Biographies

Biographie extraite du dictionnaire des parlementaires français de 1889 à 1940 (Jean Jolly)

Né le 4 octobre 1884 à Peypin (Bouches-du-Rhône).

Député des Bouches-du-Rhône de 1924 à 1940.

Fils d'instituteurs laïques, Félix Gouin fit ses études au lycée de Marseille, puis à la Faculté de droit d'Aix-en-Provence où il obtint la licence en droit. Inscrit en 1907 au barreau de Marseille, il n'a jamais cessé depuis d'exercer son métier d'avocat.

Venu de bonne heure à la politique, il adhère en 1902 au Grand cercle d'unité socialiste qu'avaient fondé à Marseille des hommes tels que Guillaume Jardin, Garibaldi, Bontoux, Lafaille et Baudou. Dès ce moment, il milite en faveur de l'unité des mouvements socialistes, réalisée en 1905 par la création de la S.F.I.O. Pendant de nombreuses années il fait partie du bureau de la fédération socialiste des Bouches-du-Rhône et parcourt le département pour y créer les premières sections du parti socialiste, à Berre, Cuges, Istres, Saint-Chamat, Trets et Gardanne.

A l'occasion d'une élection partielle, le 10 novembre 1911, Félix Gouin enlève de haute lutte le siège de conseiller général du canton d'Istres dont sa famille est originaire. Constamment réélu à ce poste avec des majorités croissantes, il assurera pendant quatre ans la vice-présidence de l'Assemblée départementale qui lui conféra également la charge de rapporteur général du budget (1919-1923).

Aux élections législatives de 1914, le parti socialiste le désigne comme candidat dans la 2e circonscription d'Aix. Avec 5.236 suffrages, il vient menacer le député sortant, M. Auguste Girard, qui obtient 6.783 voix sur 12.467 votants. Engagé volontaire, Félix Gouin fait toute la guerre de 1914-1918 dans une unité combattante.

Le parti socialiste le présente à nouveau aux élections législatives de 1919, comme troisième candidat de la liste que conduit à la bataille, dans la 2° circonscription des Bouches-du-Rhône, M. Sixte-Quenin, député d'Arles. Mais c'est une liste de concentration républicaine qui l'emporte, liste conduite par André Lefèvre et Auguste Girard.

Le 10 mars 1923, il est élu maire d'Istres, fonction qu'il exercera désormais sans interruption. Aux élections législatives de 1924, la liste du cartel des gauches, dont il est troisième candidat et qui est emmenée par son ancien adversaire, Auguste Girard, triomphe aisément de la liste Lefèvre, Félix Gouin obtenant en l'occurrence un remarquable succès personnel.

Dès son arrivée à la Chambre des députés, Félix Gouin fait preuve d'une débordante activité. Membre de la commission de législation civile et criminelle, de la commission des colonies, des la commission des marchés et des spéculations, il ne dépose pas moins de 23 propositions de loi et 11 rapports, se préoccupant tout particulièrement de la législation des loyers et des rapports entre bailleurs et locataires.

Aux élections législatives des 22 et 29 avril 1928, dans la 1re circonscription d'Aix, il triompha non sans difficulté, obtenant au second tour de scrutin 8.110 voix sur 16.254 votants, contre 7.769 à son principal adversaire, M. Vidal. En 1932, sa réélection est acquise dès le premier tour, avec 9.162 voix pour 15.174 votants, M. de Castellane, républicain indépendant, n'obtenant que 4.107 suffrages. Sensible au sort du personnel des usines de fabrication d'explosifs, il s'intéresse à l'acquisition par le musée d'Aix d'œuvres de Paul Cézanne et se consacre à l'étude de la réorganisation de l'administration judiciaire.

Aux élections des 26 avril et 3 mai 1936, il laisse loin derrière lui le candidat républicain indépendant, M. Agnel, obtenant au second tour, après le désistement communiste, 10.642 suffrages sur 17.184 votants.

