Pour une nouvelle Assemblée nationale - Les rendez-vous des réformes 2017-2022

Contribution de Cédric Villani

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Contribution pour les groupes de travail sur la réforme du fonctionnement de l'Assemblée nationale.

Les progrès scientifiques et technologiques sont l'un des moteurs majeurs du progrès de la société; c'est pourquoi, dès le XVIIème siècle, des institutions (en l'occurrence les Académies des sciences) ont été instaurées dans les pays les plus développés, pour fournir aux pouvoirs publics les meilleurs éclairages scientifiques. Ce lien entre scientifique et politique a joué un rôle clé à diverses époques pour la France, par exemple à l'époque des Lumières, à la Révolution française, à la période du Front populaire...
déput, pour un faisceau de raisons liées. En effet les enjeux politiques actuels sont truffés de problèmes scientifiques qui s’avèrent hautement complexes, par l'intrication des secteurs et des dynamiques géopolitiques, la montée en puissance de nouveaux acteurs économiques, l'émergence de nouvelles révolutions technologiques. Pour citer quelques exemples particulièrement difficiles : la lutte contre le changement climatique; la montée en puissance scientifique de la Chine; l'avènement de la quatrième révolution industrielle (celle de l'intelligence artificielle), les nouvelles techniques de génie génétique....

Pour la France, ces défis sont d'autant plus importants que l'économie aura besoin de programmes à haute valeur ajoutée pour sortir du chômage de masse. Pour autant, les liens entre la sphère politique et la sphère scientifique sont peu fournis: pas de conseil scientifique fonctionnel pour l'exécutif; pas de programme d'envergure contre le désintérêt des jeunes pour les sciences; inaudibilité des académies scientifiques dans le débat public. Dans le contexte, le dispositif parlementaire, quoique solide, demeure presque inchangé depuis plus de trente ans, et a vu ses moyens baisser de façon importante depuis quelques années.

La loi de 1983 qui donnait naissance à l'OPECST (Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques) était novatrice et bien adaptée aux rythmes de l'époque; mais elle n'est plus adaptée à la nouvelle complexité du monde ni à l'accélération des rythmes de circulation de l'information.

Au printemps dernier, un mouvement de fond a renouvelé le personnel politique : émergence d'une nouvelle génération d'élus, dont une part bien plus importante est sensible aux sciences et à la technologie. En plus de cette sensibilité accrue, il y a une volonté de réformer et adapter les institutions, et en particulier l'Assemblée nationale, au monde tel qu'il est. Le moment est donc propice, plus que jamais, à une initiative résolue en faveur de la transformation de l'Office et de l'articulation scientifique-politique.

En juillet j'ai été élu président de l'OPECST: j'ai aussitôt commencé une réflexion sur cette transformation, en mettant à contribution mon expérience acquise auprès de nombreux organes scientifiques en France et à l'étranger, mais aussi des avis d'experts et des comparaisons internationales. Mes principales conclusions, développées dans une note détaillée, sont les suivantes:

  • L'Office a acquis sa réputation sur des rapports de qualité, inscrits dans le temps long, avec un impact réduit; et plus récemment sur l'organisation de tables rondes posant des débats publics. Cependant il est important de pouvoir développer des réflexions de temps court, plus adaptées au temps politique, et d'intervenir systématiquement en amont des décisions publiques, via des analyses d'impact scientifique et technique de projets de textes législatifs, des avis sur ces projets, des notes d'actualité, etc.
  • L'Office doit pouvoir proposer des notes de veille ou de situation sous la forme de documents courts et percutants, destinés à éclairer l'ensemble des députés, mais aussi les médias, l'opinion publique, le gouvernement. Dans cette perspective, l'Office a besoin de renforcer ses moyens humains actuels en s'appuyant sur des compétences scientifiques internes nouvelles et en complétant son équipe d'administrateurs. Le recrutement de conseillers experts employés à temps plein, issus d'horizons variés (« postdocs », experts de R&D, chercheurs confirmés), la mise en place d'un réseau systématique s'appuyant, entre autres, sur les Académies des sciences, permettra de mobiliser rapidement des connaissances et réactions. Dans le même temps, l'appel régulier à quelques scientifiques de haut niveau, formant un nouveau conseil scientifique rapproché et ramassé, adapté aux sujets traités par l'Office, constituera une garantie de la qualité scientifique des travaux et de leur méthodologie.
  • Les auditions publiques d'actualité, et les études longues sur des sujets d'ampleur doivent naturellement être conservées, avec toutefois un effort de méthodologie supplémentaire. Ces travaux pourraient être étendus à la prospective, sujet majeur pour la préparation de l'avenir qui, pour l'instant n'est guère traitée sous l'angle scientifique.
  • À l'heure où la science est considérée comme un domaine de compétence à part entière, et où la prospective demande une familiarité avec la communauté scientifique, il est important que l'Office puisse se saisir lui-même, au lieu d'être contraint à attendre une saisine émanant d'une commission permanente.
  • L'opportunité du renouvellement de l'organe doit être saisie pour assouplir autant que possible son agenda et ses règles de fonctionnement, et lui permettre une plus grande agilité. Le bicamérisme a l'avantage de mettre en avant des conclusions consensuelles entre assemblées, en particulier face à l'exécutif. Cependant, l'opposition entre Parlement et Gouvernement n'est pas un thème majeur dans le domaine scientifique, et on peut même imaginer qu'un Office renouvelé puisse travailler utilement pour ces deux pouvoirs constitutionnels, selon des modalités à préciser. Le bicamérisme a paralysé l'action de l'Office en 2017 durant près de six mois (du fait des élections législatives et sénatoriales successives !), et n'a pas empêché une fonte des moyens, en particulier du côté du Sénat.
  • Le choix entre une organisation de type commission permanente, avec un domaine de compétence spécifique, ou une commission transversale venant en complément des commissions permanentes, doit être opéré en comparant avantages et inconvénients. La configuration actuelle impose d'extraordinaires contraintes d'emploi du temps et pèse sur l'assiduité des membres.

En tout état de cause, nous avons un défi à relever: adapter l'Office au contexte et aux enjeux du XXIème siècle, lui insuffler de nouvelles pratiques et lui trouver un nouveau statut. Cela impliquera une évolution de son règlement, une révision de la loi, l’inscription dans une réforme constitutionnelle, et, last but not least, un changement de son nom, peu propice à la communication; l'Office pourrait ainsi, comme au Parlement britannique, devenir la Commission pour la Science et la technologie.

Par une résolution adoptée le 22 février dernier avec un très large consensus, la précédente législature a exprimé le souhait de donner à la science la place qu'elle mérite, avec en ligne de mire le bien public et le progrès de la société. Il reviendra à la nouvelle Assemblée de traduire ce souhait lyrique en une transformation à la fois pragmatique et ambitieuse, pour contribuer pleinement au Parlement du futur.

Cédric Villani, Membre de l'Académie des sciences, député, président de l'OPECST

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