N° 4549 - Rapport de Mme Karine Daniel sur la proposition de résolution européenne de MM. Jean-Luc Bleunven et Michel Piron, rapporteur de la commission des affaires européennes sur l'avenir de la politique agricole commune après 2020 (n°4475).




N
° 4549

______

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale le 22 février 2017

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES

SUR LA PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

sur l’avenir de la politique agricole commune après 2020 (n° 4475).

PAR Mme Karine DANIEL

Députée

——

Voir le numéro : 4475

Avertissement

Un groupe de travail commun à la commission des affaires économiques et à la commission des affaires européennes a été constitué.

Il était composé :

- de Mme Danielle Auroi, MM. Jean Luc Bleunven, Yves Daniel, Hervé Gaymard, Jérôme Lambert, Philippe Armand Martin et Michel Piron, désignés par la commission des affaires européennes ;

- de MM. Thierry Benoit, André Chassaigne, Mmes Karine Daniel, Jeanine Dubié, MM. Daniel Fasquelle, Antoine Herth, Hervé Pellois et Dominique Potier, désignés par la commission des affaires économiques.

Les rapports publiés par la commission des affaires économiques et par la commission des affaires européennes sont donc identiques. Seul le texte de la proposition de résolution diffère.

SOMMAIRE

___

Pages

SYNTHÈSE DU RAPPORT 7

SUMMARY OF THE REPORT 9

INTRODUCTION 11

PREMIÈRE PARTIE : LE CONTEXTE ACTUEL 15

I. LA PAC POST-2013 15

A. OBJECTIFS ET DÉFIS DE LA PAC 16

1. Cinq objectifs inchangés depuis 1957 16

2. Les trois défis de la PAC post-2013 17

a. Aux défis de la sécurité alimentaire répond l’objectif d’une production alimentaire viable 17

b. Aux défis de l’environnement et du changement climatique répondent l’objectif d’une gestion durable des ressources naturelles et des mesures en faveur du climat 17

c. Le défi et l’objectif d’équilibre territorial 18

B. UNE RECONFIGURATION DES OUTILS 18

1. Un premier pilier reconfiguré 18

a. Le droit à paiement de base, un filet de sécurité 19

b. Le paiement vert 19

c. Le paiement supplémentaire pour les jeunes agriculteurs 20

d. Les paiements facultatifs 21

2. Un second pilier « développement rural » à la carte 24

a. Des priorités diversement mises en œuvre à l’échelon national et régional 24

b. Des outils extrêmement nombreux au choix des États membres 26

3. Des priorités qui se traduisent budgétairement 29

a. La programmation budgétaire 2014-2020 29

b. Les transferts entre les deux piliers 31

II. DES FAIBLESSES DÉJÀ IDENTIFIÉES 32

A. UNE PAC PEU LISIBLE 33

1. La complexité 33

2. L’efficacité environnementale en question 35

B. UNE PAC DE MOINS EN MOINS COMMUNE 40

1. Vers une nationalisation de la PAC 40

2. La difficile convergence européenne 40

III. RÉPONDRE AUX ENJEUX DE COURT TERME 42

A. LE DÉFI DU « BREXIT » ET L’INCERTITUDE BUDGÉTAIRE 42

B. LE RÈGLEMENT « OMNIBUS » : UNE OPPORTUNITÉ POUR RÉORIENTER LA PAC ACTUELLE 43

DEUXIÈME PARTIE : QUELLES PRIORITÉS POUR L’AGRICULTURE DE DEMAIN ? 45

I. GARANTIR DES PRIX ET DES REVENUS AGRICOLES 46

A. PALLIER LA VOLATILITÉ DES PRIX ET DES REVENUS 46

1. Les faits : une volatilité inhérente à la production agricole 46

2. Des causes multiples 49

3. Une gestion des risques encore limitée dans l’Union européenne 51

B. RESTAURER LA PLACE DES PRODUCTEURS DANS LA CHAÎNE DE PARTAGE DE LA VALEUR AJOUTÉE 53

1. Assurer une balance commerciale positive et créer de la valeur 53

2. Rééquilibrer les relations commerciales avec l’aval de la filière 55

II. DÉFINIR UN MODÈLE AGRICOLE ATTRAYANT POUR LES FUTURES GÉNÉRATIONS 56

A. LE DÉFI DU RENOUVELLEMENT DES GÉNÉRATIONS ET DE LA TRANSMISSION DES EXPLOITATIONS 56

1. Le défi du renouvellement des générations 56

2. La difficulté d’accès à l’installation est la source du blocage 58

B. AMÉLIORER LA COMPÉTITIVITÉ DES EXPLOITATIONS 59

1. L’innovation au service de la compétitivité 59

2. Tirer profit de la diversité des exploitations 61

III. RÉMUNÉRER LES BIENS PUBLICS ENVIRONNEMENTAUX ET SOCIAUX FOURNIS PAR LES AGRICULTEURS ET RAPPROCHER L’AGRICULTURE DES ATTENTES SOCIÉTALES 62

A. L’AGRICULTURE, COLONNE VERTÉBRALE DE LA REVITALISATION RURALE 63

1. L’enjeu de la ruralité 63

2. La priorité à l’emploi 64

B. POUR L’ENVIRONNEMENT 65

1. Agriculture et atteintes à l’environnement : responsable et première victime 65

2. L’agriculture constitue un lever d’action à privilégier 67

C. POUR LES CONSOMMATEURS 69

1. Restaurer la confiance des consommateurs par la traçabilité 69

2. Produire une alimentation de qualité 70

TROISIÈME PARTIE : QUELS INSTRUMENTS POUR LA PAC DE DEMAIN ? 73

I. ADAPTER LES OUTILS EXISTANTS AU NOUVEAU CONTEXTE DE VOLATILITÉ : UNE PRIORITÉ 74

A. LES INSTRUMENTS EXISTANTS DOIVENT ÊTRE MIEUX MIS EN œUVRE 74

1. Les instruments liés à des filières spécifiques 74

2. Les instruments globaux 76

3. Une faible utilisation des outils actuels 80

a. L’assurance-récolte 80

b. Les fonds de mutualisation 80

c. L’instrument de stabilisation des revenus 81

B. LES AIDES CONTRACYCLIQUES DEMEURENT UN CHOIX COÛTEUX AUX EFFETS INCERTAINS 82

1. L’exemple du « Farm Bill » 82

2. Les conditions d’efficacité d’un programme d’aides contracycliques 84

C. UN PANEL D’OUTILS ADAPTÉ À LA PLURALITÉ DES SITUATIONS EST NÉCESSAIRE 88

1. Les mécanismes assurantiels : une complexité accrue porteuse de risques 88

2. Les fonds de mutualisation 91

3. Les instruments de stabilisation des revenus : un usage à encourager 92

4. Les autres instruments financiers : des outils insuffisamment adaptés 92

II. CONSTRUIRE UNE PAC TRIPLEMENT PERFORMANTE : UNE NÉCESSITÉ 93

A. LA COMPÉTITIVITÉ 93

1. Encourager l’économie d’intrants 94

2. La traçabilité et la stratégie de marques pour le gain de parts de marché 95

3. Investissement et accès au crédit 96

B. LA PRÉSERVATION DE L’ENVIRONNEMENT 97

1. La préservation des terres : l’outil de la productivité de demain 98

2. Un complément nécessaire : la confiance envers les producteurs 99

3. L’agroécologie 100

C. UNE PAC INTENSIVE EN EMPLOIS DURABLES 101

1. Assurer un taux d’emploi compatible avec le maintien de l’activité dans les zones rurales 101

2. Renouveler les travailleurs de la terre 104

3. Maintenir des emplois dans les zones vulnérables 107

III. DES FILIÈRES EFFICACES, ÉQUITABLES ET ÉQUILIBRÉES : UN ATOUT INDISPENSABLE 107

A. TRANSPARENCE ET DÉFINITION DE STRATÉGIES 107

B. LE RÉÉQUILIBRAGE DE LA CHAÎNE DE PRODUCTION 109

IV. UNE PAC RÉACTIVE, INNOVANTE ET FONDÉE SUR LA CONFIANCE : UNE PERSPECTIVE D’ADHÉSION RENFORCÉE DES AGRICULTEURS 114

A. UNE PAC PLUS LISIBLE 114

1. Préférer la lisibilité à la simplification 114

2. Clarifier l’application des règles de la concurrence au secteur agricole 116

a. Les capacités d’organisation des producteurs 118

b. La lutte contre les risques d’abus de position dominante 121

c. Une nécessaire harmonisation des concepts 122

B. UNE PAC PLUS INTÉGRÉE 124

1. Le rôle des instances locales et nationales 124

2. Les acteurs locaux 125

3. Un « recouplage » des aides ? 126

C. UNE PAC PLUS INNOVANTE 127

TRAVAUX DE LA COMMISSION 131

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE 143

MOTION FOR A EUROPEAN RESOLUTION 149

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LES RAPPORTEURS 153

SYNTHÈSE DU RAPPORT

Ce rapport, issu d’une tradition fructueuse de collaboration entre la commission des Affaires européennes et la commission des Affaires économiques, est le fruit du constat suivant : alors que la PAC issue de la dernière réforme de 2013 n’est applicable que depuis 2 ans et que l’on ne peut encore en dresser un bilan exhaustif, la mise en place du prochain cadre financier pluriannuel (2020) sera sans doute l’occasion d’une nouvelle réforme. Les rapporteurs ont donc souhaité engager un effort de prospective pour peser au mieux sur les négociations à venir. Ces réflexions ne sont toutefois pas dénuées de portée à court terme, puisque le « Brexit », tout comme le règlement dit « omnibus » récemment proposé par la Commission européenne, sont autant d’opportunités de pallier certains dysfonctionnements déjà identifiés sous le régime de la PAC actuelle.

L’agriculture européenne à venir sera profondément marquée par la volatilité grandissante des prix et par les orientations prises par la PAC. Les rapporteurs souhaitent qu’émergent des exploitations stabilisées, résilientes, rajeunies mais toujours diverses, capables d’assurer tant la sécurité alimentaire des citoyens de l’Union que la fabrication de produits d’une qualité sanitaire irréprochable.

Pour ce faire, il ne s’agit pas de revoir les objectifs historiques de la PAC, qui conservent toute leur actualité : l’assurance d’un revenu pour les agriculteurs, d’un prix accessible pour les consommateurs, d’une agriculture compétitive susceptible de garantir l’autosuffisance alimentaire européenne. Mais il faut prendre acte des nouveaux contextes économiques et sociaux dans lesquels évoluent désormais les agriculteurs.

Les rapporteurs estiment que la PAC doit répondre à trois attentes :

– les attentes des agriculteurs en premier lieu. Ceux-ci doivent pouvoir bénéficier d’un revenu stable et d’une visibilité économique, qui leur fait fortement défaut à l’heure actuelle, en témoigne la crise laitière européenne de ces dernières années. Ils doivent également bénéficier d’une politique publique lisible et claire, au sein de laquelle tous les outils, qu’il s’agisse des instruments de stabilisation des revenus ou des structures de négociation collective au sein de la branche alimentaire, doivent être susceptibles d’être utilisés dans le respect des règles de la concurrence ;

– les attentes des consommateurs citoyens, ensuite. Ceux-ci doivent pouvoir bénéficier de produits dont ils peuvent identifier la composition, mais aussi l’origine. Les rapporteurs estiment que le citoyen européen doit également pouvoir attester de l’impact de la PAC, notamment en matière de lutte contre le dérèglement climatique, de préservation de la biodiversité ou de la durabilité des sols ;

– les attentes des acteurs appartenant au secteur agricole au sens large. Pour qu’une telle politique publique puisse obtenir des résultats et s’inscrire dans une logique de performance sociale et environnementale, elle doit, tant dans son élaboration que dans sa mise en œuvre, s’appuyer sur de larges principes de confiance réciproque entre les acteurs et de mise en place d’indicateurs simples et mesurables pour accompagner la contribution des agriculteurs européens aux biens publics.

Les rapporteurs ont tenu à se garder des réponses linéaires ou simples d’apparence. L’intégration des compagnies d’assurance privées dans la gestion de la volatilité ou la mise en place d’aides contracycliques leur sont apparues comme des solutions risquées. À l’inverse, le travail sur les outils existants, tels que l’instrument de stabilisation des revenus, leur paraît pertinent.

Pour le renouvellement générationnel, là encore, les rapporteurs se sont forgé la conviction qu’il n’existait pas de solution miracle, mais que seul un panel d’outils – de l’amélioration de l’accès au crédit à la limitation des aides aux seuls actifs agricoles – pourrait éviter les conséquences dramatiques des futurs départs massifs à la retraite.

Enfin, le maître mot de la prochaine réforme de la PAC doit être davantage la lisibilité et non la simplification que la Commission européenne souhaite engager. Trop souvent, les agriculteurs ont eu la sensation que la simplification se faisait à leur détriment et en faveur d’une uniformisation mal adaptée à la diversité de l’agriculture européenne. Ils pourraient donc bien plus bénéficier d’une lisibilité accrue pour ce qui est de l’éligibilité aux aides, de la mise en œuvre des règles de concurrence et enfin de la stabilité des politiques agricoles, qui ne doivent pas plus suivre la logique du « grand soir » que celle de l’absence totale de règles. Les agriculteurs seront en effet les premiers partisans d’un maintien du budget en l’état et d’une stabilité politique de la PAC.

SUMMARY OF THE REPORT

Long-standing, fruitful cooperation between the foreign affairs committee and the economic affairs committee led to this report that is based on the following observation : at a time when the CAP resulting from its last reform, in 2013, is still only half way through its implementation and as it cannot yet be assessed comprehensively, the establishment of the next Multi-annual Financial Framework will no doubt be the opportunity for a new reform. Your rapporteurs therefore desired to engage in prospective analysis so as to influence as best as possible the future negotiations. This analysis does however have some short-term scope, since the negotiations on Brexit, and also on the so-called Omnibus regulation, are both opportunities to compensate some shortcomings already identified under the current CAP regime.

Future European agriculture within the next ten years will be deeply marked by the economic context of growing price volatility and the CAP orientations. Your rapporteurs desire that stabilised, resilient and rejuvenated agricultural holdings come into being, while always remaining diverse and capable of ensuring both food security for EU citizens and the production of products of irreproachable safety.

To achieve this doesn’t require overhauling the CAP’s historic goals, which are still fully valid today : the assurance of an income for farmers, an accessible price for consumers, competitive agriculture ensuring European food self-sufficiency. Yet account must be taken of the new economic and social contexts in which farmers now live.

Your rapporteurs consider that the CAP must respond to three expectations :

– the expectation of farmers in the first instance. The latter must benefit from a stable income and economic visibility which they cruelly lack at present, as evidenced by the European dairy crisis of recent years. They must also benefit from a clear and coherent public policy, within which all the tools, whether income stabilisation instruments or collective bargaining structures in the food sector, can be used without any risk of being compromised with regard to compliance with competition rules ;

– the expectation of socially responsible citizens, next. The latter must benefit from products with an identifiable composition and origin. Your rapporteurs feel that the European tax-payer must also be in a position to attest to the impact of the CAP, especially as regards the fight against climate change, preservation of biodiversity or soil sustainability ;

– the expectation of players of the agricultural sector broadly speaking. For such a public policy to obtain results and fit into a logic of social and environmental performance, it must, both in its establishment and implementation, be based on broad principles of reciprocal confidence between the public players and the establishment of simple and measurable indicators to accompany the constitution of public goods by European farmers ;

Your rapporteurs have guarded against responses that are linear or simple in appearance. Bringing private insurance companies into the management of volatility or the establishment of counter-cyclical aids appeared to be risky solutions to their minds. In contrast, they feel that the work on existing tools, such as the income stabilisation instrument, is relevant.

Turning to generational renewal, here again your rapporteurs are convinced that there is no miracle solution, but that only an appropriate panel of tools, ranging from improving credit access to restrictions on aid to agricultural workers alone, could avoid the dramatic consequences of future massive retirements.

Last, according to your rapporteurs, the watchword of the next CAP reform should be clarity rather than simplification which the European Commission wishes to start. Too often, farmers have felt that simplification was being introduced to their detriment and in favour of standardisation ill-adapted to the diversity of European agriculture. They could therefore benefit far more from greater clarity as regards eligibility for aid, the implementation of competition rules and, last, the stability of agricultural policies, which must not revolutionise the present CAP structure any more than being based on the total absence of rules. Farmers will indeed be the primary supporters of maintenance of the budget as such and of political stability as regards CAP implementation.

INTRODUCTION

Suite au choix démocratique des citoyens britanniques de sortir de l’Union européenne, nous faisons face à une situation inédite. Pour beaucoup, elle révèle la méfiance des populations européennes face à une Union qui n’aurait pas su relever le défi d’une forte intégration. Ce travail suit de près la sortie du rapport sur les suites du référendum britannique et le suivi des négociations présidé par M. Claude Bartolone. Vos députés s’en sont pleinement saisis pour lancer un appel à plus d’Europe. Il nous apparaît essentiel de poursuivre le projet européen au travers de politiques communes fortes. Nous sommes convaincus qu’elles sont dans l’intérêt de l’ensemble des Européens à l’instar de la politique agricole commune.

Fondée dès 1957 avec le traité de Rome et mise en place en 1962, cette première politique commune de l’Union européenne s’est construite avec pour objectif la sécurité alimentaire des Européens après la guerre. Aujourd’hui, elle a relevé le défi de l’autosuffisance alimentaire pour ses 510 millions de citoyens. En 2015, les exportations de produits agroalimentaires atteignaient un montant de 129 milliards d’euros, plaçant l’Union européenne en position de premier exportateur mondial. Cette réussite, nous la devons à une politique volontariste de l’Union. Sur la période 2014-2020, la politique agricole commune (PAC) mobilise 39 % du budget de l’Union. Avec 11 millions d’exploitations réparties sur l’ensemble du territoire européen, l’agriculture permet l’emploi de 9,2 millions d’Européens. L’industrie agroalimentaire compte, quant à elle, 5 millions d’emplois. Pour saisir au mieux l’impact de l’agriculture sur nos territoires, il faut prendre en compte les emplois indirects. Ce sont plus de 46 millions d’Européens qui sont concernés de près ou de loin par le secteur agricole. Près d’un citoyen européen sur cinq vit en zone rurale. Plus que la production alimentaire, le secteur agricole contribue à son environnement.

Depuis 1957, la PAC a connu de fortes évolutions, sans changer ses principes fondamentaux, pour s’adapter aux défis conjoncturels et aux mutations du secteur agricole. La deuxième grande réforme, intervenue en 2013, a ainsi intégré parmi les principes fondamentaux de la PAC les considérations de respect de l’environnement, de la sécurité alimentaire et du développement rural. C’est un tournant vers des objectifs de pérennité et de qualité agricole. En 2007, le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, dit Traité de Lisbonne, a modifié la gouvernance de la PAC. Il a posé le principe de codécision. Si la Commission européenne conserve son pouvoir d’initiative, les règlements concernant le cadre politique de la PAC sont adoptés en accord entre le Parlement européen et le Conseil des ministres.

Le présent rapport intervient alors que la réforme de 2013 est en cours d’application. Il ne sera pas l’objectif de vos rapporteurs d’en faire un bilan. Il n’aurait su être exhaustif et serait venu en confrontation avec un travail qui a encore le temps de porter ses fruits.

Issu d’une collaboration fructueuse entre la commission des Affaires européennes et la commission des Affaires économiques de l’Assemblée nationale, ce rapport est la traduction d’une volonté de prospective. La mise en place du prochain cadre financier pluriannuel en 2020 sera sans doute l’occasion d’une nouvelle réforme de la PAC. Il s’agit alors pour vos rapporteurs d’apporter à la France les outils de la négociation à venir avec pour objectif de faire prospérer l’agriculture européenne. Cependant, au regard du calendrier à venir, et notamment, des élections européennes en 2019, il est apparu pertinent pour vos rapporteurs que le calendrier de cette réforme puisse être repoussé à 2023. Il semble difficile qu’un Parlement, nouvellement élu, puisse opérer une telle réforme en si peu de temps et en pleine connaissance de cause.

Ce rapport a aussi une vocation plus immédiate. La sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne pourrait avoir des conséquences lourdes sur l’agriculture européenne et sur la PAC selon le résultat des négociations à venir. Lors de nos auditions, les associations et syndicats ont fait part de leurs inquiétudes à vos rapporteurs. Nous souhaitons donner à la France toutes les composantes de cette situation inédite pour peser au mieux dans les négociations.

De même, la volonté de la Commission européenne de simplifier la PAC au travers une révision de mi-parcours dite règlement « omnibus », est pour vos rapporteurs une occasion pour déjà venir pallier des dysfonctionnements observés. En premier lieu, les auditions menées ont fait apparaître un besoin pour les agriculteurs d’une PAC plus lisible. Le financement de la PAC est assuré par deux fonds. Le premier pilier est dédié aux actions agricoles et se découpe en sept composantes. Le second pilier, le « FEADER » (Fonds européen pour le développement rural), consacré au développement rural est composé de plus d’une cinquantaine d’outils aux choix des États membres. Il est en vite apparu à vos rapporteurs que la multiplicité des dispositifs rendait parfois illisibles les aides pour les agriculteurs.

Le travail de vos rapporteurs a conduit à mener trente-six auditions à Paris et Bruxelles pour esquisser des réponses à ces défis. Nous avons tenu à pouvoir rencontrer l’ensemble des acteurs de la filière agricole qu’ils soient élus, syndicats, associations ou administrations. La richesse de ces auditions nous a permis d’envisager plusieurs scénarios pour l’avenir de la PAC. L’ambition de vos rapporteurs n’est pas de proposer une solution miracle aux défis de l’agriculture. Nous avons acquis la conviction que la diversité des outils est plus adaptée aux spécificités des différentes filières. La complexité est une nécessité qui doit cependant faire preuve de la plus grande transparence pour assurer la lisibilité des outils aux agriculteurs. De même, les outils laissés au choix des États membres ne peuvent être pertinents lorsqu’ils deviennent la cause de la concurrence au sein de l’Union européenne. Il est apparu essentiel de pouvoir construire une vision stratégique transparente par filière et États membres pour que les outils de la PAC soient adaptés aux besoins de l’agriculture. Vos rapporteurs plaident enfin pour que les aides de la PAC soient attribuées selon une logique de résultat et non plus de moyen qui, souvent, n’encouragent pas à poursuivre les efforts, notamment en matière environnementale.

Le travail de vos rapporteurs a été d’identifier les défis que devront relever l’agriculture de demain et la PAC. Aujourd’hui, du fait des orientations de la PAC, l’agriculture européenne est confrontée à une volatilité croissante des prix et revenus. L’agriculture a cette particularité de ne pas pouvoir se fonder sur les règles de concurrence pure et parfaite. La PAC devra mobiliser et approfondir ses outils pour stabiliser les revenus des agriculteurs. De même, cet objectif ne pourra être assuré qu’avec une répartition plus équitable de la valeur ajoutée au sein de la chaîne de production. Il est apparu primordial à vos rapporteurs que des organisations fortes de producteurs puissent être construites afin de peser dans les négociations.

Il sera aussi essentiel de pouvoir répondre aux défis de la qualité environnementale et sanitaire pour satisfaire aux désirs des citoyens européens en faveur d’une meilleure traçabilité et qualité des produits pour assurer la pérennité de l’agriculture. Vos rapporteurs ont acquis la conviction que ces objectifs permettront à l’agriculture européenne d’être créatrice de productivité et de restaurer la confiance avec les citoyens. C’est aussi nécessaire pour la pérennité des terres et de l’environnement.

La future PAC devra enfin permettre à l’agriculture européenne de se rajeunir. C’est indispensable pour sa pérennité. Aujourd’hui, la moyenne d’âge des agriculteurs est de 57 ans. Le vieillissement de la population agricole et la difficulté à la rajeunir sont un risque majeur pour l’avenir d’une agriculture à taille humaine. Avec ce rajeunissement, c’est aussi la question de l’innovation que la PAC devra relever.

Les dysfonctionnements observés et rapportés lors des auditions devront être palliés lors de la réforme de la PAC ou dès les négociations autour du règlement « omnibus ». Afin d’éclairer les Français, vos rapporteurs ont formulé, à l’issue de ce travail, quinze recommandations.

Votre rapporteure émet donc un avis favorable à l’adoption de la proposition de résolution européenne.

PREMIÈRE PARTIE :
LE CONTEXTE ACTUEL

Formuler des propositions sur l’avenir de la politique agricole commune (PAC) après 2020, c’est-à-dire à l’issue du cadre financier pluriannuel qui a actuellement cours depuis 2014, nécessite d’abord de faire état de la dernière réforme de la PAC.

Les objectifs de la PAC sont restés inchangés depuis sa création mais les priorités et les outils mis en œuvre ont évolué dans le sens d’une diminution des interventions directes sur les prix ainsi que d’une déconnexion entre le soutien direct et l’acte de production. La dernière réforme avait pour ambition de réallouer les aides directes du premier pilier en faveur de paiements « ciblés, équitables et écologiques » et de faire du « verdissement » de celles-ci la principale priorité. Le second pilier n’a jamais été aussi loin dans la subsidiarité : les mesures, de développement rural qu’il met en œuvre sont aujourd’hui à la disposition des États membres avec des conséquences importantes sur le processus de convergence européenne.

Il est trop tôt pour établir un bilan exhaustif mais il semble que la lisibilité et le « verdissement » attendus de la PAC n’aient pas produit tous leurs effets.

Les choix de la dernière réforme de la PAC s’appliqueront a minima jusqu’en 2020 mais l’incertitude – notamment budgétaire – engendrée par le « Brexit » (1) et les renouvellements du Parlement européen et de la Commission européenne en 2019 auront des conséquences sur la future PAC, dont la réforme pourrait être repoussée.

La Commission européenne a proposé devant le Conseil des ministres, en octobre 2016, un projet de règlement budgétaire dit « omnibus » (2). Il devrait être adopté d’ici quelques mois et sera probablement un véhicule intéressant pour corriger les faiblesses déjà identifiées de la PAC actuelle.

Les objectifs de la PAC sont scellés dans les traités et restés identiques depuis le traité de Rome en 1957. Seuls ses priorités et ses outils ont évolué.

La PAC était initialement centrée sur l’accroissement de la productivité afin d’approvisionner les consommateurs à des prix raisonnables tout en garantissant aux producteurs un revenu décent. Ces objectifs ont abouti à des impasses, du fait, notamment de la déconnexion des prix européens et mondiaux : excédents, dérive budgétaire, disparition des exploitations agricoles. Elle s’est ensuite concentrée sur le soutien aux productions, puis sur les bénéficiaires des aides, en déconnectant de plus en plus ces dernières de l’acte de production. Autant de mutations auxquelles s’est adapté le premier pilier de la PAC.

À la fin des années 1990 est apparue une nouvelle préoccupation de développement rural. La disparition des exploitations agricoles faisait en effet craindre un exode rural. Le second pilier de la PAC a alors progressivement regroupé les mesures promouvant les autres fonctions de l’agriculture : aménagement du territoire, entretien des paysages, biodiversité, lutte contre le changement climatique.

La réforme de 2013 s’inscrit dans le prolongement des réformes initiées depuis 2003 visant à déconnecter le soutien de l’acte de production. De nouvelles orientations sont introduites, en particulier le verdissement des aides. Ces nouvelles orientations permettent de mieux justifier l’importance des soutiens octroyés au secteur agricole, tout en répondant aux préoccupations des populations quant à la protection de l’environnement et au maintien de l’emploi dans les zones rurales.

La nouvelle PAC est toujours organisée en deux piliers mais les liens et la fongibilité entre ceux-ci sont renforcés.

Les priorités de la PAC sont précisées et il est notable que les facteurs exogènes à l’agriculture soient pris en considération dans l’identification des défis du secteur.

Article 39 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne

1. La politique agricole commune a pour but :

a) d’accroître la productivité de l’agriculture en développant le progrès technique, en assurant le développement rationnel de la production agricole ainsi qu’un emploi optimum des facteurs de production, notamment de la main-d’œuvre,

b) d’assurer ainsi un niveau de vie équitable à la population agricole, notamment par le relèvement du revenu individuel de ceux qui travaillent dans l’agriculture,

c) de stabiliser les marchés,

d) de garantir la sécurité des approvisionnements,

e) d’assurer des prix raisonnables dans les livraisons aux consommateurs.

2. Dans l’élaboration de la politique agricole commune et des méthodes spéciales qu’elle peut impliquer, il sera tenu compte:

a) du caractère particulier de l’activité agricole, découlant de la structure sociale de l’agriculture et des disparités structurelles et naturelles entre les diverses régions agricoles,

b) de la nécessité d’opérer graduellement les ajustements opportuns,

c) du fait que, dans les États membres, l’agriculture constitue un secteur intimement lié à l’ensemble de l’économie.

Dans une communication au Parlement européen, au Conseil, au Comité économique et social européen et au Comité des régions le 18 novembre 2010, intitulée : « La PAC à l’horizon 2020 : Alimentation, ressources naturelles et territoire - relever les défis de l’avenir », la Commission européenne a identifié les trois défis à relever par la PAC à l’horizon 2013 : la sécurité alimentaire, l’environnement et le changement climatique, l’équilibre territorial.

Les défis économiques de l’agriculture continuent à être, dans la PAC de 2013, la première source de préoccupation. Ceux-ci se sont multipliés : sécurité alimentaire et mondialisation, baisse de la productivité, volatilité des prix, pressions sur les coûts de production avec la hausse du prix des intrants, affaiblissement des agriculteurs dans la chaîne d’approvisionnement alimentaire. La Commission européenne a mis l’accent sur le soutien aux revenus, l’amélioration de la compétitivité et l’offre de compensations aux régions soumises à des contraintes spécifiques.

Les préoccupations environnementales se déclinent en un nombre toujours plus important de défis. La PAC de 2013 tente de réconcilier agriculture et environnement.

Les pressions de l’agriculture sur l’environnement sont atténuées par l’incitation à des méthodes de production plus durables. Alors même que les biens publics n’ont pas de valeur marchande, la fourniture conjointe de biens publics environnementaux par les agriculteurs est rémunérée.

Pour la Commission européenne, la croissance écologique passe par l’innovation.

Il est clairement tenu compte des effets du changement climatique afin d’inciter l’agriculture à y faire face.

Les régions rurales européennes sont confrontées à des changements démographiques, économiques et sociaux importants. L’exode rural et la disparition du tissu économique font reposer sur le secteur agricole la dynamique sociale de ces territoires.

L’équilibre territorial repose sur l’emploi, la diversification rurale et la diversité structurelle des systèmes agricoles.

Les agriculteurs ont le sentiment que les aides qui leur sont proposées sont complexes. Il s’agit d’une critique audible mais la complexité est également le résultat de la multiplication des objectifs assignés à la PAC – en particulier à travers le verdissement – et de la diversité des outils offerts dans le cadre du second pilier. Ceux-ci sont adaptés à la réalité de la diversité des exploitations européennes, ce qui a pour effet de développer une PAC « à la carte », par le développement de la subsidiarité, au péril de la convergence entre les États membres.

La PAC de 2013 a pour ambition de poursuivre la déconnexion entre le soutien et l’acte de production et de répondre à la critique d’une PAC subventionnant avant tout les grandes exploitations, mais aussi des propriétaires terriens absents, les agriculteurs n’étant pas obligés de justifier d’une production.

De nouvelles orientations sont actées avec, notamment, l’introduction du verdissement des aides (lié à la mise en œuvre de bonnes pratiques agronomiques et environnementales) et un meilleur soutien à l’installation des jeunes.

Les paiements uniques à l’exploitation sont remplacés par un système de paiements aux différentes fonctionnalités, avec sept composantes. Les trois premières composantes sont obligatoires, les quatre suivantes sont facultatives :

1. un paiement « de base » à l’hectare ;

2. un paiement « vert », complémentaire, soumis à des critères environnementaux modulés nationalement ;

3. un paiement « supplémentaire » pour les jeunes agriculteurs ;

4. un paiement « redistributif » permettant de renforcer le soutien pour les 52 premiers hectares d’une exploitation ;

5. un soutien « additionnel » aux revenus dans les zones soumises à des contraintes naturelles ;

6. un soutien « couplé » à la production en faveur de certaines zones ou types d’agriculture pour des raisons économiques ou sociales ;

7. un régime « simplifié » facultatif pour les petits agriculteurs, bénéficiant de paiements inférieurs à 1 250 euros.

Cette nouvelle configuration des aides du premier pilier est censée répondre à la critique de paiements « aveugles » à la situation particulière des exploitations et des exploitants. Ces paiements seraient, par cette décomposition, « ciblés, équitables et écologiques », ce qui permet aussi de mieux justifier l’importance des aides octroyées au secteur, dans un contexte – toujours d’actualité – de restrictions budgétaires.

Le droit à paiement de base remplace le droit à paiement unique. Il s’agit d’un paiement forfaitaire à l’hectare qui se fonde, pour les seuls agriculteurs actifs qui en font la demande, sur l’historique de ce que touchait l’exploitation en droits à paiement unique mais avec un montant à l’hectare devant progressivement s’uniformiser à l’échelle régionale et nationale d’ici à 2019, selon un processus de convergence interne aux États membres.

Les droits à paiement de base agissent comme un filet de sécurité en passant d’un soutien aux productions à un soutien aux producteurs. Ces aides sont déconnectées de la production mais elles correspondent désormais davantage à une logique de redistribution.

Ce paiement constitue une part essentielle du revenu des agriculteurs. La valeur indicative du droit à paiement de base en France en 2015 s’élevait à 132 € par hectare.

Ces droits à paiement de base constituent toujours un important soutien aux revenus des agriculteurs, en particulier dans le contexte actuel de volatilité des prix des productions et des revenus.

En complément du droit à paiement de base, 30 % des aides directes nationales sont réservées à des paiements verts. Ces paiements verts rémunèrent les pratiques agricoles favorables à l’environnement.

Ils sont soumis au respect de trois mesures : la diversification des cultures, le maintien du ratio de surfaces en prairies permanentes par rapport à la surface agricole utile totale et l’obligation de maintien de surfaces d’intérêt écologique (SIE).

L’objectif de la diversification des cultures est de limiter l’usage des pesticides auxquels la monoculture a davantage recours. La diversification de l’assolement permet d’avoir sur l’exploitation agricole une mosaïque de milieux diversifiés tout en encourageant la rotation des cultures qui permet de casser les cycles des adventices et des ravageurs. Pour satisfaire ce critère, les exploitations de moins de 30 hectares doivent produire au moins deux cultures et celles de plus de 30 hectares au moins trois, la plus grande culture ne devant pas occuper plus de 75 % de l’exploitation, et aucune culture ne devant occuper moins de 5 % de l’exploitation. Il a été considéré que les exploitations de moins de 10 hectares ayant des surfaces élevées en herbe ou en pâturage permanent étaient dispensées de ce critère, ce qui de fait a exclu beaucoup d’exploitations. Les variétés d’hiver et d’été de certaines cultures sont considérées comme deux cultures différentes, ce qui limite l’application de cette mesure. De fait, celle-ci a surtout vocation à changer les pratiques des grandes exploitations de monoculture, qui ne représentent que 2 % des exploitations européennes.

Le maintien du ratio de surfaces en prairies permanentes par rapport à la surface agricole utile totale est le deuxième critère du paiement vert. Les prairies permanentes présentent un intérêt environnemental particulier puisqu’elles correspondent aux surfaces recouvertes majoritairement par du fourrage herbacé, non incluses dans une rotation depuis au moins 5 ans. Cette mesure doit enrayer la transformation des prairies en cultures arables. Les États membres ont une assez large marge de manœuvre dans la mise en place de ce critère avec des compensations nationales ou régionales et des dérogations. La France a, par exemple, choisi l’échelle régionale, ce qui permet de compenser les différences départementales.

Troisième mesure, l’obligation de maintien de surfaces d’intérêt écologique (SIE), à hauteur de 5 % de la surface arable des exploitations supérieures à 15 hectares, repose sur une liste de critères au choix des États : éléments de paysage (haies, berges boisées, arbres isolés), des bandes tampons, des terrasses, des surfaces en agroforesterie, des terres en jachère, les légumineuses, les cultures énergétiques et sylvicoles. Ces critères s’avèrent difficiles à mettre en œuvre.

La valeur indicative du paiement vert en France en 2015 s’élevait à 86 € par hectare.

Un jeune agriculteur peut demander à bénéficier d’un paiement additionnel forfaitaire à l’hectare au début de son activité. Il s’agit d’un régime obligatoire pour les États membres.

Le jeune agriculteur est celui qui, âgé de 40 ans au plus, s’installe pour la première fois à la tête d’une exploitation agricole. L’État peut ajouter un critère de formation, ce qui est le cas en France.

L’État définit la part de son enveloppe nationale qu’il consacre à ce paiement dans la limite de 2 %. À titre d’exemple, la France a choisi d’y consacrer 1 % de son enveloppe nationale, pour un montant à l’hectare avoisinant les 70 €.

Ce paiement direct pour les jeunes agriculteurs n’est pas la seule mesure qui leur est destinée. Divers outils (dotation supplémentaire, prêts bonifiés etc.) au service de l’installation des jeunes agriculteurs sont disponibles, au choix des États membres, au sein du second pilier de la PAC.

Il existe quatre paiements facultatifs pour les États membres.

Les États membres ont la possibilité d’octroyer un soutien additionnel aux premiers hectares de chaque exploitation dans la limite de 30 hectares ou de la superficie nationale moyenne des exploitations (52 hectares en France).

Il permet de valoriser les productions à forte valeur ajoutée ou génératrices d’emploi, qui se font sur des exploitations de taille inférieure à la moyenne (soit l’élevage ou les fruits et légumes).

Les États membres peuvent consacrer jusqu’à 30 % de leur enveloppe nationale à un tel paiement, facultatif.

Ce paiement est distribué sous la forme d’un forfait additionnel à l’hectare. La valeur indicative du paiement redistributif en France en 2015 s’élevait à 26 € par hectare. Il augmentera progressivement pour atteindre 100 € par hectare en 2018.

Les États membres peuvent mettre en place un soutien additionnel forfaitaire à l’hectare pour certaines zones soumises à contraintes naturelles.

Cette aide concerne les territoires défavorisés par l’altitude, de fortes pentes ou d’autres caractéristiques physiques du territoire. Elle est particulièrement importante en zone de montagne. Elle compense les différences de revenus avec les agriculteurs de plaine. Elle permet le maintien de l’activité agricole et consolide l’activité économique et l’emploi de ces territoires.

Ce paiement est facultatif et peut représenter jusqu’à 5 % de l’enveloppe nationale des aides directes.

D’autres paiements en faveur des zones soumises à des contraintes naturelles sont mobilisables dans le cadre du second pilier.

Le texte européen ne comporte plus aucun élément direct de couplage des aides (paiement lié à une production particulière, à la tête de bétail ou à la surface cultivée) en dehors de la subsidiarité laissée aux États membres sur ces paiements.

