Groupe d’études « Attractivité de la France, export, investissement, compétitivité »
Réunion du 26.03.2019
Visioconférence avec trois entrepreneurs français établis à l'étranger
En présence par visioconférence de :
Mme Marie Lebec, présidente du groupe d’études, a introduit la réunion en rappelant que la France menait une grande réforme de l’accompagnement à l’export et que le groupe d’études était intéressé par le fait d’avoir un retour « opérationnel » de terrain à l’international, par des entrepreneurs, sur les liens entre la France et les différents pays d’implantation des entreprises française, sur les opportunités de marché, la méthodologie nécessaire au succès de l’implantation, les opportunité d’accords commerciaux en cours de négociation, les bonnes pratiques et expériences de chacun.
Mme Anne Genetet, vice-présidente du groupe d’études, a rappelé avoir rencontré les différents intervenants entendus au cours de ses déplacements menés en circonscription. Elle a indiqué qu’il fallait dynamiser la filière de l’accompagnement à l’export, dans le cadre de la réforme en cours, en prêtant attention non pas uniquement à l’amont (au « décollage » en France), mais également à l’aval, c’est à dire à l’ « atterrissage » dans le pays cible et à la pérennisation de l’activité de l’entreprise. Elle a demandé aux intervenants leurs recommandations et conseils, pour bénéficier d’un véritable partage d’expérience.
M. Mickael Georgitsis a rappelé son parcours, celui d’un Français vivant à l’étranger depuis trente-deux ans, scolarisé dans les écoles françaises à l’étranger, parfois par correspondance. Il a été jusqu’à récemment directeur de l’entreprise Saint-Gobain pour la zone pacifique, il est actuellement président de la chambre de commerce de l’État de Victoria et vice-président fédéral membre du bureau des conseillers du commerce extérieur français (CCEF).
M. Georgitsis a rappelé la place de la France en Australie. La balance commerciale est excédentaire pour la France (11ème excédent), essentiellement grâce aux secteurs de la pharmacie, des cosmétiques, et des vins et spiritueux. La France est le 13ème fournisseur de l’Australie (quand l’Allemagne est le 5ème, le Royaume Uni le 10ème, et l’Italie le 12ème). Cinq cent sociétés françaises sont implantées en Australie, dont trente-sept du CAC 40, qui emploient 75 000 personnes. La France est le 8ème investisseur dans ce pays.
M. Georgitsis a présenté les difficultés de ce territoire, en raison de son positionnement géographique très à l’Est et très au Sud. Le pays est immense (une fois et demi l’Europe), mais peu peuplé (l’équivalent de la Roumanie), le marché est à la fois très concentré, très protégé et peu habitué à la concurrence.
Il en a aussi souligné les atouts :
S’agissant de la réforme du dispositif d’accompagnement, M. Georgitsis a insisté sur trois points :
Mme Anne Genetet a rappelé qu’au Consumer Electronic Show (CES) de Las Vegas de cette année, la France avait été, pour la première fois, représentée sous une ombrelle unique « Team France Export », qui lui avait donné beaucoup de visibilité.
M. Georgitsis a estimé qu’en Australie, quand bien même il n’y aurait pas de projet « Team France » il y a une volonté d’articuler et d’étendre l’action « Team France » qui se met progressivement en place sous forme de soutien d’actions ciblées et de partage d’information.
Il est important que les organisations ne regroupent pas toujours les mêmes personnes.
Il a souligné que les CCEF étaient dynamiques sur le sujet, sans doute parce qu’ils constituent une organisation petite et plus facile à coordonner. Ils font le lien entre la chambre de commerce d’une part et l’ambassade ou l’attaché économique d’autre part.
Business France agirait en amont, la chambre de commerce serait idéalement la plateforme de communication et de diffusion pour toutes les entreprises sur place, et les CCEF feraient la liaison entre l’entreprise et le corps diplomatique et politique.
