N° 4079 - Rapport de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet sur la proposition de loi de Mme Nathalie Kosciusko-Morizet et plusieurs de ses collègues pénalisant la prédication subversive (4016).




N° 4079

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 5 octobre 2016.

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES LOIS CONSTITUTIONNELLES, DE LA LÉGISLATION ET DE L’ADMINISTRATION GÉNÉRALE DE LA RÉPUBLIQUE, SUR LA PROPOSITION DE LOI (n° 4016)
pénalisant
la prédication subversive,

PAR Mme Nathalie KOSCIUSKO-MORIZET,

Députée

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SOMMAIRE

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Pages

I. FACE AUX PROPOS POLITICO-RELIGIEUX RADICAUX, NOTRE LÉGISLATION EST INSUFFISANTE 7

A. LA PRÉDICATION SUBVERSIVE, UNE MENACE POUR LE VIVRE-ENSEMBLE… 7

1. Le développement d’un salafisme radical 7

2. Une menace diffuse mais bien réelle sur le vivre-ensemble 9

B. …QUI PROFITE D’UN « ANGLE-MORT » DE LA LÉGISLATION 10

1. L’incrimination partielle des contenus odieux ou subversifs 10

2. Les insuffisances du régime de dissolution des associations et de fermeture des lieux de culte 12

II. UNE PROPOSITION DE LOI POUR METTRE LA PRÉDICATION SUBVERSIVE HORS-LA-LOI 13

A. LA PÉNALISATION DE LA PRÉDICATION SUBVERSIVE 13

B. LA DISSOLUTION DES ASSOCIATIONS ET LA FERMETURE DES LIEUX DE CULTE LIÉS À LA PRÉDICATION SUBVERSIVE 14

C. L’ARRÊT DES SITES INTERNET DE PRÉDICATION SUBVERSIVE 14

DISCUSSION GÉNÉRALE 15

EXAMEN DES ARTICLES 27

Article 1er(section I du chapitre II du titre Ier du livre IV du code pénal) : Modification d’intitulé dans le code pénal 27

Article 2 (art. 412-2-1 [nouveau] du code pénal) : Création d’un délit de prédication subversive 29

Article 3 (art. L. 212-1 et L. 224-1 [nouveau] du code de la sécurité intérieure) : Dissolution des associations responsables de lieux de culte où la prédication est subversive et fermeture de ces lieux 34

Article 4 (art. 706-23 du code de procédure pénale) : Possibilité pour le juge des référés d’ordonner l’arrêt d’un service de communication au public en ligne en cas de prédication subversive 38

Titre 40

TABLEAU COMPARATIF 41

PERSONNES ENTENDUES PAR LA RAPPORTEURE 45

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Face à toutes les actions qui pourraient porter atteinte à ses fondements et à ses valeurs, « [l]a République affirme le droit et impose le devoir » car « un peuple qui a la liberté doit aussi avoir la volonté » (1). Ces mots de Victor Hugo résonnent avec une force particulière alors que notre pays est touché depuis plusieurs mois par des attaques terroristes sans précédent, par leur ampleur et leur mode opératoire.

Dans ce contexte, le groupe Les Républicains a décidé de consacrer une large partie de l’ordre du jour de sa journée réservée du jeudi 13 octobre prochain à l’examen de propositions tendant à renforcer la réponse administrative et judiciaire à l’islamisme radical et sa traduction la plus violente, le terrorisme.

Ce jour-là, à notre initiative, l’Assemblée nationale sera donc invitée à débattre de deux textes complémentaires, bien que différents par leur nature et leurs objectifs : d’une part, la proposition de loi n° 3997 renforçant la lutte contre le terrorisme déposée, notamment, par MM. Christian Jacob, Éric Ciotti, Georges Fenech, Philippe Goujon et Guillaume Larrivé, et, d’autre part, la proposition de loi n° 4016 pénalisant la prédication subversive dont votre rapporteure est l’auteure.

Ce second texte s’attaque à l’un des terreaux du terrorisme : la radicalité politico-religieuse. Il ne vise ni à établir une hiérarchie entre les religions, ni à opprimer les opinions des uns ou des autres mais entend poursuivre les discours inacceptables diffusés par certains mouvements rigoristes, parmi lesquels figure en bonne place le salafisme révolutionnaire ou djihadiste.

Le salafisme, dont le nom est issu du terme as-salaf (pieux prédécesseurs), prône un retour à l’islam des origines sous la forme de la salafiyya (la « tradition ») en développant une version puritaine et littéraliste de ses enseignements. D’une grande diversité, ce mouvement comporte trois courants principaux, reposant toutefois sur une matrice idéologique commune (2) :

–  le salafisme quiétiste, ultra-orthodoxe et ultra-conservateur, mais non violent, certains représentants de ce courant ayant même émis des fatwas condamnant les actions menées par Al-Qaïda ou Daech : il s’intéresse particulièrement à la prédication et à la formation religieuse et met l’accent sur l’éducation au « véritable islam », sans se prononcer sur les questions politiques ;

–  le salafisme politique : il reprend la lecture religieuse du salafisme quiétiste mais encourage la traduction de sa doctrine dans le domaine politique, par la création de partis politiques, comme le parti An-Nur en Égypte ;

–  le salafisme révolutionnaire : il considère que le changement passe non pas par l’éducation religieuse ou l’engagement politique mais à travers l’action armée et l’usage de la violence.

En France, le salafisme révolutionnaire ou djihadiste prend souvent le visage de prédicateurs qui défendent, de manière transparente ou dissimulée, la supériorité des lois religieuses, ou prétendument telles, sur les principes constitutionnels et fondamentaux de la République, en prônant une ségrégation identitaire et communautaire. Ces prédicateurs ne se cantonnent pas à l’enseignement de préceptes théologiques et à l’accueil d’individus au sein d’une communauté religieuse. Ils prononcent des discours, diffusent des idées, incitent à des comportements manifestement incompatibles avec ce que notre ancien collègue Jean-Paul Garraud qualifiait d’« ordre public immatériel ou sociétal, entendu comme un socle minimal d’exigences réciproques et de garanties essentielles de la vie en société », garantes de « l’équilibre subtil qui existe entre nos valeurs fondamentales que sont la liberté, l’égalité, la fraternité et la dignité de la personne humaine » (3).

Dans un esprit transpartisan et constructif, votre rapporteure a cherché à préciser la rédaction du dispositif qu’elle proposait initialement, sans porter atteinte à l’objectif poursuivi. Elle regrette que la majorité, loin de saisir cette occasion, ait fait le choix, en Commission, d’adopter des amendements de suppression des quatre articles de la proposition de loi. Elle ne désespère pas de convaincre l’Assemblée nationale, en séance publique, de combler les lacunes de notre droit (II) afin d’assécher les sources trop nombreuses d’une radicalité politico-religieuse incompatible avec les fondements du vivre-ensemble (I).

Nul ne peut ignorer que se diffuse, dans notre pays, un discours radical de nature politico-religieuse prêché, enseigné et diffusé par des prédicateurs. Ces personnes défendent la supériorité des lois religieuses sur les lois de la République, en particulier les principes constitutionnels et fondamentaux qui en constituent l’assise, et prônent une ségrégation identitaire et communautaire incompatible avec le vivre-ensemble (A).

Si l’arsenal législatif de lutte contre ce type de propos s’est récemment renforcé, notamment sous l’angle de la répression des contenus haineux ou incitant au terrorisme, il ne paraît pas suffisamment complet pour embrasser tout le spectre de la prédication subversive (B).

Le discours radical, qui se propage dans notre pays principalement par l’intermédiaire du salafisme radical (1), constitue une menace difficile à évaluer mais pourtant bien réelle pour les valeurs de la République (2).

Le dépôt et l’inscription à l’ordre du jour de cette proposition de loi sont partis d’un constat simple : certaines personnes tiennent des propos qui, sous couvert d’un habillage religieux ou idéologique plus ou moins avéré, contreviennent aux règles élémentaires du vivre-ensemble et aux exigences minimales de la vie en société. Il ne s’agit pas d’établir une quelconque hiérarchie entre les religions, chacun disposant de la liberté de croyance et d’opinion. Mais on constate que certains mouvements religieux contribuent plus que d’autres à la diffusion de tels discours, et que, parmi eux, le salafisme djihadiste ou révolutionnaire jour un rôle subversif de premier plan.

Le salafisme djihadiste, tendance du courant salafiste au sein de la branche hanbalite du sunnisme, s’est implanté en Europe à partir de la fin des années 1990. Les travaux de la mission d’information sur les moyens de Daech en juillet dernier (4) permettent de mieux comprendre le développement d’un islam politique violent, dont les ramifications ont été décrites par M. Mathieu Guidère, professeur d’islamologie et de géopolitique arabe à l’université de Toulouse 2, dans le schéma reproduit ci-après.

http://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-info/i3964-ti-2.gif

Source : Mathieu Guidère (2016).

D’après M. Samir Amghar, sociologue spécialiste du salafisme, l’exportation dans les pays occidentaux du salafisme aurait trois origines principales (5) :

–  l’arrivée de militants appartenant à l’aile salafiste du Front islamique du Salut, réprimés en Algérie ;

–  le retour d’étudiants, nés en Europe, après un cursus universitaire en sciences islamiques dans des universités saoudiennes, notamment à l’université de Médine ;

–  la venue régulière de théologiens salafistes de la péninsule arabique pour donner des conférences en Europe.

La prédication salafiste s’est implantée « à la faveur du déclin progressif des formes traditionnelles d’encadrement islamique dominantes dans les années 90 : l’organisation du Tablighi Jamaat, mouvement d’origine indo-pakistanaise, et les Frères musulmans, actifs dans les milieux d’immigrés européens, et notamment français ». Elle s’est développée sous l’effet de trois mouvements.

En premier lieu, le salafisme recruterait surtout des personnes de l’immigration musulmane, de la deuxième génération, souvent issues des classes populaires et vivant dans une précarité socio-économique. Le salafisme apporterait du sens à des individus en voie de marginalisation.

En deuxième lieu, le salafisme séduirait de nombreux convertis à l’islam puisque, selon ce même chercheur, « entre 25 et 30 % de personnes fréquentant des mouvances salafistes sont des convertis ».

En dernier lieu, la prédication salafiste bénéficierait de la grande porosité et de l’appétence réciproque qui existent entre le salafisme politique et le djihadisme.

Il est par définition difficile de mesurer et de quantifier l’état de la menace représentée par le salafisme radical. Les auditions conduites par votre rapporteure lui ont toutefois permis de mieux en cerner les contours.