Dans le cas général, les États membres peuvent consacrer 8 % de leur enveloppe nationale à des paiements couplés. 2 % supplémentaires peuvent être utilisés en soutien de protéines végétales.

Par dérogation, les États membres qui mobilisaient jusqu’en 2014 des paiements couplés qui représentaient plus de 5 % de leur enveloppe de soutien ou qui mettent en œuvre l’article 68 (3) peuvent y consacrer jusqu’à 15 % de leur enveloppe nationale à compter de 2015.

L’enveloppe de subsidiarité pour paiements couplés passe donc de 3,5 % à un montant pouvant atteindre 15 % de l’enveloppe nationale. La France utilise cette possibilité au maximum.

Toutes les productions ne peuvent pas bénéficier du couplage des aides. Seuls sont concernés les céréales, oléagineux, cultures protéagineuses, légumineuses à grains, lin, chanvre, riz, fruits à coque, pommes de terre féculières, lait et produits laitiers, semences, viandes ovine, caprine, bovine, huile d’olive, vers à soie, fourrages séchés, houblons, betteraves sucrières, canne et chicorée, fruits et légumes et taillis à courte rotation.

Enfin, quatrième faculté, dans un objectif de simplification et d’allégement des charges administratives pour les petits agriculteurs, ceux qui le demandent peuvent bénéficier d’un régime simplifié de paiement. La taille de l’exploitation d’un petit agriculteur n’est pas définie. Ce régime se caractérise par le type de paiement auquel l’agriculteur peut prétendre : soit il représente un quart de ce à quoi pourrait prétendre un agriculteur sur la base du régime général, soit il est fonction de la taille de l’exploitation.

Le montant annuel est forfaitaire, il ne peut être inférieur à 500 € ni supérieur à 1 250 €, en substitution de toutes les autres aides directes et sans aucune conditionnalité de verdissement. En tout état de cause, aucun paiement n’est octroyé lorsque le montant serait inférieur à 100 € ou lorsque la surface de l’exploitation ne dépasse pas un hectare.

Cette mesure a rencontré un succès important dans les pays comportant de nombreuses petites exploitations tels que la Roumanie où 70 % des agriculteurs ont opté pour ce régime. La France a fait le choix de ne pas la mettre en œuvre.

Le tableau ci-dessous fournit un aperçu de la diversité dans les modalités d’application du nouveau système de paiements directs, diversité résultant des choix réalisés par les États membres.

CHOIX NATIONAUX RELATIFS AU 1ER PILIER

 

Paiement redistributif

Paiement pour les zones soumises
à des contraintes naturelles

Soutien couplé facultatif

Régime des petits agriculteurs

Belgique

X (Wallonie)

 

X

 

Bulgarie

X

 

X

X

République tchèque

   

X

 

Danemark

 

X

X

 

Allemagne

X

   

X

Estonie

   

X

X

Grèce

   

X

X

Espagne

   

X

X

France

X

 

X

 

Irlande

   

X

 

Italie

   

X

X

Chypre

   

X

 

Croatie

X

 

X

X

Lettonie

   

X

X

Lituanie

X

 

X

 

Luxembourg

   

X

 

Hongrie

   

X

X

Malte

   

X

X

Pays-Bas

   

X

 

Autriche

   

X

X

Pologne

X

 

X

X

Portugal

   

X

X

Roumanie

X

 

X

X

Slovénie

   

X

X

Slovaquie

   

X

 

Finlande

   

X

 

Suède

   

X

 

Royaume-Uni

   

X

 

Total

8

1

27

15

Source : Parlement européen

Les objectifs du second pilier consacré au soutien au développement rural sont inchangés et correspondent à la stratégie Europe 2020 pour une croissance intelligente, durable et inclusive. Cette stratégie a fait l’objet d’une communication de la Commission européenne le 18 novembre 2010 (précitée). Ses objectifs sont les suivants : contribution à la compétitivité de l’agriculture, gestion durable des ressources naturelles et développement équilibré des territoires ruraux.

Ce second pilier est l’outil au service de la multifonctionnalité de l’agriculture.

Article 3 (4)

Mission

« Le FEADER contribue à la réalisation de la stratégie Europe 2020 en promouvant un développement rural durable dans l’ensemble de l’Union, en complément des autres instruments de la PAC, de la politique de cohésion et de la politique commune de la pêche. Il contribue au développement d’un secteur agricole de l’Union plus équilibré d’un point de vue territorial et environnemental, plus respectueux du climat, plus résilient face au changement climatique, plus compétitif et plus innovant. Il contribue au développement des territoires ruraux.

Article 4

Objectifs

Dans le cadre général de la PAC, le soutien en faveur du développement rural, notamment des activités relevant du secteur agroalimentaire ainsi que du secteur non-alimentaire et de la foresterie, contribue à la réalisation des objectifs suivants :

a) favoriser la compétitivité de l’agriculture ;

b) garantir la gestion durable des ressources naturelles et la mise en œuvre de mesures visant à préserver le climat ;

c) assurer un développement territorial équilibré des économies et des communautés rurales, notamment la création et la préservation des emplois existants.

Les États membres élaborent des programmes de développement rural (PDR) nationaux ou régionaux qui définissent pour une période de sept ans les actions à entreprendre et l’affectation des fonds correspondant. Ils élaborent leurs PDR en s’appuyant sur au moins quatre des six priorités communes de l’Union européenne :

1. Favoriser le transfert de connaissances et l’innovation dans les secteurs de l’agriculture et de la foresterie, ainsi que dans les zones rurales ;

2. Améliorer la viabilité des exploitations agricoles et la compétitivité de tous les types d’agriculture dans toutes les régions et promouvoir les technologies agricoles innovantes et la gestion durable des forêts ;

3. Promouvoir l’organisation de la chaîne alimentaire, y compris la transformation et la commercialisation des produits agricoles, le bien-être des animaux ainsi que la gestion des risques dans le secteur de l’agriculture ;

4. Restaurer, préserver et renforcer les écosystèmes liés à l’agriculture et à la foresterie ;

5. Promouvoir l’utilisation efficace des ressources et soutenir la transition vers une économie à faibles émissions de CO2 et résiliente aux changements climatiques, dans les secteurs agricole et alimentaire ainsi que dans le secteur de la foresterie ;

6. Promouvoir l’inclusion sociale, la réduction de la pauvreté et le développement économique.

Ces priorités se déclinent en de multiples axes d’action pour lesquels les États membres peuvent mettre en place des cofinancements nationaux en plus des financements européens issus du Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER).

Trois axes d’action font leur apparition dans la PAC post-2013 :

– les mesures favorisant l’innovation et le renforcement de la coopération et du conseil. Il s’agit d’un transfert à la PAC d’une partie du financement de la recherche agronomique, par ailleurs assuré par le budget communautaire de la recherche, au sein du programme Horizon 2020. La fédération de groupes associant chercheurs, agricultures, entreprises, société civile est favorisée à travers le partenariat européen pour la recherche et l’innovation (PEI) ;

– la gestion des risques. Des mesures de gestion des aléas existaient au niveau des États membres. Désormais, l’Union européenne fournit une boîte à outils pour l’accompagnement de la gestion des risques. Une contribution partielle au paiement des primes d’assurance couvrant des pertes économiques, une participation financière au fonds de mutualisation ou un instrument de stabilisation des revenus sont mobilisables par les crédits du FEADER, nous y reviendrons ;

– les mesures agro-environnementales et climatiques (MAEC), anciennes, mais qui intègrent désormais l’adaptation de l’agriculture au changement climatique et sa capacité à limiter l’émission de gaz à effet de serre.

MONTANTS ET TAUX DE SOUTIEN PRÉVUS PAR LE RÈGLEMENT FEADER (ANNEXE II)

Article

Objet

Montant maximal ou taux

 

article 15, par. 8

Services de conseil, services d’aide à la gestion agricole et services de remplacement sur l’exploitation

1 500 €

par conseil

200 000 €

par période de trois ans pour la formation de conseillers

article 16, par. 2

Activités d’information et de promotion

70 %

du coût admissible de l’action

article 16, par. 4

Systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires

3 000 €

par exploitation et par an

article 17, par. 3

Investissements physiques

 

Secteur agricole

50 %

du montant des investissements admissibles dans les régions moins développées et dans toutes les régions dont le PIB par habitant pour la période 2007-2013 était inférieur à 75 % du PIB moyen de l’UE-25 pour la période de référence, mais dont le PIB par habitant est supérieur à 75 % du PIB moyen de l’UE-27

75 %

du montant des investissements admissibles dans les régions ultrapériphériques

75 %

du montant des investissements admissibles en Croatie pour la mise en œuvre de la directive 91/676/CEE du Conseil dans un délai maximal de quatre ans à compter de la date d’adhésion, en vertu de l’article 3, paragraphe 2, et de l’article 5, paragraphe 1, de ladite directive

75 %

du montant des investissements admissibles dans les îles mineures de la mer Égée

40 %

du montant des investissements admissibles dans les autres régions

Les taux susmentionnés peuvent être majorés de 20 points de pourcentage supplémentaires, pour autant que le soutien combiné maximal ne représente pas plus de 90 % pour

– les jeunes agriculteurs, tels qu’ils sont définis dans le présent règlement, ou qui se sont installés au cours des cinq années précédant l’introduction de la demande d’aide ;

– les investissements collectifs et les projets intégrés, y compris ceux qui sont liés à une fusion d’organisations de producteurs ;

– les zones soumises à des contraintes naturelles et autres contraintes spécifiques telles que celles qui sont visées à l’article 32 ;

– les opérations bénéficiant d’un soutien dans le cadre du PEI ;

– les investissements liés aux opérations au titre des articles 28 et 29.

 

Transformation et commercialisation des produits dont la liste figure à l’annexe I du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne

50 %

du montant des investissements admissibles dans les régions moins développées et dans toutes les régions dont le PIB par habitant pour la période 2007-2013 était inférieur à 75 % du PIB moyen de l’UE-25 pour la période de référence, mais dont le PIB par habitant est supérieur à 75 % du PIB moyen de l’UE-27

75 %

du montant des investissements admissibles dans les régions ultrapériphériques

75 %

du montant des investissements admissibles dans les îles mineures de la mer Égée

40 %

du montant des investissements admissibles dans les autres régions

Les taux susmentionnés peuvent être majorés de 20 points de pourcentage supplémentaires, pour autant que le soutien combiné maximal ne représente pas plus de 90 % pour les opérations bénéficiant d’un soutien dans le cadre du PEI liées à une fusion d’organisations de producteurs.

article 17, par. 4

Investissements physiques

100 %

Investissements non productifs et infrastructures agricoles et forestières

article 18, par. 5

Reconstitution du potentiel de production agricole endommagé par des catastrophes naturelles et mise en place de mesures de prévention appropriées

80 %

du montant des coûts d’investissement admissibles pour les opérations de prévention menées par des agriculteurs individuels

100 %

du montant des coûts d’investissement admissibles pour les opérations de prévention menées collectivement par plus d’un bénéficiaire

100 %

du montant des coûts d’investissement admissibles pour les opérations visant à réhabiliter les terres agricoles et à reconstituer le potentiel agricole endommagé par des catastrophes naturelles et des événements catastrophiques

article 19, par. 6

Développement des exploitations agricoles et des entreprises

70 000 €

par jeune agriculteur en vertu de l’article 19, paragraphe 1, point a) i)

70 000 €

par bénéficiaire en vertu de l’article 19, paragraphe 1, point a) ii)

15 000 €

par petite exploitation en vertu de l’article 19, paragraphe 1, point a) iii)

article 23, par. 3

Mise en place de systèmes agroforestiers

80 %

du montant des investissements admissibles pour la mise en place de systèmes agroforestiers

article 26, par. 4

Investissements dans les techniques forestières et dans les secteurs de la transformation, de la mobilisation et de la commercialisation des produits forestiers

65 %

du montant des investissements admissibles dans les régions moins développées

75 %

du montant des investissements admissibles dans les régions ultrapériphériques

75 %

du montant des investissements admissibles dans les îles mineures de la mer Égée

40 %

du montant des investissements admissibles dans les autres régions

article 27, par. 4

Mise en place de groupements et d’organisations de producteurs

10 %

en pourcentage de la production commercialisée pendant les cinq premières années qui suivent la date de reconnaissance. L’aide est dégressive.

100 000 €

montant maximal par an dans tous les cas

article 28, par. 8

Agroenvironnement - climat

600 €

par hectare et par an pour les cultures annuelles

900 €

par hectare et par an pour les cultures pérennes spécialisées

450 €

par hectare et par an pour les autres utilisations des terres

200 €

Par unité de gros bétail ("UGB") par an pour les races locales menacées d’être perdues pour les agriculteurs

article 29, par. 5

Agriculture biologique

600 €

par hectare et par an pour les cultures annuelles

900 €

par hectare et par an pour les cultures pérennes spécialisées

450 €

par hectare et par an pour les autres utilisations des terres

article 30, par. 7

Paiements au titre de Natura 2000 et de la directive-cadre sur l’eau

500 €

au maximum par hectare et par an au cours de la période initiale n’excédant pas cinq ans

200 €

au maximum par hectare et par an

50 €

au minimum par hectare et par an pour les paiements liés à la directive-cadre sur l’eau

article 31, par. 3

Paiements en faveur des zones soumises à des contraintes naturelles ou à d’autres contraintes spécifiques

25 €

au minimum par hectare et par an en moyenne pour la superficie qui bénéficie de l’aide

250 €

au maximum par hectare et par an

450 €

au maximum par hectare et par an dans les zones de montagne définies à l’article 32, paragraphe 2

article 33, par. 3

Bien-être animal

500 €

par UGB (5)

article 34, par. 3

Services forestiers, environnementaux et climatiques et conservation des forêts

200 €

par hectare et par an

article 37, par. 5

Assurance cultures, animaux et végétaux

65 %

de la prime d’assurance à payer

article 38, par. 5

Fonds de mutualisation en cas de phénomènes climatiques défavorables, de maladies animales et végétales, d’infestations parasitaires et d’incidents environnementaux

65 %

des coûts admissibles

article 39, par. 5

Instrument de stabilisation des revenus

65 %

des coûts admissibles

Source : Annexe II au règlement (UE) n° 1305/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 relatif au soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) et abrogeant le règlement (CE) n ° 1698/2005 du Conseil.

Les montants et taux de soutien publiés en annexe II au règlement (UE) n° 1305/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 relatif au soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (FEADER) et abrogeant le règlement (CE) n° 1698/2005 du Conseil constituent un bon panorama des aides mobilisables dans le cadre du second pilier.

Les États membres ont souvent fait le choix de la continuité dans les mesures retenues. Les trois mesures les plus utilisées au sein du menu européen sont les mêmes qu’en 2007-2013 :

– les investissements physiques (23 % des dépenses publiques totales) ;

– les mesures « agroenvironnement-climat » (17 %) ;

– les paiements en faveur des zones soumises à des contraintes naturelles ou à d’autres contraintes spécifiques (16 %).

À titre d’exemple, l’Autriche a fait des choix en faveur d’une meilleure gestion des ressources naturelles et d’un encouragement accru pour des pratiques de culture plus respectueuses de l’environnement. Le Danemark a choisi comme priorité « la conversion verte et à l’emploi vert ». La Pologne a souhaité renforcer la compétitivité et la viabilité de ses exploitations.

Il a été soutenu, lors des auditions menées par vos rapporteurs, que la France constituait un « showroom » de la PAC tant les mesures choisies par les 27 (6) programmes de développement rural régionaux sont nombreuses. Cela correspond à la diversité des exploitations françaises et des particularités agricoles régionales.

La construction du budget communautaire est intervenue au moment où était préparée une nouvelle réforme de la PAC. Cette simultanéité a pesé sur les choix des décideurs, particulièrement à une époque où les dépenses publiques sont contraintes et alors que la PAC demeure le principal poste budgétaire de l’Union européenne.

Les négociations ont à la fois porté sur les orientations et sur les priorités de la PAC et sur les moyens budgétaires à y affecter.

Le cadre financier pluriannuel est le reflet de négociations ayant divisé trois groupes de pays : les partisans d’un budget réduit, les défenseurs de la politique de cohésion et les défenseurs de la PAC, la France appartenant à ce dernier groupe.

RÉPARTITION DU BUDGET PAC
DANS LE CADRE FINANCIER PLURIANNUEL 2014/2020 (UE-28)

(En millions d’euros à prix constants en 2011)

Année

2014

2015

2016

2017

2018

2019

2020

Total

2014-2020

PAC – Pilier 1 (Feaga)

41 585

40 989

40 921

39 837

39 079

38 335

37 605

277 851

PAC – Pilier 2 Développement rural (Feader)

12 865

12 613

12 366

12 124

11 887

11 654

11 426

84 936

TOTAL PAC

(Piliers 1 et 2)

54 450

53 602

52 787

51 961

50 966

49 989

49 031

362 787

Source : Commission européenne (fondée sur le règlement (UE, Euratom) n° 1311 : 2013 du Conseil du 2 décembre 2013 (JO L 347 du 20.12.2013, p. 884), ainsi que sur l’accord politique conclu en juin 2013 par le Parlement, le Conseil et la Commission (vote au Parlement du 20 novembre 2013 – résolution P7_TA(2013)0455).

Les engagements financiers pour la PAC sont finalement en diminution de 14 % par rapport au cadre financier antérieur (2007-2013). Cette diminution est répartie entre 13,6 % pour les aides du premier pilier et 19,1 % pour les aides du second pilier.

ÉVOLUTION DES DÉPENSES DE LA PAC PAR ANNÉE CALENDAIRE DEPUIS 1990

Source : DG agriculture et développement rural

On voit que le financement des politiques de marché a diminué au fil des ans jusqu’à disparaître en 2014. Les aides directes sont proportionnellement consolidées et les aides du second pilier demeurent stables.

DÉPENSES PAR ÉTAT MEMBRE AU TITRE DE LA PAC

(En millions d’euros)

État membre

Répartition par État membre

Aides directes/Marchés et autres mesures 2014/Développement rural 2014

a. Total 1er pilier
Feaga UE-28

b. Total Feader
UE-27 (2e pilier)

c. % du total UE

Allemagne

5 197,3

917,3

11,1

Espagne

5 582,8

694,2

11,9

France

8 370,1

798,1

16,6

Italie

4 516,1

1 204,0

10,4

Pologne

3 215,3

1 700,8

8,9

Royaume-Uni

3 241,8

691,0

7,1

Union européenne (28)

44 292,7

10 947,3

100,0

Sources : Colonne a : Huitième rapport financier de la Commission sur le Fonds européen agricole de garantie.

Colonne b : Huitième rapport financier de la Commission sur le Fonds européen agricole pour le développement rural.

Colonne c : Commission européenne – Chiffres indicatifs, selon leur montant, sur la répartition des aides versées aux exploitants au titre des paiements directs conformément aux règlements (CE) n° 1782/2003 et (CE) n° 73/2009 du Conseil – Exercice 2014.

La budgétisation et la mise en œuvre des instruments des deux piliers de la PAC sont en partie flexibles, afin de tenir compte de la grande diversité de l’agriculture européenne, du potentiel de production agronomique et des conditions climatiques, environnementales et socio-économiques des pays membres de l’Union européenne.

En application du règlement n° 2013/1305 du 17 décembre 2013 précité, les États membres peuvent mettre en œuvre une mesure de flexibilité permettant de basculer jusqu’à 15 % de leur enveloppe du premier pilier, constituée de soutiens directs, vers le second pilier de développement rural. Cette décision nationale est encore révisable – exclusivement à la hausse – jusqu’au 1er août 2017.

À l’inverse, les États membres peuvent transférer jusqu’à 15 % de leur enveloppe du second pilier vers le premier pilier. Les États membres ayant un droit au paiement unique moyen inférieur à 90 % de la moyenne européenne peuvent porter ce taux à 25 %. Cela concerne la Bulgarie, l’Estonie, l’Espagne, la Finlande, la Lettonie, la Lituanie, la Pologne, le Portugal, la Roumanie, la Suède, la Slovaquie et le Royaume-Uni. Une révision exclusivement à la baisse de ce basculement est possible jusqu’au 1er août 2017.

La France a choisi de transférer 3 % de son enveloppe de premier pilier vers le développement rural en 2014 et 3,3 % annuellement à compter de 2015.

Selon le Parlement européen, le bilan net des transferts entre les deux piliers s’est élevé à environ 4 milliards d’euros du premier pilier vers le second pilier, sur l’ensemble de la période budgétaire.

CHOIX NATIONAUX DE TRANSFERTS ENTRE LE PREMIER PILIER (P1)
ET LE SECOND PILIER (P2)

 

Transfert de P1
vers P2

Transfert de P2
vers P1

Belgique

X

 

Bulgarie

   

République tchèque

X

 

Danemark

X

 

Allemagne

X

 

Estonie

X

 

Grèce

X

 

Espagne

   

France

X

 

Irlande

   

Italie

   

Chypre

   

Croatie

 

X

Lettonie

X

 

Lituanie

   

Luxembourg

   

Hongrie

   

Malte

 

X

Pays-Bas

X

 

Autriche

   

Pologne

 

X

Portugal

   

Roumanie

X

 

Slovénie

   

Slovaquie

 

X

Finlande

   

Suède

   

Royaume-Uni

X

 

Total

11

5

Source : Parlement européen

Il est encore tôt pour évaluer la PAC actuelle. Pour autant, vos rapporteurs ont identifié plusieurs éléments de critique à l’égard celle-ci. Certaines sont anciennes et tiennent à la complexité de sa mise en œuvre. D’autres ont évolué mais sont liées au manque d’efficacité de la PAC dans sa capacité à soutenir les exploitations qui en ont le plus besoin et à la faiblesse des outils par rapport aux objectifs affichés.

D’autres faiblesses sont liées à une appréhension des agriculteurs face aux défis à venir, au premier rang desquels figure le « Brexit », et à l’incertitude budgétaire qui l’accompagne.

Ces faiblesses entretiennent la défiance des citoyens et des agriculteurs envers une PAC dont ils ne parviennent pas clairement à identifier les priorités, même avec la distinction entre ses deux piliers.

Plus inquiétant, la PAC est non seulement perçue comme coûteuse mais aussi comme peu efficace du point de vue des agriculteurs eux-mêmes ! La PAC doit-elle accompagner tous les modèles agricoles, même les plus performants ? Il en résulte des contradictions, notamment entre une demande de réelle stabilisation des revenus et la critique récurrente des paiements directs qui agissent pourtant comme un filet de sécurité.

La PAC a peut-être trop cherché à répondre à toutes les attentes du monde agricole et des citoyens européens, au risque d’introduire ces contradictions entre ses outils.

La PAC actuelle ne serait-elle pas en train de manquer deux de ses principaux objectifs : la simplification et la réduction des atteintes à l’environnement ?

La réforme issue du traité de Lisbonne a conduit à une nouvelle géographie des pouvoirs décisionnels de la PAC, qui résulte de la codécision (7). Les États membres – à travers le Conseil – et le Parlement européen, désormais à égalité dans la prise de décision, ont été très actifs pendant les trilogues.

Il en a résulté une plus grande flexibilité dans la nouvelle PAC mais également une plus grande complexité liée au cumul de la défense des intérêts nationaux de chacun des États membres.

M. Samuel Féret, de la convention agricole et rurale 2020 (ARC 2020), partage le constat d’une PAC de plus en plus complexe et avance des explications :

« Ce constat n’est pas une surprise : les négociations entre le Conseil et le Parlement Européen ont donné lieu à l’introduction d’une plus grande flexibilité. Un certain nombre de dispositions proposées par la Commission ont ainsi été modifiées au cours du processus de négociation avec l’intention de fournir une plus grande flexibilité aux États membres. La cartographie des choix des États membres confirme que les nouvelles flexibilités au titre du pilier 1 ont conduit à une PAC beaucoup plus diversifiée, avec différentes combinaisons de mesures et d’importantes variations dans les modalités de mise en œuvre.

« Les stratégies des États membres pour atteindre les trois objectifs généraux de la PAC ne sont pas suffisamment documentées. Les États membres n’ont pas suivi une stratégie cohérente et intégrée pour baser leurs choix de mise en œuvre dans les deux piliers de la PAC. Les choix de mise en œuvre ont été plus influencés par l’ambition de "maintenir le statu quo" que par une réflexion sur le long terme prenant en compte les trois objectifs généraux de la PAC [...] ».

Mais il ne faut pas perdre de vue la diversité des paysanneries européennes, y compris à l’échelle de la France. La boîte à outils offerte par la PAC doit demeurer adaptée à la diversité des exploitations agricoles européennes.

La conditionnalité des aides est ainsi perçue comme une mesure complexe, d’autant que les effets du verdissement des aides demeurent difficiles à mesurer. Les agriculteurs perçoivent donc l’édiction de cette mesure comme une disposition purement administrative.

En France, les régions ont à mettre en œuvre leur programme de développement rural régional, en concertation avec l’État. Elles définissent désormais la programmation des actions, assurent le pilotage des programmes et le paiement des aides. Cette gestion décentralisée des aides FEADER par les régions depuis 2015 ne s’est pas faite sans difficultés et retards de paiements.

La complexité est également due au partage de compétences dans la mise en œuvre entre la Commission européenne, les États membres, les régions et les agences de paiement.

Mais un bon ciblage des aides implique nécessairement de la complexité. Simplifier est souhaitable, mais vos rapporteurs se sont interrogés sur la concordance entre simplification du point de vue de la Commission européenne (dont c’est encore l’une des priorités) et simplification du point de vue des agriculteurs.

Si les agriculteurs, comme la Commission européenne, aspirent à davantage de simplification, c’est surtout de la lisibilité qui est nécessaire aux yeux de vos rapporteurs.

De plus, en vue d’une plus grande efficacité, les aides doivent être ciblées et réparties entre ceux qui en ont le plus besoin, mais des critères et des exclusions sont alors nécessaires. Cet état de fait peut renforcer le sentiment que les dispositifs sont complexes.

Par ailleurs, la cohérence de la PAC avec les politiques de cohésion n’est pas toujours évidente. La réorientation de la PAC vers les marchés a favorisé les investissements en faveur d’une plus grande rentabilité, au prix de la concentration géographique des productions. La contradiction avec les politiques de cohésion tient aussi au fait que les aides directes ont longtemps favorisé les grandes exploitations.

La PAC manque également de cohérence avec la réglementation qui fonctionne souvent par la contrainte : c’est notamment le cas en matière pour l’environnement ou le bien-être animal.

Les mesures en faveur de l’environnement sont, par exemple, insuffisamment corrélées aux autres politiques européennes de préservation de la nature (zones Natura 2000 et directive habitats (8), directive-cadre sur les pesticides (9)).

Le partage d’une vision commune passe aussi par une stabilité des normes et leur harmonisation entre les pays membres.

L’efficacité environnementale des aides est remise en cause aujourd’hui, alors que les premières mesures agro-environnementales (MAE) datent de 1985 et que ce critère constitue un axe fort de la dernière réforme de la PAC. Il fut même un élément déterminant pour que le budget ne soit pas trop diminué.

M. Samuel Féret, représentant d’Arc 2020, a émis des réserves quant à l’impact potentiel de la PAC : « pour certains instruments, comme le ˮpaiement vertˮ (verdissement), les modalités de mise en œuvre pourraient conduire à un faible impact sur l’environnement et en particulier sur la biodiversité ».

Au fil des discussions sur la réforme de la PAC, les conditions de ce verdissement se sont allégées et sont devenues moins contraignantes pour les agriculteurs par rapport au projet initial de la Commission européenne (par des modifications de seuils et de la conditionnalité). Par exemple, les exploitations bénéficiant antérieurement de certifications nationales attestant du respect de pratiques environnementales ne sont pas soumises à la conditionnalité et peuvent bénéficier directement des paiements verts. C’est le cas, par exemple, des exploitations en agriculture biologique.

Le rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) sur la « Négociation de la réforme de la politique agricole commune 2014 » (10) relève que « le concept de ˮverdissementˮ (...) sous-entend que les aides existantes ne sont pas modifiées mais simplement colorées, certains disent ˮpeintes en vertˮ sans remettre en cause leur structure ». Selon les auteurs, « les exigences environnementales permettant de garantir 30 % du paiement vert ne devraient pas bouleverser les pratiques agricoles ».

Pour France Nature Environnement, l’intégration de parcelles cultivées dans les SIE et la possibilité d’y épandre engrais et pesticides rendent la mesure peu efficiente pour l’environnement. Même constat pour la reconnaissance de la monoculture de maïs comme éligible au paiement vert.

Mme Aurélie Trouvé a présenté aux rapporteurs le travail de Mme Alessandra Kirsch, « Aides directes et environnement : la politique agricole commune en question » (11), qui étudie dans quelle mesure la distribution des aides directes de la PAC bénéficie aux exploitations agricoles les plus favorables à l’environnement. Sa démarche a consisté à classer les exploitations agricoles (3 groupes d’exploitations « OTEX » : les exploitations spécialisées en céréaliculture et en culture de plantes oléagineuses et protéagineuses, les exploitations bovines spécialisées en lait, les exploitations bovines spécialisées en viande) à partir des données du réseau d’information comptable (RICA) (12) en fonction de leurs effets potentiels sur l’environnement. Dix indicateurs ont été retenus et concernent les atteintes à l’eau, à l’air, au sol et à la biodiversité.

Indicateurs sur les surfaces utilisées :

- Part des surfaces peu productives (jachère, landes, parcours et alpages) dans la SAU (surface agricole utile) ;

- Part des prairies (permanentes et temporaires) dans la SAU (en %), part des plantes protéiques dans les terres arables ;

- Reciprocal Simpson ou Simpson inversé qui traduit la diversité et la surface mobilisée par les composantes de l’assolement ;

- Part des surfaces irriguées dans la SAU (en %).

Indicateurs sur les pressions en intrants :

- Charges en engrais par hectare de surface productive (en €/ha) ;

- Charges en produits phytosanitaires par hectare de surface productive (en €/ha) ;

- Charges en énergies directes (fioul, carburants, électricité) rapportées à valeur de la production de l’exercice (en %).

Indicateurs spécifiques à l’élevage :

- Charges en aliments extérieurs par UGB (charges réelles en aliments grossiers et concentrés achetés par UGB) (en €/UGB).

- Pression en azote organique (azote contenu dans le fumier bovin de l’exploitation produit en un an/SAU) (en kg/ha).

- Charges en produits vétérinaires (hors charges liées à la reproduction) par UGB (en €/UGB).

Ces indicateurs ont permis de définir 4 classes d’exploitations (de la classe 1 au potentiel d’impact favorable sur l’environnement faible à la classe 4 au potentiel d’impact favorable sur l’environnement fort), qui ont ensuite été mises en lien avec les montants d’aides directes du premier et du second pilier reçus.

La conclusion de cette étude est que « les exploitations ayant les effets les plus positifs sur l’environnement sont celles qui perçoivent le moins d’aides par hectare. Ce montant est lié à un plus faible montant des aides du premier pilier de la PAC, sans que les aides du second pilier ne puissent le compenser entièrement ».

RÉPARTITION DES AIDES DIRECTES PAR CLASSE ENVIRONNEMENTALE - OTEX 15 (EXPLOITATIONS SPÉCIALISÉES CÉRÉALES ET OLÉOPROTÉAGINEUX)

:\Utilisateurs\MBlanchard\Mes documents\OTEX 15.png

RÉPARTITION DES AIDES DIRECTES PAR CLASSES ENVIRONNEMENTALES - OTEX 46 (EXPLOITATIONS SPÉCIALISÉES DANS LA PRODUCTION DE BOVINS VIANDE)

RÉPARTITION DES AIDES DIRECTES PAR CLASSE ENVIRONNEMENTALE - OTEX 45
(EXPLOITATIONS BOVINES SPÉCIALISÉES EN PRODUCTION LAITIÈRE)

On voit que pour les exploitations spécialisées en céréales et oléoprotéagineux, les résultats sont proches entre les différentes classes d’exploitations. Les montants d’aides du premier pilier sont proches, les aides du second pilier ont un poids très faible.

Pour les exploitations spécialisées en bovins viande, le montant d’aides du premier pilier diminue entre la classe 1 et la classe 4. Le niveau d’aides du second pilier suit une tendance inverse, sans compenser entièrement la diminution des aides du premier pilier. Les exploitations spécialisées en bovins lait ont les mêmes résultats mais de façon plus prononcée.

Il est cependant à noter que le produit brut à l’hectare diminue entre la classe 1 (effets les plus négatifs sur l’environnement) et la classe 4 (effets les plus positifs sur l’environnement) (2 065 € contre 1 406 €). C’est également le cas pour les consommations intermédiaires à l’hectare (1 086 € contre 700 €).

L’efficacité des réformes entreprises au regard des objectifs environnementaux fait donc débat. La portée de celles-ci sur les pratiques des exploitations, y compris les mesures de verdissement de la PAC de 2013 dont il est encore tôt pour mesurer les effets, est difficile à évaluer. En effet, dans quelle mesure les exploitations agricoles les plus respectueuses de l’environnement ne l’étaient-elles pas déjà avant la mise en œuvre des mesures incitatives ? Le verdissement des aides a-t-il engendré un changement de comportement ou n’a-t-il récompensé uniquement les exploitations déjà « vertes » ? Enfin, comment s’assurer d’un verdissement simple à mettre en œuvre et à évaluer, afin que les agriculteurs puissent y trouver des outils en faveur de la durabilité de leurs exploitations sans en sentir la charge administrative ?

Alors que la convergence entre États membres est une nécessité pour l’avenir de l’Union européenne, les modalités de mise en œuvre de la PAC conduisent à une hétérogénéité des choix nationaux.

Il faudra peut-être revenir à des éléments communs plus structurants : se mettre d’accord sur des objectifs, simplifier les outils et revenir sur la tendance à la renationalisation de la PAC, malgré l’éternel risque que l’accord sur ces éléments structurants se fasse sur le plus petit dénominateur commun aux pays membres.

Nous en avons donné une illustration, la mise en œuvre du second pilier est très différenciée selon les États membres, et même au sein des États.

La Commission européenne a approuvé l’ensemble des 118 programmes de développement rural qu’ont préparés les 28 États membres (entre décembre 2014 et décembre 2015). 20 États membres ont choisi de mettre en œuvre un seul programme national et 8 d’entre eux ont choisi d’utiliser plus d’un programme (pour refléter, par exemple, leur structure géographique ou administrative).

On assiste ainsi non seulement à une tendance à la nationalisation du second pilier mais aussi, pour certains, à une régionalisation de la politique de développement rural.

Le cofinancement national des mesures du second pilier exacerbe les différences régionales et favorise les régions les mieux dotées en moyens financiers et administratifs. Les stratégies en ce domaine sont éclatées entre régions en fonction des priorités et des logiques d’intervention.

Le droit d’option de certaines aides du premier pilier n’échappe pas à ces différences. La mise en œuvre des mesures de verdissement est, on l’a vu, soumise à des critères nationaux afin de rendre effectivement applicables des dispositifs qui doivent nécessairement être près de la réalité de chaque territoire.

Les structures d’exploitation sont extrêmement différentes entre les différentes régions européennes.

RÉPARTITION DES EXPLOITATIONS AGRICOLES (FARMS), DE LA SURFACE AGRICOLE UTILE (UAA) ET DE L’EMPLOI AGRICOLE (AWU) PARMI LES ÉTATS MEMBRES EN 2013

Source : Commission européenne

La Roumanie concentre le plus grand nombre d’exploitations agricoles
– souvent de très petite taille puisque la moyenne nationale est de 3,6 hectares, la France a la plus grande surface agricole utile – aux exploitations très diverses, mais c’est la Pologne qui cumule le plus d’emplois agricoles – elle cumule très grandes exploitations intensives et très petites exploitations, comme en Roumanie.

La convergence externe entre les pays membres sera nécessairement lente.

L’enveloppe de soutiens directs au titre du premier pilier de la PAC évolue chaque année en raison de la convergence européenne. Avec le cadre financier pluriannuel actuel, le soutien théorique à l’hectare a été calculé pour chaque État membre. Il a été décidé dans le cadre de la réforme de réduire, d’ici à 2020, d’un tiers, l’écart à 90 % de la moyenne communautaire pour les États ayant un niveau de soutien inférieur à ce seuil. La réduction est financée par les États ayant un niveau de soutien théorique supérieur à la moyenne, proportionnellement à leur écart à ce niveau moyen.

Pour la France, cela conduira à une légère baisse annuelle de l’enveloppe de soutiens directs.

Les choix des outils de la PAC conduisent les pays membres à se concurrencer, sans que cette concurrence soit toujours très loyale. Comme le souligne M. Philippe Chotteau, chaque État peut choisir de privilégier un secteur de son agriculture user de cette spécialisation contre les autres pays. Des éléments de concurrence sont aussi extérieurs à la PAC et liés à la transposition des directives : la gestion des travailleurs détachés et le recours aux sous-traitants, les directives qui ont des conséquences sur l’environnement, etc.

La PAC ressemble aujourd’hui à une somme d’intérêts nationaux ou sectoriels – chacun défendant ses spécificités – et la préoccupation première est le partage du budget. Il faut restaurer une vision commune de ses outils, en définissant de façon lisible les objectifs recherchés afin de recueillir l’adhésion du plus grand nombre.

Pour ARC 2020, la convergence n’est pas au rendez-vous, la notion mise en débat en 2013 était d’ailleurs minimale. On ne peut, en outre, exiger autant d’efforts de la part des nouveaux entrants que de la part des anciens pays membres.

L’incertitude engendrée par la décision du Royaume-Uni du 23 juin 2016 de sortir l’Union européenne a des conséquences sur le calendrier et le contenu des prochaines réformes à mener.

Le blocage des réformes est également lié aux effets budgétaires de ce divorce. Structurellement, l’Union européenne serait privée de 10 milliards d’euros par an. Comme le souligne la note de l’Institut Jacques Delors « Brexit et budget de l’UE : menace ou opportunité ? » (13) : « les États membres de l’UE doivent décider s’il convient de s’adapter à ce déficit 1) en augmentant les contributions nationales, 2) en réduisant les dépenses ou 3) par une combinaison des deux options ».

Les négociations sur le cadre financier pluriannuel (CFP) débuteront en 2018. Le « Brexit » risque d’accentuer la division entre contributeurs nets et bénéficiaires nets et les tensions autour du futur budget de l’Union européenne.

Le Royaume-Uni perçoit 6,9 milliards d’euros annuels de l’Union, dont 3,9 milliards au titre de la PAC, soit 56,6 % du montant total des aides reçues par ce pays. La moyenne européenne est de 42 %. La PAC constitue un enjeu fondamental pour le Royaume-Uni dans le cadre du débat sur le « Brexit ».

