N° 3733
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ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
QUATORZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 mai 2016.
AVIS
FAIT
AU NOM DE LA COMMISSION DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ET DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE DU PROJET DE LOI, après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification de l’accord de Paris adopté le 12 décembre 2015 (n° 3719).
PAR M. Jean-Paul CHANTEGUET
Député
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Voir les numéros : 3719, 3743.
SOMMAIRE
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Pages
INTRODUCTION 5
I. SALUER LE MEILLEUR ACCORD POSSIBLE 7
A. LA DIFFICILE REPRISE DES NÉGOCIATIONS INTERNATIONALES APRÈS L’ÉCHEC DE KYOTO 7
B. UN ACCORD AMBITIEUX ET RECEVANT UN SOUTIEN SANS PRÉCÉDENT 9
II. L’URGENCE À AGIR 15
A. LES RESPONSABILITÉS DES ÉTATS 15
1. Les résultats attendus des contributions nationales sont insuffisants 15
2. L’ambition des contributions nationales doit être significativement relevée à brève échéance 17
3. La mise en œuvre, dès aujourd’hui, d’un prix du carbone 18
B. LA PÉRENNISATION ET LA CONSOLIDATION DE L’AGENDA DES SOLUTIONS 21
1. Une innovation récente qui a généré une mobilisation de très grande ampleur à Paris 21
2. La dynamique spécifique du plan d’action Lima-Paris doit être soutenue et une forme innovante de gouvernance doit émerger 26
C. L’IMPLICATION DES CITOYENS EST ESSENTIELLE 29
TRAVAUX EN COMMISSION 31
I. TABLE RONDE SUR LES PROPOSITIONS QUE LA FRANCE POURRAIT PORTER APRÈS LA COP21 31
II. AUDITION DE M. PIERRE RADANNE, PRÉSIDENT DE L’ASSOCIATION 4D 59
III. DISCUSSION GÉNÉRALE 75
Le présent rapport pour avis sur le projet de loi n° 3719 autorisant la ratification de l’accord de Paris adopté le 12 décembre 2015 vise à apporter un éclairage sur une partie des grands enjeux liés à la ratification de cet accord.
C’est la seconde fois que la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire se saisit pour avis d’un projet de loi autorisant la ratification d’un accord ou d’un traité dont le sujet ressort de ses compétences.
Ainsi, à l’automne 2013, la commission s’était saisie du projet de traité franco-italien relatif à la liaison ferroviaire Lyon – Turin. Depuis sa création, la commission a suivi de près les négociations internationales portant sur les changements climatiques, organisant des tables rondes, auditionnant les différents acteurs, envoyant des délégations lors des conférences des parties et suivant tout particulièrement la préparation de la COP 21 (1) qui s’est tenue à Paris. C’est la raison pour laquelle elle a décidé de suivre l’application de l’accord de Paris et la préparation de la prochaine COP, qui aura lieu à Marrakech, au Maroc, du 7 au 18 novembre prochains.
Votre rapporteur pour avis souligne en premier lieu la grande réussite que constitue cet accord, qui doit être salué comme le meilleur accord qu’il était possible d’obtenir. Il comporte des avancées majeures et définit notre ambition collective de maintenir l’élévation de la température moyenne de la planète en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels (2), avec l’objectif de limiter cette élévation à 1,5 °C.
Votre rapporteur pour avis rappelle en second lieu l’urgence à agir, compte tenu du réchauffement déjà atteint. Les scénarios scientifiques du GIEC (3) ont démontré le coût marginal colossal de toute période supplémentaire d’inaction.
Nos sociétés vont entrer à brève échéance dans une période de puissantes mutations et recevront nécessairement des signaux parfois contradictoires. L’action politique doit donc maintenir le cap fixé par l’accord et même aller au-delà d’une application a minima. Les négociations menées lors de la COP 21 ont à cet égard probablement marqué un tournant et la priorité partagée est bien celle de l’action. Il appartient tout particulièrement à la France de faire fructifier l’élan donné à Paris et la mobilisation inédite de tous les acteurs, qui a agi comme un catalyseur de l’action diplomatique.
Votre rapporteur pour avis souhaite souligner que cet accord constitue le meilleur résultat auquel la COP 21 pouvait aboutir en l’état et un succès majeur qui relance fondamentalement l’action internationale en matière de changements climatiques, partiellement enlisée depuis quinze ans, notamment après le refus des États-Unis, en 2001, de ratifier le protocole de Kyoto de 1997.
La convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC), signée à Rio le 13 juin 1992, est entrée en vigueur le 21 mars 1994. Elle vise à maintenir les concentrations de gaz à effet de serre dans l’atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique. Le protocole de Kyoto, adopté le 11 décembre 1997, puis entré en vigueur le 16 février 2005, était contraignant pour les pays industrialisés et en transition, et reposait sur deux phases de réduction des émissions de gaz à effet de serre (2008-2012 puis 2013-2020), avec un système de rattrapage des émissions supplémentaires constatées par rapport aux engagements de la première phase, rattrapage majoré d’un taux dit « de restauration » fixé à 30 %, qui constituait une pénalité. La négociation de la seconde phase des engagements a conduit les pays ayant dépassé leurs niveaux prévus pour la première période à modifier la date fixant le point de référence des émissions (2005 et non 1990 par exemple), à minorer massivement les engagements pour le futur ou à se fixer des objectifs sous forme de promesses, en dehors du cadre du protocole de Kyoto (la Nouvelle-Zélande, le Japon et la Russie sont restés parties au protocole mais n’ont pas repris d’engagements pour la seconde phase). Les États-Unis n’ont pas ratifié le protocole et le Canada a décidé de se retirer du protocole en décembre 2011, anticipant le non-respect de son objectif de réduction des émissions. Les États européens se sont trouvés très isolés dans leur application du protocole et la nécessité d’un nouvel accord international fait consensus depuis plusieurs années.
Les négociations de l’accord de Paris devaient nécessairement aboutir à un système différent.
La conférence de Copenhague de 2009 a seulement permis de prendre note d’un accord négocié par une trentaine de parties, ce qui constituait un échec par rapport au mandat de la conférence de parvenir à un nouvel accord international pour l’après 2012. Le texte en question recelait quelques avancées importantes : y figuraient notamment l’objectif de limiter la hausse de la température mondiale en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels ainsi que l’affirmation d’un pic mondial des émissions devant être atteint le plus tôt possible, l’instauration d’un mécanisme pour lutter contre la déforestation, la mise en place de ressources financières pour aider les actions d’atténuation, avec un engagement de 30 milliards de dollars pour la période 2010-2012, ainsi que la fixation d’un objectif de 100 milliards de dollars par an en 2020 pour l’aide consacrée au climat dans les pays en développement, et la création d’un fonds climat. Ces dispositions ont ensuite pu être globalement intégrées dans des décisions de la conférence des parties (Conference of Parties – COP) qui s’est tenue à Cancun en 2010 (objectif de limiter à long terme l’augmentation moyenne de la température mondiale en dessous de 2 °C, nécessité d’atteindre le plus vite possible un pic des émissions, création du Fonds vert pour le climat et du mécanisme technologique, engagement des pays développés de mobiliser 100 milliards de dollars par an d’ici 2020 pour les pays en développement).
La conférence de Durban de 2011 a ensuite permis de reconnaître la nécessité de la participation de tous les pays à la lutte contre le changement climatique. Elle a également prévu que soit conclu, en 2015, un protocole ou un accord qui fixe les engagements pour la période 2020-2030 et permette de relever les engagements pris sur la période 2013-2020 dans le cadre du protocole de Kyoto.
C’est à la conférence de Varsovie, en 2013, qu’a été posé le principe de la réalisation des contributions nationales (intended nationally-determined contributions – INDC). La conférence de Varsovie a également permis le lancement du « mécanisme international de Varsovie sur les pertes et les dommages », structure de coordination visant à renforcer l’échange d’informations et à mobiliser l’assistance aux pays en développement (par l’accès aux financements notamment) pour faire face aux conséquences à long terme des changements climatiques. Les règles portant sur les actions de réduction de la déforestation et de la dégradation forestière (Cadre de Varsovie pour REDD+ (4)) ont été approuvées.
La conférence de Lima, en 2014, a défini le contenu des contributions nationales (mesures d’atténuation et d’adaptation (5)). L’appel de Lima pour l’action climatique a constitué une base de travail dans la perspective d’aboutir à un accord à Paris en novembre 2015, avec l’élaboration d’un avant-projet de texte de négociation. Le plan d’action Lima-Paris a également été lancé ainsi que le portail de recueil des engagements volontaires des acteurs non étatiques pour le climat sur le portail NAZCA (Non-State Actor Zone for Climate Action).
La gouvernance onusienne avait connu un essoufflement très net et l’accord de Paris a relancé le processus de mise en œuvre de la convention de Rio.
Comme le soulignait M. Pierre Radanne, président de l’association 4D (dossiers et débats pour le développement durable), lors de son audition devant la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire le 27 avril 2016, « nos responsables ont très bien compris que les États les plus forts ne faisaient plus à eux seuls les négociations internationales et que chaque pays devait être convaincu. Pour ce faire, il faut comprendre les intérêts et les difficultés de chacun, car ces discussions se déroulent dans le cadre des Nations unies et non dans un système de rapport de forces. La présidence française a parfaitement compris cet environnement et a fait preuve d’une grande humilité tout en se montrant plus ferme à la fin de la négociation pour aboutir à un accord. Aucun pays n’a été écarté de la négociation, et cette méthode a été unanimement saluée. ». « À Paris, notre futur a changé de direction », a-t-il ajouté.
Par ailleurs, grâce à la conférence de Lima, le débat a été axé, non plus uniquement sur une gestion diplomatique de la question climatique mais également sur une gestion de l’action, puisque les négociations ont permis de mettre en mouvement des énergies considérables en faveur de la lutte contre les changements climatiques. L’ensemble des acteurs ont été impliqués, qu’ils soient étatiques ou non étatiques. Des efforts très nombreux convergent désormais vers ce même objectif de limiter la hausse moyenne des températures. De plus, les questions relatives au climat ont pu être largement diffusées au sein des opinions publiques.
195 pays et l’Union européenne sont parties prenantes de cet accord, ce qui constitue une vraie réussite. Son caractère novateur réside également dans la présentation, par chacune des parties, d’une contribution nationale définissant les mesures prises à moyen et long termes pour limiter la hausse des températures.
189 parties ont remis leur contribution nationale avant la COP 21.
175 parties (dont l’Union européenne) ont signé l’accord de Paris dès l’ouverture à la signature à New York, le 22 avril, ce qui constitue là encore un symbole fort de l’engagement de tous pour le bien commun de l’humanité. La France est le premier État signataire, immédiatement suivie d’États insulaires concernés au premier chef par les changements climatiques et qui ont, à de nombreuses reprises, rappelé que la maîtrise de la hausse des températures constitue un enjeu vital et de court terme pour eux. À ce jour, 177 parties ont signé l’accord.
Les procédures de ratification par chaque pays sont déjà engagées.
Le double seuil fixé pour l’entrée en vigueur de l’accord (l’article 21 relatif à l’entrée en vigueur de l’accord dispose que 55 parties doivent avoir ratifié l’accord, qui représentent 55 % du total des émissions mondiales de gaz à effet de serre) pourrait être atteint rapidement, à l’automne 2016. En effet, les États-Unis le ratifieront certainement avant novembre prochain par décret présidentiel ; quant à la Chine et l’Inde, elles ont annoncé leur intention de le ratifier au cours de la même période.
Le délai de ratification par l’Union européenne pourrait à cet égard poser problème. L’accord étant dit « mixte », car entrant dans le champ des compétences partagées entre l’Union et les États membres, l’Union et ces derniers doivent le ratifier. Les instruments de ratification seront déposés une fois les procédures nationales internes et européenne achevées. La contribution déterminée au niveau national de l’Union, qui sera déposée conjointement avec les instruments de ratification, devra en outre détailler les objectifs nationaux affectés à chacun des États membres (paragraphes 16 à 18 de l’article 4 de l’accord).
Or, les engagements pris dans la contribution déposée par l’Union en 2015 ne sont que collectifs. La révision de la décision 2009/406 (6) sur les objectifs nationaux de réduction des émissions de CO2 devrait donc intervenir préalablement au dépôt de la nouvelle contribution de l’Union. Cette décision fixe la part des États membres dans le respect par l’Union de ses engagements de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour la période 2013-2020 (7).
Le Conseil européen des 23 et 24 octobre 2014 a défini le cadre de l’action de l’Union en matière de climat et d’énergie à l’horizon 2030. Il fixe un objectif commun de réduction d’au moins 40 % des émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport à 1990, un objectif d’augmentation de la part des énergies renouvelables à 27 % de la consommation énergétique de l’Union en 2030, ainsi qu’un objectif d’une amélioration d’au moins 27 % de l’efficacité énergétique en 2030 par rapport au scénario actuel. La proposition de révision de la décision de 2009 précitée n’a pas encore été déposée. L’Assemblée nationale, dans sa résolution adoptée le 25 novembre 2015 en séance publique, examinée à l’initiative de M. Bruno Le Roux, votre rapporteur pour avis, Mme Élisabeth Guigou, Mme Danielle Auroi et plusieurs de leurs collègues pour accéder, au-delà de la COP 21, à une société bas carbone (n° 611), demandait un renforcement de ces objectifs fixés pour 2030.
L’engagement de toutes les parties dans la négociation puis la signature massive de l’accord sont des avancées historiques qui le rendent politiquement très engageant.
L’accord comprend des avancées majeures.
Il fixe à la communauté internationale l’objectif ambitieux de contenir « l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels » et de poursuivre l’action pour limiter cette élévation à 1,5 °C (article 2). Le niveau actuel du réchauffement a déjà atteint 0,85 °C. Les parties doivent chercher à parvenir au plafonnement de leurs émissions de gaz à effet de serre dans les meilleurs délais (article 4). L’article 4 fonde l’objectif de parvenir à un équilibre, dans la seconde moitié du siècle, entre les émissions de gaz à effet de serre par les différentes sources et leur absorption par les puits de gaz à effet de serre. Cet objectif de neutralité carbone constituera un point central des travaux futurs.
L’accord est fondé sur l’équité et le rappel du principe des responsabilités communes mais différenciées des parties et de leurs capacités respectives (articles 2 et 4).
L’article 4 couvre les modalités d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre. L’accord de Paris ne repose pas sur un système de sanction mais sur les engagements pris par les parties, avec une force par ailleurs jamais atteinte par le passé. Les contributions déterminées au niveau national seront prises par périodes successives de cinq années, ou plus régulièrement si les parties le souhaitent, et les parties devront mettre en œuvre les mesures pour l’atténuation afin de réaliser les objectifs des contributions. Les pays développés doivent continuer à montrer la voie en assumant des objectifs de réduction des émissions en valeur absolue et les pays en développement doivent poursuivre leurs efforts d’atténuation. Les contributions ne pourront être que de plus en plus ambitieuses, selon un principe de progression constante. Les parties ont une obligation de rendre compte de leurs contributions selon les critères qui devront être établis s’agissant de l’intégrité environnementale, de la transparence, de l’exactitude, de l’exhaustivité, de la comparabilité et de la cohérence (article 4).
Un appui spécifique doit être fourni aux pays en développement (ressources financières à l’article 9, transferts de technologies à l’article 10, renforcement des capacités (8) des pays en développement à l’article 11). Les pays développés doivent poursuivre leur objectif collectif actuel de mobilisation, d’ici 2020, de 100 milliards de dollars de financements publics et privés par an jusqu’en 2025 et, à compter de 2025, ces derniers s’engagent à atteindre un objectif supérieur à ce niveau plancher (paragraphe 54 de la décision, l’article 9 de l’accord fixant le principe d’une progression des efforts par rapport aux efforts antérieurs). L’article 9 couvre une large gamme de sources de financements, en visant un équilibre entre atténuation et adaptation. Les pays développés communiquent tous les deux ans des informations quantitatives et qualitatives à caractère indicatif. La mobilisation des moyens financiers doit être sans précédent.
L’OCDE a réalisé une estimation des financements climatiques qui a été préparée à la demande des gouvernements péruvien et français. Selon cette étude (Climate Finance in 2013-14 and the USD 100 billion goal, octobre 2015), les financements publics et privés, mobilisés par les pays développés à l’appui d’actions climatiques dans les pays en développement, ont atteint 62 milliards de dollars pour l’année 2014, contre 52 milliards de dollars en 2013. Les financements qui sont issus du Fonds vert participent à l’objectif de 100 milliards de dollars pour répondre aux besoins des pays en développement. Pour la période 2013-2014, 77 % des fonds ont été dédiés à l’atténuation du changement climatique, 16 % à l’adaptation au changement climatique, et 7 % à des activités visant à la fois l’adaptation et l’atténuation. En 2014, les financements internationaux de la France pour le climat dans les pays en développement étaient de 3 milliards d’euros. Le Président de la République a annoncé le 28 septembre 2015, lors de l’Assemblée générale des Nations Unies, qu’ils dépasseront 5 milliards d’euros à l’horizon 2020. Mais les dons représentent encore une part trop faible de cette enveloppe par rapport aux prêts – notamment pour les pays les plus pauvres.
L’article 5 de l’accord est relatif aux puits et réservoirs de gaz à effet de serre et vise à leur conservation et à leur renforcement.
L’article 6 pose le cadre juridique pour des échanges volontaires de réductions d’émissions dans un cadre centralisé sous l’égide de la COP.
L’adaptation au changement climatique est pleinement consacrée dans toutes ses dimensions (article 7). L’objectif mondial consiste à renforcer les capacités d’adaptation, à accroître la résilience aux changements climatiques et à réduire la vulnérabilité à ces changements. La conférence de Nairobi en 2005 avait, la première, mis l’accent sur l’adaptation. L’implication de tous est ici mise en avant. L’article 7 précise le soutien à apporter aux pays en développement, le renforcement de la coopération ainsi que de l’échange des bonnes pratiques et le développement des connaissances scientifiques, y compris les dispositifs d’alerte précoce. Les processus de planification et d’évaluation sont également précisés. Chaque pays doit présenter périodiquement une communication sur l’adaptation.
À l’article 8, les parties reconnaissent la nécessité d’éviter les pertes et préjudices liés aux effets néfastes des changements climatiques, notamment les phénomènes météorologiques extrêmes et les phénomènes qui se manifestent lentement. Le mécanisme international de Varsovie relatif aux pertes et préjudices liés aux incidences des changements climatiques est placé sous l’autorité de la COP.
Un bilan mondial de la mise en œuvre de l’accord doit être réalisé en 2023 puis tous les cinq ans (article 14). Ce bilan vise à éclairer les parties sur l’actualisation et le renforcement des mesures prises ainsi que des contributions nationales.
Des travaux techniques complexes devront être menés à Marrakech lors de la COP 22.
La réunion des organes subsidiaires et la première réunion du comité de l’accord de Paris auront lieu à Bonn, du 16 au 26 mai 2016. Des éléments essentiels de l’accord résident dans le caractère comparable des systèmes de comptabilisation des émissions de gaz à effet de serre et des absorptions, ainsi que dans les méthodes de comptabilisation des financements.
Des lignes directrices concernant les contributions nationales devront être élaborées. Le contenu des mesures d’adaptation et, d’ici 2018, le cadre renforcé de la transparence prévu à l’article 13 de l’accord devront être arrêtés, avec une certaine marge de flexibilité pour les pays en développement.
Le 30 octobre 2015, le secrétariat de la CCNUCC a rendu son rapport de synthèse sur les 119 contributions déterminées au niveau national couvrant 147 parties (l’Union européenne ayant déposé sa contribution applicable à l’ensemble des 28 États membres). Ce rapport a fait l’objet d’une mise à jour le 2 mai 2016, couvrant les 161 contributions nationales déposées à ce jour, qui représentent 189 parties.
Dans son rapport, le secrétariat de la CCNUCC fournit des estimations sur le niveau global des émissions de gaz à effet de serre attendues en 2025 et 2030, compte tenu des mesures prévues dans les contributions ainsi que des scénarios de référence du GIEC pour les contributions ne couvrant pas tous les secteurs ni tous les gaz concernés.
Les contributions déposées représentent 96 % des parties et 99 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. La plupart des contributions, hormis celle de l’Union européenne, ont une portée nationale et s’appliquent aux sources d’émissions les plus importantes et de nombreuses affichent des objectifs chiffrés. Peu d’entre elles prévoient un pic d’émission. Leur mise en œuvre devrait alors, selon le rapport, se traduire par des émissions mondiales totales de 55 (entre 51,4 et 57,3) gigatonnes d’équivalent CO2 en 2025 et 56,2 (entre 52 et 59,3) GteqCO2 en 2030. Sur la période 2012-2025, les émissions mondiales cumulées de CO2 devraient atteindre 533,1 (entre 509,6 et 557,2) GteqCO2. Sur la période 2012-2030, les émissions cumulées atteindraient 738,8 (entre 703,6 et 770,9) GteqCO2.
Il n’est pas inutile de rappeler que le GIEC, dans son dernier rapport, évalue le total des émissions de gaz à effet de serre d’origine anthropique cumulées à 2 900 GteqCO2 en 2100 pour limiter à 2 °C la hausse des températures par rapport à l’ère préindustrielle. En 2011, 1 900 GteqCO2 avaient déjà été émises. De ce fait, si les émissions cumulées sur la période 2012-2030 atteignaient effectivement 740 GteqCO2, alors ce seraient les ¾ des émissions « disponibles » jusqu’en 2100 pour contenir la hausse des températures qui auraient déjà été utilisées.
Les émissions devraient continuer à croître jusqu’en 2025 et 2030 mais avec une nette décélération des taux d’accroissement. Le tableau suivant retrace les évaluations fournies.
VOLUME GLOBAL DES ÉMISSIONS MONDIALES DE GAZ À EFFET DE SERRE
ET ÉMISSIONS PAR HABITANT
EN 2025 ET 2030
ÉVOLUTION PAR RAPPORT À DIFFÉRENTES ANNÉES DE RÉFÉRENCE
Année de référence | |||
1990 |
2000 |
2010 | |
Volume global des émissions mondiales en 2025 |
+40 % |
+35 % |
+13 % |
Volume global des émissions mondiales en 2030 |
+44 % |
+38 % |
+16 % |
Émissions moyennes par habitant en 2025 |
– 8 % |
nd |
– 4 % |
Émissions moyennes par habitant en 2030 |
– 10 % |
nd |
– 5 % |
Source : à partir du rapport de synthèse actualisé du secrétariat de la CCNUCC sur l’effet global des contributions prévues déterminées au niveau national, 2 mai 2016, page 10.
Les contributions nationales permettraient de réduire les émissions mondiales de gaz à effet de serre de 2,8 GteqCO2 (entre 0 et 6) en 2025 par rapport aux précédentes trajectoires, et de 3,3GteqCO2 (entre 0,3 et 8,2) en 2030.
Le niveau des émissions mondiales attendues n’est pas compatible avec les scénarios de référence élaborés par le GIEC pour une hausse de 2 °C du niveau mondial des températures en 2100. Ce denier a établi des trajectoires d’émissions économiquement optimales, avec une probabilité supérieure à 66 % de rester en dessous d’une hausse de la température de 2 °C. La trajectoire optimale débutant en 2010 correspond à des émissions de 44,3 Gteq CO2 pour l’année 2025 et de 42,7 Gteq CO2 en 2030. Celle débutant en 2020 aboutit à des émissions de 49,7 Gteq CO2 en 2025 et de 38,1 Gteq CO2 en 2030.
La croissance des émissions telle qu’elle ressort des contributions nationales devrait générer une hausse des températures de l’ordre de 2,7 °C, avait précisé Mme Christiana Figueres, secrétaire exécutive de la CCNUCC, lors de la publication du rapport du secrétariat de la CCNUCC.
Comme l’avait souligné Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, au cours de son audition commune devant la commission des affaires étrangères, la commission des affaires économiques, la commission du développement durable et la commission des affaires européennes, le 3 février 2016, « la trajectoire climatique, compte tenu de ces contributions, est celle d’un réchauffement de l’ordre de 3 degrés en 2100. Tout le travail effectué à partir des engagements de l’accord de Paris vise à corriger cette courbe pour aller vers un réchauffement de 2, voire de 1,5 degré – l’ajout de ce chiffre ayant été l’un des grands enjeux de cette COP, et la rédaction de ce dernier objectif étant, vous l’avez remarqué, différente. »
Entre 2030 et 2050, le niveau de réduction des émissions mondiales devrait être doublé (pour atteindre – 3,3 % par an en moyenne entre 2030 et 2050) par rapport à la réduction prévue pour un scénario économiquement optimal d’atténuation renforcée dès 2010 ou 2020. Le coût de tout retard pris sur ces trajectoires est donc considérable.
Le cinquième rapport du GIEC a démontré l’importance d’une action immédiate afin de ne pas se trouver dans la situation de devoir réduire trop rapidement et trop brutalement le niveau des émissions d’ici quelques années. Il convient en effet de rappeler que les gaz à effet de serre ont une très longue durée de vie dans l’atmosphère et que le niveau cumulé des émissions détermine dans quelle mesure le climat est affecté.
Votre rapporteur pour avis souligne qu’il est impératif que les parties accentuent leurs efforts très rapidement pour demeurer dans une trajectoire d’élévation des températures compatible avec notre avenir à brève échéance.
Votre rapporteur pour avis estime absolument nécessaire de revoir en profondeur les engagements de façon très anticipée et de pousser un maximum de parties à réévaluer fortement leurs contributions avant 2020 afin de revenir à un scénario soutenable.
La date de 2018 devrait être considérée comme une étape majeure.
La conférence des parties, aux points 20 et 21 de la décision d’adoption de l’accord de Paris 1/CP21 du 12 décembre 2015, décide « d’organiser un dialogue de facilitation entre les Parties pour faire le point en 2018 des efforts collectifs déployés par les Parties en vue d’atteindre l’objectif à long terme […] et d’éclairer l’établissement des contributions déterminées au niveau national […].
[Elle] invite le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat à présenter un rapport spécial en 2018 sur les conséquences d’un réchauffement planétaire supérieur à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels et les profils connexes d’évolution des émissions mondiales de gaz à effet de serre ».
La COP 24 de 2018 devra également adopter les modalités de comptabilisation des ressources financières fournies et mobilisées par des interventions publiques des pays développés pour les pays en développement (conformément au paragraphe 7 de l’article 9 de l’accord).