Il fait alors partie de la commission des finances de la Chambre, qui le nomme à la fois rapporteur général adjoint du budget et rapporteur des crédits des travaux publics pour les problèmes concernant les mines, l'électricité et les combustibles liquides.

Pendant la guerre de 1939, il est désigné comme membre de la sous-commission de contrôle des armements instituée par la commission des finances. Il est chargé à ce titre d'inspecter la plupart des industries de guerre, notamment les poudreries. En mars 1938, le président-adjoint du groupe socialiste, Albert Sérol, ayant été appelé au ministère de la Justice, Félix Gouin, dont chacun avait apprécié le labeur et la compétence, lui succédait après une magnifique élection et devenait ainsi le collaborateur immédiat de Léon Blum. A partir de ce moment, pendant que Léon Blum est au gouvernement, c'est Félix Gouin qui, à chaque débat important, sera appelé à définir la position du parti socialiste à la tribune de la Chambre.

En juillet 1940, à Vichy, il préside les deux dernières réunions du groupe socialiste. Il fait partie des quatre-vingts parlementaires qui refusent d'accorder les pleins pouvoirs au maréchal Pétain.


Biographie extraite du dictionnaire des parlementaires français de 1940 à 1958 (La documentation française)


Né le 4 octobre 1884 à Peypin (Bouches-du-Rhône)

Décédé le 25 octobre 1977 à Nice (Alpes-Maritimes)

Député des Bouches-du-Rhône de 1924 à 1940

Membre de la première et de la seconde Assemblée nationale constituante (Bouches-du-Rhône)

Député des Bouches-du-Rhône de 1946 à 1958

Président du Gouvernement provisoire du 26 janvier 1946 au 24 juin 1946

Vice-président du Conseil du 24 juin 1946 au 16 décembre 1946

Ministre d'Etat chargé des travaux du commissariat général du plan du 16 décembre 1946 au 22 janvier 1947

Ministre d'Etat, président du Conseil du plan et délégué du président du Conseil pour les postes, télégraphes et téléphones du 6 février au 9 mai 1947

(voir première partie de la biographie dans le dictionnaire des parlementaires français 1889-1940, tome V, p. 1858-1859)

Le 10 juillet 1940, Félix Gouin est parmi les 80 opposants qui refusent de voter la délégation du pouvoir constituant au maréchal Pétain ; cette prise de position lui vaut d'être aussitôt révoqué de ses fonctions de maire d'Istres. Dès les premières semaines de l'Occupation, Félix Gouin, aidé notamment de Daniel Mayer, Gaston Defferre et Eugène Thomas, entreprend une campagne active de réorganisation clandestine du Parti socialiste dans le Sud-est. Les bases d'un nouveau projet socialiste sont adoptées dans les premiers mois de 1941, lors d'une réunion tenue secrète, à Nîmes. Par la suite, Félix Gouin est un membre actif de la délégation exécutive du comité d'action socialiste (CAS), qui se réunit régulièrement à Lyon, dans l'appartement de Suzanne Buisson, et qui dirige la renaissance du parti dans le sud de la France. C'est en cette qualité qu 'il assiste à la grande réunion clandestine de Toulouse, qui coordonne l'action des socialistes du Sud-ouest avec celle que mènent déjà les socialistes du sud-est. Félix Gouin participe en outre à l'organisation du réseau de résistance des « Fleurs » dans la région de Marseille.

L'action clandestine s'accompagne, chez Félix Gouin, de manifestations publiques de sa fidélité à ses amitiés politiques : lorsque Max Dormoy est assassiné à Montélimar par des membres de la Cagoule, le 26 juillet 1941, il est l'un des rares parlementaires à oser assister à ses obsèques ; il accepte par la suite de se porter partie civile, au nom de la sœur de Marx Dormoy, contre les assassins de l'ancien ministre de l'intérieur du Front populaire. Félix Gouin adresse à ce sujet une lettre courageuse au maréchal Pétain, le sommant de prendre des sanctions contre ceux de ses ministres dont la négligence avait favorisé l'attentat de Dormoy. A la même époque, Félix Gouin assure une liaison régulière entre la Résistance du sud de la France et son ami Léon Blum, prisonnier à Riom depuis novembre 1940. C'est pour faciliter cette liaison qu'il est désigné par Léon Blum pour être son avocat lors de son procès (février-avril 1942), aux côtés de Maître Samuel Spanien et d'André Le Troquer.