S’agissant du contrat pour la construction et la vente de sous-marins par le groupe Naval Group, M. Georgitsis a souligné l’action importante de l’ambassadeur de l’époque, M. Christophe Lecourtier, qui a entrainé dans son sillon la « Team France Export » elle-même qui, au travers des chambres de commerce et d’industrie et des CCEF a relayé l’information auprès de la communauté d’affaires. M. Georgitsis a toutefois regretté une certaine « confusion » autour de la conclusion du contrat, s’agissant notamment des besoins de la chaîne de fournisseurs ou des aspects pouvant intéresser des entreprises chargées de services connexes.
Répondant à une question de Mme Genetet, M. Georgitsis a souligné le fait qu’il existait des partenariats avec le monde de la recherche et les entreprises, ainsi qu’une volonté, promue notamment par l’ambassade, d’organiser des échanges et des contrats entre chercheurs en France et chercheurs en Australie.
S’agissant de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et l’Australie, en cours de négociation, M. Georgitsis a indiqué n’avoir pas beaucoup de retour des entreprises françaises. En effet, la plupart des sociétés françaises présentent et qui vendent en Australie fabriquent leurs produits en Australie ou en Chine : peu de produits viennent directement de France à destination de l’Australie. Les produits exportés vers l’Australie viennent de sociétés basées en France.
Les entreprises allemandes ont davantage à y gagner, en particulier l’industrie automobile. Cependant, l’harmonisation de certains standards australiens spécifiques avec les règles européennes pourrait permettre de lever quelques freins qui persistent, s’agissant notamment des normes relatives aux produits agricoles et manufacturiers.
M. Aurélien Bayer a rappelé son parcours. Après des études en France, puis en Alaska, il a travaillé dans l’export pendant cinq années avant de partir en Asie du Sud-Est en 2011. Après avoir passé deux ans dans l’industrie pétrolière en Thaïlande, puis deux ans au Myanmar, il a créé son entreprise aux Philippines. Cette entreprise est spécialisée dans l’aide au développement commercial des PME, surtout françaises et a pour objet d’apporter « un réseau » aux entreprises qui disposent de produits à vendre mais manquent de contacts. M. Bayer est également « représentant pays » des opérateurs spécialisés du commerce international (OSCI), spécialisé dans l’industrie lourde (énergie, marine, construction, infrastructures) et membre du comité des jeunes entrepreneurs de la chambre de commerce France-Myanmar.
M. Bayer a souligné que la zone Asie du Sud-Est représentait 640 millions d’habitants, avec un produit intérieur brut de de 2800 milliards de dollars (Md$), une inflation de 1,9 % et un taux de chômage de 4,1 %. La valeur des échanges de cette zone avec le reste du monde atteindrait 2575 milliards d’euros (Md€) par an ; celle de ses échanges avec l’Europe s’élèverait à 261 Md€ par an.
M. Bayer a pointé un important défaut de connaissance de la zone, dont chaque pays est différent, possédant une culture propre, une monnaie propre. En conséquence, beaucoup d’opportunités sont méconnues. Parmi ces opportunités, M. Bayer souligne en particulier les secteurs suivants :
M. Bayer a présenté trois points d’amélioration :
Mme Marie Lebec a souligné, également, que le défi qui restait à relever pour la « Team France Export » était celui de réussir à emmener avec elle le secteur privé. Elle a toutefois indiqué que, pour les OSCI notamment, la plateforme des solutions, devrait permettre de répondre partiellement au problème de l’accès à l’information.
M. Aurélien Bayer a indiqué qu’en règle générale, les services économiques des ambassades étaient bien accessibles. Cette accessibilité serait moindre s’agissant des CCEF car il n’existe plus d’annuaire en ligne. En tout état de cause, cela dépendrait des pays : alors que le contact est facile au Myanmar et au Vietnam, M. Bayer a constaté qu’il était plus difficile aux Philippines.