Les travaux sur les modalités, procédures et lignes directrices aux fins de la transparence des mesures prises et de l’appui fourni aux pays en développement (paragraphe 13 de l’article 13 de l’accord) devront aussi être achevés pour la session de 2018.
Le prix du carbone est un outil très puissant pour lutter contre les changements climatiques et réorienter massivement les choix économiques.
Dans son rapport n° 3305 intitulé « Le passage à un monde décarboné n’est plus négociable » du 7 décembre 2015, votre rapporteur pour avis avait souligné toute l’urgence à donner un prix au carbone. Cette nouvelle valeur doit être intégrée à l’économie. Le rapport dresse le panorama des différents instruments existants et des expériences de tarification du carbone. Il convient également de rappeler que l’idée de fixer un prix au carbone reçoit l’appui d’institutions financières majeures (Banque mondiale, Fonds monétaire international).
Dès le sommet de septembre 2014 à New York, une coalition a été constituée dans le cadre de l’agenda des solutions pour le prix du carbone, qui regroupe 74 pays et plus de 1 000 entreprises. Cette coalition vise à créer les conditions d’un dialogue porteur entre décideurs publics et privés sur les opportunités d’étendre les politiques de tarification du carbone. La France, l’Allemagne, le Mexique, le Canada, le Chili ou encore l’Éthiopie font notamment partie de cette coalition.
Votre rapporteur souscrit donc pleinement à l’objectif annoncé, dans le cadre de la conférence environnementale d’avril 2016, par le Président François Hollande, de mettre en œuvre dès cette année un prix du carbone. L’objectif est de taxer l’utilisation des énergies fossiles pour la production d’électricité. Cinq centrales sont alimentées par le charbon en France, ce qui est certes peu, mais doit toutefois permettre des réductions d’émissions conséquentes.
Mme Ségolène Royal, ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer, en charge des relations internationales sur le climat, a confié le 25 mars 2016 une mission à MM. Pascal Canfin, Alain Grandjean (9) et Gérard Mestrallet afin de préciser les modalités par lesquelles une trajectoire de prix du carbone plus solide pourrait être obtenue sur le marché carbone européen, d’identifier les possibilités d’intégration d’une composante carbone dans la fiscalité énergétique des pays de l’Union, pour les secteurs non couverts par le marché carbone, et de proposer des moyens de mettre en œuvre un prix plancher pour la production d’électricité à l’échelle européenne, dans le cadre de coopérations régionales ou, dans un premier temps, au niveau national.
La loi de transition énergétique fixe une trajectoire ambitieuse pour la contribution climat énergie, intégrée aux taxes intérieures de consommation sur les énergies fossiles, avec une valeur de la tonne de carbone de 56 euros en 2020 et de 100 euros en 2030.
Votre rapporteur pour avis se félicite que la France mette en œuvre une action volontariste en souhaitant entraîner avec elle ses partenaires.
Comme le rappelait M. Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères et du développement international, au cours de son audition du 3 février précitée, « il n’y a dans l’accord qu’une toute petite mention – mais j’ai beaucoup insisté pour qu’elle y figure – de la tarification du carbone, qui est l’un des points principaux pour le futur. » En son point 137, la conférence « reconnaît aussi combien il importe de fournir des incitations aux activités de réduction des émissions, s’agissant notamment d’outils tels que les politiques nationales et la tarification du carbone ». Cette seule mention est en effet insuffisante.
Votre rapporteur pour avis souligne également la nécessité de suivre de très près deux domaines économiques importants : le transport aérien et le transport maritime. Le transport aérien relève de la compétence de l’organisation de l’aviation civile internationale (OACI) qui devrait conclure, pour la première fois en septembre 2016 (10), un accord visant à la régulation des émissions du secteur. Le transport maritime relève de l’organisation maritime internationale (OMI). Le 22 avril 2016, le comité de la protection du milieu marin de l’OMI a proposé les bases d’une nouvelle réglementation qui obligerait l’ensemble des navires d’une jauge brute supérieure à 5 000 UMS (11) à mesurer leurs émissions de CO2 et à les déclarer à l’OMI. L’articulation des accords que doivent porter ces deux organisations avec l’accord de Paris doit constituer une priorité.
Dans sa résolution pour accéder, au-delà de la COP 21, à une société bas carbone (n° 611 du 25 novembre 2015), l’Assemblée nationale soulignait la nécessité d’inclure le transport aérien et le transport maritime international dans les mécanismes de contrôle des émissions de carbone.
Mme Laurence Tubiana, ambassadrice chargée des négociations sur le changement climatique, indiquait devant la commission des affaires étrangères le 6 avril 2016 :
« Sur les transports qui échappent à la juridiction des États, il y a des avancées pour ce qui concerne l’aviation, avec un accord à l’OACI pour avancer sur les standards. C’est une bataille industrielle, elle est rude, mais nous pourrons cette année avoir quelques résultats grâce à l’accord de Paris. Par ailleurs, il s’agit d’intégrer le transport aérien dans les marchés carbone qui existent et d’amener les compagnies à acheter des crédits carbone ou à verser des compensations si elles ne sont pas intégrées à un marché. Je constate aujourd’hui que de plus en plus de compagnies, y compris les compagnies chinoises, qui ne font pas partie d’un marché carbone, commencent à compenser leurs émissions. L’intérêt à faire émerger un prix du carbone pour le transport aérien est patent. J’ajoute qu’il faut progresser au plus vite en matière d’innovation sur les carburants – on n’est pas encore à l’avion solaire de grande portée, mais c’est un secteur qui doit être mis en avant.
Sur le transport maritime, je suis plus pessimiste. Il faut renforcer notre action sur ce volet. Il faut convaincre les pays en développement qu’une régulation ou l’émergence d’un prix du carbone ne sera pas discriminant pour leurs exportations. L’accord de Paris devrait débloquer ce point précis. Il faut également faire des progrès en matière de carburants – il existe des exemples de bateaux qui utilisent des nouveaux carburants – et promouvoir l’usage des énergies renouvelables. C’est un dossier qu’il faut prendre sous tous les angles : ni sous le seul aspect technologique, ni sous le seul angle de la régulation. Il faut mobiliser tous les grands acteurs économiques mondiaux afin que l’Inde et la Chine soient partie prenante. »
L’action française au niveau européen devrait continuer de porter l’idée d’un corridor de prix du carbone, dans le cadre de la révision de la directive 2003/87/CE (12), qui a institué le système d’échange de quotas européens (EU ETS pour Emission Trading System), comme l’a proposé Mme Ségolène Royal, ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer, en charge des relations internationales sur le climat.
Il convient de rappeler que, dans le cadre de l’Union de l’énergie, la France a toujours fermement soutenu le système d’échange de quotas européens. Il instaure une réduction progressive du plafond des émissions attribuées à 11 000 installations électriques et industrielles dans l’Union et les États associés. Cependant, ce marché dysfonctionne et le prix du carbone est de l’ordre de 5 à 6 euros, ce qui est totalement insuffisant pour réorienter les choix économiques. Ce prix a, en outre, été très volatile et imprévisible ces dernières années. En 2013, l’Union a procédé au retrait temporaire de 900 millions de quotas, sans effet notable sur le marché (règlement 176/2014 (13)).
En 2015, a ensuite été adoptée la réserve de stabilité du marché, qui ne sera cependant applicable qu’à compter de 2019 (décision 2015/1814 (14)). Il s’agira d’un dispositif devant se déclencher de façon automatique dès lors que l’on anticipe une sortie d’une fourchette de prix prédéterminée. Une proposition de révision de la directive 2003/87/CE, déposée en juillet 2015 par la Commission européenne, est actuellement en cours de négociation pour prendre la suite de la phase III du système européen d’échange de quotas d’émission (2013-2020).
Plusieurs questions majeures devront être tranchées, telles que l’allocation gratuite de quotas qui permette de préserver la part destinée aux enchères des États membres, les modalités d’allocation gratuite de quotas, la réduction annuelle du plafond d’émission (qui passerait de 1,74 % par an à 2,2 % par an), les référentiels applicables pour les différents secteurs, la place de l’innovation et des technologies bas-carbone. Il convient toutefois de relever que le système européen d’échange de quotas d’émission ne sera pas à même, dans le cadre de la révision telle qu’elle est proposée, d’atteindre les objectifs portés par le Président de la République et la ministre de l’environnement, loin s’en faut. L’Assemblée nationale, dans sa résolution pour accéder, au-delà de la COP 21, à une société bas carbone (n° 611 du 25 novembre 2015), demandait une réforme du mécanisme de fixation du prix du carbone sur le marché ETS, pour qu’il atteigne un niveau crédible :
« 5. En proposant que les règles de fonctionnement du système européen d’échange de quotas d’émissions de gaz à effet de serre (ETS), qui concerne actuellement trente pays, incluent un prix plancher et un prix plafond, croissants et cohérents avec le « corridor carbone », qui pourrait exister au niveau international, de manière à adresser un véritable « signal prix » aux entreprises concernées .»
L’accord de Paris repose sur quatre piliers complémentaires : l’accord proprement dit, les contributions nationales, le financement et l’agenda des solutions.
Une première série d’initiatives coopératives a été lancée lors du sommet pour le climat organisé par Ban Ki-Moon à New York en septembre 2014, sur la base du volontariat, dans le cadre de l’agenda des solutions.
Depuis la COP 20, l’agenda des solutions est porté par le programme d’action Lima-Paris (Lima-Paris Action Plan – LPAA), mis en œuvre à l’initiative conjointe des présidences péruvienne et française, du secrétariat de la CCNUCC et du secrétariat général des Nations Unies. L’objectif du programme d’action Lima-Paris est d’aider les initiatives existantes et de rechercher de nouvelles pistes moins explorées : il a connu une très forte montée en puissance durant la préparation de la COP 21 et a constitué un volet très enthousiasmant de ces négociations. Il convient ici de souligner la justesse de la démarche de mobilisation conjointe des acteurs étatiques et non étatiques.
Le plan d’action vise à associer l’ensemble des acteurs de la société civile prenant des engagements opérationnels sur le climat. L’originalité de la démarche réside notamment dans l’association d’acteurs étatiques et d’acteurs non étatiques divers (villes, régions, organisations internationales, société civile, universités, chercheurs, entreprises), et dans leur participation aux discussions internationales, ce qui est inédit dans la conception des conférences internationales.
Agissant comme un catalyseur, le programme d’action Lima-Paris démontre que les États seuls ne pourront pas tout et que l’implication de tous est nécessaire si l’on veut traduire dans les faits les changements qui s’imposent dans nos modes de vie et de développement.
Cette mobilisation au côté des cadres institutionnels classiques a dynamisé les négociations et poussé les gouvernements à l’action.
La « Zone des acteurs non-étatiques pour l’action pour le climat » (portail Internet NAZCA – Non-State Actor Zone for Climate Action) a été lancée en 2014 au cours de la conférence sur le climat des Nations Unies à Lima par le gouvernement du Pérou et les Nations Unies, et recense les engagements individuels et de coopération pris par les entreprises, les villes, les régions et les investisseurs pour lutter contre le changement climatique. Ce portail donne une visibilité particulière à ces initiatives. À ce jour, 11 619 engagements ont été enregistrés, impliquant 2 364 villes, 167 régions, 2 090 entreprises, 448 investisseurs et 236 organisations de la société civile.
Le portail Internet NAZCA est désormais également le portail Internet d’accès au plan d’action Lima-Paris. Les engagements recensés recouvrent à la fois des actions individuelles et des actions collectives, sur lesquelles l’accent a en particulier été mis à Paris. La démarche a un caractère inclusif afin de mobiliser au-delà des cercles d’acteurs déjà traditionnellement au cœur du système des négociations. Plusieurs critères ont été fixés et doivent être satisfaits :
– l’initiative doit être suffisamment ambitieuse, avec des objectifs quantitatifs à court et à long termes ;
– elle doit être fondée sur la science et avoir un impact concret sur l’atténuation du changement climatique ou l’adaptation à celui-ci dans l’un des douze champs d’action prédéfinis (agriculture, forêt, transport, énergies renouvelables, accès à l’énergie et efficacité, résilience, villes et territoires, financements privés, entreprises, innovation, bâtiment, polluants chimiques à courte durée de vie) ;
– les initiateurs doivent pouvoir faire un suivi et communiquer les résultats de manière régulière. Ils doivent aussi démontrer leur capacité à respecter les engagements pris : les chefs de projets doivent être en mesure de mettre en œuvre eux-mêmes les solutions proposées ;
– pour les initiatives de coopération internationale, la participation de tous est requise.
Une réunion de haut niveau sur l’action climatique, la « journée de l’action », s’est tenue le 5 décembre 2015. Une série de douze journées d’actions thématiques a également été organisée pendant la COP 21.
Un comité de pilotage a été constitué pour concevoir la stratégie et la mise en œuvre du programme d’action. Ce comité de pilotage réunit les deux présidences, actuelle et à venir, le Secrétariat de la CCNUCC et le Bureau exécutif du Secrétaire général des Nations Unies et comprend huit membres, chaque instance nommant deux personnalités.
Dans la résolution pour accéder, au-delà de la COP 21, à une société bas carbone (n° 661), l’Assemblée nationale demandait « que soit institutionnalisé l’Agenda des solutions en proposant de créer un « Conseil pour l’Agenda des solutions », composé de représentants de différentes initiatives pour le climat et de la société civile, d’experts, de représentants de gouvernements nationaux et d’organisations internationales, dont les travaux seraient coordonnés par un « Haut Représentant pour l’Action Climat », lequel aurait la responsabilité de guider et pérenniser l’Agenda grâce à la mobilisation de nouveaux acteurs, la rencontre entre les porteurs d’initiatives et la mise en lumière des efforts à réaliser pour combler les écarts entre les ambitions affichées et les objectifs attendus ».
Au lendemain de la signature de l’accord de Paris, le bilan était le suivant : plus de 70 grandes initiatives coopératives ou coalitions regroupant près de 10 000 acteurs issus de 180 pays étaient venues présenter leurs actions. 7 000 collectivités et 2 000 entreprises étaient engagées.
Comme le soulignait Mme Laurence Tubiana, ambassadrice chargée des négociations sur le changement climatique, au cours de son audition devant la commission des affaires étrangères le 6 avril 2016, la mobilisation de toutes les composantes de la société a été considérable.
Les initiatives sont très variées et reposent sur des alliances spécifiques.
En matière de forêt, l’Allemagne, la Norvège et le Royaume-Uni ont pris un engagement collectif de 5 milliards de dollars entre 2015 et 2020, si les pays forestiers parviennent à une réduction mesurée, notifiée et vérifiée de leurs émissions. La Colombie a ainsi annoncé un engagement de 300 millions de dollars avec ces trois pays pour mettre en œuvre sa vision de la croissance verte («Amazon Vision»). Des acteurs privés se sont fixé des objectifs ambitieux, dans le cadre de l’initiative Engagements zéro déforestation, prise par des producteurs et courtiers de commodités agricoles, pour atteindre « zéro déforestation » nette dans les chaînes d’approvisionnement en produits tels que l’huile de palme, le soja, les produits bovins ou encore le papier. Les membres du Forum des biens de consommation (Consumer Goods Forum), qui représente 400 entreprises et négociants, font partie de cette initiative. Une initiative Haïti prend racine a été prise par la France, l’organisation J/P HRO et la fondation Parker, en faveur du reboisement d’Haïti.
En matière d’agriculture, l’initiative 4 pour 1 000 : les sols pour la sécurité alimentaire et le climat a été lancée par la France pour accroître le stockage de carbone dans les sols afin d’améliorer les rendements agricoles et de réduire les émissions du secteur. Elle est soutenue par l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture, l’Allemagne, l’Australie, l’Uruguay et, au total, plus d’une centaine d’États et organisations.
S’agissant de la résilience, une coalition de 32 entreprises, impulsée par Suez environnement, est engagée pour l’eau, l’alliance des entreprises pour l’eau et le climat, qui encourage les entreprises à mesurer et à réduire leur impact sur l’eau. L’initiative « Crews » (Climate Risks and Early Warning Systems, systèmes d’alerte précoce face aux risques climatiques) vise au lancement de systèmes d’alerte précoce pour une cinquantaine de pays les moins avancés et les petites îles (80 millions d’euros ont été mobilisés). Pour la première fois, une session de haut niveau a été consacrée aux océans et un rapport spécial a été commandé au GIEC.
Dans les transports, de nombreux partenaires (dont cinquante gouvernements) ont engagé un plan d’action mondial pour un fret respectueux de l’environnement pour des programmes nationaux et régionaux sur le fret vert et pour mobiliser, avant 2025, plus de 100 des plus grands chargeurs et transporteurs du monde. La déclaration de Paris sur l’électromobilité et les changements climatiques et l’appel à l’action, auxquels participent Tesla Motors, Michelin, l’alliance Renault-Nissan, le programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), l’Association internationale de l’énergie et plusieurs initiatives clés, s’appuie sur les engagements de très nombreux acteurs en faveur de l’électrification durable des transports, pour atteindre l’objectif de 20 % de véhicules électriques en 2030.
En matière de financements privés, 106 banques et une douzaine d’investisseurs se sont engagés à augmenter leurs activités en matière d’efficacité énergétique, avec la déclaration des institutions financières sur le financement de l’efficacité énergétique pour accroître les investissements des banques dans une énergie propre.
Cent participants se sont engagés à réduire leurs émissions de polluants climatiques à courte durée de vie (hydrofluocarbures, méthane et noir de carbone) avec la coalition pour le climat et la qualité de l’air pour réduire les polluants à courte durée de vie.
Dans le bâtiment, l’alliance mondiale pour les bâtiments et la construction, initiée par la France et le programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), a pour objectif d’augmenter plus rapidement la part du bâtiment écologique. Elle regroupe vingt pays, huit grands groupes et plus de cinquante organisations du bâtiment et de la construction.
En matière d’énergies renouvelables, l’alliance mondiale pour la géothermie vise à atteindre, d’ici 2030, une augmentation de 500 % de la capacité mondiale installée de production d’énergie géothermique et une augmentation de 200 % pour le chauffage géothermique. Elle est portée par la France, l’Islande et l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (International Renewable Energy Agency – IRENA). L’alliance solaire internationale, lancée par l’Inde avec le soutien de la France, vise à mobiliser 1 000 milliards d’investissements pour déployer l’énergie solaire dans les pays intertropicaux. À travers En.Lighten et le Clean Energy Ministerial Global Lighting Challenge, 75 pays sont engagés pour éliminer le plus rapidement possible les ampoules à incandescence.
Votre rapporteur pour avis souhaite tout particulièrement mettre en avant l’initiative africaine pour les énergies renouvelables, qui est une coalition de pays africains pour le développement des énergies renouvelables, encouragée par la France, et qui vise à installer 10 gigawatts (GW) supplémentaires d’ici 2020 ainsi que l’installation de 300 GW d’ici 2030. L’initiative est menée par la commission de l’Union africaine, l’agence du nouveau partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD), le groupe des négociateurs africains, la Banque africaine de développement, le programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), ainsi que l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA). La mobilisation à Paris autour de cette initiative a permis de réunir 10 milliards de dollars de financements publics d’ici 2020 (en prêts et dons, dont deux milliards de financements de la part de la France), soit le coût nécessaire pour fournir les 10 GW, ce qui constitue un beau succès.
Les engagements des collectivités locales sont très nombreux. La convention des maires est un mouvement d’autorités locales et régionales qui s’engagent volontairement à accroître l’efficacité énergétique et l’utilisation de sources d’énergie renouvelables sur leurs territoires. Elle réunit près de 6 500 villes et villages. Le pacte des maires est un effort coopératif entre les maires et les représentants des villes pour s’engager à réduire les émissions de gaz à effet de serre et en rendre compte. Le Under2MOU ou Mémorandum d’accord sur le leadership climatique infranational mondial engage 80 gouvernements infranationaux à réduire, d’ici 2050, leurs émissions de 80 à 95 % en dessous du niveau de 1990 ou à réduire les émissions annuelles de gaz à effet de serre par personne à deux tonnes d’ici 2050.
La Coalition pour la tarification du carbone (Carbon Pricing Leadership Coalition – CPLC) réunit 25 pays et acteurs locaux, dont la France, et plus de 100 entreprises. 69 entreprises représentant 1,9 milliard de dollars de chiffre d’affaires se sont engagées à mettre en place un prix interne du carbone et à l’intégrer dans leurs stratégies d’entreprises à long terme.
En matière d’innovation, la mission innovation sur l’énergie propre, lancée par les Présidents François Hollande et Barack Obama, regroupe vingt pays (France, États-Unis, Chine, Inde, Allemagne, Royaume-Uni, etc.) qui se sont engagés à doubler leur budget de recherche et développement dans le domaine des technologies propres d’ici 2020.
Le Business dialogue a réuni mi-février à Paris plus de soixante chefs d’entreprise et ambassadeurs sur les suites concrètes à donner à l’accord de Paris.
Depuis la COP 21, l’appel de Paris, dévoilé le 22 avril, (« Paris Pledge for action ») a montré que les acteurs (entreprises, villes, investisseurs, régions, syndicats, groupes de la société civile) s’engagent à soutenir toute action en vue de respecter, voire dépasser, le niveau d’ambition de l’accord. Ils annoncent leur volonté de prendre des mesures concrètes dès à présent, sans attendre l’entrée en vigueur de l’accord en 2020, tant à titre individuel qu’en coopération. « Le moment présent nous apparaîtra alors comme un tournant au cours duquel la transition vers une économie à faibles émissions et résiliente au climat sera devenue inévitable, irréversible et irrésistible. Nous devons résoudre le problème des changements climatiques, nous pouvons le faire et, ensemble, nous le ferons », conclut l’appel.
Le 23 juin prochain, une réunion des porteurs des différentes initiatives sera organisée avec le Maroc, à Tanger, afin de préparer la journée d’action qui aura lieu à Marrakech.
2. La dynamique spécifique du plan d’action Lima-Paris doit être soutenue et une forme innovante de gouvernance doit émerger
Dans le chapitre sur le renforcement de l’action avant 2020, la décision de Paris 1/CP.21 d’adoption de l’accord de Paris du 12 décembre 2015 va bien au-delà d’une simple reconnaissance des résultats du programme d’action Lima-Paris et le pérennise. En effet, au paragraphe n° 117, la conférence des parties « note avec satisfaction les résultats du programme d’action Lima-Paris, qui s’appuient sur le sommet sur le climat organisé le 23 septembre 2014 par le Secrétaire général de l’ONU ». Au point 118, elle « se félicite des efforts déployés par les entités non parties afin de développer leurs actions en faveur du climat, et encourage l’affichage de ces actions sur le portail des acteurs non étatiques pour l’action climatique ». Au paragraphe n° 119, elle « encourage les parties à œuvrer étroitement avec les entités non parties, afin de favoriser le renforcement des activités d’atténuation et d’adaptation » et, au paragraphe n° 120, encourage aussi les entités non parties à accroître leur participation au processus renforcé d’examen technique des mesures d’atténuation et au nouveau processus d’examen technique des mesures d’adaptation pour la période 2016-2020.
Par ailleurs, le programme d’action Lima-Paris est pérennisé pour la période 2016-2020 (paragraphe n° 121) et constituera le fondement d’une nouvelle réunion de haut niveau qui sera convoquée parallèlement à chaque session de la conférence des Parties pendant la période de 2016-2020 afin de :
« a) renforcer encore la participation de haut niveau à la mise en œuvre des politiques et mesures découlant des processus [d’examen technique des mesures d’atténuation et d’adaptation] ;
b) donner la possibilité d’annoncer des activités, initiatives et coalitions volontaires, nouvelles ou renforcées, notamment la mise en œuvre de politiques, pratiques et mesures découlant des processus [d’examen technique des mesures d’atténuation et d’adaptation] ;
c) dresser le bilan des progrès réalisés et prendre en compte les activités, initiatives et coalitions volontaires, nouvelles ou renforcées ;
d) donner des possibilités constructives et régulières de participation effective de haut niveau de responsables de Parties, d’organisations internationales, d’initiatives internationales de coopération et d’entités non parties ».
Ainsi, les entités non parties à l’accord se voient garantir des possibilités de participations régulières et constructives à la réunion de haut niveau.
Au paragraphe n° 122, la conférence des Parties décide en outre « que deux champions de haut niveau seront nommés afin d’agir pour le compte de la présidence de la conférence des parties pour faciliter par une participation renforcée de haut niveau pendant la période 2016-2020 l’exécution efficace des activités actuelles et l’intensification et l’introduction d’activités, d’initiatives et de coalitions volontaires, nouvelles ou renforcées, notamment en :
a) collaborant avec le Secrétaire exécutif et avec le Président en fonction de la conférence des parties et son successeur pour coordonner la réunion annuelle de haut niveau dont il est question au paragraphe 121 ci-dessus ;
b) collaborant avec les parties et les entités non parties intéressées, notamment afin de donner suite aux initiatives volontaires du programme d’action Lima-Paris ;
c) donnant des directives au secrétariat au sujet de l’organisation des réunions techniques d’experts […]. »
Fin janvier 2016, Mme Laurence Tubiana a été nommée championne, pour une année, les champions suivants disposant d’un mandat de deux ans qui se chevaucherait avec celui du précédent champion pendant une année complète. Le champion du Maroc n’a pas encore été désigné.
La réunion annuelle de haut niveau inscrite dans la décision ne renvoie pas à un schéma très clairement établi. Il est prévu qu’elle se déroule en parallèle de chaque session de la COP. Une telle réunion nécessitera une préparation précise.
Il est important de maintenir la continuité du dispositif dans le temps, d’animer les travaux et les différents secteurs, de faire émerger au fil du temps de nouvelles idées. Un mécanisme d’inclusion et d’évolution doit être pérennisé. Des priorités pourraient être établies, car il existe encore des sujets insuffisamment exploités, par exemple s’agissant de l’eau et des océans. Tel sera notamment le rôle des champions.
Un mécanisme de suivi devrait être pérennisé afin de s’assurer que les initiateurs puissent rendre compte régulièrement de leurs travaux dans un cadre cohérent. Dès 2016, les réponses à un questionnaire adressé par la présidence pourraient être mises en ligne. Les organisations non gouvernementales sont, d’une manière générale, attachées à un système transparent de suivi des initiatives. De leur côté, les entreprises impliquées souhaitent pouvoir conserver leur indépendance dans la mise en œuvre des projets, tout en soulignant la nécessité d’un mécanisme de rapportage pour faire la démonstration de leur sérieux car ces initiatives sont très porteuses.