Le Farmer scientist network a étudié, en janvier 2016, les conséquences du « Brexit » sur l’agriculture du Royaume-Uni (14) et a envisagé cinq scénarios, du plus intégré au moins intégré :

– le scénario de l’union douanière : les produits britanniques circuleraient librement dans le marché commun avec les règles de celui-ci ;

– le scénario « AELE EEE » : une option qui serait semblable à la situation des trois membres de l’Association européenne de libre-échange (AELE) (Islande, Liechtenstein et Norvège) qui font partie de l’Espace économique européen (EEE). Cela conduirait le Royaume-Uni à subir la politique agricole européenne sans pouvoir en décider ;

– le scénario « AELE Suisse » : être membre de l’AELE sans faire partie de l’Espace économique européen (EEE), une série de traités réglant les échanges secteur par secteur ;

– le scénario d’un nouveau traité de libre-échange, sur mesure ;

– le scénario le plus dur se cantonnant aux règles de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), qui permettrait au Royaume-Uni d’avoir accès au marché de l’Union européenne (et vice-versa) sur la base de la réglementation de l’OMC et sans accord préférentiel.

Ces différents scénarios auront des conséquences sur les agriculteurs britanniques et les agriculteurs européens seront également touchés, surtout pour ceux dont le Royaume-Uni constitue un débouché important pour leurs productions, comme les agriculteurs.

L’incertitude est également importante compte tenu des échanges commerciaux de l’Union européenne avec le Royaume-Uni, importateur de produits alimentaires européens. 60 % des produits agricoles et alimentaires consommés au Royaume-Uni sont importés, ce qui représentait 35,5 milliards d’euros en 2015. À l’inverse, les exportations britanniques vers le reste de l’Union européenne s’établissaient dans ce secteur à 13,9 milliards d’euros.

Le « Brexit » pouvant affecter d’une manière encore peu prévisible l’évolution du budget de la PAC, vos rapporteurs considèrent que le règlement dit « omnibus », récemment (15) proposé pour la Commission devant le Conseil des ministres, pourrait être un véhicule intéressant pour corriger certaines faiblesses déjà identifiées (16).

La proposition de la Commission européenne va déjà dans ce sens puisqu’elle propose notamment d’élargir la marge de manœuvre des États membres quant à la définition du « jeune agriculteur » (17). Cette disposition vise à faciliter l’accession aux exploitations, non seulement des jeunes de moins de quarante ans, mais aussi des agriculteurs hors cadre familial. Il reviendrait en effet aux États membres de définir « l’action ou les actions visées à l’article 2, paragraphe 1, point s), dans les programmes de développement rural », qui influent sur la définition de la date d’installation. Cette réorientation irait dans le sens de ce qu’a notamment exposé devant vos rapporteurs le syndicat des Jeunes Agriculteurs, pour qui il convient que les aides européennes soient destinées en premier lieu aux actifs à compter de leur installation.

De la même manière, vos rapporteurs estiment que la proposition d’assouplissement de la mise en œuvre de l’instrument de stabilisation des revenus va dans le bon sens compte tenu, ainsi qu’il a été vu, de la faible utilisation de cet instrument. En effet, la Commission propose que soit prévu un article 39 bis au règlement instituant le FEADER, qui disposerait que cette aide serait accordée dans « des cas dûment justifiés où la baisse du revenu est supérieure à 20 % du revenu annuel moyen de l’agriculteur concerné au cours des trois années précédentes ou d’une moyenne triennale basée sur les cinq années précédentes. (…) Les paiements effectués par le fonds de mutualisation aux agriculteurs compensent moins de 70 % de la perte de revenu au cours de l’année où le producteur devient éligible au bénéfice de cette aide ». Cette aide ne serait destinée qu’à une filière et s’ajouterait à l’aide multisectorielle déjà prévue à l’article 39 du règlement précité. La dimension sectorielle est intéressante dans le sens où elle permet un meilleur ciblage. Vos rapporteurs s’interrogent toutefois sur la réalité de la mise en œuvre de cette aide au moment d’un choc asymétrique entraînant une chute des revenus de l’ensemble d’une filière.

Dans l’ensemble, vos rapporteurs partagent avec M. Yves Madre, contributeur du think-tank Farm Europe, le sentiment que ce règlement peut être la seule opportunité de réforme concrète de la PAC actuelle avant un calendrier rendu très incertain par le renouvellement du Parlement européen en 2019. C’est dans cette perspective qu’il a encouragé vos rapporteurs à assouplir l’usage de l’assurance climatique, à encourager la dimension intrasectorielle de l’outil de stabilisation des revenus et à favoriser le smart farming, à savoir l’agriculture digitale et innovante.

Vos rapporteurs développent ci-après ce qui leur apparaît comme les solutions nécessaires à l’adaptation de la PAC aux conditions économiques futures. Ils estiment toutefois que certains instruments existants, à commencer par les outils de stabilisation des revenus, méritent de faire l’objet d’une modification dès la mise en place de ce règlement « omnibus ».

DEUXIÈME PARTIE :
QUELLES PRIORITÉS POUR L’AGRICULTURE DE DEMAIN ?

Il est un élément de consensus : les agriculteurs préfèrent vivre de la vente de leurs productions plutôt que d’avoir recours aux aides publiques. Ce sont des entrepreneurs qui aspirent avant tout à obtenir des prix satisfaisants pour leurs productions, à l’heure où il n’est pas rare qu’ils soient contraints de vendre celles-ci à un prix inférieur au seuil de rentabilité. (18).

Les agriculteurs rencontrés par vos rapporteurs, en particulier les jeunes, aspirent à réussir, à voir leur métier valorisé et valorisant, c’est une des conditions essentielles du renforcement de l’attractivité pour de nouveaux agriculteurs désireux de s’installer, qui fait aujourd’hui défaut.

Pour cela, il faut que cette activité soit rémunératrice et que soient reconnues les diverses contributions de l’agriculture à la vitalité économique et sociale des zones rurales. Les agriculteurs doivent se rapprocher des attentes sociétales, en particulier celle de pourvoir à une alimentation de qualité. La contribution des agriculteurs à la préservation de l’environnement doit aussi être encouragée et valorisée.

Plus largement, la direction générale de l’agriculture et du développement rural de la Commission européenne a identifié, lors de son audition par les rapporteurs, trois tensions :

– entre la subsidiarité et la simplicité, nous l’avons vu en première partie ;

– entre l’économie et l’environnement ;

– entre l’emploi et le développement des régions rurales.

À ces trois tensions, M. Yves Madre, contributeur du think-tank Farm Europe entendu par vos rapporteurs, ajoute le défi de « la double compétitivité : la synthèse entre une attente sociétale légitime sur des actions que seuls les agriculteurs peuvent assurer et une compétitivité retrouvée pour toutes les exploitations, quelle que soit leur taille ». Et d’ajouter : « ces deux attentes doivent être satisfaites non l’une contre l’autre mais l’une avec l’autre ». Vos rapporteurs partagent cette vision.

Les agriculteurs sont exposés à différents risques : fluctuations de prix, fluctuations de production, risques climatiques, sanitaires et phytosanitaires.

L’offre et la demande en produits alimentaires sont soumises à de fortes contraintes liées à l’inélasticité de la demande et à la rigidité de l’offre à court terme. Les évènements climatiques extrêmes liés au changement climatique ont des conséquences sur la production et donc sur les prix agricoles.

Avec la disparition progressive des politiques d’intervention coûteuses et le renforcement des accords de l’OMC dans le sens d’une disparition des barrières douanières et de la régulation des marchés, la volatilité des prix alimentaires mondiaux s’est accrue, en particulier ces dix dernières années.

Celle-ci induit des variations de revenus des agriculteurs et alimente l’incertitude, ce qui ne favorise pas le choix d’engagements de long terme (installation et investissement) pourtant nécessaires.

INDICE DES PRIX DES PRODUITS ALIMENTAIRES, EN TERMES NOMINAUX ET RÉELS

(*) L’indice des prix réels correspond à l’indice des prix nominaux ajusté d’après l’indice de la valeur unitaire des produits manufacturés publié par la banque mondiale

Source : Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO – Food and agriculture organization of the United Nations).

INDICE DES PRIX DES PRODUITS ALIMENTAIRES

 

Indice des prix des produits alimentaires *

Viande

Produits laitiers

Céréales

Huiles végétales

Sucre

2000

 

91,1

96,5

95,3

85,8

69,5

116,1

2001

 

94,6

100,1

105,5

86,8

67,2

122,6

2002

 

89,6

89,9

80,9

93,7

87,4

97,8

2003

 

97,7

95,9

95,6

99,2

100,6

100,6

2004

 

112,7

114,2

123,5

107,1

111,9

101,7

2005

 

118,0

123,7

135,2

101,3

102,7

140,3

2006

 

127,2

120,9

129,7

118,9

112,7

209,6

2007

 

161,4

130,8

219,1

163,4

172,0

143,0

2008

 

201,4

160,7

223,1

232,1

227,1

181,6

2009

 

160,3

141,3

148,6

170,2

152,8

257,3

2010

 

188,0

158,3

206,6

179,2

197,4

302,0

2011

 

229,9

183,3

229,5

240,9

254,5

368,9

2012

 

213,3

182,0

193,6

236,1

223,9

305,7

2013

 

209,8

184,1

242,7

219,3

193,0

251,0

2014

 

201,8

198,3

224,1

191,9

181,1

241,2

2015

 

164,0

168,1

160,3

162,4

147,0

190,7

2016

 

161,5

156,2

153,8

146,9

163,8

256,0

2016

Janvier

149,3

145,2

145,1

149,1

139,1

199,4

 

Février

149,7

146,7

142,0

148,2

150,3

187,1

 

Mars

150,8

145,8

130,3

147,6

159,8

219,1

 

Avril

152,8

149,6

127,4

149,8

166,4

215,3

 

Mai

156,7

154,4

128,0

152,5

163,3

240,4

 

Juin

163,9

159,9

137,9

156,9

161,9

276,0

 

Juillet

162,5

161,7

142,3

148,1

157,3

278,7

 

Août

166,6

164,9

154,6

143,6

169,0

285,6

 

Septembre

170,9

163,7

176,0

140,9

172,0

304,8

 

Octobre

172,2

162,2

182,8

142,3

167,9

315,3

 

Novembre

171,9

163,3

186,4

141,4

175,6

287,1

 

Décembre

170,2

156,8

192,6

142,2

183,0

262,6

2017

Janvier

173,8

156,7

193,0

147,0

186,3

288,5

(*) Établi à partir de la moyenne des indices de prix des 5 catégories de produits indiquées ci-dessus, pondérée en fonction de leur part moyenne à l’exportation pour la période 2002-2004 : au total, 73 cotations de produits sont pris en compte.

Source : Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO – Food and agriculture organization of the United States).

Comme le montre le tableau de l’indice des prix des produits alimentaires, les prix alimentaires sont plus volatils ces dernières années. Ils ont été en quasi constante augmentation jusqu’en 2011 ou 2014 – selon les productions. À chaque production correspond une explication à la volatilité supplémentaire à celles des risques climatiques, sanitaires et phytosanitaires.

Les fluctuations des prix d’une production peuvent également avoir des conséquences sur les autres productions : le prix du lait influe sur le nombre de vaches de réforme envoyées à l’abattoir et donc sur le prix de la viande ; le prix des céréales influe sur les coûts de production du lait et de la viande etc.

Les revenus des agriculteurs en sont directement affectés, d’autant que leurs coûts de production vont croissant. Les économies d’échelle ne sont pas la règle et les exploitations les plus intensives et spécialisées sont aussi les plus dépendantes de coûts de productions élevés.

En France, l’indice des prix d’achat des moyens de production agricole (IPAMPA) est couramment utilisé car il permet de suivre l’évolution des prix des biens et des services utilisés par les agriculteurs. Cet indice prend en compte les consommations intermédiaires (énergie, semences et plants, engrais et amendements, produits de protection des cultures, aliments des animaux, frais vétérinaires, matériel, entretien et réparation des bâtiments, frais généraux) qui représentent 76,4 sur l’indice 100 et les biens d’investissement (matériel et ouvrages) qui représentent 23,6 points sur l’indice 100.

On constate que depuis une dizaine d’années ces coûts sont fortement variables. L’efficacité économique des exploitations agricoles dépend de ces variations, difficilement maîtrisables.

INDICE MENSUEL BRUT DES PRIX D’ACHAT DES MOYENS DE PRODUCTION AGRICOLE (IPAMPA) EN FRANCE – BASE 100 EN 2010

Source : Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE)

Ces fluctuations ont également des conséquences sociales et économiques en fonction de la part du budget des ménages consacrée à l’alimentation, avec des conséquences plus importantes pour les consommateurs les plus pauvres.

M. Vincent Chatellier reprend les causes de la volatilité identifiées par les économistes (19) :

– du fait de la longueur du cycle de production, l’offre agricole est relativement inélastique à court terme, ce qui signifie que les agriculteurs ne peuvent pas réagir immédiatement aux signaux du marché ;

– les produits agricoles et alimentaires sont majoritairement périssables, ce qui signifie qu’il est plus difficile de les stocker à moyen et long terme ;

– la production agricole disponible en année n+1 est difficile à anticiper en année n, dans la mesure où son niveau dépend largement des conditions climatiques ;

– la demande en produits alimentaires est relativement inélastique à leur prix.

Il identifie six facteurs supplémentaires :

– l’augmentation de la population mondiale et les changements d’alimentation (par exemple, l’augmentation de la consommation de protéines animales) ;

– les conséquences climatiques sur les volumes produits sont d’autant plus importantes que les pays concernés par ces aléas ont une part active dans le commerce international de ces produits ;

– l’augmentation des prix de l’énergie (pétrole, gaz) a des conséquences sur les coûts de production en agriculture et le coût de leur transport, elle favorise les pays exportateurs ;

– la diversification des usages des produits des récoltes (biocarburants) peuvent en modifier le prix, même s’il est factuellement contestable que les biocarburants augmentent systématiquement les prix des récoltes (ils ne représentaient, en 2011, que 2 % des terres cultivables) ;

– les prix internationaux agricoles sont plus dépendants des quantités échangées que des quantités produites ;

– enfin, l’influence de la spéculation financière sur les produits agricoles est à considérer, bien que soumise à débat. Les marchés agricoles sont d’abord dépendants de l’offre et de la demande, les variations liées à la spéculation ont surtout des effets de court terme et seulement sur les produits stockables (par exemple, les céréales ou la poudre de lait). Mais parallèlement, l’existence de marchés à terme peut aussi permettre aux producteurs de se prémunir de la volatilité.

Le retour à l’équilibre des marchés agricoles est plus long que sur n’importe quel marché où est constaté un déséquilibre de l’offre et de la demande.

Les mesures de marché prises une fois les crises déclarées, presque a posteriori, sont, au final, extrêmement coûteuses. Leur efficacité est relative, en particulier lorsque ces mesures sont déclenchées tardivement, comme ce qui s’est passé sur le marché laitier en 2016. En outre, les outils européens d’intervention directe sur les prix ont peu à peu disparu.

Il est intéressant de noter, comme le relèvent MM. Jean-Christophe Bureau et Louis-Pascal Mahé (20), que dans les pays développés, l’instabilité est surtout un problème pour les producteurs, et les politiques se focalisent sur les chutes de prix. Dans les pays importateurs, l’instabilité est surtout un problème pour les consommateurs et les politiques se concentrent sur les hausses de prix.

Analysant le bilan de la capacité du système de la PAC à atténuer les perturbations, ils constatent que la dynamique des investissements des exploitations dans les immobilisations (capital productif ou foncier) exacerbe le phénomène : les liquidités pour faire face aux aléas manquent.

En alimentant le mécanisme de la politique de l’offre, les paiements directs actuels font partie du problème. Ils constituent un matelas de protection mais ne résolvent pas le problème de la volatilité des prix et des revenus. Leur concentration sur les grandes exploitations accroît le risque d’exposition. En période faste, les grandes exploitations investissent et produisent en masse, ce qui contribue davantage à déstabiliser le marché. La PAC favorise la production, d’une part, et doit assumer les contreparties de mesures de retrait de la production qu’elle a elle-même engendrées, d’autre part.

Les producteurs ne peuvent plus ignorer les signaux des prix et leur prise de décision doit se faire en l’absence de mécanismes de soutien ex post.

La corrélation entre quantité et prix habituelle en économie n’est pas linéaire et les conditions de formation des prix sont désormais trop nombreuses dans un environnement mondialisé.

L’anticipation de ces fluctuations est difficile pour les agriculteurs, comme le montre la synthèse de l’Institut national de la recherche agronomique (INRA) « Volatilité des cours des commodités agricoles et politiques de stabilisation »avec le modèle de « cobweb » : « un agriculteur décidera de produire beaucoup s’il a observé des prix élevés par le passé, alors qu’il produira peu si les prix passés sont faibles. Ce comportement amène à des cycles endogènes de prix indépendamment de l’existence de chocs. Des prix élevés entraînent une production élevée et des prix bas, qui eux-mêmes entraînent par la suite une production faible qui mène à des prix élevés. Cette dynamique est clairement sous-optimale puisque la production ne varie pas en fonction de la rareté anticipée, mais en fonction des informations passées sans relation avec l’équilibre à venir » (21).

Aucun des moteurs de la volatilité des prix n’est susceptible d’être endigué par les agriculteurs à un niveau individuel.

Les risques climatiques de mauvaises récoltes sont fortement partagés par les producteurs d’une même zone géographique. Pour cette raison, ils se prêtent difficilement aux systèmes d’assurance ou aux fonds de mutualisation des risques.

Le « one size fits all » ne fonctionne pas en matière de gestion de la volatilité, il faudrait a minima un outil par type de productions en fonction des types de risques auxquels elle est exposée, de leur fréquence et de leur intensité et de la capacité des exploitations agricoles individuelles à agir en modifiant leurs stratégies de production ou de stockage. Pour que ces systèmes fonctionnent il faut qu’ils dépassent le cadre régional ou celui d’une seule production et un nombre conséquent d’agriculteurs doit y souscrire.

Selon l’OCDE (Organisation pour la coopération et le développement économique), cité par Farm Europe dans un document intitulé : « Réponse de Farm Europe à la consultation de la Chambre des Lords britannique intitulée : Répondre à la volatilité des prix : bâtir un secteur agricole plus résilient » (22: « la gestion des risques en agriculture est maintenant un outil essentiel pour permettre aux agriculteurs d’anticiper, d’éviter et de réagir aux chocs. Un système de gestion des risques efficace pour l’agriculture permettra de préserver le niveau de vie de ceux qui dépendent de l’agriculture, de renforcer la viabilité des entreprises agricoles, et de créer un environnement qui soutient les investissements dans le secteur agricole ».

Il existe aussi un aléa moral : en étant mieux couvert par le risque, un agriculteur pourrait limiter ses stratégies de minimisation des risques (usage de pesticides, diversification de ses productions).

Il faut à la fois engager les pouvoirs publics et les exploitants dans la gestion de la volatilité.

Il demeure toutefois que la capacité des producteurs à faire face aux aléas ne repose pas uniquement sur les outils de gestion des risques, mais aussi sur la résilience intrinsèque des exploitations agricoles. Ainsi, celles qui cumulent une diversité de sources de revenus, l’adaptation de la production aux nouvelles demandes sociétales et des modes de production moins dépendants des marchés en amont bénéficient d’autant de protections immédiates contre la volatilité des prix.

L’orientation de la PAC des outils d’intervention vers des outils de gestion des crises potentielles a déjà conduit à l’existence d’instruments, dont vos rapporteurs déplorent la faible utilisation, comme nous le verrons en troisième partie du présent rapport.

L’Union est exportatrice nette de produits agricoles et alimentaires depuis 2009 (23). Entre novembre 2015 et octobre 2016, les exportations agroalimentaires de l’Union européenne ont atteint 129,9 milliards d’euros (24) et le surplus des exportations a atteint 18 milliards d’euros. Les plus grands importateurs de produits européens sont les États-Unis, la Chine, la Suisse, le Japon et la Russie.

La PAC actuelle connaît des soubresauts commerciaux inédits. Les marchés ont connu plusieurs difficultés telles que l’embargo russe ou la baisse de la demande du marché laitier chinois. Ces difficultés ont fourni une expérience qui invite à s’interroger avec plus d’imagination sur les outils à utiliser à l’avenir et sur les marchés à privilégier.

Il faut également s’interroger, comme l’a fait le député européen M. Michel Dantin, entendu par vos rapporteurs, sur le traité de Marrakech (25) : « l’Union est-elle gardienne de ce temple ou faut-il s’affranchir de ce diktat ? » a-t-il demandé.

Il est indéniable que les partenaires commerciaux de l’Union européenne se sont affranchis de nombreuses contraintes réglementaires et soutiennent leurs agricultures (Brésil, Chine, États-Unis).

Comme le soulignait M. Éric Andrieu, député européen également entendu par vos rapporteurs, il faut par ailleurs se recentrer sur une économie territorialisée et le potentiel des 500 millions de consommateurs européens.

L’alimentation ne doit pas être traitée comme n’importe quel bien de consommation. Il existe une spécificité à préserver, sauf à ne produire plus que des commodités agricoles (26).

Lors de son audition, M. Roger le Guen a également indiqué que « le défi central aujourd’hui pour les agriculteurs est de rechercher ce qui, dans leur activité, crée de la valeur ajoutée ». Et d’ajouter « pour beaucoup, leur seule perspective est l’agrandissement de leurs exploitations ». Selon lui, « il faut différencier les produits dès la sortie de la ferme ». Mais il existe une concurrence pour l’origine au sein du marché unique européen et également à l’échelle locale, entre producteurs d’un même pays.

Vos rapporteurs ont eu le sentiment que les producteurs étaient confrontés, outre la volatilité de leurs débouchés, à une situation de dépendance par rapport à des intrants qui subissent, eux aussi, les fluctuations du marché mondial.

Cette situation entraîne, selon M. Roger le Guen, trois types de stratégie à l’heure actuelle, dans le cadre de la contractualisation des liens commerciaux :

– la contractualisation des rapports de sous-traitance. Les organisations de producteurs sont partie prenante de cette stratégie. Les producteurs concernés cherchent la compétitivité, en étant réellement à la tête de leur exploitation. Ils veulent piloter leurs coûts de production, ce qui est un changement crucial par rapport à la situation antérieure. Ils rejettent ce qu’on appelle « l’intégration » et veulent maîtriser toutes les informations par rapport à leurs productions, y compris les données. La question qui se pose est celle de la rémunération de leurs efforts de modernisation ;

– l’autonomisation. Les producteurs cherchent à avoir plus de marge de manœuvre dans leurs contrats. On estime qu’environ 20 à 30 % des producteurs cherchent à s’autonomiser. Ils mènent une réflexion sur certains marchés, qui ne sont pas seulement des marchés de niche. La démarche Bleu-Blanc-Cœur (27) participe de cet esprit. Les distributeurs sont très friands de ces initiatives, qui permettent de se passer du biais du transformateur ;

– rendre les agriculteurs co-constructeurs de valeur à partir de leur exploitation via, non seulement des initiatives pour trouver des processus de filière permettant de porter les productions au plus près du consommateur, mais aussi par un approvisionnement conjoint d’intrants entre différentes exploitations (28).

Le point sur le CETA, signé le 30 octobre 2016

En matière agricole, le CETA prévoit une extension progressive des quotas d’importation sans droits de douane pour des produits canadiens : bœuf (60 788 tonnes contre 7 640 aujourd’hui), porc (75 000 tonnes contre 12 500), blé tendre (100 000 tonnes contre 38 853) et maïs doux (8 000 tonnes contre 1 333). En contrepartie, l’Europe a obtenu l’augmentation de son quota d’exportation de fromages vers le Canada sans droits de douane, de 2 950 à 18 500 tonnes par an, ainsi que la reconnaissance de nombreux fromages d’origine protégée. En cas de soudain « déséquilibrage du marché d’un produit agricole », l’UE pourra toujours activer une clause de sauvegardepour réduire temporairement les quotas canadiens.

Interbev est totalement en désaccord avec le CETA et accuse la Commission européenne de ne pas avoir fait d’étude d’impact en ce qui concerne la viande bovine. Le Gouvernement français répond que ces quotas ne représentent qu’une très faible proportion de la production européenne annuelle (0,6 % pour le bœuf, 0,4 % pour le porc), et qu’ils ne seront relevés que par paliers, sur une période de transition de sept ans.

En ce qui concerne la qualité des produits, toutes les importations en provenance du Canada devront se conformer aux exigences européennes. Le Canada produisant quasi exclusivement des denrées aux hormones et aux OGM, il devra créer une filière spécifique pour pouvoir exporter vers l’UE.

Comme l’a rappelé le ministre en séance jeudi 3 novembre, l’objectif du CETA est d’améliorer la protection des indications géographiques protégées (IGP) européennes, qui ne sont presque pas protégées sur le sol canadien. En dehors du vin, les producteurs canadiens sont aujourd’hui seulement tenus par les règles basiques de l’OMC, qui offrent une protection très faible contre la contrefaçon d’IGP (Indication géographique protégée). La protection se fait par les marques, à l’instar de ce que font les États-Unis.

Le CETA contraindra le Canada à reconnaître 145 appellations couvrant 173 produits. L’Union européenne reconnaît actuellement 1 500 IGP.

Selon M. Phil Hogan, commissaire européen à l’agriculture, « la réalité est que les agriculteurs restent le maillon faible » (29) dans les négociations commerciales au sein de la chaîne alimentaire.

Le producteur est pris dans l’étau de la concentration : en amont avec l’agrofourniture (30), en particulier des intrants de plus en plus coûteux, et en aval avec la concentration non seulement de l’industrie alimentaire mais surtout de la grande distribution et de leurs centrales d’achat.

Il s’agit d’un problème décrié en France mais qui sévit également au niveau européen. Une prise de conscience est en cours, avec la mise en place, par le commissaire européen à l’agriculture, M. Phil Hogan, d’un groupe de travail sur les marchés agricoles (task force on agricultural markets). Le commissaire profitera du règlement dit « omnibus » qui doit être adopté cette année, pour orienter les réflexions en faveur d’une amélioration de la répartition de la valeur ajoutée entre acteurs de la chaîne de production alimentaire.

Mais, comme le relèvent MM. Jean-Christophe Bureau et Louis-Pascal Mahé, « la politique de concurrence peut entrer en conflit avec les mesures destinées à consolider la part de valeur ajoutée qui revient au secteur agricole, notamment grâce aux appellations d’origine. [...] Les autorités en charge des questions de concurrence se montrent généralement plus strictes à l’égard de ces ententes composées de producteurs, nombreux et dispersés qu’à l’égard des firmes dominantes quasi monopolistiques dont les marques ont acquis un fort pouvoir de marché. Une raison possible est qu’il est plus difficile de démontrer que les marges sont excessives à cause du pouvoir oligopolistique que de prouver une collusion sur les prix » (31).

Comme le souligne le rapport du groupe de travail sur les marchés agricoles (32) remis au commissaire européen à l’agriculture, M. Phil Hogan, groupe présidé par M. Cees Veerman, entendu par vos rapporteurs : « certains craignent que les agriculteurs, qui forment un groupe fragmenté et sont moins soutenus aujourd’hui par les instruments qui servaient auparavant à soutenir les prix à la production, ne deviennent, dans la chaîne d’approvisionnement, le principal "amortisseur" des chocs liés à des risques de marché tels que la volatilité des prix ou des périodes prolongées de prix bas ».

Trois leviers d’action sont identifiés par groupe de travail sur les marchés agricoles :

– la transparence. Les prix du marché ajustent l’offre et la demande. Mais pour que les mécanismes du marché fonctionnent, il faut que le marché soit transparent ;

– la lutte contre les pratiques commerciales déloyales des entreprises de l’aval de la filière alimentaire ;

– l’amélioration de la qualité des relations entre producteurs et leurs acheteurs.

La PAC de demain doit continuer à promouvoir une agriculture durable et diverse. Celle-ci est menacée par un phénomène qui touche tous les États membres : le vieillissement de la population agricole et la difficulté d’installation des jeunes agriculteurs.

L’agriculture est l’un des secteurs économiques qui a perdu et qui perdra le plus d’actifs d’ici 2020, en raison du vieillissement de la population des chefs d’exploitation.

PART DES AGRICULTEURS ÂGÉS DE MOINS DE 35 ANS ET DE PLUS DE 55 ANS SUR L’ENSEMBLE DES AGRICULTEURS DES PAYS MEMBRES DE L’UNION EUROPÉENNE (2013)

(en %)

Pays

Agriculteurs âgés de moins de 35 ans

Agriculteurs âgés de plus de 55 ans

Belgique

4,0

48,0

Bulgarie

6,4

61,9

République tchèque

4,6

56,8

Danemark

2,5

51,6

Allemagne

6,8

36,3

Estonie

7,5

52,2

Irlande

6,3

51,9

Grèce

5,2

56,2

Espagne

3,7

58,5

France

8,8

39,4

Croatie *

-

-

Italie

4,5

63,0

Chypre

1,7

70,0

Lettonie

5,0

54,2

Lituanie

5,6

54,9

Luxembourg

8,7

41,8

Hongrie

6,1

59,5

Malte

3,8

58,5

Pays-Bas

3,1

47,9

Autriche

10,9

28,2

Pologne

12,1

33,9

Portugal

2,5

73,7

Roumanie

4,7

64,4

Slovénie

4,8

54,4

Slovaquie

8,1

51,6

Finlande

8,5

39,3

Suède

4,4

58,0

Royaume-Uni

3,9

58,5

Union européenne (28)

5,9

54,9

(*) Pas de données pour la Croatie

Source : EUROSTAT, Farm Structure Survey, 2013

Selon la Copa-Cogeca entendue par vos rapporteurs, la moyenne d’âge des exploitants agricoles dans l’Union européenne est de 57 ans. Cette situation est commune à de nombreux pays industrialisés. À titre d’illustration, cette moyenne atteint 66 ans au Japon.

Pour ARC 2020, « un pays dont le développement a reposé sur le modèle familial depuis soixante ans, qui ambitionne d’être une puissance agricole, doit simultanément avoir une ambition pour sa jeunesse agricole et en même temps faciliter l’accès aux nouveaux entrants. Sinon on ne peut parler d’agriculture d’avenir ; afin de rendre les métiers de l’agriculture plus attractifs, ceci suppose de réinventer et transmettre de nouveaux modèles de production et de commercialisation, notamment moins basés sur l’endettement, sur des formes de travail collectives et plus axés sur des stratégies d’atténuation des risques économiques ». (33)

Les possibilités d’installation sont de plus en plus rares, y compris au sein de familles d’agriculteurs. Les conditions de travail difficiles, la faible rentabilité de l’activité au regard de l’importance des investissements initiaux sont décourageants, en particulier en élevage.

Même lorsqu’un jeune agriculteur hérite d’une exploitation familiale, il est souvent lié par des dettes auprès de ses frères et sœurs. Il a aussi pu être le témoin des conditions de vie difficiles de ses parents.

Les installations hors cadre familial sont les plus nombreuses. De nombreux jeunes agriculteurs sont des néo-ruraux qui s’engagent dans la carrière agricole après avoir eu une première expérience professionnelle en ville, preuve que les métiers agricoles attirent encore.

Le renouvellement générationnel représente le principal défi pour le maintien d’une agriculture performante et durable. Comme le relève M. Roger Le Guen, « les jeunes sont de plus en plus attirés par les métiers agricoles. Les lycées agricoles attirent de plus en plus de candidats, y compris des femmes ». L’obstacle vient plutôt de l’accès à l’installation que de la volonté des jeunes à s’installer. Ce constat est partagé par le Conseil européen des jeunes agriculteurs qui ne voit pas de crise des vocations.

Le mouvement de ces dernières années est allé vers l’agrandissement, des exploitations, encouragé par des aides à l’hectare favorisant les grandes exploitations. Plus celles-ci s’agrandissent, moins elles deviennent accessibles aux primo-accédants qui cherchent à s’installer.

Comme l’ont affirmé les Jeunes Agriculteurs lors de leur audition, « les paiements découplés liés aux hectares tendent à créer aujourd’hui des situations de rentes pour des propriétaires ou des investisseurs extérieurs et les faibles retraites agricoles conduisent les retraités à conserver leurs terres pour bénéficier des aides de la PAC. Ce mode de distribution des aides conduit aussi à la concentration des exploitations et donc à des difficultés de transmission. Ces différents éléments empêchent la libération de foncier pour les jeunes et sont un obstacle au développement d’une agriculture basée sur des exploitations de type familial, viables, vivables et transmissibles ».

Certains États membres ont initié des politiques volontaristes en la matière. L’Espagne, ainsi, a développé une stratégie destinée à incorporer 20 000 jeunes agriculteurs entre 2016 et 2020, en usant de toutes les mesures possibles au niveau communautaire, et notamment une aide couplée à hauteur de 2 % du total des paiements directs (34).

Si ces mesures ne sont pas mises en place, la concurrence pour les terres ira en s’exacerbant, menaçant le recrutement agricole et augmentant la dimension capitalistique de l’agriculture. M. Samuel Féret a bien montré que sans des mesures fortes, « on risque l’hémorragie démographique ». La nouvelle définition de l’agriculteur actif sur laquelle s’appuie le choix de la répartition des aides est une première étape, qui doit être poursuivie afin de favoriser l’emploi. Mais c’est l’amélioration de l’accès au foncier qui est la première des mesures à mettre en œuvre.

Enfin, pour le Conseil économique et social européen dans son avis du 14 décembre 2016 sur Les facteurs qui influencent la PAC après 2020 – Les principaux facteurs sous-jacents qui influent la politique agricole commune après 2020, « la PAC devrait accorder davantage d’attention à l’installation des jeunes et des nouveaux agriculteurs et agricultrices, non seulement au moyen d’outils spécifiques mais aussi grâce à une réelle stabilité de la politique. En effet, une stabilité accrue est nécessaire pour que les agriculteurs puissent investir pour plusieurs décennies et relever le défi du renouvellement des générations. »

La vision à long terme nécessaire à la décision d’installation comme de tout investissement doit être partagée par les autorités politiques.

La politique de recherche et de développement n’entre pas dans le périmètre de la PAC. Le conseil, la formation et l’éducation sont importants pour le respect des exigences européennes et pour la compétitivité des exploitations.

Les gains de productivité ont récemment ralenti. Pour les recouvrer, il convient d’investir dans la recherche et l’innovation, dans la lignée du programme Horizon 2020. Le budget 2014-2020 de cette stratégie se déploie dans les domaines de l’agriculture et de l’alimentation. Ses objectifs sont au nombre de six :

– accroître l’efficacité de la production et faire face au changement climatique, tout en assurant la durabilité et la résilience ;

– fournir des services écosystémiques et des biens publics ;

– soutenir l’autonomie des zones rurales et soutenir les politiques et l’innovation rurales ;

– promouvoir la gestion durable des forêts ;

– développer une industrie agroalimentaire durable et compétitive ;

– encourager le développement du marché des produits et procédés biologiques.

L’innovation doit être mise au service de systèmes agricoles durables, économes en intrants.

À l’échelle des exploitations, l’agriculture intelligente (e-farming ou smart-farming) est aussi un virage qui est en train d’être pris par les agriculteurs européens. Tous les tracteurs vendus aujourd’hui sont équipés de GPS et d’outils innovants plus ou moins coûteux et maîtrisés par les agriculteurs.

Pour Farm Europe, le e-farming ouvre la voie à des gains de compétitivité, de productivité et de meilleure protection de l’environnement. Par ce smart farming, les données relatives au suivi et au pilotage des productions sont mieux collectées. La robotique agricole, le croisement et le traitement de données, l’amélioration de la prise de décision en matière agronomique et climatique (acidité, pluviométrie, températures).

Ce constat est également partagé par Mmes Corinne Erhel et Laure de la Raudière, auteures d’un rapport d’information sur les objets connectés : « selon une étude de 2016 de l’Ipsos (35), la communauté agricole interrogée est connectée avec en moyenne quatre équipements de "e-farming", et seuls 12 % de ces agriculteurs n’ont recours à aucun équipement connecté. Si l’on détaille les solutions de connexion dont disposent les agriculteurs, 60 % ont déjà acquis un système de gestion d’exploitation et de guidage par géolocalisation (GPS ou via antennes de réseaux bas débits) ; 40 % des outils d’aide à la décision et 20 % des solutions de gestion ayant recours au cloud. En outre, 65 % des agriculteurs interrogés affirment leur intention de s’équiper dans les prochaines années, avec une prédilection pour les objets connectés aux machines agricoles, aux animaux d’élevage ou aux bâtiments agricoles. Ainsi, près d’un éleveur sur trois souhaite munir son troupeau de capteurs connectés, et un sur deux souhaite recourir à un logiciel de gestion centralisé » (36).

Ces outils sont autant d’opportunités pour la PAC et les agriculteurs eux-mêmes de mesurer la performance économique et environnementale de leurs exploitations. Ils sont le moyen de libérer les agriculteurs de la pression de contrôles de l’administration sur leurs pratiques et une belle opportunité pour répondre aux attentes de la profession : passer d’une logique de moyens à une logique de résultats, responsabilisante et plus lisible, nous y reviendrons.

Les avantages comparatifs de l’Union européenne, forte de 28 pays États membres, s’appuient sur la diversité de ses systèmes agricoles de production propres à différentes zones pédoclimatiques.

Il ne faut pas chercher à diffuser un seul modèle d’exploitation lorsqu’il ne correspond pas à la réalité des territoires, ainsi, l’Europe peut tirer aussi bien parti de grandes exploitations intensives, à même de nourrir le monde en commodités, et propres aux pays du Nord, de l’Est et à une partie de l’Allemagne que de ses très nombreuses exploitations familiales riches en emplois et ancrées dans les zones rurales comme dans les pays de l’Ouest et du Sud.

La vraie question est celle de savoir si la PAC doit aider toutes les exploitations.

Celles qui sont aujourd’hui perçues comme les plus fragiles, les plus petites doivent indéniablement être aidées afin de soutenir leur modernisation et les encourager dans des choix de production plus résilients. La spécialisation fragilise les exploitations. La pluralité des productions permet de gagner en résilience.

Il est logique de favoriser les exploitations les plus efficaces mais légitime de protéger les plus fragiles qui participent, par ailleurs, de la production de biens publics en zones rurales.

Cet argument est d’autant plus audible si l’on considère que la disparition des petites exploitations familiales est irrémédiable pour ce type d’agriculture et, par extension, pour les zones rurales dans lesquelles elles sont situées. Les exploitations de type familial sont les plus durables. Pour les Jeunes Agriculteurs, « le principe même de transmission de l’outil de production conduit l’exploitant à préserver son environnement économique, social et environnemental ».

À titre d’exemple, le système de polyculture-élevage permet à l’éleveur d’avoir une meilleure autonomie fourragère et de le préserver des aléas liés au coût des céréales. Ce système conjugue intérêt agronomique et économique, il doit être favorisé.

Pour M. Samuel Féret, d’ARC 2020, « la future PAC doit reposer sur un nouveau contrat social autour des questions d’alimentation, de santé et d’environnement ».

Les attentes à l’égard de la PAC ont évolué au fils des ans : l’agriculture devait d’abord être nourricière puis, avec les scandales sanitaires, a émergé l’exigence de sécurité alimentaire, enfin, les consommateurs ont attendu de l’agriculture qu’elle fournisse une alimentation de qualité, respectueuse de l’environnement et épine dorsale de la revitalisation rurale. Aujourd’hui, l’ensemble de ces exigences se cumulent.