D’après l’Institut Montaigne, qui a conduit une étude en septembre 2016 auprès de 1 029 personnes de confession musulmane résidant en France, 13 % des personnes enquêtées présenteraient des traits autoritaires et 15 % prôneraient une vision rigoriste de la religion. Ces musulmans auraient adopté un système de valeurs clairement opposé à celles de la République. Ils seraient majoritairement jeunes, peu qualifiés ou peu insérés dans l’emploi et vivraient dans les quartiers populaires périphériques des grandes agglomérations. Pour ces 28 % de musulmans, qui mélangeraient des attitudes autoritaires et des pratiques sécessionnistes, l’islam serait un moyen de s’affirmer en marge de la société française. Parmi les individus présentant des traits autoritaires, 40 % seraient favorables au port du niqab et à la polygamie, contesteraient la laïcité et considèreraient que la loi religieuse prime celle de la République (6).

Plus que par leur conservatisme religieux, ces individus se caractériseraient par leur utilisation de l’islam « afin de mener une véritable rébellion idéologique vis-à-vis du reste de la société française, tant [leurs] valeurs et [leurs] comportements sont opposés à la norme et aux habitus communs » (7).

Selon les personnes auditionnées par votre rapporteure, près de 120 mosquées sur les 2 600 répertoriées en France seraient sous l’influence du salafisme, ce qui représenterait entre 20 000 et 25 000 fidèles. Une part de ces mosquées et de leurs fidèles – certes minoritaire – représenterait une réelle menace pour la République et ses valeurs. Une vingtaine de mosquées et près de 80 prédicateurs – certains itinérants en provenance d’Arabie Saoudite ou d’Egypte – sont placés sous surveillance permanente de la part des services de renseignement.

La menace est d’autant plus diffuse que le durcissement de la législation réprimant la provocation à commettre des actes de terrorisme et l’apologie de tels actes, notamment à la suite des attentats contre le journal Charlie Hebdo, ont conduit, de l’aveux de nombreux spécialistes, les prédicateurs à « lisser » leurs propos en les habillant de termes ambigus et en distribuant des tracts condamnant officiellement la violence ou les attentats perpétrés par Daech.

À titre d’illustration, l’imam de Brest, M. Rachid Abou Houdeyfa, qui défend un islam ultra-orthodoxe, avait diffusé une vidéo en 2014 d’un prêche organisé devant des enfants au cours duquel il avait indiqué que ceux qui écoutent de la musique « écoutent le diable » et que, parmi eux, certains seraient transformés « en singes et en porcs ». Dans un autre prêche, il avait considéré que « si la femme sort sans honneur, qu’elle ne s’étonne pas que les hommes abusent d’elle ». Consécutivement à ces propos, il avait toutefois expliqué aux fidèles que, en tant que Français musulmans, ils devaient s’intégrer à la société, que les attentats du 13 novembre n’avaient rien à voir avec l’islam et qu’il fallait s’unir pour lutter contre le djihadisme, ce « cancer » de l’islam. Il est désormais menacé de mort par Daech.

En l’état du droit positif, ni les règles réprimant les contenus et propos haineux, odieux, discriminatoires ou à caractère terroriste (1), ni les dispositions autorisant la dissolution administrative de certaines associations ou la fermeture de certains lieux de culte (2) ne permettent de lutter de manière totalement efficace contre la diffusion des idéologies salafistes radicales.

Deux régimes juridiques permettent, en l’état du droit, de poursuivre les auteurs de propos ou de contenus illégaux.

Tout d’abord, le régime des infractions de presse, défini par les articles 23 et 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, sanctionne, s’ils se font par un moyen de diffusion publique de la parole, de l’image ou de l’écrit :

–  la provocation et l’apologie de certains crimes et délits (atteintes volontaires à la vie, atteintes volontaires à l’intégrité de la personne, agressions sexuelles, vols, extorsions, destructions, dégradations et détériorations volontaires dangereuses pour les personnes, atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation, crimes de guerre, crimes contre l’humanité) ;

–  les « cris ou chants séditieux proférés dans les lieux ou réunions publics » ;

–  la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ;

–  la provocation à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle ou de leur handicap ;

–  la provocation, à l'égard des mêmes personnes, aux discriminations réprimées par les articles 225-2 et 432-7 du code pénal.

Par ailleurs, l’article 24 bis de cette loi réprime, depuis la loi dite Gayssot du 13 juillet 1990 tendant à réprimer tout acte raciste, antisémite ou xénophobe, la contestation de l’existence d’un ou de plusieurs crimes contre l’humanité.

Seuls certains propos religieux radicaux peuvent être sanctionnés au titre des infractions de presse, à condition que leur contenu relève de l’une des incriminations précédemment mentionnées, ce qui n’est pas toujours le cas. Au surplus, les règles de procédure, plus favorables que dans le droit commun, qui s’appliquent à la poursuite de ces infractions, inspirées par le souci de préserver la liberté de la presse, sont inadaptées à la répression des contenus véhiculés par les prédications subversives, notamment salafistes : délai de prescription abrégé à 3 mois, impossibilité de recourir à la comparution immédiate et, sauf, exceptions, à la détention provisoire…

Par ailleurs, depuis que le législateur a décidé de transférer en 2014 ces infractions – auparavant de presse – dans le code pénal, l’article 421-2-5 du code pénal punit de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende la provocation à la commission d’actes de terrorisme et l’apologie de tels actes, y compris si les propos ne sont pas publics.

Mais, une nouvelle fois, ce texte ne permet pas de poursuivre certains propos subversifs « lissés » ou ambigus qui n’appellent pas explicitement à commettre des actes de terrorisme.

Enfin, l’article 35 de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État réprime « un discours prononcé ou un écrit affiché ou distribué publiquement dans les lieux où s’exerce le culte, [s’il] contient une provocation directe à résister à l’exécution des lois ou aux actes légaux de l’autorité publique, ou s’il tend à soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres ».

Ce dispositif, qui ne réprime que la provocation directe et ne mentionne pas les communications en ligne, paraît tout autant inadapté à la poursuite de certaines prédications. Votre rapporteure observe d’ailleurs qu’il n’a fait l’objet que de très rares applications ces dernières années.

Le même constat s’applique aux règles qui permettent, en l’état du droit, la dissolution administrative d’associations ou de groupements et la fermeture des lieux de culte.

L’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure autorise notamment la dissolution, par décret en conseil des ministres, d’associations ou de groupements sans que le champ de cet article ne recouvre parfaitement celui des associations responsables de lieux de culte accueillant des prédicateurs. Il vise en effet les associations « qui, soit provoquent à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, soit propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence » et celles « qui se livrent, sur le territoire français ou à partir de ce territoire, à des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l’étranger ».

La dissolution d’associations ou de groupements est facilitée sous le régime de l’état d’urgence, en vertu de la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, à l’égard des associations qui « participent à la commission d’actes portant une atteinte grave à l’ordre public ou dont les activités facilitent cette commission ou y incitent ». Si les mesures prises continuent à produire leurs effets après la fin de l’état d’urgence, elles ne peuvent être décidées que sous l’empire de cette législation d’exception.

Il en va de même s’agissant de la fermeture des lieux de culte. Conformément au principe de libre exercice des cultes, les réunions cultuelles publiques sont par principe régulières et soumises aux mêmes règles de police que les autres réunions publiques. L’autorité administrative ne peut intervenir qu’en vue de faire respecter l’ordre public :

–  le maire – ou le préfet par substitution – peut, au titre de son pouvoir de police municipale (8), intervenir afin de « maintenir le bon ordre dans les endroits où il se fait de grands rassemblements d’hommes, tels que les (…) églises et autres lieux publics » : interdiction provisoire de l’accès à un lieu de culte pour des raisons de sécurité, fermeture momentanée du lieu de culte en présence de troubles graves et imprévus … ;

–  dans le cadre de l’état d’urgence, l’article 8 de la loi du 3 avril 1955, tel que modifiée en juillet dernier, donne au ministre de l’Intérieur et au préfet le pouvoir d’ordonner la fermeture provisoire de lieux de culte au sein desquels sont tenus des propos appelant à la haine ou à la violence, provoquant au terrorisme ou en faisant l’apologie.

Tirant le constat de l’insuffisance du droit existant à appréhender les discours radicaux contraires aux valeurs de la République, la proposition de loi vise à pénaliser spécifiquement la prédication subversive (A). Elle complète, en conséquence, les dispositions relatives à la dissolution des associations et à la fermeture des lieux de culte (B) ainsi qu’à l’arrêt des sites internet (C).

Les articles 1er et 2 tendent à créer une nouvelle incrimination dans le code pénal afin de réprimer la prédication subversive, définie sans référence à aucune religion comme « le prêche, l’enseignement ou la propagande, par des paroles ou des écrits publics et réitérés, d’une idéologie qui fait prévaloir l’interprétation d’un texte religieux sur les principes constitutionnels et fondamentaux de la République ».

Aux termes d’un nouvel article 412-2-1 du code pénal, l’auteur d’une telle prédication serait puni de cinq ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende et son complice, défini comme « toute personne qui assiste volontairement et régulièrement au prêche ou à l’enseignement de cette idéologie, ou qui consulte volontairement ou régulièrement des services de communication au public en ligne diffusant cette idéologie », de trois ans d’emprisonnement et 50 000 euros d’amende.

À la suite des auditions qu’elle a conduites et dans un esprit constructif, votre rapporteure a proposé de préciser davantage la définition de cette nouvelle infraction afin de se conformer aux exigences de précision et de prévisibilité de la loi pénale et de cerner précisément les comportements qui échappent à la répression en vertu du droit existant :

–  en visant des paroles ou des écrits publics et réitérés, se revendiquant de principes religieux et susceptibles de troubler l’ordre public ou provoquant à des comportements manifestement incompatibles avec les trois principes constitutionnels que sont la sauvegarde de la dignité de la personne humaine, la liberté et l’égalité ;

–  en remplaçant le délit de complicité par des délits de participation à des prédications subversives et de consultation de sites qui se font le relais de prédication subversive, sur le modèle des infractions existantes en matière de consultation de sites pédopornographiques ou terroristes.

Votre rapporteure regrette que le vote des amendements de suppression des articles 1er et 2 ait empêché la discussion de ces amendements, qui répondaient pourtant précisément aux critiques formulées par la majorité à l’égard du dispositif initial.

Par cohérence, l’article 3 complète la liste des associations ou groupements de fait susceptibles d’être dissous par décret en conseil des ministres en application de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, en y ajoutant les associations ou groupements responsables de lieux de culte où la prédication est subversive.

De même, il ajoute au titre II du livre II du même code un chapitre VI consacré à la fermeture des lieux de culte comportant un nouvel article L. 224-1 inspiré des mesures prévues par l’état d’urgence : le ministre de l’Intérieur, pour l’ensemble du territoire, et le préfet, dans son département, pourraient ainsi ordonner la fermeture provisoire des lieux de culte où la prédication est subversive.

Enfin, l’article 4 a pour objet de confier au juge des référés la possibilité de prononcer l’arrêt d’un site internet se faisant le relais de prédications subversives.

Il complète à cette fin les dispositions figurant à l’actuel article 706-23 du code de procédure pénale, qui permet à ce juge d’ordonner l’arrêt d’un site internet en cas de « trouble manifestement illicite, à la demande du ministère public ou de toute personne physique ou morale ayant intérêt à agir ».

