Biographies

Biographie extraite du dictionnaire des parlementaires français de 1889 à 1940 (Jean Jolly)

Né le 5 juin 1885 à Chatou (Seine-et-Oise).

Député de la Gironde de 1919 à 1924 et de 1928 à 1942.

Ministre des Postes, Télégraphes, Téléphones du 8 novembre 1934 au 4 juin 1936. Ministre des Colonies du 10 avril 1938 au 16 juin 1940.

Louis Rothschild, qui allait illustrer en politique le pseudonyme de Georges Mandel, est né a Chatou, dans la maison où son père, Edmond Rothschild et sa mère, Hermine Mandel, passaient leurs vacances. Georges Mandel - il devait prendre ce nom à 17 ans, à son entrée dans le journalisme - n'avait aucun lien de parenté avec les Rothschild de Francfort, bien que ses adversaires, antisémites ou non, n'aient cessé d'entretenir cette légende. Son père tenait boutique de tailleur rue de Trévise, dans le Sentier. La famille Rothschild était originaire d'Alsace- Lorraine, quelle avait quittée en 1871 pour demeurer française. Cette circonstance explique pour une part chez Georges Mandel « son amour forcené pour la France ».

Il fut d'abord l'élève d'un établissement scolaire privé puis du lycée Condorcet : excellent élève, élève sérieux et déjà passionné de politique. Toutefois, il ne pousse pas au-delà du baccalauréat, obtenu à 17 ans. On ignore pourquoi : c'est une des énigmes de cette vie qui n'en est pas avare. Mandel par la suite aura J'imprudence de faire état de diplômes imaginaires : licence de lettres, Ecole normale supérieure... Ses adversaires n'eurent pas de peine à le convaincre de mensonge. Sans doute l'attrait irrésistible du journalisme, préface naturelle, surtout au début du siècle, à une carrière politique, le détourna-t-il de l'Université. En tout cas, son premier article paraît le 18 juin 1902 dans Le Siècle, article dont la pointe polémique est dirigée contre les congrégations. L'année suivante, Clemenceau, directeur de l'Aurore, quotidien radical, accepte ce débutant dans son équipe, sans lui cacher « qu'il ne saura jamais écrire ». C'est le début d'une collaboration difficile, orageuse, qui ne devint jamais une amitié, mais qui n'en est pas moins, un demi-siècle après, un exemple illustre de compagnonnage politique.

Le personnage de Georges Mandel, à 18 ans, est déjà fixé tel que vingt années de caricature nous l'ont transmis ; l'âge se bornera à alourdir la silhouette filiforme : « visage blême en lame de couteau, des lèvres plissées dans une moue dédaigneuse, qui écarte de lui des familiarités, le regard minéral, glacial, les cheveux plaqués des deux côtés du front, séparés par une impeccable raie médiane, une large cravate noire entourant un faux-col à la Royer-Collard, le dos légèrement voûté, tirant des manchettes impeccables de fines mains onctueuses de chanoine ».

Moralement aussi, Mandel ne changera pas : distant, insoucieux de la caricature, du sarcasme ou de l'injure. A l'Aurore déjà, Clemenceau compte pour lui plus que le journalisme. Déjà au niveau subalterne où se tient Mandel, la division du travail est claire : au chef la grande politique et l'action publique, à Mandel, les préparatifs, les manœuvres, la recherche des renseignements, la surveillance.

Quand Clemenceau, à 65 ans, accède enfin au pouvoir, ministre de l'Intérieur d'un cabinet Sarrien, sa protection réticente permet à Georges Mandel, qui abandonne l'Aurore, de devenir, par arrêté du 16 mars 1906, chef adjoint du cabinet d'Albert Sarraut, sous-secrétaire d'Etat à l'Intérieur. A ce titre, il commence à fréquenter les couloirs du Palais Bourbon ; il fournit « des comptes rendus de séance d'une précision admirable ». En octobre 1906 Clemenceau devient lui-même président du Conseil après la démission de Sarrien ; Mandel est rattaché directement à son cabinet. Il y reste jusqu'à la chute du ministère, survenue trente-trois mois après, le 20 juillet 1909 : ce fut un des plus longs cabinets de la IIIe République.

Il tente alors d'entrer au Parlement, bien qu'il ne soit pas encore éligible, en se présentant aux élections législatives du 26 avril 1910. Sous l'étiquette de « radical indépendant », il affronte dans la 4e circonscription de Saint-Denis, à Levallois, l'avocat socialiste Albert Willm, député sortant, le lieutenant-colonel Rousset, représentant la droite, et un certain Brack, radical-socialiste. Willm fut réélu au premier tour avec 10.567 suffrages, Rousset obtint 4.282 voix, Brack 2.511. Mandel arriva bon dernier avec 1.912 suffrages, à peine 10 % des voix.