La future PAC trouvera sa légitimité dans l’approche multifonctionnelle de l’agriculture. L’étude de Mme Alessandra Kirsch précitée revient sur l’historique de la prise en compte des préoccupations environnementales et rurales au sein des politiques agricoles. Les « services écosystémiques et les services environnementaux », les « biens publics agricoles » et la notion de « multifonctionnalité » se rejoignent. Mais c’est cette dernière qui semble à vos rapporteurs la plus complète. D’après l’OCDE (37), les produits concernés par la multifonctionnalité sont :

– la sécurité alimentaire ;

– l’utilisation de l’eau ;

– la qualité de l’eau ;

– la qualité de l’air ;

– la qualité des sols ;

– la conservation des terres ;

– les gaz à effet de serre ;

– la viabilité rurale ;

– la diversité des espèces et des écosystèmes ;

– le paysage ;

– le bien-être des animaux ;

– le patrimoine culturel.

Les 5 et 6 septembre 2016, la déclaration de Cork 2.0 (38) a proposé dix grandes orientations pour une politique agricole et rurale innovante, inclusive et intégrée. Elle insiste en particulier sur l’innovation et le transfert de connaissances favorables au développement local, le développement de meilleurs outils de gestion des risques, la protection de l’environnement, une meilleure gestion des ressources naturelles et des actions en faveur d’une meilleure cohérence des politiques rurales à travers l’Union européenne.

Cette déclaration de Cork 2.0 doit servir de base à la mise en place d’un agenda pour le développement rural dans le cadre de la prochaine réforme de la PAC.

Vos rapporteurs souscrivent aux constats et objectifs de la Déclaration, à savoir :

– l’économie rurale et les exploitations dépendront de manière croissante de la numérisation et de la formation des travailleurs dans ce domaine ;

– il est nécessaire de s’assurer que les espaces ruraux en Europe demeurent des endroits attractifs pour y vivre et y travailler en améliorant l’accès des citoyens ruraux aux services et aux opportunités de travail.

L’enjeu de la ruralité est important, il a été reconnu à travers le second pilier de la PAC : les zones essentiellement rurales occupent 52 % du territoire européen et abritent 112 millions d’habitants du Parlement européen. Le taux d’emploi y a toujours été inférieur à celui de l’ensemble de l’Union européenne.

Les zones rurales représentent, selon le rapport de la commission de l’agriculture et du développement rural, sur la façon dont la PAC peut améliorer la création d’emplois dans les zones rurales » (39), 77 % du territoire de l’Union européenne.

L’agriculture est la colonne vertébrale de l’économie rurale. De ces emplois strictement agricoles dépendent les emplois du secteur agroalimentaire et, parfois du tourisme. Agriculture et industrie agroalimentaire représentent 15 millions d’entreprises et génèrent 46 millions d’emplois dans l’Union européenne. Le secteur du machinisme agricole et, plus largement, de la fourniture de services à l’agriculture est également très large.

Alors que la vitalité rurale est en perte de vitesse (flux migratoires vers les zones urbaines, isolement des territoires les plus reculés, baisse des revenus, chômage, etc.), l’agriculteur y est la seule source d’un dynamisme économique qui emporte avec lui des retombées économiques et sociales importantes.

Les infrastructures y sont moins développées, ainsi que l’accès aux services publics, dont les coûts, en raison de la faible densité de population et de l’accessibilité de certaines zones, sont plus élevés. La localisation rurale des exploitations agricoles assure pourtant un développement équilibré des territoires.

Sur le principe du « pollueur-payeur », MM. Jean-Christophe Bureau et Louis-Pascal Mahé recommandent le principe du « fournisseur-payé », au sens de fournisseur de biens publics. La satisfaction des attentes sociétales est parfois contradictoire avec la recherche de compétitivité mais, dans le cas de l’agriculture, la rémunération de la multifonctionnalité se conjugue avec le développement d’exploitations durables, ancrées dans les territoires et riches en emplois.

Il est aujourd’hui admis que la politique rurale est assise sur une base économique plus large que la seule agriculture. L’agriculture n’en demeure pas moins l’épine dorsale de l’emploi rural, directement et indirectement.

Le secteur agricole de l’Union européenne employait, en 2015, 9,2 millions de personnes, soit 4,2 % de l’emploi européen, réparties sur près de 11 millions d’exploitations (40). L’industrie agroalimentaire employait, en 2015, 5 millions de personnes, 2,3 % de l’emploi européen. Ces chiffres sont en constante diminution.

La progressive réduction des instruments d’intervention de la PAC s’est accompagnée d’une forte concentration et d’une chute corrélée du nombre d’emplois dans l’agriculture. Le rapport du Parlement européen de M. Éric Andrieu (41) est le dernier à en tirer le bilan, puisqu’il considère que « depuis des décennies, dans bon nombre de pays européens, les zones rurales se vident de leurs agriculteurs, que les revenus des agriculteurs et d’autres travailleurs agricoles diminuent et que l’emploi agricole y perd du terrain ».

Selon ce même rapport (42), 23,6 % des emplois agricoles ont disparu entre 2005 et 2014 ainsi qu’une exploitation sur quatre dans l’Union européenne. 26 % des exploitations ont ainsi disparu en France entre 2003 et 2013. Ces chiffres illustrent un mal-être se traduisant par un taux de suicide élevé.

Or, outre la PAC, l’emploi fait partie d’une des principales priorités de l’Union européenne, au titre, notamment, de la cohésion sociale et territoriale sur tout le continent. par le biais du Fonds européen pour les investissements stratégiques (FEIS). La création d’emplois dans les secteurs industriel et tertiaire a provoqué un appel d’air dont les campagnes ont été les premières victimes.

Comme le regrette M. Éric Andrieu, alors qu’elle représente 40 % du budget de l’Union, la PAC elle-même ne se préoccupe pas de l’emploi. La PAC s’est longtemps centrée sur l’augmentation de la productivité du travail au détriment du maintien d’emplois agricoles durables au sein d’exploitations agricoles résilientes. La priorité a trop souvent été donnée à l’agrandissement des exploitations, sans que soient aujourd’hui avérées les économies d’échelle et leur capacité à mieux résister aux crises.

Les emplois agricoles sont par définition durables car non délocalisables. À ce titre, il convient de les soutenir, en particulier compte tenu du ciblage des aides sur les actifs agricoles et non sur la simple possession des terres. Comme nous le verrons, au critère de l’actif agricole dans la distribution des aides, il est nécessaire d’ajouter le critère de l’emploi.

La PAC a longtemps privilégié les grands volumes de production et la recherche de compétitivité, critères qui se sont traduits par une agriculture plus intensive, nuisible à l’environnement.

Selon le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), l’agriculture est responsable de 10 à 12 % de toutes les émissions de gaz à effet de serre présents dans l’atmosphère.

M. Claude Blumann, dans « L’écologisation de la politique agricole commune » relève « que si les dommages directs causés par l’agriculture au climat – rejets d’effluents de certaines installations agricoles (foresteries, fabrication de bois) ou agroalimentaires, méthane, déjections animales – sont peu de chose par rapport aux émissions résultant du transport, des installations industrielles ou du chauffage urbain, l’agriculture se trouve à l’origine d’un certain nombre de dommages collatéraux tels l’atteinte aux ressources en eau, à la biodiversité, aux écosystèmes en général, lesquels ont à leur tour des effets néfastes sur le climat » (43).

Selon France Nature Environnement, « la situation de la biodiversité associée aux espaces agricoles est particulièrement alarmante :

« – l’Agence européenne de l’environnement (AEE) observe que "la biodiversité dans les agro-systèmes est sous une pression considérable en raison de l’intensification et l’abandon des terres" et en 2011, l’indice européen des oiseaux des espaces agricoles est tombé à son niveau le plus bas enregistré. Le déclin bien documenté chez les oiseaux des espaces agricoles reflète aussi des baisses de population d’autres espèces liées aux milieux agricoles, comme le souligne un récent rapport : 60 % des espèces étudiées étaient en déclin, y compris 64 % des papillons des espaces agricoles, 70 % des carabes et 76 % des espèces de plantes préférées par les bourdons comme sources alimentaires (44) ;

« – l’intensification de la production agricole représente une des causes majeures du déclin des habitats naturels et semi-naturels ;

« – l’agriculture constitue la première menace pour les habitats d’intérêt communautaire et les oiseaux, la seconde pour les autres espèces d’intérêt communautaire ;

« – entre 2011 et 2012, 39 % des habitats d’intérêt communautaire associés aux écosystèmes agricoles se sont dégradés, 49 % sont restés en état de conservation défavorable ou inconnu et seuls 4 % se sont améliorés ;

« – les surfaces toujours en herbe sont en constante diminution ;

« – en France, l’abondance des populations d’oiseaux communs métropolitains a diminué de 32 % pour les espèces des milieux agricoles depuis 1989 ;

« – plus de 40 % des rivières et des eaux côtières sont touchées par une pollution diffuse provenant de l’agriculture ;

« – les populations de papillon des prairies ont baissé par presque 50 % en Europe entre 1990 et 2011, la principale cause étant l’agriculture ;

« – la liste nationale des plantes messicoles comporte 102 taxons, dont environ 51 % sont considérés en situation précaire et environ 7 % comme disparus ;

« – la consommation de produits phytosanitaires continue d’augmenter. » (45).

L’impact de l’agriculture sur l’eau, l’air, les sols et le climat est indéniable et a justifié que la PAC se préoccupe de plus en plus de l’environnement après avoir longtemps favorisé la seule recherche des rendements et de la productivité dans un contexte de prix élevé et de rareté des denrées alimentaires après-guerre.

Les agriculteurs, dont la nature est le premier des outils de production, sont également victimes des atteintes à l’environnement.

Les sécheresses, les inondations et l’apparition de nouvelles maladies frappent les agriculteurs de plein fouet. Ainsi, au niveau mondial, le changement climatique réduira les rendements agricoles de 2 % par décennie en moyenne (46).

Les agriculteurs sont également physiquement victimes de la pollution qu’ils génèrent via l’usage de pesticides, trop longtemps favorisé, comme l’a rappelé aux rapporteurs l’audition du ministère de la santé.

Les externalités négatives de l’agriculture doivent être reconnues pour mieux les identifier et permettre aux exploitations agricoles d’adapter leurs pratiques.

La conférence de Paris de décembre 2015 a rappelé que l’agriculture faisait partie de la solution pour faire face au changement climatique.

Si le terme d’« agroécologie » est encore nouveau, il renvoie à des idées relativement anciennes, depuis l’ouvrage de M. Altieri (47). Selon Mme Cécile Claveirole, dans son avis au CESE (48), la définition que l’on donne à ce terme présage directement de ce qu’on peut en attendre. Ainsi, selon elle, l’agroécologie « vise non seulement à transformer l’agriculture mais aussi à repenser l’ensemble des systèmes alimentaires afin de les rendre plus durables. L’agroécologie propose (…) de répondre à un double objectif :

« – optimiser la productivité tout en renforçant leur capacité de résilience face à de nouvelles incertitudes imposées par le changement climatique et la volatilité des prix agricoles et alimentaires ;

« – maximiser les services écologiques susceptibles d’être fournis par les agrosystèmes et limiter les impacts négatifs, en particulier par un moindre recours et une moindre dépendance aux ressources fossiles. »

Dans l’ensemble, les pratiques agroécologiques visent donc à limiter le recours aux intrants, énergie comprise. Pour M. Olivier de Schutter, « les principes fondamentaux de l’agroécologie sont notamment les suivants : le recyclage des éléments nutritifs et de l’énergie sur place plutôt que l’introduction d’intrants extérieurs ; l’intégration des cultures et du bétail ; la diversification des espèces et des ressources génétiques des agro-écosystèmes dans l’espace et le temps ; et l’accent mis sur les interactions et la productivité à l’échelle de l’ensemble du système agricole plutôt que sur des variétés individuelles ». Pour les représentants du ministère de la santé que vos rapporteurs ont reçus, « la PAC doit être un levier pour développer des filières comme les légumineuses, lutter contre la prévalence de l’obésité et accompagner les filières vers des systèmes agroécologiques, mais aussi mieux tracer la qualité sanitaire des produits, notamment par rapport à l’utilisation de perturbateurs endocriniens comme intrants ». C’est donc à de multiples titres que l’encouragement des démarches agroécologiques peut inspirer la future réforme de la PAC.

Les mesures de verdissement des aides témoignent que la prise de conscience est engagée.

Les agriculteurs peuvent tirer parti de l’agroécologie :

– par les économies de coûts de production permises par les économies en intrants ;

– par le développement d’une communication commerciale basée sur le respect de l’environnement, sur le modèle de l’agriculture biologique.

En France, l’agroécologie, mise en avant par la loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, promeut et accompagne le renouvellement des pratiques agricoles à travers la définition du modèle agro-écologique et intéresse tout autant la diversité de nos agricultures que les secteurs agroalimentaire et forestier (49). Elle engage ainsi la transition de l’agriculture française vers une triple performance : économique, environnementale et sociale.

Pour M. Michel Reynaud, vice-président d’Ecocert (50), la certification telle qu’elle est utilisée pour l’agriculture biologique est un bon outil car elle permet de valoriser les pratiques. L’agriculture biologique remplit d’ailleurs aussi des fonctions de biens publics (stockage de carbone, biodiversité) tout en répondant à un marché à forte valeur ajoutée.

Sans tomber dans l’excès d’optimisme, on peut dire que les grandes exploitations ont les moyens d’investir pour diminuer leur coût environnemental et que les plus petites sont moins intensives et donc moins polluantes.

La formation est importante. Longtemps, le recours aux produits phytopharmaceutiques était un gage de modernité. Mais, désormais, le moindre usage d’intrants témoigne d’une meilleure maîtrise des systèmes de production, qui requiert plus de techniques et de connaissances pour répondre aux attaques (parasitaires, climatiques).

Pour M. Samuel Féret, d’ARC 2020, la contribution de l’agriculture à la protection de l’environnement passe par l’encouragement aux formes collectives de mobilisation. Cette organisation appelle à favoriser les approches collectives sur le territoire pour gérer les biens publics environnementaux, tout en poursuivant l’objectif de simplification des dispositifs.

Les citoyens européens sont de plus en plus défiants envers les systèmes agricoles et alimentaires. Il faut que la PAC recrée le lien entre agriculture et alimentation et restaure la confiance en nos systèmes de production, dont la qualité et la traçabilité sont pourtant mondialement reconnues. La PAC a trop longtemps été seulement tournée vers la production et elle s’est écartée des attentes sociétales, éloignant par là même les consommateurs de l’acte de production et de la compréhension du monde agricole (51).

Pour le Cercle européen des jeunes agriculteurs, l’éloignement entre les agriculteurs et la population est l’un des principaux défis de l’agriculture d’ici à 2020.

Seule une législation exigeante et une transparence sur les pratiques de production peuvent permettre aux citoyens consommateurs de se rapprocher des producteurs.

L’avenir de l’agriculture passe par la confiance des consommateurs dans les produits issus de l’agriculture et de l’agroalimentaire. Cela ne signifie pas que l’industrie agroalimentaire doit être l’objet de suspicion mais elle est à même de déployer des moyens de contrôle propres à rassurer les consommateurs.

Pour autant, la confiance passe par la transparence sur les pratiques et la clarté des règles : l’étiquetage de l’origine des produits, de leur composition et de leur mode de fabrication, que la France a souhaité depuis longtemps mettre en avant, permet aux consommateurs d’accéder à la traçabilité des produits.

Les réglementations sanitaires peuvent aussi accélérer la disparition de petits producteurs qui ne pourraient se mettre aux normes et engendrer l’uniformisation des pratiques de production et de transformation. Par exemple, le renforcement de la réglementation sur les produits fermiers pourrait contrarier le développement de filières de production locales et ainsi s’opposer aux politiques de développement rural. Vos rapporteurs estiment donc qu’il convient d’y rester attentif dans toute forme de valorisation des méthodes de certification.

La traçabilité est toutefois la marque de fabrique des produits européens. Comme le rappelait Ecocert, celle-ci repose sur la confiance des consommateurs via :

– la clarté des règles ;

– la transparence sur l’origine des produits ;

– la vérification du respect des règles.

Comme le souligne l’avis du Conseil économique et social européen (52), « avec la mondialisation, les États-Unis s’appuient sur le levier financier pour promouvoir leur agriculture auprès des consommateurs grâce au Food Stamp program (programme de bons alimentaires destiné aux plus démunis) et au Buy American Act (loi favorisant l’achat de produits américains). L’Union européenne devrait prendre des mesures similaires et pourrait mettre en lumière l’importance stratégique de la préférence européenne au moyen d’un « Buy European act ». Vos rapporteurs partagent cette analyse.

La PAC doit promouvoir la qualité nutritionnelle des productions agricoles et agroalimentaires et garantir une alimentation goûteuse, saine et accessible à tous.

Il n’y a pas, à ce jour, d’objectif de qualité de l’alimentation dans les règlements instituant la PAC alors qu’il correspond à une réelle attente des citoyens. Cette compétence est dévolue aux États membres.

Comme le remarque la Confédération paysanne, auditionnée par vos rapporteurs, la PAC n’inclut pas de volet alimentation. C’est un axe qui, selon elle, doit devenir stratégique : promouvoir une politique agricole et alimentaire commune (PAAC).

Ce souhait est partagé par M. Samuel Féret, d’ARC 2020, qui met en avant l’importance de la santé publique et de la nutrition, au-delà même de ce que le consommateur demande.

On peut d’ailleurs relever que la présidence néerlandaise du Conseil de l’Union européenne a mis en avant l’idée d’une politique alimentaire commune. C’est par la promotion de systèmes alimentaires et agricoles durables que l’Union européenne peut aussi assurer à ses citoyens une alimentation saine et équilibrée. Des mesures pourraient être prises pour appuyer, au sein de la PAC, des systèmes alimentaires territorialisés qui s’appuient, comme en France, sur les circuits courts et l’approvisionnement de proximité, en particulier dans la restauration publique et collective, qui constituent d’importants leviers d’action.

Vos rapporteurs sont optimistes sur la capacité de la société, en particulier des consommateurs, à transformer les pratiques agricoles. La PAC doit entendre ces attentes, accompagner les agriculteurs dans le changement de leurs pratiques et mettre en avant des systèmes de production agricole rémunérateurs, à même de répondre à ces défis.

TROISIÈME PARTIE :
QUELS INSTRUMENTS POUR LA PAC DE DEMAIN ?

La description de l’agriculture européenne de demain, telle que vos rapporteurs la conçoivent, ne relève pas seulement de la prospective. Ils souhaitent profiter des réflexions sur la future PAC pour agir en faveur d’une meilleure mise en œuvre des outils actuels et influer, dans la mesure de leurs moyens, sur les perspectives européennes de moyen terme.

Qu’il soit permis toutefois aux rapporteurs d’exprimer une conviction qu’ils ont eu l’occasion de partager avec les représentants de la Commission européenne ainsi qu’avec les membres du Comité économique et social européen : les agriculteurs ont besoin que soit palliée la volatilité des prix mais aussi la volatilité réglementaire. La pleine expression de la dernière réforme de la PAC nécessite une stabilité législative que des évènements tels que le Brexit risquent de mettre en cause, compte tenu de l’impact budgétaire qu’il emporte. C’est pourquoi ils accueillent comme un élément de bon sens l’idée que le calendrier conduisant à renégocier la PAC en 2020 est impossible à tenir. Les élections qui renouvelleront le Parlement européen, puis la Commission européenne, auront lieu en 2019 ; il est donc peu probable que les négociations menées autour du projet des instances précédentes soient reprises telles quelles par la nouvelle majorité. En tout état de cause, la nécessité d’une vision de long terme et de débats constructifs plaident pour une extension de deux ans, au minimum, du cadre actuel de la PAC. Dès lors, si vos rapporteurs réfléchissent ici aux outils de la PAC pour demain, ils gardent à l’esprit que demain, c’est 2023.

Malgré ce calendrier fluctuant, une conviction demeure : la PAC doit rester une politique socle de l’Union européenne, dont elle témoigne à la fois du caractère intégré et de la valeur ajoutée qu’elle peut apporter. Comme l’a exprimé Samuel Féret, d’Arc 2020, « la PAC reste indispensable, compte tenu des incertitudes géopolitiques, financières, dans lequel l’agriculture évolue. Elle n’est pas parfaite, mais elle est toujours désespérément nécessaire. La PAC permet indirectement de maintenir la cohésion territoriale à l’échelle de l’Europe. » Première politique européenne, historiquement, territorialement, et longtemps budgétairement, il est crucial que la PAC puisse garder, tant symboliquement que pratiquement, son caractère prééminent.

Les réformes successives de la PAC ont fait entrer les producteurs européens de plain-pied dans l’ère de la volatilité. La baisse progressive mais constante des outils d’intervention depuis la réforme McSharry de 1992 l’atteste : les agriculteurs doivent désormais, au sein de la PAC, être en capacité de répondre aux signaux des marchés. Il demeure toutefois que le secteur agricole comporte des spécificités qui ne permettront jamais, de l’avis des personnes auditionnées par vos rapporteurs, d’atteindre des conditions de concurrence pure et parfaite. Ces obstacles sont :

– les liens endogènes entre l’activité agricole et les cycles économiques naturels, qui ralentissent l’adaptation de l’offre aux mutations de la demande et empêchent la formation d’un prix reflétant les conditions du marché ;

– l’inélasticité de la demande qui contribue également à entraîner des insuffisances au sein du marché ;

– les deux derniers éléments combinés qui entraînent de très fortes variations de prix pour une faible variation de volume, ainsi que l’a démontré la récente crise laitière. En effet, l’augmentation de la production, principalement européenne, couplée avec les faiblesses de la demande chinoise et l’embargo russe ont conduit à une chute des prix qui, à l’heure actuelle, peinent encore à retrouver un niveau assurant aux producteurs des revenus décents.

Il demeure toutefois que la capacité des producteurs à faire face aux aléas ne repose pas uniquement sur les outils de gestion des risques mais aussi sur la résilience intrinsèque des exploitations agricoles. Ainsi, celles qui cumulent une diversité de sources de revenus, l’adaptation de la production aux nouvelles demandes sociétales et des modes de production moins dépendants des marchés en amont bénéficient d’autant de protections immédiates contre la volatilité des prix.

L’orientation de la PAC des outils d’intervention vers des outils de gestion des crises potentielles a déjà conduit à la création d’instruments dont vos rapporteurs déplorent la faible utilisation.

Certaines filières agricoles ont fait l’objet d’une attention spéciale, en vertu des caractéristiques inhérentes à leur production. En particulier, la filière vitivinicole bénéficie toujours, au sein de l’OCM unique, de mesures d’aide spécifiques, maintenues de haute lutte lors des négociations autour des autorisations de plantation (53), qui assurent :

– au titre de l’article 48, des aides à la constitution de fonds de mutualisation, qui peuvent être octroyées sous la forme d’un soutien temporaire et dégressif visant à couvrir les coûts administratifs des fonds ;

– au titre de l’article 49, d’aides en faveur de l’assurance-récolte, qui ne doivent pas excéder une part – au demeurant élevée – du coût des primes pour les producteurs (54).

En raison du caractère très périssable de leurs produits, la filière des fruits et légumes fait également l’objet de dispositions destinées à assurer le revenu des producteurs. Ainsi, le règlement OCM unique prévoit là encore des aides en faveur des fonds de mutualisation (55), à hauteur d’un tiers du montant total du programme.

Il en va enfin ainsi des mesures inscrites dans le « paquet lait » (56), qui contient des éléments visant à stabiliser le revenu des producteurs, et reconnaît :

– la nécessité d’intervenir dans les évolutions des marchés agricoles (57) ;

– les spécificités du marché du lait, pour lequel il est nécessaire que la Commission « soit en mesure de répondre de manière concrète et efficace aux menaces de perturbation du marché », et notamment par des actions collectives susceptibles de déroger à l’article 101, paragraphe 1 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, de manière temporaire ;

– l’intérêt de mettre en place un observatoire européen du marché laitier (Milk Market Observatory), dont l’un des buts principaux, selon l’article 223 de l’OCM unique, est que la Commission puisse « adopter les mesures nécessaires relatives aux communications à effectuer par les entreprises, les États membres et les pays tiers » à des fins de surveillance, d’analyse et de gestion du marché des produits agricoles, mais aussi pour assurer la transparence du marché et la bonne transmission des instruments de la PAC.

Outre les caractéristiques propres à chaque filière, la Commission a également reconnu la dimension globale intrinsèque à la volatilité sur les marchés de matière première.

Les éléments destinés à pallier les effets de la volatilité ont été progressivement transférés du premier au second pilier. Ils sont donc inscrits dans son règlement fondateur (58), en ses articles 36 à 39. Ce transfert a impliqué que ces mécanismes soient cofinancés et ne soient pas mis en place de manière harmonisée par tous les États membres.

Instruments de gestion des risques contenus dans le Second pilier

Article 36

Gestion des risques

1. L’aide au titre de la présente mesure couvre :

a) les participations financières pour le paiement des primes d’assurance concernant les cultures, les animaux et les végétaux qui couvrent les pertes économiques subies par les agriculteurs et causées par des phénomènes climatiques défavorables, des maladies animales ou végétales, des infestations parasitaires ou un incident environnemental ;

b) les participations financières aux fonds de mutualisation en vue du paiement de compensations financières aux agriculteurs pour les pertes économiques découlant de phénomènes climatiques défavorables, de l’apparition d’une maladie animale ou végétale, d’infestations parasitaires ou d’un incident environnemental ;

c) un instrument de stabilisation des revenus, sous la forme de participations financières à des fonds de mutualisation, fournissant une compensation aux agriculteurs en cas de forte baisse de leurs revenus.

2. Aux fins du présent article, on entend par "agriculteur", un agriculteur actif au sens de l’article 9 du règlement (UE) n° 1307/2013.

3. Aux fins de l’application du paragraphe 1, points b) et c), on entend par "fonds de mutualisation", un système reconnu par l’État membre conformément à son droit national et permettant aux agriculteurs affiliés de s’assurer et de percevoir des indemnités en cas de pertes économiques découlant de phénomènes climatiques défavorables, de l’apparition d’un foyer de maladie animale ou végétale, d’infestations parasitaires, d’un incident environnemental ou en cas de forte baisse de leurs revenus.

4. Les États membres veillent à ce que toute surcompensation résultant de la combinaison de cette mesure et d’autres instruments d’aide nationaux ou de l’Union ou des régimes d’assurance privés soit évitée.

5. Afin de garantir l’utilisation efficace des ressources budgétaires du Feader, la Commission est habilitée à adopter des actes délégués en conformité avec l’article 83 en ce qui concerne la durée minimale et maximale des prêts commerciaux aux fonds de mutualisation visés à l’article 38, paragraphe 3, point b), et à l’article 39, paragraphe 4.

La Commission présente au Parlement européen et au Conseil un rapport sur l’application du présent article au plus tard le 31 décembre 2018.

Article 37

Assurance cultures, animaux et végétaux

1. L’aide prévue à l’article 36, paragraphe 1, point a), ne peut être octroyée que pour les contrats d’assurance qui couvrent les pertes causées par un phénomène climatique défavorable, par une maladie animale ou végétale, par une infestation parasitaire, par un incident environnemental ou par une mesure adoptée conformément à la directive 2000/29/CE pour éradiquer ou contenir une pathologie végétale ou un parasite détruisant plus de 30 % de la production annuelle moyenne de l’agriculteur au cours des trois années précédentes ou de sa production moyenne triennale calculée sur la base des cinq années précédentes, en excluant la valeur la plus élevée et la valeur la plus faible.

Il est possible de recourir à des indices pour calculer la production annuelle de l’agriculteur. La méthode de calcul utilisée permet de déterminer la perte réelle subie par un agriculteur au cours d’une année donnée.

L’évaluation de l’ampleur des pertes causées peut être modulée en fonction des caractéristiques spécifiques de chaque type de produit par le recours à :

a) des indices biologiques (quantité de biomasse perdue) ou des indices équivalents de perte de rendement établis au niveau de l’exploitation ou au niveau local, régional, national, ou

b) des indices climatiques (y compris pluviosité et température) établis au niveau local, régional ou national.

2. Le phénomène climatique défavorable ou le foyer de maladie animale ou végétale ou l’infestation parasitaire ou l’incident environnemental doivent être officiellement reconnus par l’autorité compétente de l’État membre concerné.

Les États membres peuvent, le cas échéant, établir à l’avance des critères sur la base desquels cette reconnaissance officielle est réputée effective.

3. En ce qui concerne les maladies animales, une compensation financière au sens de l’article 36, paragraphe 1, point a), ne peut être octroyée que pour des maladies figurant sur la liste des maladies animales établie par l’Organisation mondiale de la santé animale ou à l’annexe de la décision 2009/470/CE.

4. Les prestations d’assurance ne peuvent pas compenser plus que le coût total du remplacement des pertes visées à l’article 36, paragraphe 1, point a), ni comporter des exigences ou des spécifications quant au type ou à la quantité de la production future.

Les États membres peuvent limiter le montant de la prime admissible au bénéfice de l’aide en imposant des plafonds appropriés.

5. L’aide est limitée au taux maximal fixé à l’annexe II.

Article 38

Fonds de mutualisation en cas de phénomènes climatiques défavorables, de maladies animales et végétales, d’infestations parasitaires et d’incidents environnementaux

1. Pour pouvoir bénéficier d’une aide, le fonds de mutualisation concerné :

a) est reconnu par l’autorité compétente conformément au droit national ;

b) mène une politique transparente concernant les versements et les retraits effectués sur le fonds ;

c) a des règles claires en matière de responsabilités pour des dettes éventuelles.

2. Les États membres définissent les règles régissant l’établissement et la gestion des fonds de mutualisation, notamment en ce qui concerne l’octroi des indemnités aux agriculteurs et leur éligibilité en cas de crise, ainsi que la gestion et le contrôle du respect de ces règles. Les États membres veillent à ce que les modalités régissant les fonds prévoient des sanctions en cas de négligence de la part de l’agriculteur.

Les incidents mentionnés à l’article 36, paragraphe 1, point b), doivent être officiellement reconnus par l’autorité compétente de l’État membre concerné.

3. Les participations financières visées à l’article 36, paragraphe 1, point b), ne peuvent concerner que :

a) les coûts administratifs liés à l’établissement du fonds de mutualisation, répartis de manière dégressive sur une période maximale de trois ans ;

b) les montants prélevés sur le fonds de mutualisation pour payer les indemnités octroyées aux agriculteurs. En outre, la contribution financière peut porter sur les intérêts afférents aux emprunts commerciaux contractés par le fonds de mutualisation aux fins du paiement de l’indemnité financière aux agriculteurs en cas de crise.

L’aide prévue à l’article 36, paragraphe 1, point b), ne peut être octroyée que pour couvrir les pertes causées par un phénomène climatique défavorable, par une maladie animale ou végétale, par un parasite ou par une mesure adoptée conformément à la directive 2000/29/CE pour éradiquer ou contenir une pathologie végétale ou une infestation parasitaire ou par un incident environnemental qui détruisent plus de 30 % de la production annuelle moyenne de l’agriculteur au cours des trois années précédentes ou de sa production moyenne triennale calculée sur la base des cinq années précédentes, en excluant la valeur la plus élevée et la valeur la plus faible. Il est possible de recourir à des indices pour calculer la production annuelle de l’agriculteur. La méthode de calcul utilisée permet de déterminer la perte réelle subie par un agriculteur au cours d’une année donnée.

Aucune participation de fonds publics n’est accordée au capital social initial.

4. En ce qui concerne les maladies animales, une compensation financière peut être octroyée au titre de l’article 36, paragraphe 1, point b), pour les maladies figurant sur la liste des maladies animales établie par l’Organisation mondiale de la santé animale ou à l’annexe de la décision 2009/470/CE.

5. L’aide est limitée au taux d’aide maximal fixé à l’annexe II.

Les États membres peuvent limiter les coûts admissibles au bénéfice de l’aide en appliquant :

a) des plafonds par fonds ;

b) des plafonds unitaires appropriés.

Article 39

Instrument de stabilisation des revenus

1. L’aide prévue à l’article 36, paragraphe 1, point c), n’est accordée que dans les cas où la baisse du revenu est supérieure à 30 % du revenu annuel moyen de l’agriculteur concerné au cours des trois années précédentes ou d’une moyenne triennale basée sur les cinq années précédentes, en excluant la valeur la plus élevée et la valeur la plus faible. Aux fins de l’article 36, paragraphe 1, point c), on entend par "revenus", la somme des recettes que l’agriculteur obtient du marché, y compris toute forme de soutien public, déduction faite des coûts des intrants. Les paiements effectués par le fonds de mutualisation aux agriculteurs compensent moins de 70 % de la perte de revenu au cours de l’année où le producteur devient éligible au bénéfice de cette aide.

2. Pour pouvoir bénéficier d’une aide, le fonds de mutualisation concerné :

a) est reconnu par l’autorité compétente conformément au droit national ;

b) mène une politique transparente concernant les versements et les retraits effectués sur le fonds ;

c) a des règles claires en matière de responsabilités pour des dettes éventuelles.

3. Les États membres définissent les règles régissant l’établissement et la gestion des fonds de mutualisation, notamment en ce qui concerne l’octroi des indemnités aux agriculteurs en cas de crise, ainsi que la gestion et le contrôle du respect de ces règles. Les États membres veillent à ce que les modalités régissant les fonds prévoient des sanctions en cas de négligence de la part de l’agriculteur.

4. Les participations financières visées à l’article 36, paragraphe 1, point c), ne peuvent concerner que :

a) les coûts administratifs liés à l’établissement du fonds de mutualisation, répartis de manière dégressive sur une période maximale de trois ans ;

b) les montants prélevés sur le fonds de mutualisation pour payer les indemnités octroyées aux agriculteurs. En outre, la contribution financière peut porter sur les intérêts afférents aux emprunts commerciaux contractés par le fonds de mutualisation aux fins du paiement de l’indemnité financière aux agriculteurs en cas de crise. Aucune participation de fonds publics n’est accordée au capital social initial.

5. L’aide est limitée au taux maximal fixé à l’annexe II.

Les palliatifs aux dysfonctionnements du marché existent donc, mais ils font encore trop peu l’objet d’une appropriation par les acteurs du secteur.

Les trois outils décrits dans le second pilier font chacun l’objet d’une appropriation différenciée, mais insuffisante.

Les assurances cultures, animaux et végétaux ne bénéficient que peu à ceux qui en ont le plus besoin. À cet égard, l’exemple de la filière vitivinicole est frappant. Les pouvoirs publics, dans le cadre du programme national pour la viticulture 2008/2013, n’ont consacré qu’1 % de ces aides à l’assurance-récolte, alors que les vignobles ont tendance à être particulièrement menacés par les catastrophes naturelles. Le recours aux assurances est très variable selon les régions, et sur les 6 000 vignerons de Bordeaux, seuls 1 500 sont assurés au sein de contrats aidés. Le taux de diffusion de l’assurance dans le secteur viticole est d’ailleurs passé de 23,16 % en 2015 à 22,9 % en 2016 (59). Les personnes auditionnées estiment notamment que le coût des cotisations est trop élevé et, à l’inverse, que la valeur de l’indemnisation trop faible.

Les fonds de mutualisation, qui doivent permettre d’assurer une forte réactivité face aux aléas climatiques ou économiques, font l’objet d’une garantie publique sous le régime de la PAC 2014-2020. Cela s’est traduit en France par l’agrément du FMSE (Fonds de mutualisation des risques sanitaires et environnementaux) qui traite spécifiquement des accidents sanitaires ou environnementaux. À ce titre, les indemnités versées aux agriculteurs victimes d’un incident sont prises en charge à 65 % par l’État (avec des crédits cofinancés à 75 % par l’Union européenne dans la limite de 40 millions d’euros) et à 35 % par les acteurs du secteur économique.

L’utilisation de tels fonds de mutualisation se heurte à des limites propres à l’exercice. Ce système, particulièrement prisé par les agriculteurs en phase d’installation ou dans une période difficile, ne sera pas utilisé par les agriculteurs ayant trouvé leur « rythme de croisière » (60). Il demeure toutefois que le FMSE a été salué à plusieurs reprises comme un système plus léger que le système assurantiel proprement dit, ayant réglé de nombreux problèmes concrets pour les 1 400 agriculteurs indemnisés depuis l’agrément du fonds en 2013 (61).

Cette aide, instituée par l’article 39 du même règlement, est strictement liée aux variations du revenu des producteurs et peut être utilisée en cas de chute supérieure à 30 % de ce dernier. Cet instrument, dont les conditions assez drastiques d’utilisation ont été destinées à lui permettre d’être conforme à la « boîte verte » de l’OMC, n’a été que très peu mis en place au sein des États membres. Seules la Hongrie, l’Italie et la région espagnole de Castilla y Leon y ont recours, ce qui, comme en témoigne le tableau ci-dessous, ne permet de toucher qu’une frange minime de l’ensemble des agriculteurs européens.

Application des programmes d’instruments de stabilisation
des revenus

PDR

Budget public

Nombre de bénéficiaires

Hongrie

18 769 048

4 500

Italie (national)

97 000 000

5 000

Castilla y León (ES)

14 000 000

950

Dans le cadre des réflexions sur l’avenir de la PAC, la lutte contre les effets négatifs de la volatilité a été identifiée par de nombreux acteurs comme un point clé. Plusieurs outils ont été examinés par vos rapporteurs pour tenter d’en estimer la validité et les conséquences.

La mise en place d’un système d’aides contracycliques est l’une des idées neuves mises en avant lors des auditions mais aussi l’une des plus débattues. Vantées par certains comme le meilleur des moyens pour stabiliser les revenus des producteurs, ces aides sont présentées par ailleurs comme une fausse solution.

Leur valeur auprès des personnes auditionnées tient à plusieurs points :

– les aides contracycliques permettraient de stabiliser les revenus des producteurs, de telle sorte que ces derniers pourraient retrouver une forme de visibilité économique, qui leur fait cruellement défaut dans le régime actuel (62) ;

– le caractère automatique de l’activation de ces aides pourrait éviter les retards pris dans le traitement des crises, à l’instar de la crise laitière de 2014-2016, dont la Commission européenne a tardé à prendre la mesure et pour laquelle les aides liées à la régulation des volumes ne sont intervenues qu’un an et demi après le début de la chute des prix.

L’exemple des États-Unis a souvent été cité lors des auditions, notamment pour montrer le coût des aides contracycliques. Le système américain repose en effet sur le programme alimentaire des « food stamps », qui bénéficient en premier lieu aux populations pauvres urbaines et aux chômeurs. 80 % du budget du « Farm Bill », soit environ 756 milliards de dollars, assure donc ce débouché aux productions agricoles américaines. Mais le programme 2014-2024 comprend également des aspects strictement assurantiels, tels que :

– le chapitre I consacré au programme grandes cultures, qui rassemble des filets de sécurité assurantiels de chiffre d’affaires (« Marketing Loans », « Price Loss Coverage (PLC) », « Agricultural Risk Coverage »), à hauteur de 44 milliards de dollars ;

– le chapitre XI relève quant à lui des assurances agricoles contre l’instabilité des marchés et la volatilité du prix des intrants, à hauteur de 89 milliards de dollars.

