devant les juridictions judiciaires statuant en premier ressort, les modalités d’assistance et de représentation soient les mêmes que celles actuellement en vigueur pour les TASS, TCI et CNITAAT.
Ainsi, devant les juridictions statuant en premier ressort (TGI et Cour spécialisée en matière de tarification), les parties se défendraient elles-mêmes, ou comme le propose le Sénat, qu’elles soient représentées par un proche : leur conjoint, un ascendant ou descendant en ligne directe, leur concubin ou la personne avec laquelle elles ont conclu un pacte civil de solidarité, ou suivant le cas, par un professionnel, un travailleur salarié, un employeur, un travailleur indépendant exerçant la même profession, un représentant qualifié des organisations syndicales de salariés ou d’employeurs, par un administrateur ou un employé de l’organisme partie à l’instance, ou un employé d’un autre organisme de sécurité sociale, ou enfin par un délégué des associations de mutilés et invalides du travail les plus représentatives.
Devant les cours d’appel, le Gouvernement propose de passer à la procédure écrite, qui se caractérise par une mise en état plus efficace (délais stricts à respecter par les parties) afin de réaliser des gains d’efficacité. La représentation serait ainsi réservée aux avocats, comme c’est le cas pour les procédures avec représentation obligatoire. Cet aspect de la réforme serait de niveau réglementaire.
e. Mesures transitoires concernant les litiges en cours devant les TASS, TCI, CDAS et la CNITAAT
Sur proposition du Gouvernement, la commission des Lois a amendé l’article 54 du présent projet de loi qui prévoit les mesures transitoires concernant les litiges en cours devant les juridictions supprimées, non pour modifier le mécanisme prévu par le Sénat qui convient sur le fond, tout comme la date d’entrée en vigueur de la réforme, mais pour l’adapter au transfert des contentieux vers le TGI (hors la partie du contentieux des CDAS qui demeurent de la compétence de la juridiction administrative) et non vers un tribunal des affaires sociales.
Sous cette réserve, les dispositions transitoires sont identiques à celles prévues par le Sénat.
Ainsi, au 1er janvier 2019 :
– les procédures en cours devant les TASS et TCI seraient transférées en l’état aux TGI territorialement compétents ;
– les procédures en cours devant la CNITAAT seraient transférées aux cours d’appel territorialement compétentes, à l’exception du contentieux de la tarification qui est transféré à la cour d’appel d’Amiens, où siège l’actuelle CNITAAT ;
– les procédures en cours devant la CCAS en application de l’article L. 134-2 du code de l’action sociale et des familles seraient, selon leur nature, transférées en l’état aux cours d’appel ou aux cours administratives d’appel territorialement compétentes : les premières connaîtraient du contentieux en cours en matière de prestation de compensation du handicap, de l’aide sociale aux personnes âgées ou handicapées en présence d’obligés alimentaires et des recours prévus par l’article L. 132-8 du même code. Les procédures en cours devant la même commission en application de l’article L. 134-3 du même code, c’est-à-dire dans les cas où la CCAS statuait en premier et dernier ressort, seraient transférées en l’état au tribunal administratif territorialement compétent.
Les convocations et citations données aux parties pourront être délivrées avant le 1er janvier 2019 pour une comparution postérieure à cette date devant la juridiction nouvellement compétente ; il n’y aurait pas lieu de renouveler les actes, formalités et jugements régulièrement intervenus antérieurement au transfert des procédures, à l’exception des convocations et citations données aux parties qui n’auraient pas été suivies d’une comparution devant la juridiction supprimée ou antérieurement compétente.
S’agissant des personnels des TASS, des TCI et des CDAS, le Gouvernement prévoirait en premier lieu, une mise à disposition de l’ensemble des agents administratifs des TASS et TCI pendant l’ensemble de la période transitoire 2019 à 2020 afin d’opérer un transfert du contentieux dans les meilleurs conditions possibles. À l’issue, des propositions de reclassement et d’intégration seraient faites à ces agents qui choisiront, soit de rester dans leur administration d’origine, soit d’aller au ministère de la justice. À cet égard, ils pourraient le cas échéant se porter candidats à des fonctions de greffiers ou d’adjoint administratifs. Les modalités précises de reclassement devraient faire l’objet d’une concertation et de modifications réglementaires. Ces questions seraient abordées dans le cadre du comité de pilotage national et des comités locaux. Pour financer ces opérations un transfert budgétaire devrait être mis en place entre le ministère des Affaires sociales et le ministère de la Justice.
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La Commission examine l’amendement CL174 du Gouvernement, qui fait l’objet des sous-amendements CL374 et CL375 de M. Sergio Coronado.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux, ministre de la justice. Il s’agit d’un amendement important, car il vise à réformer l’organisation et la procédure du contentieux social en poursuivant deux orientations : simplifier la structure judiciaire de la sécurité sociale et de l’aide sociale, et recentrer le juge sur ses attributions judiciaires. Il s’avère urgent de conduite cette réforme, souhaitée depuis quinze ans, au vu des grandes difficultés dans lesquelles cette justice se débat ; plus de 250 000 justiciables la sollicitent en effet chaque année et le stock de ses affaires s’élève à deux ans. Tout en respectant bien entendu le principe de séparation des juridictions administratives et judiciaires, le Gouvernement souhaite créer un pôle social dans chaque tribunal de grande instance (TGI), afin de permettre l’identification rapide de la juridiction compétente et une proximité avec le justiciable.
On simplifie également en uniformisant cinq juridictions, notamment par la suppression de trois d’entre elles dans un but de bonne administration de la justice. Ainsi, la Cour nationale de l’incapacité et de la tarification de l’assurance des accidents du travail (CNITAAT) disparaîtra, elle qui accusait, à la fin de l’année 2014, un stock de 13 550 dossiers, soit deux années d’activité.
Le Sénat a marqué son accord avec notre philosophie, mais a proposé un amendement qui allait à rebours de nos objectifs de lisibilité et de simplification. Notre amendement réécrit donc complètement l’article.
M. Paul Molac. Le sous-amendement CL374 vise à supprimer la deuxième section de l’article 8, qui oblige à déposer un recours amiable et préalable. Du fait de la grande précarité de certains demandeurs et de l’absence d’aide juridictionnelle pour cette procédure, ce recours peut constituer un obstacle à l’accès au droit, notamment en cas de refus.
Le sous-amendement CL375 reprend des dispositions applicables à plusieurs formations de magistrats non-professionnels touchant aux obligations des assesseurs en matière d’indépendance, de dignité, de probité et de secret des délibérations.
M. le garde des Sceaux. Les commissions de recours amiable sont extrêmement sollicitées, puisque 500 000 contestations ont été enregistrées en 2012, dont 64 % ont donné raison aux assurés. La procédure du recours amiable s’avère donc très utile au justiciable. Le Gouvernement n’est pas favorable à l’adoption du sous-amendement CL374.
Quant au suivant, j’émets un avis favorable à son adoption, sous réserve d’en supprimer le dernier alinéa, difficilement compréhensible. Si vous mainteniez votre proposition en l’état, nous nous opposerions à son adoption.
M. Jean-Michel Clément, rapporteur. Cet amendement, qui s’apparente presque à un texte tant il réforme l’institution, devait faire l’objet d’une ordonnance. Le Sénat a opportunément fait entrer ce dispositif dans la loi, l’Assemblée préférant se prononcer sur un domaine touchant à la vie quotidienne des gens plutôt que de le voir régi par une ordonnance.
L’amendement du Gouvernement constitue le pilier de l’architecture des juridictions sociales. Depuis le dépôt de cet amendement, nous avons eu connaissance du rapport établi conjointement par l’inspection générale des affaires sociales (IGAS) et l’inspection générale des services judiciaires (IGSJ), dont l’esprit se retrouve dans la rédaction gouvernementale.
Nous avons procédé à de nombreuses auditions, qui ont montré une forte inquiétude au sujet de la CNITAAT et de la spécialisation des cours d’appel. Il nous faudra rester vigilants sur ces thèmes, avancer des propositions et clarifier certains malentendus d’ici la séance.
Le stock d’affaires se révèle important et sa croissance doit cesser. Une période de transition sera nécessaire pour résorber le stock et organiser les juridictions en conséquence. Les situations divergent fortement dans notre pays : certains tribunaux ont la taille et les moyens suffisants pour faire face au contentieux et d’autres restent en crise car ils ne peuvent pas faire face au flot d’affaires.
On a également constaté des inégalités dans l’appréhension du règlement amiable préalable obligatoire. Certains, à la suite de décisions négatives non motivées, ont estimé cette procédure inutile, mais les chiffres que vous avez cités, monsieur le garde des Sceaux, montrent l’inverse, et il y a lieu de s’interroger sur les causes des dysfonctionnements constatés ; sans doute, faudra-t-il renforcer les obligations de motivation des décisions.
Personne ne remet en cause la probité des assesseurs, et je soutiens la volonté de réécriture du sous-amendement de M. Molac exprimée par M. le ministre.
J’émets un avis favorable à l’adoption de cet amendement important, qui refonde l’organisation de la justice sociale ; je souhaite que celle-ci soit la plus accessible et la plus compréhensible possible, car les gens qui la saisissent se trouvent souvent en difficulté, voire en détresse.
M. Paul Molac. J’accepte de retirer le sous-amendement CL374 et de supprimer le dernier alinéa du suivant.
M. Alain Tourret. Dans ce domaine, la justice s’avère sinistrée. J’ai traité des dossiers relatifs à l’amiante dans ma vie professionnelle, et jamais les demandeurs et les défendeurs ne s’accordent dans ces affaires ; le patronat refuse tout accord et toute conciliation, si bien que les procès sont extrêmement longs. En outre, des actions pénales se croisent avec les procédures civiles, ce qui participe à augmenter la durée des affaires. Le dossier sur l’amiante est né à Condé-sur-Noireau, où j’ai accompagné les parties civiles en 1996 ; or, l’affaire n’est toujours pas résolue, vingt ans plus tard ! Bien évidemment, presque tous les gens sont morts pendant cette période, alors que, dans le même temps, l’Italie condamnait des responsables patronaux à plus de quinze années d’incarcération. Il s’agit de scandales absolus !
De plus, on a reconnu le préjudice de l’anxiété, pour lequel les juridictions ne sont pas complètement outillées alors qu’il générera un contentieux colossal. On en est victime lorsque l’on ne souffre pas du cancer de l’amiante, mais que l’on redoute d’en être malade parce que l’on vit dans une zone exposée. Toute personne atteinte par l’amiante ou s’étant trouvée à son contact peut revendiquer un préjudice d’anxiété, que les employeurs refusent également de reconnaître. Chaque dossier est donc un combat acharné, que mènent des batteries d’avocats payés par les employeurs.
Les avocats se sont désintéressés des dossiers relatifs à la sécurité sociale, le pourcentage de présence des avocats dans ces affaires s’avérant très faible. Les plaignants ou les associations se présentent donc eux-mêmes. Dès que les victimes auront connaissance du taux très élevé de réussite des procédures lancées dans le cadre de ce contentieux – bien supérieur à celui relevé dans les autres juridictions –, le nombre des dossiers explosera. Des centaines de milliers d’affaires se trouvent déjà en cours d’instruction.
Monsieur le garde des Sceaux, il convient de nommer des dizaines de magistrats pour traiter ces dossiers, afin d’éviter que ne prospère une terrible injustice. En effet, la plupart de ces gens meurent à cause des cancers ou d’autres maladies contractées du fait de leur exposition à l’amiante. Lorsqu’ils saisissent un tribunal, leur espérance de vie est inférieure à la décennie que durera la procédure.
M. le président Dominique Raimbourg. Je partage l’avis de M. Tourret et soutiens M. le ministre dans sa volonté de conduire cette réforme, que j’estime comme lui très importante.
Le sous-amendement CL374 est retiré.
La Commission adopte le sous-amendement CL375 ainsi rectifié.
Puis elle adopte l’amendement sous-amendé.
L’article 8 est ainsi rédigé.
En conséquence, les amendements CL85, CL129, CL102, CL140, CL132 n’ont plus d’objet.
Article 9
(art. L. 221-4 du code de l’organisation judiciaire)
Transfert de la réparation des dommages corporels
aux tribunaux de grande instance
Cet article propose de donner une compétence exclusive aux tribunaux de grande instance en matière de réparation de dommages corporels.
Actuellement, en application de l’article L. 221-4 du code de l’organisation judiciaire, la réparation des dommages corporels dont le montant n’excède pas 10 000 euros relève de la compétence des tribunaux d’instance.
Selon l’étude d’impact annexée au projet de loi, ce contentieux représente 2 190 affaires par an pour les tribunaux d’instance, soit 0,37 % du volume de leur contentieux.
Le transfert de ce contentieux aux tribunaux de grande instance participe de l’objectif global de recentrer les tribunaux d’instance sur la justice civile au quotidien, et de rendre plus efficiente l’organisation du traitement des contentieux.
Cette mesure est favorablement accueillie par l’association nationale des juges d’instance (ANJI). Elle rappelle qu’une compétence exclusive des tribunaux de grande instance en la matière serait cohérente, dès lors que le tribunal de police leur est également transféré, une part importante de ce contentieux est en effet liée au contentieux pénal. C’est l’objet de l’article 10.
Sur le plan légistique, il convient de noter que le projet de loi initial prévoyait d’introduire cette disposition à l’article L. 211-3 du code de l’organisation judiciaire, qui fixe la compétence de principe des tribunaux de grande instance en matière civile et commerciale.
Toutefois, à l’initiative de son rapporteur, le Sénat a préféré modifier l’article L. 221-4 du même code qui fixe la compétence des tribunaux d’instance, pour exclure les actions tendant à la réparation d’un dommage corporel.
A l’initiative de vos rapporteurs et après avis favorable du Gouvernement, la commission des Lois a, pour sa part, conféré une compétence exclusive au tribunal de grande instance, par voie d’affirmation et non d’exclusion, au sein d’un nouvel article L. 211-4-1 du code de l’organisation judiciaire.
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La Commission est saisie de l’amendement CL86 de M. Sergio Coronado.
M. Sergio Coronado. Cet article vise à donner une compétence exclusive aux tribunaux de grande instance en matière de réparation de dommages corporels. Ce contentieux est un contentieux de proximité qui doit rester de la compétence du tribunal d’instance. Rien ne justifie son transfert vers le TGI. Nous proposons donc de supprimer l’article 9.
M. le garde des Sceaux. Avis défavorable. L’enjeu de ce contentieux ne réside pas dans sa proximité, mais dans sa technicité. Son volume n’est pas très élevé puisqu’il représente 2 190 affaires par an en moyenne. L’article 9 vise à garantir un traitement homogène des affaires, ce que réclament les associations de victimes. En outre, la réforme cherche à recentrer les tribunaux d’instance sur un contentieux de proximité.
M. Jean-Michel Clément, rapporteur. Avis défavorable. Toutes les personnes auditionnées ont réclamé l’unification du contentieux pénal au sein du TGI.
La Commission rejette l’amendement.
Puis elle en vient à l’amendement CL363 des rapporteurs.
M. Jean-Michel Clément, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de clarification.
M. le garde des Sceaux. Cet amendement correspond tout à fait aux objectifs du Gouvernement. J’émets un avis favorable à son adoption.
M. Alain Tourret. Monsieur le rapporteur, votre amendement dispose que « Le tribunal de grande instance connaît des actions en réparation d’un dommage corporel ». Les actions pour lesquelles le taux est inférieur à celles de la compétence des TGI sont-elles concernées ?
M. Jean-Michel Clément, rapporteur. Tous les contentieux entrent dans le champ de cette disposition.
La Commission adopte l’amendement.
Puis elle adopte l’article 9 modifié.
Article 10
(art. 45, 521, 523 et 529-7 du code de procédure pénale, art. L. 211-1, L. 211-9-1 [nouveau], L. 212-6, L. 221-1, sous-section 4 de la section 1 du chapitre Ier du titre II et section 2 du chapitre II du titre II du code de l’organisation judiciaire et art. 1er de la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011)
Transfert des audiences du tribunal de police au tribunal de grande instance et régime juridique de certaines contraventions de la cinquième classe
Cet article propose de modifier le code de procédure pénale, et par voie de conséquence, le code de l’organisation judiciaire, afin de transférer au tribunal de grande instance les audiences du tribunal de police d’une part, et de simplifier le traitement des contraventions en rendant pleinement applicable la procédure de l’amende forfaitaire pour les contraventions de cinquième classe, d’autre part.
L’objectif est de recentrer les tribunaux d’instance sur la justice civile du quotidien et de centraliser le contentieux pénal au siège du tribunal de grande instance, sous le regard plus attentif des parquets.
1. Le droit en vigueur
En matière pénale, les infractions sont classées en crimes, délits et contraventions.
Les crimes sont jugés par la cour d’assises, qui siège dans chaque département.
Les délits sont jugés par le tribunal correctionnel, qui constitue l’une des formations du tribunal de grande instance.
Les contraventions sont jugées, pour la cinquième classe, par le tribunal de police composé du juge d’instance, d’un officier du ministère public et d’un greffier et, pour les classes 1 à 4, par la juridiction de proximité, composée d’un juge de proximité ou à défaut du juge d’instance. Le tribunal de police et la juridiction de proximité se trouvent au siège du tribunal d’instance.
À compter du 1er janvier 2017, toutes les contraventions seront à nouveau jugées par le tribunal de police, en application de la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 sur la répartition des contentieux, qui a supprimé la juridiction de proximité qu’avait instituée la loi d’orientation et de programmation sur la justice du 9 septembre 2002, sans pour autant supprimer la fonction de juge de proximité (39) .
Le tribunal de police sera alors constitué par un juge de proximité, et à défaut par un juge du tribunal d’instance, pour statuer :
– sur les contraventions des quatre premières classes, à l’exception des contraventions de diffamation et d’injure non publiques et de diffamation et d’injure publiques présentant un caractère raciste ou discriminatoire ;
– sur les ordonnances pénales ;
– et pour valider les compositions pénales.
L’organisation judiciaire résultant de la réforme de 2011 – qui ne sera mise en œuvre qu’au 1er janvier 2017 compte tenu d’un double report de deux ans en 2013 et 2015 – aura pour effet de redonner au tribunal de police, qui se trouve au siège du tribunal d’instance, une compétence pour l’ensemble de la matière contraventionnelle.
2. La réforme proposée
L’article 10 du projet de loi initial proposait seulement le transfert des audiences du tribunal de police auprès du tribunal de grande instance. Ainsi, le tribunal d’instance ne serait plus compétent qu’en matière civile, tandis que le contentieux pénal serait centralisé au siège du tribunal de grande instance.
À l’issue de la première lecture au Sénat, le présent article prévoit également de simplifier le traitement des contraventions de cinquième classe en rendant opérationnelle la procédure d’amende forfaitaire.
Les auditions réalisées par vos rapporteurs ont globalement montré une adhésion de l’ensemble des personnes entendues à cette réforme.
a. La concentration du contentieux pénal au siège du tribunal de grande instance
Outre le transfert du contentieux de la réparation des dommages corporels prévu par l’article 9 du présent projet de loi, l’article 10 propose de transférer du tribunal d’instance vers le tribunal de grande instance toutes les audiences du tribunal de police.
Pour ce faire, l’alinéa 6 modifie l’article 523 du code de procédure pénale pour préciser, que le juge membre du tribunal de police est un juge du tribunal de grande instance et non plus un juge du tribunal d’instance, tandis que le II du présent article en tire les conséquences au sein du code de l’organisation judiciaire qui organise la répartition des compétences entre les juridictions : il confie la compétence du tribunal de police au tribunal de grande instance (alinéa 8), définit le champ de compétence du tribunal de police (alinéas 9 et 10), prévoit que le siège du ministère public devant le tribunal de police est occupé par le procureur de la République ou par le commissaire de police selon le cas (alinéas 12 et 13) et supprime la compétence pénale des tribunaux d’instance (alinéas 14 à 18). Enfin, l’alinéa 23 modifie, par coordination, l’article 1er de la loi du 13 décembre 2011.
Le transfert du contentieux pénal du tribunal de police au tribunal de grande instance aura un impact sur :
– l’organisation du ministère public, l’organisation des audiences et la gestion des archives au sein des juridictions : s’il est nécessaire d’effectuer un déménagement réel des moyens utiles au traitement de ce contentieux les impacts immobiliers concerneront l’organisation des surfaces, l’organisation des audiences et la gestion des archives. Les services communs des tribunaux de grande instance (accueil, standard, courrier, archives) devront être redimensionnés. L’organisation des services au sein des tribunaux de grande instance devra être adaptée, le cas échéant avec l’accompagnement des effectifs au titre de la gestion des mutations ;
– l’organisation des surfaces immobilières : l’étude réalisée pour les effectifs de magistrats, de juges de proximité et des personnels de greffe pour asseoir cette fusion, ainsi que pour les archives montre que le besoin de surfaces tertiaires serait de 2 880 m2 tandis que l’impact de surfaces pour les archives est estimé à 258 m2. La création de salles d’audience n’est pas, à ce stade, incluse dans le besoin de surfaces parce que la mutualisation des salles d’audience dans les tribunaux est une priorité, sachant que le taux d’occupation actuel est d’environ 70 %. Une dépense non reconductible d’environ 8 millions d’euros est prévue pour l’aménagement immobilier des tribunaux de grande instance en vue de cette réforme ;
– le déploiement des applications informatiques : le rôle des applications informatiques Cassiopée et Minos, dans le traitement du contentieux contraventionnel est à l’étude, ainsi que les évolutions à apporter, en particulier à l’application Minos, par l’ANTAI qui détient la maîtrise d’œuvre de cette application.
Les délais de mise en œuvre de la réforme sont estimés par l’étude d’impact, sous toutes réserves, entre 12 et 18 mois prenant en compte, la recherche de locaux, les études et les travaux.
b. L’effectivité de la procédure d’amende forfaitaire pour les infractions de cinquième classe
L’amende forfaitaire permet de mettre en œuvre une procédure rapide destinée à éviter des poursuites et désengorger le rôle des tribunaux.
Initialement applicable pour les contraventions des quatre premières classes, cette amende est envisageable pour une infraction qui n’aura engendré aucun dégât matériel ou corporel, mais aussi qui ne suppose aucune peine d’emprisonnement, de suspension ou d’annulation de son permis. Il s’agit de la sanction de la contravention routière par excellence.
En application de l’article 29 de la loi du 13 décembre 2011 précitée, les contraventions de cinquième classe doivent pouvoir faire l’objet du mécanisme de l’amende forfaitaire dans des conditions définies par décret en Conseil d’État. Ce décret d’application n’a jamais vu le jour, alors qu’il aurait dû déterminer la liste des contraventions de cinquième classe susceptibles de bénéficier de cette procédure et en fixer le montant. Ce défaut d’application de la loi serait dû, selon le ministère de la Justice, au fait que la loi de 2011 n’a pas prévu le transfert du traitement de ces contraventions à l’officier du ministère public (le commissaire de police) en lieu et place du procureur de la République. Cette absence de transfert empêcherait l’utilisation des applications informatiques permettant de réaliser la procédure de l’amende forfaitaire pour les contraventions des classes 1 à 4 ; la duplication de ces applications aux contraventions de classe 5 serait quant à elle trop complexe et couteuse.
Par conséquent, à l’initiative du rapporteur, le Sénat a aligné le régime de traitement des contraventions de cinquième classe, sur celui des autres types de contraventions à travers :
– la modification de l’article 45 du code de procédure pénale qui retire au procureur le siège du ministère public pour les contraventions de cinquième classe et qui précise, que le commissaire de police occupe ces fonctions devant le tribunal de police « sous le contrôle de ce magistrat » (alinéas 2 et 4) ;
– la modification de l’article 521 du même code (alinéa 5) précisant que la juridiction de proximité connaît désormais des contraventions de la cinquième classe relevant de la procédure de l’amende forfaitaire (disposition applicable jusqu’au 31 décembre 2016) ;
– la modification de l’article 529-7 du même code, afin de prévoir que les contraventions de cinquième classe puissent faire l’objet d’une amende forfaitaire minorée (alinéa 7) ;
– la modification de l’article 1er de la loi du 13 décembre 2011 par coordination (alinéas 19 à 22).
Vos rapporteurs soutiennent la démarche sénatoriale consistant à rendre opérationnel et simplifier au maximum la procédure en cas de contravention de cinquième classe.
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L’amendement CL87 de M. Sergio Coronado est retiré.
La Commission aborde l’amendement CL364 du rapporteur Jean-Yves Le Bouillonnec.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de précision.
M. le garde des Sceaux. Avis favorable.
La Commission adopte l’amendement.
Puis elle adopte l’article 10 modifié.
Article 10 bis (nouveau)
(art. 26, 26-1, 26-3, 31, 31-2, 31-3, 33-1, 365, 372, 386, 387-5, 412, 422, 511, 512 du code civil, art. L. 222-4 [nouveau] du code de l’organisation judiciaire, art. 242, 261-1 et 263 du code pénal)
Délégation de la délivrance des certificats de nationalité et de la réception des déclarations de nationalité à un directeur des services de greffe d’une autre juridiction du ressort de la cour d’appel ou au greffier en chef du tribunal d’instance
Cet article additionnel, adopté sur proposition du Gouvernement après avis favorable de vos rapporteurs, a pour objet de pallier les difficultés de gestion rencontrées dans les tribunaux d’instance depuis les transferts d’attributions aux greffiers en chef de la délivrance des certificats de nationalité et de la vérification des comptes de tutelle prévues par la loi du 8 février 1995.
Depuis cette date, la délivrance des certificats de nationalité et la réception des déclarations de nationalité prévues aux articles 26, 26-1, 26-3, 31, 31-2, 31-3 et 33-1 du code civil et la vérification des comptes de tutelles des majeurs prévues aux articles 511 et 512 du code civil relèvent de compétences propres du greffier en chef, devenu « directeur des services de greffe » depuis les décrets n° 2015-1273 du 13 octobre 2015 portant statut particulier du corps des directeurs des services de greffe judiciaires et n° 2015-1274 du 13 octobre 2015 portant statut d’emploi de directeur fonctionnel des services de greffe judiciaires.
Cette réforme statutaire des personnels de greffe, mise en œuvre depuis le 1er novembre 2015, recentre les directeurs des services de greffe dans les structures les plus importantes. Les greffiers chefs de greffe sont placés sous statut d’emploi et bénéficient d’une formation d’adaptation à l’emploi leur permettant d’acquérir les compétences en matière d’animation d’équipe, de gestion humaine et budgétaire mais aussi, les compétences techniques qui peuvent être liées à l’emploi occupé.
Le présent article additionnel modifie les occurrences de l’ancienne appellation de « greffier en chef » et permet aux chefs de cour, en gestion, de déléguer ces attributions, à titre exceptionnel, en l’absence de directeur des services de greffe au tribunal d’instance, à un directeur des services de greffe d’une autre juridiction du ressort de la cour d’appel ou, à défaut, au greffier chef de greffe du tribunal d’instance.
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La Commission examine l’amendement CL175 du Gouvernement.
M. le garde des Sceaux. Depuis l’automne 2015, nous réformons les services de greffe en remplaçant la responsabilité de « greffier en chef » par l’appellation de « directeur des services des greffes judiciaire ». L’amendement propose de modifier les occurrences de l’ancienne dénomination et de déléguer les attributions du directeur des services de greffe en matière de vérification des comptes de tutelle et de nationalité. Cela accroîtra la souplesse de l’organisation des juridictions, tout en préservant les principes de la réforme de 2015, mise en place avec les organisations de greffiers.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Monsieur le ministre, nous avons eu une discussion avec vos services au sujet de cet amendement, car on ne souhaitait pas que l’on retrouve ici une forme de mutualisation des greffes que nous souhaitions supprimer à l’article 13 bis.
Comment s’assurer que le nouveau dispositif n’altère pas l’autonomie de désignation des responsables de greffe ?
M. le garde des Sceaux. On ne réorganise pas les greffes, contrairement à l’article 13 bis qui visait à les mutualiser ; les parlementaires ont reçu énormément de courrier à ce sujet et pourront rassurer leurs concitoyens : les rapporteurs proposent de supprimer l’article 13 bis, et le Gouvernement appuiera cette démarche. Les services de greffe ne seront donc pas mutualisés, et le présent amendement ne traite que de la responsabilité des directeurs des services de greffe.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Pourquoi le processus décisionnel relève-t-il du président de la cour d’appel ?
M. le garde des Sceaux. Je vous fournirai plus tard des éléments de réponse, mais cette disposition ne contient aucun élément explosif, monsieur le député !
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. J’émets un avis favorable à l’adoption de cet amendement.
La Commission adopte l’amendement. L’article 10 bis est ainsi rédigé.
Chapitre II
Dispositions relatives au fonctionnement interne des juridictions
Article 11 A (nouveau)
(chapitre 1erbis du livre Ier et art. L. 212-3-1, L. 222-1-1, L. 532-15-2, L. 552-8, L. 562-8 du code de l’organisation judiciaire ; art. 523, 847-4, 847-5, 1425-1 du code de procédure civile ; art. 41-2, 41-3, 535 et 538 du code de procédure pénale)
Suppression des mentions légales relatives aux « juges de proximité »
Cet article additionnel, adopté sur proposition du Gouvernement après avis favorable de vos rapporteurs, supprime toute référence légale à la notion de « juge de proximité » à compter du 1er janvier 2017.
La loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles a prévu la suppression de la juridiction de proximité tout en maintenant les juges de proximité. Un chapitre nouveau est inséré dans le code de l’organisation judiciaire afin de prévoir la participation de ce magistrat au fonctionnement des juridictions d’instance et de grande instance et des attributions particulières lui sont confiées. De même, le code de procédure pénale lui attribue compétence en matière de contravention des quatre premières classes. Cette réforme doit entrer en vigueur le 1er janvier 2017.
Le présent article additionnel tire les conséquences de l’intégration, dans le projet de loi organique également soumis à l’examen de votre Commission, des juges de proximité dans le statut des magistrats exerçant à titre temporaire, lequel est régi par le chapitre V quater de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958. Ainsi, les actuels juges de proximité verront leurs compétences élargies, notamment en matière civile, conformément à leur souhait. Mais dès lors qu’ils seront fusionnés avec les magistrats à titre temporaire, il n’y aura plus lieu de mentionner leur existence et leurs compétences dans les codes, à commencer par le code de l’organisation judiciaire (I du présent article).
En conséquence, s’agissant du code de procédure civile, les procédures de renvoi du juge de proximité vers le juge d’instance (difficulté juridique sérieuse ou exception d’incompétence) sont supprimées. De même, il n’est plus nécessaire de distinguer les injonctions de faire qui seraient ordonnées par le juge d’instance et celles qui le seraient par le juge de proximité (II du présent article). S’agissant enfin du code de procédure pénale, il n’y a plus lieu de distinguer s’il s’agit de faits contraventionnels pour lesquels le juge de proximité était compétent (III du présent article).
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La Commission étudie l’amendement CL252 du Gouvernement.
M. le garde des Sceaux. Dans le projet de loi organique que nous avons examiné hier, nous avons prévu de fusionner les juges de proximité avec les magistrats à titre temporaire. Cet amendement tire la conséquence de cette fusion, en supprimant les dispositions définissant les attributions de ces magistrats dans les codes de l’organisation judiciaire.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Avis favorable. Nous sommes satisfaits d’avoir supprimé l’intégralité des dispositifs attachés à la juridiction de proximité, qui perduraient alors que l’on a supprimé cette juridiction en 2012. Monsieur le ministre, nous vous remercions d’avoir été attentif à notre souhait de réorganiser le système, afin que ces magistrats, qui ont rendu de grands services, bénéficient d’une définition formelle de leur activité qui corresponde à leur pratique réelle.
La Commission adopte l’amendement. L’article 11 A est ainsi rédigé.
Article 11
(art. L. 137-1 et L. 137-1-1 du code de procédure pénale)
Modalités de remplacement du juge de la liberté et de la détention
Cet article tire les conséquences de la réforme statutaire du mode de nomination des juges des libertés et de la détention prévue à l’article 14 du projet de loi organique également soumis à l’examen de votre commission, en modifiant les articles 137-1 et 137-1-1 du code de procédure pénale.
1. Le droit en vigueur
Le juge des libertés et de la détention (JLD), garant des libertés individuelles, a été créé par la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes.
Selon l’alinéa 1er de l’article 137-1 du code de procédure pénale, le JLD est chargé d’ordonner la mise en détention provisoire, sa prolongation ou la remise en liberté. Il intervient également ponctuellement dans les enquêtes et en matière civile.
En application de l’alinéa 2 du même article, le JLD est un magistrat du siège ayant rang de président, de premier vice-président ou de vice-président. Il est désigné par le président du tribunal de grande instance, après avis de l’assemblée générale des magistrats du siège (articles L.121-3, R.121-1, R.212-6 et R.212-37 du code de l’organisation judiciaire). Lorsqu’il statue à l’issue d’un débat contradictoire, il est assisté d’un greffier.
En cas d’empêchement du JLD désigné et d’empêchement du président ainsi que des premiers vice-présidents et des vice-présidents, le JLD est remplacé par le magistrat du siège le plus ancien dans le grade le plus élevé, désigné par le président du tribunal de grande instance.
Le JLD est un magistrat non spécialisé et le décret de nomination du président du TGI le nomme sur un poste de magistrat du siège, en principe du premier grade (vice-président, premier vice-président adjoint ou premier vice-président voire président de la juridiction). Conformément à l’article 4 du décret du 7 janvier 1993, cela suppose que le magistrat ait atteint au minimum sept années d’ancienneté dans le second grade.
Étant donné qu’il ne s’agit pas d’une fonction au sens statutaire du terme, ces magistrats peuvent se voir déchargés de ces attributions spécifiques, en dehors des formes prévues pour les nominations. Ceci étant, le rapport sur les juridictions du XXIe siècle, remis à la garde des sceaux en décembre 2013(40), a montré qu’à Créteil, un juge des libertés et de la détention avait ainsi été déchargé de son service, à l’issue d’une violente offensive émanant de services de police qui contestaient ses décisions.
L’article 137-1-1 du code de procédure pénale précise les modalités de désignation du JLD en cas d’empêchement ou pendant les week-ends et les périodes allégées de service, correspondant à la prise des congés annuels, de la façon suivante :
« Pour l’organisation du service de fin de semaine ou du service allégé pendant la période au cours de laquelle les magistrats bénéficient de leurs congés annuels, un magistrat ayant rang de président, de premier vice-président ou de vice-président exerçant les fonctions de juge des libertés et de la détention dans un tribunal de grande instance peut être désigné afin d’exercer concurremment ces fonctions dans, au plus, deux autres tribunaux de grande instance du ressort de la cour d’appel ; cette désignation est décidée par ordonnance du premier président prise à la demande des présidents de ces juridictions et après avis du président du tribunal de grande instance concerné ; elle en précise le motif et la durée, ainsi que les tribunaux pour lesquels elle s’applique ; la durée totale d’exercice concurrent des fonctions de juge des libertés et de la détention dans plusieurs tribunaux de grande instance ne peut excéder quarante jours au cours de l’année judiciaire.
La désignation prévue à l’alinéa précédent peut également être ordonnée, selon les mêmes modalités et pour une durée totale, intermittente ou continue, qui ne peut excéder quarante jours, lorsque, pour cause de vacance d’emploi ou d’empêchement, aucun magistrat n’est susceptible, au sein d’une juridiction, d’exercer les fonctions de juge des libertés et de la détention. »
Concrètement, le service du juge des libertés et de la détention fonctionne grâce un roulement de magistrats de premier grade ou de magistrats les plus anciens du ressort de la Cour d’appel.
2. La réforme proposée par le Gouvernement
L’article 14 du projet de loi organique initial relatif au statut de la magistrature et l’impartialité des magistrats et à l’ouverture de la magistrature sur la société, également soumis à l’examen de votre commission, propose de modifier l’article 28-3 de l’ordonnance statutaire afin d’entourer de garanties statutaires la fonction de juge des libertés et de la détention (41).
L’extension du domaine de compétence de ce magistrat ces dernières années et l’importance de ses missions de protection des libertés individuelles justifierait qu’il soit nommé par décret du Président de la République, pris sur proposition du garde des sceaux après avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature, pour une durée maximale de dix ans, comme le sont les magistrats exerçant d’autres fonctions spécialisées (juge pour enfant, juge d’instruction par exemple), et non plus par le président du tribunal de grande instance. De plus, afin d’élargir le champ des magistrats susceptibles d’être nommés JLD, il était proposé de supprimer l’exigence d’ancienneté selon laquelle ce juge a nécessairement le rang de président, premier vice-président ou vice-président de même que sa désignation par le président du tribunal de grande instance. Par conséquent, tout magistrat – même jeune auditeur sortant de l’École nationale de la magistrature – pourrait être désigné JLD par décret du Président de la République après avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature.
Cette réforme répondrait à un double objectif :
– assurer une spécialisation et une compétence technique des magistrats nommés dans les fonctions de JLD, après un contrôle de leur compétence et de leurs aptitudes exercé par le Conseil supérieur de la magistrature dans le cadre du processus de nomination. En outre, s’agissant de fonctions exigeant un haut degré de technicité, la stabilité des magistrats dans leurs fonctions peut être considérée comme un gage indéniable de qualité de la justice ;
– renforcer l’indépendance des JLD qui ne pourront plus être dessaisis de leurs attributions par une décision du président de la juridiction.
3. La réforme adoptée par le Sénat
À l’issue de l’examen des projets de loi organique et ordinaire désormais soumis à l’examen de votre Commission, le Sénat a, sur proposition des rapporteurs, supprimé les dispositions prévoyant la nomination du JLD par décret du Président de la République.
La proposition alternative du Sénat consiste à ériger au niveau organique les dispositions statutaires relatives au juge des libertés et de la détention, actuellement déterminées à l’article 137-1 du code de procédure pénale. Comme actuellement, le juge des libertés et de la détention serait un magistrat du premier grade désigné par le président du tribunal de grande instance mais cette désignation interviendrait désormais, après avis conforme de l’assemblée des magistrats du siège du tribunal concerné.
En conséquence, le présent article propose :
– aux alinéas 2 et 3, de supprimer les deux premières phrases du deuxième alinéa de l’article 137-1 du code de procédure pénale, puisque les modalités de désignation du JLD sont désormais prévues au niveau organique ;
– à l’alinéa 4, de compléter l’article 137-1-1 du même code, afin de préciser les modalités de remplacement du JLD statutaire en cas de vacance d’emploi, d’absence ou d’empêchement. Il est désormais prévu qu’il soit remplacé par un magistrat exerçant une fonction de président, de premier vice-président ou de vice-président désigné par le président du tribunal de grande instance, ou, si aucun de ces magistrats n’est disponible, par le magistrat du siège le plus ancien dans le grade le plus élevé désigné par le président du tribunal de grande instance.
Dans le cadre des auditions menées par vos rapporteurs, il est apparu que si la réforme statutaire du JLD proposée initialement par le Gouvernement était globalement saluée compte tenu des objectifs qu’elle poursuivait, elle risquait, aux yeux des chefs de juridictions, de poser de nombreux problèmes pratiques : tout d’abord, la fonction de JLD est généralement considérée comme ingrate (fonction très chronophage, auprès de publics difficiles, et pour laquelle l’intervention du juge reste superficielle par rapport au dossier de fond), si bien que le vivier de candidats à une fonction désormais statutaire pourrait être rétreint ; en outre, les délais de maintien dans le poste après nomination par décret pourraient conduire à la nomination à ces postes de magistrats relativement peu expérimentés, ce qui serait de nature à susciter des interrogations sur leur capacité à exercer dans de bonnes conditions ces missions ; missions qui impliquent une bonne connaissance de l’appareil judiciaire et des fonctions juridictionnelles.
La réforme alternative proposée par le Sénat est également critiquée : en premier lieu, par les syndicats de magistrats, qui réclamaient depuis longtemps la création d’un JLD statutaire ; en second lieu, par les chefs de petites juridictions. Selon ces décisions, les modalités de remplacement résultant du vote du Sénat ne permettraient pas d’assurer un roulement satisfaisant, compte tenu de la reprise de l’exigence d’ancienneté des potentiels remplaçants.
Vos rapporteurs considèrent, pour leur part, que la réforme proposée initialement par le Gouvernement est plus pertinente que celle issue du vote du Sénat mais pourrait être utilement améliorée pour tenir compte des critiques émises par les différentes personnes auditionnées.
4. La réforme adoptée par votre Commission
En coordination avec les amendements adoptés sur le projet de loi organique n° 3200, la commission des Lois a adopté deux amendements identiques de Mme Cécile Untermaier et du Gouvernement, après avis favorable de vos rapporteurs, afin de rétablir la réforme du statut du juge des libertés et de la détention proposée dans le projet de loi initial, mais dans une rédaction légèrement améliorée pour :
– privilégier le remplacement du juge des libertés et de la détention, par priorité, par un magistrat du premier grade et seulement, à défaut, par un magistrat du second grade. Compte tenu de l’importance des missions du juge des libertés et de la détention, il importe en effet que son remplacement soit assuré prioritairement par un magistrat expérimenté de la juridiction ;
– préciser les cas dans lesquels il revient au président du tribunal de grande instance de « remplacer provisoirement » le juge des libertés et de la détention. Il s’agit ainsi des cas de vacance d’emploi, d’absence ou d’empêchement.
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La Commission est saisie des amendements identiques CL289 de Mme Cécile Untermaier et CL176 du Gouvernement.
Mme Cécile Untermaier. Cet amendement a pour objet de rétablir, en coordination avec les amendements au projet de loi organique, la réforme du statut des juges des libertés et de la détention (JLD) proposée initialement avec une rédaction améliorée.
M. le garde des Sceaux. Nous souhaitons nous assurer que lorsque le JLD – que nous avons recréé dans le projet de loi organique – se trouve empêché, il soit remplacé par un magistrat expérimenté.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Avis favorable.
La Commission adopte les amendements.
L’article 11 est ainsi rédigé.
En conséquence, les amendements C141 et CL34 rectifié tombent.
Article 12
(art. L. 111-6 et L. 111-7 du code de l’organisation judiciaire)
Demande de récusation et obligation de déport
d’un magistrat en situation de conflit d’intérêts
Cet article a pour objectif de renforcer la confiance des citoyens dans la justice en organisant la prévention du conflit d’intérêts par l’ajout d’une nouvelle hypothèse dans laquelle les magistrats du siège et du parquet devront se déporter ou pourront être récusés. Il tire les conséquences des dispositions relatives à la prévention et au traitement des conflits d’intérêts des magistrats, introduites au sein de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature par l’article 21 du projet de loi organique relatif à l’indépendance et l’impartialité des magistrats et à l’ouverture de la magistrature sur la société (42). Il modifie les articles L. 111-6 et L. 111-7 du code de l’organisation judiciaire.
Actuellement, l’article L. 111-6 du code de l’organisation judiciaire énumère huit cas dans lesquels un magistrat du siège ou du parquet peut faire l’objet d’une demande de récusation : si lui-même ou son conjoint a un intérêt personnel à la contestation ; si lui-même ou son conjoint est créancier, débiteur, héritier présomptif ou donataire de l’une des parties ; si lui-même ou son conjoint est parent ou allié de l’une des parties ou de son conjoint jusqu’au quatrième degré inclusivement ; s’il y a eu ou s’il y a procès entre lui ou son conjoint et l’une des parties ou son conjoint ; s’il a précédemment connu de l’affaire comme juge ou comme arbitre ou s’il a conseillé l’une des parties ; si le juge ou son conjoint est chargé d’administrer les biens de l’une des parties ; s’il existe un lien de subordination entre le juge ou son conjoint et l’une des parties ou son conjoint ; ou s’il y a amitié ou inimitié notoire entre le juge et l’une des parties.
Cette liste serait complétée par l’hypothèse dans laquelle il existe un conflit d’intérêts tel que défini par l’ordonnance du 22 décembre 1958 précitée, c’est-à-dire « toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction ».
Cette définition, prévue aux alinéas 2 et 3 du présent article, est relativement large mais la déontologie propre aux magistrats devrait permettre une application rigoureuse de nature à assurer une complète impartialité de la justice.
De plus, l’article L. 111-7 du même code prévoit l’obligation de déport pour les magistrats du siège, selon laquelle « le juge qui suppose en sa personne une cause de récusation ou estime en conscience devoir s’abstenir se fait remplacer par un autre juge spécialement désigné ».
Les alinéas 4 et 5 complètent cet article par une obligation de déport spécifique aux magistrats du parquet, selon laquelle doit se faire remplacer le magistrat qui suppose en sa personne un conflit d’intérêts ou qui estime en conscience devoir s’abstenir.
Vos rapporteurs se félicitent du renforcement des obligations déontologiques des magistrats qui participe à l’amélioration de la confiance des citoyens dans la justice et expriment le vœu que ces exigences déontologiques traversent de manière plus générale toutes les formes d’expression de la justice, qu’elles qu’en soient le niveau : conciliation, médiation, contentieux.
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La Commission adopte l’article 12 sans modification.
Article 12 bis (nouveau)
(art. L. 251-5 du code de l’organisation judiciaire)
Modernisation de la prestation de serment des assesseurs du tribunal pour enfant
Cet article additionnel, adopté à l’initiative de vos rapporteurs après avis favorable du Gouvernement, permet d’aligner le serment prêté par les assesseurs du tribunal pour enfant sur celui des magistrats professionnels. En effet, dans le cadre du projet de loi organique également soumis à l’examen de votre commission, l’adverbe « religieusement » a été supprimé des serments prêtés par les magistrats judiciaires, instituant ainsi une formule modernisée.
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La Commission aborde l’amendement CL365 du rapporteur Jean-Yves Le Bouillonnec.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Les rapporteurs proposent de supprimer l’adverbe « religieusement » de l’article L. 251-5 du code de l’organisation judiciaire, qui dispose que les assesseurs du tribunal pour enfants prêtent serment devant le tribunal de grande instance de bien et fidèlement remplir leurs fonctions et de garder « religieusement » le secret des délibérations.
M. le garde des Sceaux. Le Gouvernement est favorable à l’adoption de cet amendement.
M. Alain Tourret. Étant membre d’un parti qui a toujours défendu la laïcité, j’approuve particulièrement cette suppression.
La Commission adopte l’amendement. L’article 12 bis est ainsi rédigé.
Article 12 ter (nouveau)
(art. 382 du code de procédure pénale)
Possibilité de saisir un tribunal de grande instance limitrophe lorsque la victime d’une infraction est magistrat
Actuellement, l’alinéa 1er de l’article 382 du code de procédure pénale prévoit qu’est compétent le tribunal correctionnel du lieu de l’infraction, celui de la résidence du prévenu ou celui du lieu d’arrestation ou de détention de ce dernier, même lorsque cette arrestation ou cette détention a été opérée ou est effectuée pour une autre cause.
Cet article additionnel, adopté à l’initiative de MM. Sergio Coronado et Paul Molac, après avis favorable de vos rapporteurs et du Gouvernement, permet à un magistrat d’un tribunal de grande instance, victime d’une infraction, de saisir un autre tribunal que ceux mentionnés par l’alinéa 1er de l’article 382 du code de procédure pénale, afin d’éviter tout risque de conflit d’intérêt.
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La Commission examine l’amendement CL88 de M. Sergio Coronado.
M. Sergio Coronado. Afin d’éviter les conflits d’intérêts, cet amendement vise à prévoir la saisine automatique du TGI limitrophe quand un magistrat du TGI est victime de l’infraction.
M. le garde des Sceaux. Monsieur Coronado, le Gouvernement soutiendrait votre amendement si vous acceptiez d’insérer le terme « également » avant le mot « compétent ». En effet, il existe déjà des mécanismes de déports, mais il faudrait prévoir une compétence concurrente et non exclusive pour éviter les risques de nullité.
M. Sergio Coronado. J’accepte de réécrire mon amendement en ce sens.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Avec cette rectification, nous donnons un avis favorable à l’adoption de cet amendement.
M. Alain Tourret. Il faudrait écrire « un tribunal de grande instance limitrophe » et non « le tribunal de grande instance limitrophe ».
M. le président Dominique Raimbourg. Très bien. L’amendement est donc doublement rectifié.
La Commission adopte l’amendement ainsi rectifié. L’article 12 ter est ainsi rédigé.
Article 13
(art. 2 de la loi n° 71-498 du 29 juin 1971 relative aux experts judiciaires)
Durée d’inscription des experts judiciaires sur la liste nationale
Les experts judiciaires sont soumis à un statut résultant de la loi n° 71-498 du 29 juin 1971 et du décret n° 2004-1463 du 23 décembre 2004 relatifs aux experts judiciaires. Ces textes prévoient, pour l’information des juges lors d’un procès, l’établissement de listes d’experts judiciaires près les cours d’appel, dressées par l’assemblée générale des magistrats de ces cours, ainsi qu’une liste nationale dressée par le bureau de la Cour de cassation.
Leur rôle est de donner leur avis sur des faits nécessitant des connaissances techniques et des investigations complexes. Les experts judiciaires sont inscrits sur une liste dans une rubrique correspondant à leur activité professionnelle ou à leur spécialité, qui seront appelés à mettre en œuvre leurs connaissances dans le cadre d’une procédure judiciaire. Ils sont des techniciens collaborateurs occasionnels du service public de la justice.
Ces textes ont été modifiés par la loi n° 2004-130 du 11 février 2004 réformant le statut de certaines professions judiciaires ou juridiques, des experts judiciaires, des conseils en propriété industrielle et des experts en ventes aux enchères publiques, puis par la loi n° 2010-1609 du 22 décembre 2010 relative à l’exécution des décisions de justice, aux conditions d’exercice de certaines professions réglementées et aux experts judiciaires. Ces deux lois ont notamment allongé la période probatoire des experts pouvant être inscrits sur la liste d’experts judiciaires près les cours d’appel, de deux à trois ans, ainsi que la période minimale d’inscription sur une liste de cour d’appel avant de pouvoir être inscrit sur la liste nationale, qui est passée de trois à cinq ans. Une fois la période probatoire passée, les experts sont désignés sur la liste des cours d’appel, pour une durée limitée de cinq ans, tandis que les experts répondant aux critères pour être désignés sur la liste nationale le sont, pour une durée limitée de sept ans.
Par un arrêt du 17 mars 2011, la Cour de justice de l’Union européenne a jugé que l’établissement de listes d’experts, tel que pratiqué en France, constituait une restriction à la liberté des prestations de services. Elle a toutefois ajouté que des raisons impérieuses d’intérêt général peuvent justifier l’établissement d’une liste d’experts, dès lors que cette restriction est strictement proportionnée à la préservation de l’intérêt général. La Cour a estimé que les décisions de refus d’inscription sur les listes devaient par conséquent être motivées, et que si l’inscription sur la liste nationale pouvait être subordonnée à l’inscription préalable sur une liste d’une cour d’appel, cette condition ne pouvait être opposée aux experts d’autres État membres dont l’inscription ne peut être subordonnée qu’à la condition qu’ils puissent justifier de compétences équivalentes.
La loi n° 2012-409 du 27 mars 2012 de programmation relative à l’exécution des peines a mis la loi du 29 juin 1971, précitée, en conformité avec cette jurisprudence, en modifiant son article 2. Depuis, les décisions d’inscription ou de refus d’inscription doivent être motivées et une expérience acquise dans un autre État membre de l’Union européenne dans des fonctions équivalentes à celle d’expert, au sens de la définition en droit français, est prise en compte pour l’inscription sur la liste nationale.
Toutefois, par suite d’une erreur matérielle, a été supprimée lors de l’examen du projet de loi devenu la loi du 27 mars 2012 la dernière phrase du III de l’article 2 de la loi du 29 juin 1971, qui limitait la durée de l’inscription des experts sur la liste nationale à une période de sept ans, contrairement à ce qui est prévu pour les listes d’experts près les cours d’appel.
Le I du présent article propose de rectifier cette erreur matérielle en rétablissant, au III de l’article 2 de la loi du 29 juin 1971 précitée, une durée d’inscription initiale de sept ans sur la liste nationale, ainsi qu’une procédure spécifique de réinscription à l’issue de cette période, afin de s’assurer que les experts remplissent toujours les conditions exigées par la réglementation en vigueur pour être inscrits (indépendance, qualification professionnelle, honorabilité ...) (alinéas 1 et 2).
Le II prévoit des dispositions transitoires aux termes desquelles les experts inscrits sur la liste nationale, depuis moins de sept ans à la date de publication de la présente loi seraient tenus de solliciter leur réinscription au plus tard à l’issue d’un délai de sept ans à compter de leur inscription (alinéa 3). Les experts inscrits depuis un délai supérieur à sept ans, apprécié à compter de la publication de la même loi, bénéficieraient quant à eux d’un délai de six mois pour solliciter leur réinscription. À défaut de demande, ils en seraient radiés (alinéa 4).
Le Sénat a complété l’alinéa 3, à l’initiative de son rapporteur, pour prolonger le délai dont bénéficient les experts inscrits sur la liste nationale pour demander leur réinscription dans le cas où leur inscription viendrait à terme, juste après la publication de la présente loi. Il est ainsi proposé de leur donner un délai supplémentaire de six mois pour procéder aux formalités de réinscription. Il est également précisé que les experts ne procédant pas à ces formalités de réinscription dans les délais impartis sont radiés.
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La Commission adopte successivement les amendements rédactionnels CL366 et CL367 et l’amendement de précision CL368 du rapporteur Jean-Yves Le Bouillonnec.
Puis elle adopte l’article 13 modifié.
Article 13 bis A (nouveau)
(art. 17 et 21-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines
professions judiciaires et juridiques)
Transmission au Conseil national des barreaux de la liste des avocats inscrits au tableau de l’ordre par les conseils de l’ordre et établissement d’un annuaire national numérique des avocats
Cet article additionnel, adopté à l’initiative de vos rapporteurs après avis favorable du Gouvernement, impose désormais aux conseils de l’ordre de communiquer au Conseil national des barreaux la liste des avocats inscrits au tableau de l’ordre, ainsi que la mise à jour périodique de cette liste (1°).
Corrélativement, le présent article confie au Conseil national des barreaux la mission de tenir une liste nationale des avocats actualisée et d’établir un annuaire national des avocats consultable sur internet (2°).
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La Commission examine, en discussion commune, les amendements CL369 des rapporteurs et CL293 rectifié de M. Alain Tourret.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Cet amendement vise à imposer aux conseils de l’ordre des avocats de communiquer au Conseil national des barreaux (CNB) la liste des avocats inscrits au tableau de l’ordre, ainsi que la mise à jour périodique de cette liste. En outre, le CNB devra publier un annuaire en ligne. Il faut faire droit à cette demande récurrente, car l’instance de responsabilité suprême de la profession, qui débat avec le Gouvernement, ne possède pas de liste exhaustive des membres. Cela est indépendant des aspects d’intendance relatifs au paiement des cotisations.
M. Alain Tourret. Je retire mon amendement au profit de celui de M. le rapporteur, qui comporte un paragraphe supplémentaire.
L’amendement CL293 rectifié est retiré.
La Commission adopte l’amendement CL369. L’article 13 bis A est ainsi rédigé.
Article 13 bis B (nouveau)
(art. 17 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines
professions judiciaires et juridiques)
Compétence du Conseil national des barreaux en matière de dématérialisation des échanges entre avocats
Cet article additionnel, adopté à l’initiative du Gouvernement après avis favorable de vos rapporteurs, confère au Conseil national des barreaux le pouvoir de déterminer, en concertation avec le ministère de la Justice, les modalités et conditions de mise en œuvre du réseau indépendant à usage privé des avocats aux fins d’interconnexion avec le réseau privé virtuel justice. Ainsi, le Conseil national des barreaux est chargé d’assurer l’exploitation et les développements des outils techniques permettant de favoriser la dématérialisation des échanges entre avocats.
Ce pouvoir lui a été reconnu par le Conseil d’État dans sa décision du 15 mai 2013, à propos des requêtes formées à l’encontre des décisions du ministre de la justice et du président du Conseil national des barreaux de signer une convention cadre nationale relative à la communication électronique entre les juridictions ordinaires du premier et du second degré et les avocats. Cependant, une véritable assise législative permettra de sécuriser les décisions prises en la matière par le Conseil national des barreaux.
Cet article additionnel fait également écho à l’article 2 bis du présent projet de loi qui impose notamment aux avocats de proposer à leurs clients une relation numérique dans un format garantissant l’interopérabilité des échanges.
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La Commission étudie, en discussion commune, les amendements CL232 rectifié du Gouvernement et CL294 de M. Alain Tourret.
M. le garde des Sceaux. Cet amendement prévoit de conférer un fondement législatif au pouvoir reconnu au CNB par le Conseil d’État dans une décision du 15 mai 2013. Cette dernière a confié au CNB le pouvoir de traiter les questions de communication électronique. L’amendement permettra de sécuriser les décisions prises par le CNB.
M. Alain Tourret. Je soutiens l’adoption de l’amendement du Gouvernement.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. J’émets un avis favorable à l’adoption de l’amendement du Gouvernement, dont la rédaction nous paraît préférable à celle de la proposition de M. Tourret.
La Commission adopte l’amendement CL232 rectifié. L’article 13 bis B est ainsi rédigé.
En conséquence, l’amendement CL294 tombe.
Article 13 bis
(art. L. 123-4 [nouveau] du code de l’organisation judiciaire)
Mutualisation des effectifs des greffes
Le présent article additionnel, adopté en première lecture par le Sénat à l’initiative du rapporteur de la commission des Lois, M. Yves Détraigne, vise à instituer une mutualisation des effectifs des greffes des juridictions de première instance (43).
Actuellement, l’article L. 123-1 du code de l’organisation judiciaire pose le principe selon lequel chaque juridiction judiciaire possède son propre service de greffe. Il en va ainsi pour les juridictions de première instance du tribunal de grande instance, du tribunal d’instance et du conseil des prud’hommes. Les fonctionnaires qui y sont affectés ne peuvent en principe, sauf mutation ou affectation temporaire (44), participer au fonctionnement du greffe d’une autre juridiction du ressort.