En dehors des acteurs institutionnels, des relais de l’action dans les différents secteurs pourraient également être valorisés et légitimés afin d’animer les travaux (entreprises, financeurs). Des structures intermédiaires d’organisation peuvent être trouvées. Le processus de Paris pour la mobilité et le climat (Paris Process on Mobility and Climate – PPMC) a ainsi été initié par le challenge Bibendum Michelin (15) et la fondation Slocat pour un transport durable bas carbone (16), afin de réunir les acteurs et parties prenantes dans le domaine du transport durable.
Un équilibre Nord/Sud est également recherché afin que les acteurs du Sud puissent eux-mêmes lancer des initiatives et ne pas uniquement adhérer à des initiatives lancées par d’autres.
L’on voit également apparaître dans certains secteurs d’activité le souhait d’une organisation par secteur avec des feuilles de route spécifiques.
La gouvernance du plan d’action Lima-Paris doit, de l’avis de votre rapporteur, demeurer souple et empreinte de pragmatisme. Les quatre partenaires ont vocation à demeurer impliqués comme ils le sont actuellement (deux présidences, CCNUCC et secrétariat général des Nations Unies).
Les collectivités locales sont très demandeuses d’une gouvernance qui leur permette de participer et elles ont démontré à Paris toute leur implication et leur capacité de mobilisation sur la question des changements climatiques. Comme le soulignait le sénateur Ronan Dantec au cours de la table ronde organisée par notre commission, le 30 mars 2016, sur les propositions que la France pourrait porter après la COP 21, les initiatives impulsées par les collectivités locales sont essentielles. Lors du sommet mondial climat et territoires de juillet 2015, les engagements pris représentaient 2 gigatonnes de réduction des émissions pour 2020. Les collectivités locales ont également un rôle central dans le déploiement des énergies renouvelables.
Les différents acteurs pourraient être réunis en un conseil, comme le souhaitait l’Assemblée nationale dans sa résolution du 25 novembre 2015 évoquée précédemment. La logique inclusive du plan d’action Lima-Paris ne doit pas être perdue de vue.
Il est également nécessaire de pouvoir articuler le plan d’action avec les autres instruments existants, comme par exemple les instruments de coopération.
Comme le soulignait M. Pierre Radanne au cours de son audition précitée, les mutations technologiques à venir devront se faire à l’échelle internationale et pourront s’apparenter dans leur ampleur et dans leurs conséquences aux évolutions que connut le monde après une guerre ou après une révolution technologique.
L’accord demeure illisible pour la plupart des citoyens et cela pose nécessairement problème. Un effort pédagogique de grande ampleur doit être poursuivi en direction des populations afin qu’elles s’approprient concrètement les évolutions à l’œuvre et anticipent dans leur vie quotidienne ces mutations, en ayant à l’esprit une vision des futures formes de développement. Invoquer l’urgence est insuffisant et peut ne générer que du repli sur soi alors qu’il faut appréhender ensemble l’avenir et particulièrement éduquer les enfants.
Votre rapporteur pour avis souhaite souligner le grand intérêt de la démarche engagée dans le cadre du débat citoyen planétaire sur le climat et l’énergie, mis en œuvre à l’initiative de la CCNUCC, du Danish Board of Technology, de Missions publiques et de la commission nationale du débat public, avec le soutien de la France. Le rapport final, publié en septembre 2015, est très riche d’enseignements. Ainsi, le 6 juin 2015, grâce à une solide méthodologie tendant à permettre d’agréger les différents résultats obtenus, 10 000 citoyens ont participé à 97 débats organisés dans 76 pays répartis sur cinq continents. Les réponses aux trente-quatre questions posées ont été apportées par les citoyens à l’issue d’un débat précédé d’une session d’information la plus objective possible.
Les résultats démontrent une très forte préoccupation des citoyens sur les conséquences des changements climatiques, ceux des pays en voie de développement se sentant encore davantage concernés (à hauteur de 80 % contre 70 % pour les pays développés). Les attentes envers l’accord de Paris étaient très fortes et, pour 97 % des participants, ce dernier devait définir un objectif mondial à long terme permettant d’arriver à zéro émission de gaz à effet de serre en 2100. La très grande majorité des citoyens souhaitaient des objectifs nationaux de court terme assortis d’une actualisation tous les cinq ans. 66 % considèrent que les mesures de lutte contre les changements climatiques constituent une opportunité pour améliorer notre qualité de vie. Près de 90 % sont favorables à un système de taxe carbone. C’est principalement la convergence des opinions dans les différents débats qui ressort et le niveau très élevé de préoccupation. Près de la moitié des personnes considèrent que les mesures relèvent principalement de la responsabilité des citoyens et de la société civile, ce que traduit bien la dynamique de mobilisation observée pendant la COP 21.
Le projet « Our Life 21 », porté par l’association 4D, est également très intéressant, car il permet d’appréhender ce à quoi ressemblera la vie quotidienne d’un citoyen dans quelques décennies dans le cadre du changement climatique. Il a présenté des exemples parlants de trajectoires personnelles dans plusieurs configurations familiales et dans des pays de niveau de développement différents. Ces récits sont l’occasion de se projeter dans un avenir certes différent mais qui peut aussi être marqué par une amélioration du bien-être individuel et collectif.
Dans cet esprit de mobilisation des citoyens, Ségolène Royal, ministre de l’environnement, de l’énergie et de la mer, en charge des relations internationales sur le climat, a lancé une nouvelle plateforme Internet pour valoriser les cent initiatives citoyennes les plus innovantes pour le climat. Il pourra s’agir de projets d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre ou d’adaptation aux changements climatiques, de protection de la santé, ou de préservation de la biodiversité. Les projets pourront être déposés jusqu’au 6 juin puis ils feront l’objet d’un vote des internautes. Les cent projets ayant récolté le plus de voix bénéficieront d’un accompagnement et d’une valorisation jusqu’à la COP 22.
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La COP 21 est un point de départ sur lequel nous devons nous appuyer pour mettre en œuvre les mutations dont tous ont pris conscience. Il est nécessaire que les réformes s’accélèrent et que les différents acteurs soient encouragés à poursuivre et amplifier leur action car nous vivons, il faut en avoir conscience, sous le risque d’un emballement climatique qui menace notre planète et, par là-même, notre avenir et, au-delà, celui des générations futures dont nos enfants et petits-enfants.
Comme le soulignait Mme Laurence Tubiana, ambassadrice chargée des négociations sur le changement climatique, au cours de son audition devant la commission des affaires étrangères le 6 avril 2016, « un « momentum » existe donc. C’est en maintenant la mobilisation à 360 degrés des différents acteurs qui ont fait la réussite de l’accord de Paris que l’on assurera sa crédibilité. »
Votre rapporteur pour avis émet un avis très favorable à la ratification de l’accord de Paris, premier accord universel sur le climat.
La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a organisé, le 30 mars 2016, une table ronde sur les propositions que la France pourrait porter après la COP21, avec la participation de M. Ronan Dantec, Sénateur de Loire-Atlantique, vice-président de la commission du Développement durable, des Infrastructures, de l’Équipement et de l’Aménagement du territoire du Sénat ; Mme Anne Chassagnette, directeur de la responsabilité environnementale et sociétale de ENGIE, et Mme Célia Gautier, responsable International et Europe au Réseau action climat-France.
M. le président Jean-Paul Chanteguet. Nous nous réunissons ce matin pour une table ronde sur les propositions que la France pourrait porter après la COP21 dans la perspective de la mise en œuvre de l’accord de Paris et de la préparation de la COP22 qui se tiendra début novembre à Marrakech.
Nous accueillons M. Ronan Dantec, sénateur de Loire-Atlantique, vice-président de la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire du Sénat, porte-parole climat de l’organisation des cités et gouvernements locaux unis, Mme Anne Chassagnette, directeur de la responsabilité environnementale et sociétale de Engie, et Mme Célia Gautier, responsable International et Europe du Réseau action climat - France.
Nous devions également accueillir Mme Laurence Tubiana, ambassadrice chargée des négociations sur le changement climatique, mais son emploi du temps l’a contrainte à décaler sa venue.
La réussite de l’accord de Paris, et plus généralement de la lutte contre le changement climatique, repose sur les actions que pourront engager les collectivités territoriales, les entreprises, les associations ainsi que la société civile, d’où le choix de nos interlocuteurs de ce matin.
M. Ronan Dantec, sénateur, vice-président de la commission du développement durable, des infrastructures, de l’équipement et de l’aménagement du territoire du Sénat. Pour être un peu provocateur, je dirai que la force de l’accord de Paris réside dans son caractère non contraignant. Cet accord est, pour une fois, crédible car il repose sur le volontariat, seule méthode pour garantir un accord dynamique.
L’échec du protocole de Kyoto prouve qu’un accord contraignant, qui n’est pas assorti des moyens de le faire respecter, ne sert à rien. L’accord de Paris a évité cet écueil.
L’accord de Kyoto reposait sur le principe d’une responsabilité commune mais différenciée. Ce principe est juste sur le fond mais inapplicable pour répartir l’effort entre pays émergents, pays en voie de développement et pays industrialisés.
La logique de l’accord de Paris, qui est probablement la seule crédible, est autre : elle s’appuie sur ce que chacun est prêt à faire. Les États mettent sur la table leur contribution – il en manque aujourd’hui une dizaine. Mais l’addition des contributions aboutit à un scénario de réchauffement de trois degrés, c’est-à-dire celui dans lequel les sociétés ne survivront pas. Ce n’est donc pas suffisant.
L’accord de Paris est crédible en ce qu’il s’appuie sur le volontarisme des États mais aussi parce qu’il prévoit un processus de réévaluation régulière des engagements. La première réévaluation aura lieu en 2018, deux ans avant la mise en œuvre de l’accord de Paris, ensuite elle interviendra tous les cinq ans. L’accord dispense dans les prochaines années de se remettre autour d’une table pour définir le cadre de négociation. Cette question est derrière nous. Désormais, l’enjeu est de faire en sorte – c’est relativement simple – qu’en 2018, les États ayant pris des engagements à Paris annoncent qu’ils sont capables de faire mieux, laissant espérer un scénario de hausse de la température de 2,8 degrés, et qu’en 2023, les mêmes reviennent encore plus motivés et nous proposent un scénario à 2,5 degrés, et ainsi de suite pour arriver à rentrer dans les clous des deux degrés à dix ou vingt ans, voire à une élévation de la température de 1,5 degré. Parmi les points importants, l’accord de Paris a le mérite de remettre dans la perspective le scénario à 1,5 degré qui est le seul à limiter vraiment la casse pour les États.
Comment faire ? On connaît les sources d’émission de gaz à effet de serre : notre vie quotidienne, les process industriels, les process énergétiques, les grands choix agricoles. Il est essentiel d’agir, secteur par secteur, très rapidement afin de permettre aux États de s’appuyer non pas seulement sur leurs bonnes intentions mais aussi sur les dynamiques de ces secteurs pour réévaluer leur contribution. C’est dans ce cadre simple – certains diront simpliste – que s’inscrit l’action des acteurs non étatiques.
Porte-parole climat de la principale organisation mondiale de collectivités territoriales, je suis convaincu que l’action territoriale sera centrale.
À Lyon, en juillet dernier, lors du sommet mondial climat et territoires que j’avais coprésidé avec Bernard Soulage, le vice-président de la région Rhône-Alpes, nous avons mis sur la table des propositions. Des territoires, forts de leur expérience d’action sur l’habitat, la mobilité et la planification urbaine, se sont engagés formellement à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre à travers plusieurs dynamiques mondiales : le pacte des maires européens, le Compact of Mayors, la coalition des grands États nord-américains – Western Regional Climate Action Initiative (WCI). Pour 2020, les engagements représentent environ 2 gigatonnes de réduction d’émissions par rapport au scénario du laisser-faire, soit 13 % de la population mondiale. Si on réussissait à généraliser ces engagements, on dépasserait les 8 ou 9 gigatonnes de réduction d’émissions en 2020, ce qui correspond à la limite indiquée par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) pour être dans le scénario des deux degrés. Nous serions donc dans les clous du GIEC. Nous ne sommes pas condamnés à ce que j’appelle le climato-fatalisme. Il est encore possible et crédible d’atteindre cet objectif d’une hausse de la température limitée à deux degrés.
Les autres dynamiques à l’œuvre sont celles des énergies renouvelables : il ne vous a pas échappé qu’aujourd’hui, l’investissement dans ces énergies dans le monde est bien supérieur aux investissements dans les autres énergies. Mais à quelle vitesse le monde va-t-il s’organiser autour d’une production énergétique totalement adossée aux renouvelables ? Le nucléaire n’est pas un sujet à l’échelle mondiale, nous le savons tous. La question de la sortie du fossile et du charbon reste entière puisque cette source d’énergie est encore très concurrentielle, faute de pouvoir taxer le carbone.
Les différentes dynamiques – les territoires dans leur capacité d’organisation de la vie quotidienne et l’énergie – permettent de croire à un scénario favorable.
L’enjeu est d’amplifier et d’accélérer l’action, en répondant à cette question cruciale : peut-on trouver assez de financements à l’échelle mondiale pour accélérer une transition, qui, sur le papier, n’est pas encore suffisamment financée ? Pour ce faire, il faut lier les financements du climat et ceux du développement. En 2015, il n’y a pas eu une seule négociation mais deux, les objectifs de développement durable en septembre et la négociation sur le climat en décembre. C’est la même histoire. C’est en utilisant l’argent du climat au profit du développement que nous aiderons les pays en développement, qui vont émettre de plus en plus de gaz à effet de serre, avec un développement urbain massif, notamment en Afrique si nous ne les accompagnons pas. Cet accompagnement dans une transition écologique concomitante du développement est indispensable si nous ne voulons pas que nos efforts de réduction soient annulés par l’explosion des émissions dans d’autres pays.
Un événement extrêmement important va se dérouler à Nantes, du 26 au 28 septembre, le climate chance, sommet mondial des acteurs du climat, qui, pour simplifier se veut un peu la « pré-COP non étatique ». Cette réunion démontre qu’à côté de la négociation des États, la société civile, dans sa diversité, est capable de discuter. À Lyon, un texte a été signé par les réseaux mondiaux de collectivités territoriales, mais aussi par les organisations mondiales de syndicats, par des grands réseaux d’ONG comme le Climate action network et des grands réseaux d’entreprise. La société civile mondiale est en mouvement ; elle est capable de définir des consensus et des priorités afin d’indiquer aux États la voie à suivre.
Je vous ai livré une vision un peu optimiste du monde, mais c’est dans ma nature. (Sourires) Il est encore possible de rester dans le scénario des 2 degrés, voire de revenir vers 1,5 degré. Il s’agit maintenant d’accompagner rapidement, notamment financièrement, les dynamiques d’acteurs.
Mme Anne Chassagnette, directeur de la responsabilité environnementale et sociétale de Engie. Vous le savez, Engie s’est fortement impliquée lors de la COP21. Nous sommes très heureux du succès des négociations à Paris.
Aujourd’hui, les entreprises sont convaincues de la nécessité de la lutte contre le changement climatique. Elles la prennent en compte en termes de risques et d’opportunités dans leur business model. Elles sont également une source de propositions pour l’élaboration de cadres favorables à une transition vers une économie bas carbone.
Que retenons-nous de cet accord ? Nous sommes particulièrement contents de la reconnaissance de signaux prix carbone, c’est-à-dire de la nécessité de donner un prix au carbone. Pour les acteurs économiques, le prix du CO2 est une composante déterminante du choix entre un investissement bas carbone et un investissement plus fossile.
Nous jugeons également très positive la mise en place d’un processus dynamique, avec un renforcement régulier des efforts. Nous nous félicitons de la reconnaissance du rôle joué par les acteurs non étatiques. Je cite quelques-unes des nombreuses initiatives : le manifeste pour le climat signé par trente-neuf grands groupes français et l’annonce d’investissements très lourds dans le bas carbone et le renouvelable ; le business dialogue qui était un échange entre une quarantaine de grands groupes internationaux et les négociateurs tout au long de la préparation de la COP21 qui va se poursuivre cette année ; l’initiative « Térawatt » que nous avons lancée dont l’objectif est de développer un térawatt de capacité solaire additionnelle d’ici 2030.
Je retiens aussi les initiatives de la communauté financière – cette implication, assez nouvelle, mérite d’être soulignée. Certains fonds d’investissement ou des banques comme Norges, Bnpparibas, Axa, la Caisse des dépôts et consignations, ont pris des engagements et réorienté leurs activités.
Il faut noter aussi l’engagement des citoyens. Nous avons été partenaires du débat citoyen planétaire sur le climat et l’énergie. Nous avons lancé un débat au sein de notre groupe qui compte 150 000 salariés. Nous sommes tous acteurs de la question climatique – gouvernements, entreprises, collectivités, citoyens.
Nous sommes conscients du défi et des efforts qui restent à accomplir, en particulier dans le secteur énergétique.
L’énergie, en termes de consommation et de production, est à la source de 60 % des émissions mondiales de CO2. Nous sommes donc particulièrement concernés.
Les sociétés travaillent sur une forte réduction de leurs émissions et vont poursuivre ce travail. Engie vise, par exemple, un effort de réduction de 10 % de son taux d’émissions à l’horizon 2020. Nous sommes déjà 20 % au-dessous de la moyenne mondiale.
Nous nous étions fixé l’objectif d’augmenter notre capacité de production électrique renouvelable de 50 % entre 2009 et 2015 – nous avons finalement réussi à atteindre 60 %.
Engie ambitionne d’être le leader de la transition énergétique. Nous sommes déjà leader de l’éolien et du solaire en France et deuxième pour l’hydraulique. Nous nous fixons l’objectif d’ici trois ans au niveau mondial que 90 % de notre résultat opérationnel provienne d’activités bas carbone.
Nous avons pris des décisions fortes l’année dernière, notamment d’arrêter les nouveaux projets charbon. Nous avons depuis fermé deux centrales et nous en avons cédé deux autres. Nous réalisons un gros travail sur notre portefeuille, mais nous ne pouvons pas aller trop rapidement, car le charbon est encore la source de plus de 40 % de la production mondiale d’électricité.
Nous proposons des solutions à nos clients sur la réduction des émissions de CO2, avec de nombreuses offres sur les territoires. Ainsi, quarante-deux partenariats « Terr’inove » couvrent deux millions d’habitants en France. Nous travaillons sur de nouvelles solutions gaz comme le biogaz, le transport routier et maritime au gaz naturel pour les véhicules (GNV) – le gaz est deux fois moins émetteur que le charbon.
Je conclus mon propos par quelques propositions pour aller plus loin qui nous semblent importantes. En premier lieu, il faut continuer à travailler sur la généralisation d’un prix du carbone. Ce prix n’existe pas partout dans le monde. En France, nous sommes plutôt bien lotis. Au niveau européen, le prix n’est pas assez élevé, d’où notre lobbying au sein du groupe Magritte qui réunit des énergéticiens européens pour demander une hausse du prix. Il est paradoxal que des entreprises, qui traditionnellement sollicitent des subventions, demandent à payer le carbone. Mais celles-ci ne souhaitent pas avoir à faire face aux conséquences du changement climatique qui serait catastrophique pour la planète, et donc pour l’économie. Nous soutenons la réforme du marché des quotas européens – EU emissions trading system (ETS). Nous pensons également qu’il faut renforcer les engagements des acteurs et leur suivi : la plateforme NAZCA a été mise en place à cet effet, il faut continuer dans cette voie.
Les travaux sur la transparence des émissions sont importants. Celle-ci existe dans les entreprises qui doivent répondre à de nombreuses questions sur leurs émissions. En la matière, il faut souligner le rôle du Carbon disclosure project (CDP).
Un sujet nous tient également à cœur : l’accès à l’énergie ; plus d’un milliard de personnes n’ont pas accès à l’énergie. Cette thématique importante n’a pas tellement trouvé d’écho à Paris, espérons que ce ne soit pas le cas pour la prochaine COP, d’autant qu’elle se déroule sur le continent africain. Il est important de travailler en partenariat avec les territoires africains. Engie développe beaucoup de projets au Maroc et en Afrique.
Concernant le financement, les modalités d’attribution des crédits du Fonds vert pour le climat, implanté en Corée, ne sont pas très claires. Comment les entreprises françaises peuvent-elles accéder à ces fonds ?
L’innovation en matière financière doit être poursuivie. Les green bonds – obligations vertes –, par exemple, qui étaient à l’origine émis par des institutionnels, comme la Banque européenne d’investissement, sont désormais dirigés vers les entreprises. Engie a émis le plus gros green bond, d’un montant de 2,5 milliards d’euros.
J’ai évoqué le business dialogue, qui était coanimé par Laurence Tubiana et Gérard Mestrallet. Les entreprises ont apprécié ce dialogue avec les négociateurs, et inversement les négociateurs se sont nourris des discussions avec les entreprises. Nous sommes là pour travailler avec les gouvernements, pour traduire leurs engagements dans les politiques sectorielles.
Nous sommes très contents de cet accord. Il faut maintenir la mobilisation de tous les acteurs. Les entreprises demandent un cadre lisible pour réaliser leurs investissements. Une société comme Engie, dont les investissements s’inscrivent dans le long terme, a besoin d’un cadre, d’un prix du CO2 et de décisions concrètes pour aller de l’avant après cet accord de Paris.
Mme Célia Gautier, responsable International et Europe, du Réseau action climat-France. Le Réseau action climat est une coalition de plus de 900 organisations non gouvernementales, présente dans les négociations internationales depuis l’origine de la convention des Nations Unies sur les changements climatiques.
La COP21 est l’aboutissement d’un cycle mais aussi un point de départ puisque ce texte n’a pas de valeur tant qu’il n’est pas ratifié. L’accord reste à concrétiser dans les politiques publiques et dans les actions des acteurs non étatiques et territoriaux.
C’est à l’aune de cette concrétisation que l’on pourra juger de la crédibilité de l’accord et du rôle de la présidence française de la COP qui, comme vous le savez, se poursuit jusqu’à la passation avec les autorités marocaines à la COP22 en novembre prochain. La France a encore une responsabilité en tant que présidente de la COP. Elle se doit d’être exemplaire pour être crédible dans sa facilitation des négociations.
Comment concrétiser cet accord ? Que peut faire la France ? Quelle est sa responsabilité ?
Au niveau international, de nombreux points restent à préciser, que ce soit sur la mise en œuvre ou sur les règles de fonctionnement de l’accord une fois qu’il sera en vigueur.
Il reste aussi beaucoup de choses à concrétiser au niveau européen. Le paquet énergie-climat 2030 est la traduction de l’accord en Europe, il correspond à la contribution européenne à l’action climatique. Au niveau national, la concrétisation passe évidemment par la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte et par sa mise en œuvre.
L’enjeu au niveau international dépasse largement celui de la ratification. Celle-ci est évidemment un point essentiel puisqu’elle met en jeu la crédibilité de l’accord. La concrétisation suppose aussi que tous les États mettent en place rapidement des plans de décarbonisation et de transition énergétique pour honorer leurs engagements. Si, dans les deux ou trois ans à venir, ces plans ne sont pas présentés, si les gouvernements ne montrent pas de volonté de réformer leur système politique pour tenir leurs engagements, on pourra douter du respect des contributions nationales présentées en 2015, même si elles courent jusqu’à 2025 ou 2030. Vous comprenez bien qu’il faut mettre en marche le processus politique rapidement.
2018 est un moment clé pour faire le point à la fois sur la mise en place des réformes politiques et sur la volonté des États de rehausser leurs engagements puisque l’accord nous place sur une trajectoire de réchauffement de trois degrés.
Il revient à la France de faire du rendez-vous de 2018 cet instant politique où tous les États annonceront des engagements supérieurs. La responsabilité de la France est aussi engagée au niveau européen puisque, pour l’instant, l’Union européenne n’a pas l’intention d’aller plus loin que le paquet énergie-climat 2030. Or, en l’état, ce paquet est insuffisant pour respecter les trajectoires de long terme de l’accord de Paris, c’est-à-dire une neutralité en gaz à effet de serre qui se traduirait par zéro émission de CO2 au plus tard en 2050. L’objectif européen est aujourd’hui une réduction des émissions de gaz à effet de serre de 80 à 95 % en 2050 par rapport à 1990. Il faudrait donc viser le haut de cette fourchette pour respecter l’accord de Paris. Or, la Commission européenne penche plutôt pour le bas de la fourchette. Il faut donc relancer la dynamique au niveau européen. La question du prix carbone est effectivement très importante mais la réforme devra être plus large.
La ministre Ségolène Royal porte au niveau européen l’idée d’une hausse des prix via un corridor de prix carbone sur l’ETS. Cette proposition est intéressante mais elle risque d’être longue à faire accepter au niveau européen, voire de ne jamais l’être tant les oppositions sont fortes. C’est pourquoi en France, se pose la question d’un prix carbone qui permettrait de compenser la forte baisse du prix du pétrole. La consommation de carburant des Français augmente aujourd’hui à cause de la baisse du prix du pétrole. C’est le moment d’augmenter la composante carbone dans les taxes énergétiques pour qu’elle atteigne dès maintenant la valeur tutélaire du carbone – en 2016, 40 euros la tonne de CO2 – et assez rapidement les objectifs de la loi relative à la transition énergétique pour 2020, c’est-à-dire 56 euros.
En mettant en avant les acteurs non étatiques et l’agenda des solutions, la France a introduit une novation bienvenue. Il fallait montrer que les choses se déroulaient sur le terrain et donner envie d’agir. Désormais, la France, toujours présidente de la COP21, doit assurer le suivi de ces initiatives et favoriser l’instauration d’une véritable gouvernance permettant de s’assurer que les acteurs tiennent leurs engagements, tout en veillant, dans la mise en œuvre des actions, au respect des droits humains et à la sécurité alimentaire. Le suivi de l’agenda des solutions relève de la responsabilité de la France. Les ONG souhaitent y être associées, à condition que les critères de sélection des initiatives soient définis en amont pour ne pas avoir à nous prononcer sur des projets que nous n’aurions pas soutenus dès le départ. L’agenda des solutions devrait être repris par le Maroc mais il est nécessaire de faire avancer les choses avant, notamment à Bonn.
La France doit se faire l’interprète de l’accord. L’objectif de long terme – la neutralité en gaz à effet de serre dans la deuxième moitié du siècle – est très flou. Ce langage convient à tout le monde, y compris aux producteurs pétroliers et aux énergéticiens.