Le 17 mai 1942, Félix Gouin accepte, à la demande du CAS et de Léon Blum, de partir pour Londres afin de représenter le Parti socialiste renaissant auprès du général de Gaulle Le départ de Félix Gouin est assuré par le capitaine Fox, de l'Intelligence Service, avec lequel il franchit les Pyrénées. Trahis par les guides espagnols qui devaient les conduire jusqu'au consulat britannique à Barcelone, tous deux sont arrêtés à Sauvedra (Espagne), et traînés successivement à Figueras, Barcelone et Saragosse, pour finalement aboutir au camp de Miranda del Ebro. Il y séjourne trois mois en compagne de Max Hymans, trahi lui aussi par son passeur. Réclamé par l'ambassade britannique qui le fait passer pour sujet anglais, Gouin est finalement remis en liberté, et, après un bref séjour à Gibraltar, transféré le 10 août 1942 à Londres.

Dès son arrivée, Félix Gouin se met à la disposition du général de Gaulle, et rentre en relation avec le Labour Party, ainsi qu'avec d'autres représentants de sa famille de pensée réfugiés en Angleterre, parmi lesquels de Brouckère, Bénès, Trèves et Sforza. Il correspond avec Léon Blum et lui adresse régulièrement par l'intermédiaire de l'ambassade américaine, des rapports précis et documentés sur la Résistance de Londres et les diverses organisation de réfugiés politiques. Il collabore aussi au journal La France Libre, auquel il donne une série d'articles très remarqués sur le procès de Riom.

Au sein de la France libre, Félix Gouin préside la Commission de réforme de l'Etat, et travaille en collaboration avec le professeur René Cassin et André Philip à la création et à l'organisation matérielle d'une Assemblée consultative provisoire ; il participe aussi à la Commission chargée de préparer l'armistice. Pressenti par de Gaulle pour prendre un poste de commissaire au sein du comité de Libération, Félix Gouin décline l'offre, et expose les motifs de son refus dans une longue lettre où il demande la modification, dans un sens plus démocratique, de la charte constitutive du comité. Au cours de l'année 1943, le nombre de parlementaires français réfugiés à Londres ayant très notablement augmenté, Gouin fonde le groupe des parlementaires français résistants, dont il est élu président. A ce titre, il intervient avec force auprès du comité de Libération et des ambassades alliées dès lors que la conduite de la guerre ou la politique interalliée ne lui semblent pas conformes aux intérêts nationaux.

En septembre 1943, Gouin quitte Londres avec l'ensemble des réfugiés français pour gagner Alger. Il parvient à réunir l'Assemblée consultative provisoire dont il avait préparé l'organisation depuis Londres ; nommé le 10 novembre 1943, il en assure la présidence jusqu'à la Libération. Félix Gouin manifeste avec lyrisme, dans sa première allocution, sa confiance dans la renaissance de la France et de la représentation nationale : « La France ne serait pas la France si elle ne tirait pas les leçons nécessaires des heures noires qui, durant plus de trois ans, se sont lentement égrenées sur elle. Mais c'est précisément parce qu'elle est restée elle-même, c'est précisément parce qu'elle n'a cessé d'obéir à sa haute mission spirituelle, qu'aujourd'hui comme hier, elle entend rester le champion des grandes idées de liberté, d'égalité et de fraternité humaines. C'est donc en nous inspirant de nos plus pures traditions, et de l'exemple de nos glorieux ancêtres, que nous sommes décidés à travailler ici, en étroite communion d'idées et de pensées avec le comité français de Libération nationale, afin que, demain, dans la lumière et dans la joie puisse naître une France rajeunie, rénovée, plus fort et plus unie que jamais, telle enfin qu'elle puisse apparaître, une fois de plus, aux yeux du monde, dans la magnificence de sa claire raison et de son immortel génie ». Commémorant l'anniversaire de l'appel du 18 juin 1940, Félix Gouin ne manque pas, en ouvrant la séance du 18 juin 1944, de rendre hommage au général de Gaulle : « Gloire et honneur, certes, à nos vaillants alliés, Anglais, Américains et Russes, dont la puissance et l'héroïsme vont avoir enfin raison de la horde nazie, mais honneur et gloire également à l'homme qui, traduisant notre indomptable volonté de lutte, a si noblement réalisé l'un des magnifiques moments de cette éternelle fierté française, source intarissable, à travers les siècles, de la grandeur et du génie de notre race ».