Le présent article additionnel propose d’introduire une exception à ce principe, dans un nouvel article L. 123-4 du même code, afin d’autoriser la mutualisation des effectifs des greffes des juridictions de première instance (tribunal de grande instance, tribunal d’instance, conseil de prud’hommes) établies dans une même ville, ou dans un périmètre fixé par décret autour de la ville siège du tribunal de grande instance. Cette réforme est motivée par le fait qu’elle permettrait une affectation optimale des moyens en fonction des besoins (45) et qu’elle contribuerait utilement à la mise en place du service d’accueil unique du justiciable (SAUJ) créé à l’article 2 du présent texte. L’affectation de greffiers dans le ressort d’une autre juridiction devrait être motivée par la « nécessité de service » et décidée par le président du tribunal de grande instance.
À l’exception des représentants de la conférence des présidents des tribunaux de grande instance qui plébiscite cette mesure, pour assouplir leurs contraintes de gestion dans un environnement budgétaire contraint, toutes les personnes auditionnées par les rapporteurs sur cet article se sont déclarées très hostiles à cette disposition :
– cette disposition relèverait du domaine réglementaire. En effet, si l’article L. 123-1 du code de l’organisation judiciaire énumère les juridictions dotées d’un greffe, le principe selon lequel « les greffes et les greffes détachés font partie de la juridiction dont ils dépendent » est énoncé à l’article R. 123-2 dudit code. La mutualisation telle qu’envisagée consisterait en une dérogation à ce principe ;
– cette disposition ne respecterait pas le principe de dyarchie au sein du tribunal de grande instance, qui confie l’autorité hiérarchique à la fois au président du tribunal et au procureur de la République ;
– elle ferait fi de l’avis du directeur des greffes, alors qu’il est l’un des premiers concernés par la mutualisation des effectifs des greffiers. Le principe même du fonctionnement du comité de gestion instauré par le décret n° 2014-1458 du 8 décembre 2014 relatif à l’organisation et au fonctionnement des juridictions de l’ordre judiciaire (article R. 212-60 et suivants du code de l’organisation judiciaire) serait ainsi rendu inopérant ;
– elle remettrait en cause le rôle de la commission administrative paritaire, au sein de l’administration centrale, qui procède aux affectations des greffiers ;
– elle serait inutile parce qu’ il est déjà possible de demander, aux chefs de cour, de déléguer temporairement des greffiers dans les services d’une autre juridiction pour une durée de deux mois, renouvelable trois fois par le garde des sceaux en métropole (et deux fois seulement en outre-mer) : l’article R. 123-17 du code de l’organisation judiciaire dispose en effet que : « selon les besoins du service, les agents des greffes peuvent être délégués dans les services d’une autre juridiction du ressort de la même cour d’appel. Cette délégation est prononcée par décision du premier président de la cour d’appel et du procureur général près cette cour. Elle ne peut excéder une durée de deux mois. Toutefois, le garde des sceaux, ministre de la justice, peut la renouveler dans la limite d’une durée totale de huit mois. Dans les départements d’outre-mer, elle ne peut excéder une durée de six mois. Toutefois, le garde des sceaux, ministre de la justice, peut la renouveler ou lui assigner une durée supérieure. Les agents délégués dans une autre juridiction perçoivent les indemnités dans les mêmes conditions que les fonctionnaires de leur catégorie et suivant les mêmes taux ». L’article R. 1423-50 du code du travail prévoit un même mécanisme, après consultation du président du conseil, du vice-président et du directeur de greffe, entre conseils de prud’hommes du ressort de la même cour d’appel. Le contrôle du garde des sceaux est prévu afin d’assurer que ces délégations ne contreviennent pas à son pouvoir de nomination. La sous-direction des ressources humaines des greffes a ainsi pris 235 arrêtés de délégation en 2015 et ne fait pas de contrôle en opportunité des demandes de délégation ;
– cette nouvelle modalité de mutualisation des effectifs des greffes ne serait d’ailleurs pas une condition du succès des services d’accueil unique des justiciables puisqu’une exception expresse les concerne ;
– elle conduirait probablement à un « assèchement » des fonctionnaires dans les tribunaux d’instance ou dans les conseils de prud’hommes pour palier au manque d’effectifs dans les tribunaux de grande instance dont les affaires sont jugées prioritaires ;
– elle serait susceptible d’entraîner une contrainte de mobilité importante des greffiers concernés lorsque, bien que situés dans la même ville ou dans un périmètre autour de la ville siège du tribunal, les tribunaux d’instance, les conseils de prud’hommes et les tribunaux de grande instance ne se trouvent pas sur un même site.
Pour autant, vos rapporteurs entendent les raisons pour lesquelles les sénateurs ont adopté cette disposition et considèrent qu’il faudrait faciliter la gestion des juridictions par d’autres mesures.
Interrogé sur ce point par vos rapporteurs, le Gouvernement a indiqué que la réflexion doit tendre vers une plus grande satisfaction d’un des objectifs assignés au présent projet de loi, celui d’améliorer le fonctionnement des juridictions.
Aussi, afin de simplifier les démarches des juridictions et apporter davantage de souplesse aux chefs de juridiction, dans le respect de l’autonomie des juridictions et des pouvoirs des chefs de cour, et dès lors que l’administration centrale ne refuse presqu’aucune délégation, le ministère de la Justice envisage une modification de l’article R. 123-17 du code de l’organisation judiciaire afin de déconcentrer la gestion des délégations au niveau régional. Les chefs de cour pourraient décider de la délégation d’un agent pour une durée de quatre mois renouvelable une seule fois. L’absence de contrôle par le garde des sceaux serait substituée par un bilan a posteriori effectué annuellement par les chefs de cour devant le comité technique local.
On note que des dispositions similaires existent pour la délégation par les chefs de cour des magistrats à l’article L. 121-4 du code de l’organisation judiciaire : la délégation ne peut excéder une durée totale de trois mois et doit répondre à des critères plus restrictifs et ponctuels. Il ne serait pas proposé de restreindre ces critères pour la délégation des fonctionnaires afin de laisser toute latitude aux juridictions, certaines délégations pouvant être structurelles comme les délégations liées à des compétences propres d’une catégorie professionnelle (notamment pour la gestion des comptes de tutelle et des certificats de nationalité). Enfin, il ne serait pas non plus prévu d’ajouter la consultation obligatoire des chefs de juridictions et des directeurs de greffe concernés, celle-ci étant implicite. Cette modification étant de nature réglementaire, elle serait intégrée au décret d’application de la loi.
En conséquence, compte tenu des propositions du Gouvernement pour faciliter la gestion des juridictions et répondre ainsi aux difficultés réelles que traduisait l’article 13 bis introduit par le Sénat, la commission des Lois a, sur proposition de vos rapporteurs et de MM. Sergio Cordonado et Paul Molac, supprimé cet article, après avis favorable du Gouvernement.
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La Commission est saisie des amendements identiques CL370 des rapporteurs et CL32 de M. Sergio Coronado.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. L’article 13 bis, introduit par le rapporteur du texte au Sénat, a nourri de nombreux débats. Il répond manifestement à des demandes exprimées par des chefs de TGI, ces derniers souhaitant obtenir une compétence en matière de désignation des remplaçants des greffiers. Cela mettrait un terme à une procédure qui aboutit au même résultat, mais qui limite notamment le délai de substitution.
Ce dispositif a suscité de l’émotion, car il confère au seul président du TGI la primauté dans l’organisation des greffes du ressort du TGI, du tribunal d’instance et des autres juridictions.
Nous considérons que l’amendement adopté par le Sénat traite malgré tout d’une vraie question, relative aux délais de remplacement d’un greffier. Ces remplacements sont d’une durée limitée et la décision de leur éventuelle prolongation remonte à la chancellerie. Il n’est pas légitime que le président du TGI dispose seul de cette compétence, si bien que nous proposons de supprimer l’article 13 bis. En revanche, monsieur le ministre, nous souhaitons connaître les intentions du Gouvernement pour remédier aux dysfonctionnements actuels dans ce domaine.
M. Sergio Coronado. L’amendement CL32 est défendu.
M. le garde des Sceaux. Le Gouvernement est défavorable à cette disposition introduite par le Sénat. Les enjeux sont connus et nous devons pouvoir continuer à discuter avec les organisations de greffiers, mais aussi avec les chefs de cour et de juridiction, d’autant que des délégations ponctuelles d’agents de greffe sont déjà possibles en vertu des articles R. 123-17 du code de l’organisation judiciaire et R. 1423-40 du code du travail. L’article introduit par le Sénat tend par ailleurs à remettre en cause la dyarchie judiciaire.
Une vraie question de fond, relative à l’organisation des greffes, se pose, et je prends l’engagement, devant votre commission, d’assouplir par voie réglementaire les conditions actuelles de délégation des agents de greffe. Pour le reste, nous devons discuter avec les organisations syndicales et les chefs de cour – nous avons commencé à le faire – et trouver un modus vivendi qui convienne à tout le monde.
La Commission adopte les amendements identiques.
En conséquence, l’article 13 bis est supprimé.
Article 13 ter (nouveau)
(Chapitre III bis [nouveau] du titre II du livre Ier du code de l’organisation judiciaire)
Création d’un corps de juristes assistants auprès des juridictions judiciaires
Cet article additionnel, adopté à l’initiative du Gouvernement après avis favorable de vos rapporteurs, propose de créer un corps de juristes assistants auprès des juridictions judiciaires.
Actuellement, il existe des assistants spécialisés – dont le statut a été initialement créé par la loi n° 98-546 du 2 juillet 1998 – mais ils n’interviennent qu’auprès des pôles de l’instruction et des magistrats du parquet au sein des JIRS et du tribunal de grande instance de Paris en matière économique et financière et de crimes contre l’humanité, conformément au code de procédure pénale.
Afin de permettre aux magistrats de se recentrer sur leur métier et de constituer des équipes autour d’eux, il est proposé d’instituer, dans un nouveau chapitre du code de l’organisation judiciaire, sur le modèle de ces assistants spécialisés, des juristes assistants qui pourront intervenir en soutien des magistrats aussi bien en matière civile que pénale, dans les domaines complexes, à tous les stades de la procédure. Ils pourront notamment participer à l’élaboration de la décision par des recherches documentaires, des analyses juridiques approfondies, des rédactions de notes et de ce fait libérer les magistrats d’une partie de leur tâche pour leur permettre de se concentrer sur le cœur de leur office : la prise de décision et le pilotage de la procédure.
Les dispositions statutaires substantielles relatives à la durée des fonctions, à la prestation de serment incluant le respect du secret professionnel, aux conditions de recrutement ou encore au non cumul de fonctions seront précisées par décret en Conseil d’État. Les dispositions statutaires qui nécessitent une certaine souplesse afin de pouvoir s’adapter aux besoins des juridictions, telles que la liste des matières dans lesquelles pourront intervenir les juristes assistants, pourront être déclinées dans une note adressée aux chefs de cour.
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La Commission se saisit de l’amendement CL177 du Gouvernement.
M. le garde des Sceaux. Cet amendement vise à instituer des juristes assistants intervenant en soutien des magistrats dans les matières civiles et pénales.
Mme Cécile Untermaier. Cette disposition marquerait – disons-le haut et fort ! – une avancée importante. Rapprochant les universitaires de la magistrature et offrant au magistrat un soutien, elle permettrait à ce dernier de se recentrer sur son activité de jugement. Le groupe Socialiste, radical et citoyen y est très favorable.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Je suis favorable à cet amendement.
M. Alain Tourret. Monsieur le garde des Sceaux, qu’est-ce exactement qu’un « juriste » ? Un docteur en droit ?
M. le garde des Sceaux. Les docteurs en droit sont probablement un peu juristes, mais faut-il être docteur en droit pour être juriste ?
Les critères d’éligibilité seront précisés par décret en Conseil d’État. Un certain nombre de structures comptent déjà des juristes assistants spécialisés, choisis en fonction de critères établis par le ministère, mais je ne pourrais vous préciser ceux-ci de mémoire.
La Commission adopte l’amendement CL177. L’article 13 ter est ainsi rédigé.
Chapitre III
Simplifier la transmission des procès-verbaux en matière pénale
Article 14
(art. 19 du code de procédure pénale)
Dématérialisation des actes de procédure pénale
effectués par les officiers de police judiciaire
En vertu de l’article 19 du code de procédure pénale, les originaux des actes de procédure pénale établis par les officiers de police judiciaire sont transmis au procureur de la République, dès la clôture des opérations. Ces mêmes officiers sont également tenus d’adresser une copie certifiée conforme des procès-verbaux qu’ils dressent.
Afin de réduire les délais de transmission de ces pièces et d’accélérer le déroulement des procédures pénales, la modification proposée par le présent article donne au procureur de la République la faculté d’autoriser que les procès-verbaux dématérialisés soient transmis, ainsi que leur copie, sous la forme d’un document numérique, le cas échéant par un moyen de communication électronique. La certification conforme des documents numérisés n’étant cependant pas envisageable à l’heure actuelle, cet article supprime par ailleurs cette exigence.
Dans la mesure où ces dispositions constituent une réelle simplification du déroulement de la procédure, le Gouvernement a souhaité l’introduire par voie d’amendement dans le cadre de l’examen du projet de loi renforçant la lutte contre le crime organisé et le terrorisme, adopté en première lecture par l’Assemblée nationale le 8 mars 2016 et par le Sénat le 5 avril 2016, afin de le rendre effectif au plus vite. Ceci justifiera la suppression du présent article avant l’adoption définitive du présent projet de loi.
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La Commission adopte l’article 14 sans modification.
Article 14 bis (nouveau)
(chapitre III du titre Ier du livre Ier du code de procédure pénale)
Modification du système de collégialité des juges d’instruction
Cet article additionnel, introduit à l’initiative du Gouvernement après avis favorable de vos rapporteurs, reprend les dispositions qui figuraient dans le projet de loi n° 1323 du 24 juillet 2013 qui avait pour objet de remplacer, dans le code de procédure pénale, les dispositions relatives à la collégialité obligatoire de l’instruction figurant dans la loi n° 2007-291 du 5 mars 2007 tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale. L’objectif est de réserver la collégialité de l’instruction aux cas pour lesquels elle s’avère réellement nécessaire.
1. Le droit en vigueur
La loi n° 2007-291 du 5 mars 2007 tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale a prévu, dans toutes les informations judiciaires, et pour les principaux actes de l’instruction, le remplacement du juge d’instruction par un collège de l’instruction composé de trois juges. Son entrée en vigueur a été reportée à deux reprises en raison du projet de suppression des juges d’instruction et du manque de moyens humains nécessaires à sa mise en œuvre. La loi de finances du 31 décembre 2010 a fixé son entrée en vigueur au 1er janvier 2014, mais elle a fait l’objet de trois reports successifs.
En effet, le dispositif prévu par la loi du 5 mars 2007 soulève d’importantes difficultés. Le caractère systématique et obligatoire de la collégialité exige la création de plus de trois cents postes de juges d’instruction. Elle implique également la disparition totale de l’instruction dans les soixante-douze tribunaux de grande instance ne comportant pas un pôle de l’instruction, éloignant ainsi les juges de leurs justiciables. De plus, cette collégialité pleine et entière ne se retrouve dans aucun autre pays.
L’instauration d’une collégialité de l’instruction avait auparavant été votée à trois reprises, en 1985, 1987 et 1993, mais toutes ces réformes ont été abrogées en raison d’un manque de moyens suffisants.
L’objectif de la réforme proposée est de remplacer la collégialité obligatoire et systématique par des dispositions permettant que les décisions essentielles de l’instruction puissent être prises, à chaque fois que cela apparaîtra justifié, par une formation collégiale composée de trois juges d’instruction.
2. La réforme proposée
Le I du présent article modifie le code de procédure pénale.
Le 1° du I modifie l’intitulé (a du 1° du I) et les premiers articles du chapitre III du titre Ier du livre Ier du code de procédure pénale consacré au juge d’instruction, afin de permettre l’institution de la collégialité, dont il est désormais fait mention dans l’intitulé du chapitre.
Avant l’article 49 du code de procédure pénale, est ainsi insérée une section 1 qui précise que le juge d’instruction est chargé de procéder aux informations, afin d’une part de rappeler que cette mission s’exerce, le cas échéant, avec le concours d’un ou plusieurs juges cosaisis, et, d’autre part, d’indiquer que désormais cette mission s’exercera également, le cas échéant, avec le concours du collège de l’instruction (b et c) du 1° du I).
Le d) du 1° du I modifie l’article 52-1 du même code, afin, comme le faisait la loi de 2007, et comme le souhaitent les praticiens, de ne pas maintenir l’existence d’un juge d’instruction isolé dans des juridictions infra-pôle. Les juges d’instruction seront ainsi regroupés au sein de certains tribunaux de grande instance, dans les pôles de l’instruction. Il sera en revanche possible de créer un nombre plus important de pôles de l’instruction, lorsque ceux-ci seront justifiés par l’activité de la juridiction
Le e) du 1° du I complète le chapitre III du titre Ier du livre Ier du code de procédure pénale par une section 2 relative à la collégialité de l’instruction, comportant les nouveaux articles 52-2 à 52-6.
– Saisine, composition et fonctionnement du collège de l’instruction
En application du nouvel article 52-2 du code de procédure pénale, le collège de l’instruction sera saisi soit à l’initiative du juge d’instruction en charge de la procédure, soit sur requête du procureur de la République, soit sur demande des parties.
Cette saisine devra intervenir pour chacune des décisions pour lesquelles la compétence de la collégialité sera sollicitée, elle ne vaudra pas pour l’intégralité de l’instruction.
Selon l’article 52-3, le collège de l’instruction sera composé de trois juges d’instruction, dont le juge saisi de l’information, qui sera le président du collège. Les deux autres juges seront désignés par le président du tribunal de grande instance, le cas échéant par ordonnance de roulement. Si l’information a fait l’objet d’une cosaisine, le ou les juges cosaisis feront logiquement partie du collège de l’instruction.
Dans les hypothèses exceptionnelles où il n’y aurait pas suffisamment de juges d’instruction dans le tribunal pour composer le collège, l’un des juges du collège pourra être désigné parmi les autres juges du siège du tribunal de grande instance du ressort.
Les décisions du collège seront prises par ordonnance motivée
(article 52-5). Comme cela est déjà prévu pour le juge d’instruction, les juges du collège de l’instruction ne pourront, à peine de nullité, participer au jugement des affaires pénales qu’ils ont connues en cette qualité (article 56-6).
– Rôle du collège de l’instruction
Le collège de l’instruction sera compétent, en application de l’article 52-4, pour rendre les ordonnances suivantes :
– ordonnance statuant sur la demande d’une personne mise en examen tendant à devenir témoin assisté ; cette demande, qui n’est actuellement possible qu’au plus tôt six mois après la mise en examen, pourra par ailleurs être faite dans les dix jours de celle-ci ;
– ordonnance statuant sur les demandes d’acte ou d’expertise ;
– ordonnance statuant sur les demandes relatives au respect du calendrier prévisionnel de l’information ;
– ordonnance statuant sur les demandes des parties déposées après l’avis de fin d’information ;
– ordonnance de règlement de l’information.
Ainsi, tous les actes essentiels de l’instruction pourront, si cela apparaît nécessaire, faire l’objet d’une décision collégiale.
Le 2° du I du présent article procède à un certain nombre de coordinations dans le code de procédure pénale justifiées par l’institution de la collégialité de l’instruction et la suppression de l’instruction dans les juridictions infra-pôles.
Il modifie notamment l’article 80-1-1 de ce code pour permettre à une personne qui vient d’être mise en examen de demander immédiatement son placement sous le statut de témoin assisté, comme indiqué précédemment.
Il modifie l’article 84 de ce code relatif au remplacement du juge d’instruction en cas d’empêchement, pour que ses dispositions s’appliquent également en cas d’empêchement d’un juge du collège.
Il prévoit la notification des ordonnances du collège de l’instruction (article 183 du code).
Il prévoit que ces ordonnances pourront faire l’objet d’un appel devant la chambre de l’instruction (article 186-4 du code).
Par coordination également, le II du présent article abroge les dispositions de la loi du 5 mars 2007 susmentionnée relatives à la collégialité de l’instruction.
Le III du présent article diffère au 1er octobre 2018 l’entrée en vigueur des dispositions du I. Cette réforme implique, comme le faisait la loi du 5 mars 2007, que les juges d’instruction soient tous regroupés dans les tribunaux de grande instance dans lesquels il y a un pôle de l’instruction, la fonction de juge d’instruction étant supprimée dans les autres tribunaux. Le Gouvernement a indiqué qu’il pourrait toutefois compléter la liste des juridictions dans lesquelles il y a actuellement un pôle de l’instruction, afin de créer de nouveaux pôles si l’activité pénale de la juridiction le justifie.
Le IV du présent article précise que le présent article est applicable sur tout le territoire de la République à l’exclusion de Saint-Pierre-et-Miquelon et de Wallis-et-Futuna.
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La Commission examine l’amendement CL182 du Gouvernement.
M. le garde des Sceaux. Cet amendement, relatif à la difficile question de la collégialité, reprend les dispositions d’un projet de loi déposé au mois de juin 2013.
Une loi du 5 mars 2007 renforçait l’équilibre de la procédure pénale par une collégialité obligatoire mais son entrée en vigueur fut reportée à plusieurs reprises, chaque fois pour les mêmes raisons : elle nécessite des moyens considérables que les gouvernements successifs n’ont jamais été capables de mobiliser. Aujourd’hui, il ne faudrait pas moins de 300 magistrats de l’instruction supplémentaires !
En outre, une question de fond a souvent été soulevée : faut-il que cette collégialité soit systématique ? Ce n’est le cas dans nul autre pays. Le Gouvernement a donc déposé, au mois de juin 2013, un projet de loi, dont cet amendement reprend les dispositions, qui réserve la collégialité de l’instruction aux cas où les parties la demandent ou les magistrats l’estiment nécessaire et prévoit qu’elle ne porte que sur les phases de l’instruction justifiant effectivement qu’une décision soit prise par un collège de trois juges. C’est une collégialité qui viendra, le cas échéant, renforcer la cosaisine, maintenue en raison de son efficacité. Chaque fois que son intervention aura été sollicitée, le collège sera de plein droit compétent pour statuer, selon les cas, sur la demande d’un mis en examen de devenir témoin assisté ou sur les demandes d’acte ou d’expertise, sur le respect du calendrier prévisionnel de l’instruction ou sur le règlement de l’information.
Cette réforme, dont l’entrée en vigueur est fixée au 1er octobre 2018, implique, comme le faisait la loi du 5 mars 2007, que les juges d’instruction seront tous regroupés dans les tribunaux de grande instance dans lesquels il y a un pôle de l’instruction, la fonction de juge d’instruction étant supprimée dans les autres tribunaux – que chacun comprenne bien les conséquences de l’adoption de cet amendement dans les juridictions. Le Gouvernement pourra toutefois compléter la liste des juridictions dans lesquelles il y a actuellement un pôle de l’instruction, afin de créer de nouveaux pôles si l’activité pénale de la juridiction le justifie, mais, mon expérience d’élu local me l’a appris, il est extrêmement difficile de convaincre le ministère de la pertinence d’une demande, les seuils d’évaluation étant assez aléatoires ; je défends donc le principe, mais je sais que la portée pratique peut être discutée.
Cet amendement met ainsi en place, d’une façon cohérente, réaliste et équilibrée, une collégialité de l’instruction qui permettra à l’institution judiciaire de traiter les affaires pénales les plus graves et les plus complexes d’une manière tout à la fois plus efficace et plus respectueuse des droits de la défense et de la présomption d’innocence.
Cependant, si le Parlement souhaitait aller plus loin, et considérait, du fait des avancées enregistrées et de l’essor progressif de la cosaisine, que la collégialité de 2007 peut être abandonnée sans que soit prévue pour autant une nouvelle forme de collégialité qui éviterait la disparition des juges d’instruction dans les tribunaux infra-pôles, le Gouvernement ne s’y opposerait pas.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Nous connaissons cette question, qu’avait soulevée, en son temps, la commission d’enquête parlementaire constituée sur l’affaire d’Outreau, et nous savons quelles difficultés les préconisations de ladite commission posaient ; les gouvernements successifs ont d’ailleurs été confrontés aux mêmes difficultés, que le garde des Sceaux vient d’évoquer. Pour notre part, nous nous félicitons de l’amendement gouvernemental, qui met un terme à l’incertitude dans laquelle sont plongés les magistrats quant à l’organisation des juridictions… et les élèves de l’ENM quant à l’intérêt de la fonction de juge d’instruction.
La collégialité doit rester possible chaque fois que la situation examinée, la nature de l’affaire, sa gravité, sa complexité la rendent nécessaire. C’était d’ailleurs un peu le souci de la commission d’enquête parlementaire sur l’affaire d’Outreau – je le dis sous le contrôle de M. Houillon, qui fut son rapporteur. Notez au passage, chers collègues, que le juge n’est pas le seul à pouvoir demander cette collégialité.
Cet amendement, qui maintient les pôles d’instruction, représente, pour nous, la meilleure solution, et nous sommes enclins à vous inviter à l’adopter en l’état. Voyons comment le système fonctionne, même si nous avons bien compris, par ailleurs, le message du garde des Sceaux : « Si vous voulez passer à l’étape suivante, allez-y ! »
M. Philippe Houillon. Rapporteur de cette loi de 2007 et rapporteur de la commission d’enquête sur l’affaire d’Outreau, j’approuve l’amendement du Gouvernement. En vérité, la question se pose avec moins d’acuité maintenant pour deux raisons. Premièrement, les affaires à l’instruction ne représentent que 2,5 % des affaires pénales. Deuxièmement, s’est développée, après cette affaire, la cosaisine.
Cet amendement présente un bon équilibre. Le Gouvernement vient de dire que si le Parlement allait un peu plus loin, il n’y serait pas hostile : cela me paraît assez judicieux. Ce qui est important, c’est d’avoir plusieurs regards dans les affaires compliquées. La cosaisine répond à cette exigence.
Nous pouvons adopter cet amendement en l’état. Il représente un palier intéressant, et cohérent, par rapport à la pratique.
M. Alain Tourret. L’amendement est parfait, mais quid de la responsabilité ? Quand il y a un magistrat, on peut engager sa responsabilité en cas de faute lourde. Je connais des exemples, dont certains concernaient un de nos collègues, à commencer par Yves Bonnet, qui a subi un préjudice important. Dès lors qu’il y a collégialité, il n’y a plus de responsabilité ; c’est ce qui m’inquiète.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Lorsqu’il y a collégialité, il y a une responsabilité, cher collègue, car les actes sont, à la fin, établis par un seul juge. Cela ne pose pas de difficulté.
Ce n’était d’ailleurs pas tout à fait le problème qui préoccupait la commission d’enquête. Il s’agissait beaucoup plus de gérer la difficulté, la complexité de la tâche du magistrat, dans une juridiction, face au parquet. L’environnement dans lequel il exerce ses fonctions peut compromettre la sérénité indispensable à son travail.
Aujourd’hui, avec la réduction du nombre d’affaires à l’instruction, la situation n’est plus du tout la même, et le dispositif prévu par cet amendement lui permettra d’échanger avec ses collègues tout en maintenant sa responsabilité.
M. Gilbert Collard. Je partage tout à fait l’opinion de notre collègue Tourret. Comment une action récursoire pourrait-elle viser le magistrat responsable dans le cas d’une affaire gérée collectivement ? C’est un réel problème. Quelle solution envisager si la responsabilité des magistrats doit être mise en cause et une action récursoire engagée ?
M. Philippe Houillon. Je ne comprends pas très bien pourquoi cette question est soulevée à propos de cet amendement. En fait, elle se pose dans tous les cas de collégialité, d’autant que notre droit ne prévoit pas la publication d’opinions dissidentes – c’est le secret du délibéré qui prévaut.
Faudrait-il supprimer, partout, toute collégialité, pour avoir un seul magistrat responsable, qui puisse éventuellement être visé par une action récursoire ? Éventuellement, dis-je, parce que c’est d’abord la responsabilité de l’État pour mauvais fonctionnement du service public de la justice qui est engagée. Ensuite seulement, en cas de faute lourde, ou de faute grave, une action récursoire peut être engagée, mais ce n’est arrivé qu’une fois, et cela concernait un magistrat de l’ordre administratif.
La Commission adopte l’amendement. L’article 14 bis est ainsi rédigé.
Article 14 ter (nouveau)
(art. 706-2 du code de procédure pénale)
Extension des compétences des pôles de santé publique de Paris et Marseille
Cet article additionnel, introduit à l’initiative du Gouvernement après avis favorable de vos rapporteurs, vise à étendre les compétences des pôles de santé publique (PSP) de Paris et Marseille afin d’inclure dans leur champ :
– les affaires concernant les pratiques médicales, paramédicales ou esthétiques réglementées qui constituent des infractions pénales ainsi que les prestations de service médicales, paramédicales ou esthétiques réglementées ;
– les affaires concernant les infractions de dopage prévues par le code du sport.