La bataille qui se joue aujourd’hui est celle de l’interprétation. La France doit être l’ambassadrice de la version dans laquelle il faut financer les plans de décarbonisation au niveau national, donner des prix au carbone dans tous les pays et désinvestir des énergies fossiles.
La France a une responsabilité particulière dans ce domaine puisqu’elle détient des parts importantes dans les deux plus grands énergéticiens français que sont Engie et EDF qui continuent aujourd’hui à investir massivement dans le charbon. Quand bien même un processus est engagé pour ne pas investir dans de nouveaux projets, il reste énormément de centrales dans le monde appartenant à EDF ou à Engie qui continuent d’émettre des tonnes et des tonnes de CO2 chaque année. Céder ces centrales, comme l’a fait Engie cette année, ne résout rien. C’est un transfert de responsabilité mais le jeu est à somme nulle pour le climat. La France doit organiser la fermeture des centrales, dans le souci de la conversion professionnelle des salariés et de la lutte contre la précarité énergétique dans ces pays via le financement des énergies renouvelables.
Je souligne à mon tour l’importance de l’accès à l’énergie en Afrique. La France doit appuyer le financement des énergies renouvelables en Afrique. Les prêts ne suffiront pas, des dons seront nécessaires pour permettre aux communautés vulnérables d’accéder à ces énergies.
M. Christophe Bouillon. Je salue l’organisation de cette table ronde avec les ONG, les entreprises et les territoires qui sont trois points d’appui essentiels pour réussir la mise en œuvre de l’accord de Paris.
Je vous remercie pour cette « piqûre de rappel » sur cet accord historique, en ce sens qu’il est ambitieux, universel et différencié. Mais cet accord porte aussi une exigence. Vous avez dit avec raison qu’il n’est pas un point d’aboutissement, ni un point de départ mais plutôt une étape qui doit être suivie d’autres pour garantir sa réussite.
Comme le dit le cinquième rapport du GIEC, le changement climatique est sans équivoque. L’équivoque n’est donc pas de mise dans les actions concrètes pour mettre en œuvre l’accord de Paris.
En écoutant Ronan Dantec, j’ai d’abord cru à une douche écossaise, qui s’est finalement avérée une douche nantaise, moins froide (Sourires). J’ai décelé dans son propos l’espoir de trouver le chemin de la réussite.
Je retiens des trois interventions le mot de concret, qui appelle quelques questions.
La première concerne le financement qui est un élément essentiel, on l’a vu dans la construction de cet accord, de la crédibilité vis-à-vis des pays du Sud. Où en est-on par rapport à l’objectif de 100 milliards de dollars pour le Fonds vert pour le climat ? Quels sont les premiers projets qui ont été financés et comment ont-ils été sélectionnés ?
La deuxième question porte sur le prix du carbone. Des initiatives ont été prises par les entreprises, les ONG et les territoires : tout le monde est d’accord pour donner un prix au carbone mais ce prix n’est toujours pas fixé. Qu’est ce qui bloque ? Pouvez-vous préciser les oppositions que vous avez évoquées, Madame Gautier ?
La troisième question a trait à la gouvernance. L’accord de Paris est d’abord un succès diplomatique parce que c’est un « machin » onusien, soumis aux principes d’universalité et d’unanimité. À quel moment pourra-t-on passer de cette gouvernance onusienne à une gouvernance plus territorialisée, à l’instar de l’ambition que porte l’initiative de Ronan Dantec ? À quel moment peut-on faire confiance à ces différents acteurs que vous représentez pour définir une autre forme de gouvernance qui nous semble essentielle ?
Autre sujet, les transferts de technologies que vous n’avez pas évoqués peuvent être utiles dans un certain nombre de territoires.
Vous avez rappelé le rôle de Ségolène Royal qui déploie une formidable énergie auprès des États, des territoires et des différents acteurs pour les mobiliser et garantir la réussite de l’accord. La France a certes un rôle particulier à jouer mais que peut-on faire en neuf mois ? Comment faire en sorte d’échapper à la course de lenteur à laquelle semble souvent condamnée l’action des Nations Unies ?
Vous avez évoqué l’alliance solaire internationale, l’ambition d’énergies renouvelables pour l’Afrique. Vous auriez pu également parler de l’initiative portée par le ministre de l’agriculture, le « 4 pour 1 000 ». Comment faire en sorte que toutes ces initiatives trouvent une ambition commune et une articulation pour qu’elles n’en restent pas à l’état de déclaration ?
Dernière question, il manque un acteur essentiel, l’opinion publique. C’est sans doute elle qui fait bouger la Chine sur la pollution atmosphérique dans certaines villes, ou le Canada. Quel rôle lui donnez-vous ?
M. Jean-Marie Sermier. Je me félicite également de la tenue de cette table ronde. Il est important, après avoir été mobilisés pendant la COP21 et les mois qui l’ont précédée pour permettre à la commission du développement durable de peser modestement sur les positions de la délégation française, de continuer à travailler puisque, nous le savons, un long chemin nous attend.
Je ne sais pas si j’ai lu le même accord mais je suis plus pessimiste que certains de ceux qui viennent de s’exprimer. Il n’y a pas eu d’accord (Murmures divers), si ce n’est un accord a minima qui a défini un cadre et un calendrier, un chemin de négociation entre 2015 et 2050, avec des cycles de renégociation tous les cinq ans. Pour nous, cet accord est très minimal parce qu’il n’est pas juridiquement contraignant ; il ne comporte aucun système de contrôle et de sanction.
J’ai entendu la démonstration de notre collègue – un accord non contraignant donne plus d’assurances de succès – mais je ne suis pas sûr d’y adhérer. En tout cas, elle ne permet pas de voir l’avenir avec la sérénité que nous espérions.
Aux termes de l’accord, l’objectif à atteindre est de maintenir la hausse de la température moyenne globale au-dessous de 2 degrés et de poursuivre les efforts pour limiter l’augmentation à 1,5 degré, ceci pour répondre à la demande de plusieurs pays particulièrement touchés par le réchauffement climatique. Mais, en additionnant les contributions nationales qui sont sur la table, on est loin de cet objectif : si les engagements étaient tenus, on parviendrait à une hausse d’environ 3,5 degrés. Ces engagements, qui ne sont pas contraignants, devront inévitablement être révisés. C’est le principe de la clause de revoyure, qui prévoit un réexamen tous les cinq ans.
L’accord est vague sur les moyens de contenir le réchauffement à deux degrés. Il invite les pays à parvenir à plafonner les émissions de gaz à effet de serre aussi rapidement que possible. Ces mots à faible portée font douter de la possibilité d’atteindre l’objectif.
S’agissant des financements, le texte acte que 100 milliards d’euros seront nécessaires d’ici 2020 et que cette somme correspond à un plancher, comme les pays en voie de développement le demandaient. Mais ces crédits ne sont toujours pas réunis et l’accord se limite à encourager les pays développés à apporter un soutien sur une base volontaire.
On est donc loin d’un accord contraignant. J’ai noté votre souhait, madame, à juste titre, d’avoir un prix du carbone qui aujourd’hui fait défaut. Le président Gérard Mestrallet disait il y a quelque temps « si nous ne faisons rien, c’est une facture que nous léguerons aux générations futures avec un coût de 450 milliards d’euros par an à compter de 2050 ». Ce serait un signal fort que de généraliser le prix du carbone, mais force est de constater que, malgré les demandes insistantes de nombreux pays et organisations, aucun indice ne laisse présager la mise en place de ce prix au niveau mondial.
M. Bertrand Pancher. Je fais partie de ceux qui pensent que cet accord est très décevant. Il comporte quelques avancées mais il ne faut pas se raconter d’histoires : comment parler de victoire lorsque l’addition des contributions nationales aboutit à une hausse de trois degrés et qu’aucune contrainte n’est imposée ? On sait ce qu’il en est des engagements de certains États et de la cupidité de celles et ceux qui tiennent des promesses, notamment dans les États non démocratiques. Je ne crois pas qu’il y ait matière à se réjouir. Je me demande même s’il n’aurait pas été préférable de ne pas signer d’accord du tout pour créer un vrai électrochoc auprès de l’opinion publique (Murmures sur divers bancs). On va dans le mur.
Je note néanmoins quelques avancées : les contributions nationales, Ronan Dantec l’a dit, sont un indicateur intéressant. Il faut faire en sorte que les engagements soient plus précis, plus ambitieux et tenus de façon plus rapide.
Parmi les points positifs, figurent notamment les prises de position des grands groupes industriels, du monde de la finance et de l’assurance, en particulier lors du business and climate summit à l’UNESCO en mars 2015, au cours duquel a été lancé un appel pour un prix du carbone. Mais il ne suffit pas d’appeler à un prix du carbone si on n’imagine pas le mode de régulation qui l’accompagne. Le prix est-il fixé par les États ou un système de régulation mondiale ? Quel système de régulation imaginez-vous ?
J’ai été très frappé par l’essor de la croissance verte. On a commencé à évoquer la croissance verte à partir des années 2009 et 2010. J’ai le sentiment d’un basculement à partir de 2015. Il suffit pour s’en convaincre de regarder les mouvements financiers internationaux, l’agenda du G20, ou le développement des green bonds. L’Europe va-t-elle y retrouver ses petits ? Il n’y a jamais eu autant d’argent dans le monde, tout le monde voit un intérêt à le placer dans la croissance verte. Mais c’est le modèle anglo-saxon, et non le modèle européen, qui domine. Quel peut-être le poids de la France et de l’Europe dans la finance verte et dans sa régulation ?
M. Denis Baupin. L’histoire dira si 2015 est l’année du basculement. À écouter le dépit de certains, on finirait par penser que cet accord est vraiment extraordinaire. Entendre les représentants du parti des gaz de schiste – dont le président considère que l’environnement « ça commence à bien faire » et regrette d’avoir signé le pacte écologique –, venir ici donner des leçons en matière d’écologie et de respect des engagements en matière de gaz à effet de serre, c’est assez amusant. Le dépit doit être profond (Murmures sur les bancs du groupe Les Républicains).
Je pense que cet accord est très important mais il n’a été possible qu’à la faveur du basculement qu’a connu l’année 2015 à bien d’autres égards. Le premier basculement est lié au croisement des courbes de prix des énergies – la baisse du coût des énergies renouvelables et l’augmentation du prix des autres énergies. L’année 2015 aura été la première année où les investissements nouveaux en matière énergétique auront majoritairement concerné les énergies renouvelables.
Le basculement concerne aussi la finance : les investisseurs prennent conscience que les investissements dans des centrales à charbon ou des mines de charbon ont peu de chance d’être rentables, compte tenu des suites qui seront données aux accords sur le dérèglement climatique.
Enfin, le basculement s’observe dans les collectivités locales. Des milliers de collectivités locales s’engagent en faveur du 100 % énergies renouvelables. Mais, plus généralement, de nombreuses initiatives laissent à penser que nous sommes peut-être à ce moment où la communauté internationale – même s’il eut été préférable que l’accord soit contraignant – bascule. Je pense que l’accord de Paris n’est pas principalement juridique mais politique : il donne le signal d’un engagement de l’ensemble de la communauté internationale. Monsieur Pancher, avec ce que nous avons connu à Copenhague, j’ai du mal à croire qu’un échec à Paris aurait été un électrochoc ; je pense au contraire qu’il aurait entraîné plus de désespérance.
Désormais, seule la mise en œuvre compte évidemment. L’engagement européen n’est pas au niveau, notamment si l’on veut limiter la hausse des températures à 1,5 degré. Il faut renforcer les directives en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre, d’efficacité énergétique, de développement des énergies renouvelables.
En France, la programmation pluriannuelle de l’énergie doit être à la hauteur de la loi relative à la transition énergétique et des engagements de la COP de Paris – elle nous engage en tant que Français – à la fois sur la production énergétique et sur la mobilité ; celle-ci pèse dans nos émissions de gaz à effet de serre, il faut aller vers des véhicules plus sobres et plus propres.
Quel est votre avis sur la proposition, portée notamment pas les Brésiliens et un certain nombre d’États pendant la COP et qui a été inscrite dans le document final, de « positive pricing » ? Elle repose sur l’idée, qu’à défaut de prix universel du carbone pour le moment, il serait judicieux de donner une valeur économique à la réduction des émissions de carbone. C’est beaucoup plus simple à mettre en place car il n’est pas nécessaire d’impliquer tous les pays. Comment cette dynamique pourrait-elle s’enclencher d’ici la COP22 ?
M. Jacques Krabal. Je remercie le président de respecter l’engagement qu’il avait pris de faire de l’après COP21 un fil rouge du travail de notre commission. Nous devrions nous garder sur ce sujet de positions excessivement partisanes. Rien n’est acté. La signature de cet acte diplomatique n’est pas un résultat mince, elle est inédite. On ne peut pas bouder son plaisir. Je ne dirai pas aujourd’hui que c’est une réussite mais parler d’échec me semble également excessif. Pour que cet accord fonctionne, il faut que nous nous engagions tous, sans aucune arrière-pensée.
Vous avez exposé les avancées et les attentes pour les collectivités territoriales et les entreprises. Il manque un panorama des suites de l’accord au niveau mondial, européen et français. À cet égard, je salue l’initiative d’inviter Mme Laurence Tubiana mais je souhaiterais que nos ministres puissent nous présenter un point d’étape ainsi que les modalités de préparation de la COP22.
Je me félicite de l’appréciation positive de Ronan Dantec sur l’engagement des collectivités territoriales. Le rassemblement de Nantes me semble être une excellente chose. Nous devons tous y participer. Les territoires à énergie positive pour la croissance verte seront-ils des acteurs de ce rassemblement ? Certains ont regretté l’absence de la société civile mais il appartient aussi aux élus locaux de la mobiliser.
Le prix du baril de pétrole, le prix du gaz ainsi que la volonté forte et continue, ici et ailleurs, de soutenir la filière nucléaire : ce sont autant de facteurs qui ne semblent pas favoriser les investissements dans les projets novateurs et l’encouragement aux énergies renouvelables au niveau mondial. Cette perception est-elle exacte ?
Comment faire pour donner un prix au carbone ? Quelles sont les pistes de réflexion pour mieux répondre à cette problématique essentielle, notamment lors de la COP22 ?
Vous n’avez pas abordé la question de l’eau qui n’a pas été très présente dans la COP21 alors qu’elle constitue un enjeu très fort dans de nombreux pays.
Qu’en est-il des 100 milliards promis pour le Fonds vert pour le climat ? Si on veut la réussite de la transition dans les pays en voie de développement, ces fonds doivent impérativement être mobilisés.
Mme Sylviane Alaux. Je fais partie de ceux qui considèrent que le 12 décembre, nous avons vécu un moment historique. Mais je ne me voile pas la face. Chacun en a conscience, nous abordons maintenant la partie la plus difficile à gagner. Mme Laurence Tubiana, elle-même, déclarait : « il faut avancer sur le processus de mise en œuvre, remettre en marche la machine de négociation et poursuivre l’agenda de l’action. »
S’il est possible de se mettre d’accord au niveau international, il faut admettre que les États sont parfois un peu empêtrés dans leurs politiques nationales qui les mettent en contradiction avec leur signature de cet accord historique.
Avec le grand écart entre la volonté internationale affichée et les politiques nationales prises dans leurs contradictions internes, comment peut-on mettre en œuvre cet élan commun ? Peut-on croire aujourd’hui que les acteurs non étatiques peuvent devenir un jour des moteurs plus pertinents que les États ?
M. Jacques Kossowski. La COP21 a été l’occasion pour de nombreuses entreprises de prendre des engagements en matière de développement durable. Ainsi le forum Caring for climate, qui réunit quelque 450 entreprises internationales, a tenu à montrer publiquement son implication dans la transition énergétique. De même, trente-neuf entreprises françaises, parmi lesquelles Alstom, Engie, Vinci, Michelin ou la Société générale, ont signé un manifeste pour le climat dans le but de mobiliser, d’ici 2020, 45 milliards d’euros dans des investissements industriels et 80 milliards d’euros de financement pour des projets dans les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique et les technologies bas carbone. On ne peut que se féliciter de telles initiatives qui vont dans le bon sens, tout en espérant que ces objectifs soient bien atteints.
Si les grands groupes ont la capacité financière et logistique de s’impliquer dans le processus de la COP21, qu’en est-il pour les PME ? Les entreprises intermédiaires seront-elles les grandes oubliées de cet enjeu planétaire ? Comment voyez-vous leur place aux côtés des acteurs institutionnels et des grandes entreprises ? Comment peut-on mieux les associer aux changements de l’après COP21 ?
M. Stéphane Demilly. « Les difficultés de l’après-COP21 se multiplient », « Le casse-tête de la ratification de l’accord de Paris », « COP21 : transformer les bonnes intentions en actions » : tels sont les titres que l’on peut lire dans la presse depuis l’adoption en grande pompe de l’accord de Paris pour le climat, le 12 décembre dernier. Quatre mois plus tard, une fois retombée l’euphorie de l’instant, l’impatience se fait sentir, comme en témoignent les questions de mes collègues.
Les miennes seront au nombre de deux. La première a trait à la ratification officielle de cet accord, car nos concitoyens doivent savoir que, malgré l’impression qui a pu leur être donnée le 12 décembre dernier, le plus dur reste à faire. Chaque État partie doit en effet désormais ratifier cet accord selon un processus interne, accord qui n’entrera en vigueur que lorsqu’au moins 55 pays représentant 55 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre l’auront ratifié. Cela prendra donc du temps : certains observateurs évoquent fin 2017 ou début 2018. Je souhaiterais avoir votre sentiment sur ce point.
Ma seconde question porte sur le prix du carbone. Nous sommes bien entendu nombreux à considérer qu’il constitue un outil indispensable à la lutte contre le réchauffement climatique. Or, aucune solution satisfaisante à l’échelle internationale n’a encore été trouvée. Une idée fait cependant son chemin, celle de tarifer le CO2, non pas en aval des chaînes de production, mais en amont, c’est-à-dire lors de l’extraction des trois produits à l’origine des émissions liées aux usages énergétiques – le charbon, le pétrole et le gaz – plutôt qu’au moment de l’émission de CO2. Quel est votre sentiment à ce sujet ?
M. Florent Boudié. Je regrette les propos caricaturaux de certains de nos collègues, notamment Jean-Marie Sermier et Bertrand Pancher. Il s’agit d’un véritable accord et non d’un accord a minima – on peut même parler d’un succès diplomatique, compte tenu de la règle onusienne de l’unanimité. Mais cet accord est fragile ; sa ratification sera longue. On sait, en outre, que les contributions nationales aboutissent à un réchauffement global compris entre 2,7 et 3 degrés, bien au-delà de la limite recommandée par les scientifiques. Par ailleurs, la prochaine révision des engagements est prévue en 2025, de sorte que l’on risque de perdre dix ans. Enfin, un grand nombre de pays, notamment l’Inde, ont conditionné la réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre aux aides financières et aux transferts technologiques.
La France doit prendre ses responsabilités, après le vote de la loi sur la transition énergétique. En 2015, 1 000 mégawatts d’énergie éolienne ont été raccordés au réseau alors qu’il en faudrait 1 800 mégawatts pour atteindre l’objectif d’une réduction de 75 % à 50 % de la part du nucléaire dans la production d’électricité en 2025.
Bref, l’après-COP21 exige une sorte d’emballement. Or, dans les États démocratiques, je crois beaucoup à la force des acteurs non étatiques, à une approche territoriale et à la capacité de mobilisation de la société civile, des collectivités territoriales, des entreprises et des ONG. Les initiatives ne manquent pas en la matière ; il s’agit de les organiser et de les faire converger en les inscrivant dans une logique beaucoup plus intégrée. Aussi souhaiterais-je savoir comment vous envisagez d’ouvrir la gouvernance climatique et quelle forme institutionnelle pourrait prendre cette nouvelle gouvernance que vous appelez tous de vos vœux. La présidence française, qui se prolonge jusqu’au mois de novembre, peut-elle encore prendre des initiatives dans ce domaine ? En a-t-elle les moyens et, surtout, la volonté ?
Mme Laurence Abeille. Il est assez piquant d’entendre nos collègues du groupe Les Républicains réclamer, à propos de l’accord sur le climat, des contraintes qu’ils ne cessent de combattre par ailleurs. (Murmures)
M. Yves Nicolin. Nous ne parlons pas de la France, mais des autres pays !
Mme Laurence Abeille. Je concentrerai mon intervention sur les grands oubliés de la COP21 en matière d’émissions de gaz à effet de serre. Je veux parler de certaines pratiques agricoles, en particulier l’élevage. Comment pourrait-on intégrer la problématique de ce secteur dans les débats et insister sur le lien entre dérèglement climatique, biodiversité et déforestation ?
Mme Martine Lignières-Cassou. Nous savons tous que le dérèglement climatique affecte en premier lieu les pays les plus pauvres, en particulier les femmes qui y vivent. Nous attendions donc de l’accord de Paris qu’il leur permette d’accéder à des financements afin de développer des projets de lutte contre le dérèglement climatique. Or, force est de constater que la prise en compte de la situation des femmes n’a pas beaucoup avancé à Paris. Comment pourrions-nous relancer cette question en vue de la COP22 ?
M. Guillaume Chevrollier. Pour espérer atteindre les objectifs de la COP21, il est indispensable de réussir à faire baisser le prix de l’énergie propre, ce qui suppose de favoriser l’innovation. Il y a en effet beaucoup à faire pour rendre les énergies renouvelables compétitives, surtout à l’heure où le prix du baril de pétrole se situe entre 30 et 40 dollars. Prenons l’exemple du continent africain. Celui-ci dispose d’importantes ressources pétrolières mais il est le premier à être affecté par le dérèglement climatique. Or, c’est le continent qui est le plus propice au développement des énergies renouvelables. Quelles mesures concrètes peut-on prendre pour l’aider à relever ces défis ?
Par ailleurs, comment alimenter le Fonds vert pour le climat, créé à Copenhague en 2009 ? Les pays riches ont promis de verser 100 milliards de dollars par an d’ici à 2020 pour financer les politiques climatiques des pays les plus vulnérables qui s’engagent à limiter leurs émissions de gaz à effet de serre. Or, cette enveloppe n’a recueilli qu’à peine 10 milliards de dollars en 2014. Quelles garanties avons-nous que le paiement sera effectué ?
M. Yannick Favennec. Mes deux questions portent sur la mise en œuvre de l’accord. Trois mois après sa signature, force est de constater que le départ, certain ou probable, de ses quatre principaux artisans – Laurent Fabius, Christiana Figueres, Ban Ki-Moon et Laurence Tubiana – n’est pas un très bon signal, alors que beaucoup reste à faire pour transformer la feuille de route en plan d’action. De fait, les engagements des États ne permettront pas de maintenir le réchauffement en deçà de deux degrés. Il faut donc désormais concrétiser les objectifs ambitieux annoncés en décembre et se doter rapidement des outils adéquats, en particulier d’un mécanisme de révision des ambitions.
La présidente de la COP21, Ségolène Royal, ainsi que certains ministres européens, ont plaidé en faveur de la révision du marché carbone européen, de la réduction des émissions non couvertes par ce marché, de l’avancement des législations européennes en matière d’énergies renouvelables et d’efficacité énergétique. Toutefois, le risque d’immobilisme est toujours présent, puisque l’Union européenne peut décider de s’en tenir au dispositif qui a été fixé par le Conseil européen en octobre 2014 sans se préparer à des engagements plus ambitieux. L’enjeu pour l’Europe est donc de rester très active et de donner l’exemple. Elle doit notamment émettre un ensemble de signaux positifs, afin de confirmer son intention de donner une visibilité politique à un nouveau régime climatique issu des exigences de la COP21. Ainsi, faut-il attendre que les 28 États membres ratifient l’accord, sachant que cela peut prendre du temps, ou faut-il mettre en place une procédure accélérée qui permettrait une ratification de l’accord par la Commission européenne d’ici à la fin de l’année ?
M. Michel Lesage. Nicolas Hulot rappelle souvent les raisons pour lesquelles il considère la COP21 comme un succès. Tout d’abord, il s’agit d’un accord universel, signé par 195 pays, dont beaucoup n’étaient pas parties prenantes à la conférence de Copenhague – je pense à la Chine et à l’Inde. Le monde s’est donc mis en marche, au-delà même des États puisqu’un certain nombre d’entreprises et la société civile se sont investies dans ce domaine. Ensuite, et c’est une avancée considérable, la notion d’adaptation au changement climatique est employée à parité avec celle d’atténuation. La prise en compte du changement climatique est donc réelle ; elle est désormais acquise, alors que les sceptiques étaient encore nombreux il y a peu. Certes, la ratification – je ne doute pas qu’elle interviendra dans les semaines et les mois qui viennent – et la concrétisation des engagements qui ont été pris sont nécessaires.
J’en viens à mes questions. Premièrement, ces changements peuvent-ils intervenir dans le cadre du modèle économique existant ? C’est une question sociétale capitale. Deuxièmement, si l’on parle beaucoup de la diminution des gaz à effet de serre, on évoque plus rarement la préservation et la restauration des écosystèmes : zones humides, forêts, eau. Enfin, en matière de gouvernance, l’Europe est défaillante, alors qu’elle s’est construite autour des questions énergétiques. Comment se doter de ces outils de gouvernance qui sont la condition du succès à terme de la COP21 ?
M. Jean-Pierre Vigier. L’accord de Paris a été signé par 195 pays, mais il n’entrera en vigueur qu’après sa ratification par 55 pays représentant 55 % des émissions de gaz à effet de serre. Si l’on veut qu’il entre en application avant 2020, conformément à l’objectif qui a été fixé, il faut absolument qu’il soit rapidement ratifié. Ma question est donc simple : des mesures sont-elles envisagées pour inciter les États à ratifier cet accord ?
Mme Marie Le Vern. Ma question s’adresse plus particulièrement à Mme Célia Gautier, puisqu’elle concerne les initiatives citoyennes, militantes et associatives. La mobilisation des opinions publiques était un enjeu important du processus qui a conduit à l’accord de Paris. Le point d’orgue de cette mobilisation devait être la grande marche pour le climat, prévue le 28 novembre mais qui n’a pu avoir lieu pour des raisons compréhensibles. Fort heureusement, dans plusieurs autres villes de France et du globe, de nombreuses initiatives ont été prises dont les médias se sont fait l’écho.