En septembre 1944, Gouin rejoint Paris, avec le comité de Libération et les membres de l'Assemblée consultative d'Alger. Dès son arrivée, il prépare activement la réunion d'une nouvelle Assemblée consultative provisoire chargée d'assister dans son œuvre le Gouvernement provisoire de la République française (GPRF) présidé par Charles de Gaulle Réunie au Palais du Luxembourg, à Paris, cette nouvelle Assemblée l'élit président le 8 novembre 1944 : Félix Gouin récolte 92 voix au premier tour, contre 73 à Justin Godart, 40 à Pascal Copeau, et 16 à Louis Saillant, et la quasi-totalité des suffrages au second tour. En sa qualité de président de l'Assemblée consultative, Félix Gouin est amené à intervenir fréquemment dans les débats parlementaires ; à l'annonce de la signature à Moscou du pacte d'assistance entre la France et la Russie, le 12 décembre 1944, il salue, dans une allocution, le nouvel axe stratégique ainsi ébauché : « Ce sera l'éternel honneur, Messieurs, de ces deux hommes, qui sont aussi de grands chefs, du général de Gaulle comme du maréchal Staline, d'avoir su retrouver, au travers des cendres du passé, la flamme salvatrice qui illumine aujourd'hui notre route et nous emplit à la fois d'orgueil et d'espérance. La tradition qu'ils viennent, en effet, de renouer au cœur de la millénaire cité moscovite, est le signe éclatant de la grandeur française reconquise. Elle est aussi la promesse d'une paix solide, car la conjonction des forces franco-russes éloigne à jamais du front des hommes ce qui fut trop longtemps la malédiction d'Hitler.

Le 3 août 1945, l'Assemblée consultative provisoire disparaît pour faire place, le 21 octobre 1945, à la première Assemblée parlementaire élue depuis 1936, l'Assemblée nationale constituante. Félix Gouin est candidat dans la 2e circonscription des Bouches-du-Rhône, en tête de la liste SFIO ; la liste recueille 51 874 voix sur 125 291 suffrages exprimés, et emporte deux des quatre sièges à pourvoir, le Parti communiste et le MRP se partageant les deux derniers sièges. Réunie au Palais-Bourbon, cette nouvelle Assemblée fait de Félix Gouin son Président le 8 novembre 1945 ; dans ses fonctions à la tête de l'Assemblée, Félix Gouin est apprécié de façon quasi-unanime : on salue son « autorité souriante, courtoise et souple » et sa « grande impartialité ». En parallèle à ses activités politiques nationales, Félix Gouin recouvre ses mandats communal, à la mairie d'Istres, et départemental, au conseil général des Bouches-du-Rhône, dont il accepte la présidence pour la durée d'une année.