La compétence spécialisée des PSP apparaît particulièrement utile pour traiter des affaires mettant en cause des centres dentaires, des agences étrangères pratiquant des PMA/GPA, des centres employant des techniques d’épilation réservées aux médecins, des médecines non conventionnelles ou encore des fraudes en matière d’analyse biomédicales. Outre la technicité des investigations, l’ensemble de ces affaires présente le trait commun de concerner, le plus souvent, un grand nombre de victimes, ce qui peut s’avérer très lourd pour des juridictions non spécialisées.
Par ailleurs, la compétence des PSP est élargie en supprimant la condition liée à « l’exposition durable de l’homme » à des substances ou produits pour appréhender l’ensemble des affaires d’une grande complexité relatives à un produit ou une substance réglementés à raison de leurs effets ou de leur dangerosité.
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La Commission examine l’amendement CL178 du Gouvernement.
M. le garde des Sceaux. Cet amendement vise à inclure dans le champ de compétence des pôles de santé publique de Paris et Marseille, d’une part, les affaires concernant les pratiques médicales, paramédicales ou esthétiques réglementées qui constituent des infractions pénales, ainsi que les prestations de service médicales, paramédicales ou esthétiques réglementées, et, d’autre part, les affaires concernant les infractions de dopage prévues par le code du sport.
Suivant l’avis favorable du rapporteur Jean-Yves Le Bouillonnec, la Commission adopte l’amendement. L’article 14 ter est ainsi rédigé.
Article 14 quater (nouveau)
(Titre XXVI du livre IV du code de procédure pénale)
Extension de la compétence des juridictions du littoral spécialisé (JULIS) aux atteintes aux biens culturels maritimes
Créées par la loi n° 2001-380 du 3 mai 2001 relative à la répression des rejets polluants de navires, les six juridictions du littoral spécialisées (JULIS) sont compétentes en matière de pollution maritime, en concurrence avec le tribunal de grande instance de Paris pour les affaires revêtant un caractère de grande complexité.
La France présente la double spécificité de disposer sur son territoire d’un patrimoine archéologique d’une richesse exceptionnelle et d’un marché de l’art dynamique sur lequel s’échangent de grandes quantités de biens culturels appartenant au patrimoine national ou mondial. Les biens culturels maritimes, définis comme tout gisement, épave, vestige ou, plus généralement, tout bien présentant un intérêt préhistorique, archéologique ou historique situé dans le domaine public maritime, sont au cœur de cette problématique.
Le présent article additionnel, introduit à l’initiative du Gouvernement après avis favorable de vos rapporteurs, vise à renforcer la protection de ce patrimoine subaquatique, par l’extension de la compétence des juridictions du littoral spécialisé (JULIS) aux atteintes aux biens culturels maritimes prévue par la section 2 du chapitre 4 du titre IV du livre V du code du patrimoine afin de renforcer la protection de ce patrimoine subaquatique.
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La Commission examine l’amendement CL181 du Gouvernement.
M. le garde des Sceaux. Il existe, depuis la loi du 3 mai 2001, six juridictions du littoral spécialisées (JULIS), compétentes en matière de pollution maritime. Nous proposons d’élargir leur compétence à la protection du patrimoine subaquatique.
Suivant l’avis favorable du rapporteur Jean-Yves Le Bouillonnec, la Commission adopte l’amendement. L’article 14 quater est ainsi rédigé.
Chapitre III bis
Dispositions tendant à l’amélioration de l’organisation et du fonctionnement de la justice des mineurs
(Division et intitulé nouveaux)
La Commission examine l’amendement CL173 du Gouvernement.
M. le garde des Sceaux. Nous proposons d’insérer un nouveau chapitre, intitulé « Dispositions tendant à l’amélioration de l’organisation et du fonctionnement de la justice des mineurs ». Je vais effectivement vous présenter quelques amendements dont c’est l’objet.
Suivant l’avis favorable du rapporteur Jean-Yves Le Bouillonnec, la Commission adopte l’amendement. Un chapitre III bis est inséré.
Article 14 quinquies (nouveau)
(art. L. 228-4 du code de l’action sociale et des familles)
Modification de la désignation du département compétent en matière d’aide sociale à l’enfance
Cet article additionnel, introduit à l’initiative du Gouvernement après avis favorable de vos rapporteurs, modifie la rédaction de l’article L. 228-4 du code de l’action sociale et des familles issue de l’ordonnance n° 2014-1543 du 19 décembre 2014 portant diverses mesures relatives à la métropole de Lyon, afin de rétablir la sécurité juridique nécessaire à la désignation du département compétent pour la prise en charge des frais d’aide sociale à l’enfance.
La difficulté vient du fait que l’ordonnance du 19 décembre 2014, centrée sur Lyon, a modifié l’article L. 228-4 du code de l’action sociale et des familles applicable à tous les départements.
Avant l’entrée en vigueur de cette ordonnance, cet article prévoyait que les dépenses d’entretien, d’éducation et de conduite des mineurs étaient dans tous les cas prises en charge par « le département du siège de la juridiction qui a prononcé la mesure en première instance », indépendamment de la personne ou du service à qui le mineur était confié.
Depuis, la nouvelle rédaction de cet article distingue les cas où le mineur est confié au service de l’aide sociale à l’enfance, des autres cas (placement direct ou chez un tiers digne de confiance).
Pour les mineurs confiés par le juge au service de l’aide sociale à l’enfance, la modification n’a pas d’impact significatif. Elle est plus importante lorsque le mineur est confié par l’autorité judiciaire à une personne physique, un tiers digne de confiance ou un établissement ou service (placement direct). Dans ces cas en effet, ce n’est plus le département du siège de la juridiction qui a prononcé la mesure en première instance qui prend en charge les dépenses d’entretien, d’éducation et de conduite du mineur mais le département sur le territoire duquel le mineur est domicilié ou sur le territoire duquel sa résidence a été fixée.
Toutefois, dans de nombreuses situations, la personne physique, le tiers digne de confiance, l’établissement ou le service à qui est confié l’enfant ne se trouvent pas dans le même département que celui du siège de la juridiction qui prend la mesure.
Cette disposition provoque de l’incompréhension dans de nombreux départements qui s’interrogent sur son sens et sa portée.
C’est pourquoi cet article additionnel propose les mesures correctives nécessaires au rétablissement d’une sécurité juridique appelée par les départements. Seuls ceux dont les ressorts des tribunaux de grande instance s’étendent sur plusieurs départements ou sur une métropole et un département seront concernés par l’évolution portée par l’ordonnance du 19 décembre 2014. Dans les autres cas, les prestations d’aide sociale à l’enfance seront prises en charge par le département du siège de la juridiction qui a prononcé la mesure en première instance.
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La Commission examine l’amendement CL172 du Gouvernement.
M. le garde des Sceaux. Cet amendement de précision fait suite à l’ordonnance du 19 décembre 2014, qui crée la métropole de Lyon et pose quelques difficultés avec les départements limitrophes. Il s’agirait, afin de rétablir une sécurité juridique qu’appellent de leurs vœux les départements, de préciser que seuls les départements dont les ressorts des TGI s’étendant sur plusieurs départements sont concernés par l’évolution portée par l’ordonnance du 19 décembre 2014.
Suivant l’avis favorable du rapporteur Jean-Yves Le Bouillonnec, la Commission adopte l’amendement. L’article 14 quinquies est ainsi rédigé.
Article 14 sexies (nouveau)
(Ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, chapitre Ierbis du tire V du livre II du code de l’organisation judiciaire)
Suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs
Cet article additionnel, adopté à l’initiative du groupe Socialiste, républicain et citoyen et de M. Alain Tourret, après avis favorable de vos rapporteurs et du Gouvernement, supprime les tribunaux correctionnels pour mineurs.
Issu de la loi n° 2011-939 du 10 août 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs, le tribunal correctionnel pour mineurs est une émanation du tribunal correctionnel (article L. 251-7 du code de l’organisation judiciaire). Il est composé de trois magistrats professionnels, un président qui exerce les fonctions de juge des enfants et deux juges non spécialisés, et compétent pour juger les mineurs de plus de seize ans, poursuivis pour un ou plusieurs délits punis d’une peine d’emprisonnement égale ou supérieure à trois ans et commis en état de récidive légale.
À l’époque, le souhait du législateur était de donner davantage de charge et de solennité au jugement des mineurs récidivistes.
L’utilité d’une telle juridiction est aujourd’hui remise en cause :
– pour des raisons organisationnelles, d’abord, puisqu’elle constitue une source de complexité inutile, et concerne moins de 1 % des contentieux concernant les adolescents. Elle désorganise les tribunaux, qui connaissent déjà des difficultés significatives, en ajoutant des audiences pour lesquels magistrats et greffiers non spécialisés doivent se former dans un temps court aux procédures spécifiques de la justice des mineurs. Cette réforme est, de surcroît, peu lisible car il est paradoxal que le tribunal pour enfants connaisse du jugement de faits criminels commis par des mineurs de moins de seize ans mais pas du jugement délictuel de mineurs de seize ans et plus en état de récidive légale ;
– pour des raisons juridiques, ensuite, puisque cette juridiction met à mal le principe de primauté de l’éducatif, qui est l’un des principes directeurs de l’ordonnance du 2 février 1945, et crée une inégalité de traitement pour le jugement des mineurs de plus de 16 ans.
Elle est, en outre, en contradiction avec les standards européens et internationaux, au premier rang desquels la Convention Internationale des Droits de l’Enfant qui stipule dans son article 40.3 que les États doivent promouvoir « l’adoption de lois, de procédures, la mise en place d’autorités et d’institutions spécialement conçues pour les enfants suspectés, accusés ou convaincus d’infraction à la loi pénale ».
Elle a également été vidée en partie de son sens par la loi n° 2014-896 du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales, qui a abrogé les dispositions relatives à la récidive légale ;
– pour des raisons pratiques, enfin, parce qu’elle ne peut atteindre les objectifs que lui avait assigné le législateur en 2011. En effet, le Conseil constitutionnel n’a pas permis que cette juridiction soit directement saisie par le parquet comme peut l’être le tribunal pour enfants.
Elle ne peut être saisie par la voie de la convocation par officier de police judiciaire ou par le biais de la procédure de présentation immédiate. Alors que les mineurs récidivistes, déjà largement connus de la juridiction, gagneraient à être jugés rapidement, le tribunal correctionnel pour mineurs ne peut en aucun cas le faire parce que la procédure par laquelle il est saisi participe à l’allongement des délais.
De plus, les études réalisées à partir du casier judiciaire montrent que les tribunaux correctionnels pour mineurs prononcent moins de peines d’emprisonnement que les tribunaux pour enfants.
En conséquence, le I du présent article supprime toute référence au tribunal correctionnel pour mineurs dans l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante. Le II supprime, par coordination, le chapitre Ierbis du titre V du livre II du code de l’organisation judiciaire. Le III précise le régime d’entrée en vigueur de cette réforme et les mesures transitoires applicables aux mineurs concernés. Enfin, le IV indique que le présent article s’applique à l’ensemble du territoire de la République.
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La Commission examine en discussion commune, les amendements identiques CL277 de Mme Colette Capdevielle et CL288 de M. Alain Tourret, et l’amendement CL1 de M. Sergio Coronado.
Mme Cécile Untermaier. Les dispositions que l’amendement CL277 a pour objet d’insérer tendent à la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs.
Issu de la loi du 10 août 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs, le tribunal correctionnel pour mineurs est une émanation du tribunal correctionnel. Il est composé de trois magistrats professionnels – un président qui exerce les fonctions de juge des enfants et deux juges non spécialisés – et est compétent pour juger les mineurs de plus de seize ans, poursuivis pour un ou plusieurs délits punis d’une peine d’emprisonnement égale ou supérieure à trois ans et commis en état de récidive légale. Le souhait du législateur était de donner davantage de charge et de solennité au jugement des mineurs récidivistes.
L’utilité d’une telle juridiction est aujourd’hui remise en cause, notamment par tous les magistrats que nous avons pu entendre dans nos auditions.
Sur le plan organisationnel, d’abord, elle constitue une source de complexité inutile, d’autant qu’elle concerne moins de 1 % des contentieux relatifs aux adolescents. Elle désorganise les tribunaux, qui connaissent déjà des difficultés significatives, en ajoutant des audiences pour lesquelles magistrats et greffiers non spécialisés doivent se former dans un temps court aux procédures spécifiques de la justice des mineurs. Cette option est, de surcroît, peu lisible car il est paradoxal que le tribunal pour enfants connaisse du jugement de faits criminels commis par des mineurs de moins de seize ans mais pas du jugement délictuel de mineurs de seize ans et plus en état de récidive légale.
Sur le plan juridique, ensuite, cette juridiction met à mal le principe de primauté de l’éducatif, l’un des principes directeurs de l’ordonnance du 2 février 1945, et crée une inégalité de traitement pour le jugement des mineurs de plus de seize ans. Elle est, en outre, en contradiction avec les standards européens et internationaux, au premier rang desquels la Convention internationale des droits de l’enfant. Il est effectivement stipulé au troisième alinéa de l’article 40 de celle-ci que les États doivent promouvoir « l’adoption de lois, de procédures, la mise en place d’autorités et d’institutions spécialement conçues pour les enfants suspectés, accusés ou convaincus d’infraction à la loi pénale ».
Sur le plan pratique, enfin, elle ne peut atteindre les objectifs que lui avait assignés le législateur de 2011, objectifs en partie vidés de leur sens par la loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales, qui a abrogé les dispositions relatives à la récidive légale. En effet, le Conseil constitutionnel n’a pas permis que cette juridiction soit directement saisie par le parquet comme peut l’être le tribunal pour enfants. Elle ne peut donc être saisie par la voie de la convocation par officier de police judiciaire ou par le biais de la procédure de présentation immédiate. Cela amoindrit en pratique l’efficacité de la réponse pénale. Alors que les mineurs récidivistes, déjà largement connus de la juridiction, gagneraient à être jugés rapidement, le tribunal correctionnel pour mineurs ne peut en aucun cas le faire car la procédure par laquelle il est saisi participe à l’allongement des délais.
De plus, les études réalisées à partir du casier judiciaire montrent que les tribunaux correctionnels pour mineurs prononcent par ailleurs – c’est important – moins de peines d’emprisonnement que les tribunaux pour enfants.
M. Alain Tourret. L’amendement CL288 est identique à celui que vient de défendre Mme Untermaier, tant dans son dispositif que son exposé sommaire. Peut-être avons-nous le même inspirateur…
M. Sergio Coronado. Ce débat nous occupe depuis fort longtemps – depuis le début de la législature. Le Président de la République avait promis, au cours de sa campagne électorale, de supprimer les tribunaux correctionnels pour mineurs, pour les raisons qui viennent d’être développées. En fait, la charge idéologique de la réforme menée par la précédente majorité n’échappe à personne, et l’efficacité de ces tribunaux n’a jamais été véritablement démontrée – ce n’était d’ailleurs pas l’objectif recherché.
Je me félicite de l’examen de ces amendements, car des engagements n’ont pas été tenus, ceux pris par la garde des Sceaux, au moment de la réforme pénale, sur une refonte de l’ordonnance de 1945, et, dernièrement, lors de l’examen du projet de loi de lutte contre le terrorisme. L’amendement que j’avais alors déposé, similaire à celui que je défends maintenant et à ceux que viennent de défendre mes collègues, avait été rejeté par le groupe socialiste, sous le prétexte qu’un amendement gouvernemental serait préférable. Pour ma part, je me contenterai de ce qu’on me proposera de voter, mais je constate que, finalement, il n’y pas d’amendement gouvernemental et nous avons perdu du temps… Je suis cependant très heureux que vous preniez, chers collègues, vos responsabilités et que nous puissions enfin revenir sur cette réforme funeste.
M. le garde des Sceaux. Cette commission a souvent discuté de ce sujet. L’Assemblée nationale a même déjà eu l’occasion d’exprimer, depuis le début de la législature, son opposition au principe de ces tribunaux, ce qui est cohérent avec le point de vue exprimé lors de leur création en 2011 par l’opposition d’alors. Dans mes précédentes responsabilités, j’avais demandé à l’Assemblée de faire preuve de patience et de repousser certaines demandes. Une proposition de loi avait ainsi été déposée par le groupe Gauche démocrate et républicaine et, en commission mixte paritaire, mon homologue du Sénat, M. Jean-Pierre Sueur, et moi-même avions pris l’engagement de déposer une proposition de loi si le Gouvernement ne déposait pas son propre texte. L’engagement a été pris, et nous arrivons à la discussion d’aujourd’hui. Le Gouvernement était prêt à déposer son amendement, mais il est apparu légitime, au cours de discussions avec le groupe majoritaire et les rapporteurs, de privilégier une initiative parlementaire, le Parlement ayant montré à de multiples reprises sa détermination.
Non seulement le Gouvernement partage l’analyse de Mme Untermaier, mais il l’a largement nourrie. En termes juridiques, la décision rendue par le Conseil constitutionnel a privé la réforme d’une partie de son intérêt supposé – pouvoir juger plus rapidement les mineurs. Sur le plan organisationnel, quiconque a un jour rencontré un président de tribunal de grande instance sait quelles difficultés le dispositif adopté en 2011 pose, pour une plus-value extrêmement faible, puisque cela représente aujourd’hui 1 % des contentieux dans ces domaines. Plus encore, ce sont des raisons politiques qui conduisent à la suppression de ces tribunaux correctionnels pour enfants, qui tiennent à la primauté de l’éducatif en matière de traitement de la délinquance des mineurs.
Le Gouvernement encourage vivement l’Assemblée nationale à adopter les amendements identiques CL277 et CL288.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Pour l’ensemble des raisons énoncées tant par nos collègues que par le garde des Sceaux, nous sommes favorables aux amendements identiques CL277 et CL288. Nous invitons en revanche M. Coronado à retirer son amendement, qui ne comporte pas de dispositions relatives à l’entrée en vigueur du texte.
M. Sergio Coronado. Je le retirerai volontiers !
M. Éric Ciotti. Puisque le terme d’idéologie a été employé, disons-le, monsieur le garde des Sceaux : la suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs procède vraiment d’une idéologie qui me paraît dangereuse. Nous ne contestons pas la nécessité de mesures éducatives pour lutter contre la délinquance des mineurs. En revanche, l’idée d’une primauté de l’éducatif remet en cause la nécessaire sanction. La mise en place de ces tribunaux trouvait son origine dans une volonté de s’attaquer avec bien plus de détermination à un phénomène qui s’aggrave, concernant de plus en plus de mineurs, auteurs de faits de plus en plus violents. Le message que vous délivrez en les supprimant n’est pas celui de la détermination de l’autorité publique à combattre la délinquance des mineurs. C’est une erreur, c’est une faute, dictée par des considérations purement idéologiques, énoncées à plusieurs reprises par Mme Taubira. C’est cependant vous, monsieur le garde des Sceaux, qui procéderez à cette suppression ; cela nous déçoit, car vous nous avez habitués à bien plus de pragmatisme.
Nous nous opposerons très vivement à cette suppression des tribunaux correctionnels pour mineurs.
M. Gilbert Collard. N’oublions pas la genèse de la justice des mineurs. Dans son roman, C’est Mozart qu’on assassine, Gilbert Cesbron racontait, dans les années 1960, comment une répression inintelligente enfermait le jeune dans une délinquance sans issue. Dans le sillage de l’école de la défense sociale, la dimension spirituelle et affective de l’acte délinquantiel du mineur a été prise en compte et le tribunal pour enfants a été créé.
Le problème n’est pas celui de la création d’un tribunal correctionnel pour mineurs. Il serait absurde de croire que la définition de la juridiction change l’action répressive. Nous ferions mieux de réadapter les textes appliqués par les « tribunaux pour enfants ». Quelle que soit l’inquiétude qui nous saisit face à la délinquance juvénile, nous ne pouvons pas oublier que nous parlons d’une humanité en puissance. Si nous la méconnaissons, nous méconnaissons toute la définition de la démarche pénale qui vise à réprimer, mais aussi à réinsérer l’individu. Sachez que je ne céderai jamais là-dessus !
M. Patrick Devedjian. Tous ceux qui connaissent le fonctionnent de la machine judiciaire ne peuvent que souscrire aux propos du garde des Sceaux. L’insuffisance des moyens de la justice est le premier problème rencontré par cette dernière. La dilution et l’émiettement de son organisation nuisent à l’ensemble de son fonctionnement. On fabrique une spécialisation extrêmement étroite en organisant une juridiction particulière pour les mineurs de 16 à 18 ans : elle mobilise des moyens dont nous avons besoin par ailleurs, et cela ne donne qu’un résultat très aléatoire.
La décision du Conseil constitutionnel à laquelle vous avez fait référence, monsieur le garde des Sceaux, est claire. De ce fait, si le dispositif pouvait avoir, à l’origine, un but louable, il n’a plus aujourd’hui aucun intérêt. Il ne fait finalement qu’affaiblir l’organisation judiciaire sans atteindre les objectifs initialement visés par le législateur.
M. le garde des Sceaux. Monsieur Ciotti, la création des tribunaux correctionnels pour mineurs visait, si je puis me permettre de paraphraser la devise olympique proposée par Pierre de Coubertin, à aller « plus vite, plus fort et plus haut ». La décision du Conseil constitutionnel de 2011 ayant annulé les procédures accélérées, nous ne sommes pas allés « plus vite ». Nous ne sommes pas, non plus, allés « plus fort » puisque toutes les études montrent que les peines prononcées par les tribunaux correctionnels pour mineurs sont moins sévères que celles prononcées par les tribunaux pour enfants. Et nous ne sommes pas davantage allés « plus haut » si l’on se réfère au nombre d’affaires traitées. Les tribunaux correctionnels pour mineur n’ont prononcé que 0,76 % des condamnations touchant des mineurs en 2013, et 0,87 % en 2014.
Tous ceux qui fréquentent les tribunaux savent que cette réforme a été à l’origine, depuis 2011, d’une charge de travail considérable pour des magistrats non spécialisés qui n’étaient pas habitués aux mécanismes propres à l’ordonnance de 1945. Les magistrats comme les greffes ont dû faire face à de considérables problèmes d’organisation en période de pénurie de moyens.
J’ajouterai, pour rassurer M. Ciotti, même si je sais que c’est un peu peine perdue, que la primauté de l’éducatif n’empêche pas le cumul des peines. Je défendrai dans un instant un amendement CL170 du Gouvernement qui en apportera la démonstration.
L’amendement CL1 est retiré.
La Commission adopte les amendements identiques CL277 et CL288. L’article 14 sexies est ainsi rédigé.
Article 14 septies (nouveau)
(Ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante)
Principe du cumul entre une condamnation pénale et des mesures éducatives
Cet article additionnel, adopté à l’initiative du Gouvernement après avis favorable de vos rapporteurs, tend à généraliser, aux fins de renforcement de la spécialisation de la justice des mineurs et d’amélioration de l’individualisation des réponses pénales apportées en la matière, un principe de cumul entre les peines et les mesures éducatives dans le cadre de l’ordonnance du 2 février 1945. Il ne remet toutefois pas en cause la primauté des mesures éducatives, ni les régimes d’ores et déjà existants de mise en œuvre de chacune des mesures éducatives et de cumul éventuel entre elles, ni les règles de compétence concernant les juridictions qui peuvent les prononcer.
L’objectif est de favoriser l’inscription de toute réponse judiciaire à l’égard d’un mineur, y compris la plus répressive, dans la recherche d’un objectif éducatif et de renforcer ainsi la spécialisation de la justice pénale des mineurs. Il s’agit également d’apporter davantage de souplesse dans la prise en charge éducative post-sentencielle, en alternant ou cumulant placement, intervention en milieu ouvert et insertion en fonction de l’évolution du mineur, alors que le système actuel présente des rigidités. Cette évolution incitera les tribunaux à réduire les délais de jugement puisqu’ils disposeront de la même palette de prise en charge avant et après jugement.
En outre, ces dispositions, qui autorisent notamment le cumul entre une peine et une mesure de réparation, s’inscrivent dans une démarche plus complète qui permet de ne pas se limiter à l’aspect « rétributif » de la sanction, mais de renforcer sa dimension « restaurative » en suscitant une réelle prise de conscience, par le mineur, du préjudice causé à la victime, ce qui favorise sa responsabilisation et la prévention de la récidive.
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La Commission examine l’amendement CL170 du Gouvernement.
M. le garde des Sceaux. Cet amendement tend à généraliser un principe de cumul entre les peines et les mesures éducatives dans le cadre de l’ordonnance du 2 février 1945. Il ne remet toutefois pas en cause la primauté des mesures éducatives, ni les régimes d’ores et déjà existants par ailleurs.
Suivant l’avis favorable du rapporteur, la Commission adopte l’amendement. L’article 14 septies est ainsi rédigé.
Article 14 octies (nouveau)
(Ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante)
Rétablissement de la convocation par officier de police judiciaire aux fins de jugement devant le juge des enfants et facilitation de la césure du procès
Cet article additionnel, adopté à l’initiative du Gouvernement après avis favorable de vos rapporteurs, rétablit la convocation par officier de police judiciaire aux fins de jugement devant le juge des enfants, supprimée en 2011. Il promeut également la césure du procès pénal des mineurs.
Alors qu’en 2013, le délai moyen de jugement devant le juge des enfants était de 15,5 mois, la convocation par officier de police judiciaire du mineur permettra de juger plus rapidement les mineurs primo délinquants – ce qui est essentiel sachant que le taux de récidive durant la minorité est de 20 %, et le taux de réitération de 35 % – et, par conséquent, de répondre immédiatement aux demandes éventuelles de la partie civile.
De surcroît, le renvoi exprès aux articles 24-5 et 24-6 de l’ordonnance du 2 février 1945 permettra de développer la procédure de césure du procès pénal, très souple et particulièrement adaptée à la délinquance des mineurs : le juge des enfants statue sur la culpabilité puis prononce un ajournement à six mois. Il peut ensuite, en fonction de l’évolution du mineur, prononcer une mesure éducative en chambre du conseil ou renvoyer l’affaire devant le tribunal pour enfants, qui peut prononcer une peine.
La césure du procès pénal pourra être utilisée dans une grande proportion de situations, puisque les procédures pénales aujourd’hui ouvertes devant les juges des enfants montrent que, d’une part, les enquêtes réalisées nécessitent peu d’investigations complémentaires sur les faits et, d’autre part, compte tenu de l’évolution constante de la personnalité durant la période de minorité, les décisions présentencielles prises par les juges des enfants concernent, dans la quasi-totalité des cas, des actes relatifs à l’évaluation de la personnalité du mineur et son accompagnement éducatif.
Enfin, le développement de la césure permettra de résoudre les difficultés d’organisation auxquelles les tribunaux pour enfants ont été confrontés à la suite de la décision du Conseil constitutionnel du 8 juillet 2011 qui juge incompatible avec la participation au jugement de l’affaire la direction d’enquête sur les faits et le pré-jugement qu’implique la décision de renvoi du mineur devant le tribunal pour enfant.
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La Commission examine l’amendement CL168 du Gouvernement.
M. le garde des Sceaux. Cet amendement vise à rétablir la convocation par officier de police judiciaire (COPJ) pour les jugements en cabinet, qui avait été supprimée en 2011. Elle était très utile puisque, en 2013, les COPJ aux fins de mises en examen représentent 57 % des saisines, 44 % des mineurs étant finalement jugés par le juge des enfants en cabinet.
Cette disposition permettra de juger plus rapidement les mineurs primo-délinquants – ce qui est essentiel sachant que le taux de récidive durant la minorité est de 20 %, et le taux de réitération de 35 %. Elle réglera le problème de l’impartialité du juge en cabinet, et elle favorisera le développement des procédures de césure du procès pénal, actuellement peu utilisées.
Suivant l’avis favorable du rapporteur, la Commission adopte l’amendement. L’article 14 octies est ainsi rédigé.
Article 14 nonies (nouveau)
(art. 24-5 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante)
Homogénéisation du régime de la césure du procès pénal des mineurs
La césure du procès pénal est la procédure par laquelle lorsque cela apparaît nécessaire, la juridiction de jugement peut, avant de prononcer la sanction, demander la césure de l’audience afin de mener des investigations complémentaires sur la personnalité de l’auteur.
Il y a deux audiences : une première audience prononce la culpabilité de l’auteur ainsi que l’indemnisation de la victime ; une seconde audience (après la césure) permet de prononcer la sanction la plus adaptée au regard des résultats des investigations. Le tribunal peut, s’il le juge nécessaire, placer la personne sous contrôle judiciaire ou mandat de dépôt pendant la période d’ajournement. À la suite des investigations sur la personnalité, le tribunal peut prononcer une peine d’emprisonnement, une contrainte pénale ou un sursis.