DISCUSSION GÉNÉRALE

Lors de sa réunion du mercredi 5 octobre 2016, la commission des Lois procède à l’examen de la proposition de loi pénalisant la prédication subversive (n° 4016) (Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, rapporteure).

Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, rapporteure. La proposition de loi pénalisant la prédication subversive peut être vue comme complémentaire de celle qui a été présentée par notre collègue Éric Ciotti et que la Commission vient de rejeter, relative à la lutte contre le terrorisme, dans la mesure où il s’agit de permettre aux autorités administratives et judiciaires d’intervenir plus largement en amont et en aval – étant précisé que le sort des deux textes n’est, bien sûr, pas nécessairement lié. (Sourires.)

Nous sommes partis d’un constat simple. Si la lutte contre le terrorisme a fait l’objet de nombreuses réponses sécuritaires, celle contre les origines du phénomène, à savoir les idéologies salafistes radicales telles que le wahhabisme, le takfirisme – ou le djihadisme, qui en découle –, n’a pas été véritablement engagée pour le moment, du moins n’a-t-elle pas pris de forme législative – je ne parle pas, évidemment, du travail remarquable mené par certaines associations.

Pourtant, le terrorisme, qui a donné lieu à un certain nombre de travaux législatifs, prospère sur le terrain de la radicalité politico-religieuse. Cette radicalité est prêchée, enseignée, diffusée par des prédicateurs qui défendent, parfois au grand jour, le plus souvent de manière dissimulée, la supériorité des lois religieuses sur les principes constitutionnels et fondamentaux de la République – en prônant, par exemple, une ségrégation identitaire et communautaire contraire aux valeurs de la République. Ils créent des salles de prière et des associations, ils dirigent des lieux de culte, prodiguent des enseignements, sont responsables du contenu éditorial d’ouvrages et de sites internet : c’est cet ensemble d’activités que recouvre le terme de « prédication ».

Leur discours est de nature à déclencher une radicalisation identitaire, qui prédispose certains à la lutte contre les droits constitutionnels et d’autres, moins nombreux, à l’action violente et terroriste. Dans tous les cas, l’objectif poursuivi consiste à faire disparaître l’État de droit derrière la religion, à nier la France, et à s’imposer par la résistance à nos fondements constitutionnels, notamment les plus précieux que sont la liberté, l’égalité et la fraternité.

Face au renforcement actuel du volet répressif du terrorisme, en particulier des dispositions relatives à la lutte contre l’incitation à la commission d’actes terroristes, les prédicateurs lissent leur discours. Les représentants du ministère de l’intérieur que j’ai auditionnés m’ont confirmé être moins souvent confrontés à des expressions très radicales d’appel au terrorisme ou à la haine. Depuis l’attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo, ils prennent soin de ne plus appeler ouvertement à la commission d’actes terroristes et, dans les mosquées salafistes, on voit même circuler des tracts condamnant Daesh et les actions violentes. De ce fait, la menace est devenue sournoise sans être moins réelle – car la prédication radicale, elle, continue, et les outils juridiques pour lutter contre la diffusion de cette idéologie sont parcellaires et inadaptés – d’autant plus que les choses se font de manière dissimulée.

La loi du 29 juillet 1881, qui définit les délits de presse, et l’article 35 de la loi de 1905, qui prévoit une incrimination spécifique dans le cas où le ministre d’un culte incite directement à résister à l’exécution des lois ou aux actes légaux de l’autorité publique, ne sont pas vraiment adaptés aux moyens de communication modernes. Les auditions que j’ai conduites auprès de responsables publics et associatifs ont attesté que le droit positif n’offrait pas tous les outils nécessaires pour répondre à la problématique de la diffusion des idéologies politico-religieuses.

En fait, en amont de l’appel caractérisé à la haine et au terrorisme, il existe une zone grise, que vise précisément cette proposition de loi. Ainsi, le droit positif permet-il d’inquiéter l’auteur de propos invitant à ne pas fréquenter les mécréants ? Non. Le droit positif permet-il d’inquiéter l’auteur de propos d’où il ressort que la femme est de moitié inférieure à l’homme ? Non. Le droit positif permet-il d’inquiéter celui qui affirme que les enfants qui écoutent de la musique risquent d’être transformés en cochons ? Non. De ce fait, les autorités publiques sont obligées de se livrer à des contorsions juridiques pour recourir à des expédients tels que le droit de l’urbanisme ou la réglementation relative à la sécurité des établissements recevant du public (ERP) pour fermer les mosquées salafistes. C’est bien la preuve qu’il nous manque un outil, que la proposition de loi qui vous est présentée a vocation à constituer.

Aux articles 1er et 2 est créé le nouveau délit de prédication subversive, puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Il est proposé de punir non seulement l’auteur de propos de prédication subversive, mais également celui qui les suit régulièrement, que ce soit en se rendant à la mosquée ou en consultant des sites internet, sur le modèle de ce qui a été fait il y a quelques mois. Les conséquences de ces dispositions sur certaines mesures de police administrative existantes sont également prévues.

L’article 3 vise à donner aux autorités administratives la possibilité de fermer un lieu de culte en cas de prédication subversive, ainsi que de dissoudre les associations responsables d’un tel lieu. Cela nous permettra d’éviter d’avoir à recourir aux expédients que j’ai évoqués tout à l’heure.

Il est proposé à l’article 4 d’étendre aux sites de prédication subversive la possibilité pour le juge des référés d’ordonner leur fermeture, alors que cette possibilité n’est aujourd’hui prévue que pour les sites provoquant à la commission d’actes terroristes ou d’infractions telles que la discrimination, la haine, la contestation de crimes contre l’humanité – mais pas à des actes relevant de cette zone grise qui prépare la radicalisation politico-religieuse.

Le sujet est suffisamment grave pour mériter que nous dépassions les clivages politiques traditionnels : je souhaite aborder la discussion générale dans un esprit constructif. J’ai entendu certaines critiques portant sur la formulation donnée à cette proposition de loi : c’est pourquoi j’ai déposé des amendements afin d’en préciser la rédaction, sans porter atteinte à son objectif.

Il s’agit, avec l’amendement CL18 à l’article 2, de préciser le délit de prédication subversive en visant des paroles ou des écrits publics et réitérés, se revendiquant de principes religieux et susceptibles de troubler l’ordre public ou provoquant à des comportements manifestement incompatibles avec les trois principes constitutionnels que sont la sauvegarde de la dignité de la personne humaine, la liberté et l’égalité. Cette définition permet de viser directement, d’une part, l’incitation à des comportements qui méconnaissent les exigences minimales de la vie en société et conduisent à des phénomènes d’exclusion manifestement incompatibles avec nos principes constitutionnels, d’autre part, des propos et des écrits susceptibles de troubler l’ordre public. Le quantum de la peine initialement prévu est maintenu, puisqu’il correspond au délit d’incitation à la commission d’actes terroristes et à leur apologie.

Le même amendement prévoit de substituer au délit de complicité, qui posait manifestement un problème d’ordre juridique, un délit de consultation et de participation à des prédications subversives, ainsi qu’un délit de consultation de sites se faisant le relais de la prédication subversive – des infractions forgées sur le modèle de celles constituées par la consultation de sites pédopornographiques et de sites terroristes –, punis de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende.

Telles sont, mes chers collègues, les propositions que je voulais vous soumettre.

M. Pascal Popelin. À l’abri du tumulte et des excès du débat public qui s’expriment, parfois de manière insoutenable, dans l’hémicycle ou devant les caméras, la tradition veut que notre commission aborde l’ordre du jour qui lui est soumis dans un esprit d’écoute, de respect et de rigueur intellectuelle.

Je veux donc en premier lieu vous assurer ici, madame la rapporteure, que c’est commandé par ces trois exigences, qui font la force et la qualité de nos travaux, que le groupe Socialiste, écologiste et républicain a souhaité considérer le contenu de la proposition de loi dont vous êtes l’auteure, avec quelques-uns de vos collègues du groupe Les Républicains – un texte qui s’inscrit peut-être dans la continuité du précédent, mais a au moins le mérite de ne pas se résumer au recyclage de sujets que nous avons déjà abordé à de multiples reprises, et sur lequel l’Assemblée a eu l’occasion de se prononcer.

S’il est dans cette enceinte des différences d’approche et d’appréciation qui ne nous permettront jamais de nous accorder sur certains sujets, il est aussi des points d’analyse sur lesquels il nous est possible de converger et qui nous incitent à œuvrer à la recherche d’utiles consensus, en particulier lorsque nous sommes appelés à légiférer sur la protection de nos compatriotes et des intérêts supérieurs de notre nation.

Je souhaite donc commencer ici par les éléments de votre texte qui sont de nature à nous rassembler. Nous partageons d’abord le diagnostic que vous dressez au sujet du rôle tristement significatif des prêcheurs de haine, en matière d’endoctrinement au service d’une idéologie qui érige les pires abjections en méthode et incite au passage à l’acte.

L’exposé des motifs du texte que nous examinons rappelle, à juste titre, que « le terrorisme prospère souvent sur un terreau de radicalité politico-religieuse ». Personne ne songerait sérieusement ici à nier la pertinence de cette analyse, même si les causes multiples du passage au terrorisme ne peuvent être réduites à ce seul aspect.

Nous adhérons également tous, de manière unanime, me semble-t-il, à l’objectif consistant à mieux lutter contre toutes les formes de discours qui portent les germes d’une atteinte grave à l’ordre public, dans le respect – auquel je vous sais très attachée – des libertés fondamentales.

Nous sommes tous animés par le même souci d’œuvrer au renforcement de la sécurité des Françaises et des Français dans un climat qui les inquiète à juste titre, et dans la douleur encore vive d’une nation attaquée à plusieurs reprises en son cœur, au cours des mois écoulés.

Enfin, alors que nous souhaitons tous disposer de l’ensemble des clés permettant d’éradiquer totalement et immédiatement la menace terroriste pesant sur notre pays, nous sommes aussi tous conscients – même s’il arrive à certains de prétendre le contraire lorsqu’un micro se tend – qu’il n’existe aucune solution miracle de nature à prémunir intégralement notre société de la folie des hommes.

Le Gouvernement et la majorité ont pleinement pris la mesure de cette réalité, qui nous a d’ailleurs conduits à agir très tôt en conséquence. J’en veux pour preuve les lois du 20 décembre 2012 et du 13 novembre 2014, qui ont notamment créé le délit d’entreprise terroriste individuelle, instauré l’interdiction administrative de sortie de territoire, et la possibilité de blocage des sites faisant l’apologie du terrorisme. Nous avons aussi voté la loi du 24 juillet 2015, qui donne des moyens accrus à nos services de renseignement, dans un cadre juridique tout à la fois bien défini et mieux contrôlé. Je ne détaille pas, enfin, puisque nous les avons encore en mémoire, les deux textes dont j’ai récemment eu l’honneur d’être le rapporteur, à savoir la loi du 3 juin 2016 renforçant les moyens de lutter contre le crime organisé, le terrorisme et son financement, à laquelle nous avons ajouté – notamment à l’initiative de l’opposition et du Sénat – les dispositions de droit commun adoptées lors de la nouvelle loi de prorogation de l’état d’urgence du 21 juillet dernier.