Toutefois, des doutes se sont exprimés sur l’implication et l’information d’une frange de l’opinion, notamment les jeunes. Un sondage d’octobre 2015 révélait ainsi que 71 % des 15-30 ans estimaient que la COP21 ne permettrait pas d’atteindre l’objectif de deux degrés. Toutefois, 66 % d’entre eux étaient convaincus que l’on pouvait encore agir positivement pour réduire nos émissions et éviter le pire, y compris en s’engageant personnellement. Ce sondage nous apprend donc que les jeunes font peu confiance aux solutions institutionnelles mais qu’ils ne cèdent pas pour autant au scepticisme et se sentent concernés. Je veux y voir un motif d’espérance, mais cela nous oblige à rester vigilants pour qu’une partie de cette génération ne passe pas à côté des enjeux de la COP21, qui sont importants. Car c’est une réussite, et il est bon de le rappeler puisque certains, ici, sont dans le déni.
Quel bilan tirez-vous de la mobilisation de l’opinion et des consciences, en particulier des jeunes ? Comment envisagez-vous l’après-COP21 et quels sont les moyens et les pratiques de nature à maintenir l’intérêt et la mobilisation ?
M. Laurent Furst. Les insupportables leçons de morale qui nous sont données rendent cette réunion pénible… (Murmures divers)
La COP21 m’apparaît comme une démarche positive car, en tant qu’outil de communication et d’information de la population, elle a pleinement joué son rôle. Par ailleurs, si la France veut parler au monde – et c’est un peu son travers que de vouloir donner des leçons au monde entier –, elle doit se montrer exemplaire. À cet égard, sa situation est, certes, plutôt favorable comparée à celle des autres pays développés, puisque ses émissions de gaz à effet de serre sont relativement contenues. Cependant, elle le doit au nucléaire, au développement de l’énergie hydraulique, notamment, qui a été beaucoup encouragé dans notre pays, et des énergies renouvelables, mais aussi à des éléments négatifs, en particulier la désindustrialisation.
En ce qui concerne la diminution des émissions de gaz à effet de serre, on cite toujours le secteur des transports. Mais on oublie, et je le regrette, que le secteur médico-social, notamment les hôpitaux, est également un grand consommateur d’énergie, à cause du chauffage – la saison de chauffe y dure neuf mois – et de la climatisation. Or, aucune politique publique n’est menée pour réduire la consommation d’énergie de ces établissements. Si la France veut parler à la communauté internationale, elle doit être exemplaire dans tous les secteurs.
M. Guy Bailliart. Je me situe, quant à moi, dans le camp des optimistes. Nous sommes confrontés à une mutation économique mondiale décisive. Si, comme prévu, elle s’effectue rapidement, elle sera dominée, au plan mondial, par ceux qui contrôleront les techniques, les brevets et les financements. La question de la recherche, des brevets et des échanges de technologies est donc centrale. Il suffit de se rappeler ce qui s’est passé, en Afrique, dans le domaine des techniques d’irrigation ou des énergies fossiles en Afrique pour prendre conscience du danger qui nous guette.
Il a été question d’aides liées, c’est-à-dire de financements liés à une économie plus respectueuse de l’environnement. Chacun sait quels ont été les désastres provoqués par l’aide liée dans les pays sous-développés : la plupart du temps, on privilégie l’investissement au détriment de la maintenance, du suivi et de la mise à niveau. Ce sont des sujets centraux dont on parle très peu. N’oublions pas qu’une mutation économique s’accompagne toujours d’une mutation de pouvoir et d’une mutation financière.
M. Martial Saddier. Je ne m’autoriserai à faire qu’une seule remarque sur le contenu de l’accord de Paris. L’hiver qui s’achève fut le plus chaud jamais enregistré puisque la température moyenne a dépassé la normale de deux degrés, sachant que, dans une partie du territoire métropolitain, on est déjà à plus deux degrés…
J’en viens à ma question. L’argent est évidemment l’une des clés de la réussite, avec l’engagement politique. Mais une réflexion est-elle menée sur les rôles respectifs des États et des territoires, notamment, pour ce qui est de la France, des collectivités territoriales ?
Mme Suzanne Tallard. L’accord de Paris, dont je me réjouis, entrera en vigueur en 2020, à condition qu’il soit ratifié par 55 pays représentant au moins 55 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre. Outre sa ratification au cours de l’été 2016, comme le souhaite Mme la ministre de l’écologie, quelles actions notre pays peut-il mener ou promouvoir, sans attendre 2020, pour freiner le plus tôt possible l’augmentation des émissions de gaz à effet de serre ? Ce volontarisme que j’appelle de mes vœux conforterait le rôle pionnier de la France en matière de lutte contre le réchauffement climatique. Surtout, l’État amplifierait l’élan de la COP21 en entraînant les collectivités, les entreprises et les particuliers.
Par ailleurs, du 5 au 7 avril prochain, se tiendra à Pau le sommet qui rassemblera les décideurs stratégiques des marchés de gaz et de pétrole en eaux profondes. Sous la houlette de l’entreprise française Total, se réuniront de hauts responsables d’entreprises pétrolières internationales – Shell, Exxon, Repsol, BP – ainsi que les différents opérateurs de l’exploration, du forage et de l’exploitation en eaux profondes du pétrole et du gaz. L’objectif de ce sommet est « de mettre en commun toutes les compétences permettant la réduction des coûts et l’augmentation de l’exploitation du pétrole et du gaz, de développer des champs en eaux profondes et de permettre l’avancement de l’exploration et de la production globale ». Ainsi, moins de quatre mois après l’accord de Paris, les pétroliers, dont Total, entreprise présente au Bourget en décembre dernier, se réunissent pour envisager d’accentuer encore l’exploitation des énergies fossiles, dont les conséquences néfastes sur l’environnement et le climat ne sont plus à démontrer. Ce sommet s’apparente à une provocation, et il se tiendra en France ! Comment celle-ci peut-elle agir pour interdire ou tenter de faire interdire partout, dans le cadre de la COP21, le développement de l’exploitation du pétrole et du gaz en eaux profondes ? De fait, les entreprises ne semblent pas toutes prêtes à participer à la transition énergétique que nous appelons de nos vœux, ni même à la réduction globale des émissions de gaz à effet de serre.
Mme Florence Delaunay. J’illustrerai ma question par deux exemples. Le premier vient d’être évoqué par Suzanne Tallard, mais je crois bon d’y revenir. Le rapport annuel de l’Agence internationale de l’énergie (AIE), World energy outlook 2012, préconise de laisser dans le sol deux tiers des réserves prouvées des combustibles fossiles afin de ne pas dépasser les deux degrés de réchauffement maximal – la bourse de Londres aurait déjà anticipé ce passif. Selon cette préconisation, il n’y aurait aucune raison de poursuivre des explorations et forages toujours plus profonds pour extraire du pétrole et du gaz. Pourtant, le salon NCE Deepwater development rassemblera à Pau les plus grandes entreprises de forage en eaux profondes. Il est clair qu’en la matière, rien ne contraint ces multinationales à changer de cap, même s’il semble opposé aux objectifs de la COP21.
Mon second exemple concerne la géothermie. Lors d’une visite de Ségolène Royal en 2014, le directeur de la centrale géothermique de Bouillante, en Guadeloupe, a affirmé que la géothermie apportait une contribution majeure à la transition énergétique. Dans ce cadre, un fonds de développement de la géothermie, GEODEEP, a été créé et, dans la perspective de la COP21, l’État s’est engagé à investir 50 millions d’euros pour développer la géothermie. Or, d’ici à mai prochain, le BRGM et sa filiale SAGEOS vendront, pour le même montant, l’usine de Bouillante à une entreprise américaine, Ormat Technologies, qui contrôlera 85 % du capital. Avec les investissements prévus, l’usine produira 20 % de l’énergie consommée par les Guadeloupéens. Raccordée au réseau depuis trente ans, l’usine est la seule centrale géothermique en activité de France. Elle fait partie intégrante des outils de la transition énergétique. Bien que mal gérée par le BRGM, elle aurait pu rester dans le giron national, notamment au sein d’ENGIE, ou faire l’objet d’une action territoriale.
Ma question est donc la suivante : comment donner aux États les moyens législatifs, juridiques et financiers de mettre en œuvre les objectifs de l’accord de la COP21 ?
M. Serge Bardy. Je souhaiterais, en tant que membre de la plateforme nationale pour la RSE, aborder la question de la responsabilité sociale et environnementale ; je le ferai sous deux aspects. Le premier concerne le reporting extra-financier, moyen privilégié de renforcer la RSE. Lors de la conférence Rio+20, en juin 2012, avait été créé sous l’impulsion de la France le Groupe des amis du paragraphe 47, qui vise à promouvoir le développement du reporting extra-financier, très lié à celui du développement durable. L’idée est intéressante, car le combat de la société civile contre les grands intérêts privés globalisés est un peu celui de David contre Goliath ; or, dans ce combat, l’accès aux données est une arme cruciale. Les entreprises doivent en effet garantir la transparence de l’impact environnemental et social de leurs activités – le social et l’environnemental sont les deux faces d’une même pièce –, pour que la régulation soit efficace et équitable.
Le second aspect concerne les entreprises transnationales. Le Parlement débat actuellement d’une proposition de loi relative à ce sujet et un projet de traité international contraignant a été mis sur la table par certains pays au Conseil des droits de l’homme de l’ONU. Ce projet de traité concerne non seulement le respect des droits humains, mais aussi la prévention des catastrophes environnementales.
Sur ces deux aspects, et sur la RSE en général, notre pays est leader, notamment parce que le capitalisme français est un capitalisme de grandes entreprises. Nous devons conforter ce leadership et être une force de proposition, par exemple en réactivant le Groupe des amis du paragraphe 47 ou en allant plus loin sur le devoir de vigilance des multinationales et l’accès à la justice des victimes de catastrophes environnementales causées par les entreprises.
Je souhaiterais évoquer, par ailleurs, le rôle de la société civile. Sans doute avez-vous vu le film Demain, qui a remporté un beau succès. Cet engouement traduit la volonté de chacun de contribuer à la lutte contre le réchauffement climatique, localement, par des initiatives aussi innovantes que simples. Les États sont parfois des canaux, puisqu’il faut en passer par eux pour signer l’accord de Paris, mais ils peuvent être aussi des obstacles à la réalisation des objectifs fixés par la COP21. Ma question est très simple, presque naïve : la France ne pourrait-elle pas soutenir activement les initiatives citoyennes locales, s’ériger en pays refuge et relais de cette société civile foisonnante ?
M. Jean-Yves Caullet. Je veux rappeler tout d’abord que tous les carbones ne se valent pas : le carbone stocké que l’on déstocke et celui du biogaz ou du bois, qui s’inscrit dans une économie circulaire, ne sont pas identiques. Quelle est la part de la substitution aux matériaux fossiles, matériaux de construction aussi bien qu’énergétiques, que l’on peut accorder dans le cadre de la réussite de l’agenda des solutions à cette conception de la substitution ? N’oublions pas que la photosynthèse est encore, à ce jour, le capteur solaire le plus efficace et qu’elle présente l’avantage de stocker directement ses produits alors que le photovoltaïque pose des problèmes d’intermittence.
Par ailleurs, on parle de sauts technologiques très simples et très importants au niveau local. Pour le chauffage ou la cuisson des aliments, par exemple, la simple adjonction de quelques briques pour améliorer le rendement d’un feu ouvert permet de diminuer de 40 % à 50 % la pression sur la ressource forestière dans des pays où elle est la seule source de combustibles pour l’alimentation. C’est de ce type d’innovations ou de transferts de technologies qui n’intéressent pas forcément les groupes les plus réputés du CAC40 que dépendent également les conditions de travail des femmes, qui sont très souvent chargées de ce type de tâches au sein des familles.
Enfin, quelle est la part d’investissement qui pourrait être consacrée à la reconquête forestière, à son adaptation au changement climatique – car elle est à la fois une arme contre le réchauffement climatique et une victime potentielle de celui-ci – et à l’optimisation de la récolte des bienfaits de la forêt, qui n’a rien à voir avec la déforestation ?
M. Ronan Dantec. Il m’est impossible, compte tenu du temps qui m’est imparti, de répondre à l’ensemble de vos questions. (Rires) Toutefois, la quasi-totalité d’entre elles seront à l’ordre du jour du sommet que j’organise les 26, 27 et 28 septembre à Nantes, où une centaine de forums et d’ateliers permettront de faire globalement le point sur les actions menées – je pense notamment à la constitution d’une coalition sur l’eau ou à la situation des femmes. Le comité d’orientation du sommet étant composé des neuf groupes majeurs de la négociation internationale, aucune des grandes questions ne devrait nous échapper. Je vous donne donc rendez-vous à Nantes au mois de septembre.
De fait, on constate que si le débat est global, des questions très précises sont immédiatement soulevées. Là est la difficulté : nous devons pouvoir nous appuyer sur une matrice mondiale crédible, qui croise les engagements des États et les dynamiques des secteurs, afin de nous accorder sur un scénario partagé qui intègre les questions de développement et les enjeux économiques de chaque État et de chaque territoire. C’est extraordinairement complexe mais, tant que nous n’aurons pas affiné cette démarche, nous en resterons à cette espèce de bouillonnement de questions. Il faut parvenir à en faire une synthèse, et c’est toute la difficulté de la négociation sur le climat.
Je n’aborderai que trois thèmes. Tout d’abord, l’opinion publique, qui est une question clé. Certains intervenants se sont montrés pessimistes, notamment Bertrand Pancher, que j’ai connu plus optimiste.
Plusieurs députés. Nous aussi ! (Sourires)
M. Ronan Dantec. Cet accord est-il positif ? Est-ce un accord en trompe-l’œil ou un échec collectif ? Pour tout vous dire, nous avions plus ou moins décidé collectivement, avant la COP, d’annoncer, une fois qu’elle serait terminée, qu’elle avait été un succès. Nous ne voulions pas, en effet, que se reproduise ce qui s’était passé à Copenhague, où l’on était arrivé en affirmant que l’avenir du monde se jouait là, avant de devoir reconnaître qu’on avait échoué. Si l’on affirme que l’on n’y arrivera pas, nos sociétés, qui sont tout de même conscientes de la gravité de la situation, décideront de s’adapter. Or, si le réchauffement est de trois ou quatre degrés, s’adapter, c’est d’abord faire face à des migrations et à des guerres, et donc investir dans des unités de production de fil barbelé et de kalachnikov. Aussi devons-nous absolument tenir un discours qui permette à chacun d’assumer positivement sa part de responsabilité, faute de quoi nous allons vers un repli rapide.
Je rappelle tout de même qu’un réchauffement d’un degré – c’est-à-dire la situation actuelle –, cela correspond à la fameuse sécheresse qui a sévi en Chine il y a une dizaine d’années. Elle a provoqué une importante baisse de la production de ce pays, une augmentation du prix des produits alimentaires dans un marché mondialisé, la cherté de la vie, qui est à l’origine des printemps arabes, et une accélération de l’exode rural en Syrie. C’est donc l’histoire immédiate de ces dix dernières années ! Aujourd’hui, on ne sait que faire avec un million de réfugiés : imaginez ce qu’il en serait avec les deux milliards d’habitants de l’Afrique !
Le monde du réchauffement climatique n’est pas un monde d’adaptation technologique ; c’est un monde de désagrégation, et nos sociétés le perçoivent plus ou moins. Dès lors, si on ne leur présente pas un scénario de stabilisation du climat, les mandats politiques qui nous seront confiés seront des mandats de protection contre l’Autre. Nous y sommes déjà, d’ailleurs ! Notre responsabilité politique consiste donc à élaborer, dans ce monde imparfait composé d’acteurs aux intérêts divergents, un scénario. Et le seul scénario possible, c’est celui du volontarisme. Or, l’accord de Paris est intéressant à cet égard, puisqu’il rassemble les contributions de 185 États qui jouent le jeu dans ce cadre-là. En outre, il s’agit désormais de négocier des dynamiques d’action. Cet accord marque donc une étape précieuse en ce qu’il définit un cadre pour vingt, trente ou quarante ans.
Beaucoup de questions ont porté sur le prix du carbone et les grands enjeux économiques. Nous sommes, de ce point de vue, dans le moment de la contradiction. Longtemps, on s’est senti dans l’obligation de faire un petit quelque chose : on élaborait un plan climat, on accrochait trois panneaux photovoltaïques sur le toit de la mairie, et cela suffisait pour l’article qui paraissait dans la presse locale. Aujourd’hui, nous sommes dans le temps de la contradiction : dès lors que prévaut un scénario de stabilisation du climat, nous sommes obligés de nous demander comment nous allons adapter nos économies et nos propres logiciels de développement dans le cadre d’une compétition qui s’est imposée à l’échelle mondiale. Ces confrontations-là, il va falloir se les coltiner.
« Ton territoire, me demande-t-on souvent, n’est-ce pas celui où est prévu un projet d’aéroport fondé sur un développement exponentiel du trafic aérien ? » Dès que l’on quitte l’échelle globale pour revenir à l’échelle locale, les confrontations réapparaissent. Les partisans de ce projet de transfert d’aéroport – et il peut y en avoir parmi vous – considèrent encore aujourd’hui que la logique libérale de la compétition territoriale justifie, au regard de la situation de l’ouest de la France dans l’Europe, que l’on investisse dans un tel projet. Or, il est clair que si le transport aérien continue de croître à la vitesse actuelle, il nous sera impossible de stabiliser le climat. Voilà une contradiction absolue ! Et comme, de surcroît, la France vend beaucoup d’avions, favoriser une diminution du trafic aérien peut poser problème… Nous ne savons pas dépasser ces contradictions. L’exemple du territoire nantais est intéressant à cet égard, puisque, dans le même temps, il finance le sommet sur le climat – et ce n’est pas une opération de greenwashing, car le président de ce sommet est un opposant résolu au projet d’aéroport – et il est probablement, avec celui de Grenoble, le seul territoire qui parviendra à réduire les émissions de gaz à effet de serre de 50 % d’ici à 2030 parce que, depuis des décennies, il investit dans la mobilité, la planification, l’habitat.
Cette remarque vaut également pour les grandes régulations économiques. Notre crainte majeure, s’agissant de la ratification du traité, elle est liée à la position des États-Unis, compte tenu des réserves émises par la Cour suprême. Pensez-vous vraiment que l’on puisse signer le TAFTA sans savoir si les Américains s’engagent en faveur d’une régulation climatique ? En ce qui concerne le prix du carbone, la question qui se pose est celle de savoir comment il peut être décliné dans le cadre de la fameuse responsabilité commune mais différenciée, c’est-à-dire, à la limite, une équivalence d’unités carbone entre les marchés chinois, européen et américain, mais pas forcément au même prix. Il faut creuser cette idée, sur laquelle nous aurons un dialogue de haut niveau lors du sommet de Nantes.
J’en viens à la gouvernance du climat. Ce qui est en jeu ici, c’est la capacité d’acteurs culturellement et politiquement différents, dont les intérêts sont divergents, de se mettre d’accord. La question est donc complexe, mais je crois que nous avons avancé sur ce point, notamment grâce aux acteurs non étatiques – je pense notamment aux villes. À leur niveau, la gouvernance est en effet plus facile car, à l’échelle mondiale, les différentes réponses aux défis climatiques sont assez proches : il faut agir sur la planification, la mobilité, l’habitat et l’inclusion sociale. On crée ainsi des cultures transversales mondiales. Pour conclure en une phrase, je dirai qu’une des responsabilités de la France, après le Plan d’action Lima-Paris – et nous sommes en train de prendre du retard –, c’est de réussir à finaliser avant Marrakech une gouvernance composée d’acteurs non étatiques ; c’est un point-clé.
Mme Anne Chassagnette. Je m’en excuse par avance, mais je ne pourrai pas répondre à toutes vos questions, très riches et intéressantes.
En ce qui concerne le prix du CO2, je veux saluer les travaux de la Banque mondiale, qui aide les États à mettre en place des mécanismes de tarification du carbone, qu’il s’agisse de marchés ou de taxes. En France, Mme Ségolène Royal a proposé à l’Union européenne la création d’un corridor afin de renforcer le prix du carbone. De fait, pour qu’une telle mesure ait un véritable impact sur le climat, il faut agir au niveau européen, et non national. Or, c’est très difficile, car certains États européens sont opposés au prix du CO2. En effet, celui-ci entraînerait un renchérissement du coût de l’énergie et aurait des effets sociaux dans les pays émergents ou dans ceux qui, en Europe, sont très focalisés sur le thermique. Toutefois, les entreprises qui ont intégré la dimension climatique se battent en faveur d’un prix du CO2, qui permettrait d’aller vers une économie bas carbone, finalement moins risquée pour les entreprises.
Par ailleurs, le renouvelable est désormais compétitif : il peut, dans de nombreuses régions du monde, notamment en Afrique, où la source d’énergie est très abondante, se passer de subventions. Ainsi, ENGIE a choisi d’investir dans des projets rentables. Grâce aux évolutions technologiques et à la diminution des coûts, notamment des panneaux solaires, nous pouvons désormais donner accès à l’énergie. Nous travaillons donc beaucoup sur cette question, qui peut être abordée lors de la conférence de Marrakech, laquelle devrait, du reste, traiter également la thématique des femmes car l’Afrique est très concernée.
Oui, les territoires se réapproprient les questions énergétiques et veulent des solutions concrètes. Donc la gouvernance évolue, et la décentralisation se développe. Ainsi, l’organisation d’ENGIE a été modifiée le 1er janvier dernier ; elle est désormais très décentralisée et pensée de manière géographique.
Par ailleurs, il est vrai que les différents types de carbone ne se valent pas. Nous travaillons beaucoup, quant à nous, sur la thématique du biogaz. Ainsi les déchets de la région parisienne permettent de générer du biogaz qui alimente ensuite les bus de la RATP. Ce type de cercles vertueux peut tout à fait être développé, notamment en France.
L’opinion publique joue en effet un rôle-clé. Dans le domaine de l’énergie, on assiste à une véritable révolution sociétale : le consommateur veut décider de ses choix énergétiques et être producteur d’énergie. Nous avons d’ailleurs de nombreux liens avec la société civile, les citoyens et les ONG, avec qui nous entretenons un dialogue permanent. Les sondages montrent que les salariés attendent de leur entreprise qu’elle ait un impact positif sur la société. Quant à la société civile, elle attend beaucoup plus des grandes entreprises que des hommes politiques. Notre rôle à nous est donc d’être actifs, d’être force de proposition et d’assumer cette responsabilité.
Peut-être les PME donnent-elles moins de la voix et ont-elles moins d’équipes qui consacrent du temps à la problématique du climat, mais elles ne sont absolument pas absentes sur le terrain. Nous sommes, du reste, partenaires de certaines d’entre elles, notamment dans le domaine de l’innovation et des nouveaux business model correspondant à la problématique du climat. Les PME s’investissent donc beaucoup. Elles sont notamment présentes au Global compact de l’ONU, qui réunit ces entreprises autour des thèmes de la responsabilité sociale et environnementale et du climat. Elles sont très actives et très demandeuses car leurs salariés souhaitent vraiment des évolutions positives dans ce domaine.
En ce qui concerne plus particulièrement la responsabilité sociale et environnementale, nous sommes très conscients de notre rôle et nous travaillons beaucoup sur la transparence, voire sur l’intégration, qui consiste à fonder nos décisions opérationnelles d’investissement sur des critères qui ne sont pas uniquement économiques mais aussi environnementaux et sociaux. Nous sommes engagés dans cette démarche, et nous publions, depuis l’année dernière, un rapport intégré qui témoigne de cette démarche auprès de nos partenaires. S’agissant du devoir de vigilance, je serai très prudente. Les entreprises doivent être volontaires en la matière. Imposer trop de contraintes aux entreprises françaises nuirait en effet à leur compétitivité par rapport aux entreprises des autres pays. Je ne pense donc pas qu’il faille légiférer sur ces questions, mais plutôt inciter les entreprises à s’améliorer.
Mme Célia Gautier. Si je devais résumer le sentiment de Réseau action climat sur l’accord de Paris, je dirais qu’il aurait pu être bien pire mais qu’il aurait dû être bien meilleur… Mais nous sommes ici pour parler de l’après-COP21.
En ce qui concerne la ratification de l’accord, le principal enjeu ne réside pas, selon moi, dans la position des États-Unis ou celle des autres grands États émetteurs, qui ont annoncé qu’ils ratifieraient dans les prochains mois, mais bien dans celle de l’Union européenne, puisque la Pologne souhaite que tous les détails de la politique climat-énergie européenne soient précisés et votés avant une ratification. Je suis donc favorable à une ratification par l’Union européenne en tant que telle avant une ratification individuelle. Il faut néanmoins avancer sur les différentes législations européennes qui mettront en œuvre la contribution de l’Union européenne à la COP21 et qui viseront à la dépasser. Nous devons ainsi inclure dans la législation européenne le principe d’une révision tous les cinq ans, qui n’est pas actuellement présent dans les projets de la Commission.
Par ailleurs, où en est-on du financement des pays du sud et du Fonds vert ? L’an dernier, le gouvernement français a commandé à l’OCDE une étude qui retrace l’ensemble de ces financements, au-delà du Fonds vert, qui n’en regroupe qu’une petite partie : les États développés comptabilisent aussi des prêts, des financements via les agences bilatérales et, dans certains cas, les crédits à l’export. Ce rapport a été contesté par de nombreux pays en développement. L’enjeu de la COP22 est donc de parvenir à un meilleur équilibre entre les demandes de ces pays et les chiffres de l’OCDE. On atteindra probablement 100 milliards en 2020, mais la part dépensée sous forme de dons, notamment en faveur de pays les plus vulnérables qui n’attirent pas les investissements privés, doit augmenter, en particulier pour l’adaptation aux impacts du changement climatique. Aujourd’hui, ces dons ne représentent qu’une infime partie des financements climat.
De nombreuses questions ont porté sur le prix carbone et sur les blocages qui existent dans ce domaine. Il est évident que certaines entreprises ne souhaitent pas que ce prix augmente eu Europe. Un prix carbone européen serait certainement plus efficace en termes d’impact sur le climat, mais on ne peut pas attendre l’Europe, quand le prix du pétrole est au niveau actuel. Quels sont les secteurs qui bloquent actuellement une évolution dans ce domaine ? Il s’agit du secteur industriel, notamment les cimentiers, qui demandent toujours plus de subventions et de crédits carbone gratuit, alors qu’ils sont largement bénéficiaires du système européen d’échange de quotas, de sorte qu’ils sont assis sur un stock de quotas qu’ils n’ont pas utilisés et qu’ils pourront revendre.