La « césure » est une procédure indispensable pour renforcer l’individualisation des peines tout en accélérant et en améliorant l’indemnisation des victimes. Elle est autorisée, s’agissant de la justice des mineurs, par l’article 24-5 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, lorsque le juge des enfants statuant en chambre du conseil, le tribunal pour enfants ou le tribunal correctionnel pour mineurs considère :
– soit que les perspectives d’évolution de la personnalité du mineur le justifient ;
– soit que des investigations supplémentaires sur la personnalité du mineur sont nécessaires.
L’affaire est alors renvoyée à une audience qui doit avoir lieu au plus tard dans les six mois.
Le présent article additionnel, adopté à l’initiative du Gouvernement après avis favorable de vos rapporteurs, complète l’article 24-5 précité, afin d’homogénéiser le régime de la césure du procès pénal des mineurs en fixant expressément l’échéance de la décision finale sur la sanction un an après la première décision d’ajournement au plus tard.
En outre, il favorise le développement du recours à la césure du procès pénal en permettant, lorsque c’est indispensable, de déborder du délai contraignant de six mois pour concilier les délais de procédure avec l’intervention éducative : il sera ainsi possible d’achever l’évaluation de la personnalité ou une séquence de mesure éducative avant de prononcer le jugement final.
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La Commission est saisie de l’amendement CL169 du Gouvernement.
M. le garde des Sceaux. Cet amendement tend à encadrer la temporalité de la césure du procès pénal dans la période d’un an en homogénéisant un régime existant.
Suivant l’avis favorable du rapporteur, la Commission adopte l’amendement. L’article 14 nonies est ainsi rédigé.
Article 14 decies (nouveau)
(art. 43 de de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante)
Possibilité de recours à la force publique pour l’exécution de mesures éducatives de placement prononcées par le juge
Cet article additionnel, adopté à l’initiative du Gouvernement après avis favorable de vos rapporteurs, introduit un fondement légal au recours à la force publique pour l’exécution des mesures éducatives de placement prononcées dans le cadre pénal, de manière à pallier les conséquences de l’article 10 de l’ordonnance du 8 juin 2006 portant recodification du code de l’organisation judiciaire, lequel avait abrogé les dispositions de l’article 5 du décret-loi des 16-24 août 1790.
Ainsi, tant le magistrat qui prend la décision ou en assure le suivi (juge des enfants, juge d’instruction, juge des libertés et de la détention) que celui qui en assure l’exécution (magistrat du parquet) pourra, après en avoir évalué la nécessité, requérir directement la force publique pour contraindre le mineur à intégrer ou réintégrer son lieu de placement.
Ce dispositif n’est pas applicable à l’égard d’un mineur devenu majeur puisque la mesure de placement ne peut, dans ce cas, se poursuivre qu’avec l’accord de l’intéressé.
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La Commission examine l’amendement CL171 du Gouvernement.
M. le garde des Sceaux. Il s’agit de rétablir la possibilité de demander l’assistance de la force publique pour l’exécution des décisions de mesures éducatives de placement en phase présentencielle, et en phase postsentencielle.
Suivant l’avis favorable du rapporteur, la Commission adopte l’amendement. L’article 14 decies est ainsi rédigé.
Chapitre IV
Dispositions améliorant la répression de certaines infractions routières
La Commission est saisie de l’amendement CL371 des rapporteurs.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Cet amendement vise à rétablir un chapitre IV dans le projet de loi, relatif à la répression de certaines infractions routières.
M. le garde des Sceaux. Avis favorable.
La Commission adopte l’amendement. Un chapitre IV est rétabli.
Article 15 A (nouveau)
(art. L. 121-3, L. 121-6, L. 130-9, L. 143-1, L. 221-2-1 [nouveau] du code de la route ;
art. 138, 530-3, 530-6, 530-7 du code de procédure pénale ; art. 132-45du code pénal)
Mesures de lutte contre l’insécurité routière
Cet article additionnel, adopté à l’initiative du Gouvernement après avis favorable de vos rapporteurs, améliore la répression de certaines infractions routières en mettant en œuvre les mesures de lutte contre l’insécurité routière proposées par le comité interministériel de sécurité routière le 2 octobre 2015.
Le I du présent article modifie le code de la route.
Il étend les possibilités de contrôle-sanction automatisé et de vidéo-verbalisation, notamment pour les infractions en matière de vitesse ou de non-respect des signalisations, afin que ce dernier dispositif puisse notamment s’appliquer en cas de contravention de défaut de port du casque ou de ceinture de sécurité (1° et 3° du I).
Il institue, pour les personnes morales propriétaires ou locataires d’une flotte de véhicules, à compter du 1er novembre 2016, l’obligation de communiquer l’identité de la personne physique qui conduisait au moment des faits, afin d’éviter son impunité, notamment en matière de perte de points. La non-communication de ces informations constituera une contravention de la quatrième classe (2° du I).
Il crée un délit spécifique de conduite d’un véhicule en faisant usage d’un permis de conduire faux ou falsifié, qui sera puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende et de plusieurs peines complémentaires, dont celle de confiscation obligatoire du véhicule, sauf décision spécialement motivée (6° du I).
Il renforce les possibilités d’immobilisation administrative, à titre provisoire, par le préfet des véhicules à l’occasion du constat par les forces de l’ordre des infractions liées au grand excès de vitesse (7° du I).
Il généralise l’interdiction de conduire un véhicule non équipé d’un dispositif homologué d’anti-démarrage par éthylotest électronique. Ce dispositif pourra désormais être imposé dans le cadre d’un contrôle judiciaire, d’un sursis avec mise à l’épreuve, d’une contrainte pénale, d’une peine aménagée ou d’une libération conditionnelle ou sous contrainte (1° du II et III).
Le II du présent article apporte par ailleurs des précisions dans le code de procédure pénale, nécessaires à la forfaitisation des contraventions de la cinquième classe et sur les conséquences de celle-ci.
Il indique que le lieu de traitement des procès-verbaux électroniques sera considéré comme le lieu de la commission des faits, ce qui donnera compétence au parquet de Rennes, où se trouve le Centre national de traitement (3° du II).
Il précise en outre que la récidive des contraventions de la cinquième classe sera également constituée si les premiers faits ont fait l’objet de la procédure d’amende forfaitaire (3° du II), et que les amendes forfaitaires seront quintuplées lorsqu’elles concerneront des personnes morales (2° du II).
Le III du présent article procède à une mesure de coordination à l’article 132-45 du code pénal afin de permettre au juge d’interdire au condamné de conduire un véhicule qui ne soit pas équipé, par un professionnel agréé ou par construction, d’un dispositif homologué d’anti-démarrage par éthylotest électronique.
Le IV du présent article fixe les modalités d’entrée en vigueur du 1° et 3° du I en renvoyant à une date fixée par décret en Conseil d’État, et au plus tard dans un délai d’un an à compter de la promulgation de la présente loi. Il précise que le 2° du I s’applique à compter du 1er novembre 2016.
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La Commission examine l’amendement CL179 du Gouvernement.
M. le garde des Sceaux. Cet amendement tend à améliorer la répression de certaines infractions routières en mettant en œuvre les décisions prises par le comité interministériel de sécurité routière le 2 octobre 2015.
Il met en place la généralisation de la mesure d’interdiction de conduire un véhicule non équipé d’un dispositif homologué d’anti-démarrage par éthylotest électronique. Ce dispositif pourra désormais être imposé dans le cadre d’un contrôle judiciaire, d’un sursis avec mise à l’épreuve, d’une contrainte pénale, d’une peine aménagée ou d’une libération conditionnelle ou sous contrainte.
Il étend les possibilités de contrôle-sanction automatisé et de vidéo-verbalisation, notamment pour les infractions en matière de vitesse ou de non-respect des signalisations, afin que ce dernier dispositif puisse notamment s’appliquer en cas de contravention de défaut de port du casque ou de ceinture de sécurité.
Il crée un délit spécifique de conduite d’un véhicule en faisant usage d’un permis de conduire faux ou falsifié, qui sera puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende et de plusieurs peines complémentaires, dont celle de confiscation obligatoire du véhicule, sauf décision spécialement motivée.
Il renforce les possibilités d’immobilisation administrative, à titre provisoire, par le préfet des véhicules à l’occasion du constat par les forces de l’ordre des infractions liées au grand excès de vitesse.
Il institue, pour les personnes morales propriétaires ou locataires d’une flotte de véhicules, à compter du 1er novembre 2016, l’obligation de communiquer l’identité de la personne physique qui conduisait au moment des faits, afin d’éviter son impunité, notamment en matière de perte de points. La non-communication de ces informations constituera une contravention de la quatrième classe.
M. Patrick Devedjian. C’est le délit de non-délation !
M. le garde des Sceaux. L’amendement apporte par ailleurs des précisions dans le code de procédure pénale, nécessaires à la forfaitisation des contraventions de la cinquième classe et sur les conséquences de celle-ci. Il précise que le lieu de traitement des procès-verbaux électroniques sera considéré comme le lieu de la commission des faits, ce qui donnera compétence au parquet de Rennes, où se trouve le Centre national de traitement.
Il précise en outre que la récidive des contraventions de la cinquième classe sera également constituée si les premiers faits ont fait l’objet de la procédure d’amende forfaitaire, et que les amendes forfaitaires seront quintuplées lorsqu’elles concerneront des personnes morales.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Avis favorable. Je rappelle que l’objectif de ce dispositif est d’améliorer la répression de certaines infractions routières.
M. Alain Tourret. Je suis toujours gêné par l’automaticité prévue pour les sanctions en matière d’infraction au code de la route – je pense en particulier à l’invalidation automatique du permis de conduire lors du retrait du douzième point. Ce procédé me semble contraire au principe général d’individualisation des peines.
Les mesures que vous proposez sont utiles, mais il faudrait réfléchir à nouveau à l’automaticité des sanctions. Je ne parviens pas à comprendre qu’une infraction relativement légère puisse avoir pour conséquence une sanction extrêmement sévère – nous avions auparavant le même problème avec la relégation.
M. Patrick Devedjian. J’ai trois raisons pour ne pas voter cet amendement.
Tout d’abord, le Parlement n’est pas la chambre d’enregistrement des décisions prises par le comité interministériel de sécurité routière, le 2 octobre dernier. C’est le Parlement qui fait la loi, pas le comité interministériel. Je suis véritablement scandalisé par le procédé !
Ensuite, M. Tourret a parfaitement raison : il ne faut pas abuser de l’automaticité. Je conviens que nous en avons parfois besoin pour accélérer les procédures et éviter l’engorgement qui empêche la justice de traiter de problèmes essentiels, mais sa généralisation nous conduit tout droit vers une société orwellienne.
Enfin, alors qu’à ce jour, l’on se contentait d’encourager la délation, le Gouvernement passe au stade de l’obligation. Nous sommes à Venise ; nous installons les bocche di leone. Après la rémunération des indicateurs – l’on voit où elle mène avec certains procès –, on en vient à l’étape supérieure : si vous ne dénoncez pas, vous serez puni ! C’est une atteinte à la liberté de conscience. Je ne voterai pas un texte aussi immoral.
M. Pascal Popelin. De quoi parlons-nous, monsieur Devedjian ? Aujourd’hui, lorsqu’ils commettent une infraction au code de la route, tous les conducteurs munis d’une carte grise s’exposent à un retrait de points du permis de conduire. Dans un cas précis, les conducteurs en infraction peuvent échapper à la sanction prévue par le droit : il faut qu’ils conduisent un véhicule de société ou de collectivité et qu’ils règlent le montant de la contravention due en timbres-amendes ou en espèces. Mais pouvons-nous nous satisfaire de cette différence de traitement ?
Tous les conducteurs doivent assumer leurs responsabilités, de même que les propriétaires des véhicules prêtés. Pourrions-nous admettre que l’on vende des points – cette pratique existe mais mérite évidemment d’être sanctionnée ?
Je ne fais pas partie de ceux qui considèrent que le Parlement a pour mission de tout accepter et d’adopter ce qu’on lui propose, mais lorsqu’on lui soumet des recommandations, comme celles du comité interministériel de sécurité routière, visant à lutter contre les conduites dangereuses, il peut parfaitement les adopter s’il le souhaite. Pour ma part, je voterai un amendement qui permet de fermer les angles morts de la répression des fraudes à la mauvaise conduite.
M. Gilbert Collard. L’amendement comporte de bonnes dispositions que j’approuve, mais si je comprends parfaitement que chacun doive assumer sa responsabilité, je suis gêné par l’installation progressive dans nos lois de la justification de la délation. Nous savons parfaitement que dès lors qu’un principe est posé dans la loi, il se diffuse. Sans créer un précédent, il instaure une référence législative. Prenons garde ! À partir du moment où le législateur vote un principe de délation – en termes plus juridiques, nous parlerions d’un principe de dénonciation –, il crée un précédent auquel il sera possible de se référer dans d’autres domaines et pour d’autres textes.
Je ne dis pas que les arguments de M. Popelin ne sont pas pertinents. Ils sont mêmes fondés. Toutefois, ils ne dissipent pas le risque psychologique et juridique pris en créant un précédent législatif qui pénalise l’absence de délation. Je crois que c’est dangereux, même si je sais qu’il est parfaitement immoral que le conducteur qui devait perdre un point échappe à cette sanction en se réfugiant derrière l’anonymat qui lui est offert. L’air de rien, on installe progressivement une habitude législative de la dénonciation, qui, personnellement, me déplaît.
M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Monsieur le ministre, l’exposé sommaire de l’amendement évoque l’institution pour « les personnes morales propriétaires ou locataires d’une flotte de véhicules, à compter du 1er novembre 2016, de l’obligation de communiquer l’identité de la personne physique » qui se trouvait au volant au moment d’une infraction. Est-il normal qu’il revienne au chef d’entreprise de faire cette déclaration ? Qu’en est-il du conducteur qui est à l’origine de l’infraction ? Tout cela me paraît juridiquement un peu curieux.
M. Patrick Devedjian. Il faudra que le chef d’entreprise mène l’enquête !
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Si le nom du conducteur était connu, le problème ne se poserait pas : c’est précisément parce qu’il n’est pas identifié que le dispositif pénal ne peut pas être mis en place.
M. Patrick Devedjian. Vous n’allez tout de même pas transformer le chef d’entreprise en policier !
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Les rapporteurs sont favorables à l’amendement. Ce qui ne doit pas être automatique, c’est le nombre de morts sur les routes de notre pays, ce sont les drames et les souffrances que cela engendre. Cela touche nos femmes, nos enfants, les membres de nos familles ; nous ne pouvons pas nous dessaisir de ce combat !
Regardons la réalité en face : après avoir fait des progrès en matière de sécurité routière, aujourd’hui, nous reculons ! Au cœur de la sécurité routière qui vise à préserver des vies, il y a la responsabilité. Elle doit être assumée par celui qui conduit, et, quand il ne peut pas être identifié, elle doit l’être par celui qui a rendu possible le fait que la personne conduise.
Le dispositif proposé par l’amendement vise un double objectif que personne ne peut contester : la sécurité routière et la responsabilité. Cette dernière doit être au cœur de toute stratégie. Si nous n’insistons pas sur la responsabilité de chacun lorsqu’il conduit, nous irons de défaite en défaite. Nous parlons d’une flotte de véhicules qui est loin d’être négligeable, sachant que les collectivités locales sont concernées. L’identification des conducteurs qui demeurent impunis et échappent aux dispositifs qui sanctionnent les citoyens lambda me paraît relever de la plus élémentaire justice.
Il appartient aux autorités qui confient un véhicule à un salarié ou à un fonctionnaire d’agir dans le cadre de la responsabilité que doit assumer un conducteur : « Je conduis ; je respecte les exigences de la sécurité routière. »
M. Philippe Houillon. Monsieur le rapporteur, d’une part, des textes obligent déjà les propriétaires de flottes de véhicules, destinés à la location de longue ou de courte durée, à communiquer l’identité des conducteurs. Il est donc inutile d’aller au-delà. D’autre part, votre vibrant plaidoyer en faveur de la responsabilité vous renvoie tout de même à une réalité : l’alcool est la cause de la plupart des morts sur la route, pas le dépassement de 10 km/h de la vitesse maximale autorisée…
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Je vous laisse la responsabilité de vos propos.
M. Philippe Houillon. Ce sont des faits, monsieur le rapporteur : l’alcool est responsable de 31 % des tués sur la route. Le problème, c’est que pour lutter contre l’alcool au volant, il faut faire des contrôles et mobiliser de nombreux personnels, alors que les radars permettent de sanctionner automatiquement tout dépassement de vitesse, même de quelques kilomètres par heure. Il n’en demeure pas moins que la vitesse n’est pas la première cause de mortalité sur la route. Cela ne m’empêche pas d’être d’accord avec vous sur la question de la responsabilité, même si j’estime qu’il ne faut pas aller trop loin dans l’argumentation.
Je pense que nous ne devons pas adopter cet amendement pour les raisons qu’a excellemment présentées M. Patrick Devedjian.
M. Patrick Mennucci. M. Philippe Houillon confond les loueurs professionnels, qui sont déjà soumis à l’obligation de communiquer l’identité des conducteurs…
M. Philippe Houillon. C’est pareil !
M. Patrick Mennucci. Pas du tout ! Une entreprise ou une municipalité qui met des véhicules à disposition de ses personnels n’est pas un loueur auquel s’appliqueraient les textes que vous évoquez. Il est donc nécessaire d’adopter l’amendement pour compléter le dispositif existant.
M. Pierre Morel-A-L’Huissier. J’approuve ce que nous dit notre rapporteur en matière de sécurité routière, mais je reste préoccupé par le fait que la non-communication de l’identité du conducteur par le représentant légal de la personne morale titulaire de la carte grise sera « punie de l’amende prévue pour les contraventions de la quatrième classe ». Le chef d’entreprise devient l’auteur d’une infraction, alors que c’est le chauffeur du véhicule qui en a commis une, et qu’il s’est abstenu de donner son identité. Il est un peu curieux que l’on reporte toute la responsabilité sur le chef d’entreprise.
M. le président Dominique Raimbourg. On reporte la responsabilité sur le chef d’entreprise s’il ne dit pas qui était au volant du véhicule.
M. Patrick Devedjian. Il ne le sait pas toujours !
M. le président Dominique Raimbourg. C’est lui qui détient cette information.
M. Patrick Devedjian. Monsieur le rapporteur, l’éthique de la responsabilité dont vous parlez s’applique au conducteur. Elle est gravement bafouée lorsqu’il ne se dénonce pas, mais elle ne concerne que ce dernier. Vous défendez une disposition qui revient à prendre un otage : vous punissez quelqu’un qui n’est pas le conducteur à la place de ce dernier. Cela vous permet d’être quitte avec votre conscience, même si vous avez fait condamner un innocent à la place du coupable. C’est parfaitement choquant.
Cela l’est d’autant plus que certaines limitations de vitesse en ville peuvent être assez discutables. Lorsque la limite est fixée à 50 km/h, vous perdez un point en roulant à 52 km/h : en l’espèce, l’éthique de la responsabilité n’est plus un principe si clair. En région parisienne, il existe aussi des axes de circulation à six voies sur lesquels la vitesse maximale autorisée est de 50 km/h. C’est pain bénit pour encaisser des contraventions car personne n’imagine une telle limitation, mais ce genre de situation n’est pas favorable au développement de l’éthique de responsabilité. Si vous ajoutez à cela le fait de choisir un innocent pour lui faire endosser la responsabilité d’une faute qu’il n’a pas commise, vous n’obtenez pas un grand progrès de la morale.
Vous faites la chasse aux « irresponsables », mais que faites-vous de ceux qui conduisent la voiture d’une vieille dame de quatre-vingt-dix ans qui ne prend jamais le volant ?
M. Patrick Mennucci. Il semblerait que certains de nos collègues n’aient jamais dirigé une collectivité locale. Je ne sais pas comment les choses se passent au conseil général des Hauts-de-Seine…
M. Patrick Devedjian. On paie !
M. Patrick Mennucci. Vous voulez dire que le contribuable paie à la place de l’auteur d’une infraction ?
Il reste que vos propos ne sont pas cohérents. Vous parlez de la condamnation d’un innocent. Ce n’est pas du tout le cas : sera condamné celui qui choisit de ne pas divulguer le nom du conducteur d’un véhicule de la flotte dont il est responsable. Nous savons tous très bien comment les choses se passent, et tous les élus locaux ont entendu des chauffeurs de collectivité se féliciter d’échapper au retrait de points de permis. Aujourd’hui, il faut que tout cela s’arrête.
Il n’y a pas de mise en cause d’un innocent. Lorsque le maire, le président d’une institution, le président-directeur général, ou le chef d’entreprise qui représente la personne morale titulaire de la carte grise d’un véhicule est saisi par l’administration du fait qu’une infraction a été commise au volant de ce dernier, il est en mesure d’identifier le conducteur, et il peut parfaitement le faire convoquer pour l’informer de la situation. Aujourd’hui, et cela me paraît particulièrement grave, il arrive que des conducteurs ne soient même pas avertis qu’un point devrait leur être retiré. Si votre patron veut vous faire une fleur ou que le président du conseil général fait payer les contribuables pour vous, vous ne saurez jamais que vous méritiez un retrait de point de permis ; vous ne vous amenderez donc jamais !
M. Alain Tourret. On ne peut pas laisser dire ici qu’on a la possibilité de payer des amendes pour quelqu’un d’autre. Si c’est l’entreprise qui paye, c’est à l’évidence un abus de biens sociaux et si c’est l’administration, c’est également une faute pénale.
M. Patrick Devedjian. Monsieur Tourret, je n’ai jamais dit que c’était l’administration qui payait. C’est l’agent qui a commis l’infraction qui paie.
M. Patrick Mennucci. Il est donc identifié.
M. Patrick Devedjian. Il peut être identifié parce qu’il paie. Mais l’administration ne va pas rechercher dans les flottes qui est le payeur. En fait, il est proposé ici qu’elle transfère sa charge d’investigation sur la collectivité ou sur l’entreprise.
M. le président Dominique Raimbourg. Il n’y a donc aucun souci pour l’identifier. Et si on peut l’identifier, on peut transmettre son nom.
M. le garde des Sceaux. Pour la première fois depuis 1980, la mortalité sur les routes françaises a augmenté deux années de suite. L’année dernière, 3 464 personnes ont été tuées. Tous les moyens me semblent donc bons pour faire baisser ce chiffre.
Vous avez employé des mots très forts. Vous avez parlé de « délation », de « dénonciation », et vous avez dit que le dispositif proposé visait à prendre en otage le chef d’entreprise ou l’administration. Il ne s’agit pas ici de prendre quiconque en otage. Mais leur responsabilité n’est-elle pas d’abord d’identifier ceux qui utilisent la flotte de véhicules ? Relisez l’amendement : il vise à assumer la transparence. L’entreprise doit savoir à qui elle confie ses véhicules. Si elle ne le dit pas, elle doit être poursuivie.
Le Gouvernement maintient ce qui est non pas une décision mais une proposition du comité interministériel de sécurité routière faite au Parlement.
M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Monsieur le garde des Sceaux, il me semble qu’un commissaire aux lois peut poser des questions sur l’application que peut avoir un amendement. Que se passe-t-il si le chauffeur dénie qu’il a conduit le véhicule ? Le chef d’entreprise doit-il faire une enquête au sein de son entreprise ? Et que fait-on si le chauffeur dit qu’il n’a pas conduit le véhicule ce jour-là ?
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Il faut regarder les carnets de bord.
M. le président Dominique Raimbourg. Il faut faire une enquête.
M. Patrick Devedjian. En fait, le parquet transfère l’enquête sur le chef d’entreprise !
La Commission adopte l’amendement. L’article 15 A est ainsi rédigé.
Article 15 (suppression conforme)
La Commission maintient la suppression de cet article.
Article 15 bis A (nouveau)
(art. L. 221-2 et L. 324-2 du code de la route ; section 9 [nouvelle] du chapitre Ier du titre I du livre II du code de procédure pénale)
Application de la procédure de l’amende forfaitaire à certains délits routiers
Cet article additionnel, adopté à l’initiative de vos rapporteurs après avis favorable du Gouvernement, propose d’appliquer la procédure d’amende forfaitaire aux délits de défaut de permis de conduire ou de défaut d’assurance.
Contrairement à l’article 15 du projet de loi initial, il ne prévoit pas de transformer en contravention les délits de conduite sans permis et de conduite sans assurance, parce que cette modification risquerait d’être comprise comme un affaiblissement des sanctions.
Toutefois, afin de parvenir à l’objectif recherché, c’est-à-dire l’amélioration de la répression des infractions routières, il propose, de la même manière qu’en 2002 la loi "Perben I" a étendu à certains délits, spécialement aux délits prévus par le code de la route, la procédure de l’ordonnance pénale qui n’existait depuis 1972 que pour les contraventions, de prévoir une extension du mécanisme de l’amende forfaitaire actuellement possible pour les contraventions aux délits routiers, avec des amendes plus élevées.
Cette procédure de l’amende forfaitaire délictuelle sera ainsi applicable au délit de conduite sans permis (1° du I) ou sans assurance (2° du I). Pour le délit de conduite sans permis, l’amende forfaitaire est fixée à 800 euros, minorée à 640 euros et majorée à 1600 euros ; pour le délit de conduite sans assurance, l’amende forfaitaire est fixée à 500 euros, minorée à 400 euros et majorée à 1000 euros.
Le mécanisme retenu est calqué sur celui des amendes forfaitaires contraventionnelles prévu par le code de procédure pénale et donne lieu à la création d’une nouvelle section 9 au chapitre Ier du Titre II du Livre II du même code (II).
L’auteur de l’infraction devra payer l’amende forfaitaire dans les 45 jours, sauf requête en exonération, et avec la possibilité de payer plus vite une amende minorée ; à défaut, il devra payer une amende majorée, sauf réclamation. La requête ou la réclamation exigera la consignation préalable de l’amende.
Cette procédure sera exclue en cas de récidive légale des délits concernés (exclusion existant pour l’ordonnance pénale délictuelle), de commission simultanée d’une infraction non forfaitisée (exclusion existant pour l’amende forfaitaire contraventionnelle), et en cas de commission des faits par un mineur.
Ainsi, sur instructions générales précises de politique pénale du garde des Sceaux, relayées par les parquets aux forces de l’ordre, la procédure d’amende forfaitaire délictuelle pourra être utilisée pour ces délits uniquement en l’absence de réitération, de récidive ou de commission d’autres infractions. Dans ces hypothèses, ces faits pourront donner lieu à des procès-verbaux électroniques, transmis au Centre national de traitement de Rennes qui, sauf en cas de paiement immédiat, adressera de façon automatisée les amendes forfaitaires aux intéressés. Le procureur de la République de Rennes aura une compétence nationale pour délivrer les titres exécutoires d’amende forfaitaire majorée (AFM) en cas de non-paiement, ou pour recevoir et répartir les contestations aux parquets du domicile des auteurs.
Cette réforme présente l’avantage de conserver les délits existant avec, pour le délit de défaut de permis, la peine d’emprisonnement encourue (permettant notamment si nécessaire un placement en garde à vue), et d’éviter les débats sur la création des délits maintenus en cas de répétition.
Elle est également dissuasive parce que l’amende forfaitaire encourue par un primo-délinquant est plus élevée que celle actuellement infligée par les tribunaux. Selon les chiffres transmis par le Gouvernement, les délits de conduites sans assurance ont fait l’objet, l’année dernière, de 27 900 condamnations. La réponse majoritaire a été l’amende dans 84 % des cas, qui s’élève à 297 euros. Les conduites sans permis ont fait l’objet, en 2014, de 28 528 condamnations. Là aussi, la réponse majoritaire a été l’amende dans 69 % des cas, avec une moyenne de 396 euros.
Cette réforme permettra enfin de désengorger les tribunaux. Actuellement, le délai moyen de réponse pénale est de huit mois et demi pour les défauts d’assurance et de sept mois et demi pour les conduites sans permis. La réforme proposée permettra d’aller beaucoup plus vite.
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La Commission examine l’amendement CL372 des rapporteurs.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Cet amendement vise à forfaitiser certains délits routiers. Il ne prévoit plus, comme dans le projet de loi initial, de transformer en contravention les délits de conduite sans permis et de conduite sans assurance, car cette modification serait porteuse d’une incompréhension.
Toutefois, afin de parvenir à l’objectif d’amélioration de l’efficacité, de la rapidité, de la certitude et de l’homogénéité de la répression des infractions routières, je vous propose l’extension du mécanisme de l’amende forfaitaire actuellement possible pour les contraventions à deux délits routiers avec évidemment des amendes plus élevées. Pour le délit de conduite sans permis, le montant de l’amende serait de 800 euros, minoré à 640 euros et majoré à 1 600 euros. Pour le délit de conduite sans assurance, le montant de l’amende serait de 500 euros, minoré à 400 euros et majoré à 1 000 euros. Le mécanisme retenu est calqué sur celui des amendes forfaitaires contraventionnelles.
Cette procédure est exclue en cas de récidive légale des délits concernés – exclusion existant pour l’ordonnance pénale délictuelle –, de commission simultanée d’une infraction non forfaitisée – exclusion existant pour l’amende forfaitaire contraventionnelle –, et en cas de commission des faits par un mineur.