Vous nous proposez, madame la rapporteure, d’ajouter un élément à une législation déjà bien fournie, en créant dans le code pénal une nouvelle infraction sanctionnant la prédication subversive. Face à ce que vous concevez comme un enrichissement du droit, une seule question mérite d’être posée : existe-t-il véritablement dans notre législation des angles morts ou des insuffisances, qui empêcheraient les forces de l’ordre et la justice de stopper les velléités destructrices de ces artisans de la radicalisation que sont les prédicateurs subversifs ?

La rigueur intellectuelle et juridique qui nous est chère commande d’admettre que les dérives que vous proposez de réprimer au moyen de ce texte sont d’ores et déjà envisagées par plusieurs qualifications pénales. Je pense en particulier à la loi du 29 juillet 1881 relative à la liberté de la presse, qui sanctionne la provocation à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes, à raison de leur origine, de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion. Il s’agit également de la loi du 13 novembre 2014, que nous avons votée de manière quasi unanime et qui a transféré – pour le rendre plus opérationnel dans le contexte auquel nous sommes confrontés – le délit de provocation à la commission d’actes terroristes et leur apologie, inscrit dans la loi de 1881, vers le code pénal.

Je souhaite aussi évoquer – il en est fait mention en page 5 de votre rapport – l’article 35 de la loi du 9 décembre 1905, dont je tiens à faire lecture : « Si un discours prononcé ou un écrit affiché ou distribué publiquement dans les lieux où s’exerce le culte, contient une provocation directe à résister à l’exécution des lois ou aux actes légaux de l’autorité publique, ou s’il tend à soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre du culte qui s’en sera rendu coupable sera puni d’un emprisonnement de trois mois à deux ans. »

Ces trois lois offrent, en l’état, les outils suffisants pour sanctionner les discours de haine tenus dans un lieu de culte, dès lors que ceux-ci sont susceptibles de porter atteinte à l’ordre public. Encore faut-il que le ministère public les emploie, me direz-vous. À ce propos, quelques statistiques ne sont pas inutiles pour mesurer les évolutions récentes. En 2014, le nombre de poursuites intentées au titre de l’apologie du terrorisme a été de six. Cela peut sembler insignifiant, mais si l’on veut bien considérer que cette infraction a été intégrée dans le code pénal par la loi promulguée le 13 novembre de cette même année, cela démontre au moins que l’appareil judiciaire s’est immédiatement saisi de cette nouvelle possibilité. En 2015, le nombre de poursuites s’est élevé à 385 et, pour le seul premier trimestre 2016, il y en a eu 219.

Notre arsenal légal, tel qu’il a évolué durant plus d’un siècle, est donc fourni, tout en demeurant garant de certains principes fondamentaux, consacrés plus tard par notre Constitution. C’est là, malheureusement, l’une des failles de votre proposition de loi, qui pose une réelle difficulté au regard de l’exigence de précision de la loi pénale et du respect de la liberté d’expression et de conscience.

La définition que donne votre texte de la notion de « prédication subversive » est en effet très large et imprécise. Certainement trop pour caractériser, dans le respect des principes constitutionnels et conventionnels, une incrimination pénale – au-delà, en tout cas, de l’objectif que vous visez légitimement. En définitive, tout ce qui est imprécis affaiblit le droit existant, en particulier lorsque celui-ci a le mérite d’être précis. Vous en avez d’ailleurs pris conscience, puisque vous proposez un amendement significatif à votre propre texte, le CL18, dont l’écriture ne me paraît cependant pas satisfaisante – sans que je vous en fasse le reproche, car j’avoue que nous avons nous-mêmes cherché en vain une rédaction alternative.

De la même manière, le principe de répression des manifestations ou des discours prônant la supériorité des lois religieuses sur les lois de la République, comme l’énonce la version initiale de votre texte, est tellement extensif qu’il constitue une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression, que nous estimons contraire à la jurisprudence de la Cour de cassation et à nos engagements internationaux. Puisque vous avez cité tout à l’heure des exemples frappants pour l’opinion, qu’il me soit permis d’en donner à mon tour. Des diatribes prononcées en certains lieux le dimanche contre l’interruption volontaire de grossesse pourraient tomber sous le coup des dispositions que vous proposez. À titre personnel, je pourrais m’en satisfaire, mais je ne pense pas que la liberté d’opinion y trouve son compte.

Certains ont exprimé leur absence d’embarras à s’affranchir de la loi fondamentale. Peu importent la gravité de l’entorse et les dommages collatéraux : pourquoi s’encombrer de l’héritage de plus de 200 ans de construction démocratique, quand on peut donner à l’opinion l’illusion que l’on règle un problème auquel elle tient ? Le problème, c’est qu’en agissant ainsi on ne règle rien du tout – mais je sais, madame la rapporteure, que vous n’êtes pas de ceux qui tombent dans ce piège.

Nous estimons pour notre part que le législateur commettrait une grave erreur en bradant de la sorte les valeurs qui fondent notre capacité à vivre ensemble, notamment parce que cela ne ferait que répondre à l’ambition de nos agresseurs. Ils veulent nous diviser, réduire le champ de nos libertés. Ne leur offrons pas cette victoire-là.

Renforcer l’efficacité de nos dispositifs légaux, dans le respect des droits et des libertés individuelles, est au contraire un acte de résistance. C’est pourquoi, malgré toute l’attention que nous portons à cette proposition de loi, nous ne pouvons adopter, en l’état, un texte très contestable sur le plan constitutionnel, et dont l’objectif est, de toute façon, déjà satisfait par le droit existant, dont je ne doute pas que chacun, dans les circonstances que nous vivons, aura à cœur d’amplifier son application avec toute la rigueur requise.

N’ayant pas, à ce jour – et ce n’est pas faute d’y avoir œuvré – trouvé de rédaction alternative qui puisse améliorer, de manière utile et satisfaisante du point de vue des principes, un droit offrant déjà tous les outils nécessaires, je me verrai donc contraint, au nom du groupe Socialiste, écologiste et républicain, de proposer à la Commission des amendements de suppression des articles de cette proposition de loi.

M. Pierre Morel-A-L’Huissier. Je me félicite que nous examinions aujourd’hui cette proposition de loi à laquelle je m’associe pleinement. Nous avons souvent eu l’occasion de dire que combattre le terrorisme sans s’intéresser aux origines du mal est inefficace. En la matière, nous avons beaucoup à apprendre d’Israël : les responsables de son dispositif antiterroriste, que j’ai eu l’occasion de rencontrer, placent au cœur de leur action la lutte contre la radicalisation, notamment via les réseaux sociaux, et m’ont dit estimer que la France n’était pas dotée de mesures suffisantes en la matière.

Les prédicateurs salafistes font en effet d’internet un lieu privilégié pour recruter des jeunes vulnérables, en manque de repères. Ils agissent également au sein de lieux de culte radicalisés, qui sont trop nombreux à rester ouverts alors même que nous avons pris, dans le cadre de l’état d’urgence, des mesures visant à faciliter la fermeture des lieux de culte appelant à la haine.

Notre République laïque, profondément attachée aux libertés et aux droits de l’homme, ne peut accepter que se développe sur son sol une idéologie politico-religieuse prônant la haine et menaçant les intérêts fondamentaux de la Nation. Adopter cette proposition de loi nous permettra, à mon sens, d’être mieux armés juridiquement pour lutter contre un phénomène qui prend un peu plus d’ampleur chaque jour.

Incriminer la prédication subversive et définir juridiquement cette notion aux contours encore flous, donner une compétence élargie aux représentants de l’État sur l’ensemble du territoire pour fermer les lieux de culte radicalisés et permettre au juge des référés de prononcer rapidement la fermeture des sites internet illégaux, sont des mesures rendues absolument nécessaires par la situation gravissime dans laquelle se trouve notre pays et doit nous rassembler, au-delà des divisions partisanes.

M. Jacques Bompard. Je veux apporter des éléments de réflexion sur un texte difficile et qui me paraît assez dangereux, en ce qu’il identifie mal la cause du terrorisme dans notre pays et place sur le même plan l’ensemble des religions dans leur rapport au terrorisme, ce dont Mme Kosciusko-Morizet a elle-même dû convenir au cours des auditions auxquelles elle a procédé.

Sur le plan sémantique, le choix des termes « prédication subversive » est extrêmement problématique. Chaque fois que nous employons les termes « autorité », « ordre naturel » ou « loi naturelle », une noria de détenteurs de la nouvelle doxa nous rappelle à l’ordre. Il serait donc étonnant que les responsables politiques se réveillent soudainement en criant à la subversion ! C’est d’ailleurs, selon moi, le relativisme ambiant qui a conduit la France à un état de faiblesse qui en fait le terrain le plus favorable à l’expansion de l’islamisme en Europe, et à une grande fragilité face aux assauts terroristes.

Ce processus est perceptible dans le texte, et nous n’oserions même plus affirmer que ce sont les prédications islamistes qui posent problème, alors qu’il est essentiel de faire ce constat. Il est très dangereux d’en appeler à l’article 35 de la loi de 1905 sur la provocation directe à résister à l’exécution des lois ou aux actes de l’autorité publique. Comment accepter que la loi mette sur le même plan, d’une part, de sains défenseurs d’une verticalité supérieure aux affrontements partisans et, d’autre part, les salafistes ? À ce propos, l’adjonction des conversations électroniques en ligne suscite beaucoup de doutes. Si nous sommes d’accord pour investir de plus de libertés les enquêteurs qui nous protègent, nous savons que, en France, la protection de la nation n’est pas assez séparée de son instrumentalisation.

Il faut, mes chers collègues, que vous regardiez en face les trahisons et les abus des gouvernements successifs qui ont désinvesti les responsables politiques de la légitimité nécessaire pour affronter le terrorisme. Je félicite les auteurs de ce texte pour l’article 3, relatif à la fermeture des lieux de culte, en m’abstenant charitablement de rappeler les propos du groupe socialiste quand j’avais demandé un moratoire sur la construction des mosquées.

Je salue votre volonté de légiférer, madame Kosciusko-Morizet, mais je vous implore de dire les faits tels qu’ils sont et d’arrêter de noyer les Français dans un flot de termes dont ils se moquent régulièrement. Les amendements que je présenterai dans quelques instants illustreront les propos que je viens de tenir.