Avant d’inciter à mener une action positive de réduction des gaz à effet de serre, il faudrait arrêter d’investir de l’argent public dans les activités qui sont à l’origine du changement climatique. C’est le premier chantier auquel vous devez vous attaquer, en tant que parlementaires, avant 2020. En Europe, on ne peut pas continuer à subventionner les énergies fossiles. Or, on les subventionne plus dans les pays de l’OCDE que dans les pays en développement. Je pense notamment à l’exploration des nouvelles sources d’énergie fossile, y compris en eaux profondes. Une réforme rapide est nécessaire dans ce domaine, si nous voulons envoyer les bons signaux économiques. Du reste, le fait que les énergies renouvelables se développent aussi vite est assez exceptionnel ; cela montre bien qu’elles sont compétitives car les énergies fossiles sont beaucoup plus subventionnées.
La mobilisation de l’opinion publique, en particulier des jeunes, est un grand défi. Pour les organisations de la société civile telles que la nôtre, il s’agit de mobiliser au-delà des questions climatiques, car ce dont nous parlons, c’est un changement de société. La question a été posée de savoir s’il était possible de lutter contre le changement climatique et de réduire les émissions de gaz à effet de serre à hauteur des ambitions affichées dans l’accord de Paris dans le cadre du modèle économique actuel : très clairement, non. Un changement radical de notre modèle de consommation et de production d’énergie est nécessaire. Limiter le réchauffement à 1,5 degré implique en effet une économie complètement différente, notamment en ce qui concerne le travail et l’investissement, sujets dans lesquels les jeunes peuvent s’impliquer.
Nous pensons également que, face aux incohérences gouvernementales, la désobéissance civile est un axe de mobilisation : il continuera à y avoir des actions de résistance locales face aux projets « climaticides » des énergéticiens et des États, tels que l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes ou les mines de charbon en Allemagne.
Que faire en France ? À cet égard, la question de savoir comment le gouvernement français va favoriser l’agenda du désinvestissement auprès des institutions françaises me paraît importante, notamment après la résolution votée par votre assemblée l’an dernier. Il nous paraît en effet nécessaire que de plus en plus d’acteurs publics, et d’acteurs privés dont l’État est actionnaire, commencent à se désinvestir des énergies fossiles.
Enfin, je souscris aux propos qui ont été tenus sur la gouvernance. L’agenda des solutions et celui de l’action Lima-Paris sont l’occasion de tester un modèle de gouvernance multi-acteurs. À notre sens, il se joue de manière sectorielle, dans les coalitions qui ont été construites dans le cadre de l’agenda des solutions, qu’il s’agisse des collectivités, de l’efficacité énergétique ou des renouvelables. La gouvernance doit être multipartite, à condition que les initiatives incluses dans cet agenda puissent être sélectionnées selon des critères qui soient également adoptés selon une gouvernance équilibrée. Les ONG peuvent participer, dans ce cadre, au suivi des engagements et de l’action. Mais nous souhaitons, par exemple, que l’initiative de Total sur les fuites de méthane, qui n’est absolument pas transformationnelle dans la mesure où la dépendance aux énergies fossiles est maintenue, soit exclue de l’agenda des solutions. Quoi qu’il en soit, il nous paraît essentiel de réfléchir à la gouvernance dès cette année, avant la COP22.
M. le président Jean-Paul Chanteguet. Mesdames, Monsieur le Sénateur, je vous remercie.
La Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire a entendu, le 27 avril 2016, M. Pierre Radanne, président de l’Association 4D, sur les enjeux et l’analyse de l’accord de Paris.
M. le président Jean-Paul Chanteguet. Mes chers collègues, je souhaite en votre nom à tous la bienvenue à Mme Karine Daniel, nouvelle députée de la troisième circonscription de Loire-Atlantique, élue dimanche dernier. Mme Daniel, je vous remercie d’avoir rejoint notre Commission, vous qui connaissez le fonctionnement de l’Assemblée nationale pour avoir travaillé pour un groupe parlementaire en 2003.
Mme Laurence Tubiana, ambassadrice pour les négociations climatiques et dont le rôle fut décisif dans le résultat de Paris, s’est portée candidate, avec le soutien du Gouvernement français, pour assurer le secrétariat exécutif de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. Elle mène actuellement campagne pour succéder à Mme Christiana Figueres, et nous ne pourrons pas l’auditionner dans les prochains jours, même si nous ne désespérons pas d’y parvenir bientôt.
Nous accueillons avec grand plaisir M. Pierre Radanne, président de l’association 4D, ancien président de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (ADEME) et spécialiste des questions énergétiques et climatiques. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages sur les négociations climatiques internationales et de notes de décryptage des résultats et des enjeux de l’accord de Paris.
Monsieur Pierre Radanne, vous aborderez les problèmes liés aux modalités de ratification de l’accord, vous en présenterez votre analyse et vous exposerez les conditions de son application, notamment sous l’angle des engagements nationaux et de la mobilisation des acteurs ou des financements.
M. Pierre Radanne, président de l’association 4D. L’accord de Paris est le meilleur possible : on ne pouvait pas rêver mieux ! En effet, le critère exclusif du succès de la COP21 résidait dans la capacité à obtenir un accord liant la totalité des pays de la planète.
La Convention de Rio de 1992 avait abouti à la signature d’un texte par 179 pays, puis le protocole de Kyoto avait incité les États développés à agir en leur fixant des obligations de réduction d’émission de gaz à effet de serre (GES) ; cette machine s’est enrayée en février 2001 lorsque les États-Unis ont affirmé qu’ils ne ratifieraient pas le protocole de Kyoto. Cette annonce a généré de nombreuses dissidences, plus ou moins graves, qui ont affecté la tenue des engagements pris pour la période allant jusqu’à 2020. Ainsi, les Japonais, les Australiens et les Néo-Zélandais n’ont pas rempli leur contrat, et le Canada et la Russie ont souhaité sortir du cadre de Kyoto. L’Union européenne (UE) s’est retrouvée isolée avec quelques petits pays pendant quinze ans, au milieu d’une dégradation générale de l’effort.
Cette période s’est achevée en décembre dernier à Paris, où la totalité des pays développés ont réintégré le processus et où les pays émergents, notamment la Chine, ont accepté des engagements réels. Cet accord concerne 195 pays dans le monde, et ce succès s’explique par plusieurs raisons.
Tout d’abord, les instances internationales avaient demandé à chaque pays, démarche inédite dans l’Histoire, de présenter sa stratégie nationale pour lutter contre le changement climatique à l’horizon de 2030. Les pays les plus pauvres ne se projettent pas à quinze ans, et agissent dans une perspective annuelle voire de quelques années. La délégation sénégalaise a ainsi affirmé qu’elle avait réfléchi à long terme pour la première fois, ce qui avait changé le regard du pays sur lui-même. Au cours de la première décennie de ce siècle, les pays en développement ont modifié leur point de vue sur le changement climatique. En effet, les pays africains ont d’abord perçu ce sujet comme une nouvelle turpitude imposée par le colonisateur, celui-ci décidant de changer le mode de développement qu’il avait promu. Cependant, au fil des années, ces pays se sont aperçus que le changement climatique les touchait davantage que les autres, qu’ils y contribuaient, notamment par la déforestation équatoriale, mais qu’ils étaient bien dotés en énergies renouvelables et qu’ils avaient intérêt à amorcer la transition énergétique. En 2009, à l’issue de la conférence de Copenhague, une nouvelle vision du développement, reposant sur une efficacité énergétique, une agriculture adaptée au changement climatique et une protection du couvert forestier, a émergé.
Parmi les 195 pays, 189 ont remis leur document de politique nationale de lutte contre le changement climatique dans les quinze prochaines années. Ces orientations font apparaître une vision convergente du futur. Les pays développés, les émergents et ceux en développement partagent la même conception du développement à long terme, même si l’intensité du volontarisme varie selon les États. L’Éthiopie et le Vanuatu affirment qu’ils ne consommeront plus de combustibles fossiles en 2050, alors que ce type de proclamation aurait été inenvisageable dix ans plus tôt.
Les négociations ont dû prendre en compte les réticences de chacun, notamment celles exprimées par les pays producteurs de combustibles fossiles, les pays pétroliers ayant plaidé pour une transition énergétique lente.
Les Nations unies ont lancé un processus visant à mobiliser les secteurs industriel et financier, les grandes fondations, les organisations non gouvernementales (ONG) et les collectivités locales. La négociation ne concernait pas que les États, de nombreux acteurs de la société s’étant mis en mouvement. Les opinions publiques ont également beaucoup évolué depuis dix ans. En juin dernier, j’ai ainsi participé à une opération intitulée World Wide Views ; des conférences de citoyens ont été organisées en simultané dans 75 pays et ont réuni 10 000 personnes. Les populations des pays en développement sont dorénavant davantage sensibilisées au changement climatique que celles des pays développés.
M. Laurent Fabius, alors ministre des affaires étrangères et du développement international, et Mme Laurence Tubiana ont accompli un énorme travail ; jamais une conférence internationale n’avait été si bien préparée, ce résultat devant également beaucoup à l’action des postes diplomatiques français. Nos responsables ont très bien compris que les États les plus forts ne faisaient plus à eux seuls les négociations internationales et que chaque pays devait être convaincu. Pour ce faire, il faut comprendre les intérêts et les difficultés de chacun, car ces discussions se déroulent dans le cadre des Nations unies et non dans un système de rapport de forces. La présidence française a parfaitement compris cet environnement et a fait preuve d’une grande humilité tout en se montrant plus ferme à la fin de la négociation pour aboutir à un accord. Aucun pays n’a été écarté de la négociation, et cette méthode a été unanimement saluée. Cette conférence s’est d’ailleurs très bien passée, alors qu’elle s’est tenue très peu de temps après les attentats du 13 novembre 2015.
Dans de nombreux pays, y compris le nôtre, les avis sur l’accord de Paris divergent fortement. Certains pays analysent l’accord à partir des objectifs climatiques et se demandent si l’on s’est bien mis d’accord sur le niveau de réchauffement maximal à ne pas dépasser. Comme cette dimension est présente dans l’accord, ces acteurs en ont une vision positive. Certains défendent un point de vue prospectif et attendaient que la COP21 débouche sur une convergence de vues sur le futur. Les engagements présentés à partir d’octobre 2015 ne permettent pas de contenir le réchauffement climatique à deux degrés, si bien qu’il faudra se pencher à nouveau sur cette question. Pour ce faire, on a proposé la méthode de l’escalier : on doit franchir une marche tous les cinq ans, et il s’avère interdit de redescendre. Chaque pays doit augmenter son niveau d’engagement tous les cinq ans. Je vous rappelle que l’escalier permet à chacun d’arriver aux étages quels que soient son rythme et sa condition physique. Dans la négociation sur le climat, tout le monde doit arriver en haut, mais la vitesse d’ascension varie. Il convient d’aider les plus faibles à monter l’escalier.
La lecture juridique et diplomatique de l’accord est contrainte par le droit des Nations unies. Les capacités de l’Organisation des Nations unies (ONU) sont faibles – elle n’a par exemple pas le droit de présenter de texte –, et ce sont les États qui négocient. Les règles diplomatiques restent celles du traité de Westphalie de 1648 dans lequel fut créée la notion de souveraineté nationale. Chaque pays peut entrer et sortir d’un accord international, cette décision étant l’expression de sa souveraineté.
La lecture militante conduit certaines personnes à déplorer la timidité de l’accord en matière d’efficacité énergétique ou d’énergies renouvelables. L’accord est évidemment un compromis et constitue le plus petit dénominateur commun aux 195 parties. Il s’avère d’ailleurs illisible pour le commun des mortels, ce qui pose un problème démocratique (Approbations) ; une très grande distance sépare le processus de la négociation des populations. L’accord de Paris prévoit de limiter le réchauffement climatique à moins de deux degrés, mais presque aucun de nos concitoyens ne comprend ce que cela signifie. L’effort pédagogique n’a pas été mené, et personne ne s’est donné la peine de traduire les dispositions de ce texte dans des termes clairs.
La lecture technologique de l’accord se concentre sur les filières appelées à devenir prioritaires. Les acteurs économiques, territoriaux et financiers vont-ils s’engager ? Mobiliserons-nous suffisamment de moyens financiers ? À Copenhague, on avait évalué à 100 milliards de dollars par an le montant des transferts nécessaires entre le Nord et le Sud d’ici à 2020. À Paris, on a estimé que 80 milliards d’euros avaient déjà transité, même si les dons représentent une part trop faible de cette enveloppe par rapport aux prêts – notamment pour les pays les plus pauvres. En outre, il reste 20 milliards de dollars à trouver.
Une dynamique s’est enclenchée, mais elle reste peu sensible dans l’action de l’État et des collectivités territoriales car les machines politiques démarrent lentement. Ainsi, beaucoup de pays prévoient de renforcer leur cadre législatif et la France n’a pas achevé de traduire réglementairement la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte qu’elle a votée. La puissance publique devra consentir l’effort budgétaire indispensable à la mise en œuvre des engagements pris.
Le secteur industriel, en particulier les producteurs d’énergies renouvelables, s’inscrit d’ores et déjà dans la dynamique enclenchée. Ces acteurs ont compris que l’accord de Paris allait entraîner une massification des marchés, attestée par les stratégies nationales convergentes. De même, le secteur bancaire, jusqu’alors très peu actif dans la négociation relative au climat, s’est impliqué dans ce mouvement depuis la COP21. Les grands fonds de pension, les grandes banques internationales et les grands fonds financiers ont exposé la transition de leur soutien aux combustibles fossiles vers les solutions alternatives ; ainsi, 4 000 milliards de dollars d’aide aux énergies anciennes seraient réorientés vers les renouvelables. Le basculement de sommes aussi considérables se fera bien entendu progressivement, mais l’impulsion a été donnée.
Il conviendra enfin de gagner la bataille des opinions publiques. Les ratifications parlementaires de l’accord de Paris ne sont pas, selon les termes du texte, obligatoires ; ainsi, les États-Unis pourront ratifier le texte par décret présidentiel et éviteront un passage au Congrès où les partisans de l’accord ne sont pas majoritaires. Vu l’importance de la mutation prônée par l’accord, les débats se révéleront difficiles dans de nombreux parlements.
À Paris, notre futur a changé de direction.
M. Christophe Bouillon. Nous nous réjouissons de cette audition, qui se tient quelques jours après la signature à New York de l’accord de Paris par 175 États, et au lendemain de la Conférence environnementale de Paris, quatre mois après le succès de la COP21. Nous sommes particulièrement heureux de vous entendre, Monsieur Pierre Radanne, car vous êtes un défricheur – on vous doit la conduite de plusieurs combats comme celui du facteur 4 –, un décrypteur comme l’atteste votre note du 2 avril dernier, un développeur puisque vous accompagnez des collectivités locales dans la transition énergétique, et un formidable débatteur. (Sourires)
Nous devons relever le défi de l’efficacité, qui recoupe la question du prix du carbone. Malgré les contributions nationales et les objectives, il sera indispensable de fixer des prix au carbone. Pour la première fois, plusieurs États affirment vouloir donner des prix au carbone. Des industriels se sont également réunis pour se déclarer prêts à évoluer dans un environnement où des prix seraient attachés au carbone, cette évolution étant promue depuis longtemps par les ONG. Pourquoi, malgré ce contexte favorable, ne parvient-on pas à dépasser le stade des déclarations d’intention ?
Comment passe-t-on d’un « machin » onusien englué dans une course de lenteur à une mobilisation des territoires et des industriels dans la perspective de l’agenda des solutions ?
Pour être crédible, il faut régler la question du financement du processus de transition qui recouvre celle du Fonds vert. L’attente s’avère très forte à ce sujet, et l’on se demande si l’objectif des 100 milliards de dollars sera atteint. Comment peut-on utiliser le levier représenté par les sommes déjà recueillies pour lancer les initiatives nécessaires à la réalisation de l’accord de Paris ?
Les ONG peuvent-elles participer à la vérification du déploiement des contributions volontaires des États ?
La loi de transition énergétique constitue une formidable boîte à outils : quelle évaluation faites-vous des instruments qu’elle se propose de créer ? Que pensez-vous de l’annonce du président de la République sur les green bonds lors de la dernière conférence environnementale ? Puisque vous souhaitez que le présent serve le futur, comment analysez-vous l’article 173 de la loi qui porte sur la gouvernance nationale de la transition énergétique et qui crée un outil financier nouveau ?
M. Jean-Marie Sermier. Nous pouvons tous nous féliciter des avancées obtenues à Paris lors de la COP21, notamment du fait que le plus grand nombre s’accorde désormais sur l’état des lieux – souvenons-nous en effet que des polémiques perduraient sur la réalité du réchauffement climatique et sur son origine anthropique il y a encore six ou sept ans.
Monsieur le président Pierre Radanne, vous survendez néanmoins quelque peu les résultats de la COP21 car, comme vous l’avez vous-même évoqué, les avis sur cet accord ne sont pas unanimes à l’extérieur de notre pays. Reconnaissons en effet que le texte représente un catalogue de bonnes intentions ; certes, tout le monde partage les orientations de ce catalogue, mais l’accord n’est en rien contraignant. Je ne critique pas le travail lancé il y a plusieurs années et conclu il y a quelques mois, mais ce catalogue d’intentions n’est pas contraignant et n’engage pas les pays de la planète à opérer des avancées précises. Vous avez employé l’image des escaliers, endroit où les chutes s’avèrent les plus nombreuses (Murmures divers) et où elles concernent surtout les jeunes enfants et les personnes âgées. Les pays les plus en difficulté courent donc un grand risque de tomber dans l’escalier qu’ils souhaitent gravir. On aurait dû construire un ascenseur commun plutôt qu’un escalier individuel. (Murmures)
Vous savez que 100 milliards d’euros par an ne suffiront pas à régler les problèmes, d’autant plus que l’objectif d’un degré et demi se trouve complètement dépassé et que celui de deux degrés le sera bientôt. L’enveloppe de 100 milliards de dollars permet tout juste de contenir le rythme actuel du réchauffement climatique. En outre, les 80 milliards auxquels vous avez fait allusion recouvrent une partie de l’effort public déjà comptabilisé. Nous n’avons donc pas résolu la question financière, le financement ne s’avérant pas à la hauteur de nos ambitions.
Le carbone constitue l’élément essentiel du dérèglement climatique, or son marché se révèle aujourd’hui atone. S’il avait été à la hauteur des prévisions estimées dans les lois, nous bénéficierions d’un financement organisé, et ce manque posera des problèmes à l’avenir.
Monsieur le président Pierre Radanne, ne devrions-nous pas nous pencher en priorité sur la question de la gouvernance mondiale de ce sujet ? En effet, sans gouvernance mondiale, il n’y aura pas de solutions locales.
M. Bertrand Pancher. Monsieur Pierre Radanne, nous vous remercions de votre présence parmi nous ; votre intervention a fait montre d’un grand optimisme, même si celui-ci peut s’avérer bénéfique.
Pouvions-nous obtenir un accord allant plus loin ? La réponse est négative, et nous avons atteint le maximum de ce que le processus international peut permettre.
Cet accord ne contient pas d’engagements portant sur un rythme d’augmentation de la température inférieur à deux degrés, malgré une réévaluation des efforts tous les cinq ans. Cependant, moins on agit au début et plus la menace s’élève. La mise en œuvre de l’accord conduirait à une augmentation de la température de près de trois degrés. En outre, la ratification de l’accord soulève des inquiétudes au vu de la diversité des régimes politiques des pays signataires.
L’Europe éprouve de nombreuses difficultés à définir une stratégie de réduction de 40 % d’émission de GES d’ici à 2030. La Chine s’est engagée à ce que l’année 2030 représente celle de son pic d’émission de GES, mais elle a fourni il y a quelques mois des chiffres erronés qui ne tenaient pas compte de l’activité de régions entières. Quant aux États-Unis, troisième membre de ce club des plus gros émetteurs, le candidat probable du parti républicain à l’élection présidentielle ne croit pas à l’existence du réchauffement climatique et son adversaire démocrate l’accuse d’être vendu au lobby du charbon. Il est donc difficile de rester optimiste !
Cependant, la nouvelle attitude du monde la finance constitue un facteur d’espoir, car elle n’investit plus dans des placements générateurs de GES. Il importe de se battre pour un système de régulation mondial du prix du carbone, même si cette lutte se révèle difficile. L’Europe, géant économique, pourrait avancer dans ce domaine si elle s’organisait, et j’aurais aimé que vous précisiez votre pensée sur ces sujets.
M. Jacques Krabal. Monsieur le président Pierre Radanne, nous vous remercions de votre exposé ; je tenais également à saluer le M. le président Jean-Paul Chanteguet qui tient son engagement de faire de 2016 l’année de suivi par le Parlement de la mise en œuvre de l’accord de Paris.
On ne peut pas reprocher un excès d’optimisme aux propos de M. Radanne ; le rassemblement de 175 pays dans le domaine de la lutte contre le réchauffement climatique constitue une avancée inédite sur laquelle nous devons nous appuyer pour progresser.
Il reste des questions dans l’application de l’accord, mais il est opportun d’avoir choisi la méthode de l’escalier pour que chacun puisse agir à son rythme et de manière sécurisée. Qu’est-ce qui vous permet cependant d’affirmer que tout le monde pourra emprunter cet escalier et arriver au but fixé ?
On a également progressé dans le domaine du financement où nous cherchons à mobiliser 100 milliards de dollars. Certes, nous ne disposons pas encore de cette somme, mais nous avons déjà gravi des marches. Que faire pour monter celles qui nous séparent de l’objectif de 100 milliards de dollars ?
Vous n’avez pas évoqué les problèmes posés par les prix du pétrole et du gaz, ni le soutien apporté à la filière nucléaire. Or ces facteurs ne favorisent pas les investissements dans les projets novateurs et n’encouragent pas les énergies renouvelables dans le monde. Quelles sont vos opinions sur ces questions ?
Suite au Grenelle de l’environnement et à la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, le président de la République a annoncé la fixation d’un plancher pour le prix du carbone et la définition d’un « corridor carbone », selon son expression. Le projet de loi de finances pour 2017 pourrait déployer ce corridor en fonction des résultats de la mission confiée à MM. Pascal Canfin, Alain Grandjean et Gérard Mestrallet sur le prix du carbone. Nous pouvons et devons faire mieux pour trouver des solutions en termes de recherche et d’innovation : quelle place leur accordez-vous pour atteindre nos objectifs ?
Nous avons travaillé ensemble pour l’élaboration du plan climat-énergie territorial dans le sud de l’Aisne ; ne pensez-vous pas que la sensibilisation des populations doive s’opérer localement ?
M. Philippe Plisson. L’accord de Paris dans lequel 195 pays sont parvenus à un consensus pour préserver la planète constitue un succès dépassant les plus hautes espérances. Il doit se traduire par la mise en œuvre de mesures concrètes dans tous les continents, tous les pays, tous les territoires et toutes les villes. Foisonnantes et multiformes, ces dispositions concernent des domaines aussi divers que le prix du carbone, les énergies renouvelables, les transports, la préservation des océans ou la grande muraille verte en Afrique.
Les promesses n’engageant souvent que ceux qui les écoutent, et l’horizon temporel des engagements s’élevant à quinze ans, qui seront les garants de leur respect ? Qui en vérifiera la mise en œuvre ? Quelles seront les conséquences pour ceux qui ne respecteraient pas leur signature ?
M. Gérard Menuel. Monsieur Pierre Radanne, je tiens à saluer le travail que vous effectuez au travers de votre réseau, ainsi que l’esprit de synthèse et la passion qui vous animent au sein de votre association 4D.
L’accord de Paris constitue un bon résultat, mais certains pays discutent d’autres sujets, par exemple dans la négociation sur le traité de libre-échange transatlantique – ou Transatlantic Free Trade Agreement (TAFTA). N’existe-t-il pas des contradictions entre les dispositions en matière d’énergie discutées dans ce cadre et celles contenues dans l’accord de Paris ?
M. Yannick Favennec. Le processus permettant à l’accord de Paris d’entrer en vigueur sera sûrement long, alors que le climat continue de se dégrader ; ainsi, les trois premiers mois de l’année 2016 furent les plus chauds jamais enregistrés. À New York, le président de la République a lancé il y a quelques jours un appel à traduire l’accord de Paris en actes afin de faire face à l’urgence. Monsieur Pierre Radanne, quels pays s’impliquent vraiment dans cette démarche ? Vous avez récemment déclaré sur Francetv info que vous ignoriez les objectifs de la France en matière d’écologie. Comment notre pays pourrait-il donner l’exemple pour mettre en œuvre concrètement ses engagements ?
Mme Florence Delaunay. Monsieur Pierre Radanne, vous avez affirmé que les grands acteurs de l’énergie, les grandes entreprises et les collectivités locales adoptaient les énergies renouvelables et que le comportement du secteur bancaire serait décisif. Nous sommes nombreux à estimer sur ces bancs que l’action des citoyens s’avérera également essentielle ; Je fonde sur elle beaucoup d’espoirs, et il me semble que les citoyens joueront le rôle de locomotive dans les pays du Nord, mais encore plus dans les pays du Sud et émergents. Il faudra financer le saut technologique, ainsi que les initiatives citoyennes comme la création de ceintures vertes, agricoles et maraîchères autour des villes ou les actions éducatives envers les enfants et les adultes.
Quels éléments freinent la diminution ou la suppression des subventions aux énergies fossiles ? Cet argent est pourtant nécessaire pour financer la recherche sur la transition énergétique.
M. Yves Albarello. Monsieur Pierre Radanne, je vous remercie pour la qualité de votre exposé ; je tiens également à vous féliciter de votre optimisme débordant, mais ne croyez-vous pas qu’après la mobilisation des États, celle des populations manque ? Or, sans l’engagement des citoyens, nous aurons beaucoup de mal à atteindre nos objectifs, et la période actuelle de crise et de faible croissance complique la prise de conscience dans ce domaine. Je reviens d’un déplacement parlementaire à Taïwan où les 23 millions d’habitants recyclent près de 80 % des déchets ; cet effort remarquable est bien supérieur à celui que nous consentons en France.
Trois centrales nucléaires sont en service à Taïwan, la quatrième n’étant pas en service. Le ministre de l’environnement m’a expliqué que son pays avait pris des engagements ambitieux de développement des énergies renouvelables – éolien offshore et panneaux photovoltaïques –, dans le but de fermer à terme les trois centrales nucléaires. Néanmoins, le gouvernement taïwanais ne s’interdit pas de mettre en marche la quatrième centrale nucléaire car il pourrait s’avérer difficile de transformer un quart du bouquet énergétique d’ici à 2025. Le chemin est donc encore long.