Cet échec l'oblige à revenir au journalisme. Fidèle à Clemenceau, il obtient d'être nommé président du conseil d'administration d'un journal lancé par l'ancien président du Conseil dans sa circonscription, le Journal du Var. Il s'y réserve la rubrique de politique extérieure, sans se priver de porter des jugements sur la politique intérieure, ce qui lui attire de nombreuses rebuffades de Clemenceau. Peu à peu cependant, il devient, quoique encombrant, un collaborateur toujours disponible, donc indispensable. Quand Clemenceau fonde l'Homme libre, en mai 1913, Mandel fait tout naturellement partie de la nouvelle rédaction. Ses deux sujets favoris pendant cette période sont la représentation proportionnelle qu'il critique vivement, et la défense nationale.

En 1914, nouvelle tentative pour devenir député : Mandel se présente dans les Basses-Alpes à Castellane (Clemenceau lui avait auparavant interdit de se présenter dans le Var), la plus petite circonscription de France. Il joue la carte clemenciste, qui s'avère insuffisante face aux puissants moyens financiers mis en œuvre par un candidat de dernière heure, Jacques Stern, président du conseil d'administration des chemins de fer du Sud. Mandel échoue pour la deuxième fois, n'obtenant que 729 voix. Il abandonne la compétition. Stern, seul candidat, est élu au second tour avec 2.393 suffrages. Clemenceau s'amusa fort de l'aventure.

Pendant la guerre, Georges Mandel, réformé, n'est pas mobilisé. Il prépare le retour de Clemenceau au pouvoir, critiquant la faiblesse des gouvernements, les erreurs du commandement, le manque d'organisation des services. Il fournit à Clemenceau la matière de ses interventions à la tribune du Sénat, ou à la commission des armées de la Haute Assemblée.

Le 17 novembre 1917, Raymond Poincaré, Président de la République, appelle Clemenceau à la présidence du Conseil. Clemenceau fait de Mandel son chef de cabinet. « Ancien chef de cabinet de M. Georges Clemenceau » c'est le titre qui figurera dans l'annuaire de la Chambre des députés sous le nom de Georges Mandel de 1928 à 1940, celui qu'il fera sonner dans les campagnes électorales, et dont il affectera jusqu'au bout d'être le plus fier.

Pendant cette dernière année de la grande guerre, Mandel, par délégation officieuse du président du Conseil, va détenir tous les leviers de la politique intérieure : il contrôle le Parlement, maître et centre d'un réseau de propagande composé d'Edouard Ignace, sous-secrétaire d'Etat à la Justice militaire, Henry Simon, ministre des Colonies, Jules Pams, ministre de l'Intérieur ; il coordonne l'activité gouvernementale, en transmettant aux ministres les directives du « Tigre » ; il veille au renouvellement massif de l'administration préfectorale, corollaire de l'éviction de Malvy ; enfin et surtout, il est chargé de la censure. En même temps, son chef de cabinet était pour Clemenceau un bouc émissaire, à qui il était commode de faire endosser la responsabilité de mesures impopulaires, voire de faux-pas.

Cependant Mandel ne pouvait se satisfaire trop longtemps du rôle d'éminence grise. Désirant faire appel de ses échecs électoraux de 1910 et 1914, il avait de longue date, et particulièrement depuis novembre 1917, préparé sa candidature dans l'arrondissement de Lesparre en Gironde.

Mandel prit la tête d'une liste de douze membres dite d'« union républicaine clemenciste », qui fut élue intégralement en novembre 1919. Georges Mandel obtenait 83.042 suffrages. Son « triomphe girondin » ne faisait que commencer. Le 1er décembre 1919, il est élu conseiller municipal de Soulac, puis le 10 décembre élu à l'unanimité maire de cette petite station balnéaire du Médoc. Le 14 décembre, il devient conseiller général du canton de Lesparre, avec 2.535 voix. Enfin, le 5 janvier 1920, il est porté à la présidence du Conseil général de la Gironde succédant à Ernest Monis, ancien président du Conseil.

Mais le reflux ne va pas tarder. Le 16 janvier 1920, au cours d'une réunion préparatoire pour la désignation des candidats à la Présidence de la République, Deschanel devance Clemenceau, qui se retire, et abandonne définitivement la carrière politique.

A peine élu, Mandel va être rejeté dans l'isolement par le départ de Clemenceau qui libère des rancunes longtemps comprimées.