Il a indiqué que, souvent, la meilleure source d’information pour avoir connaissance des acteurs locaux pertinents et compétents sur des questions spécifiques (s’agissant du droit, de la banque, de la fiscalité, etc) étaient les cabinets d’avocats locaux comportant des avocats français : ceux-ci ont et partagent les informations – gratuitement – sur la manière de créer une société, d’employer du personnel, d’ouvrir un compte en banque, etc.
Répondant à une question de M. Masseglia, M. Bayer a regretté que les pays émergents soient, parfois, négligés au profit des « BRICS », alors que leur potentiel de croissance est très important. Il a indiqué que beaucoup appréhendaient mal la zone « Asie du Sud-Est », qu’ils estiment trop complexe. Pourtant, la France a un rôle à y jouer, notamment en raison de son histoire commune avec l’ancienne Indochine, ou encore de certaines législations nationales proches des siennes (comme celle du Cambodge).
Répondant à une question de Mme Genetet, M. Bayer a estimé qu’en Asie du Sud-Est, environ 50 % des nouveaux arrivants s’appuieraient sur la Team France Export. Toutefois, certains préfèrent s’en passer. Ceci est, également, fonction des États.
David Lasfargue a présenté ses activités d’avocat en Russie et de président du comité « Russie » des CCEF. Ce comité y comporte 52 conseillers, représentatifs de toutes les tailles d’entreprises et de tous les secteurs : énergie, banque, agroalimentaire, luxe, pharmacie...
M. Lasfargue a souligné que les avocats français à l’étranger ont pour habitude de donner beaucoup d’informations préalables – services non facturables – aux personnes s’apprêtant à partir s’installer à l’étranger qui les interrogent. Ils ont une vision à la fois pratique et juridique du marché. Les conseillers du commerce extérieur n’ont pas vocation à faire du lobbying, mais à conseiller les pouvoirs publics et les entreprises. Ils travaillent en bonne intelligence avec la chambre de commerce franco-russe, mais également avec l’ambassade et les services régionaux. Cette bonne entente, qui préexistait à la crise des sanctions de 2014, s’est poursuivie depuis.
M. Lasfargue a estimé que les CCEF faisaient un effort pour être plus visibles et plus faciles à contacter par les entreprises. Les OSCI seraient présents également et joueraient un rôle important dans le tissu économique.
En conséquence, la présence de soutien aux entreprises est très diversifiée et fonctionne bien.
M. Lasfargue a cependant souligné les difficultés qui résultent de la fermeture brutale du bureau de Business France en juillet, effective quelques jours seulement après son annonce. L’appel d’offres pour faire effectuer les missions de Business France par d’autres organismes n’a été lancé que six mois plus tard. Les missions ne seront donc effectivement reprises qu’après près d’un an de vacance. Ceci étant, chacun des acteurs présents sur place a déjà, plus ou moins, repris une partie des missions de l’opérateur, pour combler le vide laissé. La chambre de commerce a répondu à deux des trois lots mis en concurrence. Les différents OSCI ont répondu à l’ensemble des lots, chacun de manière différente.
S’agissant de la dynamique du marché local, M. Lasfargue a souligné qu’il y avait eu un avant et un après « sanctions de 2014 ». En effet, la France a toujours été l’un des principaux investisseurs en Russie, mais elle a la particularité de l’être restée depuis 2014 : très peu d’entreprises françaises (et aucune parmi les grandes) n’ont quitté le marché russe. Le groupe Mulliez emploie 100 000 salariés en Russie et le groupe Renault 50 000. Aujourd'hui plus qu’avant, la France est clairement identifiée comme un partenaire économique crédible et important par les Russes (ce qui était moins le cas avant 2014, même si elle a toujours joui d’un « capital sympathie » fort). Cela ouvre des portes vis à vis des dirigeants locaux.