Cette solution présente l’avantage de conserver les délits existants avec, pour le délit de défaut de permis, la peine d’emprisonnement encourue, permettant notamment si nécessaire un placement en garde à vue, et d’éviter les débats sur la création des délits maintenus en cas de répétition.
Cette disposition permettra également d’alléger le processus judiciaire des audiences, au moins sur la partie des deux infractions concernées.
M. le garde des Sceaux. Cet amendement concerne le délit de conduite sans assurance et le délit de conduite sans permis, deux contentieux de masse dans les juridictions. La mesure proposée est intéressante, d’abord parce que le forfait proposé est au-dessus de la réalité. Les conduites sans assurance ont fait l’objet, l’année dernière, de 27 900 condamnations. La réponse majoritaire a été l’amende dans 84 % des cas, qui s’élève à 297 euros.
Les conduites sans permis ont fait l’objet, en 2014, de 28 528 condamnations. Là aussi, la réponse majoritaire a été l’amende dans 69 % des cas, avec une moyenne de 396 euros.
La sanction que vous proposez est plus forte, et c’est très bien. Actuellement, le délai moyen de réponse pénale est de huit mois et demi pour les défauts d’assurance et sept mois et demi pour les conduites sans permis. La mesure que vous prévoyez permettra un processus judiciaire plus rapide.
Le Gouvernement remercie les rapporteurs de défendre cette solution originale qui n’avait jamais été avancée et qui porte sur un contentieux de masse, balisé juridiquement parce que la Cour de cassation et le Conseil constitutionnel ont déjà validé, en 2010 puis 2011, dans une question prioritaire de constitutionnalité, ce principe des amendes forfaitaires.
M. Alain Tourret. C’est effectivement une très bonne proposition.
Le nombre de condamnations que vous indiquez, Monsieur le garde des Sceaux, semble extrêmement faible. Il me semble avoir entendu que près d’un million de personnes conduisaient sans permis.
M. le garde des Sceaux. Ce qui est visé ici, c’est uniquement cette infraction. Or il peut y avoir une accumulation d’infractions.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Ce sont les primo-délinquants !
M. Patrick Devedjian. Monsieur le garde des Sceaux, c’est d’autant plus un bon dispositif que nous l’avions déjà proposé, M. Raimbourg et moi-même, en tant que co-rapporteurs de la commission de préfiguration que vous aviez instituée alors que vous étiez président de la commission des Lois. Je suis heureux que cette proposition, par ailleurs très raisonnable, soit reprise car elle aura l’avantage de désengorger la justice qui est totalement enlisée dans plusieurs contentieux de masse, dont celui-ci en particulier.
J’indique à M. Tourret que cela ne vise que les primo-délinquants, ce qui explique la relative modération de la répression, dont le montant sera ajustable avec le temps. Ce qui compte, c’est l’institution du principe et de sortir du dispositif actuel qui, en réalité, aboutit à l’impunité car l’engorgement est tel que, dans la pratique, on ne poursuit plus. Ce dispositif va permettre de poursuivre les contrevenants, même si on le fait avec modération. Mais rien n’interdit à la justice d’être modérée.
M. le garde des Sceaux. Le chiffre de 1 million dont parle M. Tourret correspond peut-être à une estimation de ceux qui conduisent sans permis, pas de ceux qui sont condamnés.
La Commission adopte l’amendement. L’article 15 bis A est ainsi rédigé.
Article 15 bis B (nouveau)
(chapitre III bis [nouveau] du Titre II du Livre II et art. L. 225-3 à L. 225-5 et art. L. 311-2 et
L. 322-1-1 [nouveaux] du code de la route)
Mesures de lutte contre les contournements de la loi en matière de contrôle automatisé
Cet article additionnel, adopté à l’initiative du Gouvernement après avis favorable de vos rapporteurs, introduit diverses dispositions nouvelles afin de mettre en œuvre les propositions du comité interministériel de sécurité routière du 2 octobre 2015 pour lutter contre les contournements de la loi en matière d’infractions routières.
Il est proposé de :
– créer un permis à points virtuel pour les contrevenants non-résidents sur le territoire national afin d’améliorer la lutte contre l’insécurité routière et restaurer l’égalité de traitement entre les conducteurs. Cette mesure permettra notamment de réduire le nombre d’excès de vitesse constatés et le risque d’accidents qui y sont liés (1° à 3° du présent article) ;
– affiner la connaissance statistique des accidents de la route afin d’améliorer leur prévention (4° du présent article) ;
– permettre aux agents, dont la liste sera fixée par décret en Conseil d’État, telles les forces de l’ordre, d’accéder aux données et informations du véhicule et notamment aux systèmes de diagnostic embarqués, dans le cadre du contrôle et du respect des dispositions techniques liées aux véhicules (6° du présent article) ;
– exiger la désignation d’une personne titulaire du permis de conduire correspondant au type de véhicule à immatriculer pour procéder à cette immatriculation (6° du présent article).
Cet article additionnel permettra de lutter contre les contournements de la loi en matière de contrôle automatisé.
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La Commission examine l’amendement CL180 rectifié du Gouvernement.
M. le garde des Sceaux. Le comité interministériel de sécurité routière propose un certain nombre de mesures : affiner la connaissance statistique des accidents de la route afin d’améliorer leur prévention ; permettre aux agents, dont la liste sera fixée par décret en Conseil d’État, et notamment aux forces de l’ordre, dans le cadre du contrôle et du respect des dispositions techniques liées aux véhicules, d’accéder aux données et informations du véhicule et notamment aux systèmes de diagnostic embarqués ; exiger la désignation d’une personne titulaire du permis de conduire correspondant au type de véhicule à immatriculer pour procéder à l’immatriculation de ce véhicule. Il permettra ainsi de lutter contre les contournements de la loi en matière de contrôle automatisé. Cette mesure assure l’égalité de tous les usagers devant la loi pénale afin que l’infraction commise par le conducteur d’un véhicule aboutisse effectivement au paiement de l’amende et au retrait des points.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Nous sommes favorables à ce dispositif dont nous avions parlé avec le Gouvernement. Nous le remercions d’avoir répondu à la suggestion des rapporteurs de supprimer la mention « notamment » qui figurait dans l’amendement CL180. On puise là dans la source d’inspiration des présidents de commission des Lois actuel et antérieur.
La Commission adopte l’amendement. L’article 15 bis B est ainsi rédigé.
Chapitre V
Dispositions relatives à la procédure devant la Cour de cassation
La Commission est saisie de l’amendement CL167 du Gouvernement.
M. le garde des Sceaux. Cet amendement vise à renommer le chapitre V, qui concernera la Cour de cassation. En la matière, j’ai des propositions de simplifications à vous faire.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Favorable.
La Commission adopte l’amendement.
Article 15 bis (nouveau)
(art. 370, 567, 567-2, 574-1, 574-2, 584, 585, 585-1, 586
et 588 du code de procédure pénale)
Représentation obligatoire devant la chambre criminelle
Cet article additionnel, introduit par voie d’amendement en séance publique au Sénat, à l’initiative de MM. Mézard et Collombat, contre l’avis du rapporteur et du Gouvernement, pose le principe de la représentation obligatoire devant la chambre criminelle de la Cour de cassation par un avocat aux Conseils.
Il complète l’article 370 du code de procédure pénale qui fixe les modalités d’information des parties sur un éventuel pourvoi par le président de la cour d’assises, statuant en appel, afin de préciser que la représentation par un avocat est obligatoire. Il complète également l’article 567 du même code qui précise les formes du pourvoi en cassation, pour indiquer les modalités de désignation de l’avocat devant la chambre criminelle.
Ces modifications reprennent une recommandation formulée depuis plusieurs années dans le rapport annuel de la Cour de cassation, et qui avait été adoptée par le Sénat, à l’initiative de MM. Robert Badinter et Pierre-Yves Collombat, lors de l’examen de la loi n° 2007-291 du 5 mars 2007 tendant à renforcer l’équilibre de la procédure pénale.
Cet article serait justifié par le fait que, rendre obligatoire le recours au ministère d’avocat aux Conseils devant la chambre criminelle offrirait de meilleures chances aux justiciables de voir aboutir leur pourvoi. Il est avancé pour le justifier que :
– près de 40 % des pourvois formés devant la chambre criminelle ne sont pas soutenus par un mémoire écrit, en dépit de la possibilité théoriquement offerte au justiciable, qui forme lui-même un pourvoi en matière pénale de présenter un mémoire personnel, exposant les moyens qu’il propose à l’appui de ce pourvoi ;
– lorsqu’il existe un mémoire, la grande majorité des pourvois donnant lieu à une non-admission, traduisant l’absence de moyens sérieux concerne des mémoires personnels, qui n’ont pas su s’adapter aux exigences de la technique de cassation et au rôle spécifique de la chambre criminelle.
Pour autant, le Gouvernement et le rapporteur ont émis un avis défavorable en séance publique considérant, principalement, que cet article additionnel constitue une potentielle entrave à l’accès au juge à travers la représentation obligatoire par un avocat.
En effet, les justiciables dont le niveau de ressources est inférieur à 1 000 euros pourront bénéficier de l’aide juridictionnelle à 100 %, mais ceux dont le niveau de ressources est un peu supérieur, sans pour autant être important, devront assurer eux-mêmes le coût de l’avocat. Cette conséquence n’est pas négligeable. Elle mérite que soient mesurés les effets possibles de cette obligation de représentation.
Vos rapporteurs considèrent que cette disposition impose des mesures d’accompagnement budgétaires, sauf à prendre le risque d’entraver l’accès au juge en matière pénale pour les personnes percevant des revenus supérieurs à 1 000 euros, ce qui est contraire à l’esprit de ce texte que de rendre la justice, toute la justice, accessible aux justiciables.
Compte tenu de ces difficultés, le Gouvernement a proposé une rédaction alternative de l’article 15 bis afin de limiter la représentation obligatoire par un avocat en cas de pourvoi en cassation devant la chambre criminelle aux seules condamnations ayant prononcé une peine autre qu’une peine privative de liberté sans sursis. En outre, la déclaration de pourvoi prévue aux articles 576 et 577 du code de procédure pénale reste dispensée de représentation obligatoire. La réforme entrera en vigueur le premier jour du douzième mois suivant la promulgation de la présente loi.
Suivant l’avis favorable de vos rapporteurs, la commission des Lois a adopté l’article 15 bis ainsi modifié.
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La Commission examine l’amendement CL279 de Mme Colette Capdevielle.
Mme Cécile Untermaier. Le présent amendement vise à supprimer l’article 15 bis.
Nous comprenons bien que la Cour de cassation et les avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, dont nous saluons le travail, souhaitent renforcer l’effet de barrage que peuvent faire valoir ces officiers ministériels. J’indique au passage que, au vu de la complexité de la procédure de pourvoi, on pourrait s’interroger aussi sur sa simplification.
Contrairement à l’esprit du texte, ce nouvel article ne facilite pas l’accès à la justice et crée une situation de monopole au profit des avocats à la Cour de cassation. Le pourvoi devant la chambre criminelle ne doit pas, à notre sens, souffrir d’un tel obstacle. Nous proposons donc de supprimer ces dispositions qui ne vont pas dans le sens voulu par le législateur dans le cadre de la justice du XXIe siècle. Des dispositions antérieures ont d’ailleurs été prises par le législateur s’agissant des avocats au Conseil et à la Cour de cassation.
M. le président Dominique Raimbourg. Monsieur le garde des Sceaux, l’amendement CL161 du Gouvernement tend, quant à lui, à prévoir une nouvelle rédaction de l’article 15 bis. Je vous propose donc de le présenter.
M. le garde des Sceaux. L’amendement CL161 vise en effet à récrire l’article 15 bis et reporte d’un an l’entrée en vigueur de la réforme.
C’est une réforme dont je peux comprendre qu’elle surprenne. Mais il faut convenir que les pourvois en cassation sont très particuliers. On peut avoir le sentiment, comme vient de le dire Mme Untermaier, que les avocats au Conseil ont un monopole pour un travail qui est assez badin. Or, comme le prouvent les statistiques publiées par la Cour de cassation dans ce domaine, on a beaucoup plus de difficultés à se faire entendre sur des points de droit quand on ne s’appuie pas sur un avocat au Conseil – le juge de cassation ne jugeant pas pour l’essentiel les faits, mais le droit.
Le Sénat, à l’initiative de M. Jacques Mézard, a adopté un article qui rend obligatoire le ministère d’avocat au Conseil en cas de pourvoi formé en matière pénale au motif que si l’on ne s’appuie pas sur le savoir-faire d’un avocat au Conseil, on risque de ne pas obtenir satisfaction. Je le rappelle, dans d’autres chambres que la chambre criminelle, le recours à un avocat au Conseil est déjà une réalité, avec des résultats pour le justiciable nettement supérieurs à ceux de la chambre criminelle.
L’intérêt de l’amendement de M. Jacques Mézard, que le Gouvernement ne souhaitait pas voir adopté, visait à lutter contre les pouvoirs dilatoires et ceux qui sont, la plupart du temps infondés par méconnaissance, par le justiciable, des moyens qu’il peut appeler à la défense de la cause.
Je précise que la Cour de cassation souhaite cette réforme. Toutefois, le dispositif envisagé par le Sénat paraît compliqué.
Pour répondre à ces difficultés, le Gouvernement propose que la représentation obligatoire par un avocat au Conseil en cas de pourvoi en cassation ne s’applique que pour les pourvois portant sur des condamnations ayant prononcé une peine autre qu’une peine privative de liberté. Cela évite l’intervention obligatoire d’un avocat au Conseil pour les contentieux de l’instruction préparatoire et notamment de la détention provisoire, ou en cas de condamnation à une peine d’emprisonnement ferme.
Enfin, cet amendement correspond aux attentes de Mme Untermaier.
M. Alain Tourret. Le sujet est très complexe.
Je suis extrêmement respectueux de la technicité que l’on doit développer lorsque l’on est avocat à la Cour de cassation s’agissant de la rédaction des moyens de cassation. C’est incontestablement une gymnastique intellectuelle complexe. Si elle n’est pas bien faite, les magistrats soulèvent un certain nombre d’irrecevabilités.
Il ne faudrait pas pour autant que le droit de saisir la Cour de cassation soit diminué car c’est un droit absolu. Notre système comprend trois niveaux : première instance, appel, Cour de cassation. Diminuer la possibilité de saisir cette dernière au motif qu’il y a trop de pourvois serait, selon moi, un non-sens juridique.
Cela correspond-il à la situation ? Mon ami Me Foussard m’a indiqué qu’il y avait, depuis plusieurs années, une diminution des pourvois.
Le droit absolu de savoir pourquoi on a gagné ou perdu est actuellement réduit dans de grandes proportions puisque la Cour de cassation renvoie en général au rapport qui est fait et ne modifie pas ou très peu, ce qui était déjà le cas d’ailleurs des juridictions administratives. On s’aligne donc sur une absence globale de motivation. Je le dis avec force : l’absence de motivation est un scandale absolu. Nous avons le droit, en tant que justiciables, de savoir pourquoi nous sommes condamnés, ou pourquoi nous avons gagné. Il y a là un affaiblissement de la juridiction suprême qu’il ne faut pas admettre.
Vous me répondrez que l’on devrait limiter le nombre de pourvois aux affaires de principe. Si j’entends cet argument, il faut cependant être très attentif : le droit à la justice est un droit fondamental. Tout ce qui tend à le diminuer est une restriction des libertés.
M. Patrick Devedjian. Pour une fois, je suis en désaccord avec M. Tourret.
Chacun a le droit à la justice. Mais la justice, ce n’est pas seulement l’accès à la Cour de cassation. Encore faut-il que les décisions soient rendues dans des délais raisonnables. Or, Pierre Drai, un ex-président de la Cour de cassation, disait que la justice apporte des réponses mortes à des questions mortes. Si l’on suivait la philosophie de M. Tourret, la Cour de cassation serait très largement encombrée – elle l’est déjà beaucoup plus que les autres juridictions suprêmes des autres pays. Cette spécificité française fait que les arrêts sont rendus très longtemps après. Comme l’a dit le garde des Sceaux, le justiciable a intérêt, quand il fait un pourvoi, à avoir recours à la technicité d’un spécialiste.
Je veux dire à Mme Untermaier, qui pointait le corporatisme des avocats au Conseil, qu’en réalité la seule chose qui soit choquante, c’est le numerus clausus. Peut-être pourrons-nous nous pencher un jour sur cette question. La technicité du recours en cassation exige un professionnel, sinon le recours n’est que dilatoire – tous les professionnels du droit le savent bien.
Il ne faut pas oublier que la Cour de cassation est à l’origine de cette demande. D’ailleurs, il est assez rare de voir les magistrats vouloir faire la fortune des avocats. En fait, si elle le demande, c’est parce que c’est son intérêt propre.
Je soutiens donc cet amendement.
M. Philippe Houillon. Je veux m’assurer que la déclaration de pourvoi est dispensée du ministère d’avocat au Conseil, c’est-à-dire que ce n’est pas une condition de recevabilité du pourvoi car je vous rappelle qu’en matière pénale le pourvoi est de cinq jours à compter du prononcé. Quand on est détenu et que l’on n’a pas droit à l’aide juridictionnelle, il n’est pas toujours évident de trouver un avocat au Conseil en cinq jours.
En réalité, il s’agit d’une demande de la Cour de cassation qui souhaite qu’il y ait un avocat au Conseil dans toutes les matières. La Cour a réussi, petit à petit, à ce qu’on légifère en matière sociale. Le dernier bastion qui restait, c’était celui-ci. Nous y voilà !
La mesure est présentée comme une garantie. On nous dit en effet régulièrement que beaucoup plus de pourvois aboutiraient s’ils étaient présentés par des professionnels. C’est à peu près ce que vous avez dit également, monsieur le garde des Sceaux. Mais alors pourquoi en dispenser, si j’ai bien compris, les personnes condamnées à une peine ferme qui auraient d’autant plus besoin de garanties et de compétence ? Quelle est la logique ?
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Monsieur Houillon, l’amendement prévoit de laisser la possibilité aux personnes condamnées à une peine ferme de ne pas recourir à un avocat à la Cour de cassation car il vise notamment à réduire les actions dont l’objectif final est de retarder les choses. Toutefois, rien n’interdit à ces personnes de recourir à un avocat à la Cour de cassation si elles le souhaitent.
Les arguments échangés sont tous d’une extrême pertinence. Dès lors, ils sont, à un moment donné, porteurs d’une contradiction et d’une complexité de décision.
Comme Mme Untermaier et nos collègues du groupe Socialiste, les deux rapporteurs étaient favorables à la suppression de l’article 15 bis parce que nous considérions que la rédaction issue du Sénat n’était pas acceptable. De même, le Gouvernement s’y était opposé et la commission des Lois du Sénat ne l’avait pas adopté.
Nous avons bien compris que le souci des chefs de juridiction, des magistrats et des avocats au Conseil est de régler la complexité et le stock des saisines de la Cour de cassation. Les rapporteurs considèrent que le recours à la Cour de cassation relève du droit du justiciable. Aussi devenons-nous être extrêmement attentifs à ce que la saisine soit possible pour le citoyen. Nous ne devons pas créer des obstacles de délais ou de coûts, deux paramètres qui peuvent entamer le dispositif juridictionnel et être considérés par la Cour de cassation, le Conseil constitutionnel et la Cour européenne des droits de l’homme comme mettant en cause le droit et la liberté d’ester.
On peut craindre de se retrouver dans la situation où les acteurs du fonctionnement habituel de la Cour de cassation n’aient comme seul critère que la quantité des pourvois et comme seul objectif leur réduction. Or, il n’est pas de saine justice que la diminution des pourvois soit un critère d’efficacité du processus juridictionnel. Il convient plutôt de supprimer le plus possible les causes de pourvois. Cela signifie que les jugements doivent être bien rendus, que les cours d’appel statuent bien et que le processus juridictionnel ne donne pas l’occasion d’une saisine.
L’objectif du nombre de pourvois ne peut pas être un critère à lui seul pour justifier l’organisation d’une saisine.
Sous réserve de cette observation, nous pensons que l’intervention obligatoire d’un avocat au conseil est susceptible d’améliorer l’efficacité du pourvoi – tous nos interlocuteurs nous l’ont dit. La proportion des arrêts cassés ou annulés est en effet beaucoup plus importante lorsque le recours a été fait par un avocat.
Nous aurions donc donné un avis favorable à l’amendement présenté par Mme Untermaier, mais au vu de la proposition du Gouvernement, nous nous rallions à son amendement. Ce n’est qu’une étape et il faudra vérifier qu’il ne porte pas atteinte au droit d’ester en justice, point fondamental, pour nous. Les arguments pertinents de chacun d’entre vous doivent être dépassés pour aboutir à une solution, et celle proposée par le Gouvernement nous semble en l’état la plus adéquate.
M. le garde des Sceaux. M. Philippe Houillon a raison de dire qu’il s’agit d’une volonté de la Cour de cassation. Le débat qui nous anime avait déjà eu lieu lors de l’instauration du recours obligatoire aux avocats aux conseils devant la chambre sociale de la Cour de cassation. Certains craignaient que l’on n’interdise ainsi le recours à la Cour de cassation. Mais cette mesure n’a produit aucun cataclysme, au contraire : les statistiques démontrent que l’efficacité des pourvois a été renforcée.
M. Alain Tourret a fait mention d’un « droit absolu » à saisir la Cour de cassation, je ne suis pas certain de me retrouver dans cette expression. La Cour européenne des droits de l’homme s’est prononcée sur ce sujet et a estimé que pour des raisons de bonne administration de la justice, il était possible de prévoir l’encadrement du recours en cassation.
Notre système permet l’appel des décisions de justice, la Cour de cassation n’est pas un troisième degré de juridiction, elle juge le droit. Elle doit garantir l’unité du droit, mais elle ne peut plus le faire aujourd’hui car elle est noyée par les pourvois. C’est pourquoi je proposerai un amendement créant un filtre pour accéder à la Cour de cassation, comme il en existe dans toutes les cours suprêmes européennes. Nous sommes les derniers à refuser de fonctionner ainsi, et la Cour de cassation ne fait plus le travail pour lequel elle avait été imaginée.
Mme Cécile Untermaier. Cet amendement est défendu par le groupe Socialiste, républicain et citoyen, et nous considérons que la réflexion qui a été engagée dans la loi relative à la croissance et à l’activité doit se poursuivre. Le dispositif proposé, qui vient encore restreindre les possibilités d’accès à la Cour de cassation, ne va pas dans le sens que nous souhaitons.
La Commission rejette l’amendement CL279.
Puis elle adopte l’amendement CL161.
En conséquence, l’article 15 bis est ainsi rédigé.
Après l’article 15 bis
La Commission examine l’amendement CL166 du Gouvernement.
M. le garde des Sceaux. Depuis de nombreuses années, la Cour de cassation est annuellement saisie de près de 25 000 à 30 000 pourvois, et rend autant de décisions dans des délais qui, chacun le comprendra, ne sont pas courts. Nombre de ces contentieux portent sur des questions dites « disciplinaires », tenant essentiellement à la motivation des décisions. Cela influe directement sur l’autorité de ses décisions.
C’est pourquoi il faut permettre à la Cour de cassation de mieux assurer son rôle de cour suprême de l’ordre judiciaire, en valorisant sa mission d’unification et de clarification du droit. À cet effet, elle doit pouvoir se prononcer sur toutes les affaires qui posent une question de principe. De même, elle doit pouvoir se prononcer chaque fois que l’évolution du droit le justifie. Enfin, il convient qu’elle puisse unifier les jurisprudences.
Le mécanisme proposé permet à la Cour de ne traiter que les affaires relevant véritablement de son office de juge du seul droit, aux fins de développement et d’unification de la jurisprudence, dans les affaires posant une question de droit nouvelle ou particulièrement délicate.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Cet amendement a soulevé autant de questions que celui dont nous venons de débattre.
Nous n’avons pas évoqué ce sujet lors des auditions auxquelles nous avons procédé, le caractère un peu inopiné de ce dispositif ne nous ayant pas permis de le faire. Vos rapporteurs considèrent que ce processus est susceptible, à terme, de modifier la place de la Cour de cassation au sein des institutions juridictionnelles. Monsieur le garde des Sceaux, vous avez d’ailleurs utilisé les termes de « cour suprême », en prenant soin de préciser « de l’ordre judiciaire ». Il est important de mesurer les conséquences institutionnelles des conditions dans lesquelles le justiciable peut saisir la Cour de cassation.
Nous nous posons donc un certain nombre de questions, et la rédaction de l’amendement n’a pas permis de les éclaircir.
En premier lieu, cet amendement réduit l’accès des justiciables à la Cour de cassation, ce qui soulève à nouveau les problèmes évoqués lors de la discussion de l’amendement précédent.
En second lieu, l’amendement créé une distinction entre les motifs d’ouverture des recours en matière civile et en matière pénale. Nous ne comprenons pas les raisons de fond cette différence. Ainsi, le recours en cassation n’est pas possible en matière civile en cas de violation de la loi alors qu’il le serait en matière pénale. Il faut expliquer pourquoi une telle distinction a été proposée.
En matière civile, lorsque la décision attaquée encourt un grief disciplinaire, l’amendement renvoie ensuite à une formation restreinte de la Cour de cassation. Cette formulation appelle des explications de la part du Gouvernement, aujourd’hui ou en séance publique. Qu’est-ce qu’un grief disciplinaire, et pourquoi recourir à une formation restreinte dans ce cas ?
Enfin, nous ne connaissons pas l’impact de la réforme proposée pour les justiciables, et pour la Cour de cassation.
Pour ces raisons, les rapporteurs sont extrêmement réticents sur cet amendement. Cette démarche dépasse une simple tentative d’améliorer la saisine de la Cour de cassation. Elle est sûrement pertinente, mais ne peut pas être engagée dans le cadre de ce projet de loi. Nous suggérons plutôt que le Gouvernement retire cet amendement et ouvre une réflexion. Je crois d’ailleurs qu’une telle réflexion est en cours au sein du ministère de la justice avec l’ensemble des acteurs qui font fonctionner la Cour de cassation, et qu’elle n’a pas encore abouti.
Nous serions ennuyés de rejeter certains aspects du dispositif qui sont pertinents, mais qui ne peuvent pas, à nos yeux, être mis en œuvre sans envisager l’ensemble des fonctionnalités de la Cour de cassation, son rôle et sa vocation – tout cela devant être fait à l’aune de nos institutions.
M. Philippe Houillon. Je suis d’accord avec notre rapporteur. Je ne suis pas hostile à l’idée d’un filtre, pour les raisons exposées par le garde des Sceaux. Un certain nombre de juridictions « suprêmes » font ainsi, dont le Conseil d’État.
Mais ce n’est pas un filtre que vous proposez : vous modifiez les conditions de recevabilité du pourvoi, et celles que vous proposez sont extrêmement subjectives. Ainsi, vous imposez que le pourvoi présente un intérêt pour l’évolution du droit. Mais est-ce qu’il appartient à la partie qui va former un pourvoi en cassation, et qui risque une amende civile, de juger si son pourvoi présente un intérêt pour l’évolution du droit ? Ou s’il présente un intérêt pour l’unification de la jurisprudence ?
De plus, vous ne nous dites rien des réflexions en cours à la chancellerie sur la limitation du périmètre de l’appel, dont le conseil national des barreaux s’émeut. On ne peut pas considérer les conditions de recevabilité des pourvois en cassation sans savoir ce qui va se passer s’agissant du périmètre de l’appel.
Je serais beaucoup moins gêné que le rapporteur de voter contre l’amendement du Gouvernement (sourires), mais il me semble comme lui que le retrait serait une bonne solution, car il faut étudier ce sujet dans un cadre beaucoup plus ample.
M. Alain Tourret. Ce sujet mérite quelques instants de réflexion.
Je viens de me faire communiquer un certain nombre de chiffres. En matière civile, depuis dix ans, le nombre de pourvois décroît régulièrement. Ainsi, 20 412 pourvois ont été enregistrés en 2015, contre 21 295 en 2014, soit une baisse de 4 %. À titre incident, il y a lieu de remarquer que sur les 20 000 pourvois enregistrés, seuls 15 000 sont instruits, les autres donnant lieux à des désistements ou des déchéances.
En matière pénale, le nombre d’affaires est stable ou décroît : 7 820 pourvois en 2015 contre 8 411 en 2014, soit une baisse de 7 %. Il est donc inexact de parler d’augmentation du nombre de pourvois.
À l’heure actuelle, la Cour de cassation ne connaît aucun encombrement. Elle juge les affaires civiles en treize mois et demi, ce qui est très inférieur aux délais devant les cours d’appel, et en particulier leurs chambres sociales. Elle juge les affaires pénales en moins de six mois, ce qui est très satisfaisant.
La Cour de cassation vient de faire l’objet d’un rapport de la part de la Cour des comptes, qui n’est pas encore publié. Il est essentiel que la représentation nationale en ait connaissance.