Lorsque le général de Gaulle remet sa démission, en janvier 1946, Félix Gouin est élu Président du Gouvernement provisoire de la République française par 497 voix contre 35 à Michel Clémenceau (Unité Républicaine), 17 à Jacques Bardoux (groupe paysan), 3 au général de Gaulle et trois abstentions ; Félix Gouin est alors à la fois chef de l'Etat et chef du pouvoir exécutif. Lors de sa première communication à l'Assemblée en tant que président du GPRF, le 29 janvier 1946, Félix Gouin, après avoir rendu encore une fois hommage à de Gaulle, dont il se donne pour but de « continuer la tâche », expose « l'impérieux devoir du Gouvernement » : « attirer l'attention du pays sur les difficultés financières et les mesures viriles qui s'imposent, de toute urgence pour y remédier ». Félix Gouin annonce une politique de blocage des prix et des salaires, un vaste programme de nationalisations, et prévient que « des sacrifices très lourds seront demandés à tous les Français, en veillant cependant à ce qu'ils soient répartis de la façon la plus équitable possible » ; en matière de politique étrangère, il appelle de ses vœux « un large accord tripartite entre la Russie, la Grande-Bretagne et la France », propose d'« internationaliser la Ruhr, arsenal du pangermanisme », et d'« empêcher la reconstitution d'une Allemagne centralisée ». C'est pour un tel programme, assure Félix Gouin, que « trois grands partis viennent de s'associer, de nouer des accords publics, de s'unir du bout des lèvres, mais du fond du cœur, et ont fait ensemble le serment de sauver, par leur conjonction nécessaire, la France dans son devenir et la République dans ses espérances : le vote de confiance que nous vous appelons à émettre sera donc un acte de foi dans les destin de la patrie ».

Félix Gouin reste en fonction à la tête de ce gouvernement tripartite jusqu'au 24 juin 1946 et réalise, durant cette courte période, une importante œuvre législative économique et sociale ; c'est sous ce gouvernement que sont votées les grandes nationalisations prévues au programme du Conseil national de Résistance, dans les secteurs de la banque, de l'assurance du gaz de l'électricité et du charbon. Sont aussi votés la loi sur l'organisation de la presse, le rétablissement de la semaine de 40 heures, la mise en route du plan Monnet, la loi sur le mode d'élection des délégués des personnels d'entreprise, la loi portant suppression des comités d'organisation et de répartition et la loi sur la généralisation des assurances sociales. La politique économique du cabinet Gouin s'attache à freiner l'inflation, à réaliser l'équilibre budgétaire et à obtenir des crédits à l'extérieur : c'est Félix Gouin qui obtient la désignation de Léon Blum comme ambassadeur extraordinaire auprès des Etats-Unis, afin d'y négocier ce qui deviendra les accords Blum-Bymes.

C'est le premier projet de Constitution qui est à l'origine du départ de Félix Gouin de la présidence du GPRF. Le rejet, par 53° o des suffrages exprimés lors du référendum du 5 mai 1946, du projet de Constitution auquel Gouin était favorable, entraîne l'élection, le 2 juin, d'une seconde Assemblée constituante et la démission, le 11 juin, de Félix Gouin. C'est pourtant sans peine que Félix Gouin est nommé membre de la Commission des finances et du contrôle budgétaire. Félix Gouin retrouve aussi d'importantes responsabilités ministérielles : le cabinet tripartite dirigé par Georges Bidault lui confie le 24 juin 1946 les responsabilités de vice-président du Conseil, sans portefeuille.