M. Christian Kert. Si nous tenons beaucoup à la proposition de loi présentée par Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, c’est qu’elle se préoccupe des origines de la violence terroriste, qu’elle aborde en se tenant en amont du problème : il s’agit, comme s’est efforcée de le faire la commission d’enquête relative aux moyens mis en œuvre par l’État pour lutter contre le terrorisme, présidée par M. Georges Fenech, de trouver les moyens de neutraliser la menace en amont. Notre collègue Pascal Popelin, qui a exposé la position de son groupe avec beaucoup de raison juridique, m’a semblé ignorer le fait que la menace avait changé de nature depuis certains textes auxquels il a fait référence, ce qui justifie que nous actualisions notre réflexion et nos actions. Il faut sans doute rappeler que plusieurs amendements présentés à l’Assemblée nationale et au Sénat avaient déjà permis de faire adopter, lors de la dernière prorogation de l’état d’urgence, un article additionnel facilitant, dans le cadre de cet état d’urgence, la fermeture de certains lieux de culte appelant à la haine – car il s’agit bien de haine.

Ce que nous voulons dire au travers de cette proposition de loi, c’est que la pratique religieuse doit s’adapter à nos lois, et non l’inverse. Selon un sondage, 28 % de la population musulmane estime que la charia doit primer sur la loi de la République : on ne peut pas accepter cela. Le régime de pénalisation de la prédication subversive, tel qu’il est prévu par cette proposition de loi, vise donc à établir une base légale et solide à la condamnation pénale des prédicateurs d’idéologies politico-religieuses que l’on peut considérer comme des prophètes de malheur.

La proposition de loi permettra également l’interdiction de toutes formes d’outils de diffusion – prêche dans les lieux de culte, sites internet – et d’apprentissage de cette idéologie. En s’attaquant aux origines de la violence terroriste, elle vise la source de la menace pour permettre de la neutraliser en amont. C’est pourquoi nous ne devons pas la rejeter.

M. Georges Fenech. Je veux dire à Mme Nathalie Kosciusko-Morizet à quel point je partage l’objectif qu’elle poursuit, et que je salue le travail qu’elle a accompli courageusement. Cela dit, chère collègue, j’espère que vous ne m’en voudrez pas de dire aussi que je suis complètement d’accord avec les propos qu’a tenus M. Pascal Popelin tout à l’heure.

Je ne vois pas comment vous pourriez demander à des juges de s’ériger en docteurs de la foi. Qui va pouvoir émettre un avis autorisé sur tel ou tel précepte religieux ? S’il n’existe pas, dans notre droit, de définition d’une secte, il n’existe pas plus de définition d’une religion. Les seuls critères retenus par le Conseil d’État pour agréer une association cultuelle sont l’exercice d’un culte, et exclusivement d’un culte, et l’absence de trouble à l’ordre public. En cas de trouble à l’ordre public, il est évident que nous disposons déjà de textes de nature à satisfaire votre préoccupation, comme l’a dit M. Popelin.

Chacun peut croire personnellement à la supériorité de ses convictions religieuses sur l’ordre républicain, et même l’affirmer : cela relève de la liberté de croyance et vous ne pouvez, sans risquer l’arbitraire, confier aux juges le soin de déterminer si ce que vous croyez est bon ou pas. J’ai eu l’occasion de beaucoup réfléchir à ces questions lorsque je présidais la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires (MIVILUDES). Peut-on interdire la doctrine des Témoins de Jéhovah, qui affirment l’imminence de l’Apocalypse et refusent les transfusions sanguines ? Non, et même des doctrines beaucoup plus radicales doivent être autorisées, par respect du principe de la liberté de croyance : certains propos peuvent, certes, tomber sous le coup de la loi, mais je crois que le texte présenté est tellement large qu’il ne permettrait à aucun juge de prendre le risque de condamner qui que ce soit sur la base de ce dispositif. Je regrette d’avoir à vous dire cela, madame Kosciusko-Morizet, mais croyez bien que je vous le dis en conscience.

M. Olivier Marleix. Je salue le travail de grande qualité et l’effort accompli par notre collègue Nathalie Kosciusko-Morizet. Nous sommes confrontés dans nos quartiers à cette action subversive qu’elle décrit et tente de qualifier au sens juridique du terme, que l’on peut résumer par un glissement du communautarisme vers le rejet de la société, et du rejet de la société vers la haine de celle-ci, qui constitue un terrain propice à tous les dérapages.

Il y a, à l’évidence, un effort à faire afin de mieux réprimer cette zone grise que constitue la prédication subversive. Il me semble que, contrairement à ce qu’a dit notre collègue Georges Fenech pour qui le recours à la notion de trouble à l’ordre public peut régler nombre de problèmes, il n’est pas du tout certain que cela suffise à un juge pour condamner des faits de prédication subversive. Comme la rapporteure de ce texte, je pense qu’il faut aller plus loin et définir précisément une nouvelle incrimination.

Il ne s’agit pas de demander au juge d’être un docteur de la foi, mais simplement de faire en sorte qu’il puisse juger les atteintes à nos principes fondamentaux, comme nous avons su le faire dans le cadre de la « loi Gayssot », en faisant en sorte que certains propos puissent être condamnés.

Je ne rejoins pas du tout l’explication de M. Popelin. L’exposé sommaire de son amendement CL12 est d’ailleurs complètement « à côté de la plaque » : il cherche en réalité des excuses pour ne pas avancer. M. Popelin indique que les actes d’apologie publique du terrorisme peuvent déjà être réprimés, mais ce n’est pas de cela qu’il s’agit. Quant à la loi de 1881, elle prévoit une prescription de seulement trois mois et c’est, nous le savons, totalement inopérant. Nous n’avons donc pas aujourd’hui les éléments de réponse. Un effort d’imagination est requis, et c’est ce qu’a compris la rapporteure.

Je souhaite opposer au renoncement de M. Popelin la lucidité de M. Malek Boutih, qui s’est vu confier par le Premier ministre la rédaction d’un rapport en février 2015, rapport qu’il a intitulé Génération radicale et dans les conclusions duquel il écrit : « Nous n’avons plus le droit de douter, de pinailler, de calculer. L’heure est à l’action déterminée pour imposer le projet républicain. » Écoutez ce que vous dit M. Malek Boutih sur cette dérive communautariste ; cela devrait vous inciter à rechercher des solutions avec Mme Kosciusko-Morizet plutôt qu’à y renoncer.

Mme la rapporteure. Je remercie tout d’abord MM. Pierre Morel-A-L’Huissier, Olivier Marleix et Christian Kert pour leur soutien. J’aurais pu rappeler ce chiffre de l’Institut Montaigne cité par M. Christian Kert : 28 % des Français musulmans sont susceptibles d’adhérer à l’idée que la charia doit être considérée comme supérieure aux lois de la République. Cela ne peut laisser indifférent.

Vous nous dites, monsieur Popelin, que nous disposons déjà de tous les outils. Ce n’est pas le cas. J’ai cité des exemples de propos que l’on a aujourd’hui le droit de tenir, de prêcher et qui ne peuvent être sanctionnés. Les autorités que j’ai auditionnées m’en ont rapporté d’autres. Des lieux que l’on voudrait fermer, des prédicateurs que l’on voudrait interdire ne peuvent l’être, car la base légale manque et il existe un risque de contestation au tribunal. Vous faites appel à la loi de 1905. Depuis 1995, six procès ont été intentés sur le fondement de cette loi, et aucun depuis 2011. C’est dire que la loi de 1905 est peu adaptée pour faire face à la situation actuelle.

Il existe sans doute une incompréhension entre nous sur ce qu’est la cible de cette proposition de loi. Il ne s’agit pas de viser la liberté d’opinion – les gens pensent ce qu’ils veulent –, mais la liberté d’expression, au sens, qui plus est, de la prédication. Nous parlons de gens qui ont un public ou en trouvent un sur internet, y compris un public d’enfants, comme le montrent des cas récents. La liberté d’opinion permet-elle le négationnisme ? Permet-elle d’affirmer que la femme est inférieure à l’homme ? Non, la liberté d’expression a des limites. Tous ces principes sont constitutionnels et un équilibre doit être trouvé entre eux : c’est ainsi que sont organisées nos institutions. Nous avons d’un côté la liberté religieuse, la liberté d’opinion et de conscience – même si je conteste que cette proposition de loi la vise – et de l’autre les principes que j’ai rappelés, la dignité de la personne humaine, la liberté, l’égalité, qui n’ont pas moins d’importance.

Je vous confirme, monsieur Bompard, que ma loi n’a pas pour objet d’instaurer une religion officielle en France ni même d’établir une hiérarchie entre les religions. En écho aux propos de M. Georges Fenech, je souligne que nous ne parlons justement pas de religion. L’exposé des motifs vise certains courants, mais c’est à dessein que nous ne parlons pas de religion dans le texte lui-même.

Nous ne pouvons nous laisser tétaniser par un habillage religieux. Ce n’est pas parce que quelqu’un se prévaut d’une religion ou de l’interprétation d’un texte qu’il peut dire n’importe quoi, qu’il peut par exemple prêcher à des enfants que les femmes sont inférieures aux hommes, sans que nous ne fassions rien. Sinon, ce n’est pas la peine de parler de lutte contre la discrimination ; il suffira que les gens souhaitant la pratiquer se déclarent religieux. Ils le font déjà. Dans ces conditions, la lutte contre la discrimination est un faux-semblant. Or nous ne pouvons pas, dans le contexte difficile que nous connaissons, nous permettre de faire semblant.

La Commission en vient à l’examen des articles de la proposition de loi.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er
(section I du chapitre II du titre Ier du livre IV du code pénal)

Modification d’intitulé dans le code pénal

Cet article a pour objet de modifier, dans le code pénal, au sein du livre quatrième relatif aux crimes et délits contre la Nation, l’État et la paix, l’intitulé de la section 1 du chapitre II du titre Ier, aujourd’hui consacrée à l’attentat et au complot, afin d’y ajouter la prédication subversive, dont l’article 2 propose de faire un délit.

*

* *

La Commission examine l’amendement CL12 de M. Pascal Popelin.

M. Pascal Popelin. Je me suis longuement exprimé dans la discussion générale. L’amendement est défendu.

M. Sergio Coronado. Après la réponse de Mme la rapporteure, je suis extrêmement gêné par le champ qu’elle souhaite voir sa proposition couvrir. Est-ce à dire que tous ceux qui contestent les avancées de notre société, l’égalité des droits, doivent faire l’objet d’une incrimination pour prêches subversifs ? Je me souviens qu’il n’y a pas si longtemps – votre position à l’époque, madame, n’était pas très claire – il y a eu dans les églises de France des appels à manifester contre la loi de la République, et notamment contre l’ouverture du mariage civil aux couples de même sexe, que nous défendions, dans la majorité, au nom de l’égalité. Des manifestations ont continué à être organisées régulièrement après l’adoption de la loi. Est-ce qu’au nom de la défense de l’égalité, principe constitutionnel, vous qualifieriez ce type de sermons de subversifs ? Si je vous suis, votre texte s’appliquerait en l’espèce assez directement.