Membre de la commission des affaires étrangères, Mandel ne s'inscrit à aucun groupe. Il attend jusqu'au 16 novembre 1920, pendant presque un an, pour intervenir. Il choisit la discussion du projet de loi tendant au rétablissement de l'ambassade de France auprès du Saint-Siège, qui avait été supprimée en 1904. Rarement, débuts à la tribune parlementaire furent plus malheureux. Mandel fut mieux écouté quand, le 16 mars 1921, il intervint pour prêcher une politique de fermeté et demander la stricte application du Traité de Versailles. Peu à peu, de discours en discours et à travers des séances tumultueuses, il s'imposera comme un des meilleurs « debaters » de la Chambre. Sa manière sera toujours incisive, souvent cynique.

Georges Mandel est un isolé, à la Chambre comme d'ailleurs au Conseil général de la Gironde qui, après de violents et multiples incidents, l'oblige à quitter sa présidence le 5 septembre 1921. Au renouvellement de 1922, Mandel, réélu, perd beaucoup de voix.

A la veille des élections législatives de mai 1924, Mandel a peine à composer une liste de onze membres.

La liste du bloc des gauches, conduite par Adrien Marquet, futur maire de Bordeaux, obtint quatre sièges, la liste poincariste de concentration républicaine trois ; la loi du quotient n attribuait qu'un siège à la liste clemenciste. L'élu n'était pas Georges Mandel, mais l'abbé Bergey, curé de Saint-Emilion, qui avait 3.000 voix d'avance.

Les élections de 1928 étaient pour Georges Mandel les élections de la dernière chance. Favorisé par le retour au scrutin d'arrondissement à deux tours, il l'emporte, mais d'extrême justesse : en tête des six candidats au premier tour (6.370 voix le 22 avril sur 15.840 votants), il ne bat au second tour le radical Teyssier que par 38 voix (7.765 voix contre 7.727).

A la Chambre, il entre à la commission de l'administration générale et à la commission des affaires étrangères. Il est élu président de la commission du suffrage universel. Mais cette législature ne le verra pas encore devenir ministre, malgré la présence à la présidence du Conseil d'André Tardieu, ancien membre de l'équipe Clemenceau. Clemenceau meurt le 24 novembre 1929. Georges Mandel est parmi les dix amis que son ancien chef avait désignés pour accompagner son corps jusqu'au tombeau.

Un veto implicite du « milieu politique » l'empêche d'entrer dans un cabinet Laval, il doit se contenter de jouer un rôle d'inquisiteur dans la commission d'enquête sur les compromissions parlementaires dans les scandales financiers. A la tête de la commission du suffrage universel, il prépare un projet de réforme électorale qui se heurta à l'hostilité de la gauche radicale et socialiste; soutenu mollement par la droite, il ne fut pas adopté. Aux élections de 1932, Mandel fut vainqueur, mais avec une majorité encore une fois très faible. En tête au premier tour avec 7.695 voix sur 15.651 votants, il est élu au second tour, le 8 mai, avec 8.325 voix, devançant de 148 voix l'avocat radical-socialiste René Thorp.

Cette législature va être pour lui celle de l'accès au pouvoir. Auparavant, il prononce le 9 novembre 1933 un grand discours de politique étrangère qui va faire de lui l'incarnation de la résistance au nazisme. Dénonçant la politique de liquidation de la victoire menée par tous les ministres des Affaires étrangères depuis 1919, il démontre chiffres en mains le réarmement de l'Allemagne et recommande un redressement. Cet appel à l'énergie ne sera pas entendu.

Pendant le ministère Doumergue, Mandel se rapproche des radicaux en combattant la tentative révisionniste du ministère d'union nationale. Son esprit républicain, très attaché aux lois constitutionnelles de 1875, prit le pas en l'occurrence sur son tempérament réformateur.

Le 8 novembre 1934, après le départ de Doumergue, Georges Mandel devient ministre des Postes, Télégraphes et Téléphones dans le ministère formé par Pierre-Etienne Flandin. On s'étonna de ce choix : « Machiavel est devenu facteur ». Mais trente-cinq ans après, le souvenir des dix-huit mois passés par Georges Mandel rue de Grenelle n'est pas éteint. Il donne l'exemple de ce que doit être, selon lui, un ministre, non pas un technicien, mais un homme d'autorité sachant imposer l'ordre dans son administration, avec ou contre les hauts fonctionnaires et les syndicats, et la mettre au service des usagers. Il parvient vite à améliorer très nettement le rendement dans tous les secteurs de cette vaste administration.

Mandel restera aux P.T.T. à travers quatre ministères successifs : ministère Flandin, ministère Buisson, ministère Laval, ministère Sarraut. Mais la victoire du Front populaire l'oblige à céder la place au socialiste Jardillier. Le 4 juin 1936, Mandel quitte la rue de Grenelle, sous les huées du personnel.

Les élections du 26 avril 1936 avaient été pour lui un grand succès. Dès le premier tour, cette fois il est réélu, avec 53,9 % de votants (8.514 suffrages sur 16.100 votants) contre 6.217 au radical Garby.