La comparaison se heurte toutefois à plusieurs phénomènes, au point que les promoteurs d’un système d’aides contracycliques pour la PAC ont estimé que les deux systèmes de chaque côté de l’Atlantique « n’avaient strictement rien à voir » (63). En effet, les budgets diffèrent largement, puisque le « Farm Bill » comprend au total 956,4 milliards de dollars sur dix ans contre 362,8 milliards d’euros pour la PAC au sein du cadre financier pluriannuel 2014-2020. De plus, le mélange entre les politiques sociales à destination de 46 millions d’Américains pauvres et la politique agricole n’est pas envisageable dans le contexte politique actuel de l’Union européenne.

Si la comparaison demeure donc difficile, les effets des aides contracycliques sur la situation de l’agriculture américaine mais aussi sur le budget de la politique agricole peuvent donner une idée de ce à quoi aboutirait l’application de telles aides en Europe.

En premier lieu, la contracyclicité du paiement pose des questions de maîtrise budgétaire au moment où la formation des prix mondiaux est difficile à anticiper. Ainsi, le Farm Act de 2014 ne contient aucune mesure de contrôle de l’offre. S’il permet de maintenir les revenus des agriculteurs rapidement, ces derniers ne sont en aucun cas encouragés à faire varier leur production pour retrouver un équilibre entre l’offre et la demande susceptible d’assurer un revenu décent. Le programme souffre, en ce cas, du double paradoxe de ralentir la sortie de crise et de générer sa propre croissance budgétaire (64).

D’autre part, un système d’aides contracycliques indexé sur la variation du revenu des producteurs peut contraindre à terme des efforts nécessaires en matière de productivité. Le risque est d’aboutir à une forme de surproduction qui, en plus d’être déconnectée du marché, renchérit le programme d’intervention publique, à l’instar de la PAC précédant la réforme McSharry. C’est ainsi que « plusieurs des effets négatifs d’un programme d’assurance de marge qui affaiblit le processus de rétroaction correctif pourraient se produire, incluant des périodes persistantes de bas prix, de faibles marges et d’importantes dépenses publiques » (65). Au Canada, le programme public pallie cette difficulté via un outil d’« agri-stabilité », dont les soutiens vont en diminuant en période prolongée de baisse des marges (66).

C’est donc uniquement en prenant en compte ces potentiels effets pervers que vos rapporteurs estiment que tout programme d’aides contracycliques peut être mis en œuvre.

Vos rapporteurs souscrivent à l’idée qu’à la volatilité des prix, il ne peut être apporté de réponse unique. La proposition la plus aboutie en matière d’aides contracycliques a été faite auprès de vos rapporteurs par le think tank Momagri (Mouvement pour une organisation mondiale de l’agriculture). Selon ce dernier, la diminution tendancielle des mesures d’intervention de l’Union européenne est à contre-courant des grandes tendances mondiales. La Chine, pour des raisons stratégiques et afin de contenir l’exode rural, a doublé le montant de ses interventions, tandis que le poids de l’aide publique américaine a été globalement maintenu puisque, selon M. Jacques Carles, « 95 % des produits alimentaires distribués au titre de l’aide viennent de produits américains. » La situation est donc la suivante :

D:\Utilisateurs\MBlanchard\Mes documents\Soutiens agri.png

Le projet développé par Momagri relève avant tout du premier pilier, ce qui doit faciliter ensuite une réallocation des aides au titre du second pilier. Le système fonctionnerait autour d’un prix d’équilibre calculé en fonction du prix de revient moyen européen sur cinq ans et révisable selon l’évolution des coûts de production. Autour de ce prix existerait un tunnel de variation libre sans intervention, dont les seuils plancher et plafond sont évalués relativement à la dispersion moyenne observée des coûts de revient des États membres. La mise en place de ce dispositif pourrait être complétée, ainsi que le montre le schéma suivant (67), par des politiques en faveur du stockage.

:\Utilisateurs\MBlanchard\Mes documents\Graphique PAC.png

Mais lorsque le prix passe en deçà d’un seuil, le « prix plancher », des paiements contracycliques se met en place. Enfin, un seuil d’intervention publique constitue la limite à partir de laquelle se mettent en place des instruments de stockage public. Celui-ci serait toutefois limité à 4 % de la production afin d’éviter tout effet « boule de neige » budgétaire.

Vos rapporteurs estiment toutefois que les mesures de stockage pourraient être mises en place de manière plus efficace par le biais d’une subvention au stockage privé. En effet, tandis que les bandes de prix entraînant un stockage public sont peu susceptibles de bien fonctionner en économie ouverte et reposent sur une bonne coopération des stockeurs privés, la subvention de stockage privé n’implique aucun stockage public et utilise le fait que les règles d’interventions optimales conduisent à des comportements de stockage très similaires à ceux de libre-échange mais avec des niveaux de stock plus élevés (68).

Les hypothèses de Momagri pourraient être d’autant plus intéressantes qu’elles conviennent aux impératifs actuels :

– respect de la logique des perspectives financières pluriannuelles ;

– valorisation d’une filière de qualité par l’ajout d’une aide évaluée à 75 euros par hectare destinée à compenser les coûts liés aux exigences qualitatives, environnementales ou sanitaires ;

– indexation des aides sur les références historiques pour les surfaces et les rendements afin de permettre aux producteurs de continuer à faire leur choix de culture en fonction des débouchés réels malgré le brouillage du signal-prix ;

– établissement du prix sur la base d’une moyenne des cotations d’un marché de référence sur une période suffisamment longue pour couvrir une grande partie de la période de commercialisation afin de maintenir sous contrôle le dispositif et éviter ainsi les risques de dérives budgétaires résultant de l’augmentation des surfaces ou des rendements ;

– compatibilité avec l’OMC, puisque l’aide « qualité Europe » relèverait de la « boîte verte », tandis que les paiements contracycliques et les mesures de stockage intègreraient la « boîte orange », à l’instar de ce que pratiquent les États-Unis. Il s’agirait alors de faire un meilleur usage des clauses de minimis par produits.

Ce système serait par ailleurs complété par une dimension « plafond » lorsque les prix augmentent au-delà d’un seuil. Des mécanismes de déstockage de régulation publique seraient alors activés, voire une taxe de solidarité appliquée aux producteurs dépassant les volumes définis au préalable dans une telle situation. Cette taxe abonderait un fonds de réserve pour les outils de gestion des crises.

Les simulations budgétaires pour lesquelles ce système a été éprouvé semblent montrer que son application, malgré des hypothèses de prix basses aurait entraîné, sur la période 2011-2020, des économies de l’ordre de 63 milliards d’euros. Le schéma ci-dessous montre que l’activation des paiements contracycliques, lors des crises de 2015 et 2016, entraîne une surconsommation des crédits par rapport aux autres années où les économies seraient substantielles. Si l’exercice de prévision demeure délicat malgré les prudences dans les hypothèses retenues, la réduction du budget global et l’allocation des ressources en fonction de la situation réelle des producteurs constituent un ensemble qui aurait le mérite de la simplicité et de l’efficacité.

D:\Utilisateurs\MBlanchard\Mes documents\MOMAGRI.png

L’impact sur les chiffres d’affaires ne serait pas nécessairement plus positif que sous la PAC actuelle, là encore, selon les simulations conduites par le think tank. Il en irait ainsi du secteur laitier puisque sur la période 2011-2020, qui comprend certes une période faste initiale mais également la crise que les éleveurs ont connue pendant ces deux dernières années. Le chiffre d’affaires moyen actuel serait de 379 euros par tonne contre 368 euros sous le régime proposé.

D:\Utilisateurs\MBlanchard\Mes documents\CA MOMAGRI.png

À l’inverse, le système actuel serait moins favorable aux céréaliers que s’ils bénéficiaient des aides contracycliques telles qu’elles sont proposées par Momagri. Le chiffre d’affaires, estimé sous le régime actuel à 218 euros en moyenne pour une tonne entre 2011 et 2020, s’élèverait à 225 euros via le dispositif imaginé.

D:\Utilisateurs\MBlanchard\Mes documents\Comparaison MOMAGRI.png

Ce système possède donc de très nombreux avantages qui ne doivent toutefois pas, selon vos rapporteurs, masquer les inconvénients qu’il comporte :

– il nécessite de revenir entièrement sur les « paiements verts », qui demeurent, malgré de nombreuses imperfections dans son champ d’application ainsi que dans sa mise en œuvre, l’un des principaux biais de rémunération des aménités positives agricoles, mais aussi sur le « paiement redistributif », qui vise à encourager le renouvellement générationnel ;

– il ne pallie pas la nécessité des assurances individuelles et, plus globalement, de l’ensemble des outils à mettre en place pour permettre à chaque producteur de mettre en place une stratégie adéquate, notamment relativement à sa situation dans le cycle de production ;

– il continue, ainsi que tout système d’aide contracyclique, à brouiller les signaux-prix et ralentit d’autant la capacité des agents économiques à s’adapter aux variations de la demande. Ainsi, Jean-Christophe Bureau, chercheur à Agro Paris Tech, a exprimé ses doutes devant vos rapporteurs sur les effets d’un tel système : « les paiements contracycliques sont une fausse bonne idée. On renvoie des mauvais signaux au mauvais moment. On se priverait aussi du levier conditionnalité. Il y a trop d’effets pervers. »

Il s’agit là d’autant de raisons pour lesquelles vos rapporteurs ne recommandent pas le passage à un système d’aides contracycliques. L’exemple américain, certes différent, ne plaide pas pour une maîtrise budgétaire dans ce type de configuration. Par ailleurs, l’instauration d’un tel système contraindrait excessivement la marge de manœuvre des producteurs et brouillerait les prix de telle sorte que ceux-ci ne pourraient plus jouer leurs rôles de guides.

Vos rapporteurs partagent l’idée, avec le groupe de travail animé par M. Cees Veerman, que le « passage de mesures de gestion des marchés au jour le jour à des règles permettant de recourir à des instruments gérés par le secteur est un processus qui est encore en cours : le cadre d’action peut et doit encore être amélioré. » (69). L’amélioration de la résilience des producteurs dans le cadre d’une volatilité accrue des prix sur les marchés doit passer par un panel d’outils adaptés à chaque risque et à chaque situation. C’est pourquoi il convient d’en évaluer les bénéfices et les inconvénients, à l’instar du système d’aides contracycliques.

Ils estiment en premier lieu que certains aléas doivent être gérés par les exploitants eux-mêmes via d’une part la diversification de leurs exploitations, et d’autre part la constitution d’une épargne de précaution. Il n’en demeure pas moins que ces instruments peuvent faire l’objet d’un encouragement via les aides PAC. C’est dans cette perspective qu’ils partagent avec le Gouvernement la nécessité de trouver un outil efficace de soutien à la trésorerie des exploitants, qui pourrait prendre les traits d’une épargne de précaution obligatoire. Dans l’esprit de cette contribution, une telle épargne mettrait fin au système de réserve de crise européenne et aurait vocation à couvrir tous les risques à une échelle individuelle. En pratique, un soutien direct versé sur un compte bloqué pour une certaine durée et mobilisable en cas d’aléas pourrait être complété par des versements volontaires des exploitants, bénéficiant alors d’un abondement incitatif par la puissance publique. Cet outil aurait l’avantage de laisser une marge de manœuvre importante à chaque exploitant, tout en assurant un soutien public fort et nécessaire à la réassurance ainsi qu’un encouragement à lisser les revenus en période de hausse des prix.

Les limites de ce système se situent là encore dans le rôle que les entreprises assurantielles privées joueraient et le risque qu’une partie des bénéfices agricoles soit captée par ces dernières. De plus, la valeur ajoutée réelle de ce système assurantiel ne peut s’établir qu’en complément d’autres systèmes tels que les fonds de mutualisation, sans quoi l’ampleur des risques à couvrir pourrait s’avérer dissuasive.

C’est pourquoi M. Yves Madre, contributeur à Farm Europe, estime que les outils existants doivent avant tout être mieux utilisés. Il en va ainsi de l’assurance climatique. Selon lui, il n’est pas logique qu’en France, le taux de couverture soit de 25 %, et de 10 % au sein de l’Union européenne, quand il est de 80 % aux États-Unis. Il suggère donc d’abaisser les seuils de deux outils :

– l’assurance climatique doit être fondée sur un seuil de recours abaissé de 30 à 20 % de diminution de la production, afin de viser, avec un cofinancement communautaire maintenu à 65 %, un taux de couverture aussi haut que possible, aux alentours de 70 % ;

– l’outil de stabilisation des revenus, qui vise avant tout à assurer la stabilité des marges, ne doit plus être multisectoriel mais doit être divisé au sein des exploitations entre les différents ateliers, comme il est proposé par la Commission européenne dans le règlement « omnibus » en cours d’examen.

Le Comité économique et social européen encourage l’expérimentation de « mécanismes d’assurance (récoltes, chiffre d’affaires ou revenus) afin de déterminer si les compagnies d’assurance ou d’autres organismes sont en mesure de fournir des solutions efficaces » (70). Pour ce qui est de la stabilisation des revenus, l’intérêt des assurances chiffre d’affaires, revenu ou marge pour les assureurs, ne peut exister que s’ils peuvent se couvrir en transférant le risque sur un marché à terme (71). Il existe actuellement des expérimentations issues d’acteurs privés qui combinent assurances climatiques et assurances revenus. Toutefois, le développement d’un système assurantiel véritablement efficient pour couvrir un nombre conséquent d’agriculteurs ne peut se faire, selon les représentants du think tank Momagri, sans le dispositif contracyclique évalué ci-dessus. C’est alors qu’une complémentarité optimale sera atteinte entre gestion des risques (ad hoc, assurances) et gestion des crises (aides contracycliques, intervention de marché, solidarité).

De la même manière, l’Autorité de la Concurrence a estimé dans son Avis « fruits et légumes » (72) que la mise en place de systèmes assurantiels serait un des moyens les plus efficaces d’assurer la stabilité des revenus des producteurs sans remettre en cause les règles de la concurrence.

À l’inverse, le système assurantiel contient, pour de nombreuses personnes auditionnées, des failles inhérentes à l’intégration d’acteurs extérieurs au monde agricole et à la difficulté de couvrir les risques économiques dans le secteur :

– M. Jean-Christophe Bureau estime qu’il serait « difficile de mettre en place un tel système à budget constant, d’autant que les coûts en gestion et la régularité des aléas ne permettraient pas aux assureurs de s’y retrouver » ;

– M. Vincent Magdelaine, de Coop de France, estime également que toute forme de soutien innovant face aux effets négatifs de la volatilité des prix « ne doit pas être confisquée par ceux qui les mettent en œuvre », tout en soulignant l’échec des dispositifs actuellement en place, tels que l’assurance-récolte ;

– M. Jacques Pasquier, de la Confédération paysanne a souligné la potentielle iniquité du système assurantiel qui, selon lui, « n’est pas un outil de résilience des exploitations. Ceux qui souscrivent aux systèmes actuels tels que l’assurance-climatique demeurent ceux qui en ont le moins besoin, et non pas les plus précaires ». De la même manière, François Lucas, de la Coordination Rurale, a estimé qu’une « assurance calée sur la volatilité des prix soumet les assureurs à la volatilité des prix. Les assureurs ne sont pas faits pour combler les carences du marché » ;

– M. Guillaume Seguin, de la FNPF (Fédération Nationale des Producteurs de Fruits), estime quant à lui que les essais liés au « fonds calamité » n’ont jusqu’à présent été que peu probants et que, dès lors, il pourrait être intéressant que toute forme de système d’assurance revenu soit basé non pas sur le chiffre d’affaires total mais sur l’EBE (excédent brut d’exploitation), pour toujours encourager les producteurs à réduire leurs coûts de production tout en leur assurant une certaine sécurité quant à leurs revenus ;

– M. Éric Allain, de FranceAgriMer, enfin, a exprimé sa conviction que toute forme de dispositif assurantiel ne pouvait demeurer que marginal dans le système actuel de l’agriculture européenne, au sein d’un ensemble intégrant les outils exposés ci-dessous, constat auquel souscrivent vos rapporteurs.

Par ailleurs, ainsi que l’a exprimé M. Patrick Ferrere, du think tank SAF’Agr’Idées, les premières formes d’assurance auxquelles on peut encourager les producteurs à adhérer demeurent la diversification de leurs exploitations et leur formation continue aux nouveaux risques du marché. M. Roger le Guen a approfondi cette idée, puisque pour lui, si l’on veut éviter « que certains producteurs ne vivent au crochet des distributeurs, on doit viser une différenciation des produits dès la sortie de la ferme. Des études que nous avons menées dans le milieu de la restauration collective montrent que le meilleur critère de différenciation est l’origine. »

Dans l’ensemble, les systèmes assurantiels privés n’ont pas fait la preuve, pour vos rapporteurs, de leur efficacité. D’une part, la mise en place de tels systèmes entraînerait l’intervention d’agents extérieurs privés qui, pour y trouver une forme de bénéfice, devraient eux aussi assurer leur marge. Dans un contexte économique aussi spécifique et parfois imprévisible que celui de l’agriculture européenne aujourd’hui, il demeure difficile d’imaginer dans quelles conditions les compagnies d’assurance privées y trouveraient leur compte.

De plus, un tel système impliquerait également la participation de la puissance publique comme réassureur, ce qui entraînerait une couche supplémentaire dans la gestion des effets néfastes de la volatilité des prix, qui ne paraît pas aujourd’hui justifiée.

L’existence de fonds de mutualisation accompagnant les agriculteurs, pour faire face en tout premier lieu aux calamités et catastrophes naturelles, n’est pas récente. Le Fonds de calamités agricoles français a été créé en 1964 et fonctionnait par un cofinancement entre agriculteurs et État. Celui-ci est devenu le Fonds national de gestion des risques auquel s’ajoute désormais le FMSE.

Ceux-ci, dans les modalités inscrites au sein du second pilier, font l’objet de conditions d’utilisation encore trop restrictives, liées aux règles issues de l’OMC relatives au montant qu’il est possible de couvrir (soit la règle des 30 %). Les difficultés tiennent notamment à la possibilité de calculer le revenu réel, mais aussi au fait que la couverture de plusieurs produits dont les prix n’évoluent pas tous dans le même sens peut empêcher certains agriculteurs ayant subi une catastrophe sanitaire ou environnementale réelle d’en bénéficier.

Par ailleurs, les fonds de mutualisation sont difficilement adaptés aux risques économiques, puisque le risque de marché ou le risque de prix sont intrinsèquement systémiques : un retournement de conjoncture touche tous les agents économiques en même temps.

Là encore, vos rapporteurs plaident pour que les fonds de mutualisation soient encouragés, mais uniquement dans la mesure où ils gèrent des risques limités à des risques circonscrits, d’ordre sanitaire (épizooties, par exemple), environnemental ou climatique. D’autres outils doivent être à même de compléter la panoplie au service de notre agriculture.

Le faible recours aux instruments de stabilisation des revenus s’explique en grande partie du fait des conditions strictes d’utilisation, elles-mêmes liées au règlement OMC. Il convient toutefois de réfléchir à l’ouverture plus large de ces outils, en complément des autres, tout en assurant la compatibilité avec les règles de l’OMC, via l’optimisation de l’utilisation des règles de minimis (73).

En particulier, les évolutions introduites par la proposition de règlement « omnibus » (74) paraissent aller dans le sens d’une plus grande souplesse et, partant, d’un plus grand recours à cet instrument spécifique.

Les outils de couverture sur les marchés financiers ont entraîné des réactions globalement négatives. En particulier, les contrats à terme paraissent peu adéquats, même s’ils participent aux outils présents dans le « Farm bill » de 2014. Rejetés par une partie des organisations syndicales auditionnées, ils ne peuvent fonctionner véritablement que si un certain nombre de conditions sont réunies :

– une liquidité suffisante sur le marché spécifique. Dès lors, s’ils peuvent être adaptés pour les filières céréalières, les éleveurs ne peuvent en bénéficier, puisqu’ils ne peuvent entreposer leurs produits aussi longtemps ;

– une sortie rapide de la crise agricole, puisqu’ils ne fonctionnent véritablement que sur une durée relativement courte.

Par ailleurs, ils comportent de réelles limites. De nombreuses études sur le marché américain des contrats à terme démontrent que s’ils permettent à certains producteurs, qui en comprennent tous les éléments, de garantir leurs revenus face aux fluctuations des intrants ou des débouchés, ils ne permettent pas de stabiliser les prix globalement (75). Enfin, les producteurs ne peuvent être incités à utiliser ces outils que dans la mesure où les prix sont hauts lorsque le contrat est conclu. Si les prix sont bas, le transfert du risque prix n’a au final d’intérêt que pour profiter des variations de prix (76). En tout état de cause, cet instrument nécessiterait une formation supplémentaire pour les agriculteurs qui n’en ont pas un usage habituel (77).

Ces outils ne méritent donc pas, selon vos rapporteurs, de faire l’objet d’un encouragement public spécifique, dans la mesure où ils ne bénéficieraient qu’à une frange réduite des producteurs.

En conclusion, c’est à une combinaison d’instruments, dont notamment les fonds de mutualisation et les instruments de stabilisation des revenus, permettant de traiter autant les risques systémiques que les risques asymétriques que vos rapporteurs appellent, afin que l’ensemble des agriculteurs européens puissent, malgré la diversité de leurs productions, assurer la stabilité de leurs revenus. Celle-ci pourrait utilement s’accompagner d’un système de suivi et d’évaluation « cartographiant toutes les données pertinentes liées à la survenance de risques » (78), de la mise en place d’une plateforme d’échange de bonnes pratiques en la matière entre les différents États membres ainsi qu’entre les différentes filières. Ce n’est qu’à cette condition que les agriculteurs pourront souscrire aux objectifs renouvelés d’une PAC ambitieuse à plusieurs titres.

Vos rapporteurs adhèrent à l’idée que la PAC peut, via une multiplicité d’instruments, remplir un nombre déterminé d’objectifs. En particulier, il convient qu’elle puisse améliorer les conditions du marché unique et améliorer la compétitivité des exploitations, conformément aux grands objectifs de la stratégie Europe 2020. Mais l’intervention publique se justifie – peut-être encore davantage – par la lutte contre les défaillances de marché, qu’il s’agisse de l’insuffisante rémunération des externalités positives inhérentes à l’activité agricole ou du maintien d’un taux d’activité élevé dans les territoires ruraux.

L’accompagnement des producteurs dans un contexte de marché vidé des mesures d’intervention qui caractérisaient la PAC il y a trente ans implique de maintenir les revenus des producteurs, mais également de gagner en compétitivité dans le secteur, qui constitue un actif crucial de l’Europe. Cette compétitivité ne peut être une course au moins-disant économique. Mais c’est par des produits dont la qualité est reconnue, issus de procédés innovants, que les agriculteurs européens peuvent espérer maintenir, voire augmenter la compétitivité de leur secteur. C’est de cette manière que l’agriculture peut devenir, selon les mots de M. Jean-Pierre Raynaud, de Régions de France, « une arme stratégique dans la compétition économique globale. »

En premier lieu, vos rapporteurs ont eu le sentiment que les producteurs étaient confrontés, outre la volatilité de leurs débouchés, à une situation de dépendance par rapport à des intrants qui subissent eux aussi les fluctuations du marché mondial. Cette situation entraîne, selon M. Roger Le Guen, chercheur à l’École Supérieure d’Agriculture d’Angers, trois types de stratégie à l’heure actuelle, présentés ci-avant, dans le cadre de la contractualisation des liens commerciaux.

La problématique des intrants est d’autant plus cruciale que l’externalisation de ceux-ci a augmenté leurs prix à terme. La « ré-internalisation » de l’alimentation des animaux d’élevage, par exemple, permettrait de faire diminuer les charges pesant sur le producteur en amont tout en limitant l’impact environnemental de la circulation des intrants. De plus, ainsi que l’explique M. Philippe Chauve, expert à la direction générale de la concurrence de la Commission européenne, les filières les plus intégrées parviennent à économiser via des organisations de producteur. Ainsi, les céréaliers, notamment, détiennent un plus grand pouvoir de marché au sein de la filière, ce qui permet de diminuer d’autant les charges en amont.

Les actions actuelles de la PAC en faveur de l’économie ou de l’usage optimal des intrants sont de deux sortes :

– les aides, au sein du paiement vert, en faveur de la rotation des cultures, qui contribuent à limiter les besoins de fertilisation et donc l’usage d’intrants chimiques ;

– les aides à la conversion et au maintien des agricultures biologiques, dont la nature même est d’éviter une surconsommation d’intrants chimiques afin de mieux favoriser le renouvellement des sols. En vertu de l’article 16 du règlement n° 834/2007, il revient à la Commission de contrôler l’usage d’une liste restrictive d’intrants dans les productions biologiques (79).

Les représentants de la Confédération paysanne que vos rapporteurs ont reçus insistent également sur ce point : « on abandonne l’idée de paiement découplé, les paiements à la surface n’ont aucun sens. Il faut une aide à la transition, au moment où les agriculteurs changent de système. » De la même manière, M. Michel Reynaud, vice-président d’Ecocert, a montré à vos rapporteurs que « la comparaison des comptes d’exploitation avec le conventionnel montre qu’il y a beaucoup moins de charge sur les intrants. Or, l’intérêt de diminuer la dépendance aux intrants, et donc, par extension, aux fluctuations des prix des énergies fossiles, relève de l’autosuffisance. Par ailleurs, l’érosion des sols sera payée cher, un jour. »

La future PAC pourrait utilement encourager les formes de gestion collective, ou « l’agriculture de groupe », ainsi que M. Éric Andrieu, député européen, l’a exposé à vos rapporteurs, qui permettent, outre la diminution du prix des intrants, de diminuer les coûts de production des exploitations, en particulier les charges de mécanisation et de favoriser les transferts d’innovations, de savoir-faire et de bonnes pratiques.

C’est de la maîtrise des éléments en amont de leur production que pourra, pour vos rapporteurs, découler la conversion des agriculteurs en entrepreneurs.

La perspective d’une agriculture tournée avant tout vers l’exportation n’est pas principale dans l’esprit de vos rapporteurs. Il demeure toutefois que le tissu d’entreprises agroalimentaires exportatrices dont bénéficie la France est un atout, au double titre de l’activité économique et de la définition des standards nutritionnels mondiaux. Or, alors même que la situation française, en particulier, se fragilise (80), M. Jean-Christophe Bureau estime que, à l’échelle européenne, « nous nous sommes concentrés principalement sur les produits d’appellation d’origine, alors que ce positionnement ne permet pas de compenser nos handicaps de coût. »

Les efforts de réduction des coûts de production énoncés ci-dessus doivent donc s’accompagner d’améliorations dans l’usage des mesures du second pilier en faveur de la compétitivité. En particulier, au sein de la diversité d’instruments présente dans le règlement instituant le FEADER pour la période 2014-2020, pourraient être privilégiés :

– l’article 15, qui encourage les « services de conseil, services d’aide à la gestion agricole et services de remplacement sur l’exploitation », est utilisé en Irlande pour « conseiller les groupes d’éleveur », notamment dans les secteurs exportateurs, selon Philippe Chotteau. La formation continue est un enjeu majeur de compétitivité future, dans un contexte de vieillissement de la population. Il serait donc particulièrement bienvenu que les agriculteurs français puissent bénéficier d’un accompagnement comparable ;

– l’article 16, relatif aux « systèmes de qualité applicables aux produits agricoles et aux denrées alimentaires », dans la mesure où il favorise les produits dépendant d’un système de qualité reconnu, fondé notamment sur des certifications volontaires « pour les produits agricoles reconnus par les États membres comme correspondant aux meilleures pratiques de l’Union » (81). Outre les bénéfices pour la santé que revêtent ces systèmes, la qualité certifiée des produits européens est un atout considérable pour l’exportation, qu’il s’agisse des marchés moyen-orientaux émergents ou encore de la poudre de lait en Chine.

Plutôt qu’à une réforme des modalités de soutien à la compétitivité des exploitations agricoles, vos rapporteurs estiment qu’il y a là une marge pour une meilleure application de la PAC actuelle, en faveur d’une montée en gamme liée à la formation continue des producteurs et une meilleure valorisation des qualités sanitaire et nutritionnelle des produits. Ils suivent en ce sens M. Raynaud, vice-président d’Ecocert, pour qui « la déconnexion entre la partie réglementaire (étiquetage, traçabilité, critères des exploitations biologiques) et la PAC axée sur la production, est dommageable. Il faut une meilleure adéquation entre approches réglementaires et financement. » Cette traçabilité, destinée à rassurer les consommateurs, y compris extra-européens, pourrait s’appuyer sur la clarté des règles, la transparence et des pratiques de vérification constantes.

Ainsi que l’a exposé à vos rapporteurs M. Yves Madre, de Farm europe, le Plan Marshall pour lequel le think tank se bat afin de faire entrer l’agriculture européenne dans le smart farming nécessite un fort degré d’investissement. Vos rapporteurs estiment toutefois que le sous-investissement n’est pas la faiblesse majeure de l’agriculture européenne actuelle, en témoigne les efforts de mécanisation menés dans les pays du Nord de l’Europe et en Allemagne, aboutissant parfois à des situations de surendettement collectif comme la subissent les agriculteurs danois.

Vos rapporteurs ont d’ailleurs exprimé leur intérêt quant à la limitation des paiements directs en fonction de la taille de la ferme, comme l’ont exprimé M. Louis-Pascal Mahé et Jean-Christophe Bureau dans leur rapport au Parlement européen (82) : « la distribution actuelle des paiements directs est visiblement régressive, malgré les corrections marginales de la dernière réforme. (…) Les loyers générés sont en partie intégrés dans la terre et les actifs fermiers. Cela a pour conséquences directes le large capital requis pour les nouveaux entrants, la nécessité d’emprunter et l’exposition au stress financier, voire à la banqueroute lorsque la situation du marché se dégrade. (…) Il n’y a aucune rationalité économique dans la distribution actuelle des paiements de base, en relation avec la taille des fermes. Seule l’histoire et l’action collective de groupes de pression, à l’intérieur et entre États membres, peuvent expliquer cette distribution. Des paiements de base sans plafond, à destination des fermes commerciales, sont un soutien non pas au travail mais au capital et à l’immobilier. »

Il existe toutefois des situations de sous-investissement pour certaines catégories d’agriculteurs, tels que les jeunes agriculteurs, liées aux difficultés d’accès au crédit qu’ils rencontrent. Ainsi, comme le souligne M. Cees Veerman dans le rapport de son groupe de travail précité, « l’aversion actuelle des banques commerciales pour le risque pourrait conduire à une situation de sous-investissement et nuire à la compétitivité du secteur agricole. » La PAC actuelle contribue déjà à rendre solvable les agriculteurs européens via les paiements directs ou les outils de gestion des risques appelés à se développer.

Toutefois, les situations de sous-investissement doivent être mieux compensées par la Banque Européenne d’Investissement (BEI), selon M. Roger Le Guen, au moment où les budgets publics sont contraints et que Plan d’Investissement pour l’Europe, dit « plan Juncker », démontre son efficacité pour attirer des fonds privés(83). De la même manière, M. Cees Veerman a indiqué que « dans le cadre d’une nouvelle PAC, l’expertise de la BEI pourrait combler le déficit de pratique des banques dans ce domaine. L’apport de ce genre de projet est déjà visible dans les États membres qui l’utilisent, comme l’Irlande ». Dès lors, vos rapporteurs pensent que la Commission pourrait :

– développer des instruments financiers ciblés sur les actifs agricoles, voire sur ceux qui souffrent dans la période d’installation (jeunes agriculteurs et agriculteurs hors cadre familial) en mobilisant les fonds de la PAC comme garantie ;

– encourager la coopération entre la BEI et les États membres pour permettre aux agriculteurs d’accéder plus facilement au financement de leurs projets.

Toutefois, l’intégration de nombreux outils financiers destinés aux agriculteurs ne doit pas, ainsi que le craint Jean-Christophe Bureau, être un moyen de « préparer l’opinion à la baisse du budget de la PAC ».

C’est donc pour un ensemble d’outils destinés à permettre une transition de la gestion des exploitations vers les aléas du marché que vos rapporteurs plaident. Il convient néanmoins que les agriculteurs soient également rémunérés à l’aune de leur contribution aux biens publics.

La dernière réforme de la PAC s’est appuyée sur le verdissement pour assurer sa légitimité. Las, ainsi que de nombreuses personnes auditionnées l’ont confirmé à vos rapporteurs, les critères employés pour mesurer ce verdissement ont souvent laissé place à des marges d’interprétation minant la valeur réelle des changements mis en œuvre. Il est trop tôt pour faire le bilan d’instruments dont l’application n’a de réalité parfois que depuis un an, mais l’expérience permet déjà d’esquisser des idées sur ce que pourrait être la valeur ajoutée de la PAC post-2020 en matière d’environnement.

Par ailleurs, si la légitimité de faire contribuer les agriculteurs à la lutte contre le dérèglement climatique n’a pas été mise en doute, certains chercheurs, tels que Jacques Carles, ont pu déplorer qu’une politique dont les objectifs initiaux visaient à assurer le revenu des producteurs et l’autosuffisance alimentaire de l’Europe, suive des objectifs environnementaux. Selon lui, il pourrait être tout aussi justifié d’augmenter le budget de la politique environnementale de l’Union, sans la lier nécessairement à la politique agricole.

Vos rapporteurs estiment toutefois qu’il existe un lien fondamental entre le travail de la terre et la préservation des ressources naturelles, justifiant l’orientation des aides publiques vers la réponse aux défis environnementaux, et ce d’autant plus à mesure que ces derniers se font croissants. Ainsi que M. Cees Veerman l’expose dans le rapport du groupe de travail qu’il a présidé, « la PAC modernisée devrait récompenser les agriculteurs qui se spécialisent dans les produits et des services spécifiques, à condition qu’ils offrent des avantages mesurables pour les animaux, la nature et les paysages, dans l’intérêt public. (…) La réglementation, la rémunération de la fourniture de biens et services publics, ainsi que des mesures de soutien à une agriculture en transition entre les méthodes traditionnelles et de nouvelles technologies appropriées, devront à l’avenir faire partie de la combinaison de mesures de la PAC. »

Les mesures de la PAC composant le « paiement vert » sont la protection des prairies permanentes, le maintien des surfaces d’intérêt écologique (SIE) et la diversité des assolements.

La contribution française à la PAC (84) propose d’introduire un quatrième critère d’éligibilité au paiement vert, qui vise à favoriser la durabilité des sols. Il s’agit en effet d’un enjeu majeur, compte tenu de l’érosion dont une grande partie des sols européens est victime, mais aussi d’élément de compétitivité pour demain.

Un quatrième critère de verdissement

Ce quatrième critère, qui aurait vocation à s’ajouter aux trois autres, tout en amplifiant les mesures de simplification du dispositif telles qu’elles sont déjà proposées par la Commission, porterait sur le renforcement de la couverture des sols. Il viserait avant tout à :

– renforcer la production de biomasse en maximisant la mobilisation de la photosynthèse ;

– favoriser le stockage de carbone dans le sol et la résistance au lessivage et à l’érosion ;

– encourager les synergies au sein de successions culturales plus élaborées mobilisant davantage les intercultures.

Vos rapporteurs sont éminemment convaincus que l’intégration de la durabilité des sols dans les instruments en faveur de la diversité agricole et du maintien de ces activités dans tous les territoires est nécessaire. La politique de verdissement pourrait même, selon les vues de M. Samuel Féret, d’Arc 2020, « étendre son périmètre à l’arboriculture, qui n’est actuellement pas prise en compte. » Ils partagent toutefois l’idée, avec le Gouvernement, dans cette contribution, ainsi qu’avec une partie des personnes auditionnées, que les mesures environnementales doivent elles aussi entrer dans une logique de résultats plutôt que de moyens. Dans l’ensemble, ces mesures auraient vocation à intégrer « un cadre logique agro-environnemental qui améliore la synergie entre le paiement vert, la conditionnalité et les aides du second pilier », comme le propose toujours Samuel Féret.

De plus, ainsi que l’expose M. Cees Veerman dans le rapport du groupe de travail sur les marchés agricoles, « la demande pour des services écosystémiques et d’autres activités qui contribuent à la vitalité des zones rurales sont des opportunités économiques pour les fermiers. La régulation, la rémunération des biens publics et des services fournis, les mesures de soutien aux exploitations en transition et de nouvelles technologies adaptées devront composer la politique publique du futur et, en particulier, fournir une source de revenus aux régions et fermiers qui ne sont pas orientés vers les marchés mondiaux (85). »

Vos rapporteurs ont acquis la conviction que, dans le cadre des mesures environnementales comme ailleurs, les instances européennes et nationales en charge de la gestion des aides publiques devaient entrer pleinement dans une logique de partenariat avec les acteurs des différentes filières. Il convient de préférer aux contrôles, dont M. Cees Veerman, notamment, a expliqué qu’ils favorisaient grandement la défiance des agriculteurs vis-à-vis de la PAC, l’accompagnement et l’évaluation finale.

Pour ce faire, la définition d’objectifs environnementaux, portant notamment sur la biodiversité, la réduction d’émission ou le stockage de carbone, ainsi que sur le renouvellement des sols, s’accompagnerait de la délimitation de zones homogènes, décidées par les États membres, et qui seraient soumises collectivement à des obligations contractuelles. La déclinaison infra-zonale pourrait prendre également la forme de contrats passés par des ensembles d’exploitation. Ces zones homogènes reposeraient sur des critères pédoclimatiques qui permettraient d’adapter les objectifs en fonction de l’état écologique de chaque zone. Il s’agirait également d’étendre des pratiques existantes, notamment dans le domaine de la certification. Pour répondre aux demandes sociétales relatives à la rémunération des biens publics, voire aux pratiques de non-labour, M. Raynaud, vice-président d’Ecocert a exposé à vos rapporteurs que « la collecte des données entre aujourd’hui dans une logique de performance environnementale. Il convient de sortir désormais de la dichotomie unique entre exploitation biologique et exploitation conventionnelle. Il existe un continuum, même si, par ailleurs, il serait intéressant d’évaluer, par des indicateurs précis, l’apport de l’agriculture biologique en termes d’externalités positives. »

Ce système orienté vers la culture du résultat permettrait également de s’aligner avec les objectifs de la déclaration de Cork 2.0 de septembre 2016 (86). Les signataires de cette dernière, autour du Commissaire Phil Hogan, considèrent en effet que la rémunération des services environnementaux des agriculteurs ne peut être la même dans toutes les régions d’Europe mais doit s’adapter aux défis rencontrés localement. Dès lors, « les mesures récompensant les biens et services publics environnementaux devraient refléter la variété des circonstances locales. La valeur intrinsèque de l’environnement rural devrait bénéficier au développement économique local, à l’éco-tourisme, à la qualité du mode de vie, à l’identité nutritionnelle, ainsi qu’à la promotion des loisirs au sein des zones rurales. » C’est également dans cette perspective orientée vers les résultats que les aides européennes pourraient être orientées en priorité vers les exploitations respectant les impératifs de l’agroécologie tels qu’ils sont décrits dans un récent avis du CESE.