Mme la rapporteure. J’ai le sentiment que chacun voudrait, sur la base de ce texte, se lancer dans la défense de chapelles. Or, de même que ce texte ne vise pas à déclarer une religion officielle ni à établir une hiérarchie entre les religions, il n’entend pas non plus opprimer les opinions des uns et des autres. Il vise le type de prédication qui appelle d’une manière ou d’une autre à la subversion des principes fondamentaux de la République.

M. Sergio Coronado. L’égalité en est un !

Mme la rapporteure. On entre là dans une manipulation politique du mot « égalité ».

Quand un prêcheur explique que la femme vaut moitié moins que l’homme, il s’oppose clairement au principe d’égale dignité des hommes et des femmes. Vous cherchez à mettre sur la table des sujets qui ont peu de rapport avec le problème. La question de savoir si le mariage est réservé aux couples hétérosexuels ou peut au contraire être ouvert aux couples homosexuels est différente. Vous connaissez mes positions sur le sujet, mais vous ne pouvez pas dire que ceux qui sont opposés au mariage des personnes de même sexe promeuvent l’idée que les femmes valent moitié moins que les hommes ; ils ne s’opposent pas à la dignité des personnes.

M. Sergio Coronado. Il existe depuis très longtemps dans ce pays une religion, qui appartient aux communautés acceptées et a fait l’objet de législations particulières au XIXe siècle, dont la prière commence par les mots : « Merci, mon Dieu, de ne pas m’avoir fait femme. » Pour autant, on n’a jamais cherché à emprisonner un rabbin ou qui que ce soit en raison de cette prière. Vous vous faites, comme l’a dit M. Fenech, un commissaire de la foi, et il me semble hallucinant de chercher à lutter contre le terrorisme de cette manière.

Mme la rapporteure. Le texte de cette proposition de loi ne fait à aucun moment appel à une considération religieuse, mais vous cherchez tous à y ajouter de telles considérations et à déclencher des guerres de religion. Trouvez-vous bon que l’on puisse contester les lois de la République dans une assemblée, quelle qu’elle soit, que l’on puisse diffuser des idéologies politico-religieuses radicales ? Ou bien cherchez-vous toutes sortes d’arguments pour défendre une liberté d’opinion qui, dans votre cas, va vraiment très loin ? Souhaitez-vous autoriser que l’on dise que la femme vaut moitié moins que l’homme ? Dans le Coran, on vous explique que c’est deux chameaux pour l’un, un chameau pour l’autre ; vous souhaitez qu’on laisse enseigner cela aux enfants ?

M. Hugues Fourage. L’article 2 de votre texte parle d’« une idéologie qui fait prévaloir l’interprétation d’un texte religieux ».

Mme la rapporteure. On ne précise pas laquelle !

M. Hugues Fourage. Je ne dis pas que vous faites référence à telle ou telle religion, mais vous faites bien référence à la religion en général.

Je suis extrêmement gêné par votre proposition. J’en comprends le sens et je pense comme vous que les lois et principes fondamentaux de la République doivent être appliqués partout sur le territoire, avec rigueur. Cette question doit nous rassembler. En revanche, je ne vois pas comment votre proposition peut être appliquée, et notamment son article 2. C’est pourquoi je voterai contre ce texte, son effectivité me paraissant douteuse. Je tenais à le dire, car le débat mérite que nous prenions de la hauteur, plutôt que de nous en tenir à des postures. Nous devrons de toute façon avoir cette réflexion à l’avenir.

La Commission adopte l’amendement.

En conséquence, l’article 1er est supprimé.

Article 2
(art. 412-2-1 [nouveau] du code pénal)

Création d’un délit de prédication subversive

Cet article a pour objet de créer une nouvelle incrimination dans le code pénal : le délit de prédication subversive.

1. L’état du droit

La diffusion des idéologies salafistes radicales peut, pour certains de leurs contenus seulement, tomber sous le coup d’incriminations existant en droit français, dont la sanction s’avère, en outre, plus ou moins aisée à prononcer.

L’exercice d’influences néfastes sur le public est en effet aujourd’hui principalement réprimé dans le cadre d’incriminations de provocation à la commission d’actes ou d’apologie, qui relèvent de régimes procéduraux plus ou moins stricts.

● Dès lors qu’il s’exerce au travers de moyens de diffusion publique de la parole, de l’image ou de l’écrit (9), il est sanctionné dans le cadre du régime des infractions de presse, défini par la loi du 29 juillet 1881 qui vise, en ses articles 23 et 24, la provocation et l’apologie des crimes et délits.

S’agissant, en premier lieu, de la provocation, si celle-ci a été suivie d’effet, son auteur est considéré comme complice de n’importe quelle infraction à laquelle il a incité pourvu seulement qu’il s’agisse d’un délit ou d’un crime quelconque, ou d’une tentative de crime. Il encourt la même peine que l’auteur de l’infraction.

Les infractions auxquelles pousse la provocation non suivie d’effet voient, au contraire, leur champ précisément circonscrit. Elles sont ainsi limitativement énumérées par l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881. Il s’agit de certains crimes et délits contre les personnes et les biens et des crimes et délits portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation (cf. encadré ci-dessous). Considéré comme un délit distinct de l’infraction, ce type de provocation est puni de cinq ans d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.

Si la provocation n’invite à aucune infraction en particulier, mais incite à des discriminations, à la violence et à la haine à l’égard de certains groupes humains, son auteur encourt un an d’emprisonnement et 45 000 euros d’amende.

Pour ce qui concerne, en second lieu, l’apologie, seule celle concernant les crimes de droit commun contre les personnes et les biens, les crimes de guerre, les crimes contre l’humanité et les crimes et délits de collaboration est punie par la loi du 29 juillet 1881. Les auteurs sont alors passibles de cinq ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

Les infractions de presse prévues aux articles 23 et 24 de la loi du 29 juillet 1881

Article 23

« Seront punis comme complices d’une action qualifiée crime ou délit ceux qui, soit par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, imprimés, dessins, gravures, peintures, emblèmes, images ou tout autre support de l’écrit, de la parole ou de l’image vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou des affiches exposés au regard du public, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique, auront directement provoqué l’auteur ou les auteurs à commettre ladite action, si la provocation a été suivie d’effet.

Cette disposition sera également applicable lorsque la provocation n’aura été suivie que d’une tentative de crime prévue par l’article 2 du code pénal. »

Article 24

« Seront punis de cinq ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ceux qui, par l’un des moyens énoncés à l’article précédent, auront directement provoqué, dans le cas où cette provocation n’aurait pas été suivie d’effet, à commettre l’une des infractions suivantes :

1° Les atteintes volontaires à la vie, les atteintes volontaires à l’intégrité de la personne et les agressions sexuelles, définies par le livre II du code pénal ;

2° Les vols, les extorsions et les destructions, dégradations et détériorations volontaires dangereuses pour les personnes, définis par le livre III du code pénal.

Ceux qui, par les mêmes moyens, auront directement provoqué à l’un des crimes et délits portant atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation prévus par le titre Ier du livre IV du code pénal, seront punis des mêmes peines.

Seront punis de la même peine ceux qui, par l’un des moyens énoncés en l’article 23, auront fait l’apologie des crimes visés au premier alinéa, des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité ou des crimes et délits de collaboration avec l’ennemi.

Tous cris ou chants séditieux proférés dans les lieux ou réunions publics seront punis de l’amende prévue pour les contraventions de la 5° classe.

Ceux qui, par l’un des moyens énoncés à l’article 23, auront provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, seront punis d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende ou de l’une de ces deux peines seulement.

Seront punis des peines prévues à l’alinéa précédent ceux qui, par ces mêmes moyens, auront provoqué à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur sexe, de leur orientation ou identité sexuelle ou de leur handicap ou auront provoqué, à l’égard des mêmes personnes, aux discriminations prévues par les articles 225-2 et 432-7 du code pénal.

En cas de condamnation pour l’un des faits prévus par les deux alinéas précédents, le tribunal pourra en outre ordonner :

1° Sauf lorsque la responsabilité de l’auteur de l’infraction est retenue sur le fondement de l’article 42 et du premier alinéa de l’article 43 de la présente loi ou des trois premiers alinéas de l’article 93-3 de la loi n° 82-652 du 29 juillet 1982 sur la communication audiovisuelle, la privation des droits énumérés aux 2° et 3° de l’article 131-26 du code pénal pour une durée de cinq ans au plus ;

2° L’affichage ou la diffusion de la décision prononcée dans les conditions prévues par l’article 131-35 du code pénal. »

Outre qu’il apparaît lacunaire au regard des contenus véhiculés par les idéologies salafistes radicales, le régime des infractions de presse, dicté par la volonté de mettre la liberté de la presse – élément essentiel du régime démocratique – à l’abri des excès de la répression, se caractérise par des règles de procédure plus favorables aux prévenus que celles relevant du droit commun :

– l’action publique en matière de presse se prescrit par trois mois (un an pour la provocation à la discrimination, la haine ou la violence raciale, les injures et diffamations raciales (10)) au lieu, dans le droit commun, d’un an pour les contraventions, de trois ans pour les délits et de dix ans pour les crimes ;

– la comparution immédiate est impossible ;

– dans de nombreux cas, le procureur de la République ne peut mettre en mouvement l’action publique qu’au vu d’une plainte préalable de la victime de l’infraction tandis que le désistement du plaignant ou de la partie poursuivante arrête les poursuites ;

– la détention provisoire est impossible sauf exceptions ;

– selon la jurisprudence, ni la juridiction de jugement ni le juge d’instruction ne peuvent modifier la qualification des faits telle que fixée par l’acte de saisine sauf à substituer une qualification de droit commun à une qualification prévue par la loi de 1881.

M. Jacques-Henri Robert, professeur émérite de droit pénal à l’Université Panthéon-Assas Paris II, qualifie ainsi le régime des infractions de presse de « régime procédural méticuleux et fertile en nullités » (11), l’article 23 de la loi de 1881 étant d’ailleurs peu utilisé compte tenu des importantes difficultés de fait et de droit que son application soulève.

● Les auteurs des discours relevant de la radicalité politico-religieuse peuvent par ailleurs être sanctionnés sur le fondement de textes distincts de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, qui incriminent des provocations à des crimes ou délits spécifiques.

Il en va notamment de la provocation à la commission d’actes terroristes et de l’apologie du terrorisme qui constituent, depuis leur transfert de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 vers le nouvel article 421-2-5 du code pénal en 2014 (12), non plus des délits de presse, mais des délits terroristes, auxquels s’appliquent, sous certaines réserves, les procédures dérogatoires prévues en la matière par le code de procédure pénale.

À cette occasion, le législateur a renforcé le dispositif sanctionnant la provocation au terrorisme et son apologie en :

– étendant le champ d’application de l’incrimination de provocation au terrorisme aux propos non publics ;

– portant de 45 000 à 75 000 euros le montant de l’amende encourue pour provocation à la commission d’actes terroristes ou apologie de ces actes, par cohérence avec la majorité des délits punis de cinq ans d’emprisonnement dans le code pénal ;

– prévoyant une circonstance aggravante, avec une peine portée à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende lorsque les faits ont été commis en utilisant un service de communication au public en ligne.

