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Depuis plusieurs années, au-delà du contrôle de l’action du Gouvernement, l’Assemblée a cherché à se doter de moyens d’évaluer des politiques publiques.
L’action des commissions permanentes, ainsi que celle des commissions d’enquête et des missions d’information a souvent inclus implicitement cette orientation. La mise en place de l’Office parlementaire d’évaluation des politiques publiques [1], puis de la MEC (Mission d’évaluation et de contrôle), formalisée juridiquement par la LOLF [2], et enfin de la MECSS (Mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale) [3] et de et de l’OPEPS [4] (Office parlementaire d’évaluation des politiques de santé) en matière de sécurité sociale et de politiques de santé, ont visé à enrichir l’activité d’évaluation des commissions permanentes.
La dernière révision constitutionnelle a cependant exprimé dans la loi fondamentale la volonté d’aller plus loin, en précisant, dans l’article 24 de la Constitution, que non seulement « Le Parlement vote la loi [et] contrôle l’action du Gouvernement », mais aussi qu’« il évalue les politiques publiques».
1° Une mission parlementaire renouvelée : l’évaluation des politiques publiques
Les politiques publiques, à tous les niveaux, passent à la fois par des mesures financières (par exemple les aides à l’innovation pour soutenir la recherche et le développement des entreprises), et par des lois et des réglementations, ou des directives pour l’action de l’administration. Ces dispositifs, s’ils n’ont pas nécessairement d’incidences financières directes (par exemple la politique pénale), concourent au même objectif défini par les pouvoirs publics.
Selon une définition officielle souvent citée, « l’évaluation d’une politique publique a pour objet d’apprécier l’efficacité de cette politique en comparant ses résultats aux objectifs assignés et aux moyens mis en œuvre » [5]. Plus précisément, il s’agit donc de viser à la fois à mieux connaître et comprendre son fonctionnement réel et ses résultats, à rendre compte à l’opinion publique et aux parties prenantes (bénéficiaires, acteurs,...) de cette action publique en référence aux objectifs fixés par les autorités publiques concernées, et à chercher en conséquence les moyens de l’améliorer par des recommandations. L’évaluation permet ainsi d’informer les citoyens dans le cadre d’un débat public et pluraliste, de redonner du sens à l’action politique en la fondant sur des constats objectifs, et d’obtenir l’adhésion ou au moins la participation des acteurs aux évolutions souhaitables.
Dans son principe, l’évaluation se distingue d’autres activités plus classiques : ce n’est ni du contrôle de régularité de la dépense (les règles des marchés ont-elles été respectées, les contrats signés dans les règles prévues?), ni de l’audit interne organisationnel (les services et les procédures sont-ils organisées de façon à être efficaces ?), ni une fonction d’inspection générale des services ou, a fortiori, un contrôle juridictionnel tel que celui de la Cour ou des chambres régionales des comptes, qui répondent à d’autres questions. Au lieu d’être orientée vers le contrôle et la sanction, l’évaluation est, pour sa part, une démarche ouverte, de recherche de connaissances, pluraliste, orientée vers le progrès dans l’action, et appuyée en principe sur les acteurs chargés de la mettre en œuvre.
L’évaluation se fonde sur des instruments de mesure souvent quantitatifs, comme les résultats bruts ou nets de la politique considérée, le bilan coûts-avantages, l’impact sur des variables économiques (PIB, emploi, croissance,…) ou sociales (inégalités, santé, chômage,...). L’évaluation est une démarche qui peut exiger du temps lorsqu’elle est réalisée a posteriori, car les effets des politiques publiques peuvent eux-mêmes être longs à apparaître et à se stabiliser. Elle peut également être organisée avant la prise des mesures nouvelles, ou au fil de l’eau, comme dans le cas du RMI.
Pour chaque politique analysée, l’évaluation pose en général plusieurs questions [6]:
– la pertinence et la cohérence des enjeux et des objectifs initiaux, au niveau politique, ainsi que le réexamen des modèles de référence qui ont fondé les choix de départ ;
– les difficultés liées à la mise en œuvre des orientations retenues, les moyens mobilisés (humains, financiers, techniques,...) au regard de ceux qui apparaissent effectivement nécessaires pour atteindre les objectifs fixés ;
– la mesure de l’efficacité. Il peut s’agir de l’efficacité directe brute : par exemple, pour une politique de lutte contre le chômage, la baisse du nombre de chômeurs dans le temps. Il peut également s’agir de la mesure des effets indirects, tels que l’effet de la même politique sur le taux d’emploi d’une catégorie d’âge, ou encore d’un impact systémique de plus longue période, incluant effets induits et effets pervers (par exemple l’effet sur l’immigration de l’évolution du taux d’activité) ;
– outre la mesure de l’efficacité, la démarche d’évaluation doit analyser et si possible déterminer les relations de cause à effet pour faire la part des différents paramètres, entre ceux résultant de la politique menée, ceux issus du contexte national ou international... Les résultats des lycées sont ainsi évalués depuis plusieurs années par le ministère chargé de l’éducation nationale en tenant compte du niveau des résultats qui peuvent être attendus compte tenu de la composition socio-professionnelle des familles des élèves ;
– vient ensuite l’analyse de la performance, ou efficience, (parfois sous le terme de productivité, pour les services publics), qui se réfère cette fois au coût des dispositifs, c’est-à- dire l’appréciation de son rapport résultat/coût ; il faut alors notamment tenir compte des effets d’aubaine ;
– la satisfaction des bénéficiaires, des utilisateurs, des « administrés » peut, selon la nature de la politique considérée, mériter d’être également analysée, par exemple par des sondages, des interviews de groupes témoins…
La multiplicité des axes d’investigation exige que l’évaluation d’une politique publique soit souvent pluridisciplinaire, si elle ne se limite pas à la seule mesure de la performance ; elle impliquera souvent des approches quantitatives, de modélisation économétriques plus ou moins sophistiquées, et des démarches plus proches de l’analyse sociologique administrative, voire de la sociologie au sens le plus large.