Ainsi qu’il a été montré (87), la distribution actuelle des aides PAC demeure déficiente, malgré la réforme de 2013, en termes de rétribution des exploitations les plus vertueuses sur le plan environnemental. C’est pourquoi, ainsi que l’a expliqué Mme Aurélie Trouvé à vos rapporteurs, il convient de : maintenir les aides aux conséquences environnementales les plus vertueuses, et notamment l’ICHN (Indemnité Compensatoire des Handicaps Naturels), qui permet, outre son rôle dans le maintien des exploitations dans les zones défavorisées, de valoriser la contribution de ces dernières à la lutte contre le dérèglement climatique ;

– réfléchir aux modalités de paiement direct qui soutiennent en premier lieu les exploitations aux effets les plus négatifs, notamment en ce qui concerne la production animale. Les aides du second pilier ne parviennent pas à compenser le niveau plus faible des aides directes du premier pilier pour les exploitations aux effets potentiels les plus favorables à l’environnement (88);

– encourager les pratiques agroécologiques qui permettent de limiter d’autant les intrants, et donc l’un des premiers postes de dépense en matière d’importation : l’énergie, ce qui permettrait, par ailleurs, d’agir positivement sur la balance commerciale française.

Une plus grande conditionnalité des paiements directs, la définition d’objectifs clairs et observables en matière environnementale ainsi qu’une augmentation du budget du second pilier sont autant de pistes que vos rapporteurs estiment intéressantes dans la perspective de la future PAC. Les objectifs assignés aux exploitations agroécologiques peuvent inspirer directement ceux de la future PAC, qui doit allier ambition en termes de résultats et facilité de mise en œuvre dans les moyens. Un tel alliage doit se retrouver également dans la dimension sociale de la PAC. Les programmes de développement rural devraient alors, dans cette perspective, développer des complémentarités avec les programmes de cohésion de l’Union européenne, tels que le FEDER (Fonds européen de développement régional) ou le FSE (Fonds social européen), dont Samuel Féret, pour Arc 2020, dans le cadre d’une étude européenne, a pu constater l’absence sous le régime actuel.

La politique agricole a, selon vos rapporteurs, toute sa place dans le maintien et l’encouragement de l’emploi au sein des bassins ruraux. Pour ce faire, il convient d’allier maintien de l’existant et réorientation de certains instruments.

En premier lieu, si les paiements directs ne participent pas directement de la création d’emplois dans les zones rurales, leur suppression pourrait entraîner le départ d’environ 30 % des agriculteurs européens. L’efficience de certains outils en faveur du maintien, voire de l’accroissement du taux d’emploi dans le secteur agricole, impliquerait toutefois que les paiements directs de la PAC aillent en priorité vers ceux qui travaillent réellement sur les exploitations, et non les agriculteurs dits « patrimoniaux », selon la terminologie utilisée par les Jeunes Agriculteurs. Leur représentant, M. Yann Nedelec, a en effet émis l’idée que « les retraités de l’agriculture et, plus largement, les gens dont les revenus agricoles sont inférieurs à 50 % de leurs revenus ou dont le temps passé sur l’exploitation inférieur à 50 % du temps de travail » devraient être exclus du bénéfice des aides publiques liées à la PAC. Sans préjuger de l’impact que cela aurait sur les retraites agricoles, qu’il faudrait alors revaloriser, vos rapporteurs partagent l’idée que la PAC devrait cibler avant tout les actifs agricoles, ce qui aurait pour effet non seulement d’encourager l’emploi et l’installation des jeunes actifs mais aussi de diminuer la part des aides publiques dans le renchérissement foncier des immobilisations agricoles.

Il s’agit d’ailleurs là d’une revendication du Modef (Confédération Syndicale Agricole des Exploitants Familiaux) (89), qui demande « une redistribution plus juste des aides directes du premier pilier en plafonnant les aides à 150 000 €/actif en mettant en place une dégressivité à partir de 50 000 €/actif. » Il s’agit pour eux de « donner la priorité à une agriculture paysanne de proximité, riche d’emplois, de diversité et de paysages. »

De la même manière, vos rapporteurs partagent avec M. Éric Andrieu l’idée que « les petites et moyennes exploitations, généralement plus diversifiées, plus innovantes et très flexibles, sont souvent bien organisées collectivement sous forme de groupes de producteurs et de coopératives, sont plus enclines à résister lors de périodes de crises et à s’adapter plus facilement à leurs effets et génèrent des avantages pour la communauté dont elles font partie ». À l’instar des PME dans le secteur industriel, ces petites et moyennes exploitations sont plus intensives en emplois que les grandes fermes. C’est pourquoi ils estiment que, pour l’heure :

– les États membres devraient, au sein du 2nd pilier, utiliser les outils actuellement à leur disposition, tels que la majoration pour les jeunes agriculteurs mais aussi pour les nouveaux entrants hors cadre familial, âgés de plus de quarante ans ou encore la prime aux 52 premiers hectares ;

– les programmes en faveur de la formation professionnelle et continue permettraient de maintenir l’emploi agricole tout en le faisant progressivement intégrer les dimensions nouvelles liées à la gestion, aux questions économiques ou numériques qu’appellent les innovations actuelles.

Il existe par ailleurs des initiatives locales auxquelles il pourrait être intéressant de réfléchir, sans toutefois ajouter une trop grande conditionnalité aux aides du premier pilier. C’est ainsi que M. Roger le Guen a exposé à vos rapporteurs un dispositif dans lequel la vente de tonnes de GES (gaz à effet de serre) s’effectuait en échange de chèques emploi-service.

En ce qui concerne les réflexions sur la future PAC, outre la nécessité pour le premier pilier de contribuer, ainsi qu’il a été vu, davantage à la stabilité des revenus agricoles, les actions soutenues par le second pilier pourraient, afin de garantir des emplois pérennes et une plus grande accessibilité pour les nouveaux entrants dans le marché des emplois, être structurées de la manière suivante :

– le maintien des instruments en faveur de la compétitivité et de l’investissement, à même de soutenir de nouvelles formes d’entreprenariat agricole ;

– l’aide en faveur de nouveaux secteurs, complémentaires de l’activité agricole. Le tourisme rural, la valorisation du patrimoine gastronomique ou encore le développement d’énergies renouvelables, permettent ainsi d’amortir le coût du capital immobilier et de diversifier les revenus d’une exploitation, même si les emplois créés dans cette perspective pourraient souvent n’être que saisonniers. Le 2nd pilier doit étendre son champ d’application au-delà des questions uniquement agricoles, à partir du moment où le taux d’emploi agricole dans les zones rurales n’excède jamais 20 %. En effet, « le renforcement de l’attractivité des régions rurales passe immanquablement par l’offre ou l’amélioration des infrastructures, des services publics et d’autres biens publics » (90). Si cette dimension n’a pas pu être pleinement mise en œuvre dans le cadre de la PAC 2013-2020, les réflexions sur l’avenir des programmes de développement rural sont l’occasion d’y défendre une vision globale de l’activité rurale ;

– la confiance envers les régions pour déterminer, en fonction de critères liés notamment au taux de chômage local dans le secteur agricole et les modalités locales de production, sur les meilleurs outils à mettre en œuvre ;

– une plus grande synergie avec les politiques de cohésion, ainsi qu’un financement accru du programme Leader, qui permet de financer des expérimentations dans les zones rurales, susceptibles de déterminer les meilleures pratiques locales en matière d’emplois ;

– la permanence des aides couplées en faveur des secteurs les plus susceptibles de pourvoir des emplois à la population agricole, et notamment l’élevage.

Le développement d’emplois durables dans l’agriculture ne peut s’entendre qu’à la condition du respect de la durabilité des terres et de la compétitivité des exploitations face à la mondialisation des marchés agricoles. Ces questions sont intrinsèquement liées. C’est pourquoi vos rapporteurs estiment que les mesures en faveur de la résilience des structures agricoles et d’un plus grand accès au foncier seront également à même de favoriser des emplois durables, notamment en faveur des jeunes agriculteurs, des agriculteurs hors cadre familial, mais aussi en faveur des femmes (91).

Dans la perspective de la future PAC, la notion de « triple performance » doit servir à qualifier des objectifs qu’il revient aux acteurs de la chaîne agricole de remplir. Aux aides indifférenciées, dont les principaux bénéfices sont d’assurer un revenu actuellement aux agriculteurs ainsi que d’éviter toute forme de distorsion incompatible avec les engagements pris par l’Union européenne au titre de l’accord de Marrakech, vos rapporteurs estiment qu’il conviendrait d’ajouter un ciblage accru en fonction d’objectifs précis, que ce soit en matière d’environnement ou d’emplois. Ils font donc leur la cinquième recommandation d’une note récente du Conseil d’analyse économique, à savoir « privilégier des critères directement liés aux externalités dans le ciblage des aides et agir pour une réorientation dans ce sens au niveau européen. (92) »

L’attractivité du travail de la terre ne peut se faire sans le soutien public aux aménités positives qu’il revêt et sans les perspectives d’avenir nécessaires à toute entreprise. Mais la PAC future doit, dans la lignée des réflexions actuellement en cours au sein des instances européennes, assurer aux producteurs une place au sein de la chaîne alimentaire qui les rémunère de la valeur ajoutée de leur travail, au sein de filières transparentes.

La question du renouvellement générationnel a été au cœur de nombreuses auditions. Vos rapporteurs partagent avec le Gouvernement français (93) et la Commission européenne l’idée que la PAC doit prendre toute sa part dans la lutte contre le vieillissement de l’agriculture. M. Samuel Féret, du think tank Arc 2020, les représentants des Jeunes Agriculteurs à l’échelle française ou européenne ou les représentants de la FNPL (Fédération nationale des producteurs de lait), pour qui, « d’ici 2025, un litre de lait sur deux changera demain », ont tous exprimé la nécessité pour l’Union européenne de faire du renouvellement générationnel une priorité pour la future réforme de la PAC.

Encourager ce renouvellement implique avant tout de lutter contre les facteurs inhibants aujourd’hui, à commencer, comme l’a pointé le Conseil Européen des Jeunes Agriculteurs, par le coût des exploitations et, comme corollaire, le coût du foncier. En effet, la transmission des exploitations ne peut se faire, selon les termes de la Confédération Paysanne, « en faveur d’exploitations agricoles agrandies et spécialisées, en dehors de toute forme d’exploitation familiale. » Il faut par ailleurs prendre en compte l’impact des paiements directs sur la transmission des exploitations. En effet, selon M. Alan Matthews, dans son rapport au Parlement européen (94), « les effets de capitalisation réduisent le bénéfice des paiements directs pour les agriculteurs actuels et augmentent le coût d’entrée et la croissance pour les jeunes agriculteurs en voie d’agrandissement. Les paiements directs ont montré la sortie à certains agriculteurs et réalloué la terre vers les exploitations les plus efficientes (95). »

Le faible nombre d’exploitations transmissibles dans de bonnes conditions, en raison notamment de la concurrence liée tant à l’étalement urbain qu’à l’accaparement des terres pour des activités autres qu’agricoles, tout comme le poids des agriculteurs plus âgés au sein des organisations représentatives, entraînent de grandes difficultés pour les agriculteurs de moins de quarante ans, tout comme pour les exploitants qui souhaitent débuter hors cadre familial. Vos rapporteurs estiment donc que la future PAC doit, ainsi que le réclament notamment les Jeunes Agriculteurs :

– définir le renouvellement des générations comme une priorité fondamentale ;

– maintenir les aides supplémentaires à destination des jeunes agriculteurs, au sein du second pilier ;

– élaborer une définition de l’agriculteur actif, ainsi que la Commission européenne a commencé à le faire dans le cadre du règlement dit « omnibus » (96), selon des critères qui intègrent l’acte de production, les modalités de formation du revenu et le temps de travail. Plus précisément, selon M. Yann Nedelec et Vincent Touzot, représentants des Jeunes Agriculteurs français, l’idée est de limiter le bénéfice des aides directes aux personnes dont les revenus agricoles sont supérieurs à 50 % de leurs revenus. Un autre critère pertinent serait un temps passé sur l’exploitation supérieur à 50 % du temps de travail. Les retraités agricoles seraient alors exclus des dispositifs d’aide de la PAC, sans préjudice de politiques européenne et nationale relatives au maintien des retraites agricoles ;

– favoriser l’accès au foncier en limitant les situations de rente et en conditionnant le maintien des aides, à partir d’un certain âge, à un projet de transmission, y compris pour les parts détenues en société ;

– enfin, soutenir le développement de l’agriculture de groupe, dans laquelle les jeunes agriculteurs se reconnaissent plus facilement et par laquelle ils peuvent contourner les problèmes relatifs au coût des exploitations transmises. En effet, selon les représentants des Jeunes Agriculteurs, il faut réfléchir aux modalités « de financement, de portage, pour permettre de conserver des spécificités agricoles. Sur les répertoires départementaux, on a beaucoup d’exploitations d’élevage qui cherchent des associés. Il y a donc un fort potentiel d’installation. »

D’autres mesures développées par vos rapporteurs peuvent également contribuer à faciliter l’installation des jeunes agriculteurs. Il en va ainsi d’un meilleur accès au crédit, d’une formation renforcée des jeunes en matière d’économie ou de gestion, mais aussi des outils de lutte contre les effets néfastes de la volatilité des prix, qui peuvent toucher plus particulièrement les exploitations en phase de transmission. Enfin, il pourrait être pertinent de réfléchir aux propositions du Modef, qui demande « une augmentation de l’enveloppe nationale à 2 % (actuellement 1 %) afin de favoriser l’installation de jeunes sur les territoires (97). »

Vos rapporteurs sont sensibles aux risques de contradiction entre l’indexation des aides directes sur la quantité de travail et le découplage des aides initié pour être en conformité avec les règlements de l’OMC. Toutefois, ils estiment là encore nécessaire d’utiliser les marges de manœuvre présentes dans les boîtes dites « oranges », à l’instar de ce qui se pratique aux États-Unis. Le « recouplage » des aides est, en la matière, nécessaire pour que la PAC puisse toujours, ainsi qu’en dispose l’article 39 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) « assurer un niveau de vie équitable à la population agricole ». Cela est d’autant plus vrai que le maintien des jeunes « dans les territoires ruraux permet également d’attirer ou de maintenir des services, d’où le lien entre les politiques de l’installation et des politiques plus générales sur la ruralité. », pour les représentants des Jeunes Agriculteurs.

Ces préconisations s’inscrivent dans le cadre du scénario pour « des agricultures contractualisées » du rapport de prospective que le CGAAER (Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux) consacre à la transmission agricole (98). Ce scénario repose, certes, sur la généralisation des dispositifs assurantiels, à laquelle vos rapporteurs ne souscrivent pas. Toutefois, la contractualisation avec l’aval, le maintien du potentiel de production, la prise en compte de la technicité environnementale, la rémunération contractuelle des services environnementaux ou encore le développement des sociétés et des mécanismes de portage sont autant de moyens qui permettraient la viabilité de l’agriculture européenne et le maintien du nombre d’agriculteurs. Ces caractéristiques impliqueraient, selon les auteurs du rapport, des stratégies de transmission autour d’un « portage transitoire du capital contractualisé avec les collectivités, une mobilisation de fonds d’investissement dédiés et un accompagnement des cédants et des porteurs de projets. » Une réelle régionalisation des politiques en faveur de l’installation permettrait, dans ce scénario, aux producteurs de conjuguer performance économique grâce à leur capacité à faire évoluer leurs entreprises (organisation du travail, portage du capital), un meilleur partage de la valeur ajoutée et une plus grande qualité environnementale grâce à une maîtrise technique permettant d’intégrer des exigences croissantes et des mesures incitatives, axées sur les résultats dans des zones homogènes.

Conscients des risques, vos rapporteurs souhaitent attirer l’attention de la Commission européenne sur tous les enjeux relatifs au renouvellement des générations agricoles qui emportent tout autant la permanence de la diversité agricole européenne que la persistance d’une agriculture paysanne.

Ainsi que le présente M. Cees Veerman dans son rapport précité, la PAC doit encourager les fermes orientées vers les marchés, mais également « une seconde catégorie de fermiers (…) qui offrent des avantages mesurables pour les animaux, la nature, les paysages d’intérêt public. »

La politique publique en matière agricole ne peut en effet viser uniquement l’orientation des productions vers le marché, mais doit récompenser la production de biens publics. Dès lors, ainsi que le propose M. Gilles Bazin, chercheur à AgroParisTech dans sa contribution au groupe PAC de l’académie de l’agriculture, une forme de limitation des aides directes du premier pilier à un montant maximum en valeur par actif et en volume de production. Une indexation de ces aides de la sorte permettrait de soutenir les exploitations des régions défavorisées, qui comportent davantage de petites et moyennes exploitations intensives en emplois.

De la même manière, la nécessité de maintenir des exploitations dans tous les territoires impliquerait une forme de modulation possible entre les régions, sur le modèle de l’ICHN, pour les autres aides cofinancées par les États membres.

La structuration en filières permet déjà dans certains États membres la définition de stratégies compétitives, parfois au détriment des autres États membres, ainsi que l’a montré la crise laitière que l’Europe vient de traverser. Les pays du Nord, souvent autour d’une coopérative majoritaire dans le pays, ont axé leurs objectifs sur une production massive afin de gagner des parts de marché sur le commerce mondial, quitte à contribuer directement à la chute des prix.

Afin d’éviter la multiplication de ces comportements non-coopératifs, il pourrait être pertinent de développer, au sein de la future PAC, des formes de stratégie commune européenne pour chaque filière. Le Gouvernement français, notamment, dans sa contribution déjà citée, en appelle à « une combinaison d’instruments (…) dans le cadre d’une stratégie européenne par filière. » Il reviendrait alors « au Conseil des ministres de l’agriculture de débattre de cette stratégie au moins une fois par an, pour une meilleure coordination européenne ». Tous ces éléments s’inscriraient dans les objectifs de résilience et de lutte contre les effets néfastes de la volatilité des prix au niveau des filières (99).

La constitution de stratégies à l’échelle des filières nécessite par ailleurs que s’instaurent des rapports de confiance entre les différents acteurs de celle-ci. La transparence dans les prix est un premier pas dans cette direction et c’est à ce titre que vos rapporteurs saluent l’initiative de la Commission européenne ayant abouti à l’Observatoire européen du marché laitier (Milk Market Observatory, ou MMO). Comme l’Observatoire de la formation des prix et des marges français, il vise à :

– accroître la transparence et fournir des données d’une grande précision sur le marché, de manière à ce que les acteurs de la chaîne d’approvisionnement en lait puissent prendre des décisions commerciales ;

– suivre et analyser les tendances actuelles et passées sur les marchés européens et mondiaux du lait et des produits laitiers, ainsi que la production, l’équilibre entre l’offre et la demande, les coûts de production et les perspectives commerciales.

En pratique, l’Observatoire élabore des données sur les prix des produits laitiers européens de façon hebdomadaire, sur les livraisons à trois mois près par pays, sur les niveaux de stocks publics et stocks privés aidés, sur les niveaux d’exports et imports, sur l’évolution historique des rendements moyens par vache et par pays, sur les coûts de production et donne une estimation des marges des producteurs européens (100).

Il serait intéressant d’étendre ce type d’instruments à toutes les filières, mais également d’en assurer le fonctionnement le plus efficace possible. C’est ainsi que Mme Angélique Delahaye préconise, dans son projet de rapport remis au Parlement européen (101), « la création d’observatoires des prix agricoles européens pour les différents secteurs agricoles, développant une analyse dynamique des marchés agricoles par segments en associant les acteurs économiques, mettant à disposition des données pertinentes ainsi que des perspectives, avec une fréquence régulière ».

Pour en améliorer le fonctionnement réel, à l’échelle européenne ou nationale, vos rapporteurs estiment également qu’il convient d’éviter le climat de défiance instauré par l’asymétrie d’information au sein de la chaîne d’approvisionnement. Ainsi que le préconise le groupe de travail de M. Cees Veerman, il convient de :

– mettre en place un système de communication obligatoire des prix pour combler les lacunes actuelles en matière d’information ;

– diffuser des données collectées, sous une forme agrégée et normalisée entre les États membres ;

– intégrer les données relatives à la consommation et aux prix des intrants, et plus largement, publier des calculs de type « euro alimentaire » pour informer les consommateurs sur la répartition de la valeur ajoutée tout au long de la chaîne d’approvisionnement ;

– établir, enfin, un contrôle des États membres sur les « mégadonnées » générées par les systèmes d’agriculture digitale ainsi que par les informations confiées par les acteurs de la chaîne alimentaire pour qu’en émanent des recommandations de politique publique mais également pour s’assurer de leur bonne utilisation.

En parallèle de ces efforts en faveur d’une plus grande transparence dans la chaîne alimentaire, vos rapporteurs partagent l’idée qu’il faut lutter contre toute pratique dommageable pour la confiance entre les acteurs de la chaîne alimentaire. Ils encouragent donc la Commission européenne à placer parmi ses priorités de court terme la lutte contre les pratiques commerciales déloyales, qui constituent, selon M. Cees Veerman, « l’un des principaux points du rapport du groupe de travail que j’ai présidé ». Ce dernier propose notamment la mise en place d’une législation-cadre à l’échelle de l’Union européenne, pour :

– introduire des délais maximaux de paiement ;

– mettre en place des instances d’arbitrage compétentes pour régler les litiges issus de pratiques commerciales potentiellement déloyales ;

– renforcer les pratiques de « contractualisation », dont notamment les chaînes d’approvisionnement spécialisées ou les contrats tripartites.

Le déséquilibre dans le partage de la valeur ajoutée est l’un des éléments majeurs de la communication de la Commission, relative à la PAC à l’horizon 2020, puisqu’elle y constate que la part de la valeur ajoutée de la filière revenant aux agriculteurs est en une baisse constante depuis les années 2000, passant de 29 % en 2000 à 24 % en 2005. C’est également l’un des défis de la réforme du règlement de l’UE relatif à l’organisation commune des marchés, qui visait à améliorer la gouvernance de la coopération entre producteurs, via trois biais : les organisations de producteurs (OP), leurs associations (AOP) et les organisations interprofessionnelles.

Règles relatives aux organisations de producteurs (OP), aux associations d’OP
et aux organisations interprofessionnelles

Article 152

Organisations de producteurs

1.  Les États membres peuvent, sur demande, reconnaître les organisations de producteurs qui

a) se composent de producteurs dans un secteur précis énuméré à l’article 1er, paragraphe 2, et, conformément à l’article 153, paragraphe 2, point c), sont contrôlées par ceux-ci ;

b) sont constituées à l’initiative des producteurs ;

c) poursuivent un but précis pouvant inclure au moins l’un des objectifs suivants :

i) assurer la programmation de la production et son adaptation à la demande, notamment en termes de qualité et de quantité ;

ii) concentrer l’offre et mettre sur le marché la production de leurs membres, y compris via une commercialisation directe ;

iii) optimiser les coûts de production et les retours sur les investissements réalisés pour satisfaire aux normes environnementales et de bien-être des animaux, et stabiliser les prix à la production ;

iv) réaliser des études et développer des initiatives sur les méthodes de production durables, les pratiques innovantes, la compétitivité économique et l’évolution du marché ;

v) promouvoir et fournir l’assistance technique nécessaire à la mise en œuvre de pratiques culturales et de techniques de production respectueuses de l’environnement et de pratiques et techniques respectueuses du bien-être des animaux ;

vi) promouvoir et fournir l’assistance technique nécessaire à l’application des normes de production, améliorer la qualité des produits et développer des produits avec une appellation d’origine protégée, une indication géographique protégée ou couverts par un label de qualité national ;

vii) assurer la gestion des sous-produits et des déchets, en vue notamment de la protection de la qualité de l’eau, du sol et du paysage, et préserver ou stimuler la biodiversité ;

viii) contribuer à une utilisation durable des ressources naturelles et à atténuer le changement climatique ;

ix) développer des initiatives dans le domaine de la promotion et de la commercialisation ;

x) gérer les fonds de mutualisation visés dans les programmes opérationnels dans le secteur des fruits et légumes visés à l’article 31, paragraphe 2, du présent règlement et à l’article 37 du règlement (UE) n° 1305/2013 ;

xi) fournir l’assistance technique nécessaire à l’utilisation des marchés à terme et des systèmes assurantiels ;

2. Une organisation de producteurs reconnue en vertu du paragraphe 1 peut continuer d’être reconnue si elle s’engage dans la commercialisation de produits relevant du code NC ex 2208 autres que ceux visés à l’annexe I des traités, pour autant que la part de ces produits ne dépasse pas 49 % de la valeur totale de la production commercialisée de l’organisation de producteurs et que ces produits ne bénéficient d’aucun soutien de l’Union. Pour les organisations de producteurs du secteur des fruits et légumes, ces produits n’entrent pas dans le calcul de la valeur de la production commercialisée aux fins de l’article 34, paragraphe 2.

3. Par dérogation au paragraphe 1, les États membres reconnaissent les organisations de producteurs dans le secteur du lait et des produits laitiers qui :

a) sont constituées à l’initiative des producteurs ;

b) poursuivent un but précis pouvant inclure l’un ou plusieurs des objectifs suivants :

i) assurer la programmation de la production et son adaptation à la demande, notamment en termes de qualité et de quantité ;

ii) concentrer l’offre et mettre sur le marché la production de leurs membres ;

iii) optimiser les coûts de production et stabiliser les prix à la production.

Article 156

Associations d’organisations de producteurs

1. Les États membres peuvent, sur demande, reconnaître les associations d’organisations de producteurs dans un secteur déterminé énuméré à l’article 1er, paragraphe 2, qui sont constituées sur l’initiative d’organisations de producteurs reconnues.

Sous réserve des règles adoptées en application de l’article 173, les associations d’organisations de producteurs peuvent exercer toutes les activités ou fonctions des organisations de producteurs.

Article 157

Organisations interprofessionnelles

1. Les États membres peuvent, sur demande, reconnaître les organisations interprofessionnelles dans un secteur précis visé à l’article 1er, paragraphe 2, qui :

a) sont constituées de représentants des activités économiques liées à la production et à au moins une des étapes suivantes de la chaîne d’approvisionnement : la transformation ou la commercialisation, y compris la distribution, des produits dans un ou plusieurs secteurs ;

b) sont constituées à l’initiative de la totalité ou d’une partie des organisations ou associations qui les composent ;

c) poursuivent un but précis prenant en compte les intérêts de leurs membres et ceux des consommateurs, qui peut inclure, notamment, un des objectifs suivants :

i) améliorer les connaissances et la transparence de la production et du marché, y compris en publiant des données statistiques agrégées relatives aux coûts de production, aux prix, accompagnées le cas échéant d’indicateurs de prix, aux volumes et à la durée des contrats précédemment conclus, et en réalisant des analyses sur les perspectives d’évolution du marché au niveau régional, national ou international ;

ii) prévoir le potentiel de production et consigner les prix publics sur le marché ;

iii) contribuer à une meilleure coordination de la mise sur le marché des produits, notamment par des recherches et des études de marché ;

iv) explorer les marchés d’exportation potentiels ;

v) sans préjudice des articles 148 et 168, élaborer des contrats types compatibles avec la réglementation de l’Union pour la vente de produits agricoles aux acheteurs et/ou la fourniture de produits transformés aux distributeurs et détaillants, en tenant compte de la nécessité de garantir des conditions de concurrence équitables et d’éviter les distorsions du marché ;

vi) exploiter pleinement le potentiel des produits, y compris au niveau des débouchés, et développer des initiatives pour renforcer la compétitivité économique et l’innovation ;

vii) fournir des informations et réaliser les recherches nécessaires à l’innovation, à la rationalisation, à l’amélioration et à l’orientation de la production et, le cas échéant, de la transformation et de la commercialisation, vers des produits plus adaptés aux besoins du marché et aux goûts et aspirations des consommateurs, en particulier en matière de qualité des produits, y compris en ce qui concerne les spécificités des produits bénéficiant d’une appellation d’origine protégée ou d’une indication géographique protégée, et en matière de protection de l’environnement ;

viii) rechercher des méthodes permettant de limiter l’usage des produits zoosanitaires ou phytosanitaires, mieux gérer d’autres intrants, garantir la qualité des produits ainsi que la préservation des sols et des eaux, promouvoir la sécurité sanitaire des aliments, en particulier par la traçabilité des produits, et améliorer la santé et le bien-être des animaux ;

ix) mettre au point des méthodes et des instruments destinés à améliorer la qualité des produits à tous les stades de la production et, le cas échéant, de la transformation et de la commercialisation ;

x) entreprendre toute action visant à défendre, protéger et promouvoir l’agriculture biologique et les appellations d’origine, les labels de qualité et les indications géographiques ;

xi) promouvoir et réaliser des recherches concernant la production intégrée et durable ou d’autres méthodes de production respectueuses de l’environnement ;

xii) encourager une consommation saine et responsable des produits sur le marché intérieur et/ou diffuser des informations sur les méfaits des modes de consommation dangereux ;

xiii) promouvoir la consommation des produits sur le marché intérieur et les marchés extérieurs et/ou fournir des informations sur ces produits ;

xiv) contribuer à la gestion des sous-produits et à la réduction et à la gestion des déchets.

2. Dans des cas dûment justifiés, les États membres peuvent décider, sur la base de critères objectifs et non discriminatoires, que la condition figurant à l’article 158, paragraphe 1, point c), est remplie en limitant le nombre d’organisations interprofessionnelles au niveau régional ou national si des dispositions du droit national en vigueur avant le 1er janvier 2014 le prévoient et si cela n’entrave pas le bon fonctionnement du marché intérieur.

La mise en place des OP, notamment dans le domaine laitier, est actuellement en progrès, alors même que la contractualisation précédant la mise en place des OP avait conduit à museler le rapport de force au sein de la filière.

Toutefois, un rééquilibrage effectif doit combiner plusieurs priorités :

– renforcer la capacité des producteurs à faire usage d’OP et d’AOP afin de partager les bonnes pratiques et de peser d’avantage dans le rapport de force. À ce titre, l’émergence d’OP dites « horizontales », à l’échelle de territoires plutôt que des OP « verticales », définies uniquement dans leur rapport avec le transformateur, est de bonne augure ;

– la lutte contre les pratiques commerciales déloyales, dans le sillage de ce que propose le groupe de travail de Cees Veerman ;

– l’accompagnement des OP dans les matières juridiques et économiques pour leur permettre, dans ce secteur où les coopératives sont absentes, de négocier aux mieux les formules de prix auxquels souscrivent leurs adhérents, via notamment des contrats-cadres déclinés en contrats individuels.

La bonne mise en œuvre du rééquilibrage au sein des filières, et plus largement la bonne entente entre les parties prenantes pourrait passer par la mise en place de « comités de partage de la valeur », tels qu’ils existent dans la filière sucrière. D’autres outils, tels que les contrats tripartites ou encore le label « Relations fournisseurs responsables », comme le propose le Gouvernement français, dont bénéficieraient les entreprises qui suivent un référentiel de bonnes pratiques commerciales, seraient autant de moyens d’éviter la destruction ou la spoliation de valeur que les producteurs estiment parfois subir.

Les filières ne pourront toutefois elles-mêmes prospérer que dans un cadre futur où une PAC lisible, fondée sur des objectifs clairs, appuyée par une culture de la performance, du résultat et de l’accompagnement des agriculteurs, contribuera à l’émergence d’une agriculture innovante.

Frappés par le consensus autour de ce thème, vos rapporteurs estiment que le sentiment de complexité, qui confine parfois à l’absurde, lié au régime de la PAC actuelle, appelle à une réforme des outils. L’image que les agriculteurs ont d’eux-mêmes en pâtit, comme l’a présenté M. Roger Le Guen : « 20 à 25 % des agriculteurs sont perdus dans leur environnement économique. Ils ont besoin d’un accompagnement humain. » Outre une formation plus poussée dans les domaines économique et managérial, les producteurs doivent pouvoir bénéficier également d’un environnement réglementaire simplifié.

Vos rapporteurs ont eu l’occasion d’entendre à de nombreuses reprises les efforts que la Commission compte engager en faveur de la simplification dans le mode de gestion de la PAC. À l’heure où cette dernière engage une procédure de consultation publique sur l’avenir de la PAC, intitulée « Modernisation et simplification de la PAC », ce sujet attire l’attention de vos rapporteurs. Les questions posées aux parties prenantes traitent notamment des chevauchements entre second et premier piliers ainsi que de la fréquence des contrôles via une meilleure utilisation des données et des technologies.

Ces efforts de simplification méritent toutefois une forme d’éclaircissement. La commission des Affaires européennes a eu, en effet, l’occasion de s’émouvoir des projets de simplification en matière vitivinicole (102). Plus largement, l’effort de simplification ne doit pas conduire à une uniformisation trompeuse : les cultures européennes demeurent très diverses et une politique commune à l’échelle de l’Union européenne ne peut éviter une dimension de complexité. Vos rapporteurs insistent donc sur l’idée suivante : toute simplification doit se faire en faveur des agriculteurs bénéficiaires des aides de la PAC. Ce n’est qu’à cette condition que la défiance, soulignée par M. Cees Veerman, entre les producteurs et les instances publiques en charge de la mise en œuvre et de l’évaluation de la PAC pourra être levée, sans quoi, comme l’a dit M. Éric Allain, de FranceAgriMer, « on risque l’embolie ». Dès lors, il conviendrait de s’assurer que la simplification aille dans le sens d’une plus grande lisibilité de la PAC, pour tous ses acteurs, à savoir, selon M. Jean-Christophe Bureau :

– un moins grand nombre de procédures pour les agriculteurs ;

– une sécurité juridique accrue pour les instances administratives ;

– la définition d’une stratégie globale qui évite le sentiment d’empilement de couches successives sans cohérence réelle, sinon « l’effet qu’une mesure pallie les aspects négatifs d’une autre. »

Une meilleure lisibilité de la PAC implique également que, en matière environnementale notamment, soit développée une culture des résultats plutôt que des moyens. C’est ce que demandent notamment Régions de France, en matière de Mesures Agri-Environnementales (MAE) : « cette logique de résultat permet de responsabiliser les acteurs et de simplifier les processus. » En complément d’une moindre pesanteur des contrôles et de la précision des instruments à mettre en place doivent être appliquées des sanctions, un « code de la route », notamment en matière de MAE, selon M. Patrick Ferrere. L’effort de simplification peut donc porter avant tout sur la dématérialisation des procédures administratives, la dévolution du contrôle à l’échelon local et la définition claire d’objectifs et d’indicateurs. À ce titre, vos rapporteurs estiment que la proposition actuelle de la Commission européenne pour bannir l’utilisation de pesticides sur les Surfaces d’Intérêt Écologique (SIE), telle qu’elle a été exposée par M. Samuel Féret, d’Arc 2020, va dans le bon sens.

En ce qui concerne les résultats, qui pourraient notamment porter sur des indicateurs mesurables en termes de biodiversité, de réduction de production de carbone ou d’azote, les faiblesses seraient sanctionnées, mais la production de biens publics serait rémunérée selon une valeur déterminée en amont. Cette forme de conditionnalité des aides permettrait d’associer les agriculteurs au respect des objectifs de politique publique tout en laissant une marge de manœuvre suffisante pour qu’ils puissent en assumer la responsabilité. Vos rapporteurs souscrivent donc, dans cette mesure, à la proposition du Gouvernement français : « les mesures pour lesquelles la valeur ajoutée européenne est reconnue et qui se caractérisent par la volonté d’une application homogène à l’ensemble des États membres car elles constituent le socle de la PAC devront être financées à 100 % par le budget européen ; les autres mesures offrant une liberté importante à chaque État membre pour cibler à son niveau les actions qu’il considère les plus pertinentes pourront être cofinancées (103). »

La plus grande lisibilité de la PAC pourrait également passer par la remise en place d’un seul pilier, ainsi que l’ont exprimé certaines personnes auditionnées. M. Alan Matthews, dans son rapport au Parlement européen (104), plaide pour un pilier unique, où les paiements directs seraient ciblés sur des objectifs précis, le cofinancement obligatoire pour toute forme de rémunération des biens publics. Tous les crédits seraient intégrés dans une structure contractualisée où l’épargne budgétaire serait immédiatement réallouée aux outils de gestion des risques, à la compétitivité, à la lutte contre le changement climatique et à la rémunération des aménités environnementales, selon le schéma ci-dessous.

D:\Utilisateurs\MBlanchard\Mes documents\OUTLINE.png

Aussi séduisante que puisse paraître une forme simplifiée de la politique agricole où l’acte de production serait à la fois soutenu en tant que tel et en tant que producteur d’aménités positives dont le financement public est légitime, il paraît à vos rapporteurs difficile d’imaginer quelle forme la transition entre le régime actuel et ce schéma pourrait prendre. Il demeure toutefois que la mise en place de palliatifs des effets néfastes des paiements directs doit continuer à irriguer les réflexions des pouvoirs publics.

La simplification dans la mise en œuvre de la PAC pourrait utilement s’étendre à l’application des règles de la concurrence au sein des organisations communes de marché, dans une chaîne de production alimentaire en déséquilibre croissant.

Les réflexions menées devant vos rapporteurs sur la question de la concurrence et son application aux producteurs demeurent pessimistes. Tantôt accusées de brider les producteurs, tantôt de partialité au sein de la chaîne alimentaire, les autorités en charge du contrôle des ententes, des abus de position dominante ou encore des concentrations n’ont que rarement fait l’objet d’appréciations positives. Les dernières enquêtes, dont notamment l’affaire dite « des endives », sont pour beaucoup un symptôme de l’iniquité propre aux règles de la concurrence libre et non faussée.

La décision de l’Autorité de la Concurrence face au « cartel des endives »

Dans sa décision 12D08 du 6 mars 2012 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la production et de la commercialisation des endives, l’Autorité de la Concurrence a sanctionné des ententes de fixation de prix. Elle avait en effet constaté que plusieurs groupements de producteurs avaient mis en œuvre un plan global de gestion du marché afin de soustraire la fixation du prix des endives au jeu naturel de la concurrence, qui s’est notamment traduit par la définition d’un prix minimal de vente pour chaque catégorie d’endives, la mise en place d’un système d’échanges d’informations sur les prix pratiqués par les producteurs ainsi que par des menaces de sanctions en cas de non-respect de la politique tarifaire fixée en commun.

La lourdeur des amendes imposées parfois plusieurs fois aux mêmes producteurs a conduit à une forte médiatisation de la décision, mais la décision a été annulée par un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 15 mai 2014. Enfin, la Cour de Cassation, saisie par l’Autorité de la Concurrence, a décidé de surseoir à statuer et de renvoyer une question préjudicielle à la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) (105).