Cependant, ainsi que les personnes auditionnées l’ont confirmé à votre rapporteure, les prédicateurs les plus radicaux ont pris soin, depuis l’attentat perpétré à Charlie Hebdo en janvier 2015, de « lisser leurs propos » et de ne plus appeler ouvertement à la commission d’actes terroristes, voire de condamner Daech et les actions violentes.

● Les prédicateurs des idéologies salafistes radicales peuvent enfin tomber sous le coup de l’article 35 (13) de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, qui prévoit une incrimination spécifique, assortie d’une peine d’emprisonnement de trois mois à deux ans, dans le cas où un ministre du culte incite directement à résister à l’exécution des lois ou aux actes de l’autorité publique ou tend à soulever une partie des citoyens contre les autres.

Toutefois, ce dispositif présente des limites puisqu’il vise la seule provocation directe et qu’il ne mentionne pas les communications électroniques en ligne, alors qu’il s’agit aujourd’hui d’un vecteur de diffusion essentiel.

2. Le droit proposé

En raison des lacunes du droit positif, la radicalité politico-religieuse se développe en France sans que ses promoteurs soient véritablement inquiétés. En outre, les rares fois où ils le sont, c’est la plupart du temps au moyen de contorsions et d’expédients juridiques mobilisant les droits de l’urbanisme et de la sécurité des établissements recevant du public.

La radicalité politico-religieuse est ainsi prêchée, enseignée et diffusée par des prédicateurs qui défendent, de manière transparente ou dissimulée, la supériorité de leurs lois religieuses sur les principes constitutionnels de la République, en prônant notamment une ségrégation identitaire et communautaire à rebours des valeurs de la République française. La diffusion de cette idéologie tend en outre à prédisposer à l’action violente et au terrorisme.

Afin de lutter efficacement contre cette nouvelle forme d’endoctrinement, l’article 2 de la présente proposition de loi crée une incrimination : le délit de prédication subversive.

Il s’agit ainsi d’offrir une base légale solide à la condamnation des prédicateurs d’idéologies politico-religieuses radicales et de leurs complices, mais également à l’interdiction des livres, à la fermeture des lieux de culte et à la dissolution des associations responsables de ces lieux (article 3) et à l’arrêt des sites Internet (article 4) qui diffusent ces idéologies.

Le premier alinéa de l’article 2 propose tout d’abord d’inscrire le nouveau délit, dans le code pénal, parmi les atteintes aux institutions de la République ou à l’intégrité du territoire national, aux côtés des articles relatifs aux attentats et aux complots. Il crée à cet effet un nouvel article 412-2-1.

L’alinéa 2 définit la prédication subversive comme le prêche, l’enseignement et la propagande, par des paroles ou des écrits publics et réitérés, d’une idéologie qui fait prévaloir l’interprétation d’un texte religieux sur les principes constitutionnels et fondamentaux de la République.

L’alinéa 3 précise que l’auteur de la prédication subversive est celui qui prêche ou enseigne cette idéologie, ou qui en diffuse par tous moyens de propagande le prêche ou l’enseignement. Il prévoit, pour ce dernier, une peine d’emprisonnement de 5 ans et une amende de 75 000 euros, à l’instar des sanctions prévues aujourd’hui pour les délits de provocation à la commission d’actes terroristes et d’apologie de ces actes.

S’inspirant des délits de consultation habituelle de sites pédopornographiques et de sites provoquant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie, l’alinéa 4 définit comme complice du délit de prédication subversive celui qui consulte volontairement et régulièrement des sites Internet diffusant cette idéologie ou qui assiste volontairement et régulièrement au prêche ou à l’enseignement de ces idées.

L’alinéa 5 punit le complice d’une prédication subversive de trois ans d’emprisonnement et de 50 000 euros d’amende, contre deux ans d’emprisonnement et 30 000 euros d’amende pour les délits de consultation sur Internet précédemment mentionnés.

*

* *

Contre l’avis défavorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement CL13 de M. Pascal Popelin.

En conséquence, l’article 2 est supprimé.

Les amendements CL18 de la rapporteure, CL2 de M. Jacques Bompard, CL11 de M. Sébastien Huyghe, CL3 de M. Jacques Bompard, CL10 de M. Sébastien Huyghe, CL4 et CL5 de M. Jacques Bompard n’ont plus d’objet.

Article 3
(art. L. 212-1 et L. 224-1 [nouveau] du code de la sécurité intérieure)

Dissolution des associations responsables de lieux de culte où la prédication est subversive et fermeture de ces lieux

Cet article a pour objet, d’une part, de compléter la liste des associations ou groupements de fait pouvant être dissous par décret en conseil des ministres, en y incluant celles qui sont responsables de lieux de culte où la prédication est subversive et, d’autre part, de prévoir des mesures de fermeture provisoire de ces lieux.

1. L’état du droit

a. La dissolution administrative des associations ou groupements

L’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, reprenant l’article 1er de la loi du 10 janvier 1936 sur les groupes de combat et milices privées, autorise la dissolution, par décret en conseil des ministres, des associations ou groupements de fait :

« 1° Qui provoquent à des manifestations armées dans la rue ;

2° Ou qui présentent, par leur forme et leur organisation militaires, le caractère de groupes de combat ou de milices privées ;

3° Ou qui ont pour but de porter atteinte à l’intégrité du territoire national ou d’attenter par la force à la forme républicaine du Gouvernement ;

4° Ou dont l’activité tend à faire échec aux mesures concernant le rétablissement de la légalité républicaine ;

5° Ou qui ont pour but soit de rassembler des individus ayant fait l’objet de condamnation du chef de collaboration avec l’ennemi, soit d’exalter cette collaboration ;

6° Ou qui, soit provoquent à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, soit propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence ;

7° Ou qui se livrent, sur le territoire français ou à partir de ce territoire, à des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l’étranger ».

La loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant l’application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence et renforçant l’efficacité de ses dispositions prévoit, dans le cadre de ce régime d’exception, la dissolution d’associations ou de groupements de fait portant atteinte à l’ordre public. Le nouvel article 6-1 de la loi de 1955 dispose ainsi que « sans préjudice de l’application de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, sont dissous par décret en conseil des ministres les associations ou groupements de fait qui participent à la commission d’actes portant une atteinte grave à l’ordre public ou dont les activités facilitent cette commission ou y incitent ». Ces mesures continuent à produire leurs effets après la fin de l’état d’urgence.

Afin de prévenir le maintien ou la reconstitution de ces associations ou groupements dissous en application de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure ou de l’article 6-1 de la loi du 3 avril 1955, l’utilisation des techniques de renseignement est autorisée.

Par ailleurs, en cas de maintien ou de reconstitution d’une association ou d’un groupement dissous en application des articles précités, les participants encourent des peines de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.

Les dissolutions d’associations prononcées depuis le début de l’état d’urgence – au nombre de trois – l’ont toutes été sur le fondement de l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, et non sur celui de l’article 6-1 de la loi du 3 avril 1955.

Les associations Retour aux sources et Le retour aux sources musulmanes liées à la mosquée de Lagny-sur-Marne, fermée dans le cadre de l’état d’urgence en décembre 2015, ont ainsi été dissoutes par décret en date du 14 janvier 2016 sur le fondement des 6° et 7° de l’article L. 212-1 du code de la sécurité. Il en va de même de l’Association des musulmans de Lagny-sur-Marne qui, après la suspension, par le Conseil d’État (14), de sa dissolution par le même décret du 14 janvier 2016, pour vice de procédure (15), a été dissoute par le décret du 6 mai 2016.

b. La fermeture des lieux de culte

Le libre exercice des cultes étant garanti par l’article 1er de la loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État, toute réunion, y compris des prières ou prosternations communes, est en principe régulière.

Les réunions cultuelles publiques sont soumises aux mêmes règles de police que les autres réunions publiques, qui ont été posées par la loi du 30 juin 1881 sur la liberté de réunion et par la loi du 28 mars 1907 relative aux réunions publiques, à savoir l’absence d’autorisation préalable et le droit, pour un fonctionnaire de l’ordre administratif ou judiciaire, d’assister à la réunion et d’y choisir sa place parmi celles réservées au public. Toutefois, les réunions cultuelles sont dispensées de la constitution d’un bureau et de déclaration préalable, depuis la loi du 28 mars 1907 relative aux réunions publiques.

Il est en revanche interdit de tenir des réunions politiques dans les locaux servant habituellement à l’exercice d’un culte, en application de l’article 26 de la loi de 1905. Il appartient aux tribunaux éventuellement saisis d’apprécier le caractère politique de la réunion. Mais le seul fait pour un ministre du culte d’évoquer des problèmes politiques ou de critiquer telle loi ou tel acte du Gouvernement ne suffit pas à lui faire enfreindre l’article 26.

L’autorité administrative ne peut intervenir qu’en vue du respect nécessaire de l’ordre public (16).

L’article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales prévoit ainsi que « la police municipale a pour objet d’assurer le bon ordre, la sûreté et la salubrité publiques. Elle comprend notamment : […] 3° Le maintien du bon ordre dans les endroits où il se fait de grands rassemblements d’hommes, tels que les foires, marchés, réjouissances et cérémonies publiques, spectacles, jeux, cafés, églises et autres lieux publics ».

L’article L. 2215-1 du code général des collectivités territoriales permet, par ailleurs, au préfet de « prendre, pour toutes les communes du département ou plusieurs d’entre elles, et dans tous les cas où il n’y aurait pas été pourvu par les autorités municipales, toutes mesures relatives au maintien de la salubrité, de la sûreté et de la tranquillité publiques ». Ce droit ne peut être exercé par le représentant de l’État dans le département à l’égard d’une seule commune qu’après une mise en demeure au maire restée sans résultat.

Le maire peut, par exemple, interdire provisoirement, par mesure de sécurité et après avis des hommes de l’art, l’accès d’une église aux fidèles lorsque cette sécurité est menacée par l’état de délabrement de l’édifice (17).

La fermeture momentanée peut être justifiée également par des troubles graves et imprévus, par un incendie ou tout autre sinistre. Mais le maire ne saurait invoquer la nécessité de prévenir des troubles que le simple exercice de ses pouvoirs de police lui permettrait de réprimer (18).

De fait, le maire peut décider d’interdire une réunion publique à la triple condition de l’existence d’un risque de troubles graves à l’ordre public, de l’insuffisance des forces de police disponibles pour y faire face et de la proportionnalité de la mesure d’interdiction face aux risques de troubles (19).

Dans le cadre de l’état d’urgence, l’article 8 de la loi du 3 avril 1955 prévoit que le ministre de l’Intérieur pour l’ensemble du territoire, et le préfet dans le département, peuvent ordonner la fermeture provisoire des salles de spectacles, débits de boissons et lieux de réunion de toute nature. La quatrième loi de prorogation de l’état d’urgence (20) a précisé qu’étaient en particulier concernés par cette mesure de police administrative les lieux de culte au sein desquels sont tenus des propos constituant une provocation à la haine ou à la violence ou une provocation à la commission d’actes de terrorisme ou faisant l’apologie de tels actes.