Depuis un peu plus d’un an, le premier président de la Cour de cassation a engagé une réflexion au sein de cette juridiction, et les travaux ne sont pas totalement achevés. L’Assemblée nationale doit intégrer ces travaux à sa propre réflexion. Au sein même de la Cour de cassation, des divergences très profondes existent. Certains magistrats, des présidents de chambre notamment, considèrent qu’une réforme ne peut être opérée que dans le respect de certains principes fondamentaux, et notamment du droit au recours, composant du droit au procès équitable. De surcroît, ils considèrent qu’une réforme trop restrictive compromettrait gravement le rôle de la Cour de cassation tant au titre de l’élaboration du droit que de son unification.
Il serait dangereux que la Cour de cassation, au mépris du principe d’égalité, se voit reconnaître le droit de choisir ses affaires, selon l’intérêt intellectuel ou doctrinal qu’elle identifie, sur la base de critères généraux, imprécis, et de ce fait inévitablement arbitraires.
Une telle orientation aboutirait à ce qu’un certain nombre de textes, pourtant voulus par le Parlement, soient laissés à la discrétion des juridictions du fond sans contrôle de la Cour de cassation sur leur interprétation ou leur application, réserve faite du cas où la Cour de cassation trouverait un intérêt à ce contrôle.
Une indication : sur les 14 431 pourvois instruits en matière civile en 2014, 4 300 ont donné lieu à cassation, ce qui montre que le contrôle est essentiel pour assurer le respect du droit et l’égalité des justiciables. C’est l’unité même du droit sur l’ensemble du territoire qui est en jeu.
Une réforme de la Cour de cassation ne peut être envisagée, sur les bases évoquées, sans un débat préalable sur sa place dans l’ordre juridique. Faut-il abandonner l’idée d’une Cour de cassation appelée à compléter la loi là où le législateur n’a pas pris parti, et à veiller au respect de la loi là où le législateur s’est exprimé ? Faut-il imaginer une Cour de cassation, telle la Cour suprême des États-Unis, choisissant ses affaires pour ne retenir que celles qui présentent un intérêt à ses yeux, et située sur un pied d’égalité avec le Parlement ?
Je pense qu’un bouleversement d’une telle ampleur ne peut être décidé sur le fondement de données contestables concernant l’évolution du contentieux. Monsieur le garde des Sceaux, je vous invite à retirer cet amendement et à examiner cela sereinement, d’autant que je peine à comprendre ce que vous proposez. Il est prévu : « Le pourvoi en cassation n’est ouvert à l’encontre des arrêts et des jugements rendus en dernier ressort, en matière civile, que dans l’un des cas suivants : 1° si le pourvoi soulève une question de principe ; 2° s’il présente un intérêt pour l’évolution du droit ; 3° s’il présente un intérêt pour l’unification de la jurisprudence. » Mais qu’advient-il des arrêts contraires au droit ? Va-t-on les écarter, alors même que ce sont ceux qui forment la majorité des 4 000 arrêts cassés ? La sagesse impose de prendre du temps en la matière.
M. Sébastien Huyghe. Le droit est une matière vivante, grâce à l’évolution de la loi à laquelle nous nous employons quotidiennement, mais aussi grâce à la jurisprudence, et au premier chef celle de la Cour de cassation.
Vous proposez que la Cour de cassation ne puisse statuer que si les recours soulèvent des questions de principe, ou bien s’ils présentent un intérêt pour l’évolution du droit. Mais si le pourvoi est irrecevable, comment la Cour de cassation pourra-t-elle juger de son intérêt pour l’évolution du droit ? Cet amendement interdit finalement l’évolution de la jurisprudence de la Cour de cassation, car dès qu’un principe sera posé, il deviendra intangible par l’effet de cette mesure.
Si l’on veut préserver le caractère vivant du droit, il est indispensable de permettre la cassation sur tous ces sujets, afin d’autoriser l’évolution de la jurisprudence de la Cour.
M. Philippe Gosselin. Depuis le début de la matinée, nous avons discuté de nombreux amendements du Gouvernement. Nul ne conteste le droit du Gouvernement de déposer des amendements, il le tient de la Constitution. Cependant, ces amendements ne viennent pas rectifier de petites erreurs ou apporter des compléments, ils refondent complètement certaines dispositions, ce qui peut d’ailleurs se justifier. Or nous les découvrons pratiquement sur table : nous n’avons eu que quelques heures pour les étudier.
Nous tentons donc de modifier de manière substantielle des pans entiers de ce projet de loi sans avoir pu les travailler et les préparer totalement.
Par cet amendement, vous proposez une réforme radicale de la Cour de cassation, qui la rapprocherait beaucoup des moyens d’action et des moyens juridiques de la Cour suprême des États-Unis, qui choisit elle-même d’évoquer telle ou telle affaire, pour des motifs proches de ceux qui nous sont proposés : questions de principe, évolution du droit, et ainsi de suite. Il s’agit donc d’une approche très différente.
Peut-être faut-il faire évoluer les conditions de recevabilité des pourvois devant la Cour de cassation, c’est une vraie question que je n’évacue pas d’un revers de la main. Mais il faut une vision d’ensemble de ce que nous souhaitons faire de la Cour de cassation et mesurer les conséquences des mesures que nous pourrions décider, notamment au niveau de l’appel. Dès lors qu’un certain nombre d’arrêts ne sont plus susceptibles de pourvoi en cassation, les juridictions d’appel doivent pouvoir en assumer l’ensemble des conséquences. Ce n’est pas neutre pour la bonne marche de notre justice.
La question est sérieuse, et je n’ai aucune intention de botter en touche, mais le moment est mal choisi, compte tenu des travaux en cours. Je suggère que le Gouvernement s’engage à remettre un rapport sur le sujet, à défaut, je vous invite à retirer cet amendement.
M. le garde des Sceaux. Je cherchais les propos du président Louvel, premier président de la Cour de cassation, lors de l’audience solennelle de rentrée. Il disait, avec des mots bien mieux choisis que les miens, la nécessité de procéder à la réforme que je vous présente. Personne, d’ailleurs, n’imagine que le Gouvernement ne le fasse sans associer la Cour de cassation à la réflexion et à l’écriture des éléments qui vous sont présentés.
Je souhaite, pour des raisons d’influence du droit continental, que la Cour ait l’aura qui devrait être la sienne. Or, si l’on y prête attention, la doctrine européenne ne commente quasiment jamais les décisions de la Cour de cassation française. Il y a deux raisons à cela. Tout d’abord, comme le répète souvent le président Louvel, la Cour doit améliorer la lisibilité de ses décisions. Le Conseil d’État a fait ce travail, et c’est pourquoi il est aujourd’hui plus facile de s’approprier ses décisions que celles de la Cour. Ensuite, la Cour a rendu l’année dernière entre 26 000 et 28 000 décisions. C’est faramineux pour une juridiction suprême – de l’ordre judiciaire, la précision est importante.
Le Gouvernement est donc convaincu de la justesse de la démarche engagée, et il connaît toutes les pesanteurs, y compris au sein de la Cour, qui amènent à douter de la possibilité réelle de concrétiser ces intentions. Vient toujours un moment où l’on se perd en circonvolutions, au point de ne plus pouvoir faire des avancées pourtant peu audacieuses, puisqu’elles ont été faites par les cours suprêmes des autres pays de l’Union européenne.
Ces précisions étant apportées, les discussions avec la Cour sont permanentes : hier après-midi, mon directeur de cabinet s’entretenait avec des représentants de l’ordre des avocats aux conseils.
Je peux entendre beaucoup de remarques, monsieur Gosselin, mais pas que le Gouvernement vous fournit des amendements sur table. C’est discourtois au vu de la correction dont le ministre de la justice à fait part à l’égard de la commission des Lois. Il aurait été discourtois d’arriver en séance avec un amendement de cet acabit. Or j’ai déposé tous les amendements du Gouvernement à l’heure prévue pour le dépôt des amendements, soit vendredi à dix-sept heures. Ce n’est pas moi qui fixe les délais à l’Assemblée nationale, et le Gouvernement n’est d’ailleurs pas tenu de s’y tenir, il aurait pu déposer ses amendements bien plus tard. Par respect pour la commission des Lois, j’astreins mon cabinet à des conditions qu’il n’a jamais connues : jamais aucun garde des Sceaux ne s’est comporté de cette façon vis-à-vis de la commission des Lois. Et je peux vous le dire, car la mémoire de cette maison est assez fine. Je suis extrêmement vigilant, à l’égard du Sénat comme de l’Assemblée nationale, pour que les délais soient imposés à l’administration. Je n’accepte donc pas vos propos tendant à laisser penser que vous découvrez les arguments sur table.
Il n’en demeure pas moins que les propos qui ont été tenus me semblent fondés. Nous en avons déjà beaucoup parlé avec les rapporteurs, mais pas encore suffisamment. Je connais notamment leurs réticences sur la notion de « grief disciplinaire » : s’agit-il d’un défaut de motivation, d’une non-réponse ? Il faudrait préciser tout cela.
Je ne veux brutaliser personne, je n’ai pas d’argument d’autorité à faire valoir ici, et à la demande du rapporteur, je retire donc cet amendement. Je ne suis d’ailleurs pas certain de le présenter en séance : nous laissons peut-être passer une chance qui ne se présentera plus d’ici à la fin de la législature.
L’amendement est retiré.
M. le président Dominique Raimbourg. Comme président de la commission des Lois, je confirme qu’en termes de respect des délais, le ministre que vous êtes s’est conformé à la pratique du président de commission que vous étiez.
M. Philippe Gosselin. Il n’y a pas lieu de polémiquer avec le ministère et le garde des Sceaux, bien évidemment. Ne prenons pas les termes au pied de la lettre. Nous sommes d’accord, ces amendements n’ont pas été déposés il y a quelques minutes, comme cela a été le cas par le passé, et le sera encore à l’avenir.
En revanche, même s’ils ont été déposés vendredi à dix-sept heures, un grand nombre des amendements conséquents du Gouvernement que nous étudions ce matin forment une matière importante. Ce ne sont pas que des modifications marginales ; certaines sont même très substantielles.
Article 15 ter (nouveau)
(art. L. 411-3 du code de l’organisation judiciaire)
Élargissement des hypothèses de cassation sans renvoi en matière civile
Cet article additionnel, adopté à l’initiative du Gouvernement et suivant l’avis favorable de vos rapporteurs, élargit les cas de cassation sans renvoi « lorsque l’intérêt d’une bonne administration de la justice le justifie », afin de ne pas prolonger inutilement le litige et d’y mettre fin dans des cas où le renvoi à la juridiction ayant prononcé la décision cassée n’est pas opportun. Un décret en Conseil d’État déterminera les modalités d’application de cette disposition.
Selon l’exposé sommaire de l’amendement, « ce pouvoir d’évocation de la Cour de cassation pourra être utilisé plus ou moins largement en fonction de l’encombrement des cours d’appel ».
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La Commission est saisie de l’amendement CL165 du Gouvernement.
M. le garde des Sceaux. Le présent amendement a pour objet d’élargir les cas de cassation sans renvoi.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Je suis favorable à cet amendement pertinent.
M. Philippe Houillon. Cet amendement est peut-être pertinent, mais l’ampleur de son objet mériterait, à mon sens, une réflexion globale et un vrai débat : il s’agit tout de même de permettre à la Cour de cassation de statuer au fond, ce qui équivaut à changer la nature de cette juridiction. Cet amendement et celui qui suit sont écrits par les magistrats composant la chancellerie : or il me semble que le législateur, garant du contrat social, devrait avoir son mot à dire sur les rôles qu’il souhaite voir assumés par la Cour de cassation, et par les institutions en général. Je veux bien croire que la présente mesure soit, comme le dit M. le garde des Sceaux, présentée en accord avec la Cour de cassation, mais cela n’est pas suffisant.
Que l’on ne se méprenne pas sur le sens de mon intervention : je conviens du fait qu’il n’est pas toujours nécessaire de renvoyer une affaire devant une autre cour. Cela dit, permettre à la Cour de cassation de statuer au fond représente une évolution nécessitant, me semble-t-il, un débat plus approfondi que celui auquel donne lieu l’examen d’un simple amendement.
Enfin, monsieur le garde des Sceaux, vous n’avez pas répondu à ma question – ce qui est votre droit, je n’en disconviens pas – quant à vos intentions relatives à l’appel.
M. le garde des Sceaux. J’ai effectivement omis de vous répondre, et le fais en vous précisant que la direction des affaires civiles et du sceau prépare actuellement un décret relatif à la réforme de l’appel, qui va devenir une voie de réformation. La discussion sur ce point n’a pas encore abouti.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Je rappelle que les hypothèses de cassation sans renvoi existent déjà, et qu’il est fréquent qu’il ne soit pas nécessaire de renvoyer pour statuer au fond : sur ce point, un parallèle peut être établi avec le fonctionnement actuel du Conseil d’État.
Un décret en Conseil d’État viendra préciser les modalités pratiques de cette disposition venant concrétiser ce qui est une nécessité aux yeux de nombreux observateurs, à savoir le fait de permettre à la Cour de cassation de casser sans renvoi, et de régler les litiges qui ne posent pas de problèmes au fond – ce qui sera source d’économies de temps et de moyens. Je confirme donc être très favorable à cet amendement.
La Commission adopte l’amendement. L’article 15 ter est ainsi rédigé.
Article 15 quater (nouveau)
(art. L. 431-3 du code de l’organisation judiciaire)
Possibilité pour la Cour de cassation de recourir à des amici curiae
Cet article additionnel, adopté à l’initiative du Gouvernement et suivant l’avis favorable de vos rapporteurs, permet à la Cour de cassation de solliciter, avant toute décision, un éclairage auprès de personnalités ou organismes extérieurs sur des questions de toute nature, pour évaluer au mieux les conséquences possibles d’une solution en matière économique, sociale ou éthique.
Cette faculté est déjà ouverte aux juridictions administratives et notamment au Conseil d’État en application de l’article R. 625-3 du code de justice administrative.
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La Commission examine l’amendement CL164 du Gouvernement.
M. le garde des Sceaux. Le présent amendement a pour objet de permettre à la Cour de cassation de solliciter, avant toute décision, un éclairage auprès de personnalités ou organismes extérieurs sur des questions de toute nature. Cette faculté de recourir à des amici curiae est déjà ouverte aux juridictions administratives ou à la Cour européenne des droits de l’homme.
M. Alain Tourret. Le fait de permettre à la Cour de cassation de recourir aux amici curiae me paraît très utile.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Avis favorable à ce qui m’apparaît comme un progrès dans la fonctionnalité de l’institution.
La Commission adopte l’amendement. L’article 15 quater est ainsi rédigé.
Article 15 quinquies (nouveau)
(art. L. 432-1 du code de l’organisation judiciaire)
Rôle du parquet général de la Cour de cassation
Dans les propositions de modifications législatives formulées lors de leur audition par la commission des Lois de l’Assemblée nationale le 6 avril 2016, le Premier président de la Cour de cassation et le Procureur général près la même Cour ont suggéré que « le rôle du procureur général soit redéfini pour inclure sa mission d’alerte sur les incidences de solutions susceptibles d’être adoptées à l’occasion d’affaires dont la Haute juridiction est saisie. »
Le présent article additionnel, adopté à l’initiative du Gouvernement après avis favorable de vos rapporteurs, consacre les attributions spécifiques du parquet général de la Cour de cassation, ancré dans l’histoire et distinct de celui que joue le ministère public auprès des juridictions du fond.
Le parquet général se voit ainsi légitimé dans son double rôle :
– partie prenante du processus de décision, il continuera de formuler des avis formulant une analyse technique des moyens. En ce sens, il rend des avis dans l’intérêt de la loi ;
– jurisconsulte de la Cour pouvant à ce titre prendre attache auprès des différentes parties prenantes, il contribuera à anticiper l’impact des décisions prises par la Haute juridiction.
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La Commission est saisie de l’amendement CL162 du Gouvernement.
M. le garde des Sceaux. Reprenant des suggestions faites le 6 avril 2016, lors de l’audition du premier président de la Cour de cassation et du procureur général près la même Cour par la commission des Lois de l’Assemblée nationale, le présent amendement a pour objet de consacrer les attributions spécifiques du parquet général de la Cour de cassation.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Avis favorable.
La Commission adopte l’amendement. L’article 15 quinquies est ainsi rédigé.
Article 15 sexies (nouveau)
(art. L. 441-2 et L. 441-2-1 [nouveau] du code de l’organisation judiciaire)
Modalités de saisine pour avis de la Cour de cassation
Cet article additionnel, adopté à l’initiative du Gouvernement après avis favorable de vos rapporteurs, modifie les modalités selon lesquelles la Cour de cassation se réunit en vue de statuer sur une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, ainsi que le permet l’article L. 441-1 du code de l’organisation judiciaire.
La saisine pour avis est un moyen d’assurer l’efficacité de l’action judiciaire en permettant une unification rapide de la jurisprudence sur des lois nouvelles, ou des points de droit nouvellement soulevés, et ainsi d’éviter la multiplication des décisions contradictoires sur un même sujet lorsqu’un contentieux est naissant sur l’ensemble du territoire.
Actuellement, avant de statuer sur une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, les juridictions de l’ordre judiciaire peuvent, par une décision non susceptible de recours, solliciter l’avis de la Cour de cassation. Elles peuvent, dans les mêmes conditions, solliciter l’avis de la Cour avant de statuer sur l’interprétation d’une convention ou d’un accord collectif présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges.
La formation de la Cour de cassation qui se prononce sur la demande d’avis est alors présidée par le premier président ou, en cas d’empêchement, par le président de chambre le plus ancien.
Pour des raisons tenant à l’organisation des activités de la Cour de cassation, le I du présent article laisse à chacune des chambres le soin de répondre aux demandes d’avis dans le champ de leur compétence, tout en permettant que se réunisse une formation mixte lorsque la question posée relève des attributions de plusieurs chambres, ou une formation plénière lorsque l’affaire pose une question de principe. Ainsi que cela est prévu au contentieux, le premier président présidera la formation mixte ou la formation plénière. En cas d’empêchement, il appartiendra au doyen des présidents de chambre de la présider.
En application du II, les actuels articles L. 441-3, selon lequel l’avis rendu ne lie pas la juridiction qui a formulé la demande, et L. 441-4, renvoyant à un décret en Conseil d’État pour les dispositions d’application ne relevant pas de la matière pénale, deviennent les articles L. 441-4 et L. 441-5.
En effet, un nouvel article L. 441-3 est inséré par le III du présent article qui prévoit les modalités de renvoi de la formation de chambre vers la formation mixte ou plénière, par le premier président, la chambre ou le procureur général. Ainsi, le renvoi devant une formation mixte ou plénière pour avis est décidé, soit par ordonnance non motivée du premier président, soit par décision non motivée de la chambre saisie. Le renvoi est de droit lorsque le procureur général le requiert.
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La Commission examine l’amendement CL163 du Gouvernement.
M. le garde des Sceaux. Cet amendement constitue une adaptation des modalités selon lesquelles la Cour de cassation se réunit pour statuer sur une demande d’avis en fonction de la question posée.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Il apparaît souhaitable de laisser à chacune des chambres le soin de répondre aux demandes d’avis dans le champ de leur compétence, tout en permettant que se réunisse une formation mixte lorsque la question posée relève des attributions de plusieurs chambres, ou une formation plénière lorsque l’affaire pose une question de principe. Avis totalement favorable.
La Commission adopte l’amendement. L’article 15 sexies est ainsi rédigé.
Article 15 septies (nouveau)
(art. L. 451-2 et L. 451-3 à L. 451-8 [nouveaux] du code de l’organisation judiciaire)
Réexamen en matière civile
Cet article additionnel, adopté à l’initiative de vos rapporteurs, après un avis de sagesse du Gouvernement, introduit une nouvelle procédure dans le code de l’organisation judiciaire, dite de « réexamen en matière civile ».
Cette procédure permet à toute personne de voir sa cause réexaminée en matière d’état des personnes après un constat de violation de la Cour européenne des droits de l’homme ayant donné lieu à une satisfaction équitable qui ne met pas fin aux conséquences dommageables.
Il est en effet devenu nécessaire de créer dans ce domaine une possibilité que le législateur a introduit depuis plusieurs années en matière pénale et qui a été reconnue de manière prétorienne en matière administrative.
Ainsi, en matière pénale, le réexamen d’une décision de condamnation, consécutif au prononcé d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme, a été introduit par l’article 89 de la loi n° 2000-516 du 15 juin 2000 renforçant la présomption d’innocence et les droits des victimes. Le régime du réexamen a été récemment modifié par la loi n° 2014-640 du 20 juin 2014 relative à la réforme des procédures de révision et de réexamen d’une condamnation pénale définitive.
De même, en matière administrative, le Conseil d’État a jugé dans une décision d’assemblée du contentieux du 30 juillet 2014 (46) que lorsque la violation constatée par la Cour européenne des droits de l’homme concerne une sanction administrative, pour laquelle ne joue pas l’autorité de chose jugée, le constat par la Cour européenne d’une méconnaissance des droits garantis par la Convention constitue un élément nouveau qui doit être pris en considération par l’autorité investie du pouvoir de sanction.
Afin d’introduire cette possibilité de réexamen en matière d’état des personnes, le I du présent article modifie le code de l’organisation judiciaire et crée un nouveau chapitre au sein du titre V du livre IV comportant les articles L. 451-3 à L. 451-8 [nouveaux]. Le II renvoie à un décret en Conseil d’État le soin de déterminer la procédure applicable en la matière, tandis que le III fixe les modalités d’entrée en vigueur.
Tout d’abord, le code de l’organisation judiciaire est modifié pour lever l’obstacle résultant de l’autorité de la chose jugée. En effet, ainsi que l’a jugé la Cour de cassation en 2005, dès lors qu’aucune procédure de réexamen n’existe en droit interne, le caractère définitif du jugement rend irrecevable la demande déjà tranchée par un jugement revêtu de l’autorité de la chose jugée (47). C’est la raison pour laquelle un article L. 451-3 est inséré dans le code de l’organisation judiciaire.
L’article L. 451-4 prévoit qu’auront qualité pour demander le réexamen la partie intéressée ou son représentant légal, ainsi que les parents ou légataires.
L’article L. 451-5 institue au sein de la Cour de cassation une cour de réexamen, distincte de celle déjà prévue en matière pénale et en précise la composition.
Les articles L. 451-6 à L. 451-8 définissent la portée d’une décision rejetant ou, à l’inverse, accueillant la demande de réexamen. Enfin, selon le cas, la cour de réexamen ou l’assemblée plénière de la Cour de cassation, lorsqu’elle prononce l’annulation de la décision prononcée en violation de la Convention européenne des droits de l’homme, pourra déterminer les conditions et limites dans lesquelles les effets que la décision annulée a produits sont susceptibles d’être remis en cause (I).
Cette nouvelle procédure entrera en vigueur à une date fixée par un décret en Conseil d’État qui définira ses modalités d’application, et au plus tard six mois après la promulgation de la présente loi (II).
Afin d’assurer l’effectivité du droit conventionnel dans l’ordre juridique interne, les décisions de condamnation rendues par la Cour européenne des droits de l’homme avant l’entrée en vigueur du nouveau dispositif pourront également donner lieu à réexamen (III).
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La Commission est saisie de l’amendement CL373 des rapporteurs.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Cet amendement vise à ce que le réexamen d’une décision civile rendue en matière d’état des personnes, définitive et ayant dès lors acquis force de chose jugée, puisse être demandé au bénéfice de toute personne ayant été partie à l’instance et disposant d’un intérêt à le solliciter, lorsqu’il résulte d’un arrêt rendu par la Cour européenne des droits de l’homme que cette décision a été prononcée en violation de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ou de ses protocoles additionnels, dès lors que, par sa nature et sa gravité, la violation constatée entraîne, pour l’intéressé, des conséquences dommageables auxquelles la satisfaction équitable accordée en application de l’article 41 de la convention précitée ne pourrait mettre un terme. Le réexamen peut être demandé dans un délai d’un an à compter de la décision de la Cour européenne des droits de l’homme.
L’objet de cette disposition est de faire disparaître un no man’s land juridique très complexe, de nature à altérer la force des décisions de justice en France, mais aussi la situation personnelle de certains de nos concitoyens.
M. le garde des Sceaux. La disposition proposée existe depuis plusieurs années en matière pénale et a été reconnue de manière prétorienne en matière administrative. Sur ce point, le Gouvernement s’en remet à la sagesse de votre Commission.
La Commission adopte l’amendement. L’article 15 septies est ainsi rédigé.
Article 15 octies (nouveau)
(art. 2-3 du code de procédure pénale)
Possibilité pour les fondations reconnues d’utilité publique de se constituer partie civile en cas d’atteintes volontaires à la vie et à l’intégrité d’un mineur
Cet article additionnel, adopté à l’initiative de M. Philippe Gosselin après avis favorable de vos rapporteurs, reconnaît explicitement aux fondations reconnues d’utilité publique le droit à se constituer partie civile en cas d’atteintes volontaires à la vie et à l’intégrité d’un mineur.
L’article 2-3 du code de procédure pénale dispose que, sous certaines conditions, les associations se proposant de défendre ou d’assister l’enfance martyrisée peuvent « exercer les droits reconnus à la partie civile » en ce qui concerne un certain nombre de violences commises sur la personne d’un mineur.
Se fondant sur cet article, la cour d’appel de Paris, le 23 octobre 2015, a déclaré irrecevable la constitution de partie civile de la Fondation pour l’enfance dans une affaire de pédophilie sur Internet. Elle rappelle alors que « l’article 2-3 du code de procédure pénale ne vise que les associations et non les fondations » et que « la fondation, qui résulte en principe de l’engagement financier de son ou ses fondateur(s) et dont la création nécessite un capital qui produise des intérêts pour financer ses activités, obéit ainsi à des règles fondamentalement différentes de celles du régime associatif ».
Si les règles auxquelles obéissent les fondations, en particulier les règles financières, diffèrent des règles du milieu associatif, les fondations peuvent revêtir un caractère d’utilité publique, conformément à la loi n° 87-571 du 23 juillet 1987 sur le développement du mécénat. Elles se doivent, pour être reconnues d’utilité publique, de respecter une condition de viabilité financière.
Contrairement à la cour d’appel de Paris, la Cour de cassation a elle-même fréquemment reconnu la possibilité d’agir pour les fondations notamment quand elles revêtent un caractère d’utilité publique et elle les assimile aux associations dans nombre de ses arrêts. Le présent article propose de l’inscrire explicitement à l’article 2-3 du code de procédure pénale.
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La Commission examine l’amendement CL3 de M. Philippe Gosselin.
M. Philippe Gosselin. L’article 2-3 du code de procédure pénale dispose que, sous certaines conditions, les associations se proposant de défendre ou d’assister l’enfance martyrisée peuvent « exercer les droits reconnus à la partie civile » en ce qui concerne un certain nombre de violences commises sur la personne d’un mineur. Se fondant sur une interprétation stricte de cet article, qui ne fait référence qu’aux associations, la cour d’appel de Paris a, par une décision rendue le 23 octobre 2015, déclaré irrecevable la constitution de partie civile de la Fondation pour l’enfance dans une affaire de pédophilie sur Internet – alors même que l’on connaît le travail remarquable accompli par cette fondation.
Contrairement à la cour d’appel de Paris, la Cour de Cassation a elle-même fréquemment reconnu la possibilité d’agir pour les fondations. Cependant, le fait d’inscrire cette faculté dans la loi permettrait de lever toute ambiguïté pour l’avenir.
M. le garde des Sceaux. La décision de la cour d’appel dont il est fait état est très isolée, et n’a d’ailleurs pas été confirmée par la Cour de cassation. Le Gouvernement craint que le fait d’assimiler les fondations à des associations au sens de l’article 2-3 du code de procédure pénale ne favorise des interprétations a contrario et ne nécessite un grand nombre de coordinations.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Nous avions émis un avis favorable à cet amendement – qui entraînerait cependant, comme vient de le dire M. le ministre, la nécessité d’effectuer de nombreuses coordinations au sein du code de procédure pénale.
M. le président Dominique Raimbourg. Maintenez-vous votre amendement, monsieur Gosselin, ou souhaitez-vous le retirer afin de le réécrire avant la séance publique ?
M. Philippe Gosselin. Je le maintiens, monsieur le président.
La Commission adopte l’amendement. L’article 15 octies est ainsi rédigé.
TITRE IV
RECENTRER LES JURIDICTIONS SUR LEURS MISSIONS ESSENTIELLES
Chapitre Ier
Dispositions relatives aux successions
Initialement dénommé « L’envoi en possession », ce chapitre a vu son intitulé modifié par le Sénat, afin de tenir compte des ajouts que ce dernier a proposés aux articles 16 bis et 16 ter.
Article 16
(art. 1007, 1008 (supprimé) et 1030-2 du code civil)
Suppression du recours systématique au juge dans la procédure d’envoi en possession et renforcement du rôle du notaire
Cet article a pour objet de simplifier les règles de succession applicables au légataire universel (48) en l’absence d’héritiers réservataires (49).
1. La procédure d’envoi en possession
Actuellement, lorsqu’un défunt n’a pas d’héritier réservataire, le légataire universel est saisi de plein droit, sans formalité particulière, en application de l’article 1006 du code civil.