L’évaluation des politiques publiques constitue une démarche habituelle dans de nombreuses démocraties : ainsi, le NAO (National audit office) et la commission des comptes publics (PAC, Public accounts committee) au Royaume-Uni, le CBO (Congressional budget office) et le GAO (Government accountability office) aux États-Unis ont une longue tradition d’évaluation des politiques publiques nationales ou fédérales.
La Commission européenne pour la plupart de ses propres programmes et, en France, les régions, notamment pour satisfaire les exigences communautaires, ont développé de telles démarches. Au niveau national, des expériences ont été menées durant les années 1990 puis 2000, au sein de l’exécutif, dans un cadre interministériel, qui n’a pas cependant démontré sa capacité à perdurer. La loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001 a généralisé la prise en compte de la performance, sous un angle budgétaire annuel, en imposant pour chaque grande mission de l’État, décomposée en programmes et actions, des indicateurs, des objectifs, des analyses des écarts entre objectifs et réalisations, ces écarts devant être justifiés dans le cadre de documents annuels publiés soumis au Parlement. Plusieurs vagues d’audits, dits de modernisation, puis la procédure de révision générale des politiques publiques, ont contribué, au sein de l’exécutif, à faire progresser rapidement les évaluations et audits des organisations administratives. Un secrétaire d’État a également été temporairement chargé de l’évaluation des politiques publiques et de la prospective.
Il manquait cependant encore un organe parlementaire efficace, permettant d’organiser les évaluations dans un cadre pluraliste et public, notamment pour des sujets dépassant le champ d’une seule commission.
2° Un nouvel organe transversal de l’Assemblée nationale : le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale (CEC)
La création d’un organe spécifique est apparue souhaitable pour dépasser les limites de compétences des commissions permanentes : certaines politiques publiques (par exemple la politique de la ville, la politique de soutien aux entreprises, à la recherche et à l’innovation, la politique de prévention de la délinquance,…) ont une dimension transversale et doivent donc être appréhendées par un organe commun
Les règles régissant ce Comité sont prévues aux articles 98-1 et 146-2 à 146-7 du Règlement de l’Assemblée nationale
Le Comité est présidé par le Président de l’Assemblée nationale et comprend également trente-six membres désignés de manière à assurer une représentation proportionnelle des groupes politiques et une représentation équilibrée des commissions permanentes.
Le CEC est chargé de trois missions principales :
1° En matière d’évaluation, il peut, de sa propre initiative ou à la demande d’une commission permanente, réaliser des travaux portant sur des sujets transversaux. Son programme annuel fait une place renouvelée à l’opposition, puisque, d’une part, chaque groupe politique peut librement choisir une étude d’évaluation par an, et, d’autre part, chaque sujet est traité par deux co-rapporteurs, dont un de l’opposition.
Les rapporteurs peuvent naturellement s’appuyer sur les services de l’Assemblée, au sein du secrétariat permanent du Comité, comme dans les commissions permanentes. Des experts extérieurs à l’Assemblée peuvent également apporter leur concours, notamment la Cour des comptes, chargée par l’article 47-2 de la Constitution d’une mission d’assistance au Parlement pour l’évaluation des politiques publiques.
2° Le Comité peut également être saisi, à la demande du président de la commission à laquelle le projet a été renvoyé au fond, ou du Président de l’Assemblée, qui est également président du Comité, pour donner son avis sur une étude d’impact accompagnant un projet de loi déposé par le Gouvernement. Ces études d’impact sont obligatoires depuis le 1 er septembre 2009 pour la plupart des projets de loi, et leur contenu doit répondre à des prescriptions fixées par la loi organique du 15 avril 2009.
Le Comité pourra également être amené à préparer des évaluations préalables de certains amendements parlementaires.
3° Enfin, le Comité est appelé à jouer un rôle de « tour de contrôle » de l’évaluation et du contrôle à l’Assemblée. Il peut se faire présenter les recommandations des missions d’information créées par les commissions ou par la Conférence des Présidents, de façon à permettre une bonne coordination des travaux et des demandes d’inscription à l’ordre du jour de la semaine mensuelle de la séance publique consacrée en priorité au contrôle et à l’évaluation. Le Comité peut, en effet, faire toute proposition utile à la Conférence des Présidents concernant l’ordre du jour de cette semaine prévue par la révision de la Constitution : il peut, en particulier, proposer l’organisation, en séance publique, de débats sans vote ou de séances de questions portant sur les conclusions de ses rapports ou de ceux des missions d’information, ou de tout autre sujet de contrôle ou d’évaluation, par exemple les rapports de la Cour des comptes portant sur des thèmes particuliers
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[1] Supprimé en 2000.
[2] Loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001.
[3] Cette mission est prévue par l’article 38 de la loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie, instituée à l’Assemblée nationale le 11 juillet 2007.
[4] Cet office a été supprimé par la loi du 15 juin 2009 tendant à modifier l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires (…), en conséquence de la création du Comité d’évaluation et de contrôle.
[5] Décret du 18 novembre 1998, rappelé par M. Bernard Perret, dans « L’évaluation des politiques publiques », édition La découverte, collection Repères.
[6] Cf. « L'évaluation des politiques économiques : pourquoi et comment ? », par Maurice Baslé, Les cahiers français, n °335, la Documentation, française.