Il convient par ailleurs de souligner que le ministre de l’Intérieur et le préfet peuvent également interdire les réunions de nature à provoquer ou à entretenir le désordre.

Depuis que l’état d’urgence a été décrété le 14 novembre 2015, la fermeture provisoire de sites ou de lieux de réunion a été ordonnée à huit reprises, selon les données transmises par le ministère de l’Intérieur à la commission des Lois.

2. Le droit proposé

L’article 3 prévoit de renforcer les dispositions de droit commun relatives aux mesures administratives de dissolution d’associations et de fermeture de lieux de culte, afin de lutter plus efficacement contre la prédication subversive.

a. La dissolution des associations responsables de lieux de culte où la prédication est subversive

L’article 3 propose de compléter la liste des motifs justifiant la dissolution d’une association ou d’un groupement de fait dressée à l’article L. 212-1 du code de la sécurité intérieure, afin d’y inclure les associations responsables d’un lieu de culte où la prédication est subversive.

Si les associations qui provoquent à la discrimination, à la haine ou à la violence envers un groupe de personnes en raison de leur non-appartenance à une religion, ainsi que les associations qui se livrent sur le territoire français à des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l’étranger sont déjà visées dans le code de la sécurité intérieure, il importe en effet, au regard des comportements adoptés par certains, d’aller plus loin, en visant de façon spécifique la prédication subversive, dont le champ s’avère plus large que la seule incitation à la haine ou à la violence.

b. La fermeture provisoire des lieux de culte où la prédication est subversive

L’article 3 prévoit de compléter le titre II du livre II du code de la sécurité intérieure, consacré à la lutte contre le terrorisme et les atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation, afin d’y inclure un chapitre VI, relatif à la fermeture des lieux de culte.

S’inspirant des mesures prévues à l’article 8 de la loi du 3 avril 1955 relative à l’état d’urgence, il propose d’insérer dans ce nouveau chapitre un article conférant au ministre de l’Intérieur, pour l’ensemble du territoire, et au préfet, dans le département, le pouvoir d’ordonner la fermeture provisoire des lieux de culte où la prédication est subversive.

Votre rapporteure insiste sur le caractère provisoire de la mesure ainsi ordonnée : un même lieu cultuel doit pouvoir, par la suite, accueillir des activités ne relevant pas de la nouvelle incrimination de prédication subversive.

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* *

Contre l’avis défavorable de la rapporteure, la Commission adopte l’amendement CL14 de M. Pascal Popelin.

En conséquence, l’article 3 est supprimé.

Les amendements CL9 de M. Sébastien Huyghe, CL19 de la rapporteure, CL6 et CL7 de M. Jacques Bompard n’ont plus d’objet.

Article 4
(art. 706-23 du code de procédure pénale)

Possibilité pour le juge des référés d’ordonner l’arrêt d’un service de communication au public en ligne en cas de prédication subversive

Cet article a pour objet de confier au juge des référés la possibilité de prononcer l’arrêt d’un site Internet qui se fait le relais de prédications subversives.

Il vise à compléter un arsenal de lutte contre les sites diffusant des contenus illicites qui n’a cessé de s’étendre et de se renforcer depuis sa mise en place par la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique, avec une intensité accrue depuis 2014 s’agissant de l’apologie et de la provocation au terrorisme sur Internet, qui contribuent à la propagande et au recrutement de djihadistes et de terroristes.

Complétée par des incriminations qui visent à réprimer la consultation habituelle de sites dont les contenus sont particulièrement dangereux (pédopornographie (21) et provocation et apologie du terrorisme (22)), la palette des outils de lutte contre la diffusion de contenus illicites va du simple retrait – consistant à enlever ces contenus – au déréférencement, au blocage interdisant l’accès des sites Internet sur le territoire national (23), jusqu’à l’interruption de l’accès sans demande de retrait préalable.

Cette dernière procédure repose notamment sur la possibilité confiée au juge des référés d’ordonner l’arrêt d’un service de communication au public en ligne en cas de trouble manifestement illicite, à la demande du ministère public ou de toute personne – physique ou morale – ayant intérêt à agir. Les contenus ainsi visés sont relatifs à :

– la provocation à la commission d’infractions et leur apologie, l’apologie de crimes de guerre ou contre l’humanité, la provocation à la discrimination et à la haine et la contestation de crimes contre l’humanité, délits énumérés aux articles 24 et 24 bis de la loi du 29 juillet 1881 ;

– la provocation à la commission d’actes terroristes et leur apologie, délits mentionnés à l’article 421-2-5 du code pénal.

Dans le premier cas, la procédure trouve son fondement dans l’article 50-1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Dans le second cas, en conséquence du transfert des délits de provocation et d’apologie du terrorisme de l’article 24 de la loi du 29 juillet 1881 vers l’article 421-2-5 du code pénal, elle est inscrite à l’article 706-23 du code de procédure pénale.

Tirant les conséquences de la création du délit de prédication subversive dans le code pénal, l’article 4 de la présente proposition de loi dispose que la procédure d’arrêt d’un service de communication au public en ligne prévue à l’article 706-23 du code de procédure pénale trouve également à s’y appliquer.

Il s’agit ainsi de permettre de réagir rapidement aux messages de prédication subversive diffusés sur Internet.

*

* *

Contre l’avis défavorable de la rapporteure, la Commission adopte les amendements identiques CL8 de M. Jacques Bompard et CL15 de M. Pascal Popelin.

En conséquence, l’article 4 est supprimé.

L’amendement CL20 de la rapporteure n’a plus d’objet.

Titre

La Commission rejette l’amendement CL1 de M. Jacques Bompard.

L’ensemble des articles ayant été rejetés, la proposition de loi est rejetée.

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* *

En conséquence, la commission des Lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République vous demande de rejeter la proposition de loi pénalisant la prédication subversive (n° 4016).

TABLEAU COMPARATIF

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Dispositions en vigueur

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Texte de la proposition de loi

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Conclusions de la Commission

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Proposition de loi pénalisant la prédication subversive

Proposition de loi pénalisant la prédication subversive

Code pénal

Article 1er

Article 1er

Section 1

   

De l’attentat et du complot

À l’intitulé de la section 1 du chapitre II du titre 1er du livre IV du code pénal, les mots : « et du complot » sont remplacés par les mots : « , du complot et de la prédication subversive ».

Supprimé

amendement CL12

 

Article 2

Article 2

 

La même section du même chapitre du même titre du même livre est complétée par un article 412-2-1 ainsi rédigé :

Supprimé

amendement CL13

 

« Art. 412-2-1. – Constitue une prédication subversive le prêche, l’enseignement ou la propagande, par des paroles ou des écrits publics et réitérés, d’une idéologie qui fait prévaloir l’interprétation d’un texte religieux sur les principes constitutionnels et fondamentaux de la République.

 
 

« L’auteur de la prédication subversive est celui qui prêche ou enseigne cette idéologie, ou qui diffuse par tous moyens de propagande le prêche ou l’enseignement de cette idéologie. Il est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.

 
 

« Est passible de complicité toute personne qui assiste volontairement et régulièrement au prêche ou à l’enseignement de cette idéologie, ou qui consulte volontairement et régulièrement des services de communication au public en ligne diffusant cette idéologie.

 
 

« Le complice d’une prédication subversive est puni de trois ans d’emprisonnement et de 50 000 euros d’amende. »

 
 

Article 3

Article 3

Code de la sécurité intérieure

Le code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :

Supprimé

amendement CL14

Art. L. 212-1. – Sont dissous, par décret en conseil des ministres, toutes les associations ou groupements de fait :

   

1° Qui provoquent à des manifestations armées dans la rue ;

   

2° Ou qui présentent, par leur forme et leur organisation militaires, le caractère de groupes de combat ou de milices privées ;

   

3° Ou qui ont pour but de porter atteinte à l'intégrité du territoire national ou d'attenter par la force à la forme républicaine du Gouvernement ;

   

4° Ou dont l'activité tend à faire échec aux mesures concernant le rétablissement de la légalité républicaine ;

   

5° Ou qui ont pour but soit de rassembler des individus ayant fait l'objet de condamnation du chef de collaboration avec l'ennemi, soit d'exalter cette collaboration ;

   

6° Ou qui, soit provoquent à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, soit propagent des idées ou théories tendant à justifier ou encourager cette discrimination, cette haine ou cette violence ;

   

7° Ou qui se livrent, sur le territoire français ou à partir de ce territoire, à des agissements en vue de provoquer des actes de terrorisme en France ou à l'étranger.

I. – À l’article L. 212-1, après le 7° est inséré un 8° ainsi rédigé :

 
 

« 8° Ou qui sont responsables d’un lieu de culte où la prédication est subversive au sens de l’article 412-2-1 du code pénal. » ;

 

Le maintien ou la reconstitution d'une association ou d'un groupement dissous en application du présent article, ou l'organisation de ce maintien ou de cette reconstitution, ainsi que l'organisation d'un groupe de combat sont réprimées dans les conditions prévues par la section 4 du chapitre Ier du titre III du livre IV du code pénal.

   
 

II. – Le titre II du livre II est complété par un chapitre VI ainsi rédigé :

 
 

« Chapitre VI

 
 

« Fermeture de lieux de culte

 
 

« Art. L. 224-1. – Le ministre de l’intérieur, pour l’ensemble du territoire et le préfet, dans le département, peuvent ordonner la fermeture provisoire des lieux de culte où la prédication est subversive au sens de l’article 412-2-1 du code pénal. »

 
 

Article 4

Article 4

Code de procédure pénale

L’article 706-23 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :

Supprimé

amendements CL8 et CL15

Art. 706-23. – L'arrêt d'un service de communication au public en ligne peut être prononcé par le juge des référés pour les faits prévus à l'article 421-2-5 du code pénal lorsqu'ils constituent un trouble manifestement illicite, à la demande du ministère public ou de toute personne physique ou morale ayant intérêt à agir.

« L’arrêt d’un service de communication au public en ligne peut être prononcé par le juge des référés pour les faits prévus aux articles 412-3 et 421-2-5 du code pénal, à la demande du ministère public ou de toute personne physique ou morale ayant intérêt à agir. »

 

PERSONNES ENTENDUES PAR LA RAPPORTEURE

• Ministère de l’intérieur

o Service central du renseignement territorial

—  M. Jérôme Leonnet, inspecteur général

o Direction des libertés publiques et des affaires juridiques

—  M. Thomas Campeaux, directeur

—  M. Éric Tison, sous-directeur

• Ministère de la justice – Direction des affaires criminelles et des grâces

—  Mme Caroline Nisand, adjointe au directeur

—  M. Vincent Sizaire

—  Mme Clémence Meyer

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