Félix Gouin est réélu lors des élections pour la première Assemblée législative : la liste SFIO qu'il conduit emporte 37 998 voix sur 122 911 suffrages exprimés, tandis que la liste communiste emmenée par Adrien Mouton emporte deux des quatre sièges à pourvoir ; il est alors nommé membre de la Commission des affaires étrangères. Félix Gouin poursuit sa carrière ministérielle : dans le cabinet Blum (17 décembre 1946-22 janvier 1947), il est ministre d'Etat, chargé des travaux du Commissariat général du Plan ; dans le cabinet Ramadier, il est maintenu dans ses fonctions de ministre d'Etat, président du Conseil du Plan et nommé en outre délégué du président du Conseil pour les postes, télégraphes et téléphones. Chargé du commissariat général du Plan, Félix Gouin entreprend une politique vigoureuse de stabilisation des prix et de reconstruction de l'appareil productif : dans une allocution radiodiffusée du 17 janvier 1947, il annonce simultanément, en vue de « restaurer l'économie française », une première baisse générale de 5 % des prix industriels, commerciaux et agricoles « , et » la mise en exécution immédiate du plan de modernisation et d'équipement et, en particulier, l'engagement des six programmes de base (houillères, électricité, sidérurgie, cimenterie, machinisme agricole, transports intérieurs) pour les quatre prochaines années « . Les fonctions ministérielles de Félix Gouin prennent fin le 23 octobre 1947 ; il rejoint dès lors la Commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale où il suit les problèmes relatifs à la construction européenne.

Le passage de Félix Gouin au Gouvernement lui vaut ce qu'il a lui-même appelé « une campagne inouïe d'outrages, telle qu'on n'en avait plus connu, en France, depuis le scandale de Panama » : on le prétend mêlé à l'affaire dite des « vins », qui avait conduit le ministre du ravitaillement du cabinet Bidault, Yves Farge, à relever de ses fonctions le directeur des services des boissons ; ce scandale l'écarte de la Présidence de la République en 1947. Une commission parlementaire d'enquête le met hors de cause, mais il fait néanmoins citer Yves Farge devant la XVIIe chambre correctionnelle du tribunal de Paris en sa qualité d'auteur d'un ouvrage intitulé Le pain de la corruption. La chambre correctionnelle relaxe l'ancien ministre du ravitaillement par un jugement du 15 mars 1948 ; Léon Blum en écrit le lendemain dans Le Populaire que le jugement rendu par le tribunal reconnaît pourtant que « les accusations portées contre Félix Gouin sont dénuées de fondement ». De fait, dans son arrêt du 9 mars 1953, considérant que « Farge n'a pas rapporté la preuve d'un manquement de Gouin aux règles de l'honneur, de la probité, de la délicatesse dans les fonctions qu 'il a remplies ; qu'il n'a pas davantage justifié d'une collusion, d'une connivence avec des personnes de son entourage, d'une attitude incorrecte ou douteuse dans les affaires dénoncées par Farge, d'une action consciente destinée à servir des intérêts particuliers », la cour d'appel, infirmant la décision de la XVIIe chambre, déclare établi le délit de diffamation publique, et condamne Yves Farge au franc symbolique de réparation civile réclamé par l'ancien Président du Conseil. Même si son honneur est lavé, la carrière nationale de Félix Gouin peine à se remettre de l'« affaire des vins » ; évoquant cet épisode douloureux, il déclare le 10 octobre 1962 au Nouveau Candide : « On m'a coulé ».