Les hésitations jurisprudentielles révélées par ce cas précis reflètent la difficulté d’appliquer les règles du droit de la concurrence au secteur agricole, et en particulier à des organisations communes de marché précises, en l’absence d’efforts de clarification du législateur européen, ou du moins de guides issus de la Commission européenne ou des autorités de la concurrence nationales.

Les aspects positifs, relatifs à la protection des acteurs les plus faibles du marché contre des actions prédatrices, à l’instar de l’entente entre les coopératives dans le secteur du maïs (Conseil de la Concurrence, déc. n° 07-D-16, 9 mai 2007, relative à des pratiques sur les marchés de la collecte et de la commercialisation des céréales) ne sont qu’insuffisamment connus. Dès lors, ainsi que le relevait M. Jean Bizet, les agriculteurs « ont le sentiment (…) que la concurrence – de l’Europe avec le reste du monde, des agriculteurs des États membres entre eux – est inégale, voire « déloyale » (106). Comme l’a exprimé M. André Bonnard, de la FNPL (fédération des producteurs de lait), « le dogme de la concurrence n’est tourné que vers le consommateur. Dans certains départements, il n’y a désormais plus de concurrence entre les transformateurs », ou encore M. Jean-Pierre Fleury, d’Interbev, « le droit de la concurrence européen, inspiré des modèles anglo-saxons, nous rend très pessimiste », les représentants des producteurs conservent une forte défiance envers l’application du droit de la concurrence et des outils qui sont à leur disposition. En effet, des interrogations demeurent quant au champ d’application des structures collectives au sein des filières. Pour la FNPL, « il faut mettre fin aux énormes frais d’avocats dont on souffre lorsque la Commission européenne vient interroger nos pratiques en termes de concurrence. Il faut que, dans un lieu, les opérateurs puissent parler de marché et de « vision de marché ».

Il existe donc trois fronts, identifiés par vos rapporteurs, sur lesquels l’effort de lisibilité de la Commission européenne doit porter, en vue de la bonne application des outils issus du règlement OCM et de règlements spécifiques aux filières : les organisations de producteurs, la lutte contre les risques d’abus de position dominante et l’harmonisation globale des concepts issus du droit de la concurrence tels qu’ils s’appliquent au secteur agricole.

La réglementation de l’OCM actuelle (107) permet de fixer une forme d’équilibre dans le degré de prééminence des règles de la concurrence au sein du secteur agricole. Il rappelle en premier lieu, en son article 206, que, sauf réserves particulières prévues par le règlement, l’ensemble des organisations de marché agricoles entrent dans le champ des « accords, décisions et pratiques visés à l’article 101, paragraphe 1, et à l’article 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne se rapportant à la production ou au commerce des produits agricoles. »

Il existe toutefois de nombreuses souplesses dans l’application de ces règles, issues du règlement OCM, ainsi que l’a amplement montré le traitement de la crise laitière. Outre les incitations au regroupement au sein d’organisations de producteurs, qui sont également l’un des principaux apports du « paquet lait », le règlement OCM a permis de supprimer la condition d’absence de position dominante pour la reconnaissance d’une organisation de producteurs. Enfin, les OP peuvent négocier, dans le secteur laitier « collectivement avec une laiterie les clauses des contrats, y compris les prix, pour une partie ou pour la totalité de la production de lait cru de leurs membres (108). »

Si l’ensemble de ces outils permet de renforcer théoriquement la place des producteurs au sein de la chaîne alimentaire, il demeure toutefois que ces dérogations ont introduit une plus grande complexité encore dans l’application et la compréhension des règles relatives à la concurrence. Dès lors, vos rapporteurs partagent l’idée du groupe de travail de M. Cees Veerman visant à exempter la planification conjointe et la vente conjointe des règles de la concurrence, pour autant qu’elles sont le fait des organisations de producteurs reconnues ou de leurs associations (109), dès lors qu’elles ne portent pas atteinte aux principes de non-discrimination. De la même manière, les organisations de producteurs devraient être encouragées à appliquer l’article 209 de l’OCM unique (110), aux termes duquel certaines pratiques collectives relatives à l’utilisation d’installations communes de stockage ou de transformation des produits agricoles ne tombent pas dans le champ du contrôle des ententes.

Vos rapporteurs ont été agréablement surpris en cela par le discours de M. Johannes Laitenberger, directeur de la direction générale de la concurrence de la Commission européenne. Ce dernier leur a en effet assuré que « notre ligne, fondée sur l’expérience de décennies de discussions, estime que les simples cartels de prix et/ou de gestion de production, peuvent apporter des pansements de court terme dans des situations spécifiques, mais ne contribuent pas à une perspective de développement durable de l’agriculture. Ce que nous cherchons, ce n’est pas d’interdire aux producteurs de se regrouper. Ils peuvent, au contraire, jouer un rôle très important dans la stabilisation et la modernisation de l’agriculture, pourvu qu’ils aillent dans le sens d’une plus grande efficacité de la production. C’est cette orientation que nous avons traduite dans nos lignes directrices sur les organisations de marché, concernant l’huile d’olive ou encore les grandes cultures. Les producteurs peuvent se regrouper, se moderniser, mais cela doit ajouter de la valeur plutôt qu’une entente sur les prix. »

L’Autorité de la Concurrence a elle-même émis, dans une Étude Thématique consacrée à l’agriculture (111) , un avis tout à fait favorable à la mise en place d’organisations de producteurs puissantes. Ainsi, « sur des marchés où le prix des produits varie en fonction du volume des commandes, les groupements coopératifs d’achat peuvent également, en fonction du nombre de leurs membres, constituer un contre-pouvoir à la puissance contractuelle des entreprises de taille mondiale, en réduisant les coûts de production des agriculteurs membres, et in fine améliorer leurs marges. » Les OP sont ici considérées, en l’absence de transfert de propriété, comme titulaires d’un contrat proposé au producteur par un acheteur auprès de qui la structure, agissant comme un mandataire, commercialise la production, en accord avec l’article D. 551-24 du code rural et de la pêche maritime (112). En vertu de cette analyse économique, « l’Autorité s’est constamment souciée d’encourager les regroupements entre acteurs du monde agricole, notamment lorsqu’ils étaient destinés à renforcer le pouvoir de négociation des producteurs ou à réunir des exploitations agricoles en OP. », pour aller « dans le sens d’une massification de l’offre en vue d’atteindre une taille critique suffisante pour peser face aux acheteurs. »

L’intégration d’OP dans des ensembles plus vastes, permis par le règlement OCM unique et l’article L. 551-2 du code rural et de la pêche maritime, dans des associations d’OP (AOP), peut notamment permettre la diffusion de dates d’arrivée à maturité des produits des différents producteurs ou zones de production, de volumes estimés ou de préconisations en termes de date de démarrage de campagne. Si la fixation collective des prix demeure incompatible avec les règles de la concurrence, vos rapporteurs invitent les acteurs de la chaîne alimentaire à s’emparer des outils actuellement à leur disposition afin que la future PAC soit d’autant plus attentive aux moyens de rééquilibrer le rapport de force entre l’amont et l’aval.

Par ailleurs, vos rapporteurs appuient les autorités françaises dans leur volonté d’étendre la négociation collective des contrats, actuellement uniquement mise en place dans les secteurs du lait, de la viande bovine, de l’huile d’olive et des grandes cultures, à tous les secteurs pour, là encore, s’assurer que le rééquilibrage se fasse dans toutes les filières.

Il convient de demeurer attentif à ce que la constitution d’oligopoles multiples, des producteurs aux distributeurs, ne revienne pas à créer des effets de « double, voire de triple marginalisation, et donc d’augmentation des prix face à une demande élastique, à l’instar de ce qui se passe dans la filière des fruits et légumes », comme l’a exprimé M. Jean-Christophe Bureau.

Dans l’ensemble, la Commission pourrait utilement éditer des lignes directrices qui éclairent les OP et les AOP, avec ou sans transfert de propriété, sur leurs marges de manœuvre quant à la diffusion des moyennes de prix, de prix planchers indicatifs ou encore sur la programmation des volumes de production. Ainsi que Cees Veerman l’a expliqué à vos rapporteurs, la clarté juridique en la matière est l’un des aspects les plus cruciaux du rapport du groupe de travail qu’il a présidé.

L’amélioration concrète du fonctionnement des OP en France doit notamment passer, dès aujourd’hui, par un plus grand financement de leurs moyens de négociation et de contractualisation, notamment juridiques. D’autre part, M. Éric Allain, de FranceAgriMer, imputait les faiblesses actuelles des OP sur leur petite taille et leur absence au sein des interprofessions.

Le déséquilibre au sein de la chaîne alimentaire pourrait aboutir, pour vos rapporteurs, à des risques d’abus de position dominante, alors même qu’il leur a été confirmé, par exemple, qu’il n’existait plus que quatre centrales d’achat en France et dix pour l’intégralité de l’Union européenne. Or, ce mouvement de concentration pourrait ne pas être achevé.

Les questions de partage de valeur ajoutée ne sont pas naturellement le champ d’application des règles concurrentielles, sauf si ce déséquilibre entraîne une réduction de l’offre et un déséquilibre contraire au bien-être collectif ou s’opposant à l’efficacité économique (113).

Ainsi, l’Autorité de la Concurrence française, dans l’étude précitée (114), fait le constat que « l’offre agricole est le plus souvent atomisée et fait face, pour ce qui concerne la majeure partie de ses débouchés, à l’industrie agroalimentaire et à la grande distribution qui sont relativement plus concentrées. » L’industrie agroalimentaire, s’est affirmée comme la première industrie française. Avec 147 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2009, elle valorise 70 % de la production agricole. Selon l’Observatoire économique des industries agroalimentaires et de l’agro-industrie, on ne compterait qu’environ 10 000 entreprises agroalimentaires. Toutefois, environ 95 % du chiffre d’affaires et de la valeur ajoutée de l’industrie agroalimentaire sont générés par à peine 30 % de ces entreprises (soit les 3 000 entreprises de 20 salariés ou plus, ou réalisant un chiffre d’affaires supérieur à 5 millions d’euros). (…) Ce contexte de concentration de la demande, que ce soit de l’industrie agroalimentaire ou de la grande distribution, et d’atomicité de l’offre, se traduit par un pouvoir de négociation naturellement plus fort du côté le plus concentré du marché, et donne donc un avantage important aux acheteurs. » Ce constat, qui doit être rapproché des incitations à constituer de puissantes OP, pousse l’Autorité de la Concurrence à conseiller aux producteurs, afin de capter une part plus importante de la valeur ajoutée, à :

– développer des circuits courts de commercialisation, permettant de limiter le nombre d’intermédiaires entre producteurs et consommateurs ainsi que les coûts de transport qui sont autant de sources d’économies et donc d’augmentation potentielle des marges des agriculteurs ;

– opérer une remontée de filière en étant présents à différents niveaux de la chaîne de valeur et/ou monter en gamme en ciblant des productions agricoles à plus forte valeur ajoutée, via notamment la production biologique ou la restriction de l’offre des produits d’appellation d’origine.

Ces deux stratégies permettent de segmenter l’offre et de diminuer son atomisation face à l’aval. L’Autorité a par ailleurs assuré à vos rapporteurs surveiller de près les évolutions de la chaîne de production alimentaire, afin de s’assurer « que les producteurs aient toujours le choix dans leur livraison. »

Le cadre juridique national et européen d’application des règles de la concurrence semble peu clair pour de nombreux producteurs. Ainsi, le concept de « régularisation des prix » a entraîné des interprétations divergentes, entre la mission reconnue aux AOP par le règlement 2200/96/CE, du 28 octobre 1996, portant organisation commune des marchés dans le secteur des fruits et légumes et l’interdiction portée par le règlement 1184/2006 de pratiquer des prix collectifs. Or, la fixation de prix planchers et la diffusion des consignes de prix sont autant de griefs retenus à l’encontre du « cartel des endives » (115).

La question des marchés pertinents semble enfin être relativement cruciale. Si l’audition de M. Cees Veerman a permis de confirmer à vos rapporteurs « que les études menées par la Commission européenne en la matière se font de manière empirique afin de respecter à chaque fois les caractéristiques propres au marché », cette notion demeure problématique. C’est à la suite de leurs réflexions sur les différences dans l’effort définitionnel du « marché pertinent » lors de l’analyse des abus de position dominante – et notamment de son caractère national ou européen – que nos collègues sénateurs ont abouti à la conclusion qu’il faut une harmonisation de la définition à l’échelle de toutes les autorités nationales de concurrence (116).

Le marché pertinent fait désormais l’objet d’une définition au sein du règlement OCM unique, appuyé sur deux critères complémentaires.

Article 143 bis du nouveau règlement OCM unique

La définition du marché en cause permet d’identifier et de définir le périmètre à l’intérieur duquel s’exerce la concurrence entre entreprises et s’articule autour de deux dimensions cumulatives :

a) le marché de produits en cause : aux fins du présent chapitre, on entend par "marché de produits" le marché comprenant tous les produits considérés comme interchangeables ou substituables par le consommateur en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et de l’usage auxquels ils sont destinés ;

b) le marché géographique en cause : aux fins du présent chapitre, on entend par "marché géographique" le marché comprenant le territoire sur lequel les entreprises concernées sont engagées dans l’offre des biens en cause, sur lequel les conditions de concurrence sont suffisamment homogènes et qui peut être distingué de zones géographiques voisines, notamment.

Cependant, pour reprendre la formule utilisée par le sénateur Jean Bizet, alors que l’Autorité de la concurrence considérait que le marché pertinent des abattoirs bretons était de 300 km en 2010, deux ans plus tard, ils « sont asséchés par la concurrence des abattoirs allemands et les porcs font 1 500 km avant d’être abattus. » (117)

Vos rapporteurs estiment qu’il est de la plus haute importance, en vue de la future PAC :

– qu’il soit établi des conditions claires de respect du droit de la concurrence pour les OP, afin de faciliter leur constitution et d’alléger leurs charges administrative et de recherche ;

– que certains concepts tels que les marchés pertinents ou les outils de gestion des prix fassent l’objet d’une harmonisation, puis d’une certaine stabilité afin que les acteurs du secteur agricole puissent apprécier les effets positifs des règles concurrentielles, notamment au sein de la chaîne alimentaire ;

– que certaines dispositions du « paquet lait » puissent être conservées et étendues à d’autres secteurs qui souffrent également de problèmes d’atomisation de l’offre et de faible cycle de vie des produits. Le secteur des fruits et légumes pourrait ainsi, comme il a été proposé par l’Autorité de la concurrence, bénéficier d’une exemption quant à la négociation collective des prix pour les AOP sans transfert de propriété (118).

C’est en effet au cours de leur entretien avec la direction générale de la concurrence de la Commission européenne que vos rapporteurs ont acquis la conviction que l’action des autorités européenne et nationale de la concurrence peut efficacement assurer une meilleure rémunération des producteurs, indexée sur leur valeur ajoutée. Ainsi, les échanges d’information entre entreprises, dès lors qu’elles portent sur des situations individuelles récentes, sont prohibés, de la même manière que les stratégies de différenciation de l’offre qui ne seraient pas fondées sur des critères qualitatifs clairs de sélection des produits ou des entreprises (119).

Plus largement, toute indication pédagogique prenant la forme de lignes directrices, sera la bienvenue pour faciliter l’application des dispositions de la concurrence par les organisations interprofessionnelles.

S’ils ont eu l’occasion de le déplorer, vos rapporteurs estiment qu’il convient de prendre acte des formes de renationalisation de la dernière réforme de la PAC. Si celle-ci est désormais moins commune et que, dans l’ensemble, il convient de mener un travail de fond pour réaffirmer la valeur ajoutée européenne d’une telle politique, cette renationalisation ne peut fonctionner qu’avec une réelle dévolution du pouvoir et du contrôle aux échelons inférieurs, et notamment régionaux. Les représentants de Régions de France ont eu l’occasion d’affirmer les problématiques liées au partage entre l’Agence nationale des paiements et la prise en charge des dispositifs par l’échelon régional. De plus, la mise en œuvre actuelle de la PAC démontre, selon eux, que « les politiques elles-mêmes varient en fonction de la situation topologique des régions. En Occitanie, par exemple, les enjeux liés aux zones vulnérables et éligibles à l’ICHN sont majoritaires, ce qui n’est pas du tout le cas en Nouvelle Aquitaine. » S’ils ne souhaitent pas aller jusqu’à appliquer le dispositif italien d’agence interrégionale de paiement, ils souhaitent :

– une amélioration du fonctionnement de l’instance de dialogue entre l’État et les régions, soit le Conseil Supérieur de l’Orientation, qui devrait être le lieu de concertations préalables entre les acteurs, mais aussi du comité FEADER État-région, dont le rythme de réunion n’est plus respecté depuis deux ans ;

– la mise en place d’un Conseil État-région spécifique aux questions de mise en œuvre des aides du FEADER ;

– une amélioration des modalités de délégation entre la Commission européenne et les régions, afin que celles-ci deviennent des « autorités de gestion directement en lien avec l’Union européenne ». Par ailleurs, là encore, les régions souhaitent entrer dans une relation de confiance avec l’Union européenne, grâce à laquelle les mesures agro-environnementales (MAE) seraient contrôlées quant à la conformité avec les objectifs et non quant aux moyens mis en place.

Le Comité économique et social européen partage avec les instances locales l’impératif de simplifier la mise en œuvre de la politique, non pas simplement concernant les règlements et les directives de la Commission, mais également dans la mise en œuvre : « des systèmes de contrôle et de sanction plus raisonnables doivent être élaborés » (120).

Vos rapporteurs estiment que la valorisation des initiatives adaptées aux conditions locales, issues de groupes d’agriculteurs, doit être encouragée. C’est pourquoi, ainsi qu’il a été élaboré dans les rapports tant du Comité économique et social européen que celui de M. Éric Andrieu, le soutien au développement local mené par des acteurs locaux (DLAL) par les Fonds ESI (fonds structurels et d’investissement européens), via des groupes d’action locale (GAL), amène à financer des projets locaux susceptibles de maintenir non seulement l’activité agricole, mais également les services publics de base nécessaires au maintien de la vie rurale.

C’est ce qu’expriment également MM. Thomas Dax et Andrew Copus dans leur rapport au Parlement européen (121). Selon eux, la démarche LEADER et la démarche ci-dessus représentent des outils pour une plus grande participation des communautés rurales à la gestion des programmes. De la même manière, et dans la lignée de la Déclaration de Cork 2.0, les zones rurales ne peuvent plus être comprises comme des zones défavorisées ou soumises à la prééminence urbaine. Dès lors, les plans locaux de gestion des terres doivent permettre un développement durable et l’innovation sociale. Les objectifs de la future réforme de la PAC ne seraient pas révolutionnaires dans cette perspective, mais viseraient des ajustements et une plus grande efficacité. Plus spécifiquement, les auteurs plaident pour que la Politique de Développement Rural favorise :

– l’équilibre territorial et la cohésion, induite par la qualité de vie et le bien-être dans les zones rurales ;

– l’interaction entre zones urbaines et rurales ;

– la lutte contre la pauvreté rurale et l’assurance de services publics dans les zones les plus éloignées des zones urbaines ;

– le changement d’une politique horizontale vers une politique territoriale prenant en compte les spécificités et les besoins des zones bénéficiant d’aides au titre du Développement Rural, tout en évitant l’augmentation du fardeau administratif qui pèse sur les agriculteurs, mais en permettant à ces derniers, via des échanges de bonnes pratiques et la constitution de réseaux, d’être actifs dans la bonne mise en œuvre de la PAC.

L’intégration de tous les acteurs, de l’élaboration à l’évaluation en passant par la mise en œuvre de la PAC, dans une logique de performance, de confiance et de résultats, doit permettre une plus grande efficience de la politique publique dans son ensemble. C’est à cette condition que la PAC peut également stimuler les innovations technologiques destinées à la fois à une plus grande compétitivité mais aussi à une meilleure capacité de mesurer la contribution de l’agriculture au développement des biens publics.

La question du « recouplage » des aides, par rapport aux orientations prises dans les dernières réformes de la PAC, s’est posée lors de plusieurs auditions. M. Patrick Ferrere, par exemple, milite pour régler ce qu’il appelle « le problème de l’herbe ». Il estime que les éleveurs qui « subissent » l’herbe, dans les zones défavorisées, sont soutenus par le mécanisme de l’ICHN. Toutefois, sur les 12,5 millions d’hectares que compte le territoire français, des éleveurs choisissent également de fonctionner à l’herbe, comme on peut le voir en Bretagne. Dès lors, si l’on décide de soutenir la compétitivité des éleveurs tout en rétribuant le maintien de prairies, il serait envisageable, pour lui, de consacrer une partie des aides du premier pilier, à hauteur d’1 milliard d’euros, afin d’atteindre une superficie de 15 millions d’hectares herbagés.

Une part plus importante d’aides couplées aurait l’avantage, tout en prenant en compte les critères de l’OMC, de mieux cibler les aides, pour qu’elles puissent notamment répondre « aux multiples demandes (gustatives, technologiques, durabilité des produits, diversité) » des consommateurs et citoyens européens, ainsi que l’a exposé M. Pascal Magdelaine, de Coop de France. C’est particulièrement le cas pour les filières d’élevage, qui, si elles bénéficient sous le régime actuel de la PAC, d’aides spécifiques, continuent de souffrir de l’orientation vers le marché de la PAC. De la même manière, les aides du second pilier pourraient être légitimes pour la production de protéines végétales, secteur dans lequel l’Union européenne continue d’être structurellement déficitaire. Le Modef propose également le renforcement des aides couplées, en faveur de l’élevage, via « une augmentation de 15 à 20 % du budget du premier pilier » et une prime pour les vaches allaitantes de « 200 € pour les 40 premières vaches dont 20 % de génisses, une prime de 100 € pour les quarante suivantes et un plafond à 80 vaches/actif (122). »

L’innovation agricole relève d’un des axes actuels de réflexion de la Commission européenne, ce que vos rapporteurs se réjouissent. Si les innovations numériques ou technologiques ne peuvent devenir l’alpha et l’oméga de la PAC, qui doit également contribuer à l’aménagement du territoire et à la valorisation des biens publics, les formes de partenariat entrepreneuriaux dans le domaine des semences, par exemple, tels que les a décrits M. Roger Le Guen, sont des promesses intéressantes en termes de compétitivité et de mesurabilité de la valeur ajoutée des aides publiques. Vos rapporteurs ont pu constater, à l’occasion des échanges qu’ils ont eus avec les représentants de l’ambassade d’Espagne à Paris, que ces derniers partageaient avec eux l’ambition d’orienter davantage la PAC vers la recherche et l’innovation.

À ce titre, le Partenariat européen d’innovation pour la productivité et le développement durable de l’agriculture est un outil intéressant, ainsi que l’a reconnu un rapport récent remis à la Commission européenne (123) . Ce partenariat lancé en 2012 implique que les États membres financent des conseillers, des chercheurs, des entreprises ou des agriculteurs dans le cadre des programmes de développement rural sous la forme de Groupes opérationnels. Le programme « Horizon 2020 » peut apporter des financements complémentaires aux projets. Il existe toutefois des voies d’amélioration à court et moyen termes, notamment en termes de synergies avec les autres programmes de l’Union européenne, d’accès des plus petites entreprises au programme du fait des lourdeurs administratives associées et le développement insuffisant des « connexions et de la dissémination de l’innovation entre les niveaux régional, national et européen. » Les progrès que recommande donc l’étude, et auxquels encouragent vos rapporteurs, relèvent de la simplification administrative pour une meilleure appréhension des agriculteurs les plus éloignés de la frontière d’innovation, de l’autorisation de paiements anticipés et de la plus grande synergie avec d’autres programmes du développement rural, en faveur des mesures agro-environnementales.

C’est pourquoi vos rapporteurs souscrivent aux constats et objectifs de la Déclaration de Cork 2.0 (124), à savoir :

– l’économie rurale et les exploitations dépendront de manière croissante de la numérisation et de la formation des travailleurs dans ce domaine ;

– il est nécessaire de s’assurer que les espaces ruraux en Europe demeurent des endroits attractifs pour y vivre et y travailler en améliorant l’accès des citoyens ruraux aux services et aux opportunités de travail.

Pour valider ces objectifs, les signataires de la déclaration souhaitent notamment développer les opportunités de croissance du secteur agricole en s’appuyant notamment sur l’économie circulaire ou la baisse du recours aux énergies fossiles. Dès lors, les investissements de l’Union européenne devraient se concentrer sur les infrastructures liées aux objectifs de maintien du taux d’emploi et de croissance verte et inclusive, inscrite dans la stratégie Europe 2020. Plus spécifiquement, les parties à la déclaration ont convenu que les politiques publiques devaient permettre de surmonter le fossé digital entre les zones urbaines et les zones rurales défavorisées. Enfin, la Déclaration insiste sur la participation des communautés rurales à l’économie de la connaissance, via :

– le partage des connaissances et des bonnes pratiques, notamment pour la mise en place des schémas de gestion des terres ;

– le bénéfice, pour toutes les entreprises et les exploitations rurales, de tout type et de toute taille, d’une technologie appropriée et des outils de gestion permettant d’optimiser les résultats économiques et environnementaux de leurs productions ;

– le respect d’une logique « bottom-up », à l’instar du programme LEADER et du Partenariat Européen pour l’Innovation dans l’Agriculture, afin de refléter le plus possible les aspirations locales dans un cadre défini d’objectifs économiques, sociaux et environnementaux.

L’intégration des communautés rurales est particulièrement intéressante, puisqu’elle s’inscrit dans la logique de contractualisation et de valorisation des initiatives de terrain. Dans le domaine de l’innovation, c’est également ce qu’a vanté Yves Madre, pour qui la mise en place d’un système de bilan environnemental de la filière bovine en Irlande via des outils digitaux a été initiée par la filière elle-même. S’appuyant sur une image de marque, le système permet de valoriser les méthodes de production sans aboutir « à une usine à gaz » pour autant, selon ce chercheur. La collecte des données dans ce système, appuyée par des fonds publics et donc protégée comme telle, pourrait être rapidement mise en place et aboutirait à un contrôle beaucoup plus simple et précis du respect des objectifs liés au second pilier sans pour autant alourdir la charge de travail administratif des producteurs.

Les conclusions du groupe de travail institué autour de Cees Veerman vont également dans ce sens. Pour ce dernier, « l’accent mis sur l’innovation devrait être renforcé, par exemple dans le domaine de la recherche et du développement en matière de méthodes de production agricole et dans celui des nouvelles technologies d’assistance basées sur les TIC (technologies de l’information et de la communication), telles que l’agriculture de précision, mais aussi sur le plan de l’innovation organisationnelle tout au long de la chaîne. (…) Les centres d’enseignement et de formation en Europe doivent être redynamisés et devraient comporter des programmes axés sur l’innovation, la gestion agricole et l’ingénierie agricole. »

Ces préconisations permettraient en effet d’attirer davantage de jeunes et de nouveaux entrants dans le secteur agricole européen vieillissant. Il permettrait également aux producteurs, notamment lorsqu’ils s’organisent collectivement, de partager des bonnes pratiques et de récupérer une partie de la valeur ajoutée au sein de la chaîne de production alimentaire.

Vos rapporteurs estiment donc qu’il serait pertinent de développer la logique actuelle du Partenariat européen pour l’Innovation, même si celui a subi quelques critiques, afin de valoriser les initiatives locales, comme l’ont expliqué les représentants de FranceAgriMer : « il faut mettre l’accent sur l’innovation et non pas seulement sur les cycles de production. » L’amélioration de ce Partenariat Européen pour l’Innovation pourrait intégrer avec profit une dimension d’innovation sociale pour améliorer les conditions de travail au sein des filières.

TRAVAUX DE LA COMMISSION

Lors de la réunion du mercredi 22 février 2017, la commission a examiné la proposition de résolution européenne sur l’avenir de la politique agricole commune après 2020 (n° 4475), sur le rapport de Mme Karine Daniel.

Mme la présidente Frédérique Massat. Nous avons décidé, le 25 octobre 2016, de créer un groupe de travail, commun à la commission des affaires économiques et à la commission des affaires européennes, pour réfléchir au futur de la politique agricole commune (PAC) après 2020. Ce groupe avait pour présidente Mme Danielle Auroi, présidente de la commission des affaires européennes, et pour rapporteurs Mme Karine Daniel et M. Michel Piron. La précédente réforme de la PAC avait déjà donné lieu à la constitution de groupes de travail et de rapports communs, en 2011 et 2013.

Mme Karine Daniel va nous présenter, outre le rapport d’information sur l’avenir de la politique agricole commune après 2020, la proposition de résolution européenne (PPRE) sur le même sujet.

Mme Karine Daniel, rapporteure. Je tiens à remercier ceux d’entre vous qui ont participé aux travaux dont je vous présente les conclusions aujourd’hui, ainsi que ceux qui se sont soumis au calendrier contraignant de nos auditions.

Le rapport d’information, que je ne présenterai pas de manière exhaustive, se divise en trois grandes parties. Une première partie fait le point sur la situation qui résulte de la dernière réforme de la PAC de 2013. Il nous a également paru important de consacrer une partie à l’agriculture européenne et française que nous défendons, ainsi qu’aux outils de politique agricole qui pourraient utilement être mis au service du développement d’un modèle que nous souhaitons durable et respectueux de l’emploi et des conditions de vie des travailleurs du secteur. La troisième partie du rapport détaille nos préconisations afin d’atteindre ces objectifs.

Avant de vous présenter en quelques mots nos recommandations, je vous rappelle le calendrier de la prochaine réforme de la PAC. Initialement annoncée pour 2020, il nous a été confirmé, lors des auditions effectuées à Bruxelles, que les prochaines élections au Parlement européen et le renforcement récent du principe de codécision imposeraient sans doute un délai supplémentaire avant son adoption. Néanmoins, deux échéances vont concerner la PAC à court terme. D’une part, les négociations sur le règlement budgétaire, dit « omnibus », pourraient permettre quelques ajustements à la PAC actuelle. D’autre part, les négociations qui commencent sur le Brexit auront un impact sur le budget de l’Union européenne, et donc sur la PAC.

J’en viens à la proposition de résolution européenne, qui rappelle en premier lieu que la PAC est une politique structurante de l’Union et doit le rester. À ce titre, son budget doit être préservé, y compris après le Brexit.

La PAC est également un élément essentiel de la souveraineté alimentaire européenne ; elle doit aussi être respectueuse de la souveraineté alimentaire des pays partenaires de l’Union. C’est un élément très important qui a des conséquences sur les politiques publiques consacrées à l’agriculture européenne.

Dans cette résolution, nous proposons d’établir un lien entre la politique alimentaire et la politique agricole, et de renommer la PAC en « Politique agricole et alimentaire commune » (PAAC), afin de spécifier qu’il faut repenser de manière plus équilibrée tous les éléments de la chaîne alimentaire et agroalimentaire. Je reviendrai notamment sur les questions de partage et de construction de la valeur ajoutée.

L’adoption du règlement omnibus, si les députés et les instances européennes œuvrent en ce sens, devrait permettre de mobiliser des outils de gestion de crise, des aides contra-cycliques et des filets de sécurité contre les variations trop fortes des prix de marché. Dans les négociations à venir, il importera d’être vigilant et d’évaluer a priori les effets des accords internationaux – notamment le CETA (Accord économique et commercial global, entre l’Union européenne et le Canada) – sur les différentes filières agricoles.

Le cinquième point de la résolution souligne l’attention particulière qui doit être portée au soutien à l’emploi agricole. De nombreuses aides sont aujourd’hui liées aux facteurs de production et fortement découplées. Elles devraient, pour certaines, tenir compte de l’emploi et mieux cibler les agriculteurs actifs, en particulier les plus jeunes.

La résolution réaffirme la nécessité que les producteurs les plus fragiles
– les jeunes, ceux aux revenus modestes ou ceux travaillant dans une filière en difficulté – bénéficient de filets de sécurité leur assurant une protection contre les aléas économiques et climatiques.

Elle insiste également sur l’attention qui doit être portée à long terme à la création de valeur ajoutée. La compétitivité est souvent associée à la baisse des prix, donc à celle des coûts, mais il existe une compétitivité hors prix, fondée sur la qualité. L’agriculture européenne doit aussi s’engager dans cette voie, car elle permet de répartir la valeur au sein des filières. À cet égard, si nous souhaitons que les organisations de producteurs soient renforcées, c’est pour qu’elles puissent peser sur les négociations qu’elles mènent avec les industriels et la grande distribution. Je précise que, contrairement à une idée reçue, ce renforcement ne se heurte pas au droit européen – la direction générale de la concurrence que nous avons rencontrée à Bruxelles nous l’a confirmé.

Du point de vue environnemental, nous ne disposons que de peu de données permettant d’évaluer la réforme de la PAC mise en œuvre depuis 2013. Plusieurs éléments tendent cependant à démontrer que l’objectif fixé à l’époque n’a pas été atteint, faute pour les outils adéquats d’avoir été mis en place. Les dispositifs actuels sont perçus comme trop complexes et trop contraignants par les agriculteurs pour qu’ils appréhendent de manière positive la question environnementale. Une révolution s’impose.

La résolution propose, en conséquence, de simplifier les outils liés à l’environnement en retenant des indicateurs simples et synthétiques relatifs, par exemple, au carbone, à la lutte contre le réchauffement climatique ou à la qualité des sols. Ce sont les progrès accomplis par les exploitations dans ces domaines qui constitueraient le levier des politiques agricoles. Les auditions que nous avons menées nous laissent penser que la profession agricole est prête à la construction de tels indicateurs et à la mise en place de leur contrôle.

La résolution encourage le développement des outils innovants pour contribuer à l’essor de l’agriculture et améliorer ses performances économiques et environnementales. Les outils numériques, en particulier, sont très utiles pour réduire les intrants et pour optimiser l’utilisation des ressources. Ces outils innovants sont de nature à renforcer les modèles agricoles mettant en avant la biodiversité ou la durabilité des sols.

En matière de gouvernance, la simplification de la politique agricole est souvent citée comme un objectif prioritaire. Encore faut-il s’entendre sur sa signification. La Commission européenne la considère souvent de son seul point de vue. Pour elle, le passage d’une organisation commune de marchés (OCM) par filières à une OCM unique a sans doute constitué une simplification, mais il n’a en rien amélioré la lisibilité de ces politiques publiques pour les agriculteurs. Ils devraient pourtant être les premiers bénéficiaires de la simplification.

Enfin, la résolution considère qu’il est nécessaire que la prochaine réforme de la PAC fasse l’objet de consultations, et qu’elle soit co-construite avec les États et avec les partenaires.

Je précise, pour terminer, que certains sujets sont absents de la résolution mais sont néanmoins abordés dans le rapport d’information. Il nous semblait, par exemple, contradictoire avec notre volonté de voir se renouveler les générations d’agriculteurs de reparler des prix garantis et des quotas. Fortement liés au poids des investissements ou aux volumes, ils constituent en effet des freins à l’installation des jeunes agriculteurs et dressent des barrières à l’entrée de la profession. Un autre sujet beaucoup discuté est celui des assurances-prix. Dans les systèmes mixtes privé-public parfois envisagés, le second partenaire est souvent amené à réassurer le premier. Ce système ne nous paraît pas opportun : il serait coûteux pour la puissance publique et n’enverrait pas un bon signal à des marchés déjà contraints.

M. Hervé Pellois. Créée par le traité de Rome en 1957, la politique agricole commune est l’une des politiques majeure et fondatrice de l’Union européenne. Depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, en 2009, l’agriculture relève du domaine des compétences partagées entre l’Union et les États membres. Ces derniers doivent agir conjointement, et la PAC doit pouvoir s’adapter. Il faut dire que le contexte actuel est particulièrement intense et fluctuant : départ du Royaume-Uni de l’Union européenne, volatilité des marchés agricoles, chute du taux d’emploi dans le secteur agricole, dérèglement climatique…

La proposition de résolution commence par réaffirmer que la politique agricole commune doit demeurer une politique phare de l’Union européenne et que, à ce titre, son budget – qui représente 39 % du budget de l’Union – doit être préservé.

Elle rappelle ensuite que la PAC doit fournir un soutien et un appui aux exploitations qui créent de l’emploi, et à celles qui sont fragiles. Elle doit également garantir une alimentation saine, de qualité, produite par des démarches durables, protéger les exploitations et sécuriser la production alimentaire européenne. Pour ce faire, la résolution encourage la Commission européenne à promouvoir le développement d’outils technologiques qui associeraient performances économique et environnementale ainsi qu’à valoriser les agriculteurs qui évoluent dans une démarche respectueuse de l’environnement et de la biodiversité.

La PPRE recommande aussi l’adoption d’une réforme qui prévoirait des outils simples et lisibles en matière d’emploi et d’environnement, en s’inscrivant dans une logique de résultats plutôt que de moyens.

Enfin, elle milite pour que les agriculteurs disposent d’un revenu stable, et qu’ils puissent accéder au crédit plus aisément. Les agriculteurs les plus jeunes doivent bénéficier d’un filet de sécurité leur assurant une protection contre les aléas économiques et climatiques.

En tant que support des politiques agricoles étatiques, la PAC constitue toujours un outil directeur de l’Union européenne. Envisageant l’avenir de la politique agricole commune après 2020, la PPRE se place dans l’optique de toujours mieux protéger l’humain et l’environnement ; elle vise à améliorer concrètement les conditions de vie et de travail des agriculteurs.

Je suis très satisfait de la proposition de renommer la PAC en « politique alimentaire et agricole commune ». Cette mention souligne le lien entre producteurs et consommateurs. Elle donne un poids politique plus important à nos agriculteurs, qui ne constituent aujourd’hui qu’un « maillon faible » de la population.

M. Antoine Herth. Ce rapport d’information procède du principe de réalité. Peut-être est-ce l’effet de la crise agricole en cours, il évite, en tout cas, les ornières des raisonnements trop faciles. Qui plus est, le Brexit nous place devant l’ardente obligation de consolider les fondations de l’Union européenne, dont la politique agricole commune est un élément.

Je mesure la difficulté de promouvoir les idées exposées dans le rapport d’information. On voit, avec celle d’une politique alimentaire, qui apparaît comme une évidence aux yeux des Français, combien les us et coutumes en la matière sont divers au sein de l’Union. Il en est de même de l’appréhension des exploitations agricoles, tant du point de vue de la taille et du nombre, que de l’interventionnisme historique de la France pour accompagner l’installation des jeunes agriculteurs, flécher la possession des terres agricoles vers un modèle d’exploitation familiale. Nos partenaires européens n’ont pas une telle tradition, et d’ailleurs l’Union européenne n’a jamais souhaité entrer dans cette discussion.

Madame Karine Daniel, j’admire votre ingéniosité : le concept de résilience permet d’éviter de parler de compétitivité – terme qui fâche sur certains bancs de notre Assemblée –, mais la résilience n’est qu’une facette de la compétitivité, celle de la défense plutôt que de l’attaque. De même, vous soulignez l’importance de l’organisation de l’offre et de la traçabilité. La mise en place de la traçabilité de l’origine des produits animaux constitue l’un des acquis de nos travaux parlementaires. Ce sujet comporte un certain nombre de chausse-trappes : les pays du nord de l’Europe ont une approche diététique et sanitaire de l’alimentation, qui peut s’opposer à d’autres démarches donnant davantage la priorité à la notion de terroir, par exemple dans le sud de l’Europe.

Il faudra tenter de revenir sur la question de l’homologation des produits phytosanitaires. Dans ce domaine, lors de la réforme du règlement européen, la France avait défendu, en vain, la création d’une zone unique pour toute l’Union européenne. À la suite d’un mauvais compromis, l’Europe est aujourd’hui divisée en trois zones pour l’homologation.

Vous avez eu raison d’appeler notre attention sur le fait que la Commission européenne a tendance à simplifier dans le sens qui lui convient. Pour un pays agricole comme la France dont les terroirs et les productions sont extrêmement diversifiés, la simplification reste difficile à mettre en œuvre.

Enfin, je m’interroge sur l’articulation des deux piliers de la PAC. Cette thématique n’est pas abordée, non plus que celle de la place des régions dans la future politique agricole commune. On ne peut imaginer qu’elles n’y jouent pas le rôle qui leur revient.

Vous avez certainement compris que le groupe Les Républicains ne s’opposera pas à la publication du rapport d’information.

M. André Chassaigne. Je regrette de ne pas avoir participé au groupe de travail, mais je ne peux pas être partout – je dis souvent que, tout seul, je ne suis pas assez nombreux. J’ai quand même fait quelques propositions, dont certaines ont été prises en compte, en particulier celles visant à insister sur la nécessité d’une politique alimentaire européenne.

Il est deux domaines, toutefois, dans lesquels il me semble que n’a pas été affirmée avec suffisamment de détermination la nécessité de changer la politique agricole commune en profondeur, faute de quoi celle-ci restera un miroir aux alouettes.

D’une part, il est vraiment dommage que la proposition de résolution ne traite pas de la garantie des prix d’achat aux producteurs et de l’encadrement des marges des opérateurs de l’aval. On nous ressort systématiquement l’argument de l’eurocompatibilité, mais une proposition de résolution est précisément l’occasion d’affirmer avec force que l’Europe doit bouger sur la garantie des prix à la production, car c’est la seule solution pour sortir de la course à la compétitivité dans laquelle nous sommes enfermés. Dans une telle Europe, nous trouverons toujours plus compétitif que nous et la concurrence entre pays mènera l’agriculture à une forme de suicide dans de nombreux territoires. Nous devons être beaucoup plus offensifs sur ces sujets.

Au passage, je me méfie des mots qui ressortent régulièrement. Il y a vingt ans, on mettait le mot « synergie » à toutes les sauces ; celui de « résilience » me paraît un habillage qui permet de cacher beaucoup de choses.

N’est pas abordée, d’autre part, la protection contre les aléas économiques, sanitaires et climatiques sur une base publique. Il n’existe aujourd’hui qu’un filet de sécurité porté par le secteur privé, qui ne répond pas aux besoins actuels. Il n’est d’ailleurs pas accessible à de nombreux agriculteurs. Ce sujet devrait être traité dans la proposition de résolution européenne.

Celle-ci comporte néanmoins de nombreux points positifs, et je la voterai.

Mme Marie-Hélène Fabre. J’ai trouvé, dans les propos liminaires de Mme la rapporteure, une réponse à mon interrogation sur l’intégration du contrat-socle d’assurance récolte dans le deuxième pilier de la PAC. Je me contenterai, en conséquence, d’insister sur la nécessité de maintenir les outils et les instruments liés aux filières spécifiques, tels qu’ils ont été définis dans le cadre de l’OCM ou dans la PAC 2013. Je pense en particulier à la viticulture.

M. Daniel Fasquelle. Voilà un rapport d’information sur lequel nous pouvons tous nous rejoindre, en effet.

Si l’on ne peut pas rétablir les outils initiaux de la PAC, les nouveaux outils efficaces permettant de préserver notre agriculture, nos agriculteurs et le revenu agricole ne sont toujours pas en place. Il faut que les producteurs éparpillés puissent s’associer pour affronter la puissance d’achat des grandes surfaces. La question de la concurrence sur laquelle vous faites des propositions est majeure. Une véritable évolution du droit français et du droit européen est nécessaire. De nouveaux outils doivent aussi être imaginés pour faire face aux aléas climatiques. Sur de nombreux sujets, il est clair que nous sommes au milieu du gué, entre un ancien système et un nouveau. Or on ne peut pas rester dans cet entre-deux qui broie nos agriculteurs.

Il me semble, par ailleurs, que le rapport d’information ne traite pas suffisamment de l’aménagement du territoire. Nous devons véritablement faire un choix : soit nous produisons la même quantité avec un petit nombre d’agriculteurs à la tête de très grandes exploitations ; soit nous décidons que la politique agricole est aussi une politique d’aménagement du territoire parce que nous souhaitons préserver la présence d’agriculteurs sur tout l’espace européen. N’oublions pas que ces derniers contribuent à embellir et à entretenir nos campagnes. Si nous n’y prenons pas garde, sans soutien suffisant, certaines formes d’exploitation disparaîtront totalement et tout le tissu construit au fil de générations d’agriculteurs sera détruit. La PAC a été une politique d’aménagement du territoire ; si nous voulons qu’elle le reste, il faut l’affirmer avec beaucoup plus de force.

M. Jean-Claude Mathis. Dans le paragraphe intitulé « Des faiblesses déjà identifiées », vous évoquez l’appréhension des agriculteurs confrontés à des bouleversements comme le Brexit, et à l’incertitude budgétaire qui en découle. Quelles mesures sont, selon vous, susceptibles de rassurer ces derniers et de les faire adhérer aux réformes à venir ?

Vous estimez que la PAC est peu lisible et complexe. La réforme issue du traité de Lisbonne a créé une nouvelle géographie des pouvoirs décisionnels de la PAC – elle relève désormais de la codécision. Cette évolution engendre une plus grande flexibilité de la nouvelle PAC, mais également une plus grande complexité liée au cumul de la défense des intérêts nationaux de chacun des États membres. Dans un tel climat, quel peut être l’avenir d’une institution dont le pouvoir est à ce point remis en cause et affaibli ?

M. Yves Daniel. Selon vous, une des premières attentes des agriculteurs serait de pouvoir bénéficier d’un revenu stable et d’une visibilité économique. Mais nous ne demandons – je suis moi-même agriculteur – qu’à vivre de notre métier, en vendant nos produits à des prix correspondant à leur valeur et rémunérant notre travail ! Certaines exploitations dégagent bien des revenus sans bénéficier d’aides PAC. Il me semble que nous devons plutôt nous demander comment nous passer de ces aides, car le rôle de la PAC est d’abord d’assurer la sécurité alimentaire.

La notion de re-territorialisation est essentielle. Elle participe à la compétitivité, en ce qu’elle permet de valoriser notre potentiel agricole afin que nous puissions exporter.

Je suis favorable à l’expression « politique alimentaire et agricole commune ». Elle me semble aller de pair avec la notion d’« exception agriculturelle », qui est de plus en plus mise en avant. Avez-vous eu l’occasion de débattre de ce sujet ?

M. Lionel Tardy. La nouvelle PAC devra répondre à l’enjeu majeur du renouvellement des générations tel qu’il ressort de la pyramide des âges.

En France, 2015 et 2016 ont été deux années compliquées pour les agriculteurs en raison des retards de paiement de l’Agence de services et de paiement (ASP). J’ai alerté à plusieurs reprises le ministre de l’agriculture, M. Stéphane Le Foll, à ce sujet, et mon collègue Antoine Herth a posé une question au Gouvernement sur ce thème hier, dans l’hémicycle. Si les grands enjeux se dessinent au niveau européen, il ne faut pas oublier que les modalités d’applications sont françaises. De ce qui semble être un détail relatif au fonctionnement de l’ASP peuvent résulter de véritables catastrophes pour les agriculteurs. Il faut à tout prix éviter de renouveler ce genre d’expérience.

M. Dominique Potier. Vos travaux nous rassurent quant à la compatibilité avec les règles européennes des dispositions importantes que nous avons votées dans la loi Sapin II concernant les organismes de producteurs. Il s’agit d’une petite révolution par rapport à la dérégulation que constituait la fin des quotas.

S’agissant des aides, une question nous taraude, qui constitue un défi pour la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA) et les autres syndicats du secteur. Qu’est-ce qu’un agriculteur ? Qui doit toucher des aides ? Qui est actif ? Le non-départ à la retraite et l’abus et le détournement du travail à façon deviennent de véritables défis pour les modèles agricoles que nous voulons défendre. Il faudra que le milieu agricole et le débat législatif répondent à ces questions lors de la prochaine législature.

Madame Karine Daniel, je me félicite que vous ayez repris ma proposition visant à rappeler que la PAC doit assurer la souveraineté alimentaire européenne mais aussi celle des pays tiers. Je pensais, en particulier, aux pays les plus fragiles dont les paysanneries ne sont pas soutenues par la puissance publique et les régulations mises en œuvre en Europe. L’accaparement des terres et les spéculations sur les biens agroalimentaires causent davantage de misère et de violence dans le monde que les guerres elles-mêmes. La nouvelle PAC ne doit pas être prédatrice ; elle doit être coopérante, en Afrique et ailleurs, afin de bâtir des modèles agricoles contribuant à la lutte contre le changement climatique mais aussi à la paix dans le monde.

M. Alain Suguenot. Il faut sortir du dogme de la non-intervention publique en matière d’agriculture, surtout au regard de considérations telles que le Brexit, la territorialité, le développement numérique – ce dernier nécessitant que les « tuyaux » aillent jusque dans nos campagnes, donc une politique d’aménagement du territoire.

L’Union européenne et la PAC vont souvent à contre-courant des autres puissances agricoles mondiales, qui ont toutes renforcé leur politique en faveur de l’agriculture. L’Europe poursuit ainsi sur la voie du découplage des aides, pourtant abandonnée ailleurs ; elle persiste à ne plus aider les agriculteurs lorsque des difficultés se présentent sur le front des prix. Quelles que soient les productions concernées, les États-Unis soutiennent davantage leurs producteurs que l’Europe : le différentiel en la matière est de l’ordre de 30 %. L’Union européenne doit profiter de la prochaine réforme pour adapter la PAC à l’environnement économique, et mettre en place des aides qui pourraient varier en fonction des prix des marchés.

Face au Brexit, nous avons besoin d’un « brick-set », c’est-à-dire des briques qui permettront de reconstruire une Europe, et notamment une Europe agricole digne de ce nom qui protégera nos agriculteurs.

M. Michel Piron. En tant que modeste rapporteur de la proposition de résolution pour la commission des affaires européennes de l’Assemblée, je me permets d’insister sur deux questions.

La traçabilité ne concerne pas seulement la sécurité alimentaire, même si, dans le cadre de la mondialisation, les risques ne sont pas négligeables du tout ; elle peut également aider à y voir un peu plus clair dans la chaîne de répartition de la valeur ajoutée du producteur au distributeur. Cet élément ne doit pas être négligé dans la mesure où Bruxelles se penche enfin aujourd’hui sur la juste répartition de la valeur ajoutée entre producteurs, transformateurs et distributeurs.

Quant au besoin de simplification, il constitue assurément un impératif pour tous les représentants des États membres que nous avons pu entendre à Bruxelles. Nous ne sommes pas seuls à exprimer cette demande : tous nos interlocuteurs ont considéré que les procédures et les exigences en matière d’environnement étaient impraticables. En général, la simplification telle qu’elle est conçue par l’administration, française ou européenne, est un guichet unique qui ne fait qu’additionner en un seul formulaire tous les documents qui existaient préalablement et ne fonctionnaient pas. Mais la véritable simplification, c’est utiliser l’aspirateur et non l’agrafeuse ! Le Parlement européen peut jouer un rôle en la matière, et le Parlement français peut en être le relais.

Mme la rapporteure. Parmi toutes les questions posées, celle du lien qu’entretiennent les agriculteurs avec la politique agricole commune m’apparaît comme la plus fondamentale, et c’est sans doute celle qui est revenue le plus souvent.

Il faut souligner la spécificité du secteur agricole : il est le plus soutenu par l’Europe, pourtant, les agriculteurs sont ceux qui expriment la plus grande défiance vis-à-vis de l’Union. Nous avons entendu des chercheurs en sociologie afin de creuser cette question politique majeure. Bien sûr, il n’y a pas de réponse unique, mais il nous est apparu qu’il est indispensable aujourd’hui de redonner du sens et de la lisibilité à la PAC. Les agriculteurs doivent se sentir partie prenante de la politique menée. Lorsque la PAC a été mise en œuvre, ils ont compris et su relever le défi de l’augmentation de la production ; aujourd’hui, cette lisibilité des objectifs est perdue, et les agriculteurs ne sentent plus combien ni comment nous avons besoin d’eux.

S’agissant de la résilience et de la compétitivité, je n’ai pas l’ambition de forger aujourd’hui un consensus entre nous. Toutefois, il y a un objectif commun à l’une et à l’autre : faire diminuer les intrants. Les exploitations les plus résilientes, et donc potentiellement les plus compétitives à long terme, sont souvent celles qui ont consenti les plus grands efforts sur la réduction des intrants ; ce faisant, elles réduisent ainsi le risque lié au prix des intrants, en grande partie assujetti à celui de l’énergie. Préservation de l’environnement et compétitivité à long terme vont ici de pair.

En ce qui concerne les deux piliers de la PAC, le rapport n’entre pas dans le détail. Au cours des auditions, beaucoup d’idées ont été émises, notamment celle de la création d’un troisième pilier. Mais, lorsque l’on crée de nouveaux objectifs, il y a une propension à créer également de nouveaux outils, de nouvelles cases, de nouveaux budgets… Les critères environnementaux permettant d’allouer les crédits correspondant au premier pilier devront-ils être renforcés ? C’est une question qui n’est pas tranchée. Les deux premiers piliers se rapprocheraient alors, en allant éventuellement vers une fongibilité. On pourrait alors imaginer un budget unifié de la PAC.

Quant à la régionalisation, elle n’est traitée ici qu’en creux. Il nous a surtout paru important de réaffirmer le principe d’unité de la PAC. La politique est commune, les objectifs doivent l’être aussi. Il est logique d’en imaginer une déclinaison régionale ou territoriale, mais nous avons voulu insister sur les enjeux globaux, collectifs – changement climatique, capture du carbone…

Régionalisation et PAC ne s’opposent pas, mais je suis, pour ma part, très vigilante sur les questions de régionalisation et de renationalisation. Prétendre que puisque l’agriculture est diverse, elle doit être entièrement gérée au plus près du terrain, c’est facile ; mais c’est aussi aller vers une casse de la politique agricole commune. Il faut donc tenir un discours équilibré.

S’agissant des prix garantis et de l’encadrement des marges, je plaide plutôt pour une plus grande stabilité des prix. Pour cela, il faut des organisations de producteurs plus puissantes, qui construisent des valeurs ajoutées mieux réparties. L’idée d’encadrement des marges peut paraître intéressante, mais elle est difficile à appliquer.

Je voudrais préciser notre propos concernant les assurances. Les systèmes d’assurance public-privé peuvent, je l’ai dit, être difficiles à mettre en œuvre. Mais nous avons entendu M. Louis-Pascal Mahé, professeur émérite à l’Agrocampus de Rennes, et M. Jean-Christophe Bureau, professeur à AgroParisTech, qui prônent des systèmes assurantiels mutualisés mis en place par les agriculteurs eux-mêmes. Cela me paraît une piste féconde, et cohérente avec la nécessité de renforcer les organisations de producteurs que je mentionnais.

Nous n’oublions évidemment pas les enjeux territoriaux, ni lorsque nous parlons d’emploi, ni lorsque nous parlons d’environnement.

Nous avons lourdement insisté sur le fait que si l’agriculture est soumise aux règles du marché, l’activité agricole présente des spécificités que les politiques publiques doivent prendre en considération. La question a été posée pour la viticulture, mais elle est pertinente pour de nombreux secteurs. Les agriculteurs doivent s’orienter vers une autre construction de la valeur ajoutée, c’est une évidence ; mais il est tout aussi évident que, là où l’agriculture produit des biens publics et des aménités positives, les politiques publiques doivent lui apporter leur soutien. L’équilibre à moyen et à long terme reste à trouver.

La commission en vient à l’examen de l’article unique de la proposition de résolution européenne.

Elle adopte successivement les amendements rédactionnels CE1, CE2, CE5, CE4, CE6 et CE7, tous de la rapporteure.

Puis elle adopte l’article unique de la proposition de résolution européenne modifié.

*

En conséquence, la proposition de résolution est adoptée.

PROPOSITION DE RÉSOLUTION EUROPÉENNE

Article unique

L’Assemblée nationale,

Vu l’article 88-4 de la Constitution,

Vu l’article 151-5 du Règlement de l’Assemblée nationale,

Vu le traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, en particulier ses articles 38 à 44 ;

Vu le règlement (CE) n° 834/2007 du Conseil du 28 juin 2007 relatif à la production biologique et à l'étiquetage des produits biologiques et abrogeant le règlement (CEE) n° 2092/91 ;

Vu le règlement (UE) n° 1305/2013 du Parlement européenne et du Conseil du 17 décembre 2013 relatif au soutien au développement rural par le Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) et abrogeant le règlement (CE) n° 1698/2005 du Conseil ;

Vu le règlement (UE) n° 1306/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 relatif au financement, à la gestion et au suivi de la politique agricole commune et abrogeant les règlements (CEE) n° 352/78, (CE) n° 165/94, (CE) n° 2799/98, (CE) n° 814/2000, (CE) n° 1200/2005 et n° 485/2008 du Conseil ;

Vu le règlement (UE) n° 1307/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 établissant les règles relatives aux paiements directs en faveur des agriculteurs au titre des régimes de soutien relevant de la politique agricole commune et abrogeant le règlement (CE) n° 637/2008 du Conseil et le règlement (CE) n° 73/2009 du Conseil ;

Vu le règlement (UE) n° 1308/2013 du Parlement européen et du Conseil du 17 décembre 2013 portant organisation commune des marchés des produits agricoles et abrogeant les règlements (CEE) n° 922/72, (CEE) n° 234/79, (CE) n° 1037/2001 et (CE) n° 1234/2007 du Conseil ;

Vu le règlement délégué (UE) n° 639/2014 de la Commission du 11 mars 2014 complétant le règlement (UE) n° 1307/2013 du Parlement européen et du Conseil établissant les règles relatives aux paiements directs en faveur des agriculteurs au titre des régimes de soutien relevant de la politique agricole commune et modifiant l’annexe X dudit règlement ;

Vu la proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil relatif aux règles financières applicables au budget général de l’Union et modifiant le règlement (CE) n° 2012/2002, les règlements (UE) n° 1296/2013, (UE) n° 1301/2013, (UE) n° 1303/2013, (UE) n° 1304/2013, (UE) n° 1305/2013, (UE) n° 1306/2013, (UE) n° 1307/2013, (UE) n° 1308/2013, (UE) n° 1309/2013, (UE) n° 1316/2013, (UE) n° 223/2014, (UE) n° 283/2014, (UE) n° 652/2014 du Parlement européen et du Conseil et la décision n° 541/2014/UE du Parlement européen et du Conseil (COM[2016] 605 final) ;

Vu la déclaration de la conférence sur le développement durable, dite « Cork 2.0 », du 6 septembre 2016 ;

Vu le rapport du groupe de travail sur les marchés agricoles du 14 novembre 2016 ;

Considérant que la politique agricole commune (PAC) est une politique fondatrice de la Communauté européenne et qu’elle demeure l’une des politiques les plus intégrées de l’Union européenne ;

Considérant que cette politique représente 39 % du budget de l’Union européenne ;

Considérant les incertitudes budgétaires créées par le résultat du référendum du 23 juin 2016 sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne ;

Considérant l’affaiblissement progressif ou la suppression des instruments d’intervention publique au profit d’outils de gestion de crise ;

Considérant la volatilité accrue des marchés agricoles et ses effets néfastes auxquels les agriculteurs sont confrontés, notamment dans le secteur laitier ;

Considérant le déséquilibre du partage de la valeur ajoutée au sein de la chaîne de production alimentaire au détriment des producteurs ;

Considérant la nécessité d’une politique alimentaire ambitieuse répondant aux besoins de 500 millions d’Européens et aux enjeux de santé publique ;

Considérant que les spécificités du secteur agricole doivent prévaloir sur les règles de la concurrence dès lors que la réalisation des objectifs de la PAC est en jeu ;

Considérant, compte tenu des nouvelles orientations de la PAC, la nécessité d’assurer la résilience de toutes les exploitations ;

Considérant la chute du taux d’emploi agricole sur le territoire européen et le caractère impératif du maintien d’une agriculture paysanne, familiale et intensive en emplois ;

Considérant le rythme actuel de restructuration des exploitations ;

Considérant, à ce titre, que la problématique du renouvellement générationnel des agriculteurs européens doit être une priorité de la prochaine réforme de la PAC ;

Considérant que les crédits européens ouverts au titre de la PAC doivent être destinés en priorité aux actifs agricoles ;

Considérant le rôle que joue la PAC dans le développement rural et, en particulier, dans le maintien des activités agricoles dans tous les territoires, y compris ceux qui souffrent de handicaps naturels ou sont naturellement défavorisés ;

Considérant que les nécessités relatives à la cohésion territoriale des États membres impliquent que l’activité rurale fasse l’objet d’une attention particulière, notamment en ce qui concerne le développement des infrastructures de télécommunications et numériques ;

Considérant que la PAC doit encourager les productions de qualité, appuyées sur des cahiers des charges exigeants et assurées par des instruments de traçabilité permettant d’informer les consommateurs de manière loyale et aussi exhaustive que possible ;

Considérant que la PAC et la politique commerciale jouent un rôle dans la préservation et la valorisation des produits d’appellation d’origine ;

Considérant dès lors que la PAC doit accompagner l’émergence d’une agriculture de précision appuyée sur des outils numériques innovants permettant d’allier performance économique et performance environnementale ;

Considérant que le secteur agricole doit continuer à contribuer à la lutte contre le dérèglement climatique et à la préservation de l’environnement et que ces impératifs doivent demeurer des objectifs prioritaires de la PAC ;

Considérant que la simplification est l’une des priorités de la Commission européenne et que celle-ci doit être jugée à l’aune des pratiques des agriculteurs ;

Considérant que l’efficacité dans la mise en œuvre de la PAC a pour préalable la confiance et la coordination des instances publiques qui l’assurent ;

Considérant que la future réforme de la PAC doit promouvoir l’efficience économique, sociale et environnementale, ainsi que la culture du résultat fondée sur des indicateurs simples et lisibles ;

1. Réaffirme que la PAC doit demeurer une politique socle de l’Union européenne et qu’à ce titre, son budget doit être préservé ;

2. Rappelle que la PAC doit assurer la souveraineté et la sécurité alimentaires européennes, dans le respect des mêmes attentes émanant des pays tiers ;

3. Propose, dans cet objectif de rétablir le lien alimentation santé et production agricole, de renommer la PAC en Politique Alimentaire et Agricole Commune ;

4. Estime nécessaire, à court terme, de veiller à ce que l’adoption du règlement dit « omnibus » pallie les faiblesses identifiées lors de la dernière réforme de la PAC et que les futures négociations commerciales avec des pays tiers prennent en compte l’impact cumulé des accords de libre-échange sur les filières ;

5. Demande que le soutien aux exploitations créatrices d’emploi, en particulier les petites et moyennes exploitations, devienne une priorité, en ciblant mieux les agriculteurs actifs, en particulier les plus jeunes ;

6. Réaffirme la nécessité que les producteurs les plus fragiles (jeunes, modestes ou appartenant à une filière en difficulté) bénéficient de filets de sécurité leur assurant une protection contre les aléas économiques et climatiques ;

7. Souhaite que la place des agriculteurs dans la répartition de la valeur ajoutée au sein de la chaîne alimentaire soit confortée, en particulier via la constitution d’organisations de producteurs puissantes ;

8. Milite pour que l’agriculture européenne soit une agriculture de qualité à haute valeur ajoutée, accessible à tous ;

9. Demande à la Commission européenne une évaluation de l’impact des aides directes sur l’environnement, l’emploi et l’aménagement du territoire et appelle à une réorientation de ces aides vers les exploitations les plus respectueuses de ces domaines ;

10. Plaide pour qu’un panel d’outils simplifiés assure la stabilité des revenus des agriculteurs et que l’accès au crédit soit facilité ;

11. Réaffirme que le droit de la concurrence doit s’adapter aux spécificités du secteur agricole, en particulier compte tenu du déséquilibre croissant au sein de la chaîne de production alimentaire ;

12. Encourage la Commission européenne à favoriser le développement d’outils technologiques innovants, au service d’une agriculture alliant performance économique et performance environnementale ;

13. Invite la Commission européenne à encourager les exploitations à forte intensité écologique, pour la préservation de la biodiversité, pour la durabilité des sols et la lutte contre l’érosion et pour la capture du carbone et de l’azote, et rappelle que l’agriculture doit prendre toute sa part dans la lutte contre le dérèglement climatique ;

14. Encourage l’adoption d’une réforme en faveur d’outils simples et lisibles au service d’objectifs clairs et prévisibles, en matière d’emploi et d’environnement, dans une logique de résultats plutôt que de moyens ;

15. Souhaite que la Commission européenne bâtisse la prochaine réforme de la PAC dans une logique de coconstruction avec les instances nationales et locales et établisse une relation de confiance avec ces dernières dans la gestion des crédits.

The National Assembly,

In the light of Article 88-4 of the Constitution,

In the light of Article 151-5 of the Rules of Procedure of the National Assembly,

In the light of the Treaty on the functioning of the European Union, especially its Article 38 to 44,

In the light of regulation (EC) no. 834/2007 of 28 June 2007 on organic production and labelling of organic products and repealing regulation (EEC) no. 2092/91 ;

In the light of regulation (EU) no. 1305/2013 of 17 December 2013 on support for rural development by the European Agricultural Fund for Rural Development (EAFRD) and repealing regulation (EC) no. 1698/2005 of the Council ;

In the light of regulation (EU) no 1306/2013 of the European Parliament and of the Council of 17 December 2013 on the financing, management and monitoring of the common agricultural policy and repealing regulations (EEC) no. 352/78, (EC) no. 165/94, (EC) no. 2799/98, (EC) no. 814/2000, (EC) no. 1200/2005 and (EC) no. 485/2008 of the Council ;

In the light of regulation (EU) no. 1307/2013 of the European Parliament and of the Council of 17 December 2013 establishing rules for direct payments to farmers under support schemes within the framework of the common agricultural policy and repealing Council regulation (EC) no. 637/2008 and Council Regulation (EC) no. 73/2009 ;

In the light of regulation (EU) no 1308/2008 of 17 December 2013 establishing a common organisation of the market in agricultural products and repealing Council regulations (EEC) no. 992/72, (EEC) no. 234/79, (EC) no. 1037/2001 and (EC) no. 1234/2007 ;

In the light of the delegated regulation (EU) no. 639/2014 of the Commission of 11 March 2014 supplementing regulation (EU) no. 1307/2013 of the European Parliament and of the Council establishing rules for direct payments to farmers under support schemes within the framework of the common agricultural policy and amending Annex X of that regulation ;

In the light of the proposal for a regulation of the European Parliament and of the Council on the financial rules applying to the general budget of the EU and amending regulation (EC) no. 2012/2002, regulations (EU) no. 1296/2013, (EU) no. 1301/2013, (EU) no. 1303/2013, (EU) no. 1304/2013, (EU) no. 1305/2013, (EU) no. 1306/2013, (EU) no. 1307/2013, (EU) no. 1308/2013, (EU) no.1309/2013, (EU) no. 1316/2013, (EU) no. 223/2014, (EU) no. 283/2014, (EU) no. 652/2014 of the European Parliament and of the Council and decision no. 541/2014/EU of the European Parliament and of the Council ;

In the light of the declaration of the Cork 2.0 conference on sustainable development, of 6 September 2016 ;

In the light of the report of the working group on agricultural markets of 14 November 2016 ;

Considering that the common agricultural policy (CAP) is a founding policy of the European Community and that it remains one of the Union's most integrated policies ;

Considering that this policy represents 39 % of the European Union's budget ;

Considering the budgetary uncertainties created by the referendum result of 23 June 2016 on the United Kingdom's exit from the European Union ;

Considering the progressive weakening or scrapping of public intervention instruments in favour of crisis management tools ;

Considering the greater volatility of agricultural markets and its detrimental effects on farmers, especially in the dairy sector ;

Considering the imbalance in the distribution of added value in the food production chain to the detriment of producers ;

Considering the need for an ambitious food policy meeting the needs of 500 million Europeans and responding to public health challenges ;

Considering that the specific characteristics of the agricultural sector must prevail over competition rules if the attainment of CAP goals is at stake ;

Considering, given the new CAP orientations, the need to ensure the resilience of all agricultural holdings ;

Considering the fall in the agricultural employment rate in the European territory and the absolute need to maintain labour intensive, 'peasant', family farming ;

Considering the present rate of restructuring of agricultural holdings ;

Considering, in this respect, that the issue of the generational renewal of European farmers must be a priority of the next CAP reform ;

Considering that the European appropriations for the CAP must first and foremost be for the support of active farmers ;

Considering the role which the CAP plays in rural development and, in particular, in maintaining agricultural activities in all the territories, including those suffering from natural handicaps or disadvantages ;

Considering that the needs as regards the territorial cohesion of the Member States imply that rural activity should be accorded special attention, especially with respect to the development of telecommunication and digital infrastructures ;

Considering that the CAP must encourage quality production based on demanding specifications and ensured through traceability instruments informing consumers in a fair manner and as exhaustively as possible ;

Considering that the CAP and the trade policy play a role in protecting and promoting designation of origin products (PDOs) ;

Considering therefore that the CAP must accompany the emergence of a precision agriculture based on innovative digital instruments allowing economic and environmental performances to be combined ;

Considering that the agricultural sector must continue to contribute to the fight against climate change and to conservation of the environment and that these requirements must remain priority goals of the CAP ;

Considering that simplification is one of the European Commission's priorities and that the latter must be judged in the light of farmers' practices ;

Considering that the prerequisite for efficacy in the implementation of the CAP is embodied in confidence of the public bodies dealing with it and their coordination ;

Considering that the future reform of the CAP must promote economic, social and environmental efficiency, as well as a results-oriented culture based on simple and readily-understandable indicators ;

1. Reaffirms that the CAP must remain a founding policy of the European Union and that, in this respect, its budget must be protected ;

2. Recalls that the CAP must ensure European food sovereignty and food security, while complying with the same expectations of third countries ;

3. Suggests, with this goal of reconnecting food, health and agricultural production, to rename the CAP as the Common Food and Agricultural Policy ;

4. Considers it necessary, in the short term, to ensure that the adoption of the so-called Omnibus regulation compensates for the shortcomings identified during the last reform of the CAP and that the future trade negotiations with third countries take into account the cumulative impact of free-trade agreements on agricultural sectors ;

5. Demands that support for agricultural holdings creating jobs, especially small and medium holdings, become a priority, by better targeting active farmers, in particular the youngest ;

6. Reaffirms the need for the most fragile producers (young, low-income or in a sector in difficulty) to benefit from safety nets ensuring protection for them against economic uncertainties and adverse weather ;

7. Desires that the place of farmers in the distribution of added value in the food chain be strengthened, especially via the establishment of powerful producer organisations ;

8. Advocates that European agriculture be a quality high added value agriculture, accessible to all ;

9. Asks the European Commission to assess the impact of direct aids on the environment, employment and spatial planning and calls for a redirection of these aids to the most respectful holdings in these fields ;

10. Urges that a simplified panel of tools ensure income stability for farmers and advocates that credit access be simplified ;

11. Reaffirms that competition law must adapt to the specific characteristics of the agricultural sector, especially given the growing imbalance in the food production chain ;

12. Encourages the European Commission to promote the development of innovative technological tools, for the benefit of an agriculture combining economic and environmental performance ;

13. Invites the European Commission to encourage agricultural holdings highly ecologically-intensive for the conservation of biodiversity, for soil sustainability and the fight against erosion, and for carbon and nitrogen capture, and recalls that agriculture must play its full part in combating climate change ;

14. Encourages the adoption of a reform promoting simple and readily-understandable tools to attain clear and predictable goals, as regards employment and the environment, within a results-oriented rather than a means-oriented approach.

15. Desires that the European Commission build the next reform of the CAP within an approach of co-construction with the national and local authorities and establish a relation of confidence with the latter in fund management.

LISTE DES PERSONNES AUDITIONNÉES PAR LES RAPPORTEURS

À Paris

Ø Ministère de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de la forêt

– Mme Claire BRENNETOT, conseillère chargée des relations avec le Parlement et les élus

– M. Luc MAURER, conseiller chargé de la politique agricole commune, du développement rural, du foncier, de l’installation des nouveaux agriculteurs et de l’agriculture biologique

– M. Pierre MARIE, conseiller chargé des affaires internationales et européennes, et chargé du cheval

Ø Ministère de l’environnement, de l’énergie et de la mer

– M. Laurent TAPADINHAS, directeur, adjoint à la Commissaire générale au développement durable

– Mme Cécile FEVRE, chargée de mission au Commissariat général au développement durable

– Mme Karine BRULE, sous-directrice à la Direction de l’eau et de la biodiversité

– Mme Anne-Lise KOCH-LAVISSE, chargée de mission à la Direction de l’eau et de la biodiversité

– M. Grégory LE LAURENT, chargé de mission au Commissariat général au développement durable

– M. Philippe ROGIER, sous-directeur de l’intégration des démarches de développement durable dans les politiques publiques

Ø Ministère des affaires sociales et de la santé

– M. Benoît VALLET

– Mme Barbara LEFEVRE

– Mme Magali NAVINER

– M. Christian BRUN-BUISSON

Ø Ambassade d’Espagne

– M. Alberto LOPEZ-ASENJO GARCIA, conseiller pour l’agriculture et la pêche, l’alimentation et l’environnement

– Mme Ana FUEYO

Ø Ambassade de Pologne

– M. Dariusz WISNIEWSKI

– Mme Agata WADOWSKA

– Mme Maja WALICKA

Ø ARC 2020

– M. Samuel FÉRET

Ø Autorité de la concurrence

– Mme Virginie BEAUMEUNIER, rapporteure générale de l’Autorité de la concurrence

– M. David VIROS, chef du service de la présidente de l’Autorité de la concurrence

– Mme Juliette THERY-SCHULTZ, cheffe du service instruction de l’Autorité de la concurrence

– M. Henri GENIN, chef du service juridique

Ø Caisse centrale de la Mutualité sociale agricole (CCMSA)

– M. Pascal CORMERY, président

– M. Christophe SIMON, chargé des relations parlementaires

Ø Confédération nationale des producteurs de vins et eaux-de-vie de vin à appellations d’origine contrôlées (CNAOC)

– M. Bernard FARGES, président

– M. Pascal BOBILLIER MONNOT, directeur

Ø Confédération paysanne (CRUN)

– Mme Michèle ROUX, secrétaire nationale

– M. Jacques PASQUIER

Ø Coop de France

– M. Vincent MAGDELAINE, directeur de Coop de France – Métiers du grain

– Mme Anne-Laure PAUMIER, directrice adjointe de Coop de France-Métiers du grain et membre de la Task Force Marchés Agricoles à Bruxelles

Ø Coordination rurale

– M. François LUCAS, président d’honneur

Ø Danone

– Mme Sophie GODET-MORISSEAU, directrice des achats lait

– Mme Perrine LEBRUN, directrice des affaires publiques

Ø Ecocert

– M. Michel REYNAUD, vice-président

Ø Fédération Européenne des Syndicats de l'Alimentation, de l'Agriculture et du Tourisme (EFFAT)

– Mme Barbara BINDNER

Ø Fédération nationale Bovine (FNB)

– M. Jean-Pierre FLEURY

Ø Fédération nationale des producteurs de fruits (FNPF)

– M. Guillaume SEGUIN

Ø Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL)

– M. Gilles PSALMON

– M. André BONNARD

– Mme Marie-Andrée LUBERNE

Ø Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA)

– M. Henri BRICHART, vice-président

– M. Antoine SUAU, directeur économie et développement durable

– Mme Nadine NORMAND, attachée parlementaire

Ø FranceAgriMer

– M. Éric ALLAIN, directeur général

– M. André BARLIER, directeur Marchés, Études et Prospectives

Ø Institut de l’élevage

– M. Philippe CHOTTEAU, chef du département économie

– M. Christophe PERROT, agroéconomiste

Ø Jeunes agriculteurs (JA)

– M. Yann NEDELEC, responsable du service économique et international

– M. Vincent TOUZOT, membre du bureau national

Ø Mouvement pour une organisation mondiale de l'agriculture (MOMAGRI)

– M. Jacques CARLES

– Mme Dominique LASSERRE

Ø Régions de France

– M. Jean Pierre RAYNAUD

– Mme Hélène AUSSIGNAC

Ø SAF AGR’IDEES

– M. Patrick FERRERE

Ø Autres personnalités

– M. Cees VEERMAN, ancien ministre de l’agriculture des Pays-Bas et président du groupe de travail sur les marchés agricoles

– M. Jean-Christophe BUREAU, chercheur

– M. Roger LE GUEN, sociologue

– Mme Aurélie TROUVÉ, chercheuse

À Bruxelles

Ø Commission européenne, direction générale chargée de l’agriculture et du développement rural

– M. Jerzy Bogdan PLEWA, directeur général

Ø Commission européenne, direction générale chargée de la concurrence

– M. Johannes LAITENBERGER, directeur général

Ø Parlement européen

– M. Éric ANDRIEU, vice-président de la commission de l’agriculture et du développement rural

– M. Michel DANTIN, membre de la commission de l’agriculture et du développement rural

Ø Représentation permanente de la France auprès de l’Union européenne

– Mme Virginie JORISSEN, déléguée pour les Affaires agricoles européennes

Ø Conseil européen des jeunes agriculteurs

– M. Alan JAGOE, président

– M. Jannes MAES, vice-président

– M. Juha TENHO, vice-président

– M. Radek NIENARTOWICZ, vice-président

– Mme Alessia MUSUMARRA, secrétaire générale

Ø Farm-Europe

– M. Yves MADRE, co-fondateur de Farm-Europe

Ø COPA-COGECA

– M. Pekka PESONEN, Secrétaire général

– M. Paulo GOUVEIA, directeur

Ø Comité économique et social européen

– M. Simo TIAINEN, membre de la section agriculture, développement rural et environnement et rapporteur d’un avis sur les principaux facteurs sous-jacents qui influencent la politique agricole commune après 2020

– Mme Maarit LAURILA, administrateur, section agriculture, développement rural et environnement

– M. Arturo ÍÑIGUEZ YUSTE, administrateur, section agriculture, développement rural et environnement

© Assemblée nationale