Mme Suzanne Tallard. Monsieur Pierre Radanne, j’apprécie votre optimisme qui repose sur une longue et riche expérience, ainsi que votre souhait de stimuler la conscience citoyenne. À mes collègues craignant les chutes dans les escaliers, je leur rappelle que celles-ci ont lieu dans les descentes et non dans les montées. (Rires)
L’accord signé il y a quelques jours aux Nations unies sera soumis au Parlement pour ratification dans quelques semaines. Il n’entrera en vigueur que dans quatre ans, même si des initiatives visant à réduire les émissions de GES continueront de voir le jour d’ici là, par exemple sous l’impulsion des collectivités locales. Dans un récent entretien au Journal de l’environnement, vous affirmiez que le changement climatique était « un problème planétaire à solution territoriale ». Certains grands groupes impulseront également des évolutions de leur stratégie industrielle. Les acteurs de la société civile seront donc les précurseurs de cette transition voulue par les textes officiels.
Vous constatiez sur Francetv Info la réorientation des investissements des banques et des institutions financières. Dans un paysage socio-économique complexe et en mutation, comment pourrait-on recenser les initiatives et évaluer leur impact réel sur la réduction de l’émission des GES ? La multiplicité des actions risque de les rendre illisibles. Or, un outil de recensement, accessible, public et inspiré de votre instrument Our Life 21, favoriserait la pédagogie et la conscientisation des gens. Mobilisés, les citoyens pourraient ainsi jouer pleinement leur rôle de vigilance vis-à-vis des États et des entreprises.
Quelle synthèse a été effectuée de l’initiative lancée par 10 000 citoyens en juin 2015 ?
M. Michel Heinrich. Monsieur Pierre Radanne, l’effondrement du prix du pétrole et, plus généralement, des coûts des énergies fossiles ne constituera-t-il pas un obstacle à l’atteinte des objectifs fixés en matière de changement des sources énergétiques ? Les Allemands émettent aujourd’hui deux fois plus de GES par habitant que les Français puisqu’ils ont choisi de privilégier le lignite et le charbon.
Mme Martine Lignières-Cassou. Monsieur Pierre Radanne, votre optimisme fait du bien par les temps qui courent. Vous avez qualifié de décisive la période qui s’ouvre jusqu’à 2020. On n’a que quelques mois et une seule réunion intermédiaire – à Bonn, au mois de mai – pour préparer la Conférence de Marrakech. Qu’attendez-vous de ce rendez-vous ? Parviendra-t-on y élaborer une méthode de comptabilisation des émissions et des financements, ainsi qu’une définition des actions d’adaptation ?
Vous insistez sur la nécessité de financer l’ingénierie nécessaire au déploiement de projets, notamment dans certains pays où les capacités sont limitées : se penchera-t-on sur cette question à Marrakech ? Il serait également opportun de fixer des règles de mesure, de rapportage et de vérification des actions conduites. Qu’attendez-vous de cette Conférence sur laquelle nous pourrons peser ?
Les pays producteurs de pétrole freinent la mutation énergétique – surtout dans un contexte de prix du pétrole très bas –, mais l’Arabie Saoudite se prépare à diversifier son économie. Ce pays en restera-t-il aux proclamations ou pensez-vous qu’il mènera vraiment une telle transition ?
M. David Douillet. Pour entrer en vigueur, l’accord doit être ratifié par 55 % des pays signataires représentant 55 % des émissions de GES dans le monde. Il faut donc que l’un des gros émetteurs – l’UE, la Chine, les États-Unis et la Russie – le ratifie. Quels mécanismes ont été mis en place pour permettre de recueillir l’agrément de l’un de ces ensembles ?
M. Philippe Martin. Seuls une quinzaine d’États, principalement insulaires, ont déposé les instruments de ratification de l’accord. Monsieur Pierre Radanne, pensez-vous qu’un mouvement de dépôt de ces instruments va s’enclencher ?
L’accord n’entrera en vigueur qu’en 2020 : que se va-t-il se passer dans les quatre prochaines années ?
Quelles thématiques le plan national français doit-il privilégier pour être à la hauteur des ambitions de l’accord de Paris ?
M. Guillaume Chevrollier. Monsieur Pierre Radanne, je vous remercie de votre exposé, aussi passionnant que vos conférences, et j’ai un bon souvenir de votre passage en Mayenne.
Face aux enjeux du changement climatique et après la COP21, il convient maintenant de gagner la bataille des opinions publiques. Dans notre société hypermédiatisée où les discours sont nombreux et créent beaucoup de désillusions, les citoyens ont besoin de concret. Quels outils pourrions-nous utiliser pour les mobiliser ?
Quelle place occupe l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) dans la lutte pour gagner les opinions publiques à cette cause ?
M. le président Jean-Paul Chanteguet. Certains pays ont déposé leurs instruments de ratification à New York il y a quelques jours. La ratification par l’UE est complexe, car chaque pays doit effectuer cette procédure, et le Conseil et le Parlement européens doivent approuver la ratification à la majorité qualifiée. Or certains pays membres, dont la Pologne, ne prendront pas position tant que la répartition entre les États membres de la réduction de 40 % des émissions des GES à l’horizon de 2030 n’aura pas été arrêtée. L’UE risque donc de prendre du retard, ce qui porterait préjudice à l’accord, l’UE ayant été le leader de la lutte contre le réchauffement climatique depuis la Conférence de Rio de 1992 – que l’on se souvienne du paquet climat-énergie. Quand peut-on espérer la ratification de l’UE ?
Si l’accord de Paris était ratifié avant 2020, pourrait-il s’appliquer avant cette date, qui correspond également à la fin de la deuxième période du protocole de Kyoto ?
La France a mis en place la contribution climat-énergie, qui est une fiscalité carbone pour les énergies fossiles, destinée à adresser un signal sur les prix afin que les acteurs modifient leur comportement. Or, la mise en place de cette contribution ne sert à rien, car la classe politique ne pousse pas la réflexion jusqu’au bout. (Approbations) Si nous étions cohérents, nous devrions augmenter la fiscalité sur les énergies fossiles pour assurer l’efficacité du prix du carbone.
Les contributions nationales conduisent à une augmentation de la température de l’ordre de trois degrés, si bien que les pays doivent faire montre de davantage d’ambition. Or l’accord ne prévoit pas de réévaluation des objectifs avant 2025. Certains pays, notamment les forts émetteurs de GES, pourraient-ils réviser leurs ambitions avant 2020 – le Canada a déjà évoqué cette hypothèse ? Cette question est importante pour prévenir le risque de l’emballement climatique.
M. Pierre Radanne. Je vous remercie d’avoir posé le sujet dans toute son ampleur politique, et c’est plutôt à vous d’y apporter les réponses ! (Sourires)
Vous m’avez taxé d’optimisme, mot dont j’ignore la signification. Je ne connais que celle du terme pessimisme, dont le synonyme est la lâcheté. Face à la lâcheté, il ne faut pas faire preuve d’optimisme, mais de volontarisme. Nous devons réussir pour nos enfants et nos petits-enfants. Le risque principal ne réside pas dans la chute dans l’escalier, mais dans l’inaction. La multiplication des dégâts liés au réchauffement climatique coûtera bien plus cher que l’adaptation de nos sociétés à ce phénomène. (Approbations)
Le 22 avril dernier, 175 pays sur 195 parties à l’accord ont signé le document. Il n’est donc pas douteux que 55 pays ratifient rapidement l’accord. Les États-Unis ratifieront avant novembre prochain par décret présidentiel pour des raisons que vous comprenez aisément ; en outre, la Chine et l’Inde ont annoncé de ratifier le texte dans la même période. Avec 52 petits pays et ces trois gros émetteurs, le second critère de 55 % d’émission de GES sera lui aussi rempli.
Un blocage s’est manifesté lors de la COP21 à l’intérieur de l’UE sur la répartition de la réduction de 40 % de l’émission de GES par les pays européens d’ici à 2030. On a constaté que les pays consentaient des efforts d’une intensité très variable. Les Britanniques et les Allemands ont accompli l’essentiel du chemin si l’on prend l’année 1990 comme référence ; les Suédois et les Français ont réduit quelque peu leurs émissions, mais l’Espagne a augmenté les siennes de 25 %. La discussion européenne sera difficile, parce que les pays ayant pris de l’avance vont vouloir que d’autres prennent le relais, afin qu’il n’y ait pas de passagers clandestins. À la Conférence de Paris, la France ne savait pas quel objectif lui serait assigné ; on peut penser qu’il sera supérieur à 40 %, alors que la réduction n’a atteint que 15 à 20 % depuis 1990.
L’UE va réviser le marché de quotas dans l’année 2017. Certains pays, dont le Royaume-Uni, refusent qu’un chiffre lui soit fixé tant que ne sera pas connu le nouveau mécanisme de quotas qui s’appliquera aux grandes branches industrielles à l’intérieur de l’UE. Cette dernière ne ratifiera donc probablement pas l’accord de Paris avant 2018. Celui-ci entrera donc en vigueur avant la ratification de l’UE.
M. le président Jean-Paul Chanteguet. Si les deux critères de 55 % sont remplis avant 2020, l’accord entrera en vigueur avant cette date ?
M. Pierre Radanne. Oui. Tout l’accord s’appliquera, y compris ses dispositions reprenant une partie du protocole de Kyoto que n’avaient pas ratifié les États-Unis qui devront donc s’y conformer. En revanche, les engagements de réduction d’émissions de GES, exposés par les pays en développement et émergents dans leurs contributions nationales, ne deviendront contraignants qu’à partir du 1er janvier 2020, date à laquelle leur participation à l’accord débute ; pour les pays développés, l’ensemble de l’accord s’appliquera dès que les deux conditions de ratifications seront satisfaites.
Mesdames et Messieurs les députés, vous devez réinstaurer une fiscalité énergétique contracyclique, à l’image de ce que nous avons connu avec la taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers (TIPP) flottante. L’objectif n’est pas d’augmenter la fiscalité pesant sur l’énergie, mais de neutraliser les variations irrationnelles d’un à cinq du prix de l’énergie, liées à des opérations spéculatives, à des rapports de force entre les pays ou à une dépression de l’économie mondiale tirant la demande d’énergie à la baisse. Il ne s’agit pas d’accroître la moyenne du prix de l’énergie, mais d’écrêter les pointes et de combler les creux afin de donner un signal de stabilité aux opinions publiques. On a préféré ruiner des familles et des entreprises en 2008 plutôt que d’effacer la fiscalité dans certains pays ; cette décision n’était pas dictée par la sagesse, car il y a lieu de baisser le prix via la fiscalité lorsque celui-ci est excessif. On ne peut ouvrir le débat sur la fiscalité de l’énergie qu’en période de bas cycle.
L’accord de Paris ouvre une fenêtre sur le changement complet de notre monde qui va s’opérer en l’espace d’une génération. Les scientifiques affirment que le travail doit avoir été fait d’ici à 2050. Dans les trente-cinq prochaines années, on constatera de fortes évolutions dans les stratégies d’acteurs, les situations, les contextes, les filières et les secteurs économiques. L’un de nos maîtres à tous, l’Allemand Carl von Clausewitz, expliquait que les soldats ne voyaient pas la totalité de la bataille et ne percevaient que leurs combats singuliers ; il nommait cette situation le « brouillard de guerre », et nous entrons dans un tel environnement. Dans cette période de transformations puissantes, nous recevrons des signaux contradictoires d’un jour à l’autre, si bien que la transition comportera un caractère illisible. Nous devons tenir un discours et offrir des perspectives stables aux gens, afin qu’ils comprennent les phénomènes en action. Des entreprises vivent du monde tel qu’il est et ne souhaiteront pas changer du jour au lendemain ; à l’inverse, d’autres entreprises sont ancrées dans le monde futur, mais rencontrent des difficultés de développement.
Il convient donc de mener une réflexion sur les processus de transition ainsi qu’une action de pédagogie considérable ; il n’y aura pas de contradictions qu’avec le traité TAFTA ! Nous constatons que plusieurs forces de la société agissent dans des sens divergents. On devra résoudre cette question majeure et commune à l’ensemble de l’humanité du changement climatique, mais ce ne sera pas simple.
Le président de la République et le ministre des affaires étrangères et du développement international avaient insisté sur le caractère juridiquement contraignant de l’accord de Paris. Il s’agit d’un abus de langage, même si le terme inexact n’est pas « contraignant », mais « juridiquement ». L’accord de Paris est politiquement contraignant. Haro sur le premier pays qui quittera le bateau ! Quitter la communauté de destin de l’humanité ne doit pas rester impuni. Il reste donc à affirmer la nature politiquement contraignante de cet accord. Le texte anglais utilise les termes de « legally binding », qui ne signifient pas exactement « juridiquement contraignant » ; en français, « juridiquement contraignant » implique un pouvoir de sanction contre celui qui ne respecte pas son engagement, mais l’ONU ne dispose d’aucun pouvoir de sanction contre les États. L’accord de Paris ne prévoit pas d’amendes proportionnelles aux manquements éventuels, et cet instrument manque. On a un problème de gouvernance mondiale, et il faudra réformer l’ONU pour placer l’intérêt supérieur de l’humanité au-dessus de l’intérêt particulier d’un État.
Il est paradoxal que notre pays souhaite un texte contraignant, alors que la triche relève d’un sport national. Dans la mesure où nous évoluons dans un système dénué de la moindre capacité de sanction, rien n’a été entrepris contre les nombreux pays n’ayant pas respecté les engagements pris dans le protocole de Kyoto car rien ne pouvait être fait. M. Laurent Fabius avait très bien compris la nécessité de créer un mouvement collectif impliquant l’ensemble des acteurs étatiques, économiques et financiers, afin que l’intérêt de chacun soit d’y participer. La mutation technologique à venir s’avérera inédite puisqu’elle ne bénéficiera pas qu’à ceux qui la produisent, et l’ensemble des pays de la planète, riches comme pauvres, devront l’accompagner. La croissance économique est vive dans le monde lors des périodes de changements complets de technologie ou lorsque l’on doit reconstruire après une guerre : dans les trente prochaines années, nous devrons investir pour protéger l’humanité et éviter que les catastrophes climatiques fassent trop de dégâts. Les contributions nationales ont exprimé une vision de long terme qui permet une mise en mouvement de l’humanité ; il reste à garantir le caractère politiquement contraignant de l’accord et à impliquer toutes les strates de la société, en mobilisant les États, les territoires, les entreprises, les acteurs financiers et l’épargne des ménages.
Les populations des pays du Nord et du Sud ne disposent d’aucun récit de réussite au XXIe siècle. On n’explique pas les possibilités d’amélioration des conditions de vie que portent les nouvelles technologies, le refus de gaspiller les ressources et la lutte contre la dégradation de l’environnement. Il convient d’élaborer un récit incarné et portant un projet politique. J’essaie donc de rédiger un récit de vie réussie au XXIe siècle avec M. Erik Orsenna. Dans l’optique de la Conférence de Marrakech, je vais suivre quinze familles marocaines vivant dans un pays appliquant l’accord de Paris pour montrer qu’elles peuvent réussir leur vie. Je décrirai les décisions qu’elles auront à prendre, les technologies qui arriveront dans leur vie, les comportements qu’elles devront adopter et les politiques publiques qu’il convient de déployer pour les aider. Je souhaite raconter l’évolution de la société, depuis le haut, mais également depuis le bas, afin de bâtir une alliance avec chaque personne. Il importe de se pencher sur le récit de vie réussie et sur le projet collectif.
Le XXIe siècle sera en effet très différent des deux siècles précédents : la croissance démographique de l’humanité va s’achever et les ressources et l’environnement devront être efficacement gérés. Ce cahier des charges, complètement différent de celui des XIXe et XXe siècles, doit être présenté de façon simple aux gens. Des parents doivent pouvoir expliquer à un enfant de dix ans, qui vivra jusqu’en 2100, les changements qui surviendront dans sa vie. Cet enfant comprendra ainsi que son histoire différera de celle de ses parents et se trouvera dans les meilleures dispositions pour faire face à son existence. Hier, je suis intervenu dans une classe de cinquième à Cholet pour évoquer ces sujets : il faut réapprendre à parler aux gens, et cette tâche nous est commune.
Mme Martine Lignières-Cassou. Un mot sur la Conférence de Marrakech !
M. Pierre Radanne. L’accord politique a été obtenu et vivra quinze ans ; il nous reste à écrire les petites lignes du contrat, et on reprendra le travail en mai à Bonn. Transformer l’accord en récit et y intégrer les transformations à l’œuvre en Afrique, notamment dans les dynamiques urbaines, constitue notre travail principal en ce moment.
M. le président Jean-Paul Chanteguet. Monsieur Pierre Radanne, nous vous remercions très chaleureusement d’avoir accepté notre invitation et d’avoir participé à cet échange. Vous n’êtes pas optimiste, mais enthousiaste, comme chacun a pu le constater aujourd’hui.
J’ai lu récemment un livre très intéressant de M. Hubert Védrine, dans lequel l’ancien ministre des affaires étrangères affirme que la prise en compte des enjeux environnementaux dans le monde permettra de bâtir une véritable gouvernance mondiale. Les propos que vous avez tenus devant notre Commission vont tout à fait dans ce sens.
M. le président Jean-Paul Chanteguet, rapporteur pour avis. À ma demande, nous examinons aujourd’hui pour avis le projet de loi autorisant la ratification de l’accord de Paris adopté le 12 décembre 2015 et ayant été signé à New York le 22 avril 2016. Ce projet de loi ne comporte qu’un article. Renvoyé au fond à la commission des affaires étrangères, il sera examiné le mardi 17 mai en séance publique, vers 17 heures ou même un peu avant.
C’est la seconde fois que la Commission du développement durable et de l’aménagement du territoire se saisit pour avis d’un projet de loi autorisant la ratification d’un accord dont le sujet ressort de ses compétences. Ainsi, à l’automne 2013, la commission s’était saisie du projet de loi autorisant la ratification du traité franco-italien relatif à la liaison ferroviaire Lyon – Turin. Notre collègue Catherine Quéré en avait été la rapporteure pour avis.
Je souhaite bien sûr saluer cet accord, qui constitue le meilleur accord qu’il était possible d’obtenir. Il définit notre ambition collective de maintenir l’élévation de la température moyenne de la planète en dessous de 2 °C par rapport aux niveaux préindustriels, avec l’objectif de limiter cette élévation à 1,5 °C.
Après l’échec du protocole de Kyoto et le relatif échec du sommet de Copenhague, la communauté internationale a pris peu à peu conscience de la nécessité de se rassembler autour de l’objectif d’un accord universel. C’est à la conférence de Lima, en 2014, que les bases en ont été jetées. Le succès obtenu est bien celui de la présidence française qui sut se montrer tout à la fois diplomate, humble et déterminée, en associant l’ensemble des acteurs étatiques, mais également, et c’est une nouveauté marquante, les acteurs non étatiques.
Quelques chiffres permettent de prendre conscience du poids politique de cet accord : 195 pays sont parties prenantes de cet accord, ainsi que l’Union européenne ; 189 parties ont remis leur contribution nationale avant la COP 21 ; 175 ont signé l’accord de Paris dès l’ouverture à la signature à New York, le 22 avril. À ce jour, 177 parties l’ont signé.
Le double seuil fixé pour l’entrée en vigueur de l’accord, à savoir qu’il soit ratifié par 55 parties représentant 55 % du total des émissions mondiales de gaz à effet de serre, pourrait être atteint rapidement, avant la fin de l’année 2016.
Les dispositions de l’accord, sur lesquelles je ne reviendrai pas en détail, constituent des avancées majeures. Les pays doivent chercher à parvenir au plafonnement de leurs émissions de gaz à effet de serre dans les meilleurs délais, en vertu de l’article 4. L’accord demeure fondé sur l’équité et le principe des responsabilités communes mais différenciées des parties et de leurs capacités respectives ; il ne repose pas sur un système de sanction mais sur les engagements pris par les pays, avec une force par ailleurs jamais atteinte par le passé. Les contributions nationales seront prises par périodes successives de cinq années, et selon un principe de progression constante. L’appui spécifique aux pays en développement, les moyens de financement devant être mobilisés ainsi que les différents travaux devant être menés à Bonn puis à Marrakech pour la mise en œuvre concrète de l’accord sont précisés dans le rapport.
Je souhaite également insister devant vous sur l’urgence à agir.
Quatre domaines d’action doivent retenir notre attention. En premier lieu, il faut bien prendre conscience que les résultats que nous pouvons attendre des quelque 161 contributions nationales déposées par 189 parties, y compris la contribution de l’Union européenne, sont insuffisants. Sur la période 2012-2030, les émissions cumulées atteindraient 738,8 gigatonnes dioxyde de carbone.
C’est pourquoi il n’est pas inutile de rappeler que le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), dans son dernier rapport, évalue l’urgente obligation de maintenir le total des émissions de gaz à effet de serre d’origine anthropique cumulées à 2 900 gigatonnes dioxyde de carbone en 2100 pour limiter à 2 °C la hausse des températures par rapport à l’ère préindustrielle. En 2011, 1 900 gigatonnes dioxyde de carbone avaient déjà été émises. De ce fait, si les émissions cumulées sur la période 2012-2030 atteignaient effectivement 740 gigatonnes dioxyde de carbone, alors ce seraient les trois quarts des émissions « disponibles » jusqu’en 2100 pour contenir la hausse des températures qui auraient déjà été utilisées.
La croissance des émissions telle qu’elle ressort des contributions nationales devrait générer une hausse des températures de l’ordre de 2,7 °C à 3 °C. Tout notre travail consiste désormais à revenir à des trajectoires permettant de rester en dessous d’une hausse de 2 °C. Il est indispensable d’agir très rapidement car, les rapports du GIEC en attestent, tout retard pris sur des trajectoires dites optimales engendre un surcoût considérable. Tout retard, nous le savons, met en danger nos sociétés.
C’est la raison pour laquelle j’estime absolument nécessaire de revoir en profondeur les engagements nationaux de façon très anticipée et de pousser un maximum de parties à réévaluer fortement leurs contributions avant 2020 afin de revenir à un scénario soutenable.
La date de 2018 devrait être considérée comme une étape majeure. La conférence des parties a décidé d’organiser un dialogue de facilitation entre elles pour faire le point en 2018 sur les efforts collectifs déployés. Elle a aussi invité le GIEC à présenter un rapport spécial en 2018 sur les conséquences d’un réchauffement planétaire supérieur à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels.
Nous devons, en deuxième lieu, parvenir à fixer un prix du carbone. Car il adresse un signal-prix permettant de mieux lutter contre les changements climatiques et de réorienter massivement les choix économiques.
Dans mon rapport intitulé « Le passage à un monde décarboné n’est plus négociable », j’avais déjà souligné toute l’urgence à donner un prix au carbone. La résolution adoptée par l’Assemblée nationale, le 25 novembre dernier, nous a permis de la confirmer. Je souscris donc pleinement à l’objectif annoncé, dans le cadre de la conférence environnementale d’avril 2016, par le président François Hollande, de mettre en œuvre dès cette année un prix plancher du carbone, afin de taxer l’utilisation des énergies fossiles pour la production d’électricité.
Le 25 mars 2016, Mme Ségolène Royal, ministre de l’environnement, a confié une mission à MM. Pascal Canfin, Alain Grandjean et Gérard Mestrallet afin de préciser les modalités par lesquelles une trajectoire de prix du carbone plus robuste pourrait être obtenue sur le marché carbone européen, d’identifier les possibilités d’intégration d’une composante carbone dans la fiscalité énergétique des pays de l’Union et de proposer des moyens de mettre en œuvre un prix plancher pour la production d’électricité à l’échelle européenne ou, dans un premier temps, au niveau national. Notre action d’entraînement vis-à-vis de nos partenaires européens doit être poursuivie, car plusieurs textes centraux vont être renégociés.
Je tiens également à rappeler la nécessité de suivre de très près deux domaines économiques importants : le transport aérien et le transport maritime. Nous devons nous assurer de l’articulation des accords que ces deux secteurs doivent porter, dans le cadre de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) et de l’Organisation maritime internationale (OMI), avec l’accord de Paris.
Il faut, en troisième lieu, pérenniser et consolider la dynamique de l’agenda des solutions, porté par le plan d’action Lima-Paris. Ce plan d’action vise à associer l’ensemble des acteurs de la société civile prenant des engagements opérationnels pour le climat. Une première série d’initiatives coopératives a été lancée lors du sommet pour le climat de New York en septembre 2014. Cet élan a connu une très forte montée en puissance durant la préparation de la COP 21. Il convient ici de souligner la justesse de la démarche de mobilisation conjointe des acteurs étatiques et non étatiques. Agissant comme un catalyseur, le programme d’action Lima-Paris démontre que les États seuls ne pourront pas tout et que l’implication de tous est nécessaire.
Au lendemain de la signature de l’accord de Paris, le bilan était le suivant : plus de 70 grandes initiatives coopératives ou coalitions regroupant près de 10 000 acteurs issus de 180 pays étaient venues présenter leurs actions. Non moins de 7 000 collectivités et 2 000 entreprises étaient engagées. Ces initiatives doivent être promues, suivies et de nouvelles doivent encore émerger. La décision accompagnant l’accord de Paris a pérennisé le plan d’action et institué les « champions » dont le rôle consistera à faire progresser cette dynamique. C’est pourquoi je souhaite voir émerger une gouvernance de ce plan qui soit pragmatique et permette de conserver la spécificité de cet outil.
Enfin, nous devons, en quatrième et dernier lieu, rappeler la nécessité d’impliquer l’ensemble des citoyens. Un effort de pédagogie doit être engagé sans tarder et le rapport souligne l’apport de démarches telles que le débat citoyen planétaire sur le climat, ou encore la valorisation, par la ministre de l’écologie, en vue de la COP 22, des cent initiatives citoyennes les plus innovantes.
La COP 21 est un point de départ sur lequel nous devons nous appuyer pour mettre en œuvre les mutations dont tous ont pris conscience. Il est nécessaire que les réformes s’accélèrent et que les différents acteurs soient encouragés à poursuivre et amplifier leur action car nous vivons, il faut en avoir conscience, sous le risque d’un emballement climatique qui menace notre planète et, par là même, notre avenir et, au-delà, celui des générations futures dont nos enfants et petits-enfants.