M. Lasfargue a indiqué que plusieurs secteurs étaient dynamiques :
Les CCEF notent parfois certains besoins sur les marchés qu’ils observent. Dans plusieurs domaines, en effet, des entreprises sont requises sans que les besoins ne soient comblés. Les entreprises françaises pourraient avoir un rôle important à jouer. À titre d’illustration, plus d’une trentaine de sociétés du CAC 40 sont présentes en Russie, mais les PME y sont beaucoup moins nombreuses. Les grands groupes, par exemple dans l’agroalimentaire, expriment parfois des besoins pour des sous-traitants ou des entreprises connexes à leur activité, qu’ils peinent à identifier.
S’agissant des sanctions, M. Lasfargue a estimé qu’aujourd'hui, chacun des acteurs concernés savait comment travailler dans le cadre des sanctions européennes à l’encontre de la Russie. Les interlocuteurs pertinents pour obtenir des informations ou des autorisations si nécessaires (notamment au sein du ministère de l’économie et des finances) sont connus. Les relations sont bonnes, mêmes si plusieurs entreprises aimeraient que davantage de personnes suivent ces dossiers au sein de l’administration française (la charge de travail du bureau concerné est importante, en raison de la multiplication des sanctions, et le délai pour obtenir les réponses est parfois long).
Il faut toutefois, pour l’ensemble des acteurs, accepter l’imprévisibilité en particulier des sanctions américaines et l’intégrer à leur stratégie commerciale. Il n’est pas possible de savoir ce qui se passera dans quelques semaines. Ceci peut poser des difficultés, car les entreprises françaises sont très implantées en Russie (il ne s’agit pas d’un simple « potentiel » comme en Iran), et demeure plus pénalisant pour les plus petites entreprises. La véritable difficulté, pour les entreprises françaises est plutôt d’identifier leurs partenaires russes et de faire face à une imprévisibilité politique qui doit être intégrée dans leur stratégie.
M. Lasfargue a aussi estimé que la France a, parfois, une vision très conservatrice du risque et une application très stricte des sanctions, davantage que d’autres pays européens. Certaines entreprises italiennes, voire allemandes, sont parfois des concurrents jugés déloyaux par certaines entreprises françaises, au regard de la marge qu’ils prennent par rapport aux sanctions.
Ces sanctions européennes et américaines sont perçues actuellement de deux manières par les entrepreneurs russes :
M. Lasfargue a estimé, en revanche, qu’il y a une bonne mobilisation et une bonne utilisation des outils français s’agissant de la lutte contre la corruption ou les extorsions.
Par ailleurs, s’il est nécessaire, dans certains cas, de parler russe, ce n’est pas systématiquement le cas. À partir d’un certain niveau de direction, beaucoup parlent anglais et il demeure toujours possible de faire appel à un traducteur. En revanche, il est nécessaire d’y consacrer du temps et d’accorder de l’importance à la relation humaine, qui compte beaucoup pour les Russes : tout ne peut pas se négocier à distance et il faut accepter d’avoir un « billet d’avion ouvert pour le retour ».
M. Lasfargue a souligné que l’essentiel des investissements français et la quasi-totalité des entreprises françaises établies en Russie se situaient dans la partie européenne de la Russie (à l’exception du projet Yamal de Total). Beaucoup d’opportunités existent en Oural, qui est une région riche, mais celle-ci est difficile à appréhender pour des raisons culturelles et logistiques. Dans la partie asiatique de la Russie, le développement est important, mais se fait principalement avec la Chine, la Corée du Sud et, dans une moindre mesure, le Japon.
M. Lasfargue a indiqué que, parmi les entreprises françaises et les Français investis dans la vie économique, une partie assez importante étaient liée à la « Team France Export », jouent un rôle, participent, ou sont investis dans la relation franco-russe.
3500 Français sont présents en Russie (contre 10 000 avant 2014).
Mme Anne Genetet a souhaité faire la synthèse des trois principaux points abordés :
Mme Marie Lebec a remercié l’ensemble des participants pour leur disponibilité malgré les décalages horaires et l’intérêt des propos échangés.