Dans la nouvelle Chambre, il intervient peu ; mais il ne cache pas son inquiétude devant la passivité de la France face au danger allemand. Le 10 avril 1938, après l'échec de l'expérience du Front populaire, il entre dans le cabinet Daladier comme ministre des Colonies. Il fait preuve rue Oudinot de la même autorité et du même sens de l'Etat que rue de Grenelle, il multiplie les innovations, développe l'équipement de l'Indochine, accélère la conscription d'une armée coloniale. Il se proposait en outre de réformer comme inadéquat et injuste pour les autochtones le système de colonisation de la France. Mais le temps de mener à bien ces réformes ne lui sera pas laissé. Tout se passe comme s'il avait pressenti que la France aurait besoin un jour proche de se replier sur son « Commonwealth ».

La guerre éclate. Le 10 mai 1940, les troupes allemandes envahissent la Belgique et rompant toutes les lignes déferlent sur la France. Remaniant son cabinet, Paul Reynaud appelle l'ancien chef de cabinet de Clemenceau au ministère de l'Intérieur pour provoquer un choc psychologique sur l'opinion. Sa carrière politique va donc se terminer là où elle a commencé : place Beauvau.

Georges Mandel qui refuse la capitulation fait partie du groupe parlementaire qui s'embarque à Bordeaux à bord du Massilia pour le Maroc. Il sera arrêté à Casablanca. A cette date commence pour lui une vie de prisonnier..


Biographie extraite du dictionnaire des parlementaires français de 1940 à 1958 (La documentation française)



Né le 5 juin 1885 à Chatou (Seine-et-Oise)
Décédé le 7 juillet 1944 à Versailles (Yvelines)

Député de la Gironde de 1919 à 1924 et de 1928 à 1942
Ministre des postes, télégraphes, téléphones du 8 novembre 1934 au 4 juin 1936
Ministre des colonies du 10 avril 1938 au 18 mai 1940
Ministre de l'intérieur du 18 mai au 16 juin 1940

(Voir première partie de la biographie dans le Dictionnaire des Parlementaires français 1889-1940, Tome VII, pages 2354 à 2357)

Arrêté en septembre 1940 à Meknès, Georges Mandel fait l'objet, dès son retour en France, d'une mesure d'internement administratif à Vals-les-Bains, puis au Fort pyrénéen du Portalet. Déchu de son mandat de député en application de la loi du 2 juin 1941 portant statut des juifs, l'ancien ministre se verra condamné à la détention perpétuelle puis, le 20 novembre 1942, les Allemands s'emparent de lui. Tout d'abord déporté à Orianenburg, il retrouve ensuite Léon Blum à Buchenwald.

En France et en Algérie, les attentats contre l'occupant et les collaborateurs se multiplient. Les Allemands proposent à Laval, qui refuse, de lui fournir comme otages des détenus politiques. Cependant, Max Knipping, chef de la milice en zone nord acceptera cette proposition, et, le 4 juillet 1944, Georges Mandel lui sera livré à Reims. Trois jours plus tard, aux environs de Fontainebleau, sur la route de Nemours, après le carrefour de l'Obélisque, le milicien Mansuy abat Georges Mandel d'une rafale de mitraillette. Il mourra à Versailles. Sur son corps, les excuses écrites faites par le maréchal Pétain, en 1940, à la suite d'une première arrestation : il les avait fait lire à ses assassins. Quelques jours plus tard, sa fille lui écrivit la lettre suivante.

« Monsieur le maréchal,

(...) Je m'appelle Claude Georges-Mandel et j'ai suivi mon père pas à pas dans la martyrologie que vous lui avez imposé pendant plus de quatre ans.

Aujourd'hui que les événements ont parlé et ne lui donnent que trop raison, vous le réclamez à l'Allemagne, vous le faites revenir en France ; ceux dont vous êtes le chef suprême, ceux qui vous prêtent serment, s'emparent de sa personne désarmée et l'assassinent au coin d'un bois.

Votre justice a passé et fait de moi une orpheline.

Mais pour le repos de votre conscience, je viens vous dire, monsieur le maréchal, que je ne vous en veux pas. Le nom que j'ai l'immense honneur de porter, vous l'aurez immortalisé ; grâce à vous, il brillera dans l'histoire comme un flambeau.

Car il n'évoquera, ce nom, ni capitulation, ni trahison envers des alliés, ni soumission à l'ennemi, ni tous les mensonges d'une époque qui nous a fait tant de mal. Il servira d'exemple à la France et l'aidera à se retrouver - bientôt dans le chemin de l'honneur et de la dignité.

Aussi suis-je fière de vous signer

Claude Georges-Mandel »