Je vous propose donc d’émettre un avis favorable à l’adoption du projet de loi de ratification.
M. Christophe Bouillon. La référence au jargon onusien des instruments de ratification me remet en mémoire le proverbe qui veut que les bons outils fassent les bons ouvriers : cet accord est le résultat d’un succès de la COP21 et nous nous souvenons tous du formidable déploiement diplomatique auquel elle a donné lieu et qui a abouti à un accord universel, ambitieux, différencié et historique ; mais il reste à le mettre en œuvre, tout comme il reste à mettre en œuvre le paquet climat et énergie au niveau européen.
Je m’inquiète cependant de ce que l’Europe de l’énergie n’existe pas et de ce que Royaume-Uni et Pologne remettent en cause leurs engagements au niveau européen. En France, la loi sur l’efficacité énergétique et sur la croissance verte permet aux entreprises, mais aussi aux collectivités locales et aux particuliers, de se saisir de la question. La loi de reconquête de la biodiversité joue également un rôle important. Tels sont les outils qui concourent directement à la mise en œuvre des accords signés par la France.
J’en viens aux ouvriers. La mobilisation sans précédent du gouvernement a permis l’adoption de l’accord de Paris. La ministre de l’environnement, Mme Ségolène Royal, s’emploie à poursuivre cette mobilisation des États pour éviter que le soufflé ne retombe. À travers l’agenda des solutions, les entreprises sont également mobilisées, tout comme les citoyens. Nous devons nous efforcer à une mise en œuvre quasi effective dès 2018, tel doit être notre horizon.
Vous avez évoqué le prix du carbone et la résolution adoptée par notre assemblée à ce sujet. Des États, des énergéticiens et des organisations non gouvernementales (ONG) veulent aller dans la direction qu’elle propose et pourtant rien n’avance. L’existence même de l’agenda des solutions nous rappelle que l’engagement des seuls États serait insuffisant si les entreprises et les collectivités locales n’apportaient elles aussi leur part. Ainsi, tous les citoyens doivent être mobilisés pour la mise en œuvre de la COP21, notamment grâce à des efforts de pédagogie.
Voyez-vous, Monsieur le président, des obstacles qui pourraient contrarier ces efforts ?
M. Jean-Marie Sermier. Je voudrais d’abord féliciter le rapporteur de la sobriété de son propos ; son honnêteté intellectuelle tranche avec l’affichage médiatique qui a prévalu pendant la COP21. Maintenant, la fête est passée. Nous avons seulement devant nous un accord a minima qui offre un cadre de négociation pour l’avenir, sur la base de révisions tous les cinq ans. C’est déjà quelque chose.
L’accord obtenu n’est pas juridiquement contraignant, puisqu’il ne prévoit ni sanction, ni contrôle. Il proclame qu’il faut contenir à 2 °C, voire de préférence à 1,5 °C, la hausse des températures d’ici 2100. Le plafonnement des émissions doit être obtenu « dans les meilleurs délais ». Nous sommes pourtant loin du compte si nous additionnons les engagements nationaux. Au vu de ceux-ci, cette hausse atteindrait plutôt 3,5 °C, à supposer que les États tiennent d’ailleurs leurs engagements. La clause de revoyure au bout de cinq ans permettra de faire le point.
L’accord prévoit également que soient débloqués « aussi rapidement que possible » cent milliards d’euros par an d’ici 2020 au profit des pays en voie de développement – et il ne s’agit que d’un plancher. En pratique, ces crédits ne sont cependant pas réunis et les pays développés n’apportent leur soutien que sur base volontaire.
Même si l’accord traite amplement des dommages irréversibles liés à la fonte des glaces, il exclut toute compensation pour perte ou préjudice, sur les instances des États-Unis, qui craignaient le résultat d’actions devant les tribunaux en raison de leur responsabilité historique dans le réchauffement. Il ne prévoit rien non plus sur le prix du carbone, dont toutes les études montrent qu’il ne peut produire d’effet que s’il s’établit à trente euros la tonne, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Pour éviter de porter atteinte au crédit de la France au sein de l’Union européenne et dans le monde, le groupe Les Républicains évitera de voter contre ce texte. Mais il s’abstiendra d’émettre un avis favorable à son adoption, car il est pour nous davantage une étape que le grand succès vanté.
M. Stéphane Demilly. « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs ». Nous nous souvenons tous de ces mots prononcés par Jacques Chirac dans son discours du 2 septembre 2002 lors du sommet mondial du développement durable, à Johannesburg, en Afrique du sud. Près de quatorze ans plus tard, il n’est plus possible de regarder ailleurs.
Les États du monde entier ne peuvent plus ignorer la menace que représentent les changements climatiques pour l’humanité. La mobilisation autour de la COP21 en est la preuve.
Aucun accord n’est cependant parfait et aucun accord ne sera suffisamment ambitieux pour faire face aux défis qui se présentent à nous. L’accord mentionne ainsi un objectif de limitation du réchauffement climatique « bien en deçà de 2 °C » avec un objectif idéal à 1,5 °C.
Nous savons tous ici que les différentes études mettant bout à bout les engagements de chacun nous orientent plutôt vers + 2,7 °C voire + 3 °C. Je préfère pour autant voir le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide. Je rappelle en effet qu’il s’agit ici d’une négociation comptant près de 200 signataires, avec des États très différents, aux niveaux de vie multiples et qui ont chacun à faire face à des enjeux économiques, sociaux et politiques internes très hétérogènes. Nous ne pouvons donc que constater que de grands pas ont été faits.
Ces avancées dans un contexte mondial très « agité » sont à souligner. Je ne tombe cependant bien entendu pas dans l’angélisme pour autant et je suis parfaitement conscient que nous sommes encore loin du compte. Des initiatives fortes et concrètes doivent ainsi être soutenues. Je pense par exemple au plan « Électricité et Lumière pour tous » porté par Jean-Louis Borloo, notre ancien président de groupe parlementaire, mais également à l’aide au développement qui doit être renforcée sur ces axes environnementaux. Les pays en développement sont en effet bien souvent les premières victimes du dérèglement climatique.
L’accord de Paris ne doit par ailleurs pas se cantonner à une fonction de symbole : il doit être le socle de politiques ambitieuses à travers le monde. Pour cela, le principal échec de cet accord sera de ne pas avoir de caractère contraignant juridiquement. S’il est contraignant politiquement face à une opinion publique sensibilisée aux questions environnementales, il ne l’est pas juridiquement et nous ne pouvons que le regretter. Il est à espérer que la prochaine étape, la COP22, nous fasse avancer sur ce point.
Pour autant, les députés de l’Union des démocrates et indépendants (UDI) soutiendront l’adoption de ce projet de loi, aboutissement de l’accord trouvé à Paris. Comme pays hôte, la France a la responsabilité morale de montrer aux autres pays la voie vers une transition écologique ambitieuse et puissante.
Mme Martine Lignières-Cassou. Nous avons entendu qu’il s’agit du premier accord universel. Oui, toute l’humanité est concernée par cet accord, et, en premier lieu, les femmes. Car ce sont elles les premières victimes du réchauffement climatique, puisqu’elles ont souvent en charge au sein des familles la gestion de l’eau, de l’alimentation et des ressources naturelles.
En Afrique, les femmes produisent 80 % de l’alimentation, alors qu’elles ne possèdent que 10 % des terres. Parfois, elles n’ont d’ailleurs pas tous les savoirs agronomiques pour optimiser cette production. Ce n’est pas non plus un hasard que 70 % des victimes du tsunami de 2004, en Asie, aient été des femmes : ce sont elles, souvent, qui ne savent pas nager ; en outre, elles cherchent d’abord à protéger leurs enfants. Trop souvent, elles ne sont pas sensibilisées non plus aux programmes de prévention et d’alerte.
Dans son préambule, l’accord de Paris indique que les parties devraient promouvoir et prendre en considération leurs obligations en matière d’égalité entre les sexes dans le cadre de leur action sur le climat. Vous avez parlé, Monsieur le président, de la nécessité d’une gouvernance de l’accord qui ne soit pas seulement onusienne. Ne faut-il pas aussi l’envisager parce que nous voulons avancer sur l’égalité entre les femmes et les hommes ?
M. Guillaume Chevrollier. Nous savons combien la ministre qui porte ce texte souhaite une ratification rapide, parce que, depuis le mois de décembre, nous voyons une autosatisfaction générale, sur l’accord obtenu, mais nous savons que les plans d’action pour endiguer l’augmentation de la température planétaire restent évasifs et non contraignants.
La suite donnée à cet accord dépend donc du bon vouloir des gouvernants. Ce simple fait devrait relativiser cet enthousiasme. Les objectifs vont en effet être difficiles à tenir compte tenu de l’augmentation de la population mondiale et de la hausse de consommation que cela représente.
D’autre part, certaines questions ont été occultées comme la tarification du carbone, recommandée par de nombreux économistes, pour une lutte efficace contre le réchauffement climatique.
La négociation sur la transparence a elle aussi échoué. Les pays du Sud ne sont pas soumis au même processus de suivi, de notification et de vérification que les autres.
Pour autant, je voterai ce projet de loi, car cet accord reste un pas en avant ; il va dans le bon sens, même si on est bien loin de l’accord historique présenté par certains protagonistes.
M. Yannick Favennec. Comme l’ensemble des députés de mon groupe, je soutiendrai ce texte, qui est l’aboutissement de l’accord de Paris. En tant que pays hôte, la France a la responsabilité morale de montrer la voie aux autres vers une transition écologique ambitieuse. Malheureusement, cet accord n’est pas contraignant. Dès lors, comment s’assurer que les pays signataires respecteront leurs engagements ?
En outre, le prochain cycle de renégociation obligatoire est prévu pour 2025, ce qui semble trop tardif, notamment aux yeux des ONG. Nous devons continuer à alerter sur l’urgence de mettre en place des mesures plus concrètes, mais surtout d’aider les pays en développement ou les pays moins développés économiquement à réussir leur transition. Cela peut se faire à travers des initiatives fortes.
L’accord de Paris ne doit pas se cantonner à une fonction de symbole, il doit être surtout le socle de politiques ambitieuses permettant d’atteindre les engagements pris en décembre dernier.
M. Philippe Plisson. L’accord de Paris est en effet un moment historique qui dépasse par son ampleur les engagements de Rio et de Kyoto. C’est à l’honneur de la France d’avoir accueilli la conférence, mais plus encore d’avoir été la cheville ouvrière de cette laborieuse, mais précieuse, signature d’un accord unanime.
Mais, après le soulagement et le plaisir de cet aboutissement décisif, il faut aujourd’hui se préoccuper du service après-vente et notre ministre, assurant la présidence de la COP21, ne ménage pas sa peine pour obtenir les ratifications dans les meilleurs délais et les conditions optimales. Ma première question porte sur le calendrier : au-delà des 55 pays signataires, les plus importants, à quelle échéance pouvons-nous espérer une ratification complète et unanime ?
Pour l’étape suivante, la mise en œuvre et le respect des engagements, comment envisagez-vous la suite en ce qui concerne la gouvernance à long terme, sachant qu’elle devrait permettre d’assurer le suivi des engagements de chacun et en garantir la mise en œuvre ?
M. Julien Aubert. Deux points m’interpellent. Premièrement, même si la responsabilité du Gouvernement n’est que faible à ce sujet, l’accord de Paris apparaît plutôt comme une accumulation d’engagements sans effet contraignant, une somme de volontés unilatérales plutôt qu’un accord multilatéral.
À son propos, je pourrais rappeler la phrase de Jacques Bainville au sujet du traité de Versailles, « trop dur dans ce qu’il a de mou et trop mou dans ce qu’il a de dur » (Murmures divers). En France, dans la perspective de sa future mise en œuvre, nous avons adopté une loi sur l’efficacité énergétique qui n’est qu’une mascarade (Murmures), puisque ses objectifs sont totalement irréalistes et puisqu’elle désorganise notre stratégie énergétique, la situation de notre secteur nucléaire s’aggravant sous l’effet de signaux contradictoires.
C’est pourquoi je m’abstiendrai sur un mauvais compromis qui nous coûte très cher.
M. Guy Bailliart. Franchement, je suis surpris et pour ainsi dire émerveillé (Sourires) de voir que nous sommes arrivés à un accord, alors que cela me semblait impossible. Monsieur Guillaume Chevrollier, vous avez parlé d’autosatisfaction généralisée : n’est-ce pas une manière de dire que tout le monde est content ?
Si les objectifs sont clairs, la gouvernance et la faisabilité le sont un peu moins. Sauf à accepter une autodestruction de la planète, il faut s’attendre à une vaste et rapide mutation énergétique et écologique. La domination de certains pays dans le domaine des brevets sera cruciale, car les pays les plus fragiles ne sauront pas développer seuls des solutions techniques adéquates.
Dans ce contexte, la gouvernance mondiale dont nous parlions doit devenir aussi une gouvernance technologique, en commençant peut-être, au niveau régional, par une Europe de l’énergie. Comment pouvons-nous mettre en place cette gouvernance de l’énergie ?
M. Sylvain Berrios. Il est incontestable que l’accord de Paris constitue un grand succès diplomatique, car il permet de passer à une autre étape après l’échec de Copenhague. La mobilisation diplomatique a cependant fait oublier l’objectif climatique. Or nous sommes devant un échec, puisque la planète s’engage sur une pente dangereuse avec une augmentation prévisible de température de 2,7 °C en 2100, alors que les pays insulaires auraient besoin d’une augmentation limitée à 1,5 °C. En outre les clauses de révision sont prévues pour trouver une première application en 2025 plutôt qu’en 2017 ou 2018, ce qui est trop tardif.
Je m’abstiendrai donc sur le vote de cet avis.
M. Jean-Yves Caullet. Quand la question s’est posée de savoir où se passerait la COP21, les candidats à l’organisation étaient peu nombreux. Notre pays a eu le courage d’accueillir la conférence alors que c’était un échec qui se profilait à l’horizon. Ceux qui y ont cru méritent toute notre reconnaissance, car ils ont vu au-delà des considérations tactiques.
À notre collègue Julien Aubert, je dirais que fixer le doigt qui montre la lune ne fait pas disparaître la lune. Alors que nous préparons la ratification de l’accord, nous pourrions jeter un œil à la situation au Canada, où plus de mille à deux mille kilomètres carrés de forêts ont été détruits par le feu. Les conséquences sur le plan climatique ne seront pas négligeables. Ne pourrions-nous envoyer un message de solidarité à la nation canadienne, endeuillée par la destruction de cette grande parcelle du patrimoine forestier universel ?
M. Charles-Ange Ginesy. Tant par son absence de contraintes que par le contenu des engagements pris, cet accord n’a rien d’exceptionnel. Mais il constitue une première sur la forme, se démarquant ainsi des accords précédents.
Le plan d’action me laisse toutefois dubitatif. La France a adopté une attitude très volontariste, mais, dès que nous touchons aux questions d’énergie ou de transport, nous touchons à l’économie. Je ne voudrais donc pas que notre pays soit celui qui se contraigne le plus, alors que d’autres profitent de l’avantage qui leur est ainsi donné.
C’est pourquoi je vous dis mon inquiétude. Vous avez évoqué une gouvernance pragmatique, Monsieur le président, tandis que d’autres évoquaient une gouvernance technologique. Vous avez raison ! Mais comment imaginez-vous qu’on puisse y arriver avec un mécanisme de suivi du respect des engagements de cinq ans en cinq ans ?
M. Michel Lesage. L’accord de Paris a en effet constitué un succès remarquable. Quatre questions me restent en tête à son propos.
Premièrement, alors que nous soulignons l’urgence et la nécessité d’instaurer un vrai prix du carbone au plan européen, comment cela peut-il se faire alors qu’il n’y a pas d’Europe de l’énergie ? Deuxièmement, quels sont les autres outils de politique publique autres que la taxe carbone à développer, par exemple dans le domaine de l’innovation verte ? Troisièmement, si les enjeux de la gouvernance, qu’elle soit onusienne, technique ou pragmatique ont été évoqués, il est évident que la mobilisation de l’ensemble des acteurs et des territoires sera une condition de sa réussite : comment la réaliser ? Quatrièmement, un point relativement faible de l’accord me semble être le silence relatif qu’il fait peser sur la préservation des zones humides et des écosystèmes : comment introduire cette dimension dans sa mise en œuvre ?
Mme Sophie Rohfritsch. Comme certains de mes collègues, je dirais que cet accord est trop ambitieux pour être réaliste. Plein d’imperfections, il a néanmoins le mérite d’exister.
Nous devons donc travailler à sa bonne application. Huit investisseurs institutionnels, qui représentent 24 000 milliards de dollars, ont appelé à la signature rapide de cet accord, en soulignant que les premiers États à le faire seront aussi les premiers à bénéficier d’investissements importants pour s’engager dans la stratégie bas carbone. Je n’hésite donc pas à dire que ma vision est aussi utilitaire quand je défends la signature de l’accord de Paris : il en va des investissements futurs.
Je voterai pour l’adoption de ce projet de loi de ratification qui est gage de mesures prometteuses sur notre territoire dès 2017, tant sur le plan économique que sur le plan écologique.
M. le président Jean-Paul Chanteguet, rapporteur pour avis. Si nous remontons dans le temps, s’agissant de la lutte contre le changement climatique à l’échelle du monde, la première date est celle du sommet de Rio en 1992, où est née la gouvernance climatique. En sont issues la convention sur la diversité biologique (CDB), la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et la convention des Nations unies sur la lutte contre la désertification (CNULD).
En novembre 2015, le sentiment dominait que cette gouvernance avait produit peu d’effets, car les émissions de gaz à effet de serre ont continué à augmenter pendant les vingt-cinq dernières années. La gouvernance climatique a en effet peiné à se structurer et à obtenir des résultats. Le protocole de Kyoto ne concernait que les pays développés et les anciens pays du bloc de l’Est, soit quelques dizaines de pays tout au plus. C’était en outre une démarche qui traitait la question par le sommet, dans une démarche dite « top down » : la communauté internationale fixait des objectifs globaux de réduction de gaz à effet de serre, avant que les efforts soient répartis entre pays.
On pourrait tirer le bilan du protocole de Kyoto sur une première période 2005-2012 et sur une deuxième période 2013-2020, celle que nous connaissons aujourd’hui. On reproche à l’accord de Paris de n’être pas contraignant ? Pour le protocole de Kyoto, le Canada a constaté qu’il n’est pas en mesure d’atteindre l’objectif et s’est purement et simplement retiré, sans encourir de sanction. Il en est allé de même pour le Japon, la Russie et la Nouvelle-Zélande, qui ne se sont pas engagés dans la deuxième période. Ainsi, le protocole de Kyoto a eu le mérite d’exister et de mettre en place ce dispositif, mais n’a guère permis d’avancer.
Certains ont souligné que peu de pays étaient intéressés par l’organisation de la COP21. À vrai dire, la France était tout simplement la seule candidate. La conférence de Lima avait eu le mérite d’engager la bonne démarche en partant du principe qu’il faudrait un accord universel qui concerne tout le monde. Tel était l’objectif défini.
Cela a débouché sur des demandes d’engagement national. Nous sommes alors passés dans une autre démarche, celle d’un accord universel climatique. Je ne sous-estime pas les manques de l’accord obtenu. Mais, comme l’ont dit M. Laurent Fabius et Mme Ségolène Royal, il constitue le meilleur accord possible compte tenu de l’objectif fixé.
Comme je l’exposais tout à l’heure, 175 parties ont signé l’accord de Paris dès l’ouverture à la signature à New York, le 22 avril, et, à ce jour, 177 parties l’ont signé. J’ajoute que quinze pays ont déjà déposé leur instrument de ratification, qu’il prenne la forme d’une ratification parlementaire ou d’une ratification par le gouvernement. Certes, il s’agit plutôt de pays de petite taille. Mais il semblerait que les États-Unis, la Chine et l’Inde ratifient d’ici fin 2016, permettant ainsi d’atteindre le double seuil de 55 % des pays et de 55 % des émissions de gaz à effet de serre.
Mme Ségolène Royal a exprimé son inquiétude quant à la question de savoir si l’Union européenne ne pourrait pas manquer son rendez-vous d’ici la fin de l’année, du fait que la compétence climatique est une compétence partagée entre les États membres et l’Union européenne. La France sera en tout cas la première au rendez-vous et il semble impératif que tous les autres États membres ratifient d’ici la COP22 de Marrakech. Beaucoup veulent cependant négocier d’abord la répartition de l’effort de réduction de 40 % des volumes d’émission d’ici à 2030, le Royaume-Uni et la Pologne ayant annoncé qu’ils diffèrent leur ratification de l’accord de Paris jusqu’à cette prochaine répartition de l’effort de réduction des gaz à effet de serre entre pays de l’Union européenne.
D’autres États membres ratifieront néanmoins sans attendre la décision de l’Union européenne. Il y a toute raison de le faire rapidement. Le paquet énergie-climat est un marqueur de l’Union européenne, qui ne doit pas perdre pied sur ces questions. Comme parlementaires nationaux, nous pourrions adresser en ce sens un message aux autres parlements de l’Union européenne, peut-être par le biais du président de notre assemblée.
Beaucoup d’entre vous se sont montrés réservés quant à l’aspect non contraignant de l’accord. Mais l’accord ne pouvait certainement pas l’être, puisqu’un système de sanctions n’existe pas hors le cas de l’Organisation mondiale du commerce (OMC). Il est vrai qu’il n’y a pas de dispositif onusien pour pénaliser des engagements non respectés. En outre, les contributions étant volontaires, comment pourrait-on sanctionner un pays comme l’Éthiopie qui a pris des engagements importants, au cas où elle ne les respecterait pas, pendant que l’Arabie Saoudite, qui a pris des engagements beaucoup plus flexibles n’encourrait aucune sanction ?
Ce que je crois, c’est que la transparence des engagements des uns et des autres sera totale. Les citoyens et les sociétés civiles exerceront une action en direction des responsables publics et politiques.
Dans les nouvelles perspectives ainsi ouvertes à l’économie et à l’environnement, la France peut être leader. Il y a quinze jours, nous avons entendu M. Pierre Radanne, président de l’Association 4D, sur les enjeux et l’analyse de l’accord de Paris. Il a souligné que l’économie décarbonée peut être à l’origine d’une nouvelle prospérité, terme que je préfère à celui de croissance.
Les cycles nouveaux sont ouverts, soit par des guerres, soit par des ruptures ou révolutions technologiques. Or, les exigences nées de la nécessité d’une économie décarbonée amèneront une révolution technologique qui concernera l’ensemble de la communauté internationale. Cette révolution peut être porteuse d’une nouvelle prospérité.
Lorsque l’on regarde les initiatives et les coalitions mises en place, l’on constate cette formidable évolution technologique en cours. L’Union européenne a une responsabilité dans ce domaine. Dans notre résolution du 25 novembre dernier dont j’ai parlé, nous avons précisément formulé des propositions pour l’après COP21. Car l’Union européenne devra être au rendez-vous. S’il n’y a pas aujourd’hui d’Europe de l’énergie, l’Union européenne doit pourtant consacrer à la question des moyens financiers plus importants. Nous voyons bien que nous allons vers une nouvelle stratégie énergétique et une énergie propre.
Le budget européen pourrait jouer un rôle plus important en ce domaine s’il y avait des possibilités d’emprunter pour l’Union européenne, qui doit garder son leadership et porter à l’international sa révolution bas carbone.
Les pays en voie de développement l’attendent. Ils seront partie prenante dans la deuxième phase de la transition. En Afrique, 75 % des habitants n’ont pas accès à l’électricité aujourd’hui. Le moment venu, on n’investira plus dans des centrales à charbon, mais dans des centrales d’énergie renouvelable. On peut même penser que l’exploitation de ces nouvelles sources d’énergie se mettra en place au même rythme et avec les mêmes technologies que dans les pays économiquement développés. Tels sont les vrais enjeux de la question.
Quant à l’agenda des solutions, je voudrais vous citer quelques initiatives et coalitions, telle que celle qui réunit l’Allemagne, la Norvège et le Royaume-Uni sur la question de la forêt, chère à notre collègue Jean-Yves Caullet. À cette initiative, la France pourrait participer elle aussi. Portée par Stéphane Le Foll, l’initiative 4 pour 1000, vise à accroître la part de matière organique dans les sols pour y stocker du carbone, tout en luttant pour la sécurité alimentaire et en améliorant le rendement agricole. Une initiative relative aux transports vise à promouvoir le fret respectueux de l’environnement conformément à un plan d’action mondial. Le fret vert pourrait mobiliser d’ici 2025 cent des plus grands chargeurs et transporteurs du monde. S’agissant du financement, 106 banques et investisseurs se sont engagés. D’autres initiatives existent en faveur de la construction et du solaire. De nombreux acteurs sont mobilisés.
Même si j’ai des réserves, la COP21 me semble un véritable point de départ. Certes, les engagements nationaux doivent être revus à la hausse, car en 2025, ce sera trop tard pour le faire. L’emballement climatique est déjà là, et il n’est sans doute pas étranger aux immenses incendies de forêts au Canada. Je crains que de tels événements ne se renouvellent, ne se multiplient et ne s’amplifient, à mesure que progressent les changements climatiques. Peut-être cela conduira-t-il la communauté internationale à être plus réactive.
Le prix du carbone exerce aujourd’hui son emprise sur 17 % des émissions de gaz à effet de serre, ce qui est à la fois peu et beaucoup. La Banque mondiale a récemment lancé une initiative en vue de constituer une avant-garde climatique concernant la taxation du carbone. La Chine a elle aussi le projet de développer la taxation du carbone au niveau national en 2017.
La mission exploratoire confiée à MM. Pascal Canfin, Alain Grandjean et Gérard Mestrallet au niveau européen me semble particulièrement intéressante elle aussi. Comment voulez-vous que nous adressions un signal prix efficace alors que le prix du marché est à cinq ou six euros la tonne seulement ? (Approbations) Demain, d’autres pays de l’Union européenne intégreront un prix carbone dans leurs énergies fossiles. Les pistes existent, il faut les examiner. Progressons sur les chemins tracés par la COP21.
L’accord de Paris est un accord climatique universel. Il n’appartient qu’à la communauté internationale qu’il soit un accord historique.
La Commission émet un avis favorable à l’adoption du projet de loi autorisant la ratification de l’accord de Paris.
M. le président Jean-Paul Chanteguet, rapporteur pour avis. Hormis deux abstentions, le vote a été unanimement favorable. (Applaudissements sur tous les bancs).
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