Les députés communards

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Anciens députés, députés de 1871 et futurs députés en faveur de la Commune

Du 18 mars au 28 mai 1871, la Commune de Paris est le soulèvement du peuple qui refuse les conditions draconiennes (perte de l’Alsace et de la Moselle, et versement d’une lourde indemnité) acceptées par le Gouvernement d’Adolphe Thiers pour mettre fin à la guerre avec la Prusse et les États allemands et craint un rétablissement de la monarchie par l’Assemblée nationale qui vient d’être élue. Le mouvement est suivi pour peu de temps dans plusieurs villes de province.

Acteur et témoin des événements, le journaliste et historien Prosper-Olivier Lissagaray a considéré la Commune comme « un rappel à l'ordre adressé par le peuple républicain de France aux débris ressuscitants du passé ». Constat partagé à l’autre bout du spectre politique par Jacques Bainville : « une révolte contre l’humiliation de la défaite et contre la majorité monarchiste, cléricale et rurale qui accepte le traité de Francfort ». Et comme l’a relevé Jean Jaurès, la Commune a entretenu dans la classe ouvrière française cette « tradition d’audace et d’espoir qui en fait la dignité et la force ». Karl Marx l’a qualifiée de « glorieux fourrier d’une société nouvelle ». En effet, la Commune est directement liée au ressentiment et aux aspirations populaires sur quatre questions.

La question patriotique et nationale d’abord. Dès les désastres militaires d’août 1870, les Républicains ont soupçonné Napoléon III de refuser le recours à la Garde nationale par peur d’armer le peuple. Ce thème de la levée en masse, référence à 1792 et 1793, et de la poursuite de la lutte a ensuite été repris par les républicains de gauche après le 4 septembre 1870. Le 31 octobre, à la nouvelle de la capitulation de Metz, des troubles éclatent à Paris, aux cris de « Vive la Commune ! Guerre à outrance ! ». L’armistice du 28 janvier donne lui aussi lieu à des manifestations. Les préliminaires de paix de février sont refusés par les députés de gauche. Pour une partie de l’opinion, amoindrir la République, c’est consolider les puissances conservatrices et porter atteinte au mouvement social. Analysant 1830 et 1848, les membres de l’Internationale fondent dans les années 1865-1870 de grands espoirs sur une prochaine révolution à Paris.

La question institutionnelle ensuite. À juste titre, les blanquistes et les républicains de gauche soupçonnent la majorité de l’Assemblée nationale, dominée par les Orléanistes et les Légitimistes, de vouloir restaurer la monarchie. C’est pour eux inacceptable, d’autant que la question religieuse est en arrière-plan. Ils veulent la séparation de l’Église et de l’État.

La question sociale également. La situation économique est désastreuse. La majorité des ouvriers parisiens est au chômage. Le nouveau pouvoir accumule les erreurs. L’Assemblée nationale met fin en mars au report des échéances commerciales prévu en juillet 1870. La petite bourgeoisie, notamment parisienne, est directement menacée.

La question spécifiquement parisienne enfin. La ville a été éprouvée par plusieurs mois de siège et un bombardement en janvier. L’entrée des Allemands dans Paris le 3 mars 1871, pour trois jours, même limitée aux Champs-Élysées, est vécue comme une vexation par les Parisiens. Le 10, l’Assemblée nationale vote le transfert de son siège à Versailles, par défiance. Par ailleurs, le général Vinoy, gouverneur de Paris, supprime les journaux de gauche, ferme les clubs politiques, licencie 21 000 mobiles et supprime la solde des gardes nationaux, ouvriers pour la plupart. Blanqui a été poursuivi pour les émeutes du 31 octobre, puis condamné à mort par contumace le 9 mars et arrêté dans le Lot, le 17. Par ailleurs, le gouvernement et l’Assemblée tergiversent sur les élections municipales.

L’élément déclencheur est la tentative de saisir au petit-matin, le 18 mars, au sommet de la Butte Montmartre, les 250 canons et mitrailleuses de la Garde nationale que les Parisiens ont payé par souscription. Craignant une provocation contre les Prussiens, le gouvernement de Thiers prend ainsi un risque majeur vis-à-vis des Parisiens.

L’opération est mal exécutée. C’est l’échec et l’émeute. Craignant la fraternisation de l’armée régulière et des Parisiens, Thiers applique la stratégie menée à Vienne en 1848 : il fait évacuer Paris, installe le gouvernement à Versailles et prépare le siège de la capitale.