Toutefois, si le testament est olographe ou mystique (50), le légataire doit être autorisé, par une décision judiciaire, à exercer ses droits, en vertu de l’article 1008 du code civil. Tel n’est pas le cas s’il s’agit d’un testament par acte public qui, reçu par deux notaires ou par un notaire assisté de deux témoins, a la valeur d’un acte authentique et dont l’existence est inscrite au fichier central des dispositions de dernières volontés (FCDDV).
La procédure s’effectue en deux temps.
En premier lieu, le testament est déposé auprès du notaire. Ce dernier ouvre le testament, s’il est cacheté, dresse immédiatement procès-verbal de l’ouverture et de l’état de ce testament, en précisant les circonstances du dépôt, et conserve le testament et le procès-verbal au rang de ses minutes. Dans le mois qui suit la date du procès-verbal, le notaire adresse une expédition du procès-verbal et une copie figurée du testament au greffier du tribunal de grande instance du lieu d’ouverture de la succession. Le greffier en accuse réception et conserve ces documents au rang de ses minutes.
En second lieu, le légataire présente, par l’intermédiaire d’un avocat, au tribunal de grande instance du lieu d’ouverture de la succession, une requête d’envoi en possession, à laquelle sont joints l’acte de dépôt du testament et un document justifiant de l’absence d’héritier réservataire (comme un acte de notoriété).
Le juge vérifie alors les conditions de la saisine du légataire (vocation universelle et absence d’héritiers réservataires) et la validité apparente du testament, afin de prévenir toute transmission frauduleuse. Ce contrôle, qui repose sur des documents fournis par le notaire, porte principalement sur l’apparence du titre.
Le juge statue par une ordonnance mise au bas de cette requête. En cas de refus de sa part, le légataire dispose d’un recours en appel dans un délai de quinze jours. Si l’ordonnance est rendue, les héritiers évincés par ce testament peuvent faire appel ou tierce opposition selon qu’elle leur a été ou non notifiée.
Cette procédure requiert un nombre important de formalités à accomplir (notamment l’envoi au tribunal du procès-verbal notarié de dépôt du testament déjà adressé au greffe dans le cadre de l’article 1007 du code civil et l’envoi d’une copie authentique de l’acte de notoriété dressé par le notaire). Elle s’avère longue et coûteuse, compte tenu du ministère d’avocat qui est obligatoire devant le TGI.
2. Les modifications proposées
Afin de simplifier les démarches conditionnant l’exercice de sa saisine par le légataire universel, tout en offrant une protection aux tiers, en particulier à ceux évincés par le testament, il est proposé de supprimer le caractère systématique du recours au juge et de renforcer le rôle du notaire dans la procédure.
Ce dernier se verrait ainsi confiée la mission de contrôler les conditions de la saisine du légataire (vocation universelle et absence d’héritiers réservataires) dans le cadre des formalités liées au dépôt du testament qu’il est déjà tenu d’accomplir. Il porterait mention de ces vérifications sur le procès-verbal.
Une possibilité d’opposition à l’exercice, par le légataire, de ses droits, serait offerte, dans le délai d’un mois suivant la réception, par le greffier, de l’expédition du procès-verbal et de la copie du testament. Ce n’est plus que dans ce cas que le légataire devrait solliciter du juge un envoi en possession, afin de pouvoir appréhender les biens légués.
Le Sénat a adopté cet article en y apportant une modification de coordination au sein du code civil, afin de supprimer, en son article 1030-2, la référence à l’article 1008, que le présent projet de loi propose d’abroger.
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La Commission adopte l’article 16 sans modification.
Article 16 bis
(art. 804 du code civil)
Simplification de la procédure de renonciation à succession
Introduit par le Sénat à l’initiative de sa commission des Lois, cet article a pour objet de simplifier la procédure de renonciation à succession prévue par les articles 804 à 808 du code civil et précisée par l’article 1339 du code de procédure civile. De l’ordre de 100 000 renonciations à succession sont enregistrées chaque année (98 186 en 2014).
En vertu de l’article 804 du code civil, la renonciation à une succession ne se présume pas. Pour être opposable aux tiers, la renonciation à succession opérée par le légataire universel ou à titre universel doit être adressée ou déposée au tribunal de grande instance dans le ressort duquel la succession a été ouverte.
Depuis la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités, les formes de la renonciation ont été revues. Celle-ci peut se faire par tous moyens, pourvu qu’elle soit hors de doute. La déclaration au greffe du tribunal de grande instance n’est plus qu’une condition d’opposabilité de la renonciation aux tiers.
En pratique, le greffe inscrit la déclaration dans un registre tenu à cet effet et en adresse ou délivre récépissé au déclarant, en application de l’article 1339 du code de procédure civile. Cette déclaration ne nécessite pas de déplacement de l’héritier au greffe : elle peut être envoyée par courrier (51). Cependant, le Conseil supérieur du notariat estime que la procédure de renonciation à succession demeure encore complexe dans certains cas.
Ainsi, lorsque la succession est déficitaire, la représentation du renonçant (52) peut conduire à des renonciations en chaîne, les descendants renonçant, eux aussi, la plupart du temps, à la succession. Le notaire doit alors s’assurer de la renonciation formelle de l’intégralité des descendants au greffe du tribunal de grande instance. Cette contrainte s’accroît encore lorsque les renonciations successives aboutissent, en bout de chaîne, à des descendants mineurs, puisque la renonciation à la succession nécessite l’accord du conseil de famille ou, à défaut, du juge et la réalisation préalable d’un inventaire des biens successoraux.
Aussi, l’article 18 bis du présent projet de loi prévoit-il que la renonciation peut également être faite devant notaire. Dans ce cas, le notaire qui l’a reçue en adresse, dans le mois suivant la renonciation, une copie au tribunal dans le ressort duquel la succession s’est ouverte.
Le choix serait donc ouvert à l’héritier de s’adresser au tribunal de grande instance – où la procédure est gratuite –, ou au notaire.
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La Commission adopte l’article 16 bis sans modification.
Article 16 ter
(art. 788 du code civil)
Acceptation devant notaire d’une succession à concurrence de l’actif net
Introduit par le Sénat à l’initiative de sa commission des Lois, cet article a pour objet d’ouvrir aux notaires la possibilité de recevoir une déclaration d’acceptation à concurrence de l’actif net.
Un héritier peut déclarer qu’il n’entend prendre cette qualité qu’à concurrence de l’actif net (53). Cette déclaration doit alors être faite, en vertu de l’article 788 du code civil, au greffe du tribunal de grande instance dans le ressort duquel la succession est ouverte. Elle est enregistrée et fait l’objet d’une publicité nationale, à laquelle il peut être procédé par voie électronique.
Cette publicité est double : la première est faite par le greffe au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales et la seconde est réalisée par l’héritier dans un journal d’annonces légales. À compter de l’enregistrement de la déclaration au Bulletin officiel, un délai de quinze mois est laissé aux créanciers successoraux pour déclarer leurs créances.
Le rapporteur au Sénat a considéré qu’il convenait d’ouvrir aux héritiers la possibilité d’effectuer leur déclaration devant un notaire, au demeurant consulté par nombre d’entre eux avant l’acceptation d’une succession à concurrence de l’actif net.
Allégeant la charge pesant sur les greffes, cette modification permettrait d’accélérer la publication au Bulletin officiel des annonces civiles et commerciales et, par conséquent, l’exécution des créances et le règlement de la succession.
S’agissant du coût d’une telle mesure pour l’héritier, le Conseil supérieur du notariat affirme qu’il serait neutre puisqu’il revient déjà au notaire de gérer les opérations liquidatives. En tout état de cause, l’héritier aurait toujours la possibilité d’effectuer sa déclaration auprès du tribunal de grande instance, sans frais supplémentaire.
Le dispositif proposé serait de nature à permettre, selon le ministère de la Justice, un gain de personnel de l’ordre de 1 à 2 équivalents temps plein, soit une économie de l’ordre de 32 000 à 76 000 euros au niveau national.
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La Commission adopte l’article 16 ter sans modification.
Article 16 quater (nouveau)
(art. 809-1 du code civil)
Renforcement du rôle du notaire en cas de succession vacante
Introduit à l’initiative du Gouvernement, avec l’avis favorable des rapporteurs, cet article poursuit un double objectif : affermir la place du notaire dans les procédures de succession vacante et renforcer l’efficacité de son intervention.
Il ajoute, à cet effet, les notaires parmi les personnes susceptibles de saisir le juge aux fins de confier la curatelle de la succession vacante à l’autorité administrative chargée du domaine (54), ce qui évitera à ces derniers de devoir, comme c’est le cas aujourd’hui, solliciter l’intervention du ministère public aux fins de saisine du président du tribunal.
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La Commission examine l’amendement CL184 du Gouvernement.
M. Jean-Jacques Urvoas, garde des Sceaux, ministre de la justice. Par cet amendement, le Gouvernement propose qu’un notaire puisse demander directement au président du tribunal de grande instance de confier une succession vacante à la curatelle de l’autorité administrative du domaine, sans passer par le procureur.
Suivant l’avis favorable des rapporteurs la Commission adopte l’amendement. L’article 16 quater est ainsi rédigé.
Après l’article 16 quater
La Commission examine les amendements CL250, CL248, CL247 et CL249 de Mme Maina Sage.
Mme Maina Sage. Ces quatre amendements d’appel traitent de la problématique foncière en Polynésie française.
L’an dernier, dans le cadre de la loi du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, nous avons créé le tribunal foncier. Nous avions insisté, lors de nos débats, sur la nécessité, outre l’outil spécifique dédié au foncier, de légiférer au fond sur des textes adaptés à cette spécificité de la Polynésie française.
La propriété individuelle est dans ce territoire une notion relativement récente, qui date de deux siècles à peine. Auparavant, la gestion des biens était communautaire. La modification de la gestion de propriété a eu de graves conséquences : un très grand nombre de familles n’arrivent pas, même après des décennies, à sortir de l’indivision. Certaines familles élargies peuvent en effet compter jusqu’à cinq cents, voire mille coïndivisaires, ce qui complique la sortie de l’indivision et, en général, la gestion des successions.
Lorsque le tribunal foncier a été institué, il était question de modifier le code civil en y introduisant des dispositions spécifiques à la Polynésie. On nous avait toutefois demandé de ne pas faire de propositions en ce sens, le projet de loi en discussion ne visant que le fonctionnement de la justice.
Le texte qui nous est soumis aujourd’hui est donc, pour nous, l’occasion de vous sensibiliser, monsieur le garde des Sceaux, à cette problématique majeure.
L’amendement CL250 traite du droit de retour. La réforme des successions mise en œuvre par les lois du 3 décembre 2001 et du 23 juin 2006 privilégie en effet la notion de ménage par rapport à celle de lignage, ce qui est véritablement problématique pour la Polynésie. Aujourd’hui, en effet, notre droit prévoit qu’un bien de famille, en l’absence de descendant, est partagé par moitié entre le conjoint survivant et les frères et sœurs du défunt. C’est un point de blocage majeur, qui a des conséquences lourdes et peut même provoquer des conflits violents au sein des familles. Nous souhaiterions que, en l’absence de descendance, le bien aille en totalité aux frères et sœurs ou à leurs descendants.
Les amendements CL248 et CL 249 sont relatifs au partage par souche, et visent à mettre le droit en conformité avec le code de procédure civile de Polynésie française, antérieur à la loi du 23 juin 2006, de façon à ne pas provoquer d’annulations de partage en cas d’omission d’un coïndivisaire. Ce dernier pourra faire appel de la décision et être indemnisé, soit en nature, soit en valeur, sans que le partage soit remis en cause.
L’amendement CL247 instaure une dérogation au principe de l’attribution préférentielle, conformément à la jurisprudence de la cour d’appel de Papeete.
Je comprends qu’il ne soit pas forcément facile, à 20 000 kilomètres de distance, de tenir compte des spécificités de la Polynésie, et je sais que le code civil est en quelque sorte la « Bible » de la République, mais j’insiste sur le fait que toutes les familles polynésiennes sont concernées par cette question, 90 % des partages faisant l’objet d’un contentieux devant les tribunaux, et que cette situation constitue un frein au développement économique de notre territoire, l’indivision empêchant l’accès au foncier.
J’invoquerai, à l’appui de mon plaidoyer, le cas de la Corse, où nous avons su faire évoluer le droit en la matière.
Quelles sont, monsieur le garde des Sceaux, les évolutions envisageables de notre droit civil ?
M. le président Dominique Raimbourg. S’agissant de l’indivision, monsieur le ministre, vous aviez, après votre déplacement en Polynésie, rendu un rapport soulignant combien cette situation était un handicap pour ce territoire.
M. le garde des Sceaux. J’ai eu, en effet, l’occasion d’être sensibilisé à la spécificité du droit des successions en Polynésie.
En 2014, le ministère de la justice a demandé à la direction des affaires civiles et du Sceau de réaliser un rapport d’évaluation. Celui-ci a conclu à la nécessité d’une réforme à la fois structurelle et procédurale. Structurelle, parce qu’elle relève de la compétence du pays, auquel il appartient de régler les problèmes concernant la détermination de la propriété des terres se trouvant sur son territoire. Procédurale, parce que les modifications ponctuelles des règles de fond relèvent de la compétence de l’État.
C’est la raison pour laquelle j’y étais favorable lorsque j’exerçais la responsabilité que vous assumez aujourd’hui brillamment, monsieur le président Raimbourg. Je suis donc, en tant que ministre, extrêmement attentif aux difficultés que vient d’évoquer Mme Sage.
Un groupe de travail avait été constitué sous la présidence de M. Pierre Moyer, conseiller honoraire à la cour d’appel de Papeete, pour concrétiser les suggestions avancées par la direction des affaires civiles et du Sceau. M. Moyer a demandé, par la suite, à être déchargé de ses responsabilités, et je confesse que nous avons mis un peu de temps à lui trouver un successeur. C’est aujourd’hui chose faite. Il s’agit de M. Jean-Paul Pastorel, professeur de droit public à l’université de la Polynésie française.
J’ai le plaisir de pouvoir dire à Mme Sage, qui a eu la délicatesse de ne pas m’interroger à ce sujet, que le groupe de travail va pouvoir reprendre ses travaux et nous faire des propositions sur la manière la plus adaptée d’apporter des réponses à cette spécificité polynésienne, qui constitue à la fois une difficulté pour les familles et une entrave au développement de la Polynésie française.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable aux amendements, mais je prends l’engagement que ces problèmes auront été réglés lorsque je me rendrai en Polynésie, au début de 2017, pour assister à l’inauguration du centre pénitentiaire de Papeari.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Les questions qui viennent d’être soulevées sont passionnantes.
Je me souviens des débats que nous avons eus, à propos des départements de Guadeloupe et de Martinique, sur la nécessité d’adapter des processus coutumiers aux exigences de modernité que nos concitoyens de ces territoires expriment. En ce qui concerne la construction, la loi dite Letchimy du 23 juin 2011, notamment, a ouvert des champs importants.
S’agissant des procédures liées aux droits des personnes et aux successions, le rapporteur Clément et moi-même attendions des informations sur la relance du groupe de travail qui a pour mission de réfléchir aux questions qui relèvent de la loi, même si d’autres dispositions relèvent du droit local coutumier.
Compte tenu de ces éléments, nous sommes enclins à considérer qu’il ne faut pas retenir les amendements en l’état, bien qu’ils aient le mérite d’alerter la commission des Lois et le Gouvernement sur ces sujets. Je propose donc à Mme Sage de bien vouloir les retirer.
Mme Maina Sage. Je voulais, en les déposant, vous interpeller sur l’urgence de légiférer au fond sur ce sujet. Le tribunal foncier va être mis en place ; il faut lui donner, avec un texte adapté, les moyens de statuer. Nous espérons que le groupe de travail rendra ses conclusions rapidement, avant votre arrivée en Polynésie, monsieur le garde des Sceaux.
Les amendements sont retirés.
Chapitre II
Unions et séparations
(Intitulé modifié)
À l’initiative du Gouvernement et suivant l’avis favorable des rapporteurs, votre commission des Lois a modifié l’intitulé du chapitre II, initialement consacré au seul pacte civil de solidarité, pour couvrir le champ plus vaste des « unions et séparations ».
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La Commission examine l’amendement CL251 du Gouvernement.
M. le garde des Sceaux. Cet amendement vise à intituler le chapitre II « Unions et séparations », afin qu’il ne soit plus dédié uniquement au pacte civil de solidarité (PACS).
Suivant l’avis favorable des rapporteurs, la Commission adopte l’amendement. L’intitulé du chapitre II est ainsi rédigé.
Article 17
(art. 461, 462, 515-3, 515-3-1, 515-7 et 2499 du code civil et art. 14-1 de la loi n° 99-944 du 15 novembre 1999 relative au pacte civil de solidarité)
Transfert de l’enregistrement des PACS aux officiers de l’état civil
Cet article a pour objet de transférer à l’officier de l’état civil les compétences aujourd’hui dévolues aux greffes des tribunaux d’instance en matière de pacte civil de solidarité (PACS).
1. Les compétences des greffes des tribunaux d’instance en matière de PACS
La loi n° 99-944 du 15 novembre 1999 relative au pacte civil de solidarité a fixé le lieu d’enregistrement de ces contrats au greffe du tribunal d’instance. Depuis la loi n° 2011-331 du 28 mars 2011 de modernisation des professions judiciaires ou juridiques et certaines professions réglementées, ils peuvent également être enregistrés par un notaire.
Les compétences du greffier concernent les seuls PACS conclus par acte sous seing privé, à l’exception de ceux qui font l’objet d’un acte notarié, pour lesquels il revient au notaire d’enregistrer la déclaration et de faire procéder aux formalités de publicité.
Les compétences du greffier en matière d’enregistrement concernent la conclusion, la modification et la dissolution du PACS.
● En application de l’article 515-3 du code civil, les personnes qui concluent un PACS en font la déclaration conjointe au greffe du tribunal d’instance, en principe, dans le ressort duquel elles fixent leur résidence commune. Elles produisent également au greffier une convention passée entre elles. Le greffier enregistre la déclaration et fait procéder aux formalités de publicité, le PACS faisant l’objet d’une mention en marge de l’acte de naissance de chaque partenaire.
À l’étranger, l’enregistrement d’un PACS liant deux partenaires, dont l’un au moins est de nationalité française, est assuré par les agents diplomatiques et consulaires français.
Pour les personnes de nationalité étrangère nées à l’étranger, l’article 515-3-1 du code civil prévoit que cette information est portée sur un registre tenu au greffe du tribunal de grande instance de Paris.
● La convention par laquelle les partenaires modifient le PACS est remise ou adressée au greffe du tribunal qui a reçu l’acte initial afin d’y être enregistrée, en vertu de l’article 515-3 du code civil.
● En application de l’article 515-7 du code civil, le PACS prend fin au décès de l’un des partenaires ou par leur mariage ou le mariage de l’un d’eux. Le greffier du tribunal d’instance du lieu d’enregistrement du PACS informé du mariage ou du décès par l’officier de l’état civil compétent, enregistre la dissolution et fait procéder aux formalités de publicité.
Lorsque les partenaires décident d’un commun accord de mettre fin au PACS, ils remettent ou adressent au greffe du tribunal d’instance du lieu d’enregistrement une déclaration conjointe à cette fin.
Lorsqu’un seul des partenaires décide de mettre fin au PACS, il fait signifier sa décision à l’autre partenaire. Une copie de cette signification est remise ou adressée au greffe du tribunal d’instance du lieu d’enregistrement de l’acte.
2. Leur transfert aux officiers de l’état civil
L’article 17 propose de transférer aux officiers de l’état civil les compétences jusqu’à présent dévolues aux greffes.
Vos rapporteurs rappellent, à cet égard, que la proposition de loi à l’origine de la loi de 1999 prévoyait un enregistrement par les officiers de l’état civil. Lors de son examen, l’Assemblée nationale avait envisagé d’attribuer cette compétence aux préfectures avant, finalement, de la confier aux greffes des tribunaux d’instance, devant l’opposition de nombreux maires qui craignaient, notamment, un risque de confusion entre PACS et mariage.
Ce risque semble aujourd’hui écarté. Le PACS est bien connu des citoyens, qui ne le confondent pas avec le mariage. Par ailleurs, la loi n° 2013-404 du 17 mai 2013 a consacré le mariage des personnes de même sexe. Les obstacles symboliques qui avaient justifié le choix d’un enregistrement au greffe ont disparu.
Le transfert proposé, qui a déjà fait l’objet de plusieurs propositions (55), poursuit un double objectif :
– simplifier les démarches des citoyens, qui n’auront plus à se rendre dans un tribunal pour conclure un PACS ;
– recentrer les tribunaux d’instance sur leurs compétences juridictionnelles.
Selon les données transmises par le ministère de la Justice, le nombre de PACS déclarés devant les tribunaux d’instance s’est élevé, en 2014, à 148 605. Le nombre de fonctionnaires déclarés pour cette activité était de 79 ETP en 2014 et de près de 70 ETP en 2015, ce qui représente un coût de l’ordre de 2,33 millions d’euros.
Le transfert de cette mission aux officiers de l’état civil n’apparaît pas devoir peser outre mesure sur leur travail, ces derniers effectuant plus de 1,6 million d’actes d’état civil (actes de naissances, actes de décès, mariages et reconnaissances) chaque année. Ces compétences s’inscrivent en outre dans la continuité de celles qu’ils exercent déjà en matière de PACS, puisqu’ils procèdent aux inscriptions nécessaires sur l’acte de naissance des partenaires. Enfin, il ressort des données transmises par le ministère de la Justice que les pactes civils de solidarité sont concentrés dans les communes les plus grandes, qui ont déjà des services d’état civil importants (56).
Le coût de cette nouvelle mission doit être mis en regard des économies, estimées à 2,4 millions d’euros, que les services de l’état civil peuvent attendre des mesures prévues à l’article 18 du présent projet de loi (suppression du double des registres de l’état civil et de l’envoi des avis de mention adressés aux greffes des tribunaux de grande instance).
Vos rapporteurs ajoutent que ce transfert affermit le rôle d’officier d’état civil du maire, ce qui lui apparaît essentiel.
Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, vos rapporteurs souhaitent que l’article 17, supprimé par le Sénat, à l’initiative de Mme Catherine Di Folco et contre l’avis du Gouvernement et de sa commission des Lois, soit rétabli.
Aussi, à l’initiative de vos rapporteurs et de M. Sergio Coronado et suivant l’avis favorable du Gouvernement, votre commission des Lois a rétabli l’article 17 dans sa rédaction initiale.
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La Commission examine les amendements identiques CL378 des rapporteurs et CL43 de M. Sergio Coronado.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Il s’agit de transférer des greffes aux officiers de l’état civil l’enregistrement du PACS. Nous revenons ainsi à l’objectif initial du processus législatif.
Aujourd’hui, nous savons dans quel contexte les PACS sont conclus et l’appréhension qu’en ont nos concitoyens. Par ailleurs, le dispositif législatif concernant le mariage des personnes de même sexe met à disposition une série d’instruments qui permettent à nos concitoyens de choisir leur parcours familial.
Dans ces conditions, le transfert du PACS aux officiers de l’état civil semble opportun, sachant que la convention annexée au PACS peut revêtir une forme notariée.
M. Sergio Coronado. Nous n’avons pas, monsieur le rapporteur, le même souvenir de ce qui a conduit le Parlement à adopter le PACS…
Ce débat avait déjà eu lieu en 1999, très rapidement, certes, en ce vendredi noir où les députés de la majorité n’étaient pas assez nombreux en séance pour repousser la question préalable, puis lors de l’examen de la nouvelle proposition de loi du groupe socialiste. Il était alors prévu d’écarter toute idée d’ouverture du mariage aux couples de même sexe. Car cette revendication existait déjà à l’époque : en 1997, un colloque avait eu lieu sur ce sujet, et un rapport de l’association AIDES avait fait de l’ouverture du mariage civil aux couples de même sexe l’une de ses principales revendications.
Je ne rappellerai pas les propos de la garde des Sceaux de l’époque s’attaquant à cette revendication, invoquant une sociologue – désormais acquise à la cause du mariage – qui condamnait les « ayatollahs de l’égalité » et considérait que le mariage entre personnes de même sexe était une attaque contre les principes intangibles de l’anthropologie et de la civilisation ! Pour ne pas la citer, il s’agit de Mme Irène Théry…
Je me félicite que, depuis, nous ayons parcouru un tel chemin. Il a néanmoins fallu seize ans pour que nous décidions d’adapter notre système à ce qui se fait dans les autres pays européens et de rationaliser la procédure administrative.
Cela étant, je rappelle la violence des débats à cette époque. Certains parlementaires avaient même proposé que le PACS soit signé devant un vétérinaire – le propos figure dans les comptes rendus officiels de notre assemblée !
Contrairement à ce que vous venez de dire, monsieur le rapporteur, je ne crois pas que le Gouvernement ait eu, au départ, l’idée que le PACS puisse être signé en mairie. Au contraire, il fallait écarter tout ce qui pouvait conduire à une égalité complète et laisser penser que l’on était, à terme, favorable à l’ouverture du mariage civil aux couples de même sexe.
M. Jean-Yves Le Bouillonnec, rapporteur. Ce n’est pas ce que je viens de dire.
M. Sergio Coronado. Je me félicite néanmoins que nous déposions ces deux amendements dans les mêmes termes et qu’ils puissent être adoptés.
M. le garde des Sceaux. Le Gouvernement est favorable à cette proposition. Dans la plupart des pays européens, ce sont les officiers de l’état civil qui assument cette responsabilité. En adoptant cet amendement, nous répondons à une demande de nos concitoyens et opérons une rationalisation des tâches entre les différentes administrations de l’État.
Olivier Dussopt m’a demandé, dans le cadre de la discussion générale, s’il y aurait des éléments de compensation pour les collectivités territoriales. Je précise que nous avons accepté cet amendement des rapporteurs à condition qu’il n’alourdisse pas la charge des communes et qu’il y ait des mesures de compensation.
Le Gouvernement a déposé des amendements relatifs à l’état civil, qui vont alléger la charge des collectivités. Il s’agit notamment de la suppression des doubles des registres de l’état civil, de l’élargissement de l’application du dispositif de communication électronique des données de l’état civil (COMEDEC) pour l’établissement des actes de mariage et de décès, ou encore de la suppression de la transcription des actes de décès à la mairie du domicile du défunt.
La Commission adopte les amendements.
Puis elle adopte l’article 17 modifié.
Article 17 bis
(art. L. 2121-30-1 [nouveau] du code général des collectivités territoriales)
Lieu de célébration des mariages
Introduit par le Sénat, à l’initiative de M. Roland Courteau, avec un avis favorable de la commission des Lois et un avis de sagesse du Gouvernement, cet article a pour objet d’autoriser le conseil municipal à affecter tout local adapté à la célébration des mariages, sauf si le procureur de la République s’y oppose.
Il prévoit, à cet effet, d’insérer, dans le code général des collectivités territoriales, un nouvel article L. 2121-30.
En l’état du droit, le mariage doit avoir lieu à la mairie (57).
Si des exceptions sont prévues par le code civil, c’est de manière circonscrite. Ainsi, la célébration hors mairie suppose un empêchement grave, comme un danger imminent de mort pesant sur l’un des futurs époux ou une infirmité rendant très difficiles ses déplacements. En revanche, une maladie curable ou un accident n’entraînant qu’un simple retard de la célébration ne justifie par une dérogation.
L’officier d’état civil ne peut décider seul de la célébration hors mairie : il doit avoir été requis ou autorisé par le procureur de la République du lieu du mariage. Toutefois, en cas de péril imminent de mort de l’un des époux, attesté par un médecin ou dont l’officier d’état civil aurait lui-même eu connaissance, il peut se rendre immédiatement au chevet du mourant et célébrer le mariage avant toute autorisation ou réquisition du procureur de la République. Il devra néanmoins lui en rendre compte dans les plus brefs délais.
Au cas de péril imminent de mort, le mariage peut être célébré où le mourant se trouve, éventuellement ailleurs qu’à son domicile ou sa résidence. Seul est alors compétent l’officier d’état civil de la commune où se trouve le mourant.
Par ailleurs, le mariage des détenus est en principe célébré dans l’établissement pénitentiaire sur réquisitions du procureur de la République, sauf obtention d’une permission de sortir. Celui des militaires et marins peut être célébré, dans certains cas spéciaux (en cas de guerre, d’expédition, d’opérations militaires hors du territoire national notamment), par des officiers de l’état civil militaires.
Il résulte ainsi des dispositions en vigueur qu’hormis les cas particuliers des détenus et des militaires, un mariage ne peut être célébré ailleurs qu’au sein de la mairie, sauf en cas d’empêchement grave ou de péril imminent de mort de l’un des futurs époux.
Ainsi, le code civil ne permet pas une célébration dans une annexe de la mairie, quand bien même la mairie et son annexe sont situées à proximité immédiate l’une de l’autre.
Pourtant, de nombreuses salles consacrées à la célébration des mariages ne sont pas, en r