Lors des élections législatives du 17 juin 1951, la liste SFIO de Félix Gouin conclut un apparentement avec la liste du MRP de Gabriel Valay et la liste du Rassemblement des gauches républicaines, du Centre national des indépendants et des paysans et du Parti radical socialiste conduite par Léon Martinaud-Deplat ; ce dernier et Félix Gouin recueillent respectivement 13,4 et 24,1% des suffrages, et emportent chacun un siège, tandis que la liste communiste emporte les deux autres sièges. Félix Gouin est nommé membre de la Commission de la presse et de la Commission des affaires étrangères ; désigné par cette dernière commission, il est aussi membre de la Commission de coordination pour l'étude des questions relatives à la Communauté européenne du charbon et de l'acier et de la Commission de coordination pour l'examen des problèmes intéressant les Etats associés d'Indochine. Félix Gouin est notamment l'auteur d'une proposition de résolution, déposée le 19 juillet 1951, destinée à créer une commission de réforme du travail parlementaire ; dans l'exposé des motifs, Gouin déplore la lenteur et la lourdeur des procédures et l'absentéisme des députés « qui, trop souvent, ont caractérisé les débats de la législature défunte ». Mais Félix Gouin s'affirme surtout comme l'un des principaux protagonistes dans les débats parlementaires relatifs à la construction européenne ; intervenant lors des discussions relatives à la ratification du traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l'acier, Félix Gouin affiche des convictions très européennes : « Notre Europe qui, pour beaucoup d'entre nous, je n'hésite pas à le dire, est une seconde patrie, est profondément divisée, aussi morcelée que celle que nous avons connue entre les deux guerres. Il s'y est ajouté une cassure, une fragmentation complémentaire, par la division en deux blocs, dont nous ne cessons de dire qu'elle n'est pas, qu'elle ne peut pas être définitive, entre l'Est et l'Ouest. Ce n'est certes ni le lieu, ni le moment d'en rechercher les causes, ni d'en déterminer les Etats responsables. Mais ce que je veux simplement établir pour ma démonstration, c'est que cet état de fait risque d'aggraver singulièrement la situation économique de l'ouest européen si celui-ci ne rationalise pas le plus rapidement possible ses productions de base en les coordonnant et en les harmonisant ». Le 17 novembre 1953, il développe à la tribune de l'Assemblée des arguments similaires, appelant à une généralisation de la coopération économique intra-européenne, mais aussi à une « mise en commun des matières premières et des industries du Commonwealth avec celles de l'Europe continentale et de ses territoires associés, ce qui créerait évidemment un marché préférentiel infiniment élargi où, sans rien abandonner de sa souveraineté nationale, dont elle est si jalouse, l'Angleterre pourrait trouver son intérêt en même temps que l'Europe y trouverait le sien ».

Lors des élections législatives de 1956, la liste SFIO de Félix Gouin conclut un apparentement avec la liste UDSR ; Félix Gouin retrouve son siège, avec 21,8 °o des suffrages, soit 35 141 voix sur 161 431 suffrages exprimés. Il est nommé membre de la Commission des affaires étrangères et membre de la Commission de comptabilité. Son activité parlementaire est toujours orientée vers les questions européennes, mais aborde aussi les problèmes nucléaires ; dans une longue intervention à la tribune, le 5 juillet 1956, il expose le déficit énergétique de la France et de l'Europe, et en infère la nécessité de ne pas être à l'écart d'une « révolution industrielle infiniment plus importante que celle de la machine à vapeur et du moteur à explosion ». Rappelant son hostilité à toute application militaire de l'énergie atomique, Félix Gouin se déclare partisan « de confier à l'Euratom la propriété exclusive, sous contrôle parlementaire adéquat, bien entendu, des combustibles nucléaires à travers leurs multiples transformations ». En novembre 1956, Félix Gouin est désigné pour faire partie de la délégation française à la onzième session de l'Assemblée générale des Nations-Unies à New-York.

L'année 1958 marque la fin de la carrière politique de Félix Gouin. Saisie du projet de référendum constitutionnel, la fédération socialiste des Bouches-du-Rhône opte pour le « oui » par 350 mandats contre 36, dont celui de Félix Gouin. Celui-ci, lors du congrès de septembre de la SFIO, réuni pour le même motif, se prononce de nouveau pour le « Non » et ajoute : « c'est sans doute la dernière fois que je parle dans un congrès socialiste ». Marqué par cette séparation d'avec ce parti dont il était demeuré si longtemps un militant fidèle, Félix Gouin ne sollicite pas le renouvellement de son mandat législatif lors des élections de novembre 1958 ; peu après, il renonce également à ses mandats de conseiller général et de maire d'Istres. Décoré de la Grand croix de la Légion d'honneur, Félix Gouin se tient volontairement à l'écart de la scène politique, mais continue, plusieurs années durant, à fréquenter les couloir du Palais-Bourbon, sans cacher son désenchantement devant l'évolution de la vie publique.

Il meurt à Nice, où il s'était établi depuis plusieurs années, le 25 octobre 1977, à l'âge de 93 ans.