Pendant ce temps, le 19 mars, le comité central de la Garde nationale annonce des élections municipales. Le 26, le Conseil de la Commune est élu. Seuls quatre arrondissements ont voté contre les listes en faveur de la Commune. Une cérémonie républicaine est organisée à l’Hôtel-de-Ville sous l’emblème du drapeau rouge. Thiers ayant fait bloquer les communications, notamment télégraphiques, avec la Province et jouant sur la peur des « partageux », seules quelques villes suivent, et de manière très temporaire, pour quelques jours : Lyon, Toulouse, Marseille, Le Creusot, Narbonne, Saint-Étienne, et avec un arrière-plan politique différent. Comme l’a analysé Maurice Agulhon dans Marianne au combat, le pays s’est polarisé selon trois tendances : « révolution parisienne », « conservatisme versaillais » et « démocratie républicaine provinciale ».

Plusieurs tentatives de conciliation pour éviter la guerre civile à Paris sont refusées par Versailles : celle des maires et députés de Paris, celle des Chambres syndicales, celle de la Ligue d’Union républicaine et celle des francs-maçons. Le mot d’ordre de Thiers est : « force restera à la loi ».

La Commune désigne ses commissions, dont la commission exécutive le 29 mars, et prend rapidement plusieurs mesures symboliques, dont la séparation de l’Église et de l’État, et des mesures sociales et en matière d’éducation, et se met en état de défense. En l’absence de Blanqui, la direction reste collégiale.

La Commune sera militairement défaite au cours de la semaine sanglante du 21 au 28 mai. Les condamnations pleuvent : mort ou déportation, notamment en Nouvelle-Calédonie. Il faudra attendre les amnisties de 1879 et 1880 pour que la situation des Communards se régularise.

29 parcours de députés
À l’image de autres acteurs du mouvement social en Europe, les 22 élus qui seront ensuite députés sous la IIIe République suivront la voie politique et parlementaire. Ces parcours individuels, qui s’accompagnent, mais pas nécessairement, d’une évolution des convictions politiques de chacun, sont en France facilités par le fait que la République réalise au fil du temps une large partie des objectifs politiques de la Commune, en particulier sur l’éducation et la laïcité.

Parmi ces personnalités, certaines passeront au premier plan, dont Jean Allemane et Édouard Vaillant, mais assez tard : la répression de 1871 aura clairement décapité le mouvement social parisien et français pour une décennie.

Au total, 29 personnalités de la Commune, ou de Province, ont eu ou auront un mandat de député.

Parmi eux, Auguste Blanqui, le « chef que la Commune n’a pas eu », car déjà emprisonné.

Quatre d’entre eux sont des anciens acteurs et élus de 1848 et de la IIe République qui ont vécu après 1830, une deuxième « confiscation » de la Révolution : Charles Beslay, Ferdinand Gambon, Jules Miot et Félix Pyat.

Un seul a été élu sous le Second Empire, et encore tard et difficilement, Henri Rochefort.

Parmi les huit élus de février 1871, membres de l’Assemblée nationale, quatre n’auront que ce seul mandat : Melvil-Bloncourt, Charles Delescluze, Benoît Malon et Gustave Tridon.

Les dix-neuf autres personnalités auront sous la IIIe République l’heur de représenter la gauche dans tout son spectre, avec cependant une mention particulière pour trois d’entre eux dont la posture finale d’opposant nationaliste ira jusqu’à des excès regrettables : Henri Rochefort, qui achèvera son parcours de polémiste dans l’antisémitisme antidreyfusard, Gustave Cluseret, ancien compagnon de Garibaldi et ancien général nordiste pendant la Guerre de Sécession, qui fera le même choix, Charles Amouroux, qui prendra part à la répression des kanaks en 1879, Alphonse Humbert, qui prendra des positions nettement antidreyfusardes. Par son antisémitisme virulent, connu uniquement après sa mort, on peut rapprocher Tridon des deux premiers.

Élément significatif de la domination parisienne, seuls cinq membres des communes de Province prendront part au renouvellement de la classe politique sous la IIIe République : Paul-Émile Bouchet, Jean-Baptiste Dumay, Armand Duportal, Jules Guesde et Clovis Hugues. Ce constat ne doit pas occulter l’ancrage territorial des communards de Paris : nombreux sont ceux nés en province et y ont conservé de solides attaches, comme Edouard Vaillant dans le Berry, et certains y ont été élus ou en seront élus, notamment Ferdinand Gambon et Félix Pyat. La situation d’Eugène Germain Casse, né en Guadeloupe, mais journaliste à Paris pendant l’insurrection